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INSPECTION ACADEMIQUE DE TARN-ET-GARONNE -_-_-_-_-_-_-_-_- Daniel Amédro 27 août 2010 « Il y a l’autorité qui use du pouvoir et du savoir-faire dont elle dispose, pour subordonner les autres à ses fins (…) ; celle-là est asservissante. Il y a l’autorité qui use du pouvoir et du savoir-faire, pour se subordonner elle-même en un sens à ceux qui lui sont soumis, et qui, liant son sort à leur sort, poursuit avec eux une fin commune : celle-là est libératrice. Entre ces deux manières de concevoir et de pratiquer l’autorité, il n’existe pas seulement une différence il existe une contradiction » L. Laberthonnière, Théorie de l’éducation

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INSPECTION ACADEMIQUE DE TARN-ET-GARONNE

-_-_-_-_-_-_-_-_- Daniel Amédro

27 août 2010

« I l y a l ’ au to r i t é qu i u se du pouvo i r e t du savo i r - f a i r e don t e l l e d i spose ,

pou r subordonner l e s au t res à ses f i n s (…) ; ce l l e - l à es t a sse rv i s san te .

I l y a l ’ au to r i t é qu i u se du pouvo i r e t du savo i r - fa i r e , pou r se subordonner e l l e -même en un sens

à ceux qu i l u i son t soumi s , e t qu i , l i an t son so r t à l eu r so r t ,

pou rsu i t avec eux une f i n commune : ce l l e - l à es t l i b é ra t r i ce .

En t re ces deux man i è res de concevo i r e t de p ra t i quer l ’ au to r i t é , i l n ’ ex i s t e pas seu lement une d i f f é rence

i l ex i s t e une con t rad i c t i on »

L . Laber thonn i è re , Théor i e de l ’ éduca t i on

2

Plan

Page

Introduction

Ière PARTIE : APPROCHE HISTORIQUE

- les Grecs

- Rome

- le Moyen-âge

- la Renaissance

- les Lumières

- la Révolution

IIè PARTIE : APPROCHE CONTEMPORAINE

II.1 Avoir de l’autorité

- compétence

- popularité

- prestige

II.2 Avoir une autorité

- 1ère idée : autorité et droit

- 2è idée : autorité et histoire

- 3è idée : autorité et morale

Pour conclure

Bibliographie

3

INTRODUCTION

Autorité et pouvoir ; je dirai que c’est à la fois un

sujet qui vous intéresse et un sujet intéressant.

> Un sujet qui vous intéresse parce que vous êtes dans

des fonctions d’autorité, de chef ; c’est une évolution que vous

avez en principe souhaitée, après y avoir sans doute mûrement

réfléchi ; vous avez peut-être attendu ce passage avec

impatience.

Il s’est traduit par des changements de responsabilités dans

toute une série de domaines, très divers selon les fonctions qui

sont les vôtres. L’un d’entre eux, le moins palpable et, en

même temps, le plus évident, est le changement de situation

vis à vis de l’autorité.

> Sujet qui vous intéresse, donc. Mais aussi sujet

intéressant, eu égard à la complexité de la relation

qu’entretient la société avec l’autorité. « L’autorité est

nécessaire, mais elle n’est pas aimée »1. «… toute société

humaine réclame une autorité pour survivre comme société, ….

Mais … en même temps toute société craint l’autorité

susceptible de nier ses libertés, de mettre à mal ses capacités

d’agir, voire de défaire son ordre propre pour en instaurer un

autre, artificiel »2.

Cette relation complexe, contradictoire, à l’autorité, se

retrouve bien dans la société française. Celle-ci, en effet, a

gardé de la monarchie absolue une « révérence

1 Chantal Delsol, L’autorité, PUF/Que sais-je ?, 1994. 2 Ibidem.

4

exceptionnelle 3» à l’égard de l’Etat, mais elle manifeste, en

même temps, « un tempérament frondeur, une inclination à

contester toute décision prise par l’autorité, une propension à

tenir tête au pouvoir central… 4».

Le contexte de crise que nous connaissons, et qui va sans

nul doute s’approfondir, renouvelle aussi la question de

l’autorité. Ne peut-on soutenir, en effet, que quand tout va

bien, le besoin d’autorité est moins pressant que lorsqu’il faut

gérer des ressources rares ? Par gros temps, les chefs sont mis

en demeure de montrer tout leur savoir-faire.

