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In Vodka Veritas n°10

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le dixième. comme le dixième commandement. c'est merveilleux.

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Page 1: In Vodka Veritas n°10

Page 2: In Vodka Veritas n°10

Master MCM : Chronique d’une mort annoncée p 3 Pourquoi vous allez passer une 3e année de merde p 6

Les enjeux de la bibliothèque p 8

Et pendant ce temps à Sciences Po p �0

Au paradis de Milton Friedman p �4

Sarkozy et l’extrême droite p �7

Something rotten : les élections au Danemark p �8

EditoDéjà dix numéros ! En fait non, dix et demi si on compte notre (trop mal apprécié) numéro 4,5 sorti pour Noël dernier. Ou 9 si on refuse de le compter et qu’en plus, comble de la mesquinerie, on part du principe que les numéros 3 et 8 (les guides de rentrée 2006 et 2007) ont du contenu commun. Surtout qu’on n’a pas compté le numéro réalisé lors du festival Expresso 2007, que nous n’avons jamais édité pour le public (attention collector !). Enfin bon, on s’en tampone un peu...

Quoiqu’il en soit, on ne va pas cacher notre étonnement d’abord, et surtout notre joie d’avoir réussi à sortir plus d’un numéro par an jusqu’ici. Surtout qu’on est pas du genre à pisser à la ligne pour remplir les pages. En effet, sache ami lecteur que ce numéro a encore une fois été conçu dans la sueur et les larmes, puisqu’un certain nombre de brèves et d’articles n’ont pas pu paraître pour cause de manque de place. On mettra ça sur notre site.

Car malheureusement, nous sommes nous aussi soumis à ces impératifs bassement matériels de place, les pages ayant toutes un coût (et là du coup vous regrettez amèrement cette grosse tâche de gras que vous venez de faire avec votre chocosuisse)...

Ouf, on s’approche de la fin de cet édito pour le moins poussif. Remarquez, j’aurais pu grossir la police, l’interlignage, voire même, technique suprème, l’interlettrage. Mais non, aujourd’hui on ne triche pas ! Alors détaillons un peu le contenu de ce numéro : tout sur la suppression du master MCM, une enquète à la bibliothèque, un article aigri sur la troisième année, un... Ouais bref, le sommaire est en haut à droite. Alors bonne lecture, c’est bien là l’essentiel !

SOMMAIRE

Les membres de La rédaction

Denis CarlierPreneur d’otages

Louis MoulinDirecteur de la

publication

Sébastien ChavignerOncle Nanard

Antoine CaulletRTT

Naïké DesquesnesHindou trois

Viviane GraveyPetite sirène

Nedal JounaidiFédération Française

de Jet de Caillou

S. Andre-BrecoviciDreden Doll

Claire NowakDonatrice

Béatrice CointeLoch Lomond

Nathanel AmarPéril jaune

Maud BorieSanta Maradona priez pour moi

Mouammar KhadafiBon pote

Frédéric BeigbederVendu

Le Père NoëlEst un bordure

Comme promis le mois dernier (à défaut de tenir la promesse d’un article sur le voyage de l’Ecole de Journalisme au Maroc, à venir en janvier, inch’Allah), nous accueillons dans cette édition trois dessins de Matzuka, notre dessinateur chilien maison.

Et pourquoi pas, un de ces jours, accueillir quelques unes de ses planches de bande-dessinée. Et voilà, encore une promesse à tenir !

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Les membres de La rédaction

Master MCM : Chronique d’une mort annoncée

La rumeur courait depuis un moment, on se le chuchotait entre deux couloirs en essayant de ne pas trop y croire, mais c’est maintenant officiel : le master Management de la Culture et des Médias connaît ses dernières heures. En effet, il ne sera pas proposé à la rentrée l’année prochaine, et seuls les actuels 4e

années passés en 5e année (ou pas) fermeront la marche. Mais avant de nous interroger sur l’opportunité d’une telle suppression et ses justifications officielles, un peu de chronologie. La suppression du master a été officiellement annoncée devant la commission paritaire qui s’est réunie le 19 novembre dernier. Un épisode qui mérite à lui seul d’être raconté en détails.

Dans son souci permanent de transparence, la direction n’avait pas mis la question de la suppression du master telle qu’elle dans l’ordre du jour, mais dissimulée derrière un “point d’information sur le master MCM”. Aussi, c’est avec une surprise non-dissimulée que les élus étudiants en commission paritaire ont été informés de but en blanc de la suppression du master Management de la Culture et des Médias. D’autant plus qu’habituellement, la direction prend le soin de joindre une note au dossier de la commission paritaire pour les points importants, ce qui n’a pas été fait alors. Deux déductions possibles donc : ou la suppression du master MCM n’est pas une question importante ou il y a eu une volonté plus ou moins honnête d’occulter la question.

Il est également courant, pour des dossiers de cette ampleur, que les représentants syndicaux étudiants soient convoqués à des réunions bilatérales avec des membres de l’administration (Laurent Bigorgne, Cédric Prunier, Jean-Baptiste Nicolas) en amont de la commission paritaire, pour préparer le dossier. Les grands rigolos sus-cités essayent alors de convaincre les élus du bien fondé de leurs propositions, tout en prenant acte de leurs propositions, oppositions et autres retours divers. Rien de tel pour la question de la suppression du master MCM. En revanche, il semblerait que de telles consultations aient eu lieu avec des professeurs avant cette commission paritaire.

Evidemment, comme il est d’usage en commission paritaire, il n’y a pas eu de vote1, tout juste un débat sur la question, dont on peut mesurer toute l’utilité étant donné que la décision de la suppression du master était déjà prise. L’UNI a applaudi une telle “rationalisation de l’offre de formation” (sic), l’UNEF, qui dit avoir été prise de court, n’a pu que constater les dégâts.

A défaut de figurer clairement à l’ordre du jour de la commission paritaire donc, la question de la suppression du master MCM a par contre été inscrite à celui de l’Assemblée Générale organisée trois jours plus tard en amphi Goguel par le comité de mobilisation contre la loi LRU. Celà a avant tout permis aux

1 Soulignons au passage à quel point une telle façon de procéder, tout en autoritarisme et en opacité, est représentative de l’état de la démocratie étudiante dans notre bel Institut d’Etudes Politiques.

étudiants présents de prendre connaissance de l’information, d’en débattre, et finalement de voter2 et d’adopter à l’unanimité la motion rejettant la suppression du master MCM. Notre rigueur journalistique nous impose toute de fois d’émettre quelques réserves quant au retentissement profond de ce scrutin, quand on note que des motions aussi ambitieuses (lire : “cosmétiques”) que celle proposant l’abolition pure et simple du financement privé de Sciences Po ont aussi été adoptées ce jour-là.

Mais avant même ces développements, les principaux concernés, c’est à dire les étudiants actuellement en Management de la Culture et des Médias, ont découvert les desseins de l’administrations grâce à un mail destiné aux aspirants MCM qui a fuité. Ainsi, les étudiants postulant pour rejoindre le master MCM l’année prochaine se sont vus renvoyer un courriel des plus explicites, dans lequel, au final, tout était dit :

2 Puisqu’ici, contrairement manifestement aux différentes commissions et conseils officiels, les étudiants peuvent se faire entendre.

Le master MCM (Management de la Culture et des Médias) se meurt, sacrifié sur l’autel officiel de la “rationalisation” et l’autel officieux de la “rentabilité”. Le tout réalisé dans la plus pure opacité, avec l’habituelle classe qui caractérise la direction de Sciences Po.

Vous avez commencé une candidature pour le Master

Management de la Culture et des Média(sic) et nous

vous en remercions.

[...]

A partir de l’année universitaire 2008-2009, chacune

des filières de l’actuelle mention « Management de la

culture et des médias » du master de Sciences Po sera

donc réorganisée, et adossée à une autre mention du

master. Vous ne pouvez donc pas vous porter candidate

à cette mention du Master et ses spécialités pour

l’année 2008.

[...]

Nous vous invitons donc à exprimer vos choix de la

manière suivante :

- si vous êtes intéressé(e) par la filière « Métiers de

l’audiovisuel et du cinéma », vous devez indiquer le

choix « Ecole de la communication ». [...]

- si vous êtes intéressé(e) par la filière « Presse et

édition », vous devez indiquer le choix « Ecole de

journalisme ». [...]

- si vous êtes intéressé(e) par la filière « Equipements

artistiques et culturels », vous devez indiquer le

choix « Affaires publiques » . [...]

[...]

Nous nous excusons pour la gène occasionnée, et vous

remercions pour votre compréhension.

Bien cordialement,

Véronique Bolhuis

Directrice

Sciences Po Admissions

[email protected]

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4

Vous imaginez la tête des MCM quand s’est mis à circuler ce mail dans lequel est clairement évoquée la suppression de leur filière. D’autant plus qu’il n’y avait alors toujours pas eu d’annonce de la direction aussi bien en général qu’à leur encontre spécifique3. Heureusement, dans son infinie bonté (et avec un retard tendant, lui aussi, vers l’infini), l’administration a décidé d’organiser une réunion d’information pour les élèves actuellement en MCM le 7 décembre à 15 heures. Entre temps, même lapeniche.net, avec certes une semaine de retard, a réussi à sortir l’information4. Voici en substance le mail d’invitation à la réunion, envoyé aux étudiants en MCM par ce grand amateur du courrier électronique qu’est Jean-Baptiste Nicolas5:

3 Le mail en question a été posté sur Facebook le 19 novembre 2007 à 14h16, alors que la commission paritaire ne s’était pas encore réunie.

4 http://www.lapeniche.net/blog/index.php?2007/11/26/380-le-master-mcm-serait-supprime. Un article franchement succint, avec en prime des commentaires effarouchés du type “Insulte pas mon master, les recruteurs lisent Google” ou encore des tentatives d’infléchir sur le contenu de l’article (comme quoi ça n’arrive pas qu’à IVV, voir “Vinci soit-il” page 12), jugé par certains trop outrecuidant (on se demande comment ils font).

5 Voir le numéro 9, dans le dossier entreprises, “ENTG : Environnement Numérique Terriblement Gangrené”.

Chèr(e)s élèves,

Comme vous le savez, Sciences Po a successivement créé

une Ecole de journalisme en 2005 et une Ecole de la

communication en 2007. Le positionnement des différentes

filières de la mention « Management de la culture et des

médias » doit aujourd’hui être mis en cohérence avec la

nouvelle cartographie des masters de Sciences Po issue de

ces innovations.

A partir de l’année universitaire 2008-2009, chacune des

filières de l’actuelle mention « Management de la culture et

des médias » du master de Sciences Po sera donc réorganisée,

et adossée à une autre mention du master (Ecole de la

communication pour la filière « Métiers de l’audiovisuel et

du cinéma », Ecole de journalisme pour la filière “Presse et

édition”, Affaires publiques pour la filière « Equipements

artistiques et culturels »)

L’objectif de cette réorganisation ne consiste pas à renoncer

à assurer les formations dont vous bénéficiez aujourd’hui,

mais à l’inverse à préserver chacune de ces filières, qui

souffrent aujourd’hui tant d’un problème de cohérence

interne du master que d’un problème de positionnement de la

mention par rapport aux autres formations de Sciences Po.

Il était naturel d’en informer en premier lieu vos

représentants élus étudiants - ce que nous avons fait dans

le cadre de la réunion de la commission paritaire de ce

lundi 19 novembre.

Nous souhaitons également vous rencontrer collectivement

pour expliquer notre décision, recueillir vos réactions

et suggestions, et répondre aux questions que vous pourrez

vous poser.

[...]

Bien cordialement, Jean-Baptiste Nicolas

On s’amusera au passage des phrases types que l’on retrouve copiées-collées d’un mail à l’autre. On notera aussi qu’à l’heure de cette réunion “d’information” la décision est belle et bien enterrinée, malgré les “réactions et suggestions” que pourraient bien formuler les étudiants. Enfin, soulignons l’hypocrisie qui consiste à dire que l’information des élus étudiants est prioritaire sur celle des étudiants eux-mêmes, d’autant plus que lesdits élus n’ont pas pu s’exprimer sur la question, ni surtout pu préparer une véritable plate-forme de contre-propositions en liaison avec les étudiants de MCM, puisqu’on a bien pris soin de ne pas tenir ces derniers informés.

Vendredi 7 décembre donc, messieurs Nicolas et Bigorgne accueillent une cinquantaine d’élèves en Amphi Boutmy, assis sur les pupitres, pour être plus proches des élèves, la voix un peu enrouée, comme pour dire qu’eux aussi ils sont un peu en deuil. En réalité, ils n’ont surtout pas grand chose à dire... Ils sont simplement présents “pour discuter” et “répondre aux questions”. L’objectif number one, c’est noyer le poisson. J.B. Nicolas assure dès le départ que ce n’est pas parce que c’est un “master chômage de masse” que le master MCM est supprimé. Il trouve d’ailleurs scandaleux qu’on puisse écrire celà sur certains forums... Mais alors, c’est quoi la raison de la suppression ?

