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Par Mony Elkaïm San-Franscisco, le 12 juillet 1990 Entretien avec Paul Watzlawick Entretien avec Paul Watzlawick P aul, c'est à tra- vers un de tes premiers livres que tu as publié "une logique de la communication" que beaucoup d'entre nous en Europe ont lu un ouvrage qui les a intro- duit à la genèse des systèmes en même temps qu'à la thérapie de famille. C'est grâce à un second livre dont tu as dirigé la publication "l'invention de la réali- té", que nous avons pu effectuer un pas épisté- mologiquement impor- tant en passant d'une vision où le thérapeute est extérieur à la famille qu'il traite, à une vision où le thérapeute est par- tie prenante du système dans lequel il intervient. J'aurais voulu commencer, avant de te poser des question plus théoriques, par une question toute simple : comment es-tu arrivé à la thérapie systé- mique ? tu sais que ma formation était celle d'un analyste jun- gien, et après plusieurs années alors que j'étais à Philadelphie, au départe- ment de psychiatrie de Temple University, j'ai découvert les écrits du groupe de Bateson qui ont totalement changé ma manière de voir. J'avais été à l'université de San Salvador pendant 3 ans et je pensais retourner en Europe et je me suis dit que je devrais allé à Palo- Alto. C'était un groupe qui m'intéressait beaucoup et j'ai décidé d'y allé pour une période de 6 à 12 mois maximum. Et voici 30 ans que j'y suis. Bateson et son approche ont changé ma manière de voir les choses et je pense pouvoir dire que la principale contribution de Bateson à notre domaine est d'avoir utilisé une approche anthropologique. Le psychiatre, comme tu le sais mieux que moi, est formé pour approcher un cas particulier avec un modèle de maladie mentale, ou plutôt il a en tête un modèle théorique de la mal- adie et quand il va voir ce cas particulier il va essayer de se l'expliquer grâce au modèle qu'il a en tête. L'anthropologue fait l'opposé.

Entretien avec Paul Watzlawick - Psycha Analyse AVEC PAUL... · 2014. 9. 17. · Paul Watzlawick Entretien avec Paul Watzlawick P aul, c'est à tra-vers un de tes premiers livres

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  • Par Mony Elkaïm San-FFranscisco, le 12 juillet 1990

    Entretien avec Paul Watzlawick Entretien avec Paul Watzlawick

    Paul, c'est à tra-vers un de tespremiers livresque tu aspublié "une logique dela communication" quebeaucoup d'entre nousen Europe ont lu unouvrage qui les a intro-duit à la genèse dessystèmes en mêmetemps qu'à la thérapiede famille. C'est grâce à unsecond livre dont tu asdirigé la publication"l'invention de la réali-té", que nous avons pueffectuer un pas épisté-mologiquement impor-tant en passant d'unevision où le thérapeute est extérieur à la famillequ'il traite, à une vision où le thérapeute est par-tie prenante du système dans lequel il intervient.J'aurais voulu commencer, avant de te poser desquestion plus théoriques, par une question toutesimple : comment es-tu arrivé à la thérapie systé-mique ?tu sais que ma formation était celle d'un analyste jun-gien, et après plusieurs années alors que j'étais à

    Philadelphie, au départe-ment de psychiatrie deTemple University, j'aidécouvert les écrits dugroupe de Bateson quiont totalement changé mamanière de voir. J'avaisété à l'université de SanSalvador pendant 3 ans etje pensais retourner enEurope et je me suis ditque je devrais allé à Palo-Alto. C'était un groupe quim'intéressait beaucoup etj'ai décidé d'y allé pourune période de 6 à 12mois maximum. Et voici30 ans que j'y suis. Bateson et son approcheont changé ma manièrede voir les choses et je

    pense pouvoir dire que la principale contribution deBateson à notre domaine est d'avoir utilisé uneapproche anthropologique. Le psychiatre, comme tule sais mieux que moi, est formé pour approcher uncas particulier avec un modèle de maladie mentale,ou plutôt il a en tête un modèle théorique de la mal-adie et quand il va voir ce cas particulier il va essayerde se l'expliquer grâce au modèle qu'il a en tête.L'anthropologue fait l'opposé.

