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L’Espace vide

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Du même auteur

Le Diable c’est l’ennuiRencontres avec Peter BrookActes Sud-Papiers, 1991

Points de suspension44 ans d’exploration théâtrale

Seuil, « Fiction & Cie », 1992et « Points Essais », nº 519, 2005

L’Homme quiJe suis un phénomène

Actes Sud, 1998

Avec ShakespeareActes Sud, 1998

Oublier le tempsSeuil, « Fiction & Cie », 2003

Entre deux silencesActes Sud-Papiers, 2006

Conversations avec Peter Brook(avec Margaret Croyden)

Seuil, 2007

Climat de confiance(entretiens avec Pierre MacDuff)

Québec, L’Instant scène, 2007

Avec Grotowski(préface de Georges Banu)

Actes Sud, 2009

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Peter Brook

L’Espace videÉcrits sur le théâtre

préface de Guy Dumur

TRADUIT DE L’ANGLAISPAR CHRISTINE ESTIENNE ET FRANCK FAYOLLE

Éditions du Seuil

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LA PREMIÈRE ÉDITION DE CET OUVRAGE A ÉTÉ PUBLIÉEDANS LA COLLECTION « PIERRES VIVES »

TITRE ORIGINAL

The Empty Space

© original : 1968, Mac Gibbon and Kee Ltd, LondresISBN original : 0-261-62604-3

ISBN 978-2-02-051122-3(ISBN 2-02-004607-5, 1re publication)

© Éditions du Seuil, 1977, pour la traduction française

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisationcollective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédéque ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue unecontrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

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Que veut Peter Brook ?

Voici un livre indispensable à ceux qui aiment le théâtreet à ceux qui ne l’aiment pas. À ceux qui en font et à ceuxqui y assistent. Car il y est autant question du public que desinterprètes, acteurs ou metteurs en scène, grâce auxquels lethéâtre, écrit ou non écrit, peut vivre. Le titre original de celivre, publié à Londres en 1968, est The Empty Space– l’espace vide – ; mais il aurait pu s’intituler : l’espace àremplir. Pour Peter Brook, en effet, le lieu idéal est encore àtrouver, qui puisse établir une communication véritable, sansperpétuellement reproduire le cadre d’une illusion dont per-sonne n’est dupe.

Aussi nous donne-t-il trois définitions du théâtre tel qu’ilexiste encore aujourd’hui. Ce qu’il nomme le théâtre-pensum(the deadly theatre), traduit ici par : théâtre rasoir 1, c’est sou-vent le théâtre à succès qui, de Broadway à nos vieux boule-vards, nous sert une mixture interchangeable de fausses nota-tions, où la réalité vivante est soumise aux seuls caprices de lamode. Théâtre sans lendemain, qui ne touche qu’une toutepetite partie de la société, dont on sait qu’elle s’est toujourstrompée sur les valeurs qu’il fallait, selon elle, vénérer... Maisle deadly theatre, avec son parfum de mort, c’est surtout le fauxrespect qui entoure les classiques au nom de la chose écrite.

Et là, j’ai bien peur que Peter Brook ne choque pas malde gens pour lesquels, jusqu’à ces derniers temps, le théâtre

1. Voir note page 25.

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classique était avant tout littérature et non pas représentationvivante. Ils excuseront Peter Brook en découvrant qu’il prendsurtout ses exemples dans Shakespeare et que si, en France,nous avons ignoré Shakespeare pendant deux cents ans, c’estqu’il n’appartenait pas au théâtre écrit, rigoureusementécrit, c’est-à-dire figé dans une forme intouchable, et ceci,bien qu’il soit le plus grand écrivain de tous les temps. J’aidemandé un jour à Peter Brook ce qu’il pensait de Racine,il m’a répondu que Racine ne pouvait le toucher qu’intel-lectuellement... Pour lui, d’ailleurs, l’histoire du théâtrepasse par trois sommets : les Grecs, Shakespeare, Tchekhov.