Les représentants de la direction esquissent une réponse : les écoles de la communication et de journalisme sont “mieux identifiées par le recruteur” donc, si on ne veut pas se retrouver au chômage, mieux vaut passer par ces écoles ou par le master AP. Comme quoi, il est finalement bien question des débouchés et du chômage menaçant. D’ailleurs, M. Bigorgne renchérit: “Imaginez. Le musée du Louvre propose un poste. Le Musée du Louvre, c’est un acteur qui fait rêver, une marque internationale. Seulement, sur votre CV, si vous sortez d’AP, ça fera quand même vraiment mieux...” D’exemples en explications tordues, nos deux interlocuteurs tentent tant bien que mal de défendre la restructuration et l’entrée dans les autres masters des filières Management de la Culture et des Médias même si en réalité, ils n’ont pour l’instant aucune idée6 de la manière dont ça va s’opérer. “C’est une réflexion qui est en cours...”, “On imagine que...” voici les mots employés pour d’écrire la refondation des plaquettes des masters concernés par le chamboulement.

Lorsqu’un élève demande qu’elle sera la procédure d’entrée dans le master Journalisme (master sélectif) pour les étudiants voulant faire de l’édition, on lui répond : “L’édition c’est le secteur qui nous pose des problèmes. On ne sait pas comment faire.” Si l’on traduit, ça fait : “Pour l’édition, vous pouvez désormais aller vous faire voir !” Il n’y a donc pas de solution, tout comme Laurent Bigorgne “n’a pas d’états d’âme”. Il n’y a pas eu de vote non plus, mais c’est apparement assumé : “Vous me trouvez sans doute peu démocratique mais c’est quand même la direction qui prend les décisions”. On ne l’aurait pas mieux dit nous mêmes...

Et finalement, on se rend compte que la réunion n’est pas une réunion de présentation de la suppression du Master mais qu’il s’agit plus d’un truc improvisé, un discours sans queue ni tête où Bigorgne parle de sa mention de master à lui, des cours de Képel qu’il voudrait que tout le monde puisse prendre, des chercheurs qui ne devraient pas être que des chercheurs et de l’Ecole de Journalisme (attention scoop) qui va bientôt accueillir une filière “management d’un groupe de presse” parce que “c’est trop centré journalisme-journalisme”. Bref, deux heures pour dire que la direction n’avait rien à dire pour motiver sa décision. Merci d’être venus. Et la suite ? Rien ne permet de prédire une forte mobilisation des étudiants en MCM, la

6 Et du coup nous encore moins.

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plupart cèdant à l’habituel argument7 du “de toutes façons ça ne me concerne pas”. Argument d’autant plus fallacieux que, notamment pour la dernière fournée d’étudiants MCM actuellement en 4e année, la suppression du master peut avoir des répercussions directes sur

la reconnaissance ultérieure du diplôme. Le reclassement des trois mentions du master dans les toutes nouvelles Ecoles de Journalisme et de Communication est une vaste blague. “Cinéma et audiovisuel” rattaché à l’Ecole de Communication, passe encore à peu près, même si réduire tout le management de ces secteurs à la simple communication est un peu étrange. La spécialité “Presse et Edition” à l’Ecole de Journalisme, c’est déjà plus funky, notamment pour les gens intéressés par l’édition (par exemple musicale ou vidéoludique) qui n’ont franchement pas grand chose à voir avec le journalisme et qui ne retrouveront pas les conférences et cours de méthode dont ils bénéficiaient. De plus, n’oublions pas que l’Ecole de Journalisme est une filière sélective. A cet égard, une élue de l’UNEF, le 19 novembre dernier, a demandé s’il était prévu d’augmenter les effectifs

du master Journalisme. A quoi on lui a répondu qu’il n’en était pas question pour l’instant...

Le meilleur pour la fin : envoyer les “Equipements artistiques et culturels” en Affaires Publiques. Grandiose. Il n’y a qu’à regarder les programmes d’AP, et on perçoit immédiatement tout l’intérêt porté au secteur culturel dans cette filière. Toi aussi, jeune cultureux, va donc te frotter aux wannabe énarques en costard-cravate, et passe deux ans à rédiger des notes fictives pour des ministres tout aussi fictifs sur la rénovation du conseil des retraites ou sur les récentes évolutions du modèle de transports publics européen en milieu rural...

Mais au-delà des modalités d’application de la suppression du master MCM, n’y a-t-il que la nébuleuse “mis[e] en cohérence avec la nouvelle cartographie des masters de Sciences Po” qui la justifie ? La suppression du master Management de la Culture et des Médias est d’abord un acte symbolique. Elle marque une fois de plus une étape décisive vers la création d’une Business School laissant sur sa route

7 Du CPE à la LRU, c’est toujours le même...

tous les programmes dits “non-rentables”. Mais sur quels critères ? A Sciences Po il semble qu’il faut, avant tout, faire du chiffre. A la sortie, il faut des élèves diplôme en poche qui partent joyeusement franchir la porte du monde du travail, histoire de pouvoir continuer à se gargariser sur les taux d’étudiants qui trouvent un travail dans les quelques mois après la sortie de l’école. La porte du monde du travail ne s’ouvre peut-être pas aussi vite à ceux qui choisissent des filières artistiques ou culturelles qu’à ceux qui font de la finance. En tous cas, la porte de la formation vient de leur claquer au nez.

Le master MCM, une filière qui ouvre(ait?) sur l’art, le cinéma, la musique permet aussi une autre approche du travail : les étudiants qui choisissent ce master n’ont peut-être pas l’envie de gagner 4000 euros par mois dès leur sortie de Sciences Po. Ils acceptent la possible précarité de leurs futurs jobs parce que l’objectif n’est pas le même : avoir un boulot épanouissant et intéressant. Celà ne rime pas toujours avec l’idée de rentabilité et de salaire généreux.

Or, Sciences Po choisit délibérément de clore ce chapître orienté un tant soit peu vers la culture, car malgré tous les discours sur l’ouverture d’esprit, l’enrichissement personnel et les “aspérités à développer”, c’est bien une logique comptable qui prévaut. En réalité, lorsque Descoings a regardé dans le détail, il s’est sûrement rendu compte que ce sont (entre autres) les étudiants MCM qui font plonger ses fameuses statistiques de réussite du diplôme (c’est à dire embauche immédiate–contrat stable-boulot-métro-dodo-secrétaire-machine à café–rires gras–ah ! c’est quand même confortable d’avoir de l’argent) et donc c’est très mauvais pour la compétitivité (il y a quelque chose d’énervant dans la structure de ce mot…) de Sciences Po à l’international. Et puis, pour la réputation de l’établissement, c’est la catastrophe. Tout le monde le dit : le master MCM, c’est un master chômage…

Le plus terrible : la manœuvre de la direction qui a laissé entrer cette année des élèves s’engageant dans un master pour les deux années scolaires à venir, pour ensuite, après seulement deux mois de cours, leur annoncer qu’il sera supprimé. Une décision qui avait sans doute été réfléchie bien avant la rentrée mais dont l’annonce trop tôt aurait pu déclencher une vague de demandes de réinscription dans un autre master. Deux mois après la rentrée, il est trop tard et on se résigne... Finissons avec une petite pensée pour les profs du master MCM, qui risquent de découvrir les joies de leur statut de vacataire dans les deux prochaines années...

Marcel Magritte & René Duchamp

Ceci n’est pas un urinoir

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Pourquoi vous allez passer une3 ème année de merde

Un des traits marquants du premier cycle à Sciences Po, c’est cette fameuse troisième année que l’on passe à l’étranger. Dans les universités conventionnées ou en stage, les joyeux pipoteurs vont découvrir le monde de leurs yeux émerveillés, tisser des ponts entre les peuples, développer leurs compétences linguistiques et parfaire leur bronzage. Une initiative qui a priori séduit tout le monde, et dont chacun espère tirer le meilleur parti, malgré quelques inquéètudes. Mais pas de quoi s’en faire, puisque tous ceux qui y sont passés le disent : “La troisième année, c’était gé-nial !”. Face à l’unanimisme ambiant, nous ne pouvions que jouer les rabat-joies. Petit passage en revue des points noirs de la troisième année...

Commençons par le commencement : cette fameuse réunion avec la Direction des Affaires In ternat iona les et des Echanges (DAIE), au début de la deuxième année. Au milieu des laïus sur la découvrance, la diversitude et l’ouvertation, il y a ce grand moment où, face à l’assistance ébahie, on projette la carte du monde avec toutes ces univeristés partenaires. Et là, on se rend compte que si on peut partir en théorie sur les cinq continents, c’est avant tout dans les pays anglo-saxons que Sciences Po a des partenariats. Et pas avec les universités les moins cotées. La découverte du monde d’accord, mais en restant entre gens de bonne compagnie. Cette profusion d’universités partenaires en Angleterre et aux Etats-Unis n’empêchera de toutes façons pas un certain nombre de s’entretuer pour aller à “Harvââârd” ou au MIT, mais globalement ce n’est pas le choix qui manque. Par contre, si vous voulez partir en Afrique, c’est tout de suite moins la joie.

“Si vous aimez l’Afrique, c’est raté”

Oui c’est vrai, partir au Mali ou au Kenya, ce n’est sans doute pas le rêve de la majorité de la populace pipotienne. Parce que l’Afrique, ça fait peur, c’est noir et en plus là-bas, ils ne savent pas ce qu’est le progrès (rappelez vous, “Le problème de l’Afrique, c’est qu’elle vit trop le présent dans la nostalgie du paradis perdu de l’enfance” comme l’a dit Sarkozy l’été dernier à Dakar). Tout de même. Sur un continent entier, le choix est maigre: l’Institut Supérieur de Management (ISM) de Dakar et l’Univeristé Cheikh Anta Diop au Sénégal, l’Université Catholique d’Afrique Centrale du Cameroun, l’Université Van Stellenbosch en Afrique du Sud, l’Université Al Akhawayne d’Ifrane et l’Institut des Hautes Etudes de Management (HEM) de Casablanca pour le Maroc. Et pour le reste: rien, nada, plouf plouf. La Chine est en plein boom économique : youpi ! L’Inde brille : youpi ! Et voilà nos vaillants représentants de Sciences Po, tels nos explorateurs blancs

des temps (pas si) lointains, partis à la découverte de nouvelles terres. Comme par magie s’ouvrent en Asie du Sud-Est de nouveaux accords et des destinations dont personne ne connaissait l’existence... Mais voilà, l’Afrique, même si Sarko s’autoproclame son nouvel “ami homme blanc” on en veut pas comme copain. L’ouverture sur le monde a ses limites...

De la même manière, s’il est possible en théorie de choisir entre l’université ou faire un stage, force est de constater qu’une des deux options est plus volontiers encouragée par la direction. Il s’agit bien évidemment des séjours en université, pour lesquels le chemin est bien plus balisé, les réunions plus nombreuses, etc. Non pas qu’on

nous mette des bâtons dans les roues pour partir en stage, mais on comprend tout de même aisément qu’ils sont avant tout considérés comme une alternative au parcours usuel, qui est de partir en université. Rien de bien étonnant à cela :

Sciences Po a tout intérêt à ce que ses étudiants partent dans des universités conventionnées, pour accueillir en échange d’autant plus d’étudiants internationaux, qui payent d’office le montant maximal de droits de scolarité en débarquant à l’IEP.

Autre aspect de la troisième année trop peu souvent évoqué : son coût, qui peut parfois devenir très difficile à supporter. Outre les frais de transport (billets d’avion le plus souvent), il s’agit aussi d’assumer le logement et le coût de la vie sur place (toi le lecteur qui lit ces lignes et qui es parti à Londres, tu comprends). Cela ne fait peut-être que peu de différence pour des étudiants provinciaux déjà habitués à payer un logement à Paris pendant leur année scolaire, mais la différence se fait sentir pour les parisiens ou banlieusards vivant encore chez leurs parents. Au point qu’il faut parfois souscrire un emprunt destiné uniquement à la troisième année. Sans compter l’apparition d’un certain nombre de frais qui surgissent parfois comme un diable de sa boîte :

“Au fait, c’est 1500 USD...”

Fin février. Je suis tout heureux, j’ai eu mon premier choix : le Chili. Fantastique ! Le Chili, l’Amérique du Sud, la Cordillère des Andes, Valparaiso, Salvador Allende, les empanadas, les latinas... Je remplis et envoie le dossier de candidature à l’université chilienne. Début mars. Mon dossier est accepté par l’université. Il faut réserver au plus vite les billets d’avion. Agence de voyage : quel est le billet le moins cher ? 1150 euros A/R... Fin mars. Pour pouvoir entrer au Chili il faut : un visa étudiant, (80 euros), une assurance maladie, (500 euros), un vaccin, (70 euros) ; total : 650 euros. Bilan : 1800

Mois de décembre oblige, les 2e années commencent à réaliser, dans un élan de stress caractéristique, que oui, c’est bien à l’étranger qu’ils partent l’an prochain et qu’il serait temps qu’ils décident où et comment. Avec toute la mansuétude et la miséricorde qui nous habite, nous n’allons pas les rassurer.

