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LA DOUBLE IMPOSITION EN DROIT INTERNE ET EN DROIT INTERNATIONAL Mémoire de recherche rédigé par Romain BERBACH Sous la direction de Monsieur le Professeur Jean-Luc PIERRE Master II – Droit des affaires approfondi Dirigé par les Professeurs Nicolas BORGA et William DROSS Année universitaire 2016-2017

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LA DOUBLE IMPOSITION EN DROIT INTERNE

ET EN DROIT INTERNATIONAL

Mémoire de recherche rédigé par Romain BERBACH

Sous la direction de Monsieur le Professeur Jean-Luc PIERRE

Master II – Droit des affaires approfondi

Dirigé par les Professeurs Nicolas BORGA et William DROSS

Année universitaire 2016-2017

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L’université n’entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises dans

les mémoires, ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur.

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REMERCIEMENTS

À Monsieur le Professeur Jean-Luc Pierre, pour avoir accepté de diriger ce mémoire, ainsi que

pour sa disponibilité et ses précieux conseils.

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TABLEAU DES ABRÉVIATIONS

ACCIS Assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés

act. Actualité

AJDA Actualité juridique de droit administratif

BDCF Bulletin des conclusions fiscales

BEPS Érosion de la base d’imposition et transfert de bénéfices

BOFiP Bulletin officiel des finances publiques

BPAT Bulletin du patrimoine

Bull. Bulletin

C. civ. Code civil

C. comptes Cour des comptes

Cass. civ. 1ère Première chambre civile de la Cour de cassation

Cass. com. Chambre commerciale de la Cour de cassation

Cass. req. Chambre des requêtes de la Cour de cassation

comm. Commentaire

concl. Conclusions

CE Conseil d'État

CEDH Cour européenne des droits de l'homme

CGI Code général des impôts

CJCE Cour de justice des Communautés européennes

CJUE Cour de justice de l'Union européenne

Cons. const. Conseil constitutionnel

CPO Conseil des prélèvements obligatoires

CRDS Contribution pour le remboursement de la dette sociale

CSG Cotisation sociale généralisée

DC Contrôle de constitutionnalité des lois ordinaires

DDHC Déclaration des droits de l'homme et du citoyen

ETNC État ou territoire non coopératif

GIE Groupement d’intérêt économique

J.-Cl. JurisClasseur

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JCP E La Semaine Juridique – Entreprises et Affaires

JOCE Journal officiel des Communautés européennes

JOUE Journal officiel de l'Union européenne

Lebon Recueil des décisions du Conseil d’ État

LPF Livre des procédures fiscales

MEDEF Mouvement des entreprises de France

OCDE Organisation de coopération et de développement économiques

ONU Organisation des Nations unies

p. Page

PME Petites et moyennes entreprises

Rec. Recueil

QPC Question prioritaire de constitutionnalité

RDSS Revue de droit sanitaire et social

RJCD Revue juridique des contributions directes

RJDA Revue de jurisprudence de droit des affaires

RJF Revue de jurisprudence et des conclusions fiscales

RTD com. Revue trimestrielle de droit commercial

RTD eur. Revue trimestrielle de droit européen

s. Suivants

SA Société anonyme

SARL Société à responsabilité limitée

SCI Société civile immobilière

SDN Société des Nations

TFUE Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne

TPE Très petites entreprises

TVA Taxe sur la valeur ajoutée

§ Paragraphe

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SOMMAIRE

INTRODUCTION ................................................................................................................................ 1

TITRE I –– LES ORIGINES DE LA DOUBLE IMPOSITION ................................................... 16

CHAPITRE I –– LA DOUBLE IMPOSITION JURIDIQUE .................................................... 18

CHAPITRE II –– LA DOUBLE IMPOSITION ÉCONOMIQUE ............................................ 48

Conclusion du titre I ..................................................................................................................... 87

TITRE II –– LA LUTTE CONTRE LES DOUBLES IMPOSITIONS ......................................... 89

CHAPITRE I –– LA PRÉVENTION DES DOUBLES IMPOSITIONS .................................. 92

CHAPITRE II –– LA CORRECTION DES DOUBLES IMPOSITIONS ............................... 141

Conclusion du titre II ................................................................................................................. 180

CONCLUSION GÉNÉRALE.......................................................................................................... 182

BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................................................ 184

INDEX ALPHABÉTIQUE .............................................................................................................. 191

TABLE DES MATIÈRES ................................................................................................................ 194

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1

INTRODUCTION

1. –– Le droit fiscal est un domaine d’études particulièrement large. Les problématiques

qu’on y retrouve sont extrêmement variées, d’autant plus à une période qui voit un véritable

essor de la fiscalité des affaires. Pourtant, au travers de tous les sujets évoqués en matière

d’impôts, aucun ne semble autant retenir l’attention des contribuables que celui de la double

imposition. Le terme a en effet de quoi effrayer les opérateurs économiques, tant la fiscalité

est pour eux devenue un sujet sensible. L’idée même d’une double charge fiscale est de nature

à décourager de nombreux assujettis, qu’ils soient particuliers ou personnes morales : si « être

imposé une fois ne suscite jamais l’enthousiasme, que dire alors d’une imposition répétée sur

une même base »1 ? Devant les difficultés engendrées par ce phénomène, la double

imposition est régulièrement évoquée et étudiée par de nombreuses organisations

internationales, comme l’OCDE ou l’Union européenne, mais également par les contribuables

eux-mêmes, et plus particulièrement les entreprises, notamment au travers de la voix du

MEDEF.

2. –– Avant de s’intéresser plus avant à la double imposition et de se pencher sur les

problématiques qui s’y rattachent, il convient de commencer par définir la notion même

d’impôt. Si la question peut paraître triviale, elle n’en demeure pas moins fondamentale,

notamment pour appréhender la notion de double imposition. Une définition très classique

de l’impôt est attribuée au professeur Gaston Jèze au cours du XXe siècle, comme étant « une

prestation pécuniaire requise des particuliers par voie d’autorité, à titre définitif et sans

contrepartie, en vue de la couverture des charges publiques ». Cette définition nous fournit

une base solide pour aborder la notion, même si la fiscalité contemporaine a souvent

tendance à dépasser ce cadre. En effet, les impôts ne sont aujourd’hui plus exclusivement

acquittés par les particuliers, mais également bien souvent par des personnes morales,

notamment des sociétés. Par ailleurs, l’absence de contrepartie déterminée n’est pas toujours

assurée, notamment en ce qui concerne la qualification des prélèvements sociaux obligatoires

(CSG/CRDS). Malgré leur affectation au financement de la Sécurité sociale, le Conseil

1 V. DE SAINT-BLANQUAT, « La double imposition des entreprises : le point de vue du MEDEF », Droit fiscal, n° 9, 2011, p. 226

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constitutionnel considère ces prélèvements comme des impôts, car ils sont obligatoires et

n’ouvrent aucun droit pour les contribuables2. A l’inverse, la Cour de justice de l’Union

européenne estime qu’il s’agit de cotisations sociales, en raison de leur affectation

particulière3. Les arguments du juge européen ont également été repris par le Conseil d’État,

qui a récemment qualifié les prélèvements sociaux obligatoires de cotisations sociales4.

L’impôt peut donc se définir d’une manière globale comme un prélèvement obligatoire,

généralement de nature pécuniaire, perçu par l’État et les collectivités territoriales, dans le

but de couvrir les charges publiques. Le paiement de l’impôt ne prévoit en principe aucune

contrepartie pour le contribuable, qui peut être une personne physique ou morale, selon la

nature des impositions concernées.

3. –– Au vu du développement de l’activité économique au cours des dernières

décennies, la fiscalité a elle aussi connu un essor considérable, notamment dans le but

d’encadrer les nouvelles pratiques des opérateurs économiques. Les impôts en vigueur se sont

donc multipliés, de même que la diversité de la matière imposable. Ce développement fiscal

trouve également sa source dans l’augmentation parfois sensible des charges publiques dans

le budget des États : devant un besoin important de financement, dans une optique

d’augmentation des recettes fiscales, les gouvernements ont parfois choisi de recourir à la

création de nouveaux impôts. Ce phénomène n’est en réalité pas tout à fait nouveau. Déjà à

son époque, Georges Clémenceau dénonçait cette accroissement fiscal sous un trait

d’humour : « la France est un pays extrêmement fertile : on y plante des fonctionnaires et il y

pousse des impôts ». Mais au-delà des considérations politiques que cette citation pourrait

appeler, force est de constater que la fiscalité a aujourd’hui atteint un degré très élevé de

complexité. Dans un tel contexte, elle devient une préoccupation majeure des opérateurs

économiques et des États, mais également des organisations internationales dont l’objet est

d’encourager les échanges transfrontaliers.

4. –– Si la fiscalité interne est déjà source de nombreuses difficultés, la double

imposition n’y est en réalité qu’une préoccupation secondaire. En effet, il est relativement

rare qu’un contribuable soit assujetti à deux reprises au même impôt dans un contexte

purement interne : une telle situation ne saurait être conforme aux grands principes du droit

2 Cons. const., 19/12/2000, n° 2000-437 DC, Droit social, 2001, p. 270, note X. PRÉTOT 3 CJUE, 26/02/2015, Ministre de l'Économie et des Finances c/ Gérard de Ruyter, C-623/13, RDSS, 2015, p. 833, note C. BOUTAYEB ; RJF, 5/2015, concl. E. SHARPSTON ; Droit fiscal, n° 10, 2015, act. 124, note S. QUILICI 4 CE, 27/07/2015, M. de Ruyter, n° 334551, RJF, 11/2015 ; Droit fiscal, n° 41, 2015, comm. 620

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fiscal. En particulier, si un contribuable se retrouvait confronté à une double imposition, le

principe d’égalité devant les charges publiques5 ne saurait être respecté, l’assujetti en

question devant supporter une surcharge fiscale que rien ne viendrait justifier. Mais dans un

contexte d’échanges croissants et de mondialisation, la fiscalité des affaires n’a plus vocation

à se cantonner à un simple territoire national. En raison des nombreux échanges

internationaux et de l’émergence d’entreprises de taille mondiale, les règles relatives à l’impôt

se sont vues doublées d’un volet international, notamment au travers de conventions fiscales

bilatérales conclues entre les États. Pourtant, le cœur du droit fiscal est resté

fondamentalement national, chaque État continuant de disposer librement de sa

souveraineté en matière d’impôts : il résulte de cette situation une multitude de droits fiscaux

nationaux applicables aux opérateurs économiques exerçant leur activité sur plusieurs

territoires. Les particularités des règles en vigueur dans chaque État constituent une source

de complexité supplémentaire pour le droit fiscal, créant ainsi un contexte particulièrement

propice aux doubles impositions.

5. –– Ainsi, le développement de la fiscalité, tant au niveau du droit interne à chaque

État que dans sa dimension internationale avec les conventions fiscales, a conduit à une

complexité dont les opérateurs économiques font parfois les frais. Il s’ajoute à cela une

instabilité constante propre à la matière fiscale, les règles applicables en matière d’impôts

étant régulièrement sujettes à évolution. Il résulte de ce constat un véritable risque de double

imposition pesant sur de nombreux contribuables.

6. –– Il convient ici de s’interroger sur le véritable sens des termes double imposition.

Au premier abord, il semble que tout le monde conçoit assez bien ce qui est désigné par ce

type de situation. Mais en réalité, il arrive souvent que la notion de double imposition soit

confondue avec un simple cumul d’impôts. Le développement qu’a connu la matière fiscale

depuis la première moitié du XXe siècle a abouti à une fiscalité très diversifiée et à un grand

nombre d’impôts différents. Il n’existe pas véritablement de décompte officiel du nombre

d’impôts et de taxes en vigueur, mais le gouvernement en présentait environ 150 au travers

du rapport accompagnant la loi de finance pour 20136. Quelques auteurs, particulièrement

hostiles à une charge fiscale trop importante, vont jusqu’à dénombrer près de 360 « impôts

5 Article 13 de la DDHC 6 Projet de loi de finances pour 2013, Rapport sur les prélèvements obligatoires et leur évolution, 2013

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et taxes »7. Connaître le nombre exact d’impôts applicables n’a pas véritablement d’intérêt,

mais ces ordres de grandeurs permettent d’appréhender le poids de la diversité fiscale

française. On conçoit aisément au travers de ces grands nombres d’impôts que certains

d’entre eux auront fatalement tendance à se recouper, c’est-à-dire à porter sur la même

matière imposable. Plusieurs impôts peuvent ainsi présenter des caractéristiques communes,

comme s’appliquer aux mêmes types de revenus ou à certains contribuables en particulier ; il

peut même parfois arriver que les assiettes fiscales de plusieurs impôts soient identiques.

Dans une telle situation, on serait vite tenté de parler de double imposition, du fait qu’une

même matière imposable soit assujettie à plusieurs impôts de manière simultanée. Mais peut-

on réellement utiliser ces termes ici ?

7. –– En pratique, un cumul d’impositions ne signifiera pas toujours une double

imposition pour le contribuable. Par exemple, les particuliers sont généralement amenés à

payer l’impôt sur le revenu ainsi qu’un certains nombres de prélèvements sociaux obligatoires,

comme la CSG et la CRDS. Si on admet que ces derniers constituent bien des impôts et non

des cotisations sociales8, on constate qu’ils présentent une assiette très proche de celle de

l’impôt sur le revenu. Il semblerait donc envisageable de parler ici de double imposition. Mais

cette notion présente en réalité certaines subtilités qui rendent impossible une telle

qualification : les prélèvements sociaux obligatoires et l’impôt sur le revenu sont deux impôts

différents, certes proches, mais qui présentent chacun des caractéristiques permettant de les

différencier. Il est par exemple à noter que la CSG et la CRDS ont pour objet le financement de

la Sécurité sociale, alors que l’impôt sur le revenu des personnes physiques constitue

simplement une recette fiscale pour l’État. La double imposition nécessite donc le cumul de

plusieurs impôts identiques, ou du moins équivalents : l’application simultanée de plusieurs

impositions distinctes ne saurait être considérée comme telle.

8. –– Ainsi, on parlera de double imposition lorsque la matière imposable a été frappée

à deux reprises par le même impôt, ou par un impôt équivalent. Par exemple, un bénéfice qui

est assujetti dans sa totalité à l’impôt sur les sociétés dans deux États différents fera l’objet

d’une double imposition : le contribuable supportera une charge plus élevée que s’il avait

7 A. VERDIER-MOLINIÉ, On va dans le mur…, Éditions Albin Michel, 2015 8 Conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui considère la CSG et la CRDS comme des impôts, du fait que ces prélèvements n’ouvrent droit à aucune contrepartie pour le contribuable qui s’en acquitte (Cons. const., 19/12/2000, n° 2000-437 DC, Droit social, 2001, p. 270, note X. PRÉTOT)

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opéré au sein d’un seul et même État, sans que la surcharge fiscale subie ne soit justifiée par

un motif particulier. La notion de double imposition ne saurait donc être un prétexte pour

dénoncer une fiscalité trop diversifiée, ou un montant d’impôts trop élevé. Il s’agit au

contraire d’une véritable anomalie juridique, susceptible de frapper un ou plusieurs

contribuables. Si la double imposition constitue une irrégularité d’un point de vue théorique,

sa survenance s’explique souvent par un cumul de réglementations distinctes et non

harmonisées, divergentes, voire contradictoires. Ce sera tout particulièrement le cas en droit

fiscal international, où plusieurs réglementations internes trouveront souvent à s’appliquer à

la même situation, sans que l’une ne tienne nécessairement compte de l’autre. Dans ce cas,

on parlera de double imposition juridique9. Les conventions fiscales bilatérales ont pour objet

de lutter contre ce type de dérives, mais on constate très clairement en pratique que leur

efficacité est limitée, tant en termes de champ d’application que d’interprétation.

9. –– Pour autant, la double imposition n’est pas exclue en tant que telle du droit

interne. Le concours de plusieurs règles applicables peut également conduire l’administration

fiscale à exiger plusieurs fois l’impôt au titre d’un même revenu, auprès de contribuables

différents. Ce pourra notamment être le cas au sein des groupes de sociétés, qui voient

transiter entre leurs membres une part importante de leurs bénéfices. Si chaque société doit

payer l’impôt sur la totalité des bénéfices qui ont transité en son sein, la double imposition

sera alors manifeste, même si l’impôt est acquitté par des personnes juridiques différentes.

Dans ce type de situation, on parlera de double imposition économique10. Mais qu’elle soit

juridique ou économique, interne ou internationale, la double imposition demeure une

anomalie susceptible d’apparaître dans la plupart des systèmes fiscaux : elle se concrétisera

alors en une surcharge fiscale qui pèsera sur le contribuable, sans que celle-ci ne soit

véritablement justifiée.

10. –– On voit au travers de cette définition de la double imposition qu’il s’agit d’un

phénomène relativement large, susceptible de toucher un grand nombre d’impositions de

différentes natures. Pour autant, l’étude de ce phénomène, de même que celle des

conventions fiscales visant à l’éliminer, tend à se limiter à la question de la double imposition

en matière de fiscalité directe. Selon l’Union européenne, les impôts considérés comme

9 Voir infra n° 28. 10 Voir infra n° 29.

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directs sont ceux « perçus sur le revenu, le patrimoine et les capitaux, qu’il s’agisse de

personnes physiques ou de sociétés »11 ; ce type d’imposition s’oppose aux impôts indirects,

qui seront ceux « qui ne sont perçus ni sur le revenu, ni sur les biens »12. Ces définitions sont

généralement admises par les États membres et leur droit interne. La double imposition

demeure envisageable en matière d’impôts indirects : il est par exemple possible qu’un bien

soit assujetti à la TVA à deux reprises dans le cadre d’opérations internationales et de

législations fiscales non harmonisées. Une double imposition est également susceptible de

survenir en matière de droits de succession portant sur un patrimoine fractionné entre

plusieurs États. Toutefois, les problématiques de doubles impositions restent le plus souvent

liées à la fiscalité directe, c’est-à-dire essentiellement les impôts relatifs aux revenus et à la

fortune des contribuables. Ce phénomène se confirme au travers des travaux de l’OCDE13 et

de la plupart des conventions fiscales en vigueur, qui portent avant tout sur ce type

d’imposition.

11. –– Les travaux juridiques relatifs aux doubles impositions vont également en ce sens,

en se concentrant la plupart du temps sur la fiscalité directe. Ce travail ne fera pas exception

à cette tendance et se cantonnera à l’étude de la double imposition dans le cadre de la fiscalité

touchant aux revenus. Nous étudierons donc essentiellement les problématiques relatives à

ce sujet en matière d’impôt sur les sociétés et d’impôt sur le revenu des personnes physiques.

Les autres types de double imposition n’entreront pas dans notre champ d’étude et ne seront

donc pas traitées, ou alors de manière très incidente.

12. –– Dans une approche historique de la fiscalité, la double imposition apparaît

comme un phénomène relativement récent. L’impôt tel que nous le connaissons aujourd’hui

trouve ses origines à la fin de l’époque médiévale, et il s’est progressivement développé pour

revêtir sa forme actuelle14. Si les prélèvements opérés par l’autorité gouvernante ont

pratiquement toujours existés, sous une forme ou une autre, ce n’est qu’avec l’émergence de

la conception moderne de l’État que l’impôt a commencé à exister en tant que tel. Pendant

les premiers siècles qui ont assisté au développement de la fiscalité, aucune question de

11 Parlement européen, « Politique fiscale », Fiche techniques sur l’Union européenne, 2017, p. 2 12 Ibid. 13 OCDE, Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune – Version complète, 9e édition, 2014 14 J.-É. COLLIARD et C. MONTIALOUX, « Une brève histoire de l’impôt », Regard croisés sur l’économie, n° 1, 2007, p. 56-65

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double imposition ne s’est véritablement posée. Ce constat s’explique principalement par un

nombre d’impôts assez limités et essentiellement indirects, et surtout par une assez faible

mobilité des opérateurs économiques et des capitaux.

13. –– Les premières problématiques liées à la double imposition sont apparues au cours

de l’entre-deux-guerres, suite à l’institution de nouveaux impôts en Europe. Par exemple, un

impôt général sur le revenu a été mis en œuvre en France à partir de 191615. Dans ce contexte,

marqué par un certain développement en matière fiscale, les phénomènes de double

imposition ont commencé à voir le jour. La croissance économique aidant, les entreprises ont

commencé à s’internationaliser, au moins à l’échelle de l’Europe. Il est alors apparu la

nécessité pour les États d’élaborer un véritable droit international en matière d’impôts,

l’exercice indépendant de sa souveraineté fiscale par chaque État se révélant de plus en plus

déconnecté de la réalité économique. Cette fiscalité internationale a très rapidement pris une

forme essentiellement conventionnelle, dont les conventions fiscales actuellement en vigueur

sont les héritières directes. Des négociations entre les États le souhaitant ont été mises en

œuvre, notamment au travers de la Société des Nations, qui constituaient alors la seule

véritable instance de discussion internationale. L’Organisation économique et financière, et

plus particulièrement le comité fiscal de la Société des Nations, étaient devenus, dès 1923, un

lieu de rencontres régulières entre des experts en fiscalité et des représentants des différents

États membres. Le comité revêtait officiellement une image d’expertise et de lieu de

discussions techniques et de rencontres entre spécialistes. Mais en réalité, les négociations

avaient déjà pris une tournure profondément politique, en raison de l’enjeu fondamental que

constitue la fiscalité pour les États16. Le cœur des négociations portait alors sur la double

imposition et la lutte contre ce phénomène, mais également sur des sujets relatifs à l’évasion

fiscale : cette nouvelle problématique commençait à émerger à l’époque, en raison du grand

nombre de paradis fiscaux qui devenaient accessibles aux contribuables. Les travaux de la

Société des Nations sur ce dernier sujet ne se sont toutefois pas avérés très concluants17.

14. –– La conscience des difficultés engendrées par la double imposition est donc

présente depuis près d’un siècle auprès des États et des différents acteurs du monde

15 Loi du 15 juillet 1914 et décret du 15 janvier 1916 16 C. FARQUET, « Expertise et négociations fiscales à la Société des Nations (1923 – 1939) », Relations internationales, n° 142, 2010, p. 5-21 17 Id., « Lutte contre l’évasion fiscale : l’échec de la SDN durant l’entre-deux-guerres », L’Économie politique, n° 44, 2009, p. 93-112

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économique. Pourtant, les travaux effectués dans le cadre de la Société des Nations n’ont pas

été suffisants pour établir les bases d’un système d’imposition permettant de garantir aux

contribuables l’absence de toute surcharge fiscale injustifiée. Malgré tout, ces négociations

interétatiques ont permis de poser un certains nombres d’idées fortes en la matière, et

constituent les véritables prémices de la lutte contre les doubles impositions telle qu’elle

existe aujourd’hui. Les travaux de l’Organisation économique et financière de la Société des

Nations ont également permis de poser les premières bases d’un éventuel multilatéralisme

en matière fiscale, même si cette voie n’a finalement pas été suivie en raison d’une certaine

réticence de la part des États. Les négociations ont toutefois permis d’aboutir à la création

d’un premier modèle de convention bilatérale dès les années 194018. Ces textes serviront alors

de bases aux travaux de l’OCDE, qui s’inscriront dans la lignée de ceux entrepris par la Société

des Nations quelques décennies auparavant.

15. –– Si la double imposition est un phénomène reconnu et combattu depuis près d’un

siècle, elle n’a connu son véritable essor qu’au cours de la seconde moitié du XXe siècle. En

effet, sous l’impulsion du développement économique, les échanges transfrontaliers se sont

multipliés. La croissance économique a alors conduit à de véritables mutations au sein de la

société et du monde des affaires, pour aboutir à la période de mondialisation dans laquelle

nous sommes encore à l’heure actuelle. L’augmentation du nombre d’opérateurs

internationaux, la multiplication des flux financiers et la mondialisation de l’économie sont

autant de facteurs caractérisant un risque croissant de double imposition. En effet, lorsque les

entreprises exercent leurs activités sur un grand nombre de territoires et que les contribuables

perçoivent des revenus de sources internationales, de nombreux droits nationaux, parfois

discordants, ont vocation à s’appliquer, créant de fait un risque accru de surcharge fiscale.

16. –– Le développement de l’économie mondialisée se manifeste également par la

disparition d’un grand nombre de barrières existant auparavant. La plupart des États se sont

positionnés en faveur d’une certaine ouverture et ont favorisé le libre-échange. Ce

phénomène est encore plus marqué au niveau du continent européen, où un véritable marché

commun entre six États a vu le jour en 195719, pour ensuite s’étendre progressivement à la

majorité du continent. Cette ouverture des frontières aux échanges internationaux s’est

18 Comité fiscal de la SDN, Modèles de conventions fiscales de Londres et de Mexico – Commentaire et texte, 1946 19 Traité instituant la Communauté économique européenne, 25/03/1957

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accompagnée de l’apparition de groupes de sociétés de taille mondiale, amenés à jouer un

rôle de plus en plus important. On estime aujourd’hui que les opérations intragroupes

représentent près de 60 % des échanges effectués sur la planète20. Pourtant, malgré cet essor

de l’internationalisation, la fiscalité a continué d’être exercée de manière traditionnelle : les

États ont ainsi laissé demeurer de véritables frontières fiscales, qui tranchent de manière très

marquée avec les autres tendances socio-économiques induites par la mondialisation. Dans

un contexte d’ouverture et de fiscalités nationales divergentes, les doubles impositions sont

plus que jamais en mesure d’apparaître.

17. –– L’enjeu actuel réside donc véritablement dans l’adaptation de la fiscalité aux

nouveaux enjeux de la mondialisation. En effet, la plupart des États souhaitent encourager les

échanges afin de stimuler leur croissance économique. Mais la double imposition étant

clairement de nature à entraver l’internationalisation des opérateurs économiques, les

gouvernements ont rapidement pris conscience de la nécessite de lutter contre ce

phénomène. Le combat contre la double imposition a donc été mis en œuvre par les États,

certes de manière assez limitée, mais elle a surtout été le fait d’organisations internationales,

comme l’ONU ou l’OCDE. C’est ainsi que des modèles de conventions fiscales bilatérales ont

vu le jour, dont la plupart des États se sont inspirés dans le cadre de négociations bilatérales.

Le modèle le plus utilisé est celui de l’OCDE, qui fut publié pour la première fois en 1963 et qui

fait l’objet de rééditions régulières depuis cette date. La dernière version mise à disposition

date de 201421. Mais malgré les nombreux travaux de l’OCDE, de l’ONU ou de l’Union

européenne au sujet de la double imposition, la lutte contre ce phénomène dépend en grande

partie des États, qui se montrent parfois réticents en la matière. Il s’ajoute à cela les

divergences ou contradictions possibles entre les différents droits nationaux, rendant toute

forme d’harmonisation particulièrement délicate.

18. –– Il existe assez peu de chiffres et de données statistiques relatives à la survenance

de la double imposition auprès des contribuables. Les études relatives à ce sujet ne sont en

effet pas très nombreuses. On peut toutefois noter que le sujet a été évoqué par la

20 M.-L. HUBLOT, Les procédures de règlement de la double imposition résultant de la correction des prix de transfert entre entreprises associées, Thèse, Paris, 2014, 1. 21 OCDE, Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune – Version complète, 9e édition, 2014

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Commission européenne, dans le cadre de ses travaux en vue d’améliorer l’efficacité du

marché commun. Une consultation publique a donc été lancée par l’institution en 201022, en

visant un champ relativement large : les questions portaient sur la double imposition de

manière générale, et s’adressaient aussi bien aux particuliers qu’aux entreprises. L’objet de

l’étude était avant tout d’obtenir des exemples de situations concrètes de double imposition,

afin de déterminer les facteurs de nature à provoquer ce type de phénomène. La Commission

s’intéressait aussi tout particulièrement à l’efficacité des conventions fiscales en vigueur pour

la prévention des doubles impositions. Les résultats de la consultation ont permis de fournir

des chiffres intéressants : seules 6 % des entreprises interrogées affirmaient n’avoir jamais fait

l’objet d’une double imposition dans le cadre d’opérations transfrontalières23. Le résultat

semblait donc sans appel : la plupart des opérateurs économiques internationaux sont

confrontés à la double imposition, qui constitue ainsi un enjeu majeur dans le cadre d’activités

exercées à l’étranger.

19. –– Les problématiques liées à la double imposition sont donc multiples : elles

illustrent d’une part l’attachement des États à leur souveraineté fiscale, allant parfois jusqu’à

contrarier les tendances d’ouverture de l’économie mondiale. La fiscalité demeure ainsi la

principale frontière entre les territoires, devenant un critère fondamental dans le choix des

opérateurs économiques. De ce fait, le droit fiscal peut constituer un moteur économique

important pour un État ou un territoire, ou à l’inverse, créer de véritables barrières au

développement économique. Mais d’autre part, la question de la double imposition permet

également de prendre un certain recul sur les règles relatives à l’impôt, en confrontant

notamment le contexte économique et la réalité des contribuables avec un droit fiscal parfois

trop traditionnel. L’éventuelle adaptation de la fiscalité aux mutations économiques

provoquées par la mondialisation se double d’une difficulté supplémentaire, qui tient au

besoin de financement croissant des États, ainsi qu’à la question de la lutte contre l’évasion

fiscale. La double imposition semble en quelque sorte résulter d’un choc entre une économie

internationalisée en évolution constante et une volonté des États de continuer à exercer une

22 Commission européenne, Consultation sur les conventions préventives de la double imposition dans le marché

intérieur : exemples concrets de double imposition, 2010 23 European Commission, Summary report of the responses received Commission’s consultation on double

taxation convention and the internal market: factual examples of double taxation cases, 2011, p. 3

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souveraineté fiscale totale sur le territoire. La difficulté tient alors à l’impact de ce phénomène

sur le contribuable, qui devra in fine supporter une surcharge fiscale injustifiée.

20. –– La double imposition constitue ainsi une forme de dissonance entre la fiscalité et

le monde économique. Dans un contexte en perpétuel évolution, il est normal que le droit ne

soit pas en mesure de s’adapter immédiatement aux nouveaux enjeux rencontrés. Les règles

régissant les rapports sociaux ont en effet besoin d’une certaine stabilité pour être pleinement

efficaces : si le droit est effectivement en évolution permanente, les changements ne doivent

pas se multiplier ou se contredire, sous peine d’aboutir à une véritable insécurité juridique.

En particulier, la matière fiscale se doit de conserver un véritable socle de règles solidement

ancrées, notamment en raison de ses liens étroits avec les grands principes juridiques et les

libertés fondamentales. Dans cette constante recherche d’un équilibre entre adaptation et

stabilité, un certain nombre de dérives sont susceptibles de voir le jour, par exemple au travers

de situations de double imposition. Il peut alors en découler une surcharge fiscale injustifiée

pour les contribuables, de nature à influencer leur comportement économique. En effet, si la

double imposition conduit d’abord à une méfiance encore plus grande envers l’administration

fiscale et l’État, elle est également susceptible de décourager un grand nombre

d’investissements ou d’activités transfrontalières. Il en résulte une potentielle entrave au

développement économique et aux échanges internationaux : ce phénomène heurte alors

frontalement la volonté de nombreux États d’accompagner la mondialisation et les mutations

économiques qu’elle amène.

21. –– C’est la raison pour laquelle la double imposition est véritablement prise en

considération par les États, qui ont généralement conscience des impacts négatifs de ce

phénomène sur leur développement économique. L’exemple le plus emblématique de cette

volonté de lutte réside dans les nombreux travaux de l’OCDE et dans le nombre croissant de

conventions fiscales signées par les États : concernant par exemple la France, une centaine de

conventions visant à lutter contre la double imposition sont actuellement en vigueur24.

Pourtant, le phénomène est loin d’avoir été éradiqué, et il continue régulièrement de se

rencontrer dans la vie des opérateurs économiques. Cette inefficacité apparente de la lutte

contre les doubles impositions découle en réalité d’une contradiction majeure rencontrée par

24 Administration fiscale, BOFiP, BOI-ANNX-000306-20151007

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les États. Ces derniers veulent en effet d’une part éviter les situations de double taxation dans

l’objectif d’encourager le développement économique ou, du moins, de ne pas l’entraver.

Mais d’autre part, ces mêmes États ne sont pas prêts à tout mettre en œuvre pour réussir leur

entreprise et éradiquer toute forme de double imposition : il leur faudrait pour cela aller vers

une forme d’uniformisation du droit fiscal ou un multilatéralisme plus marqué, ce qui les

obligerait à renoncer en partie à leur souveraineté fiscale. Par ailleurs, les problématiques

liées à la fraude et à l’évasion fiscales ont souvent tendance à occulter celles liées aux doubles

impositions du point de vue des États. Il semble notamment que la lutte contre les

contribuables souhaitant échapper à l’impôt s’avère souvent plus rémunératrice pour

l’administration fiscale que celle contre les doubles impositions, qui amène nécessairement

un État ou un autre à renoncer à l’impôt qu’il comptait percevoir. On peut donc remarquer

que les mesures prises par les États, mais également par l’Union européenne, concerne

davantage la question de l’évasion fiscale que celle de la double imposition : cette donnée se

confirme notamment au travers des plans d’action et des recommandations adoptés par la

Commission européenne25.

22. –– Pour autant, dissocier de cette façon les problématiques de double imposition et

celles de fraude fiscale nous semble être une erreur. En effet, si les deux situations peuvent

paraître opposées du point de vue des États, l’une présentant une surcharge d’impôts et

l’autre une imposition insuffisante, il s’agit en réalité de deux phénomènes symptomatiques

d’un dysfonctionnement du système fiscal dans son ensemble. La double imposition et

l’évasion fiscale sont ainsi liées, car il s’agit dans les deux cas de dérives issues d’une

dissonance entre la fiscalité et la réalité du monde économique. Un certain nombre de

facteurs peuvent d’ailleurs expliquer l’origine de ces phénomènes, le premier d’entre eux

étant l’absence de véritable harmonisation en matière de fiscalité directe, y compris au sein

de l’Union européenne. Les États étant particulièrement attachés à leur souveraineté fiscale,

il s’oppose à toute règle supranationale trop rigide, ainsi qu’à un multilatéralisme trop

marqué26. Le droit fiscal international repose alors essentiellement sur des négociations

bilatérales entre les États, souvent très incertaines pour les contribuables.

25 F. PERROTIN, « Fraude fiscale : le plan d’action de la Commission européenne », Petites affiches, n° 250, 2012, p. 3 26 B. CASTAGNÈDE, Précis de fiscalité internationale, 5e édition, Presses universitaires de France, 2015, 130.

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23. –– Le risque de double imposition ou de fraude fiscale est présent dans les échanges

économiques entre la plupart des États, mais il est encore plus marqué sur le continent

européen, en raison de l’existence du marché unique. Avec la constitution d’un ordre juridique

européen et d’un véritable marché intérieur se comportant comme un marché national, la

plupart des frontières ont été éliminées, de manière à encourager les activités économiques

sur tout le continent. Mais en réalité, un grand nombre de frontières fiscales demeurent entre

les États membres, accroissant ainsi le risque de double imposition, mais également les

opportunités de fraude fiscale pour les entreprises internationales. Comme les sociétés

établies au sein de l’Union européenne ont accès à l’ensemble du marché unique, les

opérations transfrontalières sont nécessairement plus nombreuses, augmentant les risques

de situations de double imposition. Mais ces mêmes sociétés disposent également d’un large

choix en termes d’implantation pour leur siège social : elles pourront alors choisir l’État qui

leur garantit la fiscalité la plus avantageuse. Ce phénomène est d’ailleurs encore plus marqué

du fait des pratiques de certains États, qui n’hésitent pas à avoir recours à une forme de

concurrence en matière d’impôt afin de rendre leur territoire plus attractif27.

24. –– Les liens entre la double imposition et la fraude fiscale tiennent ainsi pour partie

aux origines de ces phénomènes, mais on peut également les appréhender sous un angle de

cause à effet. La volonté de se soustraire à l’impôt est extrêmement ancienne, pratiquement

autant que la fiscalité elle-même, il ne faudrait donc pas considérer la double imposition

comme la première cause de l’évasion fiscale rencontrée aujourd’hui. Toutefois, la surcharge

d’impôt qui risque de peser sur le contribuable peut parfois constituer une incitation pour

recourir à la fraude. Dans une telle situation, le contribuable ayant subi une double imposition

s’estimera alors victime d’une dérive émanant des services fiscaux et des États, ce qui pourra

potentiellement légitimer son recours à des pratiques illégales pour se faire justice lui-même,

et éviter de supporter une surcharge fiscale injustifiée. En constituant ainsi une véritable

entorse à toute forme de justice fiscale, les doubles impositions encouragent encore

davantage la méfiance des particuliers et des entreprises à l’égard de l’impôt et de

l’administration fiscale. Si la complexité et l’éventuelle injustice des règles juridiques

applicables ne constituent en aucune manière une justification pour se soustraire à la norme

27 A. BARBIER-GAUCHARD, « La concurrence fiscale dans l’Union européenne : les politique budgétaires confrontées à la mobilité », Politique étrangère, n° 2, 2008, p. 385-400

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impérative ou pour avoir recours à la fraude, force est de constater qu’il s’agira d’une

incitation supplémentaire à braver la loi. Cette réalité se constate encore davantage en droit

fiscal qu’au sein d’autres disciplines juridiques. En effet, comme la fraude et l’évasion fiscales

sont de nature à permettre à leurs auteurs d’effectuer des économies substantielles, ces

derniers seront encore plus enclins à y avoir recours et à y investir un certain nombre de

moyens, notamment financiers. Les problématiques relatives aux doubles impositions

semblent donc ici rejoindre des considérations d’ordre politique, concernant notamment

l’établissement d’un impôt juste et efficace. Si cette question s’écarte quelque peu du sujet,

nous pourrons tout de même noter qu’elle remonte aux origines de la fiscalité moderne. En

effet, Adam Smith le remarquait déjà en son temps, notant les liens ténus entre la qualité de

l’œuvre du législateur et le risque d’évasion fiscale : « un impôt inconsidérablement établi

offre beaucoup d’appât à la fraude ».

25. –– Assurer une véritable lutte contre la double imposition permettrait ainsi de

réconcilier les contribuables avec les services fiscaux, en leur confirmant d’une certaine

manière la volonté de l’État de garantir une véritable protection des assujettis contre les

dérives de la fiscalité internationale. Il s’agirait alors de mettre en œuvre un certain nombre

de mesures, aboutissant notamment à une forme d’harmonisation de la fiscalité

internationale et à des recours plus efficaces pour permettre aux contribuables d’éliminer les

doubles impositions dont ils ont été victimes.

26. –– Afin d’appréhender les nombreuses questions liées aux doubles impositions, ce

travail s’articulera principalement autour des deux problématiques majeures relatives à cette

question, à savoir les origines concrètes des doubles impositions et la lutte contre ce type de

situation. Sans avoir la prétention d’être exhaustif, nous chercherons à définir les différentes

formes que peuvent revêtir les cas de double imposition, et quelles articulations particulières

des règles fiscales en vigueur risquent d’aboutir à ce résultat. Nous nous interrogerons

également sur les recours dont dispose un contribuable victime de double imposition, ainsi

que les mécanismes prévus par le droit interne ou international pour remédier à ce type de

situation. L’objectif sera alors également d’évaluer l’efficacité globale de ces dispositifs de

lutte contre les doubles impositions.

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TITRE I –– L’ORIGINE DE LA DOUBLE IMPOSITION

TITRE II –– LA LUTTE CONTRE LA DOUBLE IMPOSITION

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TITRE I

LES ORIGINES DE LA DOUBLE IMPOSITION

27. –– La double imposition est un phénomène dont on imagine à première vue assez

aisément les contours. Mais en réalité, il s’avère assez difficile d’en donner une définition

stricte. Le développement de la fiscalité, en particulier contemporaine, a vu naître un grand

nombre d’impôts et de taxes diverses, à tel point qu’il n’y a rien d’étonnant à ce que plusieurs

impôts touchent le même objet, ou qu’ils aient parfois tendance à se recouper. Il apparaît

donc d’emblée quelque peu ardu de déterminer de manière absolue ce qui constitue une

véritable double imposition, et ce qui désigne deux impôts très proches dans leur objet.

Toutefois, les travaux relatifs à cette question ont conduit à distinguer deux types de doubles

impositions28 : la double imposition juridique et la double imposition économique.

28. –– Il convient de parler de double imposition juridique lors de « l’application

d’impôts comparables dans deux (ou plusieurs) États au même contribuable, pour le même

fait générateur et pour des périodes identiques »29. Il s’agira donc ainsi de la situation dans

laquelle un même revenu ou une même activité seront imposés dans plusieurs États, sur une

même période, et dont il résultera une surcharge fiscale pour le contribuable, c’est-à-dire le

paiement d’un impôt global supérieur à celui qu’il aurait payé au sein d’un État, dans les

conditions de droit commun30. Ce type de double imposition suppose la présence d’au moins

deux administrations fiscales distinctes et ne se rencontrera donc en pratique que dans le

cadre d’activités internationales. La double imposition juridique est celle qui intéresse en

premier lieu les conventions fiscales internationales, ainsi que les droits internes des États, car

il s’agit de la situation la plus courante et surtout la plus manifeste de double imposition.