Fermons la parenthèse. Revenons à Shakespeare et audeadly theatre, au théâtre qui refuse l’ouverture, au théâtrerasoir. Peter Brook a fait ses premières mises en scène dansle saint des saints shakespearien, à Stratford. Il a vu lerespect avec lequel érudits et comédiens cherchaient à res-tituer des textes à coups de glose et d’archéologie. Il a comprisque le langage et les sentiments évoluent avec le temps etque nous sommes incapables de retrouver le sens exact d’untexte, sans le secours de la culture, c’est-à-dire de l’intellect.Il a compris, surtout, que ceux qui se targuent d’une traditionoublient qu’en matière de spectacle il n’y a pas de traditionininterrompue et que les formes de théâtre que nous préten-dons perpétuer datent souvent de quelques années seulement.

Peter Brook montre aussi que, lorsqu’une forme de théâtrea été trouvée, on ne peut pas, on ne doit pas la reproduireindéfiniment. Les exemples qu’il cite – la Comédie-Fran-çaise, l’Opéra chinois, le Théâtre d’art de Moscou ou leThéâtre Habimah – prouvent à satiété que, fausses ou vraies,ces reproductions n’engendrent que mort et ennui. PeterBrook croit que le théâtre est un art éphémère : « ... Touteforme, à peine née, est condamnée à périr ; chaque formedoit être repensée et chaque nouvelle conception porte iné-vitablement la marque de toutes les influences qu’elle subit. »

Est-ce à dire que le théâtre doit être pour autant un artfrivole et passager ? La rapidité avec laquelle sont montées

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la plupart des pièces paraît à Peter Brook aussi dangereuseque la lenteur qui caractérise, dit-il, certaines mises en scènesoviétiques : n’a-t-il pas connu un acteur moscovite qui arépété le rôle de Hamlet pendant sept ans et n’a pu le jouer,le metteur en scène étant mort ? La mise en scène, en fait,doit être un art assez souple pour subir de perpétuelles trans-formations. La représentation théâtrale n’est pas une choseen soi : elle doit trouver dans chaque spectateur un échoparticulier. La même mise en scène de la même pièce peuttoucher un public anglais et laisser froid un public améri-cain. Cette réadaptation constante de la mise en scène, dutravail du comédien dépend d’un travail de tous les instants,dont Peter Brook nous livre quelques secrets, qui ne sont pastous d’ordre technique. Loin de là. Tout ce que nous dit PeterBrook de l’acteur – surtout dans la dernière partie – estinfiniment précieux dans la mesure où il dépasse, tout en lesprolongeant, les principales « méthodes » en usage depuis ledébut du siècle : école de Stanislavski, reprise par l’ActorsStudio, distanciation brechtienne, ascétisme de Grotowski,apport du cinéma et de la télévision, etc. Tout moyen mis enœuvre pour lutter contre la sclérose menaçant un art que desgens comme Peter Brook, fort heureusement, ressuscitent.Car c’est d’eux, c’est du metteur en scène que vient le salut :l’auteur dramatique est condamné à mort, s’il n’apporte unenouvelle vision théâtrale et non point seulement littéraire.

Comment établir la communication ? Faut-il la chercherdans ce que Peter Brook nomme le « théâtre sacré » (holytheatre) ou théâtre de l’invisible ? Ce théâtre peut-il encoreexister alors que « ... le théâtre du doute, du malaise, del’angoisse, de l’inquiétude nous semble plus vrai que le théâ-tre animé d’un idéal » ? Car retrouver le sens du sacré,n’est-ce pas retomber encore dans l’archéologie ? Ce qu’ilfaut à l’acteur, ce sont les moyens d’abolir les gestes appris,la psychologie de bas étage, qui le coupent de l’essentiel.

