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Innovation 1 - 16/07/2014 Innovation, le rapport de la cellule « transition numérique » du New York Times : ce qu’il nous apprend sur la transition numérique du groupe Express- Roularta. Il y a quelques semaines, une fuite a livré à Internet le rapport confidentiel de sa cellule Innovation sur l’état de la transition numérique au New York Times. Ce rapport a fait l’objet de nombreux articles et a été largement commenté, beaucoup aux Etats-Unis, moins en France où il a surtout interpellé le monde du journalisme en ligne. Je vous en propose ci-dessous une synthèse, riche d’enseignements sur notre propre fonctionnement – c’est d’ailleurs l’une des surprises de ce rapport : malgré ses moyens financiers et sa réputation, offline et online, le Times affronte des obstacles internes qui ressemblent étonnamment à ceux que nous-mêmes rencontrons. Je me suis donc permis, quand la chose m’a paru judicieuse, de déduire de l’enquête du Times des mesures possibles pour L’Express, et plus largement le groupe. Elles apparaissent dans une typographie différente. Pourquoi cette enquête En introduction, les auteurs du rapport rappellent les exigences de qualité du quotidien new-yorkais, qui sont sa marque de fabrique et le cœur de son projet industriel. Mais ils se demandent dans la foulée comment, aujourd’hui, se conjugue « the art and science of getting our journalism to readers », comment, face à des concurrents qui ont pris de l’avance numérique (qu'ils soient pure players comme Buzzfeed ou traditionnels comme le Washington Post), « apporter ‘le meilleur journalisme du monde’ aux lecteurs ». C’est leur mantra, répété plusieurs fois en 96 pages. La question est d’autant plus pertinente que ces dernières années, le Times a vu « la taille de son lectorat fondre significativement ». L’objectif du rapport est dès lors celui-là : aider le journal à « être le premier à apporter plus de notre journalisme à plus de lecteurs qui y passeront plus de temps ». Autrement dit, à « se doter d’une rédaction plus agile et ‘digitally focused’, capable de s’adapter à un paysage concurrentiel en mouvement permanent ». Les propositions du rapport sont de cinq ordres : 1. Passer plus de temps à scruter le paysage concurrentiel et à anticiper ses changements. 2. Repenser les traditions « print-centric ». 3. Expérimenter, et se doter d’outils statistiques pour choisir et évaluer ces expériences. 4. Embaucher et donner les moyens nécessaires à de nouveaux talents numériques. 5. Travailler main dans la main avec les « reader-focused departments on the business side », les équipes marketing-audience, pour faire court. Ce sont ces propositions qui sont détaillées dans la deuxième partie du rapport. Conclusion de cette introduction : « Difficult new questions will arrive with each new shift. In all likelihood, we will spend the rest of our careers wrestling with them. The leader of another organization called this era ‘a period of mudding

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La synthèse en français du rapport de la cellule innovation du New York Times, qui a fuité en juin 2014.

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Innovation 1 - 16/07/2014

Innovation, le rapport

de la cellule « transition

numérique » du New

York Times : ce qu’il

nous apprend sur la

transition numérique du

groupe Express-

Roularta.

Il y a quelques semaines, une fuite a livré à Internet le

rapport confidentiel de sa cellule Innovation sur l’état

de la transition numérique au New York Times. Ce

rapport a fait l’objet de nombreux articles et a été

largement commenté, beaucoup aux Etats-Unis,

moins en France où il a surtout interpellé le monde

du journalisme en ligne.

Je vous en propose ci-dessous une synthèse, riche

d’enseignements sur notre propre fonctionnement –

c’est d’ailleurs l’une des surprises de ce rapport :

malgré ses moyens financiers et sa réputation, offline

et online, le Times affronte des obstacles internes qui

ressemblent étonnamment à ceux que nous-mêmes

rencontrons.

Je me suis donc permis, quand la chose m’a paru

judicieuse, de déduire de l’enquête du Times des

mesures possibles pour L’Express, et plus largement

le groupe. Elles apparaissent dans une typographie

différente.

Pourquoi cette enquête

En introduction, les auteurs du rapport rappellent les

exigences de qualité du quotidien new-yorkais, qui

sont sa marque de fabrique et le cœur de son projet

industriel. Mais ils se demandent dans la foulée

comment, aujourd’hui, se conjugue « the art and

science of getting our journalism to readers »,

comment, face à des concurrents qui ont pris de

l’avance numérique (qu'ils soient pure players comme

Buzzfeed ou traditionnels comme le Washington Post),

« apporter ‘le meilleur journalisme du monde’ aux

lecteurs ». C’est leur mantra, répété plusieurs fois en

96 pages.

La question est d’autant plus pertinente que ces

dernières années, le Times a vu « la taille de son

lectorat fondre significativement ». L’objectif du

rapport est dès lors celui-là : aider le journal à « être

le premier à apporter plus de notre journalisme à

plus de lecteurs qui y passeront plus de temps ».

Autrement dit, à « se doter d’une rédaction plus

agile et ‘digitally focused’, capable de s’adapter à

un paysage concurrentiel en mouvement

permanent ».

Les propositions du rapport sont de cinq ordres :

1. Passer plus de temps à scruter le paysage

concurrentiel et à anticiper ses changements.

2. Repenser les traditions « print-centric ».

3. Expérimenter, et se doter d’outils statistiques pour

choisir et évaluer ces expériences. 4. Embaucher et

donner les moyens nécessaires à de nouveaux talents

numériques. 5. Travailler main dans la main avec les

« reader-focused departments on the business side »,

les équipes marketing-audience, pour faire court.

Ce sont ces propositions qui sont détaillées dans la

deuxième partie du rapport.

Conclusion de cette introduction : « Difficult new

questions will arrive with each new shift. In all

likelihood, we will spend the rest of our careers

wrestling with them. The leader of another

organization called this era ‘a period of mudding

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Innovation 2 - 16/07/2014

through’ ». Autrement dit : préparons-nous à la

bagarre.

