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La course aux bonnes notes sur le web PAR NATHALIE PRAZ Les restaurateurs prennent peu à peu conscience de l’importance de soigner leur e-réputation. Comment gèrent-ils ces commentaires en ligne qui peuvent mettre en péril leur avenir? « C ’était bon, mais sans plus. Le prix n’est en aucun cas justifié. Le fond de ma crème brûlée était encore froid (limite ge- lée).» Ce commentaire publié récemment sur iTaste, plate-forme web d’évaluation de restaurants, n’est évidem- ment pas une bonne nouvelle pour le gérant du Restaurant Le Patara. Cependant, son impact reste limité, car un commentaire négatif parmi une vingtaine d’éloges n’est pas significatif. Et surtout, la réponse appor- tée par le restaurateur démontre une attention particulière à la critique émise par le client en question. C’est probablement là la force de certains établisse- ments. «Le fait que les re- marques, positives ou néga- tives, soient postées sur les réseaux sociaux nous donne l’opportunité de répondre directement au client, explique Svenja Poupard, responsable de la communica- tion pour les restaurants genevois Le Patara, Le Cheval-Blanc et Le Thaï. Le bouche à oreille traditionnel est nettement plus néfaste et difficile à gérer qu’un commentaire laissé sur la toile. Et cela même si ce dernier se diffuse plus rapide- ment et touche un public plus large.» Aujourd’hui, ignorer les réseaux sociaux est quelque peu périlleux pour le tenancier d’un établissement culinaire. Surtout lorsque l’on sait que plus de 40% des internautes consulteraient le web afin de s’enquérir de la qualité d’un restaurant, selon une étude américaine et anglaise publiée en 2011. Pourtant, une large majo- rité des restaurateurs n’affecte pas, ou trop peu, de ressources à la gestion de leur image et de leur notoriété virtuelle. Cette e-réputation, comme l’appellent les experts marketing, a un impact pour- tant bien réel sur la fréquentation d’un restaurant et donc sur l’évolution de son chiffre d’affaires. Il n’est pas rare que certains restaurateurs, généralement des établissements de quartier ou alors des bistrots tenus par des gérants sans culture web, ignorent purement et simplement qu’ils font l’objet de critiques gastrono- miques sur internet. Comme le démontre la réponse étonnée de ce propriétaire d’une pizzeria située dans une commune gene- voise: «Ah bon, des clients ont laissé des commentaires négatifs sur mon restau- rant? Pourtant, je n’ai même pas de site internet.» Car en réalité n’importe qui peut ouvrir une page sur iTaste, le plus utilisé des sites de commentaires gastronomiques en Suisse romande. Il suffit au client de se créer un profil sur la plate-forme et d’y déposer son commentaire sur le bistrot de son choix. Dès lors, les restaurants peuvent difficilement faire l’impasse sur leur e-réputation. Une autre étude de l’Université améri- caine de Berkeley a démontré que les impressions laissées en ligne avaient plus d’impact sur le nombre de clients que la baisse de prix des menus ou les offres promotionnelles. Fort de ce constat, la famille Frutiger, propriétaire de plusieurs établissements à Genève, dont L’Escapade, Le Sesflo, Comme un Bouchon ou L’Amalfi, a engagé depuis quelques mois une personne chargée, entre autres, de veiller à la réputation de leurs restau- rants sur la toile. Ainsi, plu- sieurs heures par semaine, Ysa Femia, scrute les sites de références et répond aux INNOVATION INTERNET MÊME SI LE RESTAURANT N’EST PAS SUR LE WEB, N’IMPORTE QUEL CLIENT PEUT OUVRIR UNE PAGE SUR iTASTE, ET Y LAISSER UN COMMENTAIRE PHOTOS: DR Selon une étude, 40% des internautes consulteraient le web pour se renseigner sur les restaurants.

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La course aux bonnes notes sur le web

PAR NATHALIE PRAZ Les restaurateurs prennent peu à peu conscience de l’importance de soigner leur e-réputation. Comment gèrent-ils ces commentaires en ligne qui peuvent mettre en péril leur avenir?

