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Atelier biblique en ligne | | | | | | Sur les traces de la foi | | | 19 © Fraternités Monastiques de Jérusalem - 2013 retraites-avec-jerusalem.cef.fr Genèse 20-23 L’épreuve de la foi Au fil de la Parole L ’annonce a été faite à Abraham : «L’an prochain, ta femme Sarah aura un fils» (Genèse 18,10). La promesse tant de fois réitérée va s’accomplir ; la si longue attente va être comblée. C’est comme si, alors – même si l’histoire de la rédaction en est la cause première –, comme s’il fallait revisiter les lieux et les intermittences de cette attente, mais pour y voir émerger, toujours plus décisive, la figure de Sarah. Tout semble se rejouer comme avec Pharaon en Égypte (12,10-20 ; cf. Atelier n°1), lorsque Abimélek, roi de Guérar, fait enlever Sarah et que Dieu l’avertit en songe : «Tu vas mourir à cause de la femme que tu as prise, car elle est une femme mariée» (20,3). Le mensonge, cette fois, a été partagé par Abraham et Sarah : «N’est-ce pas lui qui m’a dit : ‘C’est ma sœur’, et elle, oui elle-même, a dit : ‘C’est mon frère’» (20,5). Et il se révèle n’être qu’un demi-mensonge : «Elle est vraiment ma sœur, explique Abraham, la fille de mon père, mais non la fille de ma mère et elle est devenue ma femme» (20,12). La méprise et le châtiment de Pharaon s’étaient résolus par l’expulsion d’Abraham hors d’Égypte ; ici l’accent est mis sur sa qualité de «prophète» (20,7), prise en son sens littéral de «celui qui parle devant Dieu» ; qualité qui lui permet d’intercéder pour la guérison d’Abimélek et de sa maison (20,17). Ici, le roi répare son offense en donnant à Abraham «petit et gros bétail, serviteurs et servantes», et en ouvrant le pays devant lui (20,14) ; il couvre Sarah de cadeaux, «comme un voile porté sur les yeux de tous» (20,6). À travers ce faux pas, ce bégaiement apparent de l’histoire, le temps approche de la réalisation des promesses : une alliance est nouée avec Abimélek, qui ne sera troublée que par quelques disputes de bergers autour des puits (21,25-3). Même s’il ne possède pas encore la terre que le Seigneur lui a promise, Abraham déjà peut, en paix, y séjourner longuement ; et ce Dieu qui lui a promis le pays «en possession à perpétuité» (17,8), il peut l’invoquer sous le vocable de «Dieu d’éternité» (21,33). Quant à Sarah, «la princesse», elle n’est plus l’objet d’un marchandage ; elle est définie comme une femme «justifiée» (20,16), symboliquement revêtue du voile qui distinguait la femme mariée, pleinement reconnue comme épouse d’Abraham, capable de lui donner une postérité. Car la Parole de Dieu est fidèle et efficace : «Le Seigneur visita Sarah comme il avait dit et il fit pour elle comme il avait promis» (21,1). Le fils qui lui naît est moins l’enfant de la vieillesse que l’enfant de la joie. Le rire d’Abraham (17,17), le rire de Sarah (18,12) qui avaient marqué sa conception, résonnent encore à sa naissance et lui confèrent son nom : Isaac, «Dieu a souri» (21,6). Circoncis à huit jours, selon l’ordre de Dieu (17,12), il est le premier à être né dans l’alliance, à vivre d’emblée sous la loi de Dieu. Mais le rire peut s’avérer aussi ambivalent. Au rire heureux de ses parents, succède le rire plus cruel d’Ismaël, le fils de la servante, jouant (plus littéralement : «riant») avec Isaac. «L’enfant de la chair, commente Paul en forçant quelque peu le texte, persécutait l’enfant de l’esprit» (Galates 4,29). Et c’est par Sarah à nouveau que va s’accomplir

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Genèse 20-23L’épreuve de la foi

Au fil de la Parole

L’annonce a été faite à Abraham : «L’an prochain, ta femme Sarah aura un fils» (Genèse 18,10). La promesse tant de fois réitérée va s’accomplir ; la si longue attente va être comblée. C’est comme si, alors – même si l’histoire de la rédaction en est la cause première –, comme s’il fallait revisiter les lieux et les intermittences de cette

attente, mais pour y voir émerger, toujours plus décisive, la figure de Sarah.

Tout semble se rejouer comme avec Pharaon en Égypte (12,10-20 ; cf. Atelier n°1), lorsque Abimélek, roi de Guérar, fait enlever Sarah et que Dieu l’avertit en songe : «Tu vas mourir à cause de la femme que tu as prise, car elle est une femme mariée» (20,3). Le mensonge, cette fois, a été partagé par Abraham et Sarah : «N’est-ce pas lui qui m’a dit : ‘C’est ma sœur’, et elle, oui elle-même, a dit : ‘C’est mon frère’» (20,5). Et il se révèle n’être qu’un demi-mensonge : «Elle est vraiment ma sœur, explique Abraham, la fille de mon père, mais non la fille de ma mère et elle est devenue ma femme» (20,12). La méprise et le châtiment de Pharaon s’étaient résolus par l’expulsion d’Abraham hors d’Égypte ; ici l’accent est mis sur sa qualité de «prophète» (20,7), prise en son sens littéral de «celui qui parle devant Dieu» ; qualité qui lui permet d’intercéder pour la guérison d’Abimélek et de sa maison (20,17). Ici, le roi répare son offense en donnant à Abraham «petit et gros bétail, serviteurs et servantes», et en ouvrant le pays devant lui (20,14) ; il couvre Sarah de cadeaux, «comme un voile porté sur les yeux de tous» (20,6).

