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Annales de pathologie (2011) 31, 198—202 HISTOSÉMINAIRE SFP Infiltrats cutanés neutrophiliques. Cas n o 7. Papulose lymphomatoïde Cutaneous neutrophils infiltrates. Case 7. Lymphomatoid papulosis Béatrice Vergier Service de pathologie, hôpital du Haut-Lévêque, avenue de Magellan, 33604 Pessac cedex, France Accepté pour publication le 12 avril 2011 Disponible sur Internet le 11 juin 2011 Renseignements cliniques Enfant deux ans, multiples papulonodules disséminés sur le tronc et les membres (Fig. 1). Diagnostic Papulose lymphomatoïde (riche en polynucléaires neutrophiles et éosinophiles). Description histologique Le prélèvement biopsique examiné est le siège, au niveau de l’ensemble du derme, d’un infiltrat particulièrement riche en polynucléaires neutrophiles et éosinophiles (Fig. 2 et 3). Présence de lymphocytes et de quelques cellules lymphoïdes « activées » de plus grande taille (Fig. 4). L’étude immunohistochimique confirme le phénotype CD30 positif de ces cellules qui sont dispersées sur l’ensemble du prélèvement (Fig. 5). Le CD3 est positif sur une partie de ces cellules CD30+ (Fig. 6). Elles sont par ailleurs CD20 négatives, CD4 positives et ALK négatives. Présence d’un réarrangement monoclonal minoritaire de génotype T lymphocytaire. Commentaires Ce cas illustre la richesse particulière en polynucléaires neutrophiles (PNN) et éosinophiles (PNE) de certaines lymphoproliférations et lymphomes primitivement cutanés. Parmi les sous-types de lymphomes, particulièrement riches en polynucléaires, citons en premier lieu le spectre des lymphoproliférations CD30 positives (de la papu- lose au lymphome cutané à grandes cellules CD30+ ) [1—3]. Cette particularité est Adresse e-mail : [email protected] 0242-6498/$ — see front matter © 2011 Publi´ e par Elsevier Masson SAS. doi:10.1016/j.annpat.2011.05.004

Infiltrats cutanés neutrophiliques. Cas no 7. Papulose lymphomatoïde

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nnales de pathologie (2011) 31, 198—202

ISTOSÉMINAIRE SFP

nfiltrats cutanés neutrophiliques. Cas no 7. Papuloseymphomatoïde

utaneous neutrophils infiltrates. Case 7. Lymphomatoid papulosis

Béatrice Vergier

Service de pathologie, hôpital du Haut-Lévêque, avenue de Magellan,33604 Pessac cedex, France

Accepté pour publication le 12 avril 2011Disponible sur Internet le 11 juin 2011

Renseignements cliniques

Enfant deux ans, multiples papulonodules disséminés sur le tronc et les membres (Fig. 1).

Diagnostic

Papulose lymphomatoïde (riche en polynucléaires neutrophiles et éosinophiles).

Description histologique

Le prélèvement biopsique examiné est le siège, au niveau de l’ensemble du derme, d’uninfiltrat particulièrement riche en polynucléaires neutrophiles et éosinophiles (Fig. 2 et 3).Présence de lymphocytes et de quelques cellules lymphoïdes « activées » de plus grandetaille (Fig. 4).

L’étude immunohistochimique confirme le phénotype CD30 positif de ces cellules quisont dispersées sur l’ensemble du prélèvement (Fig. 5). Le CD3 est positif sur une partiede ces cellules CD30+ (Fig. 6). Elles sont par ailleurs CD20 négatives, CD4 positives et ALKnégatives.

Présence d’un réarrangement monoclonal minoritaire de génotype T lymphocytaire.

Commentaires

Ce cas illustre la richesse particulière en polynucléaires neutrophiles (PNN) et éosinophiles(PNE) de certaines lymphoproliférations et lymphomes primitivement cutanés.

