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MIREILLE BROUSSEAU ENTROPIES Mémoire présenté à la Faculté des études supérieures de l’Université Laval dans le cadre du programme de maîtrise en arts visuels pour l’obtention du grade de maître ès arts (M.A.) ECOLE DES ARTS VISUELS FACULTÉ D’AMÉNAGEMENT, D’ARCHITECTURE ET DES ARTS VISUELS UNIVERSITÉ LAVAL QUÉBEC 2008 © Mireille Brousseau, 2008

ENTROPIES - corpus.ulaval.ca · CHAPITRE 2 – LA GENÈSE DE L’ŒUVRE 18 ... 8 Cette aventure à la maîtrise m’aura permis de commencer un travail de réflexion sur les ... vu

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MIREILLE BROUSSEAU

ENTROPIES

Mémoire présenté

à la Faculté des études supérieures de l’Université Laval

dans le cadre du programme de maîtrise en arts visuels

pour l’obtention du grade de maître ès arts (M.A.)

ECOLE DES ARTS VISUELS

FACULTÉ D’AMÉNAGEMENT, D’ARCHITECTURE ET DES ARTS VISUELS

UNIVERSITÉ LAVAL

QUÉBEC

2008

© Mireille Brousseau, 2008

ii

Résumé

Le cinéma a, dès ses débuts, suscité une fascination chez la plupart des gens. Très tôt, dans

l’histoire cinématographique, les profanes se sont appropriés ses équipements et sa

technique pour réaliser des films « amateurs », pour conserver des souvenirs de famille.

Depuis les toutes premières pellicules 8mm et 16mm, les scènes sont invariablement les

mêmes; des scènes somme toute banales.

Le prélèvement d’un premier photogramme, tiré d’un film d’archives familiales trouvées au

fond d’un placard, a conduit à son dépouillement et au désir d’y découvrir les évènements

impromptus : observant, scrutant les images une à une, rêvant d’être émue à nouveau. Le

fragment, le temps, la matière entrent ici en action et sont des composantes actives de ma

démarche artistique. Les photographies présentées sont le résultat de cette réappropriation,

basée sur la matérialité de la pellicule, sur son histoire.

Les fragments - photogrammes - sélectionnés sont isolés et détachés de leur contexte. Ils ne

disent plus le film, mais autre chose : ils disent le temps. Ils sont devenus non plus des

citations, mais des palimpsestes sur lesquels l’image d’origine, l’image primitive est

conservée et devient canevas. Leur extraction, présente le dedans du fragment où j’ai mis

en scène l’accumulation d’empreintes, de marques de temps jusqu’à celles provoquées par

le tirage final.

iii

Avant-propos

J’ai toujours été préoccupée par les phénomènes qui concernent le temps. L’ombre que font

les êtres et les objets selon le moment de la journée; le temps qui passe trop vite et qui

parfois, sans crier gare, passe trop lentement; les vagues qui vont et qui viennent dans un

mouvement perpétuel; la rivière qui est toujours là, toujours même et pourtant toujours

différente; les battements et pulsations qui font que l'on perçoit le temps passer. Car en fait

ce sont des perceptions. Sans les sens qui nous habitent ressentirions-nous le temps qui

passe?

Tout objet, toute œuvre, tout événement est déterminé par le temps imparti à le réaliser.

Pourtant souvent ces choses nous sont présentées, là, une fois terminées comme si elles

avaient toujours été ainsi. Les traces du temps nécessaire pour les créer ne transpirent pas.

Une fois les œuvres créées et livrées à l’environnement, l’avatar du temps laisse ses traces

de détériorations. Souvent je pense à tous ces paysages créés par le passage de glaciers et

l’effort qu’il faut pour tenter de recréer l’origine. Comment cerner le temps? Comment le

débusquer? Comment le mettre en présence?

iv

Remerciement

Un merci particulier à René Méthot pour son aide et ses précieux conseils. Un merci plein

de tendresse à François et à Anne pour leur patience et leur compréhension face à mon

manque de disponibilité des deux dernières années.

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Table des matières

RÉSUMÉ II

AVANT-PROPOS III

TABLE DES MATIÈRES V

LISTE DES PHOTOGRAPHIES VI

INTRODUCTION 7

CHAPITRE 1 – L’ANTÉRIORITÉ DE L’OEUVRE 9

LES ÉLÉMENTS D’ARCHIVES –LA MATIÈRE PREMIÈRE 10 LES SOUVENIRS – LE PALIMPSESTE 12 LA DÉCOUVERTE DES OBJETS - LA PHOTOGRAPHIE 14 UNE RENCONTRE FORTUITE 16

CHAPITRE 2 – LA GENÈSE DE L’ŒUVRE 18

LE FRAGMENT RÉCUPÉRÉ 20 LE TEMPS RETROUVÉ 24 L’IMAGE RÉVÉLÉE 26 ENTROPIE 50

CONCLUSION 56

BIBLIOGRAPHIE 57

vi

Liste des photographies

PHOTOGRAPHIE 1 : ENSEMBLE SOUVENIRS AFFECTÉS 29

PHOTOGRAPHIE 2 : ENSEMBLE PLAGE 30

PHOTOGRAPHIE 3 : ENSEMBLE HIVER 31

PHOTOGRAPHIE 4 : ENSEMBLE FEMMES 32

PHOTOGRAPHIE 5: SOUVENIR AFFECTÉ # 1 33

PHOTOGRAPHIE 6 : SOUVENIR AFFECTÉ # 2 34

PHOTOGRAPHIE 7 SOUVENIR AFFECTÉ # 3 35

PHOTOGRAPHIE 8 : PLAGE # 1 36

PHOTOGRAPHIE 9 : PLAGE # 2 37

PHOTOGRAPHIE 10 : KENT HOUSE 38

PHOTOGRAPHIE 11 : HIVER # 1 39

PHOTOGRAPHIE 12 : HIVER # 2 40

PHOTOGRAPHIE 13 : HIVER # 3 41

PHOTOGRAPHIE 14 : HIVER # 4 42

PHOTOGRAPHIE 15 : HIVER # 5 43

PHOTOGRAPHIE 16 : HIVER # 6 44

PHOTOGRAPHIE 17 : HIVER # 7 45

PHOTOGRAPHIE 18 : FEMMES # 1 46

PHOTOGRAPHIE 19 : FEMMES # 2 47

PHOTOGRAPHIE 20 : FEMMES # 3 48

PHOTOGRAPHIE 21 : FEMMES # 4 49

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Introduction

J’aime manipuler la matière et observer les phénomènes relatifs au temps. Mettre la main

sur les documents dont il sera question tout au long de ce texte fut donc une coïncidence

qui m’a permis de porter mon attention sur des phénomènes et de prendre conscience

d’aspects présents dans mon travail de création. Mon champ d’expérimentation porte

principalement sur l’exploration des qualités plastiques de différents matériaux que j’ai pu

utiliser dans le travail sur l’empreinte et sur la trace. Dans cette recherche-création, la

pellicule de film 8mm est devenue la matière sur laquelle se fonde mon expérimentation.

