Upload
others
View
8
Download
0
Embed Size (px)
Citation preview
UNIVERSITÉ PARIS DIDEROTMASTER BIOGÉOMÉDIA
SPÉCIALITÉ JOURNALISME SCIENTIFIQUE
Année Universitaire 2008-2009
LA COMMUNICATION EN SANTE PUBLIQUE: LE CAS DU SIDA
CAMPAGNES NATIONALES ET CAMPAGNES DE PROXIMITE,
QUELS ENJEUX POUR LES POPULATIONS MIGRANTES ?
Par BOULBICH Henri
- Remerciements -
Que les personnes qui m'ont aidé de manière plus spontané que ce en quoi leur
fonctions professionnelles les obligeaient, trouve ici toute ma reconnaissance.
Leur vivacité m'a encouragé.
De même, je remercie les universitaires qui ont répondu à mes requêtes. Un mail
est si vite oublié....
Enfin, mais pas le moindre des remerciements, à ma mère, pour le bouclage du
mémoire.
Les signes d'un changement étaient sous nos yeux. Emerveillés et confiants nous
avons applaudi les avancements de la recherche scientifique: la disponibilité
croissante de nouvelles molécules, leur interaction possible, une meilleure
connaissance des effets secondaires et des résistances du virus... Le sida allait se
médicaliser de plus en plus : parmi les médecins, les contours d'une nouvelle
spécialisation se définissaient. Un cloisonnement des savoirs spécifiques allait
naître (ou renaître) et nous avons assisté, impuissants, à la naissance d'un
"monstre" aux multiples branches : médicale, sociale, administrative, juridique,
psychologique, culturelle, communautaire, historique, etc. Désormais, la lutte
contre le sida, ressemblait à une armée bien organisée: il fallait choisir son "corps
d'armes" ou quitter la lutte !
De façon simpliste et uniquement descriptive, nous avons parfois l'impression de
participer, à tous les niveaux de la prévention, suivi et prise en charge, à une
"logique de guichet". A chacun sa branche: le virus aux médecins, les questions
socio-administratives au droit commun, celles juridiques aux associations
spécialisées en droit de l'étranger, et le soutien psychosocial (quand on parle des
migrants) aux associations dites communautaires.
Dans cette perspective de sous-traitance et de "découpage" des compétences, je
vois plusieurs dangers.
Barbara Bertini,
Projet "Cultures et Formations", juin 2004,
Groupe de Recherche et de réalisations pour le Développement Rural1
1 Depuis 1969, le GRDR accompagne les dynamiques de d éveloppement induites par la migration. Sa d émarches’inscrit dans une approche globale qui intègre les deux espaces : l’Afrique et la France. Le GRDR travaille ainsi,à partir de ce double espace dans lequel évoluent les migrants, à la mise en cohérence du développement et de lacitoyenneté « là-bas » et «ici ».
D'après A. Stevens, J. Raftery, J. Mant, S. Simpson, A. Boulton (2003)."Health Care Needs"Assessment. Department of Public Health and Epidemiology of the Birmingham University.
Solutionsréalisables
Besoinsréels (repérés)
Besoinsressentis et/ou
exprimés
Vous êtes ici
A posteriori, il me semble que le monde de la recherche et le monde associatif étaient très
éloignés en ce début de siècle.
Lors du colloque "Migration et Sida" organisé par l'ANRS en 1999 à Paris, ceux qui
"pensaient" étaient à la tribune et ceux qui "agissaient" dans le public. J'avais l'impression
que les uns cherchaient une écoute, les autres des réponses. Frustration et incompréhension
étaient les sentiments partagés par la majorité des "spectateurs". En "haut" on réfléchissait,
on parlait de l'immigration comme "objet social", en "en bas" on était confronté à des sujets
en souffrance, on se dépêtrait comme on pouvait avec cette nouvelle "catégorie sortie du
silence" dans la peur et les doutes d'alimenter les discours simplistes, misérabilistes, racistes
...
De qui parlait-on ?
Quelques années "d'actions migrant" plus tard, l'heure était aux doutes. Sur le terrain, "l'objet
social" explosait dans tous les sens, refusant ainsi de rentrer dans une catégorie homogène et
rassurante!
Barbara Bertini,
projet "Cultures et Formations", GRDR, juin 2004
- SOMMAIRE -
INTRODUCTION GENERALE- 11
- Partie I. SANTE, SIDA & COMMUNICATION -
I. SANTE & SIDA
A1. Le sida, nébuleuse médico-sociale 21
A1. 1) Des chiffres, toujours des chiffres
A1. 2) En déça et par delà les chiffre 23a) D'une problématique scientifique... à une question socialeb) Mettre de la politique dans la science et inversement 25c) L'exceptionnalité du sida..... transitoire ? 28
A2. Sida, Société et Minorités 32
A2.1)Discrimination des malades
A2.2)Minorités et double-minorités 33a) Les Homosexuelsb) Les Femmesc) Les Usagers de drogues injectablesd) Les TravailleurEs du sexe
e) Les Migrants
A3. Santé Publique, Savoir et Décision 36
A3.1) Politique publique
A3.2) Santé publique, Espace public, Démocratie sanitaire 38a) La nécessité de légitimer les mesures de santé publiqueb) L'échange d'informations 40c) La recherche-action 46
A3.4) Espace public, Média et Information 46
A3.5) Média généralistes, Média spécialisés 48
II. CAMPAGNES PUBLIQUES, COMMUNICATIONS & SIDA
A1. Préventions et Campagnes publiques 50
A2. Acteurs et Thèmes de la communication publique sur du sida 52
A2.1) Thématiques & Controverses autour du sida 53a) La promotion du préservatifb) La discrimination des séropositifs et les messages de solidarité 54c) Les publics cibles 57d) Les niveaux de prévention: le test de dépistage 58
A2.2) La période 1987-1995 61a) Des débuts politisésb) L'arrivée des acteurs militants 62c) La cohabitation du politique et de l'associatif 63
A2.3) La période 1995-2000 65a) Rouages et grains de sables de l'administration publique 66
b) Alternatives à une bi-polarisation état/monde associatif ? 67
A2.4) Bilan de 20 ans d'expérience 69 a) De la structure des dispositifs de communication
......aux stratégies de communications......b).... et aux moyens de les accomplir 72
A3. Communications publiques & Prévention 73
A3.1) L'énonciation et l'énoncé de la communication publiquea) Qu'est-ce que la communication publique ?b) Les raisins de la communication publique 74c) L'énonciation 77d) Les médias communautaires 77
A3.2) Un changement de paradigme en matière de communication 79a) Les freins à la communication publiqueb) Contraindre ou Persuader ? 80
Le marketing social et la sémiologie du dire audio-visuelc) Des récepteurs deviennent acteurs en communication 83d) Qu'est-ce que la communication publique en santé publique? 85
CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE 89
- Partie II. SIDA, MIGRATIONS & COMMUNICATIONS -
I. SIDA, MIGRATION & MINORITÉ COLONIALE
A1. Les mesures publiques entre reconnaissance et revendication 94
A1.1) Une prévalence connue de longue dateA1.2) La mise en chiffre de la réalité 96A1.3) La mise en place d'action de prévention ciblée et/ou spécifique 97A1.4) La dernière décennie, enjeux des chiffres et définition du terme « migrant » 101A1.5) La dernière décennie officielle : 1998-2008 104
A2) Vulnérabilités spécifiques 105
A2.1) Réalité socialeA2.2) Culturalisme 106
A3) Réification culturelle, Redéfinition de la culture, une alternative aux facteurs spécifiques 109
A3.1) Ambiguïté de la notion de culturea) La culture de l'autreb) Apprendre à déchiffrer (son propre regard) 110
A3.2) Culture et sociabilité 113A3.3) Sociologie des pratiques, Ethnométhodologie 114
A4) Du changement sociologique au changement de comportement 116
A4.1) Absence de force sociale et identité des « migrants »A4.2) Accountability, etiquetage à la Goffman 117
II. CAMPAGNE DE SANTE PUBLIQUE & MIGRATION (& SIDA) 121
A1) Un changement de paradigme: de la modification du social à celle des comportements 122
A2. Complémentarité des communications publiques: les médias communautaires 124
A2.1) Des minorités difficiles à atteindre 126A2.2) Le rythme de l'action 128A2.3) Le contenu de l'information 129
A3. Sortir de la spécificité sida 132
A3.1) Situation sanitaire des migrantsA3.2) Toucher les descendants des migrants: l'éducation à la santé
A4. Ici et là-bas: Concept de citoyenneté 135
A5. Recherche et Prévention au Sud 140
CONCLUSION DE LA SECONDE PARTIE 145
- CONCLUSION GENERALE - 147
- EPILOGUE - 148
- BIBLIOGRAPHIE - 144
- INTRODUCTION GENERALE-
La plupart des travaux sur le SIDA (Syndrome d'ImmunoDefiscience Acquise) et le VIH (Virus
d'Immunodefiscience Humaine) commencent, fatalement, par un constat épidémiologique. Nous ne
dérogerons pas à cette tradition qui souligne l'ampleur d'une maladie vécue avant tout par des
personnes.
Si le nombre estimé de personne vivant avec le VIH dans le monde semble en phase de stabilisation
depuis les années 2000, il n'en demeure pas moins que 5700 personnes meurent quotidiennement, et
que 6800 personnes deviennent séropositives chaque jour, ce qui représente une contamination
toutes les six secondes. En 2008, le nombre total de personnes infectées s'élève approximativement
à 33 millions. Plus de 95 % des cas de sida concernent des pays à faible ou à moyen revenus, et
dans ces pays, seul 1,3 millions de malades bénéficient de traitements. Depuis le début de
l'épidémie, 75 millions de cas se sont déclarés et 25 millions de personnes sont mortes du sida
(ONUSIDA, 2007, 2008). A titre de comparaison, le bilan de la seconde guerre mondiale s'élève à
62 millions de mort (chiffre wikipédia).
Une avalanche de chiffres constitue un moyen de présenter le sida. Peut-être le seul moyen, en
préambule, pour exprimer combien cette maladie constitue un véritable fléau. Seulement, les
épidémies renseignent de l'état du monde par la manière dont elles se développent, et par la façon
dont les hommes les considèrent et les prennent en charge.
Selon leur nature, elles s'ajustent aux moeurs de vie d'une époque avec une dimension variable.
Pour en dresser des portraits fidèles, la culture et la configuration sociétale peuvent ainsi devenir
des pré-requis nécessaire. Comment analyser par exemple les multiples pandémies de pestes qui
ravagèrent l'Europe jusqu'au XVIIIème siècle, sans considérer les contextes dans lesquelles elles se
sont propagées ? L'épidémie de sida révèle donc un état de chose, obligeant ceux qui ne les
connaissent pas à prendre contact avec ces choses, à les connaître, sinon les reconnaître,
rapprochant ainsi tangiblement le lointain pour en faire quelque chose de plus familier, de plus
compréhensible.
Deuxièmement, et de manière beaucoup plus probante, la culture se reflète dans les solutions
élaborées face aux épidémies. A ce titre, elles ne s'identifient plus par la seule lecture de la maladie
(prévalence, caractéristique socio-économique de la population atteinte, ....), mais par le décryptage
des énonciations et des innovations politiques déclenchées par les maladies elles même.
C'est pourquoi Daniel Defert ne parle pas du sida comme d'une épidémie, mais comme une « série
d'épidémies, non pas tant par considération des virus que des différents modes de transmission »
(Defert, 2006, 207-17). A l'universalisme de l'état français, par exemple, restitué dans une réponse
ubiquitaire pour tous, le co-fondateur de l'association AIDES oppose la complexité d'un monde
composé de communautés. Cela impose donc « une diversification des messages, des modes
d'approche et des moyens selon les fractions de populations concernées par le sida [...] ». La
complexité d'un monde composé de communautés devient alors la complexité d'un monde protégé
par un panel de santés communautaires, c'est à dire ici, par l'appropriation d'enjeux de santé
publique et de stratégies de santé par des « groupes vivant dans des conditions particulières ».
Dans un article intitulé « Le malade du sida peut-il être un réformateur social ? » (Defert, 1994),
l'auteur répertorie les transformations rendues nécessaires par le sida (laïcisation de la sexualité,
redécouverte du mourir, prise de pouvoir des malades). De même, Patrice Pinell parle d'épidémie
politique (Pinell, 2002).
L'histoire des sciences présente deux versants inextricables et complémentaires : celui de l'histoire
des idées, de l'avènement de la vérité scientifique, et celui de l'histoire du tissu social, qui met en
jeu les acteurs des idées scientifiques dans leurs vies quotidiennes et leurs pratiques.
Longtemps déclinées sur le mode mono-maniaque du premier versant, l'épistémologie a
expérimenté par la suite des chemins de traverses. La recherche sur la périphérie du noyau dur de la
rationalité scientifique visait à prouver que la formulation de la connaissance est aussi une aventure
humaine.
Par exemple, les propos et le contexte d'énonciation de la science passée sont ré-visitées de manière
globale, afin d'y reconnaître des déterminants sociaux qui auraient (pu) influencé la révélation de la
preuve, et surtout, la reconnaissance d'un fait dit scientifique, sa validation en tant que fait
scientifique, dans le cadre d'une problématique dissensuelle.
Dans un monde complexe, le positivisme se trouvait débordé par l'étendue des faits, de leurs
recombinaisons et de leurs surgissements. Dans cette zone d'incertitude, le poids des idées humaines
revenait sur le terrain de la science par le biais du relativisme (lui même relatif ?). En conséquence,
pour comprendre les idées scientifiques, il est impératif d'envisager l'environnement de la science.
Il faut considérer "la nécessité d'avoir recours au même appareil conceptuel pour rendre compte des
revendications scientifiques et des facteurs sociaux dans chacun des camps en présence. " (Epstein,
2001, a : 219). Il est clair que cette exploration est rarement neutre, le plus souvent intentionnée.
Mais pour autant, elle relève d'un principe de symétrie appliqué aux faits et aux valeurs, qui, naïf au
premiers abords, se dote en second lieu de qualités heuristiques. Cette démarche rejoint
immanquablement l'archéologie et la généalogie foucaldienne, et fait de l'ensemble de ces auteurs
un corps de traducteurs qui s'inscrivent dans une démarche épistémologique commune.
L'archéologie étudie:
"les conditions de la possibilité de différentes formes de savoirs en différents endroits à différents
moments. Une analyse de ce type s'attache à la restitution des règles immanentes gouvernant ce qui
peut être dit ou non, ce qui est pensable ou impensable." (Epstein, 2001, a : 219)
La généalogie rejette:
" les explications téléologiques afin de souligner les changements et les discontinuités. [...] La
recherche généalogique, selon les mots de Foucault, "accueille favorablement les demandes de
savoirs parcellaires, discontinus, disqualifiés ou illégitimes à être pris en compte et s'inscrit en faux
contre la prétention d'un corps de doctrine unifié à filtrer, hiérarchiser et à mettre de l'ordre au nom
d'un savoir vrai et d'une idée arbitraire de ce qui constituerait la science et ses objets". (220)
Michel Callon traduit l'émergence de profanes dans l'écriture théorique et dans les pratiques de
sciences par le fait que des groupes se retrouvent de plus en plus confrontés à une science
omniprésente. Ces groupes, qui "se déclarent concernés par les effets des sciences et des techniques
et veulent entrer dans leur contenu", sont le plus souvent des "groupes orphelins" ou des "groupes
affectés". Les problèmes qui concernent les premiers sont négligés par les sciences alors que les
entités théoriques ou pratiques produites par la science touchent de fait les seconds et les enrôlent
de force (Callon, 2004: 17-21).
Au modèle linéaire qui décrit un savoir voyageant depuis un pôle scientifique vers un pôle sociétal,
l'auteur préfère un modèle interactif qui décrit combien la co-production de la connaissance est
l'affaire d'une science intervenant dans la société, et vice-versa. Cela entraîne à se libérer du "dogme
de la nécessaire séparation entre recherche scientifique et décision politique", et conduit ainsi à
mettre de la politique dans la science et de la science dans la politique. La Déclaration Obligatoire
de Sida (DOS sida) et la Déclaration Obligatoire de Séropositivité (DOS VIH) par exemple, ont
imposé de nouvelles questions de société à partir de l'évaluation épidémiologique. Le quantitatif
mène alors au qualitatif. Mettre une DOS en place (soit découvrir une prévalence inquiétante) peut
revenir par exemple à construire un Centre de Dépistage Anonyme et Gratuit (CDAG).
A l'aphorisme foucaldien "Le savoir, c'est le pouvoir", fait écho l'idée latourienne que la science est
"la poursuite de la politique par d'autres moyens". Affaire "d'enrôlement", la science "traduit" non
seulement le monde, mais le fait surtout parler, risquant alors d'utiliser la voix de ces choses pour
énoncer sa propre pensée.
Les propriétés des choses passeraient alors au travers d'un filtre, construit et tendu dans le but de
capter des éléments parmi d'autres et les porter, seuls, en pleine lumière. Les chiffres permettent
alors d'établir des rapports de force entre différentes valeurs, les chiffres initient au droit. Le droit
est une science dans la mesure où il imbrique un ensemble de lignes de front, il fait coïncider des
paramètres. Telles contraintes ou définitions en matière de recherche sur l'embryon peut interagir
par exemple avec la loi sur l'Interruption Volontaire de Grossesse. C'est pourquoi la science pose
des questions de droit, donc de valeurs inter-relatives, puisqu'elle meut et réorganise ces lignes de
front à partir de l'émission de chiffres qualifiant des choses. Si ce n'est pas forcément une course à
la mer de la vérité, puisque l'objectif est quasi-indéfinissable et mouvant, en permanente
redéfinition, c'est a minima une guerre de tranchée.
Généalogie du dogmatisme oblige. Nécessité de la réflexivité.
Nous verrons que ce partage du pouvoir par l'outil scientifique peut aussi s'opérer dans le domaine
de la communication. Dans les campagnes de santé publique, il est possible de recevoir des
informations (comme on reçoit des chiffres publiés par des experts). Il est également envisageable,
pour le récepteur éduqué par l'image, de s'éduquer en produisant ces informations.
En retour, dans un usage symétrique, les choses gouvernent le monde. Fabriquer des choses ouvre
la potentialité de fabriquer les hommes, sachant toutefois que les propriétés immanentes ou
contingentes des premières s'avèrent parfois imprévisibles, si ce n'est incontrôlables. Le monde est
fait d'hommes et de choses, catégories contiguës. Le virus du sida a par exemple modifié le cours de
la vie en société en interrogeant les anciennes conditions de vie, les renouvelant avec un flux
d'incertitudes, de questions. La bio-médecine a perpétué la transformation, elle y a répondu,
remplissant ainsi son contrat social. La construction d'un CDAG, centre qui est plus qu'un seul lieu
d'analyse, permet de communiquer efficacement sur le sida et de modifier les comportements. De
même, un film est plus qu'un seul objet de communication, puisqu'il transforme ses artisans. Il peut
aussi servir de simple amorce à une communication, le message important ne se retrouvant pas tant
dans le film, que dans le processus de parole qui s'établit à partir du film.
La première partie de ce mémoire explore la santé publique et la communication publique de
prévention, sur un plan général ou dans leur lien avec le sida. Au travers de l'exemple de ce
syndrome, nous tentons de définir ces deux entités. C'est pourquoi la première partie est
séparée en deux chapitres: "Santé & Sida", puis "Campagnes publiques, Communication &
Sida".
Dans un premier temps, nous rapportons les chiffres de l'épidémiologie (A1.1).
Puis nous exposons comment la politique s'insère dans la science (A1.2), et comment les données
scientifiques, par un effet de retour logique, interfère avec la politique (b). Il ne s'agit pas d'une
"révolution" au sens premier du terme, au sens du retour cyclique, mais de l'accomplissement d'un
cycle processuel qui implique le passage à un second niveau. Pour demander des droits en politique,
il existe deux possibilités (simplifions à outrance...): la rhétorique ou la légitimité (revendiquée).
Cette dernière s'acquitte d'arguments incommensurables à la première, puisqu'elle prétend faire
parler le monde, "ce qui est", ce qui ne relève pas de la croyance, mais de la factualité.
De surcroît, le sida peut constituer un parangon de cette 'bataille" pour l'énonciation, puisqu'il
représente un fait social total. L'exceptionnalité du sida (c) a été souligné à plus d'un titre dans le
but de traduire sa prégnance massive dans les liens sociaux.
Mais par delà le "tous concernés", des tranches plus spécifiques de la population, minoritaires,
furent particulièrement touchées par la maladie, et le sont encore (A2). Nous soulignons également
combien les personnes séropositives constituent une population minoritaire sur un plan de leur
intégration et de leur reconnaissance.
Les problèmes soulevés par le sida, spécifiques ou non à ces populations, amènent ainsi le besoin de
définir des réponses pratiques, des mesures de santé publique (A3). Cela impose d'identifier
clairement les vrais problèmes, et d'envisager des solutions cohérentes et adaptées. Se pose alors la
question des expertises, des collaborations experts-profanes, et la manière par laquelle ces mesures
viennent au jour au travers des différents acteurs qui les produisent. Une autre configuration de la
santé publique se met en place, appelant de nouvelles institutions, de nouvelles formes
d'organisation, de nouvelles procédures (Callon, Lascoumes, Barthes, 2002).
De manière anecdotique mais non moins significative, nous verrons comment le jugement de la
société civile en matière de santé publique a fait son apparition dans les média. Que ce soit dans des
situations d'urgence, pour lesquelles les scientifiques peuvent être amenés à porter un débat d'expert
sur la scène publique, ou dans des contextes journalistiques pour la rédaction de contenu, la sphère
plébéienne a pris une certaine importance. Nous indiquons également, avec Janine Barbot, comment
les associations investissent l'ensemble du paysage sociétal. La dimension médiatique, en tant
qu'espace de revendication, participe ainsi de la sphère publique et de ses décisions.
Dans la même optique, le second chapitre interroge le rapport experts/profanes sur le plan de la
communication publique afin d'analyser les campagnes non plus en fonction de la santé publique,
mais pour identifier la santé publique en fonction de la communication. Le renversement n'est pas
des moindres, puisqu'il permet de déplacer une santé qui serait le point de départ des campagnes
(les campagnes de communication servent, illustrent, renforcent la santé publique), pour l'emmener
au point d'horizon. C'est dans l'élaboration même de la communication que la santé est restaurée.
La notion de prévention et de campagnes publiques est tout d'abord présentée (A1).
La communication publique constituant un exemple de mesure publique, nous avons cherché à
dégager les enjeux des campagnes nationales audio-visuelles contre le sida (A2). Nous avons donc
résumé leurs thématiques et leurs controverses, en privilégiant l'aspect systémique des campagnes.
Il serait en effet réducteur de considérer chacun de ses thèmes indépendament des autres (A2.1).
Devant les dissensus suscités par la communication sur le sida, nous avons rapporté dans un second
temps la dynamique organisationnelle des campagnes, de manière diachronique, afin d'indiquer la
place respective de ses différents acteurs (A.2: 2, 3). La communication contre le sida a bien sûr
évolué et s'est affinée après des années de recherche, d'essais, de collaboration et de confrontations.
La section se termine sur les influences externes et internes au monde de la communication en santé
publique, notre regard s'intéressant aux émetteurs et à leurs stratégies de communication (ce sur
quoi ils communiquent et pourquoi) (A2.4).
Tout comme la santé publique, la communication en santé publique impose de considérer les
différents moyens de la communication. A chaque finalité ses moyens. C'est pourquoi nous
décrivons dans un premier temps la communication publique en général, pour tenter de faire le tour
de ses objectifs et d'en retrouver d'éventuels fondamentaux (A3.1). Dans une mise en abîme, les
moyens sont alors interrogés à la lumière des finalités, ce qui permet de revenir sur la notion de
communication publique (A3.2).
La seconde partie du mémoire s'intitule "Sida, Migrations et Communications". Elle se divise
en deux chapitres: "Sida, migrations et minorité coloniales" (l'usage du dernier terme étant
expliqué en conclusion, à l'issue du second chapitre), puis "Campagnes de santé publique &
Migrations (& Sida)". Le premier chapitre concerne la santé alors que le second la
communication, chacun d'eux faisant appel à la conclusion de son homologue de la partie
précédente.
La thèse de Sandrine Musso, sur laquelle nous nous sommes largement appuyée, montre « la
manière dont le sida vient révéler les enjeux attachés à l'interaction entre la société française et ses
« immigrés » » (Musso, 2008: 8). En forçant l'action publique, en imposant une collecte de données,
une concertation, et finalement, en obligeant la société à faire un choix de priorités parmi un champ
de possibilité, le sida nous confronte à des notions plus générales que des questions sanitaires. Il fait
du corps biologique un indicateur du corps social.
Que ce soit en terme de recherche biomédicale ou bien de socio-anthropologie, le sida, par sa
présence, force l'implicite à prendre forme. C'est pourquoi l'archéologie et la généalogie nous
permettent de faire apparaître ce corps social. La seconde partie parcourt brièvement la
connaissance de la santé publique sur la santé des migrants, des années 1980 à nos jours, pour la
mettre en relation avec les notions de culture et de citoyenneté géographique. Une mise en
perspective de l'étendue de ces dernières notions nous aidera à comprendre pourquoi certains de
leurs aspects sont restés à l'état de savoirs parcellaires, et les raisons pour lesquelles il y a eu un
"impensé" des populations émigrés-immigrés.
La manière de qualifier les migrants séropositifs arrivant dans les hôpitaux va soulever d’emblée
d'importantes difficultés, du fait des processus d’étiquetage auxquels elle procède. Qu'est-ce qu'un
"migrant"? Un émigré pauvre venu d'ailleurs ? Avec la notion de « groupes à risques » et les usages
sociaux qui en furent faits, l’histoire sociale du sida montre à de multiples reprises combien les
noms et catégories peuvent devenir stigmates, et combien ces mêmes termes peuvent être repris par
les stigmatisés comme supports d’une politique d’identité (Musso, 2008).
Dès le début des années 1990, le sida progresse dans ces milieux. La pauvreté et la marginalité
apparaissent comme un marqueur supplémentaire de la maladie et lui donne un nouveau visage. Le
sida devient un "révélateur social de l'exclusion"» (Paicheler, 2002: 128).
Avec l'arrivée des Anti-Rétro Viraux (ARV) à la fin des années 1990, l'évolution des profils
épidémiologiques dans les pays du Nord donne à voir une "normalisation" épidémiologique
(Setbon, 2000). La courbe prise par l'épidémie, à l'image d'autres pathologies infectieuses au cours
de l'histoire, indique un plus grand nombre de nouveaux cas dans les groupes sociaux défavorisés
(jusqu'en 2002 dans le cas des migrants).
Alors que cette période est « l'apogée du mouvement » associatif (Pinell & coll., 2002), l’arrivée de
thérapies efficaces questionne la qualité de l'accès au système de santé pour les migrants (dépistage,
accès aux soins et suivi de l'observance, etc.…).
Nous rapportons dans un premier temps les méthodes d'évaluation des victimes du sida issues de
l'émigration-immigration (le VIH pouvant être acquis dans le pays d'origine ou dans celui d'arrivée,
ou de passage), en essayant de nous situer à la fois en amont et en aval de ces méthodes, c'est à dire
d'en saisir les tenants et les aboutissants (A1).
Afin de se dégager des contraintes et des questions complexes qu'imposent les chiffres (i.e.
comment catégoriser et définir les populations migrantes), nous abordons le problème sous un angle
différent. Après avoir décrit les vulnérabilités spécifiques qui lient ces populations au sida, et qui
permettent justement de les définir (A2), nous questionnerons la pertinence de l'une d'ente elle (i.e.
la culture) (A3.1).
Cette interrogation nous permettra de décrypter notre propre regard, de mieux comprendre notre
perception courante de la culture, et par voie d'extension, de notre propre culture (b). Si l'idée de
culture apparaît dans l'existence d'une autre culture, l'autre qui agit différemment existe également
au sien de chaque culture, l'autre apparaît dans sa sous-culture. La première différence distingue
deux cultures et apprend respectivement à chacune d'elle l'existence d'un externe. La seconde
différence va relever de la dynamique d'une culture puisqu'il est fréquent d'adopter la sous-culture
de l'autre. Cette sous-culture ne sera pas adoptée au hasard, cela dépendra de ce qu'elle nous apporte
(A3: 2, 3).
Les notions d'externalité et d'internalité définis par rapport à un groupe (i.e. des relations
sociologiquement caractérisées), permettent alors de dépasser les vulnérabilités spécifiques
précédemment évoquées (A4). L'idée tenace que pauvreté rime avec maladie reste la plus difficile à
déconstruire (bien qu'il serait ridicule de la déconstruire totalement).... Dans un premier temps, il
faut donc indiquer la vraie nature du problème, l'absence de représentant de migrants au sein des
processus de démocratie sanitaire évoquée en première partie (A4.1). Les migrants doivent par
conséquent s'adapter à une culture externe qu'ils ne contribuent pas à construire. Pourtant, pour
favoriser cette co-construction culturelle (dès lors que les migrants participent de la culture l'autre,
ils reçoivent de l'autre culture), il faut donner l'occasion à ce groupe d'explorer ses propres
possibilités sociologiques. Nous ne nous situons en aucun cas, dans cette partie du mémoire, dans le
socio-économique, mais dans les relations inter-individuelles (A4.2).
Cet angle permet d'aborder la question de la communication en rapport avec les conclusions du
deuxième chapitre de la première partie, qu'il s'agit de mettre en application en ce qui concerne les
émigrés-immigrés (Partie II, second chapitre). Si la vertu de la communication en santé semble
limitée lorsqu'elle ne fait que servir la santé, sur un mode vertical de transfert d'informations
sanitaire par un outil de communication, cet outil offre en revanche, dans son procédé d'élaboration
de l'information, la possibilité de construire la santé sur un mode horizontal (A1).
La communication publique horizontale (locale, des profanes-experts aux profanes) devient ainsi
complémentaire de son pendant vertical (globale, des experts aux profanes). Pour des raisons qui
relèvent de l'ordre de la santé communautaire, comme propre à la communication (A2),
l'horizontalité est particulièrement adaptée à la population migrante. Elle utilise des moyens ou des
outils adaptés, comme la langue par exemple, qui se veut à la fois fond et forme (A2.1) afin de
laisser le temps à l'intéressé de s'approprier l'information, ou pour lui laisser la possibilité d'en
définir le contenu (A2: 2, 3).
Une fois pris en compte l'ensemble des problèmes de santé auxquels se confrontent les émigrés
(A3.1), la définition du contenu devient cruciale.
Mais de manière beaucoup plus importante, l'horizontalité questionne la définition géographique de
la citoyenneté, puisque les migrants sont avant tout des émigrés-immigrés. Quant à l'ingérence
sanitaire, l'action horizontale complète l'aide verticale (A4). De même, et pour boucler avec le début
du mémoire, le développement de la recherche et de la prévention dans le "Sud", doit se faire selon
les mêmes principes que dans le "Nord" (A5).
Pour conclure, le but de ce mémoire est de déterminer en quoi la communication sur le sida
peut nous révéler quoi que ce soit sur la société qui la produit. Si le sida est un syndrome
médical, il est également un indicateur social.
- Partie I. SANTE, SIDA & COMMUNICATIONS -
Il est beaucoup plus important de savoir quel genre de patient a une maladie,
pluôt que quel genre de maladie a un patient.
William Osler, anatomo-pathologiste, enseignant,
historien, et essayiste.
I. SANTE & SIDA
A1. LE SIDA, NEBULEUSE MEDICO-SOCIALE
A1.1 Des chiffres, toujours des chiffres
Au 30 juin 1987, 1 964 cas de sida sont comptabilisés en France (BEH, 1987, 126). Une définition
élargie du sida au 1er janvier 1988 permit de mieux cerner la réalité épidémiologique de la
pandémie. En 1990, le nombre de cas de sida comptabilisé atteint 9 817. L'application de la
nouvelle définition aurait ainsi entraîné une augmentation de 13% de cas diagnostiqués entre 1988
et 1990 (BEH, 1990, 87).
En 1995, 38 372 cas sont enregistrés (dont 608 enfants), et 6100 nouveaux cas été attendus, signe
d'une stabilisation de la maladie par rapport aux 6 400 nouveaux cas de l'année 1994. Mais il existe
d'importantes disparités épidémiologiques, qui dépendent des modalités de transmission du VIH
(ainsi que de l'évolution de ces profils) (BEH, 1995, 201). En 1994, 41% des cas de sida
diagnostiqués relèvent d'homosexuels (ou de bisexuels qui multiplient le nombre de partenaires),
24% d'usagers de drogues injectables, et 17 % d'hétérosexuels. Au milieu des années 90, le nombre
de sujets asymptomatiques est estimé entre 500 000 et 600 000 pour la seule Europe.
Au cours de la seconde moitié de la décennie 1990, le nombre annuel de nouveaux cas de sida
amorce un déclin, avoisinant les 1 500 au tournant des années 2000. Cette réduction est notamment
due à l'influence d'anti-rétroviraux (ARV) efficaces qui permettent de stabiliser l'infection et de
retarder la survenue du sida (BEH, 2000, 164, 233).
A la fin des années 1990, les disparités avaient cependant évoluées puisque 40% des nouveaux cas
de sida concernaient des personnes contaminées par rapports hétérosexuels (50% en 2001), 30% par
rapports homosexuels et 15% par usage de drogues injectables (BEH, 2000, 235). Une des causes
de cette évolution résidait en une absence de dépistage, soit un défaut de connaissance à l'infection
VIH et de traitements subséquents. Les femmes commençaient à représenter une partie importante
des cas de sida2, ainsi que les « jeunes et jeunes adultes » et les groupes des « personnes de
nationalité étrangère ».
Au tournant de l'année 2003, la déclaration obligatoire de nouveaux cas de VIH vint contrecarrer
l'imprécision de la déclaration des nouveaux cas de sida, qui chiffrait essentiellement les personnes
entrées dans la phase symptomatique, faisant l'impasse sur les personnes contaminées. D'autant plus
que l'efficacité des ARV avait rendu le virus invisible dans l'expression de ses conséquences
2 Les femmes sont en effet plus vulnérables aux risques de transmission dans un cadre de relationshétérosexuelles, de part l'exposition de leurs muqueuses. En revanche, la maternité favorise la détection de laséropositivité chez les femmes, et donc la possibilité d'accéder aux traitements....
biologiques.
"En 1998, les déclarations obligatoires de sida sont devenues moins utiles comme base
épidémiologique aidant les décisions publiques des politiques de prévention et d'action de soins. En
effet, la réduction importante du nombre de cas de sida depuis 1996 traduit en partie l'efficacité des
nouvelles combinaisons thérapeutiques et ces relevés chiffrés de sida avéré reflètent de façon très
éloignée les nouvelles vulnérabilités, les nouveaux risques, les nouvelles contaminations." (CNS,
1998)
Dès lors, le nouvel outil permettait d'accroître la fidélité du suivi épidémiologique. La France est
l'un des quatre pays européens (avec l'Espagne, le Portugal et l'Italie) où la séropositivité est la plus
élevée. Elle présente de forte disparités territoriales, avec l'Ile-de-France et la région PACA les plus
touchées. En 2001, plus de 3 malades sur 4 n'avaient pas bénéficié d'un ARV précurseur, car ils
avaient découvert leur séropositivité en même temps que le sida (BEH, 2001: 207).
En 2007, cinq millions de sérologies VIH ont été réalisées, soit un nombre stable par rapport à
2006, mais supérieur à l'année 2004 (4, 8 millions). Le nombre de personnes ayant découvert leur
séropositivité en 2007 est estimé à 6 500 (la déclaration est suivie d'une sous-déclaration...). Ce
nombre a diminué depuis 2004, année pour laquelle il est estimé à 7 500 (Cazein & coll.: 2008).
Parmi ces 6 500 personnes, 38% sont homosexuels, 35% hétérosexuels étrangers, 25%
hétérosexuels français et 2% usagers de drogues injectables. Alors que le nombre de découverte de
séropositivité a augmenté pour les homosexuels entre 2004 et 2006, il semble se stabiliser en 2007.
Il diminue en revanche pour chez les personnes de nationalités subsaharienne et reste stable chez les
hétérosexuels français.
Le nombre de nouveaux cas de sida est estimé à 1 200.
A1.2 Par delà les chiffres: Le Léviathan
a) D'une problématique scientifique.... à une question sociale.
Il est évident qu'une pathologie telle que le sida, de part le caractère éminemment pandémique du
VIH, a obligé les scientifiques à investir des champs de savoirs qui n'auraient été que difficilement
étudié. Les maladies orphelines en attestent. Pour reprendre un principe bernardien, c'est par l'étude
du pathos, donc de la mort, qu'il est possible de découvrir les secrets de la vie. De ce fait, le VIH va
mobiliser la science sur plusieurs plans, dans une démarche fondamentale et appliquée, publique et
privée, nationale et globale. C'est donc la vérité scientifique qui va progresser sur la linéaire
évolution (dis)continue du savoir ....
Dans "Histoire du sida", Mirko Grmek se demande si le sida n'est pas une maladie ancienne, restée
invisible dans un premier temps aux yeux de la médecine et de sa classification nosologique. De par
son caractère immunodépresseur, le virus type de VIH pourrait expliquer des cas de mortalité dont
l'étiologie serait restée indéterminée. Ainsi, l'auteur propose des exemples de patients décédés en
1952, dont les profils pathologiques seraient susceptibles de convenir à un ancêtre du sida (Grmek,
1995: 205).... à titre indicatif, bien sûr, puisque les traces d'une proto-histoire ne sont toujours que
des résidus incomplets et ambigus. Par la suite, l'auteur interroge les conditions biologiques et
sociales qui auraient favorisé l'épidémie au travers du dépassement d'un seuil critique de diffusion
du virus. La pression de la sélection naturelle aurait maintenu le rétrovirus dans une faible activité
avant qu'une importante dissémination due à des changements sociaux ne permettent au virus de
devenir létal sans s'éteindre, puisque diffusé par une vitesse de propagation plus grande encore que
celle de son mode opératoire.
Quelque soit la justesse de ces appréhensions, elles posent une question qui en appelle une autre, à
savoir, si l'apparition de l'épidémie dépend d'éventuels facteurs sociaux, son traitement et sa gestion
vont en être empreint à leur tour, de fait. A moins de considérer que la science et la société sont
deux entités individuées et contiguës.
Comment le moteur et l'origine du savoir vont-ils donc fabriquer les représentations du virus et
l'expression de la maladie, ou tout au moins les co-construire à partir de l'existence d'une source
virale ? Dans ses ouvrages homonymes, "Histoire du sida", Steven Epstein prospecte cette seconde
hypothèse. L'exemplarité de son travail réside dans la collecte des indicateurs d'une science qui
serait humaine, et non plus uniquement logique. Ceci au cœur même du parangon de la preuve,
dans le "noyau dur" de la recherche scientifique.
L'auteur s'attaque à un défi non négligeable. Il tente de démontrer, à partir de la controverse sur la
nature virale du sida, identifié au VIH, les rôles respectifs joués par les "profanes" et les
"professionnels" dans l'établissement et l'évolution des frontières de la connaissance. Les premiers
tentent de résister aux "étiquetages, classifications et condamnations" des seconds, auxquels ils ne
s'accordent pas (213). L'analyse scientifique (hypothèses, arguments de démonstration, pondération
relative attribuée aux arguments, etc...) vont dépendre de pré-requis externe. Chacun des agents de
la controverse tente d'acquérir un maximum de crédibilité afin de faire valider son expertise. Sur
l'échelle de l'institutionnalisation du savoir, les uns se revendiquent du "haut" alors que les autres
surgissent par le "bas"(202-8). En pratique, c'est l'interaction de ces différents mondes autour
"d'objets-frontières", identité des controverses, qui va rendre amovibles les lignes territoriales de
ces mondes.
Plus encore, c'est une coalition d'intérêts de groupements aussi bien institutionnels qu'associatifs qui
permet, au milieu des années 80, la mise en "boîte noire" de l'hypothèse qui relie le sida au VIH,
avant qu'une nouvelle controverse ne soit ouverte au début des années 90 (57-166). Il existe un jeu
d'affinité qui amène certains acteurs à défendre, compléter, ou renforcer les arguments avancés par
d'autres, ce qui apporte la "crédibilité" nécessaire à l'expansion scientifique de ces arguments. Des
mouvements "externes" à la science ont ainsi un impact "interne". Finalement, l'auteur dévoile une
polarité chevauchante entre les deux catégories d'acteurs, les "profanes" et les "professionnels".
Dans un double croisement qui traduit à la fois les "tendances à la professionnalisation qui se
manifestent à l'intérieur des mouvements sociaux qui se confrontent au savoir scientifique" et
l'influence que des réseaux sociaux ("relations aux différentes organisations, institutions et groupes
sociaux en cause") peuvent avoir sur des chercheurs et des médecins appartenant à des corps
disciplinaires variés, S. Epstein nous met en garde contre le risque de réifier des acteurs dans des
"entités monolithiques et invariantes" (214).
Au début des années 80, les cas de sida sont fortement présents chez les hommes qui ont des
pratiques sexuelles avec des hommes. Le corps médical se focalise sur le "mode de vie gay" et
tente de caractériser ce qui pourrait différencier cette "population"3 des autres mode de vie. En
réalité, si l'épidémie n'est pas absente d'autres pratiques de vie, telles que l'injection de drogue, les
acteurs de ces pratiques consultent peu le corps médical, ce qui a pour effet de les rendre invisibles.
Ainsi, au début de l'année 1982, l'épidémie est connue sous l'acronyme "GRID" (immunodéficience
associée à l'homosexualité). Les épidémiologistes élaborent entre autre des théories reliant une
pratique sexuelle pluri-partenariale (et non multipartenariales4) avec consommation de poppers à un
épuisement du système immunitaire. Si la théorie n'est pas forcément absurde en elle même, la
focalisation du corps médical sur ces pratiques limite d'une part l'exploration et le développement
d'autres hypothèses et réifie le concept de "mode de vie gay" dans des habitus qui ne sont pas ceux
de tous les homosexuels. L'idée que l'homosexualité "cause" le sida, pleine d'a priori et fermement
implantée, contribue à ce que les épidémiologistes ne s'intéressent que principalement aux "causes
prédisposantes". Par ailleurs les virologistes se détournent du problème, ne se sentant pas concernés
par une épidémie qui restent marginale, ne serait-ce que par sa signification. En mai 1982, devant
les critiques des activistes et de certains médecins (gays ou non), le nom officiel de l'épidémie
apparaît : AIDS (SIDA, en français: Syndrome ImmunoDéficitaire Acquis).
Cet exemple vient illustrer ce que revendique le livre, et particulièrement le second tome: réaliser
une réelle symétrisation de la nature des relations sciences/société. Quitte à parler "d'acteurs-
réseaux" et montrer comment les "scientifiques enrôlent des profanes pour soutenir les faits
scientifiques et leurs visions de ces faits", autant "prendre au sérieux" la seconde partie de
3 Pour reprendre leur terme, qu'il faudrait substituer par "pratique sexuelle". Personne n'est "gay" d'un point devue essentialiste, les "gays" ont des pratiques homosexuelles, ce qui est tout à fait différent.4 Les pratiques pluri-partenariales correspondent des relations entre deux personnes, avec renouvellementfréquent du partenaire.
l'injonction qui appelle à montrer comment "les profanes tentent d'enrôler les scientifiques", ce qui,
par extension, amène à rechercher comment "des groupes, à différents niveaux de la société, créent
des connaissances scientifiques" (207).
b) Mettre de la politique dans la science...... et inversement.
Dans le second tome "La grande révolte des malades", S. Epstein (2002) montre comment les
malades et les activistes anti-sida se sont imposés comme des partenaires dans la recherche et ont
obligés les chercheurs et les industriels à modifier les manières d'étudier les médicaments . Si les
activistes sont devenus des experts en "matière de stratégies de prévention, de tests de
séropositivité, de législation antidiscrimination et d'accès au soins", ils vont s'attaquer aux études
expérimentales puisque, selon les mots de l'un d'entre eux, "Jusqu'à présent il n'y a eu que peu de
pressions exercées parce que nous nous en sommes remis aux experts pour interpréter à notre place
ce qui marche" (27).
Au fur à mesure de leurs investigations, les activistes vont acquérir une telle expertise qu'ils
obtiennent la crédibilité nécessaire pour influencer significativement la recherche. Ils tissent un
réseau qui va amener des scientifiques de différents domaines à coopérer. Ils sont publiés dans des
journaux scientifiques ou publient leur propre revue, court-circuitant alors le contrôle institutionnel
des referees et des rédacteurs. Ils contribuent à définir les études qui obtiennent des financements,
interviennent dans les tests pharmaceutiques et la mise sur le marché des médicaments (que ce soit
en terme méthodologique, de planification du calendrier, de publics concernés, ...), etc...
