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1 Sommaire général Introduction I. Les normes internationales non écrites II. Les relations entre droit international et droit interne a. Les relations entre droit international et droit interne : aspects théoriques Unicité ou dualité des ordres juridiques ? Principe de la primauté du droit international b. Les relations entre droit international et droit interne : aspects techniques III. Les dispositions constitutionnelles pertinentes IV. Historique des dispositions constitutionnelles V. Présentation sommaire Partie I : Normes de droit international non écrites et applicabilité dans les ordres juridiques internes Chapitre I : La double problématique de l'applicabilité et de l'invocabilité Section 1 : Le fondement constitutionnel de l'applicabilité des règles de droit international non écrit I. Les normes issues du droit international exclues de l'article 25 de la Loi Fondamentale et de l'alinéa 14 du Préambule de 1946 A. Précisions relatives à l’usage du terme « public » dans l'alinéa 14 du préambule de 1946 B. La non incorporation des traités par les articles 25 de la Constitution et l'alinéa 14 du Préambule de 1946 (le problème de la règle pacta sunt servanda) C. Les actes unilatéraux des organisations internationales D. Les actes unilatéraux des Etats E. Le cas particulier des relations interfédérales en Allemagne II. Les incertitudes sur l'applicabilité des règles non écrites A. La disposition constitutionnelle en tant que disposition de transposition. 1. En France, l’alinéa 14, une disposition de transposition aléatoire a. La reconnaissance de l’applicabilité des normes internationales non écrites par le Conseil Constitutionnel sur le fondement de l’alinéa 14 du préambule de 1946 b. La coexistence de divers modes d’applicabilité 2. En Allemagne, l’article 25 comme disposition de transposition a. La transposition normative des règles générales du droit international en droit interne par l’article 25 LF b. Transformation en droit allemand ou réception en tant que droit international ? B.Les incertitudes relatives à l'inexistence de formalités d'insertion du droit non écrit dans l'ordre juridique interne Section 2 : L'articulation entre modes d’applicabilité et invocabilité : quelques aspects du contentieux interne des normes internationales non écrites I. Les formes d'invocabilité A. le respect des règles non écrites du droit international est-il exigible dans le domaine des relations entre Etats ? 1. En France a. La lecture « internationaliste » de l’alinéa 14 b. La théorie des actes du gouvernement 2. En Allemagne a. La vérification par la Cour Constitutionnelle Fédérale d’atteintes au droit international par les tribunaux

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Sommaire général Introduction I. Les normes internationales non écrites II. Les relations entre droit international et droit interne a. Les relations entre droit international et droit interne : aspects théoriques Unicité ou dualité des ordres juridiques ? Principe de la primauté du droit international b. Les relations entre droit international et droit interne : aspects techniques III. Les dispositions constitutionnelles pertinentes IV. Historique des dispositions constitutionnelles V. Présentation sommaire Partie I : Normes de droit international non écrites et applicabilité dans les ordres juridiques internes Chapitre I : La double problématique de l'applicabilité et de l'invocabilité Section 1 : Le fondement constitutionnel de l'applicabilité des règles de droit international non écrit I. Les normes issues du droit international exclues de l'article 25 de la Loi Fondamentale et de l'alinéa 14 du Préambule de 1946 A. Précisions relatives à l’usage du terme « public » dans l'alinéa 14 du préambule de 1946 B. La non incorporation des traités par les articles 25 de la Constitution et l'alinéa 14 du Préambule de 1946 (le problème de la règle pacta sunt servanda) C. Les actes unilatéraux des organisations internationales D. Les actes unilatéraux des Etats E. Le cas particulier des relations interfédérales en Allemagne II. Les incertitudes sur l'applicabilité des règles non écrites A. La disposition constitutionnelle en tant que disposition de transposition. 1. En France, l’alinéa 14, une disposition de transposition aléatoire a. La reconnaissance de l’applicabilité des normes internationales non écrites par le Conseil Constitutionnel sur le fondement de l’alinéa 14 du préambule de 1946 b. La coexistence de divers modes d’applicabilité 2. En Allemagne, l’article 25 comme disposition de transposition a. La transposition normative des règles générales du droit international en droit interne par l’article 25 LF b. Transformation en droit allemand ou réception en tant que droit international ? B.Les incertitudes relatives à l'inexistence de formalités d'insertion du droit non écrit dans l'ordre juridique interne Section 2 : L'articulation entre modes d’applicabilité et invocabilité : quelques aspects du contentieux interne des normes internationales non écrites I. Les formes d'invocabilité A. le respect des règles non écrites du droit international est-il exigible dans le domaine des relations entre Etats ? 1. En France a. La lecture « internationaliste » de l’alinéa 14 b. La théorie des actes du gouvernement 2. En Allemagne a. La vérification par la Cour Constitutionnelle Fédérale d’atteintes au droit international par les tribunaux

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b. L’obligation de retenue des organes juridictionnels (le devoir de réserve) B. Les normes internationales non écrites du droit international comme composantes du droit objectif en vigueur C. Droits et obligations invocables par le particulier. D. Règles générales du droit international et droits fondamentaux allemands. II. La fonction d’identification A. En Allemagne, une fonction d’identification centralisée autour de la Cour constitutionnelle fédérale B. En France, la coexistence de plusieurs juges suprêmes de l’identification du droit international non-écrit. Chapitre II : La détermination des normes applicables

Section 1 : La détermination des normes applicables selon leur nature I. L’application des principes généraux de droit « reconnus par les nations civilisés » A. en Allemagne 1. Les divergences doctrinales sur la position des principes généraux de droit parmi les principes généraux de droit 2. L’application des principes généraux de droit par la Cour constitutionnelle fédérale B. En France

II. Les coutumes A. En Allemagne B. En France 1. Le Conseil Constitutionnel et la coutume 2. Le juge administratif et la coutume 3. Le juge judiciaire et la coutume Section 2. La détermination des normes applicables selon leur contenu I. L'applicabilité des normes non écrites déterminée par leur caractère général ou absolu A. En Allemagne 1. Les éléments constitutifs de la généralité 2. L’exclusion des règles coutumières qui se sont développées dans le cadre de normes particulièrement consenties B. En France II. L'applicabilité des normes déterminée par le degré de sa compatibilité avec le droit interne A. En Allemagne B. En France

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Partie II. Normes internationales non écrites et conflits de normes en droit interne Chapitre I. Normes de droit international non écrites et conflits avec les normes issues de procédures internes Section I. Normes de droit international non écrites et Constitution I. La Résolution de conflit de normes entre normes internationales non écrites et Constitution elle-même A. En Allemagne 1. Un rang supra-constitutionnel ? 2. Un rang constitutionnel aux côtés de la Loi Fondamentale 3. L’absence d’atteintes aux fondements de compétence interne B. En France 1. Le problème de l'appartenance au bloc de constitutionnalité 2. La primauté de la norme constitutionnelle a. La primauté de la norme constitutionnelle dans le cadre du système mixte b. Une primauté incertaine dans le cadre du système moniste II. La Résolution de conflit de normes entre normes internationales non écrites et norme de justice constitutionnelle A. En France B. En Allemagne Section 2. normes de droit international non écrites et normes infra-constitutionnelles I. La résolution de conflits de normes entre norme législative et norme internationale non écrite A. En Allemagne 1. La primauté sur les lois 2. Considérations générales sur la primauté de l’article 25 LF. B. En France 1. L’admission des normes internationales non écrites comme normes de référence par le Conseil constitutionnel entraîne la reconnaissance d’un rang supra-législatif 2. La primauté des normes internationales non écrites dans le cadre d’un mode d’applicabilité de système mixte 3. Une primauté indéterminable dans le cadre du mode d’applicabilité moniste. II. Résolution de conflits entre norme internationale non écrite et normes infra-législatives A. Normes internationales non écrites et normes de justice ordinaire B. Normes internationales non écrites et actes administratifs Chapitre 2. La résolution de conflits entre normes internationales par le droit interne Section 1. La résolution de conflit entre normes de droit international non écrit I. L’articulation entre principes généraux de droit et autre règles du droit international général A. La coexistence de deux régimes d’application des principes généraux de droit devant le Conseil d’Etat français

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B. La fonction des principes généraux de droit II. La reconnaissance du caractère impératif des normes de ius cogens III. La résolution de conflits entre règles coutumières Section II. Résolution de conflits entre normes non écrites de droit international et traités I. En France II. En Allemagne Bibliographie Tableau des abréviations

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La relation entre droit international et droit interne ne dépend pas nécessairement des

dispositions internes directement relatives à celle-ci, même de nature constitutionnelle, mais

avant tout de la volonté des organes d’application du droit. L’étude de l’application des

normes internationales non écrites démontre l’unité des droits international et interne, c’est-à-

dire le caractère strictement moniste des relations entre droit international et droit interne. On

ne se heurte pas ici aux difficultés créées par l’ambiguïté de la « réception formelle » des

règles conventionnelles internationales relatives à la promulgation et la publication des traités.

Les normes internationales non écrites

L’appellation « droit international non écrit » suppose quelques discussions. Il va sans

dire que cette terminologie s’adresse en grande partie à des « normes sans actes » : coutumes,

principes généraux de droit, ius cogens. Ces diverses normes peuvent connaître un support

originel écrit : un traité qui connaît des transformations coutumières, une « norme » de soft

law qui se transforme en droit contraignant voire en norme de ius cogens ou même une loi, de

l’ordre juridique interne, qui se transpose en norme internationale sous la forme de principe

général de droit. Les normes internationales de droit non écrit se caractérisent non pas par

l’absence de dispositif écrit mais par une transformation en tant que norme juridique qui

s’effectue en l’absence d’un acte formel « écrit »1. Les normes du droit international non

écrites sont la coutume, les principes généraux de droit et le ius cogens.

La coutume internationale2 est définie par l’article 38 §1 b. du statut de la Cour

internationale de justice. comme « preuve d’une pratique générale, acceptée comme étant le

droit». Elle se forme par la réunion de deux éléments : l’élément objectif, c’est-à-dire la

pratique des Etats, et l’élément subjectif (qualifié de « psychologique ») qui est le sentiment

des Etats de la force obligatoire de la norme (opinio juris).

Les « principes généraux de droit reconnus par les nations civilisés » sont évoqués, à

côté de la coutume, par l’article 38 §1 c. parmi les sources du droit international. Le principe

général de droit « reconnu par les nations civilisées »3 est une norme originellement extraite

de l’ordre juridique interne4. Pour que cette norme soit applicable en droit international, il

1 Relevons toutefois qu’il existe un mouvement de codification de la coutume peut être codifiée. Toutefois, ce n’est pas la codification qui emporte la valeur obligatoire de la coutume. 2 En allemand, Völkergewonheitsrecht. 3 En allemand, allgemein anerkannte Grundsätze des Rechts. 4 La confusion entre « principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées » et « principes généraux du droit international » est courante. Les derniers sont extraits directement du droit international. Le

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faut qu’elle soit commune à l’ensemble des ordres juridiques et transposable dans l’ordre

juridique international5.

Enfin, le ius cogens (ou jus cogens) – norme contestée6 – est une norme internationale

impérative à la différence des autres normes simplement obligatoires. Les sujets de droit, dans

l’ordre international, ne peuvent y déroger, même par convention contraire. La théorie du ius

cogens conduit à isoler, au sein de l’ensemble des normes de droit international, certaines

normes dont l’application ne peut pas être écartée par voie d’accords particuliers, autrement

dit à « distinguer… dans le cadre des règles générales du droit international, la catégorie

particulière des règles du jus cogens»7.

Les autres normes du droit international : traités8, résolutions et autres actes

unilatéraux des organisations internationales, normes communautaires de droit dérivé,

« décisions judiciaires et doctrine des publicistes les plus qualifiés des différentes nations »

(art. 38 §1 d. du statut de la CIJ) sont des normes de droit écrit dont l’entrée en vigueur en

droit international est caractérisée par un acte formel « écrit »9. Les actes unilatéraux des

Etats10 peuvent être des normes non écrites, une déclaration pouvant constituer un acte

unilatéral11. Toutefois leur nature particulière d’actes non autonomes12 en dehors d’actes

particuliers – la notification, la reconnaissance, la protestation – nous incite à ne les traiter ici

que marginalement.

L’application des normes internationales non écrites en droit interne est relative aux

relations générales entre droit interne et droit international et au mode d’applicabilité de ces

principe général du droit international est en réalité une forme de coutume mais une coutume abstraite et généralisée (par exemple, le principe du droit des peuple à disposer d’eux mêmes). 5 Les principes généraux du droit sont transposés dans l’ordre juridique international par analogie en trois phases : abstraction (dépouillement des principes), généralisation et implantation dans le système international. 6 On sait que c'est par opposition à ce concept que la France n'a pas signé la Convention de Vienne sur le droit des traités. V. La Convention de Vienne sur le droit des traités N.E.D. 3622; J. Nisot : « Le jus cogens et la convention de Vienne sur le droit des traités », R.G.D.I.P., 1972, p. 693; O. Deleau : « Les positions françaises à la convention de Vienne sur le droit des traités ? », A.F.D.I., 1969, p. 7. 7 Annuaire C.D.I., 1976, vol. II (2ème partie), p. 94. 8 En allemand, Verträge. 9 le traité entre en vigueur par la ratification ; les normes communautaires dérivés ainsi que les résolutions des organismes internationaux sont des normes écrites. 10 En allemand, einseitige völkerrechtliche Akte. Par acte unilatéral, on doit entendre l’acte imputable à un seul sujet de droit international. 11 CPIJ, 5 avril 1933, affaire du statut juridique du Groenland oriental (Danemark c. Norvège) ; CIJ,27 juin 1986, affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, (Nicaragua/Etats-Unis). 12 Les actes unilatéraux sont généralement liés à une prescription conventionnelle ou coutumière.

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normes mis en œuvre par les organes d’application du droit en dehors ou sur un fondement

constitutionnel.

Les relations entre droit international et droit interne

Les rapports entre le droit interne et le droit international ont, depuis la fin du 19ème

siècle, été abordés en termes de « rapports de système » 13, ou d’ordres juridiques. Ainsi,

« dualisme », « monisme » et « pluralisme » sont des jugements relatifs au nombre d’ordres

juridiques. Dans leur acception première, ces jugements signifient que ces règles de droit

n’existent pas en dehors des ordres juridiques qui leur confèrent leur validité, c’est-à-dire

selon Hans Kelsen, leur mode d’existence propre. Dès lors, le nombre d’ordres juridiques

dépend du nombre de principes de validité.

Pour les monistes, le droit international est de même nature que le droit interne : il

n’existe entre eux qu’une différence de degré, indiscutable tant sont évidents les imperfections

techniques du droit international par rapport au droit des Etats. Le monde juridique est

forcément unitaire car le droit est un : une double définition du droit est inconcevable.

Les partisans du dualisme fondent leur conviction sur les différences fondamentales

qu’ils décèlent entre le droit international et le droit interne, différences qui les rend

irréductibles l’un à l’autre. Dans une perspective extrême, ce sont deux ordres juridiques

indifférents l’un à l’autre, qui n’ont pas de points de contact autre que la responsabilité

internationale. Or cet élément de droit international n’interfère en rien avec la validité des

normes de droit interne selon ce droit interne.

Les options portant sur le nombre d’ordres juridiques entraînent d’importantes

conséquences sur les rapports entre les normes internes et les normes internationales. Le

monisme juridique implique dans sa pure expression kelsénienne que la norme interne – y

compris la norme fondamentale – dépend, pour sa validité, de sa conformité ou de sa

compatibilité avec la norme internationale. Le dualisme (ou le pluralisme) implique

l’autonomie de la validité des deux catégories de normes.

D’après un grand nombre d’auteurs, si l’on se tient à l’essence de ces deux théories, on

est astreint à conclure que l’état actuel du droit positif ne peut être décrit qu’en termes de

dualisme. C’est notamment la thèse de Denis Alland : « Les termes « monisme » et

13 V. Hans Kelsen, « les rapports de système entre le droit interne et le droit international public », R.C.A.D.I. 1926, IV, pp. 231-329.

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« dualisme » correspondent à des choix constitutionnels de la part des Etats, et les conditions

d’applicabilité du droit international dans l’ordre international dans l’ordre national sont

régies par des règles elles-mêmes internes, car il n’a jamais été établi de façon convaincante

que l’organisation de l’Etat dérive du droit international. Ainsi, lorsqu’une Constitution

prévoit quelle est l’autorité juridique des traités en droit interne, même si elle y met peu ou

pas de confusion, comme en France l’article 55, elle opère une sorte de réception par avance

et généralisée, ce qui permet de regarder le monisme comme une « modalité du dualisme »,

ainsi que l’a suggéré le professeur Sur (J. Combacau et S. Sur, Droit international,

Montchrestien, 1995, p. 183). Dans cette perspective, il est tentant d’envisager la pratique

constitutionnelle des Etats sur un dualisme généralisé, plein de nuances, comme une échelle

d’internationalité croissante jusqu’au monisme avec primauté de droit international.

L’opposition des mots peut être trompeuse et l’explication dualiste rend, selon nous, mieux

compte de la pratique » 14. Pourtant, l’argument selon lequel l’étude du droit positif démontre

que le système de relations entre droit interne et droit international est dualiste semble

doublement erroné. D’une part, concernant le droit positif, il existe des pratiques monistes

« pures », tout particulièrement en matière de règles internationales non écrites. Ainsi,

l’application du droit international ne se fonde pas nécessairement sur une disposition de droit

interne. D’autre part, l’acceptation du terme monisme est bien souvent aléatoire, comme le

révèle cet extrait : d’abord, le monisme consiste en ce que l’organisation de l’Etat « dérive du

droit international » ; ensuite, il est – à propos de l’article 55 de la Constitution française –

une technique d’intégration des normes internationales au sein de l’ordre juridique interne,

une « sorte de réception par avance et en bloc ».

Il convient de distinguer clairement les aspects théoriques et techniques des relations

entre droit international et droit interne.

Les relations entre droit international et droit interne : aspects théoriques

Les polémiques doctrinales se concentrent essentiellement sur deux aspects des

relations entre droit international et droit interne : l’unité ou la dualité des ordres juridiques et

l’éventuelle primauté d’un de ces droits.

14 Denis Alland, « l’applicabilité directe du droit international du point de vue de l’office du juge : des habits neufs pour une vieille dame ? », R.G.D.I.P. 1998, p. 207.

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Unicité ou dualité des ordres juridiques ?

1. La théorie moniste implique que le droit international s’applique directement dans l’ordre

juridique interne des Etats car elle impose des rapports d’interpénétration, rendus possibles

par l'appartenance à un système de droit unique fondé sur l’identité des sujets (les individus)

et des sources de droit (un fondement objectif et non des procédures mettant en œuvre la

volonté des Etats).

Compte tenu de ces postulats, rien ne s’oppose à ce que le droit international régisse

les rapports entre individus. Il est également inutile d’établir des procédures propres au droit

interne pour assurer l’application des normes internationales dans les ordres juridiques

internes.

Enfin, puisqu’il existe un seul système juridique, les conflits entre normes seront

tranchés uniformément sur la base de principes uniques.

2. Pour les partisans du dualisme, il ne peut y avoir de conflit entre normes relevant du

droit interne et du droit international. Ces normes n’ont pas le même objet, et elles ne

réglementent pas les mêmes rapports sociaux. Une telle situation n’est ni impossible, ni

illogique puisque la norme internationale s’applique exclusivement dans le cadre de l’Etat et

ne pénètre pas, en tant que norme, dans l’ordre juridique international15.

En second lieu, les communications entre les deux ordres juridiques ne peuvent se

faire qu’en vertu des procédures propres à chaque ordre juridique et par la transformation

d’une norme caractéristique d’un ordre juridique en une autre norme, caractéristique de l’autre

ordre.

Enfin, les sujets du droit ne peuvent pas être les mêmes dans les deux ordres

juridiques. Chacun a un champ d’application bien délimité, l’un aux rapports interétatiques,

l’autre aux rapports interindividuels. Le droit international ne peut régir les relations entre

individus dans le cadre interne, mais si ceux-ci sont des titulaires directs de droits et

d’obligations au plan international, ils deviennent, dans cette mesure, des sujets du droit

15 Il ne faut pas en déduire que le comportement contradictoire de l’Etat n’a pas de conséquence internationale. En participant à la création d’une norme internationale qui sera contredite par une norme interne, l’Etat s’engage juridiquement, il fait une promesse aux autres sujets du droit international. En émettant une norme contraire, il commet un manquement et doit réparer les préjudices que son attitude peut causer aux autres sujets. Cependant, la norme interne « internationalement contraire » n’est pas « illégale », elle ne peut être qu’un « fait » dommageable.

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international.

Principe de la primauté du droit international

Logiquement, un problème de hiérarchie entre droit international et droit interne et

normes internationales n'existe que si l’on admet la thèse de l’unité des ordres juridiques.

Pour les dualistes, la question des rapports entre normes appartenant à des ordres juridiques

différents ne se pose pas. Tout est affaire de perspective : dans l’ordre interne seules peuvent

trouver application les normes internes ; dans l’ordre international, ce sont les règles

internationales et elles seules qui s’appliquent. Cependant, aucune approche ne peut faire

abstraction de la réalité des conflits de normes.

Les partisans du monisme divergent dans leurs conclusions sur le problème du rapport

hiérarchique entre droit international et droit interne.

Les théories, aujourd’hui abandonnées par la plus grande partie de la doctrine, qui

réduisent le droit international au « droit public externe de l’Etat », affirment la supériorité du

droit interne sur le droit international. Une telle solution conduirait à la négation du droit

international. Si elle est parfois mise en œuvre par des régimes nationalistes, elle ne trouve

aucun soutien dans la jurisprudence internationale, ni même dans la pratique interétatique.

Pour les fondateurs de la « théorie pure du droit », le problème n’a pas de solution

impérative. Il est, en toute logique, possible de prendre comme point de départ aussi bien le

postulat de la primauté du droit interne que celui de la primauté du droit international. Si Hans

Kelsen lui-même se rallie au second postulat, c’est initialement sur une base pragmatique, en

vue de garantir la positivité du droit international.

Cependant, deux auteurs qui se rattachent à la même « Ecole de Vienne », Verdross et

Kunz, se sont élevés contre l’indifférence initiale de Kelsen16. Selon eux, le point de départ

est inévitablement le principe de la primauté du droit international, car les diverses

collectivités étatiques ne sont pas dotées de la souveraineté au sens plein du terme. Dans

16 Hans Kelsen s’est toutefois rallié à la position d’un monisme à primauté de droit international ; Antonio Truyol, « Doctrines contemporaines du droit des gens », R.G.D.I.P., 1951, p. 27 : « Plus tard, il est vrai, dans un résumé de sa Reine Rechtslehre, M. Kelsen changea d’avis : « étant donné, en effet, qu’il n’y a pas un seul ordre juridique étatique valable, mais qu’il y en a plusieurs coordonnés entre eux et délimités les uns vis-à-vis des autres quant à leurs domaines respectifs de validité ; et étant donné que c’est le droit international qui réalise cette coordination et cette délimitation, il faut nécessairement considérer que le droit international est un ordre juridique supérieur à tous les ordres étatiques, qu’il réunit en une communauté juridique universelle ». »

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l’édifice juridique universel, le droit international se superpose naturellement aux divers droits

nationaux.

De leur côté, les dualistes refusent de raisonner en termes de « supériorité » : les deux

ordres juridiques sont séparés ; les règles internationales sont de « simples faits » au regard du

droit international17 et réciproquement. Dès lors, dans les ordres internes seules les normes

internes peuvent trouver à s'appliquer ; dans l’ordre international, seules s’appliquent les

normes internationales ; et chacun de ces ordres juridiques organise comme il l’entend la

hiérarchie des normes.

Les relations entre droit international et droit interne : aspects techniques

En dehors des considérations doctrinales relatives à l’unité ou à la dualité d’ordres

juridiques, il convient de s’interroger ici sur les techniques d’application du droit international

par le droit interne dans les ordres juridiques allemand et français.

Tout d’abord, et accessoirement, le droit des gens est ici utilisé comme synonyme de

droit international général, l’expression « droit des gens » étant parfois utilisée pour désigner

précisément les règles du droit international non écrit. Toutefois, l’emploi de cette

signification dans cette étude serait contestable étant donné qu’elle peut mener à une

confusion, la traduction littérale du terme allemand « Völkerrecht » (qui désigne le droit

international général) étant précisément « droit des gens ».

Ensuite, plusieurs précisions terminologiques sont à apporter concernant plus

précisément les techniques d’application du droit international au sein des ordres juridiques

internes.

L’applicabilité signifie que la norme issue du droit international existe en tant que norme

juridique valide dans l’ordre juridique interne mais elle ne désigne pas un mode spécifique

d’intégration de la norme

La transposition est le processus par lequel la norme passe en tant que telle de l'ordre

juridique international à l'ordre juridique interne. Elle se distingue de la transformation par

laquelle la norme de droit international se trouve reprise par un acte interne qui conclut une

procédure de droit interne (par exemple une procédure législative).

17 C.P.I.J, 25 mai 1926, Intérêts allemands en Haute Silésie polonaise (Allemagne c. Pologne), série A, n°7.

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La transposition s’effectue par le biais d’une norme de transposition qui appartient à

l’ordre juridique interne et a une valeur fondamentale. C’est par son biais que toute norme

internationale valide passe automatiquement et en bloc dans l’ordre juridique interne. La

transformation requiert une procédure interne, norme par norme, qui se conclut par un acte de

droit interne qui confère une validité nouvelle, dans l’ordre juridique interne, à la norme. Il

existe deux types d’actes internes de transformation :

La simple reconnaissance de la norme est un acte juridique par lequel les normes de droit

international sont intégrées une par une au sein de l’ordre juridique interne par l’organe

interne compétent sans qu’il y ait modification du contenu de la norme internationale.

L’acte de transformation (par exemple une loi) est un acte susceptible de modifier le

contenu de la norme.

Il existe dans la doctrine deux acceptions techniques des termes monisme et dualisme

qu’il convient de distinguer.

Dans sa première acception, le monisme désigne l’absence de séparation entre les ordres

juridiques. En matière d’applicabilité des normes internationales, cela signifie que les normes

internationales sont valides dans l’ordre juridique international et dans l’ordre juridique

interne, sans même que ce soit une disposition de droit interne qui dispose de la validité des

normes internationales dans l’ordre juridique interne (hypothèse moniste

1).

Dans sa seconde acception, le monisme a la signification suivante : la validité d’une

norme de droit international lui confère une validité interne (hypothèse moniste 2). Quelque

soit la définition du monisme retenue, le producteur de la norme est unique dans l’ordre

juridique international et dans l’ordre juridique international.

Le dualisme, quant à lui, signifie dans sa première acception, que les normes

internationales ne sont valides dans l’ordre juridique interne qu’en vertu d’une disposition

interne (hypothèse dualiste 1).

Dans sa seconde acception, il signifie que la validité d’une norme de droit international

ne lui confère pas de validité en droit interne et qu’un acte de transformation est nécessaire

pour cela (hypothèse dualiste 2).

A partir de ces hypothèses, il est possible de classifier de manière exhaustive les

systèmes d’application du droit international par le droit interne.

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Les configurations possibles sont les suivantes : la combinaison de l’hypothèse moniste 1

et de l’hypothèse moniste 218, la combinaison de l’hypothèse moniste 2 et de l’hypothèse

dualiste 1, la combinaison de l’hypothèse dualiste 2 et de l’hypothèse dualiste 119. Le reste des

combinaisons aboutit à une contradiction logique20. Une typologie des systèmes est dès lors

réalisable :

Le système moniste est le système dans lequel il n’existe pas de norme de transposition de

l'ordre juridique international à l'ordre juridique interne et dans lequel, pourtant, les normes de

droit international sont applicables sans qu’un acte de droit interne ne soit nécessaire. Ce

système relève de la combinaison entre l’hypothèse moniste 1 et l’hypothèse moniste 2. Ce

système existe notamment au Royaume-Uni en matière de droit international non écrit

(« International law is part of the law of the Land 21»), mais c’est aussi le système retenu en

France par certaines juridictions.

Dans le système mixte, il existe une norme de transposition de droit interne mais une

transformation de la norme par un acte interne n'est pas nécessaire. La norme de transposition

fait passer automatiquement et en bloc les normes internationales valides au sein de l’ordre

juridique interne. Le producteur de la norme en droit international et en droit interne est le

même. Cette hypothèse combine l’hypothèse moniste 2 et dualiste 1. Elle se retrouve

notamment en matière de traités en France par le biais de l’article 55 de la Constitution de

1958 mais également en matière de « règles générales du droit international » en Allemagne

par l’article 25 de la Loi Fondamentale.

Le dualisme implique qu’un acte de droit interne issu d'une procédure interne est

nécessaire pour que la norme d’origine interne soit applicable en droit interne. La norme est

donc transformée et le producteur de la norme n'est pas le même en droit international et en

droit interne. Cette hypothèse combine l’hypothèse dualiste 1 et l’hypothèse dualiste 2. Le

dualisme existe par exemple en Allemagne (art. 59 III LF) ou au Royaume-Uni en matière de

traités.

18 Etant donné que l’hypothèse moniste 1 entraîne nécessairement l’hypothèse moniste 2. 19 Etant donné que l’hypothèse dualiste 2 entraîne nécessairement l’hypothèse dualiste 1. 20 Il en est ainsi des combinaisons de l’hypothèse moniste 1 et de l’hypothèse dualiste 2 ; de l’hypothèse moniste 1 et de l’hypothèse dualiste 1 ainsi que de l’hypothèse moniste 2 et de l’hypothèse dualiste 2. Une combinaison à plus de deux aboutit nécessairement à une contradiction. Quant aux hypothèses uniques, l’hypothèse moniste 1 entraîne nécessairement l’hypothèse moniste 2 ; l’hypothèse dualiste 2 entraîne nécessairement l’hypothèse dualiste 1 ; l’hypothèse moniste 2 se combine soit avec l’hypothèse moniste 1 soit avec l’hypothèse dualiste 1 ; l’hypothèse dualiste 1 se combine soit avec l’hypothèse moniste 2 soit avec l’hypothèse dualiste 2. 21 Chambre des Lords, Triquet c. Bath, 1764 ; William Buttler, International Law and Municipal Law : some reflexions on British practice, in : Coexistence, vol. 24 (1987), p. 67.

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14

Tableau des modes d’applicabilité

Nature de la disposition

fondamentale

Description de l’application Qualification

Applicabilité sans nécessité de transformation de

la norme par un procédure de droit interne.

En l’absence de normes de transposition de droit

interne, l’applicabilité résulte de la compétence

contentieuse des organes d'application.

Monisme Il n’existe pas de norme de droit

interne qui dispose de l’applicabilité

des normes de droit international

dans l’ordre juridique interne.

Les normes internationales ne sont pas

applicables. Il faut une procédure interne de

transformation de la norme en acte de droit

interne pour que la norme soit applicable.

Dualisme

Il existe une norme de transposition

des normes de droit international en

droit interne.

Les normes internationales valides sont

applicables immédiatement en bloc.

Système mixte

Il existe une norme fondamentale de

droit interne qui exige la

transformation des normes

internationales.

Il faut une procédure interne de transformation

de chaque norme de droit international, une par

une en acte de droit interne pour que la norme

soit applicable.

Dualisme

Il convient de faire plusieurs remarques :

En premier lieu, le mode d’applicabilité des normes internationales peut varier au sein

d’un même système juridique interne. Il peut ainsi varier suivant la nature des normes

internationales en cause. En Allemagne, le système d’intégration des traités est dualiste, tandis

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15

que le système d’intégration des normes internationales non écrites est celui d’un système

mixte. Un mode d’applicabilité différencié peut également résulter des organes d’application

de la norme, en particulier si la disposition constitutionnelle est inexistante ou incertaine.

C’est le cas en France, où le mode d’applicabilité des normes internationales non écrites par le

Conseil d’Etat est celui d’un système moniste, tandis que pour le Conseil constitutionnel il est

celui d’un système mixte.

Ensuite, l’applicabilité des normes du droit international au sein de l’ordre

juridique interne n’entraîne pas nécessairement leur invocabilité, c’est-à-dire la possibilité

pour un particulier ou un organe de l’Etat de se prévaloir des normes devant un tribunal. En

particulier, on pourrait penser, concernant les normes internationales qui ont effet direct,

c’est-à-dire qui créent directement des droits et des obligations pour les particuliers, que les

droits et obligations ainsi créées sont invocables par les particuliers dans le cadre d’un

système moniste ou d’un système mixte. En effet, au sein de tels systèmes, il n’existe pas de

différence de contenu de la norme entre l’ordre juridique international et l’ordre juridique

interne. De plus, il existe alors un souci de cohérence entre droit interne et droit international.

A l’exigence de l’invocabilité de tels droits ou obligations par les normes internationales

devraient répondre en droit interne des procédures susceptibles de permettre aux particuliers

de se prévaloir de ces droits et obligations.

Mais il n’y a pas de corrélation nécessaire entre effet direct des normes internationales

et invocabilité en droit interne du point de vue du droit international comme de celui du droit

interne.

Selon le droit international, reconnaître qu’une norme internationale crée des effets

directs en droit interne n’entraîne pas nécessairement que le droit international impose aux

autorités nationales de la considérer comme invocables dans l’ordre interne. Les individus

sont alors simplement destinataires de la norme et non titulaires de la permission d’invoquer

ce droit devant un juge. La C.I.J. n’a pas eu l’occasion de contredire l’obiter dictum de la

Cour permanente internationale de justice. dans l’affaire des tribunaux de Dantzig de 192822.

On admettra que, du point de vue du droit international, l’effet direct d’une norme

supranationale dépend tantôt de la forme de l’instrument, tantôt de la nature de la norme ce

dont témoigne la jurisprudence sur les droits de l’homme ou relative aux directives

communautaires.

22 C.P.I.J, A.C., Compétence des tribunaux de Dantzig, Série B, n° 15, pp. 17-18.

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16

Du point de vue du droit interne, l’absence de garanties constitutionnelles à cet

égard23, sauf pour les normes coutumières dans certaines constitutions24, contraste avec la

fréquence relative des assurances données quant au respect de l’applicabilité et de la primauté

des normes conventionnelles en droit interne25. De nombreuses stratégies juridictionnelles

sont susceptibles de faire échec à l’invocabilité de la norme internationale. Il peut s’agir d’une

exigence de réciprocité (dont la portée peut aller du refus de mise en œuvre à un refus

d’assurer la primauté de la norme internationale), de règles de recevabilité du recours

contentieux (droit « subjectif » à invoquer la norme, intérêt pour agir, interprétation restrictive

du champ d’application de la norme internationale, etc…26). En somme, en droit interne, les

formes d’invocabilité se définissent par rapport au contentieux interne. De plus, l’invocabilité

des normes internationales en droit interne peut aller au-delà de l’invocabilité exigée par le

droit international. C’est notamment l’objet des interrogations de la doctrine allemande sur le

sens de l’art. 25 phrase 2 deuxième demi-phrase LF.

Enfin, il est nécessaire d’attirer ici l’attention sur l'importance de l’acte de juger. Selon

Hans Kelsen, juger ne résulte pas seulement d’un acte de connaissance mais aussi d’un acte

de volonté créateur de droit27. En matière de règles internationales non écrites, l’acte de

connaissance du juge est particulièrement manifeste pour l’identification des normes

internationales non écrites. Il en va de même en matière d’acte de volonté créateur de droit.

23 Voir l’objection suivante aux auteurs qui soutiennent que la technique d’introduction du traité dans l’ordre interne rend nécessairement le traité self-executing à l’égard des citoyens. « Il n’en est rien pour cette raison que la procédure d’introduction du traité dans l’ordre interne est une technique d’exécution des traités alors que la question de l’applicabilité du traité aux individus est une question qui a trait à la nature même du traité » (P. de Visscher, R.C.A.D.I., 1952, t. 80, p. 559)… « un problème d’interprétation de la volonté de parties. Ce problème peut trouver une solution satisfaisante dans les textes constitutionnels. On remarquera ainsi que les constitutions qui affirment que les principes généralement reconnus du droit des gens font naître directement des droits et obligations dans le chef des individus, ne contiennent aucune disposition semblable concernant les traités » (P. de Visscher, op. cit., p. 562). 24 Nous verrons que c’est notamment le cas de l’Allemagne. 25 A propos de la Constitution française de 1946 en matière de traité (exemple d’application la plus systématique des traités dans l’ordre interne) : « cette exigence de la publication constitue pour le traité, comme pour toute règle édictée par la puissance, une condition d’applicabilité de la norme juridique. Elle n’en affecte cependant pas la validité » (P. de Visscher, op. cit., p. 558). 26 En matière de traités, voir la jurisprudence française relative à la répression pénale des violations graves des conventions de Genève de 1949, en particulier C. Cass., Crim., 26 mars 1996, Javor et autres, R.G.D.I.P. 1996, p. 1083 ; la Cour reconnaît l’opposabilité de la loi de 1995 qui met en œuvre la résolution 827 (1993) du Conseil de Sécurité des Nations unies quant à la poursuite, dans les Etats-membres, des crimes commis en l’ex-Yougoslavie ; mais en s’en tenant aux termes de cette loi, elle continue à refuser d’admettre que pèse sur les pouvoirs publics nationaux une obligation d’assurer l’effectivité des recherches et de l’instruction en France, pour tous les crimes de ce type quelle que soit la nationalité des auteurs et des victimes et le lieu de ces crimes. On peut y voir une interprétation restrictive et contestable de la Convention de Genève du 12 août 1949 relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre : « Les Hautes Parties contractantes s’engagent à respecter et à faire respecter la présente Convention en toutes circonstances ». 27 H. Kelsen, Théorie pure du droit, Paris, Dalloz, 1962, pp. 453 et suivantes.

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L’existence d’un système de droit positif moniste, sans qu’aucune disposition interne ne

définisse l’applicabilité des normes internationales ou même en dehors des dispositions

internes relatives à leur applicabilité, dépend de la volonté du juge interne d’appliquer ou non

les normes de droit international.

Les dispositions constitutionnelles pertinentes

En matière de droit international non écrit, les dispositions constitutionnelles pertinentes

des ordres juridiques ici étudiés sont l’article 25 de la Loi Fondamentale Allemande selon

lequel « Les règles générales du droit international public font partie du droit fédéral. Elles

sont supérieures aux lois et créent directement des droits et des obligations pour les habitants

du territoire fédéral »28 et l’alinéa 14 du préambule de la Constitution de 1946 qui dispose

que « la République française, fidèle à ses traditions, se conforme aux règles du droit public

international. Elle n'entreprendra aucune guerre dans des vues de conquête et n'emploiera

jamais ses forces contre la liberté d'un peuple. »

Historique des dispositions constitutionnelles

La question de la validité des normes générales de droit international n'était pas évoquée

dans la Constitution du Reich du 6 avril 187129. La Constitution de Weimar y a remédié en

son article 4 :

« les règles générales et reconnues du droit international sont valables comme

composante obligatoire du droit du Reich allemand30 ». »

28 Art. 25 LF : „Die allgemeinen Regeln des Völkerrechts sind Bestandteil des Bundes rechtes. Sie gehen des Gesetzen vor und erzeugen Rechte und Pflichten unmittelbar für die Bewohner des Bundesgebietes“. 29 RGBI. 1871, p.63. 30 „Die allgemeinen anerkannten Regeln des Völkerrechts gelten als bindender Bestandteil des deutschen Reichsrechts“. Des réserves importantes contre cette formule ont été émises devant la Commission constitutionnelle lors de la première lecture. Ces réserves concernaient notamment l’incertitude du contenu de la notion de « règles générales du droit international reconnues » et l’applicabilité immédiate du droit international alors que l’application du droit international aux citoyens ne reposait traditionnellement que sur les actes de la législation de l’Etat auquel le citoyen appartenait. La formule issue du projet du ministre de l’intérieur d’Etat, Hugo Preuss (article 3) a d’abord été rayée par la Commission constitutionnelle et, par une décision prise à la majorité, remplacée par une conception qui se limitait, en dehors des traités d’Etat et d’éventuelles normes d’alliance entre peuples, à limiter la normativité des règles générales du droit international reconnues aux relations du Reich avec des Etats-tiers. Dans une deuxième lecture, la formule initiale et définitive a été rétablie suivant ainsi la volonté expresse du ministère des affaires étrangères et du ministère de la justice du Reich d’adopter un mode d’applicabilité s’inspirant, selon le rapporteur, de la jurisprudence anglo-américaine (« International Law is part of the law of the land ») et de la pratique nouvelle des Etats.

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Ce texte accordait au droit international une portée beaucoup plus étendue que dans la

plupart des constitutions de l'Europe continentale alors en vigueur. Ceci s'explique par la

défaite allemande lors de la 1ère guerre mondiale et par les violations du droit international

qui avaient été reprochées à l'Empire allemand.

La doctrine et la jurisprudence s'accordaient alors pour limiter l’attribution du qualificatif

de « générales et reconnues » aux règles reconnues de manière évidente ou expresse par le

Reich. Pour qu'une règle du droit international générale soit applicable dans l'ordre juridique

interne, il fallait donc, comme condition préalable, une reconnaissance par un organe du

Reich, par exemple par le législateur31. Le retrait d’une telle reconnaissance par une loi du

Reich entraînait le retrait de l’applicabilité de la règle concernée. Il était alors supposé, bien

que cette opinion ne soit pas écrite, que le rang d’une règle générale reconnue se situait entre

le rang du « simple » (« einfachen ») droit du Reich et le rang de primauté du droit

constitutionnel fédéral.

Le régime national-socialiste a conservé cette lecture de l'alinéa 4 de la Constitution de

Weimar. Le droit international pouvait se « transformer »32 en droit interne, pour autant et

aussi longtemps qu'il était reconnu explicitement par l'Allemagne.33

Presque toutes les Constitutions des Länder de 1946-194734 de la zone Ouest ont repris,

après la Seconde Guerre Mondiale, le texte de l'article 4 de la Constitution de Weimar.

L'entrée en vigueur de la Loi Fondamentale a « brisé » la validité des dispositions

constitutionnelles des Länder en la matière. L'article 31 de la Loi Fondamentale dispose de la

primauté du droit fédéral sur le droit des Länder. Or, l'article 25 de la Loi Fondamentale

affirme clairement l'applicabilité directe des « règles générales du droit international ».

L'abandon de la notion de reconnaissance s'en est suivie, permettant de réduire les ambiguités

notamment sur la reconnaissance par les organes compétents en matière de production

normative internationale et sur la nécessité d'une transformation en droit interne par les

organes compétents pour produire les normes de « droit interne ». Dès lors, le droit

constitutionnel des Länder en matière de règles de droit international ne pouvait plus être

compatible avec la Constitution. De plus, ces articles des Constitutions des Länder étaient en

contradiction avec la nouvelle hiérarchie des normes. Une intégration des normes de droit

31 Wolfgang Pigorsch, Die einordnung völkerrecchtlicher Normen in das Recht der Bundesrepublik Deutschland, 1959, p. 28. 32 L’article 4 de la constitution de Weimar était considérée comme une disposition de transformation : « transformator ». 33 Ernst Rudolf Huber, Verfassungrecht des Grossdeutschen Reiches, 1939, p. 266. 34 Avant l’entrée en vigueur de la Loi fondamentale.

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international général par les Constitutions des Länder suppose nécessairement la supériorité

de la Constitution du Länder sur celle des normes de droit international. Or, l'article 25 de la

Loi Fondamentale dispose que les règles générales de droit international sont supérieures aux

lois fédérales. A fortiori, l'article 31 assurant la supériorité du droit fédéral ne pouvait

qu'emporter supériorité des « règles générales de droit international » sur le droit des Länder.

La Convention Constitutionnelle de Herrenschiemsee a constaté, après l'expérience

national-socialiste, que l'article 4 de la Constitution de Weimar avait été insuffisant pour

garantir le respect des normes de droit international dans l'ordre juridique interne. Par

conséquent, elle a proposé une disposition alternative, qui assurerait une reconnaissance

renforcée du droit international ainsi qu'une applicabilité immédiate de ce dernier dans l'ordre

juridique interne. L'Assemblée parlementaire constituante a conservé cette proposition en

clarifiant et en renforçant) la position des « règles générales de droit international » dans la

hiérarchie des normes puisque celles-ci sont, d'après l'article 25 de la Loi Fondamentale,

supérieures aux lois. Selon le député et juriste Carlo Schmid, il s'agissait d'intégrer les règles

« générales » du droit international – et non plus seulement les règles « générales et reconnues

du droit international » - sans transformation dans l'ordre juridique interne.

Initialement, dans la proposition du comité général de rédaction et dans la formulation

adoptée par le comité principal, l'expression « Bundesverfassungsrecht » était préférée à celle

« Bundesrecht ». Ceci laissait supposer que les « règles générales du droit international »

pouvaient avoir valeur constitutionnelle (bien que le terme « Bundesrecht » n'induit pas

nécessairement une valeur juridique inférieure à celle de la Constitution). C'est finalement

l'expression « Bundesrecht » qui a été retenue dans la version définitive de la Loi

Fondamentale.

Avec le préambule de la Constitution et les articles 24 et 26, l'article 25 occupe une place

centrale dans le dispositif constitutionnel qui a fondé plus tardivement le « verdict

constitutionnel » pour la coopération (Zusammenarbeit) et le principe d' « ouverture au droit

international »35 (« Völkerrechtsfreundlichkeit »). Cet article a pour caractéristique principale

d’être une disposition de transposition – qui confère une applicabilité immédiate – obligeant

la République Fédérale Allemande au respect des obligations de droit international et qui

étend ces obligations à l'ensemble des organes d'Etat allemands. Dans la continuité de l'article 35 La traduction littérale est la suivante : « principe d’amabilité au droit international de l’ordre juridique allemand ». On retrouve cependant parfois comme traduction « le principe d’ouverture de l’ordre juridique allemand au droit international » (cf. Christian Autexier, Introduction au droit public allemand, PUF, 1997, p. 154). C’est notamment le titre de l’article du Professeur Albert Bleckmann (« Der Grundsatz der Völkerrechtsfreundlichkeit der deutschen Rechtsordnung », DÖV, février 1996, pp. 137-145).

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4 de la Constitution de Weimar, l'article 25 de la Loi Fondamentale doit ouvrir encore

davantage l'ordre juridique allemand au droit international.

En France, les « règles du droit public international » –auxquelles renvoie l'alinéa 14 du

préambule de la Constitution de 1946 – ne se présentent pas, de prime abord, sous un jour

imposant. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, le pouvoir constituant s’est borné à

les mentionner au sein du Préambule de la loi fondamentale de 1946 dans un alinéa de rang

modeste : le 14ème alinéa36. Ainsi, au moment où les puissances alliées créaient l'Organisation

des Nations-Unies, les normes de « droit des gens » ne se sont pas vues pas reconnaître par

l'ordre juridique français une importance comparable à celle qui fut attribuée à certaines

règles internes et, tout particulièrement, « aux principes fondamentaux reconnus par les lois

de la République ». Ces derniers se sont trouvés consacrés par le pouvoir constituant dans le

premier alinéa du Préambule de la nouvelle Constitution.

Au sein du projet de Constitution du 19 avril 1946 se trouvait une disposition, l'article 46

al.1, dont l'alinéa 14 constitue la reproduction fidèle. Cet article 46 faisait partie du « Titre

premier » du projet de Constitution et, par conséquent, n'avait pas été inséré par le pouvoir

constituant dans le Préambule du projet d'avril37.

Le texte du 19 avril 1946 ayant été rejeté, son article 46 fut, à l'occasion des nouveaux

travaux préparatoires, reproduit à l'identique par l'article 4 du nouveau projet de

Constitution38. Toutefois, le 21 août 1946, Paul Bastid, au sein de la commission de la

Constitution, indiqua : « Nous estimons que l'article 4 contient une déclaration de principe

qui devrait être transférée dans le Préambule »39. Cette proposition fut suivie par la

Commission.

Outre ce qui concerne l’insertion du texte de l’alinéa 14 dans le Préambule de la

Constitution de 1946, il convient d’insister en cette introduction – on aura peu l’occasion d’y

revenir – sur la deuxième phrase de cet alinéa qui, sur le plan historique, présente

d’intéressantes particularités.

36 Le Préambule de la Constitution de 1946 compte, au total, dix-huit alinéas. 37 Texte de projet de Constitution du 19 avril 1946. M. Duverger, Constitutions et documents politiques, PUF, collection « Thémis », Paris, 1968, 5ème édition, p. 124-137. 38 Documents de l'Assemblée nationale constituante élue le 2 juin 1946 – Annexes aux procès verbaux des séances – Annexe n°II-350, séance du 2 août 1946, p.297, col. gauche (texte de l'article 4 – L'alinéa 1er de cet article comporte les deux phrases du futur alinéa 14). 39 Séances de la commission de la Constitution, Compte rendus analytiques, 20 juin 1946 au 3 octobre 1946, séance du mercredi 21 août 1946, p. 309.

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Le 22 mai 1790, l’Assemblée adopta un décret exprimant clairement l’idée de renoncer à

la guerre. Ce décret disposait : « Que la nation française renonce à entreprendre aucune

guerre dans la vue de faire des conquêtes et qu’elle n’emploiera jamais ses forces contre la

liberté d’aucun peuple » 40 . La similitude qui existe entre ce texte, vieux de deux siècles, et

l’alinéa 14 du Préambule de la Constitution de la 4ème République doit être relevée.

Le décret du 22 mai 1790 fut le point de départ d’une tradition. Le titre VI de la

Constitution du 3 septembre 1791 précise : « La Nation française renonce à entreprendre

aucune guerre dans la vue de faire des conquêtes, et n’emploiera jamais ses forces contre la

liberté d’aucun peuple »41 . De même, sous réserve de quelques différences rédactionnelles, le

Préambule de la Constitution du 4 novembre 1848 contient, en son paragraphe V, une

disposition semblable42.

L’alinéa 14, en sa deuxième phrase, se présente comme un texte confirmatif d’un état

du droit bien enraciné. Par ailleurs, du point de vue matériel, la norme est en harmonie avec

celle qui vaut dans l’ordre juridique international43.

La disposition de l’article 25 de la Loi Fondamentale est clairement une disposition de

transposition du droit international non écrit au sein de l’ordre juridique interne. L’expression

« règles générales du droit international » ne doit pas tromper. Ces normes sont bien celles du

droit international non écrit44 même si leur application est conditionnée par une condition de

« généralité ». En cela, la disposition de la Constitution allemande présente des similitudes

avec celles de l’Autriche45, de l’Italie46, de la Grèce47 et du Portugal,48 pour se limiter à

l’espace juridique européen.

40 B. Mirkine-Guetzévitch, « La renonciation à la guerre et la Révolution française », Le monde nouveau, 1929, n°3, p. 183. 41 M. Duverger, Constitutions et documents politiques, PUF, coll. « Thémis », Paris, 1968, 5e éd. , p. 27 42 ibid, p. 90. 43 Dans un article publié le 14 juillet 1928, Alphonse Aulard écrivit de manière significative : « le pacte Briand-Kellogg [convention interétatique qui met la guerre d’agression hors la loi], c’est la restauration du décret français du 22 mai 1790 » (« La guerre hors la loi, idée française », L’œuvre, samedi 14 juillet 1928, n° 4670, p.1. Bien entendu, l’interdiction du recours à la force doit s’entendre sous réserve de la légitime défense (cf. Nguyen Quoc Dinh, P. Daillier, A. Pellet, Droit international public, 7e éd., LGDJ, 2002, p. 879, n°574). 44 v. infra. 45 L’article 9 de la Constitution fédérale dispose que les « règles généralement reconnues de droit international sont considérées comme partie intégrante du droit fédéral. » 46 L’article 10 de la Constitution de 1948 prévoit que « l’ordre juridique italien se conforme aux règles du droit international général reconnues ». 47 L’article 28 § 1 de la Constitution grecque dispose : « le règles générales du droit international généralement reconnues… font partie intégrante du droit hellénique interne et priment toute disposition de loi contraire. L’application des règles du droit international […] à l’égard des étrangers est toujours soumise à la condition de réciprocité » 48 Aux termes de l’article 8 § 1 de la Constitution portugaise : « les normes et les principes du droit international général ou commun font partie intégrante du droit portugais ».