Bien que le matériau qui est à la base de cette recherche provienne d’archives familiales, le

propos de celle-ci concerne le fragment, le temps et l’image. Ce mémoire est en fait le

compte-rendu narratif du cheminement que j’ai poursuivi pour en extraire tout l’affectif que

pouvaient contenir ces images pour ne présenter que leur propre picturalité.

Plusieurs artistes ont exploité l’archive et ses concepts. Pensons à Boltansky et à ses

inventaires; à Raymonde April qui utilise la photographie dans une

présentation « autobiographique » du quotidien. Pour ma part, j’utilise des documents

visuels contenus dans mes archives en art contemporain comme le canevas de nouvelles

images.

Chaque œuvre est concernée par une part importante de la trace provoquée par le procédé

lui-même. Les procédés laissent des traces, des marques, que certains choisiront

d’éliminer. Pour ma part, j’aime laisser ces marques et les exploiter pour donner un sens

second à l’oeuvre. Elles ne seront jamais provoquées ou fabriquées. C’est intuitivement

que se font mes choix, et malgré le fait que je travaille avec minutie et que je puisse

m’attendre à certaines réactions des procédés que je mets de l’avant, j’attends le hasard.

L’allégorie et la métaphore, la narration et la mise en scène sont présentes dans mes

œuvres. J’aime créer des mondes et m’inventer des histoires. Dans ma pratique, elles se

sont souvent matérialisées par l’utilisation de fragments et de procédés liés à l’empreinte,

ce qui donne une constante formelle inhérente à la matière.

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Cette aventure à la maîtrise m’aura permis de commencer un travail de réflexion sur les

archives, la dégradation, la métamorphose, la matérialité, la texture que je pourrai

approfondir dans ma pratique future. C’est une ouverture sur la création.

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Chapitre 1 – L’antériorité de l’oeuvre

« C’était leur couleur encore, mais à demi éteinte, assoupie dans cette vie diminuée qu’était la leur maintenant et qui est comme le crépuscule des fleurs. »

Marcel Proust

La matière première de ce projet de recherche porte non seulement l’empreinte du temps,

mais aussi une charge affective, puisqu’en fait il s’agit de films d’archives tirés des

souvenirs de ma propre famille. Il y est question tout d’abord de matérialité, d’images et de

temps. Ces films ont été tournés dans les années 40, principalement par mon grand-père.

En fait, lui et son jeune frère possédaient chacun une caméra. En plus des voyages, des

vacances, des mariages, ils filmaient les évènements de la vie quotidienne, ils captaient

ainsi des images pour plus tard, pour se souvenir. Ce sont eux qui tournaient les films et ils

le faisaient pour eux-mêmes; pour les regarder à nouveau, pour se remémorer.

Bien que les images, avec lesquelles je travaille, viennent de documents d’archives

familiales, c’est le regard actuel posé sur celles-ci qui réanime et dégage un nouveau sens.

Un regard qui est possiblement différent en raison du fait que les images sont visionnées

une à une plutôt qu’en continu.

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Les éléments d’archives –la matière première

C’est en fait à partir de deux événements relativement anecdotiques que mon projet de

maîtrise a pris son orientation finale. Tout d’abord, le premier événement fut provoqué par

ma mère qui voulait se départir de vieux souvenirs. Il s’agissait entre autres de vieux

appareils de projection 8mm et super8, de caméras, de bobines de films super8 et 8mm et

pour terminer, des centaines de diapositives. Dans le but de ne pas perdre cet héritage,

c’est par la force des choses que j’en fis l’acquisition.

J’étais un peu irritée de servir de « débarras ». Il faut comprendre qu’avec ce lot, j’ai hérité

de bien d’autres boîtes remplies d’objets et babioles, de magazines, de vieux bijoux de

pacotille et j’en passe. La seule chose qui me pressait était de voir au bon fonctionnement

des projecteurs et de découvrir le contenu des bobines. Je me souvenais vaguement

qu’enfant, j’avais déjà vu ces films, mais ce n’était qu’un lointain souvenir. Ma mère partie,

seule devant tous ces cartons, j’ouvris la première boîte qui contenait la mallette du

projecteur 8 mm. Je la manipulais avec un grand soin. Malgré son poids, elle me semblait

fragile, vu l’état de son cuir et de ses pentures; je l’ouvris délicatement et découvris, à cet

instant, une merveille : un vieux projecteur Keystone des années quarante en acier lourd de

couleur bronze. Une fois branché, l’interrupteur enclenché, un son mécanique se fit

entendre. Après avoir poussé l’interrupteur d’un cran supplémentaire, le bruit du moteur

fut accompagné d’une lumière vive, brûlante. L’appareil dégageait déjà une grande

chaleur, une odeur de roussi flottait dans l’air. Plus tard, dans le calme de la nuit, une fois

seule à nouveau, je projetai les films un à un. Je découvris ainsi un passé : une grand-mère

que je n’ai jamais connue, un grand-père que j’ai à peine connu, ma mère, mes oncles et

mes tantes jeunes, bien plus jeunes que j’avais du mal à identifier. Cette aventure a suscité

chez moi un dialogue avec le passé. Un passé auquel je ne participais pas, mais qui marque

pourtant mon identité.

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Les bobines de films que j’ai découverts m’ont permis de constater que les scènes tournées

étaient souvent de l’ordre du banal : le lavage et le cirage du plancher de la cuisine, une

femme gesticulant, la préparation des repas et j’en passe. Des scènes avec, comme acteurs

en présence, des gens très près de la famille.

Dans les scènes rapprochées, les acteurs sont conscients de la caméra avec laquelle ils ont

un rapport : ils la regardent, lui parlent ou font semblant qu’elle n’est pas là. Ce faux

semblant leur donne une mimique et une gestuelle un peu grotesque. De plus, la caméra est

manipulée par quelqu’un de proche et quand ils s’adressent à celle-ci, cette proximité, du

producteur et des acteurs, fait que nous assistons à des scènes personnelles et même à des

comportements intimes de la vie quotidienne. Contrairement aux films de cinéma où les

scènes sont jouées, avec l’intention de s’adresser au spectateur, ces films sont souvent

spontanés, improvisés. Dans les plans éloignés, par contre, deux types de relations

apparaissent à l’écran ; soit on est plus dans l’ordre de la photographie, les personnages

posent pour la caméra, plus particulièrement dans les scènes de groupe et de voyage; soit

que les gens sont en action et oublient la caméra. Un autre aspect, de ces films est que

selon les prises de vue, nous sommes à même de constater qu’ils ne connaissaient pas les

principes du cinéma : cadrage, exposition, hors champ. De plus, il faut replacer en contexte

l’attitude des acteurs en présence qui dénote un certain malaise, un inconfort même devant

la caméra. Les enfants, quant à eux, regardent la caméra avec curiosité, la dévisagent

parfois.

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Les souvenirs – Le palimpseste

« L’immense et compliqué palimpseste de la mémoire ».