En quelques sortes, l'activisme thérapeutique investit le champs scientifique avec une
intentionnalité politique et le transforment effectivement. Ce qui oblige à redéfinir la nature de la
science, puisque de pure et isolée des pressions extérieures, elle devient connectée à la société. Le
titre original du livre de Steven Epstein est d'ailleurs "Impure science AIDS, activism and the
politics of knowledge"."Les activistes ont souligné le "caractère local et contextuel du savoir scientifique utile". Dans la
conception dominante de la science, symbolisée par les essais cliniques randomisés, le véritable savoir
se construit grâce à l'abstraction et à la transcendance des particularités. Dans la conception
alternative que développent les critiques activistes, le savoir fiable est produit grâce à l'attention
scrupuleuse portée au contexte moral, social et politique: une science de qualité supérieure émerge
grâce à la focalisation sur les désirs, les besoins, et les attentes des patients. Cette conception
alternative de la science est prête à abandonner ses prétentions à une reconnaissance universelle en
échange d'un savoir porteur d'une utilité immédiate et circonscrite." (T2: 241)
Reprenant les termes d'Andrew Abbott, Steve Epstein décrit comment les activistes ont gagné le
droit d'exercer une "juridiction morale" sur la médecine et la psychiatrie (237). Si avec Abbott, on
comprend comment le professionnalisme est le "principal moyen d'institutionnalisation de
l'expertise dans les pays développés", Epstein questionne ce qui définit la nature de la démarche
scientifique et les limites de l'activisme. Soulignant entre autre combien les activistes croient parfois
en la vérité de la méthode, ou en la capacité théorique de réduction de l'incertitude (quant aux effets
des médicaments grâce aux essais cliniques par exemple), etc..., l'auteur relativise la capacité
d'autonomie des activistes dans l'évolution de leur démarche.
"La seule voie valable serait plutôt d'ouvrir la "boîte noire" de la recherche clinique et de convaincre
les gens de l'extrême importance de participer à de telles recherches même s'ils ont compris combien
ces recherches sont complexes et embrouillées et à quel point le savoir qu'on peut en tirer est d'une
utilité pratique limitée." (246).
Dans le même temps, les savoirs médicaux théoriques et techniques contribuent à ouvrir de
nouveau les urnes transparentes de la démocratie et des acquis sociaux. Le titre de l'ouvrage
commun "Une épidémie politique. La lutte contre le sida en France, 1981-1996" résume ainsi ce
dernier point en deux mots: épidémie politique (Pinell & coll., 2002). En révélant les réalités de la
société, les savoirs médicaux théoriques et techniques déterminent une épidémie politique qui offre
au système associatif la possibilité de se diversifier et de se spécialiser pour investir différentes
niches de l'espace social (Pinell & coll., 2002).
"Les grandes étapes de l'évolution du mouvement associatif, sa naissance, sa phase de croissance
comme son déclin actuel peuvent ainsi être mis en relation avec trois temps fort du processus de
médicalisation du sida. " (7).
La mise sur le marché en 1985 d'un test de dépistage constitue le second temps fort, qui fait émerger
l'existence de la contamination dans un ensemble de minorités (drogués, hémophiles, transfusés,
prisonniers, immigrés et prostituées).
Réifier les associations en associations et l'état en état ne permet pas de refléter la complexité d'une
épidémie analysée par des outils scientifiques eux même manipulés par une pluralité d'intérêts. Les
finalités politiques et médicales sont interdépendantes.
Des décisions importantes qui impliquent de remanier les discours sociaux sont prises par le
gouvernement, avec la bénédiction des associations. En 1987, les seringues sont mises en vente
libre dans les pharmacies. L'année précédente, la législation est modifiée afin d'autoriser la publicité
sur les préservatifs (98), ce qui s'avère une défaite pour certains mouvement religieux ou
réactionnaires fortement opposés à cette mise en vue de la sexualité. De récentes déclarations
montrent à quel point ce genre de considérations restent d'actualité5. En bref, le sida et l'analyse
épidémiologique vont inciter l'état à mettre en place une modernité thérapeutique (Dodier, 2003).
Le traitement de l'épidémie devient l'affaire d'une santé publique libéralisée. Les malades évoluent
du statut de coupables à celui de victimes (Fassin, 2002).Cette partie de notre mémoire aurait
nécessité une plus grande recherche sur le rôle précis joué par les associations et sur l'usage qu'elles
ont fait des chiffres officiels afin de faire "bouger les ligne politiques".
Le troisième temps fort du processus de médicalisation identifié par le livre "Une épidémie
politique" est celui de l'arrivée d'ARV efficients à partir de 1996. La maladie devient ainsi un
continuum puisque le traitement peut survenir dès la primo-infection, ce qui rend "d'autant plus
cruciales les questions relatives au dépistage précoce de l'infection, ainsi que l'accès à l'information
et aux soins" (Musso, 2008: 33).
L'accès aux soins illustre également le redimensionnement international que le sida a impulsé, en
modifiant les rapports économiques des lois de brevetabilité et l'accès aux médicaments pour les
pays éprouvant des difficultés économiques.
Un quatrième temps fort est également analysable. La mise en place, en 1994, de la déclaration
obligatoire de séropositivité, qui permet d'obtenir des chiffres précis sur l'épidémie.
En reflétant de manière plus fidèle le risque épidémiologique, la DOS VIH va permettre de
réaffirmer ou d'identifier les personnes et les groupes concernés de manière cruciale par le risque
d'infection.
De plus, il faut noter que la mise en place d'une identification systématique de la souche virale lors
des dépistages va ouvrir la possibilité de déterminer l'origine géographique de l'infection et
d'interroger nos pré-conçus du centre de diffusion du VIH.
"Les deux catégories d’appréhension actuelles de ce que la « question immigrée » dans l’épidémie
recouvre sont, d’une part, la référence à une « pathologie d’importation », et de l’autre, une attention
concentrée principalement sur les personnes originaires d’Afrique sub-saharienne. C’est sous cet
angle de l’ « épidémie importée », qui ne correspond d’ailleurs pas à la diversité des trajectoires et de
la situation du sida dans les pays d’origine, que semble pouvoir être posée au grand jour (« N’ayons
plus peur de le dire » écrit le Ministre de la Santé en 2004), une « question immigrée » que sa
dimension « endogène » et sa relation avec les questions de « minorités » ne permettait pas de
soulever au préalable. Or, comme l’indiquent les synthèses les plus récentes « Environ les trois quart
des personnes d’Afrique sub-saharienne ayant découvert leur séropositivité VIH en France en 2005
ont été infectées par des sous-types qui prédominent en Afrique (sous-types non B). Le quart restant
a été infecté par un sous-type très peu présent sur le continent africain et qui est au contraire
5 Que ce soit les déclarations en Afrique de Jean-Paul II dans les années 1990, ou celles plus récentes de BenoîtXVI.
majoritaire en France (sous type B). Ces données sur les caractéristiques virales montrent qu’une
partie des contaminations dans la population africaine se sont produites en France (ou en Europe de
l’Ouest). » (Lot, 2007 : 112)." (Musso, 2008: 18)
On comprend que le discours scientifique, qui s'avance comme une preuve, est un outil privilégié
pour exprimer des revendications et imposer des exigences. La science est à la fois ce qui est écrit
noir sur blanc, et la recherche de l'encre la plus noire.
c) L'exceptionnalité du sida.... transitoire ?
« Par les problèmes nouveaux qu'il pose -façon d'aborder la sexualité et les homosexuels, nouvelle
réflexion sur l'attitude à avoir face à la toxicomanie, urgence des réponses médicales et formes
multiples de rejet et de discrimination-, il y a une exceptionnalité sociale du sida [...] » (Defert, 1994,
103).
L'apparition du sida entraîne la mise en place de moyens publics propre à la pathologie (création de
l'AFLS pour la prévention, de l'ANRS pour la recherche et du CNS pour l'éthique et les
interrogations sociales), ce qui s'avère inédit. Si D. Defert relativise cette exceptionnalité, en
précisant que ces structures (AFLS, ANRS) sont réintégrés par la suite dans des pôles plus généraux
des pouvoirs publics, il faut insister sur cette analyse au regard, par exemple, de la création de
cinquante postes crées au sein des Directions Départementales de l'Action Sanitaire et Sociale
(DDASS), spécialement dédiés au sida, qui « constituent une originalité dans les services
déconcentrés, [leurs acteurs] y étant en général polyvalents » (Sitbon, 2006, 114).
Cette exceptionnalité du sida est présente quasiment dès le début de l'épidémie. Si l'histoire montre
que les interventions destinées à contrôler les épidémies ont toujours été autoritaires6, avec mise à
l'écart des malades, les réactions étatiques face au sida furent en majorité libérales. La volonté d'être
solidaire avec les victimes entraîne ainsi une organisation juridique et sanitaire à inflexion non
coercitive et mondiale7, une modification du vocabulaire, et une responsabilisation des individus au
travers de campagne d'information (Herzlich & Adam, 1997: 5-18). Sur ce dernier point, le sida
"s'inscrit dans une stratégie mise en place depuis plusieurs décennies à l'égard des "maladies
modernes".
Cependant, le sida va tout de même amplifier cette responsabilité de l'Etat dans la mise en place
d'une responsabilisation de ces citoyens et dans le développement d'une réelle politique de santé
publique (Herzlich & Adam, 1997:19; Dodier, 2003), auparavant le "parent pauvre de l'Etat". En
6 On se rappellera les "sidatoriums" du front national....7 Il reste cependant des zones d'ombres, tel que l'accès au visa de certains pays pour les personnes séropositives.
matière de budget de communication, le ministère de la santé passe, entre 1987 et 1991, du
septième au premier rang (Requillart, 1999: 33). Sur cette période, le ministère consacre plus de la
moitié de son budget au sida, ce qui en fait sa première priorité (123 MF).
L'exceptionnalité du sida se retrouve sur le terrain de la prévention. Une comparaison des budgets
gouvernementaux de communication publique montre ainsi que l'agence Alice se voit attribuer en
1992 la plus grosse somme jamais allouée aux agences de publicité. Pendant longtemps, le sida va
être la "place forte imprenable" dans un ministère de la santé connu pour attribuer des fonds à
"géométrie variable" (Le Net, 1993: 71).
Parallèlement à l'engagement du pouvoir central, se dessine un formidable mouvement de prise en
charge associatif, alors que les épidémies sont habituellement destructrices de liens sociaux
(Herzlich & Adam,1997: 19). Dans les années 1990, les bénévoles associatifs atteignent des chiffres
records, qu'ils s'agissent de personnes touchées directement ou non par cette maladie. Toutes sortes
de volontaires issus de professions différentes contribuent à la lutte contre le sida: journalistes,
psychologues, juristes, etc... Le corps médical s'est s'investis dans un bénévolat inscrit dans leur rôle
professionnel ou non8. Le tissu associatif, large et diversifié, embrasse une grande variété d'actions:
prévention au sens strict (y compris distribution gratuite de seringues Croix Rouge, Médecins du
Monde), aide et soutien aux malades (conseils, appartement-relais à vocation thérapeutique et social
comme l'association Aparts), soutien à la recherche et récolte de fond (Sidaction) par des moyens
variés (Solidays, Sol en Si), voir activisme et lobbying (Acts up). Récemment, la présidente de la
république française s'est engagée dans la cause. En un certain sens, le succès économique et
émotionnel de films tels que "Philadelphia" reflète l'empathie populaire progressivement insufflé
par la mobilisation contre le sida. La presse a également adoptée la thématique sida de manière très
importante, en terme de volume publié9.
En terme associatif, le sida est même particulièrement exemplaire d'un mouvement pris en charge
par les patients eux-mêmes. L'engagement des malades dans les associations de lutte contre le sida
n'est pas forcément généralisable aux autres maladies, dont la représentation associative s'effectue le
plus souvent par le biais d'autorités expertes comme des médecins ou des hauts fonctionnaires
(Lafon, Pailliart, 2007: 8). Ces dernières détiennent ainsi le pouvoir hiérarchique au sein d'
associations qui sont finalement des "passerelles" entre les malades et le monde médical.
8 L'association des m édecins gais, fond ée en 1981, a pour objectif de sensibiliser le corps m édical et param édicalsur tout ce qui a trait à la santé des homosexuels, et d'en informer leur communauté. Par ailleurs des médecinsont pris l'initiative de s'organiser en réseau afin d'assurer une meilleure prise en charge des personnes atteintespar le VIH par un soutien psychologique et une aide sociale, permettant ainsi une continuité des soins, et lapossibilité de leur maintien à domicile (Sitbon, 1993-5 :38)9 Nous verrons plus loin qu'elle a même con tribué à soulever les probl ématiques du sida avant que l'Etat ne lesprennent en charge, en France tout au moins.
En somme, les conséquences du sida sont sans communes mesures avec la plupart des faits sociaux:
En raison, à la fois, de son caractère transmissible, des difficultés de son traitement et des spécificités
des personnes les plus concernées, l'épidémie a croisé aussi bien les problèmes du fonctionnement des
systèmes de santé et de l'organisation de la recherche médicale, que ceux de la sexualité, des droits
des personnes, des structures familiales, des médias, etc... (20).
Récemment, le sida a fait l'objet d'un prix Nobel. Un second est relativement attendu pour les
chercheurs qui réussiront à mettre au point un vaccin fiable. A cet égard, le sida nous réserve peut-
être des surprises, puisque sa complexité impose de retravailler en profondeur notre compréhension
du système immunitaire. Les solutions émergeront peut-être d'un groupe de chercheurs, sur le mode
de la physique nucléaire, et non pas d'un unique laboratoire.
Mais cette formidable mobilisation a pourtant été rattrapée par une "désillusion", un "essoufflement
des associations" et la "dilution du soutien de l'opinion" (Herzlich & Adam,1997: 21). Michel
Setbon parle à ce titre de "normalisation paradoxale du sida". Avec la chronicisation du sida
(arrivée de traitements efficaces) et sa maîtrise épidémiologique (réduction de l'incertitude par une
forte mobilisation: prévention, solidarité avec les malades, tests de dépistage,...), le sida devient une
maladie épidémiologiquement "acceptable".
"Il en résulte un découplage paradoxal entre la perception du risque et la réalité épidémiologique à
deux conséquences : l'une concernant la gestion individuelle du risque, à travers une recrudescence
des comportements à risque, confirmée par un niveau élevé de nouvelles contaminations ; l'autre
portant sur la gestion publique du sida à travers la tentation de ses responsables d'interpréter cette
acceptabilité sociale comme la marque de la disparition du problème. "10
Alors même que des mesures telles que l'éducation thérapeutique des tranches de population les
plus touchées ou la prévention ont permis de restreindre le nombre de nouvelles infections, le
"succès de ces pratiques conduit leurs acteurs à la ruine" au travers de l'assurance qu'elles peuvent
apporter. En retour, il est possible de constater une reprise des comportements à risques au travers
du retour des Maladies Sexuellement Transmissibles (MST).
Entre 2000 et 2002, la résurgence de la syphilis s'est ainsi traduit par la multiplication par cinq du
nombre de cas, en ce qui concerne Paris (INVS, 2002).
10 http://cat.inist.fr/?aModele=afficheN&cpsidt=1550155
La deuxième conséquence, la diminution de l'attention de la gestion publique, se traduit par la
restriction des budgets (entre 1997 et 2001 les budgets vont chuter de 90%). D'environ 50 millions
de francs entre 1995 et 1998, les budgets descendront aux alentours de 30 MF en 1998 (Sitbon,
2006, 206), 12 MF en 1999, 7MF en 2000 et 4,5 MF en 2001 (Jayle & Richard, 2002: 18).
Face aux coupes drastiques, la question se pose de savoir si les associations, pour la plupart
dépendantes d'aides publiques, doivent rester spécialisées dans la problématique ou si au contraire,
elles ne devraient pas élargir leur champ à d'autres pathologies ou d'autres problématiques (Pinell,
2002: 337)?
De même, dans quelle limite faut-il privilégier quelques grosses associations qui centralisent les
coûts, mais risquent de s'éloigner du terrain, au contraire des associations implantées localement ?
A2. SIDA, SOCIETE & MINORITES
Comme évoqué en introduction, le sida est un révélateur social. En photographie, le révélateur
permet de faire apparaître l'image, les grains d'argent se teintent proportionnellement à la quantité
de lumière à laquelle ils ont été exposés. Moins le grain est exposé au flux des photons, plus il
apparaîtra sombre lors de la révélation.
"L'appartenance sociale et les diverses formes de vulnérabilité influent sur les possibilités des
personnes de faire face à la maladie aussi bien qu'elles accentuent ou allègent les risques de
stigmatisation. Malgré ce qu'on dit de son "exceptionnalité", le sida n'est jamais hors des rapports
sociaux habituels." (Herzlich & Adam,1997: 26).
A2.1) Discrimination des malades
Comme le montre le retour de certaines MST, la régularité des actions de prévention reste
absolument nécessaire. Mais cette dernière concerne également la prévention du rejet social des
malades.
Informer sur les modes réels de transmission (donc sur l'innocuité d'une personne séropositive dans
un contexte social), sensibiliser aux épreuves que les patients doivent surmonter (donc, entraîner de
l'empathie à leur égard, et communiquer dans le même temps sur la réalité de la maladie) reste un
travail à entreprendre sans relâche.
Sur le plan médical par exemple, malgré de bonnes connaissances sur les modes de transmission du
virus, des médias se sont servis de la peur suscitée par le sida pour publier des articles dérogeant
entièrement aux exigences de la non discrimination. Ainsi, la télévision et la presse française se sont
illustrées en la matière par leurs traitements d'une (non) actualité récente. A propos d'un médecin
barcelonais qui pratiquait des IVG, l'insistance fut mise sur la séropositivité du médecin, et le sous-
entendu sur les dangers de contamination des patientes (ARCAT, 2009: 210)11. En réalité, cette
information provenait d'un communiqué de presse (qualifié de "message d'alerte sanitaire" par le
Conseil National du Sida) publié part la Direction Générale de la Santé, pour retrouver les femmes
ayant fait appel à ce médecin afin de pratiquer un dépistage (DGS, 2008)12.
11 L'article cite également le guide du Petit-Futé 2009-2010 sur la Guyane : « Dans l'ensemble, la Guyane resterelativement calme et agréable à visiter car il est très rare de se faire agresser par un accroc au crack, orpailleurclandestin, porteur du virus du sida... ou par une chute d'arbre! »12 Les associations ont dénoncée « Une violation du secret sérologique » et une communication « démesurée etinjustifiée », alors que le CNS a appellé à une développer une "information mesurée".
http://www.cns.sante.fr/spip.php?article288Le gouvernement espagnol, à l'origine de l'information, n'avait pas effectué d'alerte concernant ce cas et aurait
A2.2) Minorités et double-minorités
Différentes minorités furent "révélées" par le sida. L'épidémie a montré comment les spécificités
qui distinguent ces comportements/populations les ont rendues non pas seulement "vulnérables" à la
maladie, mais "concernée" par elle.
Le problème du concept de vulnérabilité est qu'il sous-entend potentiellement une essence. Or, si les
minorités sont "concernées" par l'épidémie, si elles "entretiennent" avec le VIH un lien prioritaire
pour des raisons plus ou moins diverses, c'est qu'elles s'inscrivent le plus souvent dans une
configuration sociale ou économique qui produit la spécificité du risque, mais qui ne leur est pas
forcément attachée intrinsèquement. Dans une certaine mesure, l'existence de ces catégories révèle
les rapports sociaux, comme l'indique la citation qui ouvre ce sous-chapitre.
Par ailleurs, la classification des individus peut entraîner leur réification dans des catégories qui ne
sont pas les leurs (ou pas tout à fait les leurs).
a) Les Homosexuels
Les homosexuels furent mis à l'index en tant que groupe à risque dès le début de l'épidémie
puisqu'ils représentaient une part importante des victimes du sida (rappelons qu'un biais de
détection est apparu). Il faut avant tout insister sur l'existence de diverses formes d'homosexualité,
régit par des facteurs tant géographiques que sociaux, ou démographiques (Pollak, 1988). Par
ailleurs, les mœurs de vie marginales (infidélité, pluri-partenariat, etc...) qui leur sont imputées est
due en partie à une structure sociale qui ne les reconnaît pas (le PACS est venu modifier ce déni
social). Mais de récentes données sociologiques confirment le pronostic de Mickael Pollak quant à
un risque inhérent (84).
Les données les plus récentes montrent que les pratiques de réductions des risques, tel que le safer
sex, ne sont pas suffisamment respectées, voire sont abandonnées, notamment avec le tassement de
l'épidémie. Cela pourrait ne pas concerner uniquement cette population, l’épidémio-sociologie
devra, pour répondre à cette question, faire preuve de réfléxivité, et savoir ne pas faire la preuve de
sociocentrisme (cf
exprimer son mécontentement à l'égard de la communication zélée du gouvernement français.Citegay, 2008/10/01: "Roselyne Bachelot interpellée suite à l'alerte sanitaire relative à un chirurgien séropositif,http://citegay.fr/actualites/gay/252690/actualites_visu.htm;e-llico, 2008: « Médecine : Aides dénonce la divulgation de la séropositivité d'un médecin faite par le ministèrede la Santé », http://dev.e-llico.com/article.htm?rubrique=actus&articleID=18369
b) Les Femmes
Il est bien sûr illégitime de catégoriser les femmes parmi les "minorités". Si elles ne sont pas
minoritaires quantitativement, elles le sont qualitativement dans le statut que leur accorde la société.
Le choix de les insérer ici souligne donc leur vulnérabilité sociale et biologique.
L'épidémie de sida a aussi révélé des questions de genre (ANRS, 2008)
A partir de 1997, les contaminations hétérosexuelles deviennent prédominantes et représentent 41%
des cas (BEH, 2000, n°38)13. En France, la proportion de femmes qui découvrent leur séropositivité
ne cesse d'augmenter. De 25% en 2001, elle atteint 38% en 2005 (ANRS, 2008).
La féminisation de l'épidémie, qui est une tendance mondiale, dévoile la grande vulnérabilité de
cette population, non pas uniquement au sens biologique du terme, mais d'un point de vue socio-
économique, puisque de nombreuses inégalités de genre se retrouvent dans les sphère de la
politique, de l'éducation, du travail et de la vie domestique.
Si les femmes sont ainsi 8 fois plus vulnérables que les hommes pour des raisons multiples, cela
révèle également l’histoire des « femmes qui n’ont pas été oubliées du sida mais les oubliées de la
prévention » (Sida Info Service, 2008,a). La cellule alsacienne de Sida Info Service, soulignant un
déclin des appels de femmes en 2002, en appelait à la nécessité de permettre aux femmes de prendre
connaissance des outils de prévention spécifiques à leur genre, tel le préservatif féminin. En fait, les
premières campagnes de prévention ciblées vers les femmes n'ont été mises en place qu'après 1997,
et ce n'est que « très progressivement que la communication a traité de la spécificité des femmes
dans la sexualité, et que leur vulnérabilité a été reconnue » (CRIPS, 2008).
Or, si une bonne connaissance de la répartition des rôles dans la sexualité est nécessaire à la mise en
place de pratiques préventives efficaces, la première synthèse de travaux en sciences sociale et en
santé publique, « Les femmes et le sida en France : Enjeux sociaux et de santé publique » ne sera
publié sur une initiative de l'ANRS qu'en 2008. Les femmes sont longtemps restées invisibles,
« parce qu’elles ne faisaient pas partie des groupes à risques » comme les homosexuels ou les
héroïnomanes, mais de la majorité sexuelle (Sida Info Service, 2008,b).
Concernées par la transmission materno-foetale, les femmes ne constituent un public cible que
depuis très récemment. L'absence de communication à leur égard s'explique par une représentativité
faible, en terme de revendication associative, en comparaison à des associations mieux organisées,
au sein des groupes opérationnels de campagne14.
13 Les contaminations homo/bi-sexuelles et les usagers de drogues injectables représentent respectivement 29 et16%. En 1997, les contaminations hétérosexuelles et celles homo/bi-sexuelles sont identiques (35 et 34%).14 Rappelons cependant que l'association Act Up, "impulsée principalement par des homosexuels masculins",conçoit dès les années 1990 le "salut des "populations marginalisées" et des "minorités" dans une "logiquecommunautaire" (Sitbon citant Barbot, 2006: 292).
c) Les Usagers de Drogues
Population largement négligée dans un premier temps, et très minoritaire. Par manque de temps,
nous n'avons pu développer ce paragraphe, ainsi que celui qui suit.
D'une part, la rédaction de ces paragraphes n'est pas si importante pour le déroulement de l'analyse.
Qu'il suffise de garder en mémoire l'existence de ces populations et de considérer que ces
identifications de personnes ne sont que des identifications discrètes. On peut être ainsi usagers de
drogues et homosexuel, ou usagers de drogue, migrants, et travailleurs du sexe.
d) Les TravailleurEs du sexe
Population largement négligée dans un premier temps, et très minoritaire.
D'autre part, le vide laissé ici à l'égard de ces populations peut-être considéré comme une
expression de leur invisibilité. Leur caractère minoritaire, ou polémique, leur vaut ainsi d'être
fortement exposer au risque sans pour autant recevoir toute l'attention qu'une santé publique idéale
devrait leur accorder.
e) Les Migrants
Population largement négligée dans un premier temps et minoritaire.
On trouvera dans la seconde partie de ce travail un développement plus important sur ce sujet.
A3. SANTÉ PUBLIQUE, SAVOIR & DECISION
Rappelons en préambule que la quasi-totalité des associations de lutte contre le sida sont financées
par les pouvoirs publics (certaines ont même été créées sous leur impulsion), ce qui interdit
d'effectuer une séparation trop catégorique entre l'état et les associations.
A3.1) Politique publique
La notion de "politique publique" concernent aussi bien des actions menées par une autorité
publique et dirigées vers de multiples situations qu'une "action collective qui participe à la création
d'un ordre social et politique, à la direction de la société, à la régulation de ses tensions, à
l'intégration des groupes et à la résolution des conflits." (Lascoumes et Le Galès, 2007: 5).
Deux entrées existent donc: premièrement, une gouvernance centralisée dont le champs
d'application dépasse éventuellement les frontières territoriales. La seconde entrée retient notre
intention en tant que convergence d'acteurs pluriels. L'approche "top-down" que constitue la
première approche se double d'une approche "bottom-up", ce qui explique pourquoi les choix
politiques, les objectifs et les moyens définis par un gouvernement sont parfois atténués par les
services déconcentrés (DDASS, DRASS, etc...) ou modifiés par des pouvoirs décentralisés: (i.e.
collectivité locales) et privés.
Les politiques publiques peuvent ainsi être définies comme un "système d'action publique", concept
qui recouvre trois notions: celle de "systèmes d'acteurs", "d'action publique" et enfin de "processus"
(Dormagen et Mouchard, 2007: 230). Raisonner en terme d'acteurs permet de court-circuiter
l'approche "top-down", de montrer que l'action des politiques publiques se situent également sur le
terrain cognitif (en tant qu'elles agissent sur les représentations de la réalité) et enfin, d'instaurer des
"boucles de décisions" au sein d'une logique auparavant trop linéaire et définit sur 5 phases:
identification du problème, formulation des solutions, identification des moyens de mise en place
des solutions, etc.... La sociologie de l'enrôlement "tient ainsi compte de "l'intrication entre
logiques cognitives et agrégation des intérêts" et montre qu'il faut réunir l'analyse des valeurs et
celle des intérêts" (Gaudin, 2004: 224).
Ainsi, le « système d'action organisée » que constitue la santé publique, et a fortiori, les
protagonistes des campagnes de prévention, peuvent avoir des motivations et des objectifs très
différents (Sitbon, 1993-5: 12). Il en résulte une « organisation » empreinte d'un « multiplicité plus
ou moins antagoniste », dans laquelle chacun des « agents » doit manoeuvrer avec la pluralité de
l'environnement pour élaborer, non pas la « solution la plus rationnelle » pour parvenir à ses fins,
mais une stratégie alternative acceptable qui remplit un minimum de conditions, et, ce au cours d'un
processus long et rythmé par des étapes de négociation, de confrontation, de coercition, composées
elles-mêmes d'incertitudes. De ce jeux d'échange, résulte le « pouvoir » décisionnel et d'influence.
« On peut donc découvrir, à partir du vécu même des membres de l'organisation, les jeux qui
conditionnent leur comportement dont les enjeux peuvent être à la fois économiques, politiques,
sociaux et culturels. Il faut pour cela également élucider les principes en valeurs, microcultures et
idéologies ambiantes qui peuvent faciliter la coopération, et savoir si les acteurs orientent la marge de
liberté dont ils bénéficient vers plus de coopération. L'organisation est donc un construit culturel
grâce auquel les hommes parviennent à orienter leurs comportements de façon à obtenir un
minimum de coopération tout en maintenant leur autonomie d'agents libres." (SITBON, 1996: 25)
Force est de constater que le partenariat associatif a fait irruption dans la production des politiques
publiques (Barbot, 2002; Callon, Lascoumes, Barthe, 2001). L'importance des moyens humains à
mobiliser en vue de produire les politiques publiques, comme le besoin d'individualiser les
réponses, obligent à penser en termes de partenariat pour répartir à la fois les charges, associer des
compétences complémentaires et enfin, déployer des formes d'action qui soient proches des
populations et correspondent à leur besoins (Warin, 2002).
Il faut pour autant tenir compte de la "différentiation des milieux d'action" puisque de nombreux
débats publics qui accompagnent les politiques publiques se "passent moins à des échelles
nationales unifiées que sur des scènes locales fragmentées [cela n'implique pas qu'ils n'ont pas
d'enjeux nationaux, mais signifie qu'ils sont peu visibles sur la scène nationale] et autour de dossiers
qui ne s'enferment pas dans les négociations types et des objectifs standardisées." ((Gaudin, 2004:
225).
L'arrivée des chercheurs en sciences sociales dans la lutte contre le sida et les questions
d'intégration sont ainsi un exemple, que nous développerons plus loin, d'une interface entre le
secteur politico-administratif et le secteur privé15. Le statut de scientifiques leur procurent ainsi une
"autorité" (toute relative, certes), qui se situe en premier lieu dans la dimension cognitive de l'action
publique, puis dans une éventuelle dimension pratique. Ils jouent ainsi le rôle d'interface entre un
système administratif qui dissocie des éléments interconnectés et un secteur privé plongé dans cette
interconnexion.
15 On nous objectera que la recherche en science sociale fait partie intégrante du service public. Elle se distinguepourtant de l'administration publique, qui relève a priori de la politique.
A3.2) Santé publique, Espace public, Démocratie sanitaire
« En surface que de changements ! Il n’est plus un propos de professionnel de la santé ni de responsable de la politique
en ce domaine qui ne prétende que « l’usager doit être au centre du système de santé ». Pas un colloque, pas un groupe
de travail sans qu’on ne veuille y faire figurer un « représentant des usagers ou des malades ».
Pierre Lascoumes, Sève n°1, 2003
Pierre Muller voit dans l'explosion de la division du travail en Occident aux XVIII ème et XIX ème
siècle, le passage d'une logique horizontale (celle des territoires) à une logique verticale (celle des
secteurs). La mise en place de solidarités nationales, soit l'émergence de l'Etat-providence, remplace
alors une charité localement dispensée. "A partir de là, le "social" va se développer comme
secteur spécifique et faire l'objet de politiques spécifiques." (Muller, 2008: 11). La société
sectorielle remplace la société traditionelle basée sur la famille et le territoire, en les faisant
"éclater" sous l'action des spécialisations économiques et professionelles. Mais en revanche, la
société sectorielle :
"est menacée de désintégration si elle ne trouve pas en elle-même les moyens de gérer les
antagonismes intersectoriels. Ces moyens, ce sont les politiques publiques. Pourquoi ce risque de
désintégration ? Parce que chaque secteur, développant sa propre logique de reproduction, va ériger
ses objectifs sectoriels (augmenter le revenu des agriculteurs, développer l'encadrement médical de la
population, améliorer l'équipement des armées...) en fin ultimes. [...] Produits de la division du
travail, les différents ensembles sectoriels sont à la fois dépendants les uns des autres et antagonistes
pour l'obtention de ressources rares." (12)
a) La nécessité de légitimer les mesures de santé publique
Si les discours sur la "démocratie de proximité" ou la "démocratie participative" ont le "vent en
poupe", c'est que la mise en question du rôle de l'Etat et la redéfinition de la citoyenneté ont
contribué à transformer la gestion publique tout autour du monde, et ce sur de nombreux sujets
(Bacqué, Rey & Sintomer, 2005).
Quant au sida, les autorités sanitaires françaises installent, dès 1982, un système de surveillance
obligatoire basé sur l'anonymat. Le caractère « obligatoire » de la déclaration a évidement fait
l'objet de débats dont l'exhaustivité ne sera pas rapportée ici. D'un côté, les déclarations obligatoires
doivent être envisagées "avec une extrême prudence en raison des risques d'atteintes aux libertés
individuelles" (CNS, 1998). De l'autre, cela "constitue une information d'ordre sémiologique et un
moyen pour évaluer le bon accès aux soins", et contribue également aux "décisions publiques de
prévention et d'action de soins" (CNS, 1998). Si certains arguments sont basés sur le fait que
l'obligation retient davantage l'attention des médecins et les incitent à adhérer à la veille sanitaire, le
Conseil National du Sida (CNS) souligne le caractère illusoire de l'obligation et ajoute:
« les mesures obligatoires qui ne sont pas directement dans l'intérêt des malades sont toujours moins
efficaces que les dispositifs mobilisateurs reposant sur la volonté d'améliorer les pratiques ».
Mais la question des bonnes pratiques médicales ne se situe pas seulement d'un point de vue du
corps médical.
"[...] le secteur de la santé se caractérise par un poids tout particulier de l'expertise médicale et de la
technicisation des savoirs, ainsi que par une marchandisation des dispositifs, une spécialisation des
journalistes, et une implication des pouvoirs publics nationaux et locaux, qui rendent absentes les
conditions habituellement requises pour la constitution d'espace public (formation et circulation des
opinions, expressions de points de vue contradictoires, confrontations et rapports de force...) qui
conduit à penser la sphère publique plus en terme "d'évitement de la dimension conflictuelle des
débats" (Dodier, 2003: 264) qu'en terme de "démocratie sanitaire". Ainsi la notion de maladie
renvoie-t-elle à la lutte des acteurs pour imposer les cadres de lecture d'une réalité sociale et de sa
construction." (Lafon, Pailliart, 2007:8).
Dans le cas de la déclaration obligatoire de séropositivité (DOS VIH), les associations se sont
mobilisées pour que l'anonymat soit garanti. Elles ont ainsi retardé la mise en application de la
déclaration puisque le circuit de transmission des données comprenait trop de "strates", soit trop de
"risques de fuite".
Le terme de « démocratie sanitaire » apparaît pour la première fois [en ce qui concerne le Journal
Du Sida] dans un article d'avril-mai 2000 [n° 124] dans lequel Monique Hérold, présidente de la
commission santé/bioéthique de la Ligue des droits de l'Homme, expose les résultats des états
généraux de la santé. Elle y évoque, à propos de la contestation de la déclaration obligatoire de
séropositivité, « cette affaire exemplaire de l'articulation entre les exigences de santé publique et le
respect des libertés fondamentales, champ où la démocratie sanitaire est indispensable. » (Malsan,
2007: 33)
Les préoccupations des patients ne relèvent pas uniquement de la protection de l'individu, elles
concernent aussi son implication. En 2002, Jean-Marie Faucher, directeur général de l'association
Arcat et membre du CNS exprimait les préoccupations du conseil:
« Lors de notre audition à la CNIL, nous avons formulé des propositions sur l'information à donner
au patient dans le cadre de ce nouveau dispositif. Ces préconisations s'inscrivent dans le principe de
la démocratie sanitaire, qui vise à une responsabilisation et à une information accrue du patient.
Dans ce sens, nous voulons que le médecin informe obligatoirement son patient que sa séropositivité
fera l'objet d'une déclaration anonyme auprès des instances sanitaires. Nous souhaitions que cette
recommandation figure sur la notice de notification. »
La mise en place de mesures en santé publique concerne aussi bien les autorités sanitaires que les
usagers du système de santé. Les décisions prises par les premières doivent être reconnues par les
seconds, condition sinequa non pour la bonne réalisation de leur objectifs.
En matière de santé publique, il existe de nombreux exemples de décalage entre l'état de santé et les
connaissances scientifiques disponibles, ou d'absence de prise en compte de l'état de santé dans les
processus décisionnels (Dab, 1993, a). Dans le cas du VIH par exemple, la question de savoir si le
dépistage de la séropositivité devait être coercitif a posé un problème de décision qui a fait l'objet,
parfois, de propositions infondées relevant plus d'a priori dangereux que de choix sanitaires
raisonnés. De plus, la question a souvent été abordée en terme de moyens (problèmes cliniques
posés par la prescription du test, coûts, etc..), dans les débuts de l'épidémie tout au moins, plus que
d'objectifs.
b) L'échange d'informations
Cependant, si la mise en place d'un test livre des informations épidémiologiques en même temps
qu'elle permet de sensibiliser la population au risque (le test s'inscrit dans un tout préventif), le
caractère préventif qui lui est accolé par décret est illusoire s'il ne se complète pas de réelles
mesures de prévention. A ce titre, la question du dépistage rejoint celle qui prévaut depuis la quasi
origine de la prévention du sida, puisqu'une double contrainte existe, celle d'informer la population
du risque sans pour autant induire un climat de panique et des réactions de ségrégation. C'est
pourquoi toute imposition de mesures publiques doit prendre en compte la place tenue par la
population dans le système de santé.
C'est justement l'objet des enquêtes KABP (Knowledge, Attitudes, Beliefs and Practices) et des
ACSF (Analyse des Comportements Sexuels en France) qui permettent de connaître les contenus
cognitifs d'une population, d'évaluer la portée des faux savoirs cultivés par la peur, et d'envisager la
complexité des logiques comportementales.
" C'est bien dire que la façon dont chacun prend et assume des risques pour sa santé est non
seulement fonction de ses connaissances et de ses perceptions, mais également d'un ensemble
complexe de facteurs individuels et interpersonnels qui engagent sa propre histoire et sa culture."
(Dab, 1993, b: 62).
Sous réserve d'interdisciplinarité (épidémiologie, psychologie, psychanalyse, démographie,
sociologie), ces enquêtes permettent en retour d'améliorer les performances de la prévention du
sida. Elles montrent ainsi:
"la variabilité des stratégies individuelles de gestion du risque et la nécessité pour l'action préventive
de mieux s'adapter à cette réalité, en reconnaissant notamment les limites d'une éducation sexuelle et
d'un conseil préventif qui se cantonneraient à la seule prescription routinière de test de dépistage et à
la seule promotion du préservatif." (Moatti, 1996:11)
Que le public connaisse bien les modes de transmission du virus, et que cela soit lié à une pratique
plus importante des tests de détection du sida n'autorise à aucune déduction hâtive en matière de
lien entre connaissances techniques et comportements. En effet, un recours au dépistage plus
important ne permet pas d'identifier s'il s'agit d'un bon usage de ce dernier, ou bien d'une plus
grande insouciance qui trouverait sa réassurance dans le test, qui deviendrait une évaluation du
risque, chaque test négatif allant dans le sens d'un risque inexistant (Dab, 1993 a).
L'objectif des tests est donc à considérer du point de vue de la population, de l'individu, dans
l'évaluation des risques et des bénéfices que le dépistage apportent à sa personne, plutôt que d'un
point de vue purement épidémiologique et préventif. Ainsi, le "sous système" que constitue la
population, les associations et les médias (en tant que vecteurs non seulement d'informations mais
aussi de valeurs), ne doivent pas être négligé dans l'approche du système de santé publique. Pour
nous résumer tout en élargissant notre propos, le degré d'impact des stratégies de prévention ne tient
pas dans la seule information mais se modifie continuellement en fonction des évolutions
respectives de l'épidémie elle-même, du niveau d'information, des caractéristiques
psychosociologiques des personnes, des normes sociales, ainsi que des réglementations en vigueur.
On voit l'importance que peuvent avoir les raisons mobilisatrices, que ce soit sur le point du
dépistage (affaire des bonnes pratiques citoyennes), comme de la déclaration de sida (affaire des
bonnes pratiques médicales). Il se dessine ainsi entre le médecin et le patient un univers relationnel
dans lequel chacun interfère et importe une expertise (qu'elle soit médicale, éthique, etc...). En bref,
chacun apporte une information qui reflète sa façon d'être présent et ses raisons mobilisatrices. De
plus, que le patient ait la possibilité d'exposer les raisons qui le mobilise et celles qui ont l'effet
inverse constitue également une rétro-boucle, puisque cette possibilité devient une raison
mobilisatrice en elle-même. On comprend combien l'expansion de la surface d'interaction entre les
agents du système de santé dépend de la circulation de l'information entre ces agents.
"Tous les acteurs impliqués dans le système de santé qu'ils soient professionnels, scientifiques,
usagers, médias, représentants d'institutions, [...], économistes produisent, émettent ou reçoivent une
information de santé, à un moment donné qui les amène à prendre des décisions en santé
publique.[...] Si la prise de décision est la partie la moins visible de la politique en santé publique, elle
en est pourtant le moteur principal. Elle doit intégrer le point de vue de tous les acteurs, usagers
compris, qui se situent de plus en plus au cœur du système de santé." (Cecchi, 2008: 392).
En 2006, la création de "Comités de coordination de la lutte contre l'infection par le Virus de
l'Immunodéficience Humaine" (Corevih) est ainsi un exemple récent d'une démocratie sanitaire qui
"favorise une action plus équilibrée sur l'ensemble du territoire"et dans laquelle une place est
réservée aux représentants de malades et aux usagers des systèmes de soins (jusqu'à 20% du comité
de pilotage) pour leur expérience et leur capacité à former/assister des associations et des
séropositifs (Malsan, 2006: 25). Anciennement appelés "Centres d'Information et de Soins de
l'Immunodéficience Humaine" (Cisih), le changement de dénomination, qui porte sur la notion de
"comité" et de "coordination", signale donc une information plurielle et coordonnée sur le modèle
du réseau, et fait la différence avec l'idée précédente de "centre", qui implique une information
diffusée sur un schéma plutôt centripète et linéaire, depuis le savant, l'expert situé au cœur de la
problématique et des connaissances, jusqu'au profane, l'individu vivant en marge du point nodal.
Enfin, le phénomène de l'expertise communautaire doit dépasser la catégorisation des pathologies.
La réforme hospitalière de 1996 a ainsi commencé à prendre en compte de nouveaux clusters
(groupes). Le but est :
"d'organiser une prise de parole et des revendications communes (non sectorielles) [...] en
introduisant des représentants d’usagers dans les conseils d’administration des hôpitaux publics et
en les associant aux commissions de conciliation chargées d’assurer le suivi des plaintes des usagers
et de les informer sur leurs droits. Un changement significatif est intervenu dans cette période avec la
création du Collectif interassociatif sur la santé (Ciss) en juin 1996 à l’occasion du suivi de la réforme
hospitalière. Le Ciss se proposait de suivre l’application de ces nouvelles mesures et de constituer
plus largement une force d’observation critique et de proposition en matière sanitaire et sociale. Il
regroupe aujourd’hui vingt-six des principales associations nationales de personnes malades, de
personnes handicapées, [...] elles étaient capables de produire une analyse élargie des problèmes de
santé [...] et que seule une action collective soutenue était susceptible de mener à bien un vrai travail
transversal aux différentes pathologies qu’elles représentaient". (Lascoumes, 2003: 62).
Mais pour passer des modèles prescriptif et supplétif, au modèle coopératif ("rééquilibrage de la
relation thérapeutique, au sens où sur plusieurs plans le profane apprend au professionnel, et le
professionnel accepte d’apprendre du profane"), la tâche reste délicate, fragile et nécessite un travail
permanent (Lascoumes, 2003).
"La notion de « démocratie sanitaire » popularisée par Bernard Kouchner pourrait n’être qu’un de
ces affichages politiques dont raffolent les gouvernants. Mais beaucoup de groupes associatifs ont
pris l’énoncé au sérieux et leur action veut donner un sens concret à la formule en ne cantonnant pas
l’usager dans le rôle illusoire d’une caution moderniste." (70)
L'expression "démocratie sanitaire" apparaît pour la première fois dans la loi du 4 mars 2002
relative aux "droits des malades et à la qualité du système de santé". Créée sous l'impulsion du
cabinet de Bernard Kouchner, alors ministre de la Santé, cette loi vise à faire évoluer la relation
médecin/patient et contient ainsi deux chapitres sur la "Participation des usagers au fonctionnement
du système de santé" (Malsan, 2007: 33).
Sous la forme d'une "génération spontanée", les dernières décennies ont vu apparaître un réseau de
santé qui est sorti de sa "coquille originelle", celle du réseau de soins, pour évoluer vers un réseau
de promotion de la santé. En favorisant la parole entre professionnels et citoyens, à partir du
décloisonnement des secteurs médical et social, ce réseau comble un vide "qu'aucune administration
ou collectivité locale, aussi bien intentionnée soit-elle, ne pourra investir" (Géry, 2004).
"Pour l'heure, les limites des réseaux pour développer des projets d'éducation pour la santé tiennent
à leur organisation, tournée essentiellement vers le soin et/ou la pathologie, et à leur manque
d'ouverture sur les champs sociaux et médico-sociaux. Par ailleurs, ces réseaux sont souvent
composés de professionnels et de patients déjà sensibilisés aux démarches d'éducation sanitaire."