  • Il se rend dans le groupe qu'il doitétudier et il est un observateurpassif mais attentif des phénomè-nes qu'il tente de comprendre.Bateson a utilisé la même appro-che dans le domaine de la psy-chiatrie. Il ne s'est pas demandélui même "pourquoi cette person-ne-ci se comporte t-elle de maniè-re folle. il s'est demandé " dansquel système humain, dans quelcontexte humain, ce comporte-ment peut-il faire sens? Est-ce quece comportement peut être dansce contexte le meilleur possible,peut-être même le seul comporte-ment possible? Et à partir de cetype d'interrogation a pu apparaît-re, par exemple, la théorie de ladouble contrainte. La principalecontribution de Bateson à notredomaine, je pense, est qu'il a intro-duit ce que nous appelons aujour-d'hui la pensée systémique: nepas voir le phénomène de la mal-adie d'une manière isolée, mais sedemander comment ces élémentsdifférents sont-ils en interaction?comment ont-ils un comportementcoordonné?

    La principalecontributionde Batesonà notre domaine est d’avoir utiliséune approcheanthropologiquePaul, comment était ces premiè-res années à Palo-Alto?

    Ces années étaient extrêmementintéressantes. Il y avait tellementde choses qui se passaient enmême temps. A l'époque Batesonavait comme collaborateursessentiellement John Weakland,Jay Haley et le groupe autour deDon Jackson, le MRI, comme ilétait déjà appelé- le MRI a été créeen 1959- était constitué de person-nes trés proches. Jackson était undes plus fascinant thérapeute quej'ai jamais eu le plaisir et l'honneurd'observer. Les réunions Quiregroupaient les divers membresétaient fascinantes. Pour moi cespersonnes avaient réellementquelque chose à apporter à notrechamp. Jackson était un des plusfascinant thérapeute que j'aijamais eu le plaisir et l'honneur

    d'observer. Jackson avait unemanière de réagir à une interac-tion dans l'ici-et-maintenant quiétait absolument phénoménale.J'ai observé des sessions depsychothérapie où Don Jacksonfaisait de la thérapie dés les pre-mières 10 minutes du premierentretien. alors que, tu sais, d'aut-res personnes prendront toutel'histoire du cas, réuniront les infor-mations et relevés - et ceci inci-demment est l'une des choses quej'admire le plus en toi, cette capa-cité de saisir si rapidement ce quise révèlera être quelque chosed'excessivement féconde pour lasituation. Don Jackson était réelle-ment extraordinaire à voir tra-vailler.

    P aul, quel type derechercheas-tu menéau début à Palo-Alto?Mes premiers essais ont été jepense totalement inutile. J'aipassé trois, peut être quatreannées à essayer de développerce que j'ai appelé un "entretienfamilial structuré". Ceci était sup-posé être une sorte d'outil compo-sé de cinq tâches communication-nelles qu'une famille devait réali-ser. Nous pensions que ceci nouspermettrait de relever et d'objecti-ver les interactions. Nous pen-sions que si nous utilisions cestâches pendant suffisammentlongtemps nous serions capablesde prévoir dés le début de cestâches communicationnelles si,par exemple, il s'agissait d'unefamille de schizophrénie ou d'unefamille qui avait des problèmespsychosomatiques. Et nous pen-sions alors que nous pourrionsparvenir à une nouvelle forme dediagnostic, une sorte de liste desdysfonctionnements interaction-nels. Nous espérions que cet outilnous permettraient de mesurer lechangement: nous utiliserions cestâches au début de la psychothé-rapie, nous redonnerions lesmêmes tâches à la fin de lapsychothérapie, les membres de

    la famille réaliseraient les mêmescinq tâches et nous pourrionsalors dire " oui, il y a eu un chan-gement". Cela n'a jamais marché, pour latrès simple raison que nous nesavions pas à l'époque que lesinteractions sont des processussymbolique qui ne peuvent pasêtre quantifiés. Nous espérionsarriver à des pourcentages avecdes courbes, etc… Ceci n'a jamaismarché. C'était mon premier essaide travail à Palo-Alto.