Charles Baudelaire

Ces films sont, sans contredit, des souvenirs pour les personnes en présence. La

connotation affective est indéniable, présente dans ces films, pour ma mère entre autres.

Cette charge affective, je ne peux pas l’éliminer complètement des images, puisqu’elles

constituent le canevas sur lequel s’appuie mon travail. Il y a filiation. La plupart des

images se rapportent aux membres de la famille de ma mère : mes grands-parents, ma mère,

mes oncles et tantes, mes cousins beaucoup plus vieux. Par contre, cette filiation, que

j’appellerai l’affect, n’est pas déterminante dans les choix que j’ai faits. Elle existe, c’est

tout ! Elle est peut-être intervenue de façon inconsciente au moment de la sélection de la

bobine avec laquelle j’ai commencé ma recherche.

Il s’agit aussi d’identité : identité culturelle et sociale; culturelle parce qu’un grand nombre

des images représentent des lieux de la ville de Québec et ses environs (la rue St-Vallier, la

rue de la Couronne, les Écureuils dans Portneuf, l’écluse…); culturelle aussi, car elles nous

présentent des évènements liés à l’époque (la fête Dieu, le ski en ville, le mardi-gras…);

sociale, car il s’agit des membres d’une même famille qui interagissent entre eux et avec le

cinéaste. Il n’y a pas d’étranger à proprement parler si ce n’est que par coïncidence; sociale

aussi, car des scènes de la vie quotidienne sont représentées (le ménage, la préparation des

repas, l’installation du camp de chasse…). À une certaine époque, une personne a décidé

de façon arbitraire de filmer une scène, par exemple : une cuisine, une jeune femme

déplaçant une chaise. Il y eut alors évènements. Premier événement, affectif, qui est sans

doute disparu des souvenirs des personnes en cause en raison de la banalité de la scène,

n’eut été de l’événement photographique. Ce que l’on appelle des souvenirs. De là, suite à

la résurgence de ce matériel abstrait, ils deviendront des réminiscences.

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Ces bobines de films ainsi que les centaines de photographies et documents visuels et écrits

qui m’ont été légués marquent, je ne peux pas le nier, mon identité. Sans la conservation de

ces films, ce travail de recherche n’aurait pas eu lieu. Ce trait de caractère qui me porte à

ramasser, à conserver, à classer, me vient de ma mère. Mais là encore, ce travail de

recherche ne porte pas sur l’identité.

C’est donc dire que les documents, ainsi prélevés, deviennent des palimpsestes à partir

desquels je crée mes images. Comme les souvenirs, qui sont toujours là, tapis au fond de la

mémoire, dans la pellicule. Les images enregistrées sur les photogrammes sont des motifs

avec lesquels interagissent les signes et les marques laissés par le temps. Ces souvenirs de

famille deviennent le canevas sur lequel j’élabore mon œuvre.

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La découverte des objets - la photographie

Précisons dès maintenant que le sujet de cette recherche ne concerne que de la pellicule de

films. Le film projette une image toutes les 0.05 secondes, à cette vitesse, le spectateur

n’est pas libre de faire la lecture qu’il veut. Le film contrairement au texte écrit dont la

lecture peut se faire librement, doit être vu dans un sens logico-temporel. Le film est une

trame sur laquelle se juxtapose une suite de photogrammes. Lire un film, photogramme par

photogramme, un à un, et l’histoire ne tient plus, elle se décompose, elle disparaît : apparaît

alors un nouveau sens.

C’est ainsi que s’est fait le travail d’extraction : regarder un à un les photogrammes.

Certes, il y a eu une première analyse du matériau que j’avais entre les mains par la

projection des films, J’avoue qu’avec un certain plaisir, j’ai regardé « les petites vues ».

Faire la rencontre d’un passé qui ne m’appartient pas et de me l’approprier. Ainsi, j’ai

découvert ma mère à l’adolescence, ma grand-mère que je n’ai pas connue et j’en passe.

Constater aussi, des modifications au paysage humain et aux mœurs et coutumes de ma

propre ville à cette époque : voir des chevaux sur la Première Avenue à Limoilou, le

tramway en basse-ville, les gens faire du ski dans la rue. Une fois cela fait, j’ai entrepris le

travail de captation et de transfert vidéo à proprement parler. J’ai commencé à manipuler

les bobines pour les numériser. Le matériel avec lequel j’avais à composer a influencé sans

contredit le procédé de capture vidéo : un vieux projecteur en acier lourd qui ne possédait

aucune ventilation et que la puissante lampe faisait surchauffer, une caméra numérique et

une boîte de transfert vidéo. Cette captation a été plutôt catastrophique, les films avaient de

la difficulté à supporter la chaleur de la lampe et ils se sont cassés à plusieurs reprises.

Toutes ces considérations techniques ont fait en sorte que j’ai dû développer un procédé

photographique pour travailler avec ces bobines de film.

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Le montage de l’enregistrement des films m’a permis de percevoir des événements que

l’œil ne percevait pas lors des projections et j’ai ressenti face aux photogrammes, pris

isolément, qu’advenait une nouvelle réalité. Les premières épreuves ont été tirées de

fichiers numériques lors du montage. C’est le visionnement à basse vitesse qui m’a permis

de découvrir, en fait quelques phénomènes : le premier était que plusieurs images

présentaient des personnages à la tête coupée; d’autres, des personnages de dos; d’autres

aussi des taches, des marques. Dans un premier test, j’ai imprimé de grands formats noir et

blanc, des tirages provenant de fichiers numériques.

Puisqu’il m’était impossible de projeter des images fixes à partir du matériel technique, J’ai

concentré mon activité à développer un système de reproduction. Cette première avancée

m’a conduite au laboratoire de photographie pour y trouver un moyen de reproduire les

photogrammes. Ce fut tout d’abord le Repro-vite qui me permit de faire les premiers

tirages argentiques à partir de film. Les négatifs ainsi obtenus mesurent 12mm X 24mm. Par

ce procédé j’obtiens deux images complètes par négatif 35mm.

À partir de cette première captation, j’ai pu tirer des planches contact ainsi qu’un

agrandissement argentique 8’’X10’’ d’un des négatifs. Toujours à partir de ce même négatif,

des tests de numérisation ont été effectués. Le seul élément que je voulais contrôler était la

qualité du grain photographique. Le procédé de numérisation était important pour passer de

12mm à 100cm. Une première impression jet d’encre fut donc tirée.

La suite de la captation fut exécutée sur un appareil de reproduction de diapositive le

Repronar. De plus, le Repronar donne une qualité d’image supérieure au reprovite.

Concrètement, les bobines de pellicule sont montées sur des dévidoirs et la pellicule est

glissée sous l’appareil photographique. Depuis les premières prises de vue, la technique a

évolué jusqu’à prendre l’entièreté du photogramme permettant de mettre en évidence le

cadre qui au début était tronqué.

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Dans ce texte, j’utiliserai le mot photographie pour nommer les images, même si je ne

considère pas faire de la photographie, mais que j’utilise seulement ses procédés pour

présenter les photogrammes extraits. Donc, les photographies présentées proviennent d’un

film, c'est-à-dire d’une suite d’images répétitives représentant une seule et même scène.

