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Actualités pharmaceutiques n° 529 octobre 2013 33 dochead Mots clés - déficits immunitaires humoraux ; immunoglobulines ; maladies auto-immunes ; rejet de greffe Keywords - autoimmune diseases; humoral immune deficiencies; immunoglobulins; transplant rejection thérapeutique zoom © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés http://dx.doi.org/10.1016/j.actpha.2013.07.007 Immunoglobulines : des cibles multiples Participant physiologiquement à la défense de l’organisme contre les agressions, les immunoglobulines (Ig) sont indiquées dans le traitement de divers déficits immunitaires humoraux et celui de nombreuses maladies auto-immunes. Elles restent souvent administrées par voie intraveineuse, mais la voie sous-cutanée offre désormais la possibilité d’une injection simple et bien tolérée. Certaines Ig ayant une cible plus spécifique sont indiquées dans des situations variées : lutte contre le rejet de greffe, infections, intoxications, incompatibilité rhésus, etc. Immunoglobulins: multiple targets. Helping physiologically to defend the body against attacks, immunoglobulins are indicated in the treatment of various humoral immune deficiencies and numerous autoimmune diseases. They are still often administered intravenously, although a simple and well-tolerated subcutaneous injection is now possible. Some immunoglobulins with a more specific target are indicated in various situations: to help prevent transplant rejection, infections, intoxications, rhesus incompatibility, etc. A ppartenant à la famille des gammaglobulines, les immunoglobulines (Ig) sont des glycoprotéines sériques assu- rant la réponse immunitaire humorale : elles exercent la fonction d’anticorps (Ac) dirigés contre des antigènes (Ag) qu’elles neutralisent [1]. Un rôle clé dans l’immunité humorale Les Ig sont constituées par deux chaînes polypeptidiques lourdes et deux chaînes polypeptidiques légères, dont l’assemblage (ponts disulfures) évoque la forme d’un “Y”. Elles associent deux structures fonctionnelles [1] : • leur fragment Fab (Fragment anti- gen binding) permet la fixation d’un antigène ; • leur fragment Fc (“c” pour cristal- lisable) se fixe soit à des récep- teurs (appelés FcR) situés à la surface de certaines cellules, soit à des protéines du complément 1 dans le plasma. Existant sous forme de monomères, de dimères ou de pentamères, les Ig sont distinguées selon leur appar- tenance à une classe particulière : Ig G, A, M, D et E. Origine Les Ig sont isolées de la membrane de diverses cellules participant à l’homéostasie immunitaire (lympho- cytes B, macrophages, cellules NK [ Natural killer ], mastocytes), du plasma et des liquides interstitiels, des sécrétions, du mucus et du lait. Il y a entre 8 et 15 g/L d’IgG dans le plasma d’un individu sain. Fonction physiologique Les Ig ont un grand nombre de fonc- tions physiologiques [2]. F Les Ig fixées à la surface des lym- phocytes B se comportent comme des récepteurs vis-à-vis des anti- gènes (Ag) correspondants. Elles per- mettent aux lymphocytes quiescents d’être activés par l’Ag, de proliférer et de se différencier en plasmocytes. Ces lymphocytes B assimilent (endocytose) le complexe Ag-Ig, modifient l’Ag, puis le présentent à leur surface aux lym- phocytes T Helper qui le détruisent. © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés © 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved Diane LÉVY-CHAVAGNAT Médecin, praticien hospitalier Adresse e-mail : diane.levy@ ch-poitiers.fr (D. Lévy-Chavagnat). Hôpital Henri-Laborit, 370 avenue Jacques-Cœur, 86021 Poitiers, France © Sashkin/Fotolia.com

Immunoglobulines : des cibles multiples

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Actualités pharmaceutiques

• n° 529 • octobre 2013 • 33

dochead

Mots clés - défi cits immunitaires humoraux ; immunoglobulines ; maladies auto-immunes ; rejet de greffe

Keywords - autoimmune diseases; humoral immune defi ciencies; immunoglobulins; transplant rejection

thérapeutique

zoom

© 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

http://dx.doi.org/10.1016/j.actpha.2013.07.007

Immunoglobulines : des cibles multiplesParticipant physiologiquement à la défense de l’organisme contre les agressions, les

immunoglobulines (Ig) sont indiquées dans le traitement de divers déficits immunitaires

humoraux et celui de nombreuses maladies auto-immunes. Elles restent souvent

administrées par voie intraveineuse, mais la voie sous-cutanée offre désormais la

possibilité d’une injection simple et bien tolérée. Certaines Ig ayant une cible plus spécifique

sont indiquées dans des situations variées : lutte contre le rejet de greffe, infections,

intoxications, incompatibilité rhésus, etc.