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Il en va autrement de l’alinéa 14 qui ne détermine aucun mode d’applicabilité des

normes internationales non écrites au sein de l’ordre juridique interne. Ce n’est que par défaut

– les traités ayant leurs propres dispositions juridiques dans la Constitution du 4 octobre 1958

– que certains y voient une disposition concernant l’applicabilité de telles normes. La lecture

proprement « internationaliste » (concernant uniquement les relations internationales de la

France) de cette disposition – surtout aux vues de la deuxième phrase – est la première

signification envisageable. Mais, une telle séparation entre ordre juridique interne et ordre

juridique international découlant de cette signification de l’alinéa 14 est un non-sens

juridique. Les normes internationales issues des relations entre Etats ont nécessairement un

effet sur le droit interne ne serait-ce que parce que certaines d’entre elles, auxquelles la

République Française doit se « conformer », créent des droits et obligations pour les

particuliers.

La Loi Fondamentale Allemande est donc plus explicite et significative que l’alinéa 14

du Préambule de la Constitution de 1946 concernant l’applicabilité des normes de droit

international. Mais l’applicabilité des normes internationales ne relève pas nécessairement des

dispositions constitutionnelles dont la « superficialité » peut être dénoncée par les organes

d’application du droit.

Présentation sommaire

A quelle théorie les ordres juridiques internes – et leurs organes d’application du droit

– se conforment-ils ?

Il s'agit de s'interroger sur la manière dont est effectuée l’application du droit

international non écrit par les droits internes. Le droit positif interne est-il par ces techniques

d’application du droit international conforme à la théorie moniste ou dualiste ?

En cela, il convient de déterminer les normes internationales non écrites applicables en

droit interne. Selon que celles-ci soient appliquées en leur qualité propre de norme

internationale ou selon une typologie spécifique au droit interne susceptible de conditionner

leur application, le droit international pourra se voir ou non appliqué en tant que tel par les

organes internes d’application du droit.

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La détermination des modes d’application du droit international et des normes

internationales appliquées par les organes internes pose le problème de la conformité ou de la

compatibilité du droit interne avec le droit international. Un système moniste assure bien

entendu une conformité ou une compatibilité au droit international supérieure à celui d’un

système dualiste. Toutefois, contrairement au système mixte, le système moniste repose

uniquement sur la volonté et les compétences des organes d’application du droit.

Ce dernier problème appelle une réflexion sur la primauté du droit international sur le

droit interne ou, au contraire, la primauté du droit interne sur le droit international. Les juges

constitutionnels semblent incliner vers une application « harmonieuse » et « compatible » du

droit international et du droit interne. Il ne faudra donc pas s’interroger uniquement sur la

hiérarchie des normes, mais aussi sur les conflits de norme entre droit interne et droit

international, d’autres règles de conflit comme la règle lex posterior ou lex specialis pouvant

jouer.

En général, les dispositions constitutionnelles ne permettent pas de déterminer le rang des

normes internationales non écrites. Ainsi, l’article 9 de la Constitution fédérale autrichienne

énonce que « les règles généralement reconnues de droit international sont considérées

comme partie intégrante du droit fédéral ». Cette disposition est de nature à provoquer des

divergences doctrinales, dès lors que « l’éventail des options quant au rang qui doit être

accordé à ces règles est le plus large possible : supériorité hiérarchique à l’égard de tout le

droit interne ; rang fédéral constitutionnel ; rang infra-constitutionnel mais supra-législatif,

rang législatif ; mobilité de rang… »49.

Il s’agit également ici de déterminer si le droit interne résoud les conflits de normes

entre normes issus du droit international conformément aux principes du droit international :

respect des règles lex posterior priori derogat et specialia generalibus derogant du droit

international, respect de la hiérarchie – ou de l’absence de hiérarchie – des normes de droit

international

Si l’objectif de mise en conformité ou de mise en compatibilité du droit international

et du droit interne imprègne les ordres juridiques, le droit positif pourrait confirmer la théorie

de la délégation de Hans Kelsen selon laquelle ordre juridique international et ordre juridique

interne ne forment qu’un tout. De plus, la primauté du droit international n’est pas à exclure.

49 S. Peyrou-Pistouley, La Cour constitutionnelle et le contrôle de la constitutionnalité des lois en Autriche, Paris, Economica, 1993, p. 195.

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En Belgique, la Cour de cassation50 a affirmé, en se fondant sur un raisonnement strictement

moniste, la primauté du droit international sur le droit interne. Ceci illustre la possibilité d’un

système de « monisme à primauté de droit international » selon lequel c’est au droit

international qu’il appartient de déléguer des compétences au droit interne.

De trop nombreuses incertitudes subsistent sur l'applicabilité du droit international non

écrit et ce problème mérite à l’évidence une analyse spécifique (Partie I). Une telle étude est

un préalable nécessaire à une réflexion sur le rang hiérarchique et les modes de résolution des

conflits de normes qui s'avèrent effectivement invocables dans l'ordre juridique interne (Partie

II).

50 Cour de cassation de Belgique, 21 mai 1971, Fromagerie franco-suisse « Le Ski ». Les faits étaient relativement simples. Contrairement aux prescriptions de l'article 12 du traité de Rome, l'État belge avait continué de percevoir des droits à l'importation de produits laitiers sur la base d'un arrêté royal de 1958. Condamné en manquement par la CJCE le 13 novembre 1964 [arrêt Commission c/ Grand duché de Luxembourg et Royaume de Belgique], l'État avait abrogé les taxes d'importation, mais seulement pour l'avenir. La requérante, fabricante de fromage fondu et importatrice de produits laitiers agissait alors en répétition des taxes indûment payées avant 1964. Une loi adoptée au cours du litige, en date du 16 mars 1968 avait toutefois déclarée l'irrévocabilité des paiements effectués et était susceptible de faire ainsi écran. L'arrêt de la Cour de cassation belge intervient en l'absence de contrôle de constitutionnalité des lois. La Cour doit donc dégager seule une position de principe: « Attendu que la règle d'après laquelle une loi abroge une loi antérieure dans la mesure où elle la contredit est sans application au cas où le conflit oppose un traité à une loi ; Attendu que lorsque le conflit existe entre une norme de droit interne et une norme de droit international qui a des effets directs dans l'ordre juridique interne, la règle établie par le traité doit prévaloir ; que la prééminence de celle-ci résulte de la nature même du droit international conventionnel ; Attendu qu'il en est ainsi a fortiori lorsque le conflit existe, comme en l'espèce, entre une norme de droit interne et une norme de droit communautaire. Qu'en effet, les traités qui ont créés le droit communautaire ont institué un nouvel ordre juridique au profit duquel les États membres ont limité l'exercice de leur pouvoirs souverains dans les domaines que ces traités déterminent ». La doctrine a largement commenté et souvent salué cet arrêt. Certains protestèrent cependant au motif que le Parlement devait garder un certain pouvoir d'appréciation sur le droit applicable. Dans ce sens fut déposé, en 1971, un projet de loi visant à circonscrire le champ des règles de droit international ayant force de loi en Belgique, en obligeant notamment les juridictions saisies à poser une question préjudicielle aux Chambres législatives avant décision.

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Partie I. Normes de droit international non écrites et applicabilité dans les ordres

juridiques internes

L’article 25 de la Loi Fondamentale et l'alinéa 14 du préambule de 1946 ne distinguent

pas entre les différentes normes issues du droit international. L'article 25 évoque les « règles

générales du droit international » tandis que l'alinéa 14 renvoie aux « règles du droit public

international ». Les deux dispositions constitutionnelles ne reproduisent donc pas les concepts

issus du droit international (coutume, principe général de droit, traité, jus cogens…), mais

utilisent des notions propres. Il s'agit donc d'interpréter la sémantique constitutionnelle afin de

déterminer les normes applicables en droit interne (chapitre 2). Avant cela, il convient de

déterminer si les dispositions constitutionnelles précitées visent réellement à ouvrir les ordres

juridiques internes à l'applicabilité des normes internationales (chapitre 1).

Chapitre I. La double problématique de l'applicabilité et de l'invocabilité

Cette étude implique en premier lieu de s’interroger sur l’existence d’une disposition

constitutionnelle relative à la normativité des normes internationales non écrites au sein de

l’ordre juridique interne (Section 1).

Mais les normes internationales ne sont pas nécessairement applicables sur le seul

fondement constitutionnel. Dans le cas d’une applicabilité en dehors de la norme de

transposition constitutionnelle, il convient, au-delà des incertitudes qui pèsent sur la

normativité des règles de droit non écrit de déterminer les modalités d’application des normes

internationales non écrites ( Section 2).

Section 1. Le fondement constitutionnel de l'applicabilité des règles de droit

international non écrit

Il faut déterminer, d’une part, si les dispositions constitutionnelles relative au droit

international général concernent effectivement les normes internationales de droit non écrit

(I). D’autre part, il apparaît nécessaire de déterminer si la disposition constitutionnelle

concernée est bien une disposition de transposition des normes internationales non écrites (II).

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I. Les normes issues du droit international exclues de l'article 25 de la Loi

Fondamentale et de l'alinéa 14 du Préambule de 1946

Les normes issues du droit international exclues de l'article 25LF et de l'alinéa 14 de la

Constitution de 1946 sont les normes écrites ou certaines normes spécifiques du droit

international. Par conséquent, ces dispositions constitutionnelles seraient vides de sens si elles

ne renvoyaient pas aux normes non écrites du droit international.

A. Précisions relatives à l’usage du terme « public » dans l'alinéa 14 du préambule de

1946

Contrairement à l'article 25 de la Loi Fondamentale allemande, les normes auxquelles

renvoient l'alinéa 14 du préambule de 1946 sont les règles de « droit public international » et

non globalement les règles de « droit international» 51 . Ce constat incite à formuler plusieurs

remarques.

1. De l’usage de la locution « droit public international »

En droit, la locution « droit public international » peut être assimilée à la formule « droit

international public ». Toutefois, il n'est pas interdit de penser que l'expression « droit public

international » comporte une charge idéologique spécifique.

George Scelle a combattu avec vigueur la distinction entre « droit international public »

et « droit international privé ». Pour lui, seule une subdivision en « droit privé international »

et « droit public international » est acceptable. En arrière-plan de cette querelle

terminologique se situe une véritable conception de la société internationale et de son droit.

Pour George Scelle, il existe une unité de la société internationale et, par conséquent, une

51 La traduction officielle de la Loi Fondamentale a ajouté l’adjectif « public » aux « règles générales du droit international ». Un tel ajout est toutefois contestable, l’expression de la Loi Fondamentale étant Völkerrecht qui renvoie au droit international général.

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unité du droit international. Aussi, s'il convient de distinguer droit public et droit privé, ce ne

peut être qu'à l'intérieur d'un droit international unitaire52.

Appréhendée de la sorte, la locution « droit public international » révèle de la part du

pouvoir constituant de 1946 une adhésion à la vision unitaire de la société internationale.

2. La part du droit privé international dans cette construction

Faut-il considérer que le « droit privé international » est exclu du champ d'application de

l'alinéa 14, ce dernier se référant au seul « droit public international » ? Cette question est

légitime au regard de la logique, mais sans pertinence au regard de l’état du droit positif.

Les règles du « droit international privé », assimilables aux règles du « droit privé

international » sont soit (et le plus souvent) d'origine national, soit d'origine internationale53.

Lorsqu'elles sont d'origine nationale (loi, règlement ou jurisprudence), il est clair que l'alinéa

14 est sans utilité si l'on entend affirmer que la France s'y conforme. Par ailleurs, lorsqu'elles

sont d'origine internationale, elles peuvent se présenter sous la forme de traité, ou sous la

forme de règles de droit international non écrit. Or, s'agissant des traités, l'article 55 de la

Constitution assure leur autorité dans l'ordre interne. Il est donc inutile de solliciter l'alinéa

14. Concernant les règles non écrites du droit international, dont le rôle est marginal en droit

international privé, on peut observer qu'il s'agit de règles relatives à la condition des étrangers,

règles qui constituent des normes de droit international public54.

Ainsi, il semble que la restriction au « droit public international » figurant à l'alinéa 14 est

sans effet au regard de l'autorité des règles du droit international privé dans l'ordre juridique

français.

52 Sur cette conception, ses liens avec l'alinéa 14 du Préambule de la Constitution de 1946 et ses prolongements dans la doctrine plus récente, v. Nguyen Quoc Dinh et al, Droit international public et al., Droit international public, 7ème éd., LGDJ, 2002, p. 35-36, n°4. 53 Cf, D. Holleaux, J. Foyer et G. de Geouffre de La Pradelle, Droit international privé, Masson, Paris, 1987, p.12.

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B. La non incorporation des traités par les articles 25 de la Constitution et l'alinéa 14 du

Préambule de 1946 (le problème de la règle pacta sunt servanda)

Les normes, lorsqu'elles sont d'origine internationale, se présentent soit sous la forme de

traités, soit sous la forme de règles de droit international non écrit (nous excluons ici les actes

dérivées). Or, s'agissant des traités, les deux Constitutions ont des dispositions propres.

1. Les Traités et l’article 25 de la Loi Fondamentale

Les traités ne sont pas visés par l'article 25 LF. Les traités individuels de la Fédération

sont intégrés dans l'ordre juridique par les dispositions spéciales des articles 59 §1 et §2 LF,

parfois en combinaison avec l'article 24 §1 LF. Les traités des Länder (Article 32 §3 LF) sont,

quant à eux, intégrées dans le droit du Land selon les dispositions particulières à chaque droit

constitutionnel de Länder. Une technique d'intégration des traités sur la base de l'article 25 de

la Constitution aurait cependant du permettre une intégration directe des traités dans l'ordre

juridique interne. Il existe en droit international une règle générale du droit international de

nature coutumière, la règle pacta sunt servanda. La Cour Constitutionnelle Fédérale a

reconnu l'existence de cette coutume mais a limité l'application de ce principe aux relations

entre Etats55. La règle pacta sunt servanda a donc un statut particulier au sein de l'ordre

juridique allemand puisqu'elle lie les Etats sur la base de l'article 25 LF sans pour autant

s'intégrer dans l'ordre juridique interne. Les normes issues des traités ne sont donc pas

transformées en règles générales du droit international56.

2. La Constitution française de 1958 et les Traités

En France, les articles 41 et 55 de la Constitution du 4 octobre 1958 assurent l'autorité des

traités dans l'ordre interne. Le principe selon lequel « la règle spéciale déroge à la règle

générale » est appliqué par les juridictions françaises ce qui exclu le traité des normes 54 D. Holleaux et al, droit international privé, (supra n°), p.101 et s. 55 BVerfGE 31, p. 145 sqs. (178); Hermann Molser, „Völkerrecht als Rechtsordnung“, in ZaöRV n°36, 1976, p. 41.

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auxquelles renvoient les articles 25 et l'alinéa 14 du préambule de 1946. Le Conseil

Constitutionnel, comme la Cour Constitutionnelle Fédérale, a reconnu l'existence et

l'applicabilité du principe « Pacta Sunt servanda » à l'occasion de sa décision Maastricht I57.

Dans cette décision, la Haute Juridiction a simplement affirmée que la France était liée par ce

principe à ses partenaires à la manière de la solution allemande. Toutefois, contrairement au

droit allemand au sein duquel les règles générales de droit international ont une valeur

juridique supérieure à celle des traités et où la reconnaissance du principe pacta sunt servanda

comme applicable dans l'ordre juridique interne aurait abouti à une reconfiguration de la

hiérarchie des normes prévue par la Loi Fondamentale, le Conseil Constitutionnel n'a pas

exclu que cette norme soit applicable en droit interne. Il a écarté ce problème de sa

jurisprudence, afin d'éluder le délicat problème de la détermination du rang des coutumes au

sein de la hiérarchie des normes.

Nous aurons l'occasion de revenir sur le rapport entre normes de droit international non

écrites et traités dans notre seconde partie, car des problèmes plus complexes peuvent se poser

(le traité comme élément d'une coutume internationale, la transformation d'un traité en

coutume, la codification des règles générales de droit international dans un traité…).

B. Les actes unilatéraux des organisations internationales

En France, les actes unilatéraux des organisations internationales, lorsqu'ils sont

dépourvus de valeur obligatoire, échappent à l'emprise de l'alinéa 14 du préambule de la

Constitution de 1946 qui se réfère au « droit public international ». En revanche, il n'est pas

déraisonnable de penser que certains actes doués d'une valeur juridique par l'acte de

l'organisation internationale qui les institue (par exemple, les règlements ou directives

communautaires ou encore les résolutions du Conseil de Sécurité de l'ONU) peuvent relever

de l'alinéa 14. Toutefois, la jurisprudence du Conseil Constitutionnel et du Conseil d'Etat

permet, en ce qui concerne le droit communautaire, de lier le droit dérivé du traité de Rome à

l'article 55 de la Constitution58. En Allemagne, les actes unilatéraux des organisations

56 BVerfGE 31, p. 145 sqs. (178) ; BGH in RzW 1957, p. 361 : p. 266 sqs. (268) ; 1963, p. 510 et pour une décision plus explicite BverfG, JZ 2001, p. 975 (Anm. Kadelbach) : les traités internationaux ne tombent pas sous les articles 25 et 100 al.2 de la Loi fondamentale. 57 CC. 92-308 DC du 9 avril 1992, Maastricht I, Rec. p.55. 58 CC, 19 juin 1970 (n°70-39 DC), Rec. P.15 ; CC, 30 décembre 1977 (n°77-90 DC), Rec. p.44.

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internationales font l'objet de dispositions constitutionnelles spécifiques (Article 23LF sur

l'Union Européenne et Article 24LF sur les Institutions Internationales). Par conséquent, de

même que pour les traités, ces dispositions spéciales écartent l'application de la règle de

l'article 25LF. C. Les actes unilatéraux des Etats

En Allemagne, certains actes unilatéraux des Etats sont susceptibles d’être inclus parmi

les « règle générale de droit international » au sens de l’article 25 LF. Seuls les actes

unilatéraux d’un Etat pris sur le fondement d’une norme coutumière ou conventionnelle

d’autorisation peuvent faire l’objet d’une applicabilité sur le fondement de l’article 25. Il en

est ainsi de la délimitation des limites spatiales du territoire par l’Etat dans le cadre des

normes du droit international supérieures de la liberté de la haute mer, de la largeur des eaux

territoriales ou des zones de rattachement. De même, le lien juridique à un acte unilatéral peut

découler du principe de confiance légitime du droit international59. A l’opposé, des atteintes

au droit international par des actes unilatéraux peuvent avoir des répercussions sur

l’application d’une règle générale du droit international (le principe tu-quoque du droit de la

guerre, ius in bello). De plus, les Etats renoncent généralement à leur position juridique et à

leur avoir droit de droit international (à l’exception des normes impératives de ius cogens) par

des actes unilatéraux. L’organe d’application du droit ne peut donc renoncer à reconnaître les

actes unilatéraux des Etats pour prouver l’existence des normes et déterminer leur

application60.

D. Le cas particulier des relations interfédérales en Allemagne

En Allemagne, les relations mutuelles entre les différentes entités étatiques, que ce soit

entre le Bund et les Länder, ou entre les Länder, ne sont pas qualifiées comme des règles

générales du droit international pour autant qu'elles soient réglées par le droit allemand, et en

particulier par le droit fédéral.

CE Ass., 28 février 1992, S.A. Rothmans International France, S.A. Philip Morris France, Rec. p.81 (l'article 55 de la Constitution est expressément visé par la Haute juridiction administrative) ainsi que AJDA 1992, p. 214, col. gauche. 59 BVerfGE 16, p. 27 sqs. (63). 60 BVerfGE 46, p. 342 sqs. (362).

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Sous la République de Weimar, le Staatsgerichtshof für das Deutsche Reich avait jugé que

la souveraineté de l'Etat ne reposait pas entièrement sur le Reich. Etant donné que les Länder

disposaient d'une autonomie normative, et en particulier une compétence en matière de

production de lois et de conclusion de traités internationaux (Art. 78 §2 WRV), les relations

interfédérales devaient être réglées par les « règles générales reconnues du droit

international » dans le sens de l'article 4 de la Constitution de Weimar61.

Sous l’empire de la Loi Fondamentale de 1949, la Cour Constitutionnelle fédérale a jugé que

l'ensemble des relations entre le Bund et les Länder ainsi qu'entre les Länder est réglée par la

Loi Fondamentale et qu'il ne restait pas de vide juridique impliquant l'application du droit

international62. Dans une décision ultérieure, la Cour a fait remarquer qu'il était possible que

les relations entre Etats-membres de la Fédération ne soient pas réglées par la Loi

Fondamentale, mais par les règles du droit international63.

Les normes visées aussi bien par l'article 25 LF que par l'alinéa 14 du préambule de 1946 ne

sont donc pas les normes écrites du droit international (traités, actes unilatéraux des

organisations internationales...). Par conséquent, à moins que ces dispositions soient vides de

sens, il s'agit pour l'essentiel de règles non écrites du droit international, c'est-à-dire les

principes généraux de droit, les règles coutumières et les normes de ius cogens.

II. Les incertitudes sur l'applicabilité des règles non écrites

Certes, les dispositions de l’article 25 de la Loi Fondamentale et de l’alinéa 14 du

préambule de 1946 visent les normes internationales non écrites. Néanmoins deux groupes

d’incertitude demeurent :

D’abord, la qualification de la disposition constitutionnelle (A). Il s’agit de déterminer si

la norme constitutionnelle est une disposition de transposition – qui transpose

61 Hans-Heinrich Lammers et Walter Simons, Die Rechsprechungs des Staatsgerichtshofs für das Deutsche Reich und des Reichsgerichts auf Grund Art. 13 Abs. 2 der Reichsverfassung, 1929, p. 178, 185 p. (Donauversickerungsfall). 62 BVerfGE 34, p. 216 sqs. (231). Si l'article 25 LF détermine des rapports de droit international entre Etats, il ne donne par contre aucune base aux rapports interfédéraux. Le règlement constitutionnel des rapports entre Länder, qui disposent du statut d'Etat-membre de la Fédération, devrait pour l'application de l'article 25 aux relations interfédérales être modifié ou complété. 63 BVerfGE 36, p. 1 ainsi que BVerfGE 1, p. 14. En tout cas, les relations entre Etats ne peuvent être réglées par les dispositions du droit international à l'intérieur de la Fédération que dans la relation de Land à Land et lorsqu'ils agissent dans leur domaine de compétences.

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automatiquement et en bloc l’ensemble des normes internationales non écrites au sein du droit

interne – ou une disposition de transformation qui implique une procédure de droit interne

(par exemple une procédure législative) pour qu’une norme internationale soit applicable en

droit interne. Mais la disposition constitutionnelle concerné pourrait aussi ne lier l’Etat que

dans ses relations avec les autres Etats et n’avoir aucun effet sur le droit interne – comme

certains l’entendent de l’alinéa 14 du préambule de 1946 selon lequel « La République

française, fidèle à ses traditions, se conforme aux règles du droit public international ».

Ensuite, des incertitudes relatives à l'inexistence de formalités d'insertion du droit non

écrit dans l'ordre juridique interne demeurent (B). L’absence de ces précisions dans les

dispositions constitutionnelles françaises et allemandes conduit à une application moniste de

ces normes. Les organes d’application du droit recherchent directement dans le droit

international les critères d’application de ces normes (preuves, résolution des conflits de

normes…).

A. La disposition constitutionnelle en tant que disposition de transposition.

L’article 25 de la Loi Fondamentale ne suscite guère plus de doutes : il est une disposition de

transposition. L’ensemble des règles internationales non écrites sont – par son biais et sans

qu’une procédure interne soit nécessaire – partie intégrante du droit fédéral (2). Il en va

autrement de l’alinéa 14 : la signification de celui-ci est variable et demeure relativement

indéterminée (1).

1. En France, l’alinéa 14, une disposition de transposition aléatoire

Le Conseil Constitutionnel semble avoir reconnu à l’alinéa 14 du préambule de 1946 une

nature de disposition de transposition des normes internationales non écrites : celles-ci sont

applicables, selon lui, sur ce seul fondement constitutionnel (a). Néanmoins, des incertitudes

demeurent. Ainsi, l’alinéa 14 n’est pas une disposition de transposition pour le Conseil d’Etat

qui applique les normes internationales non écrites en dehors de tout fondement

constitutionnel – c’est-à-dire de manière moniste. Il convient donc de préciser les divers

modes d’applicabilité des normes internationales non écrites en fonction des différentes

significations que l’alinéa est susceptible de revêtir (b).

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a. La reconnaissance de l’applicabilité des normes internationales non écrites par le Conseil

Constitutionnel sur le fondement de l’alinéa 14 du préambule de 1946

Contrairement à l'article 25 de la Loi Fondamentale, la règle de l'alinéa 14 du préambule

de 1946 repris par la Constitution de 1958, n'est pas une disposition qui prévoit explicitement

l'applicabilité du droit non écrit64 en droit interne. Le préambule de la Constitution de 1946

n'offre en effet qu'une « profession de foi », qui soumet « la France » au « respect du droit

international public » sans pour autant affirmer que ces normes du droit international sont

applicables en droit interne.

Le Conseil Constitutionnel a été appelée à se prononcer à quatre reprises en réponse à un

moyen directement fondé sur l'article 14 de la Constitution65. En outre, le premier acte de la

décision Maastricht66 lui a donné l'occasion, d'en susciter lui-même l'application.

La première apparition des normes internationales non écrites au sein d’une décision du

Conseil constitutionnel67 est relative au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et au

principe de non-balkanisation. Les faits les suivants : au référendum d'autodétermination du

22 décembre 1974, Mayotte se désolidarisait des trois autres îles de l'archipel des Comores,

largement favorables à l'indépendance, et manifestait ainsi son intention de demeurer

française. Tout le problème résidait dans l'absence d'identité juridique de Mayotte, et dans

l'impossibilité a priori d'une césure dans les quatre îles du T.O.M. comorien. La loi

postérieure au référendum du 3 juillet 1975 visait à aménager la situation. Mais elle

supposait un statu quo temporaire sur l'appartenance de l'archipel dans son ensemble à la

France, jusqu'à l'élaboration d'une Constitution élaborée rédigée sous la tutelle de la

puissance coloniale. Par opposition à ce projet, La Chambre des députés de Comores

proclama unilatéralement l'indépendance de l'archipel entier dès le 6 juillet. Le nouvel Etat

comorien fut aussitôt admis, comme tel, en qualité de membre de l'O.N.U.. Excepté la force,

il ne restait à la France que le recours d'un sauvetage juridique de l'île de Mayotte. La Loi du

31 octobre 1976 eut cet objet : prenant acte de l'indépendance d'Anjouan, de Moëli, et de

Grande Comore, elle prévoyait une nouvelle consultation d'autodétermination, limitée à l'île 64 Comme l'observe Nguyen Quoc Dinh : « La Constitution et le droit international », R.D.P. 1959, p. 518 ; voir également F. Moderne : « Existe-t-il des sources complémentaires de la Constitution dans la jurisprudence constitutionnelle française ? », L.P.A. 7 oct. 1992, n°127, p.7. 65 CC. 75-59.DC du 30 décembre 1975, Autodétermination des Comores, Rec. p.26; 81-132.DC du 16 janvier 1982, 1ère Loi de nationalisation ; 82-139.DC du 11 février 1982 (2ème Loi de nationalisation), Rec. p.31 ; 85-196. DC du 8 août 1985, Evolution de la Nouvelle-Calédonie, Rec. p.64. 66 CC. 92-308 DC du 9 avril 1992, Maastricht I, Rec. p.55.

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de Mayotte. Cette loi fut déférée au Conseil Constitutionnel à l'instigation de parlementaires

de gauche.

Pour ce qui nous intéresse ici, il était essentiellement soutenu que le législateur avait

entrepris une démarche contraire au Préambule de 1946 en portant atteinte à deux règles

internationales : le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, et leur droit à conserver des

frontières héritées de la colonisation. La réponse du Conseil Constitutionnel allait laisser

place à un vif débat et à quelques doutes :

« Considérant que l'île de Mayotte fait partie de la République française ; que cette

constatation ne peut être faite que dans le cadre de la Constitution, nonobstant toute

intervention d'une instance internationale et que les dispositions de la Loi déférée au Conseil

Constitutionnel qui concernent cette île ne mettent en cause aucune règle du droit public

international ».

Le poids respectivement attaché à l'une ou à l'autre des parties de ce considérant

autorise deux lectures opposées de la décision.

Une approche « constitutionnaliste » met l'accent sur le ton indiscutablement national

– voire nationaliste – du début de la proposition68. Le Conseil aurait entendu se situer sur le

seul terrain du droit interne69. Cette jurisprudence du Conseil Constitutionnel pouvait dès

lors avoir deux significations.

Ainsi, soit le Conseil Constitutionnel a jugé le droit international non écrit non

applicable sur le principe70, soit il a évité de se prononcer sur l'applicabilité de la norme en

cause, aucune norme de nature non écrite n'étant véritablement violée71. La référence au droit

des peuples à disposer d'eux-mêmes était peut-être surabondante en droit international, le

droit constitutionnel a sans doute fourni une norme de référence de contrôle plus appropriée.

Mais une seconde lecture « internationaliste » demeure possible72, qui met

essentiellement l'accent sur la terminologie employée par le Conseil, pour qui les dispositions

de la loi ne « mettent en cause » aucune règle internationale. On sait que cette notion de mise

en cause est équivalente à l'idée de violation de la règle, tout au moins dans l'acception la plus

67 CC. 75-59.DC du 30 décembre 1975, Autodétermination des Comores, Rec. p.26. 68 L. Favoreu, Chron., R.G.D.I.P. 1976, p. 1001. 69 D. Ruzie, note, J.D.I. 1976, p. 403. 70 C. Franck, note, A.J.D.A. 1976, p. 251. 71 L. Hamon, note, D. 1976, p.539. 72 A tel point que le Président Favoreu, dont la lecture était initialement « interniste », s'est déclaré – dans une certaine mesure – séduite par elle (V. « Le Conseil Constitutionnel et le droit international », A.F.D.I. 1977, p. 110).

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courante de ce terme en contentieux constitutionnel73. Le Conseil aurait donc bien affirmé que

la Loi n'était pas contraire au droit public international, soit qu'aucune règle de cette nature

n'ait été opposable en l'espèce, soit, dans le cas contraire, qu'elle n'ait pas été violée.

Or, sur ce dernier point, le Conseil constitutionnel avait donné précédemment une

réponse négative concernant le contentieux des traités internationaux. Saisi d'un moyen tiré

de la violation d'un traité dans l'affaire I.V.G.74, antérieure de quelques mois, le Conseil évitait

d'avoir à énoncer une appréciation de conformité. La Haute juridiction réglait le problème sur

le terrain de sa seule compétence et rien n'était dit au fond : « il n'appartient pas au

Conseil… ». Pourquoi n'agissait-il pas de même face à un moyen tiré de la violation des

coutumes internationales? Deux explications sont possibles.

La décision « Comores » pouvait être maladroitement rédigée. L'idée de « mise en

cause » pouvait conférer une signification différente de celle qui lui confère la répartition des

domaines législatif et réglementaire75 : elle n’apportait alors rien sur l’applicabilité du droit

international non écrit et sur la compétence du Conseil constitutionnel en la matière.

Dans le cas contraire, elle devait être interprétée comme constitutive d'une profonde

différence de régime posée entre les deux branches du droit international (écrit et non-écrit).

Le Conseil ne revenait donc pas manifestement en arrière sur sa jurisprudence I.V.G. Il ne

refusait donc pas en principe de contrôler la conformité des lois à certaines règles

internationales non écrites. Il avait, de toute évidence, un fondement pour ce faire : l'absence

de toute référence constitutionnelle à la condition de réciprocité76. C'est essentiellement sur

cette exigence portée par l'article 55 qu'il asseyait son raisonnement en matière de traités ;

c'est sur cette absence qu'il pouvait établir l'invocabilité des autres normes internationales.

Ainsi, la cohérence des deux décisions de 1975 était maintenue77. Il serait toutefois

déraisonnable de trancher entre ces deux thèses sans confirmation jurisprudentielle de l'une ou

l'autre.

73 C'est ainsi, en tout cas, que le Conseil constitutionnel qualifie un règlement entré illicitement dans le domaine de la Loi. 74 C.C., DC 74-54, loi sur l’interruption volontaire de grossesse, I.V.G., Rec. p. 19. 75 Voir par exemple Louis Favoreu, art. cité, A.F.D.I. 1977 préc. P.110. Pour une vision du terme « mise en cause » plus conforme au schéma « interniste ». 76 Le préambule de 1946 ne traitant de réciprocité que dans l'engagement de l'Etat, et non l'application des normes. Sur cette analyse en termes de réciprocité, Nguyen Quoc Dinh, « Le Conseil constitutionnel et les règles du Droit public international », R.G.D.I.P. 1976, p. 1023. 77 Dans ce sens : H. Thierry, S. Sur, J. Combacau, C. Valley : Droit international public, Montchrestien, 1997, p.183; C. Bluman : « L'article 54 de la Constitution » R.G.D.I.P. 1978, p.583. Contra, C. Franck : « Le Conseil Constitutionnel et les règles du droit international » R.G.D.I.P. 1975, p. 1070.

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36

L'affaire des nationalisations allait apporter cet éclaircissement78. Le Conseil se voyait à

nouveau saisi d'un grief tiré du droit international non écrit : les nationalisations auraient

possédé un effet extra-territorial illicite. La doctrine avait abondamment attiré son attention

sur les ambiguïtés de la décision Comores. De plus, les requêtes successives des députés et

des sénateurs, ainsi que la consultation du professeur Lossouarn annexée à la lettre de

saisine79, se voulaient directement et explicitement fondées sur l'interprétation

internationaliste que l'on vient d'exposer. Même le mémoire en défense des parlementaires

socialistes entérinait l'argument en ne contestant pas au Conseil le pouvoir d'invoquer un tel

moyen80. Tous postulaient un même schéma : l'absence d'un considérant de principe excluant

la compétence du Conseil Constitutionnel valait aveu de cette compétence. Si la Haute-

juridiction entendait décliner sa compétence en l’espèce, il fallait le faire expressément,

comme en matière de traités.

Le Conseil Constitutionnel ne déclina pas sa compétence. Mais l'on ne saurait s'en

satisfaire pleinement, dans la mesure où le contenu international des deux décisions81 demeure

assez « décevant ». Dans des termes comparables, le Conseil va se borner à répondre par deux

fois à l'accusation d'extra-territorialité en ces termes.

« Cons… que les limites rencontrées hors du territoire national (concernant les pouvoirs

des organes d'administration des sociétés ayant leur siège en France) constituerait un

fait qui ne saurait restreindre en quoi que ce soit le droit du législateur. »

Ainsi avait-on éludé le problème majeur au fond : si l'extra-territorialité se conçoit

comme un « fait », c'est qu'elle n'est pas ponctuellement reçue comme une règle de droit.

Mais même cette conclusion suppose que l'on se soit posé la question de savoir s'il pouvait en

aller autrement. Or cette question reste nécessairement seconde par rapport à celle que le

Conseil était contraint de poser sur sa propre compétence pour en discuter82. Si l'on rapporte

78 81-132.DC du 16 janvier 1982, 1ère Loi de nationalisation ; 82-139.DC du 11 février 1982 (2ème Loi de nationalisation), Rec. p.31. 79 V. Les lettres de saisine des députés et sénateurs in L. Favoreu (dir), Nationalisations et Constitution, Economica 1982, p. 197 et p. 253. Consultation du professeur Lossouarn p. 158. 80 Ibid. p. 315. 81 CC 81.132.DC du 16 janvier 1982 (1e Loi de nationalisation), p. 18, 81-139.DC du 11 février 1982 (2e Loi), p.31; et les commentaires de Avril et Gicquel, Pouvoirs, 1982, n°21, p.191; Bischoff R.Cr. D.I.P. 1982, n°2, p. 349. Drago in Nationalisations et Constitution, préc., p.19; L. Favoreu, R.D.P. 1982 p. 433; J. Rivero A.J.D.A. 1982, p. 377. 82 Le point de savoir si l'on doit considérer une prescription quelconque comme la norme de réflexion valable d'un contrôle contentieux ne constitue même pas une question de la recevabilité ; elle équivaut exactement (et seulement) à s'interroger sur le point de savoir si la requête est fondée. La notion de recevabilité n'est relative qu'à la qualité du requérant, aux conditions formelles et procédurales de la requête, et enfin, à l'acte attaqué (V. par exemple J.M. Lemoyne de Forges « Recours pour excès de pouvoir, conditions de recevabilité » Rep. Dalloz Contentieux administratif). La disqualification de la « norme » de référence proposée représente, pour sa part, un argument de fond. Il est hors de doute que, au Conseil Constitutionnel, comme au Conseil d'Etat,

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cela aux injonctions pressantes qui lui étaient faites de poser son incompétence en principe

pour le cas où c'eût été le fond de son intention, l'on est bien contraint d'observer que c'est

justement cette compétence qu'il ne rejette pas. « Implicitement mais nécessairement »83, la

Haute-juridiction a entendu ne pas fermer la porte à l’idée selon laquelle le droit non écrit

peut être invoqué contre la loi.

L'affaire de la Convention franco-allemande additionnelle à la Convention d'entraide

judiciaire en matière pénale n'apportait aucune information supplémentaire84.

Le Conseil Constitutionnel était appelé à se prononcer sur la licéité d'une convention

bilatérale dérogeant à un traité multilatéral. La question posée relevait donc tout autant du

droit conventionnel (les dispositions de la convention-mère autorisaient la conclusion

d'accords bilatéraux), que du droit coutumier (puisque la France n'est pas partie à la

Convention de Vienne sur le droit des traités). Cette fois le Conseil Constitutionnel a décliné

effectivement sa compétence, estimant qu'il « n'appartient pas au Conseil Constitutionnel (…)

d'apprécier la conformité d'un accord international aux stipulations d'un traité ou accord

international »85.

Mais cette décision n’apporte aucun enseignement du point de vue qui nous préoccupe

dès lors que le déclinatoire s'opère essentiellement sur le terrain du droit conventionnel

(« traités ou accords »). Aucune allusion n'est faite au droit coutumier, pas plus dans l'exposé

des griefs invoqués que dans les motifs retenus. Curieusement, le Conseil Constitutionnel n'a

pas jugé utile de préciser qu'il n'était pas non plus juge de la conformité des engagements

internationaux aux coutumes. L'évitement paraît total.

Enfin, L'affaire néo-calédonienne86 n’a entraîné aucun démenti sur la possibilité d’une

applicabilité du droit non écrit sur le fondement de l’alinéa 14 du préambule de la

Constitution mais elle n'apporte pas non plus de précisions supplémentaires. La

constitutionnalité de la loi était mise en cause au motif d'une violation des « principes du droit

international public, et notamment la résolution de l'Assemblée Générale des Nations-Unies

les questions sont abordées dans l'ordre Compétence-recevabilité (ou, à la rigueur, l'inverse dans certains cas) - fond. Car les deux premières représentent sine qua non de l'existence même de la troisième. 83 J.M. Bischoff, note préc., Rev. Cr. D.I.P. 1982, p. 353. Il suffit d'ailleurs de comparer ce considérant à celui de la décision I.V.G. où le Conseil Constitutionnel a posé sans la moindre équivoque que le contrôle de conformité de la Loi au traité « ne saurait s'exercer dans le cadre prévu à l'article 61 en raison de la différence de nature des deux contrôles.… ». 84 80-116. DC du 17 juillet 1980, p. 36; R.G.D.I.P. 1981 p. 202 note Vallée 85 80-116. DC du 17 juillet 1980, p. 41; R.G.D.I.P. 1981 p. 202 note Vallée. 86 85-196. DC du 8 août 1985, Evolution de la Nouvelle-Calédonie, Rec. p.64.

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du 14 décembre 1960 sur l'octroi de l'indépendance aux pays et aux peuples coloniaux »,

laquelle « proscrit toute condition ou réserve au moment du transfert de souveraineté ».

A cela, et à d'autres griefs – de nature constitutionnelle ceux-là – le Conseil répondait :

« que la loi se borne à formuler une déclaration d'intention sans contenu normatif et que,

s'agissant d'un objectif que le législateur se fixe à lui-même en vue de dispositions législatives

ultérieures, il ne saurait en l'état être comme tel susceptible de censure constitutionnelle. »87

C'est donc seulement sur la recevabilité qu'il statue. De ce contournement, l'on doit

déduire le maintien du statu quo sur la compétence qui n'est toujours pas exclue. Cette

décision, moins probante, il est vrai, que celle rendue à propos des nationalisations, contribue

à renforcer la quasi-certitude selon laquelle le Conseil n'entend pas se priver a priori du

recours au droit international non écrit, et l'idée que l'alinéa 14 du Préambule de 1946

fonderait son applicabilité de principe. Reste que le Conseil demeure réticent à un emploi

effectif de ces normes.

La première décision « Maastricht »88 a apporté de substantiels éléments de

confirmation sur l’applicabilité et l'invocabilité de principe du droit international non écrit.

Le Président de la République a demandé au Conseil de statuer sur la compatibilité du

traité de Maastricht avec la Constitution « compte tenu des engagements internationaux de la

France ». S'agissant, pour le reste, d'une saisine « blanche » – ou peu s'en faut-, le juge

possédait la plus vaste latitude dans le choix de son argumentation et des normes de référence

utilisables. Le choix qu'il fit d'invoquer l'alinéa 14 du Préambule de 1946 et, consécutivement,

de soumettre la France au respect du principe Pacta sunt servanda 89 n'en apparaît que plus

éclairant.

« Sur le fait que l'Union européenne modifie des engagements internationaux

antérieurs : (…) Considérant que le 4ème alinéa de la Constitution de 1946 (…) proclame que

la République française « se conforme aux règles du droit public international » ; qu'au

87 85-196. DC du 8 août 1985, p. 65; A.J.D.A. 1985, note Hamon; D. 1986, p. 45 note Luchaire. 88 CC. 92-308 DC du 9 avril 1992, Maastricht I, Rec. p.55. 89 La décision se réfère également au principe de la personnalité juridique des organisations internationales, mais on prendra essentiellement appui sur « pacta sunt servanda » dans les lignes qui suivent, dans la mesure où il s'avère plus apte à fournir immédiatement la norme de référence d'un contentieux proprement constitutionnel. Il n'en reste pas moins que le Conseil entérine, au travers de ce principe de personnalité, l'une des règles coutumières les mieux admises du droit international. On la trouve utilisée, d'ailleurs, de manière fréquente dans le contentieux administratif au moment de délimiter l'étendue de la compétence des juridictions internes (au regard de l'immunité de juridiction corrélative à la reconnaissance de cette personnalité notamment).

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nombre de celles-ci figure la règle Pacta sunt servanda qui implique que tout traité en

vigueur lie les parties et doit être exécuté par eux de bonne foi (…)90 ».

L'enseignement fondamental à tirer de ce considérant est la possibilité, pour le

Conseil, de contrôler la constitutionnalité de conventions internationales déjà en vigueur. Cela

dit, on aurait tort de minorer l'importance intrinsèque de cette consécration, à dire vrai assez

inattendue, d'une règle internationale non écrite. Car il s'agit assurément de la première

hypothèse dans laquelle le Conseil entend marquer de manière explicite que ces règles – en

l'espèce une coutume – peuvent bien posséder un rôle effectif en contentieux constitutionnel.

Et s’il est difficile de déterminer jusqu'où ce rôle peut s'étendre91, il ne faut plus douter qu'il

existe. Une applicabilité sur le fondement de l’alinéa 14 – et une invocabilité – de principe a

bien été admise par la haute juridiction. Nous ne sommes plus en présence d'une

reconnaissance « négative » de l'applicabilité du droit non écrit, simplement déduite de ce que

le Conseil ne s'interdit pas d'y recourir, mais d'une confirmation, positive et difficilement

discutable. L'incertitude, au moins sur ce terrain de l'applicabilité, a donc sérieusement

régressé.

Néanmoins, si le Conseil Constitutionnel a admis l’applicabilité de normes

internationales non écrites, déterminer les modalités de cette applicabilité demeure un

exercice périlleux. La décision « Maastricht » ne semble pas impliquer nécessairement que

l’alinéa 14 du préambule de la Constitution de 1946 soit une disposition de transposition. Une

lecture « internationaliste » de la décision du Conseil Constitutionnel est possible : celui-ci se

contenterait simplement de vérifier que la France « se conforme aux règles générales du droit

public international » dans le domaine du droit international. Le nature particulière du

principe pacta sunt servanda qui est un « principe de régulation » de l’ordre juridique

international renforce le doute.

Une décision du Conseil constitutionnel du 22 janvier 199992 amplifie ce doute. La

Constitution en son article 55 dispose que les traités ont « une autorité supérieure à celle des

lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie ».

Toutefois, le Conseil Constitutionnel, dans cette décision relative au statut de la Cour pénale

internationale, a jugé qu’ « eu égard à cet objet, les obligations nées de tels engagements

s’imposent à chacun des Etats parties indépendamment des conditions d’exécution par les

autres parties : qu’ainsi la réserve de réciprocité mentionnée à l’article 55 de la Constitution

90 Décision 92-308. DC du 9 avril 1992 (Traité sur l'Union Européenne). 91 La question fondamentale se ramène évidemment au point de savoir si ces règles internationales peuvent, ou non, fournir la norme de référence d'un contrôle de validité sur les lois. 92 C.C., 22 janvier 1999, Cour pénale internationale, Rec. p. 30.

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n’a pas lieu à s’appliquer ». Le Conseil constitutionnel applique en l’espèce une règle non

écrite de droit international : celle de l’absence de la condition de réciprocité pour certains

types d’engagements internationaux notamment ceux relatifs aux droits de l’homme. Là

encore, le Conseil Constitutionnel applique des règles générales du droit international non

écrit en relation avec une règle internationale écrite : il vérifie que les engagements

internationaux de la France sont bien conformes à l’ordre juridique international.

Certes, les décisions du Conseil constitutionnel sont de nature « internationalistes ».

Elles ne sont cependant pas, logiquement, limitées à l’ordre juridique international. En toute

rigueur, les règles internationales non écrites que le Conseil Constitutionnel a reconnues sont

des normes de l’ordre juridique interne ne serait ce que parce que le juge interne a l’obligation

de les prendre en considération, notamment lorsqu’il détermine l’applicabilité d’un traité au

sein de l’ordre juridique interne.

Pour le Conseil constitutionnel, l’alinéa 14 du préambule de la Constitution de 1946

est donc une disposition de transposition des règles internationales non écrites. Une question

demeure cependant ouverte : est-ce que toutes les règles internationales non écrites sont

transposables au sein de l’ordre juridique interne sur le fondement constitutionnel ? Ou bien

est ce seulement les normes qui permettent, au sens de la jurisprudence constitutionnelle, de

mettre l’ordre juridique interne en conformité avec les normes juridiques internationales ?

Cette dernière question peut surprendre. A priori, pour assurer la conformité de l’ordre

juridique interne avec l’ordre juridique international, toutes les normes internationales non

écrites devraient être applicables – ou du moins avoir un effet – en droit interne. Toutefois, si

l’on s’en tient à la jurisprudence du Conseil Constitutionnel, seules sont applicables les

normes internationales non écrites relatives à la « régulation » des engagements

internationaux de la France, en particulier les engagements conventionnels.

Il reste est à constater que le Conseil constitutionnel, en s’attribuant ainsi une fonction

de juge des engagements internationaux de la France et en appliquant ainsi la règle pacta sunt

servanda, fait fonction de juge international en tant qu’il soumet par son contrôle a priori les

engagements conventionnels de la France non entrés en vigueur à une condition de conformité

aux autres normes de droit international.

.

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b. La coexistence de divers modes d’applicabilité

Certes, le Conseil Constitutionnel a reconnu l’applicabilité directe des normes

internationales sur un fondement constitutionnel : l’alinéa 14 est, selon le Conseil

constitutionnel, une disposition de transposition. Mais, le Conseil constitutionnel n’est pas

l’unique autorité juridictionnelle suprême. Le Conseil d’Etat (le juge administratif suprême) et

la Cour de cassation (le juge judiciaire suprême) ont, du moins pour le premier, retenu une

autre signification de l’alinéa 14 qui n’est incompatible ni avec la lettre même de la

Constitution, ni avec une vision unitaire du droit (moniste) qui ne conditionne pas

l’applicabilité du droit international aux dispositions du droit interne.

En droit interne, l'alinéa 14 peut revêtir différentes significations. Le fondement d'une

applicabilité interne de cette disposition constitutionnelle repose en premier lieu sur une

lecture de cette disposition constitutionnelle non monolithique. Il s'agit de considérer les deux

phrases de l'alinéa 14 comme deux dispositions indépendantes. La première phrase de l'alinéa

14 est alors susceptible de quatre interprétations, dont une qui exclut l’applicabilité des

normes internationales non écrites sur le fondement constitutionnel.

Le système dualiste démontre l’impossibilité pour l’homme de faire un choix entre deux

femmes, plus précisément et plus simplement ce système démontre la lâcheté de l’homme.

i. La première signification : système dualiste

L’alinéa 14 peut être une disposition qui entraîne un mode d’applicabilité dualiste. La

signification de l’alinéa 14 est alors la suivante : « La République française se conforme aux

règles du droit international public, c'est-à-dire qu'elle est tenue de transformer ces règles,

une à une, en droit interne, à l'aide d'actes législatifs ou réglementaires, pour que les dites

règles soient applicables au sein de l'ordre juridique national ».

Nous l’avons vu, cette lecture dualiste a été exclue par le juge constitutionnel, l’alinéa

14 du préambule de 1946 ayant été considérée à plusieurs reprises comme une disposition de

transposition.

Il convient toutefois de rappeler que cette interprétation de l'alinéa 14 n'est pas

inconnue de la doctrine française. Dès 1948, Jacques Donnedieu de Vabres estimait que

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l'expression : « « se conforme aux règles du droit public international » […] ne détermine pas

une intégration automatique dans le droit interne de l'ensemble du droit international. Elle dit

simplement que la République se conforme aux règles, ce qui lui laisse le choix de la façon de

les introduire dans son système et de les sanctionner »93. Observons toutefois que l’auteur,

nuançant quelque peu sa pensée, précisait : « […] le texte français de 1946. […] ne va… pas

aussi loin que l'article 7 de la Constitution espagnole de 1931, qui disposait : « L'Etat

espagnol observera les règles universelles du droit international en les incorporant dans son

droit national » . Cette dernière formule […] mentionne expressément la nécessité d'une

incorporation […] l'incorporation est constitutionnellement nécessaire pour l'Etat espagnol :

il n'y a qu'une seule façon pour celui-ci de se conformer à la loi internationale, c'est de

l'incorporer dans son droit interne. Sur ce point, la Constitution espagnole est beaucoup plus

précise et complète que notre préambule. » Cette signification, favorable au dualisme, de

l'alinéa 14 du Préambule de la Constitution de 1946 appelle trois remarques :

En premier lieu, au regard des travaux préparatoires de la Constitution de 1946, il

n'apparaît pas que la volonté du constituant ait été d'en permettre une lecture dualiste94.