29. –– La double imposition économique, quant à elle, est définie par l’OCDE comme la

situation « où deux personnes différentes sont imposables au titre d’un même revenu ou

d’une même fortune »31. Concrètement, il s’agit du cas où deux contribuables sont chacun

28 J. SCHMIDT et al., Lamy Fiscal, 2017, n° 8412 29 OCDE, Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune – Version abrégée, 9e édition, 2014, p. 7 30 B. CASTAGNEDE, Précis de fiscalité internationale, 5e édition, 2015, 3. 31 OCDE, op. cit., p. 351

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imposés pour des revenus liés, par une ou plusieurs administrations fiscales, et que ces deux

impositions font double emploi d’un point de vue économique. Nous pouvons donc constater

que la notion de double imposition économique est moins rigide que celle de double

imposition juridique : elle se fonde sur les concepts relativement flous de « revenus liés » et

« d’impositions faisant double emploi », qui ne correspondent pas à grand-chose d’un point

de vue purement juridique. Notons toutefois que la définition traditionnellement retenue

pour la double imposition économique est suffisamment large pour englober à la fois des

situations internationales et des situations purement internes. Ainsi, il existe des mesures

issues du droit national visant à prévenir et enrayer les phénomènes de double imposition

économique qui pourraient résulter de la constitution de groupes de sociétés, comme le

régime des sociétés mères et filiales, qui permet d’éviter une deuxième imposition des

dividendes, qui ont déjà été taxés au niveau du résultat de la filiale.

30. –– La double imposition, qu’elle soit de nature économique ou juridique, apparaît

clairement comme un phénomène injustifié, qui trouve davantage son origine dans une

application stricte de règles propres à chaque État, que dans une construction globale

réfléchie. En effet, pourquoi un contribuable devrait-il supporter une charge fiscale double,

voire encore supérieure, simplement en raison du caractère complexe ou international de ses

activités ? S’il apparaît que la double imposition n’est a priori souhaitée par personne, et

même combattue par beaucoup, il n’en demeure pas moins que le phénomène reste très

présent. Avant d’envisager une lutte sérieuse contre les doubles impositions, il convient donc

de s’interroger sur leurs origines et sur les raisons qui les rendent si persistantes.

31. –– Il nous paraît opportun de séparer l’étude des doubles impositions juridiques et

économiques car, même si les deux situations conduisent à une charge fiscale supplémentaire

et apparemment injustifiée, les motifs qui en sont à l’origine sont souvent de natures

différentes. Si la double imposition juridique est relativement facile à identifier, il n’en sera

pas forcément de même pour la double imposition économique, qui trouvera plus souvent

son origine dans des relations économiques particulières, comme les groupes de sociétés, ou

dans une divergence de concepts et de règles fiscales en matière internationale.

CHAPITRE I –– LA DOUBLE IMPOSITION JURIDIQUE

CHAPITRE II –– LA DOUBLE IMPOSITION ÉCONOMIQUE

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CHAPITRE I

LA DOUBLE IMPOSITION JURIDIQUE

32. –– La double imposition juridique, c’est-à-dire l’imposition d’un même revenu par

deux administrations fiscales distinctes, constitue à l’heure actuelle une problématique

majeure pour un grand nombre d’opérateurs économiques. Notamment portés par la voix du

MEDEF32, les freins au développement économique et à la croissance en raison des doubles

impositions sont de plus en plus pointés du doigt par les entreprises et même par les

particuliers. Ce phénomène s’intensifie encore davantage dans un contexte où

l’internationalisation de l’économie conduit les entreprises à exercer leurs activités à un

niveau qui dépasse largement celui d’une souveraineté nationale. De nombreux chercheurs

en gestion considèrent d’ailleurs que le niveau d’internationalisation d’une entreprise est

directement corrélé à sa croissance, et a contrario, que « la focalisation limite la taille totale

de marché à conquérir, et limite donc fortement les perspectives de croissance de

l’entreprise »33.

33. –– La conjoncture du développement économique actuel et la dynamique qu’elle

impose a ainsi tendance à se heurter à la rigidité des États et des droits nationaux, en

particulier fiscal. En effet, le droit de chaque État a avant tout vocation à régler les situations

qui se déroulent sur son territoire, la dimension internationale n’étant que subsidiaire. Le droit

fiscal en particulier vise avant tout à assurer des revenus à l’État et ce n’est pas directement

son rôle de s’adapter aux différentes mouvances économiques qui peuvent surgir. Pourtant,

dans une volonté de soutenir l’activité économique, les droits nationaux et le droit européen,

d’un naturel assez rigide, ont su s’adapter aux enjeux nouveaux. Par exemple, la réforme de

2006 relative au droit des sûretés et la loi du 19 février 2007 relative à la fiducie ont permis

d’adapter cette matière, réputée peu internationalisée, aux nouvelles contraintes

économiques34. De même, les titres de créances négociables ont également connu en 2016

32 V. DE SAINT-BLANQUAT, « La double imposition des entreprises : le point de vue du MEDEF », Droit fiscal, n° 9, 2011, p. 226 33 S. HERMANN et al., « ETI françaises et déficit d’internationalisation – Quels enseignements tirer du cas allemand des champions cachés ? », Revue française de gestion, n° 244, 2014, p. 172 34 L. AYNÈS et al., Lamy Droit des sûretés, 2017, n° 290-5

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une réforme orientée vers davantage d’internationalisation35. Ces deux exemples, certes

éloignés du sujet fiscal, montrent toutefois que des matières assez peu enclines à s’adapter

peuvent tout de même faire une place à l’international. Mais le droit fiscal semble quelque

peu à part, comme s’il s’était construit de manière si rigide qu’aucun changement d’ordre

économique ne pourrait le bouleverser.

34. –– Même si de nombreuses réformes et une certaine volonté politique vont dans le

sens d’une internationalisation accrue, la question fiscale n’en demeure pas moins très

sensible. Le poids actuel du droit européen ainsi que la volonté d’harmonisation de l’Union

européenne ne font aucun doute, pourtant la matière fiscale semble la plus difficile à intégrer

dans ce mouvement. Cela s’explique sans doute par la sensibilité des États quant à leurs

finances publiques, et peut-être également par une certaine tradition de bilatéralisme au

travers des conventions fiscales internationales, qui vient s’opposer au multilatéralisme

européen. Il demeure clairement une certaine hostilité des États et de leur administration

fiscale envers tout changement qui pourrait mettre à mal les finances publiques, déjà

sévèrement chahutées. Dans ce contexte, la survenance d’une double imposition semble

n’être qu’un dommage regrettable, mais acceptable, découlant souvent du refus de trancher

au sein d’une concurrence entre deux juridictions fiscales.

35. –– Nous envisagerons donc la question de la double imposition juridique et l’origine

de ce phénomène au travers de deux axes : d’une part une internationalisation des échanges

et des activités économiques, à laquelle les entreprises, les particuliers mais également les

États doivent s’adapter, et d’autre part une volonté ferme de conserver une souveraineté

fiscale nationale, à la fois pour des raisons financières et politiques.

Section I

L’INTERNATIONALISATION DES ÉCHANGES ÉCONOMIQUES

36. –– Depuis plusieurs décennies, les activités économiques tendent à une

internationalisation toujours plus présente, à tel point que l’ensemble du monde économique

35 V. PAOLI-GAGIN, « La récente réforme des titres de créances négociables en deux mots : entre simplification et internationalisation », Bull. Joly Bourse, n° 07-08, 2016, p. 303

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s’en trouve bouleversé. Le droit fiscal a connu un certains nombres de changements, mais

malgré cela, le cœur de la matière n’a pas fondamentalement changé : les grands principes

sont restés, de même que les grandes règles relatives à l’établissement et au recouvrement

de l’impôt. Le droit fiscal a toutefois connu une grande croissance en termes de complexité, à

tel point qu’il est parfois devenu difficilement compréhensible pour le contribuable. La

confrontation d’une économie mondialisée avec un droit fiscal changeant, parfois instable, et

trop souvent hermétique aux problématiques internationales des opérateurs économiques,

crée un risque réel de double imposition.

37. –– Il conviendra donc de s’intéresser d’une part aux revenus de source

internationale susceptibles de donner lieu à une double imposition, selon les règles du droit

commun ou en présence d’une convention fiscale internationale. D’autre part, nous pourrons

nous interroger sur l’inadéquation entre les règles fiscales actuelles et la vie économique des

contribuables, susceptible de conduire à des dérives comme la double imposition, ainsi que

sur la responsabilité des États dans ce phénomène.

§1 –– Des revenus de source internationale

38. –– Dans l’environnement économique actuel, un nombre croissant de revenus

revêtent un caractère international : la plupart des entreprises françaises ont vocation à

croître et à s’internationaliser36, quelle que soit leur taille. La France étant un marché

particulièrement ouvert, notamment grâce à l’Union européenne, un grand nombre d’acteurs

économiques ont également intérêt à venir s’implanter sur le territoire. Ces formes de

développement conduisent toujours à des revenus internationaux, qui peuvent prendre

différentes formes : il pourra s’agir de redevances, d’intérêts ou encore de revenus de

capitaux mobiliers dans le cas de dividendes. Le traitement fiscal de ces revenus dépendra de

leur nature et de la présence éventuelle d’une convention fiscale, qui déterminera si le droit

commun a vocation à s’appliquer ou non. Il conviendra d’étudier d’une part le traitement fiscal

des revenus de source internationale, et d’autre part d’évoquer quelques aménagements du

droit fiscal international permettant d’éviter une possible double imposition.

36 S. HERMANN et al., « ETI françaises et déficit d’internationalisation – Quels enseignements tirer du cas allemand des champions cachés ? », Revue française de gestion, n° 244, 2014, p. 165

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39. –– Les revenus de sources internationales susceptibles de faire l’objet d’une double

imposition se retrouvent principalement dans trois situations, prévues par le droit commun :

le cas d’une entreprise exploitée en France par un opérateur étranger, qui correspond à une

activité économique effective en France, les revenus de source étrangère perçus par un

opérateur résidant en France et les revenus de source française pour un opérateur résidant à

l’étranger.

A –– L’entreprise exploitée en France

40. –– Le premier cas de revenus présentant un caractère international réside dans

l’exploitation d’une entreprise en France par un opérateur économique, quelle que soit sa

nationalité : ce principe de territorialité de l’impôt sur les bénéfices découle notamment de

l’article 209, I. du Code général des impôts. Ce dernier énonce en effet que « les bénéfices

passibles de l’impôt sur les sociétés sont déterminés […] en tenant compte uniquement des

bénéfices réalisés dans les entreprises exploitées en France ». Toutefois, la loi n’a jamais défini

le contour de la notion d’entreprise exploitée en France, c’est pourquoi le Conseil d’État a pu

préciser qu’il s’agit de l’exercice habituel d’une activité, ce qui se présentera généralement

dans trois situations : la présence d’un établissement autonome, l’exercice d’une activité par

l’intermédiaire de représentants permanents sans personnalité juridique distincte et la

réalisation d’opérations formant un « cycle commercial complet ». Ces critères sont de

jurisprudence constante, la décision SA Compagnie européenne d’équipement industriel de

1978 en étant un exemple37, et ils sont directement repris par la doctrine écrite de

l’administration fiscale38.

41. –– Le critère d’établissement autonome est généralement le plus utilisé pour

caractériser une entreprise exploitée en France. Pour revêtir cette qualification,

l’établissement devra présenter un certain caractère de permanence, ce qui rejoint l’idée

d’exercice habituel d’une activité économique, ainsi que d’une autonomie suffisante pour être

considéré comme une entité à part39. Concrètement, il pourra s’agir d’un bureau, d’une usine

ou de magasin de vente.

37 CE, 23/06/1978, SA Compagnie européenne d’équipement industriel, n° 99444, concl. P. RIVIÈRE, Lebon 1978 38 Administration fiscale, BOFiP, BOI-IS-CHAMP-60-10-10-20140627, § 90 et s. 39 B. LIGNEREUX, Le Principe de territorialité de l’impôt sur les sociétés, CPO, Rapport particulier n° 4, 2017, 13.

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42. –– Le second critère retenu réside dans la notion de représentant permanent sans

personnalité juridique distincte : une société étrangère pourra donc être imposée à l’impôt

français sur les sociétés, même en l’absence d’établissement situé en France40. La situation

devra donc revêtir un caractère de permanence et également une certaine autonomie, qui se

traduira concrètement par la capacité du représentant à engager juridiquement l’opérateur

étranger. Ce critère ne trouvera toutefois pas à s’appliquer lorsque le représentant dispose

d’une personnalité juridique indépendante, notamment dans le cas d’un commissionnaire ou

d’un courtier : dans cette situation, le représentant, disposant d’un statut indépendant,

exercera une activité pour son compte et l’opérateur économique étranger sera réputé

exercer son activité seulement depuis son lieu de résidence41. Ainsi, pour être qualifié

d’entreprise exploitée en France, le représentant devra être directement dépendant de

l’opérateur étranger, que ce soit par une subordination juridique ou une dépendance

économique.

43. –– Le troisième critère, relatif aux opérations formant un cycle commercial complet,

est assez rarement utilisé en pratique : il pourra par exemple s’agir de l’achat de marchandise

suivi de leur revente. Si cet ensemble d’opérations est réalisé en France, alors il s’agira d’une

entreprise exploitée en France42. Par ailleurs, pour former un cycle commercial complet en

France, les activités en question doivent être détachables de l’activité de l’opérateur à

l’étranger : cela signifie que si ce cycle commercial n’est pas détachable de ses activités en

territoire étranger, elle ne sera pas redevable de l’impôt français sur les bénéfices43.

44. –– La notion d’entreprise exploitée en France et les trois critères dégagés par la

jurisprudence du Conseil d’État permettent d’établir dans quelle situation un opérateur

économique sera redevable de l’impôt français sur les sociétés : tous les bénéfices issus

d’entreprises exploitées en France seront donc imposés en France. On notera par ailleurs que,

s’agissant du droit interne, une entreprise exploitée à l’étranger se caractérisera exactement

selon les mêmes critères que ceux appliqués pour l’entreprise exploitée en France. Ainsi, une

40 CE, 05/06/1937, n° 42274, Lebon 1937, p. 351, s’agissant d’une société exerçant une activité commerciale immobilière par l’intermédiaire d’un représentant chargé d’en assurer la gestion 41 CE, 18/06/1969, n° 68042, RJCD, 1ère partie, p. 135 42 CE, 14/03/1979, n° 07098, concl. P. RIVIÈRE, Lebon 1979, s’agissant d’opérations d’achat et vente de marchandises à l’étranger par une société qui avait son siège en France, d’où elle prenait toutes les décisions relatives à son activité 43 CE, 30/04/1980, n° 05761, Lebon 1980

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entreprise exploitée à l’étranger ne sera pas imposée par l’administration française. La

confrontation entre le principe de territorialité de l’impôt sur les sociétés, propre au droit

français, avec les règles fiscales d’autres États pourra sans aucun doute conduire à des

situations de double imposition juridique. Ce phénomène risque autant de se produire pour

les entreprises exploitées en France que pour celles exploitées à l’étranger. La double

imposition sera d’ailleurs systématique en l’absence de convention fiscale visant à l’éviter,

notamment car de nombreux États ont adopté un principe de mondialité en ce qui concerne

l’impôt sur les bénéfices : on aura donc le cumul d’un impôt réel perçu en France avec un

impôt personnel perçu dans le pays étranger qui applique le principe de mondialité, car

l’impôt en question sera alors assis sur l’ensemble des revenus de la personne morale.

45. –– Si une convention fiscale est conclue entre la France et l’État de résidence de

l’opérateur économique étranger, le droit commun et les critères de l’entreprise exploitée en

France n’auront pas vocation à s’appliquer. A l’inverse, on raisonnera selon la notion

d’établissement stable : il s’agit généralement d’une « installation fixe d’affaires par

l’intermédiaire de laquelle une entreprise exerce tout ou partie de son activité »44 ou d’un

agent sans statut indépendant et ayant le pouvoir d’engager l’entreprise45. Les critères

retenus pour qualifier un établissement stable se rapprochent de ceux retenus par le droit

français pour l’entreprise exploitée en France : on retrouve notamment un critère matériel,

celui de l’établissement autonome en droit interne, et un critère personnel, à savoir la

personne sans personnalité juridique distincte capable d’engager l’opérateur. Une entreprise

qualifiée d’établissement stable devra ainsi établir son résultat selon un principe

d’indépendance, afin que celui-ci soit imposé dans l’État où se trouve l’établissement,

conformément aux dispositions de la convention fiscale46 : l’opérateur devra ventiler son

résultat global afin d’établir un résultat cohérent et justifié, propre à l’établissement stable.

Celui-ci dispose donc d’une quasi-personnalité fiscale : il n’a pas de personnalité juridique

indépendante, mais on lui accorde toutefois une existence d’un point de vue fiscal.

44 OCDE, Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune – Version abrégée, 9e édition, 2014, p. 26 45 Ibid., p. 27 46 Ibid., p. 28

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46. –– La particularité principale de l’établissement stable réside dans l’exception

accordée aux activités ayant un caractère préparatoire ou auxiliaire 47 : il s’agit d’une liste de

situations où on ne retiendra pas la qualification d’établissement stable. Par exemple, si

l’installation fixe de l’opérateur étranger n’est utilisée qu’à des fins de stockage de

marchandises, elle ne constituera pas un établissement stable. Toutefois, les éléments de

cette liste doivent être interprétés de manière restrictive, l’administration fiscale et le juge de

l’impôt veillant à ce que le caractère préparatoire ou auxiliaire soit bien présent.

47. –– L’entreprise exploitée en France n’est pas le seul moyen pour un opérateur

étranger de réaliser des bénéfices en France : il peut également percevoir des revenus

« passifs » de source française.

B –– Les revenus de source française perçus à l’étranger

48. –– Un opérateur économique étranger peut percevoir des revenus français de

différentes natures et ils seront généralement soumis à l’impôt en France, en particulier

lorsqu’il s’agit de sociétés : « une société étrangère est passible de l’impôt sur les sociétés en

vertu des articles 209, I. et 206, 1. à raison de tous ses revenus de source française »48. Les

revenus concernés sont les suivants : les revenus fonciers, les intérêts, les dividendes et

revenus distribués, les redevances et les plus-values.

1) Les revenus fonciers

49. –– Les bénéfices liés à l’exploitation d’un patrimoine immobilier en France (revenus

locatifs, plus-values, etc.) sont soumis à un régime particulier : l’article 206, 1. du Code général

des impôts prévoit l’assujettissement à l’impôt sur les sociétés de « toutes personnes morales

se livrant à une exploitation ou à des opérations de caractère lucratif ». Le Conseil d’État a eu

l’occasion de préciser que les revenus de nature immobilière perçus par des sociétés

47 OCDE, Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune – Version abrégée, 9e édition, 2014, p. 27 48 F. LE MENTEC, « Fasc. 3500 : Bénéfices des entreprises – Détermination du bénéfice des entreprises exploitées en France », in J.-Cl. Fiscal International, 2012, 2.

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étrangères entraient dans cette catégorie49. Ainsi, les revenus issus de la gestion d’un

patrimoine immobilier français perçus par une société étrangère seront soumis à l’IS. Selon la

jurisprudence du Conseil d’État, si la personne met gratuitement à disposition un bien

immobilier qu’elle possède, elle pourra toujours être assujettie à l’IS sur le fondement d’un

acte anormal de gestion, sauf si ses statuts ne prévoient pas la recherche de bénéfices et que

sa démarche s’inscrit dans une optique d’intérêt général50.

50. –– L’imposition des revenus locatifs selon les règles de droit commun se fait donc

d’une manière analogue à celle des revenus d’une entreprise exploitée en France. Le

traitement fiscal réservé aux revenus de capitaux mobiliers sera par contre sensiblement

différent.

2) Les intérêts

51. –– Dans l’économie mondialisée actuelle, les flux financiers sont devenus

absolument considérables. La dette étant l’un des premiers moteurs de croissance des

entreprises, les intérêts jouent un rôle très important dans les échanges internationaux. Ainsi,

il semble normal que la fiscalité les considère à part. A titre liminaire, il convient de définir la

notion d’intérêts : il s’agit dans une conception extensive des « revenus des créances de toute

nature » selon les travaux de l’OCDE51. Le droit fiscal français, pour sa part, a tendance à

retenir la même définition des intérêts que le droit privé52 : il s’agira donc, dans une

conception plus étroite, des rémunérations des prêts d’argents.

52. –– Concernant leur traitement fiscal en droit interne, les intérêts versés par des

personnes morales établies en France ne font plus l’objet d’aucun prélèvement à la source

depuis le 1er mars 201053, ce qui peut sembler assez surprenant au premier abord. En effet, la

plupart des revenus de capitaux mobiliers font généralement l’objet d’une retenue à la source

de droit commun, qui pourra ensuite éventuellement être éliminée par l’application d’une

49 CE, 24/05/2006, Sté immobilière Saint-Charles, n° 278737, RTD com., 2006, p. 694, note O. FOUQUET ; RJF, 2006, n° 996 ; Droit fiscal, n° 50, 2006, comm. 785, concl. E. GLASER ; Droit des sociétés, 2006, comm. 155, note J.-L. PIERRE 50 CE, 27/02/2013, Établissement Poudix, n° 354994, RJF, 5/2013, n° 471 ; Droit fiscal, n° 21, 2013, comm. 290 ; Droit des sociétés, n° 8-9, 2013, comm. 150, note J.-L. PIERRE 51 OCDE, Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune – Version abrégée, 9e édition, 2014 52 R. COIN, « Fasc. 3560 : Traitement fiscal – Intérêts », in J.-Cl. Fiscal International, 2012 53 Article 131 quater du CGI

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convention fiscale. L’exception relative aux intérêts s’explique notamment par l’importance

du recours à la dette dans le développement économique du pays : une imposition des

intérêts par une retenue à la source dissuaderait les prêteurs étrangers de placer leur argent

en France, ce qui aurait pour conséquence une augmentation du coût de l’endettement. On

notera toutefois qu’un prélèvement à la source de 75 % sera tout de même appliqué dans le

cas où le bénéficiaire est situé dans un État ou territoire non coopératif54.

53. –– Le régime particulier des intérêts présente donc la particularité d’éviter la double

imposition par l’absence totale de retenue à la source, sans la nécessité d’avoir recours aux

conventions fiscales internationales, même si ces dernières ont souvent un article relatif aux

intérêts. Il n’en sera pas forcément de même pour les dividendes et les revenus distribués, qui

seront soumis à une retenue à la source.

3) Les dividendes et revenus distribués

54. –– En matière fiscale, la notion de dividende désigne généralement « les

distributions de bénéfices opérées par des sociétés de capitaux à ses actionnaires »55. Il s’agit

donc des revenus distribués par une société de capitaux : selon l’article 164 B du Code général

des impôts, « sont considérés comme revenus de source française les revenus de valeurs

mobilières françaises ». Il semble ainsi qu’on puisse en déduire que la notion de valeur

mobilière française fasse référence aux sociétés de capitaux françaises, et donc que la loi

s’applique aux dividendes versés par des entités françaises56.

55. –– Toutefois, une exception à cette règle de nationalité apparaît au travers de

l’article 115 quinquies, qui prévoient que « les bénéfices réalisés en France par les sociétés

étrangères sont réputés distribués, au titre de chaque exercice à des associés n’ayant pas leur

domicile fiscal ou leur siège social en France » : la loi considère donc les bénéfices des

entreprises exploitées en France par des opérateurs étrangers comme des revenus distribués,

et les impose au même titre que les dividendes. Ce choix s’explique par une volonté de

54 Ensemble d’Etats et de territoires n’ayant pas conclu au moins 12 conventions fiscale prévoyant une clause d’assistance administrative et d’échange d’informations, dont au moins une avec la France ; la liste des ETNC est actualisée annuellement par arrêté ministériel. 55 F. LE MENTEC, « Fasc. 3540 : Traitement fiscal – Revenus de capitaux mobiliers – Dividendes et autres revenus distribués », in J.-Cl. Fiscal International, 2017, 1. 56 Ibid., 4.

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neutralité entre deux situations juridiques, en raison du traitement fiscal applicables aux

dividendes.

56. –– En l’absence de convention fiscale ou d’exonération découlant du régime mères

et filiales57, la loi fiscale prévoit une retenue à la source en matière de distribution de

dividendes, dont le taux dépendra de l’État de résidence du bénéficiaire :

S’il s’agit d’un opérateur situé au sein de l’Union européenne, le taux de retenue à

la source sera de 21 %, à savoir le même que pour les résidents fiscaux français, en

vertu du principe de non-discrimination58 et de la libre circulation des capitaux59

prévux par les traités européens ;

S’il s’agit d’un opérateur situé dans un État ou territoire non coopératif, le taux de

retenue à la source sera de 75 % ;

S’il s’agit d’un opérateur situé dans un État hors de l’Union européenne, le taux de

retenue à la source sera de 30 % : c’est également ce taux qui sera appliqué aux

revenus distribués par une entreprise exploitée en France par un opérateur

étranger.

57. –– Le droit fiscal français prévoit ainsi une retenue à la source de 30 % sur les

bénéfices nets d’impôts sur les sociétés réalisés par une entreprise exploitée en France, qui

sont présumés distribués60 : cette présomption pourra toutefois être combattue par la preuve

que tous les bénéfices n’ont pas été distribués à l’étranger par l’entreprise établie en France.

L’existence de ce prélèvement de 30 % s’explique par la volonté du législateur de mettre sur

le même plan la situation où un opérateur étranger viendrait directement exploiter une

entreprise en France et celle où il choisirait de créer une société de droit français à cette fin :

si une filiale française était créée, les bénéfices nets qu’elle réaliserait deviendraient des

dividendes s’ils étaient distribués à son actionnaire, et à ce titre, ils feront l’objet de la retenue

à la source de 30 % prévue par le droit commun. Sans un dispositif de prélèvement analogue

pour les bénéfices des entreprises exploitées en France, il serait très peu intéressant d’un

point de vue fiscal de créer une filiale française pour exercer ses activités.

57 Voir infra n° 139. 58 Articles 18 à 25 du 59 Articles 63 à 66 du TFUE 60 Article 115 quinquies du CGI

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58. –– Les dividendes et les autres revenus distribués font donc l’objet de retenues à la

source à des taux relativement élevés : ce dispositif peut s’expliquer par une volonté d’éviter

une fuite des capitaux vers d’autres États, mais présente l’inconvénient de créer de

nombreuses doubles impositions en l’absence de convention fiscale internationale. La

situation des redevances sera quelque peu analogue.

4) Les redevances

59. –– Le terme redevances désigne en général les rémunérations tirées de licences de

droit de propriété industrielle (marque, brevet, etc.). La notion fiscale de redevances peut

toutefois dépasser la simple notion contractuelle à laquelle elle revoie, à savoir le transfert de

technologie ou de marque : elle pourra également couvrir « des paiements rémunérant

certaines prestations de services, comme l’usage d’un équipement industriel, commercial ou

scientifique »61. La notion de redevances est notamment définie par la convention modèle de

l’OCDE : elle fait alors référence aux « rémunérations de toute nature payées pour l’usage ou

la concession de l’usage d’un droit d’auteur sur une œuvre littéraire, artistique ou

scientifique […] »62. Le droit européen s’est inspiré de cette définition, qui se retrouve

également dans la plupart des conventions fiscales signées par la France.

60. –– Toutefois, le droit français ne comporte pas de définition précise des redevances.

On notera simplement que l’article 182 B du Code général des impôts prévoit une retenue à

la source lorsqu’un certain nombre de conditions sont remplies, notamment que les

paiements soient effectués par des opérateurs exerçant une activité en France et que les

bénéficiaires de ces paiements n’aient pas d’établissement dans le pays.63 Le taux de ce

prélèvement est de 33 1/3 % et il vient en déduction de l’éventuel impôt sur les sociétés ou

sur le revenu de l’opérateur étranger bénéficiaire des paiements64. Si le montant du

prélèvement à la source s’avère supérieur à l’impôt dû, le contribuable peut en demander le

61 F. LE MENTEC, « Fasc. 3580 : Traitement fiscal – Redevances », in J.-Cl. Fiscal International, 2016, 1. 62 OCDE, Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune – Version abrégée, 9e édition, 2014, p. 32 63 F. LE MENTEC, op. cit., 23. 64 Article 219 du CGI

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remboursement à l’administration fiscale65. Par ailleurs, le droit européen prévoit une

exonération de retenue à la source pour les redevances perçues par des entreprises résidentes

de l’Union, associées à 25 % pendant une durée d’au moins deux ans66.

61. –– Le prélèvement à la source relatif aux redevances a donc vocation à imposer un

bénéficiaire étranger pour des revenus de nature économique qu’il perçoit depuis la France,

ce qui rejoint la logique de territorialité qui gouverne l’impôt français sur les sociétés.

Malheureusement, ces règles présentent les mêmes risques de double imposition que celles

relatives à l’imposition des entreprises exploitées en France, dans la mesure où de nombreux

États étrangers disposent d’un principe de mondialité. Ce problème semble encore se

présenter en matière d’imposition des plus-values.

5) Les plus-values

62. –– Les plus-values peuvent concerner des biens de différentes natures, mais nous

concentrerons notre étude sur deux types de gains en capital : les plus-values de cession de

droits sociaux et les plus-values de cession immobilière.

a) Les plus-values de cession de droits sociaux

63. –– Les plus-values de cession de droits sociaux désignent les gains en capital qui

résultent de la vente de titres sociaux français par des opérateurs situés en-dehors du pays.

Le régime fiscal de ces cessions dépendra du type de participation possédée par le cédant : il

faudra distinguer le cas des participations substantielles des autres formes de participations.

64. –– Selon l’article 244 bis C du Code général des impôts, le régime prévu pour les

cessions de participations autres que substantielles réside en une exonération des opérateurs

étrangers : les dispositions relatives à l’imposition de ces opérations « ne s’appliquent pas aux

plus-values réalisées à l’occasion de cessions à titre onéreux de valeurs mobilières ou de droits

sociaux effectuées par les personnes qui ne sont pas fiscalement domiciliées en France au sens

65 CE, 17/02/2015, Fisichella, n° 373230, RJF, 5/2015, n° 380 ; BDCF, 5/2015, n° 51, concl. E. CORTOT-BOUCHER ; Droit fiscal, n° 18, 2015, comm. 297, note A. MAITROT DE LA MOTTE ; Petites affiches, n° 121, 2015, p. 3, note F. PERROTIN 66 Directive 2003/49/CE du Conseil du 03/06/2003, transposée à l’article 182 B bis du CGI

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de l’article 4 B ou dont le siège social est situé hors de France »67. Ainsi, ce régime produit une

situation où un revenu de source française perçu par un opérateur étranger ne sera pas

imposé par l’administration fiscale française, sous réserve que la participation n’ait pas été

substantielle. Ce régime particulier est un héritage historique : il s’agissait du régime

applicable aux personnes physiques en droit interne avant 1976, date à laquelle une réforme

est venue généralisée l’imposition des plus-values ; l’ancien régime a toutefois été maintenu

pour les opérateurs internationaux.

65. –– Selon l’article 244 bis B du Code général des impôts, une participation devient

substantielle lorsque celui qui la détient, que ce soit une personne physique ou morale, a

détenu, à un moment quelconque au cours des cinq années précédant la cession, plus de 25

% des droits aux bénéfices sociaux. Le taux de participation de l’actionnaire ou de l’associé

sera apprécié de manière large, en tenant compte des participations directes comme

indirectes, ainsi que des participations détenues par le conjoint, les ascendants et les

descendants dans le cas d’une personne physique68. Dans le cas d’une participation

substantielle, un prélèvement de 45 % sera effectué : le taux de ce prélèvement est calqué sur

le taux marginal de l’impôt sur le revenu. Ce taux est porté à 75 % si le bénéficiaire est situé

dans un État ou territoire non coopératif. Par ailleurs, l’administration fiscale autorise le

contribuable, s’il est établi dans un autre État de l’Union européenne, à formuler une

demande de dégrèvement en faisant ressortir le montant de l’impôt qu’il aurait payé s’il avait

été résident fiscal français69. Ainsi, dans le cas des cessions de participations substantielles, la

possibilité d’une double imposition est maintenue du fait du prélèvement de 45 % prévu par

le droit interne.

66. –– Ces règles ne concernent pas les sociétés à prépondérance immobilière, c’est-à-

dire les sociétés dont au moins la moitié des actifs sont constitués d’immeubles ou de parts

dans des sociétés immobilières. Ces sociétés relèveront alors du régime des plus-values de

cession immobilière.

67 P. LEGENTIL, « Fasc. 3620 : Traitement fiscal – Gains en capital », in J.-Cl. Fiscal International, 2013, 5. 68 Ibid., 2013, 7. 69 Administration fiscale, BOFiP, BOI-RPPM-PVBMI-10-30-20-20160304, § 100 et s.

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b) Les plus-values de cession immobilière

67. –– Concernant les plus-values de cessions d’immeubles situés en France, le régime

applicable à ces opérations est prévu à l’article 244 bis A du Code général des impôts. Il faudra

alors distinguer selon la nature juridique du cédant :

Si le cédant est une société, il sera appliqué un prélèvement à la source de 33 1/3 %

sur le montant de la plus-value nette, avec un amortissement forfaitaire de

l’immeuble de 2 % par année de possession si la société cédante est située en dehors

de l’Espace économique européen ; la société cédante sera ensuite assujettie à l’IS

dans les conditions de droit commun, avec possibilité de remboursement par

l’administration fiscale si le montant de la retenue à la source est finalement

supérieure à celui de l’impôt effectivement dû ;

Si le cédant est une personne physique, il sera appliqué un prélèvement à la source

de 19 % pour un résident de l’Espace économique européen et 33 1/3 % pour les

autres personnes physiques ; s’ajoutent à cela les prélèvements sociaux obligatoires

(CSG, CRDS) au taux de 15,5 % ;

Il faudra noter que les taux de retenue à la source mentionnés précédemment sont

portés à 75 % dans le cas d’une société ou d’une personne morale situé dans un État

ou territoire non coopératif.

68. –– On constate donc qu’en matière de plus-value immobilière, la retenue à la source

est systématique dans les règles de droit commun, ce qui encourage grandement

d’éventuelles doubles impositions. Celles-ci pourront être mises en échec par des conventions

fiscales, mais ceci s’appréciera au cas par cas, selon les conventions signées avec chaque État.

C –– Les revenus de source étrangère perçus en France

69. –– Une autre situation pouvant conduire à une double imposition des opérateurs

économiques est celle où des opérateurs économiques établis en France perçoivent des

revenus de source étrangère. Il s’agira notamment des entreprises exploitées à l’étranger, qui

sont déterminées selon les mêmes critères que les entreprises exploitées en France, ainsi que

les revenus « passifs » perçus depuis l’étranger (intérêts, dividendes, etc.).

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70. –– En matière de double imposition, nous étudierons deux problèmes en particulier :

d’une part la question du sort des pertes de l’entreprise française exploitée à l’étranger, et

d’autre part le traitement fiscal des impôts étrangers, notamment dans le cas de retenues à

la source, dans les conditions de droit commun.

1) Les pertes subis par l’entreprise exploitée à l’étranger

71. –– Le principe de territorialité qui gouverne l’impôt sur les sociétés français

s’applique aussi bien pour les revenus réalisés en France par un opérateur étranger, que pour

les revenus réalisés à l’étranger par un opérateur français. Ainsi, une société française ne

paiera pas d’impôt en France pour les profits qu’elle réalise dans un autre État : d’un point de

vue fiscal, l’activité exercée à l’étranger n’a pas d’incidence en France70. Ce principe de

territorialité permet normalement d’éviter une double imposition : l’opérateur français ne

s’acquittera que de l’impôt étranger pour les activités réalisées en-dehors de France.

72. –– Si ce principe de territorialité prévoit une répartition territoriale de l’activité qui

permet d’éviter une double imposition, un problème demeure lorsque l’entreprise exploitée

à l’étranger réalise des pertes. En effet, les pertes subies par l’opérateur à l’étranger

n’intéresse que la détermination de l’impôt de l’État étranger où est exercée l’activité

économique, et ne trouve donc pas à s’appliquer pour la détermination du résultat imposable

de l’opérateur en France. Les pertes visées par ce dispositif concernent les déficits résultant

d’exploitation à l’étranger, mais également les « pertes affectant l’actif net de la société

imposable en France, imputables à l’activité exercée hors de France »71 : il pourra par exemple

s’agir de moins-values constatées ou d’amortissements pratiquées sur des actifs utilisés dans

le cadre d’une activité exercée à l’étranger. Cette règle fiscale peut constituer un obstacle

pour les entreprises françaises qui souhaitent s’implanter à l’étranger. Toutefois, un régime

dérogatoire a été prévu par la loi de finances pour 2009 pour les PME, qui peuvent, sous

certaines conditions, imputer les pertes qu’elles subissent à l’étranger72.

70 B. LIGNEREUX, Le Principe de territorialité de l’impôt sur les sociétés, CPO, Rapport particulier n° 4, 2017, 2. 71 B. CASTAGNEDE, Précis de fiscalité internationale, 5e édition, 2015, 474. 72 Article 209 C du CGI

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73. –– En application des règles de territorialité de droit commun de l’impôt sur les

sociétés, la double imposition est plutôt rare pour une entreprise exploitée à l’étranger par

une société française. Il en est autrement pour les impôts payés à l’étranger sur des revenus

perçus en France.

2) Les impôts payés à l’étranger

74. –– De nombreux pays, comme la France, continuent d’appliquer des retenues à la

source pour les revenus qui sortent de leur territoire, notamment en matière de dividendes

ou de redevances. Ainsi, il est commun pour une société française de payer des impôts à

l’étranger, ce qui constitue pour elle une véritable charge financière. La question qui se pose

alors concerne le traitement de ces impôts dans la comptabilité des opérateurs établis en

France.

75. –– La question des impôts payés à l’étranger concernera surtout les revenus dits

passifs, comme les redevances ou les intérêts, car les entreprises directement exploitées à

l’étranger ne seront pas imposées en France, en vertu du principe de territorialité de l’impôt

sur les sociétés73. Ainsi, l’article 39, 1., 4° du Code général des impôts prévoit le traitement

des impôts payés à l’étranger comme une charge déductible pour l’établissement du revenu

de la société française. Toutefois, « la déductibilité de ces impôts est subordonnée à la

condition que lesdits produits soient assujettis à l’impôt sur les société [en France] sur le

fondement des règles de territorialité »74 : c’est ce qui semble ressortir de la jurisprudence.

Cette règle de déductibilité des retenues à la source étrangères, énoncées dans le cas de

redevances, est également valable pour les autres formes de prélèvements fiscaux effectués

à l’étranger : ainsi, en matière de dividendes, ils seront « imposables en France pour leur

montant brut diminué des charges et notamment du prélèvement éventuel perçu dans l’État

de la source »75.

76. –– Le droit commun prévoit ainsi une déduction des prélèvements étrangers dans le

calcul du résultat imposable. Si ce dispositif, qui s’appliquera en l’absence de convention

73 Article 209, I. du CGI 74 F. LE MENTEC, « Fasc. 3580 : Traitement fiscal – Redevances », in J.-Cl. Fiscal International, 2016, 71. 75 Id., « Fasc. 3540 : Traitement fiscal – Revenus de capitaux mobiliers – Dividendes et autres revenus distribués », in J.-Cl. Fiscal International, 2017, 103.

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internationale, est fondé sur une certaine volonté de justice fiscale, il n’évite pas pour autant

une double imposition. En effet, la déduction d’une charge ne correspond pas à un crédit

d’impôt : l’impôt étranger viendra réduire le bénéfice imposable de la société française, ce qui

correspondra en réalité, au taux d’imposition de droit commun, à un crédit d’impôt égal à 33

1/3 % du montant prélevé à l’étranger. Le reste de l’impôt payé à l’étranger sera alors perdu,

et correspondra à une véritable double imposition.

77. –– Le droit commun semble ainsi parfois insuffisant pour faire face aux nouveaux

enjeux économiques actuels. Les activités de nombreux opérateurs sont aujourd’hui d’ordre

mondial, et les États ont tout intérêt à favoriser ce développement plutôt qu’à maintenir des

barrières fiscales qui, comme pour le cas de la double imposition, apparaissent souvent

injustifiées.

§2 –– Des activités d’ordre mondiale

78. –– Les enjeux économiques ont considérablement évolué depuis plusieurs

décennies, et ce phénomène ne semble pas perdre en intensité. Les revenus de nature

internationale évoqués précédemment s’inscrivent dans une mutation globale des échanges

économiques : ils constituent le caractère quantifiable des activités des opérateurs, qui se

sont majoritairement mondialisées. Le professeur Bernard Castagnède assimile d’ailleurs les

problématiques de fiscalité internationale à une contradiction entre la segmentation

territoriale de l’espace en juridictions fiscales indépendantes, et la mobilité induite par ces

nouvelles activités d’ordre mondiale76.

79. –– Toutefois, les différentes politiques fiscales mis en place par les États ne sont pas

pour autant totalement sourdes aux nouveaux enjeux économiques. Il existe en effet une

certaine volonté de soutenir les activités internationales des opérateurs, cette condition étant

devenue centrale pour assurer un bon développement économique. Malgré tout, les limites à

l’accompagnement de cette internationalisation se font vite sentir lorsque les problématiques

financières propres au budget des États ressurgissent, maintenant ainsi des barrières fiscales

déjà nombreuses.

76 B. CASTAGNEDE, Précis de fiscalité internationale, 5e édition, 2015, Avant-propos

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A –– Une volonté de développement économique internationale

80. –– Le développement économique est devenu une problématique majeure pour la

plupart des acteurs, y compris les États. La fiscalité peut représenter un frein important pour

les échanges et l’activité internationale, et cette donnée a été enregistrée par les législateurs

fiscaux depuis bien longtemps. En effet, les premiers travaux relatifs aux problèmes de

doubles impositions internationales remontent à la Société des Nations, au début du XXe

siècle : des experts européens en fiscalité étaient chargés, dès 1923, « d’entreprendre des

discussions multilatérales sur la double imposition et l’évasion fiscale »77.