    Et ensuite?

    nous avons commencé à créernotre modèle de thérapie brèved'une façon très empirique.nous nous sommes rencontrés etnous nous sommes dit "il doit yavoir une manière de comprendrecomment quelqu'un comme DonJackson ou, à ce moment là déjàquelqu'un comme Milton Erickson,arrivaient à des résultats aussiremarquables". Ceci ne pouvaitpas être seulement le fruit de l'in-tuition. Il y avait quelque chose quipouvait être compris, qu'on pou-vait apprendre, et qui pouvait êtreenseignée. Jackson, comme je l'aidéjà dit, était fantastique, maisquand vous lui demandiez "maisenfin comment tu le fais?", il don-nait une réponse qui ne signifiaitvirtuellement rien.

    Don Jackson étaitun des plus fascinant

    psychothérapeuteque j’ai eu le plaisir

    et l’honneur d’observerNous nous sommes alors dit "bien,alors essayons de voir des cas, und'entre nous serait le thérapeute,les autres seront assis derrière lemiroir sans tain, et nous essaye-ront de comprendre ce que cespersonnes qui réussissaient sibien font". C'est ainsi que graduel-lement et je fais maintenant unsaut de plusieurs années nousavons commencé à créer notremodèle de thérapie brève d'unefaçon très empirique. Maintenant, rétrospectivement,Nous pouvons faire comme si c'é-tait une sorte de théorie qui a surgid'une manière continue, étape parétape à la suite d'un processus

  • extrêmement logique.Cela ne l'était pas du tout. Nousavons commencé en ayant desentretiens avec des personnesdont la profession les forçait àrésoudre régulièrement des pro-blèmes, par exemple des barmen,des serveurs qui devaient sedébrouiller avec des clients agres-sifs, des clients ivres, et qui arrive-raient à réaliser des choses remar-quables. Nous avons parlé aussi àdes pilotes d'avion qui devaientfaire face quelquefois à des com-portements de grandes paniques.Nous avons interrogé des policiersreconnus pour être capables decalmer des situations extrême-ment dangereuses par l'humour,etc. Mais à chaque fois que nousdemandions à notre informateur,après avoir obtenu la descriptiontrès intéressante de ces comporte-ments, "mais pourquoi avez vousfait ce que vous avez fait?" ou "qu'est-ce qui vous a fait dire ceque vous avez dit?",la réponseétait en général "cela nous sem-blait la chose la plus adéquate àfaire". Aussi nous n'aboutissionsnulle part en suivant cette façon defaire. Petit à petit nous avons commen-cé à explorer d'autres possibilités -et ce fut Milton Erickson qui nous abeaucoup aidé par ces idées.Comme tu le sais, dans la secon-de moitié de sa vie professionnel-le, fréquemment il n'induisait pasdes transes mais motivait les genssimplement en leur demandantd'agir d'une manière différente. Ils'agissait le plus souvent de com-portements qui permettaient derésoudre les problèmes mais cescomportements n'avaient jamaisété utilisés pour la simple raisonqu'ils ne semblaient pas sensés oucomme je dirais aujourd'hui, qu'ilsne s'inscrivaient pas dans le cadrede la réalité que les gens avaientconstruit d'eux-mêmes. En elle-même cette intervention était rela-tivement simple. Aussi nous avonscommencé à expérimenter sur cemodèle. Juste une petite digres-sion, aujourd'hui je travaille quel-quefois avec les directions d'entre-prises, et je suis alors confronté àune plus grande complexité quecelle que l'on rencontre avec unefamille. Quand on est confronté àune très grande compagnie, la

    complexité peut paraître commequelque chose qui risque de vousdéborder. les personnes qui tra-vaillent dans la recherche auniveau de grandes organisationssont arrivées à un concept que,Stafford Beer a appelé" varietyreducer" (réducteur de complexi-té). Il s'agit d'une méthodes qui tentede diminuer la complexité d'unesituation sans en détruire la varié-té, sans détruire cette complexité.

