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1 Quand les codes s'emmêlent: la distance entre les codes du quartier et ceux de l'école publique Santé mentale en contexte social : multiculturalité et précarité 2010 Emilie Lecomte Dans certaines écoles bruxelloises, implantées dans des quartiers populaires à forte densité immigrée, des incompréhensions mutuelles surgissent entre enseignants et élèves. Elles rendent difficile, voire impossible à certains moments, le maintien d'un climat propice aux apprentissages. Cette enquête de terrain propose une clé de lecture pour comprendre ce malaise lié, en partie, à la confrontation de deux univers clos régis par leurs propres codes. La classe peut devenir le lieu d'une compétition entre les codes qui régissent le comportement dans le quartier et ceux en vigueur à l'école. Quand les codes s'emmêlent, une piste pour l'enseignement d'aujourd'hui consisterait à imaginer de manière créative la rencontre entre ces deux mondes. D’emblée, je mettrai en avant le côté « situé » de cette enquête de terrain, auprès de jeunes de quartiers populaires, en décrivant les lieux à partir desquels je l'ai élaborée et réalisée. Qui suis-je? Quel est mon terrain d'enquête? Pourquoi cette problématique? Les réponses à ces questions seront développées dans la première partie de ce travail. Dans le second point, je préciserai la méthodologie pour laquelle j'ai opté afin de mener à bien cette enquête. A travers mes entretiens, j'ai découvert l'attachement des jeunes à leur quartier. S'ils se revendiquent à travers un code postal, ce n'est pas à la commune en tant que telle qu'ils font référence mais à une zone plus précise: plusieurs rues, une cité. S'ils passent une bonne partie de leur temps sur les bancs de l'école, l'autre partie se passe dans leur quartier. C'est là que se manifestent de manière exacerbée les tensions de genre. Les points trois et quatre consisteront à résumer l'essentiel de mes découvertes à ce propos. Dans ma cinquième partie, je tenterai de montrer la difficulté que peuvent ressentir les jeunes immigrés à se construire de manière unifiée. Ils doivent bricoler et composer avec leurs divers lieux d'appartenance. Enfin, en conclusion, j'espère montrer comment cette enquête de terrain et les apports de la formation en tant que telle m'ont permis d'accompagner ma pratique professionnelle d'un regard neuf.

la distance entre les codes du quartier et ceux de l'école ... reddot/formationcontinue... · Au fil de ces trois premières années, j'ai rarement osé me positionner fièrement

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Quand les codes s'emmêlent:

la distance entre les codes du quartier

et ceux de l'école publique

Santé mentale en contexte social : multiculturalité et précarité – 2010

Emilie Lecomte

Dans certaines écoles bruxelloises, implantées dans des quartiers populaires à forte densité immigrée, des incompréhensions mutuelles surgissent entre enseignants et élèves. Elles rendent difficile, voire impossible à certains moments, le maintien d'un climat propice aux apprentissages. Cette enquête de terrain propose une clé de lecture pour comprendre ce malaise lié, en partie, à la confrontation de deux univers clos régis par leurs propres codes. La classe peut devenir le lieu d'une compétition entre les codes qui régissent le comportement dans le quartier et ceux en vigueur à l'école. Quand les codes s'emmêlent, une piste pour l'enseignement d'aujourd'hui consisterait à imaginer de manière créative la rencontre entre ces deux mondes.

D’emblée, je mettrai en avant le côté « situé » de cette enquête de terrain, auprès

de jeunes de quartiers populaires, en décrivant les lieux à partir desquels je l'ai élaborée et réalisée. Qui suis-je? Quel est mon terrain d'enquête? Pourquoi cette problématique? Les réponses à ces questions seront développées dans la première partie de ce travail.

Dans le second point, je préciserai la méthodologie pour laquelle j'ai opté afin de mener à bien cette enquête.

A travers mes entretiens, j'ai découvert l'attachement des jeunes à leur quartier. S'ils se revendiquent à travers un code postal, ce n'est pas à la commune en tant que telle qu'ils font référence mais à une zone plus précise: plusieurs rues, une cité. S'ils passent une bonne partie de leur temps sur les bancs de l'école, l'autre partie se passe dans leur quartier. C'est là que se manifestent de manière exacerbée les tensions de genre. Les points trois et quatre consisteront à résumer l'essentiel de mes découvertes à ce propos.

Dans ma cinquième partie, je tenterai de montrer la difficulté que peuvent ressentir les jeunes immigrés à se construire de manière unifiée. Ils doivent bricoler et composer avec leurs divers lieux d'appartenance.

Enfin, en conclusion, j'espère montrer comment cette enquête de terrain et les apports de la formation en tant que telle m'ont permis d'accompagner ma pratique professionnelle d'un regard neuf.

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1. Les lieux

1.1. Le sens de l'enquête

Je travaille depuis presque trois ans maintenant dans une école à discrimination positive. J'ai étudié la philosophie et fait l'agrégation plus par précaution que par vocation. Ne trouvant pas rapidement de travail dans le monde associatif, je me suis tournée vers l'enseignement et je suis devenue professeur de français et de religion.

Au fil de ces trois premières années, j'ai rarement osé me positionner fièrement en tant que professeur, ni auprès de mes élèves ni auprès de mon entourage. C'était plutôt pour moi une sorte de travail « par défaut ». Je me souviens de ma réponse lorsque des élèves m'interrogeaient et me demandaient pourquoi j'avais choisi ce métier: « Parce que je n'ai rien trouvé d'autre! », essayant de la sorte de me distancier d'eux et de me protéger au travers d'un mur de désintérêt apparent.

Je dois avouer que je n'ai jamais aimé enseigner au sens strict du terme. J'ai

horreur d'arriver en classe et de transmettre des savoirs. J'ai horreur de devoir imaginer des interrogations ou des examens. J'ai horreur des conseils de classe et des bulletins. J'ai horreur de ce carcan institutionnel hyper-huilé qui réduit l'école à la polarité réussite/échec. Quand je parle d'échec, je veux parler de l'échec scolaire en tant que tel lorsque l'élève doit redoubler son année, mais aussi du sentiment d'échec que je ressens quand un élève, en raison de ses problèmes de comportement, est amené à être exclu définitivement de l'école. Les conseils de classe ou « délibération » sont les lieux où s'exemplifie de manière flagrante cette polarité réussite-échec. Au conseil de classe de fin d'année, le parcours d'un jeune se résume à une somme de points, à un pourcentage. Réussi/raté. Et après? Quelle est la valeur de tout ces combats, de toutes ces petites batailles livrées jour après jour, de tous ces apprentissages qui ont pu faire sens et soin et qui ne se montrent pas à travers cette somme de points?

Par contre, je dois dire que j'aime être en classe et imaginer des projets à réaliser

avec mes élèves. J'aime être avec eux et bavarder simplement. J'aime ces échanges, même s'ils sont souvent déstabilisants. J'aime leur faire découvrir de nouvelles choses: des points de vue différents des leurs, des lieux où ils n'ont pas l'occasion d'aller.

Mais la vie en classe n'est pas toujours si simple! Travaillant jour après jour avec

des jeunes d'origines diverses, en proie à des sentiments très forts de rejet et d'exclusion, confrontée quotidiennement à l'agressivité ou à la violence, je me suis souvent sentie démunie, écartelée entre deux mondes clos, deux univers distincts régis par leurs propres codes. C'est pourquoi je me suis lancée passionnément dans cette formation santé mentale en contexte social: multiculturalité et précarité, à la recherche de pistes et d'outils me permettant d'appréhender de manière plus nuancée les problématiques de l'exil, de la migration, de la construction de l'identité; ayant l'intuition qu'en comprenant mieux mes élèves, en comprenant qui ils sont, d'où ils viennent, ce qu'ils vivent, je pourrais peut être instaurer un climat de confiance mutuelle, améliorer ma pratique, la rendre plus adéquate et pertinente ... peut être même efficace!

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J'ai donc choisi de réaliser une enquête sur mon lieu de travail. J'ai enregistré des discussions enflammées avec quelques jeunes qui ont accepté de me faire confiance et de se raconter; de me raconter leur vécu dans leur famille, dans leur quartier, à l'école.

Au terme de ce processus, je voudrais mettre en lumière ce qui a été pour moi des

apprentissages et qui me paraissent être deux enjeux fondamentaux. D'une part, découvrant la force et la légitimité de ce qui est pour moi le « vrai travail », j'ai appris à redéfinir mon métier, à le positiver et à le valoriser. D'autre part, j'ai tenté dans ma pratique quotidienne de me distancier de moi-même et de me rapprocher de mes interlocuteurs afin de rentrer au cœur de leurs logiques, découvrant jour après jour les multiples facettes que peut revêtir la réalité.

1.2. Mon terrain d'enquête: une école dite « turco-marocaine »

L'école dans laquelle je travaille se situe dans la partie nord-ouest de Bruxelles.

Elle est bien desservie par les transports en commun: on trouve à proximité deux stations de métro, plusieurs lignes de tram, de bus et même une petite gare isolée, facilitant son accès à de nombreux élèves venant d'autres localités bruxelloises. Le quartier est désertique pendant les heures d'école. Les rues sont longues et larges, bordées de grandes maisons de maîtres. J'ai le sentiment qu'elles sont plutôt « propres »: de rares déchets jonchent le sol; je ne remarque que quelques graffitis sur des poubelles, des bulles à verre ou des panneaux d'affichage. Par contraste cependant, en se baladant dans le coin, l'une ou l'autre décharge sauvage d'encombrants me saute aux yeux ou au nez: vieux matelas, meubles abimés, sacs poubelles éventrés, vieux vêtements. En remontant de l'école, on aperçoit une place avec quelques jeux où de nombreuses mamans emmènent leurs enfants après l'école. En amont de cette place, se trouve la célèbre rue marchande du quartier qui est toujours très animée.

