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Orthod Fr 2015;86:113–120 c EDP Sciences, SFODF, 2015 DOI: 10.1051/orthodfr/2015001 Disponible en ligne sur : www.orthodfr.org Rapport Article original Formation osseuse et corticotomies à visée de facilitation métabolique : existe-t-il une ostéogénèse induite par les corticotomies alvéolaires ? Nathan MOREAU 1 , 2 , Jean-Baptiste CHARRIER 3 * 1 Service d’odontologie, Hôpital Bretonneau, 23 rue Joseph de Maistre, 75018 Paris, France 2 Faculté de chirurgie dentaire, Université Paris Descartes, 1 rue Maurice Arnoux, 92120 Montrouge, France 3 6 place du Président Mithouard, 75007 Paris, France MOTS CLÉS : Corticotomie / Ostéogénèse / Phénomène d’accélération régionale RÉSUMÉ – L’évolution des thérapeutiques orthodontiques doit faire face à une de- mande croissante de traitements plus courts pour un même résultat final, en parti- culier chez les patients adultes. Ces dernières années, l’amélioration des techniques orthodontiques, des techniques chirurgicales et anesthésiques en chirurgie ortho- gnathique ont permis un développement considérable des protocoles orthodontico- chirurgicaux et de la prise en charge orthodontique chez le patient adulte. Les cor- ticotomies alvéolaires font partie de ces nouvelles techniques. Elles permettent une facilitation des déplacements dentaires orthodontiques en modifiant localement le métabolisme osseux et en favorisant une ostéopénie transitoire, facilitatrice du mou- vement dentaire. Elles augmentent ainsi l’enveloppe des mouvements dentaires pos- sibles avec les techniques conventionnelles. Bien que la littérature récente apporte une meilleure compréhension des effets biologiques des corticotomies, il n’existe que peu d’informations sur le pouvoir ostéogénique de celles-ci. À travers un cas clinique et une revue de la littérature concernant cette technique et ses principes biologiques, nous décrivons les potentielles perspectives d’ostéogénèse induite par les corticotomies alvéolaires. KEYWORDS: Corticotomy / Osteogenesis / Regional acceleration phenomenon ABSTRACT Bone formation and corticotomy-induced accelerated bone re- modeling: can alveolar corticotomy induce bone formation? Current orthodontic treatments must answer an increasing demand for faster yet as efficient treatments, especially in adult patients. These past years, the amelioration of orthodontic, anes- thetic and orthognathic surgery techniques have allowed considerable improvement of orthodontico-surgical treatments and of adult orthodontic treatments. Alveolar cor- ticotomy (an example of such techniques) accelerates orthodontic tooth movements by local modifications of bone metabolism, inducing a transient osteopenia. This os- teopenia allows greater tooth movements than conventional techniques. Whereas there is a growing understanding of the underlying biological mechanisms of alveolar corticotomies, there is little data regarding the osteogenic potential of such technique. In the present article, we review the literature pertaining to alveolar corticotomies and their underlying biological mechanisms and present a clinical case underlining the osteogenic potential of the technique. 1. Introduction Les thérapeutiques orthodontiques fixes re- quièrent environ 12 à 24 mois de traitement, * Auteur pour correspondance : [email protected] exposant les patients aux risques de caries, de ré- sorption radiculaire ainsi qu’à une baisse globale de la compliance. Raccourcir la durée des traitements orthodontiques est devenu une préoccupation crois- sante au cours de ces dernières années [14]. Article publié par EDP Sciences

Formation osseuse et corticotomies à visée de facilitation

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Orthod Fr 2015;86:113–120c© EDP Sciences, SFODF, 2015DOI: 10.1051/orthodfr/2015001

Disponible en ligne sur :www.orthodfr.org

RapportArticle original

Formation osseuse et corticotomies à visée de facilitationmétabolique : existe-t-il une ostéogénèse induitepar les corticotomies alvéolaires ?