(Damoiseau, 2004: 48)
C'est pourquoi la "Commission nationale des réseaux", association créée en 1997, regroupe plus de
deux cent cinquante réseaux de professionnels et d'usagers et dont :
"le combat [...] pour une meilleure adéquation du système de santé, comprenant soin, prévention et
éducation à la santé, aux aspirations des professionnels comme à celles des usagers s'inscrit dans un
processus interactif de développement de chacun des acteurs impliqués". (Chossegros &
Laguillaume, 2004: 17)
En retour, l'approche participative admet des limites (Géry, 2006: 11). Il n'en reste pas moins que ce
mouvement est imaginé depuis au moins la chartre d'Ottawa. La première Conférence internationale
pour la promotion de la santé, réunie en novembre 1986, a émis une chartre pour l'action, visant la
Santé pour tous d'ici l'an 2000 et au-delà. Cette conférence était avant tout une réaction à l'attente,
de plus en plus manifeste, d'un nouveau mouvement de santé publique dans le monde.
“La promotion de la santé procède de la participation effective et concrète de la communauté à la
fixation des priorités, à la prise des décisions et à l'élaboration des stratégies de planification, pour
atteindre un meilleur niveau de santé. La promotion de la santé puise dans les ressources humaines
et physiques de la communauté pour instaurer des systèmes souples susceptibles de renforcer la
participation et le contrôle du public dans les questions sanitaires. Cela exige l'accès illimité et
permanent aux informations sur la santé, aux possibilités de santé et à l'aide financière." (OMS,
1996: III)
Il est clair qu'une étude plus archéologique de l'évolution de la santé publique permettrait de dresser
une histoire des idées et des pratiques abondant dans le sens de la démocratie sanitaire, comme l'a
initié Denis Requillart (1999: Partie II), ou comme l'esquisse Sandrine Musso au travers de
quelques références:
"Quelles que soient les définitions utilisées pour qualifier l’approche « communautaire » et leur
diversité, l’histoire du « travail communautaire » se situe, depuis les années 1960, dans la double
influence de l’apport de mouvements du champ sanitaire (mouvement pour la santé mentale,
antipsychiatrie, santé communautaire…) et du champ du travail social (éducation populaire,
initiatives de « développement » dans les pays du sud) (Guillemaut et Schutz-Samson, 1999).
A l’échelle internationale, les idées (et la rhétorique) relatives à la nécessaire participation des «
communautés » aux politiques de santé trouvent leur consécration dans le cadre de la conférence
d’Alma-Ata en 1979. Cette dernière, en instituant la politique des soins de santé primaire, jetait les
conditions de possibilité du développement d’un leitmotiv d’appel à la participation des
communautés, tout en créant la figure des « agents de santé communautaires ». C’est donc cette
généalogie, certes très succinctement restituée, dans laquelle il est possible d’ancrer l’usage de la
terminologie « communautaire » dont la prévention du sida va hériter. L’appel aux « communautés
», notamment à l’époque de l’édification des stratégies de soins de santé primaires à l’échelle
internationale a d’ailleurs fait l’objet de travaux évoquant son caractère ordinaire dans ce cadre et
ses limites (Fassin, 1999 ; Vidal, 1999)." (2008: 219)
Bien que les méthodes requises pour la pratique des démarches participatives soient encore peu
reconnues en France, des organismes16 en développent l'usage théorique, les méthodes et les
pratiques (Sachs, 2006: 14-5).
De nombreux textes font référence à "L'espace public" de Jurgen Habermas. En somme, les auteurs
soulignent combien cet espace est encadré par une classe dirigeante qui détient à la fois le savoir et
le pouvoir. Argument d'autorité, le savoir officiel procure d'office le pouvoir, qui lui même autorise
la construction du savoir.
Dans le texte, Habermas parle d'un hiatus dans l'espace public, entre une sphère publique
bourgeoise, qui fait justement l'objet de toute l'attention de l'auteur, et une sphère plébéienne,
"restée réprimée au cours de l'histoire". La sphère publique bourgeoise, composée de personnes
cultivées et inscrites dans une dynamique littéraire, sécrète une opinion fondée sur la raison.
Mais l'auteur écrit également:
"De même que nous tentons de montrer qu'il ne peut être en gros question d'"opinion publique
(öffentlichkeit)" en un sens précis qu'en Angleterre à la fin du XVII ème siècle et en France au XVIII
ème siècle, nous ne traitons de l'"opinion publique" (öffentlichkeit) qu'en tant que catégorie
16 Par exemple: l'Institut Théophraste-Renaudot (Lefevre, 2001: 23), l'association Action, Formation, Rechercheen santé communautaire (Afresc), l'association Développement, Innovation, Evaluation en Santé (Dies).
historique. Notre démarche se distingue en cela d'emblée de l'approche de la sociologie formelle dont
la théorie fonctionnaliste et structuraliste constitue aujourd'hui l'extrême pointe." (Habermas, 1978:
11).
Pour lui, la sphère publique littéraire et critique a décliné. L'ancienne "couche sociale cultivée" qui
faisait un usage public de sa raison "a volé en éclat". Il n'en reste qu'une "minorité de spécialistes".
La plupart de ces spécialistes gardent leur raisonnement alors que quelques autres alimentent encore
la sphère publique au travers de la visibilité associative par exemple. De l'autre côté, la sphère
plébéienne est une "grande masse de consommateurs" dépendante des mass-medias et victime d'une
dérive publicitaire (183). Les médias ne seraient plus qu'un vecteur d'asservissement de l'opinion
publique, ils existeraient à des fins rhétoriques et en vue d'intérêts purement privés.
"Les nouveaux médias captivent le public des spectateurs et des auditeurs, mais en leur retirant par
la même occasion toute "distance émancipatrice" (Mundigreit), c'est à dire la possibilité de prendre
la parole et de contre dire. L'usage que le public des lecteurs faisaient de sa raison tend à s'effacer au
profit de "simples opinions sur les goût et les attirances" qu'échangent les consommateurs
(Habermas, 1978: 179).
Avant, l'opposition s'organisait en une sphère privé, la société bourgeoise éduquée, et une sphère
publique, l'Etat, séparation qui "impliquait l'appartenance au domaine privé de la sphère publique
elle même", puisque la société bourgeoise jouait le "rôle d'intermédiaire entre les besoins de la
société et l'Etat". Pour l'auteur, une "sphère sociale" est apparue par la suite, constituée par les
associations (minorités de spécialistes experts engagés dans une visibilité publique) et les partis
politiques, elle relève à la fois du public et du social et déchargent ainsi le public de tout travail de
raisonnement:
"Cette sphère intermédiaire est le terrain où s'interpénètrent les domaines étatisés de la société et
ceux, "socialisés", de l'Etat, sans aucune médiation des personnes privées qui font un usage politique
de leur raison" (184).
Force est de constater que, si jamais il en fut ainsi, la situation a changé. Son analyse qui remonte, il
faut le rappeler, aux années 50, ne permettait pas d'envisager la portée des temps long de l'histoire,
en l'occurrence, de l'émergence progressive de la santé publique dans la sphère plébéienne.
c) La recherche-action
Le concept de "recherche-action" s'inscrit dans cette démarche de collaboration entre chercheurs et
population qui modifie en retour le statut du chercheur, sans lui retirer pour autant sa légitimité. Il
faut noter l'éventuel besoin de solutions spécifiques pour les populations inscrites dans des
contextes particuliers.
"Une partie de la solution [au fait que le chercheur est "externe" aux conditions de vie de la
population sur laquelle il travaille, donc indirectement concerné] pourrait consister à combiner la
participation et la recherche en supprimant la stricte distinction établie entre le chercheur et la
personne interrogée. Le chercheur devient plutôt un animateur qui pose des questions (souvent
naïves), suggère des idées, propose des solutions, alors que la population interrogée, elle, définit le
problème, agit, répète, discute, questionne et expérimente, tout en demeurant en interaction avec
l'animateur de la recherche.[...] On ne trouvera pas de réponse définitive ou universelle, mais
seulement des réponses ponctuelles, adaptées au moment et au lieu." (COE, 1993: 5)
L'association URACA se définis comme suit "URACA, ce n'est pas parler sur ou s'occuper de, c'est
être, faire et réfléchir ensemble". Quant à l'association Ikambere, l'une de ses prérogatives est
"d'organiser une réflexion sur l’adaptation des messages de prévention aux femmes et aux familles
africaines, en s’appuyant sur l’expérience des femmes séropositives".17
A3.4) Espace public & Média et Information
L'exemple de la ciclosporine des années 1985 souligne combien la description habermasienne ne
correspond pas ou plus à la réalité. Dans un contexte de controverse scientifique, les experts que
l'on peut identifier comme des membres d'une société littéraire (au sens ou la science relève d'un
savoir ésotérique et d'une culture) vont solliciter directement (tout du moins certains d'entre eux) la
sphère plébéienne. L'urgence sanitaire face au sida sert de faire-valoir à une diffusion publique du
savoir expert.
Des pré-résultats positifs d'études d'efficacité du médicament pour le traitement du sida sont publiés
dans la presse grand public sans avoir été validé préalablement par l'habituel "peer review system".
Une opposition apparaît entre "le temps long de la validation scientifique et le temps court de
l'annonce médiatique." (116). L'urgence entraîne une division parmi les chercheurs, dont certains
décident d'enrôler les acteurs de la sphère plébéienne, sur la base d'une revendication différente,
17 http://www.ikambere.com/
cette fois politique: non plus la certitude expérimentale (l'expertise, soit la littéralité de la science),
mais la revendication d'un "régime spécifique de l'urgence scientifique"."La publicité faite aux observations scientifiques s'avère, dans nos sociétés, une question
problématique. Elle dessine entre les acteurs des lignes de fracture que l'on peut qualifier
d'épistémo-politiques." (Dodier, 1999: 109).
Cette diffusion met à mal la "réforme thérapeutique" instaurée depuis le début du XX ème siècle,
qui fait de la publicité scientifique et biomédicale une communication encadrée par des institutions
scientifiques (110). "Les rapports entre arènes spécialisées et sphère publique sont reconsidérés"
(111). L'espace public est ainsi considéré par Nicolas Dodier comme "la sphère publique en tant
qu'elle fait l'objet d'un travail critique sur elle même" (110), puisqu'il est apparu, tant dans le monde
médical (arènes spécialisés), que dans l'espace public, un "antagoniste entre deux manières de
pratiquer la médecine de pointe et de concevoir son insertion dans la cité" (146).
L'exemple de la ciclosporine reflète cette période charnière dans laquelle la sphère privée du
professionnalisme s'autorise encore de la gestion des besoins de la sphère publique, sans
l'impliquer. Dans cet exemple, les sciences sociales se sont inscrites dans le modèle habermasien,
étant donné qu'elles effectuent une lecture rétrospective de l'affaire de la ciclosporine sans envisager
aucune alternative dans leur approche de la situation. Elles se positionnent du côté d'un cercle fermé
qui se positionnent entre l'Etat et la sphère plébéienne. Dans leur analyse, elles imposent d'office le
mouvement d'encadrement de la publicité scientifique par les institutions officielles (les experts),
alors que paradoxalement, "les études sociologiques sur les associations de lutte contre le sida
[associations constituées en partie par la sphère plébéienne], se sont le plus souvent intéressées aux
conditions sociales et politiques de la mobilisation" (Barbot, 1999: 158). N.Dodier fait du "discours
moderne libéral" de la science, qui vise à minimiser les risques de stigmatisation et d'exclusion des
patients, la cause du suivisme des sciences sociales, qui:
"soucieuses de participer elles-même, dans les premières années de l'épidémie, à l'instauration d'un
régime moderne d'épidémie, et notamment à la lutte contre la stigmatisation des personnes atteintes
et des groupes à risque, s'associent à tous ceux qui, dans la société, s'en remettent aux institutions
scientifiques consacrées pour encadrer les prises de parole publiques relatives aux observations
expérimentales [tests pharmaceutiques] encore mouvantes." (141).
A partir des années 1980, l'information médicale grand public (passé préalablement par le crible des
referees) émerge et intègre des médias d'information générale (Lafon, Pailliart, 2007: 11). Cela se
traduit par une compétition entre la sphère scientifique et la sphère médiatico-journalistique pour le
contrôle des énoncés diffusés dans l'espace publique. Le "champ des média devient un enjeu pour le
contrôle de l'espace public".
A3.5) Média Généralistes, Média spécialisés
Si la sphère médiatico-journalistique non spécialisée construit à son tour un discours sur la maladie,
elle le fait selon des positionnements et des logiques qui lui sont propres et qui ne correspondent pas
forcément à ceux des malades. Ne pouvant compter absolument sur des "relais" qui interviendraient
systématiquement et en leur nom dans l'espace public, que ce soit les scientifiques ou les médias
généralistes (bien qu'une fois encore, certains scientifiques ou journalistes fassent partis
d'associations en parallèles, ou qu"ils sont séropositifs de facto), il faut donc aux personnes
séropositives, et à celles concernées par la maladie, forger leurs propres discours, comme nous
l'avons vu au travers des ouvrages de Steve Epstein.
Les associations ont ainsi établi différentes formes d'engagement dans l'arène médiatique (Barbot,
1999: 157).
La notion de formes d'engagement traduit l'existence de configurations spécifiques par lesquelles les
associations ont elles-mêmes articulé des questions de natures différentes: leur choix d'identification
publique (en tant qu'associations de malades, d'homosexuels ou de professionnels), la définition des
enjeux de leur mobilisation, l'analyse des contraintes d'accès aux médias, etc. La diversité des
associations de lutte contre le sida a souvent été soulignée." (157).
L'association Arcat a par exemple trouvé une "niche écologique" dans l'information au travers du
Journal Du Sida (extension du journal "Sida 89") fondé par le gériatre Jean-Florian Mettetal (décédé
en 1992) et le journaliste Frédéric Edelmann. Ce dernier exprime ainsi:
"A l'inverse de Aides, Arcat devait reposer sur l'expertise et la transmission des connaissances, un
pôle que j'avais d'ailleurs commencé à développer, avant la création du journal, avec la conception
de documents d'information qui devaient être lisibles à la fois par les médecins et les autres
personnes concernées. Le conflit avec Aides était alors permanent et assez violent, et le fait que le
journal ait réussi à s'imposer a permis à Arcat de s'affirmer dans sa spécificité, et de devenir la
deuxième association la plus forte." (Collet, 2007: 8)
En fait le JDS, dont le but était "d'avoir un discours qui pourrait être entendu par tout le monde,
professionnels ou non, malades et médecins", est principalement rédigé par des journalistes
professionnels, des médecins, des juristes, .... en bref, pour reprendre des cases pré-définies, par la
société bourgeoise, par les experts habermasiens.
" Le départ de Aides en 1987 de Frédéric Edelmann et Jean-Florian Mettetal fait suite aux
divergences autour du rôle de l'association et du volontariat. A l'approche d'un modèle
«communautaire» (l'association conçue comme un groupe solidaire ou d'auto-support de personnes
atteintes ou exposées), s'oppose la conception, défendue par Frédéric Edelmann et Jean-Florian
Mettetal d'un « professionnalisme », avec ce que cela implique de salariat." (Collet, 2007: 9)
Pour Daniel Defert, fondateur de Aides, la personne atteinte par le VIH/sida est "témoin des
besoins, des urgences, médicales et sociales. [...] C'est lui [le malade] le révélateur des crises. Il
devient un des acteurs privilégiés des transformations, un nouveau réformateur social. " (Malsan,
2007: 34).
Au tournant des années 2000, le Journal Du Sida change de dénomination au profit de "Journal de
la Démocratie Sanitaire", conservant ainsi l'acronyme JDS (il reviendra par la suite à sa première
dénomination en 2005, arguant que le sida est une maladie qui tue encore un nombre trop important
de personnes pour ne pas faire l'objet d'un traitement exclusif). Suite aux modifications apportées
par les tri-thérapies dans le traitement de la maladie, "qui ont déclenché la grave crise du milieu
associatif en général (et aussi du Journal du sida)", puisque l'importance du sida diminue avec sa
chronicisation, les lignes de combat contre le sida se meuvent vers d'autres horizons sociaux et
sanitaires (les hépatites font ainsi l'objet d'une préoccupation accrue) (Id).
« C'était l'invention d'un journalisme de médiation entre toutes ces expertises [celle du médecin, du
chercheur, de l'assistante sociale, du responsable associatif, du psychologue ou encore du malade],
s'enthousiasme encore Anne Souyris, journaliste et aujourd'hui députée Vert en Ile-de-France.
Aucune n'était jugée supérieure et chacune contribuait à renforcer l'autonomie du patient. Par
exemple, sur la prostitution. Ailleurs, le sujet était toujours traité de manière négative. Nous, nous
nous sommes plutôt intéressés à la réalité de ce qu'elles vivaient sur la prise en charge de leur propre
corps, sur les soins, à ce qu'il était possible de faire pour les protéger. Elles étaient hors droits
sociaux… »." (Malsan, 2007: 34)
II) CAMPAGNES PUBLIQUES, COMMUNICATIONS & SIDA
A1. PREVENTIONS & CAMPAGNES PUBLIQUES
L'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) définit trois niveaux de prévention18, bien que ces
registres soient interdépendants. Par exemple, la prévention tertiaire sensibilise également les
personnes non séropositives au risque du sida, ou encore, la prévention secondaire peut participer
d'une réhabilition des séropositifs en soulignant l'aspect ubiquitaire du risque de maladie. Ces
discours préventifs se retrouvent dans chacun des deux niveaux de campagnes: les campagnes
nationale et les campagnes de proximité.
Les premières se différencient en deux sous-types (universalistes ou spécifiques). Les campagnes
généralistes, concernent l'ensemble de la population, le message adressé ne distingue aucun
caractère chez le récepteur qui reçoit une information standard (par exemple, il faut utiliser un
préservatif lors d'un rapport sexuel).
Le second type de campagne nationale est dirigé vers un public spécifique. Le principe est que le
récepteur s'identifie au message, ce qui était le cas auparavant, mais ici, le message use de codes
spécifiques aux récepteurs qui sont saisis en priorité par les membres de la communauté qu'il vise.
Si les messages généralistes sont extensifs (destinés à tous), alors que les messages spécifiques sont
compréhensifs (destinés à un groupe défini), il serait erroné de penser qu'un message spécifique
n'atteint jamais la population générale. De même, si un message spécifique cible un groupe ou des
comportements particulier, une vigilance s'impose quant à l'étiquetage que ces catégories peuvent
entraîner une fois appliquée sur des individus qui, faut-il le rappeler, restent justement des entités
individuelles (ainsi, certains hommes qui ont des relations sexuels avec des hommes, ne se
revendiquent pas pour autant « homosexuels », c'est à dire qu'ils ne s'identifient pas à la
« communauté » homosexuelle). Un comportement ne définit donc pas forcément une identité.
Ces deux premiers niveaux de discours (universaliste et spécifique) sont généralement développés
par les pouvoirs publics, dotés de ressources financières suffisantes (des associations comme
AIDES ont plus rarement l'occasion de mener de telles campagnes).
18 Encyclopédie Wikipédia: La prévention primaire : Ensemble des actes destinés à diminuer l'incidence d'une maladie, donc à réduirel'apparition des nouveaux cas. Cette prévention agit en amont de la maladie, en éduquant et en informant lapopulation pour éviter l'apparition de la maladie. La prévention secondaire : Ensemble des actes destinés à diminuer la prévalence d'une maladie, donc à réduiresa durée d'évolution et son existence. Intervient dans le dépistage de toutes les maladies et comprend le début destraitements de la maladie. La prévention tertiaire : Ensemble des actes destinés à diminuer la prévalence des incapacités chroniques oudes récidives dans la population, donc à réduire les invalidités fonctionnelles dues à la maladie. Agit en aval dela maladie afin de limiter ou de diminuer les conséquences de la maladie et d'éviter les rechutes. Dans ce stadede prévention les professionnels s'occupent de la rééducation de la personne et de sa réinsertion professionnelleet sociale.
Les trois formes de prévention ont été développées dans les médias de masse: la prévention
primaire (éviter de nouvelles contaminations afin d'endiguer la progression de la maladie), la
prévention secondaire (inciter au dépistage et donc aux soins) et enfin, la maîtrise des effets sociaux
néfastes à "la troisième épidémie", celle de la stigmatisation.
Enfin, un type de campagne plus distribué repose sur un tissu associatif diversifié. Les campagnes
de proximité visent par définition un public spécifique (intervention en milieu restreint), bien qu'elle
aspire à un langage universaliste (les interventions au près de la catégorie des "jeunes" touchent
évidement des individus très différents). L'avantage de ce type de campagne est d'être justement
flexible et de répondre instantanément à la demande.
Une bonne prévention, celle qui prévient de l'ensemble des risques, n'est efficace que dans son
agencement à un ensemble de mesures de santé (la gratuité des tests de dépistage par exemple)
Finalement, l'impact d'une campagne de communication publique ne correspond pas à son coût
réel, puisqu'elle s'inscrit toujours dans un système de santé global (par exemple, la promotion des
préservatifs s'inscrit dans une recherche de partenariats industriels et commerciaux pour baisser le
prix des produits). Un seuil de service de santé doit donc être atteint pour que l'action d'état acquiert
tout son sens, et pour qu'elle surmonte les points d'inertie que le contexte présente comme autant de
freins à son effectivité.
A2. ACTEURS ET THEMES DE LA COMMUNICATION PUBLIQUE SIDA
Il ne s'agira pas ici de tracer l'historique de la prévention mais de dresser un rapide panorama du
contenu des campagnes publiques et de leur de la mise en place.
Les premiers cas reconnus de sida apparaissent en 1981. Alors que la problématique de cette
maladie émerge dans le corps médical, des associations s'organisent rapidement (dès 1982 aux
Etats-Unis, en 1983 pour la France) et l'état français prend du retard. "Jusqu'en 1985, on constate
une véritable carence des pouvoirs publics en matière de prévention. " (Sitbon, 1993-5: 42).
L'état met du temps à intervenir pour différentes raisons: des a priori politiques négligent l'exigence
d'une santé pour tous (marginalité des homosexuels, maladies des haïtiens, etc......) et se double
d'une morale frileuse (sexe, mort et sang), la complexité sociale de la problématique sida pose des
questions éthiques (comment communiquer auprès de populations cibles sur les dangers du Sida en
dramatisant de façon approprié la maladie, d'une part, et en ne stigmatisant pas, d'autre part, les
minorités concernés), la lenteur administrative ralentit l'entrée en vigueur de loi (ex: levée de
l'interdiction de la publicité sur les préservatifs), etc...
D'un point de vue politique, le travail de prévention contre le sida est générateur d'effets
anxiogènes, puisqu'il suppose de résoudre ou d'agencer un certains nombre de problèmes.
« Face à la carence des responsables de santé publique, il revint à deux professionnels compétents, la
presse et le corps médical, ainsi qu'aux malades, ou plus précisément à la mieux organisée de ses
minorités, la communauté gay, de mener à bien la triple tâche de comprendre, expliquer, et prévenir,
sans disposer de pouvoir véritable." (Sitbon, 1993-95: 42-3).
La question du ciblage préventif va être plus ou moins résolue par l'émergence d'un corps associatif
qui va peupler les différentes niches écologiques de la prévention, utiliser des moyens divers pour
mener à bien ses missions (mise en place d'un système de soin, communication par la radio, des
concerts,..., permanence auprès de différents publics, etc...) et projeter sur la scène sociale de
nouveaux acteurs.
A2.1) Thématiques et Controverses autour du sida
"L'écran de télévision est la plus petite fenêtre de la maison, mais tout dépend sur quoi elle donne"
Gilbert Cesbron
Cette sous-section a pour fonction de peindre brièvement les thématiques des campagnes
télévisuelles dans leur dimensions antinomiques, ou tout au moins controversées. Elle est
synchronique, a contrario de la sous-section qui développe l'aspect organisationnelle des
campagnes, constitué diachroniquement afin de refléter une dynamique temporelle. Elle cherche à
rapporter l'aspect théorique des campagnes.
“En effet, nous n'avons pas pour objectif de faire une sémiologie de la communication en restant
centrées sur le contenu du message. Nous sommes plutôt intéressées aux processus politiques qui
caractérisent la mise en place de la communication publique, principalement aux interactions et aux
controverses entre les différents acteurs en présence: personnels politiques, administratifs,
chercheurs, membres des associations de lutte contre le sida, des agences de communications.”
(ANRS, 2008:194)
Les lignes stratégiques de la communication publique ont cherché à: promouvoir des
comportements « plus sûrs », expliciter les modes de transmissions du virus, inciter aux soins, et à
développer des attitudes de solidarité, le tout auprès du grand public comme des groupes à risques.
Cependant, le manque d'expertise des communicants et les différences de point de vue en matière
de communication ont laissé le champ ouvert à de nombreuses discussions, voir des controverses.
Le rapport Montagnier de 1994 conclura même à l'inefficacité de la prévention (Paicheler, 2002:
31).
a) La promotion du préservatif
L'essentiel de la stratégie de communication porte sur la sensibilisation au risque des rapports
sexuels à travers le préservatif. Les campagnes ont visé à responsabiliser la population, à banaliser
le préservatif (voir jusqu'à présenter son usage comme un acte altruiste "d'amour"), à déconstruire
les alibis qui faisaient obstacle à son emploi (ringardise, absence de plaisir, etc...).
"Entre 1989 et 1994, onze campagnes de communication ont concerné la promotion du préservatif,
"dans un objectif de banalisation du produit et de valorisation de son utilisateur", dans un contexte
systématiquement dissocié de la maladie." (Draussin, 1996: 15).
Le reproche fait à ces campagnes est d'aborder la transmission du virus (sans parler du virus) sur le
mode exclusif de la protection, et de vendre ainsi le préservatif sur un mode publicitaire faisant la
promotion d'un objet sans apporter suffisamment d'explications sur sa fonction précise. La
campagne de 1995 est la première à viser différents types de rapports sexuels (première expérience,
multipartenariat, hétérosexualité ou homosexualité).
Les voies de transmission (sanguine et muqueuse orale, vaginale, annale, ophtalmologique, etc...)
ne sont ainsi jamais abordées avant l'arrivée des campagnes ciblées, ou de la campagne de 1995,
restée unique en son genre. Ainsi, cette approche permet non seulement de parler de "populations à
risque" mais de dépasser aussi, en partie, cette question en évoquant des "situations à risque", ce qui
délie en partie le nœud gordien du ciblage que nous développons ci-après. Cela va de surcroît dans
le sens des enquêtes KABP et ACSF dont nous avons parlé ci-dessus, puisqu'elles montrent
combien les comportements ne peuvent se résumer à des faits behavioristes.
D'autres thèmes seraient envisageables:
"Mais la prévention du sida en 2002 ne peut rester exclusivement centrée sur le préservatif. Elle doit
être plus globale, intégrer les questions liées à la sexualité, à la contraception, intégrer les problèmes
de violences sexuelles et des relations homme/femme." (Jayle & Richard, 2002: 18)
Le préservatif représente le thème de la plupart des campagnes (au moins deux tiers entre 1998 et
2008) sans pour autant qu'une information réelle ne soit délivrée à son égard. L'injonction à retenir
de la plupart de ces messages se résume comme ceci: "Il protège, il faut le mettre". Le discours du
"tout préservatif" rend impossible la prise en compte des pratiques variées liés à la sexualité. Etant
donné qu'il n'explique en aucun cas les conditions de sa juste utilisation, c'est à dire les conditions
où il est possible d'arrêter de l'utiliser.
Il faut noter cependant une évolution dans les campagnes, et modérer nos propos. Quelques
campagnes évoquent ainsi le dépistage et le "safer sex", c'est à dire la possibilité d'abandonner le
préservatif dans certaines circonstances.
Paradoxalement, le "tout préservatif" ne dit rien sur les préservatifs, notamment les versions
féminines, considérer comme un "outil génial" par les ayants-droit, mais qui reste très peu
développé en règle générale (Kapusta-Palmer, 2008: 15). Ici, il faut questionner la référence même
de l’auteur, puisque l’utilisation de préservatif féminin ne serait pas confortable (grincement).
b) La discrimination des séropositifs et les messages de solidarité
"Le sida ne passera pas par moi" est le slogan de la première campagne contre le sida (non audio-
visuelle), qui paraît en 1987. Il lui est reproché, notamment par les associations et la presse,
d'exclure "involontairement ou inconsciemment" les personnes contaminées. Ainsi, le "moi"
deviendra un "nous".
En 1989, un article de Sida 89 rapporte l'apparition de «nouveaux éléments stratégiques dans
l'action des pouvoirs publics». La mise en scène de personnes directement touchées par la maladie
dans des films diffusés à la télévision constitue des «témoignages qui donnent un visage humain à
l'infection par le HIV", dans le but de faire saisir la réalité de la maladie et de "créer un rapport de
proximité [...] à la fois pour éviter des phénomènes de rejets des malades et des séropositifs [...]"
(Fontenaynote , 1989: 7). Les films relèvent donc de la prévention tertiaire.
Ainsi, les messages adressés à la population générale doivent remplir simultanément deux objectifs:
"créer un climat favorable et motivant pour l'adoption des comportements individuels de
prévention" et "favoriser l'acceptation sociale et culturelle de la prévention et de la solidarité avec les
victimes de la maladie" (Paicheler, 2002: 91).
C’est ce qu’exprime le mari de Sylvie, séropositive, dans la campagne de 1989 : « Ce qui nous a
sauvé c’est de pouvoir en parler avec d’autres. Par exemple Patricia tu nous as beaucoup aidé ». Là,
tout se complique, si la campagne stipule le statut sérologique de Sylvie, celui de son mari n’est pas
précisé. On sent qu’il aime sa femme malgré sa maladie, mais cela reste implicite. Dans le but de ne
pas stigmatiser les séropositifs comme vecteur épidémiologique, le gouvernement dissocie, dans ses
premières campagnes, le préservatif du sida.
"Cette crainte, mal admise notamment par les associations de lutte contre le sida qui auraient
préféré une communication moins nuancée, a cependant permis de bâtir une véritable réflexion
stratégique bien plus courageuse qu'elle n'en donne aujourd'hui l'illusion" (Draussin, 1996: 15).
Pour autant, la question est complexe. puisque la question de la discrimination n’est pas forcément
liée à celle du préservatif. Il s'agit d'un système de communication. La campagne de 1995, la
« fameuse », met en scène un couple sérodifférent : « Du temps, on ne peut plus en perde, ce que je
veux, c’est être avec lui, tout de suite. Faire l’amour aussi, alors nous nous protégeons ». Les mots
sont dits. « Une personne peut aimer, être aimée, et être séropositive ». En matière d’intégration, on
peut difficilement faire plus… Tout est là. Les images sont belles. S’il est vrai, cependant, que la
communication relève d’une stratégie, le public n’est pas dupe pour autant. Les campagnes qui
dissocient le préservatif du sida ne font pas sens pour le grand public, ni par le passé, ni à l'heure
actuelle. D'autant que ces campagnes, qui banalisent l'usage du préservatif autour d'arguments
relevant plus de l'ineptie que de la réalité ("Les préservatifs sont confortables et ne casse pas
l'amour"!), décrédibilise leur émetteur. Celles qui utilisent l'humour et la légèreté risque de ne pas
être mémorisée (comme c'est le cas pour la campagne 2003).
Le problème est toujours d'actualité. Si l'association AIDES est contre l'apparition de séropositifs
dans les campagnes de prévention primaires et secondaires (prévenir la maladie et la dépister),
Thibaut Tenailleau, directeur d’Arcat, répondait dans le Journal Du Sida:
« Les couleurs, les personnes, la présentation changent mais les campagnes françaises sont
systématiquement cloisonnées en deux parties étanches : communication sur le préservatif et
communication contre la discrimination des personnes séropositives [...] Pourquoi faut-il toujours
séparer les deux messages, pourquoi est-ce impossible d'obtenir une campagne qui vise à la fois à
affirmer la place des personnes séropositives dans notre société en y alliant un message d'incitation
au port du préservatif ? [...] Aujourd’hui, la professionnalisation des associations a fait passer au
second plan les personnes concernées. Il faut qu’elles reprennent leur place aussi bien dans les
associations que dans le débat public. » (JDS, 2006: 13-5).
Et le JDS de rajouter que, paradoxalement:
"les clips d'incitation au dépistage des départements français d'Amérique sont appréciés pour leur
langage clair et direct. Des hommes et des femmes séropositifs et séronégatifs témoignent de leur
expérience du dépistage, des vécus divers qui rendent compte de la disparité des situations, plus
proche de la réalité de terrain" (JDS, 2006: 15)
En 1997, la campagne communique sur l'intégration sexuelle des séropositifs. Elle met en scène un
couple séro-différent (les partenaires différant par leur statut sérologique) prenant un petit-déjeuner
sur un plateau repas qui contient des médicaments. Le commentaire stipule que le couple se protège
avec des préservatifs. Depuis 1997, rien. Il est vrai que les campagnes nationales semblent être des
copiés-collés, des reproductions industrielles d’œuvres d’arts, aurait dit W. Benjamin. En 2007, une
campagne diffusée sur France 2 et France 3 (40 clips courts) communique spécifiquement sur les
séropositifs. Douze témoins partagent leur expérience de la maladie. Ils révèlent la manière dont la
séropositivité a transformé leur quotidien, les situations de rejet auxquelles ils font face, que ce soit
dans le contexte familial, amical ou professionnel. Mais rien sur les relations sexuelles. Le
séropositif est asexué, il est une victime, un ange dont il faut prendre soin. 40 clips courts et pas une
variante. Si, peut-être un ou deux « chocolat au lait » qui parle bien français.
Or, la question revient, fort, très fort, avec l’appui de la science. Les personnes séropositives sous
ARV et contrôles médical, qui répondent à de très faibles charges virales, ne sont pas
contaminantes. Elles le sont avec une probabilité infime. On mesure tout le danger de cette
information. Pour autant, c’est des centaines de personnes, des centaines de famille qui voit leur
quotidien changer. Les couples séro-différents ont des enfants par voies naturelles. Et en effet, peut-
être des couples séro-discordants vont naître de cette information, peut-être qu’un projet de vie sans
préservatif sera possible avec une personne séropositive. A l’heure actuelle, personne ne peut dire
de quelle manière cette « bombe » informationnelle sera accueillies par le grand public. Un risque
existe cepandant là où on ne l’attend pas : à ne pas communiquer sur une information, l’état risque
de laisser circuler une information distordue. Le problème devient crucial. Nous y voyons là le cœur
même du rôle de la communication. Le sida, là encore, par sa puissance autant dévastatrice
qu’humaine, par delà la maladie, pourrait être un parangon. Quelle est le rôle de la communication
en santé publique ? Transmettre de l’information ? A côté, la fonction de « faire-valoir » de l’état
fait pâle figure (cf Partie I, II.A3.1.b). Le problème, pour la situation qui nous concerne ici, est que
l’état risque de mettre en danger certains de ses concitoyens, ceux qui auront accès à une mauvaise
information, pour éviter de se décrédibiliser. Il est clair qu’informer sur l’existence de personnes
séropositives qui peuvent avoir des relations sexuelles sans préservatif est très dangereux, mais des
experts en communication devraient être capables de trouver des solutions aussi complexes que leur
problème. Au prix que coûtent les campagnes, et vu les années d’absence d’innovation dans les
messages, (on copie les messages pour les blancs, et on les colle sur des noirs, cela ne saurait être
une innovation de narration, même s’il faut reconnaître qu’il y a là une innovation de fond
majeure), il serait légitime d’attendre, de la part des instances supérieures de la pensée publique,
quelques mouvements. Peut-être cela ne doit-il pas se faire dans des campagnes nationales, mais
cela doit se faire. L’échéance est difficile à définir, personne n’étant capable de prévoir la célérité
de diffusion d’une telle information. Il est très difficile de faire abstraction, du jour au lendemain,
d’années de perception et de références , de cadres définitivement ancrés dans la tête de chacun.
Mais au vu des « nouveaux » phénomènes de prises de risques, il est légitime de s’inquiéter.
Comme nous l’avons écris plus en amont de ce mémoire : « Entre 2000 et 2002, la résurgence de la
syphilis s'est ainsi traduit par la multiplication par cinq du nombre de cas, en ce qui concerne Paris
(INVS, 2002) ». Il faut également prendre en compte l’arrivée des nouvelles génération, pour
lesquelles les risques inhérent liée aux relations sexuelles non protégée est tout à fait différentes de
leur aînés. Leur cadre de référence est justement, tout à fait différent. Là encore, les conséquences
de différences socio-économiques, ou de marginalisation sociale (cf, pour exemple, II.A2.2.a) sont
à anticiper.
c) Les publics cibles
Qu'est-ce qu'une population cible ?
Pour répondre simplement, il s'agit des groupes de population dans lesquels le virus présente une
forte prévalence (certaines populations originaires des Département Français d'Amérique,
homosexuels masculins, usagers de drogue, migrants d'origine africaine) et qui sont susceptibles
d’être visé par des campagnes. Il est cependant difficile de répondre à cette question, puisqu'un
comportement va se combiner à une série de facteurs qui personnalise les individus d'une catégorie
donnée. Ainsi la catégorie "homosexualité" s'agence par exemple à une série de sous-catégories
telles que l'âge, le lieu et le niveau de vie. La mise en scène préventive doit donc prendre en compte
le fait qu'une identification catégorielle peut être en partie vide de sens pour le récepteur. Du coup,
le lien entre la cible potentielle est l’effectivité de la communication est plus ténu. La
communication se confronte ici à ses propres limites. Comment destiner un message à une personne
à partir de mots (les images faisant aussi offices de mots) qui ne relèvent pas de son vocabulaire
(nous parlons ici par image, évidemment) ? S’il ne s’agit pas de public qui reléve d’une nécessité de
ciblage particulier, la campagne de 1992 précise cette notion de vocabulaire, de cadre. Deux films
développent un discours similaire, mais dans un contexte tout à fait opposé. Ils promeuvent
l’utilisation de préservatifs chez les femmes, et le renocement face aux hommes qui les refusent. Le
premier se déroule dans une boutique de luxe, le second dans un salon de coiffure populaire.
La question de la juste mesure à trouver entre une communication universelle ou ciblée est plus
large encore. Car le fait d'évoquer des minorités et leurs comportements est parfois présenté comme
une politisation de ces comportements. Cela les banaliseraient et pourrait relever du lobbying.....
La toxicomanie par exemple, soulève le lien entre la drogue, le sida et la mobilisation publique à
l'égard d'une population marginale qui présente un comportement illégal.
Le multi et le pluripartenariat représentent quant à eux des comportements à risque sur lequel le
gouvernement hésite à communiquer, pour différentes raisons. La "peur" de "l'incitation" à ce
"comportement" au travers d'une "banalisation" induite par des campagnes publiques, et
l'engagement politique nécessaire pour mettre en place une communication à l'égard de
comportements marginalisés constituent par exemple des freins au développement de ces sujets.
La situation de l’homosexualité, dans les campagnes française, est tout à fait alarmante, puisque les
homosexuels n’y apparaissent quasiment jamais. La campagne de 1990 est exemplaire sur la
question. Elle montre des hommes hétérosexuelles très virils, dont les métaphores du chasseurs sont
autant d’hommes qui courent, littéralement, après les femmes , qui disent « Attention, les filles, j’en
aient… pleins les poches [ i.e., des préservatifs !] », qui sont « sur un coup ‘génial’ », qui discutent,
tout de cuir vêtu et assis sur leur moto, avec leur fiancée. Le but est de montrer des hommes qui ont
du succès, sexuellement, mais qui « assurent ». La figure de l’homosexuel arrive, plus que
timidement, en 1992, avec trois amis qui parlent au moment de la pose déjeuner. Ils se situent dans
une cafétéria, on n’image qu’ils sont collégues de travail. L’un d’entre eux est homosexuel, il invite
le soir même « Dominique » (nom « double-genre »), au restaurant. « L’homo » est donc accepté
par son milieu professionnel. Tact cinématographique, lui, et luii seul, prend un pot de yaourt en
verre, transparent donc. Gros plan sur la main qui se saisit du pot. Finesse de la métaphore à
discuter…. Genre de procédé tout à fait inadmissible, si on le compare à la manière dont fut traité
l’hétérosexualité. Car « l’homo » des campagnes nationales est un homosexuel virtuel, on ne voit
pas ses relations intimes. En 1989, un couple hétérosexuel fais l’amour à l’écran. Un filtre bleuté a
été ajouté, l’ambiance est intime. La caméra se rapproche de deux corps nus, galbés, musclés, qui
s’enlacent. La caméra se rapproche. On voit, très brièvement, mais nettement, une main caresser un
sein. Le couple roule sur lui même, un préservatif est sortit. Le couple roule encore sur lui même, le
mâle est besogneux, la femme jouit. Phrase : « Les présevatifs préservent de tout, de tout, sauf de
l’amour » ! Ce genre de campagne sera proscrite par la suite. Montrer la sexualité à l’écran est
impossible. D’autant plus que ces messages peuvent être diffusé à grande écoute. Mais là, il y a tout
de même deux mondes qui cohabitent à des années lumières. Des homosexuels qui ont des relations
métaphoriques, et des hétérosexuels qui baisent à l’écran. Le fossé est colossal ! Montrer des
homosexuels à l’écran reléverait du lobbying…. Et serait politiquement incorrect. A tel point, que la
métaphore sexuelle n’est plus appropriée.En 1995, année de gros troubles politiques autour des
campagnes (cf. II. A3.1.b), le gouvernement intervent au dernier moment, de toute l’autorité qui lui
revient de droit, selon la rex regia, pour faire changer une photo de la campagne par voie
d’affichage. Deux paires de pieds masculins dans un lit seront changés au profit de deux paires de
chaussures masculines placées au milieu de vêtements manifestement mal pliés.... La campagne
était prête à être lancer, tout fut changer à la dernière minute.
La question du public ciblé pose aussi celle de la mise à l'index des cibles en tant que cause sociale
de l'épidémiologie. Le prénom "Karim" de la campagne photographique de 1995 a ainsi été modifié
pour Pierre. En 1993, l’homosexualité revient pour la deuxième fois à l’écran. Le jeune homme est
avec un ami hétérosexuel, en voiture, il est intégré. Pour lui montrer qu’il n’y a pas de honte à se
protéger et à « oser proposer des préservatifs à son partenaire », l’hétérosexuel s’arrête en pleine
voie, créeant un embouteillage, se met debout, et crie à des piétonnes, pour surmonter le bruit de
fond (i.e. sonore et social), des « préservatifs ». Il attire le regard de tout le monde, se fait
klaxonner, mais il n’a pas honte des préservatifs. Ici, l’hétérosexuel est autant responsable de
l’épidémie de sida que l’homosexuel (bien que le contraire puisse être compris).
Par ailleurs, nous retrouvons le second terme du double dilemme évoqué précédemment. Alerter
toute la population par un discours généraliste, au risque d'installer un climat de peur, alors qu'en
revanche, il est nécessaire de convaincre l'opinion qu'il s'agit d'un problème commun. Un ciblage
trop strict ferait l'impasse sur le fait que les conduites à risques sont loin d'être l'apanage des seuls
individus appartenant à des groupes marginalisés et stigmatisés. Les arbitrages qui en découlent
sont complexes et à remettre continuellement en question.
Ces différents points expliquent en retour pourquoi le gouvernement optera pendant longtemps pour
une communication axée sur le "tout préservatif" en le dissociant d'une part de tout comportement
sexuel ou de catégorisation pour souligner l'aspect non pas égalitaire, mais ubiquitaire du risque
biologique. Les campagnes de 1995 vont marquer le tournant initié dans les campagnes qui sera de
ne plus considérer le grand public comme un tout homogène. Elles seront en outre considérées
comme ayant eu un fort impact, une forte légitimité (adhésion du public), rassurante et suivie
d'effets (Ménard, 1996).
« C'est à dire que les messages s'adressant au « tous publics » devront tenter de faire évoluer
l'opinion publique sur les opinions, croyances et attitudes face au sida, mais elles devront également
s'adresser à des publics particulièrement concernés par le risque de contamination par le VIH qui
n'appartiennent à aucun réseau identitaire ou communautaire et qu'on peut mieux toucher par des
média ou une diffusion de masse: les femmes, les jeunes, les migrants, les hommes ayant des
pratiques homosexuelles (et notamment les homosexuels non identitaires), les personnes défavorisées
socialement et culturellement. Cette communication tous public comportera donc déjà des messages
ciblés » (CFES, 1999: 46)
Pour autant, le risque de tomber dans le "tout ciblé" est tout aussi présent. Ainsi, Emmanuel
Château exprimait au nom d'Act Up, la nécessité de mettre en place des campagnes ciblées qui
désigneraient à la fois des pratiques et des situations concrètes :
« Ce ne sont pas des groupes qui sont “ à risque ” mais des pratiques, des situations. La réalité de
l’épidémie est complexe, floue, les Noirs baisent avec les Blancs et des hommes qui se disent hétéros
ont des rapports avec d’autres hommes. » (JDS, 2006: 14).
d) Les niveaux de prévention: le test de dépistage
Le dépistage constitue également un sujet de dissensus puisque d'un côté, il est présenté comme une
action qui permet une prise en considération du risque véhiculé par le VIH, alors que de l'autre, il
est présenté comme porteur d'effets potentiellement néfastes sur des plans "épidémiologiques,
économiques et sociaux" (Sitbon, 2006: 275). Le dépistage coûte cher, pourrait présenter un
"moyen de réassurance après une prise de risque" et constitue un sujet de négociation quant à son
caractère obligatoire. Une incitation au dépistage pourrait alors "renforcer des attitudes de
répression ou d'exclusion à l'égard des personnes atteintes".