Trouver des variations entre deux clichés juxtaposés nécessite une observation minutieuse

et pourtant, chacune d’elles porte un référent différent. C’est principalement par le

truchement de la photographie que toutes les expérimentations ont été réalisées, me

permettant ainsi de capter les phénomènes reliés au temps qui sont perceptibles grâce aux

différents signes, traces et empreintes apparentes sur la pellicule.

Une rencontre fortuite

Je le mentionnais précédemment, c’est le hasard du choix de la bobine avec laquelle j’ai

commencé ma recherche qui a orienté celle-ci. Tout ce que je croyais valoir la peine d’être

prélevé, l’a été. C’est par la suite que j’ai fait des regroupements, des recoupements : les

personnages de dos, les têtes tronquées, les marques, les trous de développement, les très

gros plans... Finalement ce sont les photogrammes qui contenaient les marques et les

taches, qui étaient les plus nombreux et qui s’avéraient plus intéressants à ce moment.

J’aurais pu poursuivre l’étape de prise de vues jusqu’à…. Jusqu’à quand? Jusqu’à quoi?

Trouver une parenté artistique, si besoin est, est plus une question de reconnaissance de

signes, de techniques, de gestes. Ce qui nous met au défi de pousser plus loin notre regard,

par conséquent notre exploration. Chaque artiste fait de l’art pour des raisons qui lui sont

propres. Cette évidence, fait interagir l’artiste avec les choses et le monde. Ce qui fait que

de façon inopinée, sur le sentier de notre création, on découvre un artiste qui eut les mêmes

préoccupations, qui a utilisé les mêmes matériaux ou les mêmes procédés. De fait, j’ai fait

une de ces rencontres : Éric Rondepierre.

17

Au-delà de l’évidente parenté de l’image et lorsque je porte plus loin mes observations sur

les différents aspects de notre travail, je constate non seulement que l’intention, la

démarche et le rendu final divergent considérablement, qu’il s’agit d’images différentes de

par leur provenance, mais que c’est encore plus. Cela concerne : la source première

d’inspiration et de motivation, le matériel avec lequel on travaille, les procédés similaires et

ce que chacun de nous en fait, les sujets ou les thèmes abordés, et pour terminer

l’expérience de chacun de nous.

Malgré que nos projets portent sur les mêmes objets de recherche qui consistent en des

mètres de pellicules de films, la nature des sujets et le type de films connotent dès lors les

images présentées. Éric Rondepierre a eu accès à de vieux films de cinéma des années

vingt. Chacun des photogrammes qu’il a extrait est le support formel d’une mise en scène

et un choix d’une équipe de créateurs. De la prise de vue au montage final, aucune image

n’est là sans une volonté première. Rien n’est laissé au hasard. Un autre aspect important

concerne la nature même de la pellicule avec laquelle il a eu à travailler. Les réactions

chimiques et physiques de la matière végétale dont était faite la pellicule, ont une incidence

différente sur la forme finale de l’œuvre comparativement à la pellicule plastique avec

laquelle j’ai travaillé. C’est ce qui distingue le plus nos travaux sur les photogrammes.

Toutefois, c’est le hasard, l’imprévu, le bricolage qui semblent être nos voies d’exploration.

Sans que rien au départ ne soit prémédité, c’est après coup que l’on sait de quoi il est

question.

18

Chapitre 2 – La genèse de l’œuvre

« Percevoir le signifiant photographique demande un acte second de savoir ou de réflexion. »

Roland Barthes

Laisser venir, percevoir, choisir, patienter sont quelques-unes des actions que j’ai dû faire

pour réaliser mon projet. J’ai dû mettre de côté la provocation, l’impatience, pour y arriver.

Pourquoi prendre ce fragment plutôt que le suivant? C’est une question de texture et de

structure (composition). Les pellicules de films, ayant vieilli et subi les avatars du temps et

des manipulations, deviennent fort différentes malgré la proximité visuelle des images. Je

me suis approprié ces films pour les détourner de leur destination première, en isolant

certaines images je les porte à un autre registre de réception, j’invite le regard aux détails et

aux textures. Ces prélèvements mettent en évidence les métamorphoses qui s’opèrent au

sein même des photogrammes. Des métamorphoses résultantes d’une possible dégradation,

notamment par le type de support de la pellicule, sa manipulation, sa provenance. La

photographie n’est utilisée que pour capter ce jeu de texture et de matière et de la présenter.

Je tire mes négatifs en photographiant directement la pellicule plutôt que de photographier

sa projection. Je le mentionnais dans le chapitre précédent, c’est en raison des limites

matérielles que j’en suis venue au procédé de captation développé, mais force est de

constater qu’il m’a permis d’exploiter mon matériau différemment. Projetée sur un écran

ou sur toute autre surface, l’image ne devient qu’un champ de lumière qui est ensuite capté

par l’appareil photo contrairement à celle captée par l’appareil Repronar qui lui permet de

prendre l’objet même, le photogramme. La diffusion de lumière instantanée qui est

déclenchée et qui converge par derrière fait en sorte de prendre le photogramme dans son

entier, le cadre même. C’est sans doute le mode de duplication qui reproduit le plus

fidèlement la qualité de l’image et du photogramme. En fait, en portant attention, on peut

percevoir la fibre plastique (sa texture), qui compose le photogramme et la possibilité de

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conserver la bordure de défilement ou cadre spécifique aux films. Ces détails disparaissent

lors de la projection et elle laisse place à la texture du support de projection et à toutes les

altérations qu’il pourrait contenir. Quoique les documents viennent de mon passé et que je

n’y suis pas mise en scène. C’est quand même le regard extérieur que je porte sur ceux-ci

qui provoque une distance face aux personnages en présence sur les images. Ils perdent

leur identité. Ce n’est plus un tel, mais une forme abstraite dans l’espace. Cette distance

est créée par la grande quantité de photogrammes que j’ai visionnés, la perte de mouvement

et d’animation des personnages en présence. Cette distance conduit à une re-lecture des

images. Chaque image d’origine devient une composition sur laquelle se greffe une série

d’événements, une autre composition abstraite (tache, brûlure,….) vient se greffer. Cette

nouvelle composition est sélectionnée toujours en fonction de la représentation de cette

nouvelle composition. C’est une question de sensation. La captation des projections des

photogrammes aurait porté cette recherche vers d’autres avenues, elle aurait donné une

autre réalité. En procédant par la photographie des photogrammes, je préserve les principes

actifs qui émanent des photogrammes en évitant le plus possible des interférences. Être le

plus près possible de la pellicule pour sentir sa présence et percevoir tous les détails de la

détérioration de ses fragments.