On peut penser, en second lieu, que cette lecture dualiste n'est pas compatible avec

l'expression « fidèle à ses traditions » qui figure au sein de la première phrase de l'alinéa 14.

En effet, on observera que, concernant le statut du droit international non écrit dans les

républiques antérieures, le monisme juridique prévalait. Lorsqu'il y avait recours aux normes

non écrites du droit international, le juge judiciaire n'estimait pas que leur applicabilité soit

subordonnée à l'édiction de normes de droit interne les ayant précédemment transposées dans

l'ordre juridique interne95. On pourra toujours objecter à cet argument que cette « tradition »

n'est pas la tradition constitutionnelle mais celle du juge judiciaire.

En troisième lieu, on constatera que le droit positif actuel ne va pas dans le sens d'une

logique dualiste : l'applicabilité du droit international non écrit n'est pas conditionnée par la

transformation de ces normes en droit interne. S'il existe, sous la quatrième République

quelques précédents manifestant une attitude favorable au dualisme juridique96, ne faisant, au

demeurant, aucune référence à l'alinéa 14, il est désormais établi que les règles de droit 93 « La Constitution de 1946 et le droit international », chron., D. 1948, p.5. 94 G. Teboul : « Le droit international non écrit devant le juge administratif – quelques réflexions », RGDIP 1991, p. 331-334. 95 A propos du principe d'immunité de juridiction des Etats, C. cass. Gouvernement espagnol c/ Casaux, 1849, Sirey 1849, I, col. 81 (et not. Col. 93); Trib. Civ. Seine, 3e chambre, 31 juillet 1878, Dientz c/ de la Jara, JDI 1878, p. 500-501 (décision très significative au regard de l'autorité de la règle de droit international non écrit et des rapports avec la loi interne, v. § 2); C. cass., ch. Rqtes, 23 janvier 1983, Hanukiew, Sirey 1933, I, p. 249.

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international non écrites sont directement applicables devant les juridictions françaises97. La

question demeure cependant ouverte de déterminer si cette ouverture aux règles du droit

international non écrit se fonde sur la disposition constitutionnelle de l'alinéa 14.

ii. La deuxième signification : système mixte avec appartenance des normes

internationales non écrites au bloc de constitutionnalité

Une deuxième signification attribue à l’alinéa 14 la qualification de disposition de

transposition. Le sens est le suivant : « La République française, fidèle à ses traditions, se

conforme aux règles du droit international public, c'est-à-dire qu'elle prend l'engagement de

respecter, dans l'édiction des actes internes (ayant un effet interne), les règles du droit public

international qui, elles, sont applicables automatiquement et en bloc, au sein de l'ordre

national, en vertu de l'alinéa 14. ». D'après cette interprétation, l'applicabilité des règles

internationales non écrites n'est pas conditionnée par leur transformation, une à une, en droit

interne.

On pourrait dire que cette conception de l'alinéa 14 est pleinement conforme à la

doctrine moniste : les règles du droit des gens sont applicables, dans l'ordre interne, sans avoir

besoin d'y être intégrées, au cas par cas, par des normes internes de relais. Pourtant force est

de constater que l'applicabilité des règles du droit public international dépend, selon cette

lecture, d'une norme interne, en l'espèce l'alinéa 14. A cet égard, il y a place pour le

« dualisme juridique ».98 Ce mode d’applicabilité des normes internationales correspond à

celui d'un système mixte.

Les travaux d'élaboration de la Constitution ne permettent pas d'affirmer que cette

lecture de l'alinéa 14 correspond à l'intention du pouvoir constituant. Celui-ci souhaitait

96 Au sujet des affaires Myrtoon Steamship (concl. Heumann), Ignazio Messina (concl. Questiaux) et Mines de potasse d'Alsace (concl. Dandelot), cf. G. Teboul, « Le droit international non écrit devant les juridictions françaises », RGDIP 1991, p. 343 (notes n°78, 79, 80). 97 Pour ce qui est de la jurisprudence judiciaire sous la IVème République, au sujet du principe d'immunité de juridiction des Etats, v. par exemple, Cour de Poitiers, 16 juin 1949 (Etat roumain c/Delle Aricastre) in A.-C. Kiss, Répertoire de la pratique française en matière de droit international public, t. I, Ed CNRS, Paris, 1962, p. 6, n°9; pour ce qui est de la jurisprudence administrative, v. CE, 23 octobre 1987, Nachfolger, RFDA 1987, n° 6, p. 969 (rappr. Concl. Massot, p. 966-967); CE, 6 juin 1997, Aquarone, RGDIP 1997, p. 838 ( v. concl. G. Bachelier, p. 854). 98 Certains auteurs utilisent la notion de "dualisme souple" ou celle de monisme tempéré. La question du rapport entre Constitution et normes internationales de droit non écrit sera plus largement commentée dans la seconde partie à propos de la relation hiérarchique entre Constitution et normes de droit international non écrites.

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« simplement » confirmer, s'agissant des rapports internationaux noués par la France,

l'autorité des règles du droit des gens dans l'ordre international.

Enfin, si l'on considère en suivant l'interprétation précédemment exposée que les

règles non écrites du droit international sont applicables en vertu de l'alinéa 14, on peut

logiquement se demander si ces règles appartiennent au bloc de constitutionnalité99, à la

manière des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République. De prime abord,

cette intégration au bloc de constitutionnalité paraît douteuse, puisque l'existence de telles

normes est subordonnée à la volonté de l'Etat de se lier (c'est-à-dire à la volonté des organes

de l'Etat compétents en matière de production de normes internationales) et est soumis, du

moins pour la coutume, à la condition de réciprocité. Les normes de droit international non

écrites ont donc un caractère contingent, peu compatible avec la constitutionnalité.

iii. La troisième signification : système mixte

Il s'agit de la même signification que celle qui précède, mais avec une variante

apparemment subalterne mais néanmoins importante.

Selon cette nouvelle lecture de l'alinéa 14, l'appartenance du droit international non coutumier

au bloc de constitutionnalité ne soulève plus de difficultés particulières. On considère ici que

la violation des règles non écrites du droit international par une norme de droit interne

constitue une violation de la Constitution car l'alinéa 14 – qui, lui, a incontestablement

l'autorité d'une norme de rang constitutionnel – se trouve nécessairement méconnu.

Sans doute, s'agit-il là d'une nuance par rapport à la deuxième signification dégagée. Il

reste que cette analyse permet de mettre à l'écart le problème de l'intégration des règles non

écrites du droit international dans l'ensemble des normes de valeur constitutionnelle :

l'obligation de l'article 14 n'a pas une supériorité relative ( à l’existence ou non d’une règle

particulière du droit international liant la France), mais une supériorité absolue, par rapport

aux lois100.

On peut penser que lors des travaux préparatoires de la Constitution de 1946, cette

lecture de l'alinéa 14 n'a pas été ignorée, même s'il est vrai qu'elle n'a pas été voulue.

99 Cela fera l'objet d'un développement plus ample en seconde partie. 100 Bien entendu, la constitutionnalité d'une loi violant le droit international non écrit devra être appréhendée au regard une autre règle du droit international : celle selon laquelle un Etat peut valablement méconnaître une règle de droit international dès lors que ce droit a été violé à son égard.

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Ce que le pouvoir constituant a voulu déclarer, c'est que la France entendait respecter,

dans ses rapports avec les autres Etats, les règles du droit public international. Il reste que,

durant la séance du 17 juillet 1946 de la Commission de la Constitution, le président indiqua

qu'il fallait « éviter [d'] insérer [le futur alinéa 14] parmi les textes relatifs aux institutions,

où le contrôle de la constitutionnalité lui serait applicable »101. Ainsi, l'idée d'une intégration

dans le bloc de constitutionnalité de la norme posée par l'alinéa 14 a, semble-t-il, été émise.

En ce qui concerne le droit positif, la lecture de l'alinéa 14, proposée ici, a été

reconnue par certains auteurs. Après avoir affirmé que « le 14e alinéa du Préambule de la

Constitution […] paraît bien poser la règle selon laquelle la coutume s'impose au

législateur »102. Les commentateurs de l'arrêt Aquarone, D. Chauvaux et T.-X. Girardot, ont

également ajouté que la « logique de [la] position [du Conseil d'Etat] semble être qu'une loi

contraire à la coutume serait contraire à la Constitution »103. Comme on le voit, c'est l'alinéa

14 qui, selon cette opinion et contrairement à la lecture précédente, paraît constituer la norme

de référence à la loi : la place du droit international non écrit, en tant que tel, dans la

hiérarchie des normes, est sans pertinence.

Si plusieurs auteurs ont pu adopter un point de vue semblable104, l'analyse de la jurisprudence

française relative à l'alinéa 14, prise dans son ensemble, ne permet ni de confirmer, ni

d'infirmer, avec certitude cette interprétation.

iv. La quatrième signification : système moniste

Une signification moniste de l’alinéa 14 est envisageable. L’application des normes

internationales non écrites n’est pas conditionnée par l’alinéa 14, elle se réalise en dehors de

celui-ci. L’alinéa 14 signifie alors : « La République française, fidèle à ses traditions, se 101 Séance de la Commission de la Constitution, Comptes rendus analytiques, 20 juin 1946 au 3 octobre 1946, séance du mercredi 17 juillet 1946, p. 126. 102 Chron. D. Chavaux et T. –X. Girardot sous CE, 6 juin 1997, Aquarone, AJDA 1997, p. 573, col. droite. On relèvera par ailleurs que, pour ces auteurs, « l'applicabilité de la coutume, comme élément du droit international, dans l'ordre interne découle nécessairement d'une règle constitutionnelle. Or, cette règle se trouve énoncée, en ce qui concerne la France, au 14e alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 ». 103 Ibid, p. 574, col. gauche. 104 R. Chapus, Droit administratif général, tome I, Paris, Montchrestien, 11e édition, 1997, p. 125, n°179 (on remarquera, toutefois, que, depuis la douzième édition de cet ouvrage, R. Chapus ne considère plus que, selon la jurisprudence des Comores, la violation du droit international général emporte violation de la Constitution – 12ème édition, 1998, p. 128, n°179 mais voir la quatorzième édition du même ouvrage (août 2000), p. 136-137); F. Luchaire, Le Conseil Constitutionnel, Paris Economica, 1980, p. 135; Nguyen Quoc Dinh, « la jurisprudence française actuelle et le contrôle de conformité des lois aux traités », AFDI 1975, p. 870; B.

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conforme aux règles du droit public international, c'est-à-dire que le droit international non

écrit fait partie intégrante de l'ordre juridique français, étant entendu que ce droit est

directement applicable dans l'ordre juridique national, c'est-à-dire que son applicabilité ne

dépend d'aucune norme de droit interne, pas même de l'alinéa 14 de la Constitution. »

L’alinéa 14 n’est alors qu’une confirmation du monisme, une norme « superflue »

Il est à noter que cette lecture a été voulue par le pouvoir constituant de la quatrième

République et que la jurisprudence administrative peut être interprétée comme ayant reconnu

l'autorité de cette lecture.

Par son arrêt du 5 avril 1993, rendue dans l'affaire Aquarone, la Cour administrative

d'appel de Lyon considérait que « l'alinéa 14 du Préambule de la Constitution de 1946 n'est

pas nécessairement dépourvue de toute portée en droit interne »105. Saisi par la voie de la

cassation, le Conseil d'Etat n'a pas estimé, que la Cour d'appel de Lyon avait, par cette

affirmation, commis une erreur de droit106. Ce faisant, le Conseil d’Etat a suivi son

commissaire du gouvernement qui – après avoir indiqué qu'il entendait emprunter le principe

posé par l'arrêt Nachfolger (autorité de la coutume international dans l'ordre interne) – s'est

exprimé dans les termes suivants « Bien que votre décision Nachfolger ne mentionne pas la

Constitution et son Préambule dans ses visas, il nous semble que l'alinéa 14 permet en tout

cas de justifier l'application directe en droit interne d'une norme internationale non

écrite »107. Ce propos que l'alinéa 14 a une signification recognitive : cet alinéa reconnaît que

le droit international non écrit est applicable dans l'ordre interne ; il permet de justifier

l'application de ce droit au sein de l'ordre national sans constituer une condition de son

applicabilité108.

Au regard du droit positif, on observe que la jurisprudence, tant administrative que

judiciaire, admet l'applicabilité des règles internationales de droit non écrit dans l'ordre

juridique interne, sans faire dépendre cette applicabilité de l'alinéa 14 du Préambule de la

Goldman « les décisions du Conseil Constitutionnel relatives aux nationalisations et le droit international », JDI 1982, p. 301, §33. 105 CAA Lyon (form. Plén), 5 avril 1993, M. Aquarone, AJDA 1993, p. 720. 106 C'est ce qui résulte implicitement de l'arrêt du 6 juin 1997 (v. RGDIP 1997, p. 838-839). Rappelons les termes de l'arrêt rendu par la Haute juridiction administrative dans l'affaire Aquarone « ni [l'article 55 de la Constitution] ni aucune autre disposition de valeur constitutionnelle ne prescrit ni n'implique que le juge administratif fasse prévaloir la coutume internationale sur la loi en cas de conflit entre ces deux normes ; qu'ainsi, en écartant comme inopérant le moyen tiré par M. Aquarone de la contrariété entre la loi fiscale française et de telles règles coutumières, la cour administrative d'appel, qui a également, qui a également relevé que la coutume invoquée n'existait pas, n'a pas commis d'erreur de droit » (ibid., p. 839). 107 Concl. Bachelier, p. 857. 108 Bien entendu, cette signification recognitive n'exclut pas que le droit international soit transformé en doit interne.

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Constitution de 1946. En conséquence, le monisme juridique fait autorité en dehors du juge

constitutionnel.

Enfin, on constate que, dans la lecture de l'alinéa 14 envisagée ici, la difficulté soulevée

par la condition de réciprocité ne se pose pas. Il ne s'agit pas de s'interroger sur l'insertion des

règles non écrites de droit international dans le bloc de constitutionnalité, mais il s'agit

d'observer qu'une norme de rang constitutionnel confirme que les règles de droit international

général sont applicables dans l'ordre interne.

2. En Allemagne, l’article 25 comme disposition de transposition

En Allemagne, l’article 25 de la Loi Fondamentale est assurément une disposition de

transposition des règles générales du droit international (a). Celles-ci sont intégrées

automatiquement et en bloc au sein de l’ordre juridique interne : le système allemand est celui

d’un système mixte. Toutefois, selon les organes d’application du droit – et en particulier la

Cour constitutionnelle fédérale – les normes internationales conservent leur qualité propre de

normes internationales une fois transposées dans l’ordre juridique interne (b). Cette

application des normes internationales semble en contradiction avec la logique de l’article 25

de la Loi Fondamentale qui dispose d’une normativité interne (« les règles générales du droit

international font partie du droit fédéral ») et avec la présence même d’une disposition de

transposition (d’un système mixte) qui sépare ordre juridique interne et ordre juridique

international. On le constate encore un fois : l’application des normes internationales ne

dépend pas nécessairement des dispositions internes mais de la mise en œuvre des normes

internationales par les organes d’application du droit.

a. La transposition normative des règles générales du droit international en droit interne par

l’article 25 LF

L’ordre de droit international a pour finalité essentielle que le comportement des sujets

de droit international soit conforme au droit international du point de vue des résultats. Dès

lors, le droit interne en tant que tel n’est pas susceptible de porter atteinte par sa simple

existence au droit international. Seuls les résultats de son application dans un cas particulier

peuvent ne pas être conforme au droit international et seules une loi particulière provoquant

directement des effets contraires au droit international représente une atteinte concrète au

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droit international par une norme de l’Etat. L’Article 25 LF transpose avec effet interne, et de

manière normative, l’ordre général de droit international au sein de l’ordre juridique en

vigueur sur le territoire de la République Fédérale Allemande. La conception de cette

intégration implique que le droit en vigueur sur le plan interne peut être évalué – en tant que

tel – quant à sa conformité au droit international, et non pas uniquement sur les effets

concrets de son application eu égard au droit international. Ceci est en outre confirmé par la

primauté des règles générales du droit international sur les lois dont l’article 25 dispose.

b. Transformation en droit allemand ou réception en tant que droit international ?

L’intention principale du Conseil parlementaire allemand – au vu de la situation

juridique concernant les normes internationales sous l’article 4 de la République de Weimar –

était d’intégrer les règles générales du droit international par l’article 25 de la Loi

Fondamentale sans opérer de transformation en droit interne.

En ce qui concerne la nature des normes applicables au sein de l’ordre juridique

allemand, La doctrine allemande est partagée. La question demeure de savoir si l’article 25 de

la Loi Fondamentale « transforme » les règles générales du droit international en droit

allemand ou s’il les réceptionne en leur qualité de droit international en tant que droit en

vigueur109.

La Cour Constitutionnelle fédérale a très tôt évoqué la « validité immédiate » des

règles générales du droit international provoquée par l’article 25 LF sans « loi de

transformation »110. Dans des décisions plus récentes, la Cour parle de l’ « ordre général

d’application du droit de l’article 25 LF sur le fondement duquel les règles générales du droit

international sont, en tant que telles, avec leur portée respective sur le plan du droit

international, partie intégrante du droit objectif en vigueur dans le domaine souverain de la

République fédérale allemande »111. Il convient toutefois de remarquer que les deux Sénats de

la Cour constitutionnelle fédérale dans leur nouvelle jurisprudence se sont aussi détournées de

la « thèse de transformation » concernant les traités internationaux qui avait servi de

109 par exemple, Karl Josef Partsch, « die anwendung des Völkerrechts im innerstaatlichen Recht, überprüfung der Transformation Lehre, Arbeiten der 1. Studienkommission der Deutschen Gesellschaft für Völkerrecht », in : BDGV 6, 1964, p. 86 et suivantes. 110 BVerfGE 6, p. 309 sqs. (363) ; 23, p. 288 sqs. (316). 111 BVerfGE 46, p. 342 sqs (403) ; « generellen Rechtsanwendungsbefehl des Art. 25 LF, kraft dessen die allgemeinen Regeln des Völkerrechts als solche mit ihrer jeweiligen völkerrechtlichen Tragweite Bestandteil des objektiven, im Hoheitsbereich der Bundesrepublik Deutschland ».

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fondement à des décisions antérieures112. Désormais, la Cour constitutionnelle fédérale

qualifie les lois d’approbation des traités conformément à l’article 59 § 2 LF – et, le cas

échéant, conformément à l’article 24 alinéa 1 de la Loi Fondamentale – comme des

« dispositions spéciales d’application du droit » (« spezielle Rechtanwendungsbefehle »)113.

La Cour constitutionnelle fédérale considère que ces lois réceptionnent le droit conventionnel

en sa qualité de droit international au sein de l’ordre juridique en vigueur en République

Fédérale Allemande. D’après Karl Josef Partsch, l’article 25 LF (de même que l’article 59 § 2

LF) « dogmatiquement ouvert »114 à ces deux théories.

La finalité de l’article 25 LF consiste à maintenir en harmonie le droit issu des

procédures internes avec le droit international général et, par là, de prévenir les atteintes

possibles au droit international de République fédérale allemande. Une partie de la doctrine

allemande considère que, par conséquent, la Loi Fondamentale consacre « l’ouverture de la

loi fondamentale » au droit international115. A partir de ces éléments, l’interprétation de

l’article 25 à privilégier est celle d’une « vollzugs - oder Adoptionslehre »116. Cette

interprétation ne sépare pas la vigueur de la norme qui est à appliquer sur le fondement de

l’article 25 LF de la validité que lui confère le droit international.

Fonder une telle application sur l’article 25 semble toutefois contradictoire. Certes,

c’est la validité des normes internationales qui leur confère leur validité en droit interne mais

ceci concerne uniquement la normativité de telles règles en droit interne et non leur mode

d’application (en tant que droit interne ou en tant que droit international). De plus, l’article 25,

en disposant que de telles normes sont « une composante du droit fédéral », différencie

implicitement droit international et droit interne – puisqu’il présuppose que les normes

internationales peuvent être une composante d’un autre droit. La seule explication à une telle

application des règles générales du droit international ne repose pas sur l’article 25 LF mais

sur une application moniste du droit international par les organes d’application du droit

(même si ceux ci se justifient sur le fondement de l’article 25).

L’article 25 LF détermine les organes d’Etat tenus de respecter les règles générales du

droit international : législateur, juge et organes de l’autorité exécutive. Ces organes ont

également l’obligation de prendre en considération, par avance, les règles générales du droit

112 BVerfGE 1, p. 372 sqs. (389) ; BVerfGE 1, p. 396 sqs. (411) ; BVerfGE 6, p. 309 sqs. (332). 113 BVerfGE 75, p. 223 sqs. (244) 114 Partsch, précité, p. 45. 115 Albert Bleckmann, « Der Grundsatz der Völkerrechtsfreundlichkeit der deutschen Rechtsordnung », DÖV 1996, p. 137. 116 H. Steinberger, « Allgemeine Regeln des Völkerrechts », HStR VII, 1992, § 178.

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international dans le contexte du droit international. Ils ont l’obligation de se saisir de ces

règles avec les méthodes instrumentales du droit international aussi bien en ce qui concerne

leur naissance, la recherche de leur sens normatif et leur manière d’agir. Considérer les

normes internationales comme des normes transformées en droit interne comporte, de manière

systématique, des risques d’atteinte au droit international par des organes d’Etat allemands.

Les normes internationales non écrites sont donc applicables dans les ordres juridiques

internes, que ce soit sur le fondement constitutionnel ou en dehors de celui-ci. Une telle

attitude moniste des organes d’application en matière d’application des normes internationales

non écrites s’explique notamment – par opposition aux traités – par l’absence de formalités

d’insertion (publicité, promulgation) de ces normes au sein des dispositions constitutionnelles.

La validité des normes en droit international est suffisante à leur conférer une validité en droit

interne. Dès lors, la possibilité d’une application strictement moniste des normes

internationales semble plus ouverte pour les organes d’application (l’éventualité d’une

contradiction avec la Constitution étant moindre).

B. Les incertitudes relatives à l'inexistence de formalités d'insertion du droit non écrit dans

l'ordre juridique interne

En l’absence de formalités d’insertion des normes internationales du droit non écrit dans

l’ordre juridique interne, les critères de l’applicabilité sont à rechercher – dans le cadre d’un

système moniste ou d’un système mixte – dans les seuls critères de validité des normes en

droit international.

1. En Allemagne

Sous la République de Weimar, la jurisprudence et la doctrine s'accordaient à limiter le

qualificatif de « générales et reconnues » aux règles reconnues de manière évidente ou

expresse par le Reich. Pour qu'une règle du droit international générale soit applicable dans

l'ordre juridique interne, il fallait donc au préalable une reconnaissance par un organe du

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Reich, en particulier le législateur117. Le retrait de cette reconnaissance devait entraîner son

inapplicabilité interne118. Une loi du Reich incompatible avec la norme reconnue était alors

suffisante au retrait de la reconnaissance et à l’inapplicabilité de la norme dans l’ordre

juridique interne. Le régime national-socialiste a conservé cette lecture de l'alinéa 4 de la

Constitution de Weimar. Le droit international pouvait se « transformer » en droit interne,

pour autant et aussi longtemps qu'il était reconnu par l'Allemagne119.

Ce système dualiste contestée a amené le Conseil Parlementaire à ne pas retenir le

qualificatif de « reconnue » dans l’article 25 LF afin de ne pas soumettre l’applicabilité de la

norme internationale dans l’ordre interne à une condition de reconnaissance par une norme de

droit interne. La reconnaissance par un acte interne de la République fédérale allemande n’est

désormais plus une condition de l’application interne d’une règle générale de droit

international. La jurisprudence et la doctrine sont quasiment unanimes à ce sujet120.

En matière de création, de développement, de transformation ou de suppression d’une

règle générale de droit international, les critères de l’ordre juridique international sont seuls

pertinents. La détermination de ces critères n’est pas du ressort de la Loi Fondamentale.

L’article 25 LF réceptionne les règles générales en la consistance propre qui leur est conférée

dans l’ordre juridique international121.

Néanmoins, la reconnaissance internationale de la République Fédérale Allemande

demeure fondamentalement nécessaire pour la création, le développement ou la

transformation du contenu de règles de droit international ayant un espace de validité

universel122. Toutefois, ces conditions de reconnaissance ne sont pas subordonnées aux

conditions de reconnaissance de l’ordre juridique interne mais à la structure essentielle de

l’ordre juridique international, en tant qu’ordre de coordination qui repose sur l’égalité

souveraine des Etats. Il en est de même en matière de coutume particulière pour autant que la

République est concernée et fait partie du cercle potentiel des destinataires.

En droit international – et tel que celui est appliqué par les organes d’application du

droit allemand – un Etat seul, dans certaines circonstances, ne peut empêcher la formation ou

la transformation d’une règle générale du droit international, mais il peut éviter d’être lié à

117 Wolfgang Pigorsch, Die einordnung völkerrecchtlicher Normen in das Recht der Bundesrepublik Deutschland, 1959, p. 28. 118 119 Ernst Rudolf Huber, Verfassungsrecht des Grossdeutschen Reiches, 1939, p. 266. 120 BVerfGE 15, p. 25 sqs. (34) ; 16, p. 27 sqs. (33) ; 23, p. 288 sqs. (317) ; 31, p. 145 sqs. (177) ; Rudolf Geiger, « Zur Lehre vom Völkergewohneitsrecht in der Rechtsprechung des Bundesverfassungsgerichts », in AöR 103, 1978, p. 382. 121 BVerfGE 18, p. 440 sqs. (448) ; 46, p. 342 sqs. (363, 403). 122 BVerfGE 46, 342 (344, 402 f.).

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cette règle s’il se comporte comme un objecteur persistant123 en manifestant de manière claire

et constante son opposition à la norme dans le laps de temps pendant laquelle la règle est

formée ou transformée. L’article 25 LF n’interdit ni à la République Fédérale d’adopter une

telle attitude ni ne confère d’obligation de se lier à une telle règle.

Sans reposer sur le principe de droit international de suprématie du droit international sur le

droit interne, l’article 25 LF s’oppose à ce que l’application interne de règles générales

existantes soit exclu par un acte juridique interne, que ce soit la loi ou un acte administratif ou

gouvernemental. C’est en ce point que réside la rupture entre la Constitution de Weimar et la

Loi Fondamentale en matière de règles du droit international.

2. En France

Le droit non écrit n'est pas, en principe, ratifié ni même publié. Sous l’œil des juridictions,

administrative notamment, c’est en pratique l’un des principaux défauts à l’applicabilité de

telles règles. L’absence de formalité d’insertion des normes non écrites a longtemps expliqué

la non applicabilité de principe des normes internationales non écrites pour le Conseil d’Etat.

Les formalités d'incorporation valent normalement condition minimale pour l'applicabilité des

traités, relevée au besoin d'office par le juge124. Le poids de ces exigences se ferait donc

nécessairement sentir sur le contentieux du droit non écrit. Cela dit, que l’applicabilité soit

fondée sur une logique purement moniste ou sur l’alinéa 14 du préambule de 1946, l'objection

tombe d'elle-même. Le raisonnement moniste implique que les critères du droit international

soient appliqués pour déterminer la validité de telles normes. Le préambule, quant à lui, –

contrairement à l’article 55 de la Constitution – ne pose justement aucune de ces formalités en

préalable125. C'est ce qui rend contestable les anciennes décisions de la juridiction

administrative lorsqu'elle refusait par exemple toute application de la déclaration universelle

des droits de l'homme, motif pris de ce qu'elle n'a pas été ratifiée et de ce que sa publication

au journal officiel est insuffisante pour compenser cette carence126. Pour le Conseil d'Etat, il

123 Du point de vue du droit international : C.I.J., Affaire des pêcheries anglo-norvégiennes, 18 décembre 1951, rec. p. 116 ; application par le droit interne : BVerfGE 36, 342 (389). 124 Il suffit de se remémorer que l'article 55 de la Constitution fait référence aux traités et accords « régulièrement ratifiés ou approuvés », et surtout, que leur suprématie sur la loi n'est acquise que « dès lors publication ». 125 C'est ce qu'avait bien montré A. Gervais : « Constations et réflexions sur l'attitude du juge administratif français à l'égard du droit international », A.F.D.I. 1965, p. 25 et 33. 126 CE 18 avril 1961, Elections de Nolay p. 189 confirmée par CE 23 nov. 1984, Roujanski et autres, p. 384, R.G.D.I.P. 1987-2, Chron. Rousseau.

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n'en saurait allé autrement que si un accord de la France sur le contenu de ce texte avait pu

être identifié, si complet et si patent que la nature même de la déclaration s'en saurait trouvée

proprement transmutée en une véritable convention127.

Les normes internationales non écrites sont directement applicables – sans qu’un acte de

droit interne de transformation soit nécessaire – en France et en Allemagne. Les organes

d’application interne du droit, se fondant sur une logique moniste, tendent à appliquer les

normes internationales non écrites en leur consistance propre de règles du droit international.

Mais, cette applicabilité des normes internationales par les organes de droit interne, et en

particulier les juges, dépend de leurs attributions contentieuses selon les règles de droit

interne. L’applicabilité des normes internationales n’entraîne pas nécessairement leur

invocabilité, c’est-à-dire la faculté de s’en prévaloir devant un tribunal. Toutefois,

l’articulation entre modes d’applicabilité et invocabilité est déterminante. Dans un système

moniste, les normes internationales non écrites sont a priori invocables en leur consistance de

normes internationales (par exemple, les droits et obligations crées par les normes self-

executing sont invocables devant les tribunaux internes) mais cette logique est parfois

paralysée par les compétences contentieuses des juges internes (par exemple le Conseil d’Etat

français ne peut en principe écarter l’application d’une loi au profit d’une norme

internationale); dans un système mixte, l’invocabilité des normes dépend tout d’abord de la

disposition de transposition des normes internationales (l’article 25 LF dispose « Les règles

générales du droit international public […] créent directement des droits et obligations »).

Dans les deux systèmes, les juges outrepassent parfois leurs compétences de droit interne pour

appliquer le droit conformément aux règles droit international se fondant pour cela sur un

raisonnement moniste rarement avoué (voir décision du Conseil constitutionnel relative à la

transposition des directives).

127 C'est ce que le Conseil d'Etat avait admis à propos d'une résolution relative à la levée de l'accord de tutelle sur le Cameroun. Il relevait alors qu'il « est constant que cette résolution a été prise avec le plein accord de la République française », pour accorder force normative à ce texte, alors même, du reste, qu'il n'avait pas été publié (CE, 3 novembre 1961, M'Bounya, p. 612, Concl. Ordonneau; R.G.D.I.P. 1962, p. 867, note Rousseau). On retrouve là une technique assez courante du Conseil d'Etat, qui consiste dans certains cas, pour identifier une convention, à ne s'attacher ni à la forme de l'acte, ni à sa dénomination, ni même à sa parfaite orthodoxie juridique, dès lors qu'un véritable consentement de la France peut être identifié. Par comparaison, dans un registre, il est vrai assez différent, voir le contentieux de la « déclaration de principes » d'Evian, et de la déclaration sur la coopération économique et financière qui l'avait suivie, CE 23 février 1966, Djemane Mohamed Sais ben Abdallah, p. 133; CE, 11 mai 1966, Couture, p. 313; CE, section, 26 juin 1971, D. veuve Sadock Ali née Mecheri Zoulakhi ben Mohamed, p. 477.

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Section 2. L'articulation entre modes d’applicabilité et invocabilité : quelques aspects

du contentieux interne des normes internationales non écrites

L’applicabilité des normes internationales dans l’ordre juridique ne suppose pas

nécessairement l’invocabilité, c’est-à-dire la faculté de s’en prévaloir devant un tribunal.

L’applicabilité des normes internationales n’implique pas non plus, selon le droit international

une forme d’invocabilité précise et uniforme. Le contentieux des normes internationales

dépend des règles internes du contentieux interne : faculté de se prévaloir de droits subjectifs

issus des normes internationales, simple contrôle de légalité par rapport aux normes de droit

international… (I)

Les normes internationales non écrites sont, par leur nature même, des normes incertaines.

Leur applicabilité en droit interne est en pratique conditionnée par leur identification par les

organes d’application du droit. La fonction d’identification peut être attribuée à des organes

divers (II).

I. Les formes d'invocabilité

Le respect des normes internationales non écrites peut être exigible dans les relations entre

Etats, elles lient alors les organes internes compétents dans les relations internationales (A).

En tant que composantes du droit objectif, les normes internationales non écrites participent

au contrôle de légalité (B). Elles sont susceptibles de créer des droits et des obligations

invocables par les particuliers devant les tribunaux internes (C). Enfin, il existe des relations

particulières entre règles générales du droit international et droits fondamentaux de la Loi

Fondamentale allemande (D).

A. le respect des règles non écrites du droit international est-il exigible dans le domaine des

relations entre Etats ?

Il s’agit de déterminer si le respect des normes internationales non écrites par les organes

d’Etat compétents en matière de relations internationales selon le droit interne est exigible

devant les tribunaux internes. En France comme en Allemagne, les organes compétents en

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matière de droit international disposent d’un pouvoir discrétionnaire considérable dans

l’exercice de leurs fonctions internationales.

1. En France

L’alinéa 14 du préambule de 1946 peut avoir une signification « internationaliste ». Dès lors,

le respect des obligations internationales par le législateur en tant que pouvoir extérieur

(compétent en matière de production de normes internationales) peut être exigible devant le

Conseil constitutionnel (a). Par contre, la jurisprudence du Conseil d’Etat exclut un tel

contrôle de l’exécutif selon la théorie des actes de gouvernement (b).

a. La lecture « internationaliste » de l’alinéa 14

L'alinéa 14 du préambule de 1946 peut être interprété comme une disposition uniquement

invocable dans les relations entre Etats. Une telle interprétation est d'autant plus cohérente que

la deuxième phrase selon laquelle la France « n'entreprendra aucune guerre dans des vues de

conquête et n'emploiera jamais ses forces contre la liberté d'aucun peuple » est une

disposition qui vise à régler, essentiellement (même si cette disposition est potentiellement

invocable en droit interne128), les rapports entre Etats. L'alinéa 14 du préambule de 1946

signifierait, dès lors, que « La République française se conforme aux règles du droit

international public et, à ce titre, elle s'engage notamment à n'entreprendre aucune guerre en

vue de conquête et à n'employer jamais ses forces contre la liberté d'aucun peuple – ainsi, par

exemple, elle respectera la règle de droit international qui consiste à s'abstenir de recourir à

la force ». Dans cette optique, l'alinéa 14 (première phrase) exprime simplement l'attachement

de la République française au respect, dans l'ordre international (à l'égard des autres Etats),

des règles du droit public international. L'alinéa 14 ne fait alors que confirmer la norme

internationale selon laquelle la France est tenue de respecter, dans ses rapports internationaux,

les règles du droit international qui la lient129.

128 par exemple, l'affaire Comores. 129 Charles Rousseau indique, à propos de nombreux textes au nombre desquels figure l'alinéa 14 du Préambule de la Constitution de 1946, que les dispositions qu'ils contiennent sont « inutiles… car elles énoncent une règle évidente qui trouve son fondement véritable dans l'ordre juridique international » (Droit international public, t. Introduction et sources, Paris, Sirey, 1970, p.47).

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A ce titre, les travaux préparatoires de l'article 46 du premier projet de Constitution (la

« Constitution d'avril 1946 ») sont révélateurs. L'intention du pouvoir constituant fut

d'insister, par le biais de cette disposition, sur la seule nécessité pour la France de respecter le

droit international dans l'ordre international et, notamment, la règle d'interdiction du recours à

la force. On comprend, bien entendu, l'importance de ces travaux préparatoires au regard de

l'alinéa 14 qui reprit terme à terme l'article 46 du « projet d'avril »130.

Cependant, nous l'avons déjà amplement vérifié, le juge a conféré une portée bien plus

étendue à l'alinéa 14 du préambule de la Constitution de 1946. Toujours est-il qu'une telle

interprétation minimale du texte est suffisante à garantir l'applicabilité de l'alinéa 14 aux

seules relations entre Etats. La détermination des organes de l'Etat liés par l'alinéa 14 dans une

telle lecture du texte constitutionnel demeure cependant ouverte.

Il convient également de rappeler le principe du droit international selon lequel certaines

normes de droit international, y compris des normes non écrites131, sont créatrices de droits et

obligations par les particuliers (les normes self-executing). Dès lors, le respect par l'Etat de

certaines normes dites self-executing peut être subordonné à l'invocabilité de ces normes

devant les juridictions internes. Dès lors, même limité à une lecture purement

internationaliste, l’alinéa 14 ne peut pas être sans effet sur le droit interne.

b. La théorie des actes du gouvernement

La Constitution exige de l’ensemble des organes de la République de se conformer « aux

règles générales du droit public international ». Alors que le contrôle de constitutionnalité

semble effectif pour le législateur (décisions Maastricht, Statut de la CIJ du Conseil

Constitutionnel) en raison de la nature de contrôle de constitutionnalité français qui ouvre la

possibilité d’un contrôle a priori des lois, il en va autrement pour les actes du pouvoir

exécutif. Pourtant, ce dernier est le principal producteur de normes au niveau international, les

autres organes de l’Etat n’intervenant que marginalement dans le processus de formation de

ces normes au niveau international132.

130 Sur cet aspect des travaux préparatoires, v. G. Teboul : « Le droit international non écrit devant le juge administratif – quelques réflexions », RGDIP 1991, p.329. 131 Observons que cette règle, qui vaut en matière de traités (article 27 de la Convention de Vienne sur le droit des traités) vaut aussi, en tant que règle de droit international positif, dans le domaine du droit international non écrit. affaire du traitement des prisonniers polonais et des autres personnes. 132 même si en droit international, c’est l’Etat dans sa globalité qui est le producteur de normes.

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L’arrêt du Conseil d’Etat du 29 septembre 1995, Association Greenpeace133 analyse la

décision du Président de la République de reprendre les effets nucléaires134 et la rattache à la

conduite internationale de la France. L’arrêt commence à rappeler que la décision de procéder

à une série d’essais nucléaires l’a été « en préalable à la négociation d’un traité

international ». Surtout, cet arrêt souligne que « ces essais avaient été suspendus en avril

1992 au soutien d’une initiative diplomatique de la France portant sur le désarmement

nucléaire, et que ce moratoire avait été prolongé en juillet 1993 après que les principales

puissances nucléaires eurent elles-mêmes annoncé la suspension de leurs essais ». Ces

éléments conduisent le Conseil d’Etat à estimer que « la décision attaquée n’est pas

détachable de la conduite des relations internationales et échappe par suite à tout contrôle

juridictionnel ».

Cette motivation rattache clairement la décision attaquée à la jurisprudence sur les

actes de gouvernement dont le juge administratif refuse de connaître135. Elle en reprend

l’énoncé sans marquer une étape supplémentaire dans l’extension du contrôle sur des actes

difficiles à appréhender depuis que le Conseil d’Etat a, passant de la justice retenue à la

justice déléguée, abandonné le critère politique pour les caractériser136. Depuis lors, en

l’absence d’un critère de substitution, la notion d’acte de gouvernement est d’abord

jurisprudentielle137. Les actes de gouvernement peuvent cependant être regroupés en deux

catégories : d’une part, les actes concernant les rapports du gouvernement avec les autres

pouvoirs constitutionnels138 et, d’autre part, les actes mettant en cause les rapports du

gouvernement avec un Etat étranger ou avec une organisation internationale.

133 CE, Ass., Association Greenpeace Fr., Leb. P. 348. 134 Du point de vue du droit international, cette décision est un acte unilatéral des Etats. On peut estimer, eu égard au raisonnement, que cette jurisprudence est également applicable en matières d’actes internationaux non écrits. 135 Ce refus ne relève pas d’une question de recevabilité même si certaines décisions mal rédigées peuvent le laisser penser (CE, 3 mars 1961, André et société des tissages Nicolas Gaimant, Rec. p. 154 ; CE, Sec. , 13 juillet 1979, Coparex, Rec. p. 319). Il s’agit d’une question de compétence de la juridiction comme le soulève plusieurs arrêts (CE, 2 février 1950, Radiodiffusion française c. Société de gérance et de publicité du poste de radiodiffusion Radio-Andorre, Rec. p. 652 ; CE, 19 février 1988, Société Robatel, AJDA 1988 p. 354 ; CE, Assemblée, 15 octobre 1993, Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et Gouverneur de la colonie Royale de Hong-Kong, Rec. p. 267). 136 CE, 19 février 1875, Prince Napoléon, Rec. p. 155. 137 Michel Virally, « L’ introuvable acte de gouvernement », RDP 1952, p. 317 et s. 138 Cette première catégorie, jusqu’alors très large, a été – pour la première fois – réduite par l’arrêt du Conseil d’Etat du 21 janvier 2000, Président de l’Assemblée Nationale. Les actes de gouvernement de cette catégorie sont notamment : le refus gouvernemental de présenter au Parlement un refus de loi (CE, 29 novembre 1968, Tallagrand, Rec. p. 659), des décrets soumettant au peuple un référendum (CE, Ass., 19 octobre 1962, Brocas, Rec. p. 553) ou portant dissolution de l’assemblée nationale (CE, 20 février 1989, Allain, Rec. p. 60).

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La notion d’actes de gouvernement pour raison diplomatique139 s’est progressivement réduite

en raison de la notion d’actes détachables des relations internationales dont le juge accepte de

connaître. Proposé par le doyen Duez, le critère de l’acte détachable des relations

internationales repose sur la distinction – fondée sur la portée – entre les actes « tournés vers

l’ordre international » et les actes « principalement tournés vers l’ordre interne »140.

La requête de Greenpeace contre la décision du Président de la République de

reprendre les essais nucléaires pouvait fournir au Conseil d’Etat une nouvelle occasion

d’utiliser la notion d’acte détachable afin d’accroître son contrôle contentieux. Il n’en a pas

été ainsi, l’assemblée du contentieux retenant l’ensemble du contexte international pour

estimer la décision attaquée non détachable de la conduite des relations internationales. Il est

intéressant de noter que la motivation retenue insiste davantage sur l’infirmation de la

décision d’arrêter les essais nucléaires que sur la négociation du futur traité d’interdiction

complète des essais nucléaires141. Une telle motivation est partiellement paradoxale. Elle tend

à poser comme paradigme que l’acte contraire d’un acte de gouvernement serait

automatiquement un acte de gouvernement, en quelque sorte par un effet de contagion. Or,

ces deux actes peuvent ne pas être liés d’une manière identique aux relations internationales

139 Les décisions assimilées à des actes de gouvernement par le juge administratif comprennent notamment : - les actes et les agissement liés à la négociation, la conclusion ou l’application d’un accord international :

l’acte de signature ou de ratification d’un accord international (CE, Sec. 1er juin 1951, Société des étains et wolfram du Tonkin, Rec. p. 312), l’inexécution de certaines clauses d’un traité (CE, 16 mars 1961, Prince Sliman Bey, Rec. p. 179), la décision de publier ou non un accord international (CE, 4 novembre 1970, de Malglaive, Rec. p. 635), ou encore l’acte suspendant l’application d’un traité (CE, Ass., 18 décembre 1992, Préfet de la Gironde c. Mahmedi, Rec. p. 446) ;

- les actes mettant en cause les rapports du gouvernement avec un Etat étranger ou avec une organisation internationale : le refus de saisir la Cour de justice (CE, 9 janvier 1952, Gény, Rec. p. 19), l’exercice du droit d’agarie (CE, Sec., 22 novembre 1957, Myrtoon Steamship, Rec. p. 632), l’institution d’une zone territoriale au-delà de la mer territoriale (CE, Ass., 11 juillet 1975, Paris de la Bollardière, Rec. p. 423) ou encore la suspension de la coopération scientifique et universitaire avec l’Irak (CE, 23 septembre 1992, GISTI-MRAP, Rec. p. 346).

D’une part, certains de ces actes sont susceptibles de contribuer à la formation d’une règle coutumière non écrite (par exemple le refus de ratification d’un traité peut contribuer à former ou à maintenir une règle coutumière). D’autre part, cette liste n’est naturellement pas exhaustive : on imagine difficilement que des comportements ou des actes des organes de l’Etat contribuant à la formation de règles coutumières, par exemple ceux manifestant le comportement d’objecteur persistant, soient exclus de cette catégorie d’actes du gouvernement. 140 Sur cette base, le Conseil d’Etat a développé une jurisprudence attractive en matière d’extradition du gouvernement français, acceptant de connaître des décrets d’extradition (CE, Ass., 28 mai 1937, Decerf, Rec. p. 534), puis des demandes d’extradition du gouvernement français du gouvernement français à un gouvernement étranger (CE, Sect., 21 juillet 1972, Legros, Rec. p. 554) et même du rejet par le gouvernement français d’une demande d’extradition formulée par un gouvernement étranger (CE, Sec. 23 octobre 1987, Société Nachfolger Navigation, Rec. p. 319) ou encore de la localisation à Strasbourg du synchroton européen (CE, Ass., 8 janvier 1988, ministre chargé du Plan et de l’Aménagement du territoire c. Communauté Urbaine de Strasbourg, Rec. p. 2). 141 Cette participation à la négociation du traité est susceptible de fournir un élément de preuve de la formation d’une règle coutumière prohibant les essais nucléaires.

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de la France. Un premier acte peut par exemple avoir pour objet d’entraîner dans la

dénucléarisation d’autres Etats, alors qu’un second aurait pour objet de moderniser l’arme

atomique française. Une telle motivation ne tient guère compte, comme l’ont relevé MM.

Stahl et Chardaux142, de la définition jurisprudentielle de l’acte de gouvernement qui se fonde

non sur la nature de l’acte, mais sur sa portée.

De plus, cette distinction faite par le Conseil d’Etat entre actes « tournés vers l’ordre

international » et actes « principalement tournés vers l’ordre interne » semble incohérente.

Non seulement, cette distinction est contraire à la logique moniste du Conseil d’Etat (qui

distingue ici deux ordres) mais elle aussi significative d’une erreur classique des juridictions

(et de la doctrine) selon laquelle certains actes internationaux sont sans effet sur le droit

interne. L’exemple classique en la matière est la déclaration de guerre : celle-ci est clairement

un acte de droit international, elle n’est néanmoins pas dépourvu d’effet sur le droit interne et

sur la position juridique des sujets de droit (y compris les individus et en particulier les

soldats).

L’arrêt du 29 septembre 1995 a été, sur la base de raisonnements différents, salué par des

universitaires français et critiqué par certains membres du Conseil d’Etat. Les premiers se

sont félicités du maintien de la théorie des actes de gouvernement qui contribue pour ces

auteurs à structurer la compétence du juge administratif. D’une part, cette notion permet,

selon les professeurs Moreau143 et Ruzié144, de distinguer la fonction « gouvernementale » de

la fonction « administrative » dont seul le juge administratif doit pouvoir connaître. D’autre

part, cette notion résulte, selon eux, de l’application des règles classiques de compétence aux

termes desquelles le juge ne connaît que des actes de droit interne et non de ceux qui se

rattachent aux relations internationales de la France. Au contraire, MM. Stahl et Chardaux ont

critiqué l’arrêt du 29 septembre 1995 alors que la décision de reprise des essais leur semblait

davantage tournée vers l’ordre interne que vers l’ordre international.

Même critiquée, et même progressivement réduite, la notion d’actes de gouvernement

n’est cependant pas remise en cause car « elle s’explique fondamentalement par le souci du

Conseil d’Etat de ne s’immiscer ni dans les relations entre le pouvoir législatif et le pouvoir

exécutif, ni dans l’action diplomatique considérée comme une prérogative exclusive et

142 Chronique générale de la jurisprudence administrative française, AJDA, 20 octobre 1995, p. 684 et s. 143 JCP 1996.II.22582 et aussi « Internationalisation du droit administratif français et déclin de l’acte de gouvernement », Mélanges Lossouarn, Paris, D. 1994, p. 293 et s. 144 RFDA, mars-avril 1996, p. 383.

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traditionnelle de l’exécutif »145. Le même souci conduit d’autres cours suprêmes à de

semblables solutions jurisprudentielles. Ainsi, la Cour Suprême des Etats-Unis se refuse en

général à connaître des décisions prises dans le domaine de la politique étrangère et, par

exemple, de la dénonciation du traité de défense avec Taïwan (1979, Carter c. Goldwater)146.

2. En Allemagne

De manière générale, les organes allemands sont tenus de se conformer aux règles

générales du droit international, y compris au niveau des relations internationales.

Le contrôle exercé par la Cour constitutionnel sur les actes juridictionnels susceptibles

d’avoir un effet contraire aux normes internationales est total (a). Par contre, le contrôle est

plus réservé concernant les autres organes susceptibles d’agir dans la sphère internationale

(b).

a. La vérification par la Cour Constitutionnelle Fédérale d’atteintes au droit international par

les tribunaux

La Cour Constitutionnelle Fédérale s’est réservée le droit :

« im Rahmen seiner Gerichtsbarkeit im besondere Masse darauf zu achten, dass der

Verletzung des , die in der fehlerhaften Anwendung oder Nichtbeachtung völkerrechtlicher

Normen durch deutsche Gerichte liegen und eine Völkerrechtliche Verantwortlichkei der

Bundesrepublik Deutschland begründen können, nach Möglichkeit verhindert oder esetigt

werden. Dies kann im Einzelfall eine insoweit umfassende Nachprüfung gebitenten »147.

145 Long, Weil, Braibant, Genevois, Delvolvé, Grands arrêts de la jurisprudence administrative, Dalloz, 11e éd., 1996, p. 21. 146 La doctrine de l’acte du gouvernement (« The act of state doctrin ») est, aux termes de la jurisprudence de la Cour Suprême « une doctrine flexible qui a pour but de prévenir des jugements sur la légalité d’actes d’Etats étrangers qui pourraient embarrasser l’exécutif américain dans la conduite des affaires étrangères » : Liu v. Republic of China, 892 F. 147 BVerfGE 58, p. 1 sqs. (34) ; 59, p. 63 sqs. (89) ; 76, p. 1 sqs. (78) « dans le cadre de sa compétence juridictionnelle de veiller tout particulièrement à ce que des atteintes au droit international qui reposent sur l’application fautive ou le non respect de normes de droit international par les tribunaux allemands et qui pourraient légitimer une responsabilité en termes de droit international de la République Fédérale Allemande soient, si possibles, empêchées ou supprimées. Cela peut exiger dans un cas particulier une vérification globale.» La vérification peut être étendue au-delà du droit constitutionnel spécifique. Les décisions vont ainsi au-delà de BVerfGE 18, p. 441 sqs. (450). Toutefois, la vérification du respect des règles générales du droit international dans le cadre de procédures qui ont pour objet le contrôle de normes allemandes, de décisions administratives ou juridiques de manière incidente ou principale ne peut avoir d’autre valeur.