Immunoglobulins: multiple targets. Helping physiologically to defend the body against attacks, immunoglobulins are indicated in the treatment of various humoral immune deficiencies and numerous autoimmune diseases. They are still often administered intravenously, although a simple and well-tolerated subcutaneous injection is now possible. Some  immunoglobulins with a more specific target are indicated in various situations: to help prevent transplant rejection, infections, intoxications, rhesus incompatibility, etc.

A ppartenant à la famille des gammaglobulines, les immunoglobulines (Ig) sont

des glycoprotéines sériques assu-rant la réponse immunitaire humorale : elles exercent la fonction d’anticorps (Ac) dirigés contre des antigènes (Ag) qu’elles neutralisent [1].

Un rôle clé dans l’immunité humoraleLes Ig sont constituées par deux chaînes polypeptidiques lourdes et deux chaînes polypeptidiques légères, dont l’assemblage (ponts disulfures) évoque la forme d’un “Y”. Elles associent deux structures fonctionnelles [1] :• leur fragment Fab (Fragment anti-

gen binding) permet la fixation d’un antigène ;

• leur fragment Fc (“c” pour cristal-lisable) se fixe soit à des récep-teurs (appelés FcR) situés à la surface de certaines cellules, soit à des protéines du complément1 dans le plasma.

Existant sous forme de monomères, de dimères ou de pentamères, les

Ig sont distinguées selon leur appar-tenance à une classe particulière : Ig G, A, M, D et E.

OrigineLes Ig sont isolées de la membrane de diverses cellules participant à l’homéostasie immunitaire (lympho-cytes B, macrophages, cellules NK [Natural killer], mastocytes), du plasma et des liquides interstitiels, des sécrétions, du mucus et du lait. Il y a entre 8 et 15 g/L d’IgG dans le plasma d’un individu sain.

Fonction physiologiqueLes Ig ont un grand nombre de fonc-tions physiologiques [2].

F Les Ig fixées à la surface des lym-

phocytes B se comportent comme

des récepteurs vis-à-vis des anti-gènes (Ag) correspondants. Elles per-mettent aux lymphocytes quiescents d’être activés par l’Ag, de proliférer et de se différencier en plasmocytes. Ces lymphocytes B assimilent (endocytose) le complexe Ag-Ig, modifient l’Ag, puis le présentent à leur surface aux lym-phocytes T Helper qui le détruisent.

© 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

© 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved

Diane

LÉVY-CHAVAGNATMédecin, praticien hospitalier

Adresse e-mail : [email protected] (D. Lévy-Chavagnat).

Hôpital Henri-Laborit, 370 avenue Jacques-Cœur, 86021 Poitiers, France

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Actualités pharmaceutiques

• n° 529 • octobre 2013 •34

docheadzoomthérapeutique

F Les IgG, IgA et IgE sont à l’ori-

gine de réactions cytotoxiques

exercées par des cellules mono-nucléées contre des cellules cibles recouvertes d’anticorps IgG (ADCC = Antibody-dependent cell-media-ted cytotoxicity). Une fois les Ag de membrane d’une cellule cible (bactérie par exemple) reconnus, le fragment Fc des Ig se fixe sur ses récepteurs de surface des lympho-cytes NK, des macrophages et des neutrophiles qu’il active afin que ces cellules reconnaissent la cible anti-génique et la détruisent.

F Le fragment Fc du complexe

Ag-IgG ou Ag-IgM peut activer le

composant C1 du complément, ce qui génère une synthèse de pro-téines (MAC = Membrane attack complex) qui lysent les cellules cibles.