La problématique a été dépassée en partie, puisque le programme général de communication des
années 1998/1999 a placé le diagnostic précoce au centre de la stratégie, axe autour duquel se sont
articulée la prévention et la prise en charge.
A2.2) La période 1987-199519
Alors que les pouvoirs publics sont critiqués par les associations de lutte contre le sida, les
médecins et les personnalités du monde biomédical, pour leur retard sur les autres pays européens,
le Centre Français d'Education pour la Santé (CFES), association sous tutelle de l'état en charge
depuis 1972 des campagnes publiques, se voit confier la gestion de la communication sur le sida en
1987.
a) Des débuts politisés
La concentration du pouvoir de décisions entre les mains du ministre de la Santé pour la mise en
place de la première campagne est empreinte de causes externes à la seule raison sanitaire (Sitbon,
2006: 60). A la stigmatisation du retard des pouvoirs publics dans la lutte contre le sida s'ajoute un
contexte de cohabitation et de concurrence politique dans lequel les acteurs cherchent une visibilité
en vue d'obtenir une reconnaissance publique de leur compétence.
Quand bien même les dirigeants du CFES sont liés structurellement au ministère de la Santé,
l'agencement revêtit un caractère exceptionnel. Ainsi, « une petite cellule ad hoc dirigée par le
ministre de la Santé se substitue aux procédures habituelles au sein du CFES » va prendre en charge
les campagnes et les messages destinés au grand public. Elle se compose en quelque sorte de la
délégation gouvernementale et d'une agence de publicité engagée sur les prérogatives du cabinet
ministériel. Les « options et modalités de mise en œuvre de l'action, prises dans l'urgence, seront
vivement critiquées, en grande partie parce que le ministre écarte les experts de la prévention ».
La seconde cellule du CFES, pourtant la plus ancienne, puisque constitutive du CFES, est
constituée par des acteurs de diverses catégories (biomédicale, santé publique, épidémiologie,
gestion sociale des épidémies) des mondes professionnels et associatifs, se voient cantonné à
l'élaboration de l'information destinée aux professionnels.
En parallèle de la prévention, le législatif autorise la publicité sur les préservatifs ainsi que la vente
libre des seringues et crée des centres de dépistage anonymes et gratuits malgrè leurs coûts
19 Nous prétendons résumer, tout au long des sous-chapitres suivants des prochaines sections, la thèse d'Audrey SIBON quirapporte le contexte générale de la mise en place des campagnes. "Parmi toutes les variables susceptibles d'influencer l'élaboration et le contenu de cette politique, on a supposé [etvalidé cette hypothèse] que les interactions entre les acteurs publics à l'origine des campagnes et leurs structuresd'appartenance influençaient davantage les choix en matière de communication sur le sida que d'autres facteurs telsque les changements de l'épidémie ou encore l'intervention des associations de lutte contre le sida." (Sitbon, 2006) Cependant notre travail de compression se veut surtout une extraction.
prohibitifs.
L'année suivante, la cellule interne du CFES se voit attribuer plus d'autonomie, bien qu'elle reste
attachée, au travers de sa chargée de mission par exemple, à un univers marketing, et que ses
moyens humains, financiers et temporels n'évoluent pas. La campagne est centrée sur la promotion
du préservatif avec, pour slogan, « Les préservatifs préservent de tout même du ridicule ».
b) L'arrivée des acteurs militants
A la suite du rapport "Got", une nouvelle structure voit le jour en 1989 pour répondre aux
dysfonctionnements de l'ancien système. Originellement imaginée comme une structure
interministérielle, le gouvernement Rocard dote l'Agence Française de Lutte contre le Sida (AFLS),
du statut d'association sous tutelle du ministère de la Santé, afin qu'elle puisse disposer d'une plus
grande autonomie administrative et budgétaire, et qu'elle soit plus rapide que le système
administratif du ministère de la Santé.
Face à l'idée que l'administration gouvernementale ne possède pas les compétences suffisantes à
propos de la nouvelle problématique sanitaire, elle est composée, en partie, de membres issus des
associations de lutte contre le sida. Cette constitution a pour souci « d'assurer et de permettre
l'apparition de moyens de prévention novateurs, sur le fond et la forme, dans une situation
d'urgence, voire de crise ». Elle doit ouvrir la possibilité « de gérer les actions de proximité en
partenariat avec les associations, et même de « travailler dans les marges » et les « terrains en
friche » balisés par ces dernières.
Par la légèreté de ses effectifs, qui bénéficient d'une certaine liberté d'initiative, et par une plus
grande interaction entre ses niveaux hiérarchiques, l'agence est allégée de
pesanteurs administratives internes. Si l'organisation est moins traditionnelle que dans l'ancien
système, l'association reste centralisée d'un point de vue décisionnel, particulièrement en matière de
communication. Ainsi, les « deux à dix personnes employées à temps plein sur [des] actions de
communication sont directement sous le contrôle du directeur de l'agence ».
A une vision dichotomique de l'agence (employés issus de l'administration ministérielle versus
employés issus du monde associatif), il convient de percevoir la complexité de la situation. Bien
que l'agence soit placée sous une tutelle importante 20,
20 « Cette surveillance s'opérait non seulement sur le plan financier [...] mais aussi au niveau de la validation de certaines de ses actions, les campagnes d'information grand
« tous les agents de l'AFLS partagent des velléités d'indépendance et s'opposent au ministère qui, de
son côté, cherche à renforcer son contrôle sur l'agence, à la fois parce que les deux structures
interviennent dans le même champ, celui de la prévention, et dans la mesure où la DGS [ministère de
la Santé] estime que cette action publique devrait lui incomber » (79).
Là encore, il convient de distinguer ministère et ministre. Instance de pré-décision, les membres des
services administratifs restent dépendants du ministre pour la validation finale des campagnes. De
l'avis de certains membres de la DGS, les ministres s'inscrivent dans deux modèles divergents, mais
non moins liés: celui du « prosélytisme moral » et celui du « faire-valoir rayonnant » (209)21.
Le premier repose sur l' idéal de la mise en avant du « devoir, et se traduit plus concrètement par la
protection des valeurs morales « traditionnelles » » (48).
Le second « attend un bénéfice personnel et symbolique du fait de se mettre en avant en tant
qu'émetteur de la campagne ». Les effets de l'information lui importent « peu » sur un plan
sanitaire, et il vise une cible la plus large et la plus neutre possible au travers d'une diffusion variée
(TV, affiche, presse, etc....) et massive (45), ce qui lui vaut l'adjectif "rayonnant". Ainsi, ce dernier
procède par omission, comme l'indique le choix qu'effectue les acteurs politiques en 1995, de
remplacer le prénom de Karim par celui de Gilles, dans une annonce-presse, dans la crainte de
perdre une partie de son électorat qui se détournerait alors vers des partis extrémistes (295).
c) La cohabitation du politique et de l'associatif
Organisation para-administrative, l'agence devient rapidement un lieu de dissensus sur les stratégies
à adopter. Les employés issus du monde associatif, souvent rompus aux problèmes de terrain que
pose l'épidémie, se sentent progressivement exclus du système décisionnel, alors même qu'ils se
revendiquent comme des experts. Ces acteurs voient dans l'agence un subordonné du
gouvernement, et un moyen pour ce dernier de déroger à une interaction directe. L'état reste frileux
à traiter des sujets qui touchent à l'intime, d'autant plus que l'évolution épidémiologique du sida est
encore incertaine (un niveau de risque important étant plus ou moins cantonné à des populations
marginales: travailleurs du sexe, homosexuels, bisexuels, toxicomanes, migrants).
public devant avoir l'aval .... » (Sitbon A., 1996, 55), « .....d'un comité de pilotage réunissant des membres du Service d'Information du Gouvernement (SIG), du service de
communication du ministère de la Santé (SICOM), de la Direction Générale de la Santé, ainsi que des décideurs politiques (ministre de la Santé, voire le Premier ministre) »
(Sitbon A., 2006, 78).
21 Sur ce point, nous manquons de temps pour mettre à profit de manière plus intelligente le travail d'A.Sitbon etnous aurions souhaité complexifier cette vue simpliste du politique.Par ailleurs, la thèse démontre qu'il n'y a pasde lien entre étiquette politique et stratégie/contenu de communication.
L'agence est donc perçue comme « une association face à l'Etat et comme l'Etat par rapport aux
associations ». Alors que cette structure est décentralisée (son statut associatif la dote d'une
responsabilité morale), elle fonctionne sur le mode de la déconcentration, remplissant ainsi un rôle
tampon entre l'état et la sphère publique22.
L'association Act Up qui appelle à une logique communautaire pour les "populations marginalisées"
et les "minorités", "dénonce la dépendance financière des associations [à l'Etat] qui renonceraient à
leurs aspirations, notamment à la revendication d'une communication ciblée visible par tous."
(Sitbon, 2006: 292).
Au cœur même de l'agence se constitue une coalition interne politisée (partenaires ministériels), et
une coalition externe (partenaires associatifs), elle-même plus ou moins divisée. Structure instable,
l'agence doit gérer deux forces sociales divergentes, divisées elles-même en partie.
S'il est important de souligner que « le monde associatif n'est pas un bloc monolithique », les
relations entre les associations et l'état évoluent cependant, pour la majorité d'entre elles, d'une
« collaboration critique » à une « collaboration publique d'opposition ».
D'une part, leur faible influence décisionnelle accroît leur radicalisation (Paicheler, 2002: 127).
Secondairement, le fait que l'agence travaille « dans les marges, c'est à dire qu'elle passe par des
formes d'actions inhabituelles pour un organisme public, et est dirigée vers des populations
généralement peu touchées23 par les structures de santé publique » (Sitbon, 2006: 77), va être
perçue par les associations comme un moyen de spoliation, de domination. Cela court-circuite
également leur reconnaissance et leur indépendance. Daniel Defert parlera ainsi de « partenariat et
[de] concurrence assez exclusifs » (Defert, 1994, 103).
En réponse, l'agence va tenter de « faire-valoir » le milieu associatif en «démontrant sa volonté de
répondre à ses besoins, en l'aidant à monter des projets, de le conseiller et de le valoriser ». Cette
stratégie, qui ne fonctionnera pas, limitera fortement le développement d'un réseau de prévention,
coupant la pleine possibilité, pour les associations, de se présenter comme des relais locaux à part
22 La DDASS et la DRASS relève de la déconcentration, alors que la décentralisation concerne les collectivitésterritoriales.
Définition wikipédia:
La déconcentration se distingue de la décentralisation dans le sens où il s'agit d'un système de délégation versdes échelons inférieurs internes ne possédant dès lors pas de personnalité morale propre, tandis qu'unedécentralisation délègue vers des collectivités territoriales possédant une personnalité morale propre.23 Cet extrait fait référence à l'ensemble des campagnes de prévention contre le sida, et non aux seulescampagnes nationales.
entière des actions insufflées par l'agence.
L'AFLS peine par ailleurs à établir des liens avec les structures déconcentrées de l'état. Dans le but
de relayer la prévention au niveau local, l'agence essaye par exemple d'établir des partenariats avec
les DDASS, mais ses tentatives se voient ralenties par la DGS, qui stipule que le positionnement de
l'AFLS la prive de sa légitimité de supervision.
Structure « fusible », des tâches disproportionnées sont de plus attribuées à l'association, au regard
de ses moyens temporaires, financiers et politiques. En 1995, elle sera finalement réintégrée, en
partie, au sein du ministère de la Santé.
A2.3) La période 1995-2000
Après la dissolution de l'AFLS, en 1994, la lutte contre le sida en matière de campagne publique
revient à une structure plus centralisée, avec une base opérationnelle bi-céphale constituée par le
Comité Français d'Education pour la Santé (CFES) et par la Division sida. Une partie des employés
de l'AFLS est intégrée au sein de ces structures. Ce modèle organisationnel allie donc une
organisation para-administrative (le CFES), à une administration centrale (la Division sida), aux
compétences plus académiques (méritocratie administrative).
Le CFES et la Division sida forment un « groupe opérationnel » qui « élabore les lignes
stratégiques, le choix du nombre de campagne, et met en œuvre les actions en gérant les relations
avec les agences de publicité ». Ces dernières proposent des scénarios de campagnes à partir de
cahiers de charge qui leur sont remis. La troisième étape est une collaboration étroite entre l'agence
et l'annonceur. Si le CFES et la Division sida apportent leur expertise à l'agence dans cette
collaboration, ils rendent parallèlement des comptes, tout au long du processus, au comité de
pilotage. Ce dernier est un groupe décisionnel présidé par le directeur de la Direction Générale de la
Santé (DGS), et composé de représentants de différentes administrations (DGS, SICOM, SID24,
CFES, membres des cabinets ministériels, ANRS). Cependant le réel pouvoir décisionnel revient en
dernières instances au ministre de la Santé, voire au premier ministre pour les cas les plus litigieux.
Le comité de pilotage est adjoint d'un « comité de suivi » composé d'acteurs de la prévention
proches du terrain et d'associations qui sont exclus du groupe décisionnel, ce qui est « une façon de
faire participer à minima les associations » (Paicheler, 2002: 208).
24 Le SID coordonne en fait l'ensemble des campagnes d'information gouvernementales (environ 50 chaqueannée, d'une trentaine de ministères différents (Messager, 1995: 235). Il s'assure ainsi par exemple, du pluralismedes agences consultées pour l'appel d'offre, ou élabore des procédures ou des outils d'aide à la mise en œuvre descampagnes.
a) Rouages et grains de sables de l'administration publique
La double filiation institutionnelle du groupe opérationnel (CFES et Division Sida) entraîne
cependant des conflits, les « instances ne se satisfaisant pas des rôles qui leur sont impartis ». En
tant que structure associative, le CFES est moins dépendant, hiérarchiquement, que la Division sida,
qui reste une sous-division de la DGS, soit du ministère de la santé. Si les agents de la Division sida
sont relativement autonomes ils sont dépendants d'une validation hiérarchique forte, voir longue
puisque très étagée. Ses chargés de mission dépendent ainsi d'une « bureaucratie professionnelle »
dont les compétences relèvent de deux types de socialisation: d'un côté, les hauts fonctionnaires,
« qui possèdent plutôt des qualifications en matière de gestion administrative, de l'autre des agents
issus de corps spécialisés qui gravissent progressivement les échelons de l'administration » (90).
En 1998, l'intégralité de la direction du groupe opérationnel est confié au CFES. La bonne
fonctionnalité du comité de pilotage n'est pas assuré pour autant, pour causes, entres autres, de
« lourdeurs administratives » introduites par le ministère25.
La fin des années 90 est aussi marquée par « une démobilisation qui se traduit par un
désinvestissement financier et humain dans la réponse publique à la lutte contre le sida ». Sur le
plan du vécu individuel de l'environnement professionnel, l'apparition des ARV entraîne un certain
effacement de l'urgence de la maladie, malgré la hausse du nombre de séropositifs. Le profil des
employés de la Division sida évolue dans le sens de professionnels de la santé au détriment de
« contractuels pour lesquels la proximité avec la maladie avait scellé l'engagement » (107). De plus,
qu'il s'agisse du CFES ou de la Division sida, les experts de formation sont contraint par un système
bureaucratique qui « essouffle leur intention », alors que traditionnellement, leur "excellence
académique" justifie une certaine autonomie. Quant au monde associatif, sa défection s'explique par
une mise à l'écart rapide dont l'origine se trouve dans la controverse déclenchée autour de la
campagne de 1995, et par un désengagement liés à des causes variées et plus ou moins internes26,
dont l'arrivée des ARV qui rapproche le sida d'une maladie de type chronique.
25 « En l'absence du Directeur Général de la Santé en 1999 et des cabinets des ministres en l'an 2000 [au sein ducomité de pilotage], la DGS tend en effet à donner ses directives en amont et en aval des interventions du comitéet à empêcher les autres membres de modifier les propositions sous prétextes de contraintes techniques » (94).26 « Les départs sont expliqués par des désaccords sur les orientations des organisations, des éléments personnelsliés à des changements professionnels ou dans la vie privée ou aux effets de la maladie (la sienne ou de sesproches), ou encore à une lassitude expliquée de manière plus ambiguë. » (Sitbon, 2006: 122).
b) Alternatives à une bi-polarisation état/monde associatif ?
La restructuration administrative du tournant des années 1995 marque également un changement
dans les implications locales des acteurs de la prévention. Alors que la DGS limite la collaboration
entre l'AFLS et les DDASS pour des raisons de juridictions professionnelles, comme nous l'avons
vu, la déconcentration qui a lieu par la suite affaiblit les associations et leur pouvoir de pression
(Paicheler, 2002: 254). La prévention, déléguée aux DDASS, est un facteur de modification des
liens qu'entretiennent l'administration publique et les associations. Si les campagnes publiques,
visibles par tous, sont le sujet de nombreuses tensions, la déconcentration opère comme un système
de purge, en restreignant les responsabilités des associations, vis-à-vis d'un état qui agit dorénavant
de manière éclatée et plus indépendante. L'état délimite mieux son territoire d'intervention, que ce
soit sur le terrain ou en terme de communication de masse, champ dans lequel il possède la
prérogative depuis le début.
Cette réorganisation territoriale de la prévention se rapproche du modèle suisse qui, basé sur un
réseau complexe de structures publiques (antennes locales) et privées, permet de déjouer
« l'inconvénient» des campagnes publiques, c'est à dire leur visibilité (Sitbon, 2006: 130-40). Se
demandant si certains facteurs comme « l'existence d'une mobilisation sociale forte autour du VIH,
la présence au sein des pouvoirs publics d'agents issus du milieu associatif et peu au fait des
habitudes de fonctionnement des structures publiques, le climat émotionnel et le militantisme"
peuvent expliquer en partie "la critique des organisations du sida », A. Sitbon analyse les dispositifs
et réseaux autour de la communication du sida en Suisse. Elle conclut que des relations
harmonieuses sont établis entre l'Association Suisse contre le Sida (ASS; fondée par des militants
homosexuels) en charge de la communication, et l'Office Fédéral de Santé Publique (AFSP). La
Suisse serait en revanche lésée par sa structure fédérale qui limiterait les politiques descendantes
vers les cantons, sur le plan des orientations comme des financements, ce qui ne poserait pas de
problème en France, à partir de 1995, puisque la DGS relaye vers les DDASS, ces dernières
conservant malgré tout une relative liberté d'initiative.
A2.4) Bilan de 20 ans d'expérience
La question pratique qui s'est posée tout au long de ces vingt dernières années est celle du mode de
communication de l'Etat et de la place relative réservée aux différents acteurs du monde du sida et
de la santé publique. Par quels modes organisationnels les campagnes publiques de prévention du
sida ont-t-elles pris forme ?
Comme nous l'avons vu avec les deux grandes périodes (1987-1994 et 1995-2000), les enjeux se
sont progressivement contraints et redimensionnés. Audrey Sitbon postule ainsi que les dispositifs
de production des campagnes ont varié avec les stratégies de communication, voire les ont
absolument déterminées...
a) De la structure des dispositifs de communication aux stratégies de communication....aux
stratégies de communications
L'auteure décrit ainsi comment les dispositifs de mise en place des campagnes sont passés d'un
mode coopératif, établi entre décideurs et experts élargis (des agents issus du monde professionnel
de la communication ou de la santé (corps sanitaire et associatif)) à une stratégie oscillant entre
mode coopératif et prescriptif. Ces modèles de consultation des experts sont puisés chez Michel
Callon:
« Dans le modèle prescriptif, le spécialiste est le seul détenteur de connaissances utiles à l'action. La
société civile n'a pas à intervenir. Ensuite, le savoir profane permet de compléter ce que la science ne
permet pas de résoudre. Le modèle coopératif est celui dans lequel des compétences réciproques
interagissent, coopèrent et se reconnaissent mutuellement. » (143)
Explorant l'histoire des campagnes publiques, A. Sitbon identifie ces deux modes aux périodes
respectives qui prennent l'année 1994 pour charnière. Ainsi, entre 1987 et 1994, les professionnels
du marketing et les militants du mouvement associatif ont voix de chapitre dans la mise en œuvre
des objectifs de campagne.
Les premiers, par l'offre qu'ils apportent à un modèle de communication basé sur le « rendement ».
Modèle issu du monde de la publicité, son but est de séduire avant tout et de viser à promouvoir un
« produit de consommation » (39). Eviter le choc et faire passer un message consensuel restent des
impératifs. Les objectifs principaux des campagnes cherchent à installer une image positive du
préservatif et à favoriser la solidarité avec les personnes séropositives. Il est intéressant de noter que
l'agence ECOM critiquera, entre 1989 et 1991 , cette « perspective béhavioriste, au profit d'une
conception mécanique persuasive qui envisage le public visé comme ayant un rôle actif à jouer dans
l'appropriation du message de prévention »(150).
Les acteurs du monde associatif procèdent quant à eux à partir du modèle de « prosélytisme militant
» (existence d'un « fort » insouciant et irresponsable dont le pendant est la protection des minorités)
(157) qui bénéficie de « l'antériorité de leur mouvement sur la prise en charge étatique de la lutte
contre le sida, ainsi que de l'attribution aux associations de compétences diversifiées et d'intentions
positives » (164). En fait, la présence de ces membres se justifie par au moins six niveaux:
« Ces acteurs sont à la fois désignés comme des traducteurs des besoins et codes de la communauté
gay (a), des spécialistes multidisciplinaires des questions relatives au sida (b), ainsi que des relais des
informations préventives (c). Certains sont également mobilisés en tant que personnes séropositives
pour juger de l'acceptabilité des messages (d). Enfin, leur participation vise à éviter les controverses
à l'occasion de la diffusion des messages (e) et à légitimer le processus de mise en oeuvre des
campagnes de l'AFLS (f). » (165)
La présence de ces acteurs au sein des processus d'élaboration des campagnes s'expliquent
principalement par l'expertise qu'ils apportent, en terme de commentaires, plutôt que par une réelle
influence dans la co-construction des campagnes, que ce soit au niveau des projets, ou des produits
fini.
En dehors de thèmes consensuels, tels que la défense des droits des personnes atteintes, le refus de
la stigmatisation et la mobilisation du soutien de la population (168), les objectifs de diversification
de communication sont ajournés. Ainsi en va-t-il, par exemple, des propositions d'actions sur les
différents risques sexuels de transmission du VIH, qui vont à l'encontre de la stratégie
d'universalisme précédemment établie (Paicheler, 2002)27.
Dans ce contexte de prise de décision « rapide et opérationnelle », l'avis des chercheurs en sciences
sociales complexifient les décisions plutôt qu'ils ne résolvent les dissensus (Sitbon, 2006: 178). Ces
avis ne sont pas écoutés, ou manquent de légitimité expérimentale. Ils critiquent éventuellement les
arguments des deux expertises précédentes, s'inscrivant pour les sciences de la communication dans
le mode de la « qualité », qui se veut le reflet de la complexité du monde social (41). A l'inverse du
« rendement », cette modalité vise « non pas à persuader, mais à délivrer une information en
adaptant les méthodes de communication aux enjeux et problématiques du problème social
considéré ». Cette approche interroge par ailleurs « les fondements de la légitimité du discours des
militants associatifs qui repose l'expérience de la communauté d'appartenance et non sur la prise en
compte de résultats issus de recherche en sciences sociales ».
27 Rendre l'homosexualité visible dans la communication publique a cependant fait l'objet de controverse de lapart même des personnes concernées, face à une potentielle stigmatisation.
Entre 1994 et 2000, la communication publique de la lutte contre le sida entre progressivement dans
un « mode prescriptif ». Elle met à l'écart d'anciens acteurs (agences publicitaires et associations) et
met en scène « de nouveaux techniciens plus proches du monde de la recherche et des actions de
proximité »(185). Cela se traduit par une complexification des cibles et des thèmes abordés qui ne
visent pas « directement à obtenir des changements d'attitudes ou de pratiques », mais délivre de
l'information « pour permettre à l'individu d'effectuer des choix en toute connaissance de cause ».
Les stratégies de prévention vont être désormais organisées autour des « situations à risques » et de
la gamme des actions ou des moyens permettant d'y faire face et non plus sur la présence d'un risque
égal et commun à tous. Il ne s'agit plus de promouvoir un produit et un seul, le préservatif, mais de
donner toute son importance à l'interaction entre deux partenaires dans la gestion d'un risque
sexuel, de sorte que la prévention préconisée soit adaptée au style de vie de chacun. [...] En liaison
avec la réalité épidémiologique, les campagnes vont désormais s'adresser aux personnes très touchées
par l'épidémie: les homosexuels, les usagers de drogues injectables et les migrants, notamment
originaires d'Afrique et les habitants des départements d'Outre-Mer où la prévalence de l'infection
par le Virus de l'immunodéficience humaine (VIH) est élevée : Antilles et Guyane. » (Paicheler, 2002:
203).
Cependant, cette logique de communication déclinera à partir de 1998, au profit d'un retour au
mode du rendement. La campagne de 1998, qui promeut le préservatif sur un mode publicitaire
ironique, est exemplaire de cette approche28. Sur la base de post-tests dont la pertinence est
discutable (Sitbon, 2006: 359), les campagnes sont jugées « trop complexes ou trop fournies et les
cibles reçoivent moins fréquemment le message que si la campagne s'adressait à la population dans
son ensemble » (201). Ce retour est à mettre en lien avec le fait que le CFES se voit confier la
responsabilité du groupe opérationnel, au détriment de la Division Sida.
28 La campagne se décline en trois variantes: on suit un aventurier qui va chercher la pureté du goût vanille aubout du monde, on voyage avec un astronome parangon de la virilité qui planifie sa soirée avec le musttechnologique, on découvre les arcanes de la beauté féminine au travers d'un produit qu'elle « mérite bien ».
b) ... et aux moyens de les accomplir
De manière générale, le CFES privilégie une communication basée sur la sensibilisation de masse et
la maximisation du rapport coût/contact utile. A l'inverse, la Division Sida composée de spécialistes
des actions de terrain, parie sur des campagnes de proximité développées en synergie avec les
acteurs locaux, dans le but de les fédérer et de les mobiliser sur le long terme.
Ainsi, dans les opérations « Plus de bruit contre le sida » des concerts « Cité Rock », le CFES
préconise une diffusion sur des radios nationales alors que la Division Sida souhaiterait des radios
locales (204).
Au tournant de l'an 2000, la nécessité de remotiver l'ensemble de la population sur des
problématiques (prévention, prise en charge, solidarité) complexifiées depuis la fin des années 90
(diagnostic précoce/accès aux nouvelles thérapeutiques) va entraîner une diminution du nombre de
cibles en matière de communication publique. L'action de communication ciblée devient
préférentiellement relayée aux acteurs de terrain.
A partir de 2004, les "jeunes", les migrants et les homosexuels font leur réapparition dans les
campagnes en tant que cibles explicites.
A3. COMMUNICATIONS PUBLIQUES & PRÉVENTION
A3.1) L'énonciation et l'énoncé de la communication publique
a) Qu'est-ce que la communication publique ?
Comme l'atteste le sommaire du livre "La communication publique en pratique", il existe un
"foisonnement des communicateurs publics" (Messager, 1995). Ainsi, les "corps constitués" du
Sénat et de l'Assemblée Nationale communiquent, les services du premier ministres communiquent,
les ministères, les régions, les départements, les villes, les établissement publics, les sociétés
nationales et les organismes de service public communiquent. D'après cette description, l'échelle de
la communication publique apparaît donc d'emblée comme une fonction à géométrie multiple, tant
globale et nationale que spécifique et locale.
Une question essentielle demeure, comment dans le respect des droits individuels et de l'intérêt
public, réaliser la prévention du sida autrement que par la communication grand public dont on ne
peut pas tout attendre ? Quant à cette communication même, ne pourrait-elle se fixer des objectifs
plus ambitieux? Une piste possible serait la réflexion préalable sur les conditions de la prise en
compte des intérêts publics individuels et collectifs par les politiques publiques de communication.
En bref, en préalable à la définition des politiques, une réflexion sur la nature du lien social et les
citoyens comme acteurs" (240, d'après la thèse de Josèphe BAL).
L'exercice de la communication publique se distribue en "cinq registres interdépendants d'activités
et de messages" (Ollivier-Yaniv, 2006: 104): la mise à disposition des données publiques,
l'amélioration des relations avec le public, les campagnes d'intérêt général (informer les citoyens sur
leurs droits et sur leurs devoirs), la gestion de l'image des institutions publiques et leur mise en
visibilité, la communication autour des prises de décision politique et leurs transferts (concertation
et débat public). Les campagnes publiques contre le sida rentrent donc dans la troisième catégorie.
Elles cherchent à modifier les mentalités et les comportements d'individus "tenus de se comporter
de manière responsable à l'égard d'autrui et du collectif auquel ils appartiennent en tant que
citoyen". Les emplois ayant trait à la communication publique se retrouve dans de multiples
structures, dont celles qui appartiennent au secteur associatif, aux fondations et organisations non
gouvernementales.
La communication publique joue donc sur deux niveaux: l'échelle administrative et l'échelle
citoyenne. La communication publique se donne à voir comme le reflet de l'intérêt général, elle
participe à la construction d'un espace public. A ce titre, elle se veut "démocratique", ouvre le débat
public et permet une liberté et une égalité dans la prise de parole.
b) Les raisins de la communication…..
La communication possède ses raisons !
« La communication publique est « la communication formelle qui tend à l'échange et au partage
d'informations d'utilité publique, ainsi qu'au maintien du lien social, et dont la responsabilité
incombe à des institutions publiques ou à des organisations investies de missions d'intérêts
collectifs » » (Zémor, 22). Voilà une première définition que nous qualifierons de "théorique", étant
donné qu'elle contient une "mission" en puissance. L'ambiguïté de la qualité de la réalisation
pratique se porte sur le double aspect de l'effectivité qu'elles proposent: l'information et le lien
social.
La communication publique communique des informations, certes. Mais elle est aussi
communiquée par des communicants qui cherchent à optimiser un lien social qui existe entre eux et
les récepteurs. La communication permet de communiquer et de se communiquer. Au delà de
l'information brute délivrée sur un sujet particulier, les campagnes véhiculent un message politique,
puisqu'elles sont identifiées par les personnes qui les regardent comme des produits issus du travail
des gouvernants. En 1994, le slogan de la campagne audio-visuelle était ainsi "Nous avons décidé
de faire du sida une priorité de santé publique". Communiquer revient à adopter des stratégies
politiques et à en informer le public, à prendre des risques électoraux. Il existe même des boucles de
restriction au sein de l'appareil administratif d'état:
"Or, ne pas choquer apparaît comme une inquiétude majeure du politique, selon les acteurs
opérationnels. De fait, ce souci devient le leur, comme l'indique un conseiller ministériel: "Il y a une
auto-censure, un auto-blocage dans l'administration. Parfois ils se disent que les politiques vont pas
aimer ça, donc ils ne le font pas, ne proposent pas ça."" (Sitbon, 2000: 8)
Le caractère ostentatoire des campagnes publiques se ressent au niveau de l'évaluation des
campagnes, puisque le personnel politique "exerce une pression pour que les résultats d'une action
soient rapidement estimés". Cela s'effectue par l'intermédiaire des deux systèmes de contrôle que
sont d'une part les enquêtes issues de recherches en sciences sociales29 et en épidémiologie 30 et
d'autre part les post-tests, issus du monde de la publicité, qui mesurent quand à eux les "effets
29 Les enquêtes KABP par exemple.30 Des indicateurs dérivés comme par exemple les incidences des MST et du VIH.
directs de la communication à partir d'indicateurs permettant de savoir si la campagne a été vue,
mémorisée et de quelle manière elle a été perçue et apprécié" (Sitbon & Maresca, 2000: 2).
« Instrument de réassurance, il [le post-test] apporte l'illusion d'une objectivation de l'impact des
campagnes. Il permet ainsi de faire la preuve que le deuxième grand objectif des campagnes, à côté
de l'objectif de santé publique, à savoir la manifestation de l'engagement politique sur le sujet, a été
atteint. Les post-tests vont en effet permettre de savoir si la campagne a été bien vue, bien attribuée à
son annonceur et servir à enregistrer d'éventuelles réactions de rejet de la part des cibles visées. Or,
ne pas choquer apparaît comme une inquiétude majeure du politique, selon les acteurs opérationnels.
(Sitbon & Maresca, 2000: 8)
Communication politique et publique sont liées jusqu'à un certain degré. Ainsi, le fait que la
campagne la plus osée en matière de communication, celle de 1995, soit apparue à un moment de
renouvellement gouvernemental est peut-être l'exemple le plus frappant du lien qui existe entre les
communications politique et publique. En effet, la campagne fut préparée par le précèdent
gouvernement, et diffusée par un gouvernement entrant pris de vitesse par le calendrier des
campagnes (Sitbon, 2006: 32). Par ailleurs, l'énoncé de la communication publique, formulé dans
l'intérêt général, " n'en contribue pas moins à fixer les cadres et les normes des discours et des
comportements des individus ou des médias, œuvrant ainsi comme un dispositif de régulation de
l'espace public national ou local." (Ollivier-Yaniv, 2006: 98).
Le contenu informatif va ainsi dépendre d'une intention. Audrey Sitbon défini six types de logique
d'action idéalisée en communication, qui laisse transparaître une logique d'intention:
le « rendement », la « qualité », le « faire-valoir », le « prosélytisme", le « profit », et la
« créativité »(Sitbon, 2006: 39-55). Chacun de ces types sous-tend des intentions différentes dans
l'usage de la communication. Le "prosélytisme" et la "qualité" sont ainsi opposés dans le type
d'informations mis en œuvre. Le premier favorise l'information qui sert son idéologie, alors que le
second emploie diverses informations pour répondre à une réalité plurielle. Par exemple:
« Une des lacunes les plus poignantes des campagnes de prévention en France relève donc d'un
manque de communication évident vis-à-vis des minorités aux comportements à risque, en partie dû
à un danger de discrimination. [...] Ce risque de mise à l'écart est réel, bien sûr, mais on peut
légitimement se demander s'il ne faudrait pas l'affronter résolument plutôt que de tenter de
l'esquiver. [...] La politique, c'est avant tout de définir des priorités, et la priorité peut sembler ici de
se préoccuper d'un souci de visibilité de la prévention à l'adresse de la majorité du corps social plutôt
que de la centrer sur les sphères sociales où le risque de transmission est le plus important. » (Sitbon:
1993-5: 132-3).
Une fois ces distinctions théoriques posées (et non moins applicables dans certaines situations), on
comprendra leur inextricable juxtaposition puisque la politique n'est ni tout à fait un pur pouvoir
idéologique, ni un savoir mis au service du plus grand nombre, mais bien la gestion de ces deux
perspectives. Il est ainsi possible de constater des télèscopages important dans les campagnes
nationales de prévention. En 1994, la campagne audio-visuelle relate l’engagement de l’état, « C’est
parce qu’il concerne tout le monde qu’il concerne l’état. C’est le sida ». Des images véritablement
effrayantes s’enchaînent sur un fond de musique qui relève du film d’horreur. « Prévenir, aider,
informer, soutenir, encore d’avantage ». Noir et blanc, pivot de la caméra qui bascule dans un
mouvement de vertige, image de la maladie, de souffrance, de l’hôpital, extrait d’une lettreoù le mot
« difficile » est clairement lisible, image de mort même, image d’une tombe. « Nous avons décidé
de faire du sida une priorité de santé publique ». Le film met mal à l’aise, bien que quelque image
de solidarité y soient inséré, tel qu’un malade soutenu par une personne pour marcher. Mais
évidemment, là, l’effet de peur fait tout à fait obstacle aux campagnes qui cherchent à ne pas faire
monter le climat de peur et de rejet vis-à-vis des personnes séropositives. Ici, le sida sert de « faire-
valoir » à l’état, au détriment de la théorie de la « stratégie » évoquée plus haut dans ce mémoire.
Bien que la professionnalisation des acteurs de la communication publique soit censée garantir une
séparation entre pouvoir administratif et communicationnel, il demeure que la communication
publique n'est pas "méta-politique, c'est à dire devant et pouvant se dissocier des enjeux propres aux
représentants politiques de chaque institution publique, ainsi que de leurs stratégies de
communication." (Ollivier-Yaniv, 2006: 109). En situation d'exercice du pouvoir, on constate ainsi
que c'est le Ministre qui décide en dernière instance des campagnes de communication. Par ailleurs,
les communicants sont liés aux politiques, que ce soit au niveau administratif ("turn-over des
responsables de service ou de direction de communication très liés dans le temps aux alternances
électorales") ou au niveau des agences (développement des activités de la structure).
Pour Caroline Ollivier-Yaniv,
"la communication publique peut même être considérée comme une composante de la
communication politique, si l'on s'accorde à penser que l'activité du gouvernement consiste de
manière générale à mettre en œuvre des actions servant des objectifs, déterminés par un
positionnement idéologique et visant le bien commun. [...] Si l'on considère son discours et ses
messages, la communication publique vise à développer la citoyenneté et à créer de l'identité, en
même temps qu'elle fonctionne comme un discours d'autorité, en relayant des lois et en produisant
des normes." (Ollivier-Yaniv, 2006: 111).
c) L'énonciation
Cependant, l'état peut également communiquer sur un mode non national, au travers des campagnes
de proximité. Les acteurs de terrain jouent à ce titre un rôle important. La formation des
professionnels de la santé et des travailleurs sociaux et de la communication est fondamentale pour
la réalisation des objectifs définis par la prévention. L'aspect discret de campagnes publiques
occasionnelles et coûteuses est ainsi complété par un bruit de fond plus régulier, non pas forcément
moins coûteux, mais à "diffusion économique" plus diluée. Pour l'Etat, cette communication
discrète a l'avantage de son désavantage. Sur des sujets politiquement délicats (les acteurs sociaux
qui sensibilisent les travailleurs du sexe par exemple), l'Etat ne sera "ni vu, ni pris", et les
campagnes nationales restent la partie visible de l'action publique. Par contre, cette communication
induit des dépenses qui ne peuvent être employées ailleurs...
Par ailleurs,« Les changements sociaux espérés peuvent être le fait d'un grand nombre de facteurs exogènes à
l'action étatique [campagnes nationales]......... Les autre type d'actions publiques de prévention, en
l'occurence les actions de terrain, le journalisme de presse, l'actualité, la santé des people, les
fictions télévisées ainsi que les communications interpersonelles sont autant de modes d'information
susceptibles d'inciter les individus à réduire leurs conduite à risque ou à intégrer de nouvelles
habitudes. "(Sitbon & Maresca, 2000: 1).
A ce titre, la sphère médiatico-journalistique peut effectuer en matière de prévention un travail
parallèle à celui des mesures publiques, comme c'est le cas en Grande-Bretagne (Sitbon, 1998).
Ceci vaut particulièrement dans les pays où la santé publique est faible. Ainsi, des pays en voie de
développement font appel aux journalistes pour diffuser des informations, et spécialement dans les
pays dont l'Etat s'est désengagé en santé publique. Les associations organisent même des formations
sur le sida pour optimiser la communication journalistique.
d) Les médias communautaires
Enracinés dans des communautés identitaires, ces médias ne sont pas, pour autant, des phénomènes
de "repli sur soi". "La notion de communauté doit être considérée en terme de communauté d'intérêt
plus que de communauté identitaire"31. De même il serait erroné de percevoir les démarches de
santé communautaires comme la réunion d'un public "homogène et stable qui découlerait
naturellement d'une concentration géographique (le quartier) ou d'un statut (ethnique, marginal,
31 http://sopi.over-blog.com/article-5674525.html
professionnel ou autre) supposé commun" (Mathieu, 2001: 21).
"Les médias communautaires jouent un rôle essentiel pour le secteur des communications. Dans un
contexte de concentration des médias, ils représentent un outil indispensable au rétablissement d’un
certain équilibre de l’information et au maintien d’une diversité des voix dans notre société."32
Organismes à buts non lucratifs, les médias communautaires favorisent la participation de tous, sont faciles
d'accès, démocratiques, et s'appuient sur l'engagement des membres.
"Principal organisme des Nations Unies ayant pour mission de promouvoir la liberté d’expression et
l’accès universel à l’information et au savoir, l’UNESCO reconnaît le rôle des médias
communautaires pour garantir le pluralisme des médias, la diversité des contenus et la
représentation des différents groupes et intérêts au sein de la société. Les médias communautaires
favorisent le dialogue et la transparence de l’administration au niveau local en devenant les porte-
parole de tous ceux qui n’ont pas droit à la parole. Ils fonctionnent sur les principes de l’accès public,
du partage des expériences et de l’information."33
Pour autant, et cela vaudra pour les réseaux de santé comme pour les médias communautaires, il faut
envisager "les multiples manières dont les sociétés et les groupes s'emparent de cet instrument [la
participation] pour mener à bien leurs projets, dans des contextes historiques donnés" qui peuvent
être une reproduction des pouvoirs centraux par le bas, au niveau des pouvoirs locaux, et "trop
rapidement et trop superficiellement qualifiés de démocratisation" (Fassi, 2000: 211).
Une réponse à cette interrogation réside peut-être dans la taille des associations, "qui doivent garder
leur taille humaine pour préserver leur capacité d'action". En effet, les groupements inter-associatifs
sont chronophages pour l'organisation (donc pas forcément rentables sur certains points, telles que
les actions locales) et requiert de ses membres qu'ils pratiquent un "lobbying pour l'accès aux droits
sociaux et administratifs" (Chardin, 2007: 35). Précisons que les notifications de cette auteure
concernent les associations sub-sahariennes de lutte contre le sida.
Il faudrait discuter plus longuement des dangers et des bénéfices de la bureaucratisation mais là
n'est pas notre sujet. Ces dernières remarques visaient simplement à attirer l'attention sur les zones
d'indécisions ouvertes par le modèle communautaire.
32 http://www.mcccf.gouv.qc.ca/index.php?id=368233 http://portal.unesco.org/ci/fr/ev.php-URL_ID=28102&URL_DO=DO_PRINTPAGE&URL_SECTION=201. html
A3.2) Un changement de paradigme en matière de communication
a) Les freins à la communication publique
Pour établir ses programmes d'incitation au changement de comportement sexuel, la communication
ne manque pas de s'appuyer sur des modèles et des cadres de travail (Mc Kee, Bertrand & Becker-
Benton, 2004: 41). Le modèle de la "croyance en la santé" par exemple, décline l'existence de cinq
facteurs qui influencent un comportement de prévention: les barrières et les bénéfices que l'individu
perçoit dans la réalisation du comportement suscité, la perception du degré de risque (occurrence de
personnes séropositives et probabilité de transmission biologique), la perception de la sévérité de la
menace et enfin, la présence de signaux favorisant le passage à l'acte (ou au non-acte).
Mais cette conception de la modification des comportements individuels est trop formelle. Ainsi, la
maîtrise d'une information sur un risque ne suffit pas toujours à modifier le comportement
d'exposition à ce risque (Sitbon, 1993-5: 78; Mc Kee, Bertrand & Becker-Benton, 2004). S'il existe
différents arguments en communication: la peur, l'empathie, la responsabilisation, la gratification,
etc... , tous ne sont pas également efficaces et doivent surtout être utilisés dans un contexte
approprié.
La communication sociale rencontre différents obstacles qui la rendent relativement inefficace.
La prévention contre le sida, par exemple, se heurte à des difficultés fondamentalement liées à
l'objet sida. D'une part, il impose une "approche technique" de la relation sexuelle en contradiction
avec son aspect tabou et avec la relation à l'autre (Sitbon, 1993-5: 71). D'autre part, les "tensions
normatives" qui entourent la relation sexuelle peuvent amener les pratiquants à prendre des risques
afin d'échapper à ces tensions (73). Enfin, la représentation du sida en tant qu'infection "honteuse"
issue de comportements marginaux est ubiquitaire à de nombreuses sociétés. En atteste les
campagnes publiques qui cherchent à sensibiliser les plus de 40 ans, chez qui la fidélité au
partenaire et le non renouvellement de partenaire est un gage de protection.
"En réalité, on doit admettre que les actions de communication, si elles peuvent faciliter le
changement de comportements élémentaires (comme "acheter une carte de réduction quand on a
moins de 25 ans" [...], n'ont pas d'impact aussi direct et manifeste lorsqu'elles visent à une
modification de comportements liés à une histoire à la fois personnelle et sociale, et en tout cas plus
impliquants, comme: boire, fumer, faire l'amour, prendre en charge sa santé, etc..." (Miège, 1989:
125).
Si "aucune action de prévention n'est jamais acquise définitivement", il ne faut pas se faire d'illusion
"sur la portée de la communication" et sur la relation à la vie, à la mort, au risque (Sitbon, 1993-5:
133). Même les post-tests restent des outils critiquables pour mesurer l'efficacité réelle des
campagnes respectives auxquels ils sont agencés, ne serait-ce que dans leur méthodologie,
puisqu'ils "reposent sur du déclaratif". Ils évaluent des connaissances et des attitudes mais restent
incapables de mesurer des comportements concrets (Sitbon & Maresca, 2002: 6). Entre le dire et le
faire, le su et le vu, il existe une distance.