«C’était bon, mais sans plus. Le prix n’est en aucun cas justifié. Le fond de ma crème brûlée était encore froid (limite ge-lée).» Ce commentaire publié

récemment sur iTaste, plate-forme web d’évaluation de restaurants, n’est évidem-ment pas une bonne nouvelle pour le gérant du Restaurant Le Patara. Cependant, son impact reste limité, car un commentaire négatif parmi une vingtaine d’éloges n’est

pas significatif. Et surtout, la réponse appor-tée par le restaurateur démontre une attention particulière à la critique émise par le client en question. C’est probablement là la force de certains établisse-ments. «Le fait que les re-marques, positives ou néga-tives, soient postées sur les réseaux sociaux nous donne l’opportunité de répondre

directement au client, explique Svenja Poupard, responsable de la communica-tion pour les restaurants genevois Le Patara, Le Cheval-Blanc et Le Thaï. Le bouche à oreille traditionnel est nettement plus néfaste et difficile à gérer qu’un commentaire laissé sur la toile. Et cela même si ce dernier se diffuse plus rapide-ment et touche un public plus large.»

Aujourd’hui, ignorer les réseaux sociaux est quelque peu périlleux pour le tenancier d’un établissement culinaire. Surtout lorsque l’on sait que plus de 40% des internautes consulteraient le web afin de s’enquérir de la qualité d’un restaurant, selon une étude américaine et anglaise publiée en 2011. Pourtant, une large majo-rité des restaurateurs n’affecte pas, ou trop peu, de ressources à la gestion de leur image et de leur notoriété virtuelle.

Cette e-réputation, comme l’appellent les experts marketing, a un impact pour-tant bien réel sur la fréquentation d’un restaurant et donc sur l’évolution de son chiffre d’affaires. Il n’est pas rare que certains restaurateurs, généralement des établissements de quartier ou alors des bistrots tenus par des gérants sans culture web, ignorent purement et simplement qu’ils font l’objet de critiques gastrono-miques sur internet. Comme le démontre la réponse étonnée de ce propriétaire d’une pizzeria située dans une commune gene-voise: «Ah bon, des clients ont laissé des commentaires négatifs sur mon restau-rant? Pourtant, je n’ai même pas de site internet.»

Car en réalité n’importe qui peut ouvrir une page sur iTaste, le plus utilisé des sites de commentaires gastronomiques en Suisse romande. Il suffit au client de se créer un profil sur la plate-forme et d’y déposer son commentaire sur le bistrot de son choix. Dès lors, les restaurants peuvent difficilement faire l’impasse sur leur e-réputation.

Une autre étude de l’Université améri-caine de Berkeley a démontré que les impressions laissées en ligne avaient plus d’impact sur le nombre de clients que la baisse de prix des menus ou les offres promotionnelles. Fort de ce constat, la famille Frutiger, propriétaire de plusieurs établissements à Genève, dont L’Escapade,

Le Sesflo, Comme un Bouchon ou L’Amalfi, a engagé depuis quelques mois une personne chargée, entre autres, de veiller à la réputation de leurs restau-rants sur la toile. Ainsi, plu-sieurs heures par semaine, Ysa Femia, scrute les sites de références et répond aux

INNOVATION INTERNET

MÊME SI LE RESTAURANT N’EST PAS SUR LE WEB, N’IMPORTE QUEL CLIENT PEUT OUVRIR UNE PAGE SUR iTASTE, ET Y LAISSER UN COMMENTAIRE P

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Selon une étude, 40% des internautes consulteraient le web pour se renseigner sur les restaurants.

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ATTENTION AUX AVIS NÉGATIFS: UN CLIENT MÉCONTENT PEUT SE VOIR ATTAQUÉ EN JUSTICEPOUR DIFFAMATION

L’E-RÉPUTATION, C’EST QUOI AU JUSTE?