F Les IgE fixées à la membrane

des mastocytes ou des baso-

philes, activées par un antigène

spécifique qui réunit leurs frag-

ments Fab, provoquent, par l’inter-médiaire de leur fragment Fc, la dégranulation des mastocytes et la libération de cytokines pro-inflam-matoires.

F Les monocytes et les neutro-

philes expriment des récepteurs

membranaires spécifiques du fragment Fc du complexe Ag-Ac qu’ils phagocytent (opsonisation).

F Les IgA des sécrétions des

muqueuses les protègent contre les agressions bactériennes.

Caractéristiques généralesLa fabrication des préparations d’Ig nécessite trois étapes : fractionne-ment des protéines plasmatiques obtenues à partir de pools de plasma provenant d’un grand nombre de donneurs, purification par voies chimiques, physiques ou par chromatographie, et inactivation des agents infectieux.Les préparations obtenues n’ont pas des caractéristiques totalement superposables : les différences

portent notamment sur le pH, la répartition des sous-classes des diverses Ig, la concentration rési-duelle en IgA, la teneur résiduelle en facteur XI, les excipients, etc. [1-7]. Ces préparations offrent le spectre entier des activités Ac des IgG d’un pool de donneurs sains.

Ig polyvalentes et Ig spécifi quesL’usage fait distinguer deux types de préparations d’Ig thérapeu-tiques :• la composition en Ac des Ig poly-

valentes (dites encore “normales”) reflète celle de la population des donneurs, donc de la population générale ; offrant un véritable “bouquet” d’Ac, elles peuvent être administrées par voie intra-veineuse (IV), mais aussi, et cela constitue une tendance forte actuelle en thérapeutique, par voie sous-cutanée (SC) ; la voie intramusculaire (IM) restant l’ex-ception ;

• les Ig spécifiques ont un titre élevé en Ac spécifiques car elles proviennent de plasmas d’ani-maux (lapins, chevaux, etc.) immunisés contre un antigène particulier (tétanos, rage, anti-gène D du système rhésus, etc.).

Caractéristiques cinétiques La demi-vie des IgG thérapeu-tiques, comprise entre 32 et 41 jours – donc similaire à celle des IgG natives –, varie selon les classes. Les variations interindivi-duelles, importantes, sont liées au taux d’Ig physiologique avant injec-tion, à la présence d’une infection ou de brûlures, aux caractéristiques métaboliques propres au patient, à la formation de complexes immuns circulants et à la cinétique d’élimi-nation des Ig thérapeutiques [3].

Mode d’actionL’action thérapeutique des Ig a pour origine des mécanismes diversifiés,

non mutuellement exclusifs, repo-sant, d’une part, sur leur pouvoir anti-infectieux et, d’autre part, sur leur action immunomodulatrice [4,5,8].

F Les Ig ont une action anti-

infectieuse. Le traitement par Ig polyvalentes au cours des déficits immunitaires apporte en “bouquet” des Ac neutralisants, antitoxines et opsonisants pour prévenir les infec-tions. Le taux adéquat est défini par la clinique (absence ou non d’infec-tion) et par la biologie ; un taux rési-duel d’IgG d’environ 5 à 6 g/L chez l’adulte et 8 g/L chez l’enfant est requis mais les doses varient en rai-son des différences cinétiques inter-individuelles.Les Ig neutralisent des virus libres (hépatites, cytomégalovirus, polio-myélite, rougeole, rubéole, oreillons, adénovirus, herpès, etc.) en consti-tuant un complexe immun circulant. Elles contribuent à l’élimination des cellules infectées par les virus en reconnaissant les antigènes de sur-face avec mise en jeu de la cyto-toxic i té cel lu la i re ant icorps dépendante (ADCC).

F Les Ig ont également une

action sur le système immuni-

taire. Elles jouent le rôle de média-teurs entre les diverses cellules impliquées dans la réponse immu-nitaire, qui fixent des Ig circulant dans le plasma et les liquides inter-stitiels ou échangent des informa-tions grâce aux Ig fixées sur leur membrane.