Cette ambivalence de la relation à l’autorité, complexifiée

par le contexte de crise, est encore redoublée (à moins que ce

ne soit l’inverse…) par la complexité de l’écheveau de

significations que portent les mots. Deux d’entre eux semblent

se disputer la vedette dans cette affaire : autorité et pouvoir.

Vos fonctions actuelles au sein de l’Education Nationale, quelles

qu’elles soient, vous ont sans doute mis en situation d’éprouver

les différences entre autorité et pouvoir.

Lustre superbe et fragile de l’autorité, d’un côté, mécanique

froide et efficace du pouvoir, de l’autre ; voix d’autorité, d’un

côté, décisions du pouvoir, de l’autre ; autorité spirituelle, d’un

côté, pouvoir temporel, de l’autre. Cristal et acier.

Mon propos est d’essayer de clarifier tout cela pour

déboucher – je l’espère – sur un échange.

Dans une première partie, je retracerai l’histoire de la

distinction entre autorité et pouvoir (auctoritas et potestas)

dégagée par Rome, et qui a persisté jusqu’à nos jours.

3 René Rémond, La société française et l’autorité, in Migrants-Formation, n° 112, mars 1998. 4 Ibidem.

5

Nous serons alors prêts pour l’approche contemporaine.

Auctoritas d’abord : c’est l’ascendant ; c’est le type d’autorité

dont fait preuve, au sein d’un groupe, un individu qui se révèle

capable d’influencer l’attitude des autres et qui acquière ainsi

une sorte de prééminence. C’est l’autorité personnelle. C’est

celle que l’on vise quand on dit de quelqu’un qu’il a de

l’autorité.

Potestas ensuite : c’est l’autorité dont sont investies

certaines personnes à raison de la fonction qu’elles remplissent

dans un cadre institutionnel. C’est le pouvoir légal, l’autorité

fonctionnelle. C’est celle qui va nous faire dire d’une personne

qu’elle a une autorité.

Avoir de l’autorité d’un côté, avoir une autorité de l’autre ;

tel sera le balancement de cette deuxième partie.

6

Ière PARTIE

APPROCHE HISTORIQUE

1. Les Grecs ne connaissaient pas le mot autorité. Hannah

Arendt rapporte, dans Qu’est-ce que l’autorité ?5, cette

remarque de l’historien grec Dion Cassius6 qui, écrivant une

histoire de Rome, trouve impossible de traduire en grec le mot

auctoritas. Dans cette « patrie de la libre curiosité, du libre

examen, de la libre discussion, l’autorité intellectuelle y

apparaît réduite au minimum7 ». L’esprit grec est

antiautoritaire. Clément d’Alexandrie8 parlait de « ces

philosophes grecs qui ne cessent d’argumenter et de disputer

par une vanité stérile, qui ne s’occupent enfin que d’inutiles

fadaises9 » ; et il ne trouve pas étonnant que « l’histoire ne

nous montre chez eux que des bourgades souveraines toujours

en guerre et que rien ne put jamais amalgamer10 ».

2. Rome apporte un esprit « pratique, positif, utilitaire11 »,

« politique et administratif, amoureux d’unité, d’organisation et

de discipline, préoccupé d’ordre et de morale, prêt à mettre un

frein aux curiosités et à imposer silence aux discussions12 ».

Le processus juridique de droit privé y est conçu comme

quelque chose qui « métamorphose le fait pour lui conférer la

force [auctoritas] qui le rend efficace13 » : c’est un processus

de majoration. Et cela permet de mieux comprendre la

signification première du mot autorité, qui dérive du verbe

5 In La crise de la culture. 6 V. 155-v. 240. 7 Grand dictionnaire universel du XIXè siècle de Pierre Larousse, article autorité. 8 Philosophe et docteur chrétien (v. 160-v. 217). 9 Cité par le Grand dictionnaire universel du XIXè siècle. 10 Ibidem. 11 Ibidem. 12 Ibidem. 13 Dictionnaire de la culture juridique.

7

augere signifiant augmenter. L’auctoritas en question « n’est ni

une autorisation donnée par avance ni une ratification procurée

après coup, mais une intervention qui valide un acte sinon

imparfait14 ». Cette intervention, c’est celle de l’auctor. L’auctor

est un garant.

La même notion se retrouve en droit public, en plus

complexe. La constitution républicaine romaine a cette

particularité d’organiser la collaboration du Sénat, des

magistrats et du peuple. Polybe15, vers 150 av. J.-C., attribuait

les succès de Rome à cette constitution mixte. Dans les faits,

cependant, la prééminence de l’auctoritas du Sénat fausse

l’équilibre du pouvoir. Le fond de l’affaire est qu’à Rome le

pouvoir revêt plusieurs formes : auctoritas et potestas.