À travers ce faux pas, ce bégaiement apparent de l’histoire, le temps approche de la réalisation des promesses : une alliance est nouée avec Abimélek, qui ne sera troublée que par quelques disputes de bergers autour des puits (21,25-3). Même s’il ne possède pas encore la terre que le Seigneur lui a promise, Abraham déjà peut, en paix, y séjourner longuement ; et ce Dieu qui lui a promis le pays «en possession à perpétuité» (17,8), il peut l’invoquer sous le vocable de «Dieu d’éternité» (21,33). Quant à Sarah, «la princesse», elle n’est plus l’objet d’un marchandage ; elle est définie comme une femme «justifiée» (20,16), symboliquement revêtue du voile qui distinguait la femme mariée, pleinement reconnue comme épouse d’Abraham, capable de lui donner une postérité.

Car la Parole de Dieu est fidèle et efficace : «Le Seigneur visita Sarah comme il avait dit et il fit pour elle comme il avait promis» (21,1). Le fils qui lui naît est moins l’enfant de la vieillesse que l’enfant de la joie. Le rire d’Abraham (17,17), le rire de Sarah (18,12) qui avaient marqué sa conception, résonnent encore à sa naissance et lui confèrent son nom : Isaac, «Dieu a souri» (21,6). Circoncis à huit jours, selon l’ordre de Dieu (17,12), il est le premier à être né dans l’alliance, à vivre d’emblée sous la loi de Dieu.

Mais le rire peut s’avérer aussi ambivalent. Au rire heureux de ses parents, succède le rire plus cruel d’Ismaël, le fils de la servante, jouant (plus littéralement : «riant») avec Isaac. «L’enfant de la chair, commente Paul en forçant quelque peu le texte, persécutait l’enfant de l’esprit» (Galates 4,29). Et c’est par Sarah à nouveau que va s’accomplir

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l’alliance ; c’est elle qui porte la parole séparatrice, semblable à celle qui, au commencement, avait créé en séparant lumière et ténèbres, ciel et terre : «Chasse cette servante et son fils, il ne faut pas que le fils de cette servante hérite avec mon fils Isaac» (21,10). C’est Isaac qui est le fils de la promesse, et non Ismaël, qui n’est pas pour autant rejeté (cf. «La Parole en questions»). Mais la querelle entre les deux femmes, qui avait déjà poussé Agar à s’enfuir (16,6) et avait semblé s’apaiser par sa soumission à sa maîtresse (16,9), va cette fois-ci à la rupture. Quoi qu’il en coûte à Abraham, attaché à son fils aîné, il doit, selon la parole que Dieu lui adresse, admettre que chacun soit béni selon sa vocation propre, mais que sur le fils de Sarah seul repose le poids de l’alliance (21,12-13). En renvoyant Agar au désert, il confirme la séparation instaurée par Sarah et son statut de femme libre (cf. Galates 4,22-31).

Mais si le cœur paternel d’Abraham en est écorché, à plus forte raison le cœur du Dieu Père de tous est bouleversé. «Dieu entendit les cris du petit…» (21,17). Ce ne sont pas les lamentations bruyantes d’Agar qui crie et pleure, qui le touchent (21,16), mais le faible gémissement de l’enfant sous le buisson. «Un pauvre a crié, le Seigneur écoute, et de toutes ses angoisses il le sauve», dit le psaume (34,6). Et l’enfant, sauvé par l’eau d’un puits miraculeux, grandira et deviendra un homme du désert. Sauvé, béni aussi à sa façon.

Le cœur paternel d’Abraham n’a pas fini d’être déchiré puisque son second fils aussi, croit-il comprendre, va lui être enlevé. Non plus chassé au désert, mais offert en holocauste par lui-même, son père. Telle est «l’épreuve» (cf. «La loupe du scribe») qu’Abraham traverse avec le silence confiant, l’obéissance immédiate et appliquée qu’il a tou-jours manifestés. Avec cette espérance «contre toute espérance» (Romains 4,18) qui lui fait croire que Dieu n’a pu le tromper, qu’il ne lui a pas donné un fils pour le reprendre, qu’il ne lui a pas dévoilé son visage de miséricorde pour se montrer soudain tyrannique et violent. Ce n’est pas ce Dieu-là qu’a appris à connaître Abraham, dans sa marche au désert, et, malgré le naufrage de son intelligence, malgré l’ébranlement de son esprit, qui le taraudent tout autant que la blessure de son cœur, il persiste à affirmer en deux paroles brèves sa foi intacte : «Moi et l’enfant, nous re-viendrons vers vous… C’est Dieu qui pourvoira à l’agneau pour l’holocauste» (22,5.8). Et Dieu pourvoit, Dieu sauve l’enfant déjà lié comme la victime innocente et, à travers lui, tous les innocents rattrapés par la mort violente. Dieu sauve Abraham de lui-même en purifiant sa foi, détachée des dons et des lois pour n’adorer que le Donateur. Dieu, à travers la figure du bélier, offert en holocauste, sauve tous les hommes, en allant, lui, jusqu’au sacrifice de son Fils, son unique (cf. 22,2 ; Jean 3,16), en laissant le Fils, «agneau de Dieu qui enlève le péché du monde» (Jean 1,29), être lié sur le bois, offert pour le salut de tous.