    P aul WATZLAWICK est né à Villach, en Autriche, en 1921.. En1949 il obtient un doctorat de philosophie mention philologiemoderne. A partir de 1950 il se forme pendant quatre ans à lapsychanalyse à l’institut de Psychologie Analystique CarlGustav Jung à Zürich en suisse.Il obtient son diplôme d’analys-te en 1954.Watzlawick travaille un temps en europe, part pourbombay en Inde, puis revient en europe. En 1957 il se rend en Amérique Centrale.ASan Salvador il est professeur à l’université nationale d’El Salvador. Il y ensei-gne la psychothérapie et la psychanalyse. Il lit énormément. C’est à ce moment làqu’il découvre Bateson à travers ses ouvrages et ses travaux. En 1959 il veut ren-trer en Europe mais passant par les Etats Unis car il est invité part John Rosen quipratique (L’analyse directe) dans son Institut de Philadelphie. Il est égalementdécidé à passer quelques mois en Californie pour y rencontrer Grégory Batesonet chercheurs du groupe de Palo Alto notamment Don D.Jackson, John Weaklandet Jay Haley. En janvier 1960 il se trouve en Pennsylvanie au département de psy-chiatrie de l’université de Temple où travaille, entre autres chercheurs, AlbertScheflen. En octobre 1960, Scheflen le présente à Don Jackson en visite àPhiladelphie. Don D. Jackson l’invite à se joindre à l’équipe du Mental ResearchInstitut (M.R.I) qu’il vient de créer en novembre 1958 avec Virginie Satir et JulesRuskin. Tourné vers la recherche clinique et la formation de thérapeutes l’équipea pour objectif de tenter d’appliquer les découvertes sur la communication faitesavec Bateson au champ de la psychothérapie. En 1961 Paul Watzlawick rejoint l’é-quipe en compagnie de Jay Haley et John H. Weakland. C’est à ce moment là quela revue prendforme autour du même groupe sous la direc-tion de Jay Haley et Don D. Jackson. En 1967, Paul Watzlawick en collaboration avec John Weakland, Richard Fish etArthur bodin, créent le Brief Therapy Center. Paul Watzlawick est chercheur auM.R.I. de Palo Alto depuis 30 ans. IL est depuis 1976 assistant au département depsychiatrie et des sciences du comportement de la faculté de médecine de l’uni-versité de Standford.Paul Watzlawick est l’auteur de 7 livres et de plus de quarante articles parus dansdes revues spécialisées.

    Bibliographie de Watzlawick disponible en français :

    - Une logique de la communication avec J. Beavin et D.Jackson, 1972,Seul, coll.,1979.- Changements :paradoxes et psychothérapie avec J. Weakland et R.Fish, 1975, Seuil, coll. ,1981.- Sur l’interaction avec J.H. Weakland, 1977, Seuil, 1981.- La réalité de la réalité, 1978, Seuil, coll. , 1984.- Le langage du changement, 1980, Seuil.- L’invention de la réalité (dirigé par Paul Watzlawick), 1981, 1985, Seuil, 1988.- Faites vous-même votre malheur, 1983, Seuil.- Comment réussir à échouer, 1986, Seuil,1988.- Guide non conformiste pour l’usage de l’Amérique, 1987, Seuil.

    Par exemple, comme il le faitremarquer dans un de ses livres,si les voitures pouvaient aller dansn'importe quel sens dans unegrande ville, ce serait le chaostotal. à partir du moment où quel-qu'un dit, "tout le monde devraitrouler du côté droit de la route "brusquement nous avons à tra-vers une intervention limitéeamené une réduction considéra-ble de la variété des comporte-ments sans détruire le trafic. Au

  • contraire nous avons même rendule trafic plus fluide, plus facile. Ceci donc est le concept de réduc-teur de complexité. Il permet d'ac-complir un grand saut. aujourd'huinous pensons empiriquement quele réducteur de complexité le plusutile est le concept de solution quia été tenté. Ce qui nous intéressequand nous explorons une situa-tion, c'est avant tout, de compren-dre la nature du problème. nouslaissons d'abord les membres dela famille expliquer le problème. Laseconde étape est la suivante:nous essayons de comprendre ceque ces gens ont fait jusque làpour tenter de gérer ce problème,de résoudre ce problème, et aussiquel type d'avis ils ont reçu d'aut-res personnes. si les comporte-ments utilisés par les membres dela famille pour résoudre le problè-me avaient été couronnés de suc-cès, les membres de cette famillene seraient pas venus demanderde l'aide. L'histoire de l'évolutionsemble fournit des exemples desituations où les problèmes appa-raissent quand des stratégies quiont été utiles dans le passé sontmaintenue malgré le fait que lesconditions au niveau environne-mental ont changées et que cesstratégies ne fonctionnent plus. ce qui est malchanceux, c'est quedans ces circonstances les êtreshumains aussi bien que les ani-maux continuent à utiliser la solu-tion catastrophique de faire encoreplus la même chose. Ils ne chan-gent pas leur stratégie, ils secontentent de l'affiner et bien sûrils obtiennent encore plus dumême comme le dit le proverbefrançais, " plus ça change, plusc'est la même chose".je pense que c'est d'une manièreclaire la route qu'il faut prendre.Nous voyons aujourd'hui différen-tes directions se préciser et je voisquelque chose que je trouve per-sonnellement très irritant: desgens qui n'ont même pas comprisun minimum la théorie des systè-mes me disent : " Vous avez àretourner à l'individu. Nous avonsà découvrir ce qui se passe à l'in-térieur de l'individu", ils disent quecette approche systèmique estmécaniste, qu'elle ne prend pas enligne de compte la profondeur del'individu et des élèments de ce