Immunoglobulines par voie intraveineuseLa voie IV reste la voie d’administra-tion des Ig la plus courante.

Spectre d’indications F Les déficits primitifs en anti-

corps, totaux ou partiels, consti-tuent l’indication essentielle d’une substitution par Ig. Ces déficits géné-tiques se traduisent par la survenue récurrente d’infections sévères qui sont traitées par l’administration

Notes1 Le complément désigne un ensemble d’une vingtaine de protéines sériques formant un système multi-enzymatique susceptible d’être activé dans une réaction infl ammatoire (selon la voie alterne) ou dans une réaction immunitaire (selon la voie classique).2 La préparation d’immunoglobulines issue du sérum de cheval immunisé (Lymphoglobuline®) n’est, en effet, plus disponible depuis 2008.3 Une spécialité analogue (Rhésonativ®), administrée par voie intramusculaire, a obtenu son autorisation de mise sur le marché et a fait l’objet d’un avis de la Commission de la transparence en 2010, mais sa commercialisation n’est pas envisagée à court terme.

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Actualités pharmaceutiques

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dochead

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Encadré 1. Prévention des effets iatrogènes liés à l’administration d’immunoglobulines F Vérifier l’absence de contre-

indication : insuffisance rénale fonc-tionnelle, sepsis avec collapsus.

F Vérifier la créatininémie, l’uré-

mie, la protidémie, l’osmolarité

et l’hématocrite avant administration d’immunoglobulines (Ig), de façon à adap-ter au mieux le débit et la dose totale journalière.

F Chaque première injection d’une préparation n’ayant encore jamais été admi-nistrée au patient est effectuée en milieu-hospitalier, sous surveillance : pression artérielle, diurèse, température, survenue de céphalées ou de nausées, constantes biolo-giques (urée, créatinine, hémogramme) [20].

F Une prémédication (anti-inflam-matoires non stéroïdien, corticoïde, anti-H1,

antimigraineux ou antalgique-antipyré-tique) est pertinente si le patient a été anté-rieurement victime d’effets indésirables [14,20,21].

F Le débit de perfusion est adapté à la tolérance clinique : un facteur de risque invite à ne pas dépasser un débit de 200 mL/heure [20].

thérapeutique

zoom

d’anti-infectieux, par une greffe de moelle ou par l’administration d’Ig, lorsqu’ils ont pour origine une hypo-gammaglobulinémie [5,8-10].

F Les Ig trouvent de précieuses

indications dans le traitement de

désordres immunitaires consé-

cutifs à diverses pathologies : leucémie lymphoïde chronique, myélome multiple, infection par le virus de l ’ immunodéficience humaine (VIH) chez l’enfant [5,8-10].

F Les Ig sont utilisées dans

d’autres indications : dans une grande variété d’affections auto-immunes et inflammatoires (purpura thrombopénique idiopathique, syn-drome de Guillain-Barré, maladie de Kawasaki, polyneuropathies démyélinisantes, syndrome de Lambert-Eaton, sclérose en plaques, dermatomyosites, etc.), pour réduire les infections bacté-riennes récidivantes chez les sujets immunodéprimés ou au décours de greffes de moelle osseuse allo-géniques [5,8-10].

Tolérance L’administration d’Ig par IV est bien tolérée : des effets iatrogènes sont décrits chez 5 à 15 % des patients, la plupart restant sans conséquence clinique [11-14].

F Il est classique de distinguer les

effets iatrogènes de survenue immé-diate ou presque et les effets différés [14]. Un effet indésirable peut survenir après plusieurs cures d’une même Ig alors que les administrations précé-

dentes ont été bien tolérées. Le chan-gement d’une préparation pour une autre ne garantit pas, en général, l’absence de récidive éventuelle d’un effet indésirable antérieur.

F Les réactions peuvent être

locales : la perfusion IV régulière d’Ig entraîne une dégradation pro-gressive du réseau veineux.