Auctoritas du Sénat d’un côté : capacité à rendre des avis

(senatus-consulte) ; potestas des magistrats de l’autre : droit

de prendre des décisions, de donner des ordres, d’exercer un

certain pouvoir de contrainte. Mais la potestas ne s’engage

jamais seule, « à découvert », a-t-on envie de dire ;

l’auctoritas du Sénat est toujours sollicitée.

L’explication de cette complicité étrange réside d’abord

dans le fait que les membres du Sénat sont, à l’origine,

exclusivement d’anciens magistrats. Elle tient aussi au fait,

ainsi que l’explique Hannah Arendt, qu’« au cœur de la politique

romaine, …, se tient la conviction du caractère sacré de la

fondation, au sens où une fois que quelque chose a été fondé il

demeure une obligation pour toutes les générations futures.

S’engager dans la politique voulait dire d’abord et avant tout

conserver la fondation de la cité de Rome16 ». L’autorité a ses

racines dans le passé. Les anciens, ou les patres du Sénat,

étaient les mieux à même de l’ incarner. Ainsi s’explique 14 Ibidem. 15 Historien grec (v. 206-v. 128). 16 « Qu’est-ce que l’autorité ? », in Crise de la culture.

8

l’auctoritas patrum exceptionnelle (autorité des pères) dont ils

jouissent. Les patres ne donnent qu’un avis consultatif mais, en

pratique, celui-ci est souvent décisoire. « Plus qu’un conseil et

moins qu’un ordre, un avis auquel on ne peut passer outre sans

dommage », écrit Theodor Mommsen dans son Histoire romaine.

« L’autorité émane d’une assemblée dépourvue de pouvoir

immédiat, mais dont le prestige est tel qu’elle règle la vie de la

Cité17 ». Cette autorité ira si loin qu’au temps de la constitution

patricio-plébéienne (VIè siècle av. J.-C.), c'est-à-dire quand la

noblesse devra partager le pouvoir avec la plèbe, « la noblesse

et son assemblée, le Sénat, réussirent cependant à conserver la

haute main sur la vie politique de la Cité en se drapant dans l’

auctoritas18 ». Mieux encore : la plèbe elle-même fera

« consacrer ses projets de réforme par des leges autorisées par

senatus-consulte, plutôt que par des plébiscites qui ne

dépendaient que d’elle19 ».

Bien plus tard, en 27 av. J.-C., le Sénat accorde à Octave,

qui avait restauré la paix, l’ imperium proconsulaire non limité,

c'est-à-dire le pouvoir légal, assorti du qualificatif d’Auguste,

porteur d’auctoritas. Jamais un tel qualificatif n’avait été donné

aux hommes. C’était le début de l’Empire romain. Dans son

testament politique Octave explique l’effet de la mesure : « Dès

lors je l’ai emporté sur tous en autorité (auctoritas), mais je

n’ai pas eu plus de pouvoir (potestas) qu’aucun de mes

collègues dans mes diverses charges ». Il surpasse néanmoins

les pouvoirs établis parce qu’il est premier par l’autorité.

La distinction autorité-pouvoir va se trouver renforcée et

densifiée avec la christianisation de l’Empire. Surgit alors la

question de l’obéissance des premiers chrétiens à la Res publica

païenne. Pouvoir spirituel d’un côté, pouvoir temporel de 17 Dictionnaire de la culture juridique. 18 Ibidem. 19 Ibidem.

9

l’autre. Le concept d’auctoritas aura l’occasion de montrer ses

ressources. Il va permettre à l’épiscopat de « sauvegarder

l’autonomie de son magistère spirituel en s’insérant dans la vie

publique de l’Empire20 ». « En 445, l’Empereur Valentinien III

reconnaît à la papauté et aux évêques pris collectivement une

auctoritas publique qui met à leur disposition la puissance du

bras séculier21 ».

En 494, le Pape Gélase écrit à l’Empereur d’Orient : « Il y a

deux forces, empereur Auguste, par lesquelles ce monde est au

premier chef régi : l’auctoritas sacrata des pontifes et la

potestas des rois ». Mais il affirmait la prépondérance de la

première sur la seconde.