Nathan MOREAU1,2, Jean-Baptiste CHARRIER3*

1 Service d’odontologie, Hôpital Bretonneau, 23 rue Joseph de Maistre, 75018 Paris, France2 Faculté de chirurgie dentaire, Université Paris Descartes, 1 rue Maurice Arnoux, 92120 Montrouge, France3 6 place du Président Mithouard, 75007 Paris, France

MOTS CLÉS :Corticotomie /Ostéogénèse /Phénomène d’accélérationrégionale

RÉSUMÉ – L’évolution des thérapeutiques orthodontiques doit faire face à une de-mande croissante de traitements plus courts pour un même résultat final, en parti-culier chez les patients adultes. Ces dernières années, l’amélioration des techniquesorthodontiques, des techniques chirurgicales et anesthésiques en chirurgie ortho-gnathique ont permis un développement considérable des protocoles orthodontico-chirurgicaux et de la prise en charge orthodontique chez le patient adulte. Les cor-ticotomies alvéolaires font partie de ces nouvelles techniques. Elles permettent unefacilitation des déplacements dentaires orthodontiques en modifiant localement lemétabolisme osseux et en favorisant une ostéopénie transitoire, facilitatrice du mou-vement dentaire. Elles augmentent ainsi l’enveloppe des mouvements dentaires pos-sibles avec les techniques conventionnelles. Bien que la littérature récente apporteune meilleure compréhension des effets biologiques des corticotomies, il n’existeque peu d’informations sur le pouvoir ostéogénique de celles-ci. À travers un casclinique et une revue de la littérature concernant cette technique et ses principesbiologiques, nous décrivons les potentielles perspectives d’ostéogénèse induite parles corticotomies alvéolaires.

KEYWORDS:Corticotomy /Osteogenesis /Regional accelerationphenomenon

ABSTRACT – Bone formation and corticotomy-induced accelerated bone re-modeling: can alveolar corticotomy induce bone formation? Current orthodontictreatments must answer an increasing demand for faster yet as efficient treatments,especially in adult patients. These past years, the amelioration of orthodontic, anes-thetic and orthognathic surgery techniques have allowed considerable improvementof orthodontico-surgical treatments and of adult orthodontic treatments. Alveolar cor-ticotomy (an example of such techniques) accelerates orthodontic tooth movementsby local modifications of bone metabolism, inducing a transient osteopenia. This os-teopenia allows greater tooth movements than conventional techniques. Whereasthere is a growing understanding of the underlying biological mechanisms of alveolarcorticotomies, there is little data regarding the osteogenic potential of such technique.In the present article, we review the literature pertaining to alveolar corticotomies andtheir underlying biological mechanisms and present a clinical case underlining theosteogenic potential of the technique.

1. Introduction

Les thérapeutiques orthodontiques fixes re-quièrent environ 12 à 24 mois de traitement,

* Auteur pour correspondance : [email protected]

exposant les patients aux risques de caries, de ré-sorption radiculaire ainsi qu’à une baisse globale dela compliance. Raccourcir la durée des traitementsorthodontiques est devenu une préoccupation crois-sante au cours de ces dernières années [14].

Article publié par EDP Sciences

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Chez l’adulte, l’absence de croissance faciale rendcertains mouvements orthodontiques difficiles, im-posant parfois une thérapeutique chirurgicale [11].

L’orthodontie facilitée par corticotomies alvéo-laires permet de répondre à ce double objectif defacilitation et d’accélération. Elle se définit commeune thérapeutique facilitatrice du mouvement den-taire par augmentation du métabolisme osseux localfaisant suite à une lésion chirurgicale contrôlée. Cettelésion correspond stricto sensu à une agression super-ficielle de l’os cortical sans toucher l’os médullaire,induisant un état local d’ostéopénie transitoire, faci-litant les mouvements dentaires à son niveau [4]. Ilest ainsi possible d’améliorer temporairement le dé-placement dentaire avec un minimum de complica-tions [11]. Selon certains auteurs, la durée globale dutraitement orthodontique pourrait être divisée partrois grâce à cette technique [24, 26].

On distingue trois types d’indications des corti-cotomies en orthodontie [16] :

1) Diminuer la durée globale du traitement ortho-dontique.