81. –– Plus récemment, d’autres organisations internationales ont émergé afin de

favoriser juridiquement les échanges économiques entre États, la fiscalité étant une des

facettes à prendre en compte pour y parvenir. Nous étudierons le cas particulier de l’Union

européenne, puis nous évoquerons les conventions fiscales internationales, généralement

inspirées du modèle de l’OCDE, et les aménagements qu’elles peuvent apporter aux règles

fiscales de droit commun.

1) L’Union européenne

82. –– Le traité de Rome, signé le 25 mars 1957, a institué la Communauté économique

européenne. Cet accord a par la suite été remanié, et deviendra le Traité sur le

fonctionnement de l’Union européenne à partir du 1er décembre 2009. Les idées fondatrices

de la construction européenne, qui découlent de ce traité, résident dans une volonté

commune de développement économique, notamment en favorisant les échanges. Cette

construction juridique unique au monde a institué un droit contraignant, reposant sur des

principes qui lui sont propres, dans l’objectif de favoriser l’essor économique des États

membres et d’adapter la réglementation à l’internationalisation des échanges.

83. –– Parmi les principes fondamentaux du droit de l’Union, nous pouvons citer le

principe de non-discrimination78, en particulier celle fondée sur la nationalité. Selon la

jurisprudence constante de la Cour de justice de l’Union européenne, ce principe requiert que

77 C. FARQUET, « Expertise et négociations fiscales à la Société des Nations (1923 – 1939) », Relations internationales, n° 142, 2010, p. 6 78 Articles 18 à 25 du TFUE

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des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente, mais aussi que des

situations différentes ne soient pas traitée de manière égale, « à moins qu’un tel traitement

ne soit objectivement justifié »79. Combinée à la libre circulation des capitaux80, cette règle

permet à toutes les entreprises issues d’un des États membres un accès au marché commun,

ce qui tend clairement à encourager le développement international des entreprises en

Europe.

2) Les aménagements du droit fiscal conventionnel

84. –– Afin de combler les insuffisances du droit interne et d’éviter les doubles

impositions éventuelles, les conventions fiscales cherchent à trouver des solutions pratiques

pour éviter qu’un contribuable doivent s’acquitter du même impôt dans deux États différents.

L’OCDE, au travers de sa convention modèle et de ses recommandations, milite pour une

imposition des revenus dans l’État de résidence du bénéficiaire, ce qui exclurait de fait les

retenues à la source et éliminerait un certain nombre de double imposition. Mais de

nombreux États demeurent opposé à cette suppression, représentant un risque de fraude trop

important et une possible perte de revenus à leurs yeux.

85. –– En raison du maintien de nombreuses retenues à la source, y compris à travers

l’application des conventions fiscales internationales, ces mêmes conventions ont cherché à

mettre en place des traitements particuliers pour les impôts payés à l’étranger, en particulier

en matière de revenus passifs. Ces méthodes sont principalement de deux types : celles

consistant à l’exemption de l’impôt dans un des États signataires, et celles consistant à

l’imputation de l’impôt payé à l’étranger.

a) L’exemption

86. –– La technique de l’exemption consiste à prévoir, au sein d’une convention fiscale

internationale, que les revenus imposés dans un des États signataires ne seront pas assujettis

à l’impôt dans l’autre État81. Concrètement, cette méthode permet d’éviter toute double

79 CJUE, 14/05/2009, Azienda Agricola Disarò e.a., C-34/08, concl. T. VERICA 80 Articles 63 à 66 du TFUE 81 B. PLAGNET, « Fasc. 352 : Procédés techniques de suppression des doubles impositions », in J.-Cl. Droit international, 2014, 17.

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imposition du revenu considéré, celui-ci n’étant retenu pour le calcul de l’impôt que par un

seul des États signataires, dans les conditions prévues par la convention fiscale. L’exemption

peut alors être intégrale, ou progressive, mais ces questions seront évoquées de manière plus

précise lorsque nous traiterons de la prévention des doubles impositions au travers des

conventions fiscales82.

b) L’imputation

87. –– La méthode de l’imputation conduit au paiement d’un impôt dans les deux États

signataires, c’est-à-dire à la fois à l’État où se situe la source du revenu et à celui où réside

l’opérateur qui perçoit le revenu. Afin d’éviter une double imposition, l’impôt acquitté à

l’étranger viendra en déduction de la charge fiscale subie dans l’État de résidence : cette

déduction prendra généralement la forme d’un crédit d’impôt. La déduction de l’impôt

étranger sera soumise à des conditions prévues dans chaque convention, et pourra consister

soit en une imputation intégrale de celui-ci, soit en une imputation dite ordinaire, où la

déduction sera limitée la part d’impôt relative aux revenus perçus à l’étranger83.

88. –– Cette méthode semble efficace pour éviter les doubles impositions et garantir à

chaque État signataire un revenu fiscal pour chaque opération effectuée sur leur territoire,

mais elle présente toutefois quelques limites. En effet, lorsque l’opérateur qui perçoit le

revenu étranger est déficitaire, il ne paiera aucun impôt sur ses bénéfices et ne pourra donc

pas imputer l’impôt payé à l’étranger : aucun remboursement ou report ne pourra être

demandé, et le crédit d’impôt sera perdu84. Par ailleurs, le Conseil d’État a jugé que dans une

telle situation, un retour à la règle de droit interne de l’article 39, 1., 4° du Code général des

impôts, qui considère l’impôt payé à l’étranger comme une charge déductible, n’est pas

envisageable si la convention fiscale ne le prévoit pas85 : l’application du droit commun aurait

ainsi permis d’augmenter le déficit reportable de l’opérateur déficitaire. Mais dans une

application stricte du principe de supériorité des conventions fiscales internationales, on

82 Voir infra n° 274. 83 Voir infra n° 276. et s. 84 F. LE MENTEC, « Fasc. 3540 : Traitement fiscal – Revenus de capitaux mobiliers – Dividendes et autres revenus distribués », in J.-Cl. Fiscal International, 2017, 105. 85 CE, 12/03/2014, Société Céline, n° 362528, RTD com., 2014, p. 715, note E. CORTOT-BOUCHER ; RJF, 6/2014, n° 602 ; BDCF, 6/2014, n° 59, concl. F. ALADJIDI ; Droit fiscal, n° 19, 2014, act. 275, note É. Meier et M. VALETEAU ; Droit fiscal, n° 22, 2014, comm. 356, note P. DURAND

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aboutit à une charge supplémentaire pour l’entreprise, ce qui peut apparaître contestable

lorsque l’optique de la mesure appliquée était d’éviter les doubles impositions.

89. –– Ces techniques, prévues par les conventions fiscales, devraient en théorie

permettre d’éviter les doubles impositions juridiques, mais comme le montre cet exemple, la

tâche est loin d’être accomplie. Ces éléments constituent de véritables limites à la volonté

d’internationalisation qui semblait animer les États.

B –– Les limites de l’internationalisation

90. –– Malgré les efforts effectués par les États pour faciliter les échanges

internationaux et les activités des opérateurs au niveau mondial, des limites apparaissent

clairement en matière fiscale : les doubles impositions continuent de constituer une barrière

au développement économique. Les techniques prévues par les conventions fiscales

permettent ainsi d’éviter une double imposition juridique, mais leur application dépendra de

l’interprétation de chaque signataire, qui pourra parfois être divergente d’un État à l’autre.

91. –– La première limite à cette internationalisation se situe au niveau de l’Union

européenne. En effet, la question de la double imposition et du traitement fiscale des

opérateurs internationaux s’est rapidement posée, en particulier au regard du principe de

non-discrimination : aucune réponse n’a permis de faire tomber la barrière de la double

imposition au niveau européen, puisque « le traité ne comporte pas de disposition précise en

vue d’une harmonisation des fiscalités directes des États-membres »86. La Cour de justice de

l’Union européenne est toutefois allée plus loin et a estimé, à plusieurs reprises, que même si

la fiscalité directe relève toujours de la compétence des États membres, ces derniers doivent

tout de même respecter les principes du droit de l’Union87. Cette avancée, certes importante,

ne s’oppose toutefois pas clairement aux doubles impositions et ne permet pas encore de les

éviter de manière systématique.

92. –– Nous assistons ainsi à un phénomène étrange, où des États guidés par une

volonté d’internationalisation et de développement économique, sont rattrapés par leur

incapacité à éliminer la barrière que représente la double imposition en matière d’activités

86 B. CASTAGNEDE, Précis de fiscalité internationale, 5e édition, 2015, 21. 87 CJUE, 29/03/2012, Ministero dell’Economia e delle Finanze, Agenzia delle Entrate c/ 3M Italia SpA, C-417/10, concl. E. SHARPSTON, AJDA, 2012, p. 995, note M. AUBERT, E. BROUSSY et F. DONNAT ; RJF, 6/2012, n° 665

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internationales. Les efforts consentis, à la fois au travers de l’Union européenne et des

conventions fiscales, ne suffisent clairement pas à enrayer les dérives de la fiscalité

internationale, puisque des doubles impositions sont encore fréquentes à l’heure actuelle. La

double imposition juridique semble ainsi avoir une autre origine, qui tient davantage aux États

eux-mêmes qu’au développement économique des affaires, à savoir leur volonté de maintenir

leur souveraineté fiscale.

Section II

LE MAINTIEN DE LA SOUVERAINETÉ FISCALE DES ÉTATS

93. –– Malgré les différentes tentatives d’intégration internationale qui ont pu être

initiées par les États, notamment au travers de l’Union européenne, la matière fiscale a

toujours été traitée à part. Cette différence de traitement s’explique notamment par son

impact direct sur les finances publiques, sujet aujourd’hui devenu central, mais également par

le lien très fort qui relie le droit fiscal à la notion de souveraineté de l’État : depuis toujours, le

pouvoir de lever l’impôt incombe à l’État et représente une facette centrale de son rôle dans

la société88. Ainsi, malgré les bouleversements économiques qui ont traversé le monde au

cours des dernières décennies, les États ont systématiquement cherché à conserver leur

souveraineté en matière d’impôts.

94. –– Cette volonté de garder une maîtrise absolue sur la question fiscale constitue

sans aucun doute un des principaux éléments à l’origine des doubles impositions juridiques :

cela résulte d’une part en des systèmes fiscaux qui ne sont pas parvenus à s’adapter à une

nouvelle forme d’économie, beaucoup plus internationalisée. D’autre part, les

administrations fiscales ont tendance à adopter un point de vue unilatéral, parfois même

réfractaire aux possibles solutions à la double imposition.

88 J. TUROT et al., Lamy Optimisation fiscale de l’entreprise, 2014, n° 409-2

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§1 –– Des systèmes fiscaux inadaptés à l’économie mondialisée

95. –– Depuis plusieurs décennies, le paysage économique a été traversé par des

mutations de grande envergure, qui ont conduit les opérateurs économiques, et même les

particuliers, à s’adapter à ces nouveaux enjeux. Le droit fiscal, même s’il a lui aussi grandement

évolué, n’est pas allé assez loin pour totalement appréhender les échanges transfrontaliers et

l’économie mondialisée actuelle. Les systèmes fiscaux sont encore très emprunts d’une

conception traditionnelle de l’impôt et de la forme qu’il doit prendre, qui ne correspond pas

tout à fait aux nouveaux enjeux économiques.

A –– Une conception traditionnelle de la fiscalité

96. –– La fiscalité des revenus, dans sa conception traditionnelle, s’articule

principalement autour de deux idées majeures89. D’une part, on a une souveraineté nationale,

qui permet d’assujettir les citoyens ou les résidents d’un État à l’impôt sur leur revenu

mondial : on obtient donc une obligation fiscale illimitée, qui se traduit par exemple en droit

français par le principe de mondialité de l’impôt sur le revenu des personnes physiques.

D’autre part, on trouve une souveraineté territoriale, qui légitime l’impôt prélevé par un État

sur tous les revenus qui trouvent leur source sur son territoire, notamment lorsque ceux-ci

sont perçus par un opérateur étranger : cette conception se retrouve par exemple dans le

principe français de territorialité de l’impôt sur les sociétés. Ces deux manifestations de la

souveraineté fiscale ont longtemps été jugées suffisantes pour concevoir de manière

complète l’imposition des activités économiques par un État : du point de vue du droit interne,

les deux conceptions sont solidement fondées et semblent fonctionner dans la pratique.

97. –– En réalité, d’un point de vue plus global, différentes conceptions de la

souveraineté fiscale semble exister, ce qui peut aboutir à des régimes très différents d’un État

à l’autre : par exemple, la plupart des pays de l’OCDE retiennent un principe de mondialité en

matière d’impôt sur les sociétés, la France étant un des rares États à appliquer le principe de

89 J. TUROT et al., Lamy Optimisation fiscale de l’entreprise, 2014, n° 409-2

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territorialité de manière systématique90. Ainsi, dans une économie de plus en plus

internationalisée, ces divergences étatiques aboutissent alors à un décalage entre les règles

fiscales applicables, qui se limitent à un raisonnement selon une nationalité ou un territoire,

et les activités économiques, qui s’inscrivent dans une logique mondialisée.

98. –– La fiscalité semble donc manquer, à cet égard, d’une véritable conception

internationale. Par ailleurs, la pratique des conventions fiscales présente certes de

nombreuses vertus, leur objet étant notamment l’élimination des doubles impositions, mais

elles rencontrent également de sérieuses limites. Tout d’abord, ces conventions ne sont

conclues qu’entre deux États, ce qui signifie qu’elles ne sont valables que pour un nombre très

restreint de situations et devront être étudiées au cas par cas. De plus, même si la plupart sont

inspirées du modèle proposé par l’OCDE, chacune présente des particularités propres, ce qui

maintient finalement une grande divergence en matière de règles fiscales au niveau

international. Les règles fiscales étatiques ne sont d’ailleurs pas écartées d’office par

l’existence d’une convention: selon une jurisprudence établie du Conseil d’État, il convient

d’appliquer un principe de subsidiarité des conventions fiscales internationales91. Cela signifie

que, lorsque la question d’une imposition est posée, il convient d’abord de vérifier les

dispositions du droits interne, puis dans un second temps de se reporter à la convention, si

celle-ci trouve à s’appliquer : en cas de conflit entre la loi nationale et la convention, ce sera

le texte de la convention qui l’emportera, selon le principe de primauté des conventions

fiscales. Ainsi, ces conventions « n’ont pas en effet pour objet de substituer aux dispositifs

fiscaux nationaux un quelconque système fiscal supranational », mais elles « interviennent

pour corriger les dispositions des lois fiscales internes, là où leur application simultanée aurait

pour effet d’engendrer une double imposition »92.

99. –– Les conventions fiscales ont donc davantage le rôle de palliatif ponctuel que celui

qui consisterait à adapter les systèmes fiscaux aux nouveaux enjeux économiques. L’ultime

limite de ces conventions réside d’ailleurs dans le fait qu’en pratique, ce sont les juridictions

fiscales des États signataires qui sont amenés à interpréter les dispositions d’une convention,

90 B. LIGNEREUX, Le Principe de territorialité de l’impôt sur les sociétés, CPO, Rapport particulier n° 4, 2017, p. 5 91 CE, 28/06/2002, Schneider Electric, n° 232276, Lebon 2002 ; RJF, 10/2002, n° 1080, p. 755, note L. OLLÉON ; BDCF, 10/2002, n° 120, concl. S. AUSTRY ; Droit fiscal, n° 36, 2002, comm. 657 92 B. CASTAGNEDE, Précis de fiscalité internationale, 5e édition, 2015, 273.

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ce qui peut éventuellement aboutir à des divergences d’interprétation dans l’application

même d’une convention fiscale. Ainsi, cette conception traditionnelle de la fiscalité des

revenus ne semble pas très efficace pour aborder les nouveaux enjeux fiscaux liés à la

mondialisation.

B –– Des enjeux fiscaux nouveaux

100. –– Ces dernières décennies, le développement de l’économie mondiale a conduit

à l’élimination de la plupart des barrières juridiques qui existaient auparavant en matière de

commerce international. Par exemple, les droits de douanes ont largement diminué, et ont

même totalement disparu au sein de l’Union européenne93. L’imposition des revenus

constitue alors la principale limite d’ordre économique au sein du monde actuel : on a donc

une « coexistence de régimes différents d’impôts sur les sociétés dans un monde où la

globalisation des activités industrielles et commerciales s’est renforcée et où la plupart des

obstacles non fiscaux aux mouvements internationaux de capitaux, de services et de

technologies ont été abolis »94. Cette coexistence de multiples régimes fiscaux et la quasi-

absence d’autres barrières significatives à l’internationalisation est d’ailleurs largement

exploitée par de nombreuses entreprises, dans une optique d’optimisation fiscale : la fiscalité

d’un État constitue alors « sans nul doute une incitation à venir s’y localiser »95.

101. –– Toutefois, le recours à l’internationalisation dans un but exclusivement fiscal

reste assez difficile à mettre en œuvre et nécessite un certain niveau de technique juridique :

cette pratique reste donc globalement réservée à un petit nombre d’entreprises,

généralement de grande taille. Si ces sociétés délocalisent leur bénéfice afin d’éviter une

éventuelle double imposition ou un niveau d’impôt qu’elles jugent trop élevé, il ressort

également de cette pratique un effet pervers qui n’était pas forcément prévisible : comme les

États voient une partie de leurs recettes disparaître, ils sont contraints, dans une optique

d’équilibre des finances publiques, de taxer davantage les opérateurs économiques qui n’ont

pas délocalisé leurs bénéfices. Cette augmentation de la charge fiscale pèsera alors souvent

93 Article 30 du TFUE 94 OCDE, L’imposition des bénéfices dans une économie globale, 1991 95 J. TUROT et al., Lamy Optimisation fiscale de l’entreprise, 2014, n° 401-1

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sur les petites entreprises (PME, TPE) et pourrait même, dans une certaine mesure,

contrevenir au principe d’égalité devant l’impôt, qui prévoit un impôt réparti selon les

capacités contributives de chacun96.

102. –– Afin de lutter contre ces pratiques de délocalisation des bénéfices et

d’optimisation fiscale à outrance, l’OCDE a publié en 2013 un rapport, suivi d’un plan d’action,

relatifs à l’érosion de la base d’imposition des États et les diverses pratiques d’optimisation

fiscale, dit projet BEPS97. Les mesures prévues par ce plan consistent principalement à lutter

contre les pratiques d’optimisation fiscale des entreprises, qui conduisent à une délocalisation

des bénéfices et une érosion de la base d’imposition, notamment en matière d’activités

numériques et des revenus d’actifs incorporels. Différentes mesures ont été envisagées,

notamment un éventuel passage à un « système de répartition forfaitaire des profits des

groupes multinationaux » entre les États, mais cette idée n’a pas été retenue, les États étant

réticent à toute forme de multilatéralisme en matière fiscale98.

103. –– Cet exemple du projet BEPS montre à la fois la préoccupation majeure que

représente l’érosion de la base d’imposition liée à l’optimisation fiscale pour les États, dont

certains voient réellement leurs finances publiques handicapées par ce phénomène, mais

également la difficulté de renoncer à ne serait-ce qu’une partie de la souveraineté nationale

en matière fiscale. Cette difficulté à sortir de cette vision unilatérale permanente se retrouve

dans le comportement des administrations fiscales, souvent réfractaires à un excès de lutte

contre la double imposition.

§2 –– Des administrations fiscales réfractaires

104. –– En France, l’administration fiscale, placée directement sous l’autorité du pouvoir

exécutif, a le rôle bien particulier de recouvrer l’impôt, qui constituera le cœur des recettes

de l’État. A quelques nuances près, on retrouve un type de fonctionnement analogue dans la

plupart des pays. Ainsi, du fait de sa mission qui consiste à assurer des revenus à l’État,

l’administration fiscale se doit de n’adopter que le point de vue le plus favorable aux finances

96 J. TUROT et al., Lamy Optimisation fiscale de l’entreprise, 2014, n° 409-2 97 OCDE, Lutter contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert des bénéfices, 2013 98 B. CASTAGNEDE, Précis de fiscalité internationale, 5e édition, 2015, 130.

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publiques, et d’interpréter les règles fiscales en ce sens. Mais lorsque plusieurs

administrations fiscales sont amenées à se prononcer sur une imposition, notamment en

matière d’activités internationales, chacune aura tendance à adopter un point de vue

unilatéral. Cela conduira souvent à des difficultés pour collaborer afin d’éviter une double

imposition.

A –– Une vision unilatérale

105. –– Le principal rôle de l’administration fiscale consiste à percevoir les impôts et

taxes, et ainsi assurer des recettes suffisantes à l’État pour faire face aux charges publiques.

Devant des déficits publics souvent accusés d’être devenus structurels, la question fiscale est

un enjeu absolument fondamental. C’est la raison pour laquelle le Conseil constitutionnel

rappelle régulièrement que la lutte contre la fraude fiscale constitue un objectif à valeur

constitutionnelle99. Par ailleurs, la Cour des comptes est très attentive aux questions en

rapport avec les recettes fiscales et les pertes imputables à la fraude et à l’évasion fiscales,

d’autant plus que « ce phénomène s’est intensifié depuis 2008, tant au niveau international

qu’au plan interne »100. Selon la plupart des estimations, les pertes fiscales relatives à ces

pratiques se chiffrent en dizaine de milliards d’euros, et constituent ainsi une préoccupation

majeure pour l’État, et ce bien avant les problématiques de double imposition.

106. –– C’est dans ce contexte, marqué par de réelles difficultés financières étatiques,

que l’administration fiscale est chargée de sa mission de perception de l’impôt. Elle demeure

certes soumise aux grands principes du droit fiscal, notamment celui de l’égalité des

contribuables devant les charges publiques101, et aux dispositions des lois de finances internes

et des conventions fiscales internationales. Toutefois, l’administration sera souvent tentée

d’interpréter ces textes à son avantage, dans une optique favorable à la perception de l’impôt,

même si cela entraine une surcharge fiscale injustifiée au travers d’une double imposition

juridique.

99 Cons. const., 08/12/2016, n° 2016-741 DC, BPAT, 1/2017, n° 32 ; JCP E, 2016, act. 1008 100 C. comptes, « 4 – La lutte contre la fraude fiscale : des progrès à confirmer », Rapport public annuel, 2016, p. 358 101 Article 13 de la DDHC

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107. –– Chaque État étant clairement attaché à sa souveraineté fiscale, leurs

administrations fiscales s’inscrivent dans une vision très unilatérale. Elles ne se préoccupent

donc des choix et des agissements des autres États que de manière très marginale, et ne

s’estimeront pas nécessairement concernées par les impositions qui ont pu être prononcées

à l’étranger. Si la double imposition qui en résulte peut sembler regrettable, l’administration

fiscale ne la prendra souvent en considération que si la loi interne ou une convention l’y oblige.

Même en matière de droit conventionnel, les conventions fiscales qui visent à éliminer les

doubles impositions prévoient généralement une clause d’assistance et d’échange de

renseignements entre les États, comme prévues dans la convention modèle de l’OCDE102 : cet

objectif de lutte contre la fraude fiscale s’avère ainsi souvent être une des principales

motivations des États signataires, et peut parfois prendre le pas sur celui, tout aussi louable,

mais moins rémunérateur, de lutte contre les doubles impositions.

108. –– La pluparts des États ont une conception semblable de leur souveraineté fiscale

et y sont fortement attachés, ce qui conforte les administrations fiscales dans leur position

unilatérale. Ainsi, des difficultés apparaissent souvent lorsqu’il s’agit pour les administrations

de collaborer et de s’adapter mutuellement aux mutations de l’économie mondialisée.

B –– Des difficultés à collaborer

109. –– La lutte contre les doubles impositions juridiques constitue un enjeu important

pour favoriser la croissance économique et accompagner l’essor du commerce international.

Mais pour être pleinement efficace, elle doit s’inscrire dans une démarche interétatique. En

matière fiscale, cette collaboration entre États se retrouve principalement au travers de

conventions fiscales bilatérales et des travaux de l’OCDE, mais elle semble également se

limiter à cela. Cela conduit donc les administrations fiscales à ne collaborer que de manière

limitée, et davantage dans une optique de lutte contre l’évasion et la fraude fiscales que dans

celle d’une lutte contre la double imposition. Cet unilatéralisme est d’autant plus marqué

qu’en raison de la structure des conventions fiscales, les échanges sont effectués entre deux

102 OCDE, Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune – Version abrégée, 9e édition, 2014, articles 26 et 27

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États à la fois : ce bilatéralisme structurel constitue ainsi un obstacle supplémentaire et peut

favoriser les doubles impositions.

110. –– Il est possible d’effectuer un parallèle entre ces questions de collaboration entre

administrations fiscales et une situation analogue relative au droit de la concurrence : en effet,

du fait de l’internationalisation du commerce et des échanges, les différentes autorités

nationales de concurrence ont dû faire face à un certain nombre de difficultés relatives à des

divergences entre les régimes nationaux. La comparaison sera certes limitée, du fait de la

particularité du droit fiscal et des différences entre l’administration fiscale et les autres

autorités administratives indépendantes, mais elle permet tout de même de donner quelques

pistes de réflexion. L’internationalisation des échanges conduit à des applications

extraterritoriales des règles de concurrence nationale, aboutissant à des situations relevant

de la compétence de plusieurs autorités de concurrence103. La plupart des États étant dans

une posture d’unilatéralisme marquée, cela pouvait produire des décisions divergentes, voire

contradictoire, d’un État à l’autre : chacun appliquait son droit national comme il l’entendait,

selon des critères qui lui étaient propres. Des solutions ont alors été évoquées pour régler

cette difficulté, qui constitue un véritable obstacle pour les opérateurs économiques

internationaux : le droit de la concurrence semble ainsi se diriger vers la « recherche de

principes communs » aux différents modèles étatiques, qui permettrait une sécurité juridique

plus forte et éviterait les divergences entre les États104. Le développement le plus efficace du

droit international de la concurrence s’est déroulé au sein de l’Union européenne : les

institutions ont cherché à mettre en œuvre une véritable harmonisation des droits nationaux,

notamment au travers des travaux de la Commission fondés sur les traités105. Cette

harmonisation semble ainsi être une bonne solution pour vaincre les différences nationales et

garantir un traitement relativement égalitaire des opérateurs au sein de l’Union, tout en

permettant aux autorités administratives chargées de la concurrence de collaborer sur les

affaires touchant plusieurs États.

111. –– Mais c’est ici que le parallèle entre le droit de la concurrence et la matière fiscale

doit s’arrêter, car la particularité de l’administration fiscale et des souverainetés nationales en

103 R. BOUT et al., Lamy Droit économique, 2016, n° 968 104 Ibid. 105 Articles 101 et 102 du TFUE, relatifs aux pratiques anticoncurrentielles

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matière d’impôt limite grandement les comparaisons. Par ailleurs, même si l’harmonisation

entre les droits nationaux, pourrait constituer une solution aux divergences entre les

différentes administrations fiscales et éviter les doubles impositions, au moins à l’échelle

européenne, cette solution n’est pas à l’ordre du jour du fait d’une grande réticence des États.

112. –– La double imposition juridique semble ainsi persister, même si elle est

combattue sur son principe et que les États essaient généralement de l’éviter, soit au moyen

de leur droit interne, soit au travers des conventions fiscales. Les opérateurs internationaux

doivent ainsi faire face à des règles fiscales anciennes et à des concepts parfois inadaptés à

l’internationalisation des échanges. Toutefois, le volet juridique ne constitue pas le seul type

de double imposition. En effet, il existe également une double imposition économique, qui

couvre un domaine à la fois plus large et moins clair, et qui ne se limite pas aux seules activités

internationales.

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CHAPITRE II

LA DOUBLE IMPOSITION ÉCONOMIQUE

113. –– La notion de double imposition économique dispose d’une définition plus large,

et couvre ainsi un champ plus grand que la double imposition juridique : il ne s’agit plus ici de

l’application de plusieurs impôts comparables par différents État au même opérateur

économique, mais de la situation où des opérateurs distincts sont taxés au titre d’un même

revenu ou d’une même fortune, par une ou plusieurs administrations fiscales106. Il y aura donc

double imposition économique lorsque les impôts appliqués à ces opérateurs font double

emploi : il pourra par exemple s’agir de l’imposition des bénéfices des sociétés de capitaux qui

« sont d’abord atteints par l’impôt sur les sociétés au niveau de la société bénéficiaire, avant

d’être taxés entre les mains des associés à raison des distributions effectuées »107. Il pourra

également y avoir double imposition économique lorsqu’une entreprise se voit imposée dans

l’État où elle est exploitée, mais que son bénéfice est également inclus dans le résultat d’une

autre entreprise, imposée dans un autre État : ce phénomène pourra notamment se produire

lorsque l’un des deux États en question applique un principe de territorialité de l’impôt sur les

bénéfices, alors que l’autre retient un principe de mondialité.

114. –– La double imposition économique est souvent plus difficile à appréhender, car

elle s’inscrit généralement dans un schéma particulier de relations entre plusieurs sociétés,

ou entre une société et ses associés. Par ailleurs, elle se distingue de son pendant juridique

par le fait qu’elle ne présente pas nécessairement de caractère international : il est en effet

tout à fait possible d’imaginer l’imposition successive de deux résidents fiscaux français au

titre d’un même revenu. Cela élargit donc considérablement les situations susceptibles de

conduire à des doubles impositions, d’autant plus que les conventions fiscales mettent

souvent l’accent sur les doubles impositions juridiques. La lutte contre les doubles impositions

économiques nécessite en effet une plus grande harmonisation des concepts au sein des

États, qui dépasse les règles généralement prévues par les conventions et qui consistent

106 OCDE, Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune – Version abrégée, 9e édition, 2014, p. 351 107 B. CASTAGNEDE, Précis de fiscalité internationale, 5e édition, 2015, 2.

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surtout à la répartition de la matière imposable. Afin d’éviter ces doubles impositions, il est

nécessaire pour les États de s’accorder sur un certain nombre de règles, notamment relatives

au fonctionnement des groupes de sociétés (abandon de créances, régime mère et filiale,

etc.), ce qui n’est pas l’objet des conventions fiscales fondées sur le modèle de l’OCDE. La

double imposition économique relève donc davantage du ressort des États et de leur droit

interne que du droit fiscal conventionnel : afin de résoudre les problèmes de double

imposition économique, les États devront réviser leur droit national ou mener des

négociations bilatérales qui dépassent le modèle de convention de l’OCDE108. Toutefois, les

doubles impositions juridiques prennent souvent le pas sur leurs pendants économiques, car

elles apparaissent plus nettement et ont parfois tendance à occulter les autres questions. En

effet, si la double imposition juridique paraît clairement injustifiée du point de vue des grands

principes du droit fiscal, notamment celui d’égalité devant la loi fiscale, la question de la

double imposition économique est plus difficile à cerner, du fait que de nombreux impôts ont

par principe tendance à se recouper. A titre d’exemple, nous pouvons citer l’impôt sur les

sociétés qui frappent les bénéfices d’une entreprise, et l’impôt sur le revenu qui frappera les

revenus distribués à l’associé personne physique.

115. –– Afin d’appréhender la question de l’origine des doubles impositions

économiques, nous nous concentrerons sur deux axes majeurs, sans pour autant chercher à

être exhaustif. D’une part, nous évoquerons le cas des groupes de sociétés, qui constituent

une partie majeure des doubles impositions économiques, tant sur le plan interne qu’au

niveau international. En effet, la plupart des grandes entreprises se sont constituées en

groupes de sociétés, pour la plupart très internationalisés : ce type de fonctionnement

implique un grand nombre de flux financiers entre les entités constituant le groupe, ce qui

donne un terrain propice aux doubles impositions. D’autre part, nous évoquerons le cas très

particulier de la simulation : il s’agit de la situation où il existerait à la fois un opérateur

économique apparent, qui semblerait exercer une activité donnée, mais qui ne serait en

réalité qu’un prête-nom derrière lequel se cacherait un opérateur économique réel, véritable

bénéficiaire masqué de l’activité en question. Ce cas de figure pourrait paraître anecdotique,

mais il constitue pourtant une véritable possibilité de double imposition économique : si

108 OCDE, Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune – Version abrégée, 9e édition, 2014, p. 351

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l’administration fiscale dispose généralement du choix d’imposer soit l’opérateur réel, soit

l’opérateur apparent, dispose-t-elle de la faculté d’imposer les deux, et donc de créer une

double imposition ?

Section I

DOUBLE IMPOSITION ÉCONOMIQUE ET GROUPE DE SOCIÉTÉS

116. –– Dans une optique de meilleure organisation de leur activité et de rationalisation

des coûts, mais également pour bénéficier de certains avantages fiscaux, les entreprises ont

depuis longtemps tendance à former des groupes de sociétés, dont la structure élémentaire

réside souvent dans une société mère possédant la majorité des titres des autres membres du

groupe, appelées filiales. D’un point de vue plus juridique, un groupe de sociétés est « un

ensemble constitué de plusieurs sociétés, ayant chacune leur existence juridique propre, mais

qui sont unies entre elles par des liens divers, notamment de capital, en vertu desquels l’une

d’elles, la société mère, tient les autres sous sa dépendance, exerce un contrôle sur l’ensemble

et fait prévaloir une unité de décision »109. Le groupe relève donc de critères principalement

économiques et n’est pas une notion juridique à proprement parlé : la Cour de cassation

rappelle d’ailleurs régulièrement le principe d’indépendance patrimoniale des différentes

sociétés réunies au sein d’un groupe et l’absence de personnalité morale de celui-ci110.

117. –– Malgré la réticence du droit privé à considérer le groupe de sociétés comme une

entité à part entière, le droit fiscal s’attarde davantage sur cette notion. En effet, de

nombreuses mesures fiscales se fondent sur l’existence d’un groupe de sociétés, que ce soit

pour lui conférer des avantages (régime des sociétés mère et filiale, intégration fiscale) ou

pour poser des limites à ses activités internes (prix de transfert, abandon de créance). Le droit

fiscal nous montre une fois de plus ici son caractère profondément économique, qui le conduit

parfois à se détacher des concepts stricts du droit commercial.

109 A. LEVI et al., Lamy Droit commercial, 2017, n° 3149 110 Cass. com., 15/11/2011, n° 10-21.701, RJDA, 3/2012, n° 366 ; Droit des sociétés, n° 10, 2012, comm. 157, note R. MORTIER

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118. –– Les groupes de sociétés peuvent présenter de nombreux avantages, autant

fiscaux qu’économiques, mais ils présentent aussi des inconvénients, le premier d’entre eux

étant d’être très vulnérables aux doubles impositions économiques. En effet, un groupe se

caractérise par un grand nombre de flux financiers, transitant entre plusieurs entités, dans

une optique d’intégration afin d’aboutir à un bénéfice global : chaque société du groupe étant

en principe considérée comme un sujet de droit à part entière, elle sera imposée en tant que

telle. Il est donc fort probable que plusieurs sociétés au sein du groupe se voient faire l’objet

d’une imposition au titre d’un même revenu, qui a simplement transité par elles. Les règles

fiscales faisant référence à l’imposition des groupes n’ignorent pas cette possible double

imposition, et certains aménagements ont été prévus pour l’éviter. A l’inverse, d’autres

mesures ont également été pensées pour éviter les dérives fiscales pouvant découler d’une

organisation en groupe, en particulier la délocalisation de bénéfices dans un État à fiscalité

privilégiée.

119. –– Malgré tout, les règles existantes ne permettent pas d’éviter toutes les doubles

impositions au sein des groupes de sociétés. Ce phénomène s’explique principalement par un

droit interne inadapté, davantage pensé pour lutter contre la fraude fiscale que pour éviter

les doubles impositions économiques, et par des conventions fiscales imparfaites.

§1 –– Un droit interne inadaptée

120. –– Le droit fiscal n’ignore pas les phénomènes de double imposition économique

inhérents à la constitution de groupe de sociétés. Par exemple, selon le schéma le plus

élémentaire en la matière, une société mère sera amenée à percevoir des dividendes de ses

filiales : ces bénéfices, issus du compte de résultat des filiales, se retrouveront sous la forme

de revenus distribués (dividendes) au sein du résultat de la société mère, et se verront donc

frappés par l’impôt sur les sociétés à deux reprises. Cette situation, où des mêmes revenus

sont imposées à plusieurs reprises auprès de contribuables différents, constituent clairement

un exemple de double imposition économique. C’est pourquoi, devant le nombre croissant de

groupes de sociétés, la loi fiscale est venue corriger ces dérives, au travers de régimes

dérogatoires permettant d’éviter les impositions successives d’un même revenu. Toutefois,

ces mesures sont loin d’être suffisantes pour éviter toute forme de double imposition,

notamment dans un contexte international d’opérations intragroupes.

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121. –– Mais en réalité, le droit fiscal est surtout venu s’intéresser aux groupes de

sociétés pour lutter contre des pratiques d’optimisation fiscale trop marquée et la volonté des

entreprises de délocaliser leurs bénéfices dans des États à fiscalité privilégiée111. C’est

pourquoi un certain nombre de règles ont été créées pour encadrer les échanges internes aux

groupes de sociétés, notamment en matière d’abandons de créances d’une société mère

envers sa filiale ou concernant les prix de transfert, c’est-à-dire les montants facturés par les

sociétés du groupe entre elles112.

122. –– L’insuffisance des mesures visant à éviter les impositions successives de

revenus, mêlée à la lutte contre l’optimisation fiscale à outrance sont autant d’éléments qui

permettent aux doubles impositions économiques d’émerger. Nous étudierons ce

phénomène au travers de quelques exemples de mesures conçues pour éviter les doubles

impositions au sein des groupes de sociétés, notamment lors des distributions de dividendes.

Enfin, nous envisagerons les mesures restrictives prises par le droit fiscal pour encadrer les

agissements des groupes de sociétés, notamment au travers des règles afférentes aux

abandons de créances et aux prix de transfert.

A –– Les mesures visant à éviter les doubles impositions au sein

des groupes de sociétés

123. –– Du fait du grand nombre de groupes de sociétés et de leur poids dans

l’économie, plusieurs mesures ont été mises en œuvre pour éviter les doubles impositions lors

des échanges se déroulant entre les différentes entités du groupe. Nous examinerons d’abord

le cas particulier des sociétés de personnes, qui font l’objet d’un traitement fiscal particulier

par rapport aux sociétés de capitaux. Dans un second temps, nous aborderons le régime des

sociétés mères et filiales, qui permet d’éviter la double imposition des bénéfices d’un groupe

en exonérant les dividendes perçus par la société mère.

111 Article 238 A du CGI 112 OCDE, Principes de l’OCDE applicables en matière de prix de transfert à l’intention des entreprises multinationales et des administrations fiscales, 2010, p. 21

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1) Le cas particulier des sociétés de personnes

124. –– Les sociétés de personnes désignent en droit privé une catégorie de sociétés

ayant un certain nombre de caractéristiques communes, notamment un caractère intuitu

personae fortement marqué, une responsabilité illimitée des associés au passif social et un

engagement de la société par les actes de son dirigeant strictement limité par l’objet social113.

L’originalité de ce type de société réside également dans une certaine liberté statutaire

concernant la gérance de l’entreprise, qui découle de la forte responsabilité qui pèse sur les

associés. Les sociétés de personnes s’opposent donc sur un certain nombre de points aux

sociétés de capitaux sur le plan du droit privé, ces dernières ne nécessitant pas une forte

implication de tous les associés.

125. Sur le plan du droit fiscal, ce type de société fait également l’objet d’un traitement

particulier. Deux questions peuvent alors se poser, l’une relative à l’imposition des bénéfices

de la société de personnes, l’autre concernant la plus-value en cas de cession des parts

sociales.

a) L’imposition des bénéfices de société de personnes

126. –– Les bénéfices des sociétés de personnes font l’objet d’un traitement fiscal

distinct des sociétés de capitaux : ce sont en principe les associés qui sont redevables de

l’impôt au titre des revenus perçus par la société de personnes, sauf si la société a opté pour

le régime des sociétés de capitaux, auquel cas elle sera soumise à l’impôt sur les sociétés. Ce

principe, qui gouverne l’imposition des sociétés de personnes, est celui de translucidité fiscale.

Il s’agit d’une construction jurisprudentielle opérée par le Conseil d’État, qui se fonde sur

l’article 8 du Code général des impôts. Ce texte prévoit que les associés sont

« personnellement soumis à l’impôt sur le revenu pour la part de bénéfices sociaux

correspondant à leurs droit dans la société », mais le Conseil d’État a estimé que cette mesure

ne contredisait pas le principe selon lequel les sociétés disposent d’une personnalité et d’un

patrimoine propre, distincts de ceux de ses associés, et par conséquent, que « le bénéfice net

imposable d’une de ces sociétés doit être arrêté à l’égard de la société notamment en ne

113 M.-H. MONSERIE-BON, « Synthèse 1270 : Sociétés de personnes », in J.-Cl. Notarial Formulaire, 2016

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tenant compte que des charges déductibles qui sont des charges propres à celles-ci »114. Cette

décision a été renouvelée à plusieurs reprises et constitue une jurisprudence constante115.