3. Le Moyen-âge s’inspira de la formule de Gélase. Au

pape l’auctoritas, la direction générale du peuple chrétien. Aux

rois la potestas, l’administration gouvernementale. Le Moyen-

âge sera « le bon temps de l’autorité intellectuelle22 » :

infaillibilité ecclésiastique, domination de la philosophie par la

théologie, études réduites au commentaire des écritures. C’est

le temps des Sommes, rassemblant l’ensemble des certitudes

du moment, au premier rang desquelles figure celle de Saint

Thomas d’Aquin.

Dès le XIè siècle, cependant, la ratio s’oppose à l’auctoritas

dans le contexte de la polémique entre dialecticiens et

antidialecticiens. La critique de l’auctoritas se fait plus virulente

au XIIè siècle avec saint Bernard et Pierre Abélard. Au XIIIè

siècle, la représentation du monde et de la société se

rationalise sous l’influence de la philosophie aristotélicienne et

de l’averroïsme. Un moine d’Oxford, Roger Bacon, ose déclarer

que la science du Moyen-âge, tout entière tirée de l’antiquité et 20 Dictionnaire de la culture juridique. 21 Ibidem. 22 Grand dictionnaire universel Larousse, article autorité.

10

de la tradition, formait un édifice fragile et caduc La négation

de l’auctoritas par la raison s’affirmera pleinement au XIVè

siècle avec le nominalisme. En fin de compte, « c’est dans un

monde désenchanté qu’éclôt la pensée politique moderne23 ».

4. La Renaissance marque la décadence de l’auctoritas

intellectuelle. Trois grands événements y contribuent :

l’ invention de l’ imprimerie, la prise de Constantinople par les

Turcs qui va pousser les lettrés grecs vers l’Italie et y créer un

foyer intellectuel de première grandeur, et, enfin, et surtout, la

découverte du nouveau monde. « Ce qui caractérise, toutefois,

ce premier moment de la Renaissance, ce n’est pas encore

l’affranchissement de l’esprit, c’est le conflit des autorités, si

bien unies jusqu’alors24 ». Au faux Aristote, celui de la

scolastique, on oppose le vrai ; ou bien on lui oppose Platon.

Condorcet fera ce commentaire dans l’Esquisse d’un tableau

historique des progrès de l’esprit humain : « …et c’était déjà

avoir commencé à secouer le joug que de se croire le droit de

se choisir un maître ».

La Réforme, relayée par l’ imprimerie, ajoutera ses propres

effets, en opposant à l’autorité de l’Eglise le libre examen

appliqué à la Bible.

La liste des grands aventuriers de la science libre va

commencer à s’étoffer : Copernic, Tycho-Brahé, Galilée,

Paracelse, François Bacon, Descartes. Ce dernier semble

distinguer deux domaines de la pensée et de l’esprit humain :

celui auquel s’applique le doute méthodique et le travail de la

raison, et celui qu’il abandonne à l’autorité de l’Eglise et à

l’autorité de l’Etat. Autrement dit : raison d’un côté, tradition

de l’autre. Pascal sera un bon exemple, au XVIIè siècle, de la

23 Dictionnaire de la culture juridique. 24 Grand dictionnaire universel Larousse, article autorité.

11

pensée opposant rationalisme et traditionalisme. Il distingue

deux espèces de sciences : les sciences d’autorité (histoire,

jurisprudence, langues et surtout théologie) et les sciences de

raisonnement et d’expérience (sciences mathématiques,

sciences physiques).

5. Les Lumières. Ce que les deux Bacon et Pascal avaient

fait pour les sciences mathématiques et physiques, les Lumières

vont le réaliser pour ce que nous appelons aujourd’hui les

sciences humaines (science politique, histoire, morale…). La

distinction entre rationalisme et traditionalisme est enfoncée.

La citadelle sacrée, celle des écritures et de la théologie, est

assiégée. Les héros de ce combat ont noms : Spinoza, Bayle,

Locke, Condillac, Voltaire, Montesquieu, Rousseau, Diderot,

D’Alembert et bien d’autres. La théorie du contrat social vient

au centre de la réflexion politique et consacre une conception

antinaturaliste et antiprovidentialiste de l’organisation poltique.

L’autorité procède d’un acte de volonté. Elle n’est plus qu’une

charge, une fonction. Elle est désacralisée, démystifiée.