L’environnement

Le rapport du Times revient sur ses six mois

d’enquête, pendant lesquels Jeff Bezos, le patron

d’Amazon, a racheté le Washington Post, Pierre

Omidyar, le co-fondateur d’eBay, a lancé First Look

Media, les pure players d’information, comme Vox

Media, Yahoo News !, Buzzfeed, Upworthy… ont à

la fois élargi leur audience, débauché quelques stars

du journalisme (comme Ezra Klein ou Glenn

Greenwald) et poursuivi leur travail d’innovation

tous azimuts. Dans le même temps, Facebook,

Twitter et LinkedIn, les trois stars du Social Media,

ont annoncé leur intention de devenir des stars des

médias tout court. Quant au Financial Times, à USA

Today, au Washington Post… tous ont pris dans les

derniers mois un spectaculaire virage numérique.

Ainsi du San Francisco Chronicle qui, comme l’explique

son patron, veut devenir « a digital company that

also produces a newspaper ». Et plus l'inverse.

La disruption

Pour appuyer leur discours, les auteurs du rapport

reviennent sur le concept de « disruption », que

résument parfaitement les schémas ci-après :

Et de détailler l’histoire de Kodak, leader incontesté

de l’industrie photographique éjecté de la compétition

pour n’avoir pas su prendre à temps la mesure de la

révolution numérique.

Parmi ses concurrents, que représente la flèche rouge,

le Times cite les titres suivants : Buzzfeed, Circa,

ESPN, First Look Media, Flipboard, The

Guardian, The Huffington Post, LinkedIn,

Medium, Quartz, Vox, Yahoo News.

Passés ces éléments d’introduction, le rapport du

times se divise en deux parties : 1. Accroître

l’audience. 2. Renforcer la rédaction.

La conclusion « Comment y parvenir » figure à la

fin de cette synthèse.

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Innovation 3 - 16/07/2014

1. Accroître l’audience

« To get our journalism to readers » : le rapport

revient sur cette obsession. Qu’il justifie : « Nous

mettons moins d’énergie à franchir les portes

numériques de nos lecteurs que nous l’avons toujours

fait pour franchir leurs portes physiques ». Alors que

c’est précisément là que « nos concurrents sont en

avance sur nous ».

Et de donner cette définition de l’acquisition

d’audience : « Elargir notre public loyal et engagé ».

L’acquisition d’audience est une valse à trois temps :

découverte (comment packager et distribuer notre

journalisme), promotion (comment attirer l’attention

sur notre journalisme) et connexion (comment créer

avec nos lecteurs cette relation interactive qui va les

rendre plus fidèles).

Cet objectif de développement de l’audience, insiste

le rapport, doit être celui de toute l’entreprise, et pas

seulement celui des services dédiés. Notamment, la

rédaction doit y tenir le rôle de leader. Mieux, « chez

nos concurrents, l’acquisition d’audience n’est

pas seulement du ressort de la rédaction mais la

responsabilité de chaque rédacteur en chef et de

chaque journaliste ».

« Ce qui a été le plus dur pour moi, raconte Janine

Gibson, rédactrice en chef du Guardian, est que

sur Internet, l’audience ne vient pas à vous

naturellement. Pour un journaliste grandi dans le

papier, un bon article publié trouvera forcément son

lecteur. Ca marche en sens inverse pour un journaliste

numérique. Réaliser qu’il faut trouver son audience,

qu’elle ne vient pas vous lire d’elle-même, m’a

transformée ».

Exemple concret ? « De plus en plus de lecteurs

s’attendent à nous trouver sur Twitter et

Facebook, et répondent à des alertes e-mail ou

smartphone. Pourtant, la rédaction ignore

pratiquement ces plateformes… »

Autre biais, « puisque nous sommes des

journalistes, quand nous nous comparons aux

concurrents, c’est en terme de contenu, pas de

stratégie ». Or le succès de Buzzfeed, du Huffington

Post ou de USA today ne tient pas tant à leurs

contenus, articles de listes ou quiz, qu’au travail

sophistiqué qu’ils fournissent en direction des médias

sociaux et des moteurs de recherche.

Et cette différence est aussi l’affaire de la rédaction :

« Pour les journalistes du Times, l’histoire est

terminée quand l’article est publié. Au

Huffington Post, l’article commence à vivre

quand nous le mettons en ligne », explique Paul

Berry, l’un de ses fondateurs.

NDLR : Il s’agit là d’un exemple du fameux « timing de

publication », les temps de l’information en ligne (du

« breaking news » aux contenus « récurrents »), décrits

dans le descriptif éditorial du site de L’Express et qui ont

donné lieu à la réorganisation de la rédaction Web.

Au New York Times, « la découverte, la promotion et

l’engagement des lecteurs a été poussée dans les

marges, laissé à nos collègues du business ou confiés

à de petites équipes dans la rédaction. Nos collègues

du business ont un rôle majeur à jouer dans ce

domaine, mais la rédaction doit elle aussi

revendiquer un rôle, parce que mettre en forme,

promouvoir et partager notre journalisme nécessite

un regard éditorial ».

Recommandation du rapport : « Engager un

responsable de l’acquisition d’audience qui

travaille dans la rédaction et soit en relation

étroite avec un homologue dans la cellule

business ». Selon Michael Wertheim, responsable de

la promo chez Upworthy - avant de refuser le même

poste au Times parce que, précisément, on ne lui

garantissait pas cette collaboration - « pour parvenir

à accroître les audiences, la rédaction doit

travailler main dans la main avec les équipes

business ».

Conclusion provisoire, qui fait référence à la

distribution traditionnelle des journaux aux Etats-

Unis, jetés par des livreurs en vélo sur les paliers des

maisons : « Il n’y a pas (comme à l'époque) une

seule solution ».

- Conseil du rapport à la rédaction pour améliorer

la « découverte » : « Nous devons investir plus dans

ce travail peu sexy mais indispensable qui consiste à

tagger et à structurer nos données ».