Peter Brook propose des exemples d’exercices très simplesqui permettent de donner à un texte, à une situation théâtrale,

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sa signification profonde. Il cite, en particulier, le théâtrebiomécanique de Meyerhold qui « perchait ses acteurs surdes balançoires » – ce dont Peter Brook s’est souvenu poursa belle mise en scène du Songe d’une nuit d’été. Il citeAntonin Artaud pour qui le geste théâtral était « un signequ’on fait à travers les flammes ». Le théâtre invisible est àla fois théâtre de l’absurde et théâtre de la violence – ou,toujours selon Artaud, « théâtre de la cruauté ».

Peut-être, dit Peter Brook, que ce qui se rapproche le plusd’un théâtre sacré, c’est le happening, dont nous avons connula vogue aux États-Unis. Cet « événement » qui surgit, enprincipe, au hasard, cette rencontre de « la machine à coudreet du parapluie sur une table de dissection », pour parlercomme Lautréamont, concourt « à faire une percée dans lesréflexes conditionnés du spectateur de telle sorte qu’il estplus ouvert, plus alerte, plus éveillé : le champ de possibleset de responsabilités qui s’ouvre alors est le même du côtéde l’acteur et du spectateur ». Cet « éveil », que souhaiteégalement le bouddhisme zen, est-il suffisant ? Non pas,répond Peter Brook. Il faut chercher du côté d’une élabora-tion plus complexe. Les ballets de Merce Cunningham et deJohn Cage, les pièces de Beckett et les spectacles fous etrigoureux de Grotowski apporteraient, toujours selon lesperspectives de ce nouveau holy theatre, une réponse plusconvaincante. Le silence chez les danseurs de Cunningham,les symboles authentiques de Samuel Beckett, la notion desacrifice propre aux acteurs de Grotowski apportent, par leurprovocation, une « apothéose » et une « dérision ». Si le cha-pitre consacré au théâtre de l’invisible se termine sur unebelle évocation du vaudou haïtien, on sent néanmoins que,pour Peter Brook, la recherche du sacré est infiniment plusprofane. Les exemples du happening, d’Artaud, de Cunnin-gham, de Beckett, de Grotowski ou du Living Theatre ne sontpour Peter Brook que les étapes, on le sent, d’un plus vasteprojet, qui réconcilierait le ciel et la terre, le spectateur etl’acteur et, plus précisément, nous-mêmes avec nous-mêmes.

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À ce théâtre de l’invisible, qui passe de nos jours par ladérision et l’absurde, correspond un « théâtre brut » (roughtheatre) fondé sur l’impureté : « La crasse et la vulgarité, ditPeter Brook, sont choses naturelles, et l’obscénité est toujoursgaie. » À qui songe Peter Brook ? Au vrai théâtre populaire,bien sûr. Au cirque, aux bateleurs. Mais aussi à West SideStory et à Ubu. Il songe aussi à un théâtre contestataire,dont le prototype littéraire serait celui de Brecht – à conditiontoutefois qu’il ne soit pas figé par des disciples trop fidèlesà la lettre. Ces dernières années, l’exemple de Joan Little-wood montant une satire de la guerre de 1914 – Ah ! que laguerre était jolie ! – avec des pierrots, offrait des possibilitésde « distanciation » que nous retrouvons aussi chez le JeanGenet des Paravents ou des Nègres. De même, un des plusbeaux spectacles de Peter Brook, le Marat/Sade de PeterWeiss, renforce le répertoire de ce rough theatre, où l’impro-visation peut tenir une large part.

Mais ce chapitre est aussi, pour Peter Brook, l’occasionde se poser la question de l’illusion théâtrale, telle qu’ellepeut naître d’une représentation donnée dans un grenier, horsde tout décorum, de tout cérémonial. Là encore, l’exempletout-puissant de Shakespeare – le Roi Lear ou Mesure pourmesure – permet à Peter Brook de montrer la présence pos-sible des deux formes de théâtre qu’il recherche – le sacréet le brut –, avec des alternances de prose et de vers, et toutun « kaléidoscope » de sensations, de pensées et de senti-ments, dont peu d’auteurs nous ont jamais donné l’exemple :il n’y en a peut-être eu qu’un seul...