6. La Révolution elle-même, pourtant, lui reconnaitra

encore une aura la distinguant du simple pouvoir. C’est ainsi

que « c’est sous les auspices de l’Etre suprême qu’est énoncée

la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen25 ». De

même, à partir de la Révolution, la loi s’est hissée (mais non

sans des périodes de régression) au rang de nouveau concept

transcendant. Les habitus mentaux vieux de deux millénaires

ont été les plus forts.

La Révolution vient ainsi retentir comme la vaste conclusion

de trois siècles d’effervescence intellectuelle et politique sans

les nier.

25 Dictionnaire de la culture juridique.

12

Nous retiendrons de ce survol l’ idée que le concept

d’autorité a montré au fil du temps assez de solidité et de

ressources pour organiser la pensée des hommes aussi bien

dans le domaine de la connaissance que dans celui de

l’organisation de la société. Inventé à Rome, dans une société

païenne, pour réguler les relations entre les protagonistes de la

vie de la Cité, il a été réinvesti, plus tard, par la papauté, pour

organiser les relations entre le pouvoir spirituel et le pouvoir

temporel. A partir de la Renaissance, le concept de raison entre

en scène et la tension qu’il va bientôt former avec le concept

d’autorité constituera la pierre angulaire de la réflexion

philosophique et politique.

13

IIè PARTIE

APPROCHE CONTEMPORAINE

II.1.

AVOIR DE L’AUTORITE

L’autorité (avoir de l’autorité) met en jeu des qualités

personnelles que la sociologie regroupe autour des trois notions

de compétence, popularité et prestige. En voici une synthèse

rapide :

o Compétence : c’est très vrai dans un groupe relativement

restreint comme un établissement scolaire constitué pour

l’exercice d’une activité spécifique et soumis à un réseau

serré et complexe de règles et de procédures.

o Popularité :

Elle peut, elle-même, être décomposée en trois facteurs :

o Simplicité : un chef va être populaire parce qu’il est

tenu pour simple, parce qu’il va montrer que « son

élévation ne le différencie pas des autres

hommes »26, parce que sa cordialité va ôter à

l’obéissance « tout parfum de subordination

hiérarchique »27

o Aptitude à se faire comprendre : pour être populaire

le chef doit mettre à la portée du groupe les

données des problèmes, quitte à les simplifier, mais

sans les caricaturer. Ce faisant, ses subordonnés

auront « le sentiment d’avoir percé le mystère qui

26 Encyclopaedia Universalis, article Autorité. 27 Ibidem.

14

environne le pouvoir »28, de participer à son

essence.

o Capacité à libérer le groupe de ses frustrations : le

chef populaire est alors « celui qui dit non à la

difficulté, non aux contraintes, non à toutes les

formes d’oppression »29, notamment

technocratiques. « Outre que ce geste fait porter

par les « autres » la responsabilité du mal, il donne

au groupe l’ impression qu’il va être affranchi de sa

dépendance »30, il lui procure l’occasion d’un

défoulement général. Ce dernier aspect peut, -en

plus d’une occasion, -être à l’origine de dissensions

ou de frictions entre les différents niveaux de la

chaîne hiérarchique, quand le niveau supérieur a la

désagréable impression que le niveau inférieur se

défausse, cherche à échapper à ses responsabilités,

ou bien, inversement, quand c’est le niveau

inférieur… Non, là je m’égare ; dans ce sens, cela ne

se produit jamais…

o Prestige : pour que l’ascendant personnel engendre

l’autorité de manière durable et sereine, il ne peut rester

cantonné dans les registres de la compétence et de la

popularité, « i l faut qu’il se mue en prestige ; c'est-à-dire

que, n’étant plus exclusivement la manifestation de qualités

personnelles, il exprime une valeur sociale »31. Cela signifie

que le groupe voit dans le chef l’incarnation de valeurs

partagées, socialisées. Nous avons tous en tête des exemples

de chefs d’établissement qui ont acquis dans une ville, au fil

28 Ibidem. 29 Ibidem. 30 Ibidem. 31 Ibidem.

15

des années, un statut social et moral remarquable parce

qu’ils ont su, avec leurs équipes, se mettre à l’écoute des

attentes, des aspirations et des valeurs de la population,

parce qu’ils ont su aussi faire prévaloir auprès de celle-ci,

patiemment, les valeurs du service public, et parce qu’ils ont

su donner une forme concrète, vivante, incarnée, à

l’ensemble.