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7

euros à engager pour partir. C’est raisonnable, d’autant que la bourse de mobilité en finance une partie. Mais... Début avril. Mail laconique de la DAIE : “Monsieur, à compter de cette année l’Université de Conception demande aux étudiants en échange un droit d’inscription s’élevant à 1500 dollars. Veuillez nous en excuser.” 1500 USD = 1150 euros à l’époque, c’est comme payer un deuxième billet cash. Il aurait peut être fallu m’avertir avant que je fasse mes choix non ?

Plus marrant encore pour les finances, partir en stage en troisième année :

Payer plus pour travailler plus

Plus fort que Sarkozy, Sciences Po a la recette pour relancer la croissance : non plus obliger à travailler plus pour être payé plus, ni même réduire les rémunérations, mais carrément faire payer pour travailler. En effet, si d’aventure vous choisissez de passer votre troisième année en stage, vous vous acquitterez, comme d’habitude, de vos droits de scolarité à Sciences Po. Pourtant, vous ne mettrez pas les pieds de l’année dans une université, et pour ainsi dire, vous aurez payé votre droit à aller vous remuer le cul en moyenne1 quarante heures par semaine au boulot. Et le plus drôle c’est que vous pouvez très bien ne rien recevoir en retour de l’organisme d’accueil. Mais vous ne pourrez pas dire que vous n’étiez pas prévenus, c’est précisé sur le site de Sciences Po Avenir : “Certains stages sont rémunérés, bien que relativement modestement.” Quoiqu’il en soit, les élus étudiants ne seraient pas mal inspirés de s’intéresser à ce véritable scandale des droits de scolarité dans le cadre d’une troisième année passée en stage. A moins qu’il ne s’agisse de décourager les étudiants de faire des stages (pour les raisons que l’on a vues), rien ne les justifie...

On ne s’étendra pas sur les démarches à entreprendre, les trains à prendre pour aller passer en urgence son TOEFL dans des villes de perdition du nord de l’Europe, sur le boulot général de la DAIE ni sur son suivi des étudiants une fois à l’étranger. Ne vous attendez pas, par exemple, à ce que Sciences Po ne vous demande le moindre signe de vie si, d’aventure, votre ville d’accueil est secouée d’attentats pendant votre séjour. Après tout, si vous avez réussi à vous débarasser de la paperasse administrative d’avant départ, c’est que vous pourriez survivre au beau milieu de la jungle...

Une fois arrivé, l’organisme d’accueil peut réserver bien des surprises ! On pourrait évoquer longuement ces stages, souvent dans des administrations françaises à l’étranger, passés à faire du café et des photocopies, et à rédiger de temps à autres une revue de presse ou, les jours de fête, une note d’intention. D’ailleurs, ayons une pensée émue pour les braves pipoteurs partis faire un stage en amabassade de France à l’étranger (au hasard parce que c’était un moyen de partir dans un pays sans université d’accueil conventionnée), et qui, rêvant d’ouverture et de contact avec les populations autochtones, se sont retrouvés 40 heures par semaine dans un environnement franco-français-franchouillard. Mais pourquoi ne pas évoquer aussi ces universités aux modes de fonctionnement sensiblement différents à ce à quoi on est habitués en France ? Exemple parmi d’autres, ces extraits d’un réglement qu’une université connventionnée avec Sciences Po remet aux étudiants en échange :

“N’essayez pas de changer les choses”

• Habillez vous de manière non provocante, classique et propre. • Respectez la monarchie et le système de gouvernement. Vous

1 Oui en moyenne, certains pays ayant des droits du travail tout à fait charmants.

n’êtes ni électeur ni contribuable. • Avertissez l’administration de tout projet de sortie nocturne. • Ne faites pas de démonstrations publiques d’affection avec un membre du sexe opposé. • N’essayez pas de changer les choses. • Ne voyagez pas sans avertir l’administration de votre intinéraire ou de vos projets. • Ne portez pas des vêtements laissant trop voir, ou des vêtements souillés, sales, pour ensuite vous plaindre que tout le monde vous regarde.

Ca donne envie hein ?

Il se peut aussi que l’accueil dans l’université soit des plus rudes. Petit exemple chilien :

Bienvenido !

Ne vous a-t-on jamais parlé de “l’ouverture à l’international” ? A l’Universidad de Conception, au Chili, si, on s’en vante ! Le nombre d’étudiants étrangers est affiché et revendiqué, comme un label rouge pour les poulets élevés en plein air. Pourtant, côté accueil, on peut imaginer mieux sans aller très loin dans l’utopisme... Juillet 2006 : j’arrive, frais et moulu, au Chili. Nature magnifique, histoire passionante, culture captivante, gens chaleureux. Je me fais connaître à l’université, à la Direccion de Asuntos Internacionales, l’équivalent de la DAIE. Prise de contact. La secrétaire est très sympa. Elle me liste sur un fichier excel, prend mes coordonnées, imprime un papier qui me reconnaît comme étudiant en échange, et voilà tout. En guise d’accueil, on me demande de payer au plus vite les droits d’inscriptions (ceux là même que la DAIE à nous n’avait pas “prévu”). Le papier de la direction des finances qui atteste que j’ai payé les 1500 dollars me donne le droit de suivre les cours. Je demande tout de même s’il n’y a pas quelques recommandations de logement, ou, quel naïf je faisais, s’il n’existe pas de logement spécial pour étudiant. On me donne une liste de 8 adresses et contacts pour un hébergement chez l’habitant, et on me laisse dans la nature. Alors, l’accueil dans cette université est-il plutôt bidon ? Et bien non : une charmante activité de réception des étudiants étrangers sera finalement organisée 1 mois et demi après le début des cours en notre honneur et pour nous présenter l’université (que nous connaissions déjà), dans un style se parodiant lui-même dans le meilleur des mauvais goûts : faire venir “les traits typiques du folklore chilien”. Un peu comme si nous en France on accueillait les étudiants étrangers en leur servant du camembert sur de la baguette, avec un pinard du coin sur une musique de Johnny...

Et après une année à passer vos soirées sur Skype, il est déjà temps de rentrer. Le retour, tout un programme aussi. Le choc déjà, quand on remet les pieds près du boulevard Saint Germain. Rien n’a changé : tout est aussi pincé, mesquin, faux, et vous vous en rendez d’autant plus compte quand vous avez passé un an dans un environnement totalement différent. Et puis, en discutant un peu avec ses camarades revenants, on arrive vite à la conclusion qu’on est des sacrés connards en France, puisque dans chaque pays visité, le peuple aura toujours été jugé plus accueillant que les Français... Et vient très vite le blues du retour :

Tristes tropiques

- T’étais où l’année dernière? - En Amérique du Sud. - C’est vrai? Troooop chouuuuêtte ! Au pays des Indiens et des Quilapayun? Ca devait être trop bien. T’as voyagé un peu ? J’aimerais trop y aller avec des potes. On se déplace comment là bas, à dos de lama ? T’as pu rencontrer des autochtones et tout ? C’est vrai qu’ils mangent tout à

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Les Enjeux de la bibliothèque

Enquête

« Vous rêvez, allez vous faire foutre » c’est ce que les syndicats auraient déclaré aux militants de l’UNI venus demander une extension des plages horaires d’ouverture de la bibliothèque de Sciences Po. Un refus plus que radical de la part du personnel de la bibliothèque, c’est en tous cas en ces termes qu’il revient dans les bouches UNIennes, qui ne se sont pas privées de nous le répéter à l’envi…. Les membres de l’UNI, assez remontés contre ces fonctionnaires paresseux (cf. le dessin du tract de l’UNI) ont donc lancé une pétition en novembre en Péniche et comptent bien continuer à mobiliser pour la remise à niveau de notre bibliothèque, surtout que la direction « est plutôt d’accord » pour changer les horaires d’ouverture et de fermeture. Soupçonneux et curieux, nous avons décidé de mener l’enquête de notre côté...

Depuis la rentrée dernière, la bibliothèque de Sciences Po a mis les bouchées doubles en proposant de nouveaux services qui, tout de même, n’en déplaise à nos amis de l’UNI, constituent des progrès en matière d’accès à la documentation. Installés confortablement sous la couette, l’ordi sur les genoux, une tasse de café en équilibre sur le lit, nous pouvons désormais avoir accès aux ressources numériques et réserver des livres (déjà empruntés ou non) à distance. La numérisation des vieux dossiers de presse (1945 à 1970) est également une chose dont on peut se féliciter. Elle permet d’enrichir considérablement les bases de données déjà existantes. Les actuels travaux pour rénover les salles de lecture du 27 font également partie d’une politique d’amélioration de la bibliothèque...

Pourtant, ça n’est pas assez aux yeux du droitier syndicat qui récolte nuit et jour des signatures, encore et toujours plus de signatures parce que « nous on veut travailler tard tard le soir dans nos locaux chéris. » Fiers d’être la France qui se lève tôt, travaille tard et même le dimanche, nos militants convaincus se battent donc pour l’augmentation des plages d’ouverture de la bibliothèque.

Lorsqu’on considère la question de plus près, le problème ne semble pas si gigantesque : avec l’ouverture des salles de lecture du 27, les étudiants pourront rester lire jusqu’à 21h15... Pourquoi donc l’UNI fait-elle de ce problème l’affaire de tous ? Qu’est-ce qui les pousse à détrôner l’UNEF sur le podium du roi de la pétition (souvent) inutile ?

Faux conflit, vraie négociation

“Les salariés sont prêts à faire un effort...” explique une déléguée CGT au CE rectifiant dès lors une première fausse information : l’idée d’ouvrir la bibliothèque plus longtemps ne révolte personne. Pour autant, la déléguée rappelle que tout dépend des modalités concrètes d’organisation du temps de travail des agents de la bibliothèque. Voilà pour résumer la position des agents de bibliothèques, qui contestent toute tentative de “blocage” du projet d’élargissement des horaires d’ouverture de la bibliothèque. “Si on vous a dit que les agents sont contre, c’est faux !” s’indigne M. Prieur, agent de bibliothèque.

Cependant, ce projet arrive au mauvais moment : les agents de bibliothèque, via leurs syndicats, demandent actuellement une revalorisation salariale et négocient avec une direction “ouverte au

base de maïs? Et genre...ils s’habillent comme nous ou bien...? Et ils parlent quoi au fait comme langue?, l’espagnol c’est ça ? “Vamos a la playa !”

Rentré d’une destination qui ne soit pas l’Europe ou les Etats Unis, où tu es allé précisément pour échapper à la culture autocentrée de la vieille Europe et de l’arrogante “Amérique” (lire “Etats-Unis”, qui par un impérialisme linguistique dissimulé, se prennent pour le continent entier des Amériques...), c’est le genre de découverte, ou rappel, que tu devras être en mesure d’affronter...

Triste perspective : tu as vécu des choses inoubliables, fantastiques, merveilleuses même, oui c’était génial, mais tu as vécu aussi les terribles réalités sud-américaines, et personne ne te comprend. Pour les européens, les nord-américains (je me résouds donc à les appeler ainsi pour éviter de confondre les uns avec les autres), et peut être plus encore pour ces européens, l’Amérique du Sud est encore une colonie, avec ses tribus, ses “autochtones” (déclinable en “peuplades”, “Indiens”, “indigènes”, mais jamais en “habitants”...), ses paysages fantastiques à découvrir et ses richesses à exploiter, son “exotisme” et son tourisme, son côté “olé-olé” et sa non-importance au regard des critères autocentrés de l’esprit européen. La culture latino-américaine, lorsqu’elle est connue dans un minimum de détails, est dépréciée. Bah oui quoi, ils ont pas de rock anglais ni de film hollywoodiens, mais juste de la salsa, du merengue, du ciné argentin, de la poésie péruvienne, etc., que des trucs qui sont pas “corporate”, donc négligeables mais sympathiques (on en rigole avec beaucoup de sincérité, en mobilisant tous les clichés possibles plus ou moins proches du racisme d’ailleurs). Et toi, pauvre petit étudiant européen, toi qui avais réussi à te décentrer, à acquérir cette rare mais précieuse conviction par la preuve que finalement en dehors de l’Europe et des USA il peut exister un monde civilisé et aussi riche culturellement qu’un certaine culture, la plus arrogante qui soit, eh bien tu es là, face à ces personnes, parfois des amis, de la famille, qui eux, te font te souvenir que l’eurocentrisme n’est pas mort. Tu ressens alors ce sourd mais puissant sentiment, à la fois culpabilité d’appartenir à cet eurocentrisme et colère contre l’arrogance et l’ignorance. Comme pris entre deux mondes que tu aimes mais qui ne se comprennent pas, tu la ressens, cette tristesse.

Mais le plus drôle avec le retour, c’est d’observer ce phénomène qui pousse tout le monde à affirmer qu’il a passé une troisième année du tonnerre, quand bien même cela n’a pas été forcément le cas. Hors de question de laisser transparaître la moindre faiblesse, pas moyen de se retrouver dans le club des losers. Vous avez été exploité pendant un an ? Vous êtes partis en couple (vous savez, celui qui durait depuis plusieurs années) et vous revenez seul ? Vous vous êtes fait chier au fin fond de la campagne du Kent ? Vous avez déprimé sec pendant plusieurs semaines ? Pas grave, pour tout le monde, votre 3ème année ça n’aura été “que du bonheur” ! Et le déni peut parfois être tout à fait inconscient : il ne faudrait quand même pas que vous vous rendiez compte que, globalement, vous avez perdu un an.