Car c’est toujours à Shakespeare que revient Peter Brook :« Le modèle à suivre », dit-il. Ne le savions-nous pas ? Lesanalyses scéniques qu’il donne ici d’un certain nombre deses œuvres – Mesure pour mesure, Henri IV, le Conte d’hiver,le Roi Lear, la Tempête, Titus Andronicus – nous remettenten mémoire que le théâtre sacré ou le théâtre brut passentpar le naturel et la vie. Mais cette image d’un théâtre vivant,c’est grâce à Shakespeare qu’un Anglais peut l’avoir. Il y a

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là un enracinement historique, culturel, qui conduit à l’uni-versel, dont aucun pays n’offre l’exemple. Molière lui-même,qui a tant fasciné l’Europe, est lié à un « progrès » du lan-gage, à un degré d’abstraction qu’avait, seule, atteint aucours de la seconde moitié du XVIIe siècle la langue française,grâce à une dictature de la grammaire. Shakespeare résumele Moyen Âge et la Renaissance, c’est-à-dire la fin d’unmonde et l’aube du nouveau. Le chemin qu’il a parcouru,des tragédies historiques au brave new world de Prospero,est si vaste qu’il répond encore aujourd’hui aux questionslatentes d’une époque de crise. Sans parler des formes théâ-trales qu’il a adoptées, si libres qu’elles permettent non pasn’importe quelle interprétation, mais que les « acteurs » – lemetteur en scène, le décorateur, les comédiens – réinvententla vie à partir d’un texte rayonnant de tous côtés.

C’est grâce à Shakespeare que Peter Brook, commenaguère Gordon Craig, a trouvé un nouveau style de théâtre.Il avait vingt et un ans lorsque, à Stratford, il mettait enscène Peines d’amour perdues, en 1946 ; mais c’est avecTitus Andronicus, en 1955, qu’il a su imposer une nouvellevision de Shakespeare. Avoir Laurence Olivier et VivianLeigh pour principaux interprètes, était-ce une facilité ouune difficulté supplémentaire ? Jamais, en tout cas, et mêmeavec ces grands comédiens, on n’avait vu Shakespeare siaérien, si élégant dans la cruauté... Nous comprenions pourla première fois pourquoi Shakespeare écrivait tantôt en verset tantôt en prose, inventant ainsi une forme de « distancia-tion » que Peter Brook, justement, souligne dans ce livre. Lamanière dont Laurence Olivier passait d’un registre à l’autre,le « détachement » de Vivian Leigh au sein de cette fêtemacabre nous faisaient toucher des yeux, si je puis dire, lasymphonie cruelle de ce théâtre encore proche de Marlowe– auquel Peter Brook ne s’est cependant jamais attaqué, alors

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qu’il avait créé en Angleterre un « théâtre de la cruauté »en souvenir d’Artaud, qui est un de ses « intercesseurs ».

Quelles que fussent les beautés de Titus Andronicus, c’estavec King Lear, en 1962, que Peter Brook a réalisé le grandrêve d’un théâtre pur qui ôtait Shakespeare au romantisme.

Douze ans auparavant, je m’en souviens, le théâtre del’Old Vic jouait avec Laurence Olivier et Alec Guinness unRoi Lear encore tout imprégné de l’époque victorienne. Lescostumes et les décors, faussement médiévaux, l’accent missur la psychologie des personnages – dépassé, c’est vrai, pard’admirables interprètes – nous montraient que la leçon deGordon Craig avait été oubliée en Angleterre, alors qu’enFrance, dès 1948, Jean Vilar donnait, à Avignon, unRichard II sec, violent, métaphysique.

Le Roi Lear de Peter Brook a été, en 1962, le seul spectaclequi ait contrebalancé l’influence dominante des mises enscène du Berliner Ensemble, dont Giorgio Strehler, en Italie,Roger Planchon, en France, devaient prolonger l’envoûte-ment. L’enfermement de la scène dans un décor de bois clair,l’éclairage pleins-feux, les costumes de cuir, l’allure et le jeude Paul Scofield, nullement vieillard gâtifiant, mais guerrierdéchu, le dessin des autres personnages, non seulement rap-prochaient Shakespeare de nous, mais nous donnaient lapureté de l’espace théâtral.