Compétence, popularité et prestige sont donc les trois

grands ingrédients de l’autorité personnelle. Des ingrédients qui

vont s’ajouter, se sédimenter et se composer lentement avec le

temps. Dans ce domaine, la perfection est rarement une réalité,

mais plutôt un idéal régulateur. Il faut savoir s’en accommoder,

c’est la vie. La vie se passe à progresser. Cela ne veut pas dire

qu’il ne faut pas chercher à bien faire, à toujours mieux faire.

Mais il faut être patient, laisser du temps au temps.

Compétence, popularité et prestige se distinguent aussi

sous l’éclairage de la notion d’imputabilité personnelle.

L’élément de l’autorité personnelle le plus personnel et le plus

« imputable » est sans aucun doute la compétence, celle dont

traite le référentiel de compétences des chefs d’établissement.

C’est, en quelque sorte, la dot que le chef (ou l’adjoint) apporte

dans la corbeille quand il est nommé dans un établissement.

La popularité est déjà un produit plus subtil, plus incertain ;

c’est l’effet émergent d’années de vie commune entre un chef

(ou un adjoint) et ses équipes. Le hasard des circonstances, des

événements malheureux, ou, au contraire, favorables, peuvent

y avoir leur part.

Avec le prestige nous sommes parvenus à la forme achevée

de l’autorité personnelle, et, en même temps, à ses confins.

Nous sommes, en effet, à la lisière de l’ individuel et du

16

collectif, plus exactement du social. En fait, nous sommes aux

portes du pouvoir en ce qu’il est institué, en ce qu’il renvoie au

Politique.

II.2.

AVOIR UNE AUTORITE

(Avoir du pouvoir)

• Première idée (l’autorité dans ses rapports avec le

droit) : le pouvoir, le droit de commander, repose sur un droit,

sur le droit. Il implique une légitimité. L’autorité doit être

autorisée. Sous l’éclairage du pouvoir qui est le nôtre

maintenant, un individu tient son autorité d’une autorité

supérieure à la sienne, laquelle autorité supérieure tient sa

propre autorité d’une autre autorité supérieure. Chaque autorité

procède d’une autorité existante, déjà là, positive, constituée.

Et d’autorité constituée en autorité constituée nous parvenons

ainsi à l’autorité de la Loi.

Le fonctionnaire peut commander parce qu’il obéit. Il est

reconnu dans son « autorité à commander » vers l’aval parce

qu’il reconnaît lui-même, en amont, l’autorité de celui à qui il

obéit. Dit autrement, notre force prend sa source dans nos

limites.

Vu du point de vue de l’organisation, c’est la notion de

chaîne hiérarchique ; vu du point de vue de la personne et de

sa manière de servir, c’est la notion de loyauté.

Première idée donc : l’autorité-pouvoir a partie liée avec le

droit. Si le pouvoir s’exerce sans le droit, on est en présence

d’une autorité usurpée. Mais le droit peut aussi exister sans le

pouvoir : c’est le cas des autorités méconnues (une SASU qui

17

fait office de chef de service ; un CPE qui remplit les fonctions

d’adjoint ; un IEN-IO qui tient le rôle d’un IAA…).

• Deuxième idée (l’autorité dans ses rapports avec

l’histoire) : l’autorité (potestas) ne peut procéder simplement

du jeu efficace de la mécanique de la chaîne hiérarchique.

Celle-ci est une ossature qui ne véhicule pas par elle-même du

sens. Autour de l’os il faut de la chair. L’autorité se nourrit de

textes.

Chaque « chantier » de notre grande maison (collège, LP,

lycée), vous le savez bien, a ses textes-repères, dont la durée

de vie va être de quelques années. Au-delà de ces textes qui

jalonnent le développement de tel ou tel niveau

d’enseignement, on peut distinguer des grands textes. C’est

ainsi que le système éducatif dans son ensemble, après avoir

vécu « sous l’empire de la Loi d’orientation sur l’éducation de

juillet 1989, se réfère maintenant à celle de 2005. Au-delà

encore de ces grands textes, il y a ce qu’on pourrait appeler

des textes fondateurs (Rapport Langevin-Wallon, lois sur la

laïcité, grandes lois scolaires, grandes déclarations, Jules Ferry,

Condorcet…).

Tout à l’heure l’autorité avait partie liée avec le droit. Ici,

elle a partie liée avec l’écrit, la tradition, l’histoire. Envisagée

sous l’éclairage de l’histoire, l’autorité a rapport au sacré. Dans

son Vocabulaire des institutions indo-européennes de 1969, le

linguiste Emile Benvéniste dit que l’autorité va au dépositaire

des choses saintes. Avoir une autorité, c’est aussi s’imprégner

de cela, et lui donner une voix.