Bon, allez, ça suffit, on en a fait assez. On va garder un peu d’optimisme (et d’objectivité) pour la conclusion : oui la troisième année ça peut être cool, ça l’est d’ailleurs la plupart du temps. Oui on est de vrais salauds à cracher dans la soupe comme ça, parceque c’est avant tout une chance cette troisième année à l’étranger. Non, elle n’est pas toute noire, loin de là2. Mais il nous semblait aussi utile

2 En Russie et au Canada, elle risque même d’être toute blanche.

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dialogue” mais qui ne lâche rien. Les agents de bibliothèque, comme les appariteurs, sont payés sur une base de 1000 euros net par mois, pour un contrat de 36h30 de travail hebdomadaire. La majorité habite loin, en banlieue, et est donc contrainte à de longs et pénibles trajets dans les transports en commun.

Si on ne peut pas véritablement parler de “conflit” avec la direction au sujet des salaires, l’ambiance n’en serait pas moins tendue, et ce bien que les syndicats - CGT y compris! - se félicitent des “très bonnes relations avec le directeur actuel [de la bibliothèque]”, et de son sens de la diplomatie sans lequel “on serait déjà en grève”. En réalité il y a une peur que cette nouvelle revendication soit utilisée par la direction: ainsi, elle serait ok pour l’augmentation de salaire mais elle négocierait en contrepartie une augmentation du temps de travail... Une idée qui parait en réalité peu vraisemblable mais qui réjouit certains membres de l’UNI...

Une organisation du travail complexe...

L’organisation du temps de travail à la bibliothèque est relativement complexe : pour couvrir toutes les heures d’ouverture en ne dépassant pas 36h30 par salarié, l’emploi du temps des agents de bibliothèque repose sur une organisation en décalé, chaque agent réalisant des plages horaires courtes ou moyennes de type 12h-19h30 le lundi, 10h30-12h30 le mardi, etc.

Ce caractère fragmenté des emplois du temps est d’ailleurs une source de pénibilité vu l’éloignement de l’habitat, et pose un problème de réorganisation du système en cas de modification des horaires. C’est pourquoi tous les syndicats (CGT, CFDT, CFTC, SNAP et les Autonomes) se sont mis d’accord pour négocier une revalorisation du pouvoir d’achat, d’environ 300 à 400 euros par mois, considérant ces conditions de travail et leur salaire en relation avec l’importance de leur travail.

Mais le salaire n’est pas le seul problème. Actuellement, les perspectives de carrière sont maigres et les agents demandent d’ouvrir les possibilités d’avancements, de promotions et de formations continues, y compris pour pouvoir avoir l’espoir d’une mobilité professionnelle et/ou sociale. Ainsi, les formations des agents de bibliothèque aux nouvelles technologies (ressources Internet, archivage numérique, etc.) mais également les formations aux langues étrangères sont quasi-inexistantes. Cet aspect primordial du métier d’agent a été tout à fait oublié par direction explique-t-on du côté de la CFDT.

On le comprendra alors, la pétition de l’UNI vient ici s’incruster en plein processus de négociation tendue entre le personnel et la direction pour obtenir une augmentation de salaire... et voilà que les écervelés de l’UNI exigent qu’ils travaillent plus ! D’où la réponse du personnel : gagner plus, oui, travailler plus, “allez vous faire foutre”! Ok pour des plages horaires élargies mais pas n’importe comment !Pourtant, sur la question de l’élargissement des plages horaires d’ouverture de la bibli, la déléguée du personnel au CE dit qu’elle comprend très bien que les étudiants veulent plus heures

d’ouverture. Mais la question que se posent les syndicats est : qui peut travailler plus et plus tard, qui veut le faire, et quelques sont les modalités pratiques de cet élargissement ?

Ce que craint en effet le personnel de la bibliothèque, c’est que des jeunes soient embauchés au SMIC (c’est à dire à moins de 1000 euros net), sur un régime différent des contrats actuels, créant ainsi un système à 2 vitesses : d’un côté des jeunes smicards exploités pour bosser aux heures les plus ingrates, et de l’autre le reste des employés, ce que, en bonne égalitariste, la CGT refuse. De plus, si il y a de nouvelles embauches au SMIC, cela risquerait de court-circuiter, ou du moins compliquer, les efforts pour obtenir une augmentation pour tous les agents de bibliothèque...

En revanche, la solution d’étudiants vacataires payés encore moins et s’occupant de ces horaires dont personne ne veut peut-être une alternative acceptable... M. Prieur nous a quant à lui expliqué que des vacataires étudiants, il y

en avait déjà et que ça ne posait absolument pas de problèmes. Et il y a quelques années également, la bibliothèque comptait un bon nombre de vacataires étudiants et l’ambiance de travail était très agréable, nous a-t-on confié.

Finalement, le problème n’en est pas vraiment un

Il suffit juste d’attendre un peu... Mi-décembre, la NAO (Négociation annuelle blabla) sera close. Et le dossier sur l’élargissement des plages horaires de toute la bibliothèque pourra être ouvert.

L’UNI s’enflamme, sans doute parce que les élections syndicales approchent et qu’ils ont trouvé le filon... Un sujet qui plaît à tout le monde et ne fâche personne... sauf lorsqu’on essaie de comprendre un peu mieux les enjeux actuels et l’actualité militante des salariés.

En réalité, nous ne pouvons pas vraiment dire si les étudiants désirent réellement des salles ouvertes jusqu’à 21 heures... Il y a des années, la bibliothèque ouvrait le dimanche et fermait tard le soir...jusqu’à ce que l’on se rende compte que les salles étaient quasi-vides et que les étudiants préféraient bouquiner chez eux bien au chaud. C’est vrai, comme dit l’UNI, que maintenant les choses ont changé : beaucoup plus d’étudiants, de matières et même d’heures de cours (ah bon? il y a 15 ans nos anciens se la coulaient donc douce... Travailler moins, vivre mieux...) et donc beaucoup plus de travail et énormément d’exposés ! Et la CFDT renchérit : même s’il n’y a pas d’étudiants le dimanche, celà n’a pas d’importance : la bibliothèque est avant tout un service !

Toujours est-il que l’UNI, plutôt que de déclencher des polémiques infondées devrait soulever de vrais problèmes : plus que l’élargissement des plages horaires, c’est la question de la place qui est posée par l’explosion du nombre d’élèves à Sciences Po. Et pourquoi le syndicat ne parle pas de l’accès aux bâtiments pour les handicapés qui sont souvent en difficultés pour entrer dans les différentes salles de lecture ?

Allez l’UNI, il y a du pain sur la planche !

Dessin du tract de l’UNI. Toujours la rhétorique de la prise d’otage...

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Et pendant ce temps, à Sciences PoProvince unie, tous contre Paris

Depuis la rentrée le gominé du 27 a décidé de lancer une large offensive. Son objectif : il ne doit rester qu’un « Sciences Po ». Les autres, les « hieupés » comme on dit, doivent être écrasés. Mais l’énergie du désespoir semble provoquer une fronde chez les vassaux du sieur Descoings.

Un concours d’entrée en première année commun aux IEP d’Aix-en-Provence, Lyon, Strasbourg, Lille, Rennes et Toulouse est en effet en passe de voir le jour. Manquent à la liste bien évidemment Paris mais également Bordeaux et Grenoble. Jusqu’ici, il existait un concours commun entre les IEP de Lyon, Aix et Grenoble, mais Grenoble en sortait comme le grand perdant car son taux de sélection était de 21% en 2006 (contre 12% en 2007 à Paris). Son directeur s’est donc en juin dernier stratégiquement déclaré dubitatif face à la pérennité de cette initiative, arguant en particulier des difficultés de gestion qui existaient déjà sur le concours des IEP du sud-est. Il a déclaré étudier la possibilité d’un concours commun avec Bordeaux. Mais à consulter le site de Grenoble, le concours sera l’an prochain spécifique à l’IEP. Bordeaux enfin ne s’oppose en principe pas à une participation future au grand concours commun, mais se pose pour le moment en observateur.

Le concours commun aux six IEP devrait être instauré dès 2008 et compter au total 1100 places pour 8000 inscriptions prévues (contre 5000 pour le concours Lyon-Aix-Grenoble), soit une moyenne de 180 places par IEP, à comparer aux 660 étudiants admis en 2007 en première année à l’IEP Paris. Les frais s’élèveront à 180 € (60 € pour les boursiers). Comparés aux coûts d’un éventuel marathon des concours (inscriptions, transport, séjour, nourriture, livre(s) à lire), les frais sont donc considérablement réduits. Toutefois, en valeur absolue, le coût d’une inscription est désormais plus élevé, et il y a des chances pour que le coût des autres concours augmente en conséquence.

Une telle contre-offensive, pour former un bloc uni face à Coin-coin illustre bien le fait que notre bien aimé directeur, après avoir pendant plusieurs années superbement ignoré la province, a décidé de lui déclarer la guerre. Nous en parlions depuis plusieurs numéro, et après quelques escarmouches (voir les brèves du numéro 9), la guerre est désormais ouverte. C’est le dernier combat, il ne peut en rester qu’un. Mais bizarrement on a comme l’impression de déjà connaître la fin.

Toutes les infos pratiques dans le communiqué de presse : http://www.sciencespo-toulouse.fr/IMG/pdf/communique_6_IEP_officiel.pdf

La Péniche prend l’eau

C’est fini, la péniche ne sera plus un lieu de vie étudiante (ce qu’elle n’était déjà pas beaucoup). Et pour cause, les fameuses tables permettant aux associations et aux syndicats de faire leur propagande (ou de vendre leurs géniaux journaux satiriques) sont officiellement retirées du lieu. Il en reste deux/trois histoire de faire encore bonne figure, mais Julien Palomo affirme qu’il n’y en aura bientôt plus du tout. Le responsable de la vie associative à Sciences Po explique qu’il s’agit d’être en conformité avec les normes de sécurité, notamment en matière d’évacuation des lieux. Et rappelle la

possibilité d’aller “tenir des tables”, comme on dit, dans les locaux sis rue de l’Université. Pas sûr que l’idée déchaîne l’enthousiasme...

Par ailleurs, les appariteurs (assez remontés ces derniers temps), se sont lancés dans une croisade contre l’affichage en Péniche en dehors des panneaux en liège prévus à cet effet. Soulignons que ces panneaux en liège sont bien insuffisants, que certaines associations (genre la notre, pourtant reconnue depuis plus d’un an) n’y ont pas d’espace dédié, etc. Et que les affiches de la direction pour les sempiternelles rencontres/débats/soirées pipo scotchées un peu partout ne sont, elles, jamais arrachées...

L’Empire contre-attaque. Les forces rebelles de l’UNI reculent.

Après avoir élargi les frontières de l’Empire aux confins de la galaxie, dans le système de “MENTON A-RABY”, l’Empereur Richie ne peut plus contenir sa force. Alors que des rumeurs indiquent que des escadrons IEP-44 se raprocheraient du système “NANTES A-FRIKA”, un ambassadeur de l’Empereur nous confirmait, vendredi 9 novembre dernier, que l’Empire Galactique est sur le point d’annexer la planète périphérique “CRETEIL B-IOETIC”!

Sur son blog, l’ambassadeur personnel de l’Empereur diffusait son discours officiel auprès du journal galactique “Les Echos” de la planète LV-MH. On pouvait y lire les justifications que l’Empereur donnait aux naïfs habitants de cette planète à l’annexion de “CRETEIL” et sa transformation en base bioéthique de 1er cycle.

Immédiatement, de nombreux rebelles habitants du système SCPO-VIIe ont réagit, comme l’atteste le même blog. On y trouve notament la brillante intervention de la jeune padawan “Non” qui livre toute sa haine et son désespoir de penser qu’un jour l’Empire pouvait s’abandonner à un crime si fort : se rapprocher des universités publiques, et, pire !, dépasser le dangereux et sombre périph ! Appelant alors à la Force pour combattre contre l’extension de l’Empire, elle propose de fermer les frontières FNSP et de ne plus y laisser entrer qu’un nombre sélectionné (par ADN pour éviter que les keums de l’extérieur du périph entrent dissimulés sous des faux airs de IEP-VIIe) de personnes pour retrouver la pureté originelle de quand l’Empire était formé de gens de la même classe.

On comprend mieux cette jeune padawan quand on sait à quel point les forces rebelles de l’UNI sont accablés par cette nouvelle : ils avaient à peine pu encaisser les conventions CEP, ce qui créa d’ailleurs une scission entre les forces alliées car une partie des troupes a rejoint l’armée de l’ombre “RED” (et ses X-Wings redoutables)...

Pour plus d’information : http://richard-descoings.net/index.php?2007/11/09/220-une-interview-dans-les-echos-au-sujet-du-projet-de-campus-a-creteil

Sauvons la recherche (du profit)

Sur le magnifique blog de Richie Coin Coin, a été posté un article formidable sur l’avenir de la recherche à Sciences Po. Notre maître à tous s’y pose en défenseur des sciences humaines face aux tentations de “changer les disciplines de recherche”, notamment en faveur des “sciences” manageriales, très en vogue en ce moment.