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Ces décisions qui ont été prises dans la procédure du recours constitutionnel

concernaient spécifiquement l’application du droit des traités internationaux. Toutefois, la

formulation adoptée est de nature si générale que la vérification complète du respect de règles

générales du droit international semble également comprise. L’examen d’une décision eu

égard aux règles des règles générales du droit international peut donc être totale et ne se limite

pas à vérifier si une décision a ignoré de manière délibérée une règle générale du droit

international ou si une décision a manqué à la « capacité de rayonnement » d’une règle

générale du droit international comparable à celle des droits fondamentaux148. Par ailleurs, la

Cour Constitutionnelle se place « dans le cadre de sa compétence juridictionnelle » et montre

par là qu’elle se réserve aussi ce type de vérification pour d’autres formes de procédure de

contentieux constitutionnel. Cela est une conséquence logique de la finalité de la compétence

de la Cour constitutionnelle fédérale en matière de règles générales du droit international

consistant à empêcher ou à supprimer si possible les atteintes au droit international.

b. L’obligation de retenue des organes juridictionnels (le devoir de réserve)

En matière d’évaluation du comportement des organes allemands compétents en

matière de production de normes au niveau international autres que les tribunaux (auswärtige

Gewalt), les tribunaux allemands sont tenus à un grand devoir de réserve avant de constater

qu’un comportement est contraire au droit international. La Cour constitutionnelle fédérale149,

à l’opposé du gouvernement fédéral, a ainsi jugé – et de manière insistante – que

l’approbation par l’Allemagne de l’installation de systèmes porteurs d’armes nucléaires était

certes conforme à la Constitution mais la Cour n’a volontairement pas contrôlé la légalité de

cette approbation eu égard droit international (elle s’est contentée de vérifier que

l’appréciation de légalité faite par le gouvernement lui-même n’était pas entachée d’une

violation flagrante aux règles du droit international). Dans une autre décision150, la Cour

constitutionnelle fédérale a jugé que ses « explications » à propos de la validité de traités ne

limitent pas le gouvernement fédéral dans sa liberté d’action sur le plan des relations

internationales.

148 BVerfGE 7, p. 198 sqs. (206) ; 25, p. 256 sqs. (263) ; 42, p. 143 sqs. (148) ; 73, p. 261 sqs. (269) ; 74, p. 257 sqs. (262). 149 BVerfGE 55, p. 349 sqs. (368) ; 77, p. 137 sqs. (167). 150 BVerfGE 6, p. 309 sqs. (326).

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Il est logique que le contrôle des juridictions internes sur la production de normes de

droit international par les organes compétents soit faible. Le droit international est formé par

la volonté des Etats et il n’existe guère de norme fondamentale – supérieure (à part les normes

de ius cogens) – sur le fondement de laquelle un contrôle des normes internationales par les

juridictions est envisageable. De plus, en droit international, la frontière entre production

normative et comportement des Etats est faible comme le démontre la coutume dont un des

éléments est le comportement des Etats (l’exemple classique est l’ingérence : il est difficile de

déterminer si l’ingérence est un comportement contraire au droit international ou si, par le

comportement constant de certains Etats, elle est devenue un droit). Il est donc difficile de

déterminer pour les juridictions si une action de l’Etat contribue à la formation d’une norme

ou si elle est un simple comportement susceptible de violer une norme de droit international.

Toutefois, un comportement qui heurte manifestement une règle de droit international devrait

pouvoir été sanctionné par une juridiction nationale (surtout si celle-ci adhère à une logique

moniste).

L’invocabilité des normes internationales devant les juridictions nationales ne se limite

pas aux relations entre Etats. Les normes internationales non écrites sont également des

composantes du droit des Etats et sont en tant que telles susceptibles d’être des normes de

référence d’un contrôle de légalité y compris sur les normes « internes » (issus d’une

procédure interne) de l’Etat ayant des effets sur le droit international (les lois internes sont

parfois considérées comme des actes unilatéraux des Etats par le droit international). En cela,

la distinction entre une invocabilité concernant uniquement la relations entre Etats et une

invocabilité de ces normes censée régir uniquement l’ordre juridique interne est critiquable.

B. Les normes internationales non écrites comme composantes du droit objectif en vigueur

Le droit international n’exige pas des Etats que les normes internationales soient

intégrées au sein de l’ordre juridique interne. Les normes internationales sont néanmoins

applicables dans les ordres juridiques allemands et français. En tant que composantes du droit

objectif, elles sont notamment susceptibles de servir de normes de référence à un contrôle de

légalité.

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1. En Allemagne

L’article 25 phrase 1 LF attribue à toutes les règles générales de droit international –

dans leur validité respective – une applicabilité au sein de l’ordre juridique interne de l’Etat.

Par là, les règles générales du droit international sont une composante du droit objectif151 en

vigueur dans l’espace de souveraineté de la République fédérale allemande. Une partie de la

doctrine152 considère que l’article 25 LF ne dispose que de l’application juridique ou ne

transforme que les règles générales du droit international immédiatement que pour autant que

ces normes créent également des effets de droit dans l’espace intérieur de la République

Fédérale Allemande – c’est-à-dire qu’elles sont « immédiatement applicables » et ne se

limitent pas à régler les relations entre les sujets de droit international. Cette solution peut

sembler contestable. D’une part, la délimitation entre normes destinés à régler les relations

entre Etats dans la sphère internationale et normes ayant effet interne est loin de relever de

l’évidence. Par ailleurs, l’existence même de normes n’ayant pas d’effet juridique interne est

elle-même contestable. D’autre part, ce problème est probablement confondu avec un autre,

qui consiste à déterminer si de règles générales peuvent naître des droits et obligations pour

un individu privé ou un organe de l’Etat allemand susceptibles d’être invoquées devant un

tribunal. Il n’est pas spécifique aux normes internationales que – selon leur domaine

d’application relatif à des objets ou à des personnes – des droits, des obligations ou d’autres

conséquences juridiques puissent en découler, directement ou indirectement, aussi bien pour

des personnes que pour d’autres états de fait. Concernant les normes d’origine interne,

l’absence d’ « effet direct » n’implique pas qu’elle ne soit pas une composante du droit

objectif153. Il en résulte que l’ensemble des règles générales du droit international – quelle que

soit leur finalité – sont des composantes du droit objectif en vigueur.

L’art. 25 phrase 1 LF est le « domaine de cognition » des tribunaux et des autres

organes d’Etat allemands appliquant le droit à toutes les règles générales du droit

international, indépendamment de leur nature self-executing ou non, et que celle-ci confère

des droits ou des obligations à l’individu privé par elle-même ou seulement indirectement à la

suite de compléments ou de normes d’application provenant d’une source juridique

151 BVerfGE 46, p. 342 sqs. (363, 403). 152 Notamment Partsch, précité, p. 22 ; Albert Bleckmann, Grundgesetz und Völkerrecht, 1975, p. 279 et svts. 153 Le principe d’Etat social de la Loi Fondamentale n’est pas en lui-même créateur de droits subjectifs. Il n’est pas pour autant exclu du droit objectif de l’ordre juridique allemand.

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« interne » allemande. Ce dernier problème est celui du contenu spécifique d’une telle règle

mais non un critère pour déterminer si elle est composante du droit objectif en vigueur154.

Le droit international général comporte de nombreuses normes qui, en raison de

l’absence de normes complémentaires ou d’exécution adaptées du droit interne, ne constituent

pas des normes exigibles par les procédures juridictionnelles de l’Etat. Que de telles règles

générales du droit international soit généralement leges imperfectae ne conditionne pas pour

autant leur appartenance à l’ordre juridique allemand comme partie du droit en vigueur. Leur

contenu normatif de droit international, au travers de l’art. 25 phrase 1 demeure composante

d’une partie du droit en vigueur dans le territoire souverain de la RFA.

Par conséquent, le juge allemand, en vertu de l’article 25 phrase 1 est tenu de respecter

et d’appliquer – le cas échéant – toutes les règles générales du droit international comme du

droit objectif. Il faut distinguer le problème de déterminer si, d’une telle règle, découle des

conséquences juridiques pour un cas particulier concret. Ce dernier problème n’est résolu

qu’en fonction du contenu spécifique de la règle et de la forme de la procédure contentieuse et

non selon un quelconque critère d’applicabilité immédiate ou générale. Aussi la Cour

Constitutionnelle Fédérale s’est, par exemple, appuyée sur le principe de l’égalité de

souveraineté155 en matière d’interdiction d’ingérence156 et du droit à l’autodétermination des

peuples157 comme critères de jugement. Les mêmes principes ont été appliqués concernant le

statut de l’Allemagne sur le plan du droit international158 ou relativement à la Communauté

Européenne159. De même, la Cour constitutionnelle fédérale a vérifié si la mise en place de

systèmes porteurs équipés d’armes atomiques portait atteinte à l’interdiction de l’emploi de la

force dans le droit international160. En ces espèces, les règles appliquées par la Cour

constitutionnelle fédérale sont exclusivement des règles générales du droit international

destinées à une application entre Etats. Pourtant, concernant leur « effectivité » au niveau du

domaine du droit interne, ces normes peuvent servir de fondement normatif pour la déduction

154 La règle pacta sunt servanda, qui ne confère aucun droit subjectif à l’individu privé - ni au niveau du droit international ni par le moyen de l’article 25 phrase 2 demi phrase 2 LF - par rapport à la puissance d’Etat allemand, est également par l’article 25 LF une composante du droit objectif à appliquer de manière interne. BVerfGE 46, p. 342 : Le lien de la République Fédérale Allemande à ce traité est à prendre en considération. 155 BVerfGE 46, p. 342 sqs. (402). 156 BVerfGE 46, p. 342 sqs. (400) ; BVerfGE 64, p. 1 sqs. (43). 157 BVerfGE 77, p. 137 sqs. (161). 158 BVerfGE 36, p. 1; 37, p. 57 sqs. (64); 77, p. 137 sqs. (153) ; 82, p. 316 sqs. (320) ; 83, p. 162 ; 84, p. 90 sqs. (113) ; p. 84, sqs. 133. 159 BVerfGE 75, p. 223 sqs. (242). 160 BVerfGE 66, p. 39 sqs. (64) ; BVerfGE 77, p. 170 sqs. (232) concernant la conformité des moyens de guerre chimiques au droit international.

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de droits et obligations d’individus privés ainsi que de l’établissement de peines à infliger en

raison du comportement d’individus non conformes aux règles générales du droit

international. Ces normes ne sont donc pas insusceptibles d’une « applicabilité directe ». En

vérité, il n’existe pas de règle générale du droit international dont on pourrait exclure a priori

qu’elle puisse faire l’objet du procédure de question préliminaire afin que le tribunal puisse

prendre une décision sur le fond. Exclure des catégories de règles générales de la portée de

l’ordre d’application du droit de l’article 25 phrase 1 est pour cette raison un manquement.

2. En France

De même qu’en Allemagne, les normes internationales non écrites sont une

composante du droit national. Par conséquent, quel que soit leur effet – direct ou indirect –

elles sont invocables devant les juridictions en tant que droit objectif161.

Ainsi, il n’est pas rare que le juge administratif utilise des normes non écrites du droit

international pour trancher une question qui, revêtant un caractère préalable, est nécessaire à

la solution du litige qui lui est soumis (par exemple en matière d’interprétation des traités,

recours aux règles de droit non écrit énoncées aux articles 31 et 33 de la convention de Vienne

du 23 mai 1969162). En pareil cas, la règle de droit international général produit un effet

« oblique », c’est-à-dire indirect : elle constitue une norme que le juge applique dans le cadre

de son raisonnement, sans avoir à se prononcer sur sa violation (ou sur son respect) par un

comportement ou un acte.

161 Cette distinction entre effet direct et invocabilité a été clairement réalisée par le Conseil d’Etat en matière de traités. L’affaire G.I.S.T.I. (C.E., Sect., 23 avril 1997, G.I.S.T.I., R.F.D.A. 1998, p. 585-596) a fourni au Conseil d’Etat l’occasion de statuer sur la distinction de l’effet direct et de l’invocabilité du traité, proposée par le Commissaire du gouvernement et refusée par la Haute Assemblée. Dans l’affaire Confédération nationale des sociétés de protection des animaux de France et des pays d’expression française (CE, 28 septembre 1984, Rec. Lebon, T., p. 512, A.J.D.A. 1984, p. 695, concl. Jeanneney), le Commissaire du gouvernement ajoute que : « En revanche, il nous semble qu’un requérant peut faire devant le juge administratif que le pouvoir réglementaire n’a pas satisfait à l’obligation de mettre en application les dispositions de la convention et a ainsi méconnu le paragraphe 1 de son article 1er ». Il y a un autre cas, signalé par le commissaire du gouvernement dans ses conclusions sous G.I.S.T.I. dans lequel on voit que l’invocabilité d’un traité est indépendante de l’effet direct : lorsque le requérant qui recherche l’annulation d’un acte administratif en se fondant sur son incompatibilité avec le traité est une personne publique étrangère, un Etat. L’arrêt Royaume Uni de Grande Bretagne et d’Irlande du Nord et gouverneur de la colonie royale de Hong-Kong (CE, Ass., 15 octobre 1993, Rec. p. 267), à la suite de l’ouverture faite par la jurisprudence CE, 18 avril 1986, Société des mines de potasse d’Alsace (Rec. Lebon p. 116, R.F.D.A. 1987, p. 479, concl. Dandelot), admet la recevabilité d’un excès de pouvoir formé par un Etat étranger fondé sur la méconnaissance d’un traité d’extradition. L’invocabilité est donc admise malgré l’absence d’effet direct de la norme internationale en cause. 162 Bien que le traité de Vienne n’ayant pas été ratifié par la France, il est appliqué (pour la majorité des dispositions) en tant que droit international non écrit.

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On trouve une illustration de cette situation lorsque le juge administratif est confronté

à deux conventions internationales qui, matériellement, sont contradictoires : pour résoudre le

conflit de normes qui se présente à lui, le juge a recours aux règles non écrites du droit

international. A cet égard, on peut se référer à l’affaire Cucicea-Lamblot163.

Les normes internationales non écrites sont des composantes du droit objectif aussi en

France qu’en République Fédérale Allemande. Parmi ces normes, certaines créent directement

des droits et obligations pour le particulier. Le droit international est susceptible d’exiger que

ces normes soient invocables par le particulier en droit interne. Toutefois, les formes de cette

invocabilité varient selon les procédures contentieuses internes.

C. Droits et obligations invocables par le particulier.

La C.P.I.J, en l’affaire des tribunaux de Dantzig164, avait posé comme principe que les

traités ne créent pas des droits et obligations invocables par les particuliers et consacré comme

une exception le cas dans lequel les Etats entendent au contraire leur faire produire un effet

direct. Sans doute cette thèse était-elle confortée par le fait qu’à l’époque, selon la doctrine

dominante, l’individu était exclu de la sphère internationale. Il est certain que dans le monde

contemporain, la pénétration du droit international dans le droit interne, la multiplication des

conventions internationales et régionales relatives aux droits de l’homme obligent à nuancer

cette théorie dans une large mesure.

A mesure que s’accumulent les arrêts internationaux, les critères de l’effet direct

s’enrichissent. Toutefois, il n’est pas toujours commode de cerner l’ensemble de ces critères :

précision de la disposition invoquée, son objet (conférer des droits aux particuliers et non

régir des relations interétatiques), sa « perfection » (le fait qu’elle n’appelle pas de mesure

163 CE, 25 octobre 2000, AJDA, 2001, p. 284, concl. C. Maugüe. D’après le commissaire du gouvernement Christine Maugüe : Dans ses conclusions sur cet arrêt, Madame Christine Maugüe, commissaire du gouvernement,, affirmait : « dans le cadre de concours de plusieurs engagements internationaux, il y a lieu d’en définir les modalités d’application respectives conformément à leurs stipulations et en fonction des principes du droit coutumier relatifs à la combinaison entre elles des conventions internationales. » 164 Avis de la Cour Permanente Internationale de Justice du 3 mars 1928 : « selon un principe de droit international bien établi, un accord international ne peut, comme tel, créer directement des droits et des obligations pour des particuliers. Mais on ne saurait contester que l’objet même d’un accord international, dans l’intention des parties contractantes puisse être l’adoption, par l’adoption, par les Parties, de règles déterminées, créant des droits et obligations pour des individus, et susceptibles d’être appliquées par les tribunaux nationaux ».

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nationale complémentaire pour son application), la recherche de l’intention des Etats parties

et, en matière de normes écrites, les indices de vocabulaire de la rédaction de la norme. Les

juges doivent vraisemblablement s’en remettre à la technique du faisceau d’indices, avec cette

difficulté que les critères ne relèvent pas toujours des mêmes ordres de considération tout en

se superposant très largement.

Les critères d’invocabilité de droit et obligations par les particuliers posés par le droit

international sont ils similaires dans les ordres juridiques français et allemands ?

1. En France

Contrairement à la Loi Fondamentale, Il n’existe pas dans la Constitution française de

disposition spécifique concernant l’invocabilité du droit international non écrit par des

particuliers. Toutefois, on peut faire plusieurs remarques :

Dans les hypothèses de contrôle de légalité (« abstrait »), la distinction entre normes à

effet direct et normes à effet indirect est peu relevante. Toujours est-il que la création de droits

et obligations par la norme internationale garantit, sans pour autant conditionnée, l’intérêt

pour agir en matière de recours pour excès de pouvoir devant le juge administratif165.

Le texte de la Constitution, et particulièrement l’expression « fidèle à ses traditions »

semble impliquer l’invocabilité de droits et d’obligations issus de normes internationales par

les particuliers. Telle est du moins la solution « traditionnelle » du juge civil. Toutefois,

certaines décisions ont écarté l’invocabilité de droits et d’obligations issus de règles

coutumières par les particuliers. Dans l’affaire Argoud, la Cour de sûreté de l’Etat166 a estimé

qu’un tel moyen est irrecevable : « La mise en jeu des relations internationales n’intéresse

que les relations d’Etat à Etat sans que les accusés puissent prétendre y intervenir ».

Dans l’hypothèse d’un système moniste – dans lequel il n’existe pas de séparation

entre ordre juridique interne et ordre juridique international, il serait logique que la possibilité

d’invoquer des droits et obligations crées par des normes internationales soit ouverte devant

les tribunaux internes. Toutefois, cela dépend naturellement des compétences des juridictions

internes.

165 On sait que le degré d’ouverture du contrôle de légalité des actes administratifs devant le juge administratif est plus étendu en France qu’en Allemagne. 166 Cour de sûreté de l’Etat, 28 décembre 1963.

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Concernant les critères de l’effet direct, on pourrait supposer a priori que, pour les

juridictions internes, faute de précisions suffisantes, les critères de l’effet direct des traités

sont également valables pour les normes internationales non écrites. Mais le mode

d’applicabilité des traités est en droit interne celui d’un système mixte tandis que celui des

normes internationales non écrites est, devant le juge ordinaire167, un système moniste. Par

conséquent, il est possible que les critères de l’effet direct de ces normes soit davantage

conforme au droit international (c’est-à-dire, en réalité, une reconnaissance plus stricte de

l’effet direct). En effet, en matière de traités, dans ses conclusions sous l’affaire G.I.S.T.I.168 le

commissaire du gouvernement se place sur le terrain du droit constitutionnel français pour

indiquer que les traités sont présumés produire des effets directs en droit interne, cette

présomption devant céder quand ils ont un objet interétatique ou une trop grande imprécision.

Cette logique à l’inverse de celle du droit international est peu extensible aux normes

internationales non écrites : le mode d’application des normes internationales est moniste

(donc a priori les critères de l’effet direct sont les mêmes que ceux du droit international) et,

de plus, le critère de reconnaissance de l’effet direct principal pour les juridictions internes est

celui du texte de la norme, en l’occurrence absent pour les normes internationales non écrites.

En Allemagne, la création de droits et obligations par les règles générales du droit

international est expressément prévue par l’article 25 Loi Fondamentale. Cette disposition

pose un certain nombre de problèmes : est-ce une disposition simplement confirmative de ce

que certaines normes du droit international ont un effet direct ? ou signifie-t-elle que les

organes compétents en matière de production de normes internes ont l’obligation de produire

des normes d’application afin que des droits et obligations puissent être déduites des règles

générales du droit international ?

167 Les formes de contentieux du Conseil constitutionnel excluent l’invocabilité de droits et obligations par les particuliers devant celui-ci. 168 C.E., Sect., 23 avril 1997, G.I.S.T.I., R.F.D.A. 1998, p. 585-596. .

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2. En Allemagne, une invocabilité des droits et obligations expressément prévue par la Loi

Fondamentale

Les plus grandes difficultés d’interprétation de l’article 25 LF se présentent dans la

phrase 2, 2ème demi-phrase selon laquelle les règles générales du droit international « créent

directement des droits et des obligations pour les habitants du territoire fédéral ».

En premier lieu, il convient de déterminer si l’expression « habitant » désigne un

cercle de destinataires précis déterminé par un critère de domicile. Le destinataire de cette

disposition est tout individu pour autant et aussi longtemps qu’il est soumis à l’ordre juridique

en vigueur dans l’espace de souveraineté de la République Fédérale Allemande. Toute

personne « naturelle » ou « juridique » ou qualifiée par quelque manière que ce soit d’entité

juridique, allemand dans le sens de la Loi Fondamentale ou étranger, avec ou sans domicile

ou établissement dans l’espace fédéral est destinataire de ces droits et obligations.

L’obligation des organes d’Etat de respecter les règles générales du droit international dans

l’espace interne découle déjà de la disposition de l’article 25 phrase 1 LF selon laquelle les

« règles générales font partie du droit fédéral ».

En second lieu, il convient d’établir si cette disposition a des effets sur le droit interne

ou a une simple signification recognitive.

Il est généralement admis que les règles générales du droit international créent des

droits et obligations pour le particulier en fonction des critères du droit international169. En

cela, une signification autonome de l’article 25 phrase 2, 2ème demi-phrase peut sembler

douteuse.

D’abord, les organes d’Etat allemands doivent se conformer au droit international y

compris lorsque les normes internationales créent directement des droits et obligations selon

le droit international sur le fondement de l’article 25 phrase 1 indépendamment de la phrase 2,

2ème demi-phrase. Cela vaut surtout pour les droits de l’homme fondamentaux déjà reconnus

comme droits subjectifs par le droit international général170.

Ensuite, lorsque des règles générales du droit international créent des sanctions pour

l’individu, il est nécessaire de rattacher des sanctions par des organes d’Etat allemands aux

cas de non respect de ces obligations par le particulier. Toutefois, pour établir de telles

169 Karl Doehring, Die allgemeinen Regeln des völkerrechtlichen Fremdenrechts und das deutsche Verfassungsrecht, 1963, p. 9, p. 54, p. 20. 170 BVerfGE 57, p. 9 sqs. (25) ; 59, p. 280 sqs. (283, 286 – les standards minimums en matière de droit procédural) ; 60, p. 253 (sqs. 303) ; 63, p. 332 (sqs. 337) ; 74, p. 358 sqs. (370) ; 75, p. 1 sqs. (19) ; 83, p. 119 sqs. (128).

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sanctions, il est nécessaire de respecter les réserves juridiques de la Loi Fondamentale

concernant les garanties de l’Etat de droit171.

Enfin, les droits et obligations crées par les normes internationales s’adressant à

l’individu dans ses relations avec d’autres individus privés doivent être réglés par des normes

d’organes d’Etat allemands et l’atteinte à de tels droits horizontaux doit être sanctionnée. Par

ailleurs, La Loi Fondamentale exige le respect du principe de réserve de la loi.

La doctrine allemande demeure partagée pour déterminer le mode d’application de la

catégorie particulière des normes internationales qui ont exclusivement des Etats comme

destinataires mais qui par leur contenu pourraient être invocables par l’individu devant le juge

interne. Il n’est pas a priori exclu que l’effet de l’article 25 phrase 2, 2ème demi-phrase en droit

interne soit de produire des droits et des obligations pour l’individu au-delà des droits et

obligations directement crées par la norme internationale concernée. Par là, le sens de cette

disposition est controversé : l’article 25 phrase 2, 2ème LF est soit une disposition autonome,

qui confère des droits et obligations en droit interne aux particuliers sur le fondement d’une

norme internationale au-delà de ceux crées directement par la norme internationale

concernée ; soit cette disposition ne fait que confirmer le principe de droit international selon

laquelle certaines normes internationales créent directement des droits et obligations.

L’article 25 phrase 2, 2ème demi-phrase ne peut impliquer que les règles internationales

exclusivement orientées vers les Etats soient modifiées de telle manière à ce qu’elles perdent

tout leur sens. Cette disposition ne peut ni élargir ni modifier le contenu normatif du droit

international au niveau du droit international. Une telle modification des effets des normes

internationales pourrait entraîner des contradictions avec l’ordre juridique international lui-

même.

Les normes du droit international dont les effets en droit interne sont susceptibles

d’être modifiées par l’article 25 phrase 2, 2ème demi-phrase, sont, en premier lieu, celles

relatives aux étrangers et au droit humanitaire international172. Ces normes, d’après le droit

international actuel, ne sont pas encore reconnues comme créatrices de droits et obligations

dans le chef de l’individu privé ou de l’individu comme organe d’Etat – entre autres le soldat

dans un conflit armé. De même, le droit international de l’immunité d’Etat173 ou de

171 En matière de pénalisation du crime de génocide : BVerfGE 37, p. 116 sqs. (126). 172 BVerwGE 9, p. 47 sqs. (49) ; 72, p. 241 sqs. (247). 173 BVerfGE 16, p. 27 ;46, p. 342.

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l’extradition174 seraient invocables sur ce fondement. Ainsi, par cette signification, la

disposition présente un contenu indépendant. Elle signifie alors que les organes d’application

du droit allemands ont l’obligation de développer par des normes d’application certaines

normes internationales dont les Etats sont les destinataires mais dont le contenu est applicable

à l’individu de telle manière à ce que ceux-ci puissent invoquer les droits et obligations

indirectement crées. Dès lors, il ne s’agit pas d’une disposition qui « agit à vide » en rappelant

de manière proprement déclarative les conséquences de la 1ère phrase de l’article. De plus,

cette interprétation correspond certainement davantage aux intentions des rédacteurs de la Loi

Fondamentale de concrétiser le droit international175. Toutefois, il convient de se demander si

les délimitations entre règles générales du droit international à laquelle conduit cette

interprétation176 sont défendables. On peut en douter177.

L’article 25 phrase 2 demi-phrase 2 LF ne rajoute rien à la valeur dont dispose une

règle générale du droit international sur le fondement de la phrase 1 de l’article 25 LF178. Il est

porté satisfaction à l’individu d’une manière aussi effective et complète par l’article 25 1ère

phrase LF qui lie le pouvoir de l’Etat aux règles générales du droit international en tant que

droit objectif. De plus, les réserves relatives à l’application des normes internationales par le

principe d’Etat de droit s’oppose à la création immédiate d’obligations pour l’individu.

Le texte lui-même ne s’oppose pas à une telle interprétation. L’attribution de droits et

d’obligations aux particuliers par le biais d’une norme constitutionnelle n’empêche pas que la

création de droits et obligations par les normes internationales relève, en premier lieu, de

l’effet des normes internationales adressées aux individus en leur qualité propre de droit

174 BVerfGE 15, p. 249 (251) ; 38, p. 398 sqs. (402); 50, p. 244 sqs. (248) ; 57, p. 9 sqs. (28) ; 59, p. 280 sqs. (282); 63, p. 332 sqs. (337) ; 64, p. 36; 64, p. 125 ; 75, p. 1 sqs. (18). 175 Christian Tomuschat, « Der Verfassungsstaat im Geflecht der internationalen Beziehungen », in : VVDStRL n° 36, 1978, p. 7 et svtes. 176 La décision BVerfGE 46, p. 342 sqs. (363) laisse ouverte l’hypothèse selon laquelle l’article 25 phrase 2ème demi-phrase LF est susceptible d’élargir en droit interne le cercle des destinataires de règles générales qui sur le plan du droit international sont adressées exclusivement à des Etats et non pas de manière immédiate à des individus en créant ou modifiant des droits et obligations de l’individu privé. Mais les décisions du BVerfGE 41, p. 126 sqs (160) ; 27, p. 253 sqs. (273) ; 18, p. 441 sqs. (448) nient que l’article 25 phrase 2 2ème demi-phrase soit susceptible de provoquer un changement de destinataire entre Etats en tant que sujets de droit international en faveur de l’individu privé avec effet pour le droit allemand interne. 177 Il suffit simplement d’attirer l’attention sur l’exemple évoqué par K. Doehring (Karl Doehring, Die allgemeinen Regeln des völkerrechtlichen Fremdenrechts und das deutsche Verfassungsrecht, 1969, n°29, p. 143) du droit de légitime défense du droit international qui appartient à la catégorie des règles générales du droit international de l’article 25 phrase 1 LF. Selon K. Doehring, l’interprétation selon laquelle le droit de légitime défense de l’Etat lie de manière aussi immédiatement l’individu : «völlig zuzustimmen, und es kann in der Tat art. 25 GG entnommen werden, dass nun der Einzelne auch durch das innerstaatliche sich dem Völkerrecht beugende Recht dazu ermächtigt ist, den Staat zu verteidigen » (à « acquiescer totalement et on peut en effet déduire de l’article 25 LF que seul l’individu est aussi habilité grâce au droit interne qui se soumet au droit international de défendre l’Etat » ). Il n’est pas possible a priori d’exclure qu’une norme internationale, même initialement exclusivement orientée vers les Etats, puissent avoir des effets immédiats pour l’individu. 178 BVerfGE 15, p. 25 sqs (33) ; 18, p. 441 sqs. (448) ; 27, p. 253 sqs. (274) ; 41, p. 126 sqs. (160).

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international. Une telle interprétation, combinée à la primauté que la phrase 2 première demi-

phrase de l’article 25 confère aux normes de droit international, semble également conforme à

l’histoire de la formation de l’article 25 : la transformation et la neutralisation (aushebung) de

l’application interne par des lois du Reich sous la République de Weimar devaient être

annihilées et la faculté pour l’individu d’invoquer le droit international lui-même dans sa

substance et sa portée devait être ouverte. De plus, une telle signification de l’article 25

deuxième phrase, 2ème demi-phrase s’inscrit dans la finalité de l’article 25 de la Loi

Fondamentale qui consiste à garantir l’harmonie entre droit international et droit interne.

Une application extensive des effets des normes internationales par le droit interne ne

doit pas conduire à ce que des prestations (Leistung) soient créées à la charge de la

République Fédérale au-delà de ses obligations de droit international. L’article 25 deuxième

phrase, 2ème demi-phrase LF a une signification recognitive. Elle confirme et garantit la

faculté pour l’individu d’invoquer devant une juridiction interne quelque soit la procédure en

cours l’ensemble des règles générales du droit international, même adressées exclusivement à

des Etats, comme il peut invoquer tout autre droit objectif.

Ainsi, la garantie constitutionnelle179 du respect180 des effets des règles générales du

droit international par les organes d’Etat allemands découle prioritairement de l’article 25

première phrase.

En droit français, la logique moniste des organes d’application du droit assure

normalement une application des règles internationales d’effet direct conforme aux exigences

du droit international. En droit allemand, la règle selon laquelle les règles générales du droit

international est révélatrice d’un système mixte : elle garantit en pratique la normativité des

règles du droit international mais elle peut paraître « superflue ». De plus, des contradictions

avec le droit international peuvent résulter de cette disposition en tant qu’elle est susceptible

de modifier le contenu des règles de droit international en droit interne.

Le contentieux constitutionnel allemand, contrairement au droit français, connaît la

possibilité d’un recours direct constitutionnel des individus devant la juridiction

constitutionnelle pour faire protéger ses droits fondamentaux et ses droits assimilés. Il

convient de s’interroger ici sur la relation entre règles générales du droit international et les 179 Sous réserve d’éventuelles objections ou de réprimandes sur le plan du droit procédural ou de la limitation des motifs sur lesquels peuvent s’appuyer les aides juridiques ou les moyens juridiques dans la procédure juridictionnelle.

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droits fondamentaux et notamment sur une éventuelle faculté pour les individus d’invoquer

les règles générales du droit international dans le cadre d’un recours constitutionnel.

D. Règles générales du droit international et droits fondamentaux allemands.

La protection des droits de l’homme exigée par l’actuel droit international général en

matière du standard minimum demeure, de manière générale, inférieure à la protection de la

Loi Fondamentale garantie par l’ordre juridique allemand même en matière l’application

interne des conventions de droits de l’homme. Cela vaut aussi bien pour l’étendue des droits

protégées, que pour leur organisation normative structurelle ainsi que pour leur faculté de

s’imposer en matière de procédure juridique. De plus, si l’on considère que l’Etat, lorsqu’il

s’occupe de ses propres membres, ne porte atteinte au droit international qu’à partir du

moment où il pratique une politique de non respect systématique (« gross and systematic

violation of human rights »), il existerait une différence structurelle fondamentale entre

protection internationale des droits de l’homme et protection par les droits fondamentaux de la

Loi Fondamentale. Le droit international n’accorderait pas d’importance en ce sens à une

violation des droits de l’homme exceptionnelle181.

Malgré les différences structurelles qui existent entre les deux niveaux de garantie, un

complément à la protection du droit fondamental dans l’espace de souveraineté de la

République Fédérale allemande peut être envisagée au moyen de l’article 25 LF tout

particulièrement lorsque l’état de fait est transfrontalier.

Les droits fondamentaux de la Loi Fondamentale lient aussi dans leur domaine

d’application objectif les pouvoirs publics allemands lorsque des effets de leur action se

produisent en dehors de l’espace de souveraineté de la RFA182. De même, l’article 25 LF

impose aux organes d’Etat allemands de s’abstenir de tout ce qui pourrait procurer à une

action entreprise par un pouvoir allemand qui ne serait pas allemand, en commettant une

infraction contre les règles générales du droit international, une efficacité dans l’espace de

validité de la Loi Fondamentale. Cet article interdit également de contribuer de manière

déterminante à un comportement d’une puissance souveraine non allemande qui porterait 180 BVerfGE 46, p. 342 sqs. (363) ; 63, p. 343 sqs. (363, 373). La thèse selon laquelle l’article 25 LF par là pourrait aussi agir en tant que lex specialis face au droit interne des étrangers est valable dans la pratique. Cette thèse ne dépend pas des droits et obligations internes produits par l’article 25 phrase 2 LF. 181 Helmut Steinberger, « Judicial Protection of Human Rights at the National and International Level », in : Carpi, n° 187, p. 135.

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atteinte à ces règles183. Toutefois, les droits fondamentaux allemands en tant droits de défense

contre de tels actes de la puissance publique allemande – qui en collaboration avec une

puissance souveraine étrangère blesse ou porte atteinte à des titulaires de droits fondamentaux

à l’étranger – garantissent prioritairement sur le fondement de l’article 2 § 1 LF ou d’un droit

fondamental spécial une protection contre des actes portant atteinte aux standards minimums

des droits de l’homme du droit international. La même chose vaut lorsqu’un acte commis par

un individu privé appartenant au pouvoir public allemand porte une atteinte aux règles

générales du droit international exclusivement orientés vers les Etats.

L’article 25 n’est pas un droit fondamental. Un recours constitutionnel de droit

fondamental ne peut être recevable de manière immédiate ni sur une atteinte fondée sur

l’article 25 LF lui-même ni sur une atteinte à la règle générale en tant que telle184 (Article 93

alinéa 1 n°4a LF). Cependant la relation avec des règles générales peut mener à la recevabilité

et le cas échéant au fondement d’un recours constitutionnel185 soit lorsque la loi allemande

accomplit une réserve de droit fondamental – loi allemande qui ordonne ou autorise des

interventions dans le droit fondamental – soit lorsque un acte individuel d’application – fondé

sur une loi conforme au droit international limitant le droit fondamental – porte atteinte186 par

lui-même à des règles générales du droit international.

La primauté d’application des règles générales du droit international n’annule pas de

fondamentalement (constitutionnellement) la loi qui porte atteinte à une telle règle. Cependant

la loi qui porte atteinte à une telle règle ne peut, dans l’espace de cette atteinte, limiter le droit

fondamental concerné187. En tant que telle, elle n’appartient pas à l’ordre conforme à la

Constitution dans le sens de l’article 2 § 1 LF188. Si l’acte individuel fondé sur une loi

conforme au droit international porte atteinte à une règle générale du droit international, il

n’est plus couvert par le fondement juridique d’intervention et porte atteinte pour cette raison

au droit fondamental concerné.

Dans les limites fixées par l’article 1 et 19 § 2 LF189, rien ne s’oppose à appréhender

l’article 25 LF comme lex specialis par rapport aux droits de l’homme de la Loi Fondamentale

– à la différence des droits fondamentaux allemands au sens de l’article 116 § 1 LF –

182 BVerfGE 6, p. 290 sqs. (295) ; 57, p. 9 sqs. (23). 183 BVerfGE 75, p. 1 sqs. (16, 18 ) ; 63, p. 332 sqs. (337). 184 BVerfGE 6, p. 389 sqs. (440). 185 BVerfGE 23, p. 288 sqs. (300) ; 31, p. 145 sqs. (177). 186 L’exigence d’admissibilité est toujours qu’un acte de la puissance publique lié à la Loi Fondamentale est attaqué : BVerfGE 58, p. 1 sqs. (27, 34) ; 59, p. 63 sqs. (89) ; 66, p. 39 sqs. (56) ; 77, p. 170 sqs. (232). 187 BVerfGE 23, p. 288 sqs. (300) ; 31, p. 145 sqs. (177). 188 BVerfGE 56, p. 254 sqs. (256). 189 BVerfGE 31, p. 58 sqs. (72) ; 54, p. 341 sqs. (357) ; 76, p. 143 sqs. (158).

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relativement aux dispositifs juridiques du droit international général des étrangers190.

Concernant l’article 3 § 1 LF selon lequel « tous les êtres humains sont égaux devant la loi »,

par exemple, la différenciation d’une réglementation législative selon la nationalité peut être

une « raison valable » (« Vernünftiger Grund ») à une limitation du principe d’égalité191

toutefois et aussi longtemps que le standard minimum du droit international général n’est pas

contourné et que les réserves juridiques de l'Etat de droit192 sont respectées. Cela est valable

également pour des possibilités de différentiation dans le cadre de réserves législatives

concernant d’autres droits fondamentaux193. En de telles hypothèses, des raisons lourdes

doivent exister, qui justement peuvent découler du domaine international194, et le principe de

proportionnalité doit être observé strictement. La même chose vaut en matière de représailles

admissibles dans le cadre du droit international195.

Même concernant la détermination de limites constitutionnelles immanentes des droits

fondamentaux qui ne peuvent être limités législativement, un effet des règles générales du

droit international n’est pas à exclure. Ainsi, leur prise en considération lors de l’évaluation de

biens communautaires (Gemeinschaftsgütern) légitimités constitutionnellement et se situant

au niveau suprême n’est pas interdite196.

Une invocabilité des normes internationales conforme au droit international est

davantage assurée dans un système moniste d’application du droit international. Toutefois, en

pratique, le système mixte, parce qu’il repose sur une norme constitutionnelle, confère une

garantie à l’applicabilité des normes internationales. En Allemagne, l’instauration d’un

système mixte a été accompagnée par la création d’une procédure juridictionnelle

d’identification des normes internationales qui assure leur invocabilité. Rien de tel n’existe en

France : les juridictions, se fondant sur une logique moniste, s’estime désormais compétente

pour identifier les normes internationales. La fonction d’identification peut toutefois être

attribuée à des organes divers dans les deux systèmes.

190 Karl Doehring, Die allgemeinen Regeln des völkerrechtlichen Fremdenrechts und das deutsche Verfassung, 1963, p. 187. 191 BVerfGE 23, p. 288 sqs. (313) ; 30, p. 409 sqs. (413) ; 38, p. 128 sqs. (134 f.) ; 72, p. 84 sqs. (89). 192 BVerfGE 76, p. 1 sqs. (74). 193 BVerwGE 72, p. 254 sqs. (261) ; 72, p. 283 ; 22, p. 66 sqs. (69). 194 BVerfGE 38, p. 128 sqs. (134) ; 76, p. 143 ; 77, p. 1 195 BSGE 13, 206 : les représailles ne peuvent être décidées que par les organes de droit constitutionnel compétents 196 BVerfGE 76, p. 1 sqs. 78 ; 80, p. 315 sqs. (318) ; 80, p. 81 sqs. (92)

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III. La fonction d’identification

L’éventuelle règle juridique de droit international non écrit n’est pas formulée dans un

acte juridique international, et l’organe d’application interne ne peut donc la reconnaître de

l’expression formelle de la volonté de sujets de droit. Il doit donc en rechercher l’existence et

la portée dans des « comportements » ou les « emprunter » à d’autres ordres juridiques, en

particulier nationaux.

L’ensemble des organes internes d’application du droit participent à l’identification

des normes du droit international non écrit que ce soit le législateur, l’exécutif ou le juge. La

fonction des organes exécutifs – en tant que principaux producteurs de normes de facto en

droit international non écrit197 – est déterminante en matière de droit international non écrit.

En particulier, les ministères des affaires étrangères, que ce soit en France ou en Allemagne,

concourent à l’identification de telles normes. Toutefois, nous nous intéressons ici plus

particulièrement au contentieux de l’identification et donc à la fonction du juge en la matière.

De par leur caractère non écrit, il existe évidemment des difficultés en matière

d’identification des normes concernées198. C’est ainsi que le juge ordinaire français a

traditionnellement renvoyé cette identification au pouvoir exécutif.

197 mais non unique. Le législateur et le juge participent également à la formation du droit coutumier. Ils contribuent à la formation des comportements et de l’opinio juris de l’Etat (le législateur peut également participer à la formation de principes généraux de droit). De plus, le droit international ne désigne pas précisément un organe de droit interne auquel il appartient de produire les normes internationales. Pour le droit international, le producteur de droit, c’est l’Etat dans sa totalité. 198 A propos de la coutume, S. SUR, « la coutume internationale, sa vie, son œuvre », Droits, 1986, n°3, p. 115 : « Et pourtant, il est permis de se demander si la règle coutumière n’est pas, en définitive, rien d’autre qu’une hypothèse. Elle peut être, par exemple, assertion doctrinale, élément ou conclusion d’un raisonnement juridictionnel. Mais où est la règle juridiquement et généralement obligatoire ? - Observons d’abord que la coutume se révèle surtout par ses manques, ou à l’occasion de ses manques.

Si en effet les relations qu’elle est censée régir se développent sans heurts, sans controverse et sans conflit, elle se confond avec elles. Les agents juridiques n’ont pas de raison de s’interroger sur le statut des pratiques qu’ils suivent habituellement, et qui suffisent à leur besoins. Ce n’est qu’en cas de contestations que le problème eut surgir, et témoigner au demeurant de l'incertitude sur l'existence ou le contenu de la règle. Si, au surplus, la difficulté est réglée par la négociation directe entre les intéressés, qui peut dire que la reconnaissance de la règle coutumière est le motif déterminant de l’accord ? Ne s’efface-t-elle pas derrière l’accord ponctuel, qui d’ailleurs ne sera peut être jamais rendu public ? On pourra bien, doctrinalement, dégager une ligne générale de conduite et lui attribuer le statut de règle coutumière, mais l’assertion sera sans autorité à l’égard des sujets de droit. Le Statut de la CIJ ne reconnaît la doctrine que comme un « moyen auxiliaire de détermination des règles de droit » et identifie de ce point de vue doctrine et jurisprudence.

- Quant à la jurisprudence ensuite, on a déjà souligné ses liens avec la coutume. Le juge constate – ou est censé constater – objectivement une règle qu’il applique au différend qui lui est soumis. Son extériorité est le garant de l’existence autonome de la règle – autonome par rapport à l’accord immédiat et ponctuel dans lequel elle s’épuise lorsqu’elle est appliquée directement par les Etats ».

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Au delà de la fonction d’identification, la dispersion juridictionnelle a entraîné en France

une intégration différenciée des normes internationales qui repose sur des modes d’application

variables selon les juridictions.

Par contre, en Allemagne, cette fonction d’identification a été centralisée par une

procédure juridictionnelle spécifique, celle de l’article 100 II LF.

A. En Allemagne, une fonction d’identification centralisée autour de la Cour

constitutionnelle fédérale

D’après l’article 100 II LF : « Si, au cours d’un litige, il y a doute sur le point de savoir si

une règle du droit international public fait partie intégrante du droit fédéral et si elle crée

directement des droits et obligations pour les individus (article 25), le tribunal doit soumettre

la question à la décision de la Cour constitutionnelle fédérale. »

En vertu de l’article 25 phrase 1 LF, chaque tribunal est autorisé et tenu de respecter les

règles générales du droit international ainsi que de déterminer au niveau de l’objet de la

procédure le domaine d’application qui correspond au fondement personnel et objectif,

temporel et spatial de la règle générale de droit international concernée. Cependant, si, au

cours d’un litige, il y a un doute sur le point de savoir si une règle générale du droit

international fait partie intégrante du droit fédéral et si elle crée directement des droits et des

obligations pour les individus (art. 25 LF), le tribunal doit soumettre la question à la décision

de la Cour Constitutionnelle fédérale (art. 100 II LF). Cette procédure ne vise pas à examiner

la norme mais à vérifier l’existence de la norme (Ce n’est pas une mise à l’épreuve mais une

vérification).

Le sens et la finalité de ce modèle de procédure est d’abord de sécuriser la décision

constitutionnelle de l’article 25 LF concernant la relation du droit allemand au droit

international général au niveau juridictionnel le plus élevé possible. Ainsi, il est ,dans l’intérêt

de la sécurité juridique, d’empêcher si possible des décisions divergentes de tribunaux. Enfin

cette procédure permet de prévenir les atteintes aux règles générales du droit international par

des tribunaux allemands ou si possible de les supprimer

Les questions préjudicielles qui sont présentables devant la Cour Constitutionnelle

Fédérale – le cas échéant triées – sont celles concernant l’existence d’une règle de droit

international, mais aussi leur généralité et leur portée, indépendamment de déterminer si la

règle en cause est exclusivement dirigé vers l’Etat ou si elle crée de manière immédiate des

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droits et des obligations pour l’individu. La question de la détermination du caractère

contraignant ou souple (qui admet des dérogations) est admise par la Cour constitutionnelle

fédérale. Par contre, ne sont pas admises les question relatives aux sources de droit autres que

les règles générales du droit international – traités, droit étranger à appliquer de manière

interne – ou de vérification de conformité aux règles générales du droit international d’autres

actes juridiques à l’instar des décisions de tribunaux .

La condition préalable pour l’admission la question est que la décision sur l’existence de

la règle internationale soit déterminante pour la procédure finale. Toutefois, des questions

peuvent être adressées à la Cour constitutionnelle fédérale dans le cadre de certaines décisions

accessoires au cours d’une procédure : décision de fixation d’un délai, assignation adresser à

un Etat étranger accusé – Etat qui a auparavant exprimé de manière claire qu’il ne renonce pas

à son immunité lors de la procédure, et résolution de preuve si l’apport de preuve lui-même

risque de porter atteinte au droit international général.

La présentation de questions est exigée lorsque la résolution de celle-ci est complexe. Les

doutes peuvent être des doutes « subjectifs » du tribunal concernés ou des doutes objectifs

sérieux. Le doute est déjà présent si le tribunal concerné dévie par rapport à la conception

d’un organe constitutionnel allemand ou de décisions de tribunaux allemands de niveau

supérieur, étrangers ou internationaux mais aussi de la doctrine d’auteurs reconnus en droit

international.

L’échelle de vérification est composé de toutes les règles générales du droit international

au sens de l’article 25 de la Loi Fondamentale. La doctrine est partagée pour déterminer si,

dans le cadre de la procédure d’après l’article 100 II LF, il est possible de faire appel à des

règles générales du droit international comme normes de contrôle pour la validité ou la non

applicabilité de lois allemandes. Ceci est à approuver en matière de contrôle d’incidence et

désapprouver pour une question à titre principal.

Le poids et importance de la procédure de présentation se manifestent aussi en ceci

que l’occasion est donnée au Bundestag, au Bundesrat et au gouvernement fédéral de prendre

position . Ainsi, ces organes constitutionnels peuvent adhérer à la procédure en toute situation

Enfin, un caractère contraignant général et force de loi est attribué aux décision de la Cour

Constitutionnelle fédérale.

Si un tribunal porte atteinte au devoir de présentation de l’article 100 II de la Loi

Fondamentale de manière délibérée et si sa décision repose sur cette atteinte, la partie qui est

lésée est atteinte en son droit fondamental d’un juge légal (gesetzlichen Richter) dont elle

dispose (art. 101 I phrase 2 LF).

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En Allemagne, la procédure de l’article 100 II LF oblige le juge a identifié une norme

internationale non écrite. La possibilité pour les parties d’invoquer une règle générale du droit

international est donc garantie. En France, une telle procédure n’existe pas. En pratique,

l’identification des normes internationales non écrites par le juge est bien souvent aléatoire.

B. En France, la coexistence de plusieurs juges suprêmes de l’identification du droit

international non-écrit.

En France, il n’existe aucune norme comparable à l’article 100 II LF. Le contentieux des

normes internationales non écrites n’est pas centralisé au niveau d’une juridiction. Bien

entendu, cela peut mener à une différentiation des solutions juridiques y compris en ce qui

concerne le système même d’intégration des normes internationales.

Cela pose également le problème de la compétence en matière d’identification des normes

internationales non écrites. A priori, l’ensemble des juridictions concernées (juridiction

administrative, juridiction judiciaire, juridiction constitutionnelle) est compétente en matière

d’identification de normes internationales non écrites. Toutefois, en matière de droit

international, la fonction d’identification est parfois renvoyée par la juridiction au niveau du

gouvernement et en particulier du ministère des affaires étrangères. Ceci fut notamment la

pratique du Conseil d’Etat en matière d’interprétation des traités jusqu’à la

jurisprudence GISTI du 29 juin 1990199. Toutefois, le Conseil d’Etat n’exclut toujours pas la

possibilité de solliciter l’avis du ministère des affaires étrangères. Il en fut de même en

matière de contrôle de la régularité et de la « ratification d’un traité ou de l’approbation d’un

accord » jusqu’à la jurisprudence Sarl du parc d’activités de Blotzheim du 28 décembre

1998200. Cette jurisprudence ancienne du Conseil d’Etat était fondée sur la distinction entre

l’existence de la ratification et sa régularité. La Haute Assemblée se réservait le droit de

contrôler la matérialité de la ratification. Par contre, elle assimilait la ratification (ou

l’approbation) à un acte de gouvernement qui doit échapper entièrement à tout contrôle de

fond201.

199 C.E., Ass. 29 juin 1990, GISTI. 200 CE, S.A.R.L. du parc d’activités de Blotzheim, Leb. P. 494, concl. Bachelier. 201 CE, 5 février 1926, Dame Caraco, D. 1927.3.1. ; 16 novembre 1956, Villa, Leb. p. 433 ; 3 ma rs 1961, André et Société « Nicolas Caïmant », Leb. p. 154.

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Une telle pratique de renvoi au gouvernement en matière de normes internationales non

écrites n’est pas relevable202. Sans doute peut-on arguer que l’applicabilité des normes

internationales n’a été confirmée par le Conseil d’Etat que dans la période contemporaine aux

jurisprudences GISTI et S.A.R.L. parc d’activités de Blotzheim et que l’application de telles

normes par la jurisprudence administrative demeure marginale, mais il n’en demeure pas

moins que les normes internationales non écrites sont de par leur nature plus difficilement

identifiables que les normes conventionnelles. Un renvoi au gouvernement afin de vérifier que

celui ci s’estime lié à de telles normes aurait sans doute été logique mais il n’en fut rien. Sans

doute est ce lié au raisonnement du Conseil d’Etat qui, fondamentalement moniste en matière

de droit international écrit, ne s’estime pas lié aux dispositions constitutionnelles relatives au

droit non écrit.