2) Faciliter la mise en place de mouvements ortho-dontiques mécaniquement difficiles à obtenir.

3) Améliorer la correction de certaines malocclu-sions squelettiques.

Bien que les premiers cas de traitements chi-rurgicaux de correction de malpositions dentairesdatent de la fin du XIXe siècle, il a fallu attendreces cinquante dernières années pour comprendreles mécanismes biologiques sous-tendant ces tech-niques chirurgicales. La meilleure compréhension deces mécanismes biologiques permet aujourd’hui uneamélioration de la technique opératoire et de sesindications, garants de la sécurité et du succès de lathérapeutique orthodontique.

Nous rapportons le cas d’une patiente de 49 anschez qui des corticotomies alvéolaires ont permisune augmentation notable du volume osseux aprèssix mois de traitement. Cette augmentation de vo-lume osseux s’est révélée stable à un an post-opératoire. Un tel gain osseux après corticotomiesalvéolaires sans apport concomitant d’os allogéniqueou autologue n’a pas été décrit dans la littératurescientifique à ce jour.

À travers ce cas clinique ainsi qu’une revuede la littérature sur la technique et ses prin-cipes biologiques, nous envisageons les potentielles

perspectives d’ostéogénèse induite par les corticoto-mies alvéolaires.

2. Revue de la littérature

Les premiers cas décrivant une approche chirur-gicale visant à corriger les malpositions dentaires ontété attribués à L.C. Brian en 1892 et G. Cunninghamen 1893 [15].

En 1931, Bichlmayr introduit une nouvelle tech-nique pour corriger la protrusion maxillaire sévère,consistant en la résection chirurgicale de blocs os-seux en distal des racines du bloc incisivo-canin, afinde reculer ce dernier en un temps chirurgical [2].

En 1959, Köle a utilisé une technique similaired’ostéotomies inter-dentaires pour générer d’autresmouvements orthodontiques tels que la fermetured’espaces et la correction de l’occlusion inversée.Pour ce faire, il a réalisé des blocs osseux circons-crivant les dents à déplacer. Après avoir récliné unlambeau muco-périosté en vestibulaire et en lin-gual, des incisions osseuses inter-dentaires au niveaude l’os alvéolaire étaient pratiquées – sans pénétrerl’os médullaire – suivies d’une incision subapicaleprofonde reliant les deux autres incisions inter-dentaires. Selon la conception de l’époque, l’objec-tif était d’individualiser des blocs osseux qui se dé-placeraient sous la forme d’une unité bloc osseux-dent [13]. De nos jours, ce type d’approche chirur-gicale serait qualifié d’ostéotomie segmentaire impli-quant une ou plusieurs dents.

La technique de Köle a été utilisée chez le chienen 1975 par Düker, pour étudier les effets des mou-vements dentaires rapides induits par les « cortico-tomies » sur la vitalité dentaire et le parodonte mar-ginal. Il a montré que la santé parodontale pouvaitêtre maintenue en préservant l’os crestal marginal etque la technique permettait le maintien de la vitalitépulpaire des dents déplacées [7].

Ces approches initiales étaient toutes fondées surla théorie du « mouvement osseux en bloc » [7].

Il a fallu attendre 2001 pour abandonner la théo-rie du « bloc osseux ». Wilcko, et al. ont montré,grâce à l’imagerie surfacique, un processus localisétransitoire de déminéralisation-reminéralisation auniveau des zones de corticotomies. Les auteurs ontmontré que les zones de déminéralisation alvéolaireétaient composées d’une matrice osseuse faite detissu mou collagénique, qui se déplaçait avec les ra-cines dentaires (qu’ils qualifiaient de « transport de la

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Moreau N., Charrier J.-B. Formation osseuse et corticotomies à visée de facilitation métabolique 115

matrice osseuse »), puis se reminéralisait après arrêtdu mouvement dentaire [26]. Cette reminéralisationfinale était quasi complète chez les adolescents maispartielle chez les adultes (avec, dans certains cas, per-sistance de déhiscences plus de 11 ans après arrêt dumouvement orthodontique) [23].