20

Le fragment récupéré

« Pareil à une petite oeuvre d'art, un fragment doit être totalement détaché du monde environnant et clos sur lui-même comme un hérisson »

Friedrich Schlegel

Parcelle, morceau, bribe, brisure, éclat, esquille, fraction, grain, granule, reste, citation,

épigraphe, exemple, coupure, débris, lambeau, miette, partie, quartier, exergue, limaille,

charpie, part, particule, pointe, portion, extrait, passage, photo, photogramme… Fragment

du monde! Un fragment c’est tout aussi bien un prélèvement fait sur le monde, qu’un détail

de celui-ci. Le fragment ne peut pas exister sans un monde ou un sens préalable. Il est la

partie d’un tout, quelconque.

Pour être considéré comme une œuvre, le fragment doit être autonome. Il ne doit pas

susciter chez le regardeur le désir de reconstitution ou de retour à l’origine. Les fragments

sélectionnés sont isolés et détachés de leur monde. Monde qui est constitué de documents

enregistrés qui avaient pour but de préserver des parcelles de la vie de tous les jours, qui

ont conservé des images des membres d’une famille, d’amis, d’événements. Ainsi, ces

images privées de la projection sont appelées à disparaître. Elles disparaîtront aussi en

raison de la détérioration physique du support sur lequel elles sont enregistrées. D’une

certaine manière le cinéaste a extrait des fragments de son monde en captant ces bribes de

films. C’est une partie découpée d’un tout. Est-ce pour autant une œuvre? L’intention de

mon grand-père n’était pas de les exclure, de les détacher du monde environnant, mais de

les inclure dans le continuum de sa vie : amasser des souvenirs pour faire ressurgir son

passé, pour le maintenir présent. Ce faisant, il a isolé un fragment de la continuité du vécu

d’où il a extrait ses images. Aujourd’hui, j’ai pris possession de ces fragments pour en

extraire des images et les ouvrir sur une nouvelle forme, un nouveau sens.

21

Certains considèrent le photogramme comme étant un échantillon d’un film pareillement à

certaines affiches qui en font la promotion. D’autres, comme Eisenstein, le voient comme

une citation. À la base, il est vrai qu’un photogramme sélectionné est une citation de la

même manière que la citation littéraire. Si mon désir avait été de démontrer différents

aspects du mode de vie de l’époque, j’aurais prélevé les photogrammes les plus pertinents

pour étayer ce propos. Les photogrammes de ma recherche prennent une orientation

différente. Les photogrammes sont des prélèvements qui servent à la constitution d’un

nouveau sens. Ils me font penser aux textes constitués de mots découpés dans les journaux

pour la rédaction d’un message anonyme. Mes photogrammes ne citent plus le film. Pour

moi, ils sont devenus non plus des citations, mais des palimpsestes. Au sens de parchemin,

manuscrit sur lequel un nouveau texte a été écrit. Dans ce travail, l’image d’origine,

l’image primitive est conservée, elle devient canevas. Un canevas qui crée une nouvelle

structure dans l’image. Par exemple l’ensemble, Souvenirs affectés, est constitué de trois

photographies qui représentent la même cuisine, cependant elles proviennent de trois temps

différents. Les séquences d’où elles proviennent laissent percevoir le changement de saison

et la croissance du garçon. Ces détails ne peuvent être perçus que par la manipulation

intensive que j’ai faite des séquences. Deux de ces photographies comportent des traces

qui appartiennent à la pellicule et non à l’image, la troisième qui est au centre ne représente

qu’une scène et quoique le photogramme n’a pas subi d’altération, un trouble subsiste

lorsque je regarde celui-ci. S’agit-il du regard de l’enfant, de la bouche ouverte de l’enfant,

de l’alignement des objets sur la table? Les éléments mis en évidence par la structure de

l’image fonctionnent au même degré de perception que les deux autres images. Chacune

d’elles peut dire une chose, mais leur juxtaposition ou leur proximité constitue comme une

nouvelle phrase, une séquence narrative.

Tout d’abord il y a le support, la pellicule vierge. La reproduction photographique que je

fais, souligne la nature de la pellicule, la fibre plastique c’est-à-dire sa texture. Au départ,

mon aïeul a choisi de capter sur pellicule une scène, un événement; au même moment se

produisaient les temps photographiques. Ces deux séries d’évènements jamais plus ne

seront. Les seules choses qui existent, ce sont les photogrammes. Chaque photogramme

22

est la transposition d’un espace contenu dans un volume déterminé, ce volume qui

comporte une profondeur est ramené à l’épaisseur d’une feuille, à la surface d’une pellicule

plastique. L’aplat ainsi obtenu et projeté, fait apparaître une profondeur dans l’image et

animé à l’aide d’un projecteur crée une réminiscence. Ce phénomène conduit déjà à un

résultat abstrait, « ça n’existe pas », ça existe comme représentation. Ce, qui existe, n’est

qu’une pellicule imprimée. Capté d’aussi près, l’aplat reprend sa place en raison de la

présence sensible de la pellicule qui porte ses marques. Ces pellicules ont subi depuis une

multitude de transformations qui sont dues, non pas à la technique du cinéma, mais aux

métamorphoses survenues dans le temps. « Les pires sévices », diront certains, viennent

des multiples projections et des conditions d’entreposage. Et pourtant, ce sont ces marques

du passage du temps qui donnent un nouveau sens à l’image.

J’utilise des documents du passé que je veux transformer non pas pour les réactualiser dans

leur lecture première, mais pour créer des œuvres qui auront leur propre réalité, leur propre

autonomie. J’étais attentive à la recherche d’événements singuliers au sein même des

différents photogrammes, quelque chose qui vienne de l’intérieur. Ces événements peuvent

avoir été provoqués par différents facteurs : les traces laissées par le temps, les erreurs

techniques dues au manque d’expérience et de connaissance cinématographique de mon

grand-père et une troisième série d’événements qui relèvent plus des séquences temporelles

que je tente de transposer dans l’espace. Lorsque j’utilise de vieux films, c’est non

seulement un prétexte, c’est qu’un processus de détérioration s’est déjà mis en branle et

cette rencontre avec l’image crée des compositions picturales. Cet arrêt, cette pose me fait

voir le dedans du photogramme. Je le retourne sur lui-même, je le retourne à lui-même.

L’image que je regarde est présente aujourd’hui, pourtant le photogramme que j’isole est

antérieur au temps présent et aux réminiscences qu’elle suscite. En déconstruisant l’image

filmique, je révèle quelque chose qui lui est antérieur et qui synthétise le temps.

La fibre plastique de la pellicule réagit donc de façon particulière au passage du temps.

Fréquemment, la pellicule casse en raison de l’assèchement de sa fibre. Lorsque la cassure

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se fait dans les trous d’engrenage, le film se bloque dans le projecteur et par conséquent la

chaleur intense de la lampe fait fondre le plastique. Parfois le film est entraîné de travers

dans les engrenages et ceux-ci provoquent des « griffes de chat » sur les photogrammes.

Les conditions d’entreposage et de conservation sont donc déterminantes. Ayant été

protégée de l’humidité peu de marques de moisissure apparaissent sur la pellicule qui est

plus résistante à celle-ci en raison de sa nature même. Avec le temps, les différents

propriétaires des films ont utilisé différentes techniques de restauration des films, du

simple papier adhésif, du papier spécialisé et de la colle de montage qui causent aussi des

marques intéressantes.