"Le problème du lien entre connaissance et action est central dans les sciences sociales (40). Sur le
plan de la mise en œuvre des actions, les recherches se sont, jusqu'à présent, surtout appuyées sur
des modèles individualistes, cantonnés au plan cognitif et rationaliste, qui ne rendent compte ni d'un
lien entre connaissance-action médiatisé par les perceptions du risque ni de la dynamique interne aux
actions. Face à cette lacune, l'élaboration d'un modèle dont les composantes sont en interactions s'est
avéré nécessaire pour démêler un ensemble complexe de conduites. Il permet de dégager des
configurations exemplaire dans l'ensemble composites des actions et de fonder celles-ci sur des
registres de perception du risque liés aux formes de vulnérabilité individuelles et sociales, au
sentiment de maîtrise alors que les actions, par le sentiment de sécurité ou d'insécurité qu'elles
procurent, influent en retour sur la perception du risque." (Paicheler, 1997: 67)
Les décalages connaissances-actions sont clairement documentés. Les campagnes de prévention
n’ont pas forcément de prise sur les pratiques. Le nombre de découvertes de séropositivité a par
exemple augmenté chez les homosexuels entre 2003 et 2006, pour se stabiliser en 2007 alors que la
période 2004-2007 est marquée par une diminution globale, dans la population générale, du nombre
de découvertes de séropositivité, ce qui s’explique principalement par la diminution des découvertes
de séropositivité chez les personnes d’Afrique sub-saharienne. A la vue des dernières études, France
Lert évoque l'hypothèse d’une nouvelle sexualité où il y aurait un « consentement au risque ». A ce
niveau les enquêtes manquent chez les hétérosexuels (Favereau, 2006: 5), dont les comportements à
risques, et par extension, les contaminations effectives, pourraient être noyés dans la masse.
b) Contraindre ou Persuader ? Le marketing social et la sémiologie du dire audio-visuel
La question est posée: qu'est-ce qui distingue le marketing social de l'éducation à la santé ?
Il ne faut pas oublier non plus qu'informer est très différent d'éduquer.
Informer = Mettre au courant, avertir.
Eduquer = Donner une capacité aux individus de gérer leur environnement, leur
action, leurs comportements. Cela réside dans un échange de réactions.
"Le travail d'explication fondé sur le seul niveau cognitif ne permet pas de faire face au Sida de
façon adéquate. L'éducation relative au Sida et à la sexualité doit se faire aussi de manière
urgente au niveau social, affectif et comportemental. De nouveaux concepts pédagogiques et un
profond engagement personnel sont les conditions pour y arriver." (Rapport de synthèse sur
l'évaluation de la campagne de prévention - Institut Universitaire de Médecine Sociale et
Préventive. - 20 janvier 1988. p.3)/.../
Selon Kotler P., Robert Eduardo .L (p.21) "Une campagne d'intérêt général est une tentative
organisée et exécutée par un groupe pour persuader d'autres personnes d'accepter, de modifier ou
d'abandonner des idées, des attitudes, des habitudes et des comportements particuliers."
La particularité du produit du marketing social est qu'il ne représente pas un produit commercial
que le public peut acheter.
Il défend trois types d'idées: une conviction, une attitude, une valeur.
(Froidcourt, 1998: 33)
En retour, Michael Rinn a tenté de montrer, à partir des sciences du langage et de la sémiotique,
comment le marketing social et le mode publicitaire sur lequel fonctionnent les campagnes, qui
puisent "largement dans la rhétorique", peuvent aggraver le problème de l'exclusion sociale des
minorités exposées au danger d'infection (les usagers de drogues par exemple), entraîner une dérive
totalitaire de la politique de la santé publique ou encore accroître les inégalités entre le Nord et le
Sud (Rinn, 2002).
Geneviève Paicheler souligne ainsi, dans une interview du Journal du Sida:
Puis il y a eu la campagne de l'été 1995, qui a parlé très clairement de la situation. C’était très
audacieux. On n’a malheureusement jamais retrouvé ce ton très direct qui avait satisfait les
associations, même les plus revendicatives. Depuis, le langage est beaucoup plus lisse, euphémisé.
Pourtant, c’est d’un discours sans détour que les gens ont besoin. En s’attachant à des “ situations à
risque ”, on apporte un message clair sur ce qu’ils vivent vraiment. Les gens ont du mal à faire le lien
entre un message très général – “ mettre des préservatifs ”, par exemple – et la réalité de leurs
pratiques sexuelles. Ils ont plein d’interrogations très concrètes : sur la fellation, le préservatif : “
Quand et comment le mettre, avec ou sans gel ? ”… C’est à tout cela qu’il faut répondre et lorsque
les microbicides auront été développés, il s’agira de ne pas rater le coche ! » (JDS, 2006: 12).
En matière de communication, la campagne "3000 scénarios contre un virus" organisée par le
Centre Régional d'Information et de Prévention du Sida (CRIPS) d'Ile-de-France, fruit d'un travail
d'écriture réalisé par le grand public, a innové dans l'approche préventive. L'acte préventif a ainsi
été présenté comme un "acte personnel situé dans une relation" et des "interrogations individuelles
concernant le sida" (Rudelic-Fernandez, Bajos, Lert, Spira, Ducot, 1996: 3)."L'intérêt de ces films réside [...], d'une part dans leur diversité, autant sur le fond (annonce de la
séropositivité, lutte au quotidien, exclusion, relations homosexuelles), que [...], et d'autre part dans un
discours non injonctif qui invite à réfléchir sur la difficulté de parler de la sexualité, sur la notion de
risque et sur le vécu de la maladie." (Manderscheid, 1996: 11)
Trente et un scénari ont donné lieu à des courts-métrages diffusés en juin 1994 à la télévision et des
"enseignements pour de futures campagnes" ont été tirés de l'ensemble de la production. Sur le plan
du contenu par exemple:
- Plutôt que de chercher à donner une image de la sexualité comme expérience anodine, intégrer dans
le message préventif des interrogations concrètes qui persistent chez des individus concernant la
sexualité, la relation à l'autre et le préservatif;
- Ne pas présenter le préservatif hors contexte et son utilisation comme allant de soi, mais l'aborder à
travers des situations concrètes d'achat, d'utilisation et de négociation;
- Mettre en scène le préservatif en l'intégrant dans la sphère affective et non pas uniquement
rationnelle de l'individu: un message préventif a d'autant plus de chances d'atteindre sa cible qu'il
parvient à susciter des réactions émotives en plus de celles purement rationnelles;
- Le discours de prévention ne se réduisant pas à la communication sur le préservatif, ces différents
enseignements peuvent être repris pour la valorisation d'autres modes de protection.
(Rudelic-Fernandez, Bajos, Lert, Spira, Ducot, 1996: 3).
L'art narratif, qu'il soit théâtral, audio-visuel, etc... saisit l'individu en le plongeant dans une histoire
émotionnelle qui le touchera et l'impliquera d'autant mieux que le spectateur pourra adapter cette
vision à sa propre expérience. De même, l'humour peut-être un bon moyen pour transmettre
efficacement une information sérieuse.
Concernant les œuvres de fiction (cinéma, ouvrage), Audrey Sitbon souligne leur portée dans la
sphère de l'inconscient et l'attrait qu'elles suscitent chez le public. Le besoin du public en terme
d'informations à multiples dimensions (émotionnelle, technique, etc...) se retrouvent ainsi dans son
appétence pour les documentaires et les émissions-témoignages, ce qui fait que la communication
institutionnelle ne peut pas se penser comme un "discours en soi et pour soi" qui n'aurait pas besoin
de tenir compte des autres discours sur le virus (Sitbon, 1993-5: 134). Elle doit "les utiliser pour
densifier son message ".
« Toute une vision sociale du monde va être proposée au public. Et ces messages, ces informations,
ces propositions préventives ne prescrivent pas seulement de nouveaux comportements: ils
prescrivent des perceptions nouvelles. D'où les possibles difficultés d'acceptation de la part des
personnes informées. En fait, au delà des messages et des savoirs transmis (préservatifs, dépistage, ...)
ce sont les "représentations" ou "l'idéologie" qui permettent de les comprendre et de les accepter.
Autrement dit, la meilleure façon d'intégrer un comportement est de le faire entrer dans les
habitudes culturelles." (135)
La culture, justement, ne connaît pas tant le préservatif que la réalité de la sexualité (bien qu'après
trois décennies, le préservatif constitue maintenant une part de notre identité). Relation affective,
confiance, in/fidélité sont autant de concepts que chacun définit selon son histoire personnelle. "Une
rencontre affective et/ou sexuelle est également une rencontre de "valeurs" différentes (Froidcourt,
1998: 92).
"Paradoxalement, alors que tout le monde en parle, l'éducation sexuelle demeure la grande absente
de notre système éducatif. Le 1er décembre, journée internationale du sida, elle est incontournable,
mais dès le lendemain, elle n'est déjà plus qu'un vœu pieux." (Picod, 1994).
Dans le cas d'improvisation réalisée à partir d'une pièce de théâtre par exemple, le préservatif est un
prétexte pour parler de la relation sexuelle:
"Le débat théâtral est donc là pour montrer les problèmes que rencontrent les jeunes et les aider à y
faire face en les amenant à s'interroger sur leurs propres attitudes et différences et à les discuter
entre eux pour favoriser l'évolution des normes sociales. Les personnes peuvent changer parce
qu'elles se sentent intégrées et soutenues par un groupe. C'est dans un contexte interactif que
l'apport d'information peut produire un changement individuel par le biais d'une implication dans
une action collective et d'un changement normatif. Ces groupes sont à la fois un relais pour
l'information et un vecteur pour le changement." (Haus et coll., 2000: 22)
Les individus deviennent à la fois acteur et cible d'influence, puisque les relations sociales autour de
la sexualité, si complexes, priment sur les conceptions individuelles. Les individus vivent dans une
atmosphère d'influence mutuelle. Ce moment est celui d'une mise en culture de l'influence.
"Dans la "persuasion douce" s'accomplit une démultiplication du pouvoir en une multitudes de
petits pouvoirs permanents et omniprésents. Le pouvoir prégnant, délimité, repérable est éclaté en
un ensemble de petits pouvoirs intégrés en chacun, pris en charge et perpétré par tous, qui résultent
en un quadrillage serré des activités les plus infimes, les plus intimes, une foule de petites craintes de
ne pas être "comme il faut". Dans un tel réseau d'incitations, tout le monde est en liberté surveillée
sans en avoir clairement conscience." (Paicheler, 1985: 20)
Cette citation souligne que le groupe agit sur l'individu. Nous l'avons rapporté ici pour souligner la
démarche, inverse, dans laquelle se situe l'exemple de l'interaction sociétale et communautaire.
L'interaction vise, par la prise de parole de chacun des participants, à briser des murs de silence en
terme de sexualité, pour amener à un dialogue sociétal.
En somme, l'intervention préventive informative n'est que l'une des composantes du processus qui
va conduire un individu à adopter un comportement favorable à sa santé. Bien qu'elle n'en soit pas
moins importante pour autant, au contraire (Haus et coll., 2000: 15), il convient de la mixer avec
des interventions collectives, ou plus ludiques, qui se rapprochent des conditions réelles de
l'existence (22).
“Jamais l'influence ne se déroule dans un vide social: elle s'intègre dans une histoire, des rapports
sociaux, un rituel et une symbolique.” “La “réalité sociale” est indissociablement liée aux
significations sociales: elle n'existent pas en dehors des moyens intellectuels dont les groupes sociaux
disposent pour l'appréhender”. “Le réel n'est pas transparent. Il ne se donne pas de lui même à
interpréter. Le décodage de toute réalité se fait suivant des grilles de lecture et inversement, ces
grilles de lecture constituent la réalité”. (Paicheler, 1999: 28)
Si le modèle d'une information délivrée auprès des individus s'est en effet révélé "naïf", des
interventions de "secondes générations" ont développé des approches psycho-sociales et cognitives
de l'individu (Mc Kee, Bertrand & Becker-Benton, 2004: 41). Ces interventions qui portent entre
autres sur la formation des aptitudes ou des compétences préventives sont présentées comme plus
efficaces pour des indicateurs tels que l'utilisation de préservatifs, le nombre de partenaires sexuels
et la proportion de rapports protégés (Lert, 2002: 39).
c) Des récepteurs deviennent acteurs en communication
En rupture avec les schémas établis, la prévention n'est plus seulement conçue comme la simple
diffusion d'une information médicale, mais aussi comme une pratique effectuée et effective.
Cependant, les théories béhavioristes étant ce qu'elles sont... il nous faut croiser ces deux
dimensions préventives, pour évoquer la pratique de l'information.
Car il ne suffit pas qu'une méthode préventive (le préservatif par exemple) soit techniquement
simple et efficace pour qu'elle soit adoptée. L'acceptation provient non seulement d'une culture et
d'informations connues, bien évidement, mais aussi d'une information appropriée et maîtrisée.
Si l'information peut être reçue par un récepteur passif, elle peut aussi être produite par un
récepteur-émetteur actif. Cette approche allie les deux avantages des techniques préventives que
constituent la diffusion de l'information et la mise en pratique des méthodes préventives. La
fabrication de l'information comprend alors deux dimensions: la recherche individuelle et
personnelle, et la recherche à but plus général de diffusion collective."Le théâtre interactif est particulièrement adapté au public en situation de vulnérabilité. Il utilise un
médiateur: la création artistique. Il s'appuie sur le non-verbal. Il nécessite l'implication des
bénéficiaires à toutes les étapes du processus. Il s'agit là d'une démarche participative "intégrée""
(Besnard, 2006: 38)
Certaines actions de prévention sont ainsi devenues participatives, c'est à dire que le support de
prévention n'est plus construit par les seuls agents professionnels, mais par tout un chacun. Cette
approche construit ainsi des rapports plus égalitaires où l'un n'est pas considéré comme détenteur du
savoir et l'autre comme récepteur de ce savoir. Le second se trouve alors responsabilisé dans sa
démarche, à titre tant individuel que collectif, ce qui reste fondamental pour engager le participant,
et par extension, la santé de tous. Cette manière de penser la relation entre émetteur et récepteur de
l'information fait aussi du participant un relais et un partenaire pour les acteurs de prévention.
De nombreux supports de prévention, photo, texte, films (scénarios), calendrier, conte, théâtre,
etc.., ont ainsi fait l'objet de mise en construction par le public, bien qu'ils n'aient pas été tous
diffusés à large échelle comme la campagne "3000 scénarios". Mais dans tous les cas, qu'il s'agisse
d'un concours individuel ou d'une création collective et locale (les pièces de théâtre en milieu
scolaire, par exemple), les acteurs en parlent autour d'eux sur un temps plus ou moins long, c'est à
dire a minima, tout au long du processus de fabrication.
Pour Antonio Ugidos, directeur du CRIPS Ile-de-France, et l'un des initiateurs de la campagne
"3000 scénarios contre le VIH":
« C'est d'ailleurs l'une des leçons à tirer de ces vingt dernières années: les actions sont d'autant plus
efficaces quand elles sont portées par les personnes directement concernées » (Ugidos, 2008: 1).
Précisons son propos: plus efficace sur un point individuel d'une part, pour celui qui contribue à la
fabrique, et sur un point collectif d'autre part, par l'utilisation de codes communs du langage et de
mise en situation par les membres d'une culture commune (encore que, il est clair, cette approche à
elle-même des limites et qu'elle reste complémentaire d'une information construite par des
professionnels à partir différents éléments d'élaboration).
d) Qu'est-ce que la communication en santé publique ?
La communication publique est un secteur qui concerne de multiples réseaux et dont le financement
est publique. Se basant sur les écrits de Michel Le Net, Bernard Miège et Pierre Zémor, Denis
Requillart identifie les définitions accolées au terme "communication publique": "prône des
différences de comportements", "se réfère à des comportements idéaux des citoyens", se différencie
en communications informatives (tend à l'échange et au partage d'informations générales d'utilité
publique), comportementales (d'intérêt général) et promotionnelles de service (régule, protège et
anticipe le service public), est différente de la communication politique (et non indifférente).
Partant, D. Requillart pose deux questions:
"1. faut-il sociologiquement étendre la notion d'institution publique à tout organisme de statut ou de
financement public, même partiel ?
2. faut-il mettre sur le même plan et traiter de la même façon la communication d'une institution
publique destinée à rendre publique des informations d'intérêt général (les chiffres de l'épidémie
dans un département) ou à faire connaître les services qu'elle offre au public (les heures d'ouverture
d'un centre de dépistage), et sa communication d'intérêt général: campagnes d'information,
sensibilisation à une cause sociale, communication civique (la promotion d'une action de prévention,
l'incitation à la solidarité vis-à-vis des malades du sida) ?" (Requillart, 1999: 14).
Il s'agit à la fois d'informer de l'existence de structure de santé publique, que de communiquer les
mesures engagées par un gouvernement ou de diffuser des conseils de santé publique. Il n'existe pas
de frontières clairement établies entre communication et santé publique (éducation sanitaire)
puisque la première se justifie de la seconde. Elle ne peut pas être définie comme ce qui émane du
pouvoir, mais comme ce qui en émane dans une perspective de santé publique. A ce titre, la
communication publique est trop souvent pensée dans un sens unique, qui serait descendant depuis
l'administration vers les citoyens. Tout comme la santé, dont elle se fait le hérault, la
communication publique doit s'envisager dans une double dynamique, comme l'indique cette
définition de Pierre Zémor:
"Ses finalités sont celles des institutions publiques et "ses fonctions propres sont d'informer (faire
savoir, rendre compte et faire valoir), d'écouter (les attentes, les interrogations et le débat public), de
contribuer à assurer la relation sociale (sentiment d'appartenance collectif, prise en considération du
citoyen en tant qu'acteur) et d'accompagner les changements tant comportementaux que de
l'organisation sociale". (13)
Le rôle de la DDASS est non seulement de relayer les politiques nationales auprès d'un public
intermédiaire (associations ou institutions publiques) et terminal (grand public), mais aussi d'inciter
et de financer les projets associatifs (Sitbon, 2006; 114). Dans les études sur la communication
publique, chacun en vient à délimiter son objet de recherche (Paicheler, 2002: 13), son sujet de
recherche (Requillart, 1999: 7). On comprend que la communication de masse soit choisie
préférentiellement. D'un point de vue pratique, l'état est clairement mis en évidence au travers de
spots médiatiques, très visibles en terme de propagande (au sens noble du terme).
"Aussi, justifier d'une gestion optimum des fons dans le cas de la prévention du sida, comme pour
d'autres sujets, relève de la quadrature du cercle. Il est alors légitime de s'interroger sur les critères
de répartition financière des différents postes tels que les actions de terrain, la formation du
personnel de santé ou les campagnes qui composent un programme de prévention. Cette question se
pose d'autant plus que les niveaux de décisions sont élevés. Il est alors moins question de s'appuyer
sur une "rationalité technico-économique", ceci tenant "à la nature des choix auxquels font face, en
général, les acteurs politiques." (Padioleau, J., 1982, p.63). Les responsables politiques doivent
simultanément tenir compte d'intérêts qu'aucun critères ne permet de départager (Padioleau, 1982),
et les décisions reposent dans des cas extrêmes uniquement sur des systèmes de croyance "dont les
fondements épistémologiques sont si différents que les bases pour évaluer la validité des
revendications politiques font complétement défaut" (Sabatier, P.A., Jenkins-Smith, H.C., 1993,
p.51)". (Sitbon & Maresca, 2002: 2)
Il s'agit finalement de trouver la juste articulation entre actions nationales et locales.
Dans sa thèse "Les enjeux de la communication publique dans la lutte contre le sida en France
(1987-1997)", D. Requillart analyse également, "quelques exemples de campagnes menées par
d'autres institutions publiques ou soutenues par les pouvoirs publics" (15). Ailleurs, il est possible
de lire cette description du protocole d'élaboration d'une campagne:
"La production des campagnes publiques de prévention obéit à des contraintes fortes. Elle est
l'aboutissement d'un travail collectif qui débouche sur un produit final dont la partie invisible et
déterminante est la répartition et le rythme d'apparition de messages dans différents médias, et la
partie visible ..." (Paicheler, 2002: 16)
Pour obtenir la similitude entre les campagnes nationales et les campagnes de proximité, il suffira
de remplacer dans la précédente définition, d'une part, "différents médias" par "différents lieux", et
d'autre part, la fin de la définition non rapportée ici, qui évoque des formats temporels court (prix de
l'espace public élevé). Il est clair que nous tombons ici dans la rhétorique, mais par principe
heuristique.... Il s'agit de souligner que les campagnes de proximité obéissent elles aussi à de fortes
contraintes.
"La communication publique et l'éducation sanitaire représentent deux modes d'action très
différents l'un de l'autre, la première diffusant très largement dans tous les secteurs de la société des
messages forcément rapides et pauvres en contenu, la seconde privilégiant la relation directe et la
construction en groupes forcément restreints d'une opinion collective informée et raisonnée. Les
référents ne sont pas non plus les mêmes, la première privilégiant l'apport des sciences de la
communication, la seconde des sciences de l'éducation." (Requillart, 1999: 134).
L'un s'appuie sur la médiatisation, et l'autre sur le relationnel. La question de la communication
pose celle de la nature de l'information à délivrer, de ses acteurs et des méthodes à employer. Le
relationnel s'appuie sur la connaissance sociale de l'autre et développe une microsociologie qui
s'adapte au public, à ses croyances, ses modalités de négociations, etc... parce que ses
comportements sont justement agencés à des logiques sociales et peuvent se décrire dans une
sociologie des pratiques (Requillart, 1999: 146:159), comme nous l'avons évoqué auparavant.
Le nivellement qu'opère l'approche publicitaire de la communication, "qui ignore la singularité des
personnes et promeut des messages simplistes" (145), fait que "son rôle apparaît bien limité,
l'essentiel se jouant dans l'espace relationnel d'une négociation généralisée. Ce qui nous oblige à
repenser la question de la gestion du social"(159), sans renier pour autant les vertus de la
communication publicitaire.
"Autrement dit, la reconnaissance publique, politique de l'autre comme acteur de santé, via la
communication publique notamment, est sans doute le gage d'une prévention efficace. Mais la
politique a des raisons que la santé publique n'a pas à connaître, et il vaut toujours mieux, en France,
être hétéro ou homosexuel que toxicomane." (166)
Il serait illusoire d'exiger de la communication publique une tâche pour laquelle elle n'est pas
outillée, celle d'être capable d'éduquer à la santé dans une perspective d'autonomie du récepteur. En
conséquence, la communication publique de sens restreint (dynamique descendante), ne peut pas
s'envisager sans le complément apporté par la dynamique inverse, ascendante, de l'éducation
sanitaire. Ces deux dynamiques définissent ainsi la communication publique au sens large. Dans
leur croisement peut naître une réelle démocratie sanitaire. En effet, si la communication publique
se justifie de la santé publique, cette dernière s'alimente et se régénère aussi par les vertus
potentielles de la première.
Santé publique et communication publique se retrouvent chacune dans des configurations
descendantes et ascendantes.
- CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE-
La nébuleuse sida est un fait social total qui interroge la société, que ce soit en terme de recherche,
de moralité (sexualité, drogues), de religion (la circoncision réduit les risques de transmission par
exemple), du droit des personnes (séropositifs, migrants),... puisque le sida ne se trouve que
rarement "en dehors des rapports sociaux habituels". Homosexuels, usagers de drogues,
travailleurEs du sexe, migrants, prisonniers, sont les catégories populationnelles les plus touchées
par l'épidémie. Que ces prévalences soient le reflet de négligence à leur égard, de mépris, d'une
mauvaise intégration, d'inégalités sociales et/ou économiques, etc... s'inscrit dans la même ligne que
la discrimination des séropositifs, puisque la réponse la plus appropriée semble être l'engagement
des personnes concernées dans la lutte contre le silence et l'oubli. Le "Deviens ce que tu es"
nietzschéen prend ici tout son sens. L'issue et l'ampleur de la maladie ont suscité la montée d’une
mobilisation générale durant les années 1990. De nombreuses personnes ont vécu leur maladie
ensemble34, en luttant tour à tour contre une maladie médicale et sociale, dans un effort
supplémentaire, par delà le combat individuel que chacun devait livrer au sein de son propre corps,
et de son psychisme. Un effort supplémentaire qui fut aussi une ressource salvatrice, dans ce
combat quotidien.
Malgré la modernité thérapeutique des Etats, et leur engagement en matière de communication,
malgré les modifications de droits internationaux (brevetabilité des médicaments), en dépit de
l'empathie de l'ensemble de la population, et de son soutien financier par les dons, on voit comment
les premiers concernés, les séropositifs, ont dû investir l'ensemble des champs sociétaux et des
juridictions morales pour revendiquer leurs droits et leurs identités. Sans leur mobilisation, la lutte
n'aurait pu être aussi efficace. On sait que cette liste que nous venons de dresser est en partie le fruit
de leur labeur. Profanes, les bénévoles de la lutte contre le sida ont fait bouger les lignes de la
recherche, prenant le pouvoir par le savoir, induisant de la réflexivité dans le monde médical.
Par ailleurs, une histoire qui omettrait le rôle des profanes serait aussi erronée qu'une histoire qui
diviserait profanes et expert en deux pôles. L'archéologie, l'étude des conditions de possibilités des
discours, et la généalogie, l'étude de l'émergence et de l'enchaînement des idées et des faits, ne
peuvent se passer des deux camps, ou tout au contraire, peuvent très bien sans passer s'il s'agit de
les réifier dans une polarité sans osmose.
34 Malgré le fait que la maladie s'affronte, dans le fond, toujours tout seul.
La mise en place de nouveaux outils comme la DOS VIH, par exemple, objet scientifique qui
dépasse sa fonction médicale, son identité épidémiologique, a bénéficié de l'engagement des
associations de patients. C'est ainsi que les mesures publiques, qui ne sont qu'en puissance tant
qu'elles ne sont pas effectivement opérées, sont mises à l'épreuve de leurs légitimités et de leurs
applicabilités concrètes. Objets qui touchent à l'identité de personnes, les DOS dressent un registre
de l'intime. Elles participent d'autre part des représentations sociales de la lutte contre le sida.
Par ailleurs, son appropriation par le patient (au travers d'une contribution à sa mise en place, puis
du consentement libre et éclairé) ne peut que contribuer à impliquer ce dernier dans le système de
santé. Des mesures qui seraient "bonnes", risqueraient sinon d'échouer sur le terrain de la
compréhension et de la reconnaissance de l'ensemble des parties en présence. Il en va de la
légitimité et de l'efficacité d'une santé publique qui se voudrait non coercitive. La pensée contraire
construit des santés publiques rarement optimales.
Enfin, il faut insister sur l'effectivité des mesures. Au risque de citer La Palice, nous voudrions
rappeler qu’une mesure est appliquée sur le long terme à la condition qu'elle soit applicable. Il lui
faut donc être réaliste, c'est à dire s'inscrire à la fois dans le domaine de la faisabilité, dans celui de
la nécessité réelle et dans celui de la nécessité ressentie ou exprimée (nous considérons uniquement
des mesures de santé publique établies pour des bénéficiaires, et non des mesures qui relèvent, in
genesis, de la coercition). Le diagramme qui fait office d'exergue de ce mémoire exprime justement
ce rapport au monde.
C'est pourquoi la démocratie sanitaire incite à penser de manière intégrative, à faire intervenir
l'ensemble des acteurs, la totalité des d'informations. Par leurs statuts et leur positions variables
autour d'un problème ou d'une problématique, les différents acteurs portent des informations
complémentaires. Leurs approches respectives dépendent des points de vue dans lesquels ils se
placent, ou sont placés. Outre l'information que peuvent véhiculer des agents non impliqués dans le
système de santé, ces derniers sont une présence et une motivation importante qui suscitent
l'empathie et les pré-occupations des décideurs de la santé publique. Par ailleurs, la médiatisation
représente une voie parallèle, pour l'écoute de l'ensemble des voix sociales, à la démocratie
sanitaire.
Cette pratique de la santé comme carrefour expert/profane n'est pas originelle du sida, mais en serait
un parangon. Il est des facteurs de cette "collaboration" qui sont rares et spécifiques au sida: l'aspect
pandémique de la maladie, son côté ubiquitaire, sa valeur risque (la phase asymptomatique qui a
suscité l'incertitude et la peur), etc.... Le concept de démocratie sanitaire, qui trouve son origine, au
moins, dans la chartre d'Ottawa et la conférence d'Alma-Ata, caractérise une santé qui a évolué vers
un système publique, au sens à la fois large et restreint du terme. Au sens d'une participation active
de la société civile, comme de celle de l'état. L'histoire de l'apparition de ce concept s'inscrit dans
celle plus générale de la sphère plébéienne, et dans un temps long qui resterait à décrire.
La communication publique, qui se veut transmission apolitique des affaires publiques, doit ainsi
suivre l'évolution des mesures de santé. Si la participation de la population est requise en santé
publique, il en va de même pour la communication sur la santé. Cette dernière doit être aussi bien
globale que locale, tant acte définis et distribué à large échelle (les campagnes nationales) que
puissance en devenir (les médiateurs qui s'adaptent à chaque intervention aux questions du public;
le public lui même). D'autant plus qu'avec l'arrivée des ARV, la normalisation du sida a découplé la
perception du risque de la réalité épidémiologique. Alors que des tranches marginales de population
sont largement concernées par le VIH, encore et toujours, bien qu’il faille reconnaître des progrès
certains, il reste capital de les amener à évaluer, d’eux même, le risque à son juste niveau.
Si l'état français a pris du retard dans les années 80 pour produire les campagnes nationales, il va
tenir les rennes dés la première campagne (et tout particulièrement lors de celle-ci). Avant lui, la
presse et les associations ont commencé à diffuser de l'information et à soulever des débats.
Rapidement, l'état reconnaît l'expertise des associations et les intégrent aux organismes
responsables des campagnes. Quelle que soit la qualité du dialogue que les représentants de
l'administration publique et ceux des associations ont pu avoir, quelles que soient les concessions
que les uns ont fait aux autres, il ressort de ces structures des campagnes validées en dernière
instance par l'exécutif. Les associations y sont quasi-systématiquement perdantes.
Mais les problèmes de collaborations existent également entre les différentes instances
administratives qui cherchent à protéger leurs juridictions, ou à les étendre. Ces tensions ont
notamment concerné la direction des antennes déconcentrées de l'état. C'est pourquoi la clarification
administrative de la responsabilité respective de ces institutions a permis à l'état d'investir les
terrains de proximité et de gagner en autonomie par rapport au travail de prévention effectué par les
associations.
Ces tensions illustrent ainsi la nécessité de décrire les liens entre stratégies et dispositifs de
communication, de détricoter l'énoncé de son énonciation. Que l'on soit en accord ou non avec le
découpage diachronique instauré par A. Sitbon au sujet des différents modèles de dispositifs, il
n'empêche que l'approche théorique est intéressante pour sa vertu heuristique.
Le renversement effectué par la suite entre une communication publique qui viserait la santé, tout
en étant dépendante de facteurs externes, et une communication qui la refléterait permet alors de
trouver une alternative à des contraintes relèvant aussi bien du domaine de la santé (instauration
d'une démocratie participative), que de la communication (l'instauration d'un systéme de prévention
qui dépasse le modèle du marketing social). La mise à l'horizon d'une démocratie participative, soit
d'une santé publique de qualité, à partir d'un outil de communication tel que l'écriture de films, à
l'avantage de se baser sur un principe éducatif développé sur le long terme, en réajustement constant
avec la demande, plutôt que de mettre en place un procédé ponctuel et intrusif. Le premier établis
un plan d'attaque flexible, alors que le marketing social est une sorte de tire au but sans réitération, à
la toute fin d'un match. Lorsque le récepteur est en partie l'émetteur d'une information, il l'intégre et
se l'approprie plus aisément que ne le ferait un récepteur passif.
A l'image du fonctionnement de la santé publique, celui de la communication publique peut alors
s'établir sur deux entrées. Le "top-down", et le "bottom-up". Entre les courants ascendants de la
santé et de la communication, et leurs courants descendants, il est donc possible d'imaginer une
figure en forme de A, dont les barres verticales représenteraient la santé et la communication, et
dont la ligne médiane indiquerait le juste équilibre à établir entre autorité et autonomie.
- Partie II: SIDA, MIGRATIONS & COMMUNICATIONS
« Toute réalité sociale est enjeu de luttes qui sont d'abord des luttes pour nommer ».
Sandrine Musso
I. SIDA & MIGRATION
A1. Les mesures publiques entre reconnaissance et revendication
Comme l'exprime Sandrine Musso en justifiant son travail de thèse, il est nécessaire de « combler
une lacune dans l'histoire sociale contemporaine des luttes contre le sida en France » et singulier à
la France (8).
Cette lacune dans l'histoire de la lutte reflète surtout une lacune de la lutte. Une lacune désigne un
défaut dans un dispositif35, par analogie aux lacunes que peuvent présenter les continuités tels que
les corps ou les séries. Le substantif « manque » provient du latin mancus, qui signifie « privé d'un
membre », « mutilé », « estropié », « manchot », « défectueux », « incomplet », ou encore
« imparfait ». La lacune est quant à elle « solution de continuité », « rupture, interruption qui se
présente dans la continuité de quelque chose de concret ou d’abstrait ». Elle indique un point de
rupture, une séparation. Le terme « solution » correspond premièrement à la « résolution », à
« l'explication », mais sa seconde occurrence concerne la « dissolution », la désagrégation (une
substance est ainsi diluée dans une solution). Le verbe latin solvere, équivalent du substantif solutio
qui signifie « détacher, délier », a ainsi donné naissance aux extensions « résoudre» et « désagréger,
dissoudre ». Deux aspects se dégagent donc de la lacune: elle relève d'une part de la séparation, et
d'autre part de la défection.
Cependant, au regard d'une « présence/absence » de débat sur le sujet, à savoir l'importance de
l'épidémie de sida chez les « migrants » il conviendrait d'écrire lacune paradoxale de la lutte.
Didier Fassin écrit ainsi « Ni la science ni la politique n'ont semblé désireuses d'aborder
ouvertement cette dimension de la maladie », et de citer A. Desrosière “La mise en chiffre d'une
réalité est une manière de la construire et même, tout simplement, de la faire exister” (Fassin D.,
1999). Si l'ampleur de l'épidémie chez les migrants est décelable depuis les années 80, nous
souhaitons justement revenir sur le dévoilement de cette réalité, sur sa mise en forme à la fin des
années 1990. Le paradoxe de la lacune vient donc d'une reconnaissance officielle tardive, d'une non
mise en forme informationnelle d'un état de fait pourtant connu des experts en santé publique.
35 Les définitions suivantes sont basées sur l'encyclopédie Wikipédia.
A1.1) Une prévalence connue de longue date
Alors même qu'il faudra attendre 1999 pour voir paraître les premières données officielles sur
l'épidémie chez les « migrants », la science et la politique ont chacune, dès le début de l'épidémie,
tissé des liens entre le sida et l'immigration (Fassin, 1999). D'une part, les tentatives pour
comprendre la génése et la propagation de la maladie ont entraîné des hypothèses autour de la “piste
africaine”, relevant parfois plus de fantasmes et d'idéologies coloniales que d'une simple démarche
scientifique. D'autre part, ces approches de la maladie ont conduit à diverses formes de
stigmatisation et d'exclusion en lien plus ou moins direct avec la peur d'un “péril infectieux”, avec,
par exemple, des formes de sélection de candidats à l'immigration.... et ce par les ambassades des
pays d'immigration implantées dans les pays d'émigration36.
Par ailleurs la présence des « migrants » dans les textes institutionnels est réelle mais discrète.
Depuis 1983, on trouve des indications sur l'important taux de sida de certaines populations
migrantes, comme l'indique la directive DGS de prélèvements, qui recommande « une attitude de
grande prudence quant à la collecte du sang vis à vis de personnes originaires d'Haïti et d'Afrique
équatoriale. » (Gilloire in Musso, 2008, 170). Cette forte prévalence se traduit par la création d'une
nouvelle catégorie de groupes à risques dans le DOS sida de 1985, les « hétérosexuels partenaires
de sujets infectés ou à risque », ces partenaires étant originaires d'une « zone à transmission
hétérosexuelle prédominante » (171).
Le rapport du professeur Montagnier publié en 1993, souligne que les données épidémiologiques ne
sont pas suffisamment reliées à l'origine ethnique des patients et indique « Les personnes originaires
d’Afrique représentaient, en 1992, 75% des cas de sida à transmission hétérosexuelle. Une enquête
faite à Paris (1986-1988) montre une augmentation considérable de la proportion d’africains parmi
les toxicomanes de 1% à 5% » (223).
36 Plus récemment, la ligne AFP du 22 mars 2001 titrait « Les conseillers régionaux du mouvement xénophobeitalien de la Ligue du Nord de la région autonome du Trentin (nord) ont demandé que les immigrés souhaitants'installer dans cette province effectuent préalablement des tests HIV ».
http://www.aegis.com/NEWS/AFP/2001/AF0103B2_FR.html
D'un point de vue national cette fois, en 2003, The Time présentait un article qui exposait l'intention de laGrande Bretagne d'imposer un test VIH/tuberculose à tous les immigrants après une l'augmentation de 26% desnouveaux cas d'infection en 2002.
http://www.aegis.com/news/afp/2003/AF030232_FR.html
A1.2) La mise en chiffre de la réalité
Le problème reste de “traiter des immigrés ou des étrangers en tant que tels” (Fassin, 1999). Qu'il
s'agissent d'enquêtes spécifiques, ou de sources officielles et nationales, les régimes de production
des données évitent la question de l'émigration, ou bien focalisent deux origines géographiques
uniquement, l'Afrique subsaharienne et les Caraïbes, au lieu de chercher à créer un ensemble
“population étrangère/immigrée” ou “population française d'origine étrangère ou immigrées”
comprenant d'éventuelles catégories géographiques ou administratives.
Dans la DOS Sida, la classification n'est opérée qu'à l'intérieur de l'un des “groupes de
transmission”, le groupe « hétérosexuel partenaire de sujet infecté ou à risque» qui regroupe les «
sujets présentant un risque connu et ceux dont le seul facteur de risque est d’être originaire d’une
zone37 à transmission hétérosexuelle prédominante ». Alors qu'une transmission se caractérise par
des pratiques sexuelles à risques variables (muqueuses vaginales, annales, buccales...), les africains
et les caribéens deviennent des groupes à risque plutôt que d'être dilués dans les différents modes de
transmission. Ils se retrouvent de surcroît sur-déterminé, puisque les origines du patient et du
partenaire à l’origine probable de la contamination 38 sont répertoriées, ce qui double les données
référant aux zones géographiques). La prise en compte de l'origine dans le seul cas de la
transmission hétérosexuelle révéle que la zone géographique est un facteur de risque. Le DOS sida
ne s'intéresse donc pas aux facteurs qui définissent des risques pour les migrants, mais aux risques
que présentent les migrants.
Cette tension entre l'évitement39 et la surdétermination de la question migrante (cette dernière
caractérisant une approche scientifique biaisée et a priori de la détermination géographique du
facteur de transmission hétérosexuelle) va ainsi rendre l'émigration "indicible et impensée" (Fassin,
1999). L'indicibilité statistique relève d'un impensé sociologique et non social. Bien que les
immigrés africains apparaissent “partout en filigrane”, aucune enquête épidémiologique sur la
notion d'immigrés n'est initiée puisque des courants xénophobes présentent un risque de
stigmatisation.
«Crainte légitime, quand on sait que la période se caractérise par une hausse continue du front
national et d’un renforcement d’une rhétorique portant sur les « problèmes de l’immigration ».
C’est pourquoi Laurent de Villepin dans l’éditorial qu’il consacre au numéro spécial du « journal du
37 Les options étant: “Afrique”, “Caraïbes”, “Afrique du Nord, “Autre”.38 Sur la part laissée à l’appréciation du médecin déclarant dans le renseignement des fiches de DO, voir Gilloire,2000. », (Musso, 2008 : 171)39 Par ailleurs, d'autres auteurs souligneront la césure entre la collecte des données référant à la nationalité denaissance et leur rétention dans les publications (Musso, 2008, 171-173).
sida » sur « Monde arabe/migrants » en janvier 1997, souligne avec ironie le fait que « Ni vraiment
secrètes, ni vraiment publiques, les données épidémiologiques sur les immigrés maghrébins ont la
saveur des informations pseudo-confidentielles. Pour l’essentiel, les données disponibles sont
accessibles au RNSP et plus précisément auprès de Florence Lot. Celle-ci confie qu’elle répond ou
non aux demandes sur le sujet en se laissant guider par « son éthique personnelle », c’est-à-dire en
appréciant l’identité du demandeur et l’usage qu’il veut faire de ces chiffres » (De Villepin, 1997 :
4). » (Musso, 2008: 172)
Le premier article officiel qui prend en compte les “sujets de nationalité étrangère” comme une
classe à part entière est publié en 1999 par l'InVS40, et s'appuie d'ailleurs sur un document que l'on
peut obtenir sur appel téléphonique uniquement (BEH, 1999: 113).
Mais le point de bascule de l'article de Didier Fassin, ne se situe pas sur l'aspect scientifique des
statistiques qui portent sur l'immigration, dont nous n'avons donné qu'un résumé ici41, mais sur
l'aspect politique qui sous-tend la recherche sur l'immigration. Alors que dans l'aspect statistique, la
construction des données oscille contradictoirement entre la “spécificité d'une maladie
stigmatisante” et une “perspective anti-différentialiste globale”, la recherche est pétrie d'une
politique d'indifférence qui peut aller jusqu'à occulter la réalité42. Les études sur l'épidémie et les
“migrants” sont trop souvent perçues comme motivées par des raisons politiques face à un
“problème social” plutôt que comprise comme une “problématique sociologique” (20).
Nous identifierons par la suite le "problème social", qui fait référence au socio-politique, comme
une externalité du groupe "migrant".« Pour que les connaissances préventives soient entendues, pour que les personnes et les groupes
aient envie de les mettre en œuvre, l'accélération de la réduction individuelle et collective des
comportements à risque sera corrélée à la réduction des inégalités sociales persistantes. Si au niveau
individuel on peut constater et affirmer que la motivation personnelle conditionne en partie la
conduite à risque, celle-ci sera d'autant plus fréquente que les difficultés économiques, sociales ou
culturelles seront plus grandes. C'est bien le politique qui doit œuvrer pour réduire ces problèmes.
Donc, il ne sera possible de limiter ou de réduire l'extension ou de diminuer les pratiques à risque les
plus évidentes que si l'on travaille simultanément à une amélioration pour tous, des conditions
globales de vie » (Sitbon, 1993-5:134).
40 L'Institut de Veille Sanitaire (InVS), établissement public de l'Etat, placé sous la tutelle du ministère desSolidarités, de la Santé et de la Famille, a pour mission de surveiller l'état de santé de l'ensemble de lapopulation, et d'alerter les pouvoirs publics en cas de menace pour la santé publique.
41 Il souligne ainsi, par exemple, les confusions entre nationalité et origine alors même que les “données sontprésentées sur le premier indicateur en fonction de l'origine géographique, alors qu'elles le sont sur le second enfonction des groupes de transmission (21).
42 On voit ainsi, au travers de l'histoire de « Rose », comment des contraintes économiques, une passé religieux,et une identité à construire dans un nouveau pays vont amener un individu à s'implanter dans une communautéreligieuse (Bégot, 2004: 49-53).
A l'inverse, la "problématique sociologique" sera identifiée comme une internalité des groupes de
migrants. Le social sera étudié pour lui même, par l'interaction de ses membres, sans être relié a
priori à une dimension économique, bien qu'il soit nécessaire de garder à l'esprit, pour reprendre
Didier Fassin, que le socio-politique et le socio-culturel entre en conjonction.
L'a priori politique porté sur la recherche sociologique et ses problèmatiques produit de notables
confusions pour la qualité de la recherche, ce qui fait que “l'indicible est ainsi le produit d'un
impensé” (16). Naturellement, le “prix du silence” se solde. Ce défaut entraîne “un double déficit de
connaissance et d'intervention d'une part, d'excès d'interprétation et de délégation, d'autre part” (21).
Nous reviendrons sur ce dernier point dans la section consacrée à la culture.
Ainsi, les variables d'origine et de nationalité sont mises en avant dans leur co-variance avec la
transmission, au détriment de toutes autres dimensions de la maladie, impensées, tels que le recours
au soin, le délai de dépistage, l'accès aux médicaments ou encore les dimensions sociales
spécifiques ou non à ces groupes (situations socioéconomiques, discriminations, cultures).
A1.3) La mise en place d'action de prévention ciblée et/ou spécifique
Dans les années 90, le discours public sur le sida se décline sur le thème du « Tous égaux face au
sida » afin de sensibiliser tout un chacun, de susciter la solidarité avec les malades et d'éviter les
stigmatisations. A cette communication « universaliste », qui dénie « l'inégalité réelle des individus
ou des groupes devant l'infection », le « modèle français de prévention » va s'adjoindre de «
stratégies de proximité qui vont privilégier des « relais communautaires » pour diffuser
l’information en direction des groupes les plus exposés au virus. C’est le rôle qui est dévolu aux «
actions de proximité » mise en place par la première agence en charge de la prévention : l’AFLS »
(Musso, 2008: 216). En 1990, l'agence lance dans le milieu associatif des appels à projet à l'égard
de différentes cibles (« homosexuels », « toxicomanes », « prostituées », « milieu du travail », «
jeunes », « population générale »), parmi lesquelles figurent les « migrants », distingués des «
milieux défavorisés ».