L’applicabilité des normes internationales par le juge interne est donc assurée soit sur

le fondement d’une disposition constitutionnelle, soit par les organes d’application du droit

par un raisonnement moniste. En toute logique, si l’application des normes internationales du

droit est moniste, l’ensemble des normes internationales concernée est applicable. De plus, la

typologie des normes internationales (coutume, principes généraux de droit, ius cogens….) est

en principe conservée par les organes d’application de droit. Par contre, un système mixte –

qui repose sur une disposition constitutionnelle – peut subordonner l’applicabilité des normes

de droit international à certaines conditions et adopter une typologie propre des règles

internationales. Mais cette logique concernant la détermination de normes internationales

applicables n’est pas nécessairement respectée par les organes d’application du droit.

202 V. notamment CE, 6 juillet 1997, Aquarone : « qu’ainsi en écartant comme inopérant le moyen tiré, par M. Aquarone, de la contrariété entre la loi fiscale française et [la coutume internationale], la Cour administrative d’appel avait relevé que la coutume internationale invoquée n’existait pas, n’a pas commis d’erreur de droit. ».

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Chapitre II. La détermination des normes applicables

En principe, en Allemagne, seules les « règles générales » du droit international sont

applicables. En France, l’application des normes internationales ne repose pas a priori sur une

condition relative à la nature ou au contenu de la norme quelque soit mode d’applicabilité

retenu par les organes du droit : système moniste ou système mixte (la disposition

constitutionnelle évoque l’ensemble du « droit public international »). Mais cette logique est

paralysée par la volonté des organes d’application du droit.

En Allemagne, la condition de généralité est parfois omise par ceux-ci (notamment

concernant les coutumes) et la typologie des normes internationales applicables s’est alignée

sur le droit international devant la Cour constitutionnelle. En France, les organes d’application

du droit attribuent des qualifications aléatoires aux normes internationales applicables et

semblent soumettre leur applicabilité à certaines conditions.

L’analyse des jurisprudences aussi bien française qu’allemande permet de dégager

deux critères d’applicabilité cumulables, respectivement relatifs à la nature de la norme

considérée (section 1), puis à son contenu (section 2). Section 1. La détermination des normes applicables selon leur nature

Les normes internationales non écrites sont de nature différentes : coutume, principes

généraux de droit, ius cogens. Les dispositions nationales de transposition des normes

internationales ne différencient pourtant pas ces normes internationales selon leur nature.

D’après l’article 25 de la Loi Fondamentale allemande, ce sont « les règles générales

du droit international » qui sont applicables. L’alinéa 14 du préambule de la Constitution de

1946 se réfère, quant à lui, à l’ensemble des règles du « droit public international ». En

dehors des dispositions constitutionnelles, le droit interne différencie-t-il les normes du droit

international selon leur nature ?

Il convient également de déterminer si la nature des normes internationales non écrites

est un critère de leur applicabilité par les organes de droit interne.

Nous excluons de cette première section l’étude de l’applicabilité des normes de ius

cogens – celles-ci pouvant se définir comme des coutumes impératives – dont nous renvoyons

à la deuxième section de ce chapitre qui concerne notamment à la détermination des normes

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selon leur caractère absolu. Le ius cogens demeure toutefois une norme de type particulier qui

se distingue des autres normes du droit international par son caractère impératif et

indérogeable. Il se distingue en cela de la coutume universelle issue de la volonté de

l’ensemble des Etats de la communauté internationale.

Les normes internationales non écrites applicables sont, en dehors du ius cogens, les

principes généraux de droit « reconnus par les nations civilisés » (I) et les règles coutumières

(II).

I. L’application des principes généraux de droit « reconnus par les nations civilisés »

Reprenant les termes de l'article 38-III du statut de la C.P.I.J., l'article 38 §1 du statut

de la C.I.J. dispose que la Cour applique « les principes généraux de droit reconnus par les

nations civilisées ». Pour qu'un principe général de droit soit reconnu dans le droit

international, il faut que deux critères soient réunis.

Le premier critère est que les principes généraux de droit doivent être des principes

communs aux ordres juridiques nationaux. Ne peuvent être transposés dans l'ordre juridique

international que des principes communs aux différents systèmes juridiques nationaux, étant

entendu qu'il ne faut pas s'arrêter à la lettre à la formule désuète « nations civilisées ». Tous

les Etats sont considérés aujourd'hui comme répondant à cette appellation. Il faut et il suffit

qu'un principe interne soit vérifié dans la plupart des systèmes juridiques, non pas dans tous.

Sont donc écartés les principes propres à tel ou tel pays ainsi que ceux qui ne sont appliqués

que par « certains systèmes de droit interne »203.

Le second critère est que les principes généraux de droit doivent être des principes

transférables dans l'ordre juridique international. En conséquent, tous les principes communs

aux systèmes juridiques nationaux ne sont pas transférables dans l'ordre international. Encore

faut-il qu'ils soient « transportables ». Seuls le sont qui sont compatibles avec les caractères

fondamentaux de l'ordre international. Le juge ou l'arbitre international pratique donc un

examen au cas par cas selon la méthode de l'analogie.

Il est difficile de dresser une liste exhaustive des principes généraux de droit, car les

juridictions internationales ont pris l'habitude, quand elles appliquent un principe général de

203 C.I.J., Sud-Ouest africain, 18 juillet 1966, Rec. 1966, p.47.

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droit de ne pas préciser qu'il est de ceux qui sont prévues par l'article 38, §1 c), du statut204. En

la matière, la jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes repose

structurellement sur des principes généraux de droit205. La jurisprudence de la CJCE, en

principe d’ « effet direct » en droit interne, a par conséquent contribué à la clarification des

normes du droit international applicables par les ordres juridiques internes, en tout particulier

par les juridictions.

En droit communautaire, la notion « principe général du droit » correspond à la

terminologie de droit international de « principe général de droit »206. Le traité instituant les

204 Patrick Daillier, Alain Pellet, Nguyen Quoc Dinh, Droit international public, 7ème éd., 2002, LGDJ, p.533, 1510 p. : « on peut de façon pragmatique distinguer quelques grandes catégories : a) principes rattachés à la conception générale du droit : - Abus de droit et principe de la bonne foi : C.I.J., Essais nucléaires, Rec. 1974, p.268 et 473 - Nul ne peut se prévaloir de sa propre faute : C.P.I.J., Usine de Chorzow, 1927, série A n°9, p.31 - Toute violation d'un engagement comporte obligation de réparer le préjudice subi :C.P.I.J., Usine de

Chorzow, 1927, série A n°9, p.21, et 1928, série A n°17, p.29. - Principes de sécurité juridique et du respect de la « confiance légitime » : C.J.C.E, 9 juillet aff. 10/69,

Portelange c. Smith Corona, Rec. p. 309 b) principes de caractère contractuel transposés à la matière des traités : - principe de l'effet utile : C.J.C.E., 29 nov. 1956, aff. 8/55, Rec. 1955-1956, p.291 - principes relatifs aux vices du consentement et à l'interprétation - Force majeure : C.P.I.J., Emprunts serbes, série A n°20, p.39-40 c) principes relatifs au contentieux de la responsabilité -principe de la réparation intégrale du préjudice : C.P.I.J., Wimbledon, 1923, série A n°1. -intérêts moratoires : C.P.I.J., Wimbledon, ibid. -exigence d'un lien de cause à effet entre le fait générateur de la responsabilité et le préjudice subi : C.P.I.J., Wimbledon, ibid. d) principes de procédure contentieuse : leur transposition dans l'ordre international est pleinement

justifiée par le degré de perfectionnement atteint par l'organisation juridictionnelle interne, sous réserve de la place réduite laissée aux individus.

-autorité de la chose jugée : C.I.J., Effets des jugements du T.A.N.U., Rec. 1956, p.61. -Nul ne peut être juge et partie : C.P.I.J., Frontières entre la Turquie et l'Irak, série B, n°12, p.32 -égalité des parties : C.I.J., Jugements du T.A.O.I.T., Rec. 1956, p.85. -Respect des droits de la défense, dans la jurisprudence de la C.J.C.E. e) principes du respect des droits de l'individu : -protection des droits fondamentaux : C.J.C.E. : C.J.C.E., aff. 11/70, Internationale Handelsgesellschaft, où la Cour déclare s'inspirer des « traditions constitutionnelles communes aux Etats membres » (Rec. p.1125). -protection spécifique des droits des agents publics : Concl. Warner sur C.J.C.E., 15 juin 1976, aff. 110/75, Mills c. B.E.I., Rec. 1976, p.955. -principe général selon lequel les tribunaux doivent être établis par la loi : T.P.I. pour l'ex-Yougoslavie, 2 octobre 1995, IT-94-1-AR72, Tadic, par. 41-47. f) principes portant sur le régime des actes juridiques : outre les implications du principe de sécurité juridique évoqué plus haut, on peut relever dans la jurisprudence de la C.J.C.E. le recours à des principes relatifs à l'effet intertemporel des actes juridiques, au retrait des actes administratifs créateurs de droit, à la « balance des intérêts en présence » ». 205 En ce sens, la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés Européennes ne se distingue pas de celle des juridictions internationales classiques. 206 On constate une fois de plus que la sémantique n'est pas claire. Cinq significations sont retenues pour le terme principe général par le Dictionnaire de la terminologie du Droit international : - L'ensemble des règles du droit international ; - Les règles du droit international qui n'ont ni valeur coutumière, ni valeur conventionnelle ;

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communautés européennes ne contient pas de référence générale aux principes généraux du

droit communautaire à l'exception de l'article 288 (ex-215) qui fonde la responsabilité extra

contractuelle de la Communauté sur les principes généraux communs aux Etats membres.

C'est la jurisprudence communautaire qui a donné toute son ampleur au recours aux principes

généraux. La justification de cette attitude de la Cour réside dans l'article 220 (ex-164) qui

confie à la Cour la charge d'assurer le respect du droit. Le recours aux principes généraux du

droit confère une place fondamentale à la jurisprudence dans la définition de la légalité

communautaire. Lorsque le juge fait recours aux principes généraux du droit, il les déduit d'un

ensemble de règles juridiques communs aux Etats membres207 (à la manière du juge

international « classique » en matière de principes généraux de droit). Mais cela n'est pas

suffisant. Encore faut-il que le principe soit apte à entrer dans l'ordre juridique

communautaire, c'est-à-dire qu'il n'entre pas en contradiction avec les traités et la spécificité

de l'ordre juridique communautaire (en droit international, il faut également que le principe

général de droit n'entre pas en contradiction avec la structure de l'ordre juridique

international). En conséquent, le juge communautaire refuse de prendre en considération

certains principes généraux de droit reconnus par les autres « juges » internationaux. Par

exemple, la Cour de Justice a refusé de transposer en droit communautaire le principe de

réciprocité qui se traduisait dans l'exceptio non adempleti contractus. Il n'appartient à un Etat

membre de se faire justice à lui-même en raison de l'existence de procédures destinées à

sanctionner un manquement étatique208.

Les juridictions aussi bien internationales qu'internes ont parfois tendance à confondre

principes généraux de droit et principes (parfois qualifiés de « généraux ») du droit

international. Ces derniers principes ont en commun, et contrairement aux principes généraux

- Les règles les plus générales ou les plus importantes du droit international, indépendamment de leur

nature ; - Les règles de gestion des relations internationales contemporaines - Les règles qui, communes aux grands systèmes contemporains, seraient applicables à l'ordre juridique

international du fait de la convergence dont ils témoignent (cette dernière définition renvoie au principe général de droit).

207 Encore faut-il émettre une réserve. Boulouis et Chevallier, dans les grands arrêts de la Cour de Justice des Communautés Européennes (p.91), dégagent quatre significations en droit communautaire : - Les principes inhérents à tout système juridique organisé ; - Les principes déduits du droit des Etats-membres (techniquement proches des principes généraux de

droit de l'article 38 C.I.J bien que la première signification n'en soit pas incompatible) ; - Les principes résultant de la nature propre aux communautés européennes ; - Les droits fondamentaux ; 208 CJCE, 13 novembre 1964, Luxembourg et Belgique, affaire 90-91/63, rec. 1217

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de droit, de ne pas se reposer sur un élément de formation autonome209. Les principes du droit

international ne sont donc pas extraits du droit interne et sont davantage définissables comme

une forme de coutume universelle, ou du moins « généralisée »210.

Cette différenciation fondamentale s'avère particulièrement révélatrice en matière des

rapports entre droit international et droit international : les juridictions (aussi bien françaises

qu'allemandes) confondent fréquemment ces deux concepts démontrant par là une application

autonome du droit international par les organes d’application interne.

Mais, dans l’ordre interne, c'est le support formel d'une norme qui détermine son

applicabilité et la plus large part de sa valeur juridique. Sa signification reste dépourvue de la

moindre incidence, et l'on prend en compte son degré de généralité dans un nombre son degré

de généralité dans un nombre très limité de cas. Tant est si bien que la notion de principe

général du droit international n'a normalement aucun rôle à jouer. Aussi générale ou

essentielle soit-elle, une norme véhiculée par une convention ou par une coutume ne verra son

applicabilité déterminée qu'en fonction de sa nature conventionnelle ou coutumière. Les

principes généraux de droit sont donc les seuls à présenter un intérêt dans l'ordre juridique

interne.

En Allemagne comme en France, les organes d’application du droit distingue aujourd’hui

généralement (mais pas systématiquement) les principes généraux de droit international des

autres normes de droit international. Leur application présente une certaine curiosité : extraits

209 J. Combacau, S. Sur, Droit international public, 5ème édition, 2001, coll. Domat droit public, Montchrestien, p.108, 815p. « ils peuvent faire virtuellement partie du jus cogens, ou du droit coutumier. Ils sont aussi fréquemment reconnus par voie de traités, soit du fait de leur intégration dans la Charte des Nations Unies (les principes mentionnés au Chapitre I (art. 1 et 2) de la Charte), soit en raison d'une convention spéciale » (par exemple le traité du 27 janvier 1967 sur « les principes régissant les activités des Etats en matière d'exploration et d'utilisation des espaces extra-atmosphériques ») ». 210 D. de Béchillon, Hiérarchie des normes et hiérarchie des fonctions normatives de l'Etat, Economica, 1996, 577 p., not. p. 433 : « -La notion de principe général du droit renvoie globalement à la signification d'une règle, à la norme elle-même et non aux actes qui la portent. Plus générales, plus principielles, plus fondamentales, plus humaines, plus justes, plus consensuelles que les autres, certaines normes mériteraient ainsi d'être spécifiées. Elles émergeraient directement de l'ordre juridique international sous le poids des nécessités qu'il impose, et refléteraient aussi l'éthique qu'il reflète. Formellement parlant, elles se trouvent donc véhiculées par les actes juridiques du droit international (traités, coutumes, principes généraux de droit). Sont fréquemment invoqués sous leur bannière des règles extrêmement générales, immédiatement matrices de normes plus concrètes (Pacta sunt servanda, non-agression, souveraineté) ou des principes seconds considérés comme relativement importants (droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, bonne foi…). Du point de vue de ceux qui emploient ce concept, le principe général du droit, c'est un peu l'esprit du système juridique international. - La notion d'un principe général de droit ne renvoie, par contre, qu'à un mode de formation de la règle de droit, indépendamment de sa signification. Introduits à titre de source subsidiaire dans l'article 38 du statut de la Cour, ces principes ont essentiellement pour fonction de combler un vide juridique. Dans un tel cas, le juge constate une convergence objective entre les normes élaborées par de nombreuses nations, d'où il induit un principe à proprement parler inter-national ».

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des ordres juridiques internes, ces principes existent sous une autre forme que celle de droit

international.

A. En Allemagne

La doctrine est partagée concernant la position des principes généraux de droit au sein

des règles générales du droit international (1). Les uns considèrent que les règles générales

du droit international sont essentiellement les principes généraux de droit ; les autres

estiment que les mêmes principes généraux de droit n’ont pas à être appliqués (ou du moins

qu’une telle application est inutile) sur le fondement de l’article 25 LF. La Cour

constitutionnelle a oscillé entre ces deux positions pour finalement se conformer à la

typologie du droit international mais aussi du droit communautaire (2).

1. Les divergences doctrinales sur la position des principes généraux de droit parmi les

principes généraux de droit

Le Constituant allemand n'a pas retenu les distinctions de l'article 38 §1 du statut de la

Cour Internationale de Justice mais a regroupé les normes issus du droit international non

conventionnelles sous l'appellation « règles générales du droit international ». Les

délibérations de l'Assemblée parlementaire constituante nous indiquent que celle-ci a

manifesté la volonté de s'orienter vers une sémantique traditionnelle qui s'inscrit dans la

continuité de celle de la République de Weimar. Le juriste Carlo Schmid définissait ainsi le

processus de formation des règles visées par l'article 25 LF : « diese Regeln seien

Nutzanwenwendung der allgemeinen Rechtsvorstellung, die mehr oder weniger in aller

zivilisierten Staaten bestehen : ein stillchweigendes Übereinkommen der Menschen unseres

abendländischen Rechtskreises, unterhalb eines bestimmten rechtichen Zivilisationsstandes

nicht leben zu wollen »211. Cette description de l'origine des « règles générales du droit »

correspond à la catégorie des « principes généraux de droit reconnus par les nations

211 JöR NF1, S.232. « Ces règles seraient utilisées en tant qu’applications utiles de la représentation générale du droit qui existe plus ou moins dans tous les Etats civilisés. Elles sont issues d'un accord tacite des hommes de notre espace juridique occidentale qui ne voulait pas vivre sous un certain niveau de civilisation juridique »

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civilisés ». Il faut exclure d'une telle analyse la règle coutumière internationale puisque celle-

ci présuppose l'existence d'une société internationale juridiquement organisée (alors que les

principes généraux de droit international sont extraits des règles de droit interne reconnues par

les nations civilisées). Carlo Schmid suppose que les « règles générales » tiennent leur origine

de la « sphère morale », de telle sorte qu'elles ne puissent pas comprendre des dispositions

juridiques techniques, d'où une certaine difficulté d'application de ces normes dans les ordres

juridiques212.

A l’opposé, d’autres auteurs considèrent que l’incorporation des principes généraux de

droit est superflue ou juste déclaratoire parce que, par définition, ces principes de droit sont

déjà contenus dans l'ordre juridique allemand. Parmi eux, Gerhard Schübbe cite à titre

d’exemple l’article 26 de la Loi Fondamentale qui dispose de l'interdiction de préparer une

guerre d'agression par la Fédération213. Bien qu’il soit incontestable que certaines règles de

droit international figurent dans la Loi Fondamentale et que les principes généraux de droit

préexistent dans les droits internes, cette argumentation méconnaît plusieurs éléments. Sur le

premier point, les règles internationales qui sont mentionnées dans la Constitution allemande

ne sont pas des principes généraux de droit mais des principes du droit international. Sur le

second point, les principes généraux préexistent certes nécessairement, par nature, dans

l’ordre juridique interne des Etats mais l'alinéa 25 de la Loi Fondamentale confère une

dimension particulière à ses règles notamment en ce qui concerne leur rang au sein de la

hiérarchie des normes214.

La position de la Cour constitutionnelle fédérale a longtemps été incertaine.

2. L’application des principes généraux de droit par la Cour constitutionnelle fédérale

La Cour constitutionnelle fédérale, jusqu’à récemment, considérait que l’ensemble des

règles internationales non écrites étaient assimilables aux coutumes internationales215. La

Cour estimait alors que la différenciation entre principes généraux de droit et coutume n’a

212 C. Tomuschat, « Die entscheidung für die internationale Offenheit », Handbuch des Staatsrechts VII, p.489 213 Schübbe Gerhard, « Wesen und Rang der allgemeinen Regeln des Völkerrechts im Sinne des Art. 25 », Diss. Münster 1956, p. 93. 214 Siegfried Magiera, « Völkerrecht und Staatliches Recht, in:Eberhard Menzel/Knut Ipsen », Völkerrecht, 1990, S.61 ; Frederick A.Mann, « Völkerrecht im process », in: SJZ 1950, p.548. 215 BVerfGE 15, p. 25 sqs. (33); 16, p. 27 sqs. (33); 23, p. 288 sqs. (317); 31, p. 145 sqs. (177); 66, p. 39 sqs. (64); BverfG in: NJW 1988, p. 1462 (1463). Les principes généraux de droit sont dans la pratique de l’application du droit international sans importance.

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qu’une incidence pratique réduite216. Par conséquent, d’après la jurisprudence traditionnelle

de la Cour constitutionnelle fédérale, il n’existait pas, au niveau du droit interne, de

distinction entre des règles dont la formation est purement internationale qui présuppose

l’existence d’une communauté internationale organisée – ces règles sont notamment celles

du droit des relations diplomatiques et consulaires ainsi que dans le droits d’immunité de

l'Etat217 - et les obligations et interdictions du « droit humanitaire de la guerre218 » dont le

mode de formation correspond à celui évoqué par Carlo Schmid étant donné que pour la

doctrine allemande elles sont extraites « des principes de justice et de paix issus des droits

internes219 ».

La Cour constitutionnelle fédérale a toutefois modifié sa position ultérieurement. Une

contradiction dans la jurisprudence de la Cour avait alors été relevée. Certes, l’expression de

l'article 25 de la Loi Fondamentale ne permet certes pas une différenciation qualitative des

normes en cause – principes généraux de droit et coutume220. Mais, néanmoins, la Cour

acceptait de qualifier certaines règles de droit international comme coutumières en utilisant

les critères du droit international pour prouver l’existence d’une coutume. En son affaire

Kriegsfolgelasten II221, la Cour attribue une fonction particulière aux principes du droit, les

distinguant par là de la coutume : : « les règles générales du droit international comprennent

en premier lieu les coutumes universelles complétées par les principes de droit international

reconnus »222. Les principes généraux de droit n’ont alors qu’une fonction

« complémentaire », ce qui, eu égard au droit international peut sembler critiquable, mais ils

disposent désormais, selon la Cour constitutionnelle fédérale, d’une existence propre.

La jurisprudence communautaire a également participé à cette différenciation

qualitatives des normes internationales chez le juge allemand. C'est principalement sur la

216 217 BVerfGE 16, p. 27 sqs. (33); 46, p. 342 sqs. (364). 218 BVerfGE 77, p. 170 sqs. (232). 219 C’est du moins l’opinion de C. Tomuschat, p. 489. Remarquons ici que les doctrines françaises et allemandes n’ont pas la même position sur la détermination des principes généraux de droit international. Les règles du droit humanitaire sont considérées par la doctrine française comme des coutumes internationales mis à part quelques règles du droit de l’homme. 220 C'est notamment l'opinion de : Michael Silagi, « Die allgemeine Regeln des Völkerrechts als Bezugsgegenstand in Art.25 GG und Art.26 EMRK », in EuGRZ 1980, p. 645-647 ainsi que de Rainer Hofman, « Art. 25 GG und die Anwendung völkerrechtswidrigen ausländischen Rechts », ZaöRV 49 (1989), p. 41-47. 221 BVerfGE 23, p. 288; Kriegsfolgelasten II, § 91 : « il n'y a pourtant pas de règle coutumière internationale ni de ce droit complémentaire des principes généraux de droit reconnu qui interdit de faire participer les étrangers au recouvrement des conséquences de guerre » (« es gibt jedoch kein Völkergewohneitsrecht und auch keinen dieses Recht ergänzenden anerkannten allgemeinen Rechtsgrundsatz, die es verbieten, Ausländer zur Deckung der Folgelasten eines Krieges zu besteuern »). 222 BVerfGE 15, p. 25 sqs. (32) ; 23, p. 288 sqs. (317) : « Bei den allgemeinen Regel des Völkerrechts handelt sich in erste Linie um iniversell geltendes Völkergewohneitsrecht, ergänzt durch anerkannte allgemeine Rechtsgrundsätze » (vgl.).

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base des principes généraux du droit223 que la Cour de justice des communautés européennes

a renforcé sa jurisprudence en matière de protection des droits fondamentaux et à souligner

l'étroite imbrication du droit communautaire avec les traditions constitutionnelles des Etats

membres, Loi Fondamentale comprise. Or, par cette intégration des principes généraux dans

sa jurisprudence la Cour de Luxembourg répondait précisément à la position de la Cour

constitutionnelle fédérale en l’affaire Solange I224. Cette jurisprudence exigeait des garanties

en matière de droits fondamentaux équivalentes à celles de la Loi Fondamentale pour que le

juge constitutionnel allemand accepte de renoncer à contrôler les actes dérivés du droit

communautaire225.

Cette jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés Européennes en matière

de « principes généraux du droit » ne pouvait rester sans influence sur la conception des

« principes généraux de droit » par le juge allemand. Notamment l'arrêt Solange 2226 - par

lequel la Cour Constitutionnelle Fédérale renonce largement à intervenir en pratique en

matière de contrôle de l'effectivité des droits fondamentaux - comprend une longue analyse

par le juge constitutionnel des principes généraux « du » droit jusqu'alors reconnus par la

Cour de Justice des Communautés Européennes.

Certaines jurisprudences récentes de la Cour constitutionnelle fédérale attribuent ainsi

une véritable autonomie aux principes généraux de droit. Par un arrêt du 23 mai 1987227, la

Cour Constitutionnelle a jugé sur le fondement l'article 25 de la Loi Fondamentale qu'il était

interdit aux autorités allemandes ainsi qu'aux tribunaux de donner des effets juridiques

internes à des actes d'Etats étrangers qui violent une règle générale de droit international. En

l'espèce, l'acte juridique contesté était une condamnation à l'issue d'un procès par contumace

qui avait eu lieue en Italie. La Cour vise explicitement deux règles du droit international :

l’interdiction de droit international aux autorités internes de donner effet à des actes étrangers

qui violent une règle de droit international et l’exigence internationale de procédure

minimale en matière pénale. Les deux normes reconnus par la Cour constitutionnelle fédérale

peuvent être considérées comme des principes généraux de droit extraits initialement des

ordres juridiques internes. La Cour qualifie d’ailleurs explicitement la première règle de 223 Nous avons déjà vu que cette notion utilisée par la Cour de Justice recoupait principalement le concept de « principes généraux de droit ». 224 « Aussi longtemps que.. », BVerfGE 37, p. 271, Solange I. 225 R. Stotz, « La primauté du droit communautaire en Allemagne », RFDA, 1990, p.957 ; Christian Auxetier, Introduction au droit public allemand, PUF, 1997, 379 p. 226 Solange II, 22 octobre 1986 (2 BvR 197/83), BVerfGE 73, p. 339 (ZaöRV n° 48, 1988, p. 77).

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principe général de droit. Dans le même arrêt, la Cour Constitutionnelle précise que « les

règles générales du droit international public, dans le sens de l'article 25 de la Loi

Fondamentale, sont constituées par ius cogens, du droit international coutumier et des

principes généraux de droit »228, supprimant ainsi le qualificatif de complémentaire aux

principes généraux de droit.

La concordance entre nature des normes de l’ordre juridique international et

qualification des normes internationales appliquée par les organes d’application interne est

ainsi renforcée.

En France, l’attribution d’une qualification et d’une fonction particulière aux principes

généraux de droit international est encore hésitante. Pourtant, contrairement à l’Allemagne, il

n’existe pas de volonté du Constituant d’utiliser une terminologie différente de celle du droit

international. De même, dans le cadre du mode d’application moniste des normes

internationales, il n’existe aucune raison justifiant une qualification des normes différente de

celle du droit international.

B. En France

Contrairement à l’Allemagne, le juge compétent en matière de normes de droit

international non écrites n'est pas centralisé en France. Il faut donc examiner la jurisprudence

de chaque Cour suprême.

1. les principes généraux de droit et le Conseil Constitutionnel.

Si l'on excepte, peut être, la règle d'extra-territorialité des nationalisations, rattachable, à

l'extrême limite, aux principes généraux de droit, le problème ne s'est pas posé avec

suffisamment de netteté devant le Conseil pour que l'on puisse en disserter. Il est simplement

possible d'envisager une transposition du raisonnement, plus complet, qu'autorise la

227 Chambre du deuxième Sénat, arret du 21.5.1987 (2 BvR 1170/83), NJW 1988, 1462 (ZaöRV n°48, 1988, 721)(p.212 87/2). 228 « Zu den Allegemeinen Regeln des Völkerrechts im Sinne des Art.25 GG gehören das ius cogens, das Völkergewohneitsrecht und die allgemeine Grunsätze ».

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jurisprudence du Conseil d'Etat encore que cette transposition se heurte à un mode

d’application différent des normes internationales non écrites devant les deux juges.

2. Les principes généraux de droit dans la jurisprudence administrative

L'appellation « principes » est relevable de temps à autre dans quelques arrêts du

Conseil d'Etat229. Mais, jusqu’à récemment, l’emploi de cette terminologie était aléatoire et ne

correspondait en rien aux normes internationales de principes général de droit.

Quelques hypothèses dans lesquelles le terme a vu le jour en contentieux administratif

concernent d’authentiques litiges internationaux. Dans une affaire concernant la destruction

d’un navire étranger en haute mer par la marine française230, le Conseil d'Etat a conclu à la

licéité de l'opération après avoir posé qu'elle ne méconnaissait « aucun principe de droit

international »231. Il convient toutefois de demeurer circonspect sur cette innovation.

Il est bien clair que le « principe général de droit international » reconnu par le Conseil d'Etat

ne constitue pas un véritable « principe général de droit ». En l'espèce, il s'agissait d'une

réglementation d'une activité extérieure au territoire français qui ne peut, par nature, que

comporter une prise en position par rapport à l'environnement international. La norme

reconnue par le Conseil d'Etat dans l'arrêt Nachfolger n'avait aucune vocation initiale à

s'appliquer à des situations internes. Il ne s'agit donc pas d'une norme extraite du droit

interne, ce qui en aurait fait un véritable principe général de droit international, mais bel et

bien d'une coutume.

La question de l'applicabilité des « vrais » principes généraux de droit reste en

suspend. Qu'en est-il de ceux qui ne sont pas en réalité des coutumes ? En l'état, il demeure

229 Et ce au prix de quelques variations terminologiques. Par ex : CE, 29 janvier 1971, S. X…, p. 84 (où le Conseil d’Etat se déclare incompétent pour connaître de la conformité d’une convention d’une convention internationale aux principes généraux du droit international), CE, 1er février 1978, Min. de l’Economie c. S. X…, p.42 (où le Conseil d’Etat relève l’absence de principes de droit international faisant de l’ambassade une parcelle de l’Etat accréditant) ; CE, 27 septembre 1985, France Terre d’Asile, p. 263 (où le juge atteste du caractère « non-contraire à un principe du droit international » de l’acte attaqué). On observera que l’usage assez imprécis et indifférencié de ce type de terminologie trouve une origine extrêmement lointaine dans la jurisprudence judiciaire. Ainsi le Tribunal de Cassation évoquait le 16 Messidor an VII (S. 1791, p. 219-1) le « droit commun des puissances », la Cour de cassation employant un peu plus tard la notion de « principe du droit des gens » pour traiter de la souveraineté des Etats (22 Janvier 1849, S. 1849. 1. P. 81 note Devill). 230 CE, sect., 23 octobre 1987, Sté. Nachfolger, Leb. p. 319 concl. Massot. 231 Le terme « principe de droit international » illustre toute la confusion de la jurisprudence interne en matière de normes internationales non écrites. On retrouve une synthèse sémantique entre « principes généraux de droit (reconnus par les nations civilisées) » et « principes du droit international ».

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extrêmement difficilement d’y répondre L'emploi du terme dans la jurisprudence reste trop

peu significatif pour cela. Ainsi l'arrêt France Terre d'Asile où le Conseil semble employer le

terme « principe du droit international », comme pour dire globalement que le Droit

international dans son ensemble (principes généraux de droit compris) n'est pas violé.

Ce n’est que dans une affaire récente, Paulin232, que la question d’une existence des

principes généraux du droit distincte de celle de la coutume est posée au Conseil d’Etat. En

l’espèce, le requérant invoque l’existence d’une coutume ou d’un principe général de droit

consacrant le principe de l’exemption fiscale sur la pension de retraite qu’il perçoit de la

caisse commune des pensions du personnel des Nations Unies. Sans même examiner si une

telle règle existe, le juge conclut au caractère inopérant d’un tel moyen : « ni cet article

(article 55) ni aucune autre disposition de valeur constitutionnelle ne prescrit ni n’implique

que le juge administratif fasse prévaloir la coutume international ou même un principe

général de droit international sur la loi en cas de conflit entre d’une part, ces normes

internationales et d’autre part, la norme législative interne ».

On ne saurait bien sûr être surpris – concernant la hiérarchie des normes – de ce que le

juge administratif rappelle sa jurisprudence Aquarone mais il étend dans le même

mouvement son raisonnement aux principes généraux de droit international. En l’espèce, le

juge différencie clairement les deux types de normes internationales233 mais sans accorder

une attention particulière ou un régime particulier à ces principes. Il est à noter que, pourtant,

les deux commissaires du gouvernement ayant conclu respectivement dans l’affaire

Aquarone et dans l’affaire Paulin réservent un sort particulier aux principes généraux du

droit communautaire234.

3. les principes généraux du droit dans la jurisprudence judiciaire.

Contrairement à une jurisprudence relativement abondante en matière de coutume, il

n’existe pas d’indication permettant de démontrer que la jurisprudence judiciaire applique les

principes généraux de droit.

232 CE, 28 juillet 2000, M. Paulin. 233 Il est toutefois à noter que le Commissaire Arrighi de Casanova lorsqu’il vise les principes généraux de droit, tout en décrivant le mode de formation des principes généraux de droit utilise de manière systématique l’expression « principes généraux du droit international ». 234

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Les principes généraux de droit sont applicables dans les deux ordres juridiques français

et allemands. Le juge allemand applique un régime particulier (différencié de celui de la

coutume) aux principes généraux de droit conforme au droit international alors que la

disposition constitutionnelle sur laquelle repose l’applicabilité des normes internationales

s’oppose à une telle différenciation des normes applicables selon leur nature. Au contraire,

cette différenciation par le juge français – alors même qu’elle serait logique quelque soit le

mode d’applicabilité – est encore embryonnaire.

L'intérêt des principes généraux de droit dans l'ordre juridique interne n'en demeure pas

moins réduit. La raison est simple, pour qu'un principe de cette sorte soit opposable sur le

territoire allemand ou français, il est certainement indispensable que l'on puisse recenser un

élément de législation ou de réglementation d'origine interne qui l'établisse : aucun droit

international (à l’exception des normes de ius cogens) ne se forme sans consentement. Il en

résultera le plus souvent que c'est cet acte interne lui-même qui sera convoqué comme norme

de référence comme norme de référence pour la solution du litige. Sa commutation en règle

internationale demeure inutile, à moins que le principe général de droit soit supérieur dans la

hiérarchie des normes à la norme interne « similaire ».

Les normes non écrites du droit international sont, avant tout, ne serait-ce que

quantitativement, les règles coutumières. Leur applicabilité de principe par les droits internes

est généralement admise. Mais leur nature conjoncturelle (contrairement aux normes de ius

cogens) est susceptible de s’opposer à l’application de telles règles par les organes

d’application du droit interne.

IV. Les coutumes

En raison de la solennité de sa promotion à l'article 38 §1 du statut de la C.I.J. et par

l'équivalence hiérarchique dont elle bénéficie théoriquement à l'égard du traité en droit

international, la coutume apparaît comme mieux placée que le principe général de droit pour

bénéficier d'une applicabilité en droit interne. En Allemagne, la Cour constitutionnelle

fédérale a progressivement dévié du texte de l’article 25 de la Loi Fondamentale et applique

désormais quasiment l’ensemble des coutumes internationales auxquelles la République

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Fédérale est liée. En France, la caractère spécifique des normes coutumières est maintenant

reconnu par l’ensemble des juridictions.

A. En Allemagne

Il est désormais235 avéré que l'article 25 de la Loi Fondamentale vise les coutumes

universelles236. Il est, par contre, plus douteux, que la coutume « régionale » (et particulière)

soit incluse parmi les règles générales du droit international237. D'après les premiers arrêts de

la Cour Constitutionnelle Fédérale l'article 25 ne concerne « surtout que le droit coutumier

universel et valide »238. Une jurisprudence ultérieure supprime même l'adverbe « surtout »

( vorwiegend )239. Il ressort des délibérations de l’Assemblée nationale constituante que les

normes visées par l'article 25 devaient être celles reconnues par « la généralité de la société

internationale »240. Sous la Constitution de Weimar, l’opinion dominante de la doctrine était

que la seule l'intégration des règles « générales et reconnues » sur le fondement de l'article 4

de la Constitution de Weimar était suffisante à l'ouverture de l'ordre juridique de l'Etat.

Une exclusion des règles coutumières « particulières » ne s’inscrit toutefois pas dans

la continuité de la jurisprudence allemande concernant la notion de « règles générales du droit

international ». C'est davantage une interprétation téléologique du juge, dans ses premiers

arrêts, qui a conduit à une quasi-exclusion des règles coutumières particulières. Dans l'esprit

du Constituant, l'article 25 devait permettre d'intégrer dans la structure de l’ordre juridique

allemand des standards en matière de droits de l'homme susceptibles de compléter les droits

fondamentaux et de les étendre aux étrangers241 lorsque seul les allemands sont visés (création

d'un droit des gens).

Les règles coutumières « régionales » et particulières, de part leur nature contingente

et particulière, ne s'inscrivent donc pas a priori dans la logique de la Loi Fondamentale.

Certaines décisions récentes du juge constitutionnel vont encore en ce sens : « les règles

235 Rappelons que, selon Carlo Schmid, les « règles générales du droit international » se limitent aux normes qui ont un contenu « moral » et non « technique ». 236 237 Walter Rudolf, « Die innerstaatliche Anwendung partikulären Völkergewohneitsrecht », in: FS für Alfred Verdross, 1971, p. 435-437. 238 BVerfGE 15, p. 25 sqs. (33); 23 p. 288 sqs. (317) : « vorwiegend um universell geltendes Völkergewohneitsrecht ». 239 BVerfGE 31, p. 145 sqs. (177). 240 JöR NF 1, p. 233. 241 Karl Doehring, « Die staatsrechtiche Stellung der Ausländer in der Bundesrepublik Deutschland », VVDStRL n°32, 1974, p. 7.

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générales du droit international concernent en premier lieu les coutumes universelles242 ».

Mais cette jurisprudence récente du juge constitutionnelle n’exclut plus que les coutumes

particulières, voire bilatérales, soient applicables.

Les règles coutumières régionales reposent, comme les règles universelles en vigueur,

sur un consensus partagé par une communauté d’Etats, ce qui semble conforme à la volonté

du Constituant d'intégrer la République Fédérale Allemande dans une société internationale

« pacifiée »243. L’article 25 de la Constitution est un instrument juridique qui permet de

conformer immédiatement le droit national aux obligations du droit international sans qu'il

soit nécessaire d'édicter une norme législative. Du point de vue fonctionnel, il n'existe donc

aucune raison de considérer que les règles coutumières « régionales » se situent en deçà des

règles coutumières universelles. Par conséquent, si l'article 25 signifie ouverture de la Loi

Fondamentale au droit international (Völkerrechtsfreundlichkeit) 244 les coutumes régionales,

au même titre que les coutumes universelles, doivent être incluses parmi les « règles générales

du droit international ».

Il semble en aller autrement en matière de coutumes bilatérales. D'après Christian

Tomuschat245, la forme de la coutume bilatérale n'est pas comprise parmi les règles de l'article

25. L’auteur justifie cette exclusion ainsi : il s’agirait de figures du droit relativement

indéterminée dans leur structure dogmatique et qui n’ont pas été reconnues définitivement par

une communauté d'Etats. La règle coutumière bilatérale est une règle assimilable à la règle

conventionnelle dont le manquement par une des parties ne peut pas être prouvé par un tiers

partie, dont l'engagement garantie l'effectivité de la règle, comme en matière de coutumes

« multilatérales ». La coutume bilatérale ne satisfait pas au critère de « généralité » de l'article

25 LF.

Pourtant, le critère retenu récemment par la Cour constitutionnelle fédérale semble être

davantage celui d'une « persistante protection et conservation » de la norme coutumière

depuis sa création246. Il est également à noter que le juge constitutionnel allemand utilise la

même méthode que le juge international pour identifier une coutume247 (preuve de la pratique

et de l’opinio juris). L’application de telles coutumières particulières, voire bilatérales, par la

242 BverfG, 2 BvR 1243/03, 5 novembre 2003, Jemenitischer Staatsekretär, § 55 « Bei den allgemeinen Regeln des Völkerrechts handelt sich in erster Linie um universell geltendes Völkergewohneitsrecht ». 243 Peter Häberle, « Der kooperative Verfassungsstaat », in: FS für Helmut Schelsky, 1978, p. 141. 244 Rudolf Bernhardt, « Die Völkerrechtsfreundlichkeit der deutschen Rechtsordnung », DÖV 1979, p. 309. 245 C. Tomuschat, « Die staatsrechtliche Entscheidung für die internationale Offenheit », HStR VII, § 172 246 BVerfGE 15, 25: Botschafgrundstück; 16, 27: Heinzugsreparatur in Botschaft; 46, 342: Botschaftskonto; 66, 39: Nachrüstung : « beharrliche Rechtsverwahrung von Anfang an » 247 BVerfGE 46, 342 (363 f.)

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Cour constitutionnelle fédérale est manifestement contraire à la lettre de la l’article 25 de la

Loi Fondamentale qui exige une condition de généralité pour l’application de telles normes.

Bien que l’application de telles coutumes demeure fondé sur la l’article 25 de la Loi

Fondamentale, on peut y voir un raisonnement moniste du juge constitutionnel. En effet, le

droit international ne distingue pas les diverses sources formelles selon leur degré de

généralité. La Cour constitutionnelle fédérale fait aujourd’hui en faire de même puisqu’elle

applique directement les normes du droit international selon la terminologie du droit

international et avec les méthodes du droit international. En cela, le maintien du fondement

constitutionnel de l’application des normes internationales non écrites peut sembler

contradictoire (« Le ius cogens, du droit international coutumier et des principes généraux de

droit appartiennent aux règles générales du droit international au sens de l’article 25

LF »248). Une application moniste avouée des normes internationales non écrites ajouterait à

la cohérence du droit.

En France, malgré un mode d’application des normes internationales (qu’il soit de

système mixte ou moniste selon les juridictions) qui ne s’oppose pas à une classification des

normes internationales similaire au droit international, la reconnaissance du caractère

particulier des règles coutumières par les juridictions n’a été que récente (à l’exception du

juge judiciaire) et demeure marginale.

B. En France

En France, le droit coutumier international est rarement mis en œuvre par les juridictions.

Le droit coutumier n'a pas bénéficié de la dynamique qui a élargi l'applicabilité des

conventions dans l'ordre juridique interne249.

Les raisons de la rareté des précédents sont multiples et tiennent à la « psychologie »

du juge national mais surtout à certaines garanties procédurales des recours contentieux

internes. Le juge national manifeste une préférence marquée pour l'application des règles

écrites. Aussi accueille-t-il plus volontiers des conclusions fondées sur la coutume

internationale lorsque celle-ci est incorporée dans une convention de codification que si elle

248 « Zu den Allegemeinen Regeln des Völkerrechts im Sinne des Art.25 GG gehören das ius cogens, das Völkergewohneitsrecht und die allgemeine Grunsätze ». 249 CE, Ass. 20 octobre 1989, Nicolo, Rec. 190, concl. Frydman; voir également G.A.J.A., 1999, 12ème édition, n°106, p.732 : supériorité du traité sur la loi même postérieure.

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ne peut être déduite que d'opinions doctrinales. Même lorsqu'il accepte d'appliquer une règle

coutumière, le juge national hésite à le reconnaître explicitement. A titre d’exemple, la Cour

de cassation, en son arrêt du 6 octobre 1983 (« affaire Barbie ») préfère recourir à

l'appellation de « principe général de droit international »250. Toutefois, il existe quelques

exceptions251. La coutume internationale est largement étrangère à la pratique juridique du

juge français. Comment la constater, l'interpréter, l'appliquer ? Faut-il renvoyer à l'autorité

exécutive ?

Si les références directes à la coutume ne sont pas absentes de la jurisprudence, il est

cependant difficile d'en systématiser les enseignements, d'autant plus que l'attitude des

différentes juridictions est, comme en matière de principes généraux de droit, peu cohérente.

1. le Conseil Constitutionnel et la coutume :

Le Conseil Constitutionnel a été mis à plusieurs reprises en situation d'opérer une

application des règles coutumières. Il ne l'a fait de manière explicite que dans sa décision

relativement récente Maastricht I. Le principe Pacta sunt servanda n'est néanmoins pas

expressément qualifié comme une règle coutumière, ni même la règle coutumière de

reconnaissance de la personnalité juridique des organisations internationales.

Avant la jurisprudence Maastricht I, Le Conseil Constitutionnel s'était brièvement

prononcé sur l'applicabilité de « principes du droit international » (qui sont une forme de

coutume universelle), mais sans leur donner d’effet. Il a ainsi relevé que les dispositions de la

loi relative à l'autodétermination des îles des Comores « ne mettent en cause aucune règle du

droit public international », alors que la compatibilité de la procédure de consultation de la

population avec le principe du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes était contestée252.

Dans un certain nombre d'hypothèses, la coutume n'a pas à être directement prise en

considération car des dispositions textuelles en reprennent et en précisent les règles, les

rendant ainsi applicables au titre du droit écrit. La Constitution doit ainsi être considérée

comme déclaratoire de diverses normes coutumières : la notion de souveraineté internationale

250 J.C.P. 1983.II.20107. 251 T.G.I. Seine, 17 janvier 1964, Consul général d'Argentine, A.F.D.I. 1965, p.970 et C.A. Rennes, 26 mars 1979, Rego Sanles, A.F.D.I. 1980, p.823. Il en va de même pour le Conseil d'Etat : C.E., Sect., 23 octobre 1987, Sté Nachfolger, Leb. P.319, concl. Massot 252 DC, 30 décembre 1975.

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figure au Préambule ; l'article 53 applique le principe du droit des peuples à disposer d'eux-

mêmes.

Avant la décision Maastricht I, la jurisprudence du Conseil Constitutionnel en matière

de coutumes internationales pouvait être interprétée de trois manières. Il était possible d’en

déduire l'inapplicabilité de principe des coutumes. Mais, l’absence d’application des coutumes

pouvait simplement être lié au caractère non coutumier des règles et principes invoqués et

non-retenus au contentieux, ou à leur caractère insuffisamment assuré. Enfin, l'applicabilité de

principe des coutumes pouvait également être plausible. Il est parfaitement concevable que

certaines règles coutumières invoquées devant le Conseil Constitutionnel aient vu leur

application refusée, non à raison d'un argument de principe, mais parce que la violation dont

elles avaient fait l'objet a pu ne pas paraître suffisamment établie pour entraîner un effet

juridique (l'annulation de la loi contraire, par exemple).

Il est possible de raisonner sur trois des principes invoqués comme coutumiers devant

le Conseil253 : le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, le principe de non-balkanisation,

et le principe d'un effet extra-territorial des nationalisations. A quoi il convient de joindre le

principe pacta sunt servanda (Maastricht I).

Le nature du principe du respect du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes est

vraisemblablement coutumière254 mais sa violation est trop improbable, s'agissant de

plébiscites d'auto-détermination des peuples, comme c'est le cas en l'espèce255.

La jurisprudence relative au principe de non-balkanisation est bien plus complexe

puisque les arguments susceptibles de permettre la qualification de ce principe en tant que

253 Soit à raisonner exclusivement sur les décisions « Comores », « nationalisations » et « Maastricht I ». Il n'y a probablement rien à tirer des deux autres : l'idée de violation d'une coutume n'"était probablement pas fondée dans l'affaire de la convention franco-allemande d'entraide judiciaire, et le Conseil avait complètement éludé le problème sur un autre terrain dans l'affaire néo-calédonienne (196 DC, 197 DC, L. Favoreu, L. Philip, les grandes décisions du conseil constitutionnel, 11ème édition, 2001, n°38 p.625-652). 254 Et ceci malgré – ou peut-être grâce à – l'affirmation solennelle dont ce droit à fait l'objet, notamment dans les articles 2 et 55 de la Charte des Nations-Unies, ainsi que dans les préambules des deux pactes internationaux relatifs aux droits de l'Homme de 1966. C'est en tous cas ce qu'en pense un certain nombre d'auteurs (par exemple, l'analyse très nuancée de J.F. Guilhaudis : Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, P.U. Grenoble 1976, p. 177 et svtes). 255 dans sa décision relative à l'autodétermination des Comores (59 DC du 30 décembre 1975 relative à l'autodétermination des Comores), le Conseil Constitutionnel avait admis l'applicabilité de l'article 53 al. 3 de la Constitution au cas des T.O.M., aux termes duquel « nulle cession, nul échange de territoire n'est valable sans le consentement des populations intéressées ». Députés socialistes et communistes avaient mis en cause, en décembre 1975, la loi par laquelle était reconnue l'indépendance des trois îles de l'archipel des Comores tandis que le sort de la quatrième, Mayotte, devait être tranchée après consultation de la population : les députés de l'Union de la Gauche reprochaient à cette loi de ne pas avoir globalement reconnu l'indépendance de l'archipel et d'avoir ainsi méconnu les règles du « droit public international », notamment celles contenues dans la charte des Nations-Unies, et des principes généraux du droit qui imposeraient notamment la non-balkanisation des territoires coloniaux accédant à l'indépendance. En fait, dans sa décision 59 DC (île de Mayotte), le Conseil Constitutionnel a refusé de se placer sur le terrain du droit international, et a apprécié la constitutionnalité de la loi au regard du seul article 53 de la Constitution

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coutume appellent à une extrême prudence. Sans doute, une telle règle féconde une large part

du droit institutionnel de l'ONU256. Pour cette raison, cette règle coutumière est fréquemment

présentée comme le complément inséparable du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Si

l'on y ajoute que l'histoire diplomatique l’après-guerre tend manifestement à joindre les deux

exigences, il devient plausible que ces droits participent d'une même nature coutumière. A

supposer qu'une telle coutume existe, son contenu demeure ambigu : il faut admettre que le

contenu des deux droits promus dans le même paquet (principe du respect du respect du droit

des peuples à disposer d'eux-mêmes et principe de non-balkanisation) peut se révéler

antinomique. A la lettre, l'intangibilité des frontières coloniales peut se présenter comme un

sérieux obstacle à l'autodétermination des « peuples ». Enfin, une autre lecture crédible du

principe y voit un soin particulier mis à protéger les territoires contre les seules agressions

venues de l'extérieur. Ainsi, le Conseil a pu ne pas voir là la coutume qu'on lui promettait. De

même, il a pu, tout aussi bien, l'identifier comme tel, mais estimer que son contenu la rendait

inopposable à la loi en cause.