    type. Je pense d'ailleurs qu'il sepasse la même chose pour ce quiest d'intervention paradoxale.

    P aul comment vois-tuaujourd'hui la situa-tion de la thérapiefamiliale et de l'approchesystémique?

    ce type d'intervention a été diluéen une sorte de paradoxe austade le plus simple du terme. et leparadoxe lui même en est arrivé àsignifier quelque chose d'inatten-du, de bizarre de surprenant etbien sûr de cette dilution surgitune sorte de manière de parler decertaines choses qui fait qu'il vousest difficile de comprendre de quoiles gens parlent ainsi. Et dans cedomaine particulier, je pense queton travail a eu une énorme valeuren montrant bien à ces interlocu-teurs que les thérapies systè-miques ne signifie pas que l'indivi-du ne compte plus. En fait, ton tra-vail montre comment dans lamesure où des individus construi-sent des réalités, différentes cons-tructions du réel en interelationforment ce qu'en biologie on aappelé depuis longtemps déjà"une qualité émergente" tu as unnom différent pour cela, tu appel-les cela résonance, et tu parles desystèmes en résonance.

    Diminuer La complexité d’une situation

    sans en détruirela variété

    Par exemple aujourd’hui jesupervisais un bon thérapeutedant la séance de psychothéra-pie.Nous étions derrière lemiroir sans tain et le thérapeutetravaillait de manière extrême-ment intéressante avec un cou-ple dont l’épouse avait toute savie pris en charge les autres.Elle disait: “Jamais personnen’a pris soin de moi”, nousnous sommes alors renducompte comment il était extrê-mement difficile pour elle d’ac-cepter que son mari ou que lethérapeute puisse prendre soind’elle. Ce n’est que lors de l’in-

    terruption de séance que le thé-rapeute a commencé à réalisercomment son sentiment d’ina-déquation avait une fonctiondans ce contexte spécifique.Bien sûr ce sentiment étaitaussi lié à sa propre histoiremais par ailleurs ce sentimentavait été amplifié dans cecontexte particulier en lien avecune fonction s’élargissant àl’ensemble du système théra-peutique. La résonance com-mançait déjà à l’intersectiondes systèmes familiaux du thé-rapeute et des clients.

    Et je pourrai même émettre l'hypo-thèse que cette femme était capa-ble dans d'autres circonstancesd'induire chez d'autres personnesun sentiment d'inadéquation afinqu'elle puisse les prendre en char-ge.

    Il faudrait encore que ces per-sonnes soient prêtes à être"induit" parce qu'elles doiventaussi avoir un intérêt dans cetype de comportements, à créerce type de nouveau système...

    Quand deux personnes habituéesà aider se rencontrent nous avonsune qualité émergente qui peutcréer un conflit très sérieux parceque les deux veulent aider et lesdeux ne veulent pas être aidés.Aussi les deux considèrent l'autrecomme froid et hostiles. Ceci estpour moi le type de qualité émer-gente qui n'a plus uniquement desaspects individuels. Cette qualitéémergente surgit comme la résul-tante d'une interaction et c'est cecique les gens ont des difficultés àvoir lorsqu'ils rejettent l'approchesystémique comme mécaniste.

    Paul, L' insistait beaucoup sur l'au-toréférence. Peux-tu m'en direquelques mots ?tu sais, tout d'abord, l'autoréféren-ce est bien sûr un concept philo-sophique très important. Cela acrée un problème pour le groupede Bateson quand ils ont com-mencé à étudier les effets de lacommunication paradoxale. Enthérapie systémique on ne peutpas éviter le problème de l'autoré-férence.