Mais, pour l’heure, l’obéissance d’Abraham est source de bénédictions renouvelées pour sa descendance et toutes les nations de la terre (22,18). Ce que confirme immédiatement l’annonce d’une postérité nombreuse accordée à son frère Nahor (22,20-24), d’où sortira Rébecca, la future épouse d’Isaac.

Mais que devient Sarah ? Elle qui avait si activement contribué à l’installation sur la terre donnée par Abimélek, et à la séparation de l’héritage du fils de la promesse, où est-elle alors que son fils a manqué de mourir ? La tradition juive tente de combler ce manque, en affirmant qu’apprenant qu’Isaac allait être immolé, elle mourut car, disait-elle, «mon âme est liée à son âme» (Yachar). Et, de fait, au récit du sacrifice succède sans transition l’annonce de la mort de Sarah, à Hébron (23,1-2). Mais, jusque dans la mort, elle travaille à la réalisation des promesses, car Abraham entre en transaction avec les fils de Hèt pour acquérir la grotte de Makpéla où il désire l’enterrer. Lui, «étranger et résident» dans le pays (23,3), insiste pour acheter le champ, et non le recevoir en don, comme les Hittites y sont disposés, car ce sont là les premiers arpents qui passent en sa propriété (23,17) de cette terre qu’il sait, de source divine, être sienne.

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La seule terre qu’Abraham le nomade ait jamais possédée prend amèrement la forme d’une tombe. Mais c’est bien par la médiation de Sarah, mère d’Isaac, couchée en ce tombeau, que la réalisation de la double promesse commence à advenir. «C’est dans la foi qu’ils moururent tous sans avoir reçu l’objet des promesses, mais ils l’ont vu et salué de loin, et ils ont confessé qu’ils étaient étrangers et voyageurs sur la terre. Ceux qui parlent ainsi font voir clairement qu’ils sont à la recherche d’une patrie. (…) Or, en fait, ils aspirent à une patrie meilleure, c’est-à-dire céleste. C’est pourquoi Dieu n’a pas honte de s’appeler leur Dieu ; il leur a préparé, en effet, une ville...» (Hébreux 11,13-16).

La loupe du scribe

Genèse 22,1-14 : le sacrifice

Le récit du sacrifice d’Abraham – que la tradition juive préfère plus justement nommer «la ligature» d’Isaac – est l’un des plus connus de la geste des patriarches. Il frappe par son intensité dramatique et sa sobriété ; il interroge par la radicalité de l’obéissance qu’il montre en actes, et le visage de Dieu qu’il semble dévoiler. Mais, à l’autre

bout de l’Écriture, le Père laissera son Fils accomplir jusqu’à la fin le sacrifice. Non par désir de mort, mais par amour de tous les hommes. Non pour les accompagner dans la mort, mais pour les en tirer. «Dieu qui n’a pas épargné son propre Fils mais l’a livré pour nous tous, comment avec lui ne nous accordera-t-il pas toute faveur ?» (Romains 8,32).

[1] Après ces événements, il arriva que Dieu éprouva Abraham et lui dit : «Abraham ! Abraham !» Il répondit : «Me voici !» [2] Dieu dit : «Prends ton fils, ton unique, que tu chéris, Isaac, et va-t’en au pays de Moriyya, et là tu l’offriras en holocauste sur une montagne que je t’indiquerai.» [3] Abraham se leva tôt, sella son âne et prit avec lui deux de ses serviteurs et son fils Isaac. Il fendit le bois de l’holocauste et se mit en route pour l’endroit que Dieu lui avait dit. [4] Le troisième jour, Abraham, levant les yeux, vit l’endroit de loin. [5] Abraham dit à ses serviteurs : «Demeurez ici avec l’âne. Moi et l’enfant nous irons jusque là-bas, nous adorerons et nous reviendrons vers vous.» [6] Abraham prit le bois de l’holocauste et le chargea sur son fils Isaac, lui-même prit en mains le feu et le cou-teau et ils s’en allèrent tous deux ensemble. [7] Isaac s’adressa à son père Abraham et dit : «Mon père !» Il répondit : «Oui, mon fils ! - Eh bien, reprit-il, voilà le feu et le bois, mais où est l’agneau pour l’holocauste ?» [8] Abraham répondit : «C’est Dieu qui pourvoira à l’agneau pour l’holocauste, mon fils», et ils s’en allèrent tous deux ensemble. [9] Quand ils furent arrivés à l’endroit que Dieu lui avait indiqué, Abraham y éleva l’autel et disposa le bois, puis il lia son fils Isaac et le mit sur l’autel, par-dessus le bois. [10] Abraham étendit la main et saisit le couteau pour immoler son fils. [11] Mais l’Ange du Seigneur l’appela du ciel et dit : «Abraham ! Abraham !» Il répondit : «Me voici !» [12] L’Ange dit : «N’étends pas la main contre l’enfant ! Ne lui fais aucun mal ! Je sais maintenant que tu crains Dieu : tu ne m’as pas refusé ton fils, ton unique.» [13] Abraham leva les yeux et vit un bélier, qui s’était pris par les cornes dans un buisson, et Abraham alla prendre le bélier et l’offrit en holocauste à la place de son fils. [14] À ce lieu, Abraham donna le nom de «Le Seigneur pourvoit», en sorte qu’on dit aujourd’hui : «Sur la montagne, le Seigneur pourvoit.»