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Encore une posture pas trop délicate à tenir, qui ne mange pas (trop) de pain et qui fait du bien à l’image.

En revanche, un commentateur habituel du blog nommé “PEG” reprend, plus pragmatique : “Changer de disciplines de recherche, non. Par contre, se réorienter sur celles qui permettent d’apparaître à votre juste mesure dans les classements internationaux, oui. L’économie en est une, naturellement. Les sciences du management en est une autre. Mais si je devais “choisir” une zone sur laquelle Sciences Po devrait se concentrer, pour y devenir en dix ans le premier centre européen de recherche dans ce domaine, ce serait... les mathématiques.”

Ses voeux pourraient être exaucés. Grâce à la L.R.U de Pécresse, les universités pourront librement “réorienter les disciplines de recherche vers celles qui permettent d’apparaître à sa juste mesure dans les classements internationaux” : aux oubliettes la philo, la socio, la psycho et tout ces trucs en -”o”, et bienvenue aux disciplines cash telles que $management$, $finance$, $sciences de l’entreprise$, et pourquoi pas celles à créer telles que la science de la vie de l’entreprise, la philobankologie, la psychologie des managers, etc.

A Sciences Po on n’est pas en reste et on a compris : une commission est en train de penser une refonte de la recherche. Ses conclusions seront, d’après nos indics, qu’il faut, qu’il “est nécessaire dans le contexte actuel de l’économie du savoir globalisé” que la recherche à pipo soit organisée par le régime de la libre concurrence entre les chercheurs et programmes de recherches : fonctionnement par appels d’offres, multiplication des contrats courts de recherche, obligation/”forte incitation” à publier en anglais, instauration de règles de mesure de la productivité et contrôle ce celle-ci (taux de publication dans les revues, nombre de livres publiés, etc.)...

Voilà qui devrait remédier, pour sûr, à la crise de confiance à l’oeuvre dans la recherche en France, et qui devrait par conséquent attirer encore plus d’étudiants vers ce domaine...

A la Catho, la politique on en a cure

On vous avait parlé du projet d’il y a quelques années de créer à Nanterre un second IEP parisien, concurrent de la rue Sa in t -Gu i l laume, projet qui avait été discrètement mis sous le tapis après les interventions de qui il fallait (voir la notice “Les Cycles délocalisés : la

banlieue” du n°8). On croyait Richie définitivement maître de l’Île-de-France, contrôlant les banlieues classées en ZEP par ses Conventions d’éducation prioritaire, ou créant un nouveau campus à Créteil (voir plus haut).

Mais voilà que, rebondissement hollywoodien, l’Institut catholique de Paris entre sur le ring en annonçant à la fin novembre la création d’une institution concurrente. Mais attention, la Catho se montre plus maligne que les gauchistes de Nanterre et

n’annonce pas la création d’un Institut de Sciences Politiques, mais d’un Institut de Sens politique. Ca sent bien l’inspiration divine après une soirée au vin de messe, cette idée... et on ne doute pas qu’à cette nouvelle les médias seront unanimement touchés par la grâce.

On retrouve là la vieille frustration du clergé de ne plus contrôler nos dirigeants. En 1875, quelques années seulement après la création de “l’Ecole libre des sciences politiques”, les Jésuites avaient déjà tenté d’acquérir une part de contrôle sur la formation de la future élite du pays en créant la conférence Olivaint qui existe toujours aujourd’hui (mais n’est plus confessionnelle). Aujourd’hui, la Catho a donc reçu une sainte illumination : pourquoi pas tout simplement créer une institution concurrente ? Que Dieu leur vienne en aide.

Les Arméniens et les Kurdes ne seraient plus les têtes de Turcs de Sciences Po

On s’inquiétait de ne pas voir la chaire Turquie apparaître dans la liste disponible sur le site de Sciences Po (http://www.sciences-po.fr/entreprises/chaires.htm). Il semblerait selon une source que ce projet soit en passe d’être purement et simplement abandonné.

Nous vous avions rapporté dans le numéro 9 les propos d’un responsable de la BNP tenus à l’occasion de l’annonce de l’ouverture de cette chaire que la banque avait décidé de sponsoriser. Ses déclarations, pour rappel, minimisaient pour le moins le génocide arménien et la politique anti-kurde du gouvernement turc, avec une rhétorique digne des meilleurs discours révisionnistes.

Faut-il y voir un lien ? Nous ne serions pas assez malhonnêtes pour le laisser penser... Mais à moins que la direction ne démente cette information, nous ne pouvons que signaler cette intéressante corrélation.

Des scissions à défaut de décisions

Vous vous souvenez bien sûr de tous ces clowns en T-shirt orange qui s’imaginaient en avril dernier changer la politique en soutenant un pion du système. Après la magnifique troisième place du renégat Bayrou, on a pu juger de sa capacité de ralliement en mesurant à quelle vitesse il s’est retrouvé tout seul. A Sciences Po, toujours dans cette optique centriste de ne blesser personne et d’éviter de choisir, la section (non officielle) de l’UDF s’est maintenue sous le nom de “UDF - Union centriste”.

Mais brutalement, les petits centristes se sont rendus comptes qu’ils ne vivaient pas exactement au pays de Casimir, et que le partage du gloubi-boulga ne se faisait pas si facilement. Malgré l’exacte similitude entre leurs non-projets, les deux camps ne sont pas parvenus à s’entendre. A été votée à 80% la création de deux tendances au sein de l’association, chacune dirigée par un responsable différent. En simplifié, les shadoks du haut seraient les membres du Nouveau Centre et les shadoks du bas ceux du MoDem. Mais l’espérance de vie d’une telle absurdité n’a pas été bien longue et c’est désormais semble-t-il (car rien n’est jamais clair à l’UDF) uniquement au parti de Bayrou que l’association se consacre, après avoir été renommée “Modem et centristes”. Adrienne Brotons, ancienne présidente de l’association, le précise elle-même : le terme “centristes” signifie que la section est “ouver[te] aux « hésitants » (sic)”.

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A force de se battre, les centristes de Sciences Po ont fini par en venir à étaler leur linge sale sur la place publique. On trouve ainsi tout cela sur un blog sobrement intitulé “Nicolas VINCI vous écrit, lisez-le !”. Nicolas Vinci est une personne qui a cette capacité exceptionnelle de parler naturellement de lui à la troisième personne, qui rappelle à chacun que “Nicolas” comme “Vinci” signifient étymologiquement “victoire”, qui est persuadé qu’il sera président de la République d’ici quelques années... Bref, un homme sympathique. Or, il se trouve que M. Nicolas Vinci a décidé d’annoncer au monde qu’il quitte l’Union Centriste (http://nicolasvincionline.blog.lemonde.fr/2007/11/11/quitter-ludf-sciences-po-les-raisons-dun-choix-qui-me-coute). C’était là le prétexte au déclenchement d’une guerre picrocholine des plus savoureuses. Il se plaint par exemple d’avoir été viré du groupe Facebook (horreur !), Nicolas Defrenne lui lance au visage qu’il n’est qu’un “petit arriviste insipide” (pourquoi diantre serait-il entré à l’UDF sinon ?), etc. Les échanges fusent et chacun finit par s’oublier...

Si vous avez du temps à perdre, n’hésitez pas à aller vous payer une tranche de franche rigolade sur le blog de quelqu’un qui en a “marre de [se] regarder le nombril” !

Vinci soit-il

Signalons à notre avisé lectorat que la brève concernant la guerre picrocholine au sein de l’Union centriste pipoteuse a fait l’objet avant même la parution d’un mail du principal intéressé Nicolas Vinci, qui avait pu lire le wiki sur lequel nous préparions le numéro 10 d’IVV sans prêter il est vrai grande attention à la confidentialité de nos travaux.

Nicolas Vinci, donc, puisque c’est de lui qu’il s’agit, nous a prévenu, irrité qu’il n’avait pas aimé la brève le concernant, et, tout en suggérant sans le suggérer qu’on pourrait la supprimer, a demandé le nom du rédacteur de ces lignes. Il convient de rappeler que ceci va à l’encontre de la politique rédactionnelle selon laquelle nous publions comme groupe, avec un directeur de publication chargé d’assumer tout ce qui est publié. Ce qui est en partie lâche mais évite justement la personnalisation du conflit (on voit où cette dernière peut mener en lisant la notice « Nouvelle Donne » du numéro 8).

En réponse à une demande sur ce qui motivait cette ingérence dans le processus rédactionnel (et non après publication), ce qui volontairement ou non impliquait une menace pour la tranquillité de nos travaux, le sieur Vinci a avancé qu’il voulait que son prénom soit ajouté devant son nom, de peur d’être confondu avec quelqu’un d’autre. Il y avait pourtant bien assez d’élément pour éviter toute confusion, en particulier avec Jean-Philippe Vinci, maître de conférence en Enjeux Politique, et le prénom apparaissait lui-même à 3 reprises. Mais comme 2 occurrences de plus n’allaient pas en changer le contenu, la brève a été modifiée dans ce sens, pour contenter cet étudiant irrité.

Un coup de barre ?

Le 29 novembre dernier, on peut dire que le directeur de l’IEP de Grenoble a frappé fort. Olivier Ihl, c’est son nom, entreprend en ce froid matin d’automne de déloger une cinquantaine d’étudiants qui entend tenir un blocage de l’édifice comme c’est le cas depuis déjà deux semaines. Accompagné de la concierge qui tient trois chiens en laisse, il prévient : il va les lâcher et ils n’ont pas mangé depuis deux jours ! Ce qu’il fait, sans grande conséquence puisque visiblement les chiens ne sont pas des chiens d’attaque.

Mais Ihl est très énervé, il veut assurer le respect de la liberté d’aller et venir, et puis de la liberté d’étudier, et puis, euh, la liberté d’ouvrir les portes. Nicolas Sarkozy ne déclarera-t-il pas le soir même que le concept d’une grève étudiante est absurde ? Il faut donc comprendre le pauvre Olivier qui se retrouve avec devant lui une barricade qui ne devrait pas exister, ce n’est pas possible, zut !

Courageux, brave et vaillant, il entreprend de la défaire seul, sous les yeux des étudiants. Une stratégie objectivement stupide, mais mettons cela sur le compte de l’adrénaline. Réalisant son échec, Ihl décide tout d’un coup de brandir une structure métallique de poubelle qui faisait partie de la barricade et tente à deux reprises de frapper au visage un étudiant. L’ambiance monte d’un cran. Voyant qu’il ne pourra pas assommer tous les étudiants présents, Ihl s’écrie qu’il a reconnu les visages et qu’il y aura des sanctions disciplinaires.

Devant la caméra de France 3, Olivier Ihl déclare avoir agi en héros. Il dénonce d’ailleurs la présence de ces dangereux émeutiers “munis de barres de fer” (de jeunes anarchistes violents, assure-t-il, comme il est d’usage dans ces cas là) et décide de porter plainte contre les étudiants pour coups et blessures. Ihl est en effet allé faire constater à la médecine du travail les blessures qu’il s’est probablement fait en maniant sa barre de fer.

En 2005, pendant le mouvement anti-CPE, Olivier Ihl s’était d’après témoignage déjà illustré par une “bousculade appuyée” contre une chaîne humaine pacifique, arrachant au passage la boucle d’oreille d’un étudiant. Un véritable enfant de choeur on vous dit !

Ce que le directeur ignorait probablement, c’était que France 3 avait filmé les événements, et particulièrement le moment des attaques gratuites (http://www.dailymotion.com/video/x3ma5t_deblocage-du-campus-de-grenoble-par_news). Un peu moins d’une semaine plus tard, Olivier Ihl faisait des excuses publiques lors d’une assemblée générale (http://www.dailymotion.com/video/x3nnp8_olivier-ihl-jai-perdu-mon-sang-froi_news).

Un IEP en Guyane ? Kourou chez les sportifs !

Notre glorieuse ministre de l’Intérieur Michèle Alliot-Marie pourrait dans les mois qui viennent donner son accord pour la création d’un IEP outre-mer, potentiellement en Guyane. Idée intéressante, mais qui risque de poser des problèmes à nos chers amis des AS/BDS pour organiser les futurs CRIT...

Cours sur le court

Les grandes universités américaines ont un moyen de se faire de l’argent facilement : le sport étudiant. Tel match, de basket par exemple, va se révéler très rentable, et pas seulement au plan de la réputation car les étudiants sont prêts à payer pour le show. Les ligues professionnelles recrutent en effet à la sortie et la qualité est au rendez-vous. Il suffit de citer l’exemple de Michael Jordan qui à l’Université de Caroline du Nord remporte (avec son équipe, hein) en 1982 le trophée de la National College Athletic Association puis obtient la médaille d’or aux JO en 1984 avant d’être recruté lors de la draft de la NBA par les Chicago Bulls.