• Troisième idée (l’autorité dans ses rapports avec la

morale) : la finalité de l’autorité est l’augmentation de l’être à

qui elle s’applique. Ceci est suggéré par l’étymologie puisque

18

autorité vient du latin augere qui veut dire augmenter. Spinoza

disait, au XVIIè siècle, que l’autorité est ce qui augmente et

dilate les puissances, tandis que le pouvoir est ce qui les

contraint et les limite. Il disait également que l’autorité procure

la joie et le pouvoir la tristesse. L’autorité se définit par le

service de l’autre, qui accepte de reconnaître, dans cette

médiation, les moyens de sa propre élévation. Et cela veut dire,

du même coup, -vu du point de vue de la personne sur laquelle

l’autorité s’exerce, - que la fin de cette autorité est sa propre

disparition, dès lors que l’autre est accompli dans ses propres

fins.

Mais cet accomplissement plénier ne se peut effectuer que

dans et par la confiance publique d’une augmentation qui ne

dépossède pas des capacités critiques de questionner, de

mettre en cause et de dialoguer.

L’autorité, disait Kant, est de promouvoir l’autre comme

cause de ses propres causes et non de produire sur lui des

effets entraînants32.

L’horizon de la notion d’autorité et de sa pratique est donc

la question de l’autonomie et de la responsabilité. L’autorité est

en tension avec la liberté.

Ceci est vrai d’une manière générale, pour tous les types

d’organisation, mais ça l’est encore plus pour l’école

Pour les éducateurs, tout d’abord, parce qu’il leur revient,

précisément, d’instituer la liberté des élèves, de les conduire

vers la liberté, vers l’autonomie, la responsabilité.

32 Dont on a vu les effets catastrophiques, en plusieurs occasions, au XXè siècle. Malheur au peuple qui a besoin de chefs.

19

Mais aussi pour les cadres de l’éducation, car le bon

déroulement du service public d’enseignement suppose de

reconnaître, de respecter la liberté pédagogique des

enseignants.

A l’école plus qu’ailleurs l’autorité doit être placée au

service de la liberté. J’irai même plus loin : à l’école plus

qu’ailleurs, l’autorité des cadres se joue dans un entre-deux,

entre le contrôle tatillon et autoritaire du respect des

instructions dont la référence intellectuelle serait Surveiller et

punir de Michel Foucault, d’un côté, et, de l’autre, l’observation

attentive des pratiques inventives, non réglées, non officielles.

Avec cette troisième idée, l’autorité a partie liée avec la

philosophie et la morale.

Aujourd’hui, l’autorité n’est plus acquise d’emblée. Elle

« doit, dit René Rémond33, se justifier par la qualité de ceux qui

l’exercent, par les objectifs que l’ institution se fixe, par les

résultats qu’elle obtient… ».

S’agissant de la qualité des personnes, René Rémond

poursuit : « La relation [entre autorité (avoir de l’autorité) et

pouvoir (avoir une autorité) ] s’est inversée : autrefois

c’étaient les personnes qui recevaient leur autorité de la

fonction qu’elles occupaient et qui leur apportait le supplément

dont quelquefois leur médiocrité, intellectuelle ou caractérielle,

avait besoin. Aujourd’hui c’est la personne qui apporte à la

fonction le supplément d’autorité dont cette fonction a besoin

parce qu’elle ne se justifie plus par elle-même aux yeux des

usagers. On ne s’en sort plus sans une autorité personnelle ».

33 Conférence introductive au XXIIIè colloque de l’AFAE de mars 2001, in Administration et éducation, n° 3, 2001 (cf. bibliographie).

20

On pourrait dire aussi, en reprenant la distinction de Pascal

entre grandeur d’établissement et grandeur naturelle, que dans

le passé la première primait sur la seconde, et qu’aujourd’hui

c’est l’ inverse.

Cette analyse permet, au passage, de comprendre pourquoi

on constate, de nos jours, à la fois une « crise de l’autorité » et

une recrudescence de la demande d’autorité. Ce qui est en crise

c’est l’autorité des institutions34 ; et cette crise génère une

demande d’autorité au sens d’ascendant personnel. « Les

individus, écrit Chantal Delsol, répugnent de plus en plus à

obéir aux instances officielles ou hiérarchiques, c'est-à-dire à

ceux qui sont revêtus des attributs traditionnels ou légaux de

l’autorité. Pour autant ils ne cessent pas d’obéir, mais suivent

tel individu choisi pour son prestige »35. L’autorité ne s’est pas

affaiblie, elle s’est déplacée.

