Upload
tom-quartz
View
213
Download
0
Embed Size (px)
DESCRIPTION
Extrait.
Citation preview
Juillet
1
Thomas Brandao
2
Juillet
JUILLET
Thomas Brandao
ISBN-10 : 1494851040© 2014 Tom Quartz Éditions. Tous les droits
réservés.
3
Thomas Brandao
Je quittai pour la première fois la ville deux
semaines après mon arrivée, un dimanche.
Mes souvenirs n'avaient rien de précis.
J'avais discuté avec Guillaume, et sa femme et lui
m'avaient tout expliqué.
J'avais emprunté leur voiture et j'avais fait le plein
dans un garage à la sortie de la ville.
****
De chaque côté de la route, des champs jusqu'au
fond de l'horizon.
De temps à autre, le vert soutenu d'un bosquet
posé contre le bleu du ciel, sur la terre grise et sèche,
attirait l’œil, mirage tremblant dans l'air chaud,
miraculeux et désespérant, oasis trompeur qui s'en
4
Juillet
venait jeter une ombre fugace et fraîche sur mon front
moite de sueur et mes mains brûlées, dessus et
paumes, une ombre que je continuais à regarder au
fond du rétroviseur à mesure qu'elle y rapetissait.
Et puis il y avait eu quelques villages et un bourg.
Maisons de briques, maisons à pans de bois, maisons
aux volets colorés, allées dallées et haies taillées, arbres
chétifs. Places avec leur monument aux morts, leurs
marronniers, et leur église.
Au fond du chemin, c'était maintenant une ruine.
Planchers crevés, toit effondré, une bouche noire
menant à la cave.
A l'époque, la journée avait été presque identique.
Guillaume était là, pas encore marié.
Le propriétaire, cultivateur à la retraite, possédait
la maison, le bosquet et plusieurs hectares des terres
que l'on voyait alentours.
Il avait aussi quelques acres de vignes sur un coteau
5
Thomas Brandao
qu'il nous avait montré du doigt sur la route.
C'était un homme courtois et affable, bon vivant,
une merveille d'humanité comme il n'en existe
presque plus aujourd'hui.
J'étais resté plusieurs jours mais je ne me souvenais
que de cette après-midi-là, le reste avait disparu au
fond de ma mémoire.
Je retrouvai le sentier derrière la maison qui filait
sous le bosquet, maintenant rempli d'herbes hautes...
Il fallait passer la ligne des arbres, entrer dans la
fraîcheur du sous-bois- puis, une fois parvenu de
l'autre côté, il longeait les champs et disparaissait à
l'horizon, et je le parcourais comme j'aurais parcouru
une carte, avec en mémoire la destination que je
devais atteindre, notant chaque détail.
Les derniers arbres laissés derrière moi, je fus
accueilli par le ciel d'un bleu passé, ses nuages simple
fumée, lents, inoffensifs, esseulés.
6
Juillet
Les chants d'oiseaux légers comme une brise que
j'imaginais tournant les pages d'un livre sans rien
déranger d'autre.
La terre brune et grasse, le blé, or précieux, et le
soleil qui déversait sa fournaise.
Le paysage avait gardé ses couleurs si franches, le
ventre des oiseaux était encore jauni par le colza en
fleurs.
Je voyais sur l'horizon le chemin que j'avais
emprunté empanachée de cette poussière de craie qui
annonçait mon arrivée à des kilomètres à la ronde et
ne serait retombée qu'à la nuit.
Trésor des années perdues, des années passées,
dont j'avais conservé le souvenir sans en parler jamais.
Ici, tout était immobilité, tout était passé.
La terre mille fois retournée, mille fois ensemencée
et moissonnée, et l'hiver qui reprenait tout,
ensevelirait tout, c'était l'infini, c'était l'éternité, mais
7
Thomas Brandao
une tranquillité sur le qui-vive, à l'affût comme un
animal sauvage, tigre philosophe qui pour le moment
digérait à l'ombre.
J'avais fermé les yeux et compté jusqu'à dix le plus
lentement possible.
Je ne savais pas ce que je comptais.
Je ne savais pas si je comptais les minutes ou les
heures, les jours, les mois ou les années.
Je comptais mais je cherchais les mots, rien que les
mots, ceux qu'il faudrait dire, ceux qui pourraient les
remplacer, les arrêter, trouver les dix mots que je ne
trouvais pas.
Je pensais à ces dix mots que je cherchais depuis
dix jours, que je cherchais dix fois par heure, à chaque
minute.
Cinq auraient suffit. Un seul aussi. Le silence aussi.
Mais le silence, vaste mer tourmentée, me tenait
déjà, il me tenait à m'étouffer. Compter, c'était le plus
8
Juillet
facile. Mais compter jusqu'à dix était-ce suffisant. Le
temps, peu importait quelle quantité, était-il
suffisant...
Juillet , nouvelle de Thomas Brandao Disponible au format numérique et livre broché.
© 2014 Tom Quartz Éditions. Tous les droits réservés.
9
Thomas Brandao
10