A Sciences Po, on aime tout ce qui est modèle américain et on aime l’argent. Donc on a décidé de faire pareil. Sauf qu’au lieu

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de profiter du potentiel sportif des étudiants et des retombées pour l’université lorsque celui-ci commence à devenir célèbre, on fait exactement l’inverse : on prend un sportif de haut niveau déjà connu et on le remet au boulot, ce fainéant. Il s’agit de préparer la retraite sportive. C’est tout de suite moins djeunz et plus pantouflard.

Qui imagine Paul-Henri Mathieu se mettre au droit public pour rivaliser avec feu le doyen Vedel ? C’est pourtant ce qui est en train de se passer, même si comme le précise Arnaud Lagardère ce sera plus de la finance, “parce qu’on peut y gagner énormément d’argent (sic)”. Avec 16 autres sportifs, surtout issus du tennis, voilà donc une promotion Jean-Luc Lagardère, puisque c’est la fondation de feu le grand patron qui a négocié avec Sciences Po et qui payera (avec deux autres sponsors) les 300 000 € par an que coûte la formation pour chaque sportif. Même si l’IEP promet un vraie formation académique, on imagine que malgré les épreuves de validation, le jury aura du mal à faire redoubler Richard Gasquet et consorts. Papa Gasquet exprime d’ailleurs son soulagement : “J’avais décelé un vide, chez Richard, qui avait arrêté ses études. Un jour, je l’ai entendu écouter un morceau de rap, alors on s’est dit qu’il fallait faire quelque chose.”

On attend la note de frais des travaux d’aplanissement du jardin pour en faire un court façon Wimbledon.

Cherche professeur d’économie désespérément

Chacun s’interroge sur qui prendra la suite d’Etienne Wasmer dans la tenue du cours d’analyse économique de premier cycle. Parmi les profs établis de Sciences Po, on ne se bouscule pas pour reprendre ce qui était censé être une vitrine de Sciences Po, ce cours prestigieux donné par le grand Dominique Strauss-Kahn. Ni Jacques Généreux ni Didier Schlachter ne sont vraiment désireux de reprendre le poste. Pourquoi ? Certaines mauvaises langues disent que c’est parce que le niveau de ce cours est peu motivant intellectuellement, pour rester poli. A tel point que Wasmer se serait dévoué pour renquiller.

Que les étudiants le disent... mais que les profs le pensent ! Les générations d’étudiants obligés de repasser ce cours n’en ont que plus la rage au cœur. La révolution gronde, monsieur Descoings.

La culture, ça fait mal à la tête

Sciences Po se vante d’avoir à disposition la plus grande base documentaire en sciences politiques d’Europe continentale

(prononcer “continentale” à voix basse). Mais l’école de l’excellence a comme du mal à choisir les bonnes priorités : gonfler le budget des frais de bouche aux dépends du budget social par exemple (voir numéro précédent), mais aussi et surtout prévoir des projets pharaoniques très rentables au plan médiatique (venir à bout du déterminisme social, entre autres), mais qui éclipsent des nécessités plus directes.

L’IEP commence un peu à se pencher sur les lacunes des ressources à la disposition des élèves, et ce n’est pas plus mal. Enfin Sciences Po a consenti a payer pour permettre qu’une petite série de bases de données comme JSTOR soient désormais consultables par Internet de chez soi. Pour une fois, réjouissons-nous donc un peu ! Les détails des bases de données disponibles à distance sont sur le site Internet de la bibliothèque (http://bibliotheque.sciences-po.fr). Sciences Po en a profité pour payer un coup de jeune au moteur de recherche du catalogue. C’est qu’il sent l’argent frais arriver le Coin-coin avec sa nouvelle politique de mécénat dont il a pu parler dans tous les journaux.

A signaler sinon que la bibliothèque de Nancy dispose de bandes dessinées en libre accès, mais que Pif le chien en est désespérément absent. Il s’agit là bien entendu d’un exemple caractérisé de censure politique !

SPSS, SS

SPSS, pour Statistical Package for the Social Sciences, est un logiciel utilisé par les chercheurs du monde entier dans le traitement de données statistiques. Vous croyez que tous les graphes et tableaux dans les bouquins sont faits par les chercheurs ? Que nenni ! C’est SPSS qui fait tout ! Concrètement ça ressemble à un fichier excel mais puissance 12 000, et de loin on dirait un peu la “matrix” avec tous ces chiffres en cascade. C’est aussi un joyeux bordel organisé, car il y a énormément de fonctions, d’outils, de calculs possibles, et aussi une syntaxe très particulière qui ressemble à un langage d’agent secret (”recode cntry (’FR’=1) (’GB‘=2) (else=sysmis)...).

Mais malgré sa complexité incroyable, c’est quand même le meilleur outils du sociologue pour le traitement et surtout l’analyse des données quantitatives, des sondages par exemple, des enquêtes statistiques surtout. Or, SPSS (prononcer “SP$$”) c’est aussi le nom de l’entreprise qui a conçu et qui commercialise ce produit... et la bougresse n’arrête pas d’augmenter tous les ans le prix de la licence pour ce logiciel, qui devient aujourd’hui très coûteux.

A tel point que Sciences Po envisage peut être - selon nos indics - de ne plus payer cette licence, autrement dit, de ne plus utiliser ce logiciel... Les chercheurs, les doctorants et les étudiants du master recherche sont, vous l’aurez deviné, assez perplexes quant à l’avenir de leur travail... Si on leur sucre le logiciel sur lequel ils bossent et sur lequel ils ont des cours pour apprendre à le maîtriser, les parents pauvres de Sciences Po risquent bien de péter une durite!

Pour éviter le spectacle de scribouillards à lunettes et écharpe rouge vociférant “Bourdieu, avec nous, les chercheurs sont dans la rue” sur le boulevard Saint Germain, nous invitons la direction de Sciences Po à consacrer 2 ou 3 deniers de plus pour acheter la nouvelle licence de ce logiciel en janvier 2008... quitte à enlever quelques euros au budget frais de bouche.

“Putain, c’est quoi déjà la courbe IS-LM ?”

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Au paradis de Milton FriedmanEt si je passais ma 3ème année au Chili ?

Autonomie, liberalisation, compétition. C’est ce qui pourrait être inscrit au frontispice de la Commission Européenne, qui, grâce à la Stratégie de Lisbonne (2000), souhaite faire des universités de l’Union le système le plus compétitif du monde sur le marché de la connaissance en boîte (d’ici à 2010).

A l’heure où en France le gouvernement sarkozien tente, pour l’instant avec succés, de démanteler l’Université publique de la République pour rapprocher la France des positions du fou Lamy1, de l’autre côté du monde, au Chili le gouvernement de centre gauche dirigé par la Présidente “socialiste” Michelle Bachelet tente de réformer le système éducatif fondé par la dictature militaire et les diktats idéologiques de Washington et Chicago (école de).

Après un an d’expérience sur place, je peux témoigner. Témoigner d’une (triste) compréhension de la logique libérale poussée à son paroxysme. Témoigner des rapports intimes qu’ont éducation, démocratie, et développement. Témoigner pour les millions d’étudiants de là-bas, prisonniers de la geôle construite par une génération de militaires, idéologues et professionnels de l’ultralibéralisme. Témoigner pour ceux qui, en France et à Sciences Po, pourraient encore penser que cet ultralibéralisme est porteur de démocratie, de liberté, et d’humanité.

Un système éducatif à faire pâlir (encore plus) Milton Friedman.A quoi peut donc ressembler un système éducatif ultralibéral?

Le système éducatif chilien brille par son côté corporate, puisque une part considérable de ses activités est laissée en pâture au privé, ainsi que par son élitisme malthusianiste, puisqu’il est entièrement sélectif, écoles et lycées municipaux exclus (dans les deux sens du mot d’ailleurs...).

• Enseignement supérieur. L’État possède 16 Universités, dont 6 réellement importantes, et ne finance directement que quelques universités (9) dites “traditionnelles” mais qui restent privées.

Dans les universités publiques, l’éducation n’est pas gratuite, mais bien moins chère. Les universités “traditionnelles” sont des universités privées qui reçoivent une subvention de l’État pour leurs bons résultats et leur politique sociale. Mais ces 25 universités (16+9) ne sont pas la majorité des universités.

Il existe par ailleurs 36 universités privées (non “traditionnelles”), soit 59% de l’enseignement supérieur chilien, (si l’on ajoute les 9 privées “traditionnelles” cela fait 73%). Ces dernières sont extrêmement chères pour le niveau de vie local (1 000 à 10 000 euros et plus par an et par étudiant, selon les universités, les facs, puis les spécialités), pour une qualité qui reste à évaluer. La plupart ne sont pas réputées (voire très mal réputées) pour leur qualité, mais ont des moyens.

1 “L’Education et la santé sont mûres pour la libéralisation”, Pascal Lamy Le Monde, le 28/01/2003.

Pour entrer à l’université il faut passer à la fin du lycée la “PSU” (Prueba de Selección Universitaria ou test de sélection universitaire). Chaque université fixe un pourcentage de bonnes réponses nécessaire à l’entrée dans telle ou telle faculté et telle ou telle filière (sociologie, ingénierie mécanique…).

En volume de fric, et selon l’OCDE (2004), la part du financement privé des universités chiliennes atteint 84,5% du financement total consacré aux universités (seulement 15,5% de financement public) - à titre de comparaison en France les chiffres sont respectivement de 16,1% et 83,9%, et aux USA de 64,6% et 35,4%.

• Enseignement primaire et secondaire. Dans l’enseignement primaire et secondaire, l’État n’a aucune place. C’est aussi simple que ça. 0% de l’enseignement primaire et secondaire est pris en charge par l’État. Ce qui ne veut pas dire que 100% de celui-ci soit privé, car les mairies se chargent des écoles/collèges-lycées publics2.

Oui vous avez bien entendu : les mairies ! Une loi organique et constitutionnelle (faite par la Junte militaire) prévoit que ce n’est plus l’État, mais les municipalités, qui devront financer l’enseignement primaire et secondaire public, sans aide ou soutien de l’Etat (qui n’a pas d’argent c’est bien connu). Ce qui est une aberration totale car il est évident que 1) les mairies n’ont pas du tout les moyens de financer un tel système public, et 2) il y a d’énormes différences entre une école publique de Santiago (la capitale) et une école de la ville la plus pauvre du pays.

Le système public est une catastrophe réelle. Une prof d’un lycée public d’un quartier pauvre de Concepción (troisième agglomération du pays) m’a dit que les “gosses” (de 15 ans) sont à 60 par classe, que les agressions/insultes contre les profs sont quotidiennes, qu’il y a au moins un gosse par classe avec une arme blanche, et enfin que les programmes sont très “légers” (euphémisme pour ne pas dire qu’on ne leur apprend rien). Et pour avoir vu la façade de ce lycée, je peux vous garantir que cela ressemble plus à une usine désaffectée qu’à un lycée.

La majorité de ces élèves ne finissent pas leurs études secondaires ou ne continuent pas après la terminale. En revanche ces établissements sont par la loi gratuits.

Parallèlement à ces établissements, et comme si on avait passé une frontière, il y a les établissements privés (approximativement 85% ou 75% du marché du secondaire). Ce qui signifie aussi religieux, car pratiquement tous les établissements/entreprises d’éducation primaires ou secondaires sont d’une confession, ou francs-maçons. Tous ces lycées sont relativement chers, et plus ils sont réputés, plus ils font payer cher.

Qui fonde ces collèges, lycées ou écoles ? Réponse : n’importe

2 Il n’existe pas de distinction entre le “collège” et le “lycée”, ces deux institutions ne formant qu’un seul “colegio” (”enseñanza media” de la 5e à la Terminale), et souvent les “colegio” font aussi école primaire (enseñanza básica).

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qui, il faut juste avoir 18 ans ou plus, et un casier judiciaire vierge. Les formalités administratives sont très légères. Ce sont les mêmes formalités que pour ouvrir n’importe quelle entreprise.

• La formation des professeurs. Quand on voit comment sont formés les profs ont ne s’étonne pas du résultat. C’est la logique inverse à celle française : en France les profs sont parmi les meilleurs dans leur matière, grâce aux concours nationaux (personne ne peut donc s’improviser prof’).

Au Chili ce sont les moins bons qui deviennent prof. Pour être prof, il suffit d’être titularisé par une faculté d’éducation (de n’importe quelle université), soit 5 ans d’année d’études (équivalant à un niveau licence). Et c’est tout. Toute personne sortant diplômée d’une faculté d’éducation peut être prof [NB : il en est de même pour tous les autres corps de métier : pour être médecin il suffit de sortir d’une fac de médecine avec un titre, peu importe le sérieux de celle-ci].

Or pour entrer en faculté d’éducation, il ne faut pratiquement rien, c’est une des facultés, toutes universités confondues, qui exigent le moins de points à la PSU (sinon celle qui exige le moins de points). Autrement dit, ceux qui n’arrivent pas à entrer là où ils voulaient entrer, vont en fac d’éducation. Il y a bien sûr des gens qui choisissent de faire prof et d’y entrer, mais c’est une minorité. Il y a bien sûr des facs d’éducation de qualité, mais c’est aussi une minorité. Enfin, les profs titulaires sont mal payés, et jouissent d’une très faible reconnaissance, d’aucun prestige, sinon celui du courage.