En plus des vestiges présents sur la trame d’origine, l’accumulation des traces s’est

poursuivie pendant le processus d’appropriation des images, provoquées cette fois par les

manipulations effectuées lors du transfert photographique, de la captation; de la prise de

vue jusqu’aux tirages finals. Je mets en scène l’accumulation de marques de temps,

d’empreintes, en scrutant et en prélevant des photogrammes de films de leur contexte pour

donner à ces nouvelles images une essence qui leur est propre. Il y a une autre spatialité

qui est donnée à l’image. En même temps, je déconstruis quelque chose qui était dans le

temps pour y révéler quelque chose d’une autre nature. Cette autre chose nous conduit à

une autre temporalité.

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Le temps retrouvé

« Le petit jeu de l’empreinte s’avère aussi d’une gravité qui, symétriquement, requiert d’ouvrir la perspective et de tendre notre regard entre l’objet singulier et la stratification, l’épaisseur anthropologique dont il met en œuvre une sorte de mémoire déformante. »

Georges Didi-Huberman

Le jeu est donc de traquer le temps et de trouver de nouvelles formes de représentation.

Jusqu’à maintenant, ma recherche m’a permis de trouver quatre types de représentation du

temps que j’ai nommé : temps entrelacé, temps accumulé, temps décomposé et temps

désarticulé. Ce texte traite principalement de la représentation photographique du temps

entrelacé.

Ce sont les traces d’altération qui se sont tout d’abord manifestées à moi. Les vieux films

portent une empreinte de type documentaire. Les images représentées sont l’exacte

reproduction de ce qui était perçu au moment précis de la captation et du désir de conserver

une exacte reproduction des scènes filmées. En choisissant de déconstruire l’image et de

tenter de comprendre l’histoire des photographies, c’est un retour en arrière qui s’opère,

une quête généalogique du film. Les strates se sont superposées tout au long de la vie de la

pellicule et même au-delà de la prise de vue que j’ai opérée. Certaines photographies

comportent un halo qui n’appartient pas aux photogrammes, ni aux négatifs, mais il est

apparu par la suite. Sur certaines photographies qui concernent des photogrammes

surexposés, la marque du temps est indéniable. Après une journée d’observation, de

questionnement, de tests; j’en conclue que le temps d’exposition (très long), la superficie à

imprimer couplée à la distance de projection relative, ont fait en sorte que la lumière qui

émanait de l’agrandisseur se diffusait dans la chambre noire et ainsi affectait le papier

photographique. Des halos qui n’appartenaient pas aux photogrammes, mais qui étaient

dus aux manipulations contemporaines apparaissent aux tirages finals. De cette façon, une

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dernière strate s’est ajoutée. Hasard ou accident ? On peut donc percevoir les

manifestations du temps jusqu’à la fin soit l’impression sur grand format.

Le visionnement répétitif des films m’a conduite vers d’autres formes de représentation.

En fait, le cinéma a un pouvoir qu’à première vue la photographie n’a pas. L’écran ou le

support qui sert à la projection d’un film n’agit pas comme un cadre, mais comme un

cache, comme une fenêtre. La projection d’un film expose le mouvement et l’animation

des personnages, ce qui leur redonne d’un certain point de vue, « la vie » : le personnage

sortant de l’écran, poursuit ses activités. On l’imagine. Il est alors question de diégèse.

Bien que les films dont il est question proviennent d’archives, le concept de diégèse est

opérant quoique parfois moins évident en raison de l’absence de montage. Dans ces films

non seulement les personnages sortent de l’écran, mais des parties de leur corps naviguent

hors champ. C’est en regardant les photogrammes un à un qu’on perçoit cette

décomposition du mouvement et cette sortie hors du cadre. L’utilisation de la technique de

l’arrêt sur image fait intervenir le mode de représentation de la photographie dans le

langage cinématographique ce qui cause un premier brouillage dans la lecture du

photogramme. Mais contrairement à la photographie, l’extraction d’un photogramme

réussit à présenter ce hors champ. Généralement le photographe prend soin de cadrer son

sujet. Quel est le sujet dans mes photographies? Il s’agit du photogramme qui peut parfois

comporter des images de personnages de dos, de très gros plans, des marques de toutes

sortes et il peut même être question d’une séquence de photogrammes. Cette

décomposition du temps permet de voir ces images qui généralement sont jetées aux

oubliettes.

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L’image révélée

« L’image du peintre est totale, celle du cameraman faite de fragments multiples »

Walter Benjamin

Plusieurs principes sont opérants à l’intérieur du corpus d’œuvres que je présente. J’ai tenté

d’en rester aussi près que possible du sujet, le photogramme. Ce sont finalement les

nouvelles structures créées par la superposition des traces et des images d’origine qui

conduisent vers une certaine picturalité. Il y a aussi ces fragments qui représentent des

scènes photographiques que jamais plus on ne voit, qu’on a pris pas accident, que l’on jette

ou que l’on coupe au montage, car on les considère ratées.

Dans l’ensemble Entropie, le hasard y est pour beaucoup dans les résultats obtenus. Dans

la série de photographies présentées, des formes extérieures au sujet se sont introduites.

Par exemple, dans hiver #7, en bas à gauche de l’image une forme aléatoire apparaît et cette

forme n’est pas sans rappeler les volutes que l’on peut retrouver dans les tableaux du

peintre Antoine Carrache qui peignit sur plaques d’albâtre « La vierge et l’enfant avec St-

François ». Dans la tradition classique, il était d’usage d’exploiter les formes naturelles

contenues dans la matière pour élaborer les tableaux. Des peintres tels Carrache ou Johann

König peignaient ainsi à partir des veinures contenues dans la pierre.

C’est ainsi que je puise dans ces archives pour faire apparaître une image. Tout comme le

peintre, je révèle au grand jour la texture, la matière du photogramme pour créer un

nouveau monde. En fait je choisis ce qui s’offre à moi. L’objet photographique n’a plus

vraiment d’importance. C’est plus la composition de cet objet dans l’espace pictural qui

devient importante. La couleur y joue un rôle déterminant. Du point de vue

photographique la couleur connote l’image. La coloration permet de situer la photographie

dans le temps. Dans mon travail, la couleur ajoute une qualité picturale à la composition.

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Les formes présentes dans mes photographies sont donc le résultat physique de diverses

réactions : brûlures, moisissures, colles, etc. Bien qu’elles s’approchent de formes

naturelles, elles proviennent du hasard, d’accidents. Ce ne sont pas ces formes qui sont à

l’origine de l’image. Elles apparaissent à postiori. Il s’agit plus d’un travail de destruction.

La ruine intervient sur les ouvrages humains, une fois, l’objet terminé. Parfois, elle laisse

voir l’usure faite par « l’œuvre du temps » et ce d’une façon particulière qui est liée à la

nature même de l’objet (ses matériaux et sa forme); parfois, elle nous fait voir la façon

brutale avec laquelle, elle s’abat sur les objets.