  • Il m'arrive fréquemment de men-tionner ce merveilleux exemple duparadoxe sur l'omnipotence divi-ne. D'après une histoire fiable, leDiable un jour a mis Dieu au défide prouver sa toute puissance endemandant à Dieu de créer unrocher tellement énorme quemême Dieu ne pourrait pas lelever. Alors tu vois, il n'est pas rap-porté ce que Dieu a répondu, maisle problème est que si Dieu peutcréer un rocher assez grand pourque lui même ne puisse pas lelever, alors Dieu ne serait pas tout-puissant parce qu'il ne pourraitpas le lever. Mais d'un autre côté,s'il peut le lever, alors il ne seraitpas tout-puissant puisqu'il ne peutpas créer un rocher assez lourdpour ne pas pouvoir le lever.C'était le type de problème que legroupe de Bateson a commencé àinvestiguer, et en thérapie systé-mique, comme tu l'as toi mêmedémontré aussi clairement, on nepeut pas éviter le problème del'autoréférence. Le thérapeuten'est pas assis quelque part, com-plètement détaché du systèmequ'il regarde; il en fait partie, etalors et ceci est la chose importan-te on ne peut pas maintenir l'ob-servateur en dehors du système.C'était l'erreur qui fût faite dans lebon vieux temps quand on pensaitqu'une observation scientifiquesignifiait bien sûr qu'il n'y a pas deconnexion avec l'observateur luimême. Bien sûr des physicienstrés importants comme par exem-ple Schrœdinger ou Heisenbergavaient déjà parlé de l'impossibili-té de maintenir l'observateur àl'extérieur. Aussi je pense que cequ'il nous faut dans notre travail,en supervision plus particulière-ment, c'est de faire en sorte que lethérapeute puisse être conscientdu fait qu'il est maintenant à l'inté-rieur d'un système qui est consti-tué par la famille plus lui.

    A ton avis Comment peut-onutiliser le concept de méta-posi-tion ?Est-il utile de parler de méta-

    position ? devons nous oublierce concept en psychothérapie ?

    Non, non, je pense que nousavons la possibilité de prendreune position méta parce que nos

  • patients s'attendent à ce que nousl'ayons. Ils nous voient commeétant quelque part à l'extérieur ouau dessus. Ceci a quelque chosed'utile. Tu n'as pas besoin d'y croi-re mais tu peux encore l'utiliser.

    Vois-tu d’autres concepts intér-ressants pour notre champaujourd’hui?

    Tu sais, une chose sur laquellej'insiste encore et encore, c'est ceconcept traditionnel d'adaptation àla réalité qui me semble philoso-phiquement intenable et qui mesemble aussi scientifiquementintenable. Croire qu'il y a une réalité réelleextérieure à nous dont des gensnormaux et bien sûr des psycho-thérapeutes, sont particulièrementconscients et en tout cas plusconscients, que les soi-disantmalades mentaux, ceci me sem-ble tout à fait intenable. Mais c'estpourtant quelque chose qui estlargement utilisé dans notrechamp. La réalité est ce que vous ditesqu'elle est. Elle est ce que vousavez construit, je fais une distinc-tion entre ce que j'appelle réalitéde premier ordre et réalité desecond ordre. La réalité de pre-mier ordre, c'est l'information quemes sens me font parvenir et, tu lesais mieux que moi même, ceciest le résultat d'une constructionneuronale extrêmement com-plexe. A l'extérieur de nous, Il n'y apas de couleurs. Nous voyons descouleurs parce que nous avonsdes yeux. D'une manière invaria-ble nous attribuons un sens, dessignifications, des valeurs à cesattributions que nous donnons à laréalité de premier ordre et j'appel-le ces attributions que nous don-nons à la réalité de premier ordrela réalité de second ordre. Lesconflits humains les plus impor-tants surgissent lorsque deux per-sonnes attribuent un sens diffé-rent à une réalité qui est perçueen commun. C'est là que le pro-blème commence. Mais c'est làaussi que de grandes opportuni-tés s'ouvrent.Une bonne thérapie peut consis-ter à changer une constructiondouloureuse de la réalité en uneconstruction moins douloureuse.