Le bâtiment parait gigantesque. L'école est entourée de grands murs et d'un petit

parc. Elle cohabite sereinement avec deux autres écoles, l'une primaire francophone et l'autre primaire néerlandophone. Ce site appartenait à une ancienne communauté de Sœurs. Détail plutôt amusant: la chapelle a été transformée en salle de gym. En franchissant la porte de l'école, on voit sur la droite, accroché au mur, un miroir, passage obligé où de nombreuses jeunes filles retirent leur voile en arrivant et le remettent en sortant. Ensuite, en gravissant quelques marches, on se retrouve devant l'accueil, sorte d'aquarium en verre surplombant le hall d'entrée, où un éducateur active l'ouverture d'une seconde porte. N'entre pas dans l'école qui veut! A droite de l'accueil se trouve le bureau du préfet de discipline, craint par tous. Puis face à l'entrée se dessine un long couloir dans lequel les élèves s'entassent bruyamment, attendant le début des cours.

Si on se réfère aux données statistiques de l'atlas des quartiers bruxellois1, on

remarque que l’école est localisée dans ce qu'on appelle communément « le

1 Willaert D., Deboosere P. , Atlas des Quartiers de la population de la Région de Bruxelles-Capitale au début

du 21ème siècle, n°42, Ed. Iris, 2005.

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croissant de pauvreté bruxellois »2. L'établissement compte environ 500 élèves. Ils sont issus du quartier ou d'autres

communes bruxelloises à forte densité immigrée, marquées par la précarité. A en juger par les codes postaux gravés un peu partout sur les murs ou sur les journaux de classe, un bon nombre vient de « 1000-Bruxelles », Molenbeek (« Molen » - « 1080 »), Laeken (« 1020 en force! »), Anderlecht (« 1070 »).

Issus de l'immigration pour la plupart, certains élèves viennent d'arriver en

Belgique et d'autres sont là depuis plusieurs générations. Ils sont majoritairement d'origine marocaine ou turque. Un ou deux élèves par classe sont d'origine africaine et l'un ou l'autre sont issus des Pays de l'Est. Dans cette école libre, catholique, quasiment 90% des élèves sont musulmans.

L'école est à l'image de la ségrégation sociale régnant dans les quartiers dont

proviennent les élèves. Loin de l'idéal de multiculturalité, elle est plutôt considérée comme une école «ghetto».

Grâce aux mesures de discrimination positive3, l'école dispose de plus de moyens

financiers et humains. Pour encadrer ses 500 élèves, l'école dispose d'une soixantaine de professeurs, un préfet de discipline, six éducateurs, une bibliothécaire et un médiateur scolaire. Pareille à la population d'élèves, l'équipe pédagogique est composée de professeurs d'origine maghrébine, turque et européenne.

L'école propose un enseignement secondaire dans les trois filières: générale,

technique et professionnelle. J'enseigne uniquement en « professionnelle ». Les options proposées sont

« travaux de bureau » au 2ème degré et « auxiliaire administratif et d'accueil » au 3ème degré4. L'école organise une septième professionnelle « gestion de très petites entreprises », permettant aux élèves d'obtenir, leur CESS5 et un certificat de gestion à la fin de leur parcours.

Les travaux de bureau sont fort prisés par les parents des élèves car cette option

apparait comme la plus « intellectuelle » des options professionnelles. Souvent, les élèves qui s'y retrouvent ne sont pas là par choix personnel, mais plutôt au terme d'un parcours jalonné d'échecs, de problèmes de discipline et/ou d'énormes difficultés à parler correctement ou à comprendre le français.

2 Voir à ce sujet: Kervyn E., « Une école secondaire professionnelle dans un quartier immigré de Bruxelles.

La démonstration de rapports ethniques », Santé Mentale en contexte social: multiculturalité et précarité,

UCL, 2008.

3 Le dispositif dit des discriminations positives est instauré dans l’enseignement obligatoire par le décret du 30

juin 1998 visant à assurer à tous les élèves des chances égales d’émancipation sociale, notamment par la

mise en œuvre de discriminations positives. Le principe de la discrimination positive, c’est de « donner plus

à ceux qui ont moins ». Dans le cas présent, il s’agit d’octroyer des moyens supplémentaires aux

établissements scolaires accueillant des élèves provenant des milieux les plus fragilisés. Ces implantations

peuvent se voir octroyer deux types de moyens supplémentaires : des moyens humains sous forme de capital-

périodes ou périodes-professeur, des moyens de fonctionnement sous forme de dotations/subventions.

4 L’enseignement secondaire se subdivise en trois degrés de deux ans chacun.

5 Le certificat d'études secondaires supérieures qui permet entre autres d'entamer des études supérieures de

type court.

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Dans leur quartier, leur famille, dans la cour de récréation, les élèves peuvent se faire comprendre dans leur langue d'origine sans parler le français. Pour certains, ils ne le pratiquent qu'en classe!

2. Évolutions méthodologiques. Évolutions dans mon métier

Dès le début de ma carrière d’enseignante, j'ai commencé par m'interroger sur l'école en tant qu'institution. J'avais l'impression qu'elle manquait quelque chose, qu'elle aurait dû aider les élèves à se construire; qu'au-delà des savoirs, d'un métier qu'elle leur apprenait, qu'elle aurait dû leur permettre de se façonner en tant qu'individu, citoyen; qu'elle devrait leur permettre de trouver une place dans la société.

Parallèlement, je me trouvais face à des élèves démunis, rejetant parfois en bloc leur pays d'accueil et ses institutions, revendiquant de manière très forte leurs origines et pourtant n'ayant que très peu de connaissances de leur pays d'origine, sur le pourquoi de leur immigration,... et en fin de compte se sentant étrangers partout! Je me suis donc intéressée de plus près à la problématique de la construction identitaire des jeunes issus de l'immigration et au rôle que pouvait jouer l'école dans ce processus.

Côté méthodologie, j'ai opté pour des entretiens collectifs. J'ai d'emblée été

séduite par cette méthode qui semblait plus facile à mener. Ayant l'habitude de travailler avec des groupes, j'étais effrayée à l'idée de me retrouver face à une personne seule, ne sachant peut-être pas comment trouver les mots pour faire rebondir la discussion. Dans l'entretien collectif, je me sentais rassurée par le groupe en lui-même et ses dynamiques. Le groupe me semblait faciliter la parole, les rebondissements se faisant par eux-mêmes et chacun ayant toujours la possibilité de se cacher ou de se retrancher derrière quelqu'un d'autre s'il n'était pas prêt ou n'avait pas envie de parler. Un autre avantage consistait dans le fait que je pouvais mener ces entretiens collectifs avec une classe pendant des heures de cours. J'ai l'impression que dans ce contexte scolaire, des entretiens individuels dans lesquels j'aurais endossé le rôle du prof et de l'enquêteur auraient inspiré de la méfiance aux élèves et auraient été plus difficilement organisables.

Pour accéder plus facilement à la problématique de la construction identitaire des

jeunes issus de l'immigration, j'ai utilisé dans mes entretiens la question du rêve. Qui êtes-vous? Quel est votre parcours? Quels sont vos rêves? Quels sont les rêves de vos parents?

Il me restait à choisir la classe avec laquelle j'allais travailler cette question.

Donnant cours dans deux classes de quatrième professionnelle, j'ai choisi celle avec laquelle je me sentais le plus en sécurité. Appelons-les les 4PA. Ils étaient douze jeunes âgés de dix-sept et dix-huit ans. C'est la classe avec laquelle j'entretenais depuis le début de l'année une relation privilégiée de respect mutuel et ce malgré les conflits ou les crises occasionnelles. Il régnait dans cette classe une très agréable dynamique de groupe. Les élèves adoraient poser des questions pour comprendre et on passait des heures entières à bavarder de tout et de rien, de religion, de cinéma, de la vie, de philosophie même parfois. La plupart d'entre eux ne manquaient pas de me dire bonjour dans les couloirs et s'arrêtaient même parfois

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pour échanger quelques mots. J'étais titulaire de l'autre classe de quatrième professionnelle, les 4PB. Ils étaient un peu moins nombreux et l'atmosphère de la classe était chargée d'électricité. Dans cette classe, c'était « tout ou rien » et je ne savais pas comment ils réagiraient au projet de ces entretiens collectifs, j'avais peur de ne pas savoir les canaliser ou qu'ils refusent tout simplement de s'exprimer. Que faire de celui qui ne voudrait pas y participer puisque ces entretiens se déroulaient pendant des heures de cours? J'avais peur à la fois que « çà explose » et de m'exposer moi-même.

J'ai donc mené sept entretiens collectifs d'environ 30 minutes chacun, que j'ai

enregistrés, avec la classe de 4PA sur la question du rêve. Chaque séance était consacrée à deux élèves qui avaient préparé à l'avance un petit texte répondant aux questions décrites précédemment. Après leur récit de vie, je laissais libre cours aux réactions. J'avais au préalable consacré une séance à leur expliquer pourquoi je menais ces entretiens et quelles étaient les règles de fonctionnement à respecter (confidentialité et respect).

Ces séances ont été très riches. Au départ, la principale difficulté a été d'instaurer de nouvelles règles de fonctionnement. J'étais leur professeur qui d'habitude fait attention à leur langage, qui est là pour leur apprendre quelque chose, qui cote les travaux. Et je leur demandais, l'espace de quelques heures, de ne plus me percevoir ainsi, de me faire confiance et de se raconter de la manière dont ils le voulaient. Je leur demandais d'échanger les rôles, ils étaient là à présent pour m'apprendre quelque chose. C'était effrayant6 autant pour eux que pour moi mais cela a fonctionné. Après une petite période de test, d'observation mutuelle et de timidité constatée lors des premières séances, j'ai remarqué que les élèves se détendaient, qu'ils commençaient à se poser des questions les uns aux autres et à m'en poser également.