Il arriva que Dieu éprouva Abraham…“La clé de ce récit est donnée par le narrateur dès ce premier verset – de façon sans doute à ce que le lecteur soit bien persuadé que Dieu ne veut pas du sacrifice d’un enfant. Tout au contraire ce texte peut être lu comme une

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condamnation de ces sacrifices auxquels se livraient les peuples alentour et ont parfois cédé les Hébreux. Ainsi est-il dit d’Achaz roi de Juda : «Il fit passer son fils par le feu selon les coutumes abominables des nations que le Seigneur avait chassées devant les Israélites» (2 Rois 16,3). Cette pratique est fermement condamnée par la Loi (cf. Lévitique 18,21 ; 20,2-5 ; Deutéronome 12,31) et stigmatisée par les prophètes (cf. par exemple Jérémie 7,31 : «Ils ont construit des hauts lieux pour brûler leurs fils et leurs filles, ce que je n’avais jamais ordonné, à quoi je n’avais jamais songé» ; et aussi Jérémie 19,5 ; Ézéchiel 16,20-21 ; 20,30-31 ; Michée 6,7).

Il s’agit donc, nous est-il indiqué, d’une épreuve – dans la Bible grecque le même mot peirasmos est utilisé pour les tentations de Jésus au désert. C’est donc une sorte de rite initiatique, de difficultés ou tentations infligées à quelqu’un pour que soit vérifié ce qu’il est réellement. Le peuple de la même façon est «éprouvé» dans le désert : «Souviens-toi de tout le chemin que le Seigneur ton Dieu t’a fait faire pendant quarante ans dans le désert afin de te mettre dans la pauvreté, de t’éprouver et de connaître le fond de ton cœur : allais-tu ou non garder ses comman-dements ?» (Deutéronome 8,2). L’épreuve fait passer de la peur pour la vie à la foi en Celui qui fait vivre.

… et lui dit : “Abraham ! Abraham !” Il répondit : “Me voici !”“Ce second appel de Dieu fait écho au premier (Genèse 12,1). Il s’agit toujours de rompre des attachements, de mou-rir à quelque chose pour suivre Dieu, même si ici l’épreuve est infiniment plus douloureuse puisqu’il s’agit de son fils, du fils de la promesse. «Qui aime son fils ou sa fille plus que moi n’est pas digne de moi» (Matthieu 10,37).

Comme lors du premier appel, la réponse d’Abraham est de confiance et d’obéissance. C’est là le second sens du passage : donner l’exemple d’un croyant qui reconnaît l’autorité mystérieuse et exigeante de Dieu, mais ne discute pas avec elle et exécute ses ordres, quoi qu’il lui en coûte, Non par héroïsme pur, mais parce qu’il croit que la relation vivante qui l’unit à son Dieu ne peut être brisée, ni sa confiance trompée. Cela ne diminue en rien l’obéis-sance d’Abraham, mais lui ôte tout caractère absurde, voire odieux. C’est le sens de la relecture que la lettre aux Hébreux fait de ce passage : «Dieu, pensait-il, est capable même de ressusciter les morts…» (11,17-19).

Prends ton fils, ton unique, que tu chéris, Isaac…“De nombreux commentateurs ont relevé l’insistance de la formule, qui semble alourdir encore la dureté de l’ordre. «Vois, écrit Jean Chrysos-tome, au IVe siècle, le nombre de mots allume un plus grand feu et excite plus véhémentement la fournaise de l’amour que ce juste avait pour son fils. Un seul de ces mots suffisait pour blesser son âme !» (Homélie 7 sur la Genèse). Et, Rachi, commentateur juif du XIe siècle, développe la même idée sous forme d’un dialogue : «Prends ton fils. – J’ai deux fils. – Ton unique. – Chacun est l’enfant unique de sa mère. – Celui que tu chéris. – Je les chéris tous les deux. – Isaac.» (Le Pentateuque 1).

La triple dénomination laisse aussi entrevoir qu’Abraham est non seule-ment blessé en sa chair, mais aussi ébranlé en son intelligence et troublé en son esprit : pourquoi Dieu demande-t-il de sacrifier celui qu’il a promis et donné après une si longue attente, celui sur qui repose l’alliance et qui doit être père de nombreux descendants ? Et quel est ce Dieu qui tout à coup perd sa bonté singulière pour se comporter comme les autres dieux ?

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Enfin, dans une lecture chrétienne, ces trois termes évoquent surtout la figure du Fils unique, Jésus, que le Père, lors du baptême et de la Transfiguration, nomme «bien-aimé» (Matthieu 3,17 ; 17,5), et esquissent le sens plénier du passage : «Dieu a tant aimé le monde qu’il lui a donné son Fils unique» (Jean 3,16).