- Conseil du rapport à la rédaction pour améliorer

la promotion : « Nous devons mieux défendre notre

propre travail, en être les avocats. Et donc organiser

nos rédactions pour que leurs productions les plus

importantes aient le maximum d’impact et de

lecteurs. Ca signifie qu’il faut identifier et partager

les bonnes pratiques dès le premier niveau,

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Innovation 4 - 16/07/2014

encourager les journalistes et les rédacteurs en chef à

promouvoir eux-mêmes leurs histoires ».

- Conseil du rapport à la rédaction pour améliorer

la connexion avec le lecteur : « La rédaction doit

prendre les rênes [du participatif] et gérer elle-

même l’UGC (user generated content) ».

1.A. DISCOVERY, LA

DECOUVERTE : FAIRE

« DECOUVRIR » NOTRE

JOURNALISME

Le New York Times génère quelque 300 URLs par jour

– 300 nouveaux contenus, de tous genres. Comment

« faire parvenir chacun de ces 300 contenus à

chaque lecteur qui pourrait vouloir le

consulter ? » - on y revient.

« Evergreen »

Les « feuilles persistantes » : ce contenu qui dure.

Un exemple, les archives : « Nous pensons trop

rarement à piocher dans nos archives, en grande

partie parce que nous nous focalisons trop sur

l’actualité-même et sur ses impératifs ». Or, poursuit

le rapport, nous devons profiter du fait que « nous

sommes à la fois un journal quotidien et une

bibliothèque – nous couvrons l’actualité tous les

jours, mais l’agrémentons d’un contexte, d’une

pertinence et de notre travail intemporel de

journaliste ».

NDLR : Inutile de préciser que nous sommes nous aussi

assez bien outillés de ce côté-là : tout L’Express est

numérisé depuis 1983, et il serait bon de reculer encore

cette date, jusqu'à la création du journal, en 1954. Nous

aussi sous-exploitons ce trésor.

Un autre exemple, la culture : au fil de leur

enquête, les auteurs du rapport se sont rendus

compte que « les articles sur l’art et la culture sont

parmi ceux qui étaient lus le plus longtemps après

leur mise en ligne, même s’il est difficile de les trouver

sur le site dès qu’ils ont plus de quelques jours ». Et

d’en conclure qu’une « nouvelle approche pourrait

consister à rassembler ces contenus culturels et life-

style – sur les livres, la musique, les musées, la

nourriture, le théâtre – et de les organiser par

pertinence plus que par date de publication ».

Une solution ? Créer des « pages d’atterrissage pour

nos contenus culturels qui auraient la forme de

guides ».

Un chantier : la mise en forme. Et cette remarque

préalable : le New York Times produit des contenus

remarquables et persistants… sur d’autres

plateformes, comme Flipboard. « C’est dingue que

nous soyons obligés de faire appel à des plateformes

extérieures et de leur laisser une partie du bénéfice de

notre travail ! » s'emporte l’un de ses journalistes.

Parmi les « packaging » de contenus existants réussis,

les « collections ». Le principe : une série de vidéos

thématiques (sur l’amour au moment de la Saint-

Valentin, par exemple), tirées des archives du site et

simplement rééditées. Le rapport tire une leçon de ces

succès : « Peut-être faut-il reconsidérer ce que

nous considérons comme ‘nouveau’. Et que ce

qui est nouveau est ce qui est nouveau pour

quelqu’un à un moment donné. Parce que c’est

opportun, pertinent à cet instant et non daté ».

Et cette conclusion : « La rédaction doit soutenir ce

travail et mettre à la disposition de ses producteurs

Web, journalistes, vidéo ou pas, voire à la disposition

de ses lecteurs, les outils pour créer ces collections et

repackager nos contenus en dehors des formats

habituels de traitement de l’actualité ».

Les leçons de l’« evergreen » :

- Les contenus récurrents, comme les archives,

peuvent trouver des lecteurs à condition d’être

intelligemment remis en forme.

- Ce type de contenu n’a pas besoin d’apparaître en

home page pour avoir du succès.

- Les one-shots consomment trop d’énergie. Il faut

donc penser à des outils réutilisables et

adaptables.

Personnalisation

S’adapter au lecteur : le big data au service de

l’éditorial ?

« Adopter la personnalisation ne signifie pas, et ne

doit pas signifier, qu’on livre à chacun des articles

différents. Nous savons que les lecteurs viennent à

nous en partie pour découvrir ce que nous

considérons comme l’histoire du jour […] La

personnalisation, c’est utiliser les outils

technologiques pour faire en sorte que la bonne

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Innovation 5 - 16/07/2014

histoire trouve les bons lecteurs au bon endroit et

au bon moment. »

« En l’absence d’implication de la rédaction, l’équipe

business a défini seule notre approche de la

personnalisation », déplore le rapport. Qui pointe les

insuffisances éditoriales du projet tel qu’il existe, en

terme de présentation comme de finalité. « La

rédaction devrait être plus attentive à ces

initiatives. Et définir les limites de cette

personnalisation sur la page d’accueil et les applis

mobiles. En attendant, l’absence d’indications

éditoriales sur ce qui est acceptable ou non limite

notre capacité de création et d’innovation dans ce

domaine. »

NDLR : selon cette même logique, la rédaction me paraît

devoir être étroitement associée aux développements big

data et e-CRM du groupe.

De l’importance de l’indexation

Structurer les données pour satisfaire le lecteur

« Dans le monde numérique, l’indexation est une

manière de structurer les données – fournir

l’information qui permet aux choses d’être

recherchées et triées, et rendues utiles à l’analyse et à

l’innovation. » Or, le Times n’a pas adapté son système

d’indexation. Résultat, une « paralysie » : le journal

n’offre plus la possibilité à ses lecteurs « de suivre les

développements d’une actualité, de découvrir des

restaurants que nous avons chroniqués près de chez

eux, voire de retrouver nos photos dans les moteurs

de recherche ». Par exemple, « alors que 60% de nos

lecteurs sont sur mobile, nous ne sommes pas

capables de leur fournir des informations pertinentes

sur l’endroit où ils se trouvent parce que nos

contenus ne sont pas géographiquement indexés ».