Bien qu’étant décrite depuis de nombreusesannées, l’utilisation des corticotomies alvéolairescomme adjuvant aux thérapeutiques orthodontiquesa été relativement limitée jusqu’à ces dix dernièresannées.

3. Principes biologiques

Les mécanismes sous-tendant le déplacementdentaire accéléré ont été l’objet de multiples théo-ries. Initialement, on pensait que les corticotomiesfacilitaient le déplacement segmentaire de blocs os-seux alvéolaires via une distraction à appui den-taire [13]. D’autres théories plus récentes ont at-tribué le mouvement dentaire à une augmentationlocale du métabolisme osseux, ainsi qu’à une os-téopénie transitoire (phénomène d’accélération ré-gionale) plutôt qu’à un « déplacement osseux enbloc » [8,27]. En effet, une diminution temporaire dela masse osseuse a été montrée en pratique cliniquedans des études radiographiques et en tomographieà faisceau conique [20, 23], ainsi qu’expérimentale-ment sur des modèles animaux [12, 18].

Ce phénomène d’accélération régionale a été dé-crit initialement par Frost en 1983. Il avait alorsmontré qu’une lésion osseuse peut accélérer lo-calement le processus normal de cicatrisation. Cephénomène peut apparaître suite à une fracture, unearthrodèse, une ostéotomie ou une greffe osseuse etimplique le recrutement et l’activation de précur-seurs nécessaires à la cicatrisation au niveau du sitelésé [8]. Il ne s’agit pas d’un processus distinct de ci-catrisation, mais bien d’une accélération du proces-sus physiologique de cicatrisation de 2 à 10 fois lavitesse habituelle.

Shih et Norrdin ont montré de façon expérimen-tale chez le chien l’implication de ce phénomèneaprès lésion de l’os cortical buccal par corticotomies.La cicatrisation était ainsi accélérée via des pics tran-sitoires de remodelage tissulaire (impliquant les tis-sus durs ainsi que les tissus mous) [19].

Les deux caractéristiques principales de ce phé-nomène sont l’ostéopénie régionale et l’accélération

du métabolisme osseux, toutes deux responsables dela facilitation des mouvements dentaires orthodon-tiques [9, 17].

Wilcko, et al. ont montré une ostéopénie au ni-veau de l’os alvéolaire traité par corticotomies –caractéristique du phénomène d’accélération régio-nale – que ce soit par de petites perforationspunctiformes ou par des sections longitudinalesinter-dentaires dans la corticale alvéolaire [26].

Le phénomène d’accélération régionale débutequelques jours après la lésion, avec un pic à 1 ou2 mois, dure environ 4 mois et peut mettre entre 6et 24 mois à disparaitre [17, 26]. Tant que le mou-vement dentaire continue, en particulier grâce auxmécaniques orthodontiques, le phénomène se pro-longe. Quand le phénomène s’arrête, l’ostéopéniedisparaît et un aspect radiographique normal réap-paraît. Après arrêt du mouvement dentaire, un nou-vel environnement est créé, favorisant la reminérali-sation osseuse dans la nouvelle position.

Les corticotomies induisent donc une accéléra-tion rapide de la réponse osseuse au niveau d’unezone limitée de déminéralisation. De fait, les mou-vements dentaires ne seront facilités qu’à proximitédes zones de corticotomies. L’apparition d’une dif-férence de vitesse de déplacement entre les dentsdes zones de corticotomies et les zones voisines offreainsi la possibilité de modifier l’ancrage relatif entreles dents [25].

4. Indications et protocole opératoire

Les corticotomies permettent de faciliter la ges-tion de certaines situations difficiles en orthodon-tie conventionnelle : encombrement dentaire, reculcanin après extraction de prémolaires, facilitationde l’éruption de dents incluses, facilitation de l’ex-pansion orthodontique lente, intrusion molaire pourcorrection d’infraclusion et amélioration de la stabi-lité post-orthodontique [10].