… et va-t’en au pays de Moriyya… “La même formule que lors du premier appel (traduite ici par «va t’en»), qui commande le même détachement mais implique aussi la même espérance : c’est «pour / vers lui», selon la traduction littérale, qu’Abraham doit partir. Car peut-on atteindre sa vérité profonde sans passe par l’expérience de la mort et de la nuit ?

Le lieu indiqué paraît géographiquement mal déterminé, mais une tradition postérieure l’a identifié à la colline de Jérusalem où va être construit le Temple (cf. 2 Chroniques 3,1 : «Salomon commença alors la construction de la maison du Seigneur. C’était à Jérusalem, sur le mont Moriyya, là où son père David avait eu une vision.») Ainsi Isaac est «offert en holocauste» à l’endroit même où, deux fois par jour, rituellement, les agneaux sont sacrifiés (cf. Exode 29,38-42).

Abraham se leva tôt, sella son âne…“L’empressement à obéir d’Abraham est manifesté pour la troisième fois par cette notation d’un lever matinal (19,27 ; 21,14 ; 22,3). Comme au chapitre 12, son obéissance ne s’exprime pas par des paroles, mais en actes.

La ressemblance entre les mots signifiant en hébreu «âne» et «matière» fait dire aux commentateurs juifs que c’est sa nature qu’Abraham a sanglée, la partie matérielle de son être, afin de dominer ses sentiments pour être tout à l’ordre de Dieu.

Le troisième jour…“C’est souvent, dans l’Écriture l’indication d’un temps d’épreuve ou de souffrance, mais qui débouche sur une guérison ou une libération. Ainsi Jonas, avalé par le poisson, demeure en ses entrailles «trois jours et trois nuits» (Jonas 2,11). «Venez, invite le prophète Osée, retournons vers le Seigneur. Il a déchiré, il nous guérira ; il a frappé, il pansera nos plaies ; après deux jours il nous fera revivre, le troisième jour il nous relèvera et nous vivrons en sa présence» (Osée 6,1-2). L’évangile, indiquant le «signe de Jonas», applique cette même durée d’épreuve au Fils de l’homme qui «sera dans le sein de la terre trois jours et trois nuits» (Matthieu 12,40). Quitte à presser un peu la chronologie, ce sera aussi la donnée retenue par les premières affirmations apostoliques de la résurrection du Christ : «Je vous ai donc transmis en premier lieu ce que j’avais moi-même reçu, à savoir que le Christ est mort pour nos péchés selon les Écritures, qu’il a été mis au tombeau, qu’il est ressuscité le troisième jour selon les Écritures…» (1 Corinthiens 15,3-4).

Moi et l’enfant nous irons jusque là-bas, “nous adorerons et nous reviendrons vers vous.

La sobriété des gestes d’Abraham qui donne à ce récit sa beauté tragique, le silence que garde le patriarche, ne sont rompus que par deux courtes phrases, la première ici adressée à ses serviteurs, la seconde en réponse à la question de son fils (v. 8). Deux phrases qui affirment, l’une et l’autre, son espérance. Il se laisse conduire par Dieu jusqu’à l’endroit du sacrifice, jusqu’au sacrifice même, tout en continuant à croire que, d’une façon qu’il ne peut

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imaginer mais que Dieu sait, l’enfant reviendra vivant. La formule de Paul, commentant Genèse 15,6, en acquiert une profondeur nouvelle : «Espérant contre toute espérance, il crut» (Romains 4,18).

Abraham prit le bois de l’holocauste et le chargea sur son fils Isaac, “lui-même prit en mains le feu et le couteau et ils s’en allèrent tous deux ensemble.

En ce verset se situe le point de contact le plus évident entre le sacrifice d’Isaac et celui de Jésus qui «sort, portant lui-même sa croix» (Jean 19,17). Le silence et l’obéissance d’Isaac, qui suit son père et se laisse lier sur le bois (v. 9), sont à l’unisson de ceux d’Abraham. La tradition juive en déduit que, par son consentement, il a vraiment été consacré à Dieu comme offrande : «Les anges de Dieu bondirent et s’écrièrent les uns les autres : Avez-vous vu les deux justes sur la terre, l’un sacrifie et l’autre se laisse sacrifier ? Celui qui sacrifie n’hésite pas et l’autre tend sa gorge pour être immolé !» (Targum de Jérusalem).

Le silence d’Isaac l’apparente au serviteur annoncé par Isaïe : «Maltraité, il s’humiliait, il n’ouvrait pas la bouche, comme l’agneau qui se laisse mener à l’abattoir, comme devant les tondeurs une brebis muette, il n’ouvrait pas la bouche» (Isaïe 53,7). Il préfigure le silence de Jésus devant Pilate : «Mais Jésus se taisait» (Jean 19,9). Tout comme, en marchant aux côtés de son père – l’expression : «ils s’en allèrent tous deux ensemble» est répétée aux versets 6 et 8 –, en parcourant avec lui le même chemin de consentement, il préfigure l’union de Jésus à son Père en une même volonté de salut : «C’est pour cela que le Père m’aime, parce que je donne ma vie, pour la reprendre» (Jean 10,17).