DÉFINITION L’e-réputation rassemble toutes les informations que l’on trouve sur internet lorsque l’on se renseigne sur un restaurant. Cela comprend aussi bien les sites d’avis de consommateurs (i-taste, resto-rang.ch, tripadvisor…), les blogs culinaires tenus par des journalistes ou des gastronomes, les sites de critiques (Gault&Millau, Michelin…), les journaux en ligne, le site web de l’établissement lui-même et les réseaux sociaux (Facebook, Twitter…).

critiques des clients. «A partir du moment où une personne met un commentaire, bon ou mauvais, mais surtout mauvais, il est important de répondre», admet-elle. Pour sa part, Christophe Frutiger, patron de l’Escapade, regrette que trop de personnes, poussées par des émissions télévisuelles comme Master Chef ou Un Diner presque parfait se sentent le droit de critiquer le travail fourni par ses équipes, allant parfois jusqu’à porter de fausses allégations, comme l’utilisation de sauce en boîte et de plats industriels.. «Lorsque c’est le cas, s’offusque Christophe Frutiger, nous invitons nos allégateurs à venir dès 8h du matin dans nos cuisines afin de voir par eux même le travail que produisent nos cuisiniers! Ils sont passionnés par leur métier et ce genre de commentaire est avant tout un manque de respect envers eux».

Commentaires anonymesPourtant, les restaurateurs ne devraient pas être les seuls à se préoccuper des critiques postées sur le web. Le client mécontent peut se voir attaqué en justice pour diffamation. Et ses propos peuvent lui coûter très cher. Ainsi, Sébastien Fanti, avocat spécialiste du droit des nouvelles technologies, a obtenu gain de cause pour son client qu’un internaute avait traité de «patron le plus bête du monde» sur le site bonresto.ch. «Ce sont bien souvent des petits détails qui rendent des commen-taires inacceptables d’un point de vue légal, confirme l’avocat valaisan. De plus, la limite de la diffamation est difficile à

établir mais cependant facile à franchir.»

Si, dans le cas présent, le diffamateur a dû s’acquitter de frais de justice conséquents, il n’est pas le seul à pouvoir être inquiété. Le propriétaire du site et l’hébergeur peuvent, eux aussi, faire l’objet de poursuites judiciaires. Ainsi chez iTaste, une personne est chargée quotidiennement de contrôler les commentaires laissés par les membres. «Nous supprimons moins d’une dizaine de commentaires par jour – sur 2000 évalua-tions mensuelles – et nous avertissons la personne. Elle peut modifier et poster à nouveau si elle le souhaite», confirme Olivier Di Natale, qui a racheté la plate-forme iTaste début 2013 et qui compte près de 200 000 membres inscrits. Contrairement à d’autres sites, comme resto-rang.ch, les membres ne peuvent pas être anonymes, ce qui limite les faux commentaires. Le principe d’identité numérique progresse, mais cela n’em-pêche pas toujours des débordements. «Le juge aura d’ailleurs tendance à juger plus sévèrement un commentaire diffamatoire anonyme», confirme Sébastien Fanti.

Si iTaste confirme qu’il supprime des commentaires diffamatoires ou injurieux, il se refuse cependant à enlever une cri-tique appuyée même si celle-là déplaît au restaurateur. Une patronne genevoise vient d’ailleurs d’entamer une procédure contre le site dans ce sens. Mais, selon l’avocat Sébastien Fanti et une jurispru-dence vaudoise récente, le propriétaire

d’un restaurant ne peut pas s’opposer à apparaître sur une page internet et donc à faire l’objet de commentaires de part le côté public de son établissement. «En cas d’éva-luation défavorable, les restau-rateurs sont encouragés à répondre publiquement aux

commentaires. Si ce service était payant avant que je reprenne le site, il deviendra gratuit dès cet été, relève Olivier Di Natale. Mais s’ils ne se sentent pas à l’aise avec l’informatique, une aide à la formulation des réponses leur est proposée, de même qu’une mise à jour de la page du restau-rant, pour qu’elle soit aussi complète que possible. Ce service de «community manager» coûte environ 1000 francs par an». Mais, au final, c’est aux restaurateurs de donner l’impulsion qu’ils souhaitent afin de préserver au mieux leur image sur le net.

Le gérant du restaurant genevois Le Patara répond aux avis des internautes.

Les clients postent leur avis sur des sites comme iTaste, resto-rang.ch ou tripadvisor.