127. –– Le principe de translucidité des sociétés de personne conduit donc à déterminer

l’impôt sur les bénéfices au niveau de la société, qui constitue un sujet d’imposition, mais

l’impôt ainsi déterminé sera payé par les associés en leur nom propre. Au niveau du droit

interne, ce principe fonctionne correctement et ne conduit pas nécessairement à une double

imposition des bénéfices, sous réserve de l’application du régime des sociétés mères et filiales

dans le cas où la société de personnes fait partie d’un groupe. Ce régime permet notamment

de faire remonter les déficits fiscaux d’une filiale au niveau de la société mère : si la filiale est

une société de personnes et qu’elle réalise une perte, alors cette perte pourra être considérée

comme une charge pour la société mère, en proportion de la part de droits sociaux que celle-

ci détient116. Cette forme sociale permet donc une économie d’impôts pour le groupe dans le

cas d’une filiale structurellement déficitaire, par exemple la filiale de recherche et

développement d’un groupe. Cette idée peut également être exploitée dans le cas inverse, à

savoir celui d’une société mère disposant de déficits reportables et d’une filiale bénéficiaire :

dans le cas d’une filiale société de personnes, les bénéfices pourront remonter vers la mère,

qui pourra alors utiliser ses déficits fiscaux, ces derniers ne pouvant être imputés que sur les

résultats propres de la société qui les a réalisés et seulement si elle n’a pas changé

d’activité117.

128. –– Toutefois, le principe de translucidité fiscale est propre au droit français et ne

se rencontre pas dans les autres droits nationaux, ce qui peut poser de sérieuses difficultés en

matière de fiscalité internationale. En effet, la plupart des autres États retiennent un régime

de transparence fiscale en matière de sociétés de personnes : selon ce principe, la société

n’aura pas de personnalité fiscale propre et ses associés seront taxés comme s’ils avaient agis

en lieu et place de la société, dans la proportion de leurs parts sociales. Un problème majeur

se pose alors lorsque l’associé et la société de personnes sont résidents fiscaux d’États

différents. Ainsi, plusieurs cas jurisprudentiels ont pu illustrer cette situation auprès du Conseil

114 CE, 15/12/1976, n° 94886, Lebon 1976 115 CE, 29/06/2001, Belmes, n° 223663, RJF, 10/2001, n° 1233, concl. S. AUSTRY ; Revue de droit bancaire et financier, n° 5, 2002, 212, note C. DAVID ; Petites affiches, n° 108, 2002, p. 20, note A. DE BISSY 116 J. SCHMIDT et al., Lamy Fiscal, 2017, n° 4598 117 J. TUROT et al., Lamy Optimisation fiscale de l’entreprise, 2014, n° 321-60

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d’État, comme l’affaire Kingroup Inc.118 : il s’agissait d’une société canadienne qui détenait des

parts dans un GIE français, qui n’avait aucune activité commerciale en France mais qui

percevait des redevances de brevets. L’administration fiscale avait conclu que la société

canadienne devait être imposée à l’impôt sur les sociétés français au titre de la quote-part de

ses participations au sein du GIE. En effet, en vertu du principe de translucidité fiscale, l’impôt

est déterminé au niveau de la société de personnes, et la société canadienne en sera ensuite

redevable en tant qu’associé, ce qui a été confirmé par le Conseil d’État. Si cette situation peut

paraître acceptable du point de vue du droit interne, il l’est moins sur un plan global : le

Canada retenant le principe de transparence des sociétés de personnes, l’administration

canadienne a considéré que la société avait agi en lieu et place du GIE, dans la proportion de

sa participation. Cela conduisait à l’assujettir à l’impôt canadien sur les sociétés, conduisant à

une situation de double imposition économique : le revenu est imposé par la France au titre

du GIE et au Canada au nom de l’associé. Le cœur de cette difficulté découle de la divergence

entre les principes retenus par chaque État en matière d’imposition des sociétés de

personnes. La situation ne semble toutefois pas encline au changement sur ce point, le

principe de translucidité fiscale en matière de sociétés de personnes avec un associé étranger

ayant été réaffirmé par le Conseil d’État119.

129. –– Une autre question relative à la double imposition en matière de société de

personnes peut apparaître concernant le calcul de la plus-value constatée lors de la cession

des parts sociales.

b) L’imposition des cessions de titres de société de personnes

130. –– Une double imposition peut apparaître en matière de cession des parts sociales

d’une société de personnes. En effet, selon le régime fiscal de translucidité des sociétés de

personnes, les bénéfices de la société sont tous réputés distribués lors de l’assujettissement

à l’impôt : l’associé sera donc redevable de l’impôt sur l’ensemble de la quote-part des

bénéfices qui lui reviennent, même si ces derniers ne lui ont pas effectivement été distribués.

En pratique, les bénéfices des sociétés de personnes ne sont pas systématiquement distribués

118 CE, 04/04/1997, Société Kingroup Inc., n° 144211, RJF, 5/1997, n° 424, concl. F. LOLOUM ; Droit fiscal, n° 26, 1997, comm. 728 119 CE, 11/07/2011, Société Quality Invest, n° 317024, RJF, 2011, n° 1063 ; Droit fiscal, n° 36, 2011, comm. 496, note P. DEROUIN

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et sont parfois même réinvestis dans l’entreprise, ce qui aura pour conséquence d’en accroître

la valeur. Ainsi, lorsque l’associé souhaitera céder les parts qu’il détient dans la société, la plus-

value qu’il dégagera sera taxée, et si aucun retraitement n’est effectué pour tenir compte des

distributions effectives ayant eu lieu par le passé, l’associé pourra être amené à supporter une

double charge fiscale sur les bénéfices qui ne lui ont pas été distribués. En effet, il aura payé

l’impôt relatif à ces bénéfices au cours de l’exercice qui les a vus naître, mais comme ces

sommes sont restées au sein de la société et qu’elles en accroissent la valeur, ce qui devrait

légitimement conduire à un prix de cession plus élevé, le cédant sera amené à payer une

seconde fois l’impôt sur ces bénéfices au titre de la plus-value.

131. –– Pour régler ce problème, le Conseil d’État a construit une méthode de calcul

particulière pour déterminer le prix de revient des parts sociales que l’on retiendra pour

calculer la plus-value lors d’une cession des titres de société de personnes. Cette solution a

été dégagée pour la première fois dans la décision Quémener120, dont l’objet visait notamment

à « assurer la neutralité de l’application de la loi fiscale compte tenu du régime spécifique »

des sociétés de personnes. Concernant le calcul prévu par le Conseil d’État pour obtenir le prix

de revient des parts sociales, il s’agit de considérer la valeur d’acquisition des parts, majorée

par la quote-part des bénéfices revenant à l’associé pendant la période de détention des parts

et par les pertes ayant été comblées par cette associé, puis minorée par les bénéfices ayant

donné lieu à répartition au profit de l’associé et par les déficits que cet associé a déduits

pendant la période de détention, « à l’exclusion de ceux qui trouvent leur origine dans une

disposition par laquelle le législateur a entendu conférer aux contribuables un avantage fiscal

définitif ». Il s’agit donc d’une méthode de calcul relativement compliquée, mais qui permet

de calculer la plus-value imposable lors de la cession des titres en tenant compte de la part

des bénéfices qui a effectivement été distribuée à l’associé. Dans une autre affaire, le Conseil

d’État est venu préciser que seuls les déficits « effectivement déduits » doivent venir en

diminution du prix d’acquisition, tout en ajoutant que ce retraitement vise effectivement à «

éviter toute double imposition ou double déduction »121. Ce procédé conduit ainsi à

120 CE, 16/02/2000, SA Etablissements Quémener, n° 133296, RJF, 3/2000, n° 334, concl. G. BACHELIER ; Droit fiscal, n° 14, 2000, comm. 283, note J. TUROT ; Bull. Joly Sociétés, n° 5, p. 535, note P. DEROUIN 121 CE, 15/12/2010, Ferreira d’Oliveira, n° 297513, Lebon 2010, p. 735 ; RJF, 5/2010, n° 280 ; Droit fiscal, n° 6, 2011, comm. 205, concl. N. ESCAUT

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neutraliser les effets de la translucidité fiscale lors de la cession des parts sociales de la société

de personnes122.

132. –– Par la suite, ce mode de calcul a été élargi à la plus-value consécutive à une

transmission universelle de patrimoine123 : il s’agit d’un cas particulier où une société, qui

détient tous les titres d’une de ses filiales, choisit de dissoudre cette filiale et de récupérer

l’intégralité du patrimoine de cette dernière, sans qu’il y ait lieu de procéder à une

liquidation124. Dans une telle situation, si une plus-value est dégagée au cours de l’opération,

la société absorbante devra s’acquitter de l’impôt exigible. Dans le cas où la filiale absorbée

relève du régime fiscal des sociétés de personnes, le prix de revient des parts sociales, utilisé

pour établir la plus-value imposable, sera calculé selon le même mode que dans le cas d’une

cession, en vertu de la jurisprudence Quémener.

133. –– Plus récemment, le Conseil d’État est venu restreindre le recours à ce

retraitement fiscal dans le cas d’une transmission universelle de patrimoine, en le

subordonnant à une condition particulière : le cédant qui souhaite le mettre en œuvre doit

effectivement faire l’objet d’une double imposition. En effet, le Conseil d’État énonce que

cette règle « ne peut trouver à s’appliquer que pour éviter une double imposition de la société

qui réalise l’opération de dissolution »125. Dans cette affaire, des SARL possédaient des titres

de SA de droit luxembourgeois, qui détenaient des parts de SCI françaises. Après la

réévaluation des titres des SCI, les SARL procédèrent à la dissolution des SA avec transmission

universelle de patrimoine. Les SCI, désormais détenues par les SARL, ont alors procédé à la

réévaluation de la valeur de leur immeuble, dégageant ainsi des résultats bénéficiaires, cet

écart de réévaluation ayant été fiscalement appréhendé par les SARL, en vertu du régime fiscal

des sociétés de personnes. Enfin, les SARL ont procédé à la dissolution des SCI avec

transmission universelle de patrimoine, intégrant ainsi les immeubles à leur patrimoine. Elles

ont alors procédé à des corrections fiscales dans leur résultat, en réintégrant les résultats

122 J. TUROT et al., Lamy Optimisation fiscale de l’entreprise, 2014, n° 321-72 123 CE, 27/07/2015, SA Matériels Electriques Ascenseurs, n° 362025, RJF, 11/2015, n° 883, concl. É. BOKDAM-TOGNETTI ; Droit des sociétés, n° 12, 2015, comm. 224, note J.-L. PIERRE 124 Article 1844-5 du Code civil 125 CE, 06/07/2016, SARL Lupa Immobilière France et SARL Lupa Patrimoine France, n° 377904 et 377906, RJF, 11/2016, n° 982, concl. N. ESCAUT ; Les Nouvelles Fiscales, 2016, n° 1186 ; Droit fiscal, n° 39, 2016, comm. 514, note F. LUGAND

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fiscaux des SCI, puis en déduisant une somme équivalente composée des résultats fiscaux

diminués des boni de confusion constatés lors de la transmission universelle de patrimoine :

ces corrections avaient conduit les SARL à constater une moins-value résultant de l’annulation

des titres de SCI, ce qui fut contesté par l’administration fiscale. Les SARL avaient alors invoqué

la double imposition économique des plus-values immobilières, résultant de l’imposition des

gains des SCI entre les mains des SA luxembourgeoises, ce qui justifiait le recours à ces

retraitements. Mais le Conseil d’État n’a pas suivi cette analyse, en estimant que les

corrections prévues par la jurisprudence Quémener, et applicables en matière de transmission

universelle de patrimoine, n’ont vocation à s’appliquer qu’en cas de double imposition

effective de la société absorbante, et non pas en cas de double imposition de la société

absorbante et d’une autre société (ici les SARL et les SA de droit luxembourgeois).

134. –– Cette décision vise ainsi à mettre en échec une certaine pratique de

restructuration au sein des groupes de sociétés, qui cherchaient à tirer profit de la

jurisprudence Quémener. En effet, cette dernière vise à éviter une double imposition au

niveau du cédant des titres, ou de la société absorbante, dans une optique de neutralité

fiscale ; en revanche, cette jurisprudence ne tend pas à la « neutralité économique », selon le

rapporteur public de la décision du 6 juillet 2016, et n’a donc pas vocation à éviter la double

imposition économique. Il apparaît ainsi à travers cet exemple que le droit interne n’est pas

en tant que tel opposé aux doubles impositions économiques, même s’il cherche parfois à les

éviter. Un autre outil pour lutter contre ce phénomène réside dans le régime des sociétés

mères et filiales.

2) Le régime des sociétés mères et filiales

135. –– L’un des premiers problèmes fiscaux qui peut apparaître au sein d’un groupe de

sociétés est relatif aux bénéfices distribués par les filiales du groupe. En effet, lorsqu’une

société réalise un bénéfice, elle devra s’acquitter de l’impôt relatif à ces profits avant de

procéder à une distribution de dividendes. Une double imposition économique pourra alors

apparaître lorsque ces bénéfices seront distribués à une autre société, qui sera généralement

la société mère du groupe : ces bénéfices ayant déjà été taxés au niveau du résultat de la

filiale, ils le seront une seconde fois au niveau du compte de résultat de la société mère, les

dividendes y étant intégrés en tant que produits. Ainsi, en l’absence de tout mécanisme de

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correction, les bénéfices des filiales se verraient doublement imposés lorsqu’ils remontent

sous forme de dividendes vers la société mère.

136. –– Le phénomène n’est d’ailleurs pas propre aux groupes de sociétés, car il peut

aussi concerner les personnes physiques. En effet, lorsqu’un individu perçoit des dividendes

d’une personne morale assujettie à l’impôt sur les sociétés, il devra déclarer cette distribution

au sein de ses revenus, et celle-ci sera alors imposée à l’impôt sur le revenu126. Mais pour tenir

compte du fait que ces bénéfices ont déjà été soumis à l’impôt au niveau du résultat de la

société distributrice, la loi prévoit un abattement de 40 % sur les revenus distribués suite à

une « décision régulière des organes compétents »127. Ce mécanisme permet d’éviter une

double imposition entre la société distributrice et l’actionnaire personne physique.

137. –– Un processus analogue a été imaginé pour permettre d’éviter cette double

imposition économique dans le cas où l’actionnaire est une autre société : c’est ainsi qu’est

né le régime des sociétés mères et filiales128. Il s’agit d’un régime spécial, applicable aux

sociétés qui détiennent des parts dans une société distributrice de dividendes lorsqu’elles

répondent à certaines conditions. Selon l’article 145 du Code général des impôts, la société

détentrice des titres doit détenir « au moins 5 % du capital de la société émettrice », en pleine

propriété ou en nue-propriété : ce taux de détention s’apprécie à la date de mise en paiement

des dividendes. Par ailleurs, les titres doivent être conservés pendant un délai d’au moins deux

ans : ce régime fiscal s’inscrit donc dans une optique de conservation des titres à long terme,

ce qui correspond à la logique des groupes de sociétés. Toutefois, selon la doctrine écrite de

l’administration fiscale, « tous les produits des titres de participations peuvent bénéficier de

l’exonération dès la première année de détention »129 : cela signifie que le régime des sociétés

mères et filiales pourra s’appliquer dès l’acquisition des titres, mais concernant les deux

premières années, le bénéfice de l’exonération n’est pas définitivement acquis et devra être

remboursé si les titres sont cédés avant l’expiration du délai de deux ans.

138. –– Selon l’article 216 du Code général des impôts, lorsque les conditions du régime

des sociétés mères et filiales sont réunies, les dividendes concernés sont exonérés d’impôt au

niveau de la société mère : ils « peuvent être retranchés du bénéfice net total de celle-ci,

126 Article 158 du CGI 127 Administration fiscale, BOFiP, BOI-RPPM-RCM-20-10-30-10-20160711, § 1 128 Articles 145 et 216 du CGI 129 Administration fiscale, BOFiP, BOI-IS-BASE-10-10-10-20-20161005, § 220

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défalcation faite d’une quote-part de frais et charges »130. Il faudra ainsi procéder à la

réintégration de cette quote-part, pour un montant égal à 5 % du produit total des

participations, crédit d’impôt compris. Le législateur considère que ce régime relève d’une

exonération d’impôt, malgré la quote-part de frais et charges, ce qui élimine toute possibilité

de crédit d’impôt en matière de fiscalité internationale.

139. –– La question de l’imposition des dividendes versés par une filiale à sa mère a

également été appréhendée par le droit européen à partir de 1990, au travers de plusieurs

directives : la dernière en date, actuellement en vigueur, date du 30 novembre 2011 et a

contribué à la consolidation des précédentes131. Cette directive prévoit notamment deux

règles relatives aux distributions de dividendes d’une filiale vers sa société mère : d’une part,

la double imposition économique qui pourrait en résulter doit être éliminée, soit par un

mécanisme d’exonération des dividendes, soit par imputation de l’impôt payé par la filiale et

afférant à ses bénéfices ; d’autre part, cette distribution de dividende ne doit faire l’objet

d’aucune retenue à la source. Ces dispositions ont été transposées en droit interne, ce qui a

notamment amené à adapter le régime des sociétés mères et filiales des articles 145 et 216

du Code général des impôts, le mécanisme retenu par le droit français pour éviter la double

imposition étant le premier proposé par la directive, à savoir l’exonération des dividendes

versés132. La jurisprudence récente du Conseil constitutionnel a également conduit à adapter

les conditions relatives à la détention des titres de la filiale par la société mère pour appliquer

ce régime spécial. En effet, la loi française prévoyait auparavant une détention minimale de

titres correspondant à 5 % du capital et à 5 % des droits de vote pour une durée de deux ans,

alors que la directive européenne ne prévoyait qu’une détention en capital, sans mentionner

les droits de vote. Le Conseil constitutionnel a alors estimé que cette différence de traitement

entre les filiales françaises et les autres filiales européennes constituait une rupture du

principe d’égalité devant les charges publiques, qui n’était pas justifiée par un principe

d’intérêt général133. Ainsi, il n’est aujourd’hui plus question que d’une détention en capital

pour l’application du régime des sociétés mères et filiales, même dans une configuration

130 Article 216 du CGI 131 Directive 2011/96/UE du Conseil du 30/11/2011 132 B. CASTAGNEDE, Précis de fiscalité internationale, 5e édition, 2015, 396. 133 C. const., 03/02/2016, Société Metro Holding France SA, n° 2015-520 QPC, RJF, 4/2016, n° 366 ; JCP E, n° 6, 2016, act. 148

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purement interne. On pourra d’ailleurs noter qu’il s’agit de la première décision du Conseil

constitutionnel qui se fonde sur une source de droit européenne pour prendre position au

sujet du principe d’égalité devant les charges publiques134.

140. –– Le droit européen est également venu apporter une limite au régime mère et

filiale au travers d’une directive de 2015135 : il s’agit d’une mesure anti-abus visant à limiter

les tentations pour les entreprises de s’organiser en groupe dans une optique purement

fiscale. Cette règle se traduit par le fait que « les États membres n’accordent pas les avantages

du régime mère-fille à un montage ou à une série de montages » mis en place afin d’obtenir

un avantage fiscal contraire à la finalité du régime ou injustifié au vu des circonstances136. La

logique de cette mesure rejoint la théorie des abus de droit, qui vise à sanctionner les actes

fictifs ou ceux ayant uniquement vocation à obtenir un avantage fiscal injustifié137.

141. –– Lorsqu’on a un groupe de sociétés fortement intégrées, c’est-à-dire lorsque la

société mère détient directement au moins 95 % du capital de ses filiales, il est possible d’avoir

recours au régime particulier de l’intégration fiscale138. Pour être éligible à ce régime, la

société mère ne doit pas elle-même être détenue à 95 %, directement ou indirectement, par

une autre personne morale soumise à l’impôt sur les sociétés. Si ces conditions sont réunies,

alors la société mère peut demander une option pour que soit appliqué le régime d’intégration

fiscale, après que les filiales aient exprimé leur accord pour être intégrées au groupe139. Ce

régime consiste à calculer un résultat fiscal consolidé au sein du groupe, qui donnera lieu à

l’établissement d’un unique impôt sur les sociétés dont sera redevable la société mère du

groupe140. Ce dispositif permet ainsi d’assurer une certaine neutralité fiscale à l’égard des

groupes de sociétés et évite notamment toute forme de double imposition économique.

Toutefois, les conditions nécessaires pour le mettre en œuvre, en particulier celle relative à la

détention à 95 % des filiales par la société mère, ont tendance à limiter le recours à ce

mécanisme.

134 A. JAUREGUIBERRY, « La discrimination à rebours devant le juge national », RTD eur., n° 1, 2017, p. 39 135 Directive 2015/121/UE du Conseil du 27/01/2015 136 B. CASTAGNEDE, Précis de fiscalité internationale, 5e édition, 2015, 496. 137 Article L64 du LPF 138 Article 223 A du CGI 139 Administration fiscale, BOFiP, BOI-IS-GPE-20160302, § 30 140 Ibid.

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142. –– Si le législateur a prévu certaines mesures pour éviter les doubles impositions

économiques, il en existe également d’autres qui ont pour objet l’encadrement des activités

et des flux financiers internes aux groupes de sociétés.

B –– Les mesures encadrant l’activité des groupes de sociétés

143. –– Malgré leur tendance à l’intégration de leurs activités économiques, les

différentes sociétés d’un groupe n’en demeurent pas moins des personnes juridiques

distinctes. Il convient donc de s’assurer que leurs personnalités fiscales propres sont bien

respectées, notamment dans un contexte international où certaines sociétés du groupe

peuvent être soumises à une fiscalité particulièrement avantageuse. C’est la raison pour

laquelle la loi fiscale accorde une attention particulière aux abandons de créances au sein d’un

groupe de sociétés, ainsi qu’à la question des prix de transfert entre ces sociétés.

1) Les abandons de créances

144. –– Lorsqu’une filiale réalise des pertes et qu’elle a des dettes envers sa société

mère, celle-ci peut être tentée d’abandonner les créances qu’elle détient sur sa filiale. D’un

point de vue comptable, cela aura notamment pour effet de faire remonter les pertes de la

filiale dans les comptes de la société mère, ce qui réduirait alors son résultat imposable. Mais

les sociétés du groupe étant des sujets d’impositions distincts, le droit fiscal ne saurait

admettre la possibilité générale et absolue pour une société mère de récupérer les déficits de

ses filiales. C’est pourquoi la loi fiscale est venue règlementer les abandons de créances d’une

société envers une autre, sans pour autant les interdire systématiquement. En réalité, si les

abandons de créances sont toujours possibles en comptabilité, le droit fiscal subordonnera la

déductibilité de la créance abandonnée pour la société qui la consent à certaines conditions,

de même que l’imposition du gain corrélatif auprès de la société qui en bénéficie.

145. –– Selon l’administration fiscale, l’abandon d’une créance est « la renonciation par

une entreprise à exercer les droits que lui confère l’existence d’une créance »141. Selon la

141 Administration fiscale, BOFiP, BOI-BIC-BASE-50-10-20130129, § 1

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jurisprudence du Conseil d’État, deux conditions doivent être réunies pour qualifier un

abandon de créance : d’une part, la créance et la dette correspondante doivent avoir été

comptabilisées, chacune au sein de l’entreprise en question, pour un même montant ; d’autre

part, l’entreprise qui consent l’abandon doit comptabiliser une perte correspondant au

montant de la créance, de la même manière que l’entreprise débitrice comptabilisera un

produit de même montant. Lorsque l’abandon de créance est caractérisé, il faudra alors

déterminer s’il s’inscrit dans le cadre d’une gestion normal de la société : il s’agira d’une

condition générale de déductibilité de la créance pour la société qui consent l’abandon. Cette

exigence émane de la théorie de l’acte anormal de gestion, consacré par la jurisprudence du

Conseil d’État142 : si chaque dirigeant est libre de mener la gestion de son entreprise comme

il le souhaite, en vertu du principe de liberté du commerce et de l’industrie, ses décisions

doivent toujours être dans l’intérêt de son entreprise. Dans le cas contraire, il s’agira d’un acte

anormal de gestion, qui contreviendra à l’intérêt de l’exploitation et qui entraînera des

conséquences fiscales : une charge émanant d’un acte anormal de gestion ne saurait être

déductible fiscalement. Le caractère normal de la gestion pourra être appréhendé de manière

large et ne se cantonnera pas nécessairement à une contrepartie financière pour l’entreprise :

par exemple, dans un arrêt récent, le Conseil d’État a estimé qu’une absence de rémunération

pour une concession de licence ne constitue pas un acte anormal de gestion s’il est justifié par

la préservation d’un actif, en l’occurrence la valorisation d’une marque143. Ainsi, si l’abandon

de créance revêt le caractère d’un acte anormal de gestion, la perte pour l’entreprise qui le

consent ne sera pas déductible, ce qui conduira à une double imposition économique : le

montant de la créance ne sera pas déduit et sera donc imposé auprès de la société qui a

consenti l’abandon, et le produit correspondant sera tout de même constaté auprès de la

société débitrice, ce qui conduira à imposer une seconde fois ce même montant. Par ailleurs,

la créance abandonnée ne devra pas constituer « un élément du prix de revient d’une

participation dans une autre société » pour être déductible144.

142 CE, 07/07/1958, n° 35977, sur la première définition de l’acte anormal de gestion 143 CE, 16/06/2016, n° 371258, RJF, 5/2016, n° 403, concl. A. BRETONNEAU ; Droit fiscal, 2016, n° 24, comm. 374, note F. TEPER 144 CE, 15/10/1982, n° 26585, Lebon 1982 ; RJF, 12/1982, n° 1090 ; Droit fiscal, n° 15, 1983, comm. 754, concl. P. RIVIÈRE

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146. –– Si l’abandon de créance satisfait aux exigences de gestion normale de

l’entreprise, alors sa déductibilité pour la société qui le consent dépendra du caractère de la

créance, selon qu’il soit commercial ou financier :

Dans le cas d’une créance à caractère commercial, c’est-à-dire qui trouve son origine

dans des relations commerciales entre les entreprises, l’abandon sera déductible

auprès de la société qui le consent : elle pourra retenir l’intégralité du montant de la

créance au sein de ses charges déductibles145. Il importe peu que les sociétés soient

du même groupe ou non pour l’application de cette règle. Par ailleurs, lorsque

l’abandon de créance à caractère commerciale est consentie à une entreprise dans

le cadre d’un plan de sauvegarde ou de redressement, il sera déductible en toute

hypothèse146 ;

Dans le cas d’une créance à caractère financier, c’est-à-dire qui ne trouve pas son

origine dans des relations commerciales entre les entreprises, le principe sera la non-

déductibilité de l’abandon de créance. Il existe toutefois quelques exceptions,

notamment lorsque l’entreprise débitrice présente des difficultés de paiement ou

qu’un accord, constaté ou homologué, a été conclu, ou encore que l’entreprise fait

l’objet d’une procédure collective147.

147. –– Concernant le traitement de l’abandon de créance auprès de l’entreprise qui en

bénéficie, il s’agira d’un produit qui devra être intégré en tant que tel dans le compte de

résultat148 : ce régime trouvera à s’appliquer tant en matière de créance à caractère

commercial que financier, et indépendamment de la déductibilité de l’abandon auprès de la

société qui le consent. Une exception pourra toutefois apparaître lorsque la société débitrice

est une filiale de la société qui détient la créance au sens de l’article 145 du Code général des

impôts149. Dans ce cas, selon l’article 216 A du même code, le produit issu de l’abandon d’une

créance à caractère financier pourra être exonéré d’impôt, pour sa fraction non déductible

des résultats imposables de la société mère, à condition que la filiale prenne « l’engagement

145 CE, 27/11/1981, n° 16814, RJF, 1982, n° 7, concl. J.-F. VERNY ; Droit fiscal, n° 31, 1982, comm. 1630 146 Article 39, 1., 8° du CGI 147 Administration fiscale, BOFiP, BOI-BIC-BASE-50-20-10-20130129, § 63 et s. 148 Articles 38, 2. et 209, I. du CGI 149 La société mère sera considérée comme telle si elle détient au moins 5 % du capital de sa filiale, pour une durée d’au moins deux ans (article 145 du CGI)

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d’augmenter son capital au profit de la société qui consent l’abandon pour un montant

équivalent avant la clôture du second exercice suivant »150. Ce mécanisme permet alors

d’éviter l’imposition de l’abandon de créance et de convertir celle-ci en capital.

148. –– La question des abandons de créances se posent également en matière de

fiscalité internationale, concernant les succursales de sociétés françaises. En effet, les

établissements stables et les entreprises exploitées à l’étranger sont fiscalement

indépendants de l’opérateur français qui les possède. Pendant longtemps, la jurisprudence

s’est opposée à la déductibilité d’un abandon de créance consentie à une filiale ou une

succursale, en vertu du principe de territorialité de l’impôt sur les sociétés et des principes

relatifs à la déductibilité fiscale des charges d’exploitation151. Cette position a longtemps été

celle du Conseil d’État, qui l’a formalisée dans une décision de 1972152. Mais par la suite, le

Conseil a modéré sa position. Dans deux décisions, il indique qu’il n’y a pas lieu de tenir

compte des variations d’actifs nets imputables à l’activité de la succursale pour établir le

résultat imposable de la société mère. Toutefois, cette dernière pourra déduire de son résultat

les pertes subies ou régulièrement provisionnées si elles résultent d’aides apportées à la

succursale dans le cadre de relations commerciales favorisant le maintien ou le

développement des activités en France de la société mère153. Le Conseil d’État est donc venu

rappeler le principe général de quasi-personnalité fiscale de la succursale installée à

l’étranger, tout en admettant une exception lorsque la société française aide sa succursale

afin de sauvegarder ses propres intérêts en France. Toutefois, il faudra que l’entreprise

exploitée à l’étranger ait effectivement besoin de l’aide procurée par l’abandon de créance

pour qu’il soit déductible154.

149. –– Le régime des abandons de créance et ses conditions particulièrement strictes

peuvent entraîner des doubles impositions économiques lorsque la déduction de l’abandon

est refusée. Ce phénomène se produira notamment en cas d’acte anormal de gestion ou

150 Administration fiscale, BOFiP, BOI-IS-BASE-10-10-30-20160504, § 10 151 B. CASTAGNEDE, Précis de fiscalité internationale, 5e édition, 2015, 493. 152 CE, 25/10/1972, n° 81999 et 82309, Lebon 1972 ; Droit fiscal, n° 22, 1973, comm. 843, concl. L. MEHL 153 CE, 16/05/2016, Société Télécoise, n° 222956, RJF, 7/2003, n° 823, note L. OLLÉON ; Droit fiscal, n° 30-35, 2003, comm. 582, concl. M.-H. MITJAVILE, et CE, 04/12/2013, Société Kepler Equities, n° 355694, RJF, 3/2014, n° 228 ; BDCF, 3/2014, n° 32, concl. V. DAUMAS ; Droit fiscal, n° 30, 2014, comm. 465, note P. LEGENTIL 154 CE, 11/04/2008, SA Guerlain, n° 281033, Lebon 2008 ; RJF, 7/2008, n° 788, concl. C. VERNOT ; Droit fiscal, n° 18, 2008, comm. 302, note M. TALY

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lorsqu’une société mère cherche à faire remonter les déficits de ses filiales dans son propre

résultat, ce qui va à l’encontre de nombreuses règles fiscales : la double imposition qui pourra

en résulter pourra alors s’analyser comme une forme de sanction, visant à encadrer les

pratiques des entreprises. Un régime analogue se retrouve dans le cas des prix de transfert.

2) Les prix de transfert

150. –– En matière de groupes internationaux, un des enjeux majeurs pour les

administrations fiscales réside dans le risque de délocalisation de bénéfices dans des pays à

fiscalité plus attractive, dans une optique d’optimisation fiscale. C’est pourquoi la loi porte

une attention particulière aux prix de transfert, c’est-à-dire « les prix auxquels une entreprise

transfère des biens corporels, des actifs incorporels, ou rend des services à des entreprises

associées »155. Il s’agit donc plus simplement des prix des transactions qui ont lieu entre les

différentes entreprises d’un groupe. Deux conditions doivent donc être réunies pour

caractériser un prix de transfert : des transactions intragroupes et le passage d’une

frontière156.

151. –– Lorsque les entreprises d’un groupe fixent leurs prix de transfert, cette décision

va directement affecter la répartition des bénéfices du groupe entre les différentes

entreprises qui en font partie, ce qui impactera l’assiette de l’impôt de chaque État concerné

par ces transactions. Si aucun contrôle n’était effectué par les États sur les prix des

transactions, il serait alors possible pour les entreprises de concentrer leurs bénéfices dans les

États de leur choix, qui se révéleraient souvent être des États à fiscalité privilégiée, c’est-à-dire

où l’imposition est inférieure à la moitié de l’impôt qui aurait été payé en France pour les

mêmes opérations157. Pour éviter ces dérives, les prix de transfert doivent être encadrés et

contrôlés, c’est pourquoi les États ont mis au point un certain nombre de méthodes pour

vérifier le montant des prix de transfert lors d’opérations intragroupes. Ces techniques de

vérification se fondent généralement sur le principe de pleine concurrence, qui constitue une

forme de consensus au sein des pays de l’OCDE158. Selon ce principe relativement simple dans

155 OCDE, Principes de l’OCDE applicables en matière de prix de transfert à l’intention des entreprises multinationales et des administrations fiscales, 2010, p. 19 156 Administration fiscale, BOFiP, BOI-BIC-BASE-80-10-10-20140218, § 1 157 Article 238 A du CGI 158 B. CASTAGNEDE, Précis de fiscalité internationale, 5e édition, 2015, 74.

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son énoncé, les prix pratiqués lors d’opérations entre les entreprises d’un même groupe

doivent être les mêmes que si ces transactions avaient été effectuées entre des entreprises

indépendantes. Ainsi, les prix pratiqués doivent être justes et fidèles au fonctionnement du

marché en pleine concurrence, et ne sauraient être différents sous le seul prétexte que les

entreprises contractantes soient associées ou qu’elles appartiennent au même groupe. Le

principe de libre concurrence est d’ailleurs présent à l’article 9 du modèle de convention

fiscale de l’OCDE, qui prévoit la possibilité pour les administrations fiscales de corriger des prix

de transfert qui ne respecteraient pas ces règles159. En France, cette règle est établie par

l’article 57 du Code général des impôts, qui permet à l’administration d’imposer les bénéfices

transférés à l’étranger.

152. –– Lorsque le prix de transfert pratiqué par un groupe est jugé contraire au principe

de pleine concurrence par une administration fiscale, un risque de double imposition

économique apparaît alors. En effet, le prix pratiqué pourra être redressé s’il est jugé

insuffisant ou trop élevé, ce qui provoquera une double imposition si le redressement n’est

« pas assorti d’un ajustement corrélatif effectué par l’administration fiscale où est établie

l’autre entreprise partie à la transaction concernée »160. Si cette double imposition peut

apparaître pour certains comme la juste peine encourue par les groupes internationaux qui

cherchent une optimisation fiscale à tout prix, elle constitue davantage un risque de surcharge

fiscale de nature à entraver les échanges internationaux et les activités des entreprises. Les

méthodes découlant du principe de pleine concurrence ne relèvent pas d’une science exacte,

ce qui implique qu’un groupe de sociétés peut voir ses prix de transfert redressés alors même

qu’il n’a jamais souhaité soustraire une part de ses bénéfices à l’impôt. Pour éviter le risque

de redressement et de double imposition, les travaux de l’OCDE ont aboutis à la possibilité

d’un accord préalable de l’administration fiscale sur le calcul d’un prix de transfert, qui a été

reprise par la plupart des États membres. En France, la procédure relève du rescrit fiscal161 et

peut porter soit sur un accord unilatéral162, c’est-à-dire liant uniquement l’entreprise et

159 OCDE, Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune – Version abrégée, 9e édition, 2014, p. 30 160 B. CASTAGNEDE, Précis de fiscalité internationale, 5e édition, 2015, 91. 161 Article L80 B du CGI 162 Administration fiscale, BOFiP, BOI-SJ-RES-20-20-20170201

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l’administration fiscale française, soit sur un accord bilatéral163, c’est-à-dire conclu entre les

administrations fiscales des deux États concernés par le prix de transfert.

153. –– Comme l’application du droit interne peut parfois donner lieu à des doubles

impositions économiques en matière de groupes de sociétés, les conventions fiscales

internationales cherchent à éviter de telles situations. Toutefois, celles-ci sont parfois loin

d’être suffisantes.

§2 –– Des conventions fiscales imparfaites

154. –– Lorsqu’une double imposition économique se produit dans un contexte

purement national, le seul recours possible pour les contribuables consistera à saisir le juge

de l’impôt afin de faire valoir leurs droits, sur le fondement du seul droit interne. Mais en

matière internationale, il est également possible d’avoir recours aux conventions fiscales :

celles-ci ont en effet généralement pour objet d’éviter les doubles impositions, économiques

tout comme juridiques. Toutefois, ces conventions sont souvent imparfaites, et elles

rencontrent de sérieuses limites, surtout en matière de doubles impositions économiques. Si

les travaux l’OCDE ont parfois permis une certaine harmonisation des notions fiscales au sein

des États, il demeure encore de nombreuses divergences de conception, qui laissent subsister

un risque de double imposition.

A –– Une volonté d’harmonisation ?

155. –– En matière internationale, les doubles impositions économiques résultent

généralement de divergences de la part des États sur les règles applicables aux opérateurs

économiques. C’est pourquoi, au travers de ses nombreux travaux sur la question, l’OCDE a

cherché mettre en place une certaine forme d’harmonisation sur des notions fiscales

fondamentales, susceptibles d’affecter directement l’imposition des groupes de sociétés. Cet

effort a notamment été mené par le biais du modèle de convention publié par

163 Administration fiscale, BOFiP, BOI-SJ-RES-20-10-20170201

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l’organisation164, mais également au travers de rapports portant sur des points plus précis,

comme la question des prix de transfert, ou encore l’application des conventions fiscales aux

sociétés de personnes.

156. –– Les travaux de l’OCDE relatifs aux prix de transfert165 constituent un exemple

intéressant, car il traduit une volonté d’harmonisation qui s’est concrétisée, donnant lieu à un

certain consensus. En effet, les méthodes de détermination du juste prix de transfert fondées

sur le principe de pleine concurrence, appliquées à l’heure actuelle par la majorité des États,

découlent directement du travail effectué par l’OCDE. L’article 9 du modèle de convention

fiscale de l’organisation prévoit ainsi explicitement la possibilité pour l’administration fiscale

d’un État signataire d’imposer les bénéfices qui lui échapperaient en raison d’un prix de

transfert anormalement bas ou élevé. La possibilité pour une entreprise de conclure un accord

préalable relatif au montant des prix de transfert avec l’administration fiscale résulte

également des propositions de l’OCDE qui ont été suivies par les États.

157. –– Le principe de pleine concurrence présente toutefois certaines limites face aux

pratiques d’optimisation fiscale des entreprises, c’est pourquoi on a pu envisager l’idée d’une

« taxation unitaire », c’est-à-dire une méthode consistant à « répartit les bénéfices globaux

d’un groupe multinational entre ses entités implantées dans différents pays au moyen d’une

formule prédéterminée »166. Mais cette solution a été systématiquement écartée par l’OCDE,

qui la juge « extrêmement complexe sur le plan politique et administratif », et trop peu

réaliste dans le domaine de la fiscalité internationale167. En réalité, une telle méthode

nécessiterait une véritable coopération internationale, que les États ont tendance à voir

comme une atteinte à leur souveraineté en matière fiscale. L’OCDE doit donc tenir compte

des réticences des États dans ses travaux, ce qui permet à certaines divergences de conception

de subsister.

164 OCDE, Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune – Version abrégée, 9e édition, 2014 165 Id., Principes de l’OCDE applicables en matière de prix de transfert à l’intention des entreprises multinationales et des administrations fiscales, 2010 166 B. CASTAGNEDE, Précis de fiscalité internationale, 5e édition, 2015, 77. 167 OCDE, Principes de l’OCDE applicables en matière de prix de transfert à l’intention des entreprises multinationales et des administrations fiscales, 2010, p. 41

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B –– Des divergences de conception

158. –– Malgré une certaine volonté d’harmonisation, qui transparait notamment des

travaux de l’OCDE, de profondes divergences peuvent exister sur certaines notions entre les

États, même s’ils sont signataires d’une convention fiscale suivant le modèle de l’OCDE. Ce

phénomène peut donc mener à des situations de double imposition économique en cas de

conflit de qualification d’une même situation entre deux États.

159. –– Le problème se pose notamment pour les sociétés de personne. Le traitement

fiscal particulier dont elles font l’objet en droit interne ayant déjà été évoqué168, nous nous

concentrerons ici sur la question l’application des conventions fiscales aux sociétés de

personnes. En effet, selon qu’elle soit considérée comme un sujet d’imposition (translucidité

fiscale) ou non (transparence fiscale), elle ne sera pas nécessairement considérée comme

résident fiscal d’un État partie à la convention : une société transparente, dépourvue de toute

personnalité fiscale, ne sera donc généralement pas éligible à l’application d’une convention

fiscale. L’OCDE avait perçu cette difficulté assez tôt, ce qui la conduisit à publier des

propositions de solutions pour trancher la question de l’application des conventions fiscales

aux sociétés de personnes169. Toutefois, les méthodes proposées ne sont pas directement

intégrées aux conventions fiscales et ne présentent donc aucun caractère contraignant : ainsi,

la France a signé assez peu de conventions traitant, directement ou implicitement, du cas des

sociétés de personnes170. Par ailleurs, les solutions de l’OCDE se fondent pour la plupart sur

les notions relatives au droit interne de chaque État, ce qui n’élimine pas le risque de

divergence d’interprétation sur l’application de la convention.