Au cours de ces entretiens avec les 4PA, j'ai eu l'impression que « cela partait dans tous les sens ». On a parlé de voyages surtout, de famille, de mariage, des quartiers, de violence, des relations avec la police. Comme les thèmes du quartier et de la violence étaient récurrents et m'interpellaient7, j'ai décidé de rediriger ma problématique de départ liée à la construction identitaire vers celle du vécu des jeunes dans leurs quartiers. Quels sont les codes qui régissent les comportements dans les quartiers et quels sont ceux qui régissent le comportement des élèves à l'école? Je me suis demandé comment on pouvait faire pour passer sans transition d'un monde à l'autre, d'un univers clos, régi par ses propres codes, à un autre.

En fin d'année, les relations avec ma classe de 4PB s'étant nettement améliorées

après notre voyage scolaire de trois jours, j'ai décidé d'enregistrer un entretien collectif avec eux basé sur des mots-clés. Qu'avaient-ils envie de dire au sujet du quartier, de la violence, de la sécurité, du respect, de l'école?

6 C'était effrayant et fatigant également d'endosser cette double casquette: donner cours l'heure d'avant; et sans

préparatifs, sans moment de pause, se recentrer, endosser le rôle de l'enquêteur. Je me suis aperçue de la

difficulté de mener correctement des entretiens collectifs, d'être dans la double attitude d'écoute et de relance.

7 De nombreuses discussions avec des élèves de première confirmaient ces interpellations. Ils m'apprenaient

beaucoup sur le quartier de l'école, sur les « jeux dangereux » dans la cour de récréation, sur les bagarres à la

sortie de l'école,...

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Après cet entretien d'une heure, comme les examens approchaient, j'ai proposé à trois filles8 de 4PB de poursuivre nos discussions mais cette fois-ci, pendant un temps de midi ou après les cours. Elles ont accepté. J'ai demandé également à un autre jeune de 4PA pour avoir un entretien particulier avec lui car il avait été absent pendant un bon nombre des séances et j'avais envie d'avoir son avis sur la question. Le moment qui les arrangeait le mieux était juste après leur dernier examen. Mais ils devaient m'attendre un peu car je n'avais pas fini en même temps qu'eux. Quel étonnement et joie lorsque je suis descendue les chercher à la cafétéria, imaginant qu'ils seraient déjà partis, et qu'ils m'attendaient! « Une promesse est une promesse! » Dès qu'ils m'ont vue dans le couloir, ils ont commencé à m'applaudir. Tous les quatre étaient là. Ils étaient accompagnés d'une autre jeune de ma classe que je ne m'attendais pas à voir car « c'était la guerre entre nous » depuis le début de l'année. Je pensais interroger les filles et les garçons séparément mais ils ont préféré rester ensemble.

Nous sommes montés dans une classe et pendant un peu plus d'une heure, j'ai

enregistré, avec eux cinq9, mon tout dernier entretien. Par sa richesse, il sera celui sur lequel je baserai principalement ce travail.

Au terme de ce parcours, je constate que ma méthodologie a fluctué au fil des

mois. Par essais et erreurs, de l’observation participante aux entretiens de classes, aux entretiens avec des pairs10, ma problématique de départ s'est décentrée, précisée et concrétisée. Je m'aperçois également des limites de ma méthode. Il s'agissait d'un premier travail exploratoire et il a été difficile d'ajuster les contraintes méthodologiques avec le temps scolaire. Une année scolaire débute en septembre et se termine en juin. Il n'est pas aisé de recontacter un élève, que l'on n'a plus en classe ou qui a changé d'école, pour une relecture de son récit de vie ou pour lui demander des précisons. Je me rends compte par ailleurs qu'il subsiste des zones d'ombres dans mon travail. Elles constituent autant de pistes qui rendraient cette enquête plus complète, détaillée et nuancée.

8 Me rendant compte que j'avais un nombre important de traces sur le vécu des garçons dans leur quartier et

très peu sur celui des filles, j'ai proposé à ces trois filles de ma classe cet entretien.

9 Par souci d'anonymat, tout au long de ce travail , je les nommerai: Wassim, Yanis, Hafsa, Sophie et Emine.

10 Je considérerais le dernier entretien que j'ai réalisé avec 5 élèves, non pas comme un entretien collectif mais

comme un entretien avec des pairs. J'ai l'impression que les entretiens collectifs que j'ai menés ont été la

condition de possibilité même de ces entretiens avec des pairs. Ils ont permis d'installer le climat de

confiance nécessaire aux échanges et ont permis aux élèves de comprendre et de distinguer sans méfiance

mon double rôle de professeur-enquêteur. Dans ce contexte, des entretiens individuels auraient sans doute

été possible mais l' entretien entre pairs a paru aux jeunes d'emblée plus ludique et rassurant, facilitant ainsi

son déroulement ainsi que la prise de parole. Sur la notion de groupe de pairs: Lepoutre, D., Coeur de

Banlieue. Codes, rites et langages, Paris, Ed. O. Jacob, 1997.

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Le quartier est un lieu de vie important pour les jeunes. Ils y apprennent à devenir quelqu'un, à vivre en groupe, ils y apprennent le « respect » et la réciprocité.

Mais si ces mots nous parlent, ils prennent un sens tout particulier dans la rue. La vie dans le quartier est régie par ses propres codes qu'il vaut mieux connaitre et respecter.

Dans le quartier, l'espace public est « quadrillé », les filles et les mamans d'un côté, les garçons de l'autre. Wassim m'explique:

Mon bloc, c'est le QG du quartier. Mon bloc, il y a tout le monde qui vient. Sinon il faut faire le grand tour après. Alors tout le monde reste là. Et les filles elles n'y vont pas. Il est quadrillé le bloc, elles passent pas comme ça.

Pour mettre en évidence les tensions de genre qui se jouent dans les quartiers, je

parlerai de manière séparée de la manière dont les garçons et les filles le vivent. En fonction de leur genre, les jeunes doivent s'adapter et respecter un code de comportement particulier qui semble parfois difficile à décoder pour l'autre sexe, rendant leurs relations tendues.

3 . Le vécu du quartier pour les garçons

Afin d'illustrer ce que peuvent vivre mes élèves dans leur quartier, j'ai choisi de

raconter le parcours de deux de mes interlocuteurs: Yanis et Wassim. Ils montrent deux manières bien distinctes de composer avec les ressources de leur lieu de vie.

3.1. Yanis: gentleman-boxeur

Yanis a 18 ans. Il est d'origine syrienne, orthodoxe. Il n'est pas très grand et est

plutôt costaud. Il fait attention à son style. Il a les cheveux noirs coiffés en arrière avec du gel, s'habille la plupart du temps d'un jeans et d'un t-shirt « classe » aux inscriptions voyantes, il porte un collier, une montre imposante et un bracelet.

Il habite dans le quartier de l'école avec ses parents et ses deux frères. Malgré son franc-parler, Yanis est toujours « gentleman » envers les filles de la

classe ou envers moi-même. J'ai appris par des élèves plus jeunes qu'il était leur entraineur de boxe. Son rêve est de devenir policier. En arrivant dans son quartier à l'âge de 6 ans, Yanis a fait la connaissance

d'autres enfants de son âge. Ils ont grandi côte à côte, devenant une bande de potes, « trainant » près du rond-point du quartier.

Vers 10-12 ans, avec eux, il a commencé les conduites à risques:

- En réalité, c'est à cet âge que j'ai commencé. - Tu as commencé à quoi? - A tout faire. J'ai frappé, j'ai volé, j'ai fait pleins de trucs.

Il revendique fièrement son appartenance au groupe et au territoire. Près du rond-

point et à travers sa bande de potes, il existe.

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Pour se faire une place dans la rue, ce n'est pas si simple, il faut sans arrêt prouver force, courage et loyauté devant les autres.

- Même si c'est des potes à moi, ils testent. T'es bien OK! T'es pas bien,... - C'est quoi être bien? Çà veut dire qu'on peut compter sur toi? - On peut compter sur toi, tu balances pas, la confiance, le respect, l'honnêteté. On teste quoi! On dit: « Ouais, viens on va voler. » Si on se fait attraper, s'il nous balance ou pas.

Dans la rue, le groupe est hiérarchisé. Il y a des échelons à gravir. La référence

aux grands frères ou aux « grands » est omniprésente dans nos discussions. Les grands sont ceux qui ont déjà fait leurs preuves. Ils sont craints et respectés.

Tu pourrais avoir du respect mais pas comme l'ancien. Parce que l'ancien, on sait bien comment il est, s'il est nerveux, s'il frappe, s'il est violent. Donc si t'es ancien, c'est beaucoup mieux. Si tu n'es nouveau, c'est un peu moins bien parce qu'on va toujours te tester.

Les grands procurent protection aux plus jeunes qui réciproquement leur rendent

de menus services. Si on vient chez vous, c'est pas pour dire bonjour et rester avec vous. C'est ou bien qu'on doit aller chercher une boisson ou qu'on doit faire un truc comme ça. Moi une fois, j'ai dit non. Il m'a dit: ”Pourquoi non?” Puis, je lui fais: ”J'sais pas.” Il fait: “Je suis plus grand que toi, alors aie du respect!” J'fais: “J'ai du respect mais je vais pas chercher. Il me fait: “Alors si t'as un problème, tu viens pas me voir!”

Pour se faire une place et un nom11 dans le quartier, Yanis a développé son

« capital guerrier12 ». Il me montre fièrement son avant-bras recouverts de cicatrices.

Il y a eu une grande bagarre il n'y a pas longtemps. C'est pour cela que j'ai des griffes ici.

Il participe à de nombreuses bagarres de rue.