« Ces projets financés sous le label « Migrants » s’adressent aux : « primo-arrivants, aux
communautés noires et maghrébines, aux réfugiés politiques » (1991 : 21). Ainsi, les « migrants »
désignent ici les personnes ayant effectué la migration, et non leurs descendants, [....]. En ce qui
concerne les campagnes et les messages de prévention, ces jeunes peuvent être assimilés au public
français. » (1991 : 22).
Les raisons d’agir en direction de ces populations énoncées ont trait à des dimensions liées à la
migration (difficultés linguistiques, manque de connaissance du système sanitaire français,
provenance pour certains de zone d’endémie, obstacles administratifs à l’accès aux soins), à certains
contextes sociaux (foyers et recours à la prostitution, usage de drogue), et culturels (représentations
de la maladie et du sida, tabou et peur de la stigmatisation). » (218)
La stratégie employée par l'agence dans les années suivantes sera d'élaborer une « approche
communautaire »43 qui s'inscrit dans le « « modèle français » laïc et républicain » (221). C'est à dire
que l'Etat, qui nie tout « comportements particuliers ou spécifiques » dans la sphère publique,
organise la reconnaissance dans la sphère privée, en passant par des relais d'autorité.
On trouve ainsi sous la plume d'un psycho-sociologue:
« Assez réfractaires aux informations provenant de l' « extérieur », ces populations immigrées
doivent donc diffuser elle-même les messages de prévention, par l'intermédiaire de leurs « leaders »
naturels (imams, sages, marabouts...). » (Deutsch, 1992: 26).
« En somme, alors que celle-ci est prohibée dans l’espace public, la dimension communautaire
paraît surdéterminer la perception de la sphère privée » (Musso, 2008: 223).
« Ainsi, bien que la catégorie des « migrants » émerge comme cible d’actions de proximité au sein
d’appels d’offres dés la mise en place de l’AFLS en 1989, il faut attendre « les orientations
stratégiques de 1997 » pour que cet axe apparaisse aux côtés des « usagers de drogues, prostituées,
(migrants) et personnes en situation de précarité » (Rollet, 2003 : 213). C’est en 2004 qu’émerge,
pour la première fois un programme national « étrangers/migrants » de lutte contre le sida, une
première dans l’histoire de la santé publique française. » (14)
Alors qu'en 1992, "le directeur de l'agence rappelle que l'AFLS "a déjà produit des spots TV sur le
préservatif avec des beurs, des Africains, dans le cadre des campagnes nationales", ce type de films
constitue plutôt l'exception que la règle." (Sitbon, 2006: 293).
Si la première communication publique audio-visuelle avec des migrants apparaît lors de la
campagne de décembre 1992, le programme d'action 2000-2002 "confirme le souhait de diffuser
largement des communications mettant en situation des migrants". Ceci fait écho à l'année 1996,
43 « Elle concerne aussi [outre la formation de relais] la forme à donner aux messages qui doivent tenir comptedes éléments suivants : difficultés de compréhension de la langue française, hétérogénéité et faiblesse desniveaux de connaissance, représentations culturelles liées au corps, à la maladie et au sida, tabou qui entourel’évocation du virus, risque de stigmatisation qui peut conduire au refus « en bloc tout message de prévention carcertaines communautés se sentent désignées comme responsables et même boucs émissaires de la maladie. » Lespriorités dans les années à venir sont groupées en 5 axes :« privilégier la formation de relais", "intensifierl'information pour la rendre accessible à tous et partout", "diffuser du matériel adapté aux différentes ethnies","établir des ponts entre la communauté d'origine et la communauté immigrée pour potentialiser les effets desmessages de prévention, "faciliter l'accès au préservatif" ». (Musso, 2008, 219).
lors de laquelle le CFES exprima la "nécessité de spécifier des campagnes en direction des migrants
et de bien les distinguer des actions de proximité", déclaration qui contrecarrera elle-même à la
proposition, l'année précédente, d'abandonner le dossier et plus globalement, "les groupes qui
peuvent être visés par d'autres formes d'intervention" (Sitbon, 2006: 295). On voit donc combien la
mise en place de la communication à destination de populations migrantes s'est mise en place de
façon sinueuse.
Deux points sont à souligner à l'issue de ces quelques paragraphes.
Premièrement, si les conditions d'existence et de sociabilité particulière aux migrants semblent être
prises en compte, la prévention du sida fait tout de même les « frais de la difficile question du
traitement social et politique de l’immigration en France », le « bilan tiré [rapport Montagnier de
1994] de ce qui est présenté comme un échec relatif des appels d’offres est assez massivement
ramené au « poids des obstacles culturels et linguistiques » (Musso, 2008: 224). Le rapport évoque
par ailleurs « la prudence des institutions compétentes devant la nécessité de s’engager» dans la
prévention envers les migrants.
Le rapport Montagnier n'est en fait que le résultat d'une longue traîne. Dans l'exergue d'un article
rédigé par le directeur de l'AFLS, Patrick Matet, les difficultés essentielles de communication sont
identifiés aux « spécificités culturelles et religieuses, ainsi [qu'aux] problèmes d'intégration »
(Matet, 1992: 23). Mais dans le corps de l'article, le poids du propos est porté sur la nécessité de
faire appel aux relais associatifs, qui constituent un « préalable » pour contrer « les obstacles
culturels ». Les associations sont ainsi invitée à créer elle même des outils pédagogiques adaptés
afin « d'obtenir un maximum de performance des actions ». L'article conclut sur la nécessité d'aider
les associations à surmonter les difficultés rencontrées lors de la constitution des dossiers de
demande de subvention et sur la mise en oeuvre des projets sans expliciter aucunement la nature de
ces difficultés.
La dimension socio-culturelle tient ainsi un rôle prépondérant dans les analyse du binôme sida-
migration, au détriment de la seconde option (socio- politique). Il existe une séparation régulière,
dans l'analyse des obstacles, entre « migrants » et « milieux défavorisés » alors qu'il faut noter, avec
Didier Fassin, que les éléments socio-culturels entre en conjonction avec les éléments socio-
politiques, et non en juxtaposition.
Secondairement,« Il y a deux sortes de programmes de prévention du sida: ceux émanant des gouvernements et ceux
des ONG. A mon sens, si un programme gouvernemental commence par une prévention ciblée, les
risques d'échec sont majeurs. Le réflexe des gens sera de dire: « Pourquoi nous les Africains,
pourquoi pas les Français? Occupez vous de vos propres concitoyens! La tendance au déni existe
dans chaque communauté. » (Hour-Knipe, 1996-7: 8)
Si l'argument du danger de la discrimination se retrouve dans de nombreux textes pour justifier
l'absence de prévention en direction des migrants dans les communications publiques, il faut se
questionner sur la raison pour laquelle l'argument symétrique (avec pour ligne médiane
l'intégration), à savoir que cette médiation aurait suscité un rejet de la part des personnes
concernées, n'est que rarement formulé. Si la tendance au déni existe certainement dans chaque
communauté, elle est très certainement exacerbée certaines fois par un rejet du rejet. C'est à dire par
le rejet d'une prise en considération de surface, sporadique, et perçue comme une exclusion, un
rejet, à la lumière du vécu et de l'histoire sociale.
A1.4) La dernière décennie, enjeux des chiffres et définition du terme « migrant »
C'est en 1999 que les chiffres concernant les « migrants » vont apparaître dans les publications
officielles françaises, comme dans le BEH ou le rapport de l'Institut National de Veille Sanitaire
intitulé « « Le sida dans la population étrangère résidant en France ». Les institutions
internationales et européennes usent assez précocement de la catégorie « migrant » (Musso, 2004:
7). L'Europe va par ailleurs établir des directives communautaires afin d'harmoniser les systèmes
statistiques et de lutter contre les discriminations. La France sera plus longue à officialiser la notion
de « minorité nationale » , au travers de la catégorie « d'immigré » notamment, puisque son modèle
républicain, nous l'avons vu, subsume tout particularisme sous le principe d 'égalité, ne
reconnaissant que des citoyens « abstraits, sans distinction de genre, de race, de classe ou de
religion ».
Ce n'est qu'au cours de la décennie 90, et sous la pression de la communauté européenne, qui
enjoint « les Etats membres à mettre en place des politiques publiques qui supposent d’adopter des
conventions de « comptage » de « discrédités et discréditables » (Musso, 2008, 201) qu'une
« controverse des démographes » s'installe autour «de l’introduction des catégories d’origines dans
l’appareil statistique national et de la reconnaissance officielle de l’existence dans la société
française de discriminations, contre lesquelles des politiques publiques émergentes vont avoir pour
objet de lutter » (Musso, 2003: 8).
« Pour les uns, une connaissance précise et quantifiée des situations sociales des immigrés est
nécessaire à la lutte contre les discriminations et nécessitent un appareil statistique apte à décrire les
situations (Patrick Simon). Pour les autres, il paraît plus pertinent de travailler sur les logiques et les
processus qui produisent les inégalités et les groupes victimes « notamment parce que ces derniers
peuvent changer alors même que les procédés de mise en minorité sont transposables d’un groupe à
l’autre et d’une société à une autre » (François Vourc’h, Véronique De Rudder). » (France LERT,
Véronique DORÉ, 2002: X)
Nous n'aborderons pas cette controverse44, trop complexe pour être développée ici dans ses tenants
et ses aboutissants. Cependant, il nous faut résumer la manière par laquelle la question de l'origine
va être traitée dans le cas de l'épidémie du sida en France, puisque la mise en chiffres interroge le
visible, par conséquent l'énonçable et son lien à la prévention.
« Avec la notion de « groupes à risques » et les usages sociaux qui en ont été faits, l’histoire sociale du
sida a donné a montrer à de multiples reprises combien les noms et catégories peuvent devenir
stigmates, et combien ces mêmes termes peuvent être repris par les stigmatisés comme supports
d’une politique d’identité. » (Musso, 2008: 162).
En 2003, l’instauration de la déclaration obligatoire de séropositivité (DOS VIH) est instauré en
France avec un retard dû à des difficultés de mise en place et blâmée par de nombreuses
associations. Un an auparavant, la Commission Nationale de l'Information et des Liberté (CNIL)
rend un avis (consultatif) négatif quant à l'insertion dans les DOS VIH/sida de la variable
« nationalité à la naissance » (origine), puisqu'elle considère que les variables « nationalité
actuelle » et « pays de naissance » sont suffisantes45 (174). Tout comme le DOS sida, le formulaire
comporte une rubrique sur le partenaire à l’origine probable de la contamination (qui peut être
dorénavant hétérosexuel, homosexuel, ou bisexuel) et sur, non plus l'origine, mais la catégorie « vit
ou ayant vécu dans une communauté46 ».
Cette limitation au mode de transmission et à la zone géographique limite, nous l'avons vu, la
« perspective d'étudier l'impact de la migration sur l'inégalité d'exposition au virus, et d'accès au
dépistage et au traitement ». Par ailleurs, « aucune question n’est posée concernant la date d’entrée
en France, alors que cette information est recueillie depuis 2003 dans la fiche de déclaration
obligatoire de la tuberculose » (175). Précisons, si besoin est...., qu'un migrant séropositif vivant en
France n'est pas forcément un migrant arrivé séropositif.47
44 Pour son exposition, voir Musso, 2008, 201-206.45 Pour être exact, il faudrait replacer cette information dans le cadre de la « controverse des démographes ».Pour la même raison, il faut préciser que le comité de pilotage « missionné pour travailler à la constitution de ceformulaire [DOS VIH], était composé de membres de l’INVS, épidémiologistes, et d’associations de lutte contrele sida », (Musso, 2008: 175).46 Les sous-catégories sont identiques à celles du DOS sida évoqué précédemment (Afrique sub-saharienne,Caraïbes, Autres), sauf que l’ « Afrique du Nord » disparaît au profit de l' « Asie du sud-Est », « ce qui laissesupposer, [...], que les raisons de cette évolution ont à voir avec l’évolution mondiale de la pandémie. » (Musso,2008: 174).47 A la lumière de ces deux derniers points, il n'est peut-être pas gratuit de poser l'hypothèse de l' a priori ducomité de pilotage quant à la question du lien entre immigration et séropositivité. D'un côté, il corrige un lienabusif et implicite entre zone géographique et état sanitaire de la population originaire (il modifie la catégorie« origine » pour « vit ou ayant vécu dans une communauté ») alors qu'il le réinsère de l'autre en évitant de poserune question qui pourrait l'amener à se détromper.
En 2006, alors que la CNIL reviendra sur l'avis émis en 2002 et autorise48 l'entrée de la nationalité
de naissance dans le formulaire de DOS sida (170), la variable sur le pays de naissance n'est plus
renseignée. Cette variable constitue un biais de considération, comme l'indique l'Institut National de
Veille sur la Santé (INVS):
« Ainsi, nationalité et pays de naissance sont assez superposables, en dehors de l’Afrique du Nord où
l’analyse par nationalité sous estime la population originaire du Maghreb. A l’inverse, une analyse
par pays de naissance pourrait aussi sur-estimer la population originaire d’une zone géographique,
sachant que les personnes françaises peuvent être nées à l’étranger. » (INVS, 2007, in Musso, 2008:
176).
Information qui s'avère non négligeable dans des pays au passé d'empire colonial.C’est donc depuis l’année 2007 seulement que les autorités en charge de la surveillance du sida
disposent d’outils de recueil susceptibles de permettre la construction statistique d’une variable
ayant trait à l’immigration, au-delà de la nationalité étrangère. Ce qui montre de manière assez
exemplaire combien, alors même que l’usage de la catégorie « immigré » est admis depuis le début
des années 1990, des résistances fortes sont à l’œuvre dés lors qu’il s’agit, sur une question précise, de
la construire. (176)
Ces chiffres officiels deviennent alors sujet à négociation, en premier lieu pour les migrants mais
particulièrement pour leurs descendants, qui adoptent un « essentialisme stratégique » afin de sortir
de l'invisibilité en exprimant « l'étiologie politique»49 du sida (Musso, 2008, 173-83).
Ainsi, les descendants changent les catégories statistiques pour s'inclure comme des migrants, à la
vue de leurs conditions sociales et sociologiques, et recompte les victimes du sida, immigrés ou
d'ascendance immigrée, dans le but de prouver leur sur-représentation dans la mortalité. « La
mobilisation autour du chiffre vise effectivement au dévoilement d'un ordre discriminatoire
géopolitique et social que révèle la diffusion sélective du virus » (182). Cette mobilisation, qui unie
autour du label « migrant » va même jusqu'à revendiquer un statut distinct des homosexuels pour
les migrants homosexuels (181).
De plus, l'ensemble de ces données officielles reposent sur les DOS VIH/sida et sur quelques
enquêtes, alors que des facteurs limitent la collecte de données (défection dans l'accès au dépistage,
problème de la langue pour répondre aux questionnaires (198), peur du recours aux institutions du
fait de l’irrégularité (197), ....) la liste dressée ici n'étant bien sûr pas exhaustive.
48 L 'application prend lieue en 2007.49 Il est d'ailleurs significatif qu'en 1989, la prévention de la transmission verticale (mère/enfant) soit avancéecomme moyen de sensibiliser les populations migrantes et les milieux populaires (Sitbon, 2006: 287).L'amalgame entre ces deux derniers groupes est à noter, car plutôt rarement effectué.
A1.5) La dernière décennie officielle : 1998-2008
Au niveau européen, les personnes désignées selon les contextes comme « étrangères », « migrantes
» ou issues de « minorités », présentent une hausse des nouveaux cas de VIH diagnostiqué en 2003,
et sembleraient traduire « principalement la dynamique de l'épidémie dans les pays d'origine et
l'augmentation des flux migratoires en provenance d'Afrique » (Musso, 2008, 189).
Sur le lien migration-prévalence, là encore, les indications seraient à discuter en profondeur. En
France, la population étrangère représentait 14 % des cas sida en 1998, puis 18% en 2003, alors
même que les recensements estiment que les étrangers représentent la même part de la population
vivant en France depuis 1978, soit 6 à 7% (178, 193). « [...] l'analyse des données du Ministère de l'Intérieur [1999] a montré que l'augmentation récente
du nombre de cas de sida diagnostiqués en France chez les personnes d'Afrique subsaharienne
suivait l'accroissement du flux migratoire en provenance de cette région du monde. Mais les résultats
de l'étude sont aussi en faveur du poids joué dans l'épidémie actuelle par les contaminations chez des
personnes vivant en France depuis de nombreuses années dépistées tardivement pour le VIH. (197)
[...] En outre, « près d’un quart des africains sont infectés avec des sous-types présents en Europe de
l’ouest et quasi inexistants en Afrique » (INVS, 2008 : 108). Ce qui implique que les contaminations
aient eu lieu dans la société dite d’accueil, et non dans les sociétés d’origine et vient donner un
argument supplémentaire à la stratégie de prévention ciblée. » (198).
Il faut avoir conscience que les personnes séropositives peuvent aussi avoir été contaminée « dans
le cadre du parcours du combattant que peut signifier l’exil » (198) et que, par ailleurs, il n'y a pas
forcément de lien de causalité entre la séropositivité des personnes et leur présence en France
(Transcriptases, 2004).
Alors que le nombre de cas de sida déclaré tend à baisser dans la population française, il augmente
au contraire de manière continue dans la population étrangère vivant en France jusqu'en 2002 (avec
d'importante disparités en fonction des « zones géographiques »), puis diminue entre 2002 et 2005
(198). Depuis 2005, ceci se traduit par une réduction de l'écart du nombre de cas de sida entre les
populations françaises et les étrangers vivant en France50, « ce qui est très probablement à mettre en
lien avec la généralisation de l’accès à l’assurance maladie pour les personnes précaires à partir de
l’instauration de la CMU et la réforme de l’Aide Médicale d’Etat en 1999 » (193).
Cette réduction vient à contre coup puisque l'arrivée des trithérapies en 1996 n'avait pas entraîné de
diminution des nouveaux cas de sida dans la population étrangère, contrairement à son effet chez
les patients de nationalité française.
Si l'accès au dépistage VIH reste inéquitable, l'accès au traitement une fois la séropositivité connue
semble dorénavant équivalente
50 Pour un diagramme: http://www.lecrips.net/webpaca/Publications/migrantsetvih/Images/diapositive2.gif
A2. Vulnérabilités spécifiques
Le terme « migrants » désigne, sans précision aucune de statut administratif ou ethnique, un vaste
public sur-représenté au sein des populations précaires (Musso S., 2003). Ce mot valise,
« migrant », longtemps inusité par crainte de stigmatiser des individus, est utilisé par la suite pour
lisser toute inégalité nationale face à l'épidémie, afin d'éviter des phénomènes de stigmatisation à
l'encontre de populations migrantes particulières. Le paradoxe de la politique anti-discriminatoire
« à la française » est pourtant d'enfermer les individus « dans une identité de personnes
stigmatisées, leur propension à être discriminées devenant en quelque sorte l'attribut qui les définit
comme groupe social ». Avant de lister quelques points de spécificité, rappelons que certaines
difficultés liées à la prévention du sida sont très généralistes, comme celles que nous avons citées
plus haut (voir I. 2.A2).
A2.1) Réalité sociale
Il est clair que certaines trajectoires de migrations internationales (voir nationales) favorisent les
risques de contaminations, le manque de connaissance du statut sérologique, ou bien l'absence de
mesures thérapeutiques (Musso, 2008, 23-30). Ceci au cours du voyage ou tout au long du séjour en
pays étranger. Cette caractéristique a ainsi fait de certaines « populations » (au sens large de
« catégorisation » et non au sens réduit de « nationalité » ou de catégories discrètes) migrantes des «
cibles » importantes en prévention. mais difficilement identifiables, ou plutôt faiblement identifiées,
dans un premier temps, par les chercheurs en sciences sociales et les campagnes de prévention, et ce
spécialement en France.
Dans le pays d'accueil, les facteurs de vulnérabilités sont ainsi multiples (CRIPS, 2005; CFES,
2002). La précarité des conditions de logement, la solitude entraînée par une perte des repères,
l'exclusion éventuelle, en cas de contamination, des cercles de connaissances, l'irrégularité
administrative, l'opacité du système administratif ou sanitaire, et enfin les difficultés linguistiques,
sont autant de facteurs qui exposent les migrants.
Il faut savoir que les populations étrangères contaminées par le VIH sont davantage touchées par le
chômage : 35 % sont sans emploi contre 20 % pour les sujets de nationalité française et ce taux
atteint 42 % pour les personnes de l’Afrique subsaharienne (Savignoni et al., 1999). En ce sens, on
peut reprendre les propos de Herzlich et Adams : « Il faut admettre que le sida porte la marque des
inégalités sociales, des hiérarchies et des dominations les plus traditionnelles. (...) Malgré ce qu’on a dit
de son “exceptionnalité”, le sida n’est jamais hors des rapports sociaux habituels » (Herzlich et Adams,
1997 : 26). (Bégot, 2004: 50).
L'accès à « l'information et à la prévention » fait défaut aux migrants, qui méconnaissent les modes
de contaminations, l'expression pathologique de la maladie (la période asymptomatique qui
dissimule une maladie létale), et qui n'ont que peu d'accès aux organismes et structures de
prévention, par ignorance ou par l'absence de ces derniers (ou des programmes de prévention)
« dans les lieux qu'ils fréquentent traditionnellement ». Ainsi de nombreux aspects du dépistage
restent mal connus (les personnes de nationalité étrangère découvrent leur séropositivité plus
tardivement que les français), tels que le délai de réalisation du test de dépistage après une prise de
risque, l'existence de traitements prophylactiques, le délai d'attente des résultats, et l'existence de
centres de dépistage, de leur gratuité, et de leur anonymat. L'illettrisme ou le manque
d'identification aux campagnes de prévention les isolent d'autant plus (CRIPS, 2005).
De manière générale, c'est l'accès au système de santé qui fait défaut (Musso, 2008, Partie III).
A2.2) Culturalisme
Les enquêtes sur les connaissances, attitudes, croyances et comportements des populations, sont
absolument nécessaires pour améliorer la prévention. Nous l'avons vu par exemple au travers des
enquêtes KABP et ACFS sur la population française. Dans la lignée de ce que nous avons rapporté
précédemment au sujet de la mise en visibilité du problème de santé chez les migrants, les études
qui se sont penchées sur la spécificité de ces populations sont tardives.
Malgré la mise en évidence de la proportion grandissante des personnes de nationalité d'un pays
d'Afrique subsaharienne dans l'épidémie de VIH et leur désignation comme "populations
prioritaires" dans le programme national de lutte contre le VIH/sida 2001-2004, puis 2005-2008, ces
dernières sont restées absentes des programmes de recherche sur le sida. Peu de données précises et
actualisées dans des domaines importants pour la définition des stratégies de prévention sont donc
disponibles. C'est pourquoi, en 2005, l'INPES a lancé une enquête [...]" (Lydié, 2008: 8).
Cette enquête s'est prolongée par une recherche ayant abouti à la rédaction d'un ouvrage (au titre
similaire), paru en 2007.
"On peut prendre pour exemple la pratique du lévirat dans certaines communautés. Cette pratique,
qui conduit une femme à épouser le frère de son conjoint à la mort de celui-ci, est présentée comme "
l'archétype de la survivance culturelle propre à faciliter la diffusion du VIH " (VIDAL L.) Ainsi, on
considère qu'une femme, dont l'époux est mort du sida, risque fortement de contaminer son nouveau
partenaire."(CRIPS, 2005).
De manière plus générale, la place socio-culturelle de la femme contribue à la féminisation de
l'épidémie (CRIPS, 2005). "Ainsi une femme qui saurait que son conjoint a des rapports sexuels
avec d'autres partenaires serait quasiment dans l'impossibilité de lui demander de se protéger ou de
se faire dépister". Bien évidement, d'autres populations ont fait, ou devraient faire, l'objet de
démarche similaire (populations d'Europe de l'Est, d'Asie, gens du voyage, ....). On retrouve ainsi
certains poncifs culturels qui favorisent la diffusion du VIH, ou bien la contiennent. La religion,
qu'elle soit chrétienne, juive, musulmane, etc... est également un facteur culturel qui peut provoquer
une résistance, un déni ou un rejet du discours préventif.
Or, si la catégorie « migrant » définit implicitement des individus confrontés à des inégalités
sociales et à des discriminations, il ne faut pas pour autant considérer ces derniers comme liés à une
fatalité qui les rendrait « vulnérable », mais prendre en compte la complexité des enjeux qui lient
les migrants aux questions sanitaires, et « la diversité des réponses sociales à la maladie dans les
réseaux sociaux issus de l'immigration », comme le montre le paysage des acteurs associatifs
(Musso, 2003; CRIPS, 2005).
A3. Réification culturelle, Définition de la culture,
Une alternative aux facteurs spécifiques.
« Qu'est ce donc un Noir ? Et d'abord, c'est de quelle couleur ? »
Jean Genet, « Les Nègres ».
A3.1) Ambiguïté de la notion de culture
a) La culture de l'autre
Enfermer des individus dans une seule communauté d'appartenance limite la perspective de leur
capacité à changer, alors que leur héritage est multiple, et que ces individus recompose en
permanence leur identité. Il existe pourtant le mythe d'un patrimoine qui serait intangible, alors
qu'elle correspond plus à des ressources plurielles qui ne forment pas un système monolithique et
inconditionnel.
L'observation de situations réelles montre toutefois qu'il n'y a pas nécessairement de contradiction
entre culture et changement, dans la mesure où toutes les sociétés et toutes les cultures évoluent avec
le temps:
- premièrement, en raison de leurs aspects dynamiques intrinsèques;
- deuxièmement parce qu'elles interagissent avec toutes sortes de transformations d'ordre
économique, social et culturel.
(UNESCO, 2005: 9)
Ainsi, le tabou familial est souvent avancé comme inhibition totale de la parole domestique, faisant
du « non dit » le substrat même de propagation de l'épidémie au travers de l'immobilisme du cercle
privé. Il en va de même de la stigmatisation. Or c'est l'inverse que l'association les Amis de l'espoir
a créé (Musso & Hanoun, 1996-1997: 13). Face à un tabou familial et à l'impensable
communication au sein du foyer, l'association, menée par la mère d'un usager de drogue et
séropositif, a réussi dans un premier temps à fédérer les mères à l'extérieur de leur foyer. Constatant
que leur propre mère s'impliquait, ou tout au moins se renseignait sur le problème du sida (de la
toxicomanie intraveineuse en l'occurrence), les enfants ont progressivement investi l'association,
évitant leur mère dans un premier temps, pour les rencontrer pleinement par la suite.
La culture n'est pas un "tout", puisqu' elle n'est pas un "ensemble homogène", "englobant", ou "figé"
(Vidal, 2004: 30).
Une lecture erronée de la portée culturelle opère une "véritable violence à l'encontre des immigrés"
(Fassin, 2005: 81).
"Tout d'abord, le culturalisme leur ôte la prérogative de l'universel: dans bien des cas, les spécificités
présumées relèvent en fait, pour peu qu'on cherche à les comprendre, parfois tout simplement par le
dialogue, de rationalité dans lesquelles il est facile de se reconnaître soi même; nombre de
comportements posés a priori comme étranges deviennent alors tellement familiers qu'on se prend à
penser qu'à la place de l'autre, on agirait sans doute comme lui".
Dans le sens inverse, et nous l'avons évoqué dans la partie sur la communication (voir I.2.A2), il
existe des universaux en terme de frein à la prévention. Ainsi pour Laurent Vidal, la sur-
interprétation des données en termes culturels aboutit à la conclusion erronée du "Tout est culture".
Les blocages à l'utilisation des préservatifs, par exemple, questionnent peut-être plus la
"hiérarchisation des risques" (donc la connaissance et le traitement socio-économique de ces
risques), que la culture en elle même (Vidal, 2004: 30).
Enfin, le culturalisme exonère celui qui y a recours de toute analyse de sa propre implication, ou de
celle de son institution, dans la production de la différence: on conçoit qu'il soit souvent plus aisé
d'admettre que les problèmes rencontrés résultent d'une difficulté d'adaptation de l'autre, mais c'est
alors souvent au prix d'un redoublement de la stigmatisation, quand bien même l'explication
culturelle se veut une excuse généreuse, et d'un évitement de toute mise en cause des institutions,
médicales, sociales ou judiciaires, qui produisent ces discours. Cette triple violence [la seconde
évoquée par l'auteur portait sur les conditions socio-économiques] est évidement refusée le plus
souvent par les immigrés eux-même." (Fassin , 2005: 81)
Les problèmes de traduction composent ainsi un obstacle à la prévention, ou encore, et plus
simplement, la question du ciblage en prévention, sans lequel une population ne se sent pas
forcément concernée. C'est pourquoi, des traducteurs sont présents dans certains hôpitaux. Le
recours au médiateur rapproche les professionnels des patients dans un processus de construction
triangulaire, et aide chacune des parties à lever les incompréhensions de l'autre en mettant en place
une "attitude d'acceptation de l'Autre différent" (Bouchaud, 2007). Certains personnels du milieu
hospitalier suivent des formations sur les représentations et les attitudes de populations spécifiques
afin d'être à même de communiquer avec ses membres.
b) Apprendre à déchiffrer (son propre regard)
Comme le montre Sandrine Musso dans sa thèse, la « dénomination » exprime ce qui sous-tend le
processus de catégorisation (Musso, 2008). Dans un de ses articles, elle indique ainsi que les termes
« immigrés » ou « étrangers », trop connotés péjorativement, sont remplacé par un terme plus
neutre mais non moins péjoratif, « migrant », qui désigne "ceux qui sont originaires de l'autre côté".
Un médecin tunisien relève ainsi
« J'aurais aimé qu'on parle de résidents étrangers. Chez moi en Tunisie les français qui sont installés
on ne dit pas que c'est des immigrés, on dit que c'est des résidents étrangers." (Musso, 2003).
Assurément, "migrant" fait implicitement allusion « à l'autre côté », mais plus encore, à un ailleurs
culturel. Car les australiens, s'ils vivent aux antipodes, sont considérés du même bord, alors que la
proximité culturelle avec un français resterait pour autant à démontrer.
Dans la continuité, le concept de « communauté » contribue à produire le mythe d'une identité une
et unique des individus auxquelles il s'attribue, et reflète le concept de « relais » utilisé en santé
publique en réponse à une situation structurelle qui créée une ligne de partage entre « eux » et
« nous » (Musso, Hanoun, 1996-7: 15).
« La catégorie « fourre-tout » d'intermédiaires culturels recoupe tout à la fois les enjeux et les
acteurs des champs associatif, économique, politique et artistique. Elle désigne l'ensemble des
acteurs, institutionnels ou non, [...]. » (16)
Les enquêtes institutionnelles réalisent des confusions dans l'énonciation de l'altérité supposée
(quelle soit biographique: immigré; juridique: étranger51; géographique: Maghrébin; et l'adjonction
éventuelle du substantif « d'origine » devant chacun de ces termes). Le langage commun révèle la
dimension raciale de l'exclusion.« Le langage ne ment pas, il dit le vrai » (Fassin, 2006: 21-28). Au
dire des ethnométhodologues, c'est dans le code que l'on retrouve l'enracinement de la construction
de la réalité.
Pour certaines personnes de la communauté asiatique par exemple, les illustrations des pratiques à
risque, ou certains termes, sont « violents » car trop explicites, alors que les normes langagières
adoptées par ces personnes tendent au contraire à rendre objectif l'implicite52, au travers d'un code
51 La nationalité est un critère évolutif qui définit la notion d'étranger. On peut ainsi être naturalisé au cours de savie et passer du statut d'étranger à celui de citoyen. En revanche, la caractéristique invariable que représente lelieu de naissance définit la notion d'immigrés. Ainsi tout étranger est nécessairement un immigré, mais toutimmigré n'est pas forcément un étranger.52 Nous nous référons ici à des notions de l'ethnométhodologie: « Avec une fréquence et une insistanceuniverselles, les membres emploient des formules destinées à remédier au caractère indexical de leursexpressions et, concrètement, cherchent à substituer aux expressions indexicales des expressions objectives ».
langagier qui devient "naturel". Que pourraient signifier ces confusions sur ce qu'est l'altérité, si ce
n'est une méconnaissance des termes et au delà de cette méconnaissance, une négligence.
Enfin, de manière plus constructive pour ce qui nous intéresse, le langage « énonce aussi ce qui
résiste à la catégorisation et à la désignation – la complexité et l'ambiguïté du rapport à soi et aux
autres. » (id.). Il reflète cette difficulté de dire ce qu'est l'altérité, et donc, l'aporie de la question
raciale, au delà de la simple altérité supposé. « Notre incapacité à nommer implique une obligation
de penser » (25).
Citant Albert Memmi, qui tentait de délier l'idée de race [au sens biologique et phénotypique du
terme] et celle de racisme au travers de la caractérisation du racisme comme « la valorisation,
généralisée et définitive, de différences, réelles ou imaginaires, au profit de l'accusateur et au
détriment de sa victime, afin de justifier une agression » (30), Didier Fassin propose d'élargir cette
définition. Partant de la supposition qu'il puisse exister une « pensée raciale [biologie] sans
racisme » et « un racisme sans support racial », il écrit :
« on pourra parler de racisme lorsqu'on a affaire à un rapport à l'égard d'autres dont la différence
est à la fois réifiée et radicalisée: réifiée signifiant qu'il existe des traits définis comme une essence de
l'altérité; radicalisée supposant une surdétermination de ces traits par rapport à toute autre forme
possible de caractérisation. » (32).
Ce qui nous intéresse ici porte sur le système d'exclusion que met en place un racisme ainsi défini,
car l'individu est à la fois réifié par le biais de sa culture et nié dans sa capacité à la transformer.
« Le culturalisme - entendu comme essentialisation de la culture et surdétermination par le culturel -
qui a prévalu en matière de compréhension et d’action, procède d’une conception de l’altérité qui a
un coût moral et politique. » (Fassin, 2002: 5).
Le défi reste alors de « s'intéresser à la culture en évitant l'écueil culturaliste », ce qui impose
d'appréhender le vécu de l'autre à partir d'un travail d'historicisation (du passé colonial et post-
colonial) et d'une inscription dans le socio-politique. Partant de l'analyse de Didier Fassin qui
conclut que le sida a introduit des évolutions significatives « tant du côté de l'étude des pratiques
médicales que du côté de l'analyse des politiques publiques », on peux alors employer la culture
comme un outil de réflexivité et faire enfin de son concept un usage symétrique. « Penser l'altérité »
reviendrait alors à se penser soi-même.
"On formal Structures of Practical Action", 1970, H.Garfinkel, H. Sacks, 1970, 342.Citation trouvée sur internet.
Ce dernier point nous entraîne à considérer la santé publique comme un ensemble de modes
opératoires diverses qui s'auto-justifie par un principe de biolégitimité (Dozon, Fassin, 2001: 8-15).
"C’est aujourd’hui parce qu’il est menacé dans son existence biologique que la légitimité de sa
présence sur le territoire est acquise, alors que dans les années 70, c’est sur la légitimité du « corps
travaillant » et non du « corps souffrant », qu’elle reposait." (Musso, 2004: 16).
C'est ainsi que cet ensemble, ces cultures politiques de la santé publique, mettent en place des
politiques culturelles afin de saisir (appréhension et transformation) la culture de l'autre, ou tout au
moins le tenter (15-18) et manquent parallèlement des questions qui relève du défi évoqué
précédemment, le défi socio-politique.
S'il faut noter que l'origine/nationalité, les dimensions de la maladie et les dimensions sociales
spécifiques ou non à ces groupes identitaires (situation socioéconomique, discriminations, cultures)
entrent en conjonction et non pas en juxtaposition, il convient également de se méfier des
surinterprétations culturalistes (Fassin, 1990).
Alors même que la différence de statut entre populations est niée sur le plan socio-politique, elle est
paradoxalement réinstituée sur le plan socio-culturel, ce qui amène à l'extrême à culturaliser le
politique au travers d'une sociologie pauvre et spontanée, et à faire indirectement le jeu des
revendications racistes. Sur le plan politique et social, justement, des “médiateurs culturels” et des
opérateurs privés, le plus souvent associatifs, se retrouvent sollicités et inscrits dans un programme
de délégation.
Une simple remarque conclura sur l'importance du facteur informationnel et culturel (au sens large
et non de culture ethnique) dans la réduction des risques. Michael Pollak a ainsi montré comment la
réaction au risque chez les homosexuels avait suivi un décalage temporel entre les classes aisées et
populaires (Pollak Mickael, 1988).
A3.2) Culture et sociabilité
Entre le social et le culturel, la frontière reste floue, puisque l'un et l'autre se (re)définissent en
permanence. Le social se retrouve dans la culture et inversement.
"Il faut étudier la dynamique de ces populations en France vis-à-vis des problèmes qui nous
intéressent car les choses évoluent dans les comportements et dans les attitudes en fonction de ce qui
se passe ici et dans les pays d'origine. Cet intérêt nécessite de prendre en compte les éventuelles
dimensions culturelles mais aussi d'identifier et de comprendre les modes de socialisation pour
mobiliser ces communautés dans la construction d'un nouveau regard sur les questions relatives à ces
maladies et à leur prévention." (Lert, 2008: 12)
Ainsi, certaines études montrent que l'effet des interventions qui portent sur la formation des
aptitudes ou compétences préventives est accru lorsqu'elles séparent les garçons et les filles, et
intègrent des dimensions ethniques (Lert, 2002, 39).
"Ce type de résultat jette un sérieux doute sur l'intérêt des interventions telles qu'elles sont menées
en France en milieu scolaire, à base notamment de connaissances sur la maladie et les modes de
transmission, et réalisées dans des classes par définition hétérogènes sans chercher à intégrer les
différences ethniques ou culturelles. Celles-ci pourtant sont déterminantes pour la morale sexuelle et
les normes et valeurs qui régissent les rapports hommes-femmes." (id.)
La dernière phrase de cette citation mélange, à juste titre, culture et sociabilité. Mais il serait
circulaire de s'arrêter ici.
La question n'est pas tant de savoir si l'opinion que je profère ou l'attitude que j'adopte dépend
davantage de ma catégorie socio-professionnelle ou de mon âge, mais bien comment l'enjeu de ma
position dans un champ et les habitus qui me sont constitutifs me conduisent à élaborer (souvent
inconsciemment) une stratégie qui va guider tout mon comportement (Requillart, 1999: 148).
A3.3) Sociologie des pratiques, Ethnométhodologie
Il faut donc se pencher sur une sociologie des pratiques, mais nous avons malheureusement manqué
de temps pour explorer plus en avant le corpus interactioniste53, comme son versant
ethnométhodologique par exemple (bien que les sections c et d du I.2.A2 puissent être considérés
comme une de leur application). Si l'information ne suffit pas à modifier les pratiques, cela indique
que ces dernières dépendent également de normes et de valeurs collectives qui ne vont pas dans le
sens de l'information. "La médiation des pairs [et non des médiateurs] apparaît elle aussi décisive
dans l'adoption d'une norme comportementale" (Requillart, 1999: 155). S'intéresser au "micro-
social" impose en revanche de ne pas s'y laisser prendre, puisqu'il existe une réelle "dynamique des
pratiques".
"Ces constats conduisent à penser globalement la prévention comme une négociation. [...] Chaque
groupe social travaillant à l'interne et en externe à un ajustement négocié, permanent, des pratiques
de ses membres et fonctionnant à ce titre comme une instance de médiation sociale, d'incorporation
sociale des normes adaptées aux risques encourus" (157).
Notre interrogation s'est donc décentrée. Il est devenu clair que l'interaction sociale joue dans les
changements de comportements. D'où la nécessité d'une prévention qui dépasse le stade informatif
pour créer une dynamique collective face à la prise en considération du sida et des risques qui lui
sont inhérents.
Il nous faut donc poser la question du rapport de l'interne et de l'externe.
53 L’interactionnisme est un courant de pensée où se rencontrent la psychologie, l’ethnologie, l’anthropologie etdes sciences de l’information et de la communication. Il conçoit la société comme la composition des relationsinterindividuelles et pourrait s’opposer au déterminisme, courant qui part du "tout social" ("je suis séropositif carje suis pauvre") ou d’un individualisme qui ne prendrait pas en compte la dimension essentielle de la relationdans les comportements sociaux des individus. (Adapté d'une définition Wikipédia.)
A4. Du changement sociologique au changement de comportements
A4.1) Absence de force sociale et identité des « migrants »
A propos de l'identité migrante, le sida a soulevé de nouveaux enjeux puisque les migrants ont
longtemps constitué une catégorie invisible et impensée. A partir de la seconde moitié des années
1990, des évolutions dans l’espace de mobilisation autour du sida et de l’immigration vont
apparaître (Musso, 2004).
Sur un plan statistique, nous l'avons vu, la catégorisation ethnique reste un point fort de dissensus.
Sur un plan sanitaire, l'arrivée des anti-rétroviraux (ARV), croisée à une pré-catégorisation ethnique54 a permis de souligner, par les chiffres, l'existence d'une inégalité d'accès au système sanitaire
(dépistage précoce, accès à l'information et aux soins), sur un plan à la fois national et international,
et de la corriger, au travers de l'AME et de la CMU par exemple, sans atteindre pour autant un
fonctionnement optimal.
"L'étranger malade" est devenu une catégorie relevant de la biolégitimité, le statut biologique
permettant d'obtenir une autorisation de rester sur le territoire, sous réserve de conditions (qui ne
sont pas toujours reconnues par les autorités administratives) (CNS: 2007).
Le CFES recommandait dans son programme de communication et de promotion de la prévention
contre le sida, en 1999, de communiquer en direction des personnels administratifs, sociaux et
médicaux sur le fait de prêter attention "à ne pas mettre d'obstacle (administratif ou matériel) à un
bon accès au soins et sur la nécessité de "savoir que tous les droits aux soins sont les mêmes, quelle
que soit la situation administrative" (CFES, 1999: 56). Mais les services d'interprétariat ne sont pas
toujours présents dans les hôpitaux, ce qui crée une atmosphère stressante.
Les migrants restent encore oubliés par l'administration, comme le montre l'absence dans le comité
de pilotage de mise en place de la déclaration de séropositivité, des associations spécifiques de lutte
contre le sida, et des chercheurs en sciences sociales (Musso, 2008: 175).
Le service de téléphonie en langue étrangère de Sida Info Service, qui dépend de fonds fluctuants, a
par ailleurs été interrompu en 2006 (Survivre au sida, 2006).
En matière de campagnes publiques, la peur de la stigmatisation, soit la "peur de la peur", a conduit
à une situation paradoxale où les migrants n'étaient pas reconnus sur le plan médiatique alors qu'ils
l'étaient en partie sur un plan sanitaire au travers de la "logique du modèle communautaire" et de la
54 "Notons cependant que dans les pays où le recueil de ce type d’information tient aussi compte de variablesliées à« l’ethnicité » ou à la « race », la pertinence de ces dernières sont remise en question au sein des étudesépidémiologiques." (Musso, 2004: 10)
délégation de la communication publique à des associations. La cible "migrant" apparaît la première
fois dans les campagnes publiques nationales à partir de 2001, pour réapparaître chaque année à
partir de 2004.
D'une part, ces associations ont parfois été qualifiées de "relais introuvables", terme qui indique
combien la mobilisation des associations d’étrangers et/ou d’immigrés face à l’épidémie pouvait
être difficile. Notons d'ailleurs que le droit d'association pour les étrangers fut institué en France à
partir de 1981. D'autre part, les actions de proximité qui résulteront de cet appel à la médiation
présenteront, dans un premier temps, un asymétrie notable en faveur de l'immigration maghrébine et
au détriment de celle d'Europe de l' Est et d'Afrique sub-saharienne (Musso, 2008, 16-18). A l'heure
actuelle, les financements restent insuffisants, voir incohérents (Goudjo, 2004: 34).
"En réalité, le soutien financier n'intègre que rarement les frais de fonctionnement des structures. Ce
manque de cohérence dans les financements alloués, pousse les associations dans une quête d'actions
ou d'interventions quelque peu débridées et parfois peu pertinentes." (Id.)
A4.2) Accountability, Etiquetage à la Goffman
L'exceptionnalité du sida en tant que "révélateur social" et "transformateur" de société se retrouve
fortement dans l'homosexualité, plus faiblement dans d'autres cas de figure.
"Les associations ont en effet été impulsées essentiellement par des homosexuels masculins. Les
toxicomanes, par voies intraveineuses, qui représentaient aussi une part importante des personnes
contaminées, se sont quant à eux peu mobilisés. Cette caractéristique a donné lieu à une analyse des
facteurs qui ont favorisé la mobilisation des homosexuels: la disposition d'un capital culturel,
l'appartenance aux classes moyennes supérieures et la possibilité d'y mobiliser des alliés, la
préexistence de réseaux de sociabilité volontaires, de liens électifs entre des individus, constitués ou
renforcés par la conscience d'être socialement menacés.[...] (Barbot, 1999: 158-9)
A la différence de minorité comme celle des homosexuels, les migrants sont mal représentés, non
plus armés économiquement et juridiquement. Il est clair que leur légitimité sociale, politique, et
leur vécu objectif et subjectif de leur condition restent de puissantes barrières (Goudjo, 2004: 32). A
cet égard, l'association Act Up soulève le problème de la visibilité:
"Au début des années 1990, d'autres associations, en particulier Act Up, enjoignent au contraire
l'AFLS de s'adresser directement aux migrants dans les médias grands publics. [...] Le salut des
"populations marginalisées", et des "minorités" passe, pour elle, par une logique communautaire.