F La majorité des réactions iatro-

gènes systémiques surviennent

dans l’heure suivant le début de la

perfusion : céphalées, frissons, fièvre, myalgies, douleurs lombaires, nausées, manifestations vaso-motrices, tachycardie, dyspnée, douleurs thoraciques. Leur fré-quence, de 1 à 15 %, dépend de la vitesse de perfusion et de la maladie traitée. Ces réactions sont attribuées à l’agrégation des molécules d’Ig, responsable de l’activation du sys-tème du complément, mais égale-ment à des réactions Ag-Ac [15].

F Des réactions anaphylactoïdes

sévères, voire fatales, peuvent s’ob-server chez les rares patients défici-taires en IgA, qui développent des Ac (IgG, IgE) anti-IgA et sont traités par une préparation d’Ig polyvalentes. Cette situation conduit à privilégier la prescription d’une préparation appauvrie en IgA (Gammagard®).

F Quelques cas d’anémies

hémolytiques ont été rapportés [16,17]. En effet, le contenu en isoagglutinines des préparations peut positiver le test de Coombs.

F L’incidence des événements

thromboemboliques atteint 12 %

dans certaines séries (accidents vasculaires cérébraux, embolies pulmonaires, thromboses vei-neuses profondes, infarctus du myocarde) [18]. Le risque d’acci-dent thrombotique justifie que l’in-jection d’Ig par IV s’effectue à l’hôpital : ces accidents peuvent faire suite à toute injection, pas seu-lement à la première [18]. L’hyper-viscosité est considérée comme le déterminant essentiel des événe-ments thrombotiques [14]. Elle est corrélée à l’hyperosmolarité, à une forte concentration de la prépara-tion injectée et à une perfusion trop rapide. Il est donc recommandé de ne pas excéder une vitesse de per-fusion de 2 mg/kg/minute [19].

F Des complications neurolo-

giques peuvent survenir. Les cépha-lées imputables aux perfusions d’Ig sont contrôlées par l’administration de paracétamol et/ou d’un anti-H1.

F La survenue d’une insuffisance

rénale aiguë oligoanurique, quatre à cinq jours après l’injection des Ig, reste rare et évolue favorablement en environ deux semaines [19].D i ve r ses mesu res l im i t en t l’incidence de la iatrogénie liée à l’administration d’Ig (encadré 1) [14,20-22].

Principales spécialitésLes préparations d’Ig humaines polyvalentes (Clairyg®, Kiovig®, Pri-vigen®, Sandoglobuline®, Tégé-line®) se différencient par leurs procédés d’obtention, leur pH,

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Actualités pharmaceutiques

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Références Tableau 1. Caractéristiques des préparations d’immunoglobulines et tolérance du traitement.Caractéristiques Tolérance

Activité anticomplémentaire réduite Risque d’effets indésirables immédiats (fi èvre, frisson, etc.) réduit lors de la perfusion

Faibles taux de facteurs XI et XII Risque de thrombose réduit

Osmolalité Risque de syndrome d’hyperviscosité réduit, risque d’insuffi sance rénale limité, effets systémiques (céphalées, etc.) mieux contrôlés

Taux faibles d’hémagglutinines anti-A et anti-B Risque de survenue d’hémolyse réduit

Taux faible en dimères et en activateur de la prékallicréine Risque de survenue d’hypotension artérielle minoré

Faible taux d’immunoglobulines A Risque de choc anaphylactique réduit

zoomthérapeutique

leurs excipients et leur présentation (poudre pour injection à reconsti-tuer, préparations liquides à 5, 6, 10 ou 12 %). Dans le choix de la spé-cialité administrée, une attention particulière est portée à ces diffé-rences et notamment à la teneur en Na+, à l’osmolarité, à la teneur en facteur XI, à la nature des stabili-sants ainsi qu’à la teneur en IgA (tableau 1) [2,3,6-9]. Ainsi, une pré-paration lyophilisée contenant moins de 0,06 mg/g d’IgA (Gamma-gard) est indiquée chez les patients atteints d’un déficit en IgA, en parti-culier chez les rares sujets ayant développé des anticorps anti-IgA, situation où l’administration d’Ig non suffisamment appauvries en classe A expose à un risque de réactions anaphylactiques.Ces médicaments sont prescrits par un médecin hospitalier ou relevant d’un établissement de transfusion sanguine. Les préparations sont dis-ponibles dans les pharmacies hospi-talières et accessibles en rétrocession aux patients bénéficiaires d’un traite-ment en ambulatoire.