Je ramène donc le regard sur le sujet photogramme et le fait de présenter la bordure de

défilement et les marques physiques qui ont porté atteinte à la pellicule mène à une

confusion relative à la photographie puisque le sujet même de ma photographie est en

somme le photogramme. La photographie que je fais se rapporte directement à l’objet

photogramme. C’est lui le référent. Avec ces considérations, peut-on dire que j’investis le

monde des images préexistantes pour me les réapproprier et pour les rendre au monde et

que ce sont les images plutôt que le monde qui servent de référent? Les photographies

prises à un premier degré sont une représentation de ce qui était, de ce qui a été, ces images

sont oubliées plus ou moins volontairement.

Dans mes œuvres, je déporte la réalité, je crée de nouvelles narrations, il y a un sens caché.

En ce sens, je détruis les représentations harmonieuses, logiques des choses et des êtres et

partant des fragments obtenus, je reconstitue une histoire. C’est ainsi que dans mon travail,

j’ai scruté les avatars du temps, sur des documents d’archives photographiques pour en

extraire quelques fragments où la superposition, l’accumulation d’empreintes avec les

vestiges photographiques engendrent une histoire. En démantelant le film, les

photogrammes perdent alors leur identité. De plus, le regroupement des photographies en

différents ensembles évoque aussi de nouvelles histoires. Des histoires qui s’apparentent à

l’allégorie.

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Il existe un tableau de Klee qui s'intitule Angelus Novus.

« Il représente un ange qui semble avoir dessein de s'éloigner du lieu ou il se tient immobile

Ses yeux sont écarquillés, sa bouche ouverte, ses ailes déployées.

Tel est l'aspect que doit avoir nécessairement l'ange de l'Histoire. Il a le visage tourné vers le passé.

Où se présente devant nous une chaîne d'événements, il ne voit qu'une seule et unique catastrophe, qui ne cesse d'amonceler ruines sur ruines et les jette à ses pieds.

Il voudrait bien s'attarder, réveiller les morts et rassembler les vaincus. Mais du paradis souffle une tempête qui s'est prise dans ses ailes, si forte que l'ange ne peut plus les refermer.

Cette tempête le pousse incessamment vers l'avenir auquel il tourne le dos, cependant que jusqu'au ciel devant lui s'accumulent les ruines.

Cette tempête est ce que nous appelons le progrès. »1

1 . Walter Benjamin, L’homme, le langage et la culture : Thèses sur la philosophie de l'histoire, coll.

Médiations, Denoël, 1971 p. 189

29

Photographie 1 : Ensemble Souvenirs Affectés

30

Photographie 2 : Ensemble Plage

31

Photographie 3 : ensemble Hiver

32

Photographie 4 : ensemble Femmes

33

photographie 5: Souvenir affecté # 1

34

photographie 6 : Souvenir affecté # 2

35

photographie 7 Souvenir affecté # 3

36

photographie 8 : Plage # 1

37

Photographie 9 : Plage # 2

38

Photographie 10 : Kent house

39

Photographie 11 : Hiver # 1

40

Photographie 12 : Hiver # 2

41

Photographie 13 : Hiver # 3

42

Photographie 14 : Hiver # 4

43

Photographie 15 : Hiver # 5

44

Photographie 16 : Hiver # 6

45

Photographie 17 : Hiver # 7

46

Photographie 18 : Femmes # 1

47

Photographie 19 : Femmes # 2

48

Photographie 20 : Femmes # 3

49

Photographie 21 : Femmes # 4

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Chapitre 3 – Présentation des d’oeuvres

Entropie

Entropie est un corpus d’oeuvres présentées au Centre de diffusion Vu du 7 septembre au 7

octobre 2007. Il est constitué de photographies argentiques et de tirages numériques. La

majorité de ces photographies provienent d’une seule bobine, identifiée #1 les quelques

autres proviennent de la bobine #2. J’ai choisi de regrouper les photographies en

ensembles relatifs à un élément des images d’origines et chaque photographie a été

numérotée dans son ensemble.

Souvenirs affectés

Souvenirs affectés est un ensemble de trois photographies tirées de la bobine #1. Sans doute

par volonté de faire des regroupements thématiques, Cette bobine comporte principalement

des scènes de la vie quotidienne. Ce qui donne un aspect très privé aux images. On sait

que ce sont des images provenant de films anciens, en raison des vêtements portés, de

l’ameublement, des accessoires de cuisine posés sur la table, ainsi que de la texture et de la

coloration qu’elles représentent.

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Souvenirs affectés # 1

À gauche de la photographie se tient le corps d’une femme debout de côté, le dos un peu

voûté. Un corps sans tête dont les mains reposent sur une chaise, à côté d’elle, debout, se

tient, un enfant de face le visage tourné du côté droit regardant vers la droite de la

photographie. Tous deux se tiennent près d’une table. Dans la moitié supérieure, il y a

comme une forme transparente tachetée et visqueuse qui occupe tout le haut de l’image.

Cette forme pourrait être apparentée à un magma qui coule sur la scène. Ce substrat

descend sur l’image, la recouvre, l’envahit. Ce voile semble provenir du cadre, sa forme

nous porte à croire qu’il prend naissance dans le cadre noir, que celui-ci veut envahir

l’image. Le regard du gamin qui cherche une sortie porte sont regard du côté opposé.

L’enfant semble descendre la tête pour regarder sous ce voile qui tente de le recouvrir, en

se demandant quoi faire pour ne pas être lui aussi recouvert par ce voile. La femme, elle,

semble sortir la tête de l’image pour aller respirer, Comme si la bordure noire du film

devenait les limites d’un aquarium.

Souvenirs affectés # 2

C’est donc la table représentée sur cette photographie qui constitue la charnière, aucun

adulte n’est présent. Une fillette est assise vu de dos et le même garçon qui semble avoir

évité le pire. Ici, le regard de cet enfant est encore actif. À droite de l’image, une tache

brillante attire le regard et le fait pénétrer dans cette zone sombre qui après analyse,

constitue une pièce adjacente. Sur cette photographie tout est « normal ». Tout est à sa

place, aligné, impeccable. Seul le regard et la bouche de l’enfant semblent sur le point de

s’animer.

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Souvenirs affectés # 3

On y voit un homme de la tête à la taille : le père, se tient au bout de la table. On ne la voit

pas, mais on sait qu’elle est là. Derrière lui, une cuisinière au bois, des casseroles et une

bouilloire. Il est décontracté, les manches de sa chemise sont roulées et il tient ses mains

dans les poches. Son regard est dirigé vers le bas de l’image et il sourit. Sourit-il devant ces

trois griffes qui tentent de l’atteindre sans se rendre compte que sa tête est attaquée et elle

disparaît au profit d’une tache éclatante alvéolée et tout autour de cette tache se sont

formées des bulles. Est-ce l’ivresse de la fête ?