Enfin, il n'est pas acquis que le principe de prohibition de tout effet extra-territorial des

nationalisations soit une coutume. L'existence d'une telle règle de droit international est, en

soi, déjà contestable257. De plus, cette règle s'apparente davantage, bien que de façon

incertaine, à un principe général de droit. Il reste néanmoins édifiant de constater que la

doctrine la plus autorisée apparaît totalement partagée sur l'existence d'un tel principe, comme

sur sa valeur258. Ainsi, la révélation d'une opinio juris sûre et généralisée paraît assez

hypothétique, tout au moins si l'on considère l'état du droit antérieur à la décision du Conseil

Constitutionnel259. Même supposée cette coutume révélée, il n'est toujours pas certain qu'elle

256 Voir V.A. N'Kolumbua : « L'ambivalence des relations entre le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et l'intégrité territoriale des Etats en droit international contemporain », Mél. Chaumont, p.433 257 De façon plus générale, sur l'incertitude du droit coutumier en matière de nationalisations, V. I. Seidl-Hohenveldern, « Le droit international des nationalisations », Actes du symposium sur le droit des nationalisations à l'occasion de la remise du doctorat H.C. au professeur Seidl-Hohenverdelrn, Paris V 1978, p. 6 258 En faveur d'une telle reconnaissance, H. Batifol et P. Lagarde, Droit international privé, L.G.D.J. 1976 (6e ed), p. 168; Y. Lossouarn : mémoire précité in Nationalisations et Constitution. En sens inverse, ou manifestant d'extrêmes réserves, B. Goldmann : art. cit J.D.I. 1982, p. 318; Seule certitude, la jurisprudence de la Cour de Cassation, indiscutablement favorable à l'existence d'un tel principe, considéré, du reste, comme d' « ordre public » (Cass 20 Fev 1979 Rev. Cr. D.I.P. 1979, p. 803, note Batifol). Mais cette affaire là concernait une hypothèse où ce n'était pas la France qui nationalisait, et l'on a pu citer, là aussi des précédents contraires (v. B. Goldmann, art. cit. J.D.I. 1982, p. 318). 259 La décision du Conseil Constitutionnel pouvant être considérée comme un précédent coutumier pour la formation d'une règle selon laquelle un effet extra-territorial médiat n'est pas illicite par lui-même, puisqu'il constitue un « fait » (En ce sens, G. Burdeau, « La contribution des nationalisations fançaises de 1982 au droit international des nationalisations », R.G.D.I.P. 1985, p. 26). De toute manière, l'identification d'une telle opinio juris généralisée se satisfait très mal des précédents diamétralement opposés que l'on a pu recenser ici et là (B. Goldmann, op. cit., p. 166).

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possède exactement le contenu et la portée que lui prêtaient les parlementaires de 1982260, et

encore moins acquis que les nationalisations françaises y aient gravement contrevenu.

Les règles coutumières invoquées semblent ainsi trop incertaines pour prétendre tirer

des conclusions définitives sur la non applicabilité et la non-invocabilité des coutumes devant

le Conseil constitutionnel à partir de ces décisions : aucune des règles jusqu'ici apportées

devant lui n'était assez sûre ou assez nettement violée pour cela.

Reste donc la décision Maastricht I, et notamment « Pacta sunt servanda ». Sur la

nature de ce dernier, il n’existe pas de doute au regard de la théorie du droit international : il

s'agit bien seulement d'une coutume261. L'obstacle provient de ce que, contrairement aux

hypothèses évoquées ci-dessus, la reconnaissance de cette règle par le Conseil Constitutionnel

ne s'est pas opérée dans le contexte d'un contrôle de validité de la loi, à qui l'on aurait opposé

la coutume, mais dans le cadre d'un examen indirect, où le juge constitutionnel a simplement

affirmée que la France était liée par ce principe à l'égard de ces partenaires. Mais si « pacta

sunt servanda » s'impose à la France, c'est bien qu'il s'agit d'une norme juridique à part

entière. De quoi pourrait-il s'agir d'autre ? Que pourrait signifier l'idée que la France ne peut

contrôler les traités en vigueur parce que cela aboutirait à remettre en question ses

engagements contrairement au principe Pacta sunt servanda 262 si ce dernier ne se conçoit pas

comme constitutif d'une obligation juridique pure et simple.

Si tel est bien le cas, et que la nature coutumière de cette prescription est avérée, force

est donc bien de tirer le raisonnement à son terme : la France est juridiquement liée par une

coutume internationale. Par ailleurs, il en est de même en ce qui concerne la personnalité

juridique des organisations internationales également reconnue par la jurisprudence

Maastricht I.

La seule question n'est donc pas relative à l'applicabilité de la coutume internationale,

mais bien seulement de son rang hiérarchique, et singulièrement du point de savoir si elle

260 Les spécialistes de droit international privé dissertent abondamment de tout cela. De multiples variantes sont possibles, qui modulent considérablement la portée de la règle. C'est ainsi que le principe pourrait connaître de nombreuses et importantes amodations et exceptions, tenant aussi bien à la nature des biens nationalisés (corporels ou non, actifs ou actions) au caractère médiat ou immédiat de la nationalisation, à sa régularité juridique, de même qu'à un éventuel comportement compréhensif de l'Etat requis. Sur ces points, voir en plus des références déjà citées, notamment dans les notes sous les décisions du Conseil Constitutionnel, A.K. Boye, L'acte de nationalisation, Berger-Levrault, 1979, p. 182 et F. Boulanger, Les nationalisations en droit international privé comparé , Economica 1975, p. 207 sq. 261 Essentiellement parce qu'il ne peut pas s'agir d'autre chose, et notamment pas d'un principe général de droit reconnu par les nations civilisées, dans la mesure où la définition même de ce dernier exclut toutes les règles dont l'objet initial est de régler les relations juridiques entre les Etats. 262 Ce qui représente l'objet et le sens de cette invocation du principe par le Conseil Constitutionnel.

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peut, ou non, constituer la norme de référence d'un contrôle de la loi devant le Conseil

Constitutionnel.

Pour en rester encore à cette seule question de l'applicabilité, un bref bilan peut être mis

en évidence. Certes, la coutume internationale apparaît comme une « mauvaise » norme de

référence pour un contrôle « de constitutionnalité » : son potentiel de mutabilité est important,

du fait d'un traité ou d'une nouvelle coutume. Et le mouvement semble peu compatible avec

la supralégalité. Reste qu'en terme de probabilité d'application, c'est même plutôt vers elle

qu'il faudrait se diriger. La coutume apparaît comme la plus « crédible » des normes non

écrites. Elle est surtout celle dont le besoin peut se faire le plus sérieusement sentir lorsque les

traités sont silencieux. C'est bien l'évidence d'une telle nécessité qui ressort d'ailleurs de la

jurisprudence administrative. La coutume est applicable parce qu'il est difficilement

concevable qu'il en aille autrement.

2. le juge administratif et la coutume

Le « principe général de droit international » reconnu par le Conseil d'Etat en l’affaire

Nachfolger n’était pas un véritable un principe général de droit mais une coutume. Par sa

jurisprudence ultérieure Aquarone du 6 juin 1997, le Conseil d'Etat accepte désormais de

mentionner la coutume263. La coutume a ainsi fait son entrée officielle dans la jurisprudence

du Conseil d'Etat.

La reconnaissance de la nature particulière des règles coutumières par le juge judiciaire est

bien plus ancienne.

3. Le juge judiciaire et la coutume

Le juge judiciaire applique traditionnellement la coutume, notamment en matière

d'immunité de juridiction et d'exécution des Etats étrangers, et de compétence extra-

territoriale des autorités françaises. Il faut également relever que la plus haute autorité

judiciaire a confirmé implicitement la démarche de certains tribunaux qui, en matière de

pêche maritime, avaient accepté d'examiner les arguments tirés du droit de la mer

263 C.E., Ass., 6 juin 1997, Aquarone ; concl. G.Bachelier confirmant une décision de la Cour administrative d'appel de Lyon : CAA Lyon, 5 avril 1993, Leb. P.439.

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coutumier264. Le paradoxe est que ce résultat est atteint en niant, en l'espèce, le droit des

tribunaux inférieurs de se prononcer sur la compatibilité de différentes normes internationales

(obligation de renvoi pour question préjudicielle à la Cour de Justice des Communautés

Européenne).

Les raisons de cette plus grande disponibilité du juge judiciaire à l'égard de la coutume

sont difficiles à élucider. Peut-être le fait qu’il ait à imposer le droit international à des

citoyens et pas à des pouvoirs tient-il un rôle dans tout cela… Mais s'agissant de la coutume,

née de comportements étatiques, cette distinction aurait pu jouer en un sens exactement

inverse. Cela étant, cette meilleure disposition du juge judiciaire n'emporte aucune sympathie

véritable à l'égard de la coutume. La célèbre affaire « Argoud », par exemple, poussait la Cour

de Cassation à estimer « que l'accusé est sans qualité pour se prévaloir des règles du droit

international public »265. Mais l'illustration la plus parlante de cette prudence réside dans

l'attitude qu'eut la Cour de Cassation face aux enthousiasmes internationalistes de certaines

Cour d'Appel en matière de délimitation des zones de pêche maritime266. Une série d'arrêts267

avaient admis l'existence d'une coutume nouvelle : la règle des 200 milles, et sa prévalence

sur la Convention de Genève que la coutume était donc censée avoir abrogée. Mais la Cour de

Cassation va réfréner un peu ces avancées. Pour celle-ci, certes le texte international le plus

récent prévaut parce que telle est la seule façon de « tenir compte de l'évolution du droit

international 268» mais cela ne vaut justement que pour les textes.

La réserve gardée par la Cour de Cassation ne possède cependant pas le poids de celle du

Conseil d'Etat. Devant elle, en effet, l'applicabilité de principe de la coutume n'est pas un

instant discutée : son effet abrogatoire est seul remis en cause. Les références expresses à la

coutume sont classiques, et depuis longtemps dans la jurisprudence judiciaire269.

Devant les juridictions allemandes et françaises, il existe actuellement une tendance à

appliquer les normes internationales en conservant leur nature propre (ainsi que la

terminologie) de droit international. De plus, la nature de la norme (coutume ou principe

général de droit) devient le critère prédominant de l’applicabilité des normes internationales

non écrites. Les critères d’applicabilité et la qualification spécifique de ces normes déterminés 264 Cass. Crim., 7 juillet 1980, Cruijeras Tome, G.P. 1981.I.p. 106. 265 Cass. Crim. 4 juin 1964; J.C.P. 1964, n° 13806; A.F.D.I. 1965, p. 935, note Kiss. 266 Sur l'ensemble des problèmes, v. Y. Rodriguez et H. Ruiz-Fabri, Les pêcheurs espagnols dans l'Europe bleue, P.U. Bordeaux, 1989. 267 CA Rennes, 9 mai 1978, Martinez Queiruga et 26 mars 1979, p. 220, Chron. Vallée. 268 C. Cass., crim., 7 juillet 1980, Crujeiras Tome, Bull. crim. P. 563.

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par le droit interne semblent progressivement s’effacer. Mais, le critère d’applicabilité selon la

nature des normes applicables (coutumes ou principes généraux de droit) n’en demeure pas

moins contesté. Un rôle subsidiaire est dévolu aux éventuelles spécificités de contenu dont

certaines de ces règles seraient porteuses.

Section 2. La détermination des normes applicables selon leur contenu

On peut avancer deux sous-critères à l’applicabilité des normes selon leur contenu.

L’applicabilité serait d’abord conditionnée par le caractère absolu, ou du moins général, de la

norme en cause (I). Dans une certaine mesure, elle serait ensuite déterminée en fonction du

degré de sa compatibilité avec le droit national (II).

I. L'applicabilité des normes non écrites déterminée par leur caractère général ou

absolu

En Allemagne, la généralité de la norme est selon l’article 25 de la Loi Fondamentale

une condition d’application de la norme internationale en droit interne. Pourtant, les organes

d’application du droit se sont écartés de ce critère d’application. A l’opposé, en France, il

n’existe pas de telle condition constitutionnelle à l’application des normes internationale mais

les organes d’application du droit prennent en considération le caractère absolu ou intangible

de la norme.

A. En Allemagne

Selon la lettre de l'article 25 de la Loi Fondamentale, seules les « règles générales du

droit international sont applicables ». Nous avons déjà relever que cette condition de

généralité avait été réduite – sinon écartée – par la Cour constitutionnelle fédérale dans sa

jurisprudence relative aux coutumes. Il reste que certains éléments relatifs aux éléments

constitutifs de la généralité et à l’exclusion de certaines sont à apporter. Enfin, les normes de

ius cogens sont appliquées conformément à leur caractère impératif en droit international. 269 Voir par ex. T.G.I. de la Seine, 24 mai 1961, A.F.D.I. 1962, p. 962 ; T.G.I. de la Seine, 17 janvier 1964,

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1. Les éléments constitutifs de la généralité

Ni le niveau d'abstraction270, ni la portée de la norme ne sont des éléments constitutifs

de la généralité. Selon la jurisprudence actuelle de la Cour constitutionnelle fédérale, le

principal élément constitutif de la généralité est le principe selon lequel le sujet de droit

international concerné est lié à l'ensemble des règles de manière objective. Certes, les règles

générales du droit international comprennent en premier les règles universelles valides du

droit international271. Mais le critère de la généralité ne signifie pas pour autant que les règles

coutumières particulières soient exclues des normes applicables selon l’article 25 de la Loi

Fondamentale.

La Cour constitutionnelle justifie sa position selon les règles du droit international

elles-mêmes et non selon le fondement constitutionnel. En droit international, le droit

coutumier peut aussi posséder un domaine d’application limité dans l’espace et dans le temps

ainsi qu’avoir pour destinataires des sujets de droit international particuliers272. D’après la

Cour constitutionnelle le texte même de l’article 25 par son sens et de par sa fonction – qui

consiste à maintenir en harmonie l’ordre juridique interne et à respecter les obligations

internationales de la Fédération – ne justifie pas l’exclusion du droit coutumier particulier

d’une applicabilité interne.

2. L’exclusion des règles coutumières qui se sont développées dans le cadre de normes

particulièrement consenties

Certaines normes sont toutefois exclues de l’applicabilité sur le fondement de l’article

25 en raison du critère de généralité. Les normes exclues sont celles qui se sont développées A.F.D.I. 1965, p. 970. 270 A l'instar de la distinction en droit interne entre norme (Norm) et acte individuel (Einzelakt). 271 BVerfGE 23, p. 288 sqs. (317) ; 31, p. 145 sqs. (177).

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dans le cadre d’une autre norme particulièrement consentie et en particulier dans le cadre d’un

traité. Cela vaut notamment pour le droit coutumier communautaire qui s’est formé dans le

cadre des traités communautaires. Par exemple, la règle selon laquelle l’abstention n’est pas

considérée comme un obstacle à l’unanimité dans la procédure de décision du Conseil des

ministres ne remplit pas la condition de généralité ; il en est de même pour la règle selon

laquelle une procédure de consensus informelle peut être pratiquée en lieu et place d’un vote

formel. En dehors du droit communautaire, les transformation du contenu matériel de traités

spécifiques liant les parties par des règles coutumières n’a pas en principe d’effet en droit

interne. Cette dernière règle repose également sur le rang réciproque entre règles générales du

droit international et traités en droit interne selon la Loi Fondamentale.

La généralité de l’article 25 signifie que l’ensemble du droit international non écrit est

applicable à l’exception des règles dont l’existence en droit international découle d’une norme

particulièrement consentie par la Fédération. Les normes de ius cogens, en raison de leur

caractère absolu et impératif, privilégient toutefois d’un régime d’application particulier.

3. Les normes de jus cogens.

Le juge constitutionnel allemand reconnaît une existence particulière aux règles

impérieuses du droit international (ius cogens)273. Les règles du ius cogens ne sont pas

considérées comme des « règles coutumières », le juge ayant estimé que le mode de formation

et de disparition des règles de droit coutumier était trop conjoncturel (nachgiebiges) pour

assurer leur respect274.

En Allemagne, la condition de généralité de l’article 25 de la Loi Fondamentale a été

globalement écartée par la Cour constitutionnelle fédérale même si celle ci continue de

conditionner formellement l’applicabilité des normes internationales non écrites à une

exigence de généralité. L’applicabilité des normes universelles du droit international n’en

272 C.I.J., 20 novembre 1950, droit d’asile (Colombie contre Pérou), Rec. 1950, p. 6 ; C.I.J., 12 avril 1960, droit de passage en territoire indien (Portugal/Inde), Rec. 1960, p. 6 ; C.I.J., 27 août 1952, Ressortissants américains au Maroc (Etats-Unis/France), Rec. 1952, p. 176. 273 BVerfGE 18, p. 441 sqs. (448) : reconnaissance de l'interdiction du recours à la force, de l'interdiction du crime de génocide et de la torture et de la nécessité de protéger les principaux droits fondamentaux par exemple l’interdiction de l'esclave mais aussi le droit de pratiquer librement sa religion dans la sphère privée…; Jochen Abr. Frowein, Rolf Kühner, « Drohende Folterung als Asylgrund und Grenze für Auslieferung und Ausweisung », ZaöRV n°43, 1983, p. 537. 274 BVerfGE 18, p. 441; BFHE 124, p. 480 sqs. (487)

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demeure pas moins privilégiée ne serait-ce que parce que la preuve de leur existence est

facilitée et que leur application n’est pas soumise, en droit international, à une condition de

réciprocité. En France, un tel critère d’applicabilité des normes selon leur caractère général

ou absolu est davantage justifié par les attributions contentieuses des juridictions.

B. En France

Alors que le juge judiciaire applique traditionnellement les coutumes quelque soit leur

contenu (3), le juge administratif a soumis à quelques occasions cette application des normes

internationales non écrites au caractère indérogeable de la norme (1). L’invocabilité d’une

norme internationale non écrite devant le Conseil constitutionnel conduit nécessairement à la

censure de la loi. Par conséquent, il est envisageable que le juge constitutionnel français ne

soit amené à appliquer que les normes internationales d’un caractère absolu et indérogeable

(2).

1. Devant le juge administratif

Le refus du Conseil d’Etat d’appliquer une norme coutumière en la jurisprudence

Nachfolger semble reposer sur un doute relatif au caractère absolu de la règle. En l’espèce, le

comportement de la France heurtait manifestement le principe coutumier de souveraineté

nationale275. Or, la non-condamnation de l’Etat, motif pris de ce qu'aucun « principe de droit

international » n'était méconnu ne peut s'analyser que comme un doute non pas sur

l’existence du principe coutumier de souveraineté (elle est évidente) mais sur sa « non-

dérogeabilité ». Pourtant, Le Conseil d’Etat aurait pu reconnaître positivement l'existence du

principe de souveraineté mais se fonder secondairement sur un autre principe qui permet des

dérogations au premier face au péril immédiat276.

275 la réglementation d’une activité extérieure au territoire français 276 C’est notamment l’opinion de M. Azibert et Mme. de Boisdeffre, p. 728. Rappelons qu’en l’espèce il s’agissait de la destruction d’un navire étranger en haute mer par la marine nationale.

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Il n’est toutefois pas avéré que le Conseil d’Etat se limite à appliquer les règles qui, selon

lui, ont le caractère d'un principe fondamental, général du droit au sens large277. Sans doute,

une telle « essentialité » présente quelques avantages. Le moindre d'entre eux serait de régler

sans dommage le problème de la preuve de la coutume, d'autant plus visible que la norme

serait imposante. Mais les inconvénients sont au moins aussi grands. D’abord, le droit interne,

notamment le droit constitutionnel, consacre la plupart des règles absolues et impératives.

Ensuite, on ne voit guère quel fondement juridique autorise de rompre avec la logique

nécessaire selon laquelle l'importance – forcément subjective – d'une norme ne saurait

déterminer son applicabilité. Le plus plausible revient donc à raisonner en termes de

pertinence, d'exacte adéquation de la norme internationale au litige en cause, et non en terme

de « fondamentalité ». Si technique ou mineure soit elle, une coutume doit pouvoir être

appliquée dans l'ordre interne dès lors qu'elle fournit une réponse exactement adaptée à la

question juridique posée. La jurisprudence récente du Conseil d’Etat semble annoncer une

évolution en ce sens : la coutume appliquée en sa jurisprudence Paulin est une coutume fiscale

(en l’espèce, l’exonération de l’impôt sur le revenu sur les pensions des anciens

fonctionnaires de l’O.N.U.).

L’application des normes internationales non écrites par le Conseil constitutionnel

entraînerait nécessairement, en raison du contentieux constitutionnel français, prévalence de

ces normes sur la loi. En cela, il existe une raison pour que le juge constitutionnel soumette

l’invocabilité (mais pas nécessairement l’applicabilité) des normes internationales non écrites

devant lui à un critère relatif au caractère général ou absolu de la norme.

2. Devant le juge constitutionnel

Le Conseil constitutionnel n’a jamais imposé au Parlement l'obligation de respecter une

règle internationale d'importance mineure ou exagérément technique. Tant et si bien que le

champ d'application de la coutume devant le juge constitutionnel paraît devoir se circonscrire

aux normes de compétence territoriale, aux règles de forme et de procédure conventionnelle

internationale et à Pacta sunt servanda.

La question des droits de l'homme est plus épineuse. Nguyen Quoc Dinh avait émis l'idée

selon laquelle le Conseil Constitutionnel serait amené à censurer par préférence le viol des

277 Et il est vrai, par comparaison, que la Cour de cassation avait, un temps, marqué sa préférence pour les « règles absolues du droit public international » (14 mars 1923, S. 1923, p. 241).

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règles de ius cogens278. Mais certaines réserves sont concevables à l'égard de cette règle.

D’abord, la France a marqué une trop grande opposition à l'égard de cette notion pour qu’elle

puisse sans difficulté s'imposer au législateur (refus d’être liée par la Convention de Vienne

en raison de son article 53 qui définit le ius cogens). Ensuite, le ius cogens n'a pratiquement

pas de contenu établi. Les rares normes qui lui appartiennent avec assurance sont des droits de

l’homme « élémentaires » (prohibition de l'esclavage, de la piraterie) ou de large consensus

contemporain (le principe du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes)279 dont le contenu est

généralement déjà présent dans le texte constitutionnel de telle sorte que le Conseil

constitutionnel appliquera préférentiellement ce dernier.

La question d’une application particulière des normes de ius cogens a été également posée

devant la Cour de cassation.

3. Devant le juge judiciaire

La mise en œuvre d’un critère du contenu général ou absolu de la norme conditionnant

l’applicabilité de la norme n’est pas relevable dans la jurisprudence de la Cour de cassation.

Par contre, l’application par la Cour de cassation de la règle prohibant toute dérogation

aux normes impératives du droit international a été envisagée par l’avocat général J.-Y.

Launay dans ses conclusions sous un arrêt du 13 mars 2001280. L’avocat général près de la

Cour de cassation y démontre que la jurisprudence internationale a reconnu l’autorité de la

norme interdisant tout manquement au ius cogens281 et, qu’en conséquent, la norme fait partie

intégrante du droit international non écrit.

278 Nguyen Quoc Dinh, « Le Conseil constitutionnel et les règles du Droit public international », R.G.D.I.P. 1976, p. 1030. 279 Sur le contenu du ius cogens comme ensemble de « règles impératives du droit international général », C. Chaumont : « Mort et transfiguration du Jus cogens », Mél. Gonidec, p. 469; M. Virally : « Réflexions sur le Jus cogens », A.F.D.I. 1966, p. 7; C. de Visscher : « Positivisme et Jus cogens », R.G.D.I.P. 1971, p. 6; P. Weill, art. cit, R.G.D.I.P., 1982, p. 5 280 Cass. Crim., 13 mars 2001, Pourvoi n° 00-87.215, Procureur général près de la Cour d’Appel de Paris c/ Association SOS Attentats et autres, concl. Av. gén. J.-Y. Launay, Gaz. Pal., 25-29 mai 2001, n° 145-149, p. 27-39 281 S’agissant de cette norme, ont été citées, par M. Launay, les espèces suivantes : - Jugement rendu dans l’affaire Furindzija par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (10

décembre 1998) - Avis consultatif rendu par la Cour internationale de justice au sujet de l’utilisation des armes nucléaires

(8 juillet 1996) M. Launay a également fait état de la notion d’ « ordre public européen » que l’on rencontre dans la jurisprudence européenne des droits de l’homme.

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Pourtant, d’après M. J.-Y Launay, le ius cogens n’est pas applicable par les juridictions

internes en tant que norme impérative susceptible de prévaloir sur une autre norme

internationale applicable en raison de l’hostilité de la France, à la fin des années 60, à l’égard

de normes internationales impératives282.

En raisonnant ainsi, l’avocat général a fait application, sans le dire, de la règle de

l’objecteur persistant. Selon cette règle, une coutume internationale est inopposable à un Etat

qui a rejeté cette dernière dès sa naissance et qui, par un comportement ultérieur, a manifesté

une hostilité à l’endroit de ladite coutume283. Ainsi, la règle de l’objecteur persistant –

applicable en tant que règle non écrite, dans l’ordre juridique français – conduit à rendre

inapplicable, en l’espèce la norme internationale de droit non écrit interdisant toute dérogation

à une règle de ius cogens et assurant, en conséquence, la prévalence du droit international

impératif. Dans sa décision, la Cour de cassation a suivi le raisonnement de l’avocat général.

En droit français, l’application privilégiée des normes internationales au contenu

indérogeable et absolue est essentiellement lié aux attributions contentieuses des juridictions.

Par contre, en Allemagne, la Cour constitutionnelle fédérale s’est attribuée, même si le

fondement constitutionnel des normes internationales demeure formellement conservé, la

compétence d’appliquer le droit international selon les règles du droit international. Une telle

évolution peut sembler paradoxale, l’article 25 de la Loi Fondamentale étant plus contraignant

que l’alinéa 14 du préambule de 1946 ou que le mode d’application moniste des normes

internationales non écrites devant les juridictions ordinaires françaises. Elle démontre

toutefois que l’application des normes internationales dépend davantage de la manière dont

les organes d’application du droit se positionnent eu égard à la relation entre droit

international et droit interne que des dispositions constitutionnelles pertinentes. La même

chose est valable pour un second critère d’application du droit international selon son

contenu : celui de son degré de compatibilité avec le droit interne.

282 « Pour sérieux que puissent paraître [les arguments] tirés d’un « jus cogens » supérieur…, ils se heurtent … pour la France, du fait que notre pays n’a pas reconnu le concept de « jus cogens » tel que défini par la Convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969, et que c’est la raison pour laquelle la France n’a pas adhérée à cette convention jusqu’à présent » (concl. Launay, ibid, p. 31, col. droite) 283 Si l’on considère que la règle interdisant de déroger au droit international impératif s’est intégrée au droit international postérieurement à la convention de Vienne sur le droit des traités (23 mai 1969), il faut alors estimer que la France a manifesté une hostilité à l’égard de cette règle avant sa naissance, c’est-à-dire avant qu’elle n’appartienne au droit international positif : en effet, l’Etat français fit connaître son opposition au ius cogens, tel qu’il est conçu dans la Convention du 23 mai 1969, à la fin des années 60, lors des discussions qui précédèrent la signature de la convention.

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I. L'applicabilité des normes déterminée par le degré de sa compatibilité avec le

droit interne

Alors qu’en France, les juridictions tendent à privilégier une application du droit

international conforme au droit interne (B), en Allemagne, le précepte opposé prévaut devant

les organes d’application du droit : le précepte est celui d’une interprétation et d’une

application du droit interne conforme au droit international (A).

A. En Allemagne

D’après la Cour constitutionnelle fédérale, avant qu’une atteinte à une règle générale du

droit international puisse être constatée, toutes les possibilités d’une interprétation conforme

au droit international de l’acte juridique dont il est question sont à épuiser284. En présence de

normes d’autorisation du droit international général, le juge constitutionnel allemand vérifie si

l’acte juridique interne dont il est question respecte les frontières fixées par le droit

international. La Cour constitutionnelle fédérale – par un raisonnement moniste ne séparant

pas l’ordre international de l’ordre interne – s’attribue ainsi la fonction de juge des actes

d’application du droit international.

En France, une telle extension contentieuse des organes d’application du droit – qui

attribue au juge interne une compétence de juge international en tant que juge des actes

d’application du droit international285 - est encore embryonnaire.

B. En France

Bien que le juge français s’est attribué une compétence pour appliquer les normes

internationales non écrites, l’application de celles-ci demeure en pratique subordonnée à une

condition de compatibilité avec le droit interne. Cela tient aux conditions d’intervention

respective des juges.

284 BVerfGE 64, p. 1 sqs. (20). 285 Un tel raisonnement n’est pas excessif. Il existe également en droit communautaire selon lequel les juges internes ont la fonction de « juges ordinaires » de l’application du droit communautaire.

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1. Le juge constitutionnel

D’après Louis Favoreu, le potentiel d’applicabilité du droit non écrit contre la loi est

strictement conditionné par une stricte exigence de compatibilité avec la Constitution286. On

peut faire abstraction de l’hypothèse d’un droit doublement proclamé par voie

constitutionnelle et par voie internationale, puisque le juge constitutionnel irait au plus simple

vers la source constitutionnelle287. Mais qu’en est-il justement du cas où cette identité n’existe

pas ? Le Conseil peut-il opposer au législateur une coutume internationale

inconstitutionnelle ?

Rien ne permet d’affirmer que l’alinéa 14 du préambule de la Constitution de 1946

interdit la dérogation internationale à la Constitution. Mais, ce problème trouve, selon le

Président Louis Favoreu, immédiatement sa solution par un autre biais. Le Conseil

constitutionnel dispose d’une stricte compétence d’attribution. Son incompétence est totale à

dire la licéité – fût-elle internationale – du texte constitutionnel. C’est pourtant ce qu’il serait

implicitement obligé de faire en appliquant une coutume incompatible avec la Constitution.

Une telle position semble toutefois confondre deux aspects de l’application des normes

par les organes de droit interne : l’applicabilité elle-même et l’invocabilité. La compétence

d’attribution du Conseil constitutionnel exclut l’invocabilité de normes incompatibles avec la

Constitution devant cet organe mais non la possibilité pour les autres organes de droit interne

d’appliquer ces normes. En particulier, une application de normes incompatibles avec la

Constitution est tout à fait envisageable par un mode d’applicabilité moniste des normes

internationales.

2. Le juge administratif

Un problème similaire se pose au juge de l’administration, s’agissant non pas de la

Constitution, mais aussi de la loi. Le Conseil d’Etat ne peut en principe selon sa compétence

écarter l’application de la loi même sur un fondement d’inconstitutionnalité. Toutefois, depuis

la jurisprudence Nicolo, le juge administratif s’est attribué une telle compétence quand la loi

est contraire à un traité. Toute la question revient à déterminer si la jurisprudence Nicolo est

286 Louis Favoreu, « Le Conseil constitutionnel et le droit international », A.F.D.I. 1977, p. 110. 287 Il l’a fait, par exemple, au regard du droit d’asile (CC 79-109. DC du 9 Janvier 1980, p. 30).

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appelée à modifier le régime d’application des coutumes comme elle l’a fait à propos des

traités. Cette extension de la compétence du Conseil d’Etat profite-t-elle au droit international

non écrit ?

Tel n’est pas l’état du droit actuel selon la jurisprudence Aquarone confirmée par la

jurisprudence Paulin. Dans les conclusions du Commissaire du gouvernement Frydmann sous

l’arrêt Nicolo, l’article 55 de la Constitution fait pivot à tout le raisonnement : c’est parce qu’il

y aurait, dans l’article 55 – et nulle part ailleurs – une habilitation implicite faite au juge de

passer outre sa déférence au législateur que la primauté du traité sur la loi postérieure peut

s’exercer. Il n’y a de contrôle de la loi que parce que l’article 55 le commande.

Un tel raisonnement du Conseil d’Etat semble contradictoire. Alors que le Conseil d’Etat

s’estime incompétent pour contrôler la constitutionnalité des lois, il accepte depuis la

jurisprudence Nicolo de contrôler la conventionnalité des lois sur un fondement

constitutionnel. Par contre, il refuse de contrôler les lois par rapport aux normes

internationales non écrites. Pourtant, le raisonnement moniste du Conseil d’Etat permettrait

sans doute à celui-ci de s’attribuer une compétence contentieuse susceptible de faire prévaloir

les normes internationales non écrites sur les lois et cela sans incohérence. En effet, la

position du Conseil d’Etat en matière d’applicabilité des normes internationales non écrites

est indépendante des dispositions de droit interne y compris de celles qui définissent ses

compétences contentieuses.

Mais cela pose déjà le problème non de l’applicabilité même des normes internationales

non écrites par les juridictions mais de leur rang au sein de la hiérarchie des normes. Le rang

des normes internationales non écrites est bien plus déterminé par les attributions

contentieuses des juridictions internes que par les dispositions constitutionnelles à cet égard.

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Partie II. Normes internationales non écrites et conflits de normes en droit

interne

En droit international, le principe de la supériorité du droit international288 signifie celui-

ci l’emporte non seulement sur les lois ordinaires mais aussi sur les lois constitutionnelles. Par

conséquent, il est interdit à un Etat de manquer à ses obligations internationales en invoquant

son droit interne289.

Les ordres internes peuvent assurer la primauté du droit international par deux

moyens cumulables.

Ils peuvent disposer de la primauté des normes internationales applicables dans l’ordre

juridique interne sur les normes de droit interne. Ce moyen souffre d’une contradiction : c’est

le droit interne – et en particulier la norme fondamentale – qui dispose de la primauté des

normes internationales.

Surtout, les organes d’application du droit peuvent appliquer le droit conformément aux

obligations du droit international. Le droit international ne s’intéressant qu’à la conformité des

faits (et non des normes) aux obligations du droit international290, ce serait avant tout aux

organes d’application du droit d’écarter toute situation incompatible au droit international

quelque soit le rang conféré aux normes de droit international par le droit interne.

Il convient de s’interroger sur la résolution de conflits de norme entre normes issues du

droit interne et normes internationales par les droits internes et leurs organes d’application du

droit (chapitre 1).

Dans les droits internes, il peut également exister des conflits de normes entre normes

issues du droit international (chapitre 2). Ces conflits de normes ne sont pas nécessairement 288 C.I.J., 26 avril 1988, Applicabilité de l’obligation d’arbitrage en vertu de la section 21 de l’Accord du 26 juin 1947 relatif au siège de l’O.N.U., Rec. p. 12 : « le principe fondamental en droit international de la prééminence de ce droit sur le droit interne ». 289 Cette règle, qui vaut en matière de traités (art. 27 de la Convention de Vienne sur le droit des traités), vaut aussi en tant que règle de droit international positif, dans le domaine du droit international non écrit. Dans l’affaire du Traitement des nationaux polonais et des autres personnes d’origine ou de langue polonaise dans le territoire de Dantzig, la Cour permanente de justice internationale affirma : « […] d’après les principes généralement admis, […] un Etat ne saurait invoquer vis-à-vis d’un autre Etat sa propre Constitution pour se soustraire aux obligations que lui imposent le droit international ou les traités en vigueur » (CPIJ, 4 février 1932, Série A/B, Rec. p. 24).

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réglés de manière similaire par les dispositions du droit interne et les règles du droit

international (hiérarchie de ces normes, règles lex posterior priori et lex specialia

generalibus derogat). De ce mode de résolution des conflits différencié, il peut résulter une

absence d’harmonie entre le droit international en vigueur et le droit interne. En l’état du droit

positif, un monisme timoré prévaut : les organes d’application du droit contournent

généralement les dispositions du droit interne desquels résultent des contradictions avec le

droit international.

La spécificité des deux ordres juridiques implique quelques remarques :

En Allemagne, les règles générales du droit international sont une composante du droit

fédéral et bénéficient, en tant que telles, de la primauté du droit fédéral par rapport au droit

des Länder291. De plus, L’article 25 phrase 2 dispose que les « règles générales du droit

international sont supérieures aux lois ».

En France, le problème de l’incertitude du fondement de l’applicabilité des normes

internationales non écrites n’est pas sans conséquences sur la hiérarchie des normes. Une

question se pose : comment faut-il concevoir l’autorité du droit international non écrit dans un

Etat qui prend position de façon incertaine, sur cette autorité ?

Pour déterminer ce qu’est l’autorité des normes internationales non écrites, il faut opter pour

l’une des significations de l’alinéa 14.

La signification de l’alinéa 14 permettant d’affirmer que les règles non écrites du droit

interne ont valeur constitutionnelle pose la question de l’appartenance des règles du droit

international non écrit au bloc de constitutionnalité.

290 C.P.I.J., 25 mai 1926, Certains intérêts allemands en Haute-Silésie polonaise, série A, n°7. 291 La qualification de règles générales du droit international en tant droit fédéral dont l’article 25 implique que :

- Les règles générales du droit internationales participent à la priorité de validité et d’application que la Loi Fondamentale attribue au droit fédéral par rapport aux droits des Länder (Article 31 LF)

- elles font partie de l’ « ordre constitutionnel » au sens de l’article 2 I LF. - elles ont valeur de droit fédéral, elles sont donc invocables dans les procédures qui prévoient

qu’un moyen de droit ne peut être fondé que sur une atteinte portée au droit fédéral (par exemple §§ 137 al. 1 n°2 VwGO, 549 ZPO)

- Elles ne sont considérées ni comme un droit étranger en matière de règles de procédure juridique (par exemple § 293 ZPO) avec les conséquences correspondantes en matière de la charge de la preuve et la charge d’affirmation, ni comme droit étranger au sens des règles de renvoi du droit de collision allemand (par exemple Art. 3 EGBG).Ces règles tombent dans le domaine d’application du principe iura novit curia.

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Il est également possible de considérer – dans le cadre du mode d’applicabilité de

système mixte – qu’une loi contraire aux règles non écrites du droit international est, par voie

de conséquence, contraire à la Constitution. Il existe donc une hiérarchie des normes qui

découle de la conformité avec l’alinéa 14 en soi et non de la position des normes

internationales non écrites au sein de la hiérarchie des normes.

Enfin, on peut retenir le mode d’applicabilité moniste selon lequel l’applicabilité des

normes internationales non écrites ne dépend pas de l’alinéa 14 lui-même et ne dépend,

généralement, d’aucune norme du droit interne. Rappelons que le mode d’applicabilité

moniste n’a pas été exclu par le juge ordinaire. D’une part, l’arrêt Nachfolger, qui reconnaît

l’applicabilité, dans l’ordre interne, du droit international non conventionnel, ne vise pas

l’alinéa 14. D’autre part, le commissaire du gouvernement Bachelier a affirmé dans ses

conclusions sur l’arrêt Aquarone qu’ « aucune disposition de la Constitution ne prescrit ou

n’implique [que le juge administratif] fasse prévaloir la coutume sur la loi »292.

La question de l’appartenance des règles du droit international non écrit au bloc de

constitutionnalité sera résolue dans la section concernant les rapports entre Constitution et

normes internationales non écrites293. Les modes d’applicabilité de système mixte et de

système moniste permettent une analyse transversale de l’intégration des normes

internationales non écrites au sein de la hiérarchie des normes.

Chapitre I. Normes de droit international non écrites et conflits avec les normes issues

de procédures internes

Les conflits entre normes non écrites du droit international et norme constitutionnelle

sont résolus par une présomption de compatibilité (section I) ce qui témoigne d’une logique

moniste des organes d’application du droit. La primauté des normes internationales sur les

normes infra-constitutionnelles est généralement admise (section II).

292 Concl. Bachelier, p. 859. Observons que le Commissaire du gouvernement Bachelier a clairement écarté toute forme de raisonnement en termes de constitutionnalité de la loi (v. notamment, s’agissant de la comparaison entre l’alinéa 14 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et l’article 10 de la Constitution italienne du 27 décembre 1947, p. 860). 293 Dans l’hypothèse d’une appartenance des normes internationales non écrites au bloc de constitutionnalité, le problème de leur rang au sein de la hiérarchie des normes ne pose pas de problème particulier puisqu’elles auraient, dès lors, valeur constitutionnelle.

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Section I. Normes de droit international non écrites et Constitution La relation entre norme internationale non écrite et norme constitutionnelle renvoie

directement au problème de la primauté du droit international sur le droit interne ou

inversement (I). Des conflits de normes peuvent également résulter d’une incompatibilité

entre normes de justice constitutionnelle – juridictionnelles ou jurisprudentielles – et règles

non écrites de droit international (II). I. La Résolution de conflit de normes entre normes internationales non écrites et

Constitution elle-même

Le rapport entre normes internationales et normes constitutionnelles demeure indéterminé

en Allemagne comme en France. En Allemagne, un rang « à côté » (neben) de la Loi

Fondamentale est généralement accordé aux règles générales du droit international (A). En

France, les interrogations sur une éventuelle appartenance des normes internationales non

écrites au bloc de constitutionnalité contrastent avec le rang infra-constitutionnel attribué aux

normes internationales non écrites par les juridictions ordinaires (B).

A. en Allemagne

Selon l’article 25 de la Loi Fondamentale, les règles générales du droit international n’ont

pas un rang supra-constitutionnelle (1) mais la Cour constitutionnelle fédérale attribue à ces

normes un rang « à côté » de la Loi Fondamentale (2). La mise en œuvre des normes

internationales non écrites est toutefois subordonnée à l’absence d’atteintes aux fondements

de compétence interne (3).

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1. Un rang supra-constitutionnel ?

L’histoire de la formation de l’article 25 LF laisserait supposer que les règles générales

du droit international disposent d’une primauté interne même sur le droit constitutionnel

fédéral. Une décision antérieure de la Cour Constitutionnelle Fédérale peut être comprise en

ce sens294. Par ailleurs, cette interprétation de l’article 25 est partagée par une série

d’auteurs295.

Toutefois, d’après la Cour constitutionnelle fédérale296, le mode « d’interprétation

historique » ne constitue qu’un des critères d’interprétation parmi ceux destinés à déterminer

la volonté objective du constituant. L’article 25 LF dispose de la primauté devant les lois

(gesetz) et non devant la Loi Fondamentale (Grundgesetz) ou le droit constitutionnel fédéral

(Bundesverfassungsrecht). Or, la notion de loi qu’emploie la Loi Fondamentale n’inclut pas

nécessairement la Loi Fondamentale elle-même297. De plus, l’article 25 de la Loi

Fondamentale n’est pas mentionné parmi les principes intangibles de l’article 79 III, ce qui est

un argument systématique contre l’attribution d’un rang supra-constitutionnel aux règles

générales du droit international. Enfin, les structures démocratiques d’Etat de droit de la Loi

Fondamentale qui conditionnent l’intervention de la puissance publique ne doivent pas être

écartées par l’application des règles générales du droit international. Les règles générales du

droit international sont en effet susceptibles d’imposer des devoirs pour l’individu. Or, les

obligations qui découlent des normes internationales ne satisfont pas suffisamment aux

garanties procédurales exigées par les formes de l’Etat de droit. Ainsi, le droit international

général a déjà imposé, dans le droit des conflits armés (ius in bello), des obligations

subjectives à l’individu privé ou à l’individu auquel est attribué une part de la puissance

d’Etat (par exemple le soldat) en matière de traitement des non-combattants, des prisonniers

de guerre, des blessés… L’application de ces normes – qui peut entraîner des sanctions

pénales aux individus en cas d’atteintes – doit être soumise à la règle constitutionnelle de la

réserve de la loi et aux règles déterminantes de l’Etat de droit298. Les considérations relatives

aux structures démocratiques d’Etat de droit de la Loi Fondamentale – avec les critères

294 BVerfGE 1, p. 208 sqs. (233). 295 Notamment Carl Friedrich Curtius, « Völkerrechtliche Schranken des Grundgesetzes », in DÖV 1955, p. 145. 296 BVerfGE 1, p. 208 sqs. (233) 297 BVerfGE 6, p. 32 sqs. (38) ; 24, p. 184 sqs. (195). 298 Notamment, le principe de non-rétroactivité de la loi pénale de l’article 103 alinéa 2 LF. Concernant le principe de sécurité juridique, à propos des obligations du droit international : BVerfGE 17, p. 306 sqs. (313) ; 47, p. 109 sqs. (121) ; 55, p. 159 sqs. (165) ; 64, p. 389 sqs. (393) ; 69, p. 35 sqs. (42).

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d’interprétation systématique – s’opposent ainsi à un rang supra-constitutionnel des règles

générales du droit international.

2. Un rang constitutionnel « aux côtés » de la Loi Fondamentale

La doctrine est partagée pour déterminer si les règles générales du droit international sont

placées au même rang que l’article 25 de la Constitution qui dispose de leur ordre

d’applicabilité ou si elles se situent entre la Loi Fondamentale et les lois fédérales. Alors que

le texte de l’article 25 phrase 2 première demi-phrase de la Loi Fondamentale ne détermine en

rien le rapport avec la Loi Fondamentale299, de nombreux arguments systématiques sont

invoqués en faveur des deux conceptions.

Les arguments à l’encontre du rang constitutionnel des règles générales du droit sont

les suivants. Le rang constitutionnel des règles générales du droit international est

difficilement conciliable avec l’article 79 I phrase 1300. De plus, un rang constitutionnel

accorderait au législateur les moyens d’employer les règles générales du droit international

comme fondement d’exercice du pouvoir pour régler des affaires qui ne sont pas réglées de

manière formelle grâce à des normes spéciales de la Loi Fondamentale. Cela pourrait mener à

un abus en vue de réviser la protection effective des droits fondamentaux.

La conception opposé, à laquelle adhère la Cour constitutionnelle fédérale, soutient

que les règles générales ont un rang équivalent « à côté » (« neben ») de la Loi

Fondamentale301. Toutefois elles ne deviennent pas par le biais de l’article 25 LF des normes

du droit constitutionnel allemand. Cette conception dispose sans doute meilleurs arguments

que la précédente qui plaçait les règles générales du droit international sous un rang

constitutionnel.

Une transformation, une modification ou un complément de la Loi Fondamentale par

les règles générales du droit international n’est pas incompatible avec l’article 79 I phrase 1.

299 BVerfGE 6, p. 363 : Les règles générales du droit international « … dem deutschen innerstaatlichen Recht – nicht dem Verfassungsrecht – im Range vorgehen » (« priment sur le droit interne allemand – non sur le droit constitutionnel ») ; BVerfGE 37, 271 (279) : les règles générales internationales « … nur dem einfachen Bundesrecht vorgehen » (« ne priment que sur le simple droit fédéral ») ; BVerwGE 47, 365 (378) et BVerwGE 52, 313 (333 f.) : les règles générales du droit international ne priment pas sur le droit constitutionnel mais n’excluent pas un rang similaire. 300 En ce sens, BVerfGE 47, p. 365 sqs. (378). L’article 79 phrase 1 dispose : « la Loi Fondamentale ne peut être modifiée que par une loi qui en modifie ou en complète expressément le texte ». 301 BVerfGE 6, p. 32 sqs. (37) ; 74, p. 129 sqs. (152) ; 80, p. 137 sqs. (153).

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La Loi Fondamentale elle-même par son article 25 – en tant que lex specialis – serait le

fondement de telles modifications302.

Les craintes liées aux menaces que ferait peser sur les droits fondamentaux une

équivalence hiérarchique des règles générales et du droit constitutionnel sont également

difficilement justifiables.

Une norme de la Loi Fondamentale qui, en tant que telle porte atteinte à une règle

générale du droit international n’est pas relevable actuellement. De plus, il existe un principe

en droit international qui permet, dans un cas exceptionnel (non-systématiquement), d’écarter

l’application d’une norme internationale. Par conséquent, l’interprétation et l’application de la

Loi Fondamentale – de même que celle de l’ensemble du droit d’origine interne – peut, en un

cas particulier, ne pas être conforme à une règle du droit international particulière sur le

fondement de l’article 25 de la Loi Fondamentale lui-même.

Mais, il n’est pas possible d’exclure qu’à l’avenir des règles générales du droit

international se forment qui soient incompatibles avec les choix structurants de l’ordre

juridique allemande et en particulier avec les droits fondamentaux. La République Fédérale

allemande conserverait toutefois en tant que destinataire potentielle des normes, par la règle

de l’objecteur persistant, la possibilité d’empêcher la constitution d’une nouvelle règle

générale du droit international à laquelle elle serait liée. Paul Kirchhof évoque ici d’une

fonction de « negierende Völkerrechtsquelle » 303 (« négation de source internationale »)

selon laquelle les organes allemands compétents en matière de production de normes

internationales (auswärtige Gewalt) ont l’obligation de préserver la Loi Fondamentale.

Enfin, d’après H. Steinberger, l’absence d’indications contraires de l’article 25

laisserait supposer qu’il existe un rang hiérarchique similaire entre l’article 25 lui-même et les

règles générales du droit international dont il dispose l’applicabilité : « Gewiss kann die

Norm, die einen Rechtsanwendungbefehl erteilt, der anzuwendenden Norm eine niedriege

Rangstufe zuweisen. Sofern indes hierfür nicht überzeugende Anhaltspunkte sprechen, ist von

der Ranggleichheit beider Normen auszugehen. 304»

302 La Cour constitutionnelles a d’ailleurs accepté de telles modifications de la Loi Fondamentale – en dehors de l’article 79 I 1ère phrase – sur le fondement de l’article 23 (relatif à l’Union européenne) et 24 I (relatif aux transferts de souveraineté aux institutions internationales) : BVerfGE 58, p. 1 sqs. (36) ; 73, p. 339 sqs. (374). 303 Paul Kirchhof, « Rechtsquellen und Grundgesetz », FG-BverfG II, p. 50. 304 H. Steinberger, « Allgemeine Regeln des Völkerrechts », HStR VII, 1992, § 178. p. 558 : « Certes, la norme qui dispose de l’application d’autres normes peut attribuer à la norme à appliquer une place inférieure dans la hiérarchie des normes. Toutefois, dans la mesure il n’existe pas de repères concluants, il faut présupposer une équivalence de rang entre les deux normes. »

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En pratique, les deux conceptions ne mènent guère à des résultats différents : l’article

25 LF lui-même – et non uniquement les règles qu’il réceptionne – ordonne l’application de la

Loi Fondamentale conforme au droit international. Les conflits dans les domaines

d’application réciproques et conjoints du droit constitutionnel et du droit international sont

résolus en appliquant le principe de la concordance (Konkordanz) la plus large possible

comme en matière de conciliation entre normes constitutionnelles305. La conciliation entre les

deux formes de normes susceptibles de mener à une réduction téléologique du contenu des

normes en cause (aussi bien constitutionnelles qu’internationales) n’est à réaliser que lorsque

les domaines d’application respectifs des normes ont une destination précise et commune. En

ce cas, il est considéré que la Loi Fondamentale elle-même doit être en harmonie avec les

règles générales du droit international sur le fondement de l’article 1 II et le principe objectivé

par l’article 25 d’ « ouverture au droit international ».

Par ailleurs, les normes de compétence et d’habilitation (ermächtigung) de la Loi

fondamentale ne permettent pas un usage du pouvoir contraire au droit international306 .

3. L’absence d’atteintes aux fondements de compétence interne

Le droit international général n’exige des sujets de droit international qu’un comportement

conforme au droit international. Par conséquent, il ne découle des règles générales dans le

sens de l’article 25 LF ni d’atteintes ni d’habilitations aux fondements de compétence

déterminés par les normes du droit constitutionnel (structures de compétence, habilitations

d’agir ou formes d’action). Cela est valable aussi bien dans le rapport entre Bund et Länder307

qu’au sein du pouvoir fédéral dans le domaine du « pouvoir extérieur » (« auswärtige

Gewalt », le pouvoir compétent en matière de production de normes internationales). Les

règles générales du droit international ne remplacent pas l’exigence d’autorisation législative

pour l’édiction de règlements de l’article 80 I LF308. De même, elles ne dispensent pas de

305 BvefGE 67, p. 100 sqs. (143) ; 77, p. 1 sqs. (47). 306 En matière de droit des traités : BVerfGE 74, p. 358 sqs. (370) : il n’est pas acceptable que le législateur – dans la mesure où il ne l’a pas clairement déclaré – déroge aux obligations internationales de la République Fédérale Allemande ou rendent possible le manquement à de telles obligations. Concernant la Convention Européenne des Droits de l’Homme : BVerfGE 35, p. 311 ; BVerfGE 82, p. 106 ; BVerfGE 82, p. 106 sqs. (120) ; BVerfGE 83, p. 119 sqs. (128). 307 BVerfGE 41, p. 88 sqs. (362). 308 Article 80 I : « Le gouvernement fédéral, un ministre fédéral ou les gouvernements des Länder peuvent être autorisés par la loi à édicter des règlements. Cette loi doit déterminer le contenu, le but et l’étendue de l’autorisation accordée. Le règlement doit mentionner son fondement juridique. S’il est prévu dans une loi qu’une autorisation peut être subdéléguée, un règlement est nécessaire pour la délégation de l’autorisation.