Le rapport cite le Washington Post et le Wall Street

Journal, qui extraient de l’indexation des données des

statistiques sur la consommation de l’information par

leurs lecteurs, et Circa, dont chaque article est éclaté et

indexé en « atomes d’information ». Ce format

permet aux rédacteurs en chef de retrouver

facilement et rapidement, et donc d'utiliser, les

contenus pertinents en cas de « breaking news ».

Conclusion, cette « vérité assez laide » à propos des

données structurées : en la matière, « attendre coûte

cher ».

NDLR : deux leçons à retenir pour L’Express : même si

nous avons fait de gros progrès dans ce domaine

(utilisation des groupements, notamment), les

journalistes ne sont pas assez sensibilisés au sujet, ils

doivent l’être plus ; il faut mettre à jour et optimiser

(simplifier et rationnaliser), les outils d’indexation mis à

leur disposition aujourd’hui. D’autant qu’à l’inverse, nous

avons fait de gros progrès en la matière en appliquant

ces recettes à l’architecture du site et à son optimisation

technique.

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Innovation 6 - 16/07/2014

1.B. PROMOTION : ALLER

CHERCHER DE NOUVEAUX

LECTEURS

« Au Times, nous aimons généralement laisser notre

travail parler pour lui-même. Nous ne sommes pas du

genre à la ramener. Nos concurrents n’ont pas ces

scrupules, et nombre d’entre eux apportent leur

journalisme à de nouveaux lecteurs bien mieux que

nous, à travers des campagnes de promotion de leurs

contenus agressives. Ils considèrent que c’est une

fonction clé des rédacteurs en chefs et des

journalistes. »

Le rapport s’appuie sur les exemples du Guardian, du

Huffington Post et de The Atlantic : le premier a logé

son équipe de promotion au sein de la rédaction ; le

second attend de ses journalistes qu’ils usent et

abusent des réseaux sociaux de toutes sortes ; le

troisième qu’ils fassent eux-mêmes la promotion de

leurs articles, voire qu’ils fassent remonter aux autres

journalistes les bonnes pratiques qu’ils rencontrent

ailleurs.

Il s’inquiète de ce que les réseaux sociaux apportent

six fois plus de lecteurs à Buzzfeed qu’au New York

Times.

Plusieurs fois, le New York Times s’est fait voler des

exclusivités par des concurrents plus futés. Ce

qu’exprime plus cyniquement ce conseil d’un patron

du Huffington Post : « Vous devez vous défendre

contre les pique-pocket numériques, qui se saisissent

de vos contenus en les éditant et les vendant mieux

que vous aux réseaux sociaux ».

Dernier exemple, à suivre selon lui, cité par le

rapport, celui de ProPublica, dont une équipe dédiée

définit une stratégie de promotion pour chaque

article avant sa publication. « L’équipe est

composée d’un spécialiste du SEO, qui travaille

l’editing, les liens et autres moyens d’optimiser la

présence de l’article dans les moteurs de recherche ;

d’un gestionnaire de communauté, qui décide de la

meilleure plateforme et des meilleurs ‘influenceurs’ à

contacter pour promouvoir l’article ; d’un

« marketer », qui informe par téléphone ou par e-mail

les autres medias et les organisations susceptibles de

relayer l’article. Le rédacteur en chef est aussi dans la

boucle, pour vérifier que notre journalisme est

présenté de la manière la plus appropriée. Enfin, un

‘data analyst’ évalue l’impact de la ces opérations. »

Les solutions préconisées par le rapport :

- Poster l’équipe, ou une partie de l’équipe de

promotion au cœur de la rédaction, pour

« identifier et partager les bonnes pratiques au niveau

le plus bas, de manière à ce que rédacteurs en chef et

journalistes soient à la fois incités et aidés à

promouvoir eux-mêmes leur propre travail. »

NDLR : à L’Express, la collaboration entre la rédaction en

chef Web et les équipes audience sont une réussite.

- Définir des stratégies promotionnelles concertées en

réunissant les différents services concernés, mais qui

collaborent trop rarement : marketing, RP,

acquisition d’audience, gestion de communauté,

voire data mining.

Journalistes et médias sociaux

Le rapport se félicite que le Times n'ait pas érigé de

contraintes strictes à l'usage des réseaux sociaux par

ses journalistes. Mais constate qu'en contrepartie, s'il

n'y a pas de charte, il n'existe pas non plus de mode

d'emploi. Et propose d'y remédier en créant une

« impact toolbox », une boîte à outils dont serait

dépositaire un journaliste désigné dans chaque service

du journal. Elle proposerait « de la stratégie, des

tactiques et des modèles pour améliorer le 'reach'

(l'impact) d'un article avant et après sa publication ».

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Innovation 7 - 16/07/2014

1.C. CONNEXION : RETABLIR LE

COURANT AVEC LE LECTEUR

Premier constat: le lectorat du Times est

extrêmement fidèle, est fier de cette fidélité, bien

informé, influent et serait flatté de collaborer.

Deuxième constat: il est sous-exploité. « Nous ne

savons pas utiliser ces qualité pour rendre nos articles

plus riches. » Moins en tous cas que la plupart des

concurrents du journal.

Les commentaires sous les articles (une minorité

d'entre eux sont ouverts aux commentaires sur le site

du Times) ne sont utilisés que par une minorité de

lecteur, ce qui interpelle à la fois les services du

marketing et les rédacteurs en chef. Par ailleurs, les

outils traditionnels de relation avez les lecteurs sont

dépassés, et déconnectés de la rédaction - qui doit

reprendre cette question en main.

Première étape: « soulever le rideau » sur le travail des

journalistes. Certains journalistes du Times le font...

sur d'autres plateformes (Facebook, notamment). Il

faut les encourager à raconter plus souvent « the story

behind the story ». « Les lecteurs veulent entrer en

relation avec les journalistes du Times - pour

saisir l'arrière plan, savoir ce que nous lisons,

rejoindre la conversation ».