À l’inverse, il existe certaines contre-indications àl’utilisation de cette technique [16] : parodontite ac-tive, problèmes endodontiques non soignés ou dentsankylosées, utilisation concomitante de traitementssusceptibles de ralentir fortement le métabolisme os-seux tels que les corticostéroïdes au long cours ou lesbisphosphonates [22].

L’objectif des corticotomies est de mettre enplace le phénomène d’accélération régionale. Dans

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la technique conventionnelle, après abord chirur-gical de l’os alvéolaire par lambeau muco-périosté,de fines perforations ou sections (interdentaires etsus-apicales) sont pratiquées uniquement dans l’oscortical adjacent aux dents d’intérêt [11] sans mobi-lisation des blocs osseux créés [25]. Le schéma dedécortication n’a pas d’importance : en réalité, seulecompte l’intensité et la proximité de la corticocisionpour dicter l’étendue de la réponse osseuse et doncle mouvement dentaire rapide [25].

Bien que moins invasives que les ostéotomiessegmentaires historiques, les corticotomies en tech-nique conventionnelle ne sont pas toujours dénuéesde complications, avec de rares cas décrits de perted’attache ou de perte osseuse inter-dentaire [21]. Parailleurs, des hématomes sous-cutanés du visage et ducou ont été rapportés après des corticotomies exten-sives. Dans certains cas, un oedème et des douleurspost-opératoires peuvent être à prévoir pendant plu-sieurs jours.

À ce jour, aucun effet délétère sur la vitalité pul-paire n’a été rapporté dans la littérature [21]. Deplus, la revue systématique de Long, et al. en 2013souligne l’absence d’études montrant un effet délé-tère des corticotomies sur le parodonte [14].

Une étude a montré un inconfort post-opératoiresimilaire entre instruments rotatifs et piézotomes,celui-ci étant limité dans les deux cas à la premièresemaine post-opératoire [5].

Les techniques mini-invasives tendent à prendrele pas sur les techniques conventionnelles de cor-ticotomies. Dans notre pratique clinique actuelle,nous n’effectuons plus aucun décollement au ni-veau de la gencive attachée. Les traits de sectionsinter-radiculaires sont effectués en trans-muqueuxau niveau de la gencive attachée uniquement sur lesversants vestibulaires. De petites incisions en mu-queuse libre en regard des racines nous permettentde réaliser à ce niveau des décollements périostéssélectifs. Cette technique, réalisée sous anesthésielocale, simplifie considérablement les suites opéra-toires (Charrier, communication personnelle).

5. Cas clinique

Nous rapportons le cas d’une patiente de 49 ans,sans antécédents médico-chirurgicaux notables, pré-sentant une classe II squelettique et dentaire avecbi-proalvéolie (Fig. 1A) relevant de la réalisation

d’un traitement ortho-cortico-chirurgical (traitementpar appareil multi-attache associé à une ostéotomiesagittale avec génioplastie). Un protocole avec ex-traction de 34−44 a été retenu compte-tenu de laproalvéolie incisive inférieure de façon à majorerl’overjet.

Des corticotomies alvéolaires mandibulaires entechnique conventionnelle ont été réalisées en mêmetemps que l’extraction des prémolaires. Pour ce faire,une incision sulculaire a été pratiquée avec réalisa-tion d’un lambeau muco-périosté de 35 à 45.

Il existait d’importantes déhiscences radiculairesau niveau du secteur incisif. Des incisions superfi-cielles à la scie circulaire diamantée sous irrigationcontinue ont été réalisées en inter-dentaire et au ni-veau sus-apical.

Un contrôle radiologique par CBCT a été effec-tué avant, six mois et un an après les corticotomies(Fig. 2 et 3).

Six mois après la réalisation des corticotomies,nous avons observé sur le CBCT une augmentationsignificative de l’épaisseur osseuse vestibulaire sym-physaire en mésial de 33 et 43 (Fig. 2B).