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procédures législatives conformes à l’Etat de droit pour l’établissement de sanctions internes

aux manquements aux obligations de droit international.

Cette conception n’est pas contraire à la doctrine de délégation selon laquelle le droit

international délègue aux Etats la compétence de sa mise en œuvre.

En France, la mise en œuvre d’une telle exigence de compatibilité entre droit international

et droit interne par les organes d’applications du droit est également relevable mais elle n’est

pas systématique.

B. En France

L’insertion d’une disposition constitutionnelle relative au droit international est souvent

interprétée comme emportant supériorité de la Constitution. D’après Denys de Béchillon :

« Jean Donnedieu de Vabres l’avait dit aux lendemains de 1946 : l’inscription

constitutionnelle de l’obligation faite « à la France » de « se conformer » au droit

international vaut acte de souveraineté, pas de soumission309. Parce qu’elle exprime une part,

même lointaine, du pouvoir originaire, une Constitution ne constate jamais qu’une norme

préexistante s’impose à elle310. Quoiqu’elle en dise, elle dispose seulement. Seule contrainte :

la réalité des situations internationales, celle d’une frontière par exemple. Mais en l’état où le

pouvoir constituant s’en saisit, la frontière n’est pas une règle mais un fait311. Et c’est bien

cela qui la rend intangible »312 .

Mais l’insertion d’une disposition constitutionnelle relative au droit international peut

être considérée comme un « acte superflu », privé de sens, si elle ne fait que rappeler une

situation juridique préétablie. La norme elle-même – et à plus forte raison si elle ne détermine

même pas précisément une technique d’intégration des normes internationales comme c’est le

cas en l’espèce – peut être considérée comme vide de sens. L’analyse selon laquelle le

pouvoir constituant interne est le pouvoir originaire est également contestable. Le droit

international ne détermine certes pas la forme de l’Etat mais il exige néanmoins une forme

d’Etat. Certes, les traces d’une auto-limitation par rapport au droit international sont rares

309 L’auteur renvoie à : J. Donnedieu de Vabres : « La Constitution de 1946 et le Droit international » D. 1948, p. 5 . 310 « Abstraction faite des règles procédurales et formelles de la révision, mais justement parce qu’elles se situent en amont de cette révision proprement dite ». 311 « Preuve en est que, si l’Etat désire l’étendre, il devra imposer à un autre Etat une norme qui, à ses yeux ne sera pas juridique, mais issue d’un fait de force ». 312 D. de Béchillon, op. cit., p. 441.

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dans la Constitution française, inexistantes mêmes, « la France » de l’alinéa 14 n’étant pas un

concept juridique, et encore moins un synonyme de la Constitution française. Mais,

finalement, rien ne s’oppose à ce que le rapport entre droit international et droit interne ne soit

celui d’un monisme à primauté de droit international, si ce n’est les compétences

contentieuses des juridictions internes.

. La primauté des normes internationales ne peut provenir que de la volonté des organes

d’application du droit d’instaurer un monisme à primauté de droit international. Or, aucune

institution, y compris le Conseil Constitutionnel, n’est habilitée à déroger à la Constitution ou

à écarter son application. Or c’est bien par le Conseil constitutionnel que pourrait venir une

hypothétique révélation : il lui suffirait de conclure à la licéité d’une Loi inconstitutionnelle,

mais conforme à une coutume internationale. Il lui faudrait, pour cela, se reconnaître

globalement compétent pour déclarer la Constitution contraire au droit. Or, une telle prise de

position est à peu près inconcevable : contraire à la lettre de la loi fondamentale, elle

heurterait aussi l’esprit du contrôle de constitutionnalité tel que le Conseil Constitutionnel le

conçoit elle même comme issu d’une stricte compétence d’attribution. De plus, le juge

constitutionnel applique l’alinéa 14 comme une disposition de transposition (ce qui est

d’ailleurs logique eu égard à la compétence du Conseil constitutionnel) et n’applique pas –

contrairement au Conseil d’Etat – le droit international non écrit en dehors d’un fondement

interne.

Une présomption de compatibilité organise les rapports de la coutume internationale et

la Constitution313 qui conduit à s’interroger sur l’appartenance des normes non écrites du droit

international au bloc de constitutionnalité (1). Toutefois, il est possible que deux normes –

internationales et constitutionnelle – s’opposent lorsque leur domaine d’application est

conjoint. En ce cas, la résolution du conflit est tranchée en faveur de la norme

constitutionnelle (2).

1. le problème de l'appartenance au bloc de constitutionnalité

On peut logiquement se demander si les règles non écrites du droit international

appartiennent au bloc de constitutionnalité :

313 Preuve en est que le Conseil préfère nettement tordre les textes constitutionnels que de recourir à la coutume lorsqu’il y a risque d’incompatibilité. Ainsi le Conseil constitutionnel a fait dire de l’article 53-3 de la Constitution qu’il autorisait la sécession de territoires alors qu’il n’en permet manifestement que la cession.

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A ce sujet, on constatera que la jurisprudence du Conseil Constitutionnel laisse place, en

l'état actuel du droit, à une incertitude.

Dans sa décision relative à l'affaires des Comores, le Conseil Constitutionnel a considéré

que « l'île de Mayotte fait partie de la République française ; que cette constatation ne peut

être faite que dans le cadre de la Constitution, nonobstant toute intervention d'une instance

internationale, et que les dispositions de la loi […] qui concernent cette île ne mettent en

cause aucune règle du droit public international »314.

Ce « considérant » a pu être interprété comme emportant intégration du droit international

non écrit dans le groupe des normes ayant rang constitutionnel. C'est ainsi que R. Abraham a

estimé qu'une « interprétation vraisemblable est que le Conseil a implicitement admis la

valeur constitutionnelle des « règles du droit public international » »315.

Les décisions de 1982 rendues par le Conseil Constitutionnel, en matière de

nationalisations, ont été perçues, par certains représentants de la doctrine, comme

confirmatives de la décision Île de Mayotte. Dans son commentaire relatif à l'affaire des

nationalisations, J.-M. Bischoff indiquait : « il semble bien que les décisions [de 1982]

devraient lever les dernières hésitations que l'on pouvait encore entretenir […], et que le

droit international général (par opposition au droit international conventionnel) se trouve

intégré dans le « bloc de constitutionnalité » dont le Conseil est chargé d'assurer le respect, et

ceci par le biais textuel [de l'alinéa 14] du Préambule de la Constitution de 1946 »316. A quoi

on peut ajouter que R. Abraham a retenu, concernant la décision du 16 janvier 1982, une

interprétation identique à celle qu'il a proposée au sujet de la décision Île de Mayotte.

Mais la jurisprudence du Conseil Constitutionnel a fait l'objet aussi de lectures plus

restrictives tendant à nier l'appartenance du droit international non écrit au bloc de

constitutionnalité. En 1988, s'exprimant au sujet de l'affaire des Comores, le Président

Genevois a affirmé que « le juge constitutionnel a fait justice d'un moyen tiré de ce que l'unité

et l'intégrité de l'archipel des Comores avait été reconnue par l'organisation des Nations

Unies. […] La motivation […] adoptée signifie que le droit international n'est pas en cause

lorsqu'il s'agit de régler un problème qui est du seul ressort de la Constitution »317. Et il

convient de remarquer que le doyen Favoreu partage, pour ce qui est des différentes affaires

314 CC, 30 décembre 1975, Re. P. 26-27 (cons. N°6). 315 R. Abraham, Droit international, droit communautaire et droit français, Paris, Hachette, 1989, p. 67. 316 J.-M. Bischoff, Revue critique du droit international privé, 1982, p. 353. 317 B. Genevois, « Le droit international et le droit communautaire », in Conseil Constitutionnel et Conseil d'Etat, Colloque des 21 et 22 janvier 1988, Paris, LGDJ, 1989, p. 207-208.

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(Comores et Nationalisations), un point de vue semblable318. Ces opinions – qui s'inscrivent à

contre-courant des opinions rappelées ci-dessus – ont rencontrées un accueil favorable auprès

du commissaire du gouvernement Bachelier : dans ses conclusions prononcées sur l'arrêt

Aquarone, le Commissaire a indiqué que « le Conseil Constitutionnel ne… paraît pas avoir

incorporé les règles du droit public international au bloc de constitutionnalité »319.

Les analyses – qui dressent face à face ceux qui estiment et ceux qui n'estiment pas que le

droit international non écrit appartient au bloc de constitutionnalité – révèlent, bien entendu,

l'incertitude qui caractérise la jurisprudence du Conseil Constitutionnel. Mais, par-delà les

doutes que l'on peut légitimement nourrir, plusieurs observations méritent d'être présentées.

Tout d'abord, il n'existe pas de décisions du Conseil constitutionnel permettant

d'affirmer que la Haute juridiction a expressément exclu du bloc de constitutionnalité les

règles non écrites du droit international. Notamment, les décisions du 13 août 1993320 et du 21

janvier 1994 321 – qui ont pu être considérées, par certains, comme révélant la volonté du

Conseil Constitutionnel de ne pas inclure les règles internationales de droit non écrit dans les

normes de rang constitutionnelles – ne paraissent pas pleinement significatives322. En

revanche, on peut remarquer que, dans sa décision du 20 juillet 1993323, le Conseil

Constitutionnel n'a pas déclaré « inopérant » un moyen tiré de la violation d'une règle non

écrite de droit international; cette règle, il est vrai, n'était pas une règle de « fond » : il

s'agissait de la règle Pacta sunt servanda. Toutefois, la démarche retenue par le Conseil

constitutionnel montre que ce dernier n'est pas hostile au droit international général. On

318 Ibid., p. 208. 319 Concl. Bachelier sur CE, Ass., 6 juin 1997, Aquarone (supra), p. 861. 320 n° 93-325 DC. 321 n° 93-335 DC. 322 Les considérants 2, 3 et 4 de la décision (n° 93-321 DC) du 13 août 1993 n'indiquent aucunement que le droit international non écrit n'est pas susceptible d'appartenir au bloc de constitutionnalité (v. Rec., p. 226-227); d'autre part, le sous-titre : « sur les normes de constitutionnalité applicables au contrôle de la loi déférée » (ibid. p. 226) ne signifie pas que les normes de constitutionnalité utilisées en l'espèce, sont les seules normes dont la violation peut être invoquée à l'encontre de toute loi. Par ailleurs, la décision (n° 93-335 DC) du 21 janvier 1994 ne concerne pas l'appartenance des règles non écrites de droit international au bloc de constitutionnalité : le considérant n°6 se borne à rappeler que les accords internationaux ne font pas partie de ce bloc (Rec., p. 42, rappr. Cons. N°3). Et, au sujet du sous-titre (rappelé ci-dessus) figurant au sein de la décision (n°93-325 DC) du 13 août 1993. On ajoutera que les tables quinquennales (1989-1993) de la jurisprudence du Conseil Constitutionnel incluent dans les « normes de référence retenues » pour le contrôle de conformité à la Constitution, le « respect des règles du droit public international (14e alinéa) »; en revanche, ces mêmes Tables rangent dans la catégorie des « normes de référence retenues » pour le contrôle de conformité à la Constitution, le « respect des règles du droit public international (14e alinéa) »; en revanche, ces mêmes tables rangent dans la catégorie des « normes de référence non retenues », les « traités et accords internationaux » (Dalloz, 1994, p. 100-102). Et il faut ajouter que, plus récemment, le Conseil Constitutionnel a classé le quatorzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 dans la catégorie des « normes de référence applicables » (CC, 31 décembre 1997, n°97-394 DC – Traité d'Amsterdam, JORF, 3 janvier 1998, p. 166, col. droite). 323 n° 93-321 DC, Loi réformant le Code, Rec., p. 202 (cons. N° 35-37).

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ajoutera que, par sa décision du 22 avril 1997324, le Conseil constitutionnel – saisie d'un

moyen relatif à la violation des obligations internationales de la France « visées par le

préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 »325 et engendrant, selon la lettre de saisine,

une violation directe de la l'article 55 de la Constitution – s'est borné à affirmer qu'est

« inopérant le moyen tiré de la méconnaissance de stipulations internationales souscrites par

la France »326. L'emploi du mot « stipulation » qui renvoie à la notion de convention

internationale (et non aux règles non écrites du droit international), est révélateur : se plaçant

sur un tel terrain, le Conseil constitutionnel ne s’est pas prononcé sur l'appartenance (ou la

non appartenance) du droit international non écrit au bloc de constitutionnalité. Enfin, on ne

manquera pas d'observer que, s'agissant du principe de « confiance légitime », le Conseil

constitutionnel a affirmé à plusieurs reprises qu'aucune norme constitutionnelle « ne garantit

un principe dit de confiance légitime »327. Le recours au vocable « dit » paraît significatif : le

juge constitutionnel n'entend pas affirmer que les règles non écrites du droit des gens doivent

être mises à l'écart du bloc de constitutionnalité ; il considère que l'existence même, au sein de

l'ordre juridique français, du principe de « confiance légitime » – principe polysémique dont il

difficile de cerner les contours et la pleine signification – est incertaine, son sens n'étant pas

suffisamment précisé.

Ensuite, il convient de remarquer qu'il n'existe pas, semble-t-il de décision ayant admis, de

manière franche, l'appartenance des règles non écrites du droit international au bloc de

constitutionnalité. Certes, par sa décision du 25 juin 1998328, le Conseil constitutionnel – saisi

d'une disposition législative contraire, selon les requérants, au « principe communautaire de

la libre circulation des biens et des services au sein de l'Union européenne » – a considéré

que « la disposition critiquée n'a ni pour objet, ni pour effet d'entraver la libre circulation des

véhicules » et qu'ainsi « le grief invoqué manque en fait »329. Pareille solution pourrait laisser

croire que le Conseil Constitutionnel a admis implicitement, en acceptant de se prononcer sur

324 n° 97-389 DC. 325 Lettre de saisine du 27 mars 1997, JO, 25 avril 1997, p. 6283, col. droite. 326 Sur la décision (n° 97-389 DC) du 22 avril 1997, v., au sujet de l'article 3 de la loi déférée, JO, 25 avril 1997, p. 6273, col. gauche. 327 CC (n° 97-391 DC), 7 novembre 1997, Loi portant mesures urgentes à caractère fiscal et financier, JORF, 11 novembre 1997, p. 16390 (col. droite); rappr. CC, 30 décembre 1996 (n° 96-385 DC), loi de finances pour 1997, Rec. p. 149. On relèvera par ailleurs, que, dans le cadre de l'affaire relative aux Langues régionales (CC, 15 juin 1999, n° 99- DC), le recours à l'alinéa 14 – aux fins d'examen, à la lumière du droit public international, de déclarations interprétatives – a été envisagé (v. J.-E. Schoettl, AJDA 1999, p. 575, col. gauche). Cependant, la décision rendue par le Conseil Constitutionnel ne permettant de se prononcer, de façon certaine, sur l'appartenance du droit international non écrit au bloc de constitutionnalité (AJDA 1999, p. 628, col. centrale). 328 n° 98-402 DC. 329 CC, 25 juin 1998 (n° 98-402 DC), JORF, 3 juillet 1998, p. 1048.

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le moyen invoqué, qu'une disposition législative pourrait être annulée en tant qu'elle viole une

règle de droit international non écrit. Il reste que cette interprétation ne s'impose

nécessairement330.

Enfin, par sa décision du 22 janvier 1999331 (Traité portant statut de la Cour pénale

internationale), le Conseil constitutionnel a reconnu, selon plusieurs auteurs332, la valeur

constitutionnelle de certaines règles de droit international de droit non écrit. Certes, cette

décision – qui concerne la constitutionnalité d’une convention internationale et non d’une loi

– soulève une difficulté. Comme le souligne le Président Genevois, la « promotion dont font

l’objet les « principes généraux du droit public international » emporterait davantage

l’adhésion si son ancrage constitutionnel avait été clairement explicité »333. Il reste que le

Conseil constitutionnel a franchi là une nouvelle étape : même si la décision n’est pas

pleinement convaincante, elle révèle une orientation jurisprudentielle tendant à insérer, dans

le bloc de constitutionnalité, les règles du droit international non écrit.

On pourrait penser que l'insertion des règles non écrites de droit des gens dans le groupe

des normes de rang constitutionnel soulève une difficulté. La célèbre décision du 15 janvier

1975 a montré, on le sait, que les règles qui appartiennent au bloc de constitutionnalité ont

une supériorité absolue sur les lois. Or, l'exigence de réciprocité qui emporte autorité relative

des traités sur la législation ordinaire ne doit-elle pas conduire à affirmer que le droit

international non écrit est, lui aussi, pourvu d'une supériorité simplement relative sur les lois

votées par le Parlement ? On peut hésiter à répondre : dans l'ordre international, en matière de

droit non écrit , la réciprocité est établie en raison même de l'existence de la norme334. Il reste

qu'une règle coutumière, par exemple, peut ne plus être appliquée par un autre Etat alors que

son existence n'est nullement menacée. En pareil cas, la condition de réciprocité reprend toute

son importance : il serait légitime, par exemple, que la France refuse d'appliquer une coutume

internationale à l'égard des ressortissants d'un Etat étranger si, à l'égard des nationaux français

330 J.E. Schoettl, Commentaire de la décision n° 98-402 DC, AJDA 1998, p. 702 (col. gauche). 331 n° 98-408 DC. 332 Notamment : L. Lenoir, « les rapports entre le droit constitutionnel français et le droit international à travers le filtre de l’article 54 de la Constitution » in Droit international et droit interne dans la jurisprudence comparée du Conseil constitutionnel et du Conseil d’Etat (dir. P.-M. Dupuy), Paris, éd. Panthéon-Assas, 2001, p. 24-26 ; B. Genevois, « le Conseil constitutionnel et le droit pénal international », RFDA, 1999, p. 292-307, col. droite. 333 RFDA, 1999, p. 293. 334 C'est ainsi que le Professeur Dehaussy estime que la « condition de réciprocité, qui a suscité tant de débats pour l'applicabilité des traités internationaux, est sans pertinence en matière de règles de règles de droit international public général coutumier » (« Le statut de l'Etat étranger demandeur sur le for français : Droit international coutumier et droit interne », JDI 1991, p. 120). Rappr. J. Combacau et S. Sur, Droit international public, Paris, Montchrestien, 1993, p. 194 : « […] la réciprocité n'est pas mentionnée par le préambule. Mais, elle est impliquée, sur le plan international, par la coutume elle-même ».

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vivant sur le territoire de ce dernier, la coutume était violée335. Ainsi, prima facie, il semble

que des normes dépourvues d'une supériorité absolue sur les lois336 sont insérées dans le bloc

de constitutionnalité. C'est dire que la condition de réciprocité, en dépit des apparences, ne

complique pas véritablement, dans le domaine envisagé ici, l'état du droit.

En dehors de l’hypothèse d’une appartenance des normes internationales non écrites au

bloc de constitutionnalité, la Constitution prime sur le droit international général quelque soit

le mode d’applicabilité retenu.

2. La primauté de la norme constitutionnelle

Il est possible de retenir deux modes d’applicabilité des normes internationales non

écrites : celui d’un système mixte (a) et celui d’un système moniste (b).

a. La primauté de la norme constitutionnelle dans le cadre du système mixte

Dans le cadre d’un mode d’applicabilité de système mixte, il est possible de retenir

une signification de l’alinéa 14 selon laquelle une loi contraire aux règles non écrites du droit

international est, par voie de conséquence, contraire à la Constitution. La violation d’une règle

non écrite de droit international constitue une violation de la Constitution car l’alinéa 14 est

nécessairement méconnu337.

Pour ce qui est du rapport entre la Constitution et les règles non écrites du droit

international, on peut considérer que la Constitution doit l'emporter :

Si une disposition constitutionnelle est postérieure à une règle internationale, il est

clair que cette disposition – qui, expression d'une souveraineté, peut, notamment, défaire

librement l'alinéa 14 lequel impose le respect du droit international général - doit l'emporter

335 G. Teboul, note sous CAA Lyon, 5 avril 1993, M. Aquarone, AJDA 1993, p. 725 (col. droite); rappr. Concl. Bachelier sur CE, 6 juin 1997, p. 862. Sur le plan pratique, voir, s'agissant d'un principe du droit des gens reprios par la quatrième convention de La Haye, CA Alger, 22 juillet 1915, JDI 1915, p. 906. 336 G. Teboul, « Droit administratif et droit international », RDP 1998, p. 992-993. 337 C’est notamment l’opinion de MM. Chauvaux et Girardot qui ont ajouté, dans leur commentaire de l’arrêt Aquarone que « la logique de [la] position [du Conseil d’Etat] semble être qu’une loi contraire à une coutume serait contraire à la Constitution ».

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128

sur la règle du droit international non écrit. On retrouve ici une solution identique à celle qui

vaut en matière de traités338 .

Si une règle internationale est postérieure à une norme constitutionnelle, il faut admettre

que le pouvoir constituant – qui a crée une procédure spécifique de révision de la Constitution

(art. 89) – n'a pas entendu permettre (sauf texte explicite contraire) que la Constitution soit

modifiée selon une autre modalité et, notamment, par voie de coutume internationale.

En cette hypothèse, il existe une certaine proximité entre droit allemand et droit français :

l’applicabilité des normes internationales non écrites repose sur un fondement constitutionnel

qui ne dit rien sur le rapport hiérarchique entre ces deux types de normes. Pourtant,

contrairement à l’Allemagne, rien n’indique que les organes d’application du droit entendent

attribuer aux règles non écrites du droit international une équivalence de rang avec les normes

constitutionnelles.

A priori, le mode d’applicabilité moniste est plus approprié pour faire prévaloir les normes

internationales non écrites sur la Constitution : l’applicabilité de ces normes n’est pas relative

à une disposition constitutionnelle. Le rapport hiérarchique entre ces deux types de normes

n’est conditionné que par la position des organes d’application du droit.

b. Une primauté incertaine dans le cadre du système moniste

Lorsque la norme constitutionnelle est postérieure à la règle internationale, le mode

d’applicabilité moniste n’implique en rien le primat de la norme de droit constitutionnel ou

bien de la norme du droit international.

Lorsque la disposition constitutionnelle est antérieure à la règle du droit international non

écrit, on peut penser que la première ne saurait s’incliner devant la seconde. Ainsi, d’après

Gérard Teboul : « en créant, par l’article 89 de la Constitution, un mode spécifique de

révision de la Constitution, le pouvoir constituant a implicitement, mais clairement, laissé

entendre, que la Constitution ne pouvait pas faire l’objet de révision par voie de règle

juridique internationale non écrite. Il aurait renoncé, par là même, à un monisme consacrant

le primat du droit international sur la loi constitutionnelle antérieure. Il faut ajouter que

l’intention originelle du constituant fut de placer l’acte constitutionnel à l’abri des

338 CE, Ass., 30 octobre 1998, Sarran, GAJA (Long, Weil, Braibant, Devolvé et B. Genevois), Paris, Dalloz, 12e édition, 1999, p. 831-839. Voir aussi, Cass. Plén., 2 juin 2000, Mlle Pauline Fraisse, note X. Prévot (« La Cour de cassation, la Constitution et les traités »), RDP 2000, n° 4.

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négociations menées par les diplomates339. Or il paraît conforme à cette intention que le droit

international coutumier – qui peut émaner de la pratique diplomatique – ne prime pas la

Constitution » 340.

Mais nous avons vu qu’en Allemagne, le mode de révision prévu par la Loi Fondamentale

n’est pas nécessairement exclusif. Il n’emporte pas avec lui l’impossibilité de modifier la Loi

Fondamentale par le biais de normes internationales. A priori, un monisme à primauté de droit

international demeure possible sur la base d’une telle application de normes internationales en

dehors du fondement constitutionnel.

En l’état du droit positif, il est toutefois peu probable que les organes d’application du

droit qui se conforment à un mode d’applicabilité moniste fassent prévaloir la norme

internationale sur la norme constitutionnelle. Devant le Conseil d’Etat, la primauté des

normes internationales non écrites devant la loi n’est pas acquise. Par conséquent, il est

difficilement concevable celui-ci fasse prévaloir la norme internationale sur la norme

constitutionnelle. Mais cela tient davantage aux attributions contentieuses du juge

administratif qu’au rapport hiérarchique entre les deux types de normes.

La présence d’une disposition constitutionnelle relative à l’applicabilité des normes

internationales non écrites ne préjuge en rien du rapport hiérarchique entre norme

constitutionnelle et norme internationale. Les organes d’application du droit peuvent faire

prévaloir les normes internationales ou attribuer un rang équivalent aux deux types de norme

à condition qu’ils disposent de compétences contentieuses appropriées.

De même, les dispositions constitutionnelles relatives à révision de la Constitution ne

s’opposent pas un tel rang des normes internationales non écrites. La révision de la

Constitution par des normes internationales peut être acceptée en tant que lex specialis. En ce

cas, le droit positif se conformerait à la théorie de la délégation selon laquelle le droit

international délègue des compétences aux Etats. Telle semble être la position actuelle de la

Cour constitutionnelle fédérale qui a admis à plusieurs reprises341 des modifications de la Loi

Fondamentale en fonction des évolutions du droit international ou du droit communautaire.

Des conflits de normes peuvent également résulter d’une incompatibilité entre normes de

justice constitutionnelle et normes non écrites de droit international

339 L’auteur cite : E. Zoller, Droit des relations extérieures, Paris, PUF, coll. « Droit fondamental », 1992, p. 260-261, §212. 340 G. Teboul , « Alinéa 14 », in Préambule de la Constitution de 1946, Dalloz, documents et commentaires, 2001, p. 352. 341 BVerfGE 58, p. 1 sqs. (36) ; 73, p. 339 sqs. (374).

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II. La Résolution de conflit de normes entre normes internationales non écrites et

norme de justice constitutionnelle

En France comme en Allemagne les normes internationales non écrites priment en

principe sur les normes jurisprudentielles de justice constitutionnelle. Par contre, les normes

proprement juridictionnelles des juges constitutionnelles auxquelles est conférée l’autorité de

chose jugée sont à respecter par le juge ordinaire. Toutefois, en Allemagne, en raison de

l’article 100 II de la Loi Fondamentale, il n’existe normalement pas de conflits entre normes

juridictionnelles de la Cour constitutionnelle fédérale et règles générales du droit

international.

A. En France

La probabilité qu’un tel conflit de normes ait, non à se poser, mais à se résoudre est

infime. Toutefois, il pourrait arriver qu’un juge ordinaire ait à choisir entre deux normes de

référence avérées comme contradictoires : l’une serait internationale, coutumière, applicable

et gratifiée de sa part d’une absolue bienveillance ; l’autre serait de justice constitutionnelle.

Si cette dernière est proprement juridictionnelle (par exemple, la règle selon laquelle un

effet extra-territorial des nationalisations ne constitue pas une illégalité en soi mais un

« fait »342), le doute n’est pas permis. L’injonction de respecter la chose jugée est

suffisamment explicite l’article 62 de la Constitution. C’est largement suffisant pour que le

juge ordinaire ne soit même pas fondé à s’interroger sur les rangs respectifs de la coutume et

de la décision de constitutionnalité.

Si la norme de justice est jurisprudentielle, l’affection subjective du juge sera seule

probablement seule à jouer au moment du choix. Entre une supposée norme interne, et une

norme internationale difficilement applicable, la primauté d’application est incertaine. La

rigueur plaiderait plutôt en faveur de la norme internationale puisqu’elle est seule à posséder

un commencement de statut.

342 Car l’on peut raisonnablement supposer que ce motif-là soutienne nécessairement le dispositif sur ce point, ne serait-ce, à supposer l’existence d’une véritable coutume dans ce sens, que parce que le champ d’application des nationalisations a bien été déclarée conforme.

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En Allemagne, les règles générales du droit international priment sur les normes

jurisprudentielles de la Cour constitutionnelle fédérale. Par ailleurs, La procédure de l’article

100 II de la Loi Fondamentale supprime en principe les possibilités de conflits entre normes

non écrites de droit international et normes juridictionnelles.

B. En Allemagne

Les règles générales du droit international s’imposent à l’ensemble des organes de la

Fédération, y compris à la Cour constitutionnelle fédérale. Par conséquent, la règles générale

du droit international priment sur une règle jurisprudentielle de la Cour constitutionnelle

fédérale343.

D’après Christian Autexier : « l’article 100 II LF qui fait de la Cour constitutionnelle

fédérale le juge de l’entrée d’une règle générale du droit international dans le droit fédéral

suppose implicitement une distinction des deux cercles, dont la conséquence acceptée peut

être une différence de traitement de la règle de la règle dans le for externe, pour les rapports

entre Etats, et dans le for interne, pour les rapports entre la puissance publique allemande et

les sujets de droit relevant de sa compétence territoriale 344». Un tel argument qui conditionne

la normativité des règles générales du droit international aux jugements de la Cour

constitutionnelle fédérale doit être démenti. La Cour constitutionnelle fédérale n’est, dans le

cadre de l’article 100 II LF, que compétente en matière d’identification des normes

internationales. Les normes internationales existantes sont intégrées, en dehors du jugement

d’identification, à l’ordre juridique fédéral. Au contraire, la Cour constitutionnelle a

l’obligation de prendre en considération les règles générales du droit international dans ses

jugements. Par conséquent, les normes juridictionnelles de celles-ci sont normalement

conformes au droit international et un conflit entre norme juridictionnelle et règle générale du

droit international est improbable.

Dans la limite des compétences contentieuses des juridictions, les conflits entre normes

non écrites du droit international et norme constitutionnelle sont généralement résolus par une

présomption de compatibilité et non directement par le rapport hiérarchique entre les deux

343 par exemple le principe de confiance légitime (Vertrauensschutzgrunsatz), BVerfGE 30, p. 392 sqs.

([401] II). 344 Christian Autexier, Introduction au droit public allemand, op. cit., p. 153.

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types de normes. Il en va autrement dans la résolution de conflits entre normes non écrites du

droit international et normes infra-constitutionnelles.

Section 2. normes de droit international non écrites et normes infra-constitutionnelles

La primauté des normes internationales sur la loi est généralement admise dans les

deux ordres juridiques (I). Elle emporte la primauté sur les normes infra-législatives (II)

I. La résolution de conflits de normes entre norme législative et norme internationale

non écrite

En Allemagne, la primauté des règles générales du droit internationale découle

directement de la disposition constitutionnelle (A). En France, la primauté d’application est

refusée devant le juge ordinaire mais cela ressort des compétences contentieuses de celui-ci et

non du rapport hiérarchique en tant que tel entre les deux types de normes (B).

A. En Allemagne

La primauté sur la loi dont l’article 25 dispose entraîne primauté sur l’ensemble des actes

du législateur (1). Les effets de cette primauté sont variables selon les normes en conflits (2).

1. La primauté sur la loi

La primauté normative des règles générales du droit international au sein de l’ordre

juridique interne sur les lois345 est assurée par l’article 25 phrase 2, 2ème demi-phrase. La

primauté agit également sur le législateur346 mais non sur législateur fédéral constituant.

345 BVerfGE 23, p. 288 sqs. (316 ) ; 36, p. 342 sqs. (365). 346 BVerfGE 6, p. 309 sqs. (363) ; BverfG, 1ère chambre du 2ème sénat, 21 mai 1987, N° 87/1, in NJW 1988, p. 1462 : « art. 25 GG verplichtet den deutscher normgeber und anwender, die allgemeinen Regeln des Völkerrechts zu beachten » (« l’article25 LF oblige le législateur et l’exécutif allemands à observer les règles générales du droit international »).

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133

Certes le législateur conserve – selon les attributions que lui confèrent la Loi Fondamentale –

la possibilité de transformer les règles générales du droit international et de mettre en œuvre

d’éventuelles raisons justificatives du droit international en des circonstances particulières

(représailles autorisées) mais cela concerne la production de normes internationales et la mise

en œuvre des règles du droit international, c’est-à-dire le législateur en tant que pouvoir

externe (auswärtige Gewalt). Le législateur – en tant qu’organe interne et en raison de la

primauté des règles générales de l’article 25 LF – ne peut exclure au moyen d’une loi le

respect ou l’application des règles générales du droit international dans le droit interne comme

il peut le faire, avec un effet limité au droit interne, pour le droit international conventionnel

de l’Allemagne. La jurisprudence et le pouvoir exécutif doivent également respecter ce rang

dans la hiérarchie des normes. En particulier, l’interprétation et l’application des normes de

rang inférieur doit être réalisée en conformité avec le droit international selon l’article 25

LF347.

Le législateur conformément à l’article 25 LF est tenu dans sa législation de ne pas

porter atteinte aux règles générales du droit international. Une telle atteinte n’est pas

caractérisée si une loi reste inscrite dans le domaine de création que les normes d’autorisation

du droit international ouvre aux Etats. L’atteinte aux règles générales du droit international

par une loi n’est pas nécessairement sanctionnée par l’inconstitutionnalité ou la nullité de la

loi. Les conséquences juridiques internes à déduire du manquement par des actes législatifs ou

exécutifs à une règle générale du droit international sont relatives aux principes de la

procédure juridictionnelle en œuvre. Les manquements au droit international général sont

équivalents à des manquements à la Loi Fondamentale.

Une particularité est à relever concernant les traités liant la République fédérale

allemande. A priori, le principe du droit international « pacta sunt servanda » fait partie du

droit international général et, conformément à l’article 25 al. 1 Loi Fondamentale, est à

considérer comme composante du droit objectif en vigueur dans l’ordre interne348. On pourrait

en déduire (et occasionnellement il en a été déduit) qu’une loi – conformément à l’article 25

phrase 2 LF – doit être considérée comme non relevante (unbeachtlich) sur le plan interne, si

ce n’est nulle, si elle porte atteinte au traité. Mais la réglementation autonome en matière

d’intégration des traités de l’article 59 alinéa 2 LF s’oppose en tant que lex specialis à cela.

Cette réglementation autonome des traités attribue au principe pacta sunt servanda un rang

spécial au sein de la hiérarchie des normes. Malgré le principe pacta sunt servanda, les traités

347 BVerfGE 64, p. 1 sqs. (20) ; 75, p. 1 sqs. (18). 348 BVerfGE 31, p. 145 sqs. (148).

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conservent le rang qui leur est attribué par l’article 59 II LF (législatif) et ne partage pas la

primauté des règles générales du droit international sur la loi349. Cela n’implique cependant

pas que la règle pacta sunt servanda soit par ailleurs exclue des normes applicables sur le

fondement de l’article 25 LF.

La primauté de l’article 25 n’emporte pas nécessairement nullité de l’acte contraire.

2. Considérations générales sur la primauté d’application de l’article 25 LF

La primauté dont l’article 25 dispose est à comprendre comme une primauté

d’application sur les lois (et devant toutes les normes de source interne infra-législatives selon

l’ordre juridique interne). De même, la primauté joue sur les droits étrangers qui

conformément aux normes de renvoi (du droit international privé) sont à appliquer par des

organes d’Etat allemands sur le territoire allemand. Elle est également valable sur les traités

de droit international qui ont été transformés en droit allemand selon l’article 59 II LF. Il faut

toutefois remarquer qu’une règle générale de nature cédante (coutume) peut être adaptée en

traité de telles sorte que seules les normes de ius cogens disposent d’une primauté de nature

permanente et incessible.

Dans le cas d’une collision entre le droit communautaire et une règle générale du droit

international, les tribunaux allemands ont à chercher une décision préalable de la Cour de

Justice des Communautés Européennes à laquelle ils sont liées. Les tribunaux allemands ne

sont pas liées aux décisions des tribunaux étrangers, internationaux ou d’arbitrage sur le

fondement d’une règle générale du droit international. Ces liens peuvent découler des traités

eux-mêmes (article 53 de la Convention Européenne ou article 59 du statut de la Cour

internationale de Justice) ou du droit de collision allemand (§ 328 ZPO). Par ailleurs, l’article

24 IV de la Loi Fondamentale – qui peut jouer en tant que lex specialis – dispose que « en vue

de permettre le règlement des différends entre Etats, la Fédération adhérera à des

conventions établissant une juridiction arbitrale internationale ayant une compétence

générale, universelle et obligatoire ».

Un acte juridique contraire à une règle générale du droit international ne doit être appliqué

dans l’étendue de sa contradiction à l’état de fait préconisé par la règle générale. Mais ce droit

ne devient pas nul à l’exception d’une atteinte à une norme ius cogens. En tant que telle, la

349 BVerfGE 6, p. 309 sqs. (363) ; 31, p. 145 sqs. (177).

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validité de l’acte contraire dans l’espace de souveraineté de la République Fédérale allemande

est simplement brisée.

En France, il n’existe pas de disposition constitutionnelle relative au rang des normes

non écrites du droit international. Toutefois, plusieurs arguments plaident en faveur d’un rang

supra-législatif.

B. En France

Au nombre des règles du droit international (qui, en tant que telles, sont applicables dans

l’ordre juridique interne) figure l’adage lex posterior derogat priori qui implique que le droit

international conventionnel et le droit international coutumier devraient se situer à un même

niveau hiérarchique. Il en résulte que logiquement, en droit interne, c’est au rang infra-

constitutionnel et supra-législatif que le droit international non écrit devrait se trouver. Mais

les conflits de normes entre normes de droit international ne sont pas nécessairement réglés

similairement en droit interne et en droit international.

L’admission des normes internationales non écrites comme normes de référence au

contrôle de constitutionnalité devrait entraîner en principe la reconnaissance d’une valeur

supra-législative à ces normes (1). Mais les juridictions ordinaires ne suivent pas

nécessairement cette logique, qu’elles appliquent les normes internationales sur le fondement

constitutionnel (2) ou en dehors de celui-ci (3)

1. L’admission des normes internationales non écrites comme normes de référence par le

Conseil constitutionnel entraîne la reconnaissance d’un rang supra-législatif

Le Conseil constitutionnel est le seul à disposer d’une compétence véritable en matière

de contrôle des lois. Les décisions du juge constitutionnel ne laissent place qu’à une seule

hypothèse : les coutumes auraient valeur supra-législative. Leur admission comme norme de

référence au contrôle de constitutionnalité des lois350 peut difficilement posséder une autre

signification. Cela se déduit également de la non crédibilité des autres hypothèses :

350 Car c’est bien de cela dont il s’agit dès lors que la loi ne met pas la coutume en cause. On pourrait parfaitement imagininer, sous ce rapport, que le Conseil constitutionnel s’oppose, par exemple, à une loi dont

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Les coutumes ne pourraient être infra-législatives sans que les décisions attestant de

leur applicabilité ne fussent parfaitement incohérentes. Nul n’impose raisonnablement à une

norme supérieure de respecter sa subordonnée, ni ne laisse même entendre qu’il puisse en

aller de la sorte.

Un rang législatif n’aurait aucun sens dans le sens du contrôle préventif de

constitutionnalité à la française : postérieure par définition, la loi ne pourrait que prévaloir, et

l’opération perdrait toute utilité. De plus, l’assignation d’un tel rang aurait supposé une

mention expresse, évidemment absente351.

En principe, le juge ordinaire n’a pas de compétence contentieuse pour écarter

l’application d’une norme législative – y compris sur le fondement d’une norme

constitutionnelle (théorie de la loi écran en droit administratif). Mais la Cour de cassation, par

sa jurisprudence Société « Cafés Jacques Vabre »352 et le Conseil d’Etat, par sa jurisprudence

Nicolo353, se sont attribués la compétence de contrôler la conformité des lois aux traités

internationaux – il est vrai sur le fondement de l’article 55 de la Constitution et non sur un

raisonnement purement moniste354- reconnaissant ainsi la primauté des traités sur les lois. En

matière de normes internationales non écrites, il faut distinguer selon que l’article 14 soit une

disposition de transposition (qui à la différence de l’article 55 de la Constitution ne dispose

pas de la primauté des normes sur les lois) ou selon que le juge ordinaire applique les normes

internationales non écrites en dehors du fondement constitutionnel.

2. La primauté des normes internationales non écrites dans le cadre d’un mode d’applicabilité

de système mixte.

En ce qui concerne les rapports entre la loi et le droit international non écrit, plusieurs

aspects doivent être envisagés.

l’effet aboutirait à remettre en question tel ou tel aspect des conséquences juridiques associées à la personnalité d’une organisation internationale, même si la probabilité qu’une telle loi survienne demeure plus qu’hypothétique. 351 On ne peut même pas avancer en faveur de cette thèse la formule de la décision nationalisations selon laquelle les effets extra-territoriaux de la loi… « ne sauraient restreindre en quoi que ce soit le droit du législateur », car la seule raison de cette indifférence réside dans la nature factuelle de cet effet. 352 C. Cass, 24 mai 1975, Administration des douanes c. Sté « Cafés Jacques Vabre ». 353 CE, Ass., 20 octobre 1989, Nicolo, Leb., p. 748. 354 Bien que l’article 55 ne soit pas visé dans certains arrêts. Par exemple : CE, 24 septembre 1990, Boisdet, Leb. P. 251.

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En premier lieu, il n'est pas douteux que, devant le juge ordinaire, la loi postérieure à

la règle internationale devrait en principe l'emporter. En matière de normes internationales

non écrites, une révolution juridique comparable à la jurisprudence Nicolo n’est pas relevable.

Le juge judiciaire, tout comme le juge administratif, refusent en principe de contrôler la

constitutionnalité de la loi. Seul le Conseil Constitutionnel pourrait assurer la prévalence de la

règle de droit international non écrite.

En deuxième lieu, qu'en serait-il lorsque la loi serait antérieure à la règle internationale

? Eu égard au caractère très général du « considérant » figurant dans l’arrêt Aquarone –

confirmée par l’arrêt Paulin355 – on pourrait penser que la loi ne peut être écartée par le droit

international non écrit356.

Toutefois, si tel est le sens de l'arrêt Aquarone, force est de constater qu'il consacre

une solution qui laisse dubitatif.

Si la norme internationale postérieure est pourvue d'un rang hiérarchique de niveau

législatif, constitutionnel ou encore supra-législatif et infra-constitutionnel, il faut considérer

que cette norme, insérée dans l'ordre juridique interne en vertu de l'alinéa 14, doit prévaloir

sur la loi antérieure même pour le juge ordinaire. Ce dernier – qui, pourtant, est lié par la règle

selon laquelle il lui est interdit de contrôler la constitutionnalité de la loi – refuse tout de

même d'appliquer une loi qui se heurte à une règle constitutionnelle postérieure.

Pour que la loi antérieure l'emporte, il serait nécessaire que la règle internationale de droit non

écrit ait un rang infra-législatif357.

Mais ces dernières peuvent-elles se situer à un niveau infra-législatif ? Cette question appelle

sans doute une réponse négative.

Le recours aux méthodes objectives d'interprétation de la Constitution (et notamment

de l'alinéa 14)358 conduit à affirmer que le droit international général ne se situe pas à un

355 CE, 28 juillet 2000, M. Paulin. 356 Dès lors que l'arrêt Aquarone du 6 juin 1997 considère que l'alinéa 14 ne prescrit ni n'implique « que le juge administratif fasse prévaloir la coutume international sur la loi en cas de conflit entre ces deux normes », cela signifie que la signification de l'alinéa 14 proposée ici n'aurait pas pour effet de faire prévaloir (sur la loi) la norme internationale postérieure (v. d'aileurs, chrn. Chauvaux et Girardot, AJDA 1997, p. 574). 357 On pourrait considérer, en première analyse, que ce rang est, par ailleurs, nécessairement supra-décretal, les actes administratifs (quels que soient leur rang) devant respecter – ce point de vue est généralement admis – les règles internationales de droit non écrit. Mais, en l'espèce ce raisonnement n'est pas acceptable : dans la lecture de l'alinéa 14 retenue ici, les actes administratifs doivent respecter le droit international général en raison de l'obligation de conformité – dont le rang constitutionnel n'est pas contestable – posée par l'alinéa 14, et non en raison de la supériorité hiérarchique (sur les actes administratifs) des règles non écrites de droit international. 358 Le point de vue de MM. Chavaux et Girardot, qui considèrent que la loi l’emporte sur la coutume internationale postérieure tout en affirmant que cette dernière a « une valeur organique au moins égale à celle des dispositions organiques qui… régissent [le Conseil constitutionnel] en vertu de l’article 63 de la Constitution » (AJDA 1997, p. 575, col. droite) est entachée d’une contradiction logique. Bien entendu, une

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niveau infra-législatif. Pour ce qui est des méthodes subjectives d’interprétation qui se fondent

sur l’intention du constituant, il est clair que les travaux préparatoires de la Constitution ne

permettent, en aucune façon, de considérer que les règles du droit international non écrit

doivent être placées hiérarchiquement au-dessous de la loi. Par ailleurs, concernant les

méthodes objectives d’interprétation, la conclusion est identique. La cohérence du texte

constitutionnel invite à penser, dans un premier temps, que les règles internationales sont

caractérisées par une valeur constitutionnelle : en effet, les principes fondamentaux reconnus

par les lois de la République (auxquels le préambule renvoie également) se situent au niveau

constitutionnel. Aucun élément, figurant dans l’acte constitutionnel, ne permet de conclure à

l’existence d’un rang infra-législatif359.

Pour affirmer que la loi antérieure doit prévaloir sur le droit international général

postérieur, il faudrait admettre que ce dernier n’est pas automatiquement incorporé dans

l’ordre interne. Mais, pareille hypothèse n’est pas concevable, le monisme juridique – ou du

moins un système mixte – faisant autorité en matière de droit international, dans la

jurisprudence360.

disposition semblable à l’article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958 n’est pas nécessaire pour que la norme internationale postérieure l’emporte sur la loi antérieure. 359 Certes, on pourrait faire valoir que la loi ordinaire ne peut être abrogée par une coutume postérieure (refus traditionnel du juge administratif de reconnaître l’autorité de la coutume contra legem). Mais, on comprendra aisément les limites de cette objection : dès lors que la Constitution admet que la coutume est applicable, cette dernière peut prévaloir sur une règle de droit écrit antérieure (s’agissant d’une règle de droit écrit contra legem, CE, 20 février 1970, S.A. Moët et Chandon, p. 126 ; v. G. Teboul, Usages et coutumes dans la jurisprudence administrative, Paris, LGDJ, 1989, p. 213). 360 On pourrait penser que contredite par une règle non écrite du droit des gens qui lui est postérieure, la loi ne devient pas à proprement parler contraire à la Constitution, c’est-à-dire à l’alinéa 14 : ce qui semble contraire à l’alinéa 14 est que le législateur n’adapte pas sa législation à la nouvelle règle de droit international non écrit. Dans cette optique, on pourrait considérer que seules les règles internationales de droit non écrit complétant les règles internationales de niveau législatif ou supra-législatif (i.e. les règles internationales supplétives) sont applicables en bloc, en vertu de l’alinéa 14, dans l’ordre juridique français. De sorte que : - une loi postérieure et contraire au droit international supplétif (défini comme il vient d’être indiqué)

serait contraire à la Constitution, en tant qu’elle viole l’alinéa 14 ; - une règle de droit international non écrit postérieure à la loi serait inapplicable puisque, n’ayant pas – en

tant qu’elle intervient après la loi – un caractère supplétif, elle n’appartiendrait pas à l’ordre juridique français

Il y a place ici pour un raisonnement permettant d’affirmer que la loi prévaut, en toute hypothèse, sur le droit international non écrit auquel elle est contraire. Mais cette manière de penser doit être rejetée : - d’abord, parce qu’elle conduit à affirmer que la règle internationale postérieure est contraire à la loi

(règle internationale qui, dans cette hypothèse n’est pas supplétive) ne pourrait trouver à s’insérer dans l’ordre interne qu’à la suite de l’édiction d’un acte de droit national (une loi ordinaire notamment) lui-même postérieur à la norme non écrite de droit des gens : en effet, pour que les termes de l’alinéa 14 soient respectées, il faudrait que la constitutionnalité, au regard de cet article, de la nouvelle loi postérieure puisse être contrôlée ; et ce contrôle suppose, bien entendu, que la règle international de droit écrit fasse partie intégrante de l’ordre interne. On aboutirait alors à une situation illogique : les règles non écrites de droit international (règles présentant un caractère supplétif obéiraient à une logique de système mixte (applicabilité « en bloc » en vertu de l’alinéa 14), tandis que les règles de droit international non écrit dépourvues de caractère supplétif (règles postérieures aux lois nationales) verraient leur intégration dans l’ordre interne dépendre de l’entrée en vigueur d’une loi nationale elle-même postérieure ;

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Ainsi il semble que, selon la lecture de l’alinéa 14 envisagée ici – la règle

internationale de droit non écrit doit primer la loi antérieure. Mais alors, à quel niveau

hiérarchique doit-elle se situer par rapport à la loi ?

Il convient de présenter deux observations :

Il se peut que le Parlement français adopte, à l’image d’autres Etats, une loi contraire à

une coutume internationale. Dans cette hypothèse, la règle coutumière pourrait disparaître, la

pratique (à partir de laquelle elle a pris naissance) perdant le caractère de généralité nécessaire

à son maintien. Bien entendu, si le juge était saisi d’un litige né au moment où la coutume a

disparu, il observerait que la règle internationale coutumière n’existe pas. Par conséquent, il

ne raisonnerait pas en termes de conflit entre la loi française et la règle de droit coutumier.

Il est possible aussi que la pratique, après avoir perdu sa généralité, retrouve son caractère

général, la plupart des Etats – qui s’étaient émancipés de la coutume initiale – décidant

d’avoir, à nouveau, un comportement conforme à cette dernière. Dans ce cas si la France

maintient son système (contraire à la coutume initiale), le juge, en dépit des apparences, sera

confronté, s’il est saisi né lorsque la coutume s’est reformée, à une antinomie dressant face à

face une loi française et une coutume internationale postérieure.

Ainsi, pour que le juge connaisse une affaire mettant aux prises un acte législatif postérieur à

une règle coutumière existante, il est nécessaire que la loi votée par le Parlement français ne

s’inscrive pas dans un mouvement général d’évolution du droit coutumier international

existant361.

Lorsqu’on analyse l’arrêt Aquarone, en considérant que le mode d’applicabilité des

normes internationales non écrites soit en principe celui d’un système mixte, une interrogation

surgit : la solution retenue par le Conseil d’Etat ferme-t-elle la voie d’une possible prévalence

des règles non écrites du droit international sur la loi postérieure ? En d’autres termes, le juge - ensuite, parce qu’elle revient à affirmer qu’un conflit entre une loi et une règle de droit international

général postérieur est impossible, faute d’insertion de cette dernière dans l’ordre interne. En d’autres termes, la question soulevée par ce type de conflit est résolue par l’affirmation selon laquelle ce type de conflit n’existe pas… On pourrait faire valoir, certes, que l’alinéa 14 implique nécessairement cette lecture. Mais est-ce exacte ? On peut sérieusement en douter. D’abord parce que les travaux préparatoires de l’alinéa 14 ne vont nullement dans ce sens. Ensuite, parce que, selon cet alinéa, la République française, en se conformant aux règles du droit international public est « fidèle à ses traditions » ; en d’autres termes, elle se conforme aux règles non écrites du droit international dans le respect notamment sa tradition moniste – tradition relevée par le juge judiciaire – selon laquelle le droit international non écrit était automatiquement inséré dans l’ordre juridique interne, sans que cette insertion ait été subordonnée à l’antériorité (par rapport à la loi) de la règle de droit international général.