C’est Dieu qui pourvoira à l’agneau pour l’holocauste, mon fils.“La seconde parole d’Abraham, adressée non plus aux serviteurs, mais à son fils, fait preuve de la même retenue et de la même confiance. Persistant dans sa fidélité à la Parole de Dieu, même lorsqu’elle paraît se contredire, il prend en quelque sorte Dieu à témoin contre lui-même. Dieu sait, Dieu «pourvoit», et ce que l’on appellera plus tard sa «providence» donne au moment où il convient. Ce sera l’un des enseignements des évangiles synoptiques : «Ne vous inquiétez donc pas en disant : Qu’allons-nous manger ? qu’allons-nous boire ? de quoi allons-nous nous vêtir ? Ce sont là toutes choses dont les païens sont en quête. Or votre Père céleste sait que vous avez besoin de tout cela. Cherchez d’abord son Royaume et sa justice, et tout cela vous sera donné par surcroît. Ne vous inquiétez donc pas du lendemain : demain s’inquiétera de lui-même. À chaque jour suffit sa peine» (Matthieu 6,31-34).

Mais l’Ange du Seigneur l’appela du ciel…“Il faut un nouvel appel de Dieu pour interrompre la succession des gestes méthodiques, appliqués d’Abraham dont la réponse – la même qu’au verset 1 : «Me voici» – indique toujours la même disponibilité, la même remise de lui-même à Dieu.

Je sais maintenant que tu crains Dieu : “tu ne m’as pas refusé ton fils, ton unique.

La crainte dont il s’agit ici, est bien l’attitude juste devant Dieu, le sentiment de sa grandeur qui conduit à l’adora-tion et à l’amour de sa volonté, Mais, pour faire naître ce sentiment, la pédagogie de Dieu peut susciter d’abord la

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frayeur : c’est le cas, par exemple, dans la théophanie du Sinaï, au milieu des éclairs et du tonnerre, dont Moïse dit : «Ne craignez pas. C’est pour vous mettre à l’épreuve que Dieu est venu, pour que sa crainte vous demeure présente et que vous ne péchiez pas» (Exode 20,20).

Pour Abraham, l’épreuve a été surmontée : Isaac a été lié, mais c’est son père qui, en allant au bout de l’obéis-sance, se trouve en quelque sorte délié, Abraham en effet est allé jusqu’à ce basculement où Dieu qui a donné est préféré au don qu’il a fait ; et il devient capable de se détacher de «celui qu’il chérit». Et Dieu lui redonne le fils qu’il a immolé dans son cœur, comme une prophétie de notre propre résurrection.

Toute l’Écriture va insister sur le fait que Dieu n’a pas besoin de nos sacrifices matériels, mais de l’attitude inté-rieure qu’ils supposent. Samuel l’affirme au premier roi d’Israël, Saül : «Le Seigneur se plaît-il aux holocaustes et aux sacrifices comme dans l’obéissance à la parole du Seigneur ? Oui, l’obéissance vaut mieux que le sacrifice, la docilité, plus que la graisse des béliers» (1 Samuel 15,22). La formule semblable du prophète Osée paraît si fondamentale qu’elle est mise plusieurs fois par les évangélistes sur les lèvres de Jésus (cf. Matthieu 9,13 ; 12,7) : «C’est l’amour qui me plaît et non les sacrifices, la connaissance de Dieu plutôt que les holocaustes» (Osée 6,6). La bénédiction dont est porteur l’Ange du Seigneur indique donc qu’il faut être prêt à offrir à Dieu sa propre vie, son Isaac, l’enfant de la joie dont il est le symbole, pour recevoir la plénitude de la vie et de la joie que Dieu veut donner.

Abraham alla prendre le bélier et l’offrit en holocauste “à la place de son fils.

L’acte d’offrir l’animal «à la place de» son fils est comme la mise en image de la Loi. Celle-ci ordonnait en effet que tout premier-né soit consacré au Seigneur : «Tu cèderas au Seigneur tout être sorti le premier du sein ma-ternel», qui doit donc être sacrifié ; mais, est-il précisé, «tous les premiers-nés de l’homme, parmi tes fils, tu les rachèteras» (Exode 13,2.13). La typologie chrétienne a voulu voir en cet animal sacrifié la préfiguration de Jésus, «l’agneau de Dieu» (Jean 1,29) dont le Père a accepté le sacrifice pour le salut du monde et qui devient ainsi «le premier-né d’entre les morts» (Colossiens 1,19).

Mais ce qui est ici surprenant est que l’animal offert «à la place de» l’enfant premier-né n’est pas un agneau – comme le prévoit le rite de la purification (Lévitique 12,6) et comme l’escomptait Isaac lui-même (v. 7). C’est un bélier, animal symbolisant le père plus que le fils : ce n’est pas Isaac, mais quelque chose en Abraham qui a été sacrifié. Il a sans doute mieux compris que, plus que son héroïsme, Dieu aimait son humilité et sa simple confiance. «– Avec quoi me présenterai-je devant le Seigneur, me prosternerai-je devant le Dieu de là-haut ? (…) Faudra-t-il que j’offre mon aîné pour prix de mon crime, le fruit de mes entrailles pour mon propre péché ? – On t’a fait savoir, homme, ce qui est bien, ce que le Seigneur réclame de toi : rien d’autre que d’accomplir la justice, d’aimer la bonté et de marcher humblement avec ton Dieu» (Michée 6,6-8).