Tous les vendredis soirs, on était en rue près du rond point. On partait, on préparait nos petits plans: “Ouais tu devrais faire ça pour surveiller, tu dois frapper,...Tous les samedis: obligé une bagarre, obligé un vol.

Il m'explique qu'il respecte un « code d'honneur », même dans la bagarre.

- Moi, je devais toujours frapper. - Pourquoi? Parce que tu étais le plus fort? - Oui, en fait j'étais petit et j'étais puissant parce que j'étais gros avant: 110 kilos. 1M55 je crois que je faisais. Alors on m'appelait tout le temps même contre les plus grands. Imaginons que ce soit quelqu'un du même âge, je ne me bats pas contre lui. Je vais me battre contre vous parce que vous êtes plus grande.

Pour défendre son nom de « Barbare », il ne doit pas seulement savoir se battre,

il doit sans arrêt montrer qu'il ne se laisse pas faire. Un regard, un geste, une parole pourraient le rabaisser et lui faire perdre son statut. Sa prestance dépend de sa capacité à mobiliser extrêmement rapidement ses compétences guerrières et de

11 Yanis se surnomme « le Barbare ».

12 Voir à ce sujet: Sauvadet, Th., Le capital guerrier. Concurrences et solidarité entre jeunes de la cité, Armand

Colin, Paris, 2006, pp. 187-192.

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« tchatche13 ». Mes interlocuteurs vivent dans la hantise constante de se faire rabaisser. Le mot

« respect » revient constamment dans nos discussions14.

[Emmanuel:] Être respecté, c'est ne pas se faire rabaisser devant une autre personne. Chez nous les jeunes, c'est pas comme vous. Le respect c'est celui qui se laisse pas faire. [Yanis:] Imaginons que je marche dans la rue près du rond-point, Ahmed marche dans le quartier, je vais chez lui. Si je le frappe et qu'il ne fait rien, c'est tout, il n'a pas de respect.

« Regarder mal » peut déjà être une source de conflits. Je demande alors:

- Comment tu peux regarder mal? [Yanis:] - Si tu fixes pendant plus de quatre secondes, c'est qu'il y a un truc qui ne va pas.

Face au manque de respect, le jeune est obligé de répliquer, de ne pas se laisser

faire, de ne rien laisser passer. Il doit répliquer en parole (tchatche) ou en acte (se battre ou ramener des gens pour faire peur).

[Sanaa:] Il faut donner une leçon sinon la personne qui le fera une fois, le fera deux fois.

[Emmanuel:] J'ai jamais dû me battre mais si on me dit: « Viens à la sortie! », je viens et ils voient que j'ai pas peur.

Ces discussions m'ont permis de percevoir qu'un même concept pouvait renvoyer

à des logiques bien différentes. Parler en classe de « respect » si on ne met pas à plat ce qui se joue derrière le mot, peut juste revenir à parler dans le vide ou mener à des incompréhensions mutuelles.

Pour moi, le respect est la preuve d'une relation égalitaire. Je ne me sens pas plus respectée si j'écrase l'autre et si on me manque de respect, ce n'est pas mon identité qui est en jeu. Face à un manque de respect, je réagirais soit en parlant, en exprimant mon mécontentement, soit en laissant tomber, ce qui est inconcevable pour eux.

Au moment de l'entretien, Yanis prenait du recul par rapport à ce groupe, déçu, se

rendant compte qu'à certains moments ses « potes » profitaient de lui.

En fait c'est un peu des faux-culs dans mon quartier. Ces garçons en fait, ils aiment bien toujours profiter des autres personnes. Quand je volais, c'était pas pour moi, je volais pour les autres. Quand je fumais, c'était tout le temps pour eux, quand j'achetais à fumer, j'achetais tout le temps aussi pour eux.

Comprenant également que si son code d'honneur lui dictait de défendre ses amis, ce n'était pas forcément réciproque.

- Le pire c'est que je remets tout sur mon dos. Imaginons qu'on fait une bagarre. Alors que vous l'avez créée, vous l'avez blessé, je vais dire que c'est moi.

13 Voir à ce sujet: Jamoulle P., « L'adolescence en cité sociale et le monde scolaire. L'école de la rue » in La

matière et l’esprit, n°4, Université de Mons, 2005. 14 Pour cette partie consacrée à la notion de respect, j'introduis quelques extraits de discussions récoltées lors du

6ème entretien collectif mené avec la 4PA.

11

- Pourquoi tu fais cela? - Pour défendre mon pote. - Tous tes potes font cela aussi? - Non!

Yannis se disait l'envie d'arrêter les « conneries »:

Ça fait déjà un an et demi que j'y pense, depuis que j'ai arrêté de fumer. Quand j'ai arrêté de fumer, j'ai arrêté toutes mes conneries. C'était des bêtes trucs, Madame, des vols pour rien du tout. On me dit: “Vole une voiture pour aller chercher un paquet de frites à la place Mérode!” Madame, c'est un truc de fou! Maintenant que je me rends compte de ce qu'on faisait avant. C'est un truc de fous... franchement c'est des trucs de malades, je vous jure.

Je me sentais impressionnée par ce personnage en pleine évolution, découvrant deux aspects de sa personnalité.

Au début de cette année scolaire, alors qu'il ne faisait plus partie de l'école, il est

revenu avec ses potes « défendre l'honneur » de sa sœur à la sortie, montrant la difficulté de s'extirper de la logique de la rue. 3.2. Wassim: l’électron libre

Wassim a 14 ans. Il est yéménite d'origine et musulman. Il a la peau couleur

caramel. Ce qui me marque chez lui est la finesse des traits de son visage. Il est svelte et élancé. Il a les cheveux dégradés, coiffés avec du gel suivant la mode du moment.

Il habite dans un appartement de cité avec sa maman, son beau-père et sa sœur.

A travers son récit, j'ai appris qu'il avait deux sœurs et deux frères mais je ne sais pas s'ils habitent tous ensemble. La cité dans lequel il habite se compose de hautes tours de plus de quinze étages qui se dressent les unes à côtés des autres. La cité parait calme et paisible de l'extérieur. Pelouses et arbres entourent les différents blocs d'appartements. Wassim habite dans le bloc principal qui est le lieu de rendez-vous des jeunes de la cité.

Wassim connait tout le monde dans sa cité, il en use avec intelligence et ne s'attache à aucun groupe en particulier: une perte de temps selon lui et une atteinte à sa liberté.

Tu crois que j'ai le temps ici? Moi je dis bonjour à tout le monde, je connais tout le monde. Bonjour, comment tu vas? Je vais au terrain, je joue au foot. Si je vole, je vole pour moi. Si je fais quelque chose, c'est pour moi.

Quand je lui demande si c'est pour faire ses preuves qu'il commet des délits, il me répond:

C'est des clowns pour moi les trucs comme ça....Quand tu fais quelque chose, c'est parce que tu as besoin de quelque chose, que tu as besoin d'argent.

Parallèlement à cette liberté, il souffre des rumeurs, de la surveillance de son

entourage, des voisins,....

12

Une cité, c'est renfermé. Les gens, des mères, à deux heures du matin, ils regardent par la fenêtre pour voir qu'est ce qui se passe. Tu vois, c'est comme des mêle-tout, “Ah ton fils, t'as vu tout ce qu'il fait...

Dans cette ambiance, il reste ouvert. Chacun a le droit de vivre sa vie.

Moi Madame, il y a des cousines qui m'ont vu avec une fille. Elles sont parties le dire à mon père. Et mon père il est là et puis il me dit en arabe: « ... haram

15! » Et puis je fais:

« Pourquoi?» Puis, il me dit: « Qu'est-ce que tu es parti faire avec une fille? » Non, quoi parti? Puis il me fait: « Oui Médi et ta cousine. » Et je fais: « C'est tout et quoi? » Puis, il me dit:« Non, rien je me disais.... » Puis, j'appelle ma cousine. J' fais: « Et quoi t'es parti dire à mon père et ... » Il fait: « Mais ça se fait pas hein. Si toi tu nous voyais, qu'est-ce t'allais faire? » Moi, je fais: « Mais c'est ta vie toi! Oula! T'es ni ma sœur... » C'est pas ma sœur, Madame mais c'est ma cousine.

J'éprouve une émotion toute particulière en retraçant le parcours de Wassim car

c'est le fruit d'un long parcours tumultueux. L'année scolaire a été une somme de petites bagarres entre nous et je n'aurais jamais imaginé qu'il règnerait un jour assez de confiance et de respect réciproque pour qu'il accepte de répondre à mes questions. Je l'ai découvert différemment, avec l'envie de témoigner, de se raconter, ...

Je ne sais comment ni pourquoi mais j'ai l'impression qu'il s'est attaché à moi. Ayant changé d'école, il est d'ailleurs revenu plusieurs fois me dire bonjour et discuter un peu.

3.3. Les rapports avec la police: les violences subies

Les rapports avec la police et les jeunes sont tendus. Ils resurgissent sans arrêt dans nos discussions. Ils racontent leurs exploits et les violences subies fièrement sans remettre en question ces pratiques, les imaginant légales ! En entendant leurs récits, je ressens colère et honte. Honte de vivre dans un système qui promeut les droits de l'homme, qui défend des valeurs de démocratie, de citoyenneté alors que certains en sont exclus.

-Madame, vous savez c'est quoi la DA? C'est la police avec des voitures noires comme cela. Ils peuvent frapper, ils ont tous les droits. -Vous connaissez les robocops? Et ben c'est presque comme ça. -Ils n'ont quand même pas le droit de frapper? -Si si parce qu'il y a une augmentation de la délinquance et l'État leur donne donc le droit. - Attraper, ils peuvent, sauvagement. Vous imaginez? -Faire une clé, ils peuvent...quand tu es majeur, ils peuvent te coller.