160. –– Si la France retient généralement le principe de translucidité fiscale des sociétés

de personnes, le Conseil d’État a pu parfois faire application du principe de transparence dans

des cas de fiscalité internationale. Cela a notamment été le cas dans l’affaire Diebold

Courtage171, qui concernait une société de personnes néerlandaise, fiscalement transparente,

168 Voir supra n° 124. et s. 169 OCDE, L’Application du modèle de Convention fiscale de l’OCDE aux sociétés de personnes, 1999 170 Parmi les conventions fiscales signées par la France qui traitent des sociétés de personnes, nous pouvons citer celles conclues avec l’Allemagne, l’Italie, le Luxembourg, l’Autriche la Belgique et la Suisse 171 CE, 13/10/1999, Diebold Courtage, n° 191191, Lebon 1999 ; RJF, 12/1999, n° 1492 ; Droit fiscal, n° 52, 1999, comm. 948, concl. G. BACHELIER, note C. ACARD ; Bull. Joly Sociétés, n° 10, 2000, p. 54

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qui percevait des redevances d’origine française et dont les associés résidaient aux Pays-Bas.

Le juge de l’impôt a alors accepté de rechercher si les associés de la société avaient la qualité

de résident fiscal des Pays-Bas et de leur appliquer le régime prévue par la convention franco-

néerlandaise. Ainsi, dans le cas particulier des revenus passifs, tels que les dividendes ou les

redevances, le Conseil d’État accepte de retenir le principe de transparence fiscal pour les

sociétés de personnes étrangères, alors qu’il applique généralement le principe de

translucidité pour ces entités. La jurisprudence du juge de l’impôt français montre donc que

l’application des dispositions des conventions dépend en réalité de chaque État et de ses

concepts juridiques.

161. –– Le problème d’une divergence de conception peut également se poser en

matière de reconnaissance d’établissement stable par les administrations fiscales des États

parties à la convention. L’administration française a par exemple pu estimer que la filiale

française d’un groupe britannique, détenue à 100 % par la maison mère et qui avait le statut

de commissionnaire, constituait en réalité un établissement stable de la société britannique

au sens de la convention signée avec le Royaume-Uni ; le Conseil d’État n’a toutefois pas suivi

le raisonnement de l’administration en estimant qu’un réel commissionnaire ne pouvait

donner lieu à une qualification d’établissement stable172. Lorsqu’un État partie à la convention

qualifie une situation d’établissement stable alors que l’autre État signataire ne retient pas

cette qualification, une double imposition économique pourra apparaître : une partie des

bénéfices risquent d’être taxés par l’État qui considère qu’il existe un établissement stable, et

ils seront également taxés au nom de l’opérateur économique résident dans l’autre État.

162. –– La possibilité de telles divergences résulte d’une absence d’harmonisation sur

de nombreux concepts fiscaux fondamentaux entre les différents États. Les conventions

fiscales fixent un certain nombre de règles, mais celles-ci seront toujours interprétées par

l’administration fiscale ou le juge de l’impôt d’un des États signataires, qui appréhendera les

notions de la convention à l’aune de ses concepts et de sa culture juridique nationale. Les

divergences de conception qui peuvent alors apparaître constituent un risque majeur de

172 CE, 31/10/2010, Société Zimmer, n° 304715 et n° 308525, RJF, 2010, n° 568 ; Droit des sociétés, n° 7, 2010, comm. 153, note J.-L. PIERRE ; Droit fiscal, n° 16, 2010, comm. 289, concl. J. BURGUBURU, note É. RIVIÈRE, P. ESCAUT et É. BONNEAUD ; JCP E, 2010, 1433

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double imposition économique en matière internationale. Une solution possible à cette

situation consisterait en un accord entre les États qui définirait un certain nombre de concepts

fondamentaux, ou encore en l’existence d’une autorité supranationale chargée d’interpréter

les conventions fiscales en vigueur. Mais cette idée demeure très peu réaliste à l’heure

actuelle, où les États sont toujours extrêmement attachés à leur souveraineté fiscale.

163. –– Si les groupes de sociétés constituent une grande source de double imposition

économique, la question se pose également dans le cas particulier de la simulation. Si la

double imposition apparaît ici davantage hypothétique, son étude paraît tout de même

nécessaire.

Section II

DOUBLE IMPOSITION ÉCONOMIQUE ET SIMULATION

164. –– La notion de simulation désigne un type particulier de situation, qui intéresse

en premier lieu le droit privé. L’intérêt du droit fiscal pour la question est apparu par la suite,

du fait que l’on rencontre principalement ce type d’agissement auprès de contribuables

souhaitant échapper à l’impôt. La simulation désigne, en droit civil, la situation où « une

apparence est volontairement créée pour induire en erreur les tiers, qui ne connaîtront

qu’exceptionnellement la réalité »173. Plus concrètement, une simulation se manifestera le

plus souvent par la coexistence de deux actes juridiques, ou du moins de deux situations de

droit : l’une sera ostensible, présentée au tiers comme étant réelle, et l’autre sera gardée

secrète, car elle reflétera la véritable volonté des parties. Les situations pouvant donner lieu

à des simulations sont extrêmement nombreuses : il pourra s’agir de la création d’une société

fictive, au déguisement d’une donation en vente pour alléger la charge fiscale de l’opération,

en passant par l’interposition de personne au travers d’une convention de prête-nom.

165. –– Malgré le grand nombre de simulations possibles, la réalité nous montre que

dans de nombreux cas, l’opération est réalisée dans une optique purement fiscale : le tiers

que les parties à l’acte simulé cherchent à duper n’est autre que l’administration. C’est la

173 M. STORCK, « Article 1321 – Fasc. unique : Contrats et obligations – Preuve littérale – Théorie des contre-lettres – Simulation », in J.-Cl. Civil Code, 2016, 1.

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raison pour laquelle le droit fiscal a dû se pencher très tôt sur ce phénomène, pour

l’appréhender dans une dimension particulière, tout en se fondant sur la définition donnée

par le droit privé. Le juge de l’impôt a également été amené à créer un dispositif particulier

pour lutter contre les simulations visant à éviter ou diminuer l’impôt, à savoir l’abus de droit :

la notion a d’abord été imaginée par la Cour de cassation au XIXe siècle, puis elle a été reprise

par le Conseil d’État174. Le dispositif a ensuite été consacré par le législateur, qui a instauré

une procédure particulière visant à réprimer les abus de droit175.

166. –– Le lien entre la simulation et la double imposition économique réside dans la

coexistence entre deux situations juridiques, à savoir celle issue de l’acte ostensible et celle

issue de l’acte secret : on aura donc une situation apparente et une situation réelle. Selon le

régime fiscal de la simulation, l’administration pourra soit choisir d’imposer la situation réelle,

issue de la véritable volonté des parties, matérialisée dans l’acte secret, soit se limiter à la

situation apparente, en vertu de la théorie de l’apparence dégagée par la jurisprudence du

Conseil d’État176. Si l’administration fiscale a le choix de la situation qu’elle retiendra, il n’est

a priori pas impossible qu’elle puisse retenir les deux, c’est-à-dire imposer à la fois la situation

apparente et la situation réelle, ce qui constituerait alors clairement une double imposition

économique. Aucune affaire n’a pour l’instant donné lieu à une décision sur cette éventualité,

mais la question présente tout de même un certain intérêt.

167. –– Pour appréhender la question de la double imposition éventuelle découlant

simulation, nous envisagerons d’abord les caractéristiques de la simulation en droit fiscal, en

nous fondant sur la définition issue du droit privé et sur les particularités propres à la matière

fiscale. Ensuite, nous aborderons le régime fiscal particulier de la simulation, notamment au

travers du choix ouvert à l’administration et de la théorie de l’apparence consacrée par la

jurisprudence.

174 C. DE LA MARDIERE, « V° Enregistrement – Fasc. 375 : Abus de droit – Textes, historique et notion », in J.-Cl. Notarial Formulaire, 2016, 12. et s. 175 Article L64 du LPF 176 CE, 20/02/1974, Lemarchand, n° 83270, Lebon 1974 ; Droit fiscal, n° 30, 1974, comm. 958, concl. D. MANDELKERN

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§1 –– La notion de simulation en droit fiscal

168. –– La notion de simulation vient d’abord du droit privé, où elle désigne

généralement une situation contractuelle : un acte juridique apparent est conclu dans le but

de tromper un ou plusieurs tiers, et cet acte est contredit par une contre-lettre qui vient

rétablir la volonté réelle des parties. La définition retenue en droit fiscal est globalement la

même, les différences notables tenant surtout au statut particulier de l’administration fiscale,

qui ne saurait être traitée comme un simple tiers de droit privé : la divergence entre la matière

fiscale et le droit privé se retrouvera donc principalement au niveau du régime de la

simulation, car l’administration fiscale disposera d’options qui lui sont propres et dont ne

disposent pas les autres tiers.

169. –– Afin d’appréhender la notion de simulation en droit fiscal, il conviendra de

déterminer dans un premier temps les principales caractéristiques de ce phénomène, puis

dans un second temps de s’intéresser aux manifestations concrètes que peut revêtir une

simulation.

A –– Les caractéristiques de la simulation

170. –– La simulation désigne une situation où « une apparence est volontairement

créée pour induire en erreur les tiers, qui ne connaîtront qu’exceptionnellement la réalité »177.

Cette définition, issue du droit privé et de certaines dispositions du Code civil relatives aux

contrats178, a été reprise par la matière fiscale et répond aux mêmes conditions : le droit fiscal

vient ici se greffer aux concepts du droit privé, en y ajoutant les particularités propres au

recouvrement de l’impôt et au fonctionnement de l’administration. Pour caractériser plus

précisément la notion de simulation, on peut constater qu’elle résulte de la réunion de deux

conditions : il faut un élément matériel, qui se caractérise généralement par l’existence d’un

acte occulte venant contredire un acte apparent, et un élément psychologique, qui traduit la

volonté de tromper un ou plusieurs tiers à l’opération.

177 M. STORCK, « Article 1321 – Fasc. unique : Contrats et obligations – Preuve littérale – Théorie des contre-lettres – Simulation », in J.-Cl. Civil Code, 2016, 1. 178 Article 1201 et s. du C. civ.

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1) L’élément matériel

171. –– L’élément matériel d’une simulation s’apprécie à deux niveaux : il faudra qu’il

existe un acte ostensible contredit par un acte occulte, mais ces deux actes devront également

avoir été conclus de manière concomitante et par les mêmes parties179. Concernant son

existence, aucune condition particulière ne s’impose à l’acte ostensible : il pourra s’agir de

n’importe quel type d’acte juridique, qui sera ensuite exposé en pleine lumière par les auteurs

de la simulation. L’acte occulte, également appelé contre-lettre, n’est en principe pas non plus

soumis à des conditions particulières de validité, mais il devra en revanche être tenu secret

pour caractériser une simulation : il s’agira de l’expression de la volonté réelle des parties qui

aura été masquée par l’acte ostensible. La contradiction entre les deux actes, qui pourra

éventuellement ne porter que sur une partie de l’acte apparent, constitue le cœur de la

simulation, ce qui en fait donc une condition fondamentale.

172. –– Par ailleurs, l’acte apparent et l’acte occulte doivent avoir été conclus de

manière concomitante : il s’agit là d’une autre condition importante de la simulation. La

doctrine considère généralement que les deux actes doivent être contemporains, ce qui

s’accommode très bien du cas où les deux actes sont conclus en même temps. Par contre,

lorsque les deux actes ont été conclus à des moments différents, la qualification de simulation

peut apparaître plus difficile, mais elle n’est pas pour autant impossible : la Cour de cassation

a par exemple pu admettre une simulation lorsque l’acte occulte avait précédé l’acte apparent

d’une durée de quatre ans180. De la même façon, il est concevable pour des parties de rédiger

une contre-lettre quelques temps après la conclusion de l’acte ostensible : exclure la

qualification de simulation par principe dans une telle situation constituerait sans doute une

faveur bien trop grande pour les simulateurs. Ainsi, si la concomitance matérielle de l’acte réel

et de l’acte apparent n’est pas une condition absolue, il faudra tout de même une

« simultanéité intellectuelle » entre les deux actes pour qualifier une simulation : « au

moment où l’acte apparent est présenté aux tiers, la volonté d’en altérer la portée existe dans

l’intention des parties »181. A l’inverse, une « contre-lettre n’a pas pour objet de compléter un

179 F. DEBOISSY, La simulation en droit fiscal, Thèse, LGDJ, 1997, 58. et s. 180 Cass. civ. 1ère, 02/06/1970, Bull. civ. I, n° 186 181 F. DEBOISSY, La simulation en droit fiscal, Thèse, LGDJ, 1997, 89.

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acte inachevé ou imparfait »182 : si l’acte conclu ultérieurement par les parties a pour rôle de

préciser, compléter ou expliquer l’acte apparent initial, on ne pourra pas parler de simulation.

Cette position se retrouve notamment dans la jurisprudence de la Cour de cassation183.

173. –– Le caractère volontaire de la simulation, qui trouve son origine dans la

simultanéité intellectuelle des deux actes, se retrouve plus particulièrement au niveau de

l’élément psychologique.

2) L’élément psychologique

174. –– La simulation implique de créer une apparence trompeuse en vue d’induire un

ou plusieurs tiers en erreur. Il résulte de cette définition la nécessité d’un élément

psychologique pour qualifier une situation de simulation, même si cet élément n’est pas

toujours présent chez tous les auteurs. En réalité, il est possible de scinder cet élément

psychologique en deux modalités particulières : la simulation suppose d’une part une volonté,

et d’autre part une intention. Selon le professeur Florence Deboissy, qui retient cette

distinction, la volonté se définit comme « la faculté de se déterminer librement à agir ou à

s’abstenir en pleine connaissance de cause et après réflexion »184 ; à l’inverse, l’intention

consiste à « se proposer un certain but »185. Pour qu’il y ait simulation, il faut donc que l’acte

apparent et l’acte occulte aient tous les deux été conclus de manière volontaire et libre par

les parties. C’est cet élément qui sépare notamment la simulation de l’erreur : les parties ont

conscience de créer une réalité discordante avec l’apparence qu’ils affichent et choisissent de

le faire en toute connaissance de cause. A cette volonté travestir la réalité viendra s’ajouter

une intention, dont l’objet est de tromper certains tiers. L’intention de la simulation, qui

constitue en quelque sorte la donnée téléologique de l’opération, désigne l’objectif immédiat

visé par les parties : pour retenir la qualification d’une simulation, il faudra nécessairement

que cette intention ait pour objet d’induire les tiers en erreur, en leur cachant la réalité sous

un masque juridique.

182 M. STORCK, « Article 1321 – Fasc. unique : Contrats et obligations – Preuve littérale – Théorie des contre-lettres – Simulation », in J.-Cl. Civil Code, 2016, 1. 183 Cass. civ. 1ère, 26/05/1965, Bull. civ. I, n° 341 184 F. DEBOISSY, La simulation en droit fiscal, Thèse, LGDJ, 1997, 95. 185 Ibid.

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175. –– Malgré l’intention et la volonté de tromper les tiers, inhérentes à toute

simulation, il ne faudra pas confondre cette opération avec la fraude ou avec la dissimulation :

si ces éléments ont certains points communs, il subsiste des différences très marquées.

3) Simulation, fraude et dissimulation

176. –– La simulation visant à tromper les tiers sur une réalité juridique, elle sera

souvent assimilée à la fraude. Cet amalgame sera encore plus marqué sur le terrain du droit

fiscal, où la simulation visera généralement à éviter l’impôt ou à en diminuer le montant. La

dissimulation, autre technique relative à la fraude fiscale, sera alors elle aussi assimilée à la

simulation. Pourtant, ces éléments se doivent d’être distingués, la simulation n’étant pas par

définition par une dissimulation, et pas nécessairement une fraude.

177. –– La distinction entre la simulation et la dissimulation est assez aisée à opérer : la

dissimulation cherche simplement à cacher la réalité, sans lui faire revêtir un masque

quelconque186. Ainsi, sur le terrain de l’élément matériel, elle se distinguera de la simulation

par l’absence d’acte occulte : l’auteur ne crée aucune situation juridique apparente contraire

à la réalité, il se contente de cacher la vérité. Cette idée se prolonge sur le terrain de l’élément

psychologique : l’intention du dissimulateur ne sera pas de tromper les tiers, mais simplement

de garder un élément secret. La distinction trouve son intérêt dans le mode de répression

prévu par le droit fiscal à l’encontre de ces pratiques : la simulation relève de la procédure

particulière de l’abus de droit187, alors que la dissimulation est réprimée selon les règles de

droit commun.

178. –– La simulation est plus délicate à distinguer de la fraude, tant les deux notions

ont tendance à se recouper sur le terrain fiscal. La fraude peut se définir comme un ensemble

de manœuvres juridiques visant à éviter l’application d’une règle impérative, notamment en

allant à l’encontre de l’esprit du législateur. En réalité, si l’intention de la simulation est de

tromper les tiers, il est possible que ce comportement réponde à « des motifs qui n’ont pas

nécessairement une finalité de fraude »188. Cette assertion aura plus tendance à se confirmer

186 F. DEBOISSY, La simulation en droit fiscal, Thèse, LGDJ, 1997, 206. et s. 187 Article 64 LPF 188 M. STORCK, « Article 1321 – Fasc. unique : Contrats et obligations – Preuve littérale – Théorie des contre-lettres – Simulation », in J.-Cl. Civil Code, 2016, 1.

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sur le terrain du droit privé, où un bienfaiteur pourra par exemple chercher à garder

l’anonymat. En droit fiscal, la simulation sera plus souvent frauduleuse, dans le sens où les

parties à l’acte apparent et à l’acte réel chercheront à se soustraire à l’impôt, ou du moins à

en diminuer le montant. Dans ce cas, la fraude participera des motifs qui sont à l’origine de la

simulation. Mais il est possible d’avoir recours à des manœuvres frauduleuses en matière

d’impôt sans nécessairement opérer une simulation : il pourra s’agir d’une fraude à la loi

fiscale, réprimée comme la simulation par la procédure de l’abus de droit. L’extension de cette

procédure au cas d’une fraude à la loi émane d’un arrêt du Conseil d’État189, qui a opéré une

lecture particulièrement large de la loi relative à l’abus de droit pour y inclure la fraude ; cette

décision a ensuite été reprise par la jurisprudence de la Cour de cassation190. Aujourd’hui, la

loi inclut explicitement la simulation et la fraude à la loi fiscale à l’article L64 du Livre des

procédures fiscales, ce qui diminue quelque peu l’intérêt d’une distinction entre les deux

notions.

179. –– Les caractéristiques propres à la simulation ayant été définis, il convient à

présent d’envisager les manifestations réelles de la simulation, et les diverses formes que

cette pratique peut prendre.

B –– Les manifestations de la simulation

180. –– Du fait de sa définition et de ses caractéristiques assez larges, la notion de

simulation peut englober un grand nombre de situations différentes. Toutefois, en droit fiscal

comme en droit privé, on distingue classiquement les simulations selon trois catégories, selon

les effets que l’acte occulte produit sur l’acte apparent191 : il s’agit de la fictivité, du

déguisement et de l’interposition de personne.

189 CE, 10/06/1981, n° 19079, RJF, 9/1981, n° 787 ; Droit fiscal, n° 48-49, 1981, comm. 2187, concl. P. LOBRY 190 Cass. com., 19/04/1988, n° 86-19.079, RJF, 2/1989, n° 250 ; Droit fiscal, n° 32-38, 1988, comm. 1733 191 C. DE LA MARDIERE, « V° Enregistrement – Fasc. 375 : Abus de droit – Textes, historique et notion », in J.-Cl. Notarial Formulaire, 2016, 155.

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1) La fictivité

181. –– La fictivité désigne la situation qui verra un acte apparent totalement anéanti

par un acte occulte : la simulation « porte alors sur l’existence même de l’opération

apparente »192. Cette pratique, qui constitue la version la plus extrême de la simulation, crée

une contradiction totale entre l’apparence et la réalité : on la retrouvera très souvent lorsqu’il

s’agit de mettre en œuvre une fraude pour échapper à l’impôt. En effet, l’acte fictif permettra

de faire apparaître une situation plus favorable pour le contribuable, alors que la réalité

instaurée par la contre-lettre viendra retirer toute forme d’existence au masque de

l’apparence. La fictivité est susceptible de porter sur tous les types d’actes juridiques, mais

force est de constater que le contrat de société y est particulièrement sujet : un contribuable

pourra par exemple chercher à créer une société fictive dans le but de dissimuler ses activités

personnelles, ou encore afin de déduire des charges normalement non déductibles au travers

de déficits fiscaux de complaisance.

182. –– Si la fictivité anéantit l’apparence créée par la simulation, les effets du

déguisement sont moins extrêmes.

2) Le déguisement

183. –– Le déguisement désigne la situation où un acte occulte viendra modifier la

nature ou un des éléments substantiel de l’acte apparent : « l’acte ostensible maquille son

objet véritable en s’affichant sous un costume différent » 193. Les actes déguisés peuvent se

retrouver dans différents pans de la fiscalité. L’exemple le plus classique réside dans le

déguisement d’une donation en vente, les droits perçus en matière de mutation à titre gratuit

étant nettement plus élevés que ceux applicables aux mutations à titre onéreux : il s’agira ici

d’un déguisement portant sur la nature du contrat. Une autre situation que l’on rencontre

fréquemment sera le déguisement du prix, qui portera alors sur un élément particulier de

l’acte : il s’agira ici de faire apparaître un prix de cession inférieur au prix réellement payé par

l’acquéreur afin de réduire l’assiette de l’impôt sur la plus-value constatée.

192 F. DEBOISSY, La simulation en droit fiscal, Thèse, LGDJ, 1997, 226. et s. 193 Ibid., 373. et s.

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184. –– La fictivité et le déguisement affectent directement l’existence ou la

qualification de l’acte apparent, mais il existe un volet de la simulation qui laissera l’acte

apparent quasiment indemne et se contentera d’en altérer certains effets : il s’agit de

l’interposition de personne.

3) L’interposition de personne

185. –– L’interposition de personne, également désignée sous le terme de prête-nom,

désigne la situation où un acte occulte viendra déplacer les effets de droit prévus par l’acte

apparent, conclu entre le prête-nom et un tiers, sur la tête d’une autre personne. La simulation

porte alors sur l’identité d’une des parties à l’acte apparent et la relation ainsi créée sera

dédoublée : « l’acte ostensible conclu entre le prête-nom et le tiers se double d’un acte

occulte passé entre le prête-nom et l’emprunteur de nom » 194. Le domaine de l’interposition

de personne est très large en droit fiscal : il pourra par exemple s’agir d’un prête-nom placé à

la tête d’une société, le véritable dirigeant souhaitant rester dans l’ombre, ou encore d’un

associé prête-nom, afin de constituer une société fictive en l’absence de tout affectio

societatis. La simulation par interposition de personne est particulièrement susceptible de se

retrouver en matière de fiscalité des affaires, au travers des notions d’opérateur économique

réel et apparent : le prête-nom pourra alors être une personne morale, par exemple une

société agissant pour le compte d’une autre société ou d’une personne physique, comme son

dirigeant.

186. –– Après ce succinct tour d’horizon des situations pouvant être qualifiées de

simulation, il convient de s’intéresser au régime juridique applicable à la simulation en droit

fiscal : lorsqu’elle est confrontée aux manœuvres d’un simulateur qui souhaite échapper à

l’impôt, quelles sont les options dont dispose l’administration fiscale ?

194 F. DEBOISSY, La simulation en droit fiscal, Thèse, LGDJ, 1997, 592. et s.

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§2 –– Le régime de la simulation en droit fiscal

187. –– Si le droit fiscal se fonde clairement sur la définition de la simulation issue du

droit privé, c’est là que s’arrête l’analogie possible entre les deux matières. En droit civil, la

simulation n’est pas en tant que telle une source de nullité pour les actes qui ont été conclus.

Ainsi, le régime de la simulation en droit privé prévoit que le tiers trompé par les manœuvres

des parties pourra soit se prévaloir des dispositions de l’acte apparent, soit de celles de l’acte

occulte, sachant que l’acte secret ne lui sera pas opposable195. Ce choix s’en verra par contre

affecté s’il s’avère que le tiers en question a activement participé à la mise en œuvre de la

simulation. Cette dernière analyse ne se retrouvera pas sur le terrain du droit fiscal,

l’administration ne pouvant être considérée comme un simple tiers. C’est pourquoi le régime

de la simulation en droit fiscal obéit à des règles particulières : l’administration disposera

effectivement d’un choix entre la situation apparente et la situation réelle, mais cette

alternative sera conditionnée par sa connaissance de la simulation. Dans le cas où un choix est

possible, il se posera alors la question d’une éventuelle double imposition.

A –– Le choix des armes de l’administration fiscale

188. –– Lorsque l’administration constate ou soupçonne une situation de simulation, on

a pu se demander s’il fallait lui appliquer le même régime qu’au tiers de droit privé. Ce dernier

dispose généralement d’une option : il pourra se prévaloir soit de l’acte réel, soit de l’acte

ostensible, dans la mesure où il ne s’est pas rendu complice de la simulation. Le tiers sera

totalement libre de son choix, peu important qu’il ait pu avoir connaissance de la situation ;

l’article 1201 du Code civil ajoute également que la contre-lettre ne lui sera pas opposable par

les parties à la simulation, ce qui lui permet d’ignorer la réalité des faits si l’apparence lui est

plus favorable. Ces dispositions, prévues par la loi et par la jurisprudence, émanent plus

largement de la théorie de l’apparence, qui a plus ou moins inspiré le juge de l’impôt

concernant le régime de la simulation.

195 Article 1201 du C. civ.

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189. –– La question était alors de savoir si l’administration devait disposer d’un choix

analogue à celui ouvert aux tiers de droit privé dans le cas d’une simulation ayant pour objet

d’éviter l’impôt. Si la possibilité d’imposer la situation réelle, issue de l’acte occulte, ne fait

aucune difficulté, certaines réserves ont pu être émises quant à la possibilité pour

l’administration de se limiter à la situation apparente. En effet, le droit fiscal se caractérise par

son réalisme : l’impôt a avant tout vocation à saisir la réalité des faits, et ne saurait être limité

par les qualifications retenues par les contribuables. Le réalisme du droit fiscal, qui fonde

également le pouvoir de requalification de l’administration, semble commander aux services

fiscaux d’imposer la situation réelle lors d’une simulation. Ce raisonnement a été adopté par

certains droits étrangers, notamment le droit belge, qui ôte tout choix à l’administration

fiscale : celle-ci sera obligée d’imposer la situation réelle si elle est confrontée à une

simulation196. Le droit fiscal belge choisit ainsi de faire systématiquement primer « la réalité

juridique sur la forme juridique »197, en choisissant de retenir uniquement l’acte qui a

réellement refléter la volonté des parties.

190. –– A l’inverse, le droit fiscal français, au travers de la jurisprudence du Conseil

d’État, n’a pas retenu le même raisonnement que le juge de l’impôt belge. En effet, si

l’imposition de la situation réelle demeure le principe en matière de simulation198, il demeure

un choix pour l’administration fiscale de se limiter aux apparences délibérément créées par le

contribuable. Cette solution émane d’une décision majeure du Conseil d’État, rendue dans

l’affaire Lemarchand199 : le juge de l’impôt a estimé qu’une convention de prête-nom n’était

pas opposable à l’administration fiscale et que celle-ci pouvait donc librement choisir

d’imposer la situation apparente mise en place par la simulation. L’option de l’administration

est toutefois conditionnée à la non-révélation de la simulation par les parties : la situation

apparente pourra être imposée si l’administration fiscale a ignoré la simulation ou qu’elle l’a

découverte elle-même au travers de ses investigations ; à l’inverse, si l’acte occulte lui est

directement révélé par le contribuable, par exemple au travers d’une déclaration de revenus,

196 B. SAVADOGO, Le traitement fiscal des revenus de source étrangère en droit français et belge, Thèse, Bordeaux, 2012, p. 126 et s. 197 T. LINARD DE GUERTECHIN, Analyse du principe de réalité en droit fiscal belge, européen et international, Mémoire, Université catholique de Louvain, 2015, p. 17 198 F. DEBOISSY, La simulation en droit fiscal, Thèse, LGDJ, 1997, 700. et s. 199 CE, 20/02/1974, Lemarchand, n° 83270, Lebon 1974 ; Droit fiscal, n° 30, 1974, comm. 958, concl. D. MANDELKERN

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alors l’administration perdra le droit de se prévaloir de l’acte apparent200. La théorie de

l’apparence en droit fiscal se voit donc conditionnée à l’ignorance de la réalité par les services

fiscaux, ce qui revient à les traiter de manière plus sévère que le tiers de droit privé.

191. –– Lorsque l’administration dispose de l’option entre la situation réelle et la

situation apparente, son choix conditionnera la procédure à suivre : si elle opte pour

l’apparence, le redressement éventuel se fera selon les règles de droit commun, mais si elle

choisit de dénoncer la simulation pour se prévaloir de la situation réelle, alors il faudra avoir

recours à la procédure de l’abus de droit201. Dans le cas contraire, l’administration priverait le

contribuable des garanties spéciales inhérentes à cette procédure et pourrait être

sanctionnée par le juge pour avoir commis un « abus de droit rampant », c’est-à-dire avoir

cherché à sanctionner une simulation ou une fraude à la loi sans passer par la procédure de

l’article L64 du Livre des procédures fiscales202.

192. –– Certains auteurs ont pu estimer que l’option pour l’apparence laissée à

l’administration fiscale émanait de l’idée d’une sanction pour le contribuable et s’inscrivait

dans une ligne de moralisation de la vie économique. Mais d’autres, à l’instar du professeur

Florence Deboissy, considèrent que la notion de peine ou de sanction est totalement

extérieure à la simulation : l’option pour l’apparence de l’administration fiscale s’inscrit en

réalité dans la lignée du principe de réalisme du droit fiscal. En effet, même si les deux notions

semblent opposées, l’acte ostensible constitue la position que le contribuable a prise vis-à-vis

de l’administration : celui-ci sera alors lié par sa décision et devra en assumer les

conséquences envers les services fiscaux, ce qui fonde leur droit à se prévaloir de l’apparence

créée par le contribuable203.

193. –– Le choix de l’administration fiscale pour l’apparence ou la réalité ne faisant plus

aucun doute, force est de constater que la question de la double imposition qui pourrait en

découler n’est que très rarement évoquée. C’est pourquoi il convient de s’interroger sur la

possibilité éventuelle pour l’administration d’imposer à la fois la situation réelle et la situation

apparente.

200 F. DEBOISSY, La simulation en droit fiscal, Thèse, LGDJ, 1997, 967. et s. 201 Article L64 du LPF 202 C. DE LA MARDIERE, « V° Enregistrement – Fasc. 375 : Abus de droit – Textes, historique et notion », in J.-Cl. Notarial Formulaire, 2016, 336. 203 F. DEBOISSY, op. cit., 1023. et s.

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B –– Vers une double imposition ?

194. –– La double imposition qui résulterait du cumul des deux options laissées à

l’administration, c’est-à-dire la taxation de la situation apparente et de la situation réelle, n’est

pratiquement jamais évoquée en doctrine, en tout cas en matière d’imposition des revenus.

Cela s’explique probablement par le fait que l’administration n’a jamais explicitement cherché

à prélever un double droit lorsqu’une simulation est découverte : elle choisit généralement la

voie la plus intéressante entre l’apparence et la réalité.

195. –– A l’inverse, la question de la double imposition d’une simulation a pu se poser à

quelques occasions en matière de droits d’enregistrement et d’interposition de personne : la

Cour de cassation juge en effet depuis longtemps que lorsqu’une personne interposée se

porte acquéreur d’un bien pour le compte d’une autre et qu’elles sont liées par une

convention de prête-nom, l’administration pourra percevoir un double droit de mutation, sauf

s’il s’agit d’une vente avec réserve de command régulièrement conclue204. Ainsi, dans cette

situation, l’auteur de l’interposition de personne et la personne interposées seront tous deux

redevables des droits de mutations portant sur le bien acquis : la Chambre des requêtes avait

déjà résumé cette décision en son temps205. On pourrait considérer que la double perception

des droits de mutations par les services fiscaux constitue une double imposition économique,

mais il s’agit plutôt en réalité d’un particularisme inhérent aux droits d’enregistrement lorsque

l’administration se cantonne à l’apparence. En effet, comme le rappelle justement le

professeur Florence Deboissy, « la double taxation est une manifestation de la faculté offerte

à l’administration de s’en tenir à la situation apparente »206 : si l’on se limite aux apparences,

la personne interposée s’est portée acquéreur du bien et en est devenue propriétaire, ce qui

l’oblige à s’acquitter des droits de mutation ; elle a ensuite transmis la propriété du bien à

l’auteur de l’interposition de personne, qui devra à son tour régler les droits d’enregistrement.

Il n’y a donc pas à proprement parlé une double imposition économique, mais plutôt deux

impositions successives, ce qui est relativement habituel en matière de droit

d’enregistrements.

204 Selon l’article 686 du CGI, pour éviter le double droit de mutation, la réserve de command doit être inscrite au contrat initial et la déclaration doit être effectuée par acte public dans les 24 heures suivant l’acte. 205 Cass. req., 10/02/1936 206 F. DEBOISSY, La simulation en droit fiscal, Thèse, LGDJ, 1997, 617.

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196. –– La question d’une double imposition de revenus dans le cadre d’une simulation

reste toutefois encore entière. Si on transpose le raisonnement opéré précédemment en

matière de droits d’enregistrements au cas de l’impôt sur les revenus ou sur les sociétés, peut-

on envisager une double imposition ? Il semble que l’administration n’ait jamais envisagé

cette possibilité, mais on pourrait éventuellement l’inscrire dans le prolongement de la

théorie de l’apparence. Par exemple, si un dirigeant a recours à une interposition de personne

morale avec la société qu’il dirige pour masquer une partie de ses revenus, il s’agira d’une

simulation où l’opérateur économique apparent est la société, supposant qu’elle n’est pas

fictive, et l’opérateur économique réel est son dirigeant. L’administration pourra alors soit

dénoncer la simulation et imposer la situation réelle par la voie de l’abus de droit, soit elle

pourra s’en tenir aux apparences : en l’occurrence, on pourra considérer que la société a perçu

les revenus de l’opération économique, puis les a directement reversés à son dirigeant sous

la forme d’une rémunération occulte207. Dans ce cas, en se fondant sur la théorie de

l’apparence, il est envisageable que l’administration impose à la fois l’opérateur apparent et

l’opérateur réel, l’un étant imposé consécutivement à l’autre. Aucune règle impérative ne fait

a priori obstacle à ce raisonnement, la double imposition économique n’ayant rien d’illégale

en soit. L’exemple fonctionnerait aussi dans le cas d’une interposition de personne physique,

en considérant que le prête-nom perçoit le revenu, puis effectue une donation au profit de la

personne à l’origine de l’interposition : la seconde imposition résidera alors dans les droits de

mutation à titre gratuit, mais il faudra toutefois démontrer l’existence d’une intention

libérale208.

197. –– La double imposition en matière d’interposition de personne semble ainsi

envisageable car il est possible d’appréhender la situation en deux temps, en se fondant sur

la théorie de l’apparence : l’acteur économique apparent perçoit le revenu, puis il le reverse

à l’acteur économique réel, puisque c’est ce dernier qui en sera le bénéficiaire effectif.

L’opération peut ainsi être découpée en deux et l’imposition sera double car elle frappera

consécutivement chacun des opérateurs. D’une certaine façon, dans le cas de l’interposition

de personne, la situation apparente englobe la situation réelle en y ajoutant une étape

intermédiaire, ce qui permet de réconcilier les deux.

207 Selon l’article 111, c. du CGI, la rémunération occulte constitue un revenu distribué de manière irrégulière, qui sera imposé chez le bénéficiaire dans la catégories des revenu de capitaux mobiliers mais n’ouvrira pas droit à l’abattement de 40 % prévu par l’article 158, 3., 2°. 208 Article 893 du C. civ.

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198. –– En-dehors du cas particulier de l’interposition de personne, il semble très délicat

de justifier une double imposition éventuelle en matière de simulation. Dans le cas d’une

fictivité209 ou d’un déguisement210, le raisonnement précédent ne pourra pas s’appliquer, car

la situation apparente et la situation réelle sont irréconciliables. En effet, si l’on considère par

exemple qu’une société est fictive, alors elle ne pourra pas être imposée puisqu’elle n’a

aucune existence, il sera seulement possible d’établir l’impôt selon la situation réelle ; à

l’inverse, la société pourra être imposée sur le fondement de la théorie de l’apparence, mais

elle ne saurait alors être considérée comme fictive, puisqu’elle perçoit des revenus, et il

n’existerait donc plus de motif valable pour imposer l’opérateur réel. De la même façon, en

matière de déguisement, si l’on prend l’exemple d’une simulation visant à travestir une

donation en vente, il n’est pas possible d’appliquer des droits de mutation à titre gratuit sur

le fondement de la situation réelle, tout en appliquant également des droits de mutation à

titre onéreux sur le fondement de l’apparence.

199. –– Ainsi, il ne semble pas que la double imposition en matière de simulation

constitue un véritable risque à l’heure actuelle. Si l’administration envisageait une double

imposition dans le cas d’une apparence fictive ou déguisée, elle serait en réalité contrainte de

soutenir deux thèses opposées et contradictoires, ce qui est inenvisageable en pratique.

Toutefois, une double imposition pourrait résulter d’une application stricte de la théorie de

l’apparence dans le cas particulier de l’interposition de personne. Ce phénomène pourrait

alors s’analyser comme le prix à payer par les contribuables qui souhaitent rester dans l’ombre

et se cacher derrière des hommes de paille.

209 Voir supra n° 181. 210 Voir supra n° 183.

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CONCLUSION DU TITRE I

200. –– Qu’elle soit de nature économique ou juridique, la double imposition demeure

pour une part non négligeable dans la vie des opérateurs économiques. Ce phénomène est

particulièrement marqué en matière internationale, car chaque État souhaite conserver sa

souveraineté fiscale. La conclusion de conventions fiscales permet de lutter contre les doubles

impositions, mais cela ne saurait suffire en l’état actuel des choses : si les conventions sont

certes contraignantes, les États signataires disposent toujours d’une certaine marge de

manœuvre, tant dans l’interprétation que pour l’application des traités. Par ailleurs, si la

fiscalité internationale est le domaine de prédilection de la double imposition, celle-ci

n’épargne pas pour autant le droit interne. En effet, la fiscalité des sociétés et des revenus

distribués, ainsi que la simulation, sont autant d’éléments susceptibles d’être frappés par une

double imposition économique.

201. –– La véritable difficulté posée par les doubles impositions réside en deux points :

d’une part, l’enjeu est considérable pour les opérateurs économiques comme pour

l’administration, autant pour des raisons financières qu’au regard de l’idée de justice fiscale.

En effet, aucun État ne peut délibérément ignorer, voire encourager la double imposition : le

fait qu’un contribuable doive participer doublement à l’effort financier envers les charges

publiques ne saurait être en accord avec le principe d’égalité devant l’impôt. D’autre part, la

double imposition peut prendre un grand nombre de formes différentes, ce qui rend alors la

tâche visant à les combattre assez délicate. Si tout le monde s’accorde sur le fait qu’elles

doivent être évitées autant que faire se peut, et qu’elles doivent être combattues dans la

mesure où elles viendraient à exister, il demeure que les doubles impositions constituent le

plus souvent une simple conséquence de l’application de règles fiscales discordantes ou

inadaptées. L’origine des doubles impositions semblent ainsi se trouver dans l’application de

règles fiscales de sources différentes, par des administrations fiscales qui manquent parfois

de recul et se concentrent avant tout sur le caractère financier des opérations économiques.

202. –– La question de l’origine des doubles impositions ayant été traitée, il convient à

présent de se pencher sur la forme que peut prendre la lutte contre ce type de situation. En

effet, les États ont pour la plupart conscience de l’entrave que constitue la double imposition

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pour les opérations économiques internes comme internationales. Même si le phénomène ne

sera sans doute jamais véritablement éradiqué, il existe plusieurs voies envisageables pour le

combattre : des mesures visent d’abord à prévenir les situations de double imposition et, en

cas d’échec de la prévention, des procédures permettent de corriger a posteriori la double

taxation dont le contribuable a fait l’objet. Après avoir cherché à dessiner les contours de

l’origine de la double imposition, nous tenterons à présent de dresser le portrait de la lutte

contre ce phénomène.

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TITRE II

LA LUTTE CONTRE LES DOUBLES IMPOSITIONS

203. –– Depuis l’émergence du phénomène de double imposition, la majorité des États

et des opérateurs économiques ont perçu le problème qu’il constitue. Non seulement ce type

de situation porte atteinte au principe fondamental d’égalité devant l’impôt211, mais il

s’oppose également à toute forme de justice fiscale. Par ailleurs, la double imposition pose de

très sérieuses limites au développement économique des entreprises, en particulier au sein

de l’Union européenne, où elle entre en contradiction frontale avec l’idée d’un marché

intérieur européen, tel que prévu par le Traité sur le fonctionnement de l’Union

européenne212. En effet, les phénomènes de double imposition sont susceptibles de générer

des « distorsions et autres discriminations » et de grever « la compétitivité et le dynamisme

des entreprises européennes face au reste du monde »213. Les problématiques liées à ce

phénomène et la nécessité de les combattre sont donc bien présentes à l’esprit de certains

acteurs supranationaux, comme l’OCDE et les institutions européennes.