A expérimenter, le « User Generated Content »

(UGC): « Imaginons que la rubrique Arts soit

alimentée quotidiennement par des éditoriaux signés

de personnalités fortes de la danse, du théâtre, du

cinéma et de l'architecture. Ou que celle de David

Leonhardt le soit, chaque jour, par de grands noms de

la politique ou de l'université. Ou que la rubrique

Sciences devienne l'arène où se confrontent les idées

de scientifiques et de philosophes. »

Un chantier, l'organisation d'événements : « Il

n'est pas normal que l'espace comblé par Ted (les

TED sont des séries de conférences très mises en scènes de

personnalités plus ou moins célèbres autour de thèmes

généralement liés au progrès technique et au futur, qui

rencontrent depuis les années 80 un énorme succès aux Etats-

Unis et, plus récemment, dans le monde - NDLR), avec des

tickets d'entrée qui peuvent atteindre 7500 $, n'ait pas

été créé par le Times ».

Le rapport poursuit son raisonnement, proposant

plusieurs idées de développement possibles, mais

place cette condition en préalable: « La rédaction

doit être plus impliquée dans la réflexion sur

notre stratégie évènementielle ». Parmi ces idées,

un « festival de lecteurs », payant, dont certaines

parties ne seraient accessibles qu'à des participants

« premium » (sous-entendu un prix d'entrée plus

élevé). Parmi les animations proposées, des séances

de questions-réponses avec les journalistes, des

ateliers d'écriture, de photo ou de vidéo, des débats

avec des éditorialistes, des showcases... « Nous ne

devons pas sous-estimer l'intérêt porté aux

journalistes du Times ».

Mieux connaître le lecteur

« Pour leur proposer des contenus plus pertinents et

signifiants, nous devons d'abord comprendre nos

lecteurs - qui ils sont et comment ils utilisent notre

site. »

Les géants du Web ont parfaitement compris et

maîtrisent à merveille « l'utilisation intelligente de

leurs internautes », notamment en valorisant leurs

contributions et en leur faisant savoir. « Ces

mécanismes de 'feedback' accroissent leur fidélité ».

Grâce à son paywall, le Times possède pourtant une

formidable base de données lecteurs. Mais il l'utilise

moins que ses concurrents et, quand il le fait, c'est au

coup par coup. Là encore, le « one-shot » est contre-

productif.

NDLR : le e-CRM, notamment alimenté par le paywall et

le datawall, est un axe stratégique majeur pour le

groupe. Les informations ainsi récoltées seront

également utiles à la rédaction - à condition qu'elle s'en

empare et soit associée à la mise en œuvre du projet.

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Innovation 8 - 16/07/2014

2. Renforcer la rédaction

Le rapport reconnaît qu'en quelques années, le New

York Times a fait des progrès considérables en

matière de transition numérique. Mais les juge

insuffisants, notamment « dans ces endroits que le

lecteur ne peut voir » : système de publication,

work flow, organisation, ressources humaines et

stratégie. « Le journal ne tutoie pas les sommets

seulement parce qu'il emploie des journalistes de

première classe, mais aussi parce que son

fonctionnement, lui aussi de première classe, les rend

plus forts », estime l’un de ses rédacteurs en chef. Or,

la modernisation de ce fonctionnement n'a pas suivi

le rythme du journalisme numérique. Etant donné la

réactivité des concurrents, le Times doit désormais

« évoluer rapidement ».

« Le challenge pour le Times est que le champ de

bataille n'est plus là où nous sommes le plus fort - le

journalisme lui-même - mais dans cette autre arène,

qu'on ne voit pas (le « back office », NDLR). Les

concurrents numériques s'adaptent plus vite aux

changements technologiques et aux tendances, leur

'moins bon' journalisme est souvent plus attractif

que notre 'journalisme supérieur' ».

Le Times réagit au changement, alors qu'il faut

changer en permanence : « La voie du changement est

si rapide que les solutions sont rapidement obsolètes,

que le prochain challenge est déjà au coin de la rue. »

Conclusion: « L'époque impose qu'avant d'avoir

terminé un projet, nous ayons déjà planifié son

évolution 2.0 ou 3.0 ».

NDLR : ce sont là les méthodes de travail « agile »,

appliquées par les équipes marketing et développement

de L’Express – qu’il s’agit maintenant de communiquer

aux rédactions.

Selon Justin Smith, le directeur général de Bloomberg

News, pour ne pas manquer le train qui passe, il faut

« des investissements à long terme et une appétence

pour la transformation, le risque, comme une

certaine tolérance pour les échecs ponctuels ».

2.A. L'EXPERIENCE LECTEUR

Constat: contrairement à ce qui a longtemps été le

cas au Times, où les premiers séduisaient les

annonceurs quand les seconds s'occupaient des

lecteurs, les services business et rédactionnel, recul

publicitaire oblige, sont désormais concentrés sur la

même cible : le lecteur.

« Etre focalisé sur l'expérience lecteur est vital pour

s'assurer que le travail de fidélisation et de recherche

de lecteurs est aussi impressionnant que le

journalisme lui-même. Et une meilleure collaboration,

c'est aussi garder en vue cet objectif que notre

journalisme est en phase avec les changements

technologiques et de consommation de l'information,

qu'il touche un public croissant avec le maximum

d'impact. »

« Nous recommandons un changement de politique

qui dise explicitement que le rôle des service

Expérience Lecteur doit être une extension de la

rédaction numérique. »

« Une collaboration plus étroite, si elle est menée

correctement, ne représente aucun danger pour

nos valeurs d'indépendance journalistique ».

Le rapport cite en exemple d'une collaboration

réussie entre les services marketing et la rédaction la

manière dont les premiers ont aidé la seconde à venir

à bout d'une base de données de recettes de cuisine

contre laquelle le Times, éditorialement et

techniquement, butait depuis des années. Pourquoi y

sont-ils parvenus ? « Parce qu'ils sont entraînés à

transformer une idée en succès ».