Yanis me raconte les violences qu'il a subies alors qu'il n'était pas majeur:

-Non, ils m'ont pas dit: “ Excuse-moi!” Vous voyez en fait les bottins?: Pfff, ils m'en ont mis un sur la tête. Ils m'ont collé. Ils m'ont dit: “Bougnoul, sale étranger!” -C'est pas vrai? -C'est vrai parce qu'en fait, ils peuvent pas laisser de traces.

Violence, insultes: difficile de ne pas répliquer...

15 Dans nos discussions en classe, la distinction entre ce qui est hallal et haram (entre ce qui est permis et

interdit par la religion) revient sans cesse.

13

Une fois, je me suis fait attraper parce que j'ai fait un sac-jacking. Je l'avais fait parce que j'avais besoin d'argent. Je devais en donner à quelqu'un. Il y a un policier qui m'a attrapé. J'étais dans un taxi. Il m'a attrapé, puis je suis rentré au commissariat. Mes parents, ils étaient au Maroc. Et puis, j'appelle ma sœur. Ma sœur elle arrive au commissariat, après on prend ses papiers, des trucs téléphoniques et tout... Ils me frappent, ils m'attachent et ils me collent avec les bottins. Puis, il me fait: “Ta sœur, elle est bonne hein!” Des trucs comme ça, des trucs de fous! Si je parlais, ils me collaient! Et puis, je fais “.... je vais taper ta mère, fils de pute”

Yanis et Wassim ont tous les deux écopé d'heures de travail d'intérêt général pour

l'une ou l'autre infraction. Au moment de l'entretien, ils étaient en attente de les effectuer.

4. Deux filles de la même cité: deux trajectoires distinctes

4.1. Emine: tchatcheuse-discrète Emine a 18 ans. Elle est d'origine libanaise. Elle a vécu en Grèce avec sa maman

et son beau-père dont elle porte le nom, avant d'arriver en Belgique. Ici, elle vit avec son père biologique alors que pourtant il n'en a pas la garde. Sa maman vient régulièrement lui rendre visite pour vérifier qu'elle se lève et aille à l'école. Elle vit dans la même cité que Wassim.

La religion prend une place essentielle dans sa vie. Grande, élancée, elle a de longs cheveux noirs. Elle porte jeans, t-shirts et se

maquille légèrement. Elle arbore sa féminité tout en restant discrète. Discrète dans son quartier mais pas en classe. Elle parle sans arrêt, interpellant

l'un ou l'autre, exprimant simultanément à haute voix ce qui lui passe par la tête. Dans la cité dans laquelle elle vit, l'espace public est quadrillé. Des zones sont

réservées aux femmes et aux filles, d'autres aux garçons. Les genres ne se mélangent pas spontanément. Selon les interprétations que j'ai pu entendre, si une fille traine du côté des garçons, « c'est qu'elle cherche quelque chose ».

[Emine:] A la cité, il y a des côtés pour filles hein! Il y a un bloc, il y a le bloc 7, y a des femmes, vous avez des filles, vous pouvez trainer là-bas, ils vont rien dire. Mais quand vous allez du côté où il y a le stade où vous savez très bien qu'il y a des garçons qui vont rentrer, tu vas venir t'asseoir comme ça, tu vas les regarder, il y a quand même un petit problème, il y a quand même un petit truc qui va pas dans ta tête! [Wassim:] Elles vont faire tout le tour parce qu'après: “Sale pute, sale chienne, ...” Ils l'insultent et elles, elles se sentent mal.

Quand Emine doit traverser sa cité, elle prend ses précautions afin d'éviter toute altercation désagréable.

Moi, quand je passe dans la cité, il y a quelqu'un qui siffle ou quelque chose, je baisse la tête et j'avance. Si tu baisses la tête, sérieusement, moi l'autre fois, je suis passée, j'ai baissé la tête, il y a personne qui a parlé! J'étais avec une vieille, je l'ai aidée, il y a un type, il m'a regardée, il me fait: « T'as besoin d'aide? » Je l'ai regardé: « Non merci! » Il me fait: « C'est tout! » il y en a qui sont super polis. Celui-là, il est un peu loin dans sa tête, il insulte

14

tout le monde de toute manière...

Si elle s'aventure dans la zone réservée aux garçons, c'est qu'elle imagine ne pas

les trouver à ce moment de la journée. Moi hier, je suis sortie, je devais acheter des cigarettes à mon père. C'était le matin, normalement, il n'y a pas de types le matin, je me suis dit: “Je vais passer.” Je passe, j'entends: “Hé sale pute, qu'est-ce tu fais-là?” Je me suis retournée, j'ai regardé le type devant son bloc. Je vais pas lui répondre, il est pas normal celui-là dans sa tête. Je me suis dit: « Le matin, il n'y a personne ». Sinon, je serais même pas passée par là, j'aurais fait le tout le tour. Mais je me suis dit le matin, il n'est pas là. Non! Si, il était là avec son gros joint. Il était là et le gars, il s'approche de moi et il me fait:” Qu'est-ce que tu fais là?” Je l'ai regardé, je lui fais: “Excuse-moi?” Il me fait: “Qu'est-ce tu fais là?” Il fait: “Ouais, je connais ton père et tout, rentre à la maison maintenant sale pute, qu'est-ce tu fais là?” Je fais: “Ah tu connais mon père, tu m'insultes de pute mais il y a un truc qui va pas!”

Emine parle de manière très précise des comportements que doivent adopter filles et garçons. Une fille doit rester discrète et surtout ne doit pas provoquer.

- On est une fille, on a pas à mettre des trucs super courts, à mettre des décolletés jusque-là, à faire la provocante! C'est pas ça être une fille! [Sophie

16:] -Être une fille, c'est être discrète, c'est être je sais pas quoi... être respectueuse!

Emine elle-même adopte la discrétion en rue.

A Saint-Guidon par exemple, quand elles vont là-bas, elles posent. Alors qu'on sait très bien qu'il n'y a que des types, il n'y a que des garçons à Saint-Guidon! Elle va là-bas, elle se pose et elle est là comme çà, elle le regarde avec un sourire. Et quand le type il parle, elle fait: « Qu'est-ce t'as? Qu'est-ce tu veux? » Le type, il lui fait: « Désolé, c'est toi qui es là! » J'sais pas quoi, c'est de la provoc quoi! C'est comme si... Par contre quand tu vas, tu prends ton bus, tu baisses la tête, tu parles pas, il y a quelqu'un qui te parle, tu le regardes, tu baisses la tête.... Sérieusement, ils te font pas chier ces garçons. Moi je vous dis des fois ils ont du respect. Moi à Saint-Guidon, il y en a un, il est venu me parler, je l'ai regardé comme ça, puis j'ai avancé, il a fait: « C'est tout... » et il est parti!

J'essaie de comprendre ce qu'elle veut dire.

- Ça veut dire que tu es obligée de te soumettre pour qu'il te respecte! - Non, c'est pas se soumettre Madame! - Tu as dit: baisser la tête! - Non, je l'ai regardé, puis j'ai baissé la tête et j'ai avancé quoi! J'ai baissé la tête, ça veut dire que voilà j'ai pas fait comme si de rien n'était et j'ai avancé, j'ai continué mon chemin. Par contre quand vous avez des filles comme ça: « Oh oh, dégage! » Pourquoi tu le provoques, pourquoi t'as besoin de lui dire dégage,... Et l'autre, il va faire le fier et il va lui répondre: « Je suis pas ton chien. Pourquoi tu me parles comme çà? » Il va dire: « Je suis pas ton chien. Tu crois que je t'ai suivi? »

Je me rends compte encore une fois de l'écart de signification qu'il peut y avoir pour un même comportement. Dans ce cas-ci, baisser la tête est un signe de « respect » qui signifie plutôt ne pas tenir tête et a fortiori ne pas chercher les ennuis.

Les comportements des garçons dans la rue semblent parfois opaques et difficiles

16 Sophie fait partie des cinq élèves avec qui j'ai mené mon dernier entretien et dans lequel je puise l'essentiel

de mes découvertes.

15

à décoder. Mais Emine est perspicace et opte pour la franchise:

Il y en a un, une fois je passe, il me fait: « Mademoiselle, vous êtes mignonne et j'sais pas quoi! » Puis, il vient chez moi comme ça, il me fait: « Merci hein! » Je fais: « Désolée, sincèrement, je suis désolée. Avec vous, si je dis merci, tu risques de me prendre pour une pute. Si je dis pas merci, tu me fais 'Pourquoi tu me dis pas merci?' Et quoi on fait comment? » Il fait: « Ah je te comprends, désolé » et il est parti!

Ce que je prenais au départ pour de la soumission parait en fait être un mélange subtil de perspicacité, de discrétion et de tchatche. Emine connait les codes de comportement des garçons et sait composer avec en fonction des situations. Elle parvient de la sorte à se préserver des insultes et atteintes à sa réputation tout en s'affirmant.

Je n'ai plus aucun contact avec Emine. Elle a arrêté l'école et aurait repris une formation. Elle vit toujours entre son père qui, à présent, habiterait en Flandres, et sa mère qui habite Bruxelles.

4.2. Wafa, la rebelle et les remises à l’ordre corporelles

Wafa est la sœur de Wassim. Elle est plus âgée que lui et poursuit des études

supérieures. Je n'ai pas réalisé d'entretiens directement avec elle. Tout ce que je connais de son parcours, de sa manière d'être me provient directement des dires de Wassim.

Wafa parait profiter de plus de libertés que les autres filles du quartier. Cette liberté

est rendue possible par sa famille qui lui fait confiance.

[wassim:] Vous voyez mon père? Il a jamais dit à ma sœur “Comment t'es habillée! Regarde, on dirait une....” Il lui a jamais dit ça! Ma sœur c'est vrai, elle sortait à 11h du soir avec ses copines, elle partait boire...euh... manger et tout. Parce qu'il avait confiance en elle. Et les gens ils avaient la haine contre elle parce qu'elle était libre. Et quand elle a trop de libertés, ah tout de suite c'est une pute, une salope.