204. –– L’idée de lutte contre les doubles impositions n’est toutefois pas nouvelle. Dans

une approche historique, on notera le rôle précurseur de la Société des Nations en matière de

négociations internationales relatives à l’impôt, par l’intermédiaire du comité fiscale de

l’Organisation économique et financière. Dans les années 1920, les négociations fiscales

menées par les États présentent avant tout un caractère d’expertise technique, mais chacun

tient déjà à favoriser les intérêts qui lui sont propres, craignant de voir des décisions

contraignantes émanant de l’organisation contrarier leur souveraineté. Par la suite, ces

premiers travaux ont pris une dimension indéniablement politique, et les négociations ont

abouti à un certain nombre d’accords bilatéraux : la possibilité d’un traité fiscal multilatéral

s’était heurtée aux « positions antagonistes des camps britanniques et français »214. Si la

problématique majeure traitée au cours de ces discussions concerne explicitement la double

211 Article 13 de la DDHC 212 Article 3, 3. du TFUE 213 V. DE SAINT-BLANQUAT, « La double imposition des entreprises : le point de vue du MEDEF », Revue de Droit fiscal, n° 9, 2011, p. 226 214 C. FARQUET, « Expertise et négociations fiscales à la Société des Nations (1923 – 1939) », Relations internationales, n° 142, 2010, p. 6

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imposition, les négociations porteront également sur la question de l’évasion fiscale,

notamment au cours des années 1930215. Même si les travaux de la Société des Nations en

matière fiscale n’ont pas eu d’incidence majeure sur l’économie mondiale, en particulier du

fait de la crise financière de 1929 et de la Seconde Guerre mondiale, leur forme et les

méthodes mises en œuvre seront par la suite reprises par l’OCDE. Ainsi, les travaux ayant

abouti au modèle de convention fiscale utilisé par la plupart des États216 ou aux projets de

type BEPS217 trouvent leur origine dans des pratiques nées au début du XXe siècle.

205. –– La lutte contre les doubles impositions ne constitue donc pas réellement une

problématique nouvelle en tant que telle. Le sujet a été longuement évoqué par les États, par

les experts en fiscalité, et même par les contribuables. Un certain nombre de mesures ont été

adoptées dans l’optique de limiter l’ampleur de ce phénomène : la France dispose par

exemple d’un grand réseau de conventions fiscales signées avec d’autres États, et sa place

dans l’intégration européenne constitue encore un exemple de sa volonté

d’internationalisation. Mais il n’en demeure pas moins que la problématique est toujours

d’actualité, le problème de la double imposition n’ayant jamais été véritablement réglé :

comme l’écrivait le professeur Daniel Gutmann en 2011, « la double imposition demeure bien

vivante »218. Pour s’en convaincre, il suffit de se référer aux résultats d’une consultation

publique menée par la Commission européenne en 2010219 : après avoir interrogé un certain

nombre d’opérateurs économiques, il s’est avéré qu’une écrasante majorité d’entre eux

témoignaient avoir déjà fait l’objet d’une double imposition internationale220. Dans la plupart

des cas, une convention fiscale internationale était applicable221.

206. –– La double imposition constitue donc aujourd’hui un enjeu majeur pour les

contribuables, en particulier les opérateurs économiques, mais également pour les États qui

souhaitent favoriser les échanges et l’internationalisation de leur économie. Si la volonté de

215 C. FARQUET, « Expertise et négociations fiscales à la Société des Nations (1923 – 1939) », Relations internationales, n° 142, 2010, p. 6 216 OCDE, Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune – Version complète, 9e édition, 2014 217 Id., Lutter contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert des bénéfices, 2013 218 D. GUTMANN, « La double imposition : problèmes contemporains – Introduction au dossier », Droit fiscal, n° 9, 2011, p. 225 219 Commission européenne, Consultation sur les conventions préventives de la double imposition dans le marché intérieur : exemples concrets de double imposition, 2010 220 Id., Summary report of the responses received Commission’s consultation on double taxation convention and the internal market: factual examples of double taxation cases, 2011, p. 15 221 Ibid., p. 17

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lutte contre ce phénomène est établie, il reste à déterminer la forme que celle-ci devra

prendre.

207. –– Traditionnellement, la lutte contre la double imposition se manifeste sous deux

axes particuliers. D’une part, on cherchera généralement à éviter les doubles impositions au

travers d’une politique de prévention, tant au niveau de la loi interne qu’au niveau

international avec les conventions fiscales ; s’ajoutera à cela l’interprétation de ces textes par

les juges nationaux et supranationaux. L’idée consistera à adapter les règles de droit aux

conditions économiques, afin d’éviter la survenance d’une surcharge fiscale. D’autre part,

lorsqu’une situation de double imposition survient malgré la prévention mise en œuvre par la

loi et le juge, on pourra envisager de l’éliminer au travers d’une procédure de correction des

doubles impositions. Il s’agira alors de trouver une solution pragmatique pour que les

administrations fiscales impliquées acceptent de renoncer à l’imposition initialement prévue.

CHAPITRE I –– LA PRÉVENTION DES DOUBLES IMPOSITIONS

CHAPITRE II –– LA CORRECTION DES DOUBLES IMPOSITIONS

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CHAPITRE I

LA PRÉVENTION DES DOUBLES IMPOSITIONS

208. –– La lutte contre les doubles impositions passe dans un premier temps par la

prévention de ce phénomène. Il s’agit par ailleurs de l’axe majeur développé par les États et

les instances supranationales : il est en effet plus avantageux d’éviter la double imposition

avant qu’elle n’apparaisse, les dispositions de la loi et des conventions ayant anticipé

d’éventuelles difficultés. Par ailleurs, lorsque la prévention se montre efficace, le contribuable

n’aura généralement pas à supporter le poids de la double imposition, ce qui constitue un réel

avantage pour les opérateurs économiques. Ainsi, la prévention reste donc le premier mode

de lutte contre la double imposition car elle permettra d’éviter d’éventuelles procédures de

correction, permettant ainsi une économie de temps et de moyens.

209. –– Le contexte économique actuel étant fortement marqué par la mondialisation,

les États cherchent à encourager les investissements et le développement de leurs

entreprises. Si la fiscalité peut constituer une incitation forte pour les opérateurs

économiques, l’existence, même éventuelle, d’une double imposition peut véritablement

freiner ce développement. C’est donc dans ce contexte particulier, marqué par « l’affirmation

d’une économie mondialisée », qu’est apparue « une crise de la relation entre l’impôt, l’État

et son territoire »222. La double imposition, qui caractérise clairement une dérive, ou du moins

une imperfection du système, se doit alors d’être évitée.

210. –– Dans leur volonté d’encourager les échanges internationaux et le

développement économique, les États disposent d’un certain nombre d’outils pour prévenir

les doubles impositions. Le premier moyen résidera dans les règles de droit écrit, à

commencer par la loi nationale, qui sera la source majeure du droit fiscale : en France, la

Constitution prévoit notamment que la loi fixe « l’assiette, le taux et les modalités de

recouvrement des impositions de toute nature »223. Les dispositions prévues par les lois

internes pourront alors être complétées par les conventions fiscales internationales : leur

objet sera avant tout la lutte contre la double imposition, ainsi que contre la fraude et

222 B. CASTAGNEDE, Précis de fiscalité internationale, 5e édition, 2015, Avant-propos 223 Article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958

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l’évasion fiscales224. Les conventions prévoient notamment des méthodes analytiques de

prévention des doubles impositions comme l’imputation ou l’exemption225. Toutefois, leur

principale limite résidera dans le principe de subsidiarité dégagé par la jurisprudence du

Conseil d’État226 : celui-ci se traduira concrètement par une étude prioritaire du droit interne

en matière fiscale227. Enfin, le droit européen relatif à la fiscalité pourra éventuellement être

amené à jouer un rôle déterminant en matière de double imposition, même si la sphère de la

fiscalité directe ne tombe que de manière très limitée dans le champ de compétences des

institutions européennes. Mais comme l’a montré l’harmonisation récente de l’Union

européenne en matière de fiscalité indirecte228, notamment pour la TVA, les institutions sont

capables d’une certaine efficacité pour traiter ce type de problème.

211. –– Si les règles de droit écrit ne sont pas suffisantes pour prévenir les doubles

impositions, un second moyen de lutte contre ce type de situation pourra résider dans le

travail du juge. En effet, celui-ci pourra être amené à interpréter les règles prévues par les

normes écrites, notamment lorsque celles-ci sont obscures, silencieuses ou inadaptées à la

réalité économique. Par ailleurs, la jurisprudence pourra devenir une source de droit à part

entière en faisant application des grands principes du droit fiscal ou du droit international. Les

juges amenés à statuer sur des questions fiscales pourront alors être nationaux, dans le cas

de la loi fiscale interne ou dans le cas de conventions internationales, ou supranationaux, dans

les cas particuliers de l’Union européenne, voire éventuellement de la Cour européenne des

droits de l’homme.

212. –– La lutte contre les doubles impositions au travers de mécanismes de prévention

résultera donc de l’articulation entre les dispositions prévues par le droit fiscal interne et

international, et l’interprétation de ces règles par le juge, en conformité avec les principes

généraux du droit. Nous envisagerons donc d’une part l’étude des normes écrites de la

fiscalité, puis d’autre part le rôle du juge, national et supranational, dans l’application de ces

règles.

224 J. SCHMIDT et al., Lamy Fiscal, 2017, n° 4348 225 Administration fiscale, BOFiP, BOI-INT-DG-20-20-100-20160603, § 40 et s. 226 M.-C. BERGERÈS, « Conventions internationales – Le principe de subsidiarité des conventions fiscales internationales », Droit fiscal, n° 36, 2005, 30. 227 C. DAVID et G. GEST, « Impôts », Répertoire de droit international, Dalloz, 2016, 28. 228 Articles 110 à 113 du TFUE

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Section I

LA PRÉVENTION DES DOUBLES IMPOSITIONS PAR LA LOI ET LES

CONVENTIONS FISCALES INTERNATIONALES

213. –– Dans la plupart des branches du droit, le cœur des dispositions applicables

réside dans des sources écrites. Les textes constituent donc l’origine principale de la plupart

des règles en vigueur. En particulier en matière fiscale, la Constitution prévoit que

l’établissement de l’impôt et les modalités de son recouvrement sont établis par la loi229. Ce

monopole législatif en matière fiscale traduit en réalité le principe fondamental de

consentement à l’impôt230 : les citoyens participent à la mise en place de l’impôt et y

consentent par l’intermédiaire de leurs représentants, notamment au travers du vote des lois

de finances par le Parlement. Comme la double imposition ne fait pas exception à ces règles,

la loi constituera donc également la première source de droit en matière de lutte contre ce

phénomène.

214. –– Malgré son rôle majeur, la loi ne saurait suffire en elle-même à concentrer

toutes les dispositions relatives à l’impôt et aux doubles impositions. En matière

internationale, le droit fiscal interne se verra doublé d’un volet conventionnel, au travers de

conventions visant à lutter contre la double imposition et contre l’évasion fiscale. Ces textes

internationaux sont généralement négociés entre deux États, ce qui conduit à un grand

nombre de conventions en vigueur, chacune ayant des spécificités propres. Toutefois, la

plupart de ces traités présentent des articles relatifs aux mêmes thèmes, et même parfois des

parties très semblables : ces textes s’inspirent souvent du modèle de convention proposé par

l’OCDE231. Les dispositions propres à chaque convention résulteront ensuite des négociations

menées entre la France et l’autre État signataire, chaque gouvernement ayant des

préoccupations particulières en matière d’impôts.

215. –– Par ailleurs, la France étant membre de l’Union européenne depuis longtemps,

il faudra également tenir compte de l’ordre juridique européen en matière fiscale. Le droit de

l’Union a joué un rôle majeur dans certains domaines de la fiscalité, en particulier en matière

229 Article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958 230 Article 14 de la DDHC 231 OCDE, Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune – Version complète, 9e édition, 2014

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de taxes sur le chiffre d’affaires : la fiscalité indirecte a donc fait l’objet d’une importante

harmonisation au sein de l’Union européenne232. A l’inverse, la fiscalité directe n’est pas

couverte en tant que telle par les traités fondateurs : l’harmonisation en la matière résulte

davantage du travail de la Cour de justice que de règlements ou de directives émanant des

institutions européennes233. Même si elles sont peu nombreuses, les règles de droit européen

en matière de fiscalité directe ont tout de même vocation à s’appliquer aux États membres,

selon le principe de primauté du droit européen, consacré par la jurisprudence de la Cour de

justice234. Même s’il est limité, le droit européen pourra donc constituer une voie envisageable

pour prévenir les éventuelles situations de double imposition.

216. –– La prévention de ce phénomène au travers de règles issues de source écrite peut

donc être envisagée selon trois axes : d’abord, nous traiterons du rôle majeur de la loi, qui

constitue la source principale du droit fiscal, tant interne qu’international ; ensuite, nous

étudierons l’impact des conventions fiscales concernant la lutte contre les doubles

impositions ; enfin, nous évoquerons le cas particulier du droit européen et de l’ordre

juridique qu’il implique.

§1 –– La loi fiscale

217. –– La loi constitue la principale source de droit en matière fiscale. Toutefois, la

double imposition n’est pratiquement jamais évoquée en tant que telle dans les textes

internes. Le rôle préventif de la loi fiscale contre ce phénomène est en réalité assez discret, et

apparaît au travers de mesures particulières. Le législateur français a prévu un certain nombre

de mesures permettant d’éviter une éventuelle double imposition, tantôt juridique, tantôt

économique. Généralement, ces dispositifs s’inscrivent dans une volonté d’encadrer ou

d’encourager l’activité des entreprises, souvent dans un contexte mondialisé. L’objectif

poursuivi par le législateur est alors souvent d’éviter une charge fiscale trop lourde et

d’aboutir à une meilleure justice fiscale. Le risque de double imposition s’en voit alors

logiquement réduit.

232 Articles 110 à 113 du TFUE 233 Parlement européen, « Politique fiscale », Fiche techniques sur l’Union européenne, 2017 234 CJCE, 15/07/1964, Costa c/ ENEL, n° 6/64, Rec. CJCE 1964, p. 1141

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218. –– Les développements suivants n’auront pas la prétention d’être exhaustifs en ce

qui concerne les dispositions législatives ayant pour objet ou pour effet de prévenir les

doubles impositions. Nous envisagerons d’une part le rôle de la loi fiscale comme mode de

prévention des doubles impositions en nous attardant plus précisément sur certaines mesures

importantes. Puis nous évoquerons d’autre part le cas particulier des garanties prévues contre

les changements de position de l’administration, comme le rescrit fiscal, qui constitue un

moyen intéressant d’éviter une double imposition future.

A –– Des dispositifs permettant d’éviter la double imposition

219. –– Si la double imposition n’est pas directement évoquée par la loi, le législateur

n’en est pas moins conscient des difficultés posées par ce phénomène. Outre la surcharge

financière qu’une double imposition représente pour une entreprise ou un particulier,

l’existence même d’un double prélèvement peut conduire à une réelle injustice fiscale. Face

à une telle situation, de nombreux contribuables seront tentés de remettre en cause les règles

fiscales dans leur ensemble, et se dirigeront alors de plus en plus vers la fraude ou l’évasion

fiscale. Par ailleurs, la double imposition ne saurait être ignorée par le législateur, étant donné

qu’elle va à l’encontre du principe d’égalité devant l’impôt235 : en effet, si certaines personnes

sont amenées à contribuer deux fois à « l’entretien de la force publique » et aux « dépenses

d’administration », alors la contribution ne sera plus « également répartie entre tous les

citoyens, en raison de leurs facultés ». De plus, dans un contexte d’économie mondialisée

propice à la mobilité des actifs et des flux financiers, les plus grands contribuables seront les

mieux armés pour mettre en œuvre des stratégies d’optimisation fiscale ; il en résultera alors

comme conséquence directe un alourdissement de la charge fiscale pesant sur les

contribuables plus modestes, comme les PME ou les particuliers236. Ce type de phénomène,

encouragé par les mutations économiques, risque de mettre en péril les principes les plus

fondamentaux du droit fiscal. C’est la raison pour laquelle la loi prévoit des mesures visant à

éviter, ou du moins contenir, certaines dérives, comme les situations de double imposition.

235 Article 13 de la DDHC 236 J. TUROT et al., Lamy Optimisation fiscale de l’entreprise, 2014, n° 409-2

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220. –– Nous évoquerons principalement trois types de dispositions législatives

permettant d’éviter les doubles impositions : d’abord, le sort des impôts payés à l’étranger

par les opérateurs économiques français ; ensuite, le cas des groupes de sociétés au travers

du régime mères et filiales ; enfin, nous traiterons de quelques exemptions unilatérales

prévues par le droit fiscal français en matière d’opérations internationales.

1) L’impôt payé à l’étranger

221. –– La double imposition juridique représente un phénomène relativement

fréquent en fiscalité internationale : il s’agit de la situation où un contribuable se verra

appliqué le même impôt par deux États distincts, pour une même opération et une même

période237. Si aucune mesure particulière n’est prévue, toute opération présentant un

caractère international risque d’être victime d’une double imposition. Par exemple,

lorsqu’une société française perçoit des revenus de source étrangère, ceux-ci font

généralement l’objet d’une retenue à la source dans l’État d’origine, avant d’être assujettis

une seconde fois à l’impôt en France. Cette situation peut être corrigée par les dispositions

d’une convention fiscale, mais l’application du droit commun ne permettra généralement pas

d’éviter la double imposition. Le législateur français a toutefois prévu de limiter ce

phénomène en tenant compte, d’une certaine façon, de l’impôt payé à l’étranger.

222. –– Selon l’article 39, 1., 4° du Code général des impôts, les impôts et taxes payés à

l’étranger constituent une charge déductible pour l’entreprise française, sous réserve des

règles de territorialité applicables en matière d’impôt sur les sociétés : pour être déductibles,

les impôts payés à l’étranger doivent être relatifs à des produits assujettis à l’impôt sur les

sociétés français238. Si l’on peut se réjouir de la prise en compte de l’impôt étranger dans le

calcul du résultat imposable des sociétés françaises, la double imposition n’est en revanche

pas totalement évitée. En effet, la prise en compte d’une charge déductible n’a pas le même

effet qu’un crédit d’impôt, et ne présente donc pas le même intérêt qu’un mécanisme

d’imputation239.

237 OCDE, Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune – Version abrégée, 9e édition, 2014, p. 7 238 F. LE MENTEC, « Fasc. 3580 : Traitement fiscal – Redevances », in J.-Cl. Fiscal International, 2016, 71. 239 Voir supra n° 76.

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223. –– La loi fiscale permet ainsi de réduire la surcharge fiscale liée à la double

imposition en matière de revenus internationaux, mais ne permet clairement pas de l’éliminer

entièrement. Les dispositions relatives à l’impôt payé à l’étranger relèvent davantage d’une

logique économique, considérant que les charges légitimement supportées par les entreprises

doivent être prises en compte pour le calcul de l’impôt dont elles sont redevables. Comme les

impôts étrangers ne peuvent généralement pas être évités, notamment dans le cas d’une

retenue à la source, il paraît donc logique de permettre aux entreprises de les déduire

fiscalement pour ne pas les décourager d’investir à l’étranger. La lutte contre la double

imposition ne semble ici que très secondaire, le phénomène n’étant que légèrement atténué

en l’absence de convention fiscale internationale.

224. –– Un autre exemple de disposition législative visant à prévenir les doubles

impositions réside dans le régime des sociétés mères et filiales : si l’inspiration de la loi est

également en grande partie économique, le résultat en termes de prévention des doubles

impositions est plus notable.

2) Le régime des sociétés mères et filiales

225. –– Les groupes de sociétés représentent une part très importante de l’économie,

en particulier internationale : il s’agit généralement d’un ensemble de plusieurs entreprises,

unies au travers de liens notamment financiers, et qui font prévaloir une unité de décision au

sein du groupe, incarnée par la société mère240. Un groupe de sociétés ne dispose d’aucune

personnalité morale propre, en raison du principe d’indépendance patrimonial des différentes

entités qui en font partie241 : seules les sociétés qui en sont membres pourront être

considérées comme des personnes de droit privé. Toutefois, le droit fiscal se révèle moins

rigide sur ce point que le droit commercial, c’est pourquoi il accorde une importance plus

grande à la notion de groupe242.

226. –– Un des éléments majeurs qui caractérise la notion de groupe se trouve dans les

flux financiers entre les entités qui le composent. Par exemple, dans le cas d’une société mère

de type holding, c’est-à-dire dont l’objet social réside dans la détention des titres de ses

240 A. LEVY et al., Lamy Droit commercial, 2017, n° 3149 241 Cass. com., 15/11/2011, n° 10-21.701, RJDA, 3/2012, n° 366 ; Droit des sociétés, n° 10, 2012, comm. 157, note R. MORTIER 242 Voir supra n° 117. et s.

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filiales, les principaux flux financiers seront les résultats des autres entités qui remontent vers

la société mère sous forme de dividendes. Ces résultats ayant déjà fait l’objet d’une imposition

au niveau du compte de résultat des filiales, les intégrer tels quels dans le résultat de la société

mère conduirait à une situation de double imposition économique. Pour éviter la surcharge

fiscale qui pourrait alors apparaître, et pour ne pas décourager les sociétés de se constituer

en groupe, la loi fiscale est venue prévoir un régime particulier pour les dividendes qu’une

filiale reverse à sa société mère243. Cette règle existait depuis un certain temps en droit

interne, mais elle a fait l’objet de certaines adaptations avec l’intervention du droit européen,

notamment au travers de plusieurs directives, dont la dernière date de 2011244. Sous la forme

qu’il revêt aujourd’hui, le régime des sociétés mères et filiales nécessite notamment que deux

conditions soient remplies : selon l’article 145 du Code général des impôts, la société mère

doit détenir au moins 5 % des participations de sa filiale, pour une durée d’au moins deux ans.

Si ces conditions sont réunies, l’article 216 du même code prévoit que les dividendes perçus

pourront être retranchés du résultat de la société mère, après la défalcation d’une quote-part

de 5 % pour frais et charges. Même si on pourrait voir ici une surcharge fiscale injustifiée qui

pèse sur la société mère, le taux fixé par la loi à 5 % pour la quote-part de frais et charges est

trop faible pour pouvoir réellement parler d’une double imposition.

227. –– Ce régime spécial a pour objet de lutter contre les situations de double

imposition économique qui risquaient d’apparaître au sein des groupes de sociétés. Les

conditions prévues sont relativement simples à remplir, car on peut difficilement parler de

groupe de sociétés ou de filiale lorsque l’on est en présence d’une participation inférieure à 5

% ; par ailleurs, les groupes ont vocation à s’inscrire dans une structure de long terme, c’est

pourquoi le délai de détention de deux ans ne pose généralement pas non plus de difficulté.

Le régime des sociétés mères et filiales est très souvent utilisé par les entreprises, ce qui

traduit un certain succès de ce dispositif dans la lutte contre les doubles impositions.

228. –– D’autres dispositions prévues par la loi fiscale permettent de prévenir les

doubles impositions en matière de fiscalité internationale. Moins sophistiqués et dérogatoires

que le régime des sociétés mères et filiales, ces dispositifs résident dans un mécanisme

unilatéral d’exemption de certains revenus perçus à l’étranger.

243 Articles 145 et 216 du CGI 244 Directive 2011/96/UE du Conseil du 30/11/2011

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3) L’exemption unilatérale

229. –– Parmi les mécanismes utilisés pour éviter les doubles impositions, l’exemption

est sûrement le plus simple. On le rencontre parfois dans les conventions fiscales ayant pour

objet de lutter contre la double imposition : dans ce cas, il s’agira pour l’État de résidence du

contribuable de ne pas assujettir à l’impôt les revenus qui sont attribués par la convention à

l’autre État signataire245. Ce type de disposition permet ainsi d’éviter la double imposition

juridique en s’assurant qu’il n’y ait qu’une seule et unique imposition, au sein de l’État où le

revenu trouve son origine.

230. –– Même si l’exemption découle souvent de l’application d’une convention, la

logique du mécanisme peut également se retrouver en droit interne. En effet, des dispositions

prévoient une exonération totale d’impôt en France pour certains revenus de sources

internationales. Même si l’objectif de ces exemptions unilatérales n’est pas nécessairement la

lutte contre la double imposition, l’absence d’impôt français conduit nécessairement à la

disparition du risque de surcharge fiscale, ce qui fait de ces dispositions législatives un moyen

de prévention très efficace. Nous envisagerons donc les principales exemptions unilatérales

prévues par le droit fiscal interne : l’exonération qui résulte du principe de territorialité de

l’impôt français sur les sociétés, l’absence de retenue à la source en matière d’intérêts sur

emprunt payés à l’étranger, et enfin la non-imposition de la plus-value en cas de cession de

participation non substantielle par un opérateur étranger.

a) La territorialité de l’impôt sur les sociétés

231. –– En droit fiscal français, l’impôt sur les sociétés est marqué par un principe de

territorialité : selon l’article 209, I. du Code général des impôts, les bénéfices réalisés par les

entreprises exploitées en France ont vocation à être imposés par l’administration fiscale

française246. Ce principe, absolument fondamental en fiscalité interne, constitue à certains

égards une « exception française ». En effet, la plupart des autres États imposent les bénéfices

de leurs sociétés selon un principe de mondialité, de manière analogue à l’impôt sur le revenu

245 B. PLAGNET, « Fasc. 352 : Procédés techniques de suppression des doubles impositions », in J.-Cl. Droit international, 2014, 17. 246 Administration fiscale, BOFiP, BOI-IS-CHAMP-60-10-10-20140627, § 50 et s.

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des personnes physiques. Toutefois, cette différence de conception entre la France et les

autres États doit être relativisée, les aménagements apportés à ces principes, en particulier

par les conventions fiscales, conduisant à un certain nombre de points de convergence entre

les différents systèmes fiscaux247.

232. –– Chaque principe repose sur une logique qui lui est propre : la mondialité permet

ainsi d’aboutir à une certaine neutralité fiscale quel que soit le lieu d’implantation des activités

d’une entreprise, étant donné que tous les bénéfices seront imposés au même taux, à savoir

celui de l’État l’opérateur économique a établi son siège. Dans le cas où le taux d’imposition

de l’État de résidence de l’entreprise est élevé, le système de mondialité peut alors

représenter un frein réel au développement international de ses activités248. A l’inverse, la

territorialité repose sur l’idée simple que chaque État dispose du droit d’imposer les bénéfices

qui sont nés sur son territoire. Ainsi, ce principe permet d’encourager la compétitivité des

entreprises résidentes en évitant une charge fiscale trop lourde lorsqu’elles choisissent de

s’implanter à l’étranger pour développer leurs activités, en particulier au sein d’États

disposant d’une fiscalité sur les bénéfices plus attractive249.

233. –– Par ailleurs, le principe de territorialité peut être perçu comme un mode efficace

de prévention des doubles impositions. En effet, comme la France n’impose que les bénéfices

issus des entreprises exploitées sur son territoire, elle ignore de fait tous les profits des

exploitations effectuées à l’étranger. Cela se traduit donc en pratique par une exonération

fiscale des bénéfices issus des entreprises exploitées à l’étranger par des opérateurs français,

ce qui permet théoriquement d’éviter toute forme de double imposition. Ainsi, il réside au

sein du principe de territorialité, qui gouverne la fiscalité des entreprises françaises depuis ses

origines, une forme d’exemption unilatérale permettant de prévenir les doubles impositions.

234. –– Au travers de la territorialité de l’impôt sur les sociétés, le législateur français

permet de réduire de manière significative le risque de double imposition. En effet, dans un

système de mondialité, l’État de résidence de l’opérateur doit avoir recours à des mécanismes

d’imputations des impôts payés à l’étranger pour permettre d’éviter une surcharge fiscale, ce

qui est souvent plus délicat à mettre en œuvre, là où la territorialité évite par principe ce type

247 B. LIGNEREUX, Le Principe de territorialité de l’impôt sur les sociétés, CPO, Rapport particulier n° 4, 2017, p. 5 248 Ibid., 23. 249 Ibid., 24.

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de difficulté. De la même manière, l’exonération des intérêts prévue par la loi fiscale française

constitue également une exemption unilatérale de nature à prévenir les doubles impositions.

b) L’exonération des intérêts payés à l’étranger

235. –– La fiscalité des intérêts fait l’objet d’un régime particulier prévu par la loi fiscale

interne. Pendant longtemps, les intérêts, étant compris comme les « paiements de créances

de toute nature » selon les travaux de l’OCDE250, faisaient l’objet d’une retenue à la source

lorsqu’ils étaient payés à l’étranger par un opérateur économique ayant son siège en

France251. Le droit européen était alors intervenu pour apporter une limite à ce prélèvement,

au travers d’une directive de 2003 qui prévoyait l’absence de retenue à la source pour les

intérêts payés entre des entreprises associées à 25 %, lorsque leurs sièges sont situés dans

des États membres de l’Union européenne, à la condition que la participation de 25 % ait été

détenue de manière ininterrompue pour une durée d’au moins deux ans252. L’exonération de

la retenue à la source issue du droit européen avait ainsi permis d’écarter le risque de double

imposition des intérêts dans le cas des groupes de sociétés ayant leur siège au sein de l’Union,

mais le phénomène était toujours possible dans les autres cas.

236. –– Depuis le 1er mars 2010, les intérêts payés à l’étranger par des personnes

morales établies en France ne font plus l’objet d’aucun prélèvement à la source253, sauf si le

bénéficiaire est situé dans un État ou territoire non coopératif : dans ce cas, le débiteur devra

démontrer que les opérations relatives au paiement de ces intérêts « ont principalement un

objet et un effet autres que de permettre la localisation de ces revenus et produits dans un

État ou territoire non coopératif »254. Ainsi, mise à part cette dernière situation particulière

induite par la lutte accrue contre l’évasion fiscale, les produits des emprunts contractés à

l’étranger par les personnes morales françaises font l’objet d’une exemption fiscale selon la

loi interne. Ce choix participe davantage d’une logique économique que d’une volonté de

prévenir les doubles impositions : en effet, le risque que représente un prélèvement à la

source est le même pour les intérêts que pour les dividendes ou pour les redevances, or seuls

250 Voir supra n° 51. et s. 251 Article 125 A du CGI 252 Directive 2003/49/CE du Conseil du 03/06/2003, transposée à l’article 119 quater du CGI 253 Article 131 quater du CGI 254 Article 125 A, III. du CGI

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les intérêts payés à l’étranger font l’objet de cette exonération. La raison de ce choix de

politique fiscale découle du rôle majeur de la dette dans le développement actuel des

entreprises françaises. L’endettement représente un moteur fondamental pour la plupart des

activités économiques, et une charge fiscale trop importante pesant sur les intérêts pourraient

décourager les prêteurs étrangers de mettre leurs capitaux à dispositions des opérateurs

français. De plus, une retenue à la source pesant sur les intérêts versés à l’étranger conduirait

à une augmentation des taux d’intérêt, ce qui accroîtrait le coût global de l’endettement des

sociétés résidant en France.

237. –– L’exemption unilatérale dont bénéficient les intérêts versés à l’étranger par des

personnes morales ayant leur siège en France permet de facto de prévenir tout risque de

double imposition. Même si les raisons de cette mesure découlent davantage d’un choix

économique que d’une véritable lutte contre les phénomènes de double imposition, il nous

faut tout de même reconnaître son efficacité. Un autre exemple d’exemption prévue par la loi

fiscale française se trouve dans le régime applicable aux cessions de parts sociales françaises

par un opérateur étranger, dans le cas où sa participation n’était pas substantielle.

c) Les cessions de participations non substantielles par un opérateur étranger

238. –– Les cessions de parts de sociétés françaises font généralement l’objet d’une

imposition au titre de la plus-value réalisée. Mais dans le cas d’une cession de participation

effectuée par un opérateur étranger, c’est-à-dire qui n’a pas son siège en France ou qui n’est

pas domicilié fiscalement en France au sens de l’article 4 B du Code général des impôts dans

le cas d’une personne physique, le régime applicable dépendra de la nature de la participation

cédée. En effet, lorsque la participation du cédant est dite substantielle, c’est-à-dire « lorsque

les droits dans les bénéfices de la société détenus par le cédant ou l’actionnaire ou l’associé,

avec son conjoint, leurs ascendants et leurs descendants, ont dépassé ensemble 25 % de ces

bénéfices à un moment quelconque des cinq dernières années »255, un prélèvement de 45 %

sera effectué. Ce montant, qui est calqué sur le taux marginal de l’impôt sur le revenu, se verra

porté à 75 % dans le cas où l’opération est réalisée par un opérateur situé dans un État ou

255 Article 244 bis B du CGI

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territoire coopératif, et par dérogation, la cession sera imposée quel que soit le pourcentage

de droits aux bénéfices détenu par le cédant256.

239. –– Dans le cas où la participation cédée n’est pas substantielle, c’est-à-dire que les

droits aux bénéfices du cédant n’ont jamais excédé 25 % au cours des cinq années précédant

la cession, le régime fiscal applicable prévoit une exonération de la plus-value réalisée257. Ce

dispositif permet ainsi d’éviter une double imposition, comme le cédant, qui n’est pas

domicilié fiscalement en France, se verra probablement imposé dans son État de résidence au

titre de la plus-value constatée. Ce régime particulier ne découle pas réellement d’une volonté

de lutte contre la double imposition, mais d’un héritage historique : il s’agit d’une survivance

du régime applicable aux personnes physiques en droit interne avant 1976, date de la réforme

généralisant l’imposition des plus-values ; les anciennes dispositions ont toutefois été

maintenues pour les opérateurs étrangers258. Il est à noter que cette exonération prévue par

la loi interne n’est pas applicable aux sociétés à prépondérance immobilière, c’est-à-dire des

sociétés dont au moins la moitié des actifs sont constitués d’immeubles ou de parts dans des

sociétés immobilières : dans ce cas, la cession relèvera du régime des plus-values

immobilières259.

240. –– Par cette exemption particulière relative aux cessions de participations non

substantielles par des opérateurs étrangers, la loi fiscale permet de prévenir les doubles

impositions juridiques qui pourraient en découler. Afin de limiter le risque de double

imposition et d’insécurité juridique pour les contribuables, un certain nombre de mécanismes

de protection contre les changements de position de l’administration fiscale ont été mis en

place.

B –– Les garanties contre les changements de position de l’administration

fiscale

241. –– Si les règles applicables en matière fiscale sont établies par la loi ou par les

conventions internationales, elles n’en sont pas moins mises en œuvre par l’administration.

256 Article 244 bis B, al. 2 du CGI 257 Article 244 bis C du CGI 258 Voir supra n° 63. et s. 259 P. LEGENTIL, « Fasc. 3620 : Traitement fiscal – Gains en capital », in J.-Cl. Fiscal International, 2013, 79.

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Celle-ci, de par sa fonction et son rôle d’établissement et de recouvrement de l’impôt, dispose

d’un pouvoir considérable. En effet, c’est elle qui est amenée à prendre position sur

l’applicabilité des régimes fiscaux, sur l’interprétation des textes et sur la qualification

juridique de la situation du contribuable, ce dernier ne disposant que du recours devant le

juge de l’impôt pour faire valoir ses droits. Comme l’État peut rencontrer certaines difficultés

financières et que l’administration dépend directement du pouvoir exécutif, celle-ci se

retrouve souvent à devoir faire des choix très favorables aux finances publiques, parfois –

certains diront souvent – au détriment du contribuable.

242. –– Afin d’éviter les dérives qui pourraient survenir dans l’exercice de ses fonctions

par l’administration, et pour que les contribuables ne fassent pas les frais de la complexité

croissante du droit fiscal, certaines mesures ont été mises en œuvre pour encadrer le travail

des services fiscaux. Ces dispositifs sont essentiellement de deux types, l’un tenant à

l’interprétation des règles fiscales par l’administration, et l’autre concernant la qualification

de la situation de fait du contribuable.

1) L’interprétation des textes fiscaux par l’administration

243. –– Dans son rôle de détermination et de prélèvement de l’impôt, l’administration

fiscale est souvent amenée à interpréter des textes, ou à prendre position sur leur application.

En effet, le législateur fiscal n’est pas forcément en mesure de prévoir toutes les conséquences

pratiques des règles qu’il met en place, c’est pourquoi il reviendra souvent au pouvoir exécutif

et à l’administration fiscale d’apporter des réponses aux questions pratiques des

contribuables. En cas d’interprétation divergente entre un contribuable et l’administration, il

appartiendra au juge de l’impôt de trancher : c’est à lui que revient le rôle de contrôler le

travail interprétatif effectué par les services fiscaux. Si l’interprétation administrative se

rencontre également dans d’autres branches du droit, notamment par le biais d’instructions

ou de circulaires, elle revêt tout de même un caractère particulier lorsqu’il s’agit de la matière

fiscale. En raison de l’impact fort des décisions de l’administration sur les contribuables, il a

très vite semblé nécessaire de mettre en place des garanties contre les changements

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d’interprétation des textes par les services fiscaux, notamment au travers de l’article L80 A du

Livre des procédures fiscales260.

244. –– Une difficulté supplémentaire, d’ordre plus pratique, risque également

d’apparaître : comme l’administration est placée sous l’autorité du ministère de l’Économie

et des Finances, son interprétation des textes fiscaux risquent d’être influencée par les choix

politiques des différents gouvernements. Cette instabilité latente risque alors de représenter

une réelle menace pour la sécurité juridique des contribuables, ce qui constitue une raison

supplémentaire de prévoir un mécanisme de protection permettant d’éviter que les

contribuables ne fassent les frais d’une interprétation changeante de l’administration fiscale.

245. –– Un tel dispositif a été prévu à l’article L80 A du Livre des procédures fiscales.

Selon ce texte, un double mécanisme permet de protéger le redevable de l’impôt. D’une part,

le premier alinéa prévoit une garantie lorsque l’administration a formellement pris position

sur l’interprétation d’un texte fiscale : cette règle permet ainsi au contribuable de se prévaloir

de la première décision de l’administration à son égard, notamment dans le cas où il subit le

rehaussement d’une imposition antérieure261. Ce premier alinéa n’a donc pas vocation à

s’appliquer lors d’une imposition primitive262. D’autre part, le second alinéa de l’article L80 A

apporte au contribuable une garantie contre les changements dans l’interprétation des textes

fiscaux telle que présentée dans la doctrine écrite publiée par l’administration fiscale. Cette

règle a donc pour effet de rendre ses publications opposables à l’administration. À la

différence du premier alinéa, ce dispositif a vocation à s’appliquer aussi bien pour les

rehaussements que pour les impositions primitives263.

246. –– L’administration fiscale n’est pas seulement amenée à interpréter des textes

fiscaux, elle peut également être interrogée sur des questions de fait. En effet, les difficultés

du droit fiscal ne se limitent pas à la complexité des textes et des régimes applicables, et il se

pose souvent des difficultés de qualification juridique. Comme les contribuables ont rarement

la même approche de leur situation que l’administration fiscale, il peut être intéressant pour

260 J. GUEZ, L’interprétation en droit fiscal, Thèse, LGDJ, 2007 261 Administration fiscale, BOFiP, BOI-SJ-RES-10-10-20-20120912, § 30 262 CE, 09/02/2000, M. J.-M. Pagès, n° 185589 et 185599, RJF, 3/2000, n° 358 ; Droit fiscal, n° 27, 2000, comm. 551, concl. J. ARRIGHI DE CASANOVA 263 Administration fiscale, BOFiP, BOI-SJ-RES-10-10-10-20130718, § 90

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eux d’interroger cette dernière sur leur assujettissement éventuel à un impôt. Cette possibilité

a notamment été mise en place au travers de la procédure du rescrit fiscal.

2) La qualification des faits par l’administration fiscale

247. –– Si l’interprétation des textes fiscaux peut occasionner certaines difficultés, la

qualification juridique de la situation d’un contribuable est une question encore plus sensible.

En effet, des considérations purement pratiques peuvent rendre l’appréciation de sa propre

situation assez difficile. Si on ajoute à ces difficultés la complexité des différents régimes

applicables, il semblait logique de permettre aux personnes, physiques comme morales,

d’interroger l’administration fiscale quant à leur situation. Pour rendre un tel dispositif

efficace, il a fallu l’encadrer dans une procédure déterminée, et apporter aux contribuables

un certain nombre de garanties relatifs à la réponse que lui fournirait l’administration264.

248. –– Une autre procédure est également apparue dans le cas particulier de la

détermination des prix de transfert. Il s’agit des montants payés entre elles par des entreprises

du même groupe situés dans des États différents : pour éviter des stratégies fiscales qui

consisteraient à localiser la majeure partie des bénéfices du groupe dans des territoires à

fiscalité privilégiée, des règles spécifiques ont été mises au point par l’OCDE et par les États

pour éviter les dérives. Si les prix de transfert pratiqués par une entreprise font l’objet d’un

redressement par l’administration fiscale265, une double imposition risque alors d’apparaître :

les bénéfices considérés comme transférés à l’étranger seront réintégrés au résultat fiscal de

l’entreprise française ; si aucune correction n’est apportée dans État de résidence de l’autre

entreprise associée, une situation de double imposition économique sera constatée266. Pour

éviter ce risque de surcharge fiscale, les groupes internationaux ont la possibilité de passer un

accord avec l’administration pour valider le calcul des prix de transfert qu’il pratique, et ainsi

éviter le risque de double imposition. On parle alors d’accord préalable en matière de prix de

transfert.

264 Article L80 B du LPF 265 Selon l’article 57 du CGI, les bénéfices indirectement transférés à des entreprises associées situées hors de France peuvent être réintégrés au résultat de l’exploitation située en France et seront alors imposés comme telle. 266 Voir supra n° 150. et s.