À ce lieu, Abraham donna le nom de “Le Seigneur pourvoit”.“Le lieu du sacrifice qui était indiqué depuis le début de façon indéterminé : «la montagne» (v. 2), «l’endroit» (v. 3-4.9), reçoit maintenant un nom : «Dieu pourvoit». Il se réfère sans doute à un ancien sanctuaire ; mais la tradition a voulu y voir les premières syllabes du nom de Jéru-salem qui, les accolant au mot shalom, signifierait alors : «vision de paix».

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La Parole en questions

Pourquoi Dieu choisit-il ?

Le thème de l’élection – même si le terme n’est pas utilisé dans l’histoire d’Abraham – traverse toute la Bible depuis ses premières pages. Dieu choisit entre tous un homme – Abraham –, un peuple – Israël – pour se révéler à eux et faire passer à travers eux son dessein de salut. Face à ce choix, qui n’est pas d’abord motivé par les

qualités particulières de celui qui en est l’objet, mais par la gratuité de l’amour, nous avons tendance à réagir comme Caïn, jaloux de son frère Abel dont Dieu a agréé l’offrande (Genèse 4,1-8), et à crier à l’injustice.

Car nous avons spontanément une conception égalitariste de la justice, et nous interprétons le choix non positivement comme l’élection de l’un, mais négativement comme le rejet de l’autre. D’autant que les choix de Dieu paraissent, à vue humaine, surprenants, et se portent souvent sur le cadet, le plus petit.

Dans l’histoire d’Abraham, le fils aîné, Ismaël, par deux fois est évincé et même chassé (Genèse 16,1-16 ; 21,8-21) au profit de son puîné, Isaac. Et Dieu, loin de s’offusquer de l’attitude de Sarah renvoyant Ismaël et sa mère Agar, en console Abraham : «Ne te chagrine pas à cause du petit et de ta servante ; tout ce que Sarah te demande, accorde-le, car c’est par Isaac qu’une descendance perpétuera ton nom» (21,12). Même s’il faut bien admettre qu’il y a là, comme en tous ces chapitres, une façon toute humaine de poser et de résoudre les questions, néanmoins, fût-ce de façon maladroite, le mystère de l’élection est bien pointé.

Il faut d’abord bien comprendre que le Seigneur laisse les libertés humaines interagir et intervient plutôt pour réparer les dommages provoqués par leur mésusage : ainsi manifeste-t-il sa tendresse à l’esclave Agar chassée au désert par sa maîtresse Sarah : «Le Seigneur a entendu – c’est le sens du nom d’Ismaël – ta détresse… Ton fils s’établira à la face de ses frères» (16,1-12). Dans le récit parallèle du chapitre 21, Dieu «entend le cri du petit» et son ange vient indiquer à Agar un puits où désaltérer l’enfant, et lui porter aussi une promesse : «Debout ! soulève le petit et tiens-le ferme, car j’en ferai une grande nation» (21,18). Ismaël est donc lui aussi béni – «Dieu fut avec lui» (21,20) –, même si sa vocation est différente de celle de son frère Isaac.

La continuité du dessein de Dieu se manifeste dans la suite de l’histoire des patriarches : à chaque génération l’un est plus particulièrement porteur de l’alliance, qui n’est généralement pas l’héritier naturel : Jacob, et non Ésaü ; Juda et non Ruben, le premier-né ; Joseph, fils de Rachel et non les fils de Léa, la première épouse de Jacob… Mais l’élu est porteur, au milieu de ses frères, d’une bénédiction pour toute l’humanité, selon la promesse de l’ange à Abraham : «Par ta postérité se béniront toutes les nations de la terre parce tu m’as obéi» (22,18). Plus tard c’est tout le peuple d’Israël qui sera parmi les nations comme le témoin de l’amour du Seigneur, même si, au milieu de ce peuple, la lignée royale issue de David, ou les prophètes porteurs de la Parole de Dieu sont, eux aussi, objet d’un choix particulier, conformément à leur mission propre.

Le choix de Dieu cependant ne s’effectue pas sans raisons : Ismaël est «un onagre d’homme», qui s’oppose à tous (16,12), alors qu’Isaac obéit jusqu’au sacrifice (22,9) ; Jacob est «un homme tranquille demeurant sous les tentes», tandis que son frère Esaü ne rêve que chasse et gibier (25,27). Ce n’est ni l’aîné ni le plus fort – critères tout humains

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– qui est choisi, mais le plus apte à comprendre les choses de Dieu, à porter son alliance. Et l’élection, dès lors, se révèle plus souvent comme un poids que comme un honneur ; elle est responsabilité et non pouvoir. Elle détermine une condition singulière qui souvent attire l’hostilité des autres et la persécution : ainsi Jacob doit-il fuir devant son frère, et Joseph est vendu par les siens, préfigurant ainsi le mystérieux «serviteur», «élu» de Dieu, dont parle le pro-phète Isaïe (42,1), et Jésus, «l’Élu» (Luc 9,35), donné par le Père à tous ses frères.