Malgré tout, elle doit se battre régulièrement pour la préserver. Les voisins, les

copains de ses frères la surveillent et essaient sans arrêt de la rappeler à l'ordre et de restreindre cette liberté qu'ils ne comprennent pas.

[Wassim:] - Un jour, il n'y avait personne à la maison, Madame, il y avait personne à la maison. Il n'y avait que moi, ma sœur. Mes parents sont divorcés alors mon petit frère était parti chez mon père. Puis, c'était pendant les examens. Ma sœur, elle est à l'école supérieure, ils ont pas les mêmes examens. Il y avait blindé de choses à étudier. Puis elle dit: « Ouais je comprends pas et tout nanana. » Puis elle me dit: « Je dois appeler quelqu'un! » Un garçon de sa classe, il est fort en math. Elle fait: « Je dois le ramener à la maison parce que je comprends pas. On peut pas rester au quartier, dans la rue. Il fait soir, il est minuit et tout! » Puis, ma sœur elle appelle. J'lui fais: « Qu'est-ce que tu fais? » -« J'appelle un type. » Je fais: « Comment çà? » -« C'est un type, je vais rester dans le salon et tout si tu veux. » Je lui fais: « Ouais, c'est tout, appelle-le! » Après, elle appelle, le type, il monte. Attends, le type il monte. Vous voyez ma sonnette, ma sonnette c'est la toute première. Parce que mon père, c'est le concierge du bâtiment! C'est la toute première, après il y a toutes des sonnettes. Alors le type, il sonne là! Et c'est... en fait, c'est un noir. Il sonne, il rentre. Nous on prend pas l'ascenseur. On rentre direct. Il vient chez moi. Tout le monde est parti. Ils savent que mes deux grands frères sont pas là. Ma mère, il les a vus

16

partir avec mon beau-père. Alors il sait qu'il y a que ma sœur et moi, il savait pas où j'étais. Puis, les grands, ils arrivent et ils regardent. « Comment ça? » Ils regardent comme ça, tout est fermé. Puis, ils m'appellent. Je réponds pas parce que j'ai laissé mon téléphone. Je réponds pas et le type, il commence à pah pah pah! Et puis moi je suis là, je vais pas ouvrir, j'avais un casque parce que je regardais un film parce qu'ils étudiaient; Tac, j'entends pas. Puis, elle me fait ça ma sœur. Moi, j'étais dans le film! Puis elle va ouvrir, il fait: « T'es toute seule? » Mais ma sœur, elle dit: « Ouais! » comme ça. Elle dit pas qu'il y a un type. Le type, il la prend comme ça hein dans les cheveux hein! - Elle, il la prend par les cheveux? - Ouais parce que c'est le meilleur ami de mon frère. Ouais c'est toujours le même! Il prend et il dit: « Il est où ce azé

17?... » Et puis, il vient chez moi et il me colle une tarte. Il me fait:

« Tu laisses ta sœur ici avec un type et tout? » Tu vois pas que je suis devant eux, ils travaillaient. Ils font des maths. Non? » Et puis, il appelle mon frère et mon frère, il lui dit: « Et quoi, c'est ton problème? » et il raccroche.

Dans la cité, la limite est floue entre le domaine public et le privé. Les garçons, les « grands » sont garants du comportement des filles, d'autant plus s'ils connaissent leurs frères ou leurs pères. Même si chez soi on peut profiter d'une certaine indépendance et liberté, le milieu reste hostile et brutal.

Le rapport à la « loi religieuse » est omniprésent. Si une famille se montre plus ouverte, d'autres la jugent moins morale, établissant un lien direct entre l'appartenance ethnique et la valeur morale.

[Wassim:] -En fait, moi, je ne suis pas Marocain, je suis Yéménite. Alors ils se disent, les yéménites ils sont plus ouverts que les marocains. Tu vois: ils se laissent faire et tout!

Emine a sa propre interprétation : Non, c'est même pas ça, c'est le fait qu'ils voient qu'elle a pleins de libertés et qu'elle la respecte alors que leur sœur elle a pas de liberté et qu'elle respecte rien du tout! Alors ça fout la haine!

Wafa ne se laisse pas faire, s'affirme:

[Wassim:] - Un jour, elle était là, tout le monde passe. Qu'est-ce qu'elle fait? Elle a pété devant tout le monde! Les gens, ils étaient là en train de rouler leurs joints, ils étaient comme ça. Puis, elle leur dit: « Vous avez rien à faire? Vous savez quoi? » Elle fait comme ça et elle pète. Mon frère, il a pété de rire. Il fait: « Qui a pété? » « Mais non hein, c'est la sœur de l'autre! » Puis en rentrant, elle me raconte, j'étais mort.

Et est respectée: Je vous ai dit hein il y a une entrée, il y a tout le monde qui est dedans, à l'extérieur. Ma soeur quand elle vient, tout le monde part du bloc, tout le monde. Parce qu'il y a du respect. Tout le monde sort.

Pour elle ou en tant que sœur?

[Sophie: ] En fait, on ne regarde pas la soeur de quelqu'un. [Wassim:] N'importe quelle fille ou ...Ils vont faire: “Qu'est-ce tu fais ici?” Ils vont faire çà devant elle. Vous voyez, ils vont faire çà devant elle. Mais si c'était ma soeur, si c'était une mère, ...ils vont le cacher.

17 Terme utilisé pour désigner une personne « noire ».

17

4.3. Les rumeurs et atteintes à la réputation

Si le garçon doit défendre son honneur et sa place dans le groupe, la fille doit essentiellement faire attention à sa réputation. Tout peut devenir sujet de rumeurs et constituer une atteinte à son intégrité.

Lorsqu'on parle des problèmes que rencontrent les filles et les garçons: [Wassim:] - Mais les filles, c'est plus que ... c'est leur réputation. C'est tout! [Yanis:] -Tu mets un décolleté dans le quartier, t'es une pute, une salope.

Elles souffrent des rumeurs qui sont parfois des prétextes pour détourner l'attention.

[Emine:] Ça c'est cramer des dossiers et tout. Commencer: “Ouais ta sœur, elle fait ça et ça...”

Les rumeurs vont vite et loin.

[Emine:]: Les cousines, c'est le pire hein. Y a une cousine qui va le dire à une cousine puis cette cousine elle va dire un truc et puis ça va arriver au bled et puis voilà et puis ça va revenir!

Les filles sont sans cesse surveillées par leur entourage, la famille proche et

lointaine, les amis des amis,... Sans doute plus protégées que les garçons de la violence et des petits délits de la rue, leur problème va être de développer toute une série de stratagèmes pour disposer d'un semblant de liberté.

Pour se défendre des rumeurs et atteintes à leur réputation, les filles ne peuvent

pas se laisser faire, elles doivent répliquer. Développer des compétences argumentatives leur permet de se préserver.

[Hafsa:] Moi le truc qui me tue c'est que quand les gens ... vous allez faire une connerie ou un truc, même pas une connerie... J''étais pas avec un garçon à De Brouckère, ils parlaient que j'étais avec un garçon à De Brouckère. Le truc qui tue c'est qu'ils vont pas dire c'est qui la personne qui a dit. Moi j'ai commencé ... Mon frère, il m'a dit: “Ouais, t'étais où à De Brouckère? T'étais avec un type à De Brouckère?” Moi, je lui fais: “Non, j'étais pas là.” Il me fait: “Ouais, il y a des types qui m'ont dit.” Je lui ai demandé: “Vas-y, dis-moi c'est qui!” Et puis, je lui fais: “Dis-moi comment j'étais habillée. C'était quel jour?.” Il me fait: “Cette semaine mais je ne sais pas comment tu étais habillée.” Je lui fais: “Mais pourquoi tu crois les gens alors?” Et puis, j'ai commencé à cramer tous les dossiers des filles qui étaient dans mon quartier. J'ai fait:”Ouais, moi j'ai vu celle-là, elle était avec un type, vous lui dites rien du tout et vous venez me parler à moi.” Puis, il s'est tu et il est monté dans sa chambre. C'est tout!

4.4. Les tensions de genre Dans ce climat, des relations apaisées et amicales entre genres opposés ne sont

18

pas aisées. Les tensions sont perceptibles et chacun en va de son interprétation sur ce qu'est « une fille bien » et « un garçon bien ».

Des comportements différents sont attendus selon les genres. Ces codes de

comportements sont véhiculés implicitement à la fois par la famille et par la culture de la rue.

« Une fille bien » doit s'habiller et se comporter correctement. Maquillage, décolletés, talons passent pour du libertinage.

[Emine:] A la cité, les filles elles le cherchent! Pourquoi Madame? Pour sortir dans le quartier, vous avez pas besoin de faire un brushing, de vous maquiller. Elles le cherchent! Sérieusement, quand je les vois, la fille elle rentre, elle est habillée n'importe comment, elle sort, maquillée comme j'sais pas quoi pour faire un tour du quartier! Soi-disant pour faire un tour du quartier! Elle passe à côté des types, elle les regarde comme ça puis elle commence à rigoler! Et tu veux qu'ils l'insultent pas? C'est normal quoi! [Wassim:] - Moi Madame, quand je suis au quartier, je ne m'habille même pas, je suis en pyjama, juste en pyjama! Je suis en short avec des sandales, je suis là, je marche. Des fois, je vais au terrain et puis je me couche... Et une fille hein pour aller que au magasin, elles font un brushing et tout!

Pourquoi soigner son apparence dans le quartier? [Emine:] - Je suis dans le quartier. Mon but, c'est quoi? C'est de faire sécher mon linge! Et moi, je vais commencer à me casser la tête? Non! Vous avez des filles, une tonne de maquillage pour aller faire son linge! Une tonne de maquillage pour aller acheter des cigarettes à son père! C'est n'importe quoi!