Parmi les sous-types de lymphomes, particulièrement riches en polynucléaires,citons en premier lieu le spectre des lymphoproliférations CD30 positives (de la papu-lose au lymphome cutané à grandes cellules CD30+ ) [1—3]. Cette particularité est

Adresse e-mail : [email protected]

242-6498/$ — see front matter © 2011 Publie par Elsevier Masson SAS.oi:10.1016/j.annpat.2011.05.004

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Papulose lymphomatoïde 199

Figure 1. Multiples papulonodules disséminés sur les membres.Multiple papular and nodular lesions distributed over the limbs.

plus rare mais existe pour certains types de mycosisfongoïde et syndrome de Sézary [4—7] ainsi que dansquelques cas de révélation cutanée de lymphome angio-immunoblastique[8]. Elle est quasi inexistante pour lesautres types de lymphomes cutanés. Une réaction inflam-matoire cutanée riche en polynucléaires mimant une piqûred’insecte est décrite en association avec la leucémie lym-phoïde chronique (LLC) [9] et plus récemment le lymphomeB du manteau [10] mais dans ces cas, il ne s’agit pas de loca-lisation spécifique mais d’une réaction « d’hypersensibilité »(Fig. 7 et 8).

Dans le spectre des lymphoproliférations cutanées CD30,la papulose peut être plus ou moins riche en PNN et/ou

Figure 2. Infiltration de l’ensemble du derme (HES × 10).Dense inflammatory infiltrate in the dermis (hematein, eosin andsaffron × 10).

Figure 3. Infiltrat composé d’une majorité de polynucléaires neu-trophiles et éosinophiles (HES × 200).Inflammatory infiltrate mainly composed of neutrophils and eosi-nophils (hematein, eosin and saffron × 200).

Figure 4. Présence de lymphocytes « activés » (HES × 400).Presence of activated lymphocytes with enlarged nuclei (hematein,eosin and saffron × 400).

Figure 5. Marquage par le CD30 (immunohistochimie peroxy-dase × 100).Positive staining for CD30 antigen (immunohistochemistry peroxy-dase × 100).

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2 B. Vergier

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igure 6. Marquage par le CD3 (immunohistochimie peroxy-ase × 200).ositive staining for CD3 (immunohistochemistry peroxy-ase × 200).

NE. Les formes « riches en polynucléaires » posent sur-out un problème de diagnostic différentiel avec touteses étiologies responsables d’un infiltrat cutané réactionnelnon lymphomateux » riche en polynucléaires neutro-hiles/éosinophiles dans lesquels la présence de cellulesD30 activées n’est pas rare. Une étude de 2003 portantur cinq piqûres d’insectes (riches en éosinophiles) et3 infiltrats inflammatoires riches en neutrophiles (hidrosa-énite suppurée, ulcère de stase, kystes rompus, infectionsactériennes, virales. . .) a montré la présence de nom-reuses cellules CD30 (jusqu’à 25,6 % des cellules) dansuatre infiltrats sur cinq infiltrats riche en éosinophilest 16 infiltrats sur 23 infiltrats riches en neutrophiles [11].ette richesse en lymphocytes CD30+ est moins importanteans les infiltrats de cause infectieuse. Morphologiquementuand les cellules CD30 sont regroupées et non dis-ersées, l’hypothèse d’une lymphoprolifération CD30 doittre soulevée. Cependant, souvent seule la confronta-ion avec la clinique et l’évolution des lésions permet

igure 7. Aspect de « piqûre d’insecte/réaction’hypersensibilité chez un patient porteur d’une leucémieymphoïde chronique (HES × 200).eaction to insect bite in a patient with B-chronic lymphoid leuke-ia (hematein, eosin and saffron × 200).

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igure 8. Infiltrat riche en polynucléaires éosinophiles dans unontexte de réaction d’hypersensibilité chez un patient porteur’une leucémie lymphoïde chronique (HES x 400).osinophil-rich infiltrate in an hypersensitivity reaction of aatient with B-chronic lymphoid leukemia (hematein, eosin andaffron × 400).

n diagnostic. Cette richesse s’atténue en cas de lym-home CD30+ mais il existe une variante de lymphomeD30+ particulièrement trompeuse, riche en polynucléairesppelée lymphome « pyogénique » [2] ou « riche en neu-rophiles/éosinophiles »[3] (Fig. 9 et 10). Les PNN et PNEeuvent représenter 10 à 40 % des cellules aboutissant à desiagnostics erronés de maladie infectieuse ou inflammatoireéactionnelle (dermatoses neutrophiliques). A contrario, unel diagnostic de lymphome CD30 riche en PNN/PNE, sur-out s’il s’agit d’une biopsie, ne peut être qu’un diagnostic’élimination après confrontation anatomoclinique et molé-ulaire (mise en évidence d’un clone T lymphocytaire).ette richesse en PNN/PNE n’a pas de lien avec l’ulcérationu la surinfection des lésions. En parallèle, il existe parfoisne neutrophilie sanguine. Une production accrue d’IL-8,’IL-5 (IL-4 pour les PNE) par les cellules tumorales CD30,ntraînant un chimiotactisme des PN, explique en partieette particularité [1,7]. De plus les PNN produisent le ligand

igure 9. Lymphome CD30 variante « riche en neutrophiles etosinophiles » (HESx200).osinophils and neutrophils-rich primary cutaneous CD30+ T-cellymphoma (hematein, eosin and saffron × 200).