Depuis les obscurs débuts de l’histoire des patriarches, l’élection divine forme un peuple saint, tout entier consacré, qui doit faire rayonner au milieu des nations la grandeur et la bonté du Seigneur. En ce peuple, à la plénitude des temps, naît le Fils de Dieu, «l’Élu», en qui se réconcilient juifs et païens (Éphésiens 2,14-17), tous «élus en lui dès avant la fondation du monde» (Éphésiens 1,14) et devenus un seul peuple, «le peuple que Dieu s’est acquis pour la louange de sa gloire» (1,14).

Transparences

Isaac, le fils de la joie et du sacrifice

Isaac, l’enfant de la promesse, se manifeste dès avant sa naissance comme l’enfant du rire. Lorsque son père Abra-ham reçoit l’annonce de sa naissance, «il tomba la face contre terre et il se mit à rire» (Genèse 17,17) ; lorsque sa mère Sarah entend les trois visiteurs à Mambré promettre : «L’an prochain je reviendrai vers toi ; alors ta femme

Sarah aura un fils», elle «rit en elle-même» (18,10.12). Et, lorsqu’effectivement elle donne le jour à un fils, elle s’exclame encore : «Dieu m’a donné de quoi rire, tous ceux qui l’apprendront me souriront» (21,6). De ce triple rire d’émerveille-ment et de gratitude, Isaac, le fils unique, le fils de la joie, tire son nom qui signifie «Dieu a souri». Jésus, le Fils du Père, est venu révéler à ses disciples le secret de la joie parfaite : «Si vous gardez mes commandements, vous demeurerez en mon amour, comme moi j’ai gardé les commandements de mon Père et je demeure en son amour. Je vous dis cela pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit complète» (Jean 15,10-11). Et il explique à ceux qui pensent être les véritables fils d’Abraham, le sens plénier de ce rire prophétique : «Abraham votre père exulta à la pensée qu’il verrait mon Jour. Il l’a vu et il fut dans la joie» (Jean 8,56). La joie provoquée par la seule naissance d’Isaac préfigure donc la joie messianique.

Mais Isaac, figure du Fils unique donné par Dieu aux hommes pour leur apporter la joie du salut, est aussi la figure du Fils en son sacrifice. On peut reprendre presque ligne à ligne le récit de sa montée vers le mont Moryyah, que la tradition situe à l’emplacement futur de Jérusalem (Genèse 22 ; cf. «La loupe du scribe»), en parallèle à celui de la montée du Christ au Golgotha, près des murs de la ville : lui aussi, «le fils, l’unique» (Genèse 22,2), est chargé du bois du sacrifice (22,6), de même que Jésus portant lui-même sa croix (Jean 19,17). Et voici que Dieu qui «pourvoit à l’agneau pour l’holocauste» (Genèse 22,8), permet qu’un bélier se trouve là, qui va être offert en sacrifice (22,13), de même qu’à la plénitude des temps, il envoie le Fils pour qu’il soit «l’agneau qui porte le péché du monde» (Jean 1,29), offert pour tous en sacrifice. Tandis qu’Isaac, «le troisième jour» (Genèse 22,4 ; 1 Corinthiens 15,4), est rendu vivant à son père, en signe de la résurrection du Fils.

Ce n’est donc plus seulement Isaac, mais la double image du fils et de l’agneau qui préfigurent le Christ, en sa mort et sa résurrection. La lettre aux Hébreux interprète ainsi la délivrance d’Isaac comme une prophétie de la résurrection :

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«Dieu, pensait (Abraham), est capable même de ressusciter les morts ; c’est pour cela qu’il recouvra son fils, et ce fut un symbole» (Hébreux 11,19). Selon les Pères, ils sont aussi l’image de la double nature du Christ, vrai Dieu et vrai homme. «Ces choses, écrit Théodoret de Cyr, au Ve siècle, étaient l’ombre de l’économie de notre salut. Le Père a offert son Fils bien-aimé sur la terre : Isaac était la figure de sa divinité, l’agneau de son humanité».

Des formes pour un récit

Rembrandt, le sacrifice d’Isaac

C’est un célèbre tableau de Rembrandt, Le sacrifice d’Isaac, peint en 1635 et aujourd’hui exposé au Musée de l’Her-

mitage à Saint-Petersbourg, que nous vous proposons de contempler, dans la continuité de «La loupe du scribe», avec l’aide d’un diaporama réalisé par croire.com :http://mesvideos.croire.com/video/17062d4a5c5s.html

La peinture de Rembrandt est très près du texte biblique ; le peintre entend manifeste-ment proposer une lecture plus spirituelle que typologique. Ce qui se donne ici à contempler dans une sorte de grand «S» majuscule qui relie les trois personnages de la scène, c’est, de manière centrale, la foi du patriarche qui fait taire ses sentiments paternels jusqu’à consentir au sacrifice de son fils. Isaac, ensui-te, en bas du tableau, adolescent dénudé éta-lant son corps comme une tache claire dans l’ensemble relativement sombre du tableau, représente, par l’immobilité qui dit son plein consentement, la piété filiale et la confiance envers son père. Quant à l’ange aux cheveux roux et au vêtement somptueux, tout en haut de la scène, du côté de la clarté qui évoque sans doute la lumière divine, il se saisit déli-catement de la main d’Abraham pour retenir son geste, l’autre main signifiant efficacement ce que nous ne pouvons entendre : «N’étends pas la main contre l’enfant !»