[Wassim:] Ces personnes, vous les voyez tous les jours! Ils vous connaissent, ils vous ont vu pleurer, ils t'ont vu rigoler... Ils t'ont vu quand t'étais tout petit!

J'ai du mal à comprendre les restrictions liées à cette différenciation exacerbée

des genres. Les filles sont résignées. Je leur pose la question:

- Ca ne vous énerve pas de devoir faire attention à ce que vous faites, attention où vous allez? [Emine:] - Si! [Sophie:] - C'est pas que ça nous énerve, c'est notre vie, c'est comme ça! [Emine:] - On est des filles Madame!

Interpellée par cette réponse, je leur ai demandé s'il était plus facile d'être une fille

ou un garçon.

[Emine:] Il me fait: “Vous savez, vous les filles, vous êtes bien.” C'était un garçon, il me parlait. Il fait: “Ouais moi j'ai besoin d'une arme.” Je le regarde et je fais: “Qu'est-ce que tu as besoin d'une arme en Belgique? Il me fait: “Ben si tu savais pourquoi j'aurais besoin d'une arme...” Il me fait: “Ouais, moi il y a un type, il touche ma soeur, c'est bon, il mérite la mort! Il faut même pas que j'aille lui parler: “Qu'est-ce que t'as fait? “Pourquoi tu l'as touchée?” Je sais pas quoi, il mérite la mort!”

Le rôle du garçon n'est pas si enviable. Il est sensé défendre l'honneur de sa famille et se faire respecter, lui, pour sa force, sa bravoure.

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[Emine:] Il y a beaucoup de parents qui pensent que le garçon doit être comme ça, qu'il doit avoir de la fierté, qu'il doit porter une arme et tout, qu'il doit être capable de surveiller sa sœur, protéger sa sœur, tuer pour sa sœur.

Dans la cellule familiale, des inégalités se vivent au jour le jour. Emine explique parlant de son père:

Je ne sais pas, j'ai l'impression que si mon frère par exemple - il habite pas avec nous mais s'il apprend que- il a fait quelque chose, il va rien lui dire. Si moi, je fais quelque chose, parce que je suis une fille, c'est fini quoi!

Elle continue: Les garçons chez nous, ils se font pas punir, désolée de le dire. Tu crois que les pères, ils remarquent pas quand le type il rentre avec des vêtements à 500 euros, tu crois que les pères ils remarquent pas...

Pour certains, il est difficile de « coller » à ces catégories. Des filles se

masculinisent pour se faire respecter, adoptant le comportement des garçons, parfois leur apparence.

A l'école, cela se manifeste de manière flagrante: j'ai souvent été confrontée au

comportement violent des filles en classe qui répondaient agressivement, la tête haute, ne baissant jamais le regard, préférant être exclue du cours plutôt que d'accepter une remarque.

5. Les bricolages18 identitaires de jeunes immigrés

Il n'est pas toujours aisé pour une famille d'origine immigrée de trouver sa place

dans la société d'accueil et il l'est encore moins pour ses enfants, qui se sentent tiraillés entre leurs multiples appartenances.

Si certains élèves se revendiquent à travers un code postal, ils revendiquent avant

tout leur appartenance à une ethnie. Il est primordial pour eux de « ne pas nier sa race »!

Quand ils me demandent si je suis Belge, j'essaie de créer un pont vers eux en

leur disant qu’eux aussi sont Belges (en tout cas s'ils sont nés en Belgique). Mais cela les fait plutôt rire. La nationalité belge ne leur parle pas. Le terme de « Flamand » par contre leur est plus familier car il est passé dans leur propre langage. Il désigne le « Belge blanc » ou, en fonction des cas, le « pigeon »!

Parfois, les élèves éprouvent un certain malaise quand leur culture d'origine se

trouve confrontée à la culture du pays d'accueil véhiculée par l'école. Les logiques peuvent s'avérer contradictoires, sources de conflits et de malentendus entre enseignants et élèves.

18 Je reprends la notion de « bricolage » identitaire de Lévi-Strauss.

20

Des valeurs d’assimilation19 sont implicitement véhiculées par l’école malgré ses aspects d'ouverture et d'acceptation de l'autre. Si l'école se veut tolérante, elle ne laisse pas de place aux particularismes et à ce qui permet à l'autre de se construire. Elle promeut l'universalité du savoir et l'émancipation de l'élève-citoyen.

Si par signe de tolérance, on parle de dialogue interculturel au cours de religion,

si « on » accepte que les élèves « musulmans » s'absentent lors des fêtes religieuses musulmanes, on accepte d'autant mal ces absences de la part des enseignants.

La problématique du port du voile ou du port de signes religieux à l'école

marquent sans cesse ces tendances à l'assimilation. Du côté des familles, la peur de découvrir l'autre, et de se perdre au passage, est

souvent de mise et les croyances se retrouvent parfois rigidifiées. Les familles se rassemblent par ethnies dans les quartiers qui se ghettoïsent20.

Ainsi, les jeunes immigrés vont devoir sans arrêt jongler avec la culture d'origine

transmise à travers la culture familiale et la culture du pays d'accueil véhiculée par l'école notamment; mais aussi avec les codes de conduite en vigueur dans le quartier et ceux en vigueur à l'école. Comment rester loyal envers sa famille et essayer de s'intégrer dans la société d'accueil qui ne défend pas toujours les mêmes valeurs?

Et pourtant il s'agit de la demande de leurs parents: parvenir à ne pas oublier leurs

origines et réussir à l'école afin d'avoir de meilleures chances de se faire une place dans la société.

Les jeunes vont vite se retrouver confrontés à la nécessité de devoir choisir ou de

développer une double culture. L'élève qui va s'en sortir est celui qui va savoir reconnaitre et utiliser les différents codes en vigueur au bon endroit et au bon moment.

Dans ces conditions, il n'est pas toujours évident d'essayer de créer des ponts

entre ces deux lieux de construction identitaire. Comment ne pas être dans le double et parvenir à s'intégrer de manière créative dans la société21?

S'ils revendiquent leurs origines de manière forte, la plupart des jeunes que j'ai rencontrés font référence à un « là-bas » idéalisé. Ils ont peu d'informations sur le pourquoi de l'exil et ne rêvent que de retourner « au bled ». Il leur manque des clés de compréhension de leur propre situation qui pourraient permettre à leurs diverses appartenances de se rejoindre.

Il arrive que certains parents ne parviennent plus à communiquer et à transmettre.

19 En mentionnant l'idée d'assimilation, je reprends le schéma de J.-Cl. Métraux. Il explique l'assimilation par la

tendance à accorder beaucoup de valeur à la culture d'accueil et peu à la culture d'origine.

20 Par ghetto, j'entends à la suite de J.-Cl. Métraux, la tendance à accorder peu de valeur à la culture d'accueil

en comparaison avec la valeur accordée à la culture d'origine.

21 J.-Cl. Métraux utilise le terme d'intégration créatrice pour montrer la tendance à accorder une valeur positive

à la fois à sa culture d'origine et à la culture d'accueil.

21

[Emine:] - C'est pour cela que dans l'Islam, ils parlent beaucoup d'amitié entre l'enfant et le père, la fille et les parents en fait. Le lien entre les parents et les... Maintenant, moi je vois il y a des familles, ... [Sophie:] - Il n'y a plus de lien entre les parents et les enfants. [Emine:] - Il n'y a plus de lien, ils sont dans leur religion, vous voyez un homme dans la religion -j'en connais blindé des types comme ça- ils sont bien dans la religion et le fils rien à voir!

Si le jeune ne trouve compréhension ni à l'école, ni dans sa famille; de temps en

temps, une rencontre fortuite, une parole qui touche peut l'aider dans sa construction personnelle.

Wassim et Emine mettent en évidence l'importance d'une parole vraie, d'une

parole qui touche. Elle me semble être une alternative créative, bricolée dans des situations où la méfiance envers le système en vigueur et ses représentants est de mise.

[Wassim:] Madame, vous voyez ma mère? Elle était là, elle était partie au magasin et il y avait la police qui est venue et elle courait derrière un type. Madame, il est parti dans un bloc. La police a demandé à ma mère où il est le type. Ma mère, elle l'a vu rentrer dans le bloc hein, elle a pas dit qu'il est rentré dans le bloc. “Il est parti par là Madame. Vous voyez, il est parti par là. ” “Vous êtes sûre?” “Oui, il est parti par là, il est en noir!” Et ils sont partis. Et ma mère, elle est rentrée dans le bloc, elle a ouvert la porte de chez moi et elle a dit: “Rentre à la maison!” Parce que c'est un type du quartier, elle connait sa mère et tout ... Et puis, ma mère elle est rentrée, elle a parlé avec lui. Trois heures, elle a parlé avec lui! Plus jamais... il a plus rien fait! Quand il voit ma mère maintenant, il va chez ma mère et il prend les affaires qu'elle a, il lui donne un bisou sur la tête et il l' amène jusqu'à la maison. [Wassim:] - Ma mère quand ils la voient, des fois ils ont les numéros de ma mère. Quand ils veulent parler à ma mère, ils appellent ma mère. Et puis, ma mère quand elle vient -et tout le monde hein- quand il voit ma mère, il lui donne un bisou sur la tête ou sur la joue. C'est du respect! Ouais tout le monde me dit: « Ouais t'as une mère... » Moi quand je crie sur ma mère, ils me frappent hein! Franchement, je peux pas crier! Quand je la vois à 50 mètres, je cours chez elle pour prendre les enroules à sa place!

Pourquoi ce respect et cette confiance envers la maman de Wassim?