Pour Act Up, les communautés doivent affirmer leur existence et marquer leurs différences sur la
scène publique, sous peine de quoi, elles se transforment en ghetto" (p.93). Or, les pouvoirs publiques
empêcheraient justement ces groupes d'exprimer leurs particularismes et les contraindraient à la
résignation." (Sitbon, 2006: 292)
Ainsi, on constate l'existence de communautés actives et d'autres, pas forcément moins actives,
mais moins reconnues, et moins outillées. Ces dernières, arguant de leur aphonie, en viennent à
revendiquer le même droit de parole que les communautés actives reconnues. Le site
papamamanbebe.net par exemple, demande l’ouverture de la rédaction du seul guide gratuit
d’information sur le VIH (financé en partie par des deniers publiques), guide géré par l'extension
Têtu + du magazine homosexuel Têtu, à toutes les communautés concernées par le VIH55. Bien que
le guide s’adresse à toutes les populations touchées par le sida, le site (dédié à la fois aux familles
en général, et aux migrants) se prévaut d'une expertise sur le VIH, voir même d'une spécialité en
matière de procréation pour un couple séro-différent. Par ailleurs, ces associations peuvent être
amenées à instrumentaliser les médias pour revendiquer leur existence ou leurs revendications56.
Il faut donc poser la "question de l'externe", comme nous l'avons évoqué précédemment. Demander
à un groupe de modifier ses attitudes et ses comportements est une chose, le lui permettre en est une
autre.
“L'influence s'exerce dans le cadre, est canalisée par les significations sociales qui lui pré-existent.
Elles la rendent entendable ou non. Elle est donc d'autant performante qu'elle est en accord avec
l'univers de normes, des représentations sociales dans lesquelles elle s'intègre. Elle est d'autant plus
dificile qu'elle en diverge. Là résident sa force et sa faiblesse... Or, pour amorcer un processus
d'innovation, les rapports d'influence doivent s'intégrer dans un nouvel univers de significations,
qu'ils contribuent à créer et renforcer. C'est de cettte possibilité de s'intégrer dans, ou de créer des
représentations sociales, que dépendent la possibilité, la profondeur et la stabilité de l'influence. De la
déviance à l'innovation, il n'existe qu'un palier plus ou moins difficile, voire impossible à franchir. Et
le passage de l'une à l'autre relève du domaine des significations sociales qui conditionnent le rejet ou
l'acceptation de l'influence, et l'efficacité des moyens de coercition mis en place pour expulser
l'anormal”.
(...) Il est plus important que les institutions scolaires, les systémes économiques et politiques soient
changés de telle sorte que cela permette à ces groupes, qui sont largement exclus des lieux importants
de prise de décision, de partager le pouvoir plutôt que d'essayer d'inculquer de nouvelles attitudes et
aptitudes à ceux qui en sont exclus.” (Paicheler, 1985: 31)
La démarche participative admet une ambiguïté de fait qui réside dans sa fonction même de
répartition des responsabilités et de co-décision. Si cette démarche concerne principalement des
populations en situation de précarité, qui vient pallier un manque sanitaire, il ne faudrait pas non
55 http://papamamanbebe.net/a7350-tetu-censure-papamamanbebe-net-le-site-des.html56 http://lemegalodon.net/m1985-le-proces-du-sidaction.html
plus qu'elle remplace les services publique(Sachs, 2006: 15). Dans le cas des populations en
situation de précarité, la question du partage du pouvoir fait allusion, outre un complément de
services qu'un système de santé performant ne donnerait pas malgré tout, à une forme
d'empowerment qui serait à la fois individuel et collectif, l'individu participant tout aussi bien son
propre représentant que celui de sa communauté.
"Si la participation est devenue une composante fondamentale des interventions de santé,
l'hétérogénéité des discours et des modes de participation tend à semer la confusion dans les esprits.
L'absence de clarification du concept sème le trouble, on ne comprend plus bien ce qui relève du
processus ou de la finalité; les motivations et les logiques qui sous-tendent ces différentes façons
"d'impliquer" les personnes ne sont pas sans poser question: quid de la participation utilitariste, à
visée démocratique ou à but d'empowerment ? Or ces questions se posent avec une plus grande acuité
encore lorsqu'il s'agit de personnes en situation de vulnérabilité." (Lamoureux, 2006: 12)
On le constate ici à la lecture d'un texte de Philippe Lamoureux, le directeur de l'INPES, la notion
d'empowerment est délicate, puisqu'elle ne porte pas de valeurs objectives intrinséques qui permet
de distinguer ce qui relève de l'empowerment démocratique et de l'empowerment purement
juridictionnel. Etrangement, et nous souhaitons être ici provocateur à dessein, la lecture de textes
écrit par des membres de l'INPES peut faire penser à un processus d'empowerment de l'institution:
"L'Inpes a ainsi réalisé un certain nombre de fictions sous forme de films courts diffusés sur des
chaînes communautaires. Les programmes sont souvent construits autour d'un personnage de
confiance, comme par exemple la figure du "grand frère" dans la communauté subsaharienne, qui
légitime l'information délivrée sur la maladie. Le réalisme de l'histoire et des lieux, les récits de vie, et
l'humour désamorçant les comportements négatifs, aident les destinataires des messages à s'identifier
aux personnages et aux récits._
D'une manière générale, il apparaît essentiel d'impliquer des personnes issues des communautés
migrantes dans le processus d'élaboration d'une action de communication en direction des migrants
sur le sida. Le fait qu'un film de prévention en direction d'une communauté soit a minima écrit,
réalisé et joué par des personnes issues de cette même communauté est une condition sine qua non de
la justesse du ton des messages délivrés. Cette démarche prévient les erreurs générées par une
approche nourrie d'images fantasmées et projetées sur ces communautés et par une réappropriation
approximative de codes culturels qui nous sont étrangers." (Stanojevich & Cytrynowicz, 2004: 45)
"La justesse de ton" est garantie par les "personnes issues des communautés". Quid du
questionnement sur le second aspect du travail de l'INPES qui est d'accorder des financements aux
associations pour la fabrication des films. On trouve rarement des articles INPES qui fasse l'éloge
du travail associatif en matière de communication envers les migrants... Quid du ratio autonomie de
l'organisme / travail en collaboration avec les associations ?
Notre propos n'est pas de refuser à l'INPES la légitimité de faire des films avec des migrants, mais il
serait appréciable, tout au moins dans un article intitulé "Les enjeux de la communication en
direction des populations migrantes", que soit évoqué l'ensemble des moyens dont dispose la santé
publique qui, nous l'avons vu, possède deux entrées en matière de santé. Dans les années 90, les
associations de lutte contre le sida reprochaient aux institutions de récupérer leurs méthodes. Le
rapprochement est certainement excessif ici, mais pas l'allusion. Le problème de la juste répartition
des responsabilités entre une structure institutionnelle et des associations privées reste, nous l'avons
vu également, un sujet en constant remodelage.
Nous avons manqué de temps, là encore, pour explorer les analyses sociologiques de l'action et de
la vie quotidienne (sociologie des cadres d'expérience de Goffman). Allié à l'idée "d'accountability"
(responsabilité), la théorie de l'étiquetage aurait été certainement intéressante, suite au passage sur
la culture. Car si la culture est un construit dynamique, et non un essentialisme stratégique, cela
signifie qu'il est possible d'user d'outil performatif, et donner ainsi à l'interne, la possibilité de se
modifier de son propre choix, à partir de possibilités ouvertes par l'externe.
II. CAMPAGNES DE SANTE PUBLIQUE & MIGRATION (& SIDA)
« L'expérience a démontré que le VIH/SIDA est un phénomène complexe, aux aspects multiples et
qui demande une étroite coopération inter-institutionnelle et des stratégies multidimensionnelles. »
UNESCO
La première partie montre combien l'épidémie de sida n'est pas un phénomène purement médical
qui se traite de manière essentiellement sanitaire. La science de la vie, aussi complexe soit-elle, n'en
est pas moins rattachée aux sciences humaines. Ainsi, une science de l'information qui ne prend pas
en compte les dimensions socio-économique, sociétal et culturel de l'épidémie, un système de
communication qui ne s'appuierait pas sur une science de l'éducation est voué à l'échec. C'est en
partie l'expérience vécue au cours des années 90 par les acteurs de la prévention sida, qui ont
progressivement évolué d'une structuration administrative et publicitaire, à une organisation
plurielle comprenant des associations et des chercheurs en sciences sociales.
L'histoire de la colonisation ne manque certainement pas d'exemples d'interactions pour lesquelles
le camp des « modernes » apporte une parole scientifiquement étayée57, mais jamais entendue faute
de légitimité affective et psycho-cognitive auprès d'un public « traditionaliste ». Trop souvent, ce
hiatus de discours a mené à des guerres d'influence, puis à des guerres armées, puisque les
« modernes », comme l'exprime Bruno Latour, emploient trop souvent la force par principe
pédagogique. Des campagnes publiques qui s'appuieraient essentiellement sur le modèle de la
« croyance en la santé » ou sur « l'action raisonnée » procéderaient ainsi d'une autorité sanitaire
impuissante. Si la situation qui nous retient ici à propos du sida n'entretient que de faibles liens les
cas de figure déployés dans le passé par les « modernes », il n'empêche que du sens commun peut-
être aperçu dans la comparaison.
Car il ne s'agit pas de « changer les comportements », mais de « prêter à penser le changement de
comportements ». Comme le stipule la page d'accueil du CRIPS Îles-de-France, qui cite la phrase de
Georges Braque « Contentons-nous de faire réfléchir, n'essayons pas de convaincre».
57 Nous ne revendiquons pas pour autant, la « vérité » de la « science étayée ».
A1. Un changement de paradigme:
De la modification du social à celle des comportements
« Prêter à » implique de « partir de », puisqu'il n'est pas possible de prêter à l'autre sans partir de ce
qui l'intéresse, de ce qui « provient de lui ». Il s'agit alors de « comprendre », en entendant ce mot
dans son acceptation wébérienne: restituer le sens des faits pour les agents sociaux qui les vivent. Se
dessine alors, en surimpression d'une réalité biologique et factuellement corporelle, un paysage
multidimensionnel de modalités de vivre, soit une réalité sociologique variée. Ainsi, l'assemblée
générale sur le VIH/Sida des Nations Unies soulignait en juin 2001:
« le rôle important que peuvent jouer la culture, la famille, les valeurs morales et la religion dans la
prévention de l'épidémie et dans les activités de traitement, de soins et d'appui, compte tenu des
particularités de chaque pays et de la nécessité de respecter tous les droits de l'homme et les libertés
fondamentales » (UNESCO, 2002: 7)
L'approche culturelle de la prévention consiste donc :« à adapter le contenu et le rythme de l'action aux mentalités, aux croyances, aux systèmes de valeurs
et aux capacités de mobilisation des populations et à modifier en conséquences les stratégies
nationales et internationales, la conception du projet et le travail de terrain. » (UNESCO, 2002: 7)
Bien que cette seconde citation ne semble pas apporter beaucoup d'éléments à celle qui la précède,
en premier abord, il faut insister sur le contenu, le rythme de l'action et les capacités de mobilisation
des populations.
Parallèlement, une enquête de l'ONUSIDA réalisée dans les pays en voie de développement conclut
que les programmes de communications contre le VIH sont élaborés sur des théories et des modèles
qui ne prennent pas en compte les besoins locaux ou régionaux.
De nombreux modèles et théories de changement de comportement en matière de santé, notamment
l'action raisonnée, l'apprentissage social, la théorie cognitive, et la hiérarchie des effets, se fondent
sur la psychologie individuelle. En fait, les hypothèses (telles que l'individualisme par opposition au
collectivisme) sur lesquelles ces théories et modèles se basent, sont étrangères à de nombreuses
cultures non occidentales. Dans la majorité des contextes non occidentaux, la famille et la
communauté jouent un plus grand rôle dans la prise de décisions. Et pourtant, les théories et les
modèles fondés sur l'individualisme continuent à dominer dans les stratégies de communication sur
la prévention et les soins relatifs au VIH/SIDA (ONUSIDA, 2000: 20).
Etant donné que cette notion de "culture du collectif" navigue en eaux turbulentes (i.e. le racisme
inconscient évoqué précédemment), soulignons que son approche à la fois socio-économique et
sociologique (i.e. l'approche de la structure sociale) est importante.
La plupart du temps, le rapport coût/efficacité de la communication interpersonnelle a été sous-
estimé. Par ailleurs, la publication de l'ONUSIDA identifie cinq domaines contextuels qui
"influencent de manière quasi universelle les efforts de communication visant à promouvoir des
comportements favorables à la prévention de VIH/SIDA", à savoir: la politique gouvernementale, le
statut-économique, la culture, les relations entre les sexes, et la spiritualité (10).
Nous ne développerons pas chacun de ces derniers points puisque notre mémoire porte sur la
communication. Pour être symétrique avec ce que nous avons évoqué auparavant sur la question du
lien entre communication politique et publique, il faut souligner que la communication publique
appelle quant à elle, non plus la communication politique, mais l'action politique. Qu'il suffise
d'indiquer que l'action des acteurs de proximité associatifs relève non seulement de la
communication publique (au sens large puisqu'il s'agit d'informer sur le sida tout autant que sur le
systéme de santé comme par exemple l'existence de CDAG ou sur l'absence de procédure
d'expulsion en cas de sida), mais aussi de l'aide dans la vie quotidienne (création de lieu de parole,
aide à la traduction, à l'observance thérapeutique, accompagnement des patients, quête des droits
sociaux, etc...).
Pour résumer, il semble que pour mobiliser la population et modifier les comportements, l'action de
prévention doit se développer sur un plan tant communautaire que dans une dynamique plus globale
agissant sur le plan socio-économique. En abordant la prévention sous l'angle de la communauté, la
communication passe d'un modèle qui s'appuie sur le changement de comportement individuel à un
modèle fondé sur le changement social (Mc Kee, Bertrand & Becker-Benton, 2004: chap. 2 & 3).
Les auteurs présentent ainsi les points principaux de la publication ONUSIDA:- La durabilité du changement social est d'autant mieux assurée que les individus et les communautés
les plus affectées déterminent le processus et le contenu de la communication.
- La communication qui vise à changer le social doit faire acte d'empowerment, elle doit être
horizontale (en opposition au schéma top-down), donner la parole au membres les moins entendus
de la communauté, et doit être orientée en fonction du contexte local et de ses acteurs.
- les communautés doivent être les agents de leur propre changement.
- L'accent ne doit plus être porté sur la persuasion et la transmission d'informations depuis des
experts techniques extérieurs mais plutôt sur le dialogue, le débat, et la négociation autour de
situation qui concernent les membres de la communauté.
- Les produits de cette communication doivent viser à dépasser le comportement individuel au profit
des normes sociales, des politiques, de la culture, et de la situation environnementale.
[notre traduction]
On voit donc, en rapport avec ce que nous avons relaté précédemment sur la communication à
destination des adolescents et l'interaction inter-personelle, combien le concept de communauté doit
être élargi pour ne pas échouer dans le culturalisme. Une communauté et avant tout un groupe
vivant et non figé, le propre du vivant tenant dans un cadre évolutif (et non d'évolution, i.e. ici et
maintenant en tant qu'aboutissement). Une communauté peut aussi s'identifier comme un ensemble
d'individus reliés par une condition socio-économique et un ensemble de normes que chacun
aménage comme il l'entend.
A2. Complémentarité des communications publiques: les médias communautaires
L'ONUSIDA souligne ainsi que la communication évolue vers des médias participatifs qui
pourraient “permettre aux gens de participer aux décisions qui touchent leur vie, plutôt que de voir
leur vie façonnée par d'autres” (77). En retour, il rappelle le complément qu'apporte les campagnes
médiatiques de masse (caractérisée par leur durée limitée) qui promeuvent et maintiennent malgré
tout la sensibilisation, et qui peuvent susciter des interrogations et la communication
interpersonnelle.
Au cours des années 2000, l'INPES a mené des enquêtes58 sur la situation sanitaire des migrants (en
particulier des personnes originaires d'Afrique subsaharienne), et sur leur connaissances en matière
de prévention contre le sida, en vue d'améliorer le système de santé et la communication publique.
Modes et ressources d'information des migrants
La prise de conscience d'une nécessité de communiquer de manière prioritaire en direction des
migrants a conduit l'Inpes à lancer deux études pour mieux connaître ces populations, dont
l'une, menée par l'institut Sorgem en 2002, portait sur les modes et les sources d'information
concernant le VIH/sida des migrants issus des pays d'Afrique subsaharienne, du Maghreb,
d'Asie du Sud/Sud-est, et d'Europe de l'Est._
"Il ressort de cette étude que les populations interrogées ont d'une manière générale une
connaissance floue et parcellaire du virus et de la maladie. Les modes de contamination sont
acquis de manière très inégale, la période de séropositivité asymptomatique est mal comprise et
l'existence de traitements est très souvent méconnue. Les acteurs impliqués dans la
communication sur le sida auprès des migrants doivent donc veiller à adopter une approche
informative et pédagogique pour améliorer le niveau de connaissance sur la maladie de ces
populations. _L'étude montre aussi que dans le regard collectif, le sida concerne avant tout des
personnes ayant des pratiques sexuelles contraires à une culture traditionnelle ou ayant une vie
aux "mœurs dissolues" (les toxicomanes, les homosexuels ou les prostituées). Le sida est avant
tout considéré comme la "maladie des autres", d'où la mise à distance du risque pour soi et
l'inutilité supposée d'adopter des comportements préventifs. Un enjeu fort de la communication
sur le sida en direction de ces publics est donc d'initier un changement de regard sur le VIH.
58 Par exemple: 1)"Les personnes originaires d'Afrique subsaharienne en accès tardif aux soins pour le VIH" Données de l'enquête Retard, France, nov.2003-août 2004, M. Calvez, C. Semaille, F. Fierro, A. Laporte, BEHn°31/2006, 25 juillet 2006.
2)"Les populations africaines d'Ile-de-France face au VIH/sida. Connaissances, attitudes, croyances etcomportements." N. Beltzer, K. Fénies, S. Halfen, F. Lert, S. Levu, N.Lydié, sous la direction de N. Lydié. Etude santé, EditionsInpes., juin 2007.
_Par ailleurs, les personnes interrogées pensent généralement le risque en fonction du nombre
de relations sexuelles que le partenaire a eues avant. Certaines personnes s'imaginent ne pas
prendre de risque avec des personnes issues de leur communauté, de leur milieu social, avec des
"gens éduqués", "sérieux" ou "beaux". Des actions de communication doivent être menées pour
clarifier la notion de prise de risque et promouvoir les préservatifs comme unique moyen de se
protéger dans une relation où le statut sérologique du partenaire n'est pas connu. _Enfin, il
ressort des interviews la forte emprise d'un discours moral sur le VIH/sida, qui génère un
phénomène d'exclusion des personnes atteintes. Or la peur de l'exclusion peut constituer un
frein à l'adoption de comportements préventifs, notamment au dépistage. La promotion de
comportements solidaires à l'égard des personnes atteintes doit donc constituer une part
importante du programme de communication, pour atténuer les enjeux sociaux liés aux
résultats du test." (Stanojevich & Cytrynowicz, 2004: 47)
A2.1) Des minorités difficiles à atteindre
Avant d'amorcer une "analyse" des films fait par les migrants, il convient d'objecter quelques points
sur leur condition de diffusion. Bien qu'une enquête conclut à une consommation télévisuelles
importante dans les communautés originaires de l'Afrique sub-saharienne (Sitbon, ???), il est clair
que plusieurs problèmes se dessinent.
Celui de la langue, d'une part. La communication publique s'est déjà confronté à ce problème. Dans
les années 1990 par exemple, la santé publique diffuse pour la première fois des messages en arabe,
le principe d'une république une et indivisible ayant empêché auparavant ces démarches (Musso,
2008). L'ironie a voulu que l'arabe littéraire, langue dans laquelle avait été traduite les documents de
prévention, n'était pas compréhensible par tous. D'autres langues présentent des contraintes de
traduction, le chinois est par exemple une langue qui s'écrit avec des caractères complexes ou
simplifiés, les premiers restant potentiellement inaccessibles (ARCAT, 2004, 37-39).
Il faut considérer l'usage de différentes langues dans une perspective de complémentarité
fonctionnelle. Ainsi, une étude réalisée avec des migrants d'Afrique subsaharienne montrent l'intérêt
de jouer sur différentes langues, sur leurs registres, et sur leurs ressources lexicales pour aborder des
aspects techniques de la maladie (Singy, Guex & coll., 2008). Le français pourrait être à cet égard
plus approprié, en milieu hospitalier, puisqu'il permet de contourner certains tabous et des "codes
secret" de langage, qui, trop "implicite", couvent un biais d'information.
On peut considérer de plus que la langue constitue presque autant le fond que la forme d'un film
puisqu'une langue familière parle "d'elle même", véhiculant à la fois un message et le signal de sa
légitimité, alors qu'une langue étrangère mal comprise ne nous touche pas de manière aussi efficace.
La question du langage dépasse la simple question de la "forme" audiovisuelle. On le sait, une
traduction n'est pas uniquement une translation, comme l'indique le terme "interprétariat". Dans les
hôpitaux où les médiateurs et les interprètes interviennent, la seule présence de ces passeurs rassure
des patients stressés non seulement par une situation sanitaire qui les inquiète, mais également par
un contexte "hostile" de signes et de codes qu'ils ne connaissent pas.
Les films issus de processus participatifs ou dédiés aux campagnes de proximité se basent parfois
sur des langages ethniques et sont alors sous-titrés en français. A l'image des médias
communautaires, l'appartenance de l'émetteur à la communauté confère au message un poids
supplémentaire de légitimité et de crédibilité. Les radios Beur FM, Tropic FM ou Africa n°1 sont
ainsi des exemples de médias communautaires qui abordent régulièrement la question du VIH/sida
chez les migrants.
"Il est intéressant de constater que la majeure partie des actions utilisant les radios communautaires
ont la particularité de chercher à faire se confondre l'émetteur et le support. [...] C'est pour cette
raison que le Comité Français d'Education pour la Santé (CFES) privilégie les coproductions aux
diffusions publicitaires" (Lemonnier, 1996: 46)
Le même film, projeté sur un écran dans un lieu communautaire, ou bien diffusé à la télévision, n'a
pas forcément le même impact. Ce n'est pas ici le contenu qui fait, seul, de l'effet, mais aussi le
contenant. L'attention portée sur le message ne sera pas toujours la même selon l'identité du porteur
de message.
Nous dirons également, avec Mac Luhan, que "Le médium, c'est le message". Les campagnes de
prévention audiovisuelle de mass média à destination de publics cibles sont doublées sur d'autres
supports tels que les magazines spécialisés, les affiches ou des dépliants placés dans les lieux
fréquentés par la communauté. L'image présente souvent l'avantage d'avoir un impact plus directe
que les messages écrits, particulièrement dans des contextes d'illettrisme. Le film est aussi plus
adapté à un public de tradition orale.
Parallèlement, pour des questions de langues ou d'insertion socio-économique et culturelle, les
associations constituent des réseaux qui ont la capacité d'aller chercher les migrants dans leurs lieux
de vie. Certaines interventions s'effectuent par exemple dans les foyers, logements de type social
qui furent "systématisés" à partir des années 1950 (puis durant la guerre d'Algérie) pour héberger
les travailleurs nord-africains.
Les films les plus appropriés ont ainsi la possibilité de circuler de façon autonome au sein des
foyers, c'est à dire qu'ils sont identifiés comme importants, et de surcroît communautaires, puis
transmis naturellement de la main à la main (Bertini, 2008: 4).
A2.2) Le rythme de l'action
Lorsque des associations telles que le Groupement de Recherche et de réalisation pour le
Développement Rural (GRDR) font des films en présence de migrants, le temps d'élaboration de
l'information est primordial. Une fois le sujet déterminé à partir des questionnements des
participants, et en fonction de l'expertise de l'association sur les points problématiques, les
participants sont amenés à effectuer une recherche documentaire. Ils invitent des professionnels de
la santé à intervenir, et programment ainsi leur formation. Le délai de réalisation est long, puisque
le processus d'écriture dépend de nombreux facteurs. Le montage est également un moment crucial
du processus de formation car le choix des images (qui sont des prises de vue de "discours libres")
fait l'objet de nouveaux débats. Ainsi, certains films construits par le programme santé du GRDR
ont nécessité une année d'élaboration (Guide d'animation du film "Le syndrome du silence").
A2.3) Le contenu de l'information
Les films réalisés pour les média grands publics qui mettent en scène des personnes de couleurs ou
d'identités connotées (accents) sont essentiellement basés sur trois informations, tout comme
l'ensemble des campagnes audio-visuelles contre le sida. Le préservatif, le dépistage et la
discrimination sont traités sur un format publicitaire. Etant donné le prix de l'espace audio-visuel, la
contrainte majeure de ces productions reste de transmettre un message durant un laps de temps très
court.
A l'inverse, les films issus de démarches participatives (ou destinés aux campagnes de proximité)
ont le temps de mettre en scène de l'information de façon plus complexe et de diversifier cette
information en fonction de besoins spécifiques. Ils permettent ainsi d'atteindre des "doubles
minorités", comme les migrants homosexuels, ce que des campagnes nationales ne font que
difficilement puisque, à l'image du DSM, manuel de référence américain sur les entités
pathologiques, elles multiplient les catégories diagnostiques sur la base d'une réduction discrète. On
n'est plus un migrant homosexuel, mais un migrant et/ou un homosexuel. Sur l'ensemble des films à
destination du public migrant, diffusés depuis 2002, un seul plan fait allusion à deux homosexuels,
sur le registre du cliché (boucle d'oreille, sourire en coin et regard complice, voir efféminé). A
l'inverse, la campagne 2008 pour les Départements Français d'Amérique reste une sommité
rarement atteinte en matière de division des genres59.
D'un point de vue de la diffusion des films réalisés dans des cadres participatifs, rappelons que les
projections ne sont en aucun cas orphelines (ils sont parfois échangés "de la main à la main, certes).
Elles sont toujours le fruit d'un investissement associatif et elles s'inscrivent dans une démarche
d'animation participative. C'est à dire qu'elles sont systématiquement accompagnées par une parole
et/ou des échanges en amont et en aval de la diffusion qui mettent en jeu des films difficilement
exhaustifs. Selon la nature du public et de ses préoccupations, divers points sont abordés. Certains
films sont ainsi construits pour susciter des interrogations et laisser des questions en suspens, ce qui
permet de déclencher des discussions et des débats à l'issue de la projection. Ils ne produisent pas
un transfert d'informations mais un échange de questionnements soutenus par une offre de réponses
dont l'émetteur n'est pas forcément l'animateur. La verbalisation et l'appropriation de nouvelles
connaissances restent le but des interventions. C'est pourquoi les séances de projections ne "doivent
pas réunir trop de films" et que l'animateur doit "laisser une grande place à la parole et à l'échange".
Le rôle de l'animateur n'est pas de prendre partie sur les questions soulevées par le groupe, au
contraire, il doit favoriser l'échange autour des conséquences pour la santé. Pour faciliter
l'expression individuelle, donc l'échange social, le nombre de personnes doit être restreint. Là
encore, nous aurions sûrement trouvé des indications sur la vertu cathartique de la parole dans le
corpus interactioniste (ou alors en psychanalyse, ou en psychologie...!).
La parole publique communautaire est avant tout un brise-glace. De nombreuses expériences
abondent en ce sens, depuis l'association des mères qui délient la parole de leur fils (Musso &
Hanoun, 1996-7), aux radios communautaires qui diffusent les numéros des « lignes migrants » au
cours de leur programmation sur le VIH/sida, mais qui se retrouvent finalement "assiégées" d'appels
au détriment des lignes qu'elles publicisent (Hanoun, 1996-7: 18).
Voici quelques exemples basés essentiellement sur les productions collectives du GRDR60, qui se
caractérisent par une absence volontaire de mise en scène et un discours libre. L'association possède
une quinzaine de films à son actif, dont certains s'inscrivent dans un échange binational puisqu'ils
constituent des réponses à des "lettres vidéo" filmées par des parents ou des proches vivant "là-bas".
59 Nous ne souhaitons pas forcément critiquer sa construction, il est fort possible qu'elle reste très efficace parailleurs, puisqu'elle fonctionne sur un mode dynamique de clip musical qui favorise la mémorisation par l'usagedu refrain.60 Le GRDR travaille avec des partenaires dans le cadre d'un collectif ou bien d'alliances temporaires.
Le sida parlons-en, 1991, 24 min
A la fin du film, comme le titre l'indique, la chanson du générique incite à transmette l'information
en dépit du sujet tabou sur lequel elle porte. C'est un devoir, une nécessité face à une maladie
invisible mais bien présente, qui concerne aussi bien les "ouvriers, les bureaucrates et les cadres".
Le film est basé sur une suite de questions/réponses. Chaque réponse est divisée en deux parties, la
première est une interview en série de migrants qui livrent leurs connaissances et leur a priori. La
seconde est une voie off qui corrige ou complète les informations précédentes.
Le film est exemplaire par les sujets qu'ils soulèvent. Les causes de la maladies sont abordées. La
contamination par l'aiguille et l'absolue nécessité de la stérilisation, la transmission materno-foetale.
Les liquides sexuels. L'homosexualité et le préservatif sont évoqués. D'autre part, les femmes sont
là, présentes et activent à l'écran, elles participent au film et sont concernées par le préservatif.
Puis, les thèmes classiques que l'on retrouve dans la plupart des films à destination des migrants
sont naturellement évoqués. La solidarité avec les personnes séropositives qui ne sont en rien
contaminantes et qui ont besoin de soutien. Le guérisseur qui ne guérit pas, et le médecin qui ne
guérit pas pour autant, mais qui est le seul à pouvoir faire le diagnostic et à pouvoir gérer l'infection.
Alioun et Maryam, Aimer est plus fort que le sida, 2000, 38 min
Le film parle du choc de l'annonce de séropositivité (la réalité de l'infection est perçue sur un point
émotif par le récepteur), de la discrimination de la famille du partenaire, des amis et du soutien
moral requis en cas de partage de l'information. Il évoque par ailleurs le secret médical et le droit au
silence de la personne séropositivité. Il n'y a pas de mort immédiate en cas de contamination, une
vie amoureuse et sociale est possible (la jeune héroïne, née dans une double culture occidentale et
africaine, travaille dans un bar).
Le scénario insiste sur la différence entre le VIH et le sida, montre la nécessité de faire appel au
dépistage dès les premiers doutes, et l'importance d'être suivi régulièrement par un médecin en cas
de séropositivité. A l'inverse de la plupart des films issus de parcours non communautaires, la figure
du marabout n'est pas méprisée. Si l'autorité religieuse moralise le problème et le voit justement
comme un "problème", le marabout cherche des solutions. On comprend que pour mener à bien son
rôle de marabout, le dignitaire est tout d'abord informé sur des bases scientifiques. En résonance
avec la figure du médecin, le marabout n'apparaît pas comme un docteur, mais il gagne son statut
social lorsqu'il fait preuve de sagesse.
Sida, défis de femmes, 2005, 35 min
Le film commence par une distribution de préservatif effectuée par une personne séropositive, à
visage découvert. Elle incite à parler du préservatif autour de soi, tout au moins à ces proches. La
forte incidence de l'infection dans la population africaine est dénoncée, en même temps que la
stigmatisation et le rejet.
Une série d'acteurs du monde professionnels de la santé ou des associations sont interviewés et
peignent un paysage multiples de spécialités et de personnes ressources légitime pour parler du sida
et du VIH. Les voies de transmissions sexuelles sont clairement énumérées. La voie de transmission
sanguine, les scarifications, les tatouages et l'excision sont évoquées en même temps que le risque
de transmission materno-foetale. Cependant, ce dernier est quasiment nul si les indications des
professionnels sont respectées.
Différents aspects du sida sont abordés, avec un retour régulier sur la place de la femme dans la
lutte contre le sida. Le risque et la maladie sont des problèmes qui se traitent à deux. Les rapports
sociaux de sexe et l'existence du préservatif féminin sont évoqués. La difficulté de parler en famille
(et plus particulièrement dans la relation mère-fille) du sida, de la prévention et du dépistage est
présenté comme un danger qui accroît le risque de contamination, plutôt qu'une incitation à la
sexualité.
"En 2005, la réalité nous a amenés à nous questionner sur une approche "genre". En effet, nous
avons constaté que dans tous les processus de prévention, la problématique des femmes par rapport
à cette pathologie comportait une spécificité qu'il nous fallait traiter différemment. Outre la
vulnérabilité biologique des femmes par rapport au VIH, cette pathologie a des conséquences sur le
rôle même de la femme, ce qui se traduit par une vulnérabilité sociale. [...]
Cette vidéo dépasse le message classique des autres outils de prévention (prévention, dépistage
stigmatisation) et va interroger le pourquoi de ce silence entre générations: est-ce que ce sont les filles
qui souffrent de ce manque de dialogue ou aussi les mères ? Comment arrive-t-on à se parler ?
Pourquoi pense-t-on que parler de sexualité peut encourager les jeunes à la sexualité ? Pourquoi le
mariage est vécu symboliquement comme une barrière à la pathologie ? Quels sont les facteurs de
risques auxquels les femmes sont davantage confrontées? Dans ces films, toutes ces questions sont
abordées, parfois de façon dérisoire, mais c'est par cette mise en scène que les femmes ont réussi à
ouvrir le débat. "(Bertini, 2008: 5-6)
Le syndrome du silence, 2007, 30 min
Le film évoque entre autre la discrimination, le poids du silence, c'est à dire ses conséquences sur
un plan tant épidémiologique que social, les a priori qui existent autour de la maladie, et les réalités
sociales et culturelles qui favorisent l'épidémie dans le pays d'accueil et le pays d'origine (lévirat,
sororat, excision, ..). Makan et Juvénal, les deux protagonistes sur lesquelles s'appuie le scénario,
vivent respectivement en Mali et au France (Juvénal est originaire du Burundi). Cela permet de
mettre en relief le rôle des migrants dans la prévention en France et auprès de leur famille et amis
restés au pays. Le film évoque par exemple la gestion du risque dans le cadre des relations entre
deux personnes séparées par la migration. Il indique également l'existence de dépistage et de prises
en charge thérapeutiques gratuites au Mali.
Pour résumer cette sous-partie, il faut constater combien l'expertise sociologique effectuée par
les études académiques des années 2000 se retrouvent dans les films faits par les migrants, à
partir des années 1992. Il suffit de comparer l'analyse de contenu de ces films avec le résumé de
l'étude sur les "modes et les sources d'information concernant le VIH/sida des migrants" que
nous avons reporté en introduction du A2).
Ces films constituent ainsi un exemple de démocratie participative sur le plan de l'élaboration de
la santé publique, tant d'un point de vue théorique (identification de l'état de santé d'une société
et définitions des faisabilités et des mesures à planifier), que pratique (mise en application des
mesures de santé publique telle que la communication par exemple).
A3. Sortir de la spécificité sida
A3.1) Situation sanitaire des migrants
En 1997, le GRDR réalisait "Lettres vidéo pour la prévention des maladies transmissibles". La
situation "migration-VIH" ne peut-être comprise que si elle est située dans un contexte plus global
d'inégalité de santé.
Si les données épidémiologiques sur les migrants restent insuffisantes, elles révèlent tout de même
une sur-morbidité en terme de maladies physiques (hépatite virale, tuberculose, etc...) ou mentales
(psycho-traumatismes), (Stanojevich & Veïsse, 2007: 23).
Au-delà de l'approche par pathologies, une approche par populations permet de mettre en évidence
une plus grande vulnérabilité de certains groupes démographiques : les enfants (47 % des enfants
primo-dépistés entre 1995 et 2002 pour le saturnisme sont originaires d'Afrique subsaharienne, 23 %
d'Afrique du Nord ou de Méditerranée orientale) (19) ; deux tiers des enfants défenestrés sont
d'origine étrangère dont 55 % d'origine africaine (20) ; les femmes (prévalence plus élevée de
grossesses non désirées et de complications obstétricales chez les étrangères) (21), les mineurs
étrangers isolés (7), ou encore les personnes âgées vivant en foyer (capital santé fortement dégradé,
vieillissement précoce) (22).
En retour, si le VIH n'est pas le seul problème qui concerne les migrants, les associations ont parfois
l'impression que les projets contre le sida sont les seuls susceptibles de décrocher des subventions.
Le VIH serait devenu une priorité, mais une priorité éludante. Les projets ne doivent pas se
focaliser sur le seul VIH/sida mais prendre en compte d'autres aspects de la promotion de la santé.
A3.2) Toucher les descendants des migrants: l'éducation à la santé
Comme l'indique l'enquête KABP de 2001, les nouvelles générations, toutes "identités" confondues,
restent mal informées et sujets à des prises de risque. La connaissance des 18-24 ans à propos du
sida s'avère moins bonne que celle de leurs aînés (24 % des premiers croient en une transmission du
VIH par piqûre de moustique), l'utilisation de préservatifs diminue, et le bilan d'activité des CDAG
indique une recrudescence de l'épidémie entre 1998 et 2001, chez les filles de moins de vingt ans
notamment61.
Mais la question du préservatif n'est pas la seule en jeu, et nous avons soulevé précédemment celle
de la sexualité chez les jeunes."En mettant l'accent exclusivement sur le sida, les autres maladies sexuellement transmissibles, les
grossesses non désirées, la violence sexuelle -dont l'enquête sur la sexualité des jeunes mettait en
évidence l'importance: 15,4 % de jeunes femmes déclarant avoir eu des rapports sous la contrainte -,
les questions spécifiques à la sexualité féminine, incluant la transmission materno-foetale du sida,
n'ont pas reçu l'attention qu'elles méritaient." (Paicheler, 2002: 36)
Des comportements de protection et la solidarité ne pourront être que le fruit d'une éducation à la
sexualité et à la santé commencée tôt et mise en place de manière participative, que ce soit en
milieu scolaire ou associatif. Des missions de Comités d'Education à la Santé et à la Citoyenneté
(Cesc) ont par exemple été mises en place, ainsi que des dispositifs visant à rétablir le dialogue
inter-générationnel (Leselbaum, 2002: 31). Sans vouloir établir des liens par trop hâtifs, il est clair
que ces actions sont les plus nécessaires dans des lieux d'inégalités socio-économiques telles que les
Zones d'Education Prioritaires (ZEP).
61 http://www.cndp.fr/spinoo/cndp/frame.asp?Requete=sida+migrants
A4. Ici et là-bas: Concept de citoyenneté
Pour revenir sur les films élaborés par le GRDR, nous avons vu que certains d'entre eux avaient
nécessité une année d'élaboration, afin que les participants organisent leur propre formation en
démarchant des "détenteurs de savoirs". Ces films ont aussi impliqué des représentants
d'associations et des ressortissants des pays d'Afrique subsaharienne. Ils se basent en fait sur une
ancienne tradition d'échange par cassette audio. Avant l'avènement de l'aire de la communication,
les migrants avaient l'habitude de correspondre avec leur famille par des lettres audio.
"Le paradigme opérationnel de notre façon de travailler part de la réalité de ces personnes, à savoir
que ce sont des acteurs du développement de leur pays d'origine. Ils ne sont pas simplement des
pourvoyeurs de fonds pour la mise en place d'infrastructures socio-sanitaires. Ils sont également
acteurs de prévention ici en France et là-bas. Cette porte d'entrée répond parfois à un sentiment
qu'ont eu les migrants d'être stigmatisés par des actions de prévention extrêmement ciblées. Des
actions qui peuvent dévaloriser leurs compétences, leurs engagements ici et là-bas. Cela conforte les
personnes dans l'idée d'être acteurs de prévention et donc qu'ils ont une responsabilité multiple vis-
à-vis du réseau familial, dans les pays d'accueil et les pays d'origine. Nous travaillons là-dessus
depuis des années, d'où une filmographie assez ancienne mais toujours d'actualité." (Bertini, 2008:
5)
Cette approche du terrain pourrait être celle, en effet, d'un nouveau paradigme qui modifie les
notions d'espace et de temps.
Certaines associations ont conçu en France, avec des étudiants, des médecins, des stagiaires, des
programmes d'information et de prévention du VIH bâtis en plusieurs temps: des actions menées en
France à destination des résidents et la préparation d'actions à conduire lors du retour au pays.
D'autres associations ont demandé à leur public de collecter et d'analyser la pertinence
d'informations et de documents de prévention (affiches, spots télévisés, émissions radiophoniques,
etc.) en France mais aussi dans leur pays d'origine.
Du côté des institutions, il a fallu apprendre à décloisonner un peu les champs d'intervention
subventionnés et accepter le financement d'actions dépassant nos frontières. » (Chardin, 2007: 34)
Les citoyens "d'ici" qui voyagent aussi "là bas" et ont parfois un statut particulier en tant
qu'expatriés (exclus, respectés, ou simplement "ayant eu une expérience de vie différente"),
contribuent également à faire circuler l'information, à leur échelle certes, mais selon des canaux
différents (affectif notamment, en tant qu'amis, que membre de la famille, etc...) des vecteurs de
prévention habituels et diffusés du "haut vers le bas" de la société, c'est à dire des professionnels de
la prévention ou du monde médical vers des récepteurs passifs.
D'autant plus que le secteur de la prévention n'est pas toujours à la hauteur, comme le précise
France Lert au travers d'une étude qui met en évidence le défaut des services du planning familial
en Afrique du Sud. Sur 146 femmes qui se sont présentées pour venir demander conseil après un
rapport sexuel non protégé, seulement 12% se sont vu informées sur les IST ou le VIH, 31% se sont
vu remettre des préservatifs et 10% ont reçu le conseil d'en prendre dans la salle d'attente.
"Edifiant!" (Lert, 2002: 39).
Dans cette approche, il s'agit également de partir de "la réalité de ces personnes", qui ne sont pas
seulement concernées par le seul problème du VIH mais par des enjeux plus vastes. Qu'ils s'agissent
de santé publique ou de statut socio-économique "ici" comme "là-bas", il est nécessaire de travailler
sur plusieurs plans à la fois, et donc de faire appel à un ensemble de partenaires répartis dans
l'espace social.
"Toutes [associations socio-culturelles et associations d'essence communautaire] vont au devant des
personnes étrangères de la diaspora afin de les rencontrer, de les écouter, d'échanger sur beaucoup
de sujets de la vie. Ces chemins de détours [...] une méthodologie est née.[...]
Une autre approche de prévention auprès des migrants est la prise en compte globale du fait
migratoire, de sa complexité et des urgences que génère le risque VIH/sida dans cette situation
comme le fait, par exemple, le GRDR [...] qui assure depuis quatre ans le secrétariat d'un partenariat
associatif, regroupant 65 associations engagées dans des actions de prévention en direction des
migrants" (Goudjo, 2002: 57).
Si la France mène des actions variées (information, communication, éducation, sécurisation des
transfusions, promotion du dépistage, soutien psycho-social, traitement des maladies opportunistes,
lutte contre la discrimination,....) à hauteur de 25 M€ dans le domaine de la lutte contre le VIH/sida
dans les pays en développement (indéterminé, 2005: 108-9), il n'en demeure pas moins qu'elle ne
pratique pas d'ingérence dans les politiques sanitaires ou sociales. L'ingérence porte rarement ses
fruits, tout simplement car elle n'a rien de légitime, si ce n'est la pédagogie prônée par le plus fort.
Or les problèmes de démocratie restent bien réels.
Peu de droits mais surtout des devoirs. Le "devoir" que se sont donnés les médecins de connaître
mon statut sérologique et de le dire à mes parents, sans demander mon consentement, ni m'en
informer. C'était en 1994. J'avais 24 ans. Dix ans plus tard, devenue une grande fille, je fais des
projets avec mon compagnon. La loi dit bien que tous les Congolais ont droit au mariage et celui de
fonder une famille. Nous sommes Congolais et nous satisfaisons à une seule condition: être deux
adultes consentants! Oui, mais nous étions trois: Thierry, le virus et moi. Nos médecins ont été les
premiers à nous décourager. Je me souviens très bien de phrases comme "Mais pourquoi vous
marier alors que vous ne pouvez pas avoir d'enfants ?" Ils nous culpabilisaient: "Mais vous allez
infecter vos enfants!", ou nous faisaient peur: "Avec ton système immunitaire fragile, tu ne
supportera pas la grossesse."Il me fallait donc choisir entre vivre et donner la vie. (Maba, 2008: 32)
Dans le cas du sida, le fardeau est d'autant plus lourd qu'il correspond à une nébuleuse. Comme
nous l'avons vu précèdent, les citoyens "d'ici" qui voyagent "là-bas" peuvent aussi véhiculer des
valeurs démocratiques, mais il est évident, pour plusieurs raisons, qu'ils ne peuvent et ne doivent
pas porter seul ce fardeau.
Premièrement, le modèle anglo-saxon "d'éducation par les pairs" reste théorique, comme le montre
l'expérience française qui a fait l'épreuve de "l'illusion de la communication entre jeunes" (Rudelic-
Fenandez, 1993: 78). Car les jeunes "ne communiquent pas forcément plus entre eux que ne le font
les adultes", et nous ajouterons, "que ne le font les adultes sur un sujet tabou, de surcroît dans un
contexte difficile". L'action des professionnels de terrain est donc absolument nécessaire, ne serait-
ce que pour amorcer un dialogue, assurer une disponibilité et offrir une neutralité.