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249. –– Les garanties proposées aux contribuables pour faire face à la qualification de

leur situation par l’administration fiscale sont principalement de deux types. Nous évoquerons

donc dans un premier temps les accords préalables en matière de prix de transfert, qui

constituent une garantie propre aux groupes internationaux de sociétés. Ensuite, nous

envisagerons dans une optique plus globale les garanties proposées dans le cadre de la

procédure de rescrit fiscal, général ou spécifique.

a) Les accords préalables en matière de prix de transfert

250. –– La question des prix de transfert est une des problématiques majeures traitées

par l’OCDE, en raison de la part importante des groupes de sociétés dans l’économie mondiale

et des conséquences financières qu’implique le traitement fiscal des prix de transfert. Afin de

déterminer un prix de transfert considéré comme juste, la méthode préconisée par

l’organisation s’articule autour du principe de pleine concurrence : cette méthode constitue

une forme de consensus au sein de l’OCDE267. Il s’agit concrètement de fixer les prix pratiqués

entre les sociétés d’un même groupe de la même manière que si ces entreprises n’avaient pas

été associées, c’est-à-dire en ne tenant compte que du fonctionnement du marché en

situation de pleine concurrence. Les prix ainsi fixés doivent être juste et fidèles au

fonctionnement économique du marché pour ne pas être sanctionnés au titre d’un transfert

indirect de bénéfices.

251. –– Toutefois, le principe de pleine concurrence tient plus au résultat à atteindre

qu’à une méthode applicable par un groupe de sociétés pour calculer le montant de ses prix

de transfert. C’est pourquoi l’OCDE propose un certain nombre de démarches pratiques pour

déterminer un prix de transfert respectant le principe de pleine concurrence. Par exemple, la

méthode du prix comparable sur le marché libre consiste à comparer le prix choisi par les

entreprises du même groupe à ceux pratiqués sur le marché par des entreprises

indépendantes268. Une autre possibilité de calcul proposée par l’OCDE réside dans la méthode

transactionnelle de la marge nette, qui consiste à déterminer le juste prix de transfert en

267 B. CASTAGNEDE, Précis de fiscalité internationale, 5e édition, 2015, 74. 268 Ibid., 75.

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fonction de la marge bénéficiaire nette réalisée par le contribuable269. D’autres méthodes sont

encore envisagées par l’organisation, mais en réalité, les entreprises demeurent libres

d’appliquer celle de leur choix, voire de proposer une méthode de détermination des prix de

transfert qui leur est propre. Toutefois, elles devront démontrer que le résultat qu’elles

obtiennent est en conformité avec le principe de pleine concurrence.

252. –– La pluralité de méthodes possibles pour calculer un prix de transfert, à laquelle

s’ajoutent le caractère intrinsèquement flou du principe de pleine concurrence, conduit à une

certaine insécurité juridique du point de vue des groupes de sociétés. La situation est d’autant

plus préoccupante que le risque de double imposition est réel en cas de qualification de

transfert indirect de bénéfices à l’étranger par l’administration fiscale. C’est la raison pour

laquelle l’OCDE a prévu la possibilité pour les groupes de sociétés de passer un accord

préalable avec les services fiscaux, afin que ces derniers valident les prix de transfert retenus

par l’entreprise et renoncent à toute remise en cause ultérieure.

253. –– Les accords préalables en matière de prix de transfert s’inscrivent clairement

dans une volonté de prévention des doubles impositions économiques. Selon l’OCDE, il s’agit

d’un « accord qui fixe, préalablement à des transactions entre entreprises associées, un

ensemble approprié de critères (concernant par exemple la méthode de calcul, les éléments

de comparaison, les correctifs à y apporter et les hypothèses de base concernant l’évolution

future) pour la détermination des prix de transfert appliqués à ces transactions au cours d’une

certaine période »270. Ce type de procédure a progressivement été adopté par la plupart des

États membres de l’organisation, même si la France a été relativement réticente à sa mise en

place. Le dispositif a d’abord pris la forme d’une simple instruction administrative en 1999,

avant de faire l’objet d’une légalisation en 2004 à l’article L80 B du Livre des procédures

fiscales271. Le fondement légal de cette procédure est donc aujourd’hui le même que celle du

rescrit fiscal classique.

254. –– Il existe en réalité deux types d’accords préalables en matière de prix de

transfert qui peuvent être conclus avec l’administration fiscale. D’une part, une entreprise

pourra conclure avec les services fiscaux un accord unilatéral, qui viendra valider les prix

269 B. CASTAGNEDE, Précis de fiscalité internationale, 5e édition, 2015, 76. bis 270 OCDE, Principes de l’OCDE applicables en matière de prix de transfert à l’intention des entreprises multinationales et des administrations fiscales, 2010, p. 186 271 B. CASTAGNEDE, op. cit., 93. et 94.

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pratiqués lors des opérations intragroupes. L’accord portera notamment sur les méthodes de

calcul utilisées pour déterminer les prix en question, sur les éléments de comparaison, ainsi

que sur les hypothèses d’évolution future. Si la négociation aboutit et qu’un accord unilatéral

est conclu, l’administration s’engage à ne pas remettre en cause les prix pratiqués par

l’entreprise, en garantissant notamment que ces opérations ne constituent pas un transfert

indirect de bénéfices au sens de l’article 57 du Code général des impôts272. D’autre part, un

accord bilatéral peut être conclu entre l’administration fiscale française et celle de l’autre État

concerné par le prix de transfert : cette procédure, qui portera également sur les méthodes

mises en œuvre, permet d’apporter une meilleure sécurité juridique aux groupes

internationaux et de stabiliser leur environnement fiscal. Une fois conclu, l’accord bilatéral

garantit à l’entreprise que les prix qu’elle pratique ne seront pas qualifiés de transfert indirect

de bénéfices au sens de l’article 57, de façon analogue à l’accord unilatéral273.

255. –– Les accords préalables en matière de prix de transfert, qu’ils soient unilatéraux

ou bilatéraux, se voient conférer une portée législative en vertu de l’article L80 B du Livre des

procédures fiscales. D’une manière plus générale, ce texte est également le siège de la

procédure du rescrit fiscal, qui permet au contribuable d’obtenir une prise de position

formelle de l’administration sur une situation de fait.

b) Le rescrit fiscal

256. –– Si le rescrit fiscal existe sous sa forme actuelle depuis quelques décennies, les

origines des procédures de ce type sont bien plus anciennes. A l’époque du droit romain, un

particulier pouvait interroger l’empereur ou un conseiller impérial sur un point de droit précis ;

la réponse écrite qui lui était alors fournie avait une valeur juridique contraignante pour celui

qui l’avait émise274. Le législateur contemporain s’est inspiré du même principe pour mettre

en œuvre le rescrit fiscal : cette procédure a été introduite pour la première fois en 1987, avec

272 Administration fiscale, BOFiP, BOI-SJ-RES-20-20-20170201, § 1 273 Administration fiscale, BOFiP, BOI-SJ-RES-20-10-20170201, § 10 274 B. PLESSIX, « Le rescrit en matière administrative », Revue juridique de l'économie publique, n° 657, 2008, Etude 8

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la loi dite Aicardi. Le mécanisme est actuellement codifié à l’article L80 B du Livre des

procédures fiscales.

257. –– D’un point de vue pratique, le rescrit fiscal permet à un contribuable

d’interroger par écrit l’administration sur une question de fait relative à sa situation. Les

services fiscaux disposent alors d’un certain délai pour lui répondre, qui pourra varier selon la

nature de la question posée. Une fois une prise de position formelle adoptée par

l’administration, le contribuable sera en mesure de se prévaloir de l’appréciation émise quant

à sa situation. La réponse fournie par les services fiscaux fait alors l’objet des mêmes garanties

que celles accordées aux prises de positions formelles de l’administration concernant

l’interprétation d’un texte fiscal275. L’administration ne pourra donc changer son point de vue

que pour l’avenir, sa décision n’ayant aucun effet rétroactif276. Par ailleurs, la prise de position

des services fiscaux suite à une demande de rescrit doit être antérieure aux agissements du

contribuable : cette procédure ne peut en aucun cas être exploitée pour chercher à régulariser

une situation a posteriori.

258. –– La loi prévoit deux types de rescrits distincts, en fonction des conséquences

qu’emporte la non-réponse de l’administration fiscale dans les délais prévus par la loi. Dans le

cas d’un rescrit dit général, seule une réponse explicite de l’administration fiscale traduira une

prise de position formelle. La loi de modernisation de l’économie de 2008 a élargi les

possibilités ouvertes au contribuable qui souhaite demander l’appréciation de sa situation par

les services fiscaux au regard d’une règle particulière, et a prévu que la demande soit

généralement assorti d’un délai de réponse de trois mois. Toutefois, le non-respect de ce délai

par l’administration ne vaudra pas acceptation implicite et ne sera donc pas de nature à

l’engager juridiquement277. A l’inverse, dans le cas des rescrits dits spécifiques, l’absence de

réponse de l’administration fiscale dans le délai prévu par la loi vaudra accord implicite pour

le contribuable. Ainsi, si aucune prise de position formelle n’est communiquée par les services

fiscaux à temps, le redevable pourra en déduire que l’analyse qu’il leur a communiquée dans

le cadre de sa demande est validée. Cette acceptation tacite engagera juridiquement

l’administration et lui sera opposable278.

275 Article L80 A du LPF 276 Article L80 B, 1° du LPF 277 Administration fiscale, BOFiP, BOI-SJ-RES-10-20-20-20150902, § 20 278 Ibid.

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259. –– Le rescrit constitue ainsi une procédure intéressante pour le contribuable qui

souhaite limiter le risque fiscal qui pèse sur lui et sécuriser sa situation juridique. Toutefois,

cette procédure demeure assez peu utilisée, en particulier en matière de fiscalité

internationale. Les opérateurs, français comme étrangers, ont souvent tendance à percevoir

la procédure de rescrit davantage comme une source de risque pour eux qu’autre chose. En

effet, en interrogeant l’administration fiscale sur l’appréciation de leur situation, un opérateur

va pousser les services fiscaux à étudier son dossier de manière très précise : dans le cas où la

réponse de l’administration n’est pas celle escomptée, il sera alors très difficile pour le

contribuable d’aller dans un autre sens sans encourir un sérieux risque de redressement. Pour

éviter ce type de situation, les entreprises n’envisagent que très rarement le recours au rescrit

fiscal. En matière de double imposition, le bilan du rescrit est somme toute assez mitigé. En

effet, la réponse de l’administration indiquera surtout à l’opérateur s’il risque de s’exposer à

une double imposition dans le cadre de ses activités, mais dans le cas où le risque de surcharge

fiscale est réel, aucune solution pour l’éviter n’est prévue par cette procédure. L’efficacité du

rescrit fiscal en matière de prévention des doubles impositions est donc globalement assez

limitée, cette procédure étant réellement une arme à double tranchant pour les

contribuables.

260. –– La loi fiscale permet à certains égards d’éviter les doubles impositions, mais son

action de prévention réside principalement dans des dispositions portant sur des points

précis. D’un point de vue plus global, la prévention de ce phénomène par la loi est plutôt

limitée. C’est la raison pour laquelle les règles nationales seront complétées par les

conventions fiscales internationales, qui constituent un des plus importants modes de lutte

contre les doubles impositions.

§2 –– Les conventions fiscales internationales

261. –– Même si la loi demeure la source de droit majeure en matière d’impôts, elle ne

saurait suffire en elle-même à encadrer la fiscalité internationale et éviter les phénomènes de

doubles impositions. En effet, les lois promulguées par les États n’ont de valeur juridique

contraignante que dans la limite de leur territoire national. Or cette situation s’accommode

mal du caractère international que peuvent revêtir les échanges et les activités économiques.

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C’est pourquoi le rôle des conventions fiscales est vite apparu comme fondamental aux yeux

de nombreux acteurs internationaux. Dès le début du XXe siècle, des négociations étaient

menés par les États membres de la Société des Nations dans le cadre de l’Organisation

économique et financière, donnant ainsi naissance à une des premières expériences notables

de multilatéralisme et de négociations internationales en matière fiscale279. A cette époque,

dans les années 1930, les négociations étaient menées par des experts en fiscalité, chargés de

représenter les différents États, dans une optique essentiellement technique au premier

abord. En réalité, il s’avère qu’au-delà de l’image officielle véhiculée par l’organisation, les

négociations avaient déjà pris une tournure politique, marquées par la volonté des États de

mettre en œuvre une véritable politique fiscale internationale qui leur serait la plus favorable

possible280.

262. –– Malgré les efforts mis en œuvre au sein de l’Organisation économique et

financière de la Société des Nations, assez peu de mesures contraignantes ont vu le jour en

fiscalité internationale. De plus, les années 1930 ont vu l’essor de plusieurs régimes totalitaires

en Europe, et la guerre a très rapidement mis les problématiques géopolitiques sur le devant

de la scène, au détriment des négociations fiscales. Toutefois, les travaux de la Sociétés des

Nations ont trouvé une certaine continuité au sein du Comité des affaires fiscales de l’OCDE.

En effet, dès le début des années 1950, l’organisation a commencé à être le siège de

négociations en matière d’impôts, dans l’optique de répondre à deux problématiques

majeures, à savoir la double imposition et l’évasion fiscale.

263. –– Si l’OCDE est un lieu de discussion et de négociations entre États, il ne s’agit pas

pour autant d’une autorité supranationale capable d’édicter des règles de droits :

l’organisation a avant tout un rôle consultatif, la mise en œuvre de nouvelles règles en matière

de fiscalité internationale dépendant exclusivement de la volonté des États. Le rôle de l’OCDE

est toutefois déterminant, car il a conduit à l’élaboration d’un modèle de convention fiscale

bilatérale, publié pour la première fois en 1963 et régulièrement remis à jour depuis cette

date. La version la plus récente du document a été finalisée en juillet 2014, constituant la

neuvième version du modèle281. La plupart des conventions fiscales en vigueur, y compris

celles conclues par la France, s’inspirent assez fortement de ce modèle, même si les États

279 C. FARQUET, « Expertise et négociations fiscales à la Société des Nations (1923 – 1939) », Relations internationales, n° 142, 2010, p. 5-21 280 Ibid. 281 OCDE, Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune – Version abrégée, 9e édition, 2014

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disposent toujours de la faculté de s’en écarter. Par ailleurs, le modèle de convention publié

par l’OCDE comporte un certains nombres de recommandations pratiques à destination des

services fiscaux et des contribuables. Ainsi, même si les États restent à la manœuvre, l’étude

du modèle et des travaux de l’OCDE demeure incontournable, tant son influence est grande ;

il faudra toutefois garder à l’esprit que chaque convention bilatérale peut s’en éloigner, et

devra donc être consultée au cas par cas.

264. –– Afin de déterminer le véritable caractère préventif des conventions fiscales

internationales en matière de double imposition, nous évoquerons d’abord les objectifs

clairement affichés par ces textes. Ensuite, dans une optique plus pratique, nous nous

attarderons sur les méthodes prévues par les conventions pour éviter les doubles impositions.

Enfin, nous évoquerons les limites du droit fiscal conventionnel.

A –– Les objectifs des conventions fiscales

265. –– Dans le cadre des travaux de l’OCDE, le premier objectif du droit fiscal

conventionnel résidait dans la prévention et l’élimination des doubles impositions. En effet,

dans le projet de convention de 1963 et le modèle publié en 1977, « l’élimination des doubles

impositions étaient mentionnée dans le titre du modèle de convention »282. Mais par la suite,

cette dénomination a été abandonnée, car l’OCDE a rapidement considérée que le modèle

qu’elle propose ne concerne pas uniquement la lutte contre les doubles impositions, mais

s’adresse également à des questions comme l’évasion fiscale ou la discrimination par l’impôt.

En réalité, l’OCDE conçoit au travers de son modèle les problématiques de fiscalité

internationale dans une certaine globalité. L’idée majeure est donc d’organiser les relations

fiscales entre deux États selon des règles garantissant une certaine sécurité juridique, tout en

évitant que des contribuables soient amenés à supporter une surcharge fiscale injustifiée, ou

encore que des États subissent des pertes financières trop importantes. Les conventions

fiscales internationales ont ainsi pour objectif de s’adresser à toutes ces différentes questions

282 OCDE, Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune – Version abrégée, 9e édition, 2014, p. 11

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à la fois, sans se limiter aux doubles impositions comme elles ont parfois pu le faire par le

passé.

266. –– Pourtant, malgré des objectifs clairement affichés de lutte contre de telles

situations, l’existence d’une convention ne garantit pas au contribuable l’absence totale de

risque de double imposition, sinon le phénomène aurait été éradiqué depuis longtemps. En

effet, comme le résume très bien un auteur, « la double imposition juridique d’un revenu est

un constat classique en l’absence de convention bilatérale mais elle n’est pas pour autant

exclue en présence d’un accord entre les États »283. A titre d’illustration, on pourra constater

que dans la plupart des situations de doubles impositions juridiques, une convention fiscale a

été conclue entre les États concernées, mais soit celle-ci n’est pas applicable, soit elle ne

permet pas systématiquement d’éviter la double imposition. Ce phénomène résulte

principalement de la construction même des conventions : celles-ci prévoient des méthodes

pour l’établissement de l’impôt dans un cadre international entre deux États, afin d’apporter

de la sécurité juridique aux contribuables, mais il arrive souvent que certains types

d’opérations échappent à l’application de la convention. En effet, chaque État a des règles et

des traditions propres en matière fiscale qu’il souhaite conserver malgré l’existence d’une

convention. Les éventuelles réserves des États membres apparaîtront alors sous forme de

commentaires au sein du modèle de convention de l’OCDE ; même s’ils n’ont aucune valeur

juridique en tant que telle, ils constitueront tout de même une référence pratique pour

l’administration fiscale ainsi que pour les contribuables284.

267. –– Même si les objectifs visés ne sont pas systématiquement atteints, les

conventions fiscales aspirent tout de même à lutter contre les doubles impositions,

notamment par des mécanismes de prévention. En pratique, les États pourront avoir recours

à différents types de méthodes pour éviter qu’un tel phénomène ne survienne.

B –– Les méthodes conventionnelles de prévention des doubles impositions

268. –– Dès les prémices de la lutte contre la double imposition, dans la première moitié

du XXe siècle, le comité fiscal de la Société des Nations avait imaginé des procédés permettant

283 M. CHASTAGNET, « Double imposition des dividendes, prestations d’assurance, droit conventionnel et droit dérivé : le droit fiscal de l’UE est un chemin sinueux… », Les Nouvelles Fiscales, n° 1179, 2016 284 J. SCHMIDT et al., Lamy Fiscal, 2017, n° 4348

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d’éviter ce type de phénomènes. Quatre méthodes avaient été retenues et se retrouvaient au

sein des conventions conclues à l’époque285 :

L’exemption, qui consiste pour l’un des États à renoncer à imposer les contribuables

qui ont des liens particulièrement étroits avec l’autre État partie à la convention ;

La déduction, qui permet à chaque État signataire de percevoir l’impôt selon sa

législation interne, mais oblige également l’un des États à déduire de son impôt le

montant payé par le contribuable au même titre à l’autre État signataire, selon les

modalités prévues par la convention ;

La division du produit, qui consiste à charger un seul État de percevoir l’impôt auprès

des redevables pour ensuite partager les recettes fiscales entre les deux États

signataires ;

La répartition de la matière imposable, qui vise à définir des catégories de revenus

et à les attribuer à l’un ou l’autre État, selon des critères objectifs prévus par la

convention.

269. –– Cette classification n’a pas été reprise en tant que telle par les travaux de l’OCDE,

notamment car la méthode relative à la division du produit n’est pratiquement jamais

retenue, car elle supposerait des transferts de fonds régulier et une très forte coopération

entre les États286. Les trois autres mécanismes imaginés par le comité fiscal dans les années

1930 ont par contre été repris par la convention modèle de l’OCDE, parfois sous des formes

quelque peu différentes. Aujourd’hui encore, les conventions fiscales ont finalement pour

objet de « répartir la compétence fiscale entre les deux États signataires », permettant ainsi

de prévenir les doubles impositions éventuelles287. Pour ce faire, les principales méthodes

utilisées résident dans l’imposition exclusive des établissements stables et les mécanismes

d’exemption ou d’imputation de l’impôt payé à l’étranger. D’autres méthodes de prévention

des doubles impositions pourront éventuellement être envisagées par la suite.

285 B. PLAGNET, « Fasc. 352 : Procédés techniques de suppression des doubles impositions », in J.-Cl. Droit international, 2014, 12. 286 B. PLAGNET, « Fasc. 352 : Procédés techniques de suppression des doubles impositions », in J.-Cl. Droit international, 2014, 12., 13. 287 J. SCHMIDT et al., Lamy Fiscal, 2017, n° 4348

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1) L’imposition des établissements stables

270. –– La notion d’établissement stable est systématiquement présente dans la plupart

des conventions fiscales internationales. Il s’agit d’un ensemble de critères permettant de

rattacher territorialement les bénéfices d’une entreprise à l’un des États signataires de la

convention. Selon l’article 5 du modèle de l’OCDE, l’établissement stable se définit comme

« une installation fixe d’affaires par l’intermédiaire de laquelle une entreprise exerce tout ou

partie de son activité »288 : il pourra par exemple s’agir d’un bureau, d’une usine ou encore

une succursale. Sous réserve des spécificités propres à chaque convention, les bénéfices

réalisés par une entreprise au travers d’un établissement stable seront imposables dans l’État

où se trouve cet établissement. La convention modèle de l’OCDE prévoit par exemple que les

bénéfices d’une entreprise établie dans un État seront imposés par ce dernier, sauf pour la

part qui résulte de l’exploitation d’un établissement stable dans l’autre État, qui sera alors en

droit d’imposer les bénéfices réalisés sur son territoire289. La méthode d’imposition des

établissements stables constitue d’une certaine manière une forme de répartition de la

matière imposable entre les États : chacun sera compétent pour imposer les bénéfices issus

des établissements stables implantés sur son territoire. Parfois, ce système devra toutefois

être complété par une méthode d’exemption ou d’imputation pour éviter une double

imposition, en particulier lorsqu’un des États signataires retient un principe de mondialité

pour l’impôt sur les sociétés.

271. –– Concrètement, les critères retenus en matière conventionnel pour caractériser

un établissement stable sont très proches de ceux établis par le Conseil d’État pour

caractériser l’entreprise exploitée en France290. Toutefois, quelques différences sont à relever

entre les deux notions. Le critère de cycle commercial complet comme entreprise exploitée

en France est par exemple propre au droit interne et ne se retrouve pas dans les conventions

fiscales : il s’agira par exemple de la situation où des opérations sont effectués à l’étranger,

mais décidées, organisées et contrôlées depuis la France291. Une autre différence résultera

288 OCDE, Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune – Version abrégée, 9e édition, 2014, p. 26 289 Ibid., p. 28 290 Voir supra n° 40. et s. 291 CE, 03/03/1976, n° 98680, RJF, 5/1976, n° 222

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des exceptions prévues par le modèle de convention de l’OCDE : l’article 5 prévoit un certain

nombre de situations qui ne constitueront pas un établissement stable, notamment lorsqu’il

s’agit d’activités préparatoires ou auxiliaires, par exemple à des fins de stockage292. A l’inverse,

en droit interne, un bureau d’achat disposant d’une certaine autonomie sera considéré

comme un établissement autonome293.

272. –– Un autre mode de prévention des doubles impositions relatif aux bénéfices des

entreprises et aux établissements stables résulte du principe de non-discrimination : il s’agit

d’une règle prévue à l’article 24 du modèle de l’OCDE qui oblige les États signataires à ne pas

traiter les ressortissants de l’autre État de manière moins favorable que ses résidents

nationaux, en particulier s’agissant des établissements stables294. Cette règle permet de

garantir une certaine uniformité de traitement et une sécurité juridique pour les

contribuables.

273. –– Si le système d’imposition des établissements stables repose sur une logique

forte, rejoignant à certains égards le principe français de territorialité, il ne permet toutefois

pas toujours d’éviter les doubles impositions, c’est pourquoi il est souvent complété par des

méthodes d’exemption ou d’imputation.

2) L’exemption

274. –– L’exemption est une méthode de prévention des doubles impositions qui

apparaît dans de nombreuses conventions. Il s’agit d’un système particulièrement privilégié

par les travaux de l’OCDE, car il garantit de manière plus certaine l’absence de surcharge

fiscale pour les contribuables. C’est notamment pour cette raison que l’organisation milite

pour la suppression des retenues à la source, les revenus passifs étant alors uniquement

imposés dans l’État de résidence du bénéficiaire. Très concrètement, la méthode

conventionnelle de l’exemption consiste pour chaque État signataire à ne pas assujettir à

292 OCDE, Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune – Version abrégée, 9e édition, p. 27 293 B. LIGNEREUX, Le Principe de territorialité de l’impôt sur les sociétés, CPO, Rapport particulier n° 4, 2017, 125. 294 OCDE, op. cit., p. 38

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l’impôt les revenus imposables par l’autre État en vertu des dispositions du traité. Si l’idée est

relativement simple, il existe en réalité deux types d’exemption possibles295 :

L’exemption intégrale prévoit de ne tenir aucun compte, pour l’État qui établit

l’impôt, des revenus qui échappent sa compétence : seuls les revenus imposables

en vertu de la convention servent de base pour le calcul de l’impôt ;

L’exemption avec progressivité, également appelée méthode du taux effectif, vise

à tenir compte des revenus qui seront imposés dans l’autre État pour déterminer le

taux de l’impôt : dans un système d’impôt progressif, le taux retenu correspondra

donc à l’ensemble des revenus du contribuable, y compris ceux qui ne sont pas

imposés par l’État en question.

275. –– L’exemption tient ainsi compte du revenu imposable dans l’autre État pour

éviter une double imposition, mais il est également possible d’envisager une autre méthode,

qui tient davantage à l’impôt éventuellement payé à l’étranger : il s’agira de la méthode de

l’imputation.

3) L’imputation

276. –– L’imputation apparaît comme une méthode nécessaire pour prévenir les

doubles impositions au vu du grand nombre de retenues à la source pratiquées par les États.

Même si les conventions traitent généralement de la question de ces prélèvements et

prévoient souvent des taux inférieurs à ceux du droit commun, les États sont tout de même

attachés aux prélèvements à la source, qui représentent une recette fiscale relativement

sécurisée. La méthode de l’imputation consiste donc pour l’État de résidence du contribuable

à accorder un crédit d’impôt égal au montant payé à l’État d’origine des revenus. Ce système

est privilégié par la France, malgré les recommandations de l’OCDE, car il permet aux deux

États signataires d’une convention de se répartir les recettes fiscales pour chaque opération

effectuée entre eux296. Ce système de crédit d’impôt présente toutefois quelques

inconvénients, notamment lorsque l’opérateur qui effectue des opérations à l’étranger est

295 B. PLAGNET, « Fasc. 352 : Procédés techniques de suppression des doubles impositions », in J.-Cl. Droit international, 2014, 17. et s. 296 P. OUDENOT, « Retenues à la source et crédit d’impôt : actualités et perspectives », Droit fiscal, n° 49, 2016, p. 627

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déficitaire : le crédit d’impôt ne pourra alors pas être utilisé. Par ailleurs, le Conseil d’État

s’oppose à un retour au droit commun si la convention ne le prévoit pas expressément297, ce

qui interdira la déduction de l’impôt étranger sous forme de charge en vue d’accroître le

déficit reportable de l’entreprise298. Par ailleurs, lorsque l’ensemble de l’impôt payé à

l’étranger n’a pas pu être imputé sur l’impôt dû en France, le Conseil d’État estime que cela

ne peut donner lieu à aucun remboursement, sauf si le contraire est expressément prévu par

la loi ou par la convention299, ce qui n’arrive quasiment jamais en pratique.

277. –– Il existe en réalité deux types d’imputation de l’impôt étranger300 :

L’imputation intégrale consiste à calculer l’impôt sur l’ensemble des revenus du

contribuable, puis à déduire l’ensemble des impôts payés par ce dernier à l’étranger,

ce qui garantira théoriquement l’absence de double imposition ;

L’imputation dite ordinaire, qui est généralement privilégiée par les conventions

fiscales, prévoit de limiter la déduction « au montant de l’impôt qui serait dû dans

l’État de résidence, en raison des revenus de source étrangère, en l’absence de

convention »301 : dans ce cas, lorsque le taux pratiqué à l’étranger est supérieur à

celui de l’impôt de l’État de résidence, l’ensemble de l’impôt payé ne pourra pas être

déduit, et la double imposition ne sera pas entièrement évitée.

278. –– Les méthodes prévues par les conventions fiscales et par les travaux de l’OCDE

pour prévenir les doubles impositions présentent certaines vertus, mais elles ne permettent

pas d’éviter l’ensemble des doubles impositions, ce phénomène étant encore très fréquents

en fiscalité internationale. C’est pourquoi il est possible de s’interroger sur d’autres méthodes

conventionnelles de prévention des doubles impositions.

297 CE, 12/03/2014, Société Céline, n° 362528, RTD com., 2014, p. 715, note E. CORTOT-BOUCHER ; RJF, 6/2014, n° 602 ; BDCF, 6/2014, n° 59, concl. F. ALADJIDI ; Droit fiscal, n° 19, 2014, act. 275, note É. Meier et M. VALETEAU ; Droit fiscal, n° 22, 2014, comm. 356, note P. DURAND 298 Voir supra n° 88. 299 CE, 27/06/2016, Société Faurecia, n° 388984 300 B. PLAGNET, « Fasc. 352 : Procédés techniques de suppression des doubles impositions », in J.-Cl. Droit international, 2014, 35. et s. 301 Ibid., 38.

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4) Vers d’autres méthodes de prévention des doubles impositions ?

279. –– La question du multilatéralisme en matière fiscale est fort ancienne, mais elle

n’a jamais eu un réel succès du fait d’un très grand attachement des États à leur souveraineté

fiscale. Pourtant, les travaux sur le sujet ont parfois abouti à des propositions intéressantes

pour lutter contre la double imposition au niveau international. En particulier, sur la question

des prix de transfert302, il avait été envisagé une méthode de taxation unitaire, consistant à

« répartir les bénéfices globaux d’un groupe multinational entre ses entités implantées dans

différents pays au moyen d’une formule prédéterminée »303. L’idée forte de cette méthode

consiste à éviter les difficultés impliquée par le bilatéralisme concernant la fiscalité de groupes

de sociétés présents dans de nombreux États.

280. –– Un tel système avait été expérimenté aux États-Unis, où l’impôt payé par une

entreprise présente sur une grande partie du territoire était ensuite réparti entre les États

membres de la fédération. Mais la méthode de la taxation unitaire a été fermement rejeté par

l’OCDE, notamment en raison d’une grande réticence des États et des « difficultés que

présenteraient l’élaboration d’un accord international sur la composition du groupe à

imposer, la façon d’en déterminer l’assiette taxable globale, la formule de répartition du

bénéfice entre juridictions fiscales »304. La fiscalité internationale est ainsi assez peu encline à

l’élaboration de nouvelles méthodes de prévention des doubles impositions, ce qui amène

clairement des limites au rôle préventif des conventions fiscales.

C –– Les limites des conventions fiscales

281. –– Malgré les différentes méthodes envisagées par le droit fiscal conventionnel, les

situations de double imposition continuent d’être très fréquentes. La première limite des

conventions fiscales internationales réside, du moins en France, au sein du principe de

subsidiarité établi par le Conseil d’État305. Il s’agit d’une construction jurisprudentielle qui

prévoit un mode de raisonnement particulier concernant l’application des traités

302 Voir supra n° 150. et s. 303 B. CASTAGNEDE, Précis de fiscalité internationale, 5e édition, 2015, 77. 304 Ibid., 2015, 77. 305 CE, 28/06/2002, Schneider Electric, n° 232276, Lebon 2002 ; RJF, 10/2002, n° 1080, p. 755, note L. OLLÉON ; BDCF, 10/2002, n° 120, concl. S. AUSTRY ; Droit fiscal, n° 36, 2002, comm. 657

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internationaux en matière fiscale. L’idée de cette subsidiarité réside dans une priorité du droit

fiscal interne, qui sera le premier lieu où le juge devra rechercher une solution au problème

qui lui est posé306 : les conventions ont ainsi davantage un rôle de correctif par rapport au

droit interne. Dans le cas où une convention est applicable, elle disposera d’une force plus

grande que la loi nationale, en vertu du principe de primauté des traités internationaux307.

Malgré cette supériorité, dans la conception même du droit fiscal par le juge français, les

conventions fiscales sont condamnées à un rôle secondaire, subsidiaire, voire palliatif.

282. –– Toutefois, les dispositions d’une convention fiscale ne doivent pas aggraver la

situation d’un contribuable telle que prévue par le droit interne : il s’agit du principe de non-

aggravation de la situation du contribuable, qui consiste à préserver les avantages accordés

par le droit interne, même dans le cas où une convention est applicable308. Ce principe peut

parfois être exprimé au travers d’une clause dans une convention fiscale internationale,

acquérant ainsi la valeur de norme conventionnelle : c’est par exemple le cas de la convention

franco-américaine309. Au plan interne, le Conseil d’État semble avoir admis ce principe dans

sa jurisprudence dans une décision de 1984310. Pourtant, le juge de l’impôt s’oppose presque

systématiquement à un retour au droit interne lorsque le crédit d’impôt accordé par une

convention n’est pas utilisable311. On peut donc s’interroger sur la possibilité qu’une

convention fiscale internationale aggrave la situation d’un contribuable au regard du droit

interne, la position du Conseil d’État semblant incertaine sur cette question.

283. –– Une autre limite du droit conventionnel réside dans sa grande diversité. En effet,

les conventions fiscales sont par principe bilatérale, il en existe donc un très grand nombre et

chacune ne trouvera à s’appliquer qu’entre deux États. Étant le fruit de négociations

diplomatiques, chaque convention aura des particularités qui lui sont propres. Dans cette

situation très complexe, un phénomène de treaty shopping risque alors d’apparaître312 : il

306 M.-C. BERGERÈS, « Conventions internationales – Le principe de subsidiarité des conventions fiscales internationales », Droit fiscal, n° 36, 2005, Etude 30, 5. 307 Article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958 308 A. CLOUTÉ, Le principe de subsidiarité des conventions fiscales internationales, Mémoire, Université Paris I – Panthéon Sorbonne, 2011, p. 30 309 B. CASTAGNEDE, Précis de fiscalité internationale, 5e édition, 2015 310 CE, 17/12/1984, n° 47293, RJF, 2/1985, n° 308 ; Droit fiscal, n° 11, 1985, comm. 555, concl. O. FOUQUET 311 Voir supra n° 88. 312 M. FOURRIQUES, « Le Treaty Shopping ou l’usage abusif des conventions fiscales », Petites affiches, n° 197, 2012, p. 3

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s’agit de l’exploitation par un contribuable des différentes conventions fiscales dans le but de

diminuer ou d’annuler sa charge fiscale sans motif valable. Il s’agit donc d’une forme de fraude

fiscale, particulièrement difficile à combattre car souvent très élaborée. Ce type de dérive

risque ainsi d’encourager la méfiance des administrations fiscales et des juges à l’égard des

conventions.

284. –– D’une manière plus globale, la principale limite des conventions fiscales

internationales résulte de l’approche du problème de la double imposition par l’OCDE et par

les États. Comme ces derniers sont très attachés à leur souveraineté, les négociations et les

travaux relatifs à la double imposition portent surtout sur des méthodes, des points de détail,

mais ne s’adressent pas de manière frontale au problème de la double imposition. Ainsi,

aucune obligation de résultat ne pèse véritablement sur les États, malgré toutes les

conventions signées. Le droit européen constitue peut-être une opportunité d’approche

différente de ces problématiques.

§3 –– Le droit européen

285. –– La question de la compétence de l’Union européenne en matière fiscale est

régulièrement débattue. En effet, si la solution est claire en matière de fiscalité indirecte, elle

l’est nettement moins pour ce qui est de la fiscalité directe, et plus particulièrement de

l’imposition des revenus. Les taxes sur le chiffre d’affaires et d’autres types d’impôts indirects

ont ainsi fait l’objet d’une certaine harmonisation par le droit européen, fondé sur le texte des

traités originels313. A l’inverse, le droit écrit de l’Union ne traite que très peu de l’imposition

des revenus : concernant les personnes physiques, l’action européenne est surtout du fait de

la jurisprudence de la Cour de justice, et en matière d’impôt sur les sociétés, le droit de l’Union

n’envisage les problématiques fiscales que sous l’angle du fonctionnement du marché

unique314.

286. –– Malgré une compétence a priori limitée concernant la fiscalité directe, l’Union

européenne n’est pas sans se préoccuper de la double imposition : selon la Commission

européenne, ce phénomène constitue un véritable obstacle aux activités économiques

313 Article 110 à 113 du TFUE 314 Parlement européen, « Politique fiscale », Fiche techniques sur l’Union européenne, 2017

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transfrontalières et il est de ce fait inacceptable315. Ainsi, même si le droit européen n’a pas

vocation à une action marquée en matière fiscale, la double imposition représente tout de

même une sérieuse limite à l’intégration européenne et au développement du marché unique.

C’est pourquoi l’Union européenne, notamment au travers de la Commission, cherche à éviter

ce type de situation. Cette volonté de prévention des doubles impositions rencontre toutefois

certaines difficultés et se heurte à de sérieuses limites.

A –– Une volonté de prévention des doubles impositions

287. –– L’Union européenne s’est toujours préoccupée de la matière fiscale,

notamment en ce qui concerne la double imposition et la fraude fiscale. Le Traité de Rome,

signé en 1957 et instituant la Communauté économique européenne, prévoyait ainsi que « les

États membres engageront entre eux, en tant que de besoin, des négociations en vue

d’assurer, en faveur de leurs ressortissants […] l’élimination de la double imposition à

l’intérieur de la Communauté »316. Ainsi, au cours de la construction européenne, un certain

nombre de règles sont venues prévenir une double imposition éventuelle, en particulier pour

la fiscalité des entreprises. La compétence de l’Union étant très limitée en la matière, ces

réformes ont souvent pris la forme de directives, dont certaines sont encore à l’état de

proposition.

288. –– L’action de l’Union européenne a particulièrement porté sur la prévention

contre les doubles impositions économiques en matière de groupes de sociétés. En effet, au

sein du marché unique, il arrive souvent que des entreprises exercent leurs activités sur le

territoire de plusieurs États et qu’elles soient organisées sous forme de groupes. Afin de lutter

contre les doubles impositions économiques, relativement fréquentes chez les entreprises

associées en l’absence de mesures spécifiques317, le droit européen a surtout cherché à limiter

les prélèvements à la source en ce qui concerne les revenus dits passifs, comme les dividendes,

les intérêts ou les redevances.

315 V. DE SAINT-BLANQUAT, « La double imposition des entreprises : le point de vue du MEDEF », Droit fiscal, n° 9, 2011, p. 226 316 Article 220 du Traité instituant la Communauté européenne 317 Voir supra n° 116. et s.

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289. –– Plusieurs directives ont porté sur un régime fiscal spécifique pour les dividendes

perçus par les sociétés mères de la part de leurs filiales, dont la dernière en date, actuellement

en vigueur, remonte à 2011318. Le régime mères et filiales prévu par l’Union dans le cadre de

ces directives prévoit notamment deux éléments : d’une part, l’absence de retenue à la source

lors du versement des dividendes ; d’autre part, une imposition spécifique des dividendes

perçus par la société mère, soit sous la forme d’une exonération d’impôt, soit par le biais d’un

crédit d’impôt correspondant au montant payé par la filiale. Cette directive a ainsi permis de

diminuer le risque de double imposition économique au sein du marché unique, et a même

conduit à quelques ajustements au sein du régime des sociétés mères et filiales de droit

français319.

290. –– Outre le cas des dividendes, l’Union européenne a également émis une directive

relative aux intérêts et aux redevances320. L’idée est ici de faire disparaître les retenues à la

source en cas de paiements de ce type entre entreprises associées au moins à hauteur de

25 %. Comme de nombreuses doubles impositions résultent d’un prélèvement à la source,

cette exonération devrait réduire le risque de voir apparaître de telles situations. La directive

a été transposée en droit français à l’article 182 B bis du Code général des impôts en ce qui

concerne les redevances, et à l’article 119 quater du même code pour les intérêts : cette

dernière transposition est toutefois devenue sans objet, les intérêts payés à l’étranger étant

à présent exonérés de prélèvement de droit commun, exception faite des États et territoires

non coopératifs321.

291. –– Par ailleurs, les travaux de la Commission européenne ont conduit à une

proposition de directive relative à une assiette consolidée pour l’impôt payé par les sociétés

européennes. La première proposition remonte à 2011, puis elle a fait l’objet

d’aménagements pour aboutir à une version réactualisée en 2016322. Le projet est encore à

l’étude, mais il prévoit notamment des dispositifs de lutte contre la fraude fiscale, considérée

comme portant atteinte à l’efficacité du marché unique. Dans un second temps, des

318 Directive 2011/96/UE du Conseil du 30/11/2011 319 Article 145 et 216 du CGI 320 Directive 2003/49/CE du Conseil du 03/06/2003 321 Article 131 quater du CGI 322 Commission européenne, Proposition de directive du Conseil concernant une assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés (ACCIS), 2016

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négociations d’ordre politique devraient intervenir entre les États pour aboutir à un accord

sur « un ensemble de règles contraignantes relatives à l’assiette commune »323 de l’impôt sur

les sociétés. La dernière étape consistera alors à intégrer une dimension de consolidation

fiscale à cette mesure (ACCIS). Les propositions de la Commission européenne relatifs à une

base d’imposition commune pour les sociétés rejoignent en réalité les mécanismes de

taxation unitaires qui ont déjà été évoquées dans le cas de l’OCDE. L’idée consisterait en effet

à « une répartition par application d’une formule préétablie de la base imposable ainsi

déterminée » 324. L’Union européenne pourrait ainsi être le théâtre d’une expérimentation de

nouvelles méthodes de lutte contre les doubles impositions.