Peter Brook allait plus loin dans la voie de ce dépouille-ment raffiné avec le Songe d’une nuit d’été, également crééà Stratford, tout entier circonscrit dans un espace blanc, avecescarpolettes, acrobates et tout l’appareil d’une féeriemoderne... Longtemps engoncé dans de vagues reconstitu-tions, le Songe d’une nuit d’été est une des pièces de Sha-kespeare qui nous est le plus éloignée. Là encore, Peter Brooktrouvait la juste équivalence d’une transposition moderne,qui ne devait rien aux artifices, aux provocations auxquelsles jeunes metteurs en scène ont souvent recours pour résou-dre l’insoluble problème des anachronismes. La légèretéaérienne de ce spectacle nous prouvait que le rêve est encore

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possible, que la poésie peut encore agir de façon immédiatesur les foules – comme l’ont prouvé les innombrables repré-sentations de ce Songe données dans le monde entier.

Autre spectacle majeur de Peter Brook, le Marat/Sade dePeter Weiss, adapté ensuite au cinéma, où la transpositionthéâtrale d’une situation hyperthéâtrale – les fous de Cha-renton jouant, sous la conduite de Sade, des scènes de laRévolution française – trouvait une solution exemplaire, dia-lectique, puisque le passage de la réalité à l’illusion théâ-trale, de la folie à l’histoire, et vice versa, permettait deréconcilier Pirandello et Antonin Artaud, l’histoire et lacruauté...

Peter Brook, né au théâtre en 1946, n’a pas été l’hommed’une seule vision. Si, de Peines d’amour perdues à Timond’Athènes, il a monté dix pièces de Shakespeare, son métierl’a aussi bien conduit à être un des tout premiers interprètesde Christopher Fry, un des introducteurs d’Anouilh et deSartre en Angleterre. Il a monté Irma la Douce et les piècesd’Arthur Miller. À Paris, il a mis en scène Marie Bell dansle Balcon de Genet et, à Paris également, la belle pièce deJohn Arden, la Danse du sergent Musgrave. Ses deux derniersspectacles londoniens, U.S. (1966) et Œdipe (1968), ne sontpas la conclusion d’une « bioscénographie » très éclectique.Ce métier de metteur en scène, on peut dire que Peter Brookl’a appris de toutes les façons, pensant, sachant qu’il y apartout à apprendre. C’est ce qu’il ne cesse de dire.

Aussi le livre qu’on va lire, bien qu’il ne parle pas detoutes ces expériences, en est la somme, sinon la conclusion– car Peter Brook est parti, depuis six ans, sur de nouveauxchemins. Et la quatrième partie de son livre, qu’il intitule« Le théâtre vivant », nous livre l’essentiel de ce qui luirestait à découvrir.

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Le théâtre vivant, c’est d’abord la vie du théâtre, la vieau théâtre. Cette petite communauté, isolée au milieu dugrand isolement général, comment, aujourd’hui, la fairevivre ? Le commerce a sa solution : l’argent, le succès à toutprix... Cette loi de l’offre et de la demande, ce libre-échan-gisme de l’art, il n’est pas sûr qu’il puisse encore exister.Broadway, le Boulevard parisien ou londonien voient chaqueannée leur aire d’activité réduite. Le culte de la vedettesubsiste encore, mais sans comparaison avec ce qu’il futjusqu’à la dernière guerre. Les vedettes de cinéma elles-mêmes, lorsqu’elles passent au théâtre, n’attirent pas forcé-ment les foules qui, entre la salle obscure et les salles àl’italienne, désuètes et inconfortables, ne sont pas forcémentles mêmes. On construit beaucoup de cinémas. Pas de théâ-tres... D’ailleurs, seraient-ils utiles ? Personne, et surtout pasPeter Brook, n’est d’accord sur la forme qu’il faudrait leurdonner.