En sus-apical et au même niveau (Fig. 3B), ilexistait une augmentation de l’épaisseur osseuse ves-tibulaire qui, à ce niveau, était indépendante desmouvements dentaires de vestibulo-version réaliséssur le secteur symphysaire. La particularité anato-mique de cette augmentation d’épaisseur était den’être pas ou peu corticalisée, compte-tenu du dé-lai écoulé (six mois) depuis la réalisation du gestechirurgical et du fait de la persistance de l’activationmétabolique inhérente au traitement orthodontiqueen cours.

Un an après les corticotomies (en phase decontention), le CBCT réalisé dans les mêmes condi-tions montrait une persistance de l’augmentationde l’épaisseur osseuse vestibulaire, significativementplus importante, avec une corticalisation vestibulaire(Fig. 2C). Cette augmentation de l’épaisseur osseusesymphysaire était stable en sus-apical (Fig. 3C).

À un an post-corticotomies, en fin de traitementortho-chirurgical, il y a moins de déhiscences radi-culaires en regard du secteur incisif mandibulaire dufait du recul incisif et du gain osseux obtenu avec lescorticotomies alvéolaires (Fig. 1B et 1C).

Cette approche radiologique sur un cas cli-nique de corticotomies en technique conventionellemontre que cette technique est susceptible, en plus

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A

B C

Figure 1

Téléradiographie cranio-faciale de profil. Noter l’importance de la pro-alvéolie mandibulaire (A). Vue exobuccale de 3/4 droit,avant extractions et corticotomies (B) et six mois après le débaguage (C). Noter la qualité du parodonte mandibulaire d’un pointde vue clinique.

de l’accélération métabolique qu’elle induit, d’aug-menter de façon significative et pérenne l’épaisseurosseuse corticale vestibulaire symphysaire et doncl’enveloppe osseuse des dents traitées.

Des études prospectives randomisées sont néan-moins nécessaires pour confirmer le potentiel ostéo-génique des corticotomies alvéolaires.

6. Perspectives d’ostéogénèse

Certaines situations cliniques en pratique ortho-dontique peuvent être à l’origine de l’apparition dedéhiscences radiculaires ou fenestrations osseuses

lors des mouvements orthodontiques. La vestibulo-version des incisives utilisée pour corriger un en-combrement dentaire peut générer de tels défautsosseux, en particulier sur des terrains parodontauxfaibles, notamment dans la population adulte.

Afin de palier à cette problématique, certains au-teurs ont proposés une modification des corticoto-mies alvéolaires conventionnelles en adjoignant unapport osseux au niveau des zones de corticoto-mies. Wilcko, et al. ont ainsi proposé une straté-gie innovante combinant des corticotomies avec uncomblement alvéolaire, dénommée initialement « or-thodontie ostéogénique accélérée » puis « orthodontie

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Figure 2

Tomographie à faisceau conique en reconstruction axiale auniveau de la symphyse mandibulaire en regard de l’apex desincisives, avec mesure de l’épaisseur osseuse en utilisant lelogiciel Osirix r©, avant la réalisation des corticotomies (A) ; sixmois après la réalisation des corticotomies (B) et un an aprèsla réalisation des corticotomies (C). Noter l’augmentation si-gnificative de l’épaisseur osseuse symphysaire, stable dansle temps avec densification de la corticale osseuse vestibu-laire six mois après l’arrêt du traitement orthodontique.

accélérée par assistance ostéogénique parodontale ».Cette technique combine un appareil orthodon-tique fixe, des corticotomies vestibulaires et pala-tines/linguales et un apport osseux alvéolaire avecde la poudre d’os sec déminéralisé d’origine bovineassociée à de la clindamycine. Le mouvement den-taire est débuté deux semaines après la chirurgie puisl’appareil orthodontique est ensuite activé toutes lesdeux semaines [24,26]. Selon les auteurs, cette tech-nique permettrait d’augmenter le volume osseux al-véolaire, faciliterait le développement de l’arcade etpréviendrait voire traiterait les fenestrations radicu-laires/déhiscences osseuses, tout en maximisant laréponse métabolique durant le traitement orthodon-tique [23, 26].

Il n’existe à ce jour dans la littérature aucuneétude évaluant les effets osseux d’un traitement or-thodontique facilité par des corticotomies seules.