• “Liberté d’enseignement” : concurrence pure et parfaite. Enfin, il n’existe pas ou peu de contrôle de l’État dans le domaine de l’enseignement. Ce qui signifie que tout établissement/entreprise d’éducation peut faire ce qu’il veut. Il y a juste un programme cadre car l’examen national de fin d’études secondaires, la PSU, a un programme défini des thèmes et matières proposées au test.

Il n’y a pas d’obstacle non plus à l’enseignement religieux, spirituel ou ésotérique. En conséquence, les établissements/entreprises d’éducation à caractère religieux ou spirituel fleurissent (exemple : Universités catholiques obligeant la validation de cours de théologie et “d’éthique” dans toutes leurs facultés, lycées ou universités francs-maçons, adventistes…).

Les Églises protestantes évangéliques ou celle mormone n’ont pas encore une présence forte dans ce marché (la concurrence de l’Église catholique est très rude : 6 universités parmi les 9 traditionnelles, dont une, La Pontificia Universidad Católica de Chile, liée au Vatican, et classée 2nde du pays). Un cas est particulièrement exemplaire : la Universidad de los Andes, basée à Santiago et possédée par l’Opus Dei, propose une licence en « Administration de Services » uniquement pour les femmes… En fait une licence de femme-au-foyer où l’on y apprend – en plus de la théologie pour bonnes – que « le service est une vertu de la femme »3...

La revendication d’une confession peut être inscrite dans une stratégie commerciale (capture de clientèle, image marketing),

3 Pour plus de renseignements : http://www.uandes.cl/ver_articulo.asp?id=83&seccion_padre=457&id_seccion_instanciadora=457 et un article de Carolina Rojas dans La Nación : http://www.mujereshoy.com/secciones/2673.shtml

tout comme l’est l’actuelle expansion des “collèges spéciaux” n’accueillant que des élèves handicapés ou “en difficulté scolaire”, sorte de nouvelle niche lucrative du marché éducatif.

De la démocratie en Amérique (du Sud)...

L’actuel système éducatif chilien a t-il été crée et voté par un régime exprimant le souhait de la majorité des citoyens ? Non. En réalité, l’actuel régime dit “démocratique” a bien entériné la Constitution qu’ont fait les militaires, et donc accepté par vote le système éducatif qui avait été créé sous Pinochet. Car ce système éducatif a bien été bâti par le dictateur Pinochet et ses acolytes. La dictature étant officiellement terminée en 1990, on aurait pu attendre ou espérer que le retour de la “démocratie” modifierait, remettrait en question, changerait ce système. A part quelques retouches esthétiques, pratiquement pas.

En effet la L.O.C.E (Loi Organique et C o n s t i t u t i o n n e l l e d’Éducation) fut dictée par la Junte militaire le 7 mars 1990, et entrée en vigueur le 10 mars 1990, soit le dernier jour avant “la transition” à la démocratie et la fin de la dictature.

La loi fondant le système éducatif chilien encore aujourd’hui a donc été improvisée à 3 jours de la fin du régime ! De plus le dictateur lui a donné un statut de loi “organique et constitutionnelle” ce qui en termes juridiques signifie qu’on ne peut la modifier qu’en touchant à la Constitution et par conséquent, qu’en réunissant beaucoup de conditions exigeantes (majorité qualifiée au Parlement, etc.), voire impossibles à réunir dans la pratique. On peut alors s’interroger sur les raisons de cette stratégie, et sur le système politique chilien lui-même. Car la question de l’éducation est directement liée à celle de l’exercice et de la conception de la démocratie.

• La démocratie prise dans la geôle constitutionnelle. La Constitution a été réalisée par la junte militaire et soumise à un “plébiscite” le 11 sept. 1980. Le plébiscite l’approuva avec un très faible nombre d’opposants, mais il convient alors de rappeler qu’il n’y avait pas de registres électoraux (supprimés), et que l’opposition officielle était interdite de campagne, tout comme il était interdit de se réunir, et que la liberté d’opinion était “restreinte pour les impératifs de la sécurité nationale”. Par ailleurs des “électeurs” de l’époque racontent aujourd’hui que les bulletins disant “non” étaient soit considérés comme nuls, soit réécrits en “oui” par les militaires qui s’étaient généreusement chargés du dépouillement des votes...

Cette Constitution a été rejetée d’abord, puis approuvée ensuite par les principaux partis de “gauche” (PS, radicaux, et Démocratie Chrétienne). C’était une des conditions, avec la garantie tacite de l’impunité des militaires de la Junte, pour que la Junte accepte de rendre le pouvoir. Immédiatement approuvée par les partis de droite qui aujourd’hui s’opposent à toute modification, cette constitution reste aujourd’hui rejetée par le Parti Communiste et les autres mouvements de la gauche extraparlementaire qui appellent à une nouvelle constitution.

Celui là je leur ai mis bien profond...

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La Constitution rédigée par le dictateur est donc devenue la Constitution de la dite “démocratie” depuis 1990. Celle-ci pose un principe fondamental régissant les rapports de l’État avec la société. C’est le principe de subsidiarité. En clair : l’État ne doit intervenir que si le secteur privé et particulier ne prend pas en charge un secteur du marché. Exemple : si le secteur privé ou particulier (associations, individus...) ne s’occupe pas d’un secteur du territoire trop pauvre pour construire une route goudronnée le désenclavant, alors, et seulement dans ce cas, l’État peut intervenir pour la construire. Idem pour la santé, l’éducation, la sécurité, les prisons, le logement, etc. La fiscalización étant le concept et le procédé par lequel un pouvoir public (qui peut être une commune) “chapeaute”, contrôle, l’activité des acteurs privés ou institutionnels sur un terrain donné.

Il n’aura échappé à personne que ce principe est un principe classique et idéal d’une économie de marché à idéologie libérale, et est promu par l’école de Chicago, les monétaristes et Milton Friedman en économie, par la droite “libérale” ou “néo-libérale” en politique.

Lorsque l’on parle de “trop d’État”, cela se base sur ce même principe et sur l’idée que les secteurs privés font mieux que l’État, et que ce que fait l’État à leur place “coûte trop cher” [cf. rhétorique du sarkozysme]. Ainsi donc, au Chili, du fait de la Constitution fabriquée de toutes pièces par la dictature, l’État n’a légalement pas le droit d’intervenir dans la société, sauf dans le cas précis où le secteur privé ne développe pas d’activité dans un secteur on l’on juge nécessaire qu’il y ait activité. Par conséquent, et cela paraît évident, il n’a encore moins le droit d’intervenir dans les affaires du secteur privé. L’État chilien est donc condamné par cette constitution issue de la dictature à se limiter aux fonctions régaliennes : sécurité intérieure et extérieure (police et armées), appareil répressif (police et justice), appareil légal (rédiger les lois).

Ce n’est pas un hasard si c’est la dictature de Pinochet qui, ayant renversé le Président Allende avec l’aide des partis de droite et des USA (CIA), a instauré ces principes économiques dans la constitution du Chili. Car après le coup d’État du 11/09/1973, les USA ont envoyé nombre de “conseillers” formés à l’école de Chicago (les fameux “Chicago boys”) afin d’aider Pinochet à “rétablir le pays”. Également car les partis de droite qui le soutenaient étaient des partis d’entrepreneurs, d’indépendants et de commerçants (c’est sociologiquement la composition grossière - car c’est un peu plus complexe que cela - des partis de droite à l’époque).

• Pays en voie de sous-développement cherche démocratie sociale. Le fait qu’un pays ait choisi la voie de l’ultralibéralisme n’est pas en soi un problème. Là où cela devient particulièrement problématique (et adémocratique) c’est lorsque ce pays ne l’a pas choisi, et pire, ne peut pas rectifier ce non-choix. Le cas chilien est exemplaire dans ce domaine, mais absolument pas unique.

Au Chili, le drame de la démocratie, ayant des répercussions directes sur l’éducation, le développement social, et la vie des gens, c’est précisément qu’une dictature militaire associée aux secteurs politiques et sociologiques de droite ainsi qu’à Washington-CIA et Chicago-FMI, a imposé une organisation sociale et politique sans laisser les moyens légaux de pouvoir la changer. Et pourtant les

enjeux que doit affronter une société comme le Chili sont à la hauteur du drame démocratique qu’elle connaît. C’est là où se rejoignent organisation politique et développement social. Pauvreté, misère, chômage de masse, précarité de masse, inégalités de droit comme de richesse, droits de l’homme et du citoyen, bidonvilles, accès aux soins, accès à l’éducation supérieure, sont autant de sujets qui étaient posés en 1973 et restent encore posés aujourd’hui en 2007.

Malgré les 17 années de « démocratie », les rapports de distribution des richesses sont restés à peu de choses prés, les mêmes. Ainsi, si en 1990 les 10% les plus riches de la population détenaient 45% de la richesse nationale, en 1996 ces 10% en détenaient 45,5% (source : base de donnée CASEN, INE, Gobierno de Chile) – les chiffres pour 2006 montrent cependant une légère inflexion. Et ceci alors que le Chili a connu des taux de croissance du PIB atteignant parfois les 8%/an.

Croissance et développement sont deux choses distinctes. Et si elles ne vont pas ensemble au Chili, c’est en bonne partie à cause de ce phénomène de conservation des inégalités de richesses – l’argent croît mais reste dans les mêmes mains – face à quoi seule une politique redistributive d’État pourrait y remédier... si seulement l’État en avait les moyens légaux et la volonté politique.

Que ce soit pour l’éducation, la santé, les transports, l’environnement, etc., la démocratie chilienne se trouve enfermée dans une geôle constitutionnelle et politique :

non seulement la Constitution du dictateur ne lui donne pas les moyens de s’épanouir et de faire ses propres choix, mais en plus, elle est écrasée entre une droite qui s’oppose à toute modification de l’actuel système légal-économique, et un centre-gauche qui a renoncé à ses principes pour accepter le trône laissé par le Bouc.

Un débat récent est exemplaire de cela. Il y a quelques mois, le gouvernement Bachelet a proposé une réforme de la LOCE, la LGE (Loi Générale d’Éducation), dans laquelle – outre des liftings comme le “principe de qualité” – était discuté le principe lucratif des établissements éducatifs. Sous la LOCE le principe lucratif (celui d’avoir pour objectif gagner de l’argent) était permis (en pratique c’est même la norme). Le gouvernement voulait restreindre ce principe, argumentant que les établissements doivent avoir pour fin le réinvestissement obligatoire de l’argent gagné dans l’éducation et la qualité de celle-ci. Un débat de société s’était alors ouvert : les écoles, lycées, universités doivent-elles êtres lucratives ou non ? Les droites libérale et conservatrice arguaient que oui, car ce principe incite à la qualité par la concurrence qu’elle suscite.

Une société qui s’interroge sur le fait qu’un propriétaire d’école puisse s’enrichir sur le dos des familles et sans considérations pour les missions essentielles de l’enseignement est-elle une société socialement et durablement souhaitable pour tous ? Une “démocratie” qui n’a pas le choix de sa constitution, ni la force de sa réforme, est-elle une démocratie fonctionnellement et durablement souhaitable pour tous ?

A la question « mais qu’est-ce que l’on peut faire alors pour changer et faire bouger les choses ? », une amie et camarade d’amphi à l’Université (traditionnelle privée) de Concepción me répondait avec sérieux et ironie : «...des cocktails (Molotov) ! ».

Just married ...

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Sarkozy et l’extrême droite européenne

Sarkozy se félicite en France d’avoir su ramener sous ses ailes une bonne part de l’électorat d’extrême droite, récompense du travail de long terme d’instrumentalisation des peurs de la population. Chacun disait qu’il risquait de faire monter le vote Le Pen, on a pu voir en mai dernier que oui, on peut tenir un discours xénophobe typique de l’extrême droite tout en prétendant agir pour « décomplexer » la droite.

L’idée n’est pas neuve. En 1998, certains membres du RPR avaient tentée de l’appliquer en passant des alliances avec le Front national aux régionales. Parmi eux, Charles Millon déclarait : « La droite n’a pas été au pouvoir depuis 1945 parce qu’elle est complexée ». Apprenant des erreurs passées, Sarkozy nous a donc vendu un extrémisme plus « tendance ».

Le parti d’extrême droite Alleanza nazionale est un parti héritier direct de la période fasciste, en témoigne sur l’affiche le logo du MSI, parti créé après la chute de Mussolini et inspirateur du FN français. L’évolution opportuniste du parti depuis une dizaine d’années vers le « politiquement correct » est comparable à celle du parti de Le Pen. Or à l’occasion d’une visite de notre tout puissant président à Romano Prodi en juin dernier, il s’est trouvé que l’AN a lancé une campagne d’affichage à Rome avec les slogans explicites « Vince Sarkozy », « Cambia l’Europa ». Gianfranco Fini, leader de l’AN avait déjà préfacé l’édition italienne de Témoignage, ce chef d’œuvre écrit par un quelconque nègre (sans mauvais jeu de mot) de Sarkozy.