Pour pallier cette crise de la consommation théâtrale, ona inventé çà et là, et en France plus qu’aux États-Unis, maismoins qu’en Allemagne, les théâtres subventionnés, les « cen-tres dramatiques » et autres « maisons de la culture » où unetroupe peut encore subsister, avec un répertoire. C’est laComédie-Française avec son statut tout à fait spécial et, dansson genre, unique. C’est à présent le National Theatre, àLondres. C’est surtout un homme, animateur ou metteur enscène, à qui un gouvernement ou une municipalité ont donnéles moyens de s’exprimer. Les résultats sont souvent merveil-leux, et il est certain que, grâce à ce système, des GiorgioStrehler, des Peter Stein, des Roger Planchon, des PatriceChéreau, des Peter Hall, des Grotowski ajoutent des chapi-tres à l’histoire du théâtre qui, sans eux, serait à son pointmort.

Quand il parle de la communauté théâtrale, Peter Brook estplus exigeant... S’il doit figurer au premier rang de la listeincomplète que nous venons de donner, il n’apparaît pas dansThe Empty Space seulement comme un metteur en scène. C’est

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en plein succès international qu’il a fondé à Paris, pour pour-suivre ses recherches, un laboratoire théâtral, d’abord installéau Mobilier national et, à partir de 1974, au théâtre des Bouf-fes du Nord. Là, dans une semi-clandestinité, il réunit descomédiens obscurs venus des quatre coins du monde avec les-quels il va tenter de reconsidérer entièrement le métierd’acteur et le fonctionnement du théâtre.

Qu’est-ce que le théâtre ? Qu’est-ce que cet « espacevide » qu’il faut remplir ? C’est quelque chose que les indi-vidus « ne trouvent ni dans la rue, ni chez eux, ni au bistrot,ni dans l’amitié, ni sur le divan du psychanalyste et pasdavantage à l’église ou au cinéma ». Le théâtre, c’est un « artau présent », « l’arène où peut se produire une vivanteconcentration ». « L’attention concentrée d’une foule crée unfaisceau d’intensité à la faveur duquel les forces qui régissenten permanence la vie quotidienne de tout un chacun peuventêtre isolées et, de ce fait, perçues de façon plus nette... »Encore faut-il, pour que cette confrontation existe, que lamanifestation théâtrale ne soit pas due à la seule volontéd’un auteur et de ses interprètes, metteurs en scène et comé-diens. Elle doit réunir un « faisceau » de désirs qui concou-rent à l’émotion collective et, si possible, à l’éveil desconsciences.

Pour arriver à ce but, la préparation d’un spectacle doitrester « ouverte ». Le décorateur travaille en accord avec lemetteur en scène, sans lui imposer une vision préétablie, quine serait pas susceptible de changements au cours de répé-titions. Les décors, les costumes ne doivent pas s’ajouter àla mise en scène, mais l’accompagner, lui donner sa signi-fication immédiatement perceptible.

Le choix des comédiens doit être également « ouvert ».Peter Brook ne croit pas que l’on puisse savoir à l’avancesi tel ou tel comédien est fait pour tel rôle : c’est au coursdu travail de répétition qu’on le découvrira, et cela, parrapport aux autres comédiens. C’est qu’avant de devenir unpersonnage le comédien est homme ou femme. Il aborde une

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pièce non seulement avec l’acquis de son métier ou la foi enson art, mais avec ses tensions personnelles, ses problèmesqui peuvent être autant d’obstacles ou autant d’adjuvants.Face à cette communauté souvent disparate, le metteur enscène doit jouer autant sur ses incertitudes que sur la sûretéde ses choix. Il n’est là, nous dit Peter Brook – peut-être unpeu trop modestement –, que pour aider à maîtriser lescontradictions : « Il est là pour attaquer ou s’incliner, pro-voquer, puis s’effacer jusqu’à ce que le cours de l’indéfinis-sable substance soit libéré. » Les répétitions ne servent qu’àfaciliter cette libération finale. Le travail de l’acteur est com-parable à celui d’un musicien qui, au lieu de jouer d’uninstrument, se servirait de tout son être... On lira, à ce propos,la très belle description que donne Peter Brook du jeu dePaul Scofield, véritable « instrument de chair et de sang quis’ouvre à l’inconnu ». À l’écoute des mots qu’il prononce etde leur écho intérieur, un grand comédien comme Scofieldréinvente chaque soir son personnage...