Figure 3

Tomographie à faisceau conique en reconstruction axiale auniveau de la symphyse mandibulaire en sus apical des in-cisives, avec mesure de l’épaisseur osseuse en utilisant lelogiciel Osirix r©, avant la réalisation des corticotomies (A), sixmois après la réalisation des corticotomies (B) et un an aprèsla réalisation des corticotomies (C). Noter l’augmentation si-gnificative de l’épaisseur osseuse symphysaire, stable dansle temps avec densification de la corticale osseuse vestibu-laire six mois après l’arrêt du traitement orthodontique.

De plus, les cas rapportés dans la littérature n’ap-portent que des preuves circonstancielles de l’effica-cité de la technique à améliorer le volume osseux etle niveau de preuve de ces publications reste assezfaible [3].

Globalement, les données de la littérature concer-nant l’évaluation du gain osseux propre à cette tech-nique sont modestes :

– Une seule étude a comparé les changements duvolume osseux après corticotomies avec ou sanscomblement osseux. Dans les deux groupes, ladensité osseuse avait diminué pendant le traite-ment puis était restaurée après six mois de conso-lidation dans le groupe corticotomies seules,voire avait augmenté de 26 % dans le groupe aveccomblement osseux [20].

– Deux études soulignent l’intérêt des cortico-tomies avec greffe osseuse pour faciliter la

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vestibulo-version des incisives mandibulaires(sans créer de déhiscences ou fenestrationsosseuses) dans la décompensation pré-chirurgicale de patients en classe III squelettique.Dans l’étude de Ahn, et al., les auteurs ont montréune augmentation de l’épaisseur osseuse vestibu-laire moyenne de 1,6 à 2 mm à la fin de la phasepré-chirurgicale, ainsi qu’une absence de réces-sions parodontales post-traitement [1].Dans l’étude de Coscia, et al., les auteursrapportent « une augmentation significative del’épaisseur osseuse horizontale vestibulaire en re-gard des incisives mandibulaires » après traite-ment (augmentation moyenne de 0,2 mm) [6].Cependant, ces résultats sont à pondérer du faitde faiblesses méthodologiques observées dansces études, notamment l’absence de groupescontrôles et l’absence d’évaluation à long termedes effets de la technique. Au total, ces étudessemblent principalement souligner la conserva-tion du volume osseux lors de mouvementsorthodontiques à risque de déhiscences os-seuses/fenestrations radiculaires plutôt qu’un réelgain de volume alvéolaire horizontal.

L’absence de résultats à long terme sur le gain os-seux effectif apporté par les corticotomies alvéolairesassociées à un comblement osseux doit inciter à laprudence quant aux conclusions à tirer concernantl’efficacité de cette technique.

Le cas clinique présenté ci-dessus évoque d’éven-tuelles capacités d’ostéogénèse induite uniquementpar les corticotomies alvéolaires conventionnellessans apport osseux concomitant. Bien qu’aucune-ment suffisant pour prétendre à un niveau de preuvesatisfaisant, il soulève la question d’une éventuelleostéogènèse induite par les corticotomies.

Seules des études prospectives méthodologique-ment bien construites permettront d’apporter deséléments de réponse à cette question avec un niveaude preuve suffisant.

7. Conclusion

Les corticotomies alvéolaires apportent des avan-tages indéniables aux thérapeutiques orthodon-tiques, chez les patients adultes. Elles permettenten outre une diminution du temps de traitementainsi qu’une augmentation de l’enveloppe des mou-vements dentaires possibles [21].

La possibilité d’une ostéogénèse spontanée (telleque celle qui est décrite dans le cas clinique présenté)ou liée à un apport osseux concomitant ouvre denouvelles perspectives de traitements pour les pa-tients présentant un support parodontal réduit, si-tuation plus fréquente dans la population adulte.

Davantage d’études sont nécessaires pour évaluerrigoureusement et précisément le gain osseux poten-tiel de ces techniques, dans l’optique d’en améliorerles indications et leur mise en œuvre.

Conflit d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêtconcernant les données publiées dans cet article.

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