En Belgique, la référence a été plus explicite encore puisque qu’un parti s’est formé en décembre 2006 en parallèle de la section belge de l’UMP (sic), prenant le nom d’UMP-Belgique. Et ses membres étaient pour bonne partie des dissidents du Front National belge. Se revendiquant économiquement libéral, de « droite nationale », ce parti marginal qui rassemblait des inconditionnels de Sarkozy a fini le mois dernier par se fondre dans le groupe

d’extrême droite Nation. Ce dernier, créé en 1999, est issu d’une mouvance néonazie et pseudo païenne, ce qui est plus que contradictoire avec les revendications judéo-chrétiennes des nouveaux arrivants.

Intéressantes réactions d’organisations d’extrême droite à la conception sarkozyste. Le fait que les deux courants puissent aussi facilement interagir est peut-être bien un signe des temps : la droite française est plus “décomplexée” que jamais... Les réactions disproportionnées sur la question de l’immigration (test ADN, quotas d’expulsions, rafles sélectives suivant la nationalité, etc.) et les discours xénophobes qu’elles occasionnent n’en sont qu’une illustration parmi d’autres. Parmi les autres exemples, on peut compter la volonté de détruire l’héritage de mai 1968, ambition dont les prémisses réactionnaires et élitistes n’ont pas dans les faits pas varié depuis le XIXe siècle, comme le relève Jacques Rancière dans La Haine de la démocratie1

UNI dans la diversité

Depuis la rentrée, les quelques nouveaux militants de l’UNI Sciences Po poussent les hauts cris dès qu’on évoque le lien de leur organisation avec l’extrême droite française. L’UNI est officiellement rattachée à l’UMP, il suffit d’aller à un meeting du parti unique présidentiel pour les y voir tenir un stand (toujours

décoré avec le plus mauvais goût). Et à Sciences Po tel(le) membre de l’UNI va écrire un article pour le journal de l’UMP et vice-versa.

Mais il est i m p o r t a n t

de retenir que l’UNI est historiquement marquée comme l’héritière d’une droite dure, liée à sa création au SAC, la milice au service de Mongénéral. Même dans le monde aseptisé de Sciences Po, on peut observer quelques frémissements dès que pointe le bout de son nez un petit nazillon (Alain Soral ou Jean-Marie Le Pen l’an dernier).

Cette année, c’est promis, l’UNI Sciences Po a changé, elle s’ouvre à la droite plus molle (plus Sciences Po quoi). Lors de la procédure de reconnaissance a été lancée de manière très subtile (mais sans succès) une association “Urbanité’N’Insolence” (UNI) pour rameuter du monde sous des couverts modérés (sans pour autant assumer leur position politique). Souvenons-nous que si l’on a eu droit aux dangereux spécimens de Nouvelle Donne, c’est bien parce que l’UNI était trop à droite pour les étudiants de Sciences Po et qu’il existait un espace pour ça. Mais désormais, quelques premières années sont là pour rénover la section. La preuve : désormais l’UNI Sciences Po compte même une personne issue de ZEP. Waouh !

Pendant ce temps là, les militants de l’UNI Dauphine se rallient au RED, organisation ouvertement d’extrême droite.

1 La Haine de la démocratie, J. Rancière, La Fabrique, 2005, p. 74-75

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SOMETHING roTTen : Les élections au Danemark

Et si je passais ma 3ème année au Danemark ?

La campagne et ses (dé)raisons…

Le 24 octobre, après des mois d’incertitudes, Anders Fogh Rasmussen, déclare solennellement à la tribune du Folketing (parlement monocaméral danois) qu’il va annoncer à la reine

la tenue d’élections anticipées pour le 13 novembre. Trois semaines de campagne acharnée s’annoncent, à grands coups de chewing-gums gratuits chrétiens démocrates, de participation de candidats socio-démocrates aux pinteries de l’université, et aux proliférations de bus verts Konservative. Venstre (le parti libéral) va t’il avec le Konservative Parti reformer sa coalition minoritaire, soutenue par les pas vraiment acceptables (entendons vraiment d’extrême

droite) du Dansk Folk Parti ? Imaginez une France ou le Modem ne gouvernerait qu’avec l’appui du Nouveau Centre et du FN...

Le Danemark court aux urnes. A peine arrivée en août, on en parlait déjà. On a cru que ça n’arriverait pas (lorsque le délai de trois semaines avant l’ouverture de la session parlementaire était dépassé). Mais voilà, Anders qui conduit le pays depuis 2001 (et a ainsi été reconduit en 2005), considère que justement ces histoires d’élections anticipées, ça empêche les députés de se concentrer. Alors, pour que tout rentre dans l’ordre, il demande ces élections. Mais son gouvernement ne démissionnera pas. Moyen d’indiquer que le suffrage universel n’est que formalité lorsqu’on a amené le Danemark à son plus bas tôt de chômage depuis 33 ans (3,3% ; ça laisse rêveur), et qu’on a tout plein de plans pour l’avenir.

Mais le bel Ande a une épine de taille dans son pied charismatique. Le parti du peuple danois, Dansk Folk Parti qui c’est affirmé depuis les années 90. En 2001, il impose le thème de la campagne. Dans un pays où le système de gouvernement satisfait à plus de 80%, où tout le monde veut protéger l’Etat-providence (et que 64% des Danois sont prêts à augmenter leurs impôts déjà imposants pour avoir une amélioration de service), il fallait bien trouver quelque chose. Ce quelque chose, ce fut, c’est, l’immigration. Et donc, une coalition de centre-droit se retrouve, en échange d’un soutien large sur tout les autres plans politiques, à faire passer des lois très dures sur l’immigration, amenant à une réduction

de 80% du nombre de demandeurs d’asile. Cette fermeture d’un pays connu pour son universalisme laisse un goût bien amer à la plupart des Danois (pas vraiment plus racistes que les Français, ce qui ne ce veut pas très rassurant, je l’admets). Encore le 23 octobre, le premier ministre proposait, après des mois de refus, que les enfants de réfugiés irakiens, reboutés, puissent être logés hors des camps de réfugiés et aller à leur école (un rapport ayant montré le traumatisme causé sur les enfants par la promiscuité des camps). Le DFK a refusé de soutenir celà. Maintenant, la proposition est de nouveau sur la table, mais lancée par les socio-démocrates. Permettre à ces gens de travailler pendant l’attente du traitement de leur dossier leur permettrait soit de commencer à s’intégrer au Danemark, soit, si la demande devait échouer, de pouvoir ramener de l’argent dans leur pays... Mais la gentille proposition paraît opportuniste à plus d’un.

5 partis en lice. Les sortants sont donc Venstre (en danois “gauche”, en fait le parti libéral du premier ministre...se méfier des noms !), les Konservative (dont la couleur est le vert !), les fachos DFK (ainsi que le “centre démocrate”, ou comment Louise Frevert, élue sous les couleurs du DFK, s’étant fait virée, a décidée de ressusciter un parti centriste light disparu, pour continuer en politique). En face, on cherche l’alternative. Douce ou radicale. Pour l’alternative, la vraie les socio-démocrates de Helle Thorning Schmidt, deuxième parti au parlement, les Radical Venstre (de centre gauche) et la liste d’unité (extrême gauche). Pour l’alternative, la soft, on retrouve un nouveau parti de centre droit, la Nouvelle Alliance, formée autour du charismatique Naser Khader (qui par la même signe sûrement la fin des socio libéraux (RV)). Naser veut bouter le DFK hors des sphères du pouvoir. En gros, il veut donner à Fogh l’occasion d’avoir enfin une politique d’immigration humaine, et de supprimer cette tache brune dans une démocratie danoise autrement si angélique...

Les questions d’intégration au Danemark sont centrales. Ainsi, la liste d’unité présente pour la première fois une femme voilée, refusant de surcroit de serrer la main aux hommes. En face, au centre, Naser (nommé d’après l’auguste égyptien) Khader fait figure d’élève modèle. D’un père palestinien et d’une mère syrienne, le petit Naser émigre au Danemark en 1974, pour rejoindre papa qui y travaille depuis déjà quelques années. Pendant l’affaire des cartoons de Mahommet, il sera nommé conseiller du

Anders Fogh Rasmussen, mix entre Schwarzy et le commissaire Bialès.

Helle Thorning Schmidt, petite sirène.

Le 13 novembre dernier, les élections législatives danoises s’achevaient avec la seconde reconduction d’Anders Fogh Rasmussen au poste de premier ministre. Plongée dans une campagne un peu particulière, où centristes et fachos marchent dans la main...

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premier ministre. A son encontre, un influent imam danois insinuera alors fortement que s’il devenait ministre de l’intégration, on trouverait bien quelqu’un pour le faire sauter... Mais l’imam s’est rétracté (une boutade voyons !), et Naser est de plus en plus là. L’affaire elle, reste aussi bien présente. Preuve en est qu’une caricature est utilisée comme affiche du Danish Folk Parti au joli slogan de

“nous défendons les valeurs danoises”, “la liberté de parole est danoise, la censure non”.

La position du DFK nous permet de sauter habillement à la deuxième mamelle de cette campagne, l’Etat-providence. En effet, le DFK est passé subitement au tournant des années 90 d’un parti anti-impôts à un parti anti-immigrés, car enfin, ces gens là viennent au Danemark pour profiter indûment du système d’Etat-providence universel...

L’Etat-providence fait, depuis l’après 98 et une jolie déroute de Venstre, l’objet d’un très large consensus. En gros, tout le monde l’ADORE. Rasmussen après avoir en 1993 théorisé le passage de l’Etat social à l’Etat minimal, a compris que le Danois se prenait dans le sens du poil. Il s’accommode donc des folles lubies égalitaires danoises et cuisine la liberté Venstre à la sauce « empowerement » des populations, et donc facilite l’accès aux services privés quand les publics sont surchargés.

Les résultats...hahaha

Voilà, le 13 novembre à 23h c’est officiel, le beau Fogh rempile pour un troisième mandat. C’est historique… En face, les Sociodémocrates de la splendide Helle Thorning Schmidt, qui avait promis de mettre fin au règne Foghien perdent quelques

sièges, descendant de fait à leur niveau de 1906 : l’association SD-Welfare n’est plus évidente tant tout le monde s’en réclame, ce qui n’a pas facilité la campagne. A gauche, mais pas encore vraiment extrême, le Parti Socialiste du Peuple, gagne 12 sièges. Sa campagne sérieusement anti-Fogh et DFK, avec une forte accentuation sur l’environnement, porte ses fruits. Le centre tombe. Depuis 2001, le Danemark ne dépend pas des partis centristes pour sa majorité (car Fogh est allé taquiner l’extrême droite) et ceux-ci autrefois très puissants, perdent du pouvoir : les socio-libéraux perdent 8 sièges, et les chrétiens démocrates (sûrement à cause de leurs vils chewing-gums chlorophylle menthe) n’arrivent pas a passer les 2% nécessaires a rentrer au parlement. Quant à Naser, eh bien il se plante en beauté. On lui annonçait une quinzaine de %, avec 2,8% il écope de 5 députés. Pas assez pour sortir Fogh de sa mouise extrémiste.

Venstre, Konservative, DFK s’assurent 50,5% des sièges. L’alliance improbable avec le parti de Naser est néanmoins sur la table des négociations en cours. Et Helle de s’écrier : « Je suis confiante dans le fait que notre campagne a posé des jalons et que de nombreux Danois nous ont démontré leur confiance. Mais ça n’a pas suffi. Nous aurions aimé une plus grande adhésion de l’électorat. Les Danois ont besoin de plus de temps pour nous confier les responsabilités ».

Chocs culturels

Suivre une élection à l’étranger, si on en prend la peine est un truc très intéressant, tant il relativise ce qu’on considère comme normal, en politique...

C’est d’abord deux chocs : le 13 novembre au soir, après que les résultats soient annoncés, Fogh s’avance chez les libéraux de Venstre en liesse, et c’est au milieu d’un cercle aménagé, à leur niveau, et se tournant pour faire face a tout le monde à un moment ou un autre, qu’il prononce de jolies inepties accompagnée de sa femme léopard. La proximité leader-partisan, l’absence d’estrade, le mauvais goût de la tenue de sa femme, tout ça surprend tout de même beaucoup, beaucoup. « Mes amis, c’est un bon jour pour le Danemark, et un bon jour pour Venstre » éructe-t-il, tout sourire…

Tout sourire, ils le sont tous, une demie-heure après. Tous les leaders, réunis pour un débat nocturne. On les voit papoter,

extrême-gauche et libéraux, extrême-droite et socialistes, comme les gens civilisés qu’ils sont... On voit les maquilleurs s’affairer pour les préparer, bref on voit tout et ça laisse songeur, sur la notion d’adversaire ou d’ennemi politique...

C’est enfin cet élu socialiste, qui racontait que son meilleur moment dans la campagne était au bar de l’université d’Aarhus, ou il avait rencontré des gens passionnants et passionnés...

Ah le Danemark... te comprendras -tu un jour ?

La fameuse créativité nordique....

On comprend très vite quelles sont les priorités du nauséabond Dansk Folke Parti....

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