Mais les autres ? Comment arriver à les libérer du théâtrefigé ? C’est ici, peut-être, qu’il est le plus important de suivrePeter Brook. Les exercices préparatoires qu’il cite, et quivont de l’improvisation à la récitation en canon d’un mono-logue de Shakespeare, ont plusieurs buts essentiels.

D’abord, déconditionner l’acteur des habitudes acquises.Le libérer. Lui permettre d’atteindre à la compréhension d’untexte ou d’une situation théâtrale à travers ses propres sou-venirs, ses propres conflits.

Gordon Craig disait autrefois que le comédien devait êtreune super-marionnette. Grotowski dit aujourd’hui qu’il doitêtre un saint. Peter Brook situe le travail de l’acteur à unniveau infiniment plus humain. À condition toutefois que leshommes de théâtre – auteurs, comédiens, metteurs en scène –se sachent au centre d’un conflit entre ce qu’ils sont et cequi les dépasse. Le théâtre, dit Peter Brook, est « un jeu de

17Que veut Peter Brook ?

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forces ». « L’espace vide », l’espace à remplir est un champd’expériences, le lieu d’un conflit et d’une dialectique. Lepassage de la subjectivité – la vie de chacun, spectateurscompris – à l’objectivation des sentiments suppose une véri-table création collective où ni l’auteur ni le metteur en scènen’occupent une position privilégiée. Leur action, située etdatée, n’est qu’éphémère, profondément liée à leur époque,au moment où ils vivent.

Le théâtre, alors, devient pour ceux qui le font un véritable« mode de vie ». Comment s’étonner, dans ces conditions,que, peu à peu, Peter Brook ait évolué dans le sens d’uneplus grande exigence envers son art ? Nullement mystique,trop britannique pour croire à des solutions intellectuellesqui ont alourdi d’autres expériences comparables à la sienne– et je songe tout particulièrement à l’Actors Studio – maisen même temps pénétré d’une mission qu’il se serait donnéeà lui-même, Peter Brook a quitté l’Angleterre pour s’installerà Paris. Et non pas, tout d’abord, pour continuer le métierqui est le sien et réaliser un certain nombre de mises enscène brillantes, mais pour chercher, avec un petit groupe decomédiens, les secrets d’un art qu’avec raison il croit perdu.

Ce qu’il ne dit pas dans son livre, il faut bien le rappeler,non pas pour compléter ce qu’il raconte de son expérience,mais pour préciser la dette que nous avons envers lui.

Installé à Paris depuis 1968, Peter Brook n’a interrompusa retraite que pour monter le Songe d’une nuit d’été àStratford et, au festival de Chiraz-Persépolis, Orghast, quireprésente, aux yeux de quelques-uns, un des plus grandsaccomplissements théâtraux de ce temps.

Pour monter ce spectacle en fonction du pays où il devaitêtre représenté et qui est le lieu d’une des plus vieilles civi-lisations de l’histoire du monde, Peter Brook avait commandéà un grand poète et dramaturge anglais, Ted Hughes, untexte qui s’inspirait des mythes les plus anciens, à commencer

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par celui de Prométhée, prolongé, dans l’ancienne Perse, parles religions mazdéenne et zoroastrienne. Afin d’établir undifficile syncrétisme entre les idiomes de l’Antiquité, Orghastétait écrit dans une langue imaginaire, à la fois inspirée parle grec ancien, le latin – des passages étaient joués dans cesdeux langues –, et la langue sacrée de l’Avesta dont laprononciation a pu être récemment reconstituée par les ira-nologues. Le texte synthétique permettait aux comédiens des’appuyer sur des sons, des syllabes, des cris ou des chu-chotements en accord avec les lieux choisis pour la repré-sentation et comme surgis du fond des âges.