« Pourquoi des pure-players comme le Huffington

Post ou BuzzFeed connaissent-ils de tels succès avec

des contenus aussi moyens ? Grâce à l'excellence de

leurs services produit et développement, qui sont

une part essentielle de leur rédaction. »

Les équipe « Expérience lecteur » au New York Times - Analytics: 30 personnes. Elles passent au crible les données lecteur et en transmettent les conclusions aux services Produit et Conception. - Conception: 30 personnes. - Développement : 450 personnes. Web, mobile, e-commerce, serveurs et tuyaux. - Produit (info, vidéo, innovation...). 120 personnes. Chefs de projets, qui font le lien entre la rédaction et les services business. - R&D: 8 personnes. Les outils de demain.

Le rapport relate que, selon ces équipes « lecteurs », la

collaboration avec la rédaction est très difficile, voire

inexistante. A cela deux raisons: l'incompréhension

et la peur, dans les rédactions, de « franchir la

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Innovation 9 - 16/07/2014

ligne ». « Cette distance signifie que, de part et

d'autre, on duplique parfois un même travail

quand on n'adopte pas deux approches

contradictoires pour un même problème. » « Les

gens font référence aux mêmes choses: quand les uns

parlent de 'contenu' ou de 'marque', les autres disent

'journalisme' ou 'Le New York Times' ».

Conclusion du rapport: « Il faut collaborer aussi

tôt que possible dans le processus pour résoudre

un problème ». « Communiquer plus, mieux, plus

vite est indispensable. Si le top management

définissait clairement quels groupes ou salariés

peuvent communiquer sans accord préalable de leur

hiérarchie, les services 'business' hésiteraient moins à

'franchir la ligne' ».

« Product first,

department second » (le produit avant le service: mantra de l'équipe mixte,

rédaction-lecteur, de développement du mobile)

Dernière raison de développer une telle

collaboration : attirer et fidéliser les jeunes talents.

De nombreux développeurs ou chefs de produits

renoncent à des salaires plus élevés pour rejoindre le

prestigieux New York Times... à condition qu'ils ne

soient pas coupés de la rédaction.

Comment y parvenir?

- Définir clairement quels membres des équipes

acquisition d'audience peuvent interagir avec la

rédaction : créer et distribuer un organigramme de

l'équipe, où est identifié un contact et son homologue

dans la rédaction ; la hiérarchie éditoriale, les éditeurs,

les chefs de rubrique, voire les éditorialistes, doivent

être encouragés à travailler avec l'acquisition

d'audience sans autorisation préalable ; la hiérarchie

éditoriale, les chefs de desk, les éditeurs doivent

pouvoir parler comme ils le souhaitent avec les

équipes business.

- S'assurer que la rédaction travaille en

collaboration avec les équipes d'acquisition

d'audience : un chef de produit doit être désigné

pour chaque développement éditorial important ; les

rédacteurs en chef doivent travailler main dans la

main avec les équipes d'acquisition d'audience pour

définir les priorités ; les chefs des services de

prospective doivent être encouragés à travailler à des

projets pluridisciplinaires ; la rédaction doit désigner

un responsable, qui rapporte au top management

éditorial, pour chaque projet important.

- Embaucher des profils collaboratifs et

encourager les salariés à circuler librement de la

rédaction à l'acquisition d'audience. Et

notamment « embedder » plus de membres des

équipes d'acquisition d'audience dans la rédaction.

Voire embaucher dans la rédaction des profils

« acquisition d'audience ». De même, intégrer dans le

discours des entretiens d'embauche que mettre en

forme l'information est vital et ajoute de la valeur

journalistique.

NDLR : dans les rédactions du groupe, print mais surtout

Web, trop peu de journalistes sont encore capables de

travaille en « mode projet ».

- Faire circuler largement ce message : les

contacts « acquisition d'audience » doivent être parties

prenantes des réunions éditoriales ; la communication

interne entre les deux parties sur leurs réalisations

respectives doit être encouragée ; la communication

du top management doit s'adresser indifféremment

aux uns et aux autres.

2.B. REDACTION: L'EQUIPE

STRATEGIE

« Diriger la rédaction du New York Times ne veut plus

seulement dire élaborer un journal quotidien, mais

aussi piloter un énorme 'hub' opérationnel, anticiper

un nombre toujours plus grand d'applications

mobiles, de newsletters, d'alertes info, de médias

sociaux, et s'occuper d'une édition internationale, de

vidéo et d'un grand nombre de produits autonomes. »

La hiérarchie doit désormais se partager entre deux

impératifs contradictoires : le quotidien et la

rédaction ; le futur et la nouveauté.

Difficile.

La recommandation du rapport: créer une équipe

de stratégie éditoriale qui serve de conseiller au

top management. Elle serait composée de membres

ayant une grande expérience dans le journalisme, la

technique, l'acquisition d'audience, le produit et

l'analyse.

Page 10: Innovation blog

Innovation 10 - 16/07/2014

Ses objectifs :

- Surveiller le paysage média. Un travail

indispensable mais chronophage. Il nécessite

notamment d'avoir de bonnes sources, souvent à un

haut niveau de management dans d'autres entreprises,

et de cultiver le débat sur ces sujets.

- Définir les besoins et fixer les priorités. « La

hiérarchie éditoriale n'a pas toujours l'expertise

nécessaire pour identifier, prioriser et élaborer les

plans qui répondent à nos besoins numériques ».

Parmi ces besoins, maintenir la plateforme de

publication (commune print-Web au Times, NDLR),

un impératif dont la hiérarchie éditoriale, peu au fait

de technologie, n'est pas nécessairement consciente.

En l'espèce le groupe stratégie doit répondre à ces

questions : « Que voulons-nous réaliser ? Combien de

personnes faut-il pour cela ? A quelle aune jugerons-

nous du succès ? Quels enseignements pouvons-nous

tirer de la concurrence ? Comment pouvons-nous

faire mieux à terme ? »

- Lancer des expériences et partager les résultats.