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Papulose lymphomatoïde 201

Figure 10. Marquage de CD30 dans un lymphome CD30 variante« riche en neutrophiles et éosinophiles » (immunohistochimie per-oxydase × 200).CD30 positivity in an eosinophils and neutrophils-rich primarycutaneous CD30+ T-cell lymphoma (immunohistochemistry peroxy-

dase × 200).

naturel des cellules CD30+ (CD30L). Enfin les PNN produisentdes molécules cytotoxiques (TiA1) à l’origine de la mortdes cellules CD30 et des altérations enzymatiques du tissucutané. La richesse en PNN/PNE ne semble pas modifier lepronostic de ces lymphomes CD30 avec cependant dans ladernière étude de 2009 une survie à cinq ans de 78 % (neufcas) plus faible que celle décrite habituellement [3].

Beaucoup moins fréquentes que les lymphoproliférationsCD30 cutanées, des variantes érythrodermiques pustuleusesde mycosis fongoïdes et syndrome de Sézary ont été décrites(Fig. 11 et 12) [5]. Ces rares observations posent le problèmedu diagnostic différentiel avec un psoriasis pustuleux ou unepustulose exanthématique. Des pustules palmoplantairesassociées au mycosis fongoïdes sont exceptionnelles [4].Une production accrue d’IL8 et/ou d’IL-17 par les lympho-cytes T tumoraux pourrait expliquer ce phénomène [6]. Parailleurs, une activation de PNN circulants chez les patientsporteurs d’un lymphome T cutané a été rapportée [7]. CesPNN activés pourraient être à l’origine d’une productionaccrue de leucotriène B4 (LTB4) responsable d’un recrute-ment des lymphocytes T dans les tissus inflammatoires (ycompris cutanés).

Figure 11. Aspect clinique de pustule chez une patiente présen-tant un syndrome de Sézary.Pustules in a patient with Sézary syndrome.

Figure 12. Pustule chez une patiente présentant un syndrome deSézary (HESx200).Pustules in a patient with Sézary syndrome (hematein, eosin andsaffron × 200).

Enfin, très exceptionnelles mais extrêmement trom-peuses, sont les localisations cutanées de certains lym-phomes T angio-immunoblastiques qui peuvent mimer uninfiltrat inflammatoire réactionnel du fait de leur richesseen PNN, PNE et plasmocytes [8]. Dans ces formes, làencore, c’est la confrontation avec la clinique qui évoque lediagnostic et fait réaliser une étude immunohistochimiquemontrant l’expression de marqueurs T-helper folliculaires(PD1, CXCL13).

POINTS IMPORTANTS À RETENIR

• Les lymphoproliférations/lymphomes primitifscutanés particulièrement riches en polynucléairesneutrophiles et/ou éosinophiles sont surtout

les lymphoproliférations CD30 positives et plusrarement les mycosis fongoïdes/syndromede Sézary dans leur variantes pustuleuses(érythrodermique ou pustules palmoplantaires).Plus rarement les localisations de lymphomeangio-immunoblastiques peuvent être riches enpolynucléaires.

• La présence de cellules lymphoïdes CD30+ dansun infiltrat cutané riche en PNN ne signepas le diagnostic de lymphoprolifération CD30+(nombreux autres diagnostics différentiels : piqûred’insecte, toxidermies etc.)

• Devant un infiltrat cutané massif (« tumoral »)de PNN et PNE, le diagnostic de lymphomecutané doit rester un diagnostic d’élimination(surtout en cas de biopsie) et une confrontationanatomoclinique (tenant compte de l’évolution dupatient) et moléculaire est souvent nécessaire.

• A contrario, devant un infiltrat cutané riche enPNN et/ou PNE, il faut penser à l’hypothèsed’un lymphome cutané, savoir rechercherdes lymphocytes atypiques, réaliser unimmunomarquage (CD30 surtout) et une étude declonalité.

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éclaration d’intérêts

’auteur n’a pas transmis de déclaration de conflits’intérêts.

éférences

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B. Vergier

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