Immunoglobulines par voie sous-cutanéeLe recours à la voie SC s’est déve-loppé dans les années 1990 avec l’usage des pompes à perfusion accélérant l’administration (injection de 20 mL/heure, puis 35 mL/heure) [23-25]. Les Ig injectées par perfu-sion SC (avec une pompe) peuvent également l’être par voie IM lorsque l’abord SC n’est pas envisageable,

en l’absence de thrombocytopénie sévère ou d’autre trouble de l’hémo-stase. Cette voie n’est pas cepen-dant guère adaptée si le traitement est prolongé, ce qui est générale-ment le cas pour une substitution.

Avantages de l’abord sous-cutané

F L’efficacité d’un traitement par une préparation d’Ig polyvalentes est identique que l’administration soit IV ou SC et le switch est réalisé aisé-ment [26,27].

F La tolérance du traitement semble améliorée par le recours à la voie SC : les effets systémiques sont rares, y compris chez le sujet en ayant présenté lors de l’injection par voie IV. Le capital veineux est préservé. Rougeur et douleur au site d’injection disparaissent après quelques semaines pour ne persister que chez 15 à 30 % des patients [26,27].

F Le taux sérique d’Ig atteint est semblable même si le profil ciné-tique diffère. L’injection SC implique le recours à des doses plus faibles que l’injection IV, technique avec laquelle une dose importante est administrée toutes les 3 à 4 semaines en général. Le recours à ces doses réduites mais injectées plus fréquemment maintient des taux sériques d’Ig constamment élevés et stables, et évite les effets de “fin de dose”. La réduction des effets de pic sérique améliore la tolé-rance du traitement. Enfin, la perfu-sion SC évite de créer un accès veineux et réduit la prémédication

par glucocorticoïdes et antihistami-niques [26,27].

F Concernant la qualité de vie, la perfusion SC autorise le patient à réaliser lui-même, à domicile, l’in-jection grâce à une pompe pro-grammable [26,27].

Limites de l’abord sous-cutané

F L’aire sous la courbe des taux

sériques n’est pas identique selon le mode d’administration des Ig. Même si les conséquences cliniques de cette différence de biodisponibilité restent peu claires, elles expliquent que les schémas posologiques puis-sent différer.

F Les effets au niveau du site

d’injection lors d’une perfusion SC sont limités par la réduction de la vitesse de perfusion, et par le fait de veiller à changer de site d’adminis-tration. La survenue de chocs ana-phylactiques étant théoriquement possible, il faut surveiller les patients pendant l’injection.

F Concernant la maniabilité, la concentration des formulations d’Ig SC actuelles et l’incapacité des tis-sus à absorber l’injection rapide de grandes quantités d’infusat consti-tuent une limite à leur emploi. Il est indispensable de multiplier les injec-tions, en passant d’un schéma men-suel à un schéma hebdomadaire, voire bihebdomadaire, avec multi-plication des sites d’administration.

F Ces réserves sont contour-

nées avec la commercialisation de formulations d’Ig SC hautement

Page 5: Immunoglobulines : des cibles multiples

Actualités pharmaceutiques

• n° 529 • octobre 2013 • 37

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Déclaration d’intérêts 

L'auteur déclare ne pas avoir

de confl its d’intérêts en relation

avec cet article.

thérapeutique

zoom

concentrées ou par des biais telle l’administration locale de hyaluroni-dase humaine recombinante facili-tant l’injection ultérieure des Ig, leur dispersion locale et donc améliorant leur biodisponibilité.