  • Si nous acceptons une des idéesde base du constructivisme, à sa-voir que nos réalités sont toujoursdes constructions et des explica-tions réalités sont des explicationsque nous donnons du mondeextérieur, alors nous pouvonscommencer à comprendre qu'unebonne thérapie peut consister àchanger une construction doulou-reuse de la réalité en une cons-truction moins douloureuse. Cecine signifie en aucune manière quecette construction soit plus "réelle"que l'autre. elle est seulementmoins douloureuse.

    Vois-tu encore d'autres conceptsimportants pour notre travail aujour-d'hui ou dans le futur?

    Je pense que j'ai mentionné le plusimportant déjà. C'est ce réducteur decomplexité. Une fois que nous avonsune idée assez claire, relevé ce quenos patients ont déjà essayé et le typed'aide qu'ils ont reçue, nous pouvonsalors les aider à interrompre la solutionqu'ils avaient tenté par une prescription.Dans certaines situations on a un peude chance, le système peut d'unemanière spontanée se réorganiser.mais la plupart du temps ceci n'est passuffisant et nous devons remplacer lasolution tentée déjà par un comporte-ment différent pour sortir du problème.Nous pouvons faire cela d'une maniè-re très directe par exemple en disantaux gens:"une fois par jour, s'il vousplait, faîtes ceci ou cela "ou" dans cettesituation spécifique, faites ceci ou cela".C'est ainsi que je pense que nous com-mençons à utiliser les idées plutôtabstraites du constructivisme d'unemanière extrêmement pratique. Nouscréons de nouvelles réalités en deman-dant aux gens de faire quelque chosequ'ils aurait toujours pu faire. Ericksonétait quelqu'un qui était passé maîtredans l'art d'aider les gens à agir diffé-remment. Ce n'est pas quelque chosequi nécessite du talent ou je ne saisquel don, c'est simplement le fait qu'ilsn'ont jamais tenté ce type de comporte-ment parce qu'il ne faisait pas senspour eux dans leur propre constructionde la réalité. Dans cette voie Ericksonétait quelqu'un qui était passé maîtredans l'art d'aider les gens à agir diffé-remment.Tu te souviens de l'entretienstructuré dont je t'ai parlé tout à l'heure.Cet entretien était constitué de 5tâches. L'une des tâche consistait àdemander aux parents en l'absence de

    Tu te souviens de l'entretien struc-turé dont je t'ai parlé tout à l'heure.Cet entretien était constitué de 5tâches. L'une des tâche consistaità demander aux parents en l'ab-sence de leurs enfants: "commentce fait-il que parmi les millions degens qui existent dans le mondevous vous soyez rencontrés tousles deux?", et alors nous avionsdes réponses qui duraient trois àcinq minutes. Nous n'étions pasintéressés par le contenu, inutilede le dire, nous étions intéressés,plutôt par la manière dont les per-sonnes parlaient, dont ils secontredisaient, qui rectifiait qui, oubien quand étaient-t-ils d'accord?ou non? je me rappelle que pen-dant des mois et des mois, chaquemercredi matin pendant au moinsune heure nous faisions écouterdes extraits très brefs, je répètetrès brefs, maximum cinq minutesà Jackson.

    Jackson ne connaissait pas cesgens, il ne savait pas qui ilsétaient, il ne savait pas s'ilsavaient des enfants, pourquoi ilsétaient venus à l'institut, il nesavait rien. Tout ce qu'il avait c'é-tait ces voix sur la cassette etJackson d'une manière constante

    nous donnait le diagnostic juste.Par exemple je me rappelle d'uncas où il a dit:"si ce couple a un filsc'est probablement un délinquant,s'ils ont une fille elle a probable-ment un problème psychosoma-tique". Nous disions à Jackson:"Don, comment est-ce que tu lesais?", "Don, qu'est-ce qui t'a faitdire ça? comment as-tu découvertcela?" et il répondait quelquechose du style: " et bien c'est lamanière dont la mère vient justede rire". Alors un jour on s'est ditqu'il fallait absolument fairequelque chose d'un peu plusscientifique et nous avons eubesoin d'un groupe de contrôle,Nous avons cherché pour ce grou-pes de contrôle, des familles nor-males. je ne sais pas si tu as unjour cherché, Mony, des famillesnormales c'est extrêmement diffi-cile à trouver. Nous avons réussi àen trouver trois. Nous avons doncfait des enregistrements d'une desfamilles "normales", celle qui noussemblait la plus normale de cestrois et nous avons fait écouterl'enregistrement à Jackson.