Deuxièmement, il est clair que l'engagement peut-être un exercice dangereux, même retranché (et
surtout...) derrière une institution associative, et que l'influence internationale à aussi un rôle a
jouer.
"Plusieurs prévenus, dont le président de l’association Aides Sénégal, sont des militants associatifs
impliqués dans des actions de prévention, notamment en direction des hommes ayant des relations
sexuelles avec des hommes (HSH). Leur condamnation s’appuie d’une part sur l’article 3.913 du
code pénal sénégalais qui sanctionne les « actes impudiques ou contre nature entre individus de
même sexe », d’autre part sur l’accusation d’ « association de malfaiteurs » qui vise plus
particulièrement leur travail de prévention auprès des HSH." 62
Le territoire français n'est d'ailleurs pas exempt de problématiques discriminatoires. Ainsi, dans les
Départements Français d'Amérique, l'INPES a dû engager des acteurs pour ses films de campagnes
de proximité, étant donné qu'aucun séropositif ne voulait témoigner à visage découvert (JDS, 2006:
12). L'idée était de présenter "un discours positif" (insertion sociale, accès aux soins et au dépistage,
etc..) dans le but de "sortir de la victimisation".
A la vue du taux de prévalence en Guyane, on se demande à quel point ce département est français.
L'exemple de ce qui se tisse entre les "là-bas" et le "ici" pourrait nous apprendre sur notre "ici". Il
pourrait nous requestionner sur notre concept de "frontière", sur l'implicite territorial qu'il entend,
mais sur la question trans-frontalière qu'il pourrait ouvrir.
"Phénomène universel, la migration est toujours pensée dans le cadre de l'unité locale et, en ce qui
nous concerne, dans le cadre de l'Etat-nation."(Sayad, 1999: 5).
62 http://www.cns.sante.fr/spip.php?article291
Ainsi, le phénomène migratoire n'est jamais analysé en dehors des catégories de la pensée d'Etat qui
séparent les "nationaux" des "non nationaux".
Quant aux associations développant des liens avec la culture ou le pays d’origine, elles sont
considérées par leurs partenaires comme associations « culturelles », « humanitaires » ou de
« solidarité internationale », quand ce n’est pas comme « communautaristes ». De telles
catégorisations reflètent et maintiennent une dichotomie encore prégnante entre d’une part
« l’intégration », dont les populations immigrées ou d’ascendance immigrée sont considérées
relever ; -et d’autre part les politiques de « développement » ou de « co-développement » à
destination des pays d’origine de ces mêmes populations.
Ce faisant, c’est une vision exclusive entre « ici » et « là-bas » qui est reproduite, au terme de laquelle
les processus d’appartenances multiples, dont les associations peuvent être les porteuses, y compris
de manière paradoxale, sont déniés [2]. Mais si elles masquent souvent la richesse et la complexité de
ces pratiques associatives, l’analyse des catégorisations à l’œuvre n’en constitue pas moins un
puissant outil de lecture des représentations à l’œuvre et de leurs limites 63.
Une des limites de ces catégorisations est qu'elles empêchent justement de prendre en compte la
pluri-dimensionnalité de ces associations, qui mettent en lien une "diversité de lieux et de thèmes,
articulant questions d'insertion et de développement, la France, l'Afrique, l'Europe".
"Leurs actions sont donc bien « pluridimensionnelles », et cette caractéristique semble profondément
déstabiliser les pouvoirs publics locaux alors même qu’elle fonde les processus de réorganisation des
formes d’appartenance sociale et culturelle et permet le développement de formes originales de
pratiques citoyennes." 64
Ainsi, le GRDR prend le phénomène migratoire comme un "fait social total" et considère ses enjeux
aussi bien dans les sociétés de départ que dans les sociétés dites d'accueil. "Ici" et "là-bas" s'avèrent
deux pôles d'un processus bouclé sur lui même. De sorte que le premier pourrait se révéler un
territoire impensé, un ailleurs inconnu, comme un là-bas à anticiper.
"La « question de l’immigration », notamment dans son lien avec le sida, ne peut plus être abordée,
comme elle l’a toujours été, du point de vue d’un territoire national et de ses frontières. Il s’agit
d’engager la recherche sur le développement des biopolitiques dans le cadre inédit de leur gestion
transnationale." (Fassin, 2002: 2).
63 " Fondements et effets des catégorisations de l’engagement associatif. Exemples de jeunes d’ascendanceimmigrée". Catherine Neveu, Rafaël Ricardou et Marielle Cartiaux, Première partie. http://lmsi.net/spip.php?article863
64 Id.
D'autant plus que la France s'est engagée, lors des sommets du G8 de juillet 2007 et 2008, en faveur
de l'accès universel aux traitements des grandes pandémies pour 2010 (ACTION, 2008: 6). Il reste
six mois, alors que la France a gelé son aide à 300 millions d'euros pour le fonds mondial de la lutte
contre le sida...
Quant à l'Aide Publique au Développement (APD), la comptabilisation des dépenses (9, 5 milliards
alloués) est contestée sur la base qu'elle serait sans relation avec le développement. La sénatrice
Monique Cerisier-ben Guiga exprime, à propos de l'aide pour l'année 2009:
"Rien, pas même la visite éclair du Président de la République à Doha le week-end dernier, ne nous
empêchera de constater que les chiffres de l’Aide Publique au Développement mentent : la moitié de
notre APD est factice, l’aide bilatérale stagne depuis 2001 à 1,7 milliard d’euros et baisse de 12 %
dans le projet de budget pour 2009. De surcroît, le décret du 28 novembre dernier annule plus de 27
millions d’euros en autorisations d’engagement et plus de 34 millions d’euros en crédits de paiement.
Monsieur le secrétaire d’État, quels secteurs seront-ils frappés par cette annulation ?" 65
Parallèlement, des accords de gestion concertée des flux migratoires (concertation entre pays
d'émigration et pays d'immigration) ont conditionné l'aide au développement, ce que dénonce la
CIMADE:
« Le développement est un droit reconnu par les Nations-Unies et ne saurait faire l'objet de
conditionnalité quelle qu'elle soit. Conditionner l'aide publique au développement au contrôle des
flux migratoires constitue un chantage d'autant plus inacceptable que certaines politiques
économiques et commerciales européennes sont loin d'être neutres sur les phénomènes
migratoires. »66
65 http://www.senateursdesfrancaisdumonde.net/monique-cerisier-ben-guiga/activite-parlementaire/829/budget-2009-aide-publique-au-developpement.html66 http://fr.wikipedia.org/wiki/Aide_publique_au_développement
A5. Recherche et Prévention au Sud
Les actions qui se déroulent là-bas concernent également la recherche scientifique et les politiques
économiques. Ce que nous avons soulevé au début de ce mémoire quant à l'histoire de la recherche
sur le sida vaut également pour le "Sud", d'autant plus que de nombreux laboratoires délocalisent
leur unité de recherche pour plusieurs raisons.
Après les dérives de plusieurs essais cliniques menés dans les pays du Sud, des associations de lutte
contre le VIH et des groupes communautaires de malades s'emparent de questions d'éthique.
"Afrique subsaharienne: renforcer l'engagement communautaire.
En avril 2006, Sidaction a lancé un nouveau programme sur l'éthique de la recherche sur le VIH en
Afrique. Ce programme cofinancé par l'ANRS, vise à donner les moyens à la société civile africaine ,
en particulier aux personnes vivant avec le VIH, de mieux s'approprier les recherches sur le sida,
notamment grâce à la formation des acteurs communautaires. Le programme "Ethique, recherche et
VIH", qui s'étend sur trois ans, vise en priorité des pays africains à "fortes densité de recherche":
[...].
Objectif: développer une expertise communautaire en renforçant les connaissances des partenaires
associatifs du Sud et donner à ces derniers les moyens d'agir localement pour le bénéfice des
personnes qui participent aux essais sur le VIH dans leur pays. " (CNS, 2007: 19)
A ce niveau, le militantisme du "Sud" doit jouer sur un double tableau.
D'un côté, la recherche. Certains exemples exemples concernent les essais chez des usagers de
drogues sans remise de seringues (Transversal, 2008: 45). L'exemple des essais effectués sous
placebo est connu (alors qu'un traitement de référence existait au "Nord")...., cela permet
d'améliorer les scores de la substance testée, mais diminue parallèlement l'espérance de vie des
patients. L'avantage de cet exemple (!!!), est qu'il concerne directement les pays dits développés,
puisque la transparence des essais cliniques restent un certain problème, voir un problème majeur
(Courrier international, 2008; Books, 2009).
De l'autre, l'économie de la santé.
"A l'échelle internationale, l'existence de thérapies efficaces pose également la question de leur mise
en circulation dans les pays du sud, ce qui a pour certaines associations de lutte contre le sida,
contribué à renouveler la question de leur action. Ainsi, les principales associations de lutte contre le
sida sont aujourd’hui engagées dans la lutte pour l’accès aux ARV dans les pays du sud. Des réseaux
transnationaux de solidarité se sont organisés autour de cette problématique, ainsi qu’un lobbying
au sein d’organisations comme l’OMC autour des questions de brevets pour la production de
médicaments génériques." (Musso, 2004: 6)
L'accès aux médicaments coûteux reste problématique pour les "Pays les Moins Avancés", selon le
terme onusien consacré. En décembre 2006, la Thaïlande avait par exemple, en accord avec les
règles internationales (Aspects des Droits de Propriété Intellectuelle qui touchent au Commerce
(ADPIC), Déclaration de Doha relative à la santé publique), émis sur divers médicaments des
licences obligatoires, ce qui lui donnait la possibilité de commercialiser les médicaments à un
moindre coût en échange d'une redevance au propriétaire du brevet.
"Bien que la décision du gouvernement thaïlandais respecte l’accord sur les ADPIC, la firme Abbott,
concernée pour un des médicaments, a décidé en réaction de ne plus enregistrer de nouveaux
produits dans ce pays, dont le Kaletra en comprimé. Ce médicament est indispensable aux malades
chez lesquels les autres traitements ont échoué. Sa forme en comprimé est particulièrement adaptée
aux pays tropicaux, car elle n’implique pas l’utilisation d’une chaîne du froid pour la conservation
du produit." (CNS, 2007).
Nous finirons sur cette note des années 1998, pessimistes, mais qu'il s'agit d'interroger:
" Dans les, pays industrialisés, l'épidémie ralentira dans certains groupes, mais elle fera sans doute
davantage de victimes dans les groupes défavorisés. Le coût des soins augmentera, parce que
davantage de personnes recevront des traitements plus efficaces. Au Nord comme au Sud, les élites
sociales risquent de freiner les efforts destinés à lutter contre les facteurs de vulnérabilité au VIH. "
(Transcriptase, 1998)
- CONCLUSION DE LA SECONDE PARTIE -
De manière assez cynique, alors que les "migrants" ont constitué, dès le début de l'épidémie, un des
symboles de vecteur épidémique, à partir de bases non statistiques, ils n'ont pas constitué d'objet
scientifique avant la fin des années 1990.
L'évitement et la sur-détermination des "migrants" dans les analyses épidémiologiques et
sociologiques ont ainsi conduit à en faire une population "impensée et indicible". A tel point que
l'Etat s'est appuyé pendant longtemps sur l'expertise des associations pour relayer la prévention
contre le sida auprès de ces populations. L'identité des "migrants" importait des contraintes
spécifiques, tels que des obstacles culturels, religieux ou linguistiques, dont l'aspect socio-culturel
prenait quasi-systématiquement le pas, dans les textes, sur l'aspect socio-politique.
Les premiers chiffres officiels sont publiés en 1999 dans la vaste catégorie "migrants". Au cours des
années 2000, les DOS sida/VIH intégrent trois nouveaux critères, complémentaires les uns aux
autres, en vue de déterminer plus précisément le lien entre phénomènes migratoires et sida. Les
chiffres indiquent ce que d'aucun savaient, la contamination est importante dans la tranche de
population dont la migration est "récente" (tout au moins inscrite dans le parcours de vie), relevant
ainsi un problème politique d'accès au systéme de santé. Ces chiffres sont "contestés", dans un
second temps, par certains descendants de "migrants" qui souhaitent élargir plus encore la catégorie
afin de s'y inclure, estimant suivre un processus d'exclusion similaire.
De plus, l'épidémiologie sous estime la réalité, de fait, puisqu'elle s'appuie principalement sur les
DOS sida/VIH, des mesures partielles et contingentes de la prévalence du sida dans les populations.
Pour le cas des "migrants", particulièrement, qui ne fréquentent pas les lieux de dépistage.
En revanche, lorsqu'ils apprennent leur séropositivité, ces personnes effectuent les démarches
nécessaires pour se procurer des médicaments. L'aspect socio-politique du problème apparaît
pleinement dans le différentiel défini par la fréquentation de lieux de dépistage, et celle des
structures d’accès aux thérapies. Il ne s'agit pas, pour autant, de nier les vulnérabilités spécifiques
au virus induites par le domaine socio-culturel, mais de ne pas s'y laisser prendre. Car tomber dans
le culturalisme empêche de mettre en place, d'une part, des mesures basées sur la confiance en
l'autre, sur sa capacité à répondre positivement à son environnement, et sur sa potentialité à créer du
nouveau, à redéfinir son espace et ses règles, de son propre arbitre. D'autre part, cela peut constituer
un dédouanement de la culture dominante, ou un aveuglement dans lequel son jugement risque de
buter sur un racisme inconscient. Dès lors, une santé publique qui serait basée essentiellement sur
des critères de biolégitimité, de sauvegarde de la vie, et qui ne considérerait pas le contexte
sociologique de vie (et non pas seulement le contexte socio-économique) serait une santé amputée.
L'approche de la santé doit prendre en compte le culturel et le social, afin de déterminer comment
un groupe se transforme à l'encontre d'éléments à la fois externes (la prévention) et internes (les
relations sociales du groupe). Omettre la force de levier que représente les interactions entre pairs
revient à faire de la prévention en aveugle (il ne s'agit pas d'évoquer ici les médiateurs qui
relayeraient un discours, mais d'envisager l'appropriation par un groupe d'éléments d'un discours
donné, en vue de fabriquer son propre discours). Nous avons manqué, dans ce mémoire, une
question très importante, celle de la médiation, de sa nature, et de ses fonctions.
Cela implique de travailler avec la sociabilité et, in extenso, avec les structures sociales. Car si
certains groupes fortement concernés par le VIH adhérent de fait à l'environnement dans lequel ils
vivent (i.e, le groupes des "homosexuels"), et bénéficient d'un capital culturel qui favorise le
développement de leur réseau avec le monde externe, un groupe culturellement marginal devra non
seulement s'efforcer de créer du lien avec l'altérité dans laquelle il s'insère, mais devra agir de
surcroît par le biais de ses liens sociaux internes. Accorder à cette minorité la possibilité de
pratiquer un empowerment à la fois interne et externe revient à lui donner l'occasion de mettre en
place un processus performatif, et de décider en toute liberté de ce qu'elle peut devenir.
Cet empowerment nécessaire passe avant tout par l'appropriation de la réalité. C'est pourquoi, en
terme de communication, les "migrants" ne peuvent rester des récepteurs passifs de l'information,
mais doivent au contraire la produire. Ce faisant, ils définissent les questions qui les concernent
dans un processus de construction mutuelle. Par cette seule condition apparaît une expertise, bientôt
renforcée par la recherche de solutions qui leurs sont propres.
Mais cette production traduit beaucoup plus qu'une auto-énonciation. Elle reflète une forme
originale de citoyenneté puisque les émigrés-immigrés se situent, le plus souvent, aussi bien dans
une démarche d'intégration, que de co-développement avec leur pays de départ.
Les parcours de migration, très variés, peuvent aboutir à un retour au pays, mais l'équation est
rarement nulle. Durant toute la période d'immigration, qu'elle soit définitive ou temporaire, des liens
sont sauvegardés avec le pays. Emerge alors une nouvelle identité, celle de personne qui vivent tout
à la fois "ici" et "là-bas". Car si le "ici" leur réserve un chemin qu'il ne peuvent anticiper, ils ont
derrière eux un "là-bas" qu'ils connaissent. S'il faut "s'intégrer" ici, il s'agit de construire une identité
non amnésique, de ne pas se désintégrer. Ces immigrés ne sont pas seulement des citoyens français,
ils sont des émigrés citoyens français et des immigrés citoyens X. A l'heure où l'Europe se
questionne sur son identité socio-politique, qui mieux que ces personnes peut traduire la notion
d'identité trans-frontalière, et la notion de loi commune ?
C'est pourquoi l'action économique et politique internationale, qui tente d'apporter son aide sanitaire
à des pays qui le nécessitent, ne peut se passer de ces aides diffuses qu'au prix d'une action pas
toujours légitime, qu’au risque de l'inefficacité. Enfin, ce qui vaut "ici" vaut "là-bas", c'est à dire
que la démocratie sanitaire doit-être internationale. Sans cela, il faudra parler d'un phénomène
participatif en lui retirant le qualificatif "démocratique".
- CONCLUSION GENERALE -
Il n'est pas question d'affirmer ici que la recherche menée au cours des années 2000 sur les
"migrants" n'a rien apporté à l'information développée par le GRDR avec des émigrés-immigrés.
Mais au regard de la seconde, l'atout de la première réside quasi-uniquement dans son aspect
quantitatif.
Il est évident que si le GRDR travaille avec une tranche restreinte d'émigrants-immigrants, toute
approche similaire d'un groupe différent (la population d'Europe de l'Est par exemple) aurait fait
émerger de l'information. A l'inverse, au regard de l'approche institutionnelle, l'atout de la
recherche-action tient dans son aspect performatif. C'est pourquoi, virtuellement, les bénéfices
rendu possibles par cette dernière modifient les résultats mis en évidence par les enquêtes
épidémiologiques et sociologiques. Loin de dire que ces enquêtes, qui ouvrent la voie à une
prévention ciblée, sont inutiles pour agir dans le pays d'immigration. Mais la recherche-action agit
de facto dans le pays d'émigration, et insère une boucle dans les enquêtes épidémio-sociologiques,
les court-circuitants, pour ainsi dire. Rappelons cependant, si besoin est, que le lien entre émigrés et
sida n'est pas requis d'avance, contrairement à ce que certains raccourcis pourraient établir.
La question revient donc. Qu'est-ce que le sida révèle dans ses formes les plus récentes ?
Dans un premier temps, une reconnaissance institutionnelle et une prise en main du problème
"migrant". Ensuite, une reconnaissance peut-être trop exclusivement portée sur un sida local. La
biolégitimité est un nuage qui s'arrête au frontière. Pourtant, la tentative sanitaire d'intégrer les
immigrés "ici" s'éteint au niveau de la boucle instituée par la recherche-action avec le "là-bas". C'est
ce que gage en théorie, sur un plan économique, le concept "d'Eurafrique"….
La loi votée le 24 juillet dernier [2006] à l'initiative du ministre de l'Intérieur et de l'Aménagement
du Territoire incite les immigrés à investir leur épargne dans le développement de leurs pays
d'origine. Le but est de renforcer l'aide à la création d'entreprise dans le cadre de micro-projets.67
A l'avenir, nous verrons si le modèle de santé se revendique du modèle économique et les nuances
qu'il pourrait lui apporter!
Deuxièmement, certaines associations se plaignent du fait que le sida soit parfois l'unique moyen
d'obtenir des financements. Le VIH tue, mais pas seulement des hommes. Le problème est que le
67 Réforme, n°3191, 21septembre 2006. http://www.reforme.net/archive2/article.php?num=3191&ref=1739
sida reste la principale MST qui concerne l'homme blanc. C'est pourquoi le maître enseigne la santé
sur le point qu'il connaît, sur le point qui le concerne. Le sida pourrait nous apprendre que nous ne
cherchons à protéger chez l'autre que nous même. Il serait ainsi permis de parler de minorités post-
coloniales. Usant d'une autorité d'énonciation, le maître affirme une vision basée sur le modèle de la
"croyance en la santé", enseignant le seul sida à partir de représentations qui lui sont propres.
Une communication basée principalement sur le sida considère des "migrants" déjà intégrés, des
migrants "blancs". Le sida pourrait alors nous révéler notre propre incapacité culturelle à s'intégrer
au monde de l'autre. Notre "ici" deviendrait alors un "là-bas", et nous même des "migrants"
incapables de nous adapter dans le "ici" qui est le leur.
Cependant, avec Socrate, la maïeutique accouche les esprits. Le maître civilisé prolonge
simplement les côtés du premier carré, et l'esclave de Ménon recompose de lui même un carré de
double surface, comprenant alors que ces extensions sont devenues non plus des côtés, mais des
diagonales.
"L'esclave est désormais dans l'embarras, ce qui rappelle évidemment l'état de torpeur dans lequel
Ménon disait être. Socrate y fait explicitement allusion en utilisant le terme de raie torpille. Mais il
est clair, affirme Socrate, que le garçon a fait beaucoup de chemin : « [...] à présent le voilà qui
considère désormais qu'il est dans l’embarras, et tandis qu'il ne sait pas, au moins ne croit-il pas non
plus qu'il sait » (84a-b). Il est maintenant dans une meilleure situation qu'avant, et Ménon en
convient. En particulier, cela est profitable parce que jamais on ne cherche ce qu'on croit savoir." 68
La page d’acueuil internet du CRIPS pose l’aporie suivante : "Contentons nous de faire réfléchir,
n'essayons pas de convaincre ". Alors, le sida pourrait révéler une certaine réflexivité en science de
la communication.
"À l’heure où la France vient de se donner la très belle loi de Sécurité sociale, c’est-à-dire au moment où
la médecine va évoluer vers une médecine préventive, il est nécessaire que le Peuple tout entier puisse
être apte à comprendre et à aider cette révolution médico-sociale. […] Le Ministère de la Santé et de la
Population […] pourrait alors créer un Institut central de Propagande Sanitaire. Cet Institut pilote
serait chargé d’élaborer le programme des films nécessaires à l’éducation sanitaire du pays. Une
politique de la Santé Publique et de la Sécurité sociale, telle qu’elle vient d’être engagée doit s’appuyer
sur le film pour sauver des hommes, pour leur rendre la vie meilleure et plus longue, et pour faire naître
des vocations dont la France éprouve le besoin."69
68 "Ménon", wikipédia. http://fr.wikipedia.org/wiki/Ménon69 Dr Jean Dalsace, « Cinéma, Biologie et Médecine », Revue Internationale de filmologie, n° 1, juillet-août 1947. Référence tirée d'un article de Valérie Vignaux, publié dans la revue 1895, n°37, Varia, 2000 : "Femmes et enfants ou lecorps de la nation. L’éducation à l’hygiène dans le fonds de la Cinémathèque de la Ville de Paris"
- EPILOGUE -
« L'efficacité de la lutte contre le sida ne repose pas seulement sur les effets comparés des
molécules ou du candidat vaccin, mais plus certainement sur la confrontation d'expériences
diversifiées de prévention et sur l'évaluation des politiques de santé. Il serait catastrophique
d'oublier que le droit et le respect des personnes ne sont pas des principes abstraits […]. On le
constate ainsi en Afrique : de la reconnaissance du statut de la femme dépend directement la
qualité et l'efficacité des actions communautaires... »
(Edelmann & Hirch, 1994: édito)
- BIBLIOGRAPHIE -
ACTION, 2008, "Conférence internationale de Mexico. Honte à la France : Les raisons d’unecampagne. Promesses et déclarations, mensonges sur les engagements et mensonges sur les chiffres",ACT UP, n°114, septembre.
ANRS, 2008, "Les femmes et le sida en France. Enjeux sociaux et de santé publique", Paicheler G. &Job-Spira N., (coord.), Sèvres : Editions EDK, ANRS, Médecine Sciences, Vol. 24, Hors-série n°2,mars 2008, 216 p.
ARCAT, 2004, "Les Chinois d'Ile-de-France et l'infection à VIH"
_______, 2009, Le Journal du Sida, n°210, jan-fév-mars, 6,
BACQUE Marie-Hélène, REY Henri, SINTOMER Yves, 2005, "Gestion de proximité et démocratieparticipative. Une perspective comparative", La Découverte, Paris, 314 p.
BARBOT Janine, 1999, "L'engagement dans l'arène médiatique", Réseaux, n°95, CNET/HermèsScience Publications, 155-196
_______________, 2002, "Les malades en mouvement. La médecine et la science à l'épreuve du sida"Balland, Paris, 307 p.
BOUCHAUD Olivier, 2007, "Intégrer les représentations culturelles dans la prise en charge desmigrants", La Santé de l'Homme, n°392, nov-déc, 25-27
BERTINI Barbara, 2008, "L'expérience du GRDR: les migrants, acteurs de prévention", Stratégies deprévention du VIH auprès des migrants, Lettre du CRIPS, n° 85, février, 5-6
BESNARD Jean-Pierre, 2006, "Compagnons d'Emmaüs: acteurs du théâtre participatif", La santé del'homme, n°382, mars-avril, 37-38
Bulletin Epidémiologique Hebdomadaire:− 1987, n°32, “Situation du SIDA en France au 30 juin 1987”, 126, Direction Générale de la Santé.− 1990, n°23, “Surveillance du SIDA en France, Situation au 31 mars 1990”, Direction Générale de
la Santé.− 1995, n°46, “Surveillance du SIDA en France (au 30 septembre 1995)”, Direction Générale de la
Santé.− 1999, n°27, “ Situation du SIDA dans la population étrangère domiciliée en France – Depuis le
début de l'épidémie jusqu'en juin 1998”, Institut de Veille Sanitaire.− 2000, n°38, “Surveillance du SIDA en France, Situation après deux ans d'interruption”, Institut de
Veille Sanitaire.− 2000, n°52, “Tendances récentes du SIDA en France”, Institut de Veille Sanitaire.− 2001, n°47, "Surveillance du sida en france, Situation au 30 sept 2001", Institut de Veille
Sanitaire.
BOOKS, "Le scandale de l'industrie pharmaceutique", avril 2009, 14-23
CALLON M., Lascoumes P., Barthe Y, 2001, "Agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratietechnique". Presse de l'école des mines, Seuil, Paris, 368 p.
CAZEIN Françoise , LOT Florence , PILLONEL Josiane , LE STRAT Yann , PINGET Roselyne ,DAVID Danielle , LECLERC Marlène , COUTURIER Sophie, BENYELLES Lotfi , SEMAILLECaroline , 2008,"Actualités épidémiologiques sur le VIH et le sida"Unité VIH-IST-Hépatites B-C, Département des maladies infectieuses, InVS, 17 novembre .
http://www.invs.sante.fr/publications/2008/actualites_vih_sida_ist_2008/surveillance_vih_sida.pdf
CECCHI Catherine, "La place de l'information dans la décision en santé publique", Santé publique(20), n°4, Société Française de Santé Publique, 387-394
CFES, 1999, "Programme de communication et de promotion de la santé sur le sida. Cadre de travailpour les années 2000-2002", version du 13/12/99, 75 p.
_____, 2002, "Etude qualitative sur les modes et sources d'informations des migrants concernant leVIH", 342 p.
CHARDIN Catherine, 2007, "La place des associations de migrants dans la prévention du sida", LaSanté de l'Homme, n°392, nov-décembre, 34-35
CHOSSEGROS Philippe, LAGUILLAUME Claude, 2004, "Soutenir d'avantage les réseauxsanitaires et sociaux", La santé de l'homme, Paris, n°369, jan-fév., 17-18
COLLET Murielle, 2007, "Beaucoup de choses n'étaient pas dites", entretien avec Frédéric Edelmann,Le Journal Du Sida, n°200, novembre. 8-10
Conseil Oecuménique des Eglises, 1993, "La recherche appliquée fondée sur la participation. Surle sida et la communauté, Lieu de santé et de guérison", COE (ed.), Suisse, 185 p.
Conseil National du Sida, 1998, "Confidentialité. Avis sur un projet de modification du système desurveillance épidémiologique du VIH en France"
http://www.cns.sante.fr/htm/avis/confidentialite/29_01_98/fr_1_b.htm
Courrier International, 2008, "A votre santé! Merveilles et dérives de la médecine du XXIè siècle",Hors-série, oct.-nov.-décembre
CNS, 2007, "Discrimination", Communiqué de presse contre l'expulsion des étrangers malades, 16février.
http://www.cns.sante.fr/htm/avis/discrimination/16_02_07/fr_1_b.htm
____, 2007, "Discrimination. La firme pharmaceutique Abbott doit changer d’attitude vis à vis despersonnes atteintes par le VIH/sida", Communiqué de presse du 27 juin.
http://www.cns.sante.fr/spip.php?article281
CRIPS, 2005, "Migrants et VIH", Dossier de synthèse documentaire et bibliographique, septembre.
DAB William, 1993,a) "La décision en santé publique, surveillance épidémiologique, urgences et crises", SNEP, Rennes,286 p.b) "La sexualité française questionnée ", Transcriptase, n°14, mars, 23-27
DAMOISEAU Monique, 2004, "S'ouvrir sur le social et le médico-social", La santé de l'homme,Paris, n°369, jan-fév., 48
DEFERT Daniel, 1994, "Le malade du sida peut-il être un réformateur social ?", Esprit, n°203, juill.,100-118
______________, 2006, Post-face in "Nos années sida, Vingt-cinq ans de guerres intimes", LaDécouverte
DODIER Nicolas, 1999, "L'espace public de la recherche médicale", Réseaux, n°95, CNET/HermèsScience Publications, 109-153_______________, 2003, "Les leçons politiques de l'épidémie de sida", Edition de l'Ecole des hautesEtudes en Sciences Sociales, Paris, 359 p.
DORMAGEN Jean-Yves, MOUCHARD Daniel, 2007, "Introduction à la sociologie politique", DeBoeck & Larcier, Bruxelles, 271 p.
Direction Génèrale de la Santé, 2008/09/23, Communiqué de presse "Information aux patients ayanteu recours à une interruption volontaire de grossesse à Barcelone (Espagne)"
DRAUSSIN Jacques, 1996, "Communication, l'âge de raison?", La santé de l'homme, n°326, nov-déc., 15-18
EDELMANN Frédéric, HIRCH Emmanuel, 1994, Le Journal du Sida, n°67-68, nov.-décembre, édito.
EPSTEIN Steven, 2001,a) "Histoire du sida.1. Le virus est-il bien la cause du sida ?", Les empêcheurs de penser en rond,Paris, 276 p.b) "Histoire du sida. 2. La grande révolte des malades", Les empêcheurs de penser en rond, Paris, 308p.FAVEREAU Eric, 2006, "Le VIH, un risque consenti chez certains homos", interview de France Lert,Journal "Libération", 20 juin
FASSIN Didier, 1999, "L’indicible et l’impensé : la « question immigrée » dans les politiques dusida", Sciences sociales et santé, vol 17, n°4, déc., 5-36
_____________, 2000, "Les enjeux politiques de la santé. Etudes sénégalaises, équatoriennes etfrançaises", Karthala, Paris, 193-211.
_____________, 2002, "Sida, immigration et inégalité : nouvelles réalités, nouveaux enjeux",Sciences sociales et sida, ANRS, Paris, 1-11
_____________, 2005, "Santé et immigration, un objet politique à reconstruire", in "Sida etpauvreté", 38ème session de la comission de la population et du développement de l'ONU, New-York,Ministère des affaires étrangères, Ministères de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement, 79-87
_____________, 2006, "Nommer, interpréter. Le sens commun de la question raciale" (19-36) in « Dela question sociale à la question raciale ? Représenter la société française », Fassin Didier & FassinEric (dir.), La Découverte, 263 p.
FONTENAYNOTE Franck, 1989, "La première campagne sur le sida de l'ALS", Sida 89, juill.-août,n°6, 7-8
FROIDCOURT Dominique, 1998, "Tentative d'analyse et/ou d'évaluation du message préventifntélévisuel contre le Sida ciblé sur les adolescents, à propos de la réception des différents messagesutilisés par rapports aux attitudes et comportements des adolescents", Mémoire de Licence en SantéPublique, Université catholique de Louvain, Faculté de Médecine, Ecole de Santé Publique, 112 p.
GERY Yves, 2004, "Promotion de la santé: le temps des réseaux?", La santé de l'homme, PAris,n°369, jan-fév., 13-57
__________, 2006, "Démarche participative et santé: mythe ou réalité", La santé de l'homme, Paris,n°382, mars-avril., 11-40
GOUDJO Abdon, 2002, "Migrants: entre lois, cultures et soins", Transcriptase, avr-mai, 100, 55-58
_________, 2004, "Richesse et faiblesse du paysage associatif français", Transcriptase, fév-mars, 114,32-35HABERMAS Jurgen, 1978, "L'espace public. Archéologie de la Publicité comme dimensionconstitutive de la société bourgeoise", Payot, Paris, 324 p.
HAUS Rachel, DAUTZENBERG F., LERT France, RUDELIC-FERNANDEZ Dana, LEFEBVRE-NARE F., JAYLE Didier, 2000, "Comparaison des interventions classiques et théâtrales réalisées parle Centre Régional d'Information et de Prévention du Sida (CRIPS) pour la prévention du VIH dansles lycées et CFA de la région parisienne : enquête avant-après, année scolaire 1999-2000". 27p.
HERZILCH Claudine, ADAM Philippe, 1997, "Urgence sanitaire et liens sociaux: l'exceptionnalitédu sida?", Cahiers Internationnaux de sociologie, CII, jan-juill., PUF, Paris.
Indéterminé, 2005, "Action de la France dans le domaine de la lutte contre le VIH/sida dans les paysen développement", in "Sida et pauvreté", 38ème session de la commission de la population et dudéveloppement de l'ONU, New-York, Ministère des affaires étrangères, Ministères de l'emploi, de lacohésion sociale et du logement, 107-111
Institut de Veille Sanitaire, 2002, "Surveillance des cas de syphilis au 30/04/2002", http://www.invs.sante.fr/recherche/index2.asp?txtQuery=syphilis&Submit.x=0&Submit.y=0
JAYLE Didier, RICHARD Hugues, 2002, "La prévention du sida: un instrument de changementsocial", Transcriptase, avr.-mai, 2002, 15-18
Journal Du Sida, 2006, "Dans les coulisses des campagnes", n° 183, mars, 10-15
KAPUSTA-PALMER Catherine, 2008, "Pour une visibilité des femmes séropositives", interviewréalisé par Vincent Michelon, Transversal, nov.-déc, p°15.
LAFON Benoît, PAILLIART Isabelle, 2007, "Malades et maladies dans l'espace public", Questionsde communication, n°11, 7-15
LAMOUREUX Philippe,2006, "L'approche participative dans un projet de santé". La Santé de l'Homme,n°382, mars-avril, p.12
LASCOUMES Pierre, 2003, "Santé : où sont les pouvoirs ? L’usager, acteur fictif ou vecteur dechangement dans la politique de santé ?", Sève, n°1, Hiver, 59-70
LASCOUMES P. & LE GALES Patrick, 2007, in "Sociologie de l'action publique", Singly François(dir.), Armand Colin (ed.), 2007, Paris, 127 p.
LEFEVRE Philippe, 2001, "Un institut pour promouvoir les pratiques communautaires", La Santé del'Homme, jan-février, n°351, 23-24
LEMONNIER Pierre, 1996, "Les nouvelles voies de la communication vers les migrants", La santé del'homme, nov-décembre, n°26, 45-47
LE NET Michel, 1993, "Communication publique: Pratiques des campagnes d'information", Ladocumentation française, n°71
LERT France, 2002, "Une image atomisée de la prévention", Transcrioptase, automne, n°104, spécialANRS informafion, XIVème conférence internationale sur le sida, Barcelone, 38-39.
LERT F., 2008, "Adapter la prise en charge à la situation socio-économique des migrants",interviewer par frégaville Olivier, La santé de l'homme, n°393, 11-12
LESELBAUM Nelly, 2002, "L'éducation à la santé en milieu scolaire au fil des textes officiels", Lasanté de l'Homme, nov-décembre, n°362, 30-31LE VU Stéphane, Lot Florence, Semaille Caroline , 2005, «Les migrants africains au sein dudépistage anonyme du VIH, 2004”, Bulletin Epidémiologique Hebdomadaire, n° 46-47, Institut deveille sanitaire, Saint-Maurice.
LYDIE Nathalie, 2008, "Les populations africaines d'Ile-de-France face au VIH/sida", La Santé del'homme, jan-février, 8-10
MABA Valérie, 2008, "Comme si le virus faisiat perdre la qualité de citoyen...", interviewé parKouton Mach-houd, Gingembre (RAAC SIDA), hiver, 32-33
MALSAN Sylvie, 2006, "Les Corevih, La promesse d'une véritable démocratie sanitaire", LeJournal du Sida, n°183, mars, 25-28
______________, 2007, "2000-2002, la transition de la démocratie sanitaire. Un concept porté par leJDS", novembre, n°200, 33-34
MANDERSCHEID Jean-Claude, 1996, "Analyse de l'impact de la diffusion télévisée d'une série decourts-métrages de prévention", Transcriptase, juin, n°46, 10-12
MATHIEU Lilian, 2001, "Un institut pour promouvoir les pratiques communautaires", La Santéde l'Homme, n°351, jan-février, 21-22
Mc KEE Neill, BERTRAND Jane T., BECKER-BENTON Antje, 2004, "Strategic communicationin the HIV/AIDS Epidemic", Sage Publications, New Delhi, California, London, 351 p.
MESSAGER Marianne, 1995, "La communication publique en pratique", Les éditionsd'organisations, Paris.
MENARD Colette, 1996, "La double contrainte de la communication publique sur le sida: unenjeu réussi", La santé de l'homme, Paris, n°326, nov-déc., 18-24
MIEGE Bernard, 1989, "La société conquise par la société", PUG, 1986, 226 p.
MOATTI, 1996, "Les français face au sida aujourd'hui: une évolution ambigüe de la perceptionsociale de l'épidémie", La santé de l'homme, Paris, n°326, nov-déc., 9-12
MULLER Pierre, 2008, "Les politiques publiques", Que sais-je ?, PUF, 1990, 127p.
MUSSO Sandrine., 2003, « Les facteurs d’une vulnérabilité spécifique », Actes de la RencontreNationale des CRIPS, Sida et migrants/étrangers, 12 p.
http://www.lecrips.net/webpaca/Acte...
_______________, 2004, « Sida, immigration et inégalités : les vrais enjeux, les faux problèmes », in« Les enjeux spécifiques de l'interculturalisme dans les actions de prévention du sida », Actes de lajournée de conférences-débats organisée par la Direction Santé Environnement de la Ville deMarseille, Le CRIPS Provence-Alpes-Côte d’Azur, la DDASS 13 et l’EMIPS 13, jeudi 3 juin 2004, 3-16
_______________, 2008, "Sida et minorités post-coloniales. Histoire sociale et enjeux de lacible des "Migrants" dans les politiques du sida en France", thèse d'anthropologie, DozonJ.P. (dir. de recherche), IRD/Ehess. 320 p.
Organisation Mondiale de la Santé, 1996, "La chartre d'Ottawa", La santé de l'homme, n°325, sept-oct, III-V
OLLIVIER-YANIV Catherine, 2006, "La communication publique. Communication d'intérêt généralet exercice du pouvoir", 97-112, in "Sciences de l'information et de la communication. Objets, savoirs,discipline.", Olivesi Stéphane (dir.), PUG. 243 p.
ONUSIDA, 2000, version française, "Cadre de communication sur le VIH/SIDA: Une NouvelleOrientation", ONUSIDA/PENNSTATE (Pennsylvania State University), Suisse, 1999
__________, 2007, version française, “Rapport de l'ONUSIDA 2007, Connaître son épidémie”, avril2008 http://data.unaids.org/pub/Report/2008/jc1535_annual_report07_fr.pdf
__________, 2008, « Situation du sida dans le monde », [en ligne : www.unaids.org]
PAICHELER Geneviève, 1985, "Psychologie des influences sociales. Contraindre, convaincre,persuader" , Delachaux et Niestlé, Neuchâtel-Paris, 247 p.
_____________________, 1997, "Modèles pour l'analyse de la gestion des risques liés au VIH:liens entre connaissances et actions", Sciences Sociales et Santé, vol 15, n°4, déc., 39-71
_____________________, 2002, "Prévention du sida et agenda politique. Les campagnes endirection du grand public (1987-1996)". CNRS Editions, Paris, 28
_____________________, 2002 "La prévention du sida: relance de l'éducation pour la santé ?",La Santé de l'homme, nov-décembre, n°362, 35-36
PICOD Chantal, 1994, "Sexualité: leur en parler c'est prévenir", Erès (ed.), Pratiques du champ social(coll.), 145 p.
PINELL Patrice, 2002, "Une épidémie politique. La Lutte contre le sida en france, 1981-1996", PinellP. (dir.), Presses Universitaires de France (ed.), publié avec le concours de Agence Nationale deRecherche sur le Sida, Paris, 415 p.
POLLAK Mickael, 1988,"Les homosexuels et le sida: sociologie d'une épidémie" Métaillié, Paris.
REQUILLART Denis, 1999, "Les enjeux de la communication publique dans la lutte contre le sida enFrance (1987-1997)", Thèse en communication, UFR des sciences de la communication, UniversitéStendhal/Grenoble 3, Miège Bernard (dir.)
RINN Michael, 2002, "Les discours sociaux contre le sida. Rhétorique de la communicationpublique", De Boeck Université, Bruxelles, 292 p.
RUDELIC-FERNANDEZ Dana, BAJOS Nathalie, LERT France, SPIRA Alfred, DUCOT Béatrice,1996, "3000 scenarios contre un virus": Pour un nouveau modèle de communication sur la préventiondu sida", document du CRIPS, cote 08 A/0088, 1-12
RUDELIC-FERNANDEZ Dana, 1993, "L'illusion de la communication entre jeunes", Le Journal DuSida, n°54-55, sept.-oct., IXème conférence internationnale sur le sida, Berlin, 78-79
SACHS Bernard, 2006, "Démarche participative: interroger les faits", La santé de l'Homme, n°382,mars-avril, 13-15
SAYAD Abdelmalek, 1999, "Immigration et pensée d’Etat", Actes de la Recherche en SciencesSociales, vol. 129, n°1, 5-14
SETBON Michel, 2000, "La normalisation paradoxale du sida", Revue française de sociologie, jan-mars, n°41-1 , 61-78
SINGY Pascal, GUEX Patrice, (dir.),"Communication et médecine. La prévention du sida auprès despopulations migrantes d'origine subsaharienne", Lambert-Lucasn (ed.), Limoges, 154 p.
SITBON Audrey, MARESCA Bruno, 2002 "L'évaluation des campagnes de prévention du Sida",Centre de Recherche pour l'EtuDe et l'Observation des Conditions de vie, Département “Evaluationdes politiques publiques”, N° S1513, septembre,
http://www.credoc.fr/pdf/Sou/etudesida.pdf
SITBON Audrey, 1993-5, "Le sida en France: 100 000 séropositifs. Que font les campagnes deprévention?", mémoire de Maîtrise d'information et de communication, Paris IV, Sorbonne-CELSA-IHESIC, 163 p.
______________, 1996, « L'organisation publique de la prévention du sida: les dessous d'unecampagne d'information. Quels liens entre la connaissance et l'action ? », mémoire de D.E.A,
Sorbonne-ParisV, 194 p.
______________, 1998, "Le sida et ses thérapies dans les médias, du drame à l'espoir." , ComitéFrançais d'Education pour la Santé, Vanves, 34 p.
______________, 2006, “Dynamiques organisationnelles d'une politique controversée, une sociologiede la communication publique sur le sida”, Thèse de sociologie., EHESS, G.Paicheler (dir.), 346 p.
STANOJEVICH Elodie Aïna, CYTRYNOWICZ Judith, 2004, "Les enjeux de la communication endirection des populations migrantes", Transcriptases, “Migrants et VIH” , n°114, fév-mars, 43-47
STANOJEVICH Elodie Aïna, VEISSE Arnaud, "Repères sur la santé des migrants", La santé del'Homme, nov-déc., n°192, 21-24
Survivre au Sida, 2006, "Sida Info Service : pour les immigrés, ça sonne mais ça ne répond plus !", 31janvier.
http://www.actions-traitements.org/spip.php?breve2272
TRANSVERSAL, 2008, "Recherche au sud: implication croissante des associations", dossier, nov-décembre, n°45, 18-23
Transcriptase, 1998, Numéro spécial ANRS.
UGIDOS Antonio, 2008, "Stratégies de prévention du VIH auprès des migrants", Lettre d'informationdu CRIPS, n°85, février.
UNESCO, 2002, “L'approche culturelle de la prévention et du traitement du VIH/SIDA”, Manuel pourune information/éducation/communication culturellement appropriée, Elaboration et diffusion, Projetde recherche UNESCO/ONUSIDA, Manuels méthodologiques, série spéciale, Division des politiquesculturelles et du dialogue interculturel, n°1
VIDAL Laurent, 2004, "Les pièges du culturalisme", Transcriptases, fév-mars, n°114, 29-31
WARIN Ph, 2002, "La politique associative en construction. Enjeu économique, enjeu démocratique".Lien social et Politiques, 48: 35-52
http://id.erudit.org/iderudit/007890ar
ZEMOR Pierre, "La communication publique", PUF, Que sais-je ? 128 p.