« Un groupe stratégique pourrait apporter un soutien

conceptuel, une structure et des directions à des

expérimentations lancées au niveau de la rédaction,

pour permettre à plus de producteurs, de rédacteurs

en chef ou de journalistes d'innover et d'apprendre.

Ses membres seraient familiers avec les outils et les

talents de la rédaction et des services développement,

produit et analyse qui pourraient, ensemble,

transformer ces idées en réalité. »

« When we have good ideas, we

should treat them with the

urgency of a news scoop »

(Quand nous avons de bonnes idées, nous devrions nous y

attaquer avec la même urgence qu'à un scoop)

Priorité, en l'espèce : la reproductibilité.

« Encourager les expérimentations et créer des outils

et des modèles qui puissent être facilement

partagés avec le reste de la rédaction. »

Comment y parvenir ?

- Construire une équipe forte, qui ait à la fois un

solide background en journalisme, technologie,

expérience lecteur, produit et analyse ; qui ait un

leader identifié, qui ne reporte qu'à une seul membre

du top management ; que l'équipe soit resserrée, à six

personnes maximum ; que ses membres tournent ;

que lorsqu'un membre s'en détache, il devienne

« évangélisateur » dans son service d'origine.

- Surveiller et conseiller. La mission principale de

cette équipe est de conseiller la hiérarchie éditoriale ;

pour ça, elle doit construire un outil de veille, qui

comprend des contacts physiques avec la

concurrence ; elle doit mener des opérations de

formation pour la hiérarchie éditoriale ; elle sert de

point de contact avec la rédaction pour les autres

services innovants.

- Identifier les priorités, à la fois pour le top

management et la rédaction.

- Aider et encourager l'innovation et les

innovateurs.

Le droit à l'échec « Nous ne sommes pas à l'aise avec l'échec dans les rédactions. Cette aversion peut pourtant être source de gâchis et nous empêcher de profiter de leçons valables. A l'inverse, les équipes business débriefent leurs grands projets pour déterminer ce qui a marché et ce qui n'a pas marché et en tirer des enseignements pour les pour les projets à venir. L'échec doit être vu comme une chance de tirer des leçons - comme dans la majorité des entreprises technologiques. Nous devons publiquement reconnaître quand de nouveaux projets sont abandonnés et discuter ouvertement de ce que nous en avons appris. Ainsi, de l'échec de Times Select (une sélection d'articles payants, NDLR), est né l'une de nos plus belles réussites, le modèle de 'metered paywall'. »

“Don't be afraid of mistakes. You'll make a lot of them”

Page 11: Innovation blog

Innovation 11 - 16/07/2014

2.C. DIGITAL FIRST

« Le New York Times doit accélérer son passage d'un

journal qui produit également un fort et riche contenu

numérique à une publication numérique qui produit

également un grand et riche quotidien. Ce n'est pas

qu'une question sémantique. C'est une transformation

cruciale, difficile et, à certains moments, douloureuse

qui nécessite que nous repensions en profondeur ce

que nous faisons tous les jours. » Et le rapport de

s'alarmer: « Nous n'avançons pas assez vite […]

alors que la grande majorité de nos lecteurs sont

numériques, et que c’est là notre seule

opportunité importante de développement. »

« Nous rêvons tous d’un modèle unique de

changement. Mais les seules vraies solutions

viendront d’un questionnement critique, de

l’expérimentation et de notre dévotion au

changement itératif. » Mais avant toute chose,

« nous avons besoin de savoir où nous en sommes,

où nous allons et où nous voulons aller. »

Ce que ça signifie : interroger les traditions

« imprimo-centrées » ; évaluer les besoins

numériques ; créer de nouveaux postes de

leaders numériques et faire grandir les talents

existants ; envoyer des signaux clairs sur les

objectifs à atteindre ; valoriser les comportements

novateurs.

« Digital first », ça veut dire quoi ?

« Que les priorités les plus hautes sont données aux

articles numériques, libérés des contraintes du journal.

La dernière étape étant de repackager le meilleur de

ces articles numériques pour alimenter l’édition du

lendemain matin. Pour ça, il faut repenser les

ressources humaines, la structure et les

processus de production du sommet à la base. »

NDLR : Attention, L’Express n’est pas un quotidien et les

recettes préconisées ci-dessus ne lui sont pas applicables

à la lettre – ni, probablement souhaitables. En revanche,

le principe du « reverse publishing » doit pouvoir

s’adapter à des projets précis.

Autre impératif du « digital first », la priorité à la

technique. Ce que dit ainsi David Carr, l’un des

éditorialistes du Times : « Dans les médias numériques,

la technologie n’est pas le copilote, la

technologie est le pilote. Comment nous faisons et

publions quelque chose est souvent aussi important

que ce quelque chose lui-même. »

NDLR : à L’Express, le directeur adjoint du numérique est

désormais le directeur technique.

De son côté, Ezra Klein, l’une des prises de guerre

de Vox Media, explique que parmi les raisons qui

l’ont poussé à sauter le pas figurent les compétences

technologiques de sa nouvelle maison, et en

particulier la qualité de son CMS, son outil

d’administration : « Derrière Chorus (son nom), se

cache une équipe de designers et de développeurs de

premier plan qui nous aident déjà à repenser la

rédaction et la façon dont nous présentons

l’information».

« Il ne suffit pas d’être une

rédaction ‘intégrée’, nous devons

devenir une rédaction

numérique. Et nous devons

réfléchir, au moins une heure

par semaine, et sans doute pour

longtemps, à cette transition. »

Nathan Ashby-Kuhlman, rédacteur en chef des opérations

numériques du NY Times

Enfin, pour repenser l’organisation, il est nécessaire

de disposer d’informations précises sur l’activité de la

rédaction : qui produit quoi, est présent ou absent de

tels ou tels réseaux sociaux… C’est indispensable

pour que la rédaction en chef ait une vision claire

de cette activité et faire redescendre à la

rédaction des signaux tout aussi clairs. « C’est le

rôle du top management de nous fournir ces

indications », explique un journaliste du Times.