La première partie d’Orghast commençait au coucher dusoleil sur la plate-forme creusée dans la montagne devantles bas-reliefs de la tombe d’Artaxerxès. La seconde partie,commencée vers deux heures du matin, s’achevait exactementau moment du lever du soleil et se passait devant les bas-reliefs plus récents des rois sassanides, à quelques kilomètresdes ruines de Persépolis. Alors que, pour la première partie,les spectateurs étaient groupés assis devant le tombeaud’Artaxerxès, le second spectacle se passait en différentslieux, sur un espace de plusieurs centaines de mètres, et lepublic suivait les acteurs dans leurs déplacements. De Pro-méthée à Œdipe, c’étaient tous les héros de l’Antiquité quel’on voyait revivre dans ces deux spectacles, comme s’ilsétaient ressuscités de la montagne, de la nuit, du feu. Toutétait mystérieux et, à la fois, totalement compréhensible.Nous devenions les contemporains des mythes évoqués à lafaveur d’un paysage, d’un lieu privilégiés, certes, mais puis-samment utilisés par un homme de théâtre qui, pour la pre-mière fois, ne se livrait pas à une vaine reconstitution his-torique ni même archéologique.

Ce spectacle, Peter Brook n’a jamais voulu le reproduireen un autre lieu, et c’est sans doute regrettable pour nous.Mais il y a chez cet homme un tel souci d’authenticité qu’illui aurait paru anachronique, sinon sacrilège, de considérerOrghast, né du sol persan, comme un spectacle d’exportation.

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Car la différence entre Peter Brook et la majorité deshommes de théâtre qui ont innové au cours de ces dernièresannées, c’est qu’il n’a jamais voulu tourner le dos à la réalitéau sein de laquelle il travaillait.

« Réalité », mot vague et trop vaste, surtout quand il s’agitd’esthétique théâtrale, qui peut recouvrir la reproductiond’une réalité quotidienne, tant bien que mal enfermée entreles trois murs du décor et l’obscurité de la salle.

L’effort de Peter Brook a justement consisté à abattre cecloisonnement, à créer, donc, un supplément de réalité. Maisalors que la majeure part de son attention a porté sur lescomédiens, il ne leur a pas demandé de se déshumaniser. Iln’a glissé ni dans la pathologie – ou la thérapeutique – nidans la provocation. Son esthétisme même est ramené à deslimites étroites, et l’on pourrait dire que, de ce point de vue,son art est ascétique, d’une sobriété exemplaire. Son instal-lation récente dans un théâtre en ruine, dont il rêvait sansdoute depuis qu’il avait vu, comme il le raconte dans ce livre,renaître le théâtre dans les ruines de Hambourg, suffirait àprouver ce goût de la pauvreté, qu’on a vu apparaître, sousdifférentes formes et dans des buts différents, au sein de lastupide société de consommation.

C’est d’ailleurs ainsi que Peter Brook expliquait Timond’Athènes pour sa représentation aux Bouffes du Nord en1974. Que la richesse soit sujet et objet de corruption, queles rapports humains en soient empoisonnés, Shakespearel’avait dit dans cette fable misanthropique, par laquelle PeterBrook avoue peut-être son goût de la solitude, même si elleest partagée avec quelques-uns...

Le théâtre en ruine où il a choisi de monter ce drame dela déréliction rejoint le tombeau d’Artaxerxès et les bas-reliefs sassanides de Persépolis. Ces ruines des Bouffes duNord, ce sont les nôtres. Celles d’une civilisation avare qui,depuis le temps de Shakespeare, n’a cessé de voir les progrèsd’une bourgeoisie marchande, s’opposant de toutes ses

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