    As-tu d'autres histoires à racon-ter, concernant Bateson parexemple?

    pour la première fois, Jackson adit:"je ne sais pas, pouvez-vousrepasser l'enregistrement, s'il vousplaît?" et nous l'avons repasséune deuxième fois puis il a dit;" jesuis désolé... je ne sais pas... ilsme semblent parfaitement nor-maux" Oh mon Dieu, tu saisBateson était un homme de laRenaissance. Il avait une immen-se culture proprement étonnante.Chaque mardi soir il tenait unesorte de salon chez lui auquel lesrésidents en psychiatrie étaientinvités et de notre groupe venaitqui voulait. J'y allais chaque mardiet Bateson avait à chaque fois uninvité différent. Une semaine ilavait un astronome, l'autre semai-ne un sociologue ou un expert enmusique. il était capable d'avoirdes conversations extrêmementpertinentes avec toutes ces per-sonnes diverses représentant dif-férend champ de la connaissancehumaine. C'était absolument fasci-nant. je me rappelle une chose quiétait drôle, Grégory, surtout dansces derniers livres n'était pas à l'a-

    leurs enfants: "comment ce fait-il queparmi les millions de gens qui existentdans le monde vous vous soyez ren-contrés tous les deux?", et alors nousavions des réponses qui duraient troisà cinq minutes. Nous n'étions pas inté-ressés par le contenu, inutile de le dire,nous étions intéressés, plutôt par lamanière dont les personnes parlaient,dont ils se contredisaient, qui rectifiaitqui, ou bien quand étaient-t-ils d'ac-cord? ou non? je me rappelle que pen-dant des mois et des mois, chaquemercredi matin pendant au moins uneheure nous faisions écouter desextraits très brefs, je répète très brefs,maximum cinq minutes à Jackson.

    p our terminer cet entretiensur un ton plus léger,peux-tu me racontercertai-

    nes anecdotes ou certains sou-venirs sur des personnes aveclesquelles tu as travaillé toutesces années?

  • bri de la contradiction. Un jour je luiai dit: " mais tu sais Grégory je necomprend pas, d'un côté tu dis ceciet d'un autre cela, il me semble qu'ily a contradiction?" et cet énormehomme immense me regarde avecun visage très triste et tout ce qu'ila répondu c'était: " ...oh Paul..!".Avec ma culture ajoutée au respectque je lui vouait, ces propos m'ontlaissé coi, bien sûr. Non je n'ai ren-contré Erickson que deux fois. Jen'ai pas eu d'autres contacts.

    Ericksonétait quelqu’un qui étaitpassé maître dans l’artd’aider les gens à agirdifféremmentas-tu travaillé toi même avecErickson?Et quelle impression as-tu euquand tu l'as rencontré?

    quelqu'un de très gentil, et quel-qu'un qui simplement ne pouvaitpas arrêter d'hypnotiser les gensdans quelque contexte que ce soit.Cela pouvait se faire au cours du

    dîner. Il aurait par exemple deuxou trois personnes en transe et il yparvenait juste par quelqueslégers mouvements de la main,par une certaine intervention de lavoix, la manière dont il les regar-dait… c'était une seconde naturepour lui.

    Y-a-t-il quelque chose de parti-culier, Paul, que tu voudrais direau terme de cet entretien auxthérapeutes familiaux qui vontlire ce texte dans le premiernuméro de Résonance? Parexemple quelque chose quantau futurde la psychothérapie?

    tout ce que peux dire c'est que jene voudrais pas que l'on croit quece que je pense est la vérité ulti-me. Je suis convaincu que d'iciquinze ans les gens qui liront cetteentretien riront, parce qu'alorsnotre champ sera tellement plusloin. Nous assistons à une évolu-tion importante. Ce que je trouveintéressant dans tes livres c'estjustement que tes travaux sont à

    la convergence des sciencesnaturelles et sociales. Tu présen-tes un type de convergence qu'ona encore très peu vu. Avec l'aidede Dieu nous arriverons à un pointoù à travers la cybernétique desecond ordre et d'autres dévelop-pements de ce type nous pour-rons formaliser des choses quin'ont jamaisété formalisées auparavant.

    Merci beaucoup Paul