Les talents numériques de demain

« Nous avons besoin de plus de journalistes avec un

sens intuitif de l’écriture Web, une envie

Page 12: Innovation blog

Innovation 12 - 16/07/2014

d’expérimenter sur les mobiles et les réseaux

sociaux, des compétences data, un désir de

s’engager avec les lecteurs sur et en dehors du site

et une compréhension du paysage concurrentiel

et de ses bouleversements ».

« D’anciens employés du Times qui l’ont quitté

récemment expliquent que les possibilités de

promotion y sont rares et que quand elles s’ouvrent,

elles sont le plus souvent offertes aux journalistes

traditionnels. »

« Les développeurs comprennent le processus parce

qu’ils sont au cœur de ce processus. Ils ne sont pas

là pour uniquement recevoir des ordres ».

« Placer au cœur de la rédaction quelqu’un issu de

la production, du design ou du développement et

quelqu’un issu de l’acquisition d’audience, ça

permettrait de cibler et résoudre les problèmes

rapidement ».

« Vous ne pouvez pas projeter de nouveaux talents

dans de vieilles structures où ils sont des citoyens de

seconde zone, explique un rédacteur en chef d’un

concurrent du Times. Ce n’est pas un vrai

changement. Vous devez changer la structure

même. »

Comment gagner la guerre des talents ?

« La seule manière de garantir une visibilité à nos

articles est de construire une rédaction avec plus de

talents numériques plus diversifiés :

« technologistes », designers, chefs de produit,

analyseurs de données et, surtout, journalistes et

rédacteurs en chef numériquement agiles. »

« Nous voulons des ‘producteurs’, qui construisent

des outils pour rationnaliser la collecte de

l’information ; des entrepreneurs, qui sachent ce que

veut dire lancer un projet numérique ; des

défenseurs du lecteur, qui vérifient que nous

lançons des produits utiles en accord avec les

nouveaux usages de nos abonnés ; des ‘veilleurs de

l’air du temps’, et leur sixième sens pour les

technologies et comportements de demain. Surtout,

nous avons besoin de ces talents rares et très

recherchés qui répondent à plusieurs de ces

critères. Et nous en avons besoin maintenant. »

« Recruter les bons talents est impératif parce qu’il est

bien plus efficace d’embaucher un ‘digital

native’, né et grandi dans le monde numérique, que

de former à un poste numérique un journaliste

traditionnel. Ce n’est pas seulement une question de

compétence. Ils ont un sens inné de l’adaptation aux

changements technologique et de comportement des

lecteurs. »

Bloomberg News, le Financial Times et USA Today,

trois médias pris en exemple par le rapport, « ont fait

appel au rachat d’entreprise pour faire de la place aux

nouveaux arrivants, tout en se débarrassant des

journalistes et rédacteurs en chef qui s’opposaient

activement au changement. »

« Nous avons plus que tout besoin de plus de talents

numériques, mais nous avons également besoin de

leaders numériques. »

Quelques trucs pour attirer les talents

numériques :

- identifier les lacunes et recruter en vue d’y

remédier ;

- s’assurer que les managers comprennent ces besoins

quand ils recrutent ;

- mettre moins l’accent sur les compétences

journalistiques traditionnelles et plus sur les

compétences numériques ;

- recruter moins chez les concurrents traditionnels,

plus dans les start-up ;

- impliquer les talents numériques dans les décisions

stratégiques ;

- engager des top talents numériques au plus haut

niveau pour envoyer un signal fort aux futures

recrues.

Page 13: Innovation blog

Innovation 13 - 16/07/2014

3. Comment y parvenir

3.A. NE PLUS METTRE L’ACCENT

SUR LE PRINT

- Eloigner le centre de gravité de la rédaction de la

« couverture » du numéro du jour. Ajouter aux

traditionnelles mesures du succès des métriques

comme le trafic, les partages et l’engagement lecteur.

- Réévaluer nos processus, circuit de la copie,

organisation et traditions. « Changer ce que nous

faisons sera difficile sans changer la manière dont

nous le faisons ».

- Demander aux rédacteurs en chef de se mettre plus

souvent à la place du lecteur.

- Repenser le paysage concurrentiel – demander à

chaque service d’élaborer une liste de nouveaux

concurrents.

- Faire du numérique un critère d’évaluation :

comment les services sont présents dans les médias

sociaux, comment ils expérimentent. Pour ce faire, il

faut envoyer des signaux clairs.

3.B. EVALUER LES BESOINS

NUMERIQUES

- Créer de nouveaux postes, au sommet comme à la

base.

- Evaluer les compétences numériques des

différents services et remplir les trous.

- Construire les rédactions avec des Legos, pas

des briques. La structure adaptée aujourd’hui ne sera

pas la structure adaptée demain.

- Adjoindre des compétences numériques à notre

comité d’embauche.

- Etablir une liste des nouveaux talents

numériques dans les médias et commencer à leur

faire du gringue.

- Accepter que le marché des talents numériques

est sous haute tension et qu’engager ces nouveaux

talents demande plus d’argent, plus de persuasion et

de leur laisser plus de liberté quand ils sont

embauchés.

- Trouver les manières de renforcer notre équipe

numérique, pour renforcer la culture de

l’expérimentation.

- Laisser les salariés passer facilement des

services opérationnels à la rédaction. Souvent, les

compétences existent déjà – du côté du business.

- Identifier les stars numériques en devenir dans

la rédaction. Et leur montrer combien on les apprécie.

- Embaucher des vedettes du numérique. Le

talent attire le talent.

3.C. LES PROCHAINES ETAPES

- Mettre en place une « task force » pour étudier

les manières de passer à une rédaction numérique. Un

groupe autonome ?

- Mettre en place un programme

d’accompagnement numérique, en partenariat

avec des organismes comme le MIT et son Media

Lab. Une fois leurs talents dans la place, il sera plus

facile de les retenir.