Plage

Plage # 1 et # 2 est un ensemble de deux impressions jet d’encre tirées, elles aussi de la

bobine #1

Des hommes et des femmes se baignent. La plupart sont de dos. Dans le coin supérieur

gauche, il y a un feu et personne ne semble porter attention à la fumée qui les recouvre, sauf

un homme qui agite un bras.

Kent house

Un bâtiment sur lequel, on peut lire l’Inscription : Kent House. On constate une légère

inclinaison vers la droite de celui-ci. La partie inférieure est envahie par une bande bleue,

trois hommes se tiennent à gauche à une bonne distance de celui-ci et semblent constater

l’inévitable. Le navire sombre. En effet, la bande bleue et l’inclinaison du bâtiment

donnent l’illusion que le bâtiment s’immerge dans ce flot bleu.

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Hiver

Les scènes d’« Hiver » constituent trois ensembles de photographies qui sont regroupées

comme le titre l’indique par le sujet de l’hiver.

Les scènes d’Hiver 1, 2 et 3 proviennent de la bobine # 2, il s’agit d’une scène où des

chasseurs se préparent à prendre un avion pour revenir du camp de chasse. Ces images sont

d’une blancheur, pour ne pas dire d’une pâleur presque fantomatique. Dans cette série, une

répétition est opérante. On comprend que ces images font partie d’un ensemble, que la

première précède ou suit les deux autres, que les photogrammes 1 et 2 sont contigus ou à

proximité. La connotation dans ces images, et qui permet de les situer dans le temps, c’est

sans aucun doute le costume du personnage de gauche. L’avion et la forêt quant à eux nous

situent dans l’espace. Les trois images, par leur blancheur, laissent voir une surexposition.

Hiver # 1 et Hiver # 2

On voit les hauts de corps de deux hommes. L’un d’eux porte un anorak et un foulard,

l’autre un veston trop petit. La neige recouvre le sol et occupe les deux tiers de l’image.

Au fond, on aperçoit l’orée du bois. Une nuée de bulles, tel un essaim provenant du centre

de la forêt voltige autour des têtes des hommes. Quel rôle jouent ces bulles? Que font-elles

là ? Cette première observation des images peut s’avérer satisfaisante pour le spectateur

pressé. Qu’advient-il quand on tente de faire interagir les bulles avec les images

représentées? C’est alors que l’image se brouille, qu’elle se voile, qu’elle disparaît au

profit d’une autre narration, sinon, il faut plonger dans sa mémoire pour tenter de

reconstituer l’histoire qui s’offre au regard. Les fragments, ainsi présentés, nous entraînent

sur différentes avenues qui varient selon l’expérience du regardeur. Dans l’image - Hiver

#2 - de l’ensemble, les deux personnages semblent prendre consistance. Peut-être ces

bulles qui se dissipent en s’écoulant vers le bas les ont ramenés à la vie.

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Hiver # 3

Cette troisième photographie de l’ensemble représente un groupe d’hommes qui se tiennent

debout à l’extérieure et le sol est couvert de neige, ainsi que la presque totalité de l’image.

On aperçoit derrière, un avion. Dans son centre, un démarcation.

Hiver # 6

Tout d’abord un personnage, seul, occupe le centre de l’image. Ses jambes sont absentes

depuis les genoux jusqu’aux pieds. Il tient des bâtons dans ses mains. Plusieurs

personnages montent ou descendent la pente enneigée. Le personnage en haut à droite tire

une traîne sauvage. À gauche un couple escalade la pente. Que fait ce couple parmi ces

gens qui font des sports de glisse ? À droite tout près de la lisière de magma, un tout petit

personnage de taille disproportionnée, peut-être un lilliputien ? Des fioritures globulaires

causées par la pénétration des corps dans le magma.

Hiver # 4 et hiver # 5

La seule chose qui change entre les deux photographies représentant un homme qui pellette

de la neige pour dégager sa voiture; la position du corps de ce dernier.

Hiver # 7

Une femme et des enfants patinent. Au fond un véhicule. La superposition des taches qui

sont présentes sur la pellicule et dans l’image entraîne cette dernière dans la dimension

picturale plutôt que photographique, car les marques qui nous rappellent des éléments de

dessin sont totalement intégrées à la photographie. Mon regard est inlassablement porté

vers le foulard que l’enfant porte et qui lui donne un cou beaucoup trop long pour la

longueur de son corps. Des taches brunâtres, des taches qui rappellent les formes naturelles

que j’évoquais dans le chapitre précédent. Taches qui s’ouvrent et où l’enfant va tomber si

55

la femme ne le tient pas bien. Le point fort me semble être l’enfant qui pénètre dans la

tache qui s’ouvre devant lui.

Femmes

Dans cette série de photographies numérotées d’un à quatre, nous apercevons quatre

femmes qui se présentent de dos. En fait, ce sont la première série de photographies grands

formats, suffisamment grands pour que les personnages aient à peu près notre taille. À ce

stade-ci, il s’agit plus d’une ouverture de piste de travail. Le jeu sera d’entourer une salle

de photographies présentant des personnages de dos.

Femmes # 3

Il est 7h45. Exception d’un enfant, tous sont de dos. Seul le regard de ce gamin est

perceptible. La pose et la gestuelle, laisse croire à un conciliabule, qu’ils se préparent à

changer de photographie.

Femmes # 4

Une femme et une fillette qui sont vues de dos. La pose est arrêtée, avec une note de

déséquilibre. Elle penche vers la gauche.

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Conclusion

J’ai mis en scène l’accumulation de marques de temps, d’empreintes, en scrutant et en

prélevant des photogrammes de films, en les détournant de leur contexte pour donner à ces

nouvelles images leur essence. Dans ces photographies, aucune intervention n’a été faite,

mis à part les interventions qui ont pu laisser des traces lors du tirage. Les images que je

découvre ne sont pas des doubles des photogrammes que j’ai sélectionnés, ce sont les

photogrammes mêmes que je présente et ils ont vieilli. Je dévoile ce qu’ils sont, ce qu’ils

portent à l’intérieur d’eux-mêmes, les marques du temps. Chacune de ces marques ajoute

au brouillage et à la compréhension des images. Je donne à ces photogrammes, ainsi

retrouvés et qui sont bel et bien le résultat de la captation d’un passé oublié, une existence

unique à chacun d’eux. Une existence qui jusqu’à maintenant était à demi éteinte. Après un

périple de deux ans, j’ai enfin trouvé mon fil d’Ariane. J’identifie les auteurs, les

théoriciens, les artistes qui me permettront de porter plus loin mon regard. Tout était là

présent, ne demandant qu’à être mis à jour. J’en ai tiré des ficelles avant d’attraper la

bonne qui va me permettre de remonter le cours du temps et de la théorie. C’est

maintenant, à la fin que les liens se tissent. La preuve peut-être que j’aborde des sentiers

peu exploités ces dernières années. Que ce soit de façon intentionnelle ou non, toutes les

œuvres que j’ai réalisées ont une résonance métaphorique : malgré leur présence matérielle,

elles disent par-delà la narration et rendent sensible une idée.

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