René Rémond aborde ensuite la question des objectifs que

se fixe l’institution et des résultats qu’elle obtient. Je ne

développe pas ces thèmes et vous renvoie à sa conférence.

34 Cf. François Dubet, Le déclin de l’institution, Seuil/L’épreuve des faits, 2002. 35 L’autorité, PUF/Que sais-je ?, 1994.

21

POUR CONCLURE

Je dirai, dans la droite ligne des propos de René Rémond

que je viens de citer, que l’autorité à des ressorts individuels et

des ressorts collectifs.

Les ressorts collectifs sont relatifs aux missions et objectifs

de l’école, aux résultats qu’elle obtient. Ils tiennent aussi à

l’autorité que la société reconnaît à l’Etat pour définir ces

missions et objectifs ; à l’autorité qu’elle lui reconnaît dans le

choix des moyens pour les atteindre ; et, enfin, à l’efficacité

dont elle peut le créditer. La confiance que la société peut faire

ou ne pas faire à l’Etat et à l’ institution éducative sur toutes

ces questions ne peut pas ne pas avoir des effets sur l’autorité

de ses agents36.

En ce qui concerne les ressorts individuels de l’autorité, je

pense, suivant en cela Hannah Arendt, que le rôle des

personnes qui ont des fonctions d’autorité est d’être des

« augmentateurs »37, et cela dans deux directions

complémentaires :

• en direction des groupes ou des collectifs de travail dont

elles ont la charge, elles doivent être celles qui vont aider à la

bonne formulation des problèmes, qui vont instaurer des règles

et des pratiques de discussion collective ouvertes et équitables,

qui vont faire prévaloir les meilleures solutions possibles, qui

vont dénouer les conflits de manière positive, qui vont enrichir

le patrimoine de procédures reconnues par les membres du

groupe, qui vont étendre et consolider sa palette d’institutions

36 Sur ce thème de la crise de l’autorité dans le système éducatif on trouvera une intéressante mise en perspective historique par René Rémond dans Administration et éducation (cf. bibliographie). 37 Hannah Arendt, La crise de la culture.

22

communes, de valeurs partagées. Et qui vont faire tout cela en

faisant prévaloir la justice. Considérée de ce point de vue,

l’autorité peut se comparer à l’effet de gravité que produit le

lest du navire, et qui lui permet de ne pas être renversé sous

l’effet des vents contraires. Quand Hannah Arendt écrit que

« ce que l’autorité ou ceux qui commandent augmentent

constamment, c’est la fondation »38, elle est sur une idée très

proche. Que faut-il entendre par fondation ? Ce qui fonde un

groupe ou un collectif, c'est-à-dire – ainsi que je le disais il y a

un instant - des procédures, des institutions, des valeurs, des

représentations collectives, des types de relations, des

réalisations. Lest ou fondation, dans les deux cas l’idée est que

l’autorité inspire confiance, rassure et rassemble.

• en direction des personnes, les détenteurs de l’autorité

doivent être ceux qui vont instituer la liberté, l’autonomie et la

responsabilité des personnes (personnels) pour les aider à

instituer, à leur tour, la liberté, l’autonomie et la responsabilité

des élèves. Ce sont ceux qui sont capables de faire confiance,

de déléguer, d’encourager les initiatives. Un philosophe de la

fin XIXè/début XXè, aujourd’hui bien oublié, Lucien

Laberthonnière, a dit là-dessus quelque chose que je trouve

très profond : « Il y a l’autorité qui use du pouvoir et du savoir-

faire dont elle dispose, pour subordonner les autres à ses fins

(…) ; celle-là est asservissante. Il y a l’autorité qui use du

pouvoir et du savoir-faire, pour se subordonner elle-même en

un sens à ceux qui lui sont soumis, et qui, liant son sort à leur

sort, poursuit avec eux une fin commune : celle-là est

libératrice. Entre ces deux manières de concevoir et pratiquer

38 Ibidem.

23

l’autorité il n’existe pas seulement une différence, il existe une

contradiction »39.

Je vous remercie de votre attention.

39 Théorie de l’éducation, 1901 (cité par Paul Foulquié, à l’article Autorité, dans le Dictionnaire de la langue pédagogique, PUF/Quadrige, 1991, et par André Lalande, à l’article Autorité également, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, PUF/Quadrige, 2002)

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