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pourra-t-il rejoindre, à terme, en matière de règles non écrites du droit international, la

position qu’il a adoptée dans le domaine des traités (jurisprudence Nicolo) ?

On pourrait penser, en première analyse, que, sensible à la volonté du pouvoir constituant

d’établir un système d’intégration des normes internationales assurant la prévalence du droit

international général sur la loi ordinaire – puisque le mode d’applicabilité ici envisagé conduit

à affirmer qu’une loi votée par le Parlement doit, si le Conseil Constitutionnel en connaît,

s’incliner devant le droit international non écrit – le juge administratif affirmerait que l’Etat

ne peut pas se retrancher derrière le droit national pour échapper aux rigueurs de la norme

internationale.

Mais ce raisonnement mérite d’être apprécié à l’aune d’une autre considération.

On peut considérer que le Constituant à donner au Conseil constitutionnel, et à lui seul, le

droit d’écarter la loi postérieure au profit du droit international non écrit : en créant un

contrôle de constitutionnalité dont il a attribué l’exercice au Conseil constitutionnel, le

pouvoir constituant aurait (implicitement) voulu priver les juridictions ordinaires de la

possibilité de se prononcer sur la conformité d’une règle aux règles non écrites de droit

international.

Le mode d’applicabilité de système mixte fondé sur l’alinéa 14 impliquerait que les règles

internationales de droit non écrit l’emportent sur les lois ordinaires, étant donner que seul le

Conseil constitutionnel peut assurer la prévalence des premières sur les secondes. En d’autres

termes, l’Etat, devant le juge ordinaire, pourrait valablement se retrancher derrière la règle de

droit interne, selon laquelle le juge ordinaire ne contrôle pas la constitutionnalité des lois, afin

de s’émanciper d’une règle de droit international non écrit. Dans cette perspective, il est clair

que, pour le juge ordinaire, l’intention du pouvoir constituant serait la suivante : volonté

d’établir, devant le juge constitutionnel, un système mixte à « primauté » de droit

international (prévalence du droit international non écrit sur la loi ordinaire postérieure) ;

volonté d’établir, devant le juge ordinaire, un monisme à « primauté » de droit interne (primat

de la loi ordinaire postérieure sur la règle non écrite de droit international).

Cette solution trouve toute sa cohérence si l’on considère que le système moniste est le

mode d’applicabilité privilégié devant le juge ordinaire.

361 Bien entendu, la loi, en tant qu’acte unilatéral étatique contraire au droit international, pourrait être appréhendée, dans l’ordre juridique international, comme un acte invalide.

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3. Une primauté indéterminable dans le cadre du mode d’applicabilité moniste.

De façon générale, l’arrêt Aquarone a été interprété comme consacrant, devant le juge

ordinaire, l’autorité des seules règles internationales supplétives qui s’insinuent des espaces

au sein desquels la législation (loi ordinaire notamment) est lacunaire362. Cela étant, certains

auteurs ont estimé que le rang hiérarchique du droit international général pourrait se situer au

niveau de la loi, voire du traité363. C’est dire que, pour ces auteurs, le système juridique

français n’exclut pas la possibilité d’une prévalence du droit international non écrit (postérieur

à la loi ou postérieur et antérieur à la loi) sur l’acte de législation.

Confronté à cette question, le juge ordinaire retiendra une solution qui dépendra de la

façon dont il conçoit l’intention du pouvoir constituant et – surtout – les relations entre droit

international et droit interne. En effet, le mode d’applicabilité moniste détermine pas en soi un

rang hiérarchique du droit international général ; à cet égard, l’acte constitutionnel comporte

une lacune derrière laquelle le juge ne saurait s’abriter pour trancher un litige364.

Le juge peut notamment considérer – la Constitution étant muette sur ce point – que le

constituant a entendu consacrer un monisme assurant le primat du droit international non écrit

sur toutes les lois ordinaires. Dans cette hypothèse, le juge estimerait que les lois (antérieures

ou postérieures) doivent plier devant toutes les règles de droit international non écrit qui leur

sont contraires.

Cette solution appelle plusieurs observations :

362 C’est ce qui résulte nécessairement des analyses de l’arrêt Aquarone selon lesquelles le juge administratif aurait considéré que la loi prévaut, en toute hypothèse, sur la coutume internationale (v. GAJA, n°84 p. 741 ; v. également F. Moderne, « Actualité des principes généraux du droit », RFDA 1998, p. 514 (col. gauche) ; D. Chauvaux et T.-X. Girardot, op. cit., p. 574 (col. droite, in fine). 363 V. J.-F. Lachaume qui estime que la loi et la coutume internationale pourraient se situer sur le même plan hiérarchique (AFDI 1998, p. 677 § 48). V. également L. Dubouis qui considère qui considère que la coutume internationale pourrait se situer, comme les traités, au-dessus de la loi (« Droit international et juridiction administrative », Encyclopédie Dalloz de droit international, 1998, p. 15 § 80). 364 Rappelons q’une des lectures possibles de l’arrêt Aquarone selon laquelle, concernant le rang hiérarchique du droit international non écrit, le Conseil d’Etat n’a pas entendu prendre position au sujet de l’intention du pouvoir constituant : la Haute juridiction administrative aurait « simplement » considéré que les normes constitutionnelles françaises, à la lettre, ne permettent pas de résoudre les conflits qui sont susceptibles de naître entre les lois et les normes du droit international non écrit ; en conséquence, la question du rang hiérarchique de ces derniers demeurait réservée.

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D’abord, le juge, en statuant de la sorte, pourrait faire application de la règle selon

laquelle il est interdit à l’Etat de se prévaloir du droit interne (des lois ordinaires) pour

échapper au droit international365.

Ensuite, il convient de remarquer que le rang hiérarchique du droit international non

écrit serait le même que celui des traités : la jurisprudence Nicolo relative aux conventions

internationales vaudrait aussi en matière de droit international non écrit. A cet égard, les

conflits entre traités et règles juridiques internationales seraient aisément résolues : comme

dans le droit international, le droit écrit (traités) et le droit non écrit (coutumes et principes

généraux de droit international seraient placés sur un pied d’égalité.

Enfin, la voie vers la primauté (sur les lois antérieures et postérieures) des règles

internationales de droit non écrit est ici facilement envisageable. A cet égard, on mesure

combien il est important de savoir si l’applicabilité des normes non écrites du droit

international dépend de l’article 14.

De manière générale, la primauté des normes internationales non écrites sur les lois

entraîne primauté sur les normes infra-législatives. La primauté d’application des normes

internationales non écrites sur les normes infra-législatives est assurée même devant le juge

ordinaire français. Par là, il est confirmé que c’est en raison des compétences contentieuses du

juge (le juge administratif français est évidemment compétent pour déclarer un acte

administratif illégal) et non du rang des normes internationales non écrites en tant que tel, que

le juge ordinaire français refuse d’écarter l’application d’une loi au profit d’une norme

internationale non écrite.

I. Résolution de conflits entre norme internationale non écrite et normes infra-

législatives

365 Bien entendu, la lacune étant comblée ici par l’intermédiaire d’une analyse de pure logique formelle, la règle (selon laquelle un Etat ne peut pas s’abriter derrière son droit interne pour se dispenser d’exécuter ses obligations internationales) ne serait pas automaticité : un raisonnement préalable – tendant à montrer que l’ordre juridique français accepte la supériorité du droit international non écrit sur les lois ordinaires et que, le juge, en conséquence, peut faire prévaloir les règles internationales non écrites – serait tenu. Et il est clair que ce raisonnement permettrait d’assurer, même à l’égard des particuliers (sans recourir, cette fois, à la règle qui interdit à l’Etat de se prévaloir de son droit interne, règle qui ne concerne que l’Etat), la prévalence des règles non écrites du droit international sur les lois ordinaires.

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La suprématie des normes internationales non écrites sur les normes de justice ordinaire

(A) et les actes administratifs (B) est assurée devant les juridictions allemandes et françaises.

Quelques précisions sont toutefois à apporter.

A. Normes internationales non écrites et normes de justice ordinaire

La suprématie de la norme internationale non écrite sur la loi entraîne logiquement sa

prévalence sur l’ensemble du droit infra-législatif, normes juridictionnelles et normes

jurisprudentielles.

En Allemagne, la primauté des règles générales du droit international sur les normes

de justice ordinaire est à déduire notamment de l’article 20 III qui lie le pouvoir judiciaire

« au droit et à la loi » - les règles générales du droit internationales étant une composante du

droit fédéral. De plus, l’article 100 II garantit le respect de ces normes par les tribunaux

ordinaires.

En France, la primauté des normes non écrites du droit international sur les normes de

justice ordinaire se complique en pratique. En l’absence de procédure obligatoire de

reconnaissance, le juge a déjà pris la responsabilité d’une violation pure et simple de la règle

internationale366.

Cette primauté vaut également pour les actes administratifs.

B. Normes internationales non écrites et actes administratifs

En Allemagne, la primauté des règles générales du droit international sur la loi entraîne

également supériorité sur les actes administratifs. L’article 20 III lie le pouvoir exécutif,

comme le pouvoir judiciaire, au « droit et à la loi »367.

366 C. Cass, 30 mars 1996, Ignazio Messina : l’irresponsabilité de l’Etat français est assise sur l’idée d’une opération militaire alors qu’il s’agissait d’une opération interne de maintien de l’ordre au sens du droit international général. 367 Ceci a été confirmé par la Cour constitutionnelle fédérale sur le fondement de l’article 25, décision du 21 mai 1987 : « Art. 25 GG verplichtet den deutschen Normgeber und anwender, die allgemeinen Regeln des Völkerrechts zu beachten » (l’article 25 oblige le législateur et l’exécutif allemand à observer les règles générales du droit international »).

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En France, la supériorité des normes non écrites sur les actes administratifs est acquise. Le

mode d’applicabilité implique toutefois certaines différences sur le contentieux.

1. Mode d’applicabilité de système mixte

Dans le cadre d’un mode d’applicabilité de système mixte, il apparaît que les actes édictés

par l'administration devraient s'incliner, en matière d'excès de pouvoir, devant le droit

international général368. Cependant, on remarquera qu'un acte administratif réglementaire qui

porte application d'une loi contraire à une règle de droit international de droit non écrit, ne

pourrait être annulée par le juge administratif puisque la loi, en raison de son

inconstitutionnalité, ferait écran.

2. Mode d’applicabilité moniste

On peut admettre, eu égard au monisme juridique qui caractérise la lecture de l’alinéa 14

envisagée ici, que les actes de l’administration doivent être soumis au droit international non

écrit. Mais, il faut, pour cela, que soit attribué au droit international non écrit un rang

hiérarchique au moins égal à celui de la loi369 - ce que n’excluent pas les conclusions du

commissaire du gouvernement Bachelier prononcées sous l’arrêt Aquarone370.

On pourra considérer que, dans cette perspective, les actes administratifs pourraient être

contestées, par la voie de l’excès de pouvoir (pour violation de règles non écrites de droit

368 On relèvera que MM. Chauvaux et Girardot, qui retiennent une lecture de l'alinéa 14 conforme au mode d’applicabilité que nous envisageons ici, estiment que l'arrêt Aquarone du 6 juin 1997 « écarte l'idée selon laquelle la coutume ne serait invocable que dans le cadre des litiges de plein contentieux et simplifie ainsi l'état du droit issu de la décision Nachfolger » (AJDA 1997, p. 574, col. droite). Rappelons que selon l'arrêt Nachfolger, rendu en matière de plein contentieux, l'Administration peut engager sa responsabilité en raison de la violation du droit international non écrit. 369 Dans la lecture de l’alinéa 14 envisagée ici, l’hypothèse d’un rang infra-législatif et supra-décrétal (rang auquel se situe le juge), s’agissant du droit international non écrit, paraît exclue, le juge se bornant à constater l’existence de ce droit considéré comme directement applicable. 370 V. Concl. G. Bachelier, n. 35, p. 862.

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international), devant le juge administratif. Il y aurait là un prolongement logique de la

jurisprudence Nachfolger qui fait autorité au plein contentieux371.

Le principal obstacle à la primauté du droit international sur le droit interne n’est pas le

rang conféré aux normes internationales par les droits internes mais les compétences

contentieuses du juge interne. A cet égard, il convient de distinguer entre simple primauté des

normes au sein de la hiérarchie des normes et primauté d’application de la norme. Une norme

peut être supérieure dans la hiérarchie des normes sans que l’organe d’application du droit

n’ait pour autant la compétence pour mettre en œuvre le caractère prioritaire de cette norme.

En cela, l’instauration par les juridictions internes d’un monisme à primauté de droit

international implique nécessairement une extension de leur compétence contentieuse.

Les dispositions constitutionnelles relatives à l’intégration des normes internationales dans

les ordres juridiques internes peuvent paraître « superflues ». Par contre, l’attribution de

compétences contentieuses relatives à l’application du droit international aux juridictions

internes par une norme constitutionnelle semblerait davantage conforme à un monisme

juridique déjà largement mis en œuvre par les organes d’application du droit, comme le

démontre la résolution des conflits entre normes internationales par les juridictions internes.

371 En matière d’excès de pouvoir, on relève l’arrêt France Terre d’Asile (CE, 27 septembre 1985, Rec. p. 265) qui admet l’autorité des règles juridiques internationales non écrites. Mais cet arrêt, il est vrai, est antérieur, est antérieur à l’arrêt rendu par le Conseil d’Etat dans l’affaire Mines de Potasse (CE, 18 avril 1986, Mines de potasse).

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Chapitre 2. La résolution de conflits entre normes internationales par le droit interne

En droit international, l’absence de hiérarchie a priori entre sources formelles

(coutumes et traités principalement) n’oblige pas à considérer qu’il n’existe pas de hiérarchie

entre les normes juridiques. Cette hiérarchie ne peut être déduite de l’origine des normes,

puisqu’il s’agit de sources formelles qui ne sont pas hiérarchisées. Mais elle peut résulter

d’autres caractéristiques : le degré relatif de généralité des règles en cause, leur position

chronologique par exemple.

Il est vrai cependant que les principes généraux de droit, à défaut d’être des sources

coutumières, ont un caractère second. L’interprète n’y recourt qu’à défaut d’autres sources

pertinentes.

Le seul cas où l’on peut, à proprement parler, faire application du principe hiérarchique est

celui d’un conflit entre une « norme impérative » (ius cogens) et une autre norme,

conventionnelle ou coutumière.

Enfin, il faut signaler la soft law ou « droit mou » qui n’est en réalité pas du droit parce que

dépourvue de normativité372. Mais la soft law peut participer au processus de formation de

règles, par exemple coutumières voire de ius cogens373.

Dans les autres cas, il existe, sinon un principe hiérarchique, du moins des règles de

solution de conflits, soit entre règles conventionnelles, soit entre règles coutumières, soit entre

norme conventionnelle et norme coutumière.

Les solutions du droit positif s’inspirent de deux adages : specialia generalibus derogant (les

normes spéciales dérogent aux règles générales) et lex posterior priori derogat (la règle

postérieure l’emporte sur règle antérieure.

Est-ce que les organes d’application du droit interne appliquent les mêmes solutions de conflit

entre normes internationales applicables que le droit international général ?

372 Prosper Weil (Prosper Weil, « vers une normativité relative du droit international ? », RGDIP, 1982, p. 9 et 11) a une analyse contraire « le fait qu’une règle soit soft ou hard n’affecte certes en rien son caractère normatif : une règle conventionnelle ou coutumière peut être peu contraignante » (…) « une norme permissive est une norme comme une autre, et seule une autre peut abroger une autre norme : accorder à certaines résolutions une valeur permissive ou abrogatoire c’est, sans le dire, leur reconnaître une valeur normative pleine et entière ». L’analyse de Pierre Weil semble reposer sur une confusion entre contenu de la soft law (effectivement permissif) et leur nature normative (le caractère soi-disant permissif des règles de soft law ne lie pas non plus les Etats). 373 Par exemple les normes de soft law relatives à la bioéthique.

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La logique voudrait que les mêmes règles de solution de conflits s’appliquent. Toutefois, des

dispositions constitutionnelles s’opposent parfois à de telles solutions. Les organes

d’application y remédient parfois par des solutions de contournement.

En l’absence de disposition constitutionnelle pertinente, les conflits entre règles non

écrites du droit international sont généralement résolus par les organes d’application du droit

selon les règles du droit international (Section 1). Par contre, dans les ordres juridiques

nationaux, il existe des dispositions constitutionnelles différenciées relatives à l’applicabilité

des traités et à leur rang dans la hiérarchie des normes. Mais les juridictions ont recours a des

modes de résolution de conflits susceptibles de maintenir la cohérence du droit (section 2)

Section 1. La résolution de conflit entre normes de droit international non écrit

Les juridictions internes appliquent désormais les principes généraux de droit

conformément à leur fonction en droit international (I). De même, le caractère impératif des

normes de ius cogens sur les autres normes de droit international a été reconnu par les

juridictions allemandes mais non par les juridictions françaises mais cela découle d’un

raisonnement « internationaliste » du juge ordinaire français et non de dispositions de droit

interne(II). Enfin, la résolution de conflits entre règles coutumières de droit international

s’effectue conformément aux règles de droit international devant les organes internes

d’application du droit (III).

I. L’articulation entre principes généraux de droit et autre règles du droit international

général

En France, le Conseil d’Etat applique un régime différencié aux principes généraux de

droit selon leur reconnaissance par la Cour de justice des communautés européennes (A).

Néanmoins, la fonction spécifique des principes généraux de droit a été reconnu devant celui-

ci. L’application des principes généraux de droit devant les juridictions internes, françaises et

allemandes, est désormais similaire à l’application de ces mêmes principes devant les

juridictions internationales (B)

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A. La coexistence de deux régimes d’application des principes généraux de droit devant le

Conseil d’Etat français

Le Conseil d’Etat, par sa jurisprudence Paulin, attribue un même rang aux principes

généraux de droit et à la coutume.

Selon la Haute juridiction administrative, les principes généraux de droit ne sont en

aucune manière visés par l’article 55 et leur sort rejoint celle de la règle coutumière. Cette

solution était annoncée par le Commissaire du gouvernement Bachelier dans ses conclusions

dans l’affaire Aquarone en ces termes : « la réponse que vous donnerez au présent litige

préfigurera probablement celle qui pourrait être la votre à propos de ces principes »374. Il est

repris par J. Arrighi de Casanova en ces termes : « dans la mesure où les principes généraux

du droit ne sont pas mentionnés dans cet article (55), la solution vaut aussi, nécessairement,

pour eux »375.

Pourtant, les Commissaires du gouvernement ayant conclu respectivement dans l’affaire

Aquarone et l’affaire Paulin font un sort particulier aux principes généraux du droit

communautaire. Le commissaire Bachelier376 et à sa suite, le Commissaire Arrighi de

Casanova réservent un sort particulier aux principes généraux du droit communautaire, sort

fondé sur l’article F du traité de l’Union Européenne qui dispose : « l’Union respecte les

droits fondamentaux tels qu’ils sont garantis par la Convention Européenne des droits de

l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome, le 4 novembre 1950, et tel qu’ils

résultent des traditions constitutionnelles communes aux Etats membres en tant que

principes généraux du droit communautaire ». L’argument est adopté par le Commissaire

Arrighi de Casanova en ces termes : « ces principes nous paraissent (…) devoir bénéficier

de l’article 55 dès lors qu’ils sont incorporés au droit conventionnel écrit, depuis que

l’article F du traité de l’Union Européenne y fait référence .»

Une telle différenciation du régime d’application des principes généraux est

condamnable. La Cour de justice des communautés européennes elle-même applique

indifféremment les principes généraux de droit « classiques » et d’autres principes généraux

de droit spécifiques au droit communautaire. Selon cette solution, le rang des principes

374 Conclusions de G. Bachelier, Rec. 1997, p. 219. 375 Conclusions du Commissaire Arrighi de Casanova, p. 1. 376 Conclusions de G. Bachelier, pp. 219-220.

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généraux de droit en droit interne est relatif à leur identification par la Cour de Luxembourg

et non à leur qualité propre de norme de droit international.

Par contre, la fonction spécifique des principes généraux de droit a été reconnue par les

juridictions internes aussi bien en France qu’en Allemagne.

B. La fonction des principes généraux de droit

Le Conseil d’Etat, en sa jurisprudence Zaidi377 du 21 avril 2000, prévoit qu’en cas de

concours de plusieurs engagements internationaux, la détermination de leurs modalités

d’application se réalise en fonction des « principes de droit coutumier » relatifs à ce cas.

Sans doute faut-il entendre par « principes du droit coutumier » les principes généraux de

droit « reconnus par les nations civilisées. »

En Allemagne, la Cour constitutionnelle fédérale a, à plusieurs reprises, affirmé que « Bei

den allgemeinen Regeln des Völkerrechts handelt es sich in ersten Linie um universell

geltendes Völkergewohneitsrecht, ergäntz durch anerkannte allgemeine

Rechtsgrunsätze »378. La Cour constitutionnelle fédérale attribue donc aux principes

généraux de droit une fonction « complémentaire ».

Les juridictions françaises et allemandes considèrent donc, en quelque sorte, que les

principes généraux de droit sont des normes destinées à assurer « la plénitude de l’ordre

juridique international » 379 en contribuant à la détermination des modalités d’application des

normes internationales. Une telle fonction des principes généraux de droit n’est évidemment

pas à exclure380. Toutefois, les principes généraux de droit sont également des normes

autonomes susceptibles de faire obstacle à l’application d’autres normes de droit

international. Leur mode de formation n’implique nullement que ces normes soient

uniquement destinées à combler les lacunes du droit international.

377 CE, 21 avril 2000, Zaidi, RFDA 2000, p. 707. 378 BVerfGE 15, p. 25 sqs. (32) ; 23, p. 288 sqs. (317) ; BverfG 2 BvR 1243/03 : « Les règles générales concernent en premier lieu le droit coutumier universel valide complété par les principes généraux de droit reconnus ». 379 P. Weil, « Cours général de droit international public », RCADI, 1992, VI, n°237, p. 209. 380 B. Vitanyi, « les positions doctrinales concernant le sens de la notion de « principes généraux reconnus par les nations civilisées », RGDIP, 1982, pp. 48-116.

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Cette autonomie des principes généraux de droit a ainsi été reconnue à plusieurs reprises

par la Cour constitutionnelle fédérale notamment le principe de standards minimaux en

matière de procédure pénale381.

De même que le caractère spécifique des principes généraux de droit est appliqué par les

juridictions internes, le caractère impératif des normes de ius cogens a été reconnu – ou du

moins envisagé – devant celles-ci.

II. La reconnaissance du caractère impératif des normes de ius cogens

Les normes de ius cogens se distinguent des normes coutumières par leur caractère

absolu et impératif. En tant que telles, elles sont susceptibles de s’imposer face aux autres

normes internationales. Tandis la Cour constitutionnelle allemande applique la spécificité de

ces normes internationales, la Cour de cassation a envisagé de mettre en œuvre ce caractère

impératif.

En France, la jurisprudence de la Cour de cassation du 13 mars 2001, déjà évoquée,

apporte plusieurs précisions en matière de conflit entre normes de droit international non écrit.

Il convient ici de mettre l’accent sur la forme et le contenu des règles de droit international

qui, en l’espèce, se heurtaient l’une à l’autre.

Etait en cause, tout d’abord, la règle de droit de droit inernational (de caractère non

écrit) selon laquelle les chefs d’Etat en exercice ne peuvent pas faire l’objet de poursuites

devant les juridictions pénales d’un état étranger.

Ensuite, la règle impérative de droit international (règle non écrite), à laquelle l’avocat général

Launay était confronté, conduisait à s’interroger – compte tenu de l’atteinte portée, en

l’espèce, aux droits fondamentaux de la personne humaine (action terroriste ayant consisté,

sur ordre d’un chef d’Etat, à faire exploser un avion de ligne) – sur la mise à l’écart de la

norme consacrant l’immunité des chefs d’Etat étrangers.

La règle entrant en conflit avec la norme de ius cogens n’était pas une convention

internationale : il s’agissait d’une règles coutumière382. En conséquence, on ne se trouvait pas

381 Décision de la Cour constitutionnelle fédérale du 21 mai 1987, précité.

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en présence d’une antinomie normative identique à celle envisagée par les articles 53 et 64 de

la convention de Vienne sur le droit des traités (norme conventionnelle s’opposant à une règle

juridique – internationale – impérative).

Pourtant, l’avocat général Launay n’a pas hésité à recourir à la notion de ius cogens, pour

appréhender le conflit existant entre les deux règles de droit non écrit sus-mentionnées.

Enfin, la règle de ius cogens invoquée soulevait une difficulté : faire exception à

l’immunité de juridiction des chefs d’Etat étrangers, s’agissant de certains crimes qui, au

regard du droit international, présentent un caractère d’exceptionnelle gravité, suppose que

l’on parvienne à définir les crimes entrant dans cette catégorie383.

L’avocat général a toutefois exclu ici l’applicabilité de la norme de ius cogens en se

fondant sur la règle de « l’objecteur persistant », la France ayant constamment refusé d’être

liée à ce type de normes impératives.

Ceci amène à la question suivante : la règle de « l’objecteur persistant » serait-elle

utilisée par le juge si la règle de droit invoquée présentait, sans équivoque, c’est-à-dire

indiscutablement, un caractère impératif en droit international ? On ne saurait apporter une

réponse certaine à cette question. Toutefois, si l’application des normes de droit international

non écrite par le juge ordinaire est bien moniste en France, le juge devrait logiquement

appliquer les normes de ius cogens en tant que normes impératives dans l’ordre juridique

français pour autant que leur existence spécifique soit avérée en droit international. Le

comportement d’objecteur persistant (la règle de l’objecteur persistant en droit international

n’étant pas une norme impérative) de la France ne serait nullement s’opposer à ce qu’elle soit

liée à de telles normes.

Contrairement à la France, la République Fédérale Allemande ne s’est pas opposée à

la formation d’un droit international impératif. La jurisprudence ayant considéré que l’article

25 ouvre le droit national aux règles générales du droit international en leur portée respective

382 L’arrêt du 13 mars 2001 qualifie expressément la règle de « coutume internationale » : « Attendu que la coutume internationale s’oppose à ce que les chefs d’Etat en exercice puissent, en l’absence des dispositions internationales contraires s’imposant aux parties concernées, faire l’objet de poursuites devant les juridictions pénales d'un Etat étranger ». 383 « Il serait … audacieux, pour ne pas dire inconséquent, de prétendre qu’il existe déjà, d’ores et déjà, en vertu d’un « jus cogens », … , une exception à l’immunité de juridiction des chefs d’Etat étrangers pour certains crimes considérés comme d’une exceptionnelle gravité au regard du droit international, alors qu’il reste, de surcroît, à définir les crimes susceptibles d’être retenus comme tels » (concl. Launay, n°1, p. 31, col. droite).

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en droit international384, la reconnaissance du caractère impératif des normes de ius cogens

sur les autres normes de droit international par le juge constitutionnel a été précoce385 . Par sa

décision du 7 avril 1965386, alors que le contenu et l’existence même de ces normes de ius

cogens étaient indéterminés, la Cour a reconnu qu’un caractère impératif pouvait être attribué

à certaines règles du droit international relatives à des droits élémentaires. En l’espèce, la

règle selon laquelle les étrangers n’ont pas à participer à la couverture des réparations de

guerre n’a pas été considérée comme une norme impérative du droit international.

La Cour constitutionnelle fédérale a également envisagé le problème des conséquences

juridiques internes à tirer d’actes commis à l’étranger par des sujets étrangers qui violent les

normes de ius cogens. Ces actes sont considérés comme nuls au sein de l’ordre juridique

allemand et sur le territoire allemand. Les fondements d’une telle nullité387 reposent sur le

principe de l’ordre public388 allemand – c’est-à-dire des principes essentiels et indérogeables

de la Loi Fondamentale notamment en matière de droits fondamentaux389 – ainsi que sur les

règles internationales de ius cogens (ordre public international)390.

Les normes impératives de ius cogens sont des normes qui, de par leur contenu, sont

généralement reconnus par les normes constitutionnelles. Par conséquent, il existe

relativement peu d’applications concrètes des normes impératives du droit international, les

organes d’application du droit privilégiant l’application des normes constitutionnelle.

Toutefois l’application des normes de ius cogens en leur caractère propre de normes

impératives pose le problème des effets qu’une telle reconnaissance est susceptible d’entraîner

sur le comportement de l’Etat dans les relations internationales. Les juridictions internes

peuvent-elles imposer aux organes de l’Etat compétents en matière de relations internationales

une obligation d’intervenir à l’étranger en cas de violation d’une norme de ius cogens ? Une

telle portée de ces normes n’est pas à exclure. En particulier, dans un premier temps, il est

possible d’envisager que la reconnaissance du caractère impératif de ces normes implique que

l’Etat doit s’abstenir – à l’étranger également – de tout agissement contraire aux normes de

ius cogens. Il est à noter qu’une évolution des normes de ius cogens en ce sens ne semble pas 384 Notamment BVerfGE 15, 25 [31 f.] ; 16, 27 [32 f.]. 385 BVerfGE 18, 441. 386 387 La question est avant tout importante dans le domaine étrangère concernant la propriété privée : BVerfGE 84, p. 90 sqs. (123) ; BGHZ 20, p. 4 sqs. (12) ; 25, p. 134 sqs. (140). 388 En Français dans le texte. 389 Bverf GE 57, p. 9 sqs. (23) ; 59, p. 280 sqs. (282) ; 60, p. 348 sqs. (355) ; 63, p. 107 sqs. (206) ; 75, p. 1 sqs. (19).

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incompatible avec les évolutions actuelles du droit international, notamment concernant le

droit d’ingérence.

On sait que la France s’est opposée à la formation des normes de ius cogens.

Toutefois, si les organes d’application du droit – et en particulier le juge – applique le droit

international dans le cadre d’un système moniste, rien ne s’oppose à ce que le caractère

spécifique des normes de ius cogens soit appliqué pour autant que ce caractère particulier soit

reconnu dans l’ordre juridique international.

La résolution des conflits entre normes coutumières s’effectue également, devant les

juridictions internes, conformément au droit international.

III. La résolution de conflits entre règles coutumières

En principe, il n’y a aucune raison de ne pas appliquer, dans l’ordre juridique national, la

même solution que dans l’ordre international en cas de conflit entre normes coutumières

successives (primauté de la norme la plus récente).

C’est la solution retenue par les juges français dans la confrontation entre la liberté de

la haute mer et l’institution de zone économique exclusive391.

Il en est de même en Allemagne. L’article 25 de la Loi Fondamentale est interprété

comme transposant également les règles de conflit du droit international et donc les principes

lex posterior priori derogat et specialia generalibus derogant.

Le droit international peut aussi autoriser les Etats à écarter l’application de certaines normes

coutumières en certaines circonstances particulières. En de telles situations, il est arrivé à la

Cour constitutionnelle fédérale de suspendre l’applicabilité des coutumes en droit interne pour

des motifs différent : mise en œuvre du droit individuel ou collectif de légitime défense392,

représailles justifiées par le droit international, absence de réciprocité393 si cette condition est

exigée par le droit international.

390 BGHZ 59, p. 82 ; BGH in : RIW 1986, p. 816 à propos d’exigences minimums de droit procédural exigés concernant des jugements d’arbitrage étrangers. 391 Par exemple : Cass. Crim., 7 juillet 1980, Cruijeras Tome, G.P. 1981.I. p. 106. 392 BVerfGE 66, p. 39 sqs. (64) ; 77, p. 170 sqs. (232).

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Les règles spécifiques des constitutions nationales relatives au mode d’applicabilité et

au rang des traités au sein de la hiérarchie des normes s’opposent à une résolution des conflits

entre normes coutumières et normes conventionnelles similaire à celle du droit international.

Toutefois la nécessité de cohérence entre droit international et droit interne conduit les

juridictions nationales à contourner les dispositions nationales pour résoudre les conflits entre

normes non écrites et normes écrites du droit international conformément aux règles du droit

international.

Section II. Résolution de conflits entre normes non écrites de droit international et

traités

Les traités font généralement l’objet d’une réglementation particulière – différenciée

de celle relative au droit international général – dans les Constitutions nationales. Par

conséquent, le régime des traités de l’ordre juridique interne est généralement distinct de celui

des normes internationales non écrites, y compris concernant leur rang au sein de la pyramide

des normes. Or, ceci n’est pas justifiée en droit international pour lequel il n’existe pas de

hiérarchie entre traité, coutume et principe général de droit. En droit international, une norme

coutumière peut remplacer une norme conventionnelle ou inversement selon la règle lex

posteriori ; un traité peut également connaître des modifications de type coutumier ; une

coutume codifiée peut être ratifiée et ainsi devenir un traité (par exemple la Convention de

Vienne du 23 mai 1969)…

La spécificité des dispositions nationales sur le droit des traités entraîne logiquement

des incohérences entre droit international et droit interne. En Allemagne, les traités n’ont

qu’une valeur législative tandis que les règles générales du droit international ont valeur

supra-législative. L’application d’un tel régime différencié peut mener à des absurdités. Ainsi,

il faudrait notamment déduire des dispositions constitutionnelles allemandes que le contenu

matériel du Traité de Vienne a « rétrogradé » en droit interne après la ratification du traité de

Vienne et sa transformation par le législateur allemand en droit interne allemand selon la

procédure de l’article 59 II de la Loi Fondamentale.

Mais les organes d’application du droit contournent généralement ces incohérences

soit directement, par un raisonnement purement moniste, soit indirectement, par des montages

juridiques plus subtils. 393 BVerfGE 23, p. 288 sqs. (300, 305).

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I. En France

En France, Les traités ont assurément, au sein de l’ordre juridique interne, un rang

supra-législatif394 et infra-constitutionnel395. Que ce soit attribuer au droit international non

écrit un rang supérieur ou inférieur à celui des traités soulève, en première analyse une

difficulté logique : dans l’ordre juridique international, la règle lex posterior – par ailleurs

applicable au sein de l’ordre juridique interne en tant que règle internationale de droit non

écrit – emporte une stricte égalité hiérarchique entre droit international conventionnel et droit

international non écrit.

Par conséquent, le juge est confronté à deux règles de conflit contradictoires :

La première règle de conflit emporte soit prévalence de la règle internationale non écrite sur le

traité même postérieur soit l’inverse.

En revanche, la deuxième règle de conflit (lex posterior) permet à la norme postérieure de

l’emporter, comme dans l’ordre international

Il reste que cette difficulté n’est pas insurmontable. En présence de ce qui se présente

comme un conflit entre deux règles de conflit, il convient de faire prévaloir la deuxième règle

spéciale, règle spéciale qui ne vaut que pour les normes internationales396. Ainsi, dans l’ordre

juridique français, la possibilité pour le droit postérieur d’effacer le droit antérieur se

trouverait sauvegarder en dépit de la différence de rang hiérarchique qui caractériserait les

deux formes de droit. Ainsi, devant le juge judiciaire, l’absence de hiérarchie des sources du

droit international conduit à préférer la norme la plus récente397. Toutefois, le juge français

tente généralement de rattacher la règle coutumière à un fondement conventionnel398.

394 C.E., 20 octobre 1989, Ass., Nicolo, Leb. p. 748. 395 C.E., 30 octobre 1998, Sarran, Levacher e.a., Leb. p. 368 396 La règle « generalia specialibus non derogant » fait autorité devant le juge français. 397 C.A. Rennes, 26 mars 1979, Rego Sanles, A.F.D.I. 1980, p. 823 ; C. Cass., 6 octobre 1983, Barbie, J.C.P. 1983.II.20107, ainsi que la jurisprudence relative aux pêcheurs espagnols dans le Golfe de Gascogne (notamment C. Cass., 7 juillet 1980, Cruijeras Tome). 398 Dans l’affaire Barbie précitée, la Cour de cassation s’exprime ainsi « En raison de la nature de ces crimes, ces dispositions sont conformes aux principes généraux de droit reconnus par l’ensemble des nations, auxquels se réfèrent l’article 15 § 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et l’article 7, § 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme ; elles résultent de traités internationaux régulièrement intégrées à l’ordre juridique interne et ayant une autorité supérieure à celle des lois en vertu de l’article 55 de la Constitution ».

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II. En Allemagne

En principe, les règles générales du droit international ont une valeur supérieure à celle

des traités de la Fédération qui ont, en vertu de l’article 59 II, simple valeur législative.

Toutefois, la Cour constitutionnelle fédérale a estimé que les atteintes au droit international

qui peuvent entraîner une responsabilité de droit international399 de l’Allemagne doivent, si

possible, être évitées. Cela implique notamment que les conflits entre normes du droit

international doivent être réglés de manière préférentielle conformément aux principes du

droit international.

S’agissant de la concurrence entre un traité de droit international et une loi fédérale le

principe du lex posterior s’applique normalement en faveur de la norme postérieure que ce

soit le traité ou la loi. Toutefois, dans la pratique, les tribunaux ont rarement admis qu’une loi

postérieure se substitue aux dispositions d’un traité antérieur. En de telles situations

conflictuelles, les dispositions législatives contraires sont généralement interpréter de manière

restrictive, conforme au droit international. Le traité peut notamment être considérée comme

un lex specialis non concerné. De plus, le législateur ajoute fréquemment aux lois qui sont

potentiellement contraires à des dispositions conventionnelles des recommandations explicites

en ce sens (« Unberührtheitsklauseln »400).

Lorsque un traité reprend des règles coutumières, ces dernières conservent leur

applicabilité en tant que règles générales du droit international. Lors d’un litige, la forme

conventionnelle de ces règles est prioritairement appliquée. Mais les deux formes de norme

pour un même contenu matériel peuvent être appliqués concurremment, l’une à côté de

l’autre, en conservant leur mode d’application particulier. Le fondement de l’application de

ces normes repose alors concurremment sur l’article 25 LF et l’article 59 II LF401.

Enfin, d’après la Cour constitutionnelle fédérale, les règles générales disposent d’une

validité immédiate dans l’ordre juridique interne avec leur « portée respective »402 de droit

international. Il convient toutefois de remarquer que, avant même cette jurisprudence en

399 BVerfGE 58, p. 1 sqs. (34), d’après lequel la Cour tout particulièrement doit veiller à ce que « dass Verletzungen des Völkerrechts, die in der fehlerhaften Anwendung oder Nichtbeachtung völkerrechtlicher Normen durch deutsche Gerichte liegen und eine völkerrechtliche Verantwortlichkeit der Bundesrepublik Deutschland begründen könnten, nach Möglichkeit verhindert oder beseitigt werden » (« les atteintes au droit international qui reposent dans l’application fautive ou le non respect de normes de droit international par des tribunaux allemands et qui pourraient fonder une responsabilité de droit international de la RFA devraient être si possible évitées ou supprimées ») . 400 401 BverGE 6, p. 309 sqs. (363) ; 31, p. 145 sqs. (178) ; 41, p. 88 sqs. (120). 402 BVerfGE 46, p. 342 sqs. (363, 403).

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matière de normes internationales non écrites, le juge constitutionnel allemand avait rompu

avec la « thèse de transformation » des traités internationaux403. Les lois d’approbation des

traités étaient alors qualifiées « dispositions spéciales d’application du droit »404. Désormais,

la Cour constitutionnelle fédérale considère que les lois réceptionnent le droit conventionnel

en sa qualité de droit international au sein de l’ordre juridique interne. Dès lors, il n’est pas

impossible d’envisager que les conflits entre normes de droit international puissent être réglés

selon les règles propres au droit international – en dehors des dispositions internes pertinentes

– sur la base d’une logique juridique moniste.

En l’absence d’un juge international à juridiction obligatoire, le contentieux relatif à

l’application et à l’exécution du droit international s’effectue obligatoirement devant le juge

national. Les juges nationaux ne sont pas nécessairement spécifiquement habilités par les

droits internes à résoudre les conflits entre droit interne et droit international, mais une telle

habilitation peut découler du droit international lui-même. Celui-ci dispose en effet qu’un Etat

ne peut invoquer les particularités de son organisation constitutionnelle pour se soustraire à

ses obligations internationales405. Les juges internes sont juges du comportement de l’Etat par

rapport au droit international et sont, en tant que tel, dans une situation similaire à celle des

juges internationaux. Néanmoins, leur compétence pour régler les litiges entre Etats reste

limitée même si elle n’est pas inexistante (par exemple lorsqu’ils décident que la suspension

de l’application d’une norme internationale par l’Etat est justifiée eu égard aux règles du droit

international). Le principal obstacle à une application strictement moniste des normes

internationales est que les juges nationaux – surtout en Allemagne – continuent de justifier

l’applicabilité des normes internationales sur un fondement constitutionnel, ce qui peut

sembler superficiel. En France, le mode d’applicabilité des normes internationales est

strictement moniste si l’on considère que l’alinéa 14 du Préambule de 1946 ne fait

qu’attribuer une compétence contentieuse au Conseil constitutionnel.

403 BVerfGE 1, p. 372 sqs. (389). BVerfGE 1, p. 396 sqs. (411) ; BVerfGE 6, p. 309 sqs. (332). 404 BVerfGE 75, p. 223 sqs. (244). 405 Sentence arbitrale, 26 juillet 1875, Montijo (Etats-Unis c. Colombie), S.A. Bunch, R.A.I. t. III, p. 663. ; C.P.I.J., A.C., 4 février 1932, Traitement des nationaux polonais et autres personnes d’origine ou de langue polonaise dans le territoire de Dantzig, série A/B, n°44, n°44 : « si d’une part, d’après les principes généraux relativement admis, un Etat ne peut, vis-à-vis d’un autre Etat, se prévaloir des dispositions constitutionnelles de ce dernier, mais seulement du droit international et des engagements internationaux valablement contractés, d’autre part, et inversement, un Etat ne saurait invoqué vis-à-vis d’un autre Etat sa propre Constitution pour se soustraire aux obligations que lui imposent le droit international ou le traité en vigueur ».

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- Monique Chemillier-Gendreau, « sur les rapports du droit interne et du droit international dans l'ordre constitutionnel », in Mélanges Pierre Pactet, Dalloz 2003, p.105. - Jean Combacau, « souveraineté de l’Etat et hiérarchie des normes dans la jurisprudence constitutionnelle. La souveraineté internationale de l’Etat dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel français », Cahiers du Conseil Constitutionnel, 2000, p. 113-118. - Jean Combacau, « le droit international et le droit interne dans la jurisprudence comparée du Conseil constitutionnel et du Conseil d’Etat, Conclusions de la journée d’études », Journées d’études de l’IHEI du 7 mai 1999, éd. Panthéon-Assas, 2000, p.85. - Patrick Daillier, « monisme et dualisme : un débat dépassé », in droit international et droits internes, développements récents, p. 9-21. - Louis Favoreu, « le Conseil Constitutionnel et le droit international », A.F.D.I. 1977, p. 95-126. - Louis Favoreu, « le contrôle de constitutionnalité du traité de Maastricht et le développement du « droit constitutionnel international » », R.G.D.I.P. 1993, p.39-66. - Gérard Fouilloux, « Kelsen et le droit international public », Revue de la recherche juridique, Droit prospectif, n° 11, Marseille 1981, p. 317-326. - Claude Franck, « le Conseil Constitutionnel et les règles de droit international », R.G.D.I.P., 1975, p.1070. - Lucius Gaflish, « la pratique Suisse en matière de droit international public », 1998, S.Z.I.E.R. n°9, 1999, p. 241. - Patrick Gaïa, « Normes constitutionnelles et normes internationales », R.F.D.A. 1996, p.884 s. - Berthold Goldman, « les décisions du Conseil Constitutionnel relatives aux nationalisations et le droit international », J.D.I. 1982, p. 275-345. - Salwa Hamrouni, « le droit international devant le juge constitutionnel », in droit international et droits internes, développements récents, p. 258-280. - Masao Ichimita, « La critique par Kelsen de la théorie de la transformation du droit international en droit interne, Revue internationale de la théorie du droit, Vol. 12, 1938, p. 223-230. - Hans Kelsen, « la transformation du droit international public en droit interne », RGDIP n° 43, 1936, p. 253-292. - Jean-Claude Mestre « L'invisibilité de la République française et l'exercice du droit d'autodétermination », RDP 1976, p.431. - Hermann Mosler, « L'application du droit international public par les tribunaux nationaux », recueil des cours 91 (1957I.), p.485 et svts. - Nguyen Quoc Dinh, « Le Conseil constitutionnel et les règles du droit international public », 1976, p. 1001. - André Oraison, « quelques réflexions critiques sur la conception française du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes à la lumière du différend franco-comorie sur l'île de Mayotte », Revue de droit international, Octobre-décembre, n°4, 1984, p.26. - Sylvaine Peruzzeto, « le droit international devant le juge civil français : la mesure de l'ouverture du système juridique français », in droit international et droits internes, développements récents, p. 291-306. - Otto Pfersmann, « De la justice constitutionnelle à la justice internationale : Hans Kelsen et la seconde guerre mondiale », RFDC, 16, 1993, p. 761-789. - Jean Rideau, « Constitution et droit international… Réflexions générales et situation française », R.F.D.C. 1990, p.259-296. - Slim Laghmani, « droit international et droits internes : vers un renouveau du jus gentium », in droit international et droits internes, développement récents, p. 23-44.

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- Serge Sur, « progrès et limites de la réception du droit international en droit français », in droit international et droits internes, développements récents, p. 227-243. - Serge Sur, « la coutume internationale, sa vie, son œuvre », droits, 1986, n°3, pp. 111-124. - Georges Abi-SAAB, « la coutume dans tous ses Etats », le droit international à l’heure de sa codification, Etudes en l’honneur de R. Ago, Giuffrè, Milano, 1987. - Gérard Teboul, « le droit administratif et le droit international, aspects récents de droit formel », A.J.D.A. 1995, p. 43-65. - Gérard Teboul, « la coutume internationale ne peut prévaloir sur une loi ordinaire française lorsqu'elle entre en conflit avec elle au sens de l'article 55 de la Constitution », Semaine juridique, 1997, n° 45/46, p.496. - Gérard Teboul, « droit administratif et droit international », RDP 1998, pp. 979-1000. - Gérard Teboul , « Alinéa 14 », in Préambule de la Constitution de 1946, Dalloz, documents et commentaires, 2001. - Gérard Teboul, « Nouvelles réflexions sur le droit international non écrit dans la jurisprudence du juge administratif et du juge judiciaire français », R.D.P. 2001, p. 1109-1140. - Antonio Truyol, « Doctrines contemporaines du droit des gens ». Première partie in : RGDIP, n° 54, 1950, p. 369-416 ; Deuxième partie in : RGDIP, n° 55, 1951, p. 23-40 - Béla Vitanyi, « les positions doctrinales concernant le sens et la notion de « principes généraux reconnus par les nations civilisées » », RGDIP, 1982, pp. 48-116. - Prosper Weil, « vers une normativité relative du droit international ? », RGDIP, 1982, pp. 5-47. En langue anglaise : - Antonio Cassese, « Modern Constitutions and International Law » [« Les constitutions modernes et le droit international »], Recueil des cours de l'académie de droit international 192 (1985-III), p. 331 et svts. - Robert W. Tucker, « The principle of effectiveness in International Law » [« le principe d’effectivité en droit international »], in Law and politics in the World Community, Essays on Hans Kelsen's pure theiry and related problems in International Law compiled and edited by George A. Lipsky, 1953, University of California Press, Berkeley and Los Angeles.

Ouvrages et cours : En langue allemande : - Alfred Rub, Hans Kelsen Völkerrechtslehre : Versuch einer Würdigung [La doctrine de Hans Kelsen en droit international : essai d’hommage], Verlag Österreich, 1995, 646 p. En langue française : - Ronny Abraham, l'application des normes internationales en droit interne, cours I.E.P., Paris, 1985-1986. - Denys de Béchillon, Hiérarchie des normes et hiérarchie des fonctions normatives de l'Etat, Economica, 1996, 577 p., not. P. 92-94 et 406-446.

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- Colloque des 16-17-18 avril 1998 sous la direction de Rafâa Ben Achour et Slim Laghmani, droit international et droits internes, développements récents, Rencontres internationales de la faculté des sciences juridiques de Tunis, Ed. Pedone, Paris, 1998. - Jean Combacau, Serge Sur, Droit international public, 5ème édition, 2001, coll. Domat droit public, Montchrestien, 815p. - Patrick Daillier, Alain Pellet, Nguyen Quoc Dinh, droit international public, 7ème édition, LGDJ, 2002, 1510 p. - Prosper Weil, « Cours général de droit international public », RCADI, 1992, VI, n° 237, pp. 9-370. Documents officiels : - Documents pour servir à l'histoire de l'élaboration de la Constitution du 4 octobre 1958, Doc. Fr., 3 vol., 1987, 1988, 1991. - Conseil d'Etat, L'importance croissante du droit international et européen, Rapport, E.D.C.E. 1989. - Convention sur le droit des traités, signée à Vienne le 23 mai 1969. [Colliard (C.A.), Manin (Ph.), Droit international et histoire diplomatique, t. 1, textes généraux, Montchrestien, Paris, 1971, 429 pages, ex. pp. 395-416. Sites internet :

http://www.virtual-institute.de : site de l’institut Max Planck de Heidelberg en droit public

étranger et en droit international.

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Tableau des abréviations

AFDI Annuaire français de droit international AJDA Actualité juridique droit administratif AÖR Archiv des öffentlichen Rechts AsylVfG Asylverfahrensgesetz [loi relative à la procédure en matière d’asile] BDGV Berichte der Deutschen Gesellschaft für Völkerrecht BFHE Entscheidung des Bundesfinanzhofes [Recueil des décisions de la Cour

fédérale des finances] BverfG Bundesverfassungsgericht [Cour constitutionnelle fédérale] BVerfGE Entscheidungen des Bundesverfassungsgerichts [Recueil des décisions de

la Cour constitutionnelle fédérale] BverfGG Bundesverfassungsgerichtgesetz [Loi sur la Cour constitutionnelle fédérale] BVerwGE Entscheidungen des Bundesverwaltungsgerichts [Recueil des décisions de

la Cour fédérale administrative] C. C. Conseil Constitutionnel C. Cass. Cour de cassation C.E. Conseil d’Etat C.E.D.H. Cour européenne des droits de l’homme C.J.C.E. Cour de justice des communautés européennes C.I.J. Cour internationale de justice C.P.I.J. Cour permanente de justice internationale DÖV Die öffentliche Verwaltung DVBl Deutsches Verwaltungsblatt EuGRZ Europäische Grundrechte-Zeitschrift FS Festschrift HStR Handbuch des Staatsrechts JA Juristische Arbeitsblätter JDI Journal du droit international IHEI Institut des hautes études internationales LF Loi Fondamentale [Grundgesetz] NJW Neue juristische Wochenschrift RCADI Recueil des cours de l’Académie de droit international de La Haye RDP Revue du droit public et de la science politique en France et à l’étranger RFDA Revue française de droit administratif RFDC Revue française de droit constitutionnel RGDIP Revue générale de droit international public RIDC Revue internationale de droit comparé SZIER Schweizerische Zeitung für internationales und europäisches Recht VVDStRL Veröffentlichungen der Vereinung der Deutschen Staatsrechtslehrer WRV Weimarer Reichsverfassung [Constitution de Weimar] ZaöRV Zeitschrift für ausländisches öffentliches Recht und Völkerrecht