- Comment cela se fait qu'elle a ce respect-là ta maman? C'est venu comme ça? Parce qu'elle discute? [Yanis:] Elle sait comment faire. [Wassim:] - Elle est là...parce que ça lui fait mal au cœur [Emine:] - Elle a cette façon de parler quoi! [Wassim:] - Ma mère, toujours elle dit: « Est-ce que tu veux parler? » « Est-ce que tu veux parler avec moi? ».

Elle est disponible et à l'écoute. Elle propose mais n'oblige pas! Les jeunes savent également qu'ils peuvent lui faire confiance, qu'elle n'ira rien raconter aux autres mamans.

22

[Wassim:] Elles vont dans un bloc, dans un appartement, elles font une réunion de toutes les mamans. « Le fils de ... , il a fait ci, il a fait ça; le fils de ..., il a fait ci, il a fait ça! » et elles notent! Moi ma mère, elle est partie! Elle a regardé puis elle a fait: « Moi j'ai rien à dire! » Elle dit qu'elle passe son tour: « Moi, j'ai rien à dire! » Elle passe puis elle dit: « Le tour il est fini? Vous avez rien à faire? Partez faire à manger, partez...je sais pas moi... » Et elle part, ma mère! Et toutes les mères ont la haine contre ma mère!

Si les paroles de l'un peuvent toucher, celles de l'autre par contre pas.

[Wassim:] Mon père hein pas mon beau-père, mon vrai père. Mon vrai père, il reste avec eux, il parle avec eux. Par exemple, il y a des gens hein – vous voyez moi je dis la vérité – il y a un type il est dans l'Islam et tout. Dès fois quand on joue au foot et il nous fait stopper, il nous prend la balle et il nous parle. Moi je pars, je vous jure que je pars. Parce que ... on sait tout ça! On sait qu'est-ce qui se passe. [Emine:] - Mais des gens y savent pas parler. [Wassim:] - Mais voilà! Ils nous touchent pas en fait!

Wassim, Emine me prouvent que les leçons de morale, le « blabla » ne les

touchent pas. Il y a des choses qu'ils savent déjà. Ils cherchent l'authenticité d'une parole ou d'un acte. Passer du temps ensemble, être-là disponible et à l'écoute, défendre la

confidentialité de ce qui s'est dit: voilà autant de pistes lancées aux adultes pour rentrer en relation avec eux.

[Wassim:] Mon père hein quand il était au quartier pour des fois venir nous chercher ou parler avec ma mère pour l'argent... Ils vont chez mon père: « Bonjour, je viens vous parler! » Tu vois! Mes parents, ils sont là! Y a pas que mes parents hein, y a d'autres parents aussi. Mais mes parents c'est plus je crois! Des fois, ils viennent chez nous pour manger. Quand c'était le ramadan, y a un type - que son père il est mort, non ses parents sont morts les deux dans un accident de voiture – pendant les trente jours de ramadan, ils sont venus dire: « Viens chez moi manger! » Ils sont venus manger avec lui. Il dormait des fois chez moi. Vous voyez quoi!

Même s'ils se montrent à certains moments hostiles à la discussion, les jeunes qui sont en face de moi, mes élèves, montrent le besoin et l'envie de trouver « un lieu où parler pour devenir bien ». Dans ce lieu, ils pourraient parler de leurs appartenances multiples et pourraient les faire co-exister sans devoir choisir, sans qu'elles doivent s'affronter.

Je laisse à Emine le mot de la fin:

[Emine]: La police, elle va jamais savoir parler à un jeune. Moi, je trouve que s'ils ouvraient un truc de jeunes et parleraient, je peux vous assurer que la moitié deviendraient des gens biens. Mais il n'y a personne qui fait ça.

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Conclusion: les enseignements pour la pratique d’une enseignante de français

Au terme de ce parcours, grâce aux apports théoriques de la formation et à l'enquête de terrain que j'ai réalisée, je me rends compte que je parviens à poser un regard neuf sur ma pratique professionnelle: sur ma manière d'être-en-classe et d'être-en-relation avec mes élèves, sur ma manière de concevoir mon métier et sur l'institution scolaire en tant que telle.

Si cette année, je ne ressens plus de craintes avant de rentrer dans une classe, cela n'a pas toujours été le cas. Je m'aperçois que j'ai dû me « faire un nom et une réputation » auprès des élèves de l'école. Je me rends compte que j'ai également dû développer mon côté « guerrier ». Devant les élèves, dans les couloirs, dès la sortie du métro, je sens mon corps entier se tendre. J'ai adopté, peut-être malgré moi, une certaine prestance: épaules levées, tête redressée, regard sévère, mâchoires serrées. Je suis prête à répliquer! Si j'ai réussi à me faire « respecter », c'est parce que j'ai dû et su montrer à mes élèves que je ne me laissais pas faire! Si ma classe est de moins en moins le lieu d'interpellations, d'altercations agressives, de petits débordements en tout genre, c'est que j'ai dû m'efforcer de ne rien laisser passer.

Mais ce statut n'est pas acquis définitivement. Je dois le défendre jour après jour en prouvant que je réagis22 toujours promptement à ce qui pourrait constituer un désordre en classe ou un manque de respect. J'ai dû par ailleurs apprendre à maitriser les joutes verbales en travaillant mes réparties.

Pour en arriver-là, j'ai cru devoir faire le deuil des codes de conduite traditionnels véhiculés par la culture scolaire ambiante, à l'image de mes idéaux de démocratie participative. J'ai cru devoir devenir purement « autoritaire ». Mais je comprends que ce n'est pas le cas!

En « reproduisant » certains codes de conduite reconnus et respectés par mes élèves, j'essaie sans doute de « survivre » en classe mais j'essaie surtout de créer un climat suffisamment calme pour qu'il soit propice au travail. Je suis étonnée de m'apercevoir qu'il s'agit du point de départ à partir duquel je peux emmener mes élèves vers mes propres codes de conduite, sur le chemin de la discussion.

Passer du temps avec mes élèves; échanger un regard, un salut, quelques mots au détour d'un couloir; prendre le temps de se côtoyer et de discuter lorsque chacun repart chez-soi ou traine aux abords de l'école; voilà autant de manières de rentrer en relation avec eux, de découvrir leur lieux, leurs langages et leurs logiques. Voilà autant de manières de créer des véritables ponts entre deux cultures, deux lieux d'appartenance distincts. C'est ce qui constitue pour moi le « vrai travail », c'est ce qui peut faire sens et soin.

En témoigne la relation de respect mutuel qui s'est tissée entre moi et les élèves

avec qui j'ai mené les entretiens collectifs tout-au-long de l'année scolaire passée. C'est avec joie que l'on se croise dans les couloirs, qu'ils prennent de mes nouvelles ou prennent le temps de me raconter ce qui les affecte, les difficultés qu'ils

22 Cela peut être par une parole, un geste ou tout simplement un regard.

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rencontrent à certains cours, les incompréhensions qu'ils ressentent parfois à l'égard de certains professeurs et du système scolaire.

Bibliographie Bastenier A. , Qu'est-ce qu'une société ethnique? Ethnicités et racisme dans les sociétés européennes d'immigration, Paris, PUF, 2004 Bourgois P., En quête de respect, le crack à New-York, Paris, Seuil, 2001. Jamoulle P., « L'adolescence en cité social et le monde scolaire. L'école de la rue » in La matière et l’esprit, n°4, Université de Mons, 2005. Jamoulle P., Des hommes sur le fil. La construction de l'identité masculine en milieux précaires, Paris, Ed. La Découverte, 2005. Jamoulle P., Fragments d'intime. Amour, corps et solitudes aux marges urbaines, Paris, Ed. La Découverte, 2009. Kervyn E., « Une école secondaire professionnelle dans un quartier immigré de Bruxelles. La démonstration de rapports ethniques », Santé Mentale en contexte social: multiculturalité et précarité, UCL, 2008. Lepoutre D., Coeur de Banlieue. Codes, rites et langages, Paris, Ed. O. Jacob, 1997. Métraux J.-Cl., « Adolescents du sud malades de l'échange inégal » in Revue médicale de la suisse romande, 121, pp. 551-554, 2001. Ministère de la Région Bruxelles-Capitale. Institut Bruxellois de Statistiques et d’Analyse. Willaert D., Deboosere P. , Atlas des Quartiers de la population de la Région de Bruxelles-Capitale au début du 21ème siècle, n°42, Ed. Iris, 2005.

Salmi H., « Enfants de migrants: crise, rupture et médiations en milieu scolaire » in EMPAN n°63, 2006, pp. 128-133. Sauvadet, Th., Le capital guerrier. Concurrences et solidarité entre jeunes de la cité, Armand Colin, Paris, 2006.

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Table des matières Sommaire .................................................................................................................................. 1

Introduction ................................................................................................................................ 1

1. Les lieux ................................................................................................................................. 2

1.1. Le pourquoi de l'enquête ..................................................................................................... 2

1.2. Mon terrain d'enquête: une école « turco-marocaine » ....................................................... 3

2.Évolutions méthodologiques / Évolutions dans mon métier ................................................... 5

3 . Le vécu du quartier pour les garçons .................................................................................... 8

3.1. Yanis: gentleman-boxeur ..................................................................................................... 8

3.2. Wassim: l’électron libre .................................................................................................... 11

3.3. Les rapports avec la police: les violences subies ............................................................. 12

4. Deux filles dans la même cité: deux trajectoires distinctes .................................................. 13

4.1. Emine: tchatcheuse-discrète .............................................................................................. 13

4.2. Wafa, la rebelle et les remises à l’ordre corporelles ......................................................... 15

4.3. Les rumeurs et atteintes à la réputation ............................................................................. 17

4.4. Les tensions de genre ........................................................................................................ 17

5. Les bricolages identitaires de jeunes immigrés .................................................................... 19

Conclusion: les enseignements pour la pratique d’une enseignante de français ...................... 23

Bibliographie ............................................................................................................................ 24

Table des matières .................................................................................................................... 25