L’administration sous-cutanée en pratiqueLes Ig humaines polyvalentes (nor-males) pour voie SC ne sont pas, contrairement aux préparations IV, indiquées dans les pathologies liées à des désordres immunitaires car celles-ci imposent de recourir à des volumes incompatibles avec ce mode d’administration.Le traitement SC est ajusté de façon à maintenir un taux compris entre 4 et 6 g/L d’IgG circulantes. Il est recom-mandé d’administrer une dose de charge d’au moins 0,2 à 0,5 g/kg/semaine, fractionnée en plusieurs doses journalières de 0,10 à 0,15 g/kg réparties sur plusieurs jours de la semaine. Une fois l’équilibre atteint, des doses d’entretien sont adminis-trées à intervalles réguliers de façon à atteindre une posologie cumulative mensuelle de 0,4 à 0,8 g/kg.Les préparations (Gammanorm®, Hizentra®, Vivaglobin®), stabilisées

par de la glycine, se conservent entre 2 et 8 °C avant ouverture. Leur teneur en protéine humaine e s t c o m p a r a b l e   : e n v i r o n 160 mg/mL dont au moins 95 % d’IgG. La teneur en IgA réduite de ces préparations autorise, sous surveillance rapprochée, leur admi-nistration aux patients présentant un déficit en IgA.

Immunoglobulines spécifi quesLes Ig spécifiques sont obtenues à partir d’animaux immunisés artificiel-lement ou de donneurs humains sélectionnés. Il est possible d’obtenir une palette d’activités anticorps spécifiques, incluant même une activité anti-substances toxiques (digitaliques, toxines animales), mais toutes ces Ig ne sont pas évoquées ici.

Ig antilymphocytairesDes deux préparations d’Ig anti-lymphocytes humains jadis dispo-nibles, reste commercialisée celle obtenue à partir de lapin immunisé contre les thymocytes humains (Thymoglobuline®, Globulines Anti-lymphocytaires Frésénius®)2. L’acti-vité lymphotoxique des Ig de lapin antithymocytes humains provoque une déplétion de la population lym-phocytaire, d’où leur effet immuno-suppresseur. Réservées à l’usage hospitalier, ces préparations s’ad-ministrent par perfusion IV en pré-vention et en traitement du rejet de greffe, en prévention de la réaction du greffon contre l’hôte aiguë et chronique en cas de transplantation de cellules souches hématopoïé-tiques, et dans le traitement de la réaction du greffon contre l’hôte corticorésistante. La spécialité Thymoglobuline® est indiquée, en hématologie, dans le traitement de l’aplasie médullaire.

Ig antidigitaliqueUn Ac antidigitalique constitué par le seul fragment Fab (c’est-à-dire

celui qui réagit avec l’antigène) d’une Ig antidigitalique ovine a été commercialisé (Digifab®). Administré lors d’une intoxication par la digoxine ou la digitaline, cet anticorps neutralise ces médica-ments d’index thérapeutique défa-vorable.

Ig anti-D(Rh)Pendant la grossesse, mais surtout pendant l’accouchement, des hématies d’origine fœtale passent dans la circulation maternelle. Si l’enfant est Rhésus positif et sa mère Rhésus négatif, ces hématies, se comportant dans l’organisme maternel comme des antigènes, sont à l’origine d’une immunisation avec apparition d’IgG anti-D. Lors d’une grossesse ultérieure, ces anti-corps peuvent occasionner des accidents en interagissant avec les antigènes D des hématies fœtales qui sont alors détruites par les macrophages.L’administration IV ou IM d’une Ig humaine anti-D (Rhophylac®)3 en prophylaxie anténatale planifiée ou faisant suite à des complications, ou en prophylaxie postnatale, entraîne la destruction des hématies Rhésus positif et prévient l’allo-immunisa-tion fœto-maternelle Rh(D) chez les femmes Rh(D)-négatif.

Ig antiviralesDes Ig spécifiques, d’utilisation encadrée, sont utilisées pour lutter contre un processus infectieux : Ivhebex® (contre le virus de l’hépa-tite B), Imogam Rage® (contre le virus rabique), Varitec® (contre le virus varicelle-zona).

Ig antitoxinesIl existe, par ailleurs, des prépa-rations d’Ig spécifiques dirigées contre les toxines libérées dans l’organisme par des germes infec-tieux ou qui y sont introduites par la morsure ou la piqûre d’animaux veni-meux (Gamma tétanos®, ViperFav®, BothroFav®…). w

Références

Le recours à la voie sous-cutanée s'est développé dans les années 1990 avec l'usage des pompes à perfusion.

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