292. –– Malgré une volonté marquée de lutte contre les phénomènes de double

imposition, à la fois au travers de règles établies et de projets futurs, l’Union européenne se

heurte à un certain nombre de limites dans le cadre de son travail de prévention.

B –– Les limites de la prévention des doubles impositions par le droit européen

293. –– Si le Traité instituant la Communauté européenne prévoyait à l’origine une

mesure portant sur la lutte contre la double imposition, la version actuellement en vigueur du

Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ne traite plus de ce point325. La raison de

cette modification résulte principalement de la volonté des États de conserver leur

souveraineté intacte en matière fiscale, évitant ainsi une trop forte ingérence européenne

dans ce domaine. Par ailleurs, même si la Commission entend agir contre la double imposition,

qui constitue un véritable obstacle aux objectifs poursuivis par les traités, elle se heurte à une

autre limite, qui résulte d’une difficulté purement pratique. En effet, en vertu des traités

fondateurs, « les mesures de nature fiscale doivent être adoptées à l’unanimité par les États

membres »326. Ainsi, la marge de manœuvre des institutions est particulièrement limitée sur

ce sujet, car elles devront constamment composer avec les États membres.

323 Commission européenne, Proposition de directive du Conseil concernant une assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés (ACCIS), 2016, p. 3 324 B. CASTAGNEDE, Précis de fiscalité internationale, 5e édition, 2015, 79. 325 D. GUTMANN, « La double imposition : problèmes contemporains – Introduction au dossier », Droit fiscal, n° 9, 2011, p. 225 326 Parlement européen, « Politique fiscale », Fiche techniques sur l’Union européenne, 2017, p. 1

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294. –– La seconde série de limites relatives à la prévention des doubles impositions par

le droit européen tient davantage à une question de choix politiques. En effet, les institutions

européennes, et en particulier la Commission, ont tendance à davantage se concentrer sur la

fraude et l’évasion fiscales, plutôt que sur la double imposition. De même, la conception de la

politique fiscale européenne par le Parlement européen concerne avant tout la lutte contre

« la fraude fiscale, l’évasion fiscale, l’optimisation fiscale abusive et le blanchiment de

capitaux »327. L’action de l’Union en matière fiscale se concentre donc surtout sur les

contribuables souhaitant échapper à l’impôt, plutôt que sur ceux qui sont victimes d’une

surcharge fiscale injustifiée. A titre d’exemple, on pourra citer une directive venue compléter

celle portant sur le régime des sociétés mères et filiales, en y apportant une véritable limite :

« Les États membres n'accordent pas les avantages de la présente directive à un

montage ou à une série de montages qui, ayant été mis en place pour obtenir, à titre

d'objectif principal ou au titre d'un des objectifs principaux, un avantage fiscal allant à

l'encontre de l'objet ou de la finalité de la présente directive, n'est pas authentique

compte tenu de l'ensemble des faits et circonstances pertinents »328.

295. –– Ainsi, un régime prévu dans le cadre de la prévention contre les doubles

impositions économiques se voit être limité dans un objectif de lutte contre la fraude fiscale,

apparaissant clairement comme prépondérante329. La prévention des doubles impositions par

l’Union européenne apparaît donc comme relativement limitée, tant pour des raisons d’ordre

institutionnel que politique, le phénomène de double imposition n’étant finalement abordé

que dans une dimension très économique.

296. –– Au vu du grand nombre de situations de double impositions qui surviennent

encore, force est de constater que les sources de droit écrites, qu’elles soient de nature

législatives, conventionnelles ou européennes, ne parviennent pas à enrayer le phénomène.

C’est la raison pour laquelle la prévention des doubles impositions passe également par un

rôle important du juge.

327 Parlement européen, « Politique fiscale », Fiche techniques sur l’Union européenne, 2017, p. 1 328 Directive 2015/121/UE du Conseil du 27/01/2015 329 F. PERROTIN, « Fraude fiscale : le plan d’action de la Commission européenne », Petites affiches, n° 250, 2012, p. 3

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Section II

LA PRÉVENTION DES DOUBLES IMPOSITIONS PAR LE JUGE

297. –– Le rôle du juge apparaît comme fondamental dans la lutte contre les situations

de double imposition. En effet, en dépit du nombre croissant de lois et de conventions

internationales visant à lutter contre de telles situations, le phénomène est toujours présent

au sein des activités économiques, en particulier internationales. Au niveau de l’Union

européenne, la Commission a procédé à une consultation publique destinée aux entreprises

en 2010330 : les résultats montraient qu’une écrasante majorité d’entre elles avaient déjà fait

l’objet d’une double imposition de leurs activités internationales, bien qu’une convention

fiscale fût souvent applicable331. Au vu de l’importance des phénomènes de double

imposition, il semble que les sources écrites du droit fiscal international ne sauraient suffire à

mettre en œuvre une prévention suffisante. Par ailleurs, toute norme de droit écrit a vocation

à être appliqué aux cas d’espèce par un juge, qu’il s’agisse d’un texte de loi ou d’une

convention internationale. Le droit fiscal ne fait d’ailleurs pas exception : même s’il revient

souvent à l’administration d’appliquer les règles relatives à l’impôt, elle le fait

systématiquement sous le contrôle du juge, qui constitue un recours fondamental pour le

contribuable qui s’estime lésé.

298. –– Par ailleurs, du fait de la complexité croissante des règles applicables en droit

fiscal et de leur nécessaire articulation avec les stipulations des conventions internationales,

ainsi qu’avec les principes fondamentaux du droit, le juge a un rôle d’une importance capitale

en matière de prévention des doubles impositions. Sa fonction sera en réalité double : d’une

part, il devra souvent interpréter la loi et les conventions fiscales pour déterminer dans quelle

mesure elles trouveront à s’appliquer ; d’autre part, le juge devra confronter ces sources de

droit aux grands principes du droit fiscal, en articulant ces différentes sources en vue de

construire un ensemble cohérent.

299. –– En raison de l’ordre juridique dans lequel s’inscrit la France, en particulier du fait

de son appartenance à l’Union européenne et de son adhésion à d’autres instances

330 Commission européenne, Consultation sur les conventions préventives de la double imposition dans le marché intérieur : exemples concrets de double imposition, 2010 331 European Commission, Summary report of the responses received Commission’s consultation on double taxation convention and the internal market: factual examples of double taxation cases, 2011, p. 15 à 17

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internationales, le juge amené à se prononcer sur des cas de double imposition sera en réalité

multiple. Concrètement, il s’agira d’abord du juge national, qui est le premier à être

compétent pour connaître d’un litige relatif à l’établissement d’un impôt ; il pourra ensuite

éventuellement s’agir d’un juge supranational, dont l’autorité s’imposera à l’État à l’origine

de la double imposition constatée.

§1 –– Le juge national

300. –– Lorsqu’un contribuable estime qu’il fait l’objet d’une double imposition, il

pourra saisir le juge national pour faire constater sa surcharge fiscale. Celui-ci sera alors amené

à qualifier juridiquement la situation dans laquelle se trouve le contribuable, puis à confronter

ces faits aux règles fiscales effectivement applicables en vue d’éviter la double imposition. Le

rôle préventif du juge résidera alors principalement dans l’interprétation des lois internes et

des conventions fiscales, et en parallèle, dans la confrontation des règles issues de ces textes

avec les grands principes du droit fiscal.

301. –– Par ailleurs, on remarque que les deux rôles qui incombent au juge national

peuvent se distinguer selon deux axes : d’une part, il est amené à contrôler la compatibilité

des règles fiscales applicables avec les grands principes, essentiellement issus du bloc de

constitutionnalité ; d’autre part, le travail du juge consiste à confronter la réglementation

applicable avec la matérialité des faits, que celle-ci provienne de la loi interne ou d’une

convention internationale. L’ordre juridique français reprend d’une certaine façon cette

distinction : le juge constitutionnel sera ainsi compétent pour déterminer si les règles dont

découlent les doubles impositions éventuelles sont conformes à la Constitution, et le juge de

l’impôt déterminera quant à lui dans quelle mesure ces règles fiscales sont applicables.

A –– La prévention des doubles impositions par le juge constitutionnel

302. –– Le Conseil constitutionnel est souvent amené à statuer sur la constitutionnalité

des lois de finances votées chaque année. Depuis 2008, avec l’instauration d’un mécanisme

de contrôle a posteriori, au travers de la question prioritaire de constitutionnalité, le nombre

de décisions du juge constitutionnel a connu une très nette augmentation, y compris en

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matière fiscale. Le contrôle effectué par le Conseil permet d’assurer que les lois relatives à

l’impôt respectent les principes qui émanent de la Constitution, ainsi que des autres textes

composant le bloc de constitutionnalité. Le principe qui donne lieu au plus grand nombre de

décisions de la part du Conseil constitutionnel est celui d’égalité devant l’impôt, également

parfois appelé principe d’égalité devant les charges publiques332.

303. –– Si les situations de doubles impositions sont relativement fréquentes, le juge

constitutionnel n’avait jamais eu l’occasion de se prononcer sur cette question jusqu’en 2010 :

au travers d’une décision portant sur l’article 155 A du Code général des impôts, le Conseil a

pu estimer que le fait qu’un « contribuable soit assujetti à une double imposition au titre d’un

même impôt » ne saurait être conforme à la Constitution333. La loi sur laquelle porte cette

décision est en réalité une spécificité française, datant d’une loi de 1970 : il s’agit d’un

mécanisme qui prévoit que « les sommes perçues par une personne domiciliée ou établie hors

de France en rémunération de services rendus par une ou plusieurs personnes domiciliées ou

établies en France sont imposables au nom de ces dernières » lorsque certaines conditions

sont réunies, notamment si le bénéficiaire des rémunérations est une société contrôlée par le

prestataire de services, si elle est située dans un État à fiscalité privilégiée, ou encore si elle

n’a pas une autre activité que la prestation de services334. Le Conseil constitutionnel a ainsi

estimé que cette loi était conforme à la Constitution, du fait que « le législateur a entendu

mettre en œuvre l’objectif constitutionnel de lutte contre l’évasion fiscale ». Il apporte

toutefois une sérieuse limite à ce mécanisme : si le bénéficiaire du paiement situé à l’étranger

reverse tout ou partie des sommes perçues au prestataire de services établi en France, ce

dernier ne saurait faire l’objet d’une double imposition.

304. –– Ainsi, le Conseil constitutionnel considère que le phénomène de double

imposition juridique n’est pas conforme à la Constitution, car il entraînerait une rupture du

principe d’égalité devant les charges publiques en faisant peser sur certains contribuables une

surcharge fiscale injustifiée. La portée de cette décision est toutefois à nuancer, car les

doubles impositions juridiques surviennent presque exclusivement dans le cadre d’opérations

332 Article 13 de la DDHC 333 Cons. const., 26/11/2010, M. Moreau, n° 2010-70 QPC, RJF, 2/2011, n° 210 ; Droit fiscal, n° 6, 2011, comm. 209, note F. DIEU ; Gazette du Palais, n° 58, 2011, p. 18 334 Article 155 A du CGI

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internationales : reste donc à déterminer « quelles conséquences tirer de ce principe dans

l’ordre international »335.

305. –– Par la suite, le Conseil constitutionnel a de nouveau été amené à prendre une

décision relative à un cas de double imposition, mais de manière plus indirecte. Dans une

décision de 2016, il a été jugé que le régime des sociétés mères et filiales prévus par les articles

145 et 216 du Code général des impôts entrainaient une rupture du principe d’égalité devant

les charges publiques336. En effet, à l’époque, ces articles prévoyaient que pour appliquer ce

régime de lutte contre les doubles impositions économiques, une société mère devait disposer

de 5 % du capital et de 5 % des droits de vote de sa filiale pendant au moins deux ans. A

l’inverse, le droit européen ne prévoyait qu’une condition de détention en capital, et non pas

en droits de vote.

306. –– On assistait donc à un phénomène de discrimination à rebours, c’est-à-dire

lorsqu’une situation de droit purement interne, où le droit de l’Union n’a pas vocation à

s’appliquer, conduit à un traitement plus sévère que l’application du droit européen dans une

situation analogue. Si ce type de différence n’est pas contraire au droit de l’Union, la situation

étant en-dehors de son champ de compétence, il n’en est pas moins contraire au principe

d’égalité devant la loi337. C’est la raison pour laquelle le Conseil constitutionnel a jugé que

l’ancienne forme du régime des sociétés mères et filiales entraînait une rupture du principe

d’égalité devant les charges publiques, car elle conduisait à opérer une différenciation entre

les dividendes d’une filiale française et ceux d’une filiale d’un autre État membre de l’Union

européenne. Le régime français a donc été adapté, et seule la condition relative à la détention

du capital a été maintenue338. Suite à cette décision, le Conseil constitutionnel a ainsi

indirectement conduit à prévenir les cas de double imposition économique en élargissant le

champ d’application d’un régime visant à éviter ce phénomène.

335 D. GUTMANN, « La double imposition : problèmes contemporains – Introduction au dossier », Droit fiscal, n° 9, 2011, p. 225 336 C. const., 03/02/2016, Société Metro Holding France SA, n° 2015-520 QPC, RJF, 4/2016, n° 366 ; JCP E, n° 6, 2016, act. 148 337 A. JAUREGUIBERRY, « La discrimination à rebours devant le juge national », RTD eur., n° 1, 2017, p. 39 338 Voir supra n° 135. et s.

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307. –– Le rôle du Conseil constitutionnel en matière de prévention des doubles

impositions est notable, mais il demeure limité par la nature particulière du juge de la

Constitution : sa compétence se limite à l’appréciation des textes au regard des principes

contenus dans le bloc de constitutionnalité. A l’inverse, juge de l’impôt dispose d’une

approche différente, qui peut parfois se traduire par une plus grande marge de manœuvre.

B –– La prévention des doubles impositions par le juge de l’impôt

308. –– Le juge de l’impôt dispose d’un rôle fondamental en matière de double

imposition, car il sera concrètement confronté à ce type de situation. C’est donc lui qui sera

en mesure de mettre en œuvre les règles permettant d’éviter de phénomène. Le juge de

l’impôt, qu’il émane de l’ordre administratif ou judiciaire, devra interpréter la loi interne et les

conventions internationales, et déterminer dans quelle mesure ces textes sont de nature à

prévenir une situation de double imposition. Il pourra éventuellement aussi être amené à faire

œuvre de création au travers de sa jurisprudence.

309. –– En pratique, on constate que le rôle du Conseil d’État en matière de prévention

des doubles impositions est sensiblement plus important que celui de la Cour de cassation,

qui n’a pas compétence pour connaître des litiges relatifs aux impôts directs.

1) Le rôle du Conseil d’État

310. –– Selon l’article L199 du Livre des procédures fiscales, les décisions rendues par

l’administration fiscale en matière d’impôts directs peuvent faire l’objet d’un recours devant

les juridictions de l’ordre administratif. En pratique, ce sera donc surtout devant le Conseil

d’État que se poseront les questions relatives à des situations de double imposition. En effet,

ce type de phénomène se produit généralement en matière d’imposition des revenus, ce qui

appartient à la catégorie des impôts directs.

311. –– Le rôle du Conseil d’État en la matière est globalement assez limité. Mais parfois,

le juge administratif présente tout de même une certaine volonté de lutter contre certaines

situations manifestes de surcharge fiscale. Par exemple, il a cherché à corriger le phénomène

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de double imposition qui résultait du régime particulier des sociétés de personnes339. En effet,

au travers de sa jurisprudence Quémener, le Conseil d’État a mis en œuvre une méthode

particulière pour le calcul du prix de revient des titres d’une société de personne lors d’une

cession, notamment de manière à tenir compte de la part de bénéfices qui a effectivement

été distribuée à l’associé cédant340. Ce mécanisme s’inscrit dans une volonté de neutralité de

la loi fiscale face au régime de translucidité des sociétés de personnes, et permet ainsi d’éviter

une double imposition économique, qui aurait conduit à imposer l’associé au titre des

bénéfices de la société fiscalement translucide d’une part, et d’autre part au titre de la plus-

value constatée lors de la cession. Par la suite, ce mode de calcul prétorien a été étendu aux

plus-values constatées suite à une transmission universelle de patrimoine341. Mais dans ce cas

précis, le juge est rapidement venu y apporter une limite : le régime spécifique au calcul du

prix de revient des titres d’une société de personnes n’a vocation à s’appliquer qu’en cas de

véritable double imposition subie par la société absorbante342.

312. –– Si cette jurisprudence du Conseil d’État constitue clairement un mode de

prévention des doubles impositions, les interventions du Conseil d’État en la matière sont

assez peu fréquentes. Le juge administratif n’a d’ailleurs pas une tendance particulièrement

marquée à interpréter la loi et des conventions fiscales en faveur des contribuables victimes

de double imposition. La plupart du temps, il se contentera d’opérer une interprétation stricte

des textes applicables, estimant qu’il ne lui revient pas de s’opposer aux surcharges fiscales

qui découlent simplement du cumul des règles en vigueur. La jurisprudence du Conseil d’État

a également conduit à minorer l’importance des conventions fiscales internationales. En effet,

en vertu du principe de subsidiarité343, la loi fiscale interne doit être consultée en priorité, la

convention fiscale éventuellement applicable n’ayant vocation qu’à s’appliquer dans un

339 Voir supra n° 124. et s. 340 CE, 16/02/2000, SA Etablissements Quémener, n° 133296, RJF, 3/2000, n° 334, concl. G. BACHELIER ; Droit fiscal, n° 14, 2000, comm. 283, note J. TUROT ; Bull. Joly Sociétés, n° 5, p. 535, note P. DEROUIN 340 CE, 15/12/2010, Ferreira d’Oliveira, n° 297513, Lebon 2010, p. 735 ; RJF, 5/2010, n° 280 ; Droit fiscal, n° 6, 2011, comm. 205, concl. N. ESCAUT 341 CE, 27/07/2015, SA Matériels Electriques Ascenseurs, n° 362025, RJF, 11/2015, n° 883, concl. É. BOKDAM-TOGNETTI ; Droit des sociétés, n° 12, 2015, comm. 224, note J.-L. PIERRE 342 CE, 06/07/2016, SARL Lupa Immobilière France et SARL Lupa Patrimoine France, n° 377904 et 377906, RJF, 11/2016, n° 982, concl. N. ESCAUT ; Les Nouvelles Fiscales, 2016, n° 1186 ; Droit fiscal, n° 39, 2016, comm. 514, note F. LUGAND 343 CE, 28/06/2002, Schneider Electric, n° 232276, Lebon 2002 ; RJF, 10/2002, n° 1080, p. 755, note L. OLLÉON ; BDCF, 10/2002, n° 120, concl. S. AUSTRY ; Droit fiscal, n° 36, 2002, comm. 657

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second temps. A l’origine, cette notion était appelée principe de priorité du droit interne par

la doctrine, mais le terme de subsidiarité a finalement été retenu, suite à la jurisprudence

établie du Conseil d’État en la matière344. Le juge suprême de l’ordre administratif est même

allé plus loin dans ce raisonnement, en estimant que même si une loi peut être écartée par

l’application d’une convention dans un cas d’espèce, elle n’est pas pour autant contraire à une

norme supérieure345. Ainsi, lorsqu’apparaît une discordance entre la loi fiscale et une

convention bilatérale, « la disposition nationale ne saurait être vue comme non conforme

mais seulement inapplicable dans un contexte spécifique »346. Ce principe a été réaffirmé de

manière forte dans deux décisions de 2013347.

313. –– La jurisprudence du Conseil d’État est donc parfois encline à encourager la lutte

contre la double imposition, mais le juge administratif se montre très souvent réticent à

interpréter les conventions et la loi interne dans une optique trop favorable au contribuable.

Le juge judiciaire, bien que peu sollicité en matière de double imposition, rejoint son

homologue administratif sur ce point.

2) Le rôle de la Cour de cassation

314. –– Selon l’article L199 du Livre des procédures fiscales, la compétence fiscale de la

Cour de cassation se limite aux droits d’enregistrements et aux autres formes d’impôts

indirects. Selon la loi, les juridictions de l’ordre judiciaire ne sont pas compétentes pour les

litiges portant sur l’établissement des impôts relatifs aux revenus des personnes physiques et

morales, ce qui exclut de fait les problématiques de doubles impositions. Cette organisation

juridique conduit donc logiquement à une jurisprudence judiciaire très faible, voire

inexistante, en la matière.

315. –– Toutefois, il est intéressant d’évoquer le cas très particulier de la double

imposition économique qui pourrait résulter d’une situation de simulation348. En effet, dans

344 A. CLOUTÉ, Le principe de subsidiarité des conventions fiscales internationales, Mémoire, Université Paris I – Panthéon Sorbonne, 2011, p. 15 345 CE, 09/07/2010, Société Jas Hennessy et Cie, n° 314406, RJF, 11/2010, n° 1103 ; RJF, 2/2011, n° 144 ; Droit fiscal, n° 45, 2010, comm. 554, concl. É. GEFFRAY, note P. DIBOUT 346 A. REVEL, « Traités fiscaux bilatéraux : un contrôle de conventionalité assez peu conventionnel », Petites affiches, n° 248, 2013, p. 11 347 CE, 12/07/2013, Aube-Martin et Gibier, n° 359994 et n° 399314, Droit fiscal, n° 37, 2013, comm. 417, concl. B. BOHNERT, note, F. LE MENTEC ; Petites affiches, n° 248, 2013, p. 5, note A. REVEL 348 Voir supra n° 164. et s.

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le cas où un contribuable met en scène une situation ostensible dans le but de tromper

l’administration fiscale en masquant la situation réelle dans laquelle il se trouve, le Conseil

d’État reconnaît depuis longtemps un choix à l’administration : de dénoncer la simulation sur

le terrain de l’abus de droit349, soit se limiter à l’apparence mis en œuvre par le

contribuable350. En réalité, cette éventualité était déjà acceptée par la Cour de cassation de

manière implicite depuis bien longtemps. En effet, lorsqu’une convention de prête-nom a été

conclue dans le but d’acquérir un bien, sans qu’il s’agisse d’une déclaration de command

régulièrement conclue351, « les auteurs enseignent depuis longtemps que l’administration

peut alors percevoir un double droit de mutation sans que le prête-nom ne puisse opposer sa

qualité réelle de simple mandataire »352. On peut estimer qu’il s’agit ici d’une situation de

double imposition économique, mais celle-ci découle en réalité d’une interprétation stricte

des apparences créées dans le cadre de la simulation, qui conduisent à deux transferts de

propriété successifs. Ce raisonnement est appliqué sans difficulté par la Cour de cassation

depuis plusieurs décennies353. Celle-ci semble donc n’avoir aucune difficulté à constater des

phénomènes de double imposition, peut-être parfois dans une optique de sanction du

comportement des contribuables. La position du juge, judiciaire comme administratif, conduit

ainsi à montrer certaines limites au rôle du juge national dans la lutte contre les doubles

impositions.

C –– Les limites de la prévention des doubles impositions par le juge national

316. –– Le juge de l’impôt et le Conseil constitutionnel cherchent parfois à prévenir les

doubles impositions en adaptant certaines réglementations aux situations pratiques que

peuvent rencontrer les contribuables, parfois même en créant des mécanismes nouveaux,

auxquels le législateur n’avait pas forcément pensé. Pourtant, le rôle préventif du juge est

globalement assez modéré : ce dernier cherche avant tout à appliquer la loi fiscale dans le

respect le plus strict de la volonté du législateur, même si cela conduit à minorer la part des

349 Article L64 du LPF 350 CE, 20/02/1974, Lemarchand, n° 83270, Lebon 1974 ; Droit fiscal, n° 30, 1974, comm. 958, concl. D. MANDELKERN 351 Article 686 du CGI 352 F. DEBOISSY, La simulation en droit fiscal, Thèse, LGDJ, 1997, 617. 353 Cass. req., 10/02/1936

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conventions fiscales face à la loi interne. Cette réticence à combattre plus franchement les

doubles impositions résulte notamment d’une préoccupation plus grande pour les

problématiques de fraude fiscale. Le Conseil constitutionnel rappelle d’ailleurs régulièrement

que la lutte contre l’évasion fiscale constitue un objectif à valeur constitutionnelle, de nature

à justifier certaines atteintes aux libertés individuelles354.

317. –– Par ailleurs, les conventions fiscales internationales doivent souvent faire l’objet

d’une interprétation par le juge dans leur application. Dans cet exercice, le Conseil d’État a

souvent tendance à réduire la portée des conventions, ou du moins à les circonscrire à des cas

bien précis : le principe de subsidiarité est un exemple de cette approche particulière du droit

fiscal conventionnel. Les conventions seront souvent appréhendées par le juge selon sa

culture juridique nationale, et ainsi interprétées dans un sens favorable au droit interne. Si le

juge national ne parvient pas à lutter contre les doubles impositions de manière efficace, les

contribuables pourront éventuellement trouver un autre recours auprès d’un juge

supranational.

§2 –– Le juge supranational

318. –– La France fait partie d’un certain nombre d’organisations internationales. Mais

en réalité, assez peu d’institutions présentent un caractère contraignant qui se manifeste au

travers d’un juge indépendant des États : dans la plupart des cas, ce seront les juridictions

nationales des États signataires qui appliqueront les dispositions d’un traité international.

Toutefois, certaines organisations prévoient l’existence d’un juge supranational, indépendant

des États membres, mais dont les décisions s’imposent à ces derniers. Ce type d’institution

s’est principalement développé sur le continent européen, dans un premier temps au travers

du Conseil de l’Europe et de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des

libertés fondamentales, signée en 1950. Par la suite, la construction de l’Union européenne a

également permis d’aboutir à nouvelle une source de droit, y compris en matière fiscale.

319. –– Ce développement du droit international a conduit à la mise en place de deux

juges supranationaux, qui seront éventuellement amenés à se prononcer sur des questions

354 E. DE CROUY-CHANEL, « Le Conseil constitutionnel mobilise-t-il d’autres principes constitutionnels que l’égalité en matière fiscale ? », Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 33, 2011

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relatives à l’impôt. D’une part, la Cour de justice de l’Union européenne a développé une

jurisprudence relativement abondante en matière fiscale, traitant parfois plus ou moins

directement de la double imposition. D’autre part, devant la persistance des phénomènes de

doubles impositions, un recours pourrait éventuellement être envisagé devant la Cour

européenne des droits de l’homme.

A –– La Cour de justice de l’Union européenne

320. –– Tout au long de la construction européenne, le rôle de la Cour de justice s’est

avéré extrêmement important. C’est par exemple sa jurisprudence qui a consacré les principes

fondamentaux de primauté355 et d’effet direct356, dont l’objet est d’articuler le droit de l’Union

avec le droit national des États membres. En matière de fiscalité, la Cour de justice et les traités

européens se sont davantage concentrés sur la fiscalité indirecte, en particulier sur les taxes

sur le chiffre d’affaires et les droits de douanes. L’objectif premier étant la création d’un

marché unique, il apparaissait primordial de traiter ce type d’impôt dans un premier temps.

Par la suite, la Cour de justice commencera à s’intéresser à la fiscalité directe, mais de manière

assez limitée.

321. –– Pendant un certain temps, on a pu soutenir que la double imposition constituait

une restriction aux mouvements de capitaux entre les États membres, et allait ainsi à

l’encontre des dispositions du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Mais en

2009, dans une affaire portant sur une double imposition juridique de dividendes français

perçus par des résidents belges, la Cour de justice a invalidé cet argumentaire. Il a donc été

jugé que l’ancien article 56 CE357 ne s’opposait pas à l’existence d’une convention fiscale

bilatérale « qui ne prévoit pas qu’il soit posé, à la charge de l’État membre de résidence de

l’actionnaire, une obligation inconditionnelle de prévenir la double imposition juridique qui

en résulte »358. La Cour avait déjà rappelé quelques années auparavant que l’assiette et les

taux d’imposition des dividendes relevaient de la compétence exclusive des États359 : ce

355 CJCE, 15/07/1964, Costa c/ ENEL, n° 6/64, Rec. CJCE 1964, p. 1141 356 CJCE, 05/02/1963, Van Gend en Loos, n° 26/62, Rec. CJCE 1963, p. 3 357 Devenu l’article 63 du TFUE 358 CJCE, 16/07/2009, Damseaux, C-128/08, Rec. CJCE 2009, I, p. 6823 ; RJF, 11/2009, n° 1031; Droit fiscal, n° 30, 2009, 428 359 CJCE, 12/12/2006, Test Claimants in Class IV of the ACT Group Litigation, C-374/04, Rec. CJCE 2006, I, p. 11673, concl. L. A. GEELHOED ; RJF, 3/2007, n° 376 ; Droit fiscal, n° 52, 2006, act. 265

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raisonnement peut également s’appliquer à d’autres types d’impôts directs. Ainsi,

« l’existence de la double imposition doit être considérée comme une possibilité logique en

l’absence d’harmonisation et juridiquement acceptable »360. La Cour de justice refuse donc de

prévenir les doubles impositions par principe, considérant que cela n’est pas son rôle mais

plutôt celui des États, et que les situations de ce type ne sont pas en elles-mêmes contraires

au droit de l’Union. Cette jurisprudence constante de la Cour peut être interprétée comme

une faiblesse de la construction européenne, mais elle résulte en réalité davantage des

difficultés rencontrées par les États membres pour harmoniser leurs règles d’assiette ou de

taux en matière d’impôts directs. Pour résoudre cette difficulté, il faudrait s’orienter vers un

fédéralisme européen plus marqué, mais les États s’y refusent depuis près de 60 ans361.

322. –– Même si son rôle en matière de prévention des doubles impositions est limité,

la Cour de justice de l’Union européenne n’ignore pas pour autant la fiscalité directe mise en

œuvre par les États. Si ces derniers sont libres dans la détermination de leurs règles relatives

à l’impôt, ils se doivent tout de même de respecter les principes fondamentaux du droit de

l’Union, notamment ceux issus des traités fondateurs. A partir des années 1980, la Cour

vérifiera donc la compatibilité des mesures fiscales en vigueur au sein des États membres, en

particulier au regard du principe de non-discrimination362. Une règle à l’origine d’une double

imposition pourra ainsi être invalidée par le droit européen dans la mesure où elle impliquerait

une discrimination au sein de l’Union : ce sera le cas si le texte en question prévoit de traiter

différemment deux personnes qui sont dans la même situation, ou encore à traiter de façon

identique deux personnes étant dans des situations différentes.

323. –– Par ailleurs, un autre mécanisme propre au droit européen peut constituer une

protection pour le droit fiscal des États membres. En effet, si les lois nationales doivent en

tout état de cause être compatibles avec le droit dérivé de l’Union, elles disposeront d’un

statut particulier dès lors qu’elles sont en conformité avec ce dernier, ce qui sera

généralement le cas lors de la transposition fidèle d’une directive. Ainsi, les lois fiscales

conformes au droit européen dérivé bénéficieront d’une protection dans leur relation avec le

droit primaire de l’Union, et sera donc valable tant que la directive qu’elles transposent n’a

360 M. CHASTAGNET, « Double imposition des dividendes, prestations d’assurance, droit conventionnel et droit dérivé : le droit fiscal de l’UE est un chemin sinueux… », Les Nouvelles Fiscales, n° 1179, 2016 361 Ibid. 362 P. MARCHESSOU, « Impôts directs », Répertoire de droit européen, Dalloz, 2016, 66. et s.

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pas été invalidée363. Comme ce mécanisme prévoit une certaine protection du droit national

face aux principes issus du droit primaire de l’Union, il pourrait rendre plus difficile la lutte

contre les doubles impositions par la jurisprudence de la Cour de justice consistant à

soumettre les lois nationales aux principes fondamentaux du droit primaire.

324. –– La jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne est donc

relativement importante en matière d’impôts directs, mais elle ne témoigne pas d’une volonté

franche de prévenir les doubles impositions, estimant que cela doit avant tout relever du rôle

des États. Les contribuables victimes de ce phénomène ne pouvant se satisfaire d’un recours

devant le juge d’ l’Union, il leur reste éventuellement un recours devant celui de la Convention

européenne des droits de l’homme.

B –– La Cour européenne des droits de l’Homme

325. –– Les recours devant la Cour européenne des droits de l’homme en matière fiscale

sont relativement fréquents. Ils se fondent généralement sur l’article 1er du premier protocole

additionnel à la Convention, dont l’objet est la protection de la propriété privée. Le texte

rappelle toutefois, en son second alinéa, que ces dispositions « ne portent pas atteinte au

droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaire […] pour

assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ». Ainsi, le texte a bien vocation à

s’appliquer en matière fiscale, mais dans une optique très limitée. Comme l’État dispose d’un

pouvoir souverain d’imposition, l’atteinte au droit de propriété par l’impôt devra être

disproportionnée ou contraire à un autre principe garanti par la Convention, par exemple

l’interdiction de la discrimination364. La Cour contrôlera donc particulièrement « la

proportionnalité entre le montant de l’impôt et la capacité financière de l’assujetti »365, et se

concentrera moins sur la décision d’imposition en elle-même, ou encore sur les objectifs socio-

économiques poursuivis.

363 A. MAITROT DE LA MOTTE, « Les clauses anti-abus et le droit de l’Union européenne », Droit fiscal, n° 13, 2016, comm. 257, 16. 364 Article 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales 365 Conseil de l’Europe, « La Convention européenne des Droits de l’Homme et le droit de propriété », Dossiers sur les droits de l’Homme, n° 11 rév., p. 26

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326. –– En matière de double imposition, la jurisprudence de la Cour de Strasbourg

apparaît très limitée. On peut toutefois noter que dans une de ses décisions, elle envisage la

question de double imposition sur le même plan que l’expropriation pour conclure qu’une loi

n’allait pas à l’encontre du droit de propriété366. Il semble donc que la Cour européenne des

droits de l’homme considère les situations de double imposition résultant d’une loi comme

contraire à la protection du droit de propriété, mais aucune de ses décisions ne permet

clairement de l’affirmer. Si ce recours peut paraître intéressant, comme la double imposition

juridique est de nature à porter atteinte de façon disproportionnée à l’article 1er du premier

protocole additionnel, il se heurte toutefois à une difficulté d’ordre procédural. En effet,

« plusieurs États ne peuvent être cumulativement assignés devant la Cour européenne des

droits de l’homme »367, ce qui empêchera de caractériser les faits qui portent atteinte au droit

de propriété. Ainsi, le contribuable ne pourra utiliser cette voie que dans le cas où la double

imposition dont il est victime est le fait d’un seul État, ce qui n’arrive pratiquement jamais.

327. –– De nombreuses mesures permettent de combattre la double imposition par la

voie de la prévention. Il s’agit généralement de la voie la plus efficace du point de vue du

contribuable, qui pourra faire chercher à faire valoir ses droits devant les juridictions de son

État de résidence. Un ensemble de mesures a ainsi été prévu, tant par la loi et les conventions

fiscales internationales que par le juge, pour permettre une lutte efficace contre les doubles

impositions. Mais malgré cette prévention active, de nombreuses situations de doubles

impositions continuent d’apparaître auprès des contribuables. Lorsque tous les recours

préventifs sont épuisés, la seule option consistera alors à rechercher la correction de la double

imposition, c’est-à-dire qu’une administration fiscale renonce à son droit d’imposition pour

neutraliser la surcharge fiscale qui pèse sur lui.

366 CEDH, 23/10/1997, National and Provincial Building Society, Leeds Building Society et Yorkshire Building Society c/ Royaume-Uni, n° 21319/93, 21449/93 et 21675/93, Rec. CEDH 1997, p. 7 ; RJF, 12/1997, n° 1215 367 D. GUTMANN, « La double imposition : problèmes contemporains – Introduction au dossier », Droit fiscal, n° 9, 2011, p. 225

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141

CHAPITRE II

LA CORRECTION DES DOUBLES IMPOSITIONS

328. –– Malgré les nombreuses méthodes de prévention qui ont été mises en œuvre, à

la fois par le droit interne et le droit international, la double imposition continue de frapper

un grand nombre d’entreprises, en particulier lorsqu’elles exercent leurs activités dans un

cadre international. Comme ce phénomène constitue un véritable frein aux activités

économiques, plusieurs organisations se sont penchées sur cette question, notamment

l’OCDE et l’Union européenne368. Les États eux-mêmes s’intéressent à cette question depuis

plusieurs décennies, et la plupart cherchent activement à lutter contre la double imposition

au travers d’un nombre croissant de conventions fiscales bilatérales : la France fait d’ailleurs

ici figure de bonne élève, puisque « son réseau conventionnel est parmi les plus étendus au

monde »369. Pourtant, en dépit de tous les efforts entrepris, la situation ne semble pas

réellement s’améliorer pour les contribuables, en tout cas d’un point de vue global. Ce constat

résulte notamment du fait qu’en l’état actuel des choses, la prévention ne suffit pas à enrayer

les doubles impositions. Les États étant trop réticents à s’engager plus avant dans cette

optique, les mesures entreprises s’apparentent surtout à des négociations et des règles peu

contraignantes, afin de préserver une grande souveraineté fiscale.

329. –– La prévention des doubles impositions constitue en réalité le mode de lutte le

plus efficace contre ce type de situation. En effet, avec des mécanismes d’exonération ou

d’imputation de l’impôt payé à l’étranger, les opérateurs économiques n’ont pas à supporter

le coût de la surcharge fiscale qui pèse sur eux. Les mesures préventives permettent ainsi

d’éviter ces situations sans malmener les finances des entreprises les plus internationalisées.

Toutefois, ces méthodes étant souvent limitées à des situations très précises, une part

importante des doubles impositions ne parvient pas à être évitée de cette façon. C’est la

raison pour laquelle il a été imaginé des mécanismes de correction, qui résultent

368 DE SAINT-BLANQUAT Vanessa, « La double imposition des entreprises : le point de vue du MEDEF », Droit fiscal, n° 9, 2011, p. 226 369 D. GUTMANN, « La double imposition : problèmes contemporains – Introduction au dossier », Droit fiscal, n° 9, 2011, p. 225

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principalement des travaux de l’OCDE et de l’Union européenne, qui ont ensuite été acceptés

et mis en œuvre par les États.

330. –– Ces méthodes d’élimination des doubles impositions ont une conception avant

tout très pratique : il s’agit de procédures, que peut mettre en œuvre un contribuable qui

s’estime victime d’une surcharge fiscale afin que les administrations des États concernés se

consultent, et trouvent une solution qui satisfasse tous les acteurs en présence. Ce type de

mécanisme repose en grande partie sur le caractère amiable de la procédure, qui prendra

d’abord la forme d’une négociation entre administrations fiscales. Ainsi, le modèle de

convention fiscale de l’OCDE prévoit que « les autorités compétentes des États contractants

s’efforcent, par voie d’accord amiable, de résoudre les difficultés ou de dissiper les doutes

auxquels peuvent donner lieu l’interprétation ou l’application de la convention »370. Un autre

recours est envisageable pour les contribuables européens, sous certaines conditions, sur le

fondement de la Convention européenne d’arbitrage371. Il est à noter que ces procédures sont

indépendantes des recours prévus par le droit interne dans chaque État. Ainsi, en cas de conflit

avec l’administration fiscale, un contribuable pourra d’abord chercher à faire valoir ses droits

devant le juge, national ou supranational, en vue d’éliminer la double imposition par des

mécanismes de prévention ; dans le cas où ces recours s’avérerent insuffisants, il pourra

enclencher une procédure de correction des doubles impositions sur le fondement d’une

convention internationale le prévoyant. En raison des délais de prescription relativement

courts, les deux types de recours seront parfois exercés en parallèle. Mais comme il s’agit de

procédures indépendantes, il n’est pas impossible d’avoir exclusivement recours à l’un ou

l’autre.

331. –– Les méthodes de corrections des doubles impositions reposent donc avant tout

sur la coopération entre les administrations fiscales des États concernés. On comprend donc

aisément que ce recours ne sera pas envisageable pour le contribuable dans une situation de

double imposition purement interne : dans ce cas, seuls les recours devant le juge seront

possibles. Mais dans les situations de doubles impositions internationales, qu’elles soient

juridiques ou économiques, un recours en vue de corriger la surcharge fiscale subie sera

370 OCDE, Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune – Version abrégée, 9e édition, 2014, p. 39 371 Convention relative à l’élimination des doubles impositions en cas de correction des bénéfices d’entreprises associées (90/436/CEE) du 23/07/1990

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généralement envisageable. Ce système se fonde en majeure partie sur des procédures

internationales, qui relèvent pour beaucoup de la négociation et de la diplomatie entre États.

Ce mode de fonctionnement s’accommode assez mal de règles trop strictes, ce qui peut

constituer une véritable incertitude pour le contribuable. Cette insécurité juridique se voit

encore renforcée par les spécificités de la matière fiscale, particulièrement sensible aux

atteintes à la souveraineté nationale. Ainsi, les procédures internationales de correction des

doubles impositions constituent un recours intéressant pour les victimes de ce phénomène,

mais son efficacité est grandement entravée par une réticence marquée de la part des États.

Section I

LA CORRECTION DES DOUBLES IMPOSITIONS PAR LES PROCÉDURES

INTERNATIONALES

332. –– Le droit fiscal international est très largement façonné par les conventions

conclues entre les États : ce caractère conventionnel se manifeste concrètement en une

multitude de traités bilatéraux, notamment conclus en vue d’éviter les doubles impositions.

Ainsi, les règles applicables en matière de fiscalité internationale résultent principalement de

la souveraineté propre à chaque État : soit la volonté étatique prendra directement forme,

notamment avec les lois internes, soit elle se manifestera à travers des négociations menées

dans le cadre des conventions fiscales. Les procédures internationales de correction des

doubles impositions participent globalement de la même logique, présentant un caractère

profondément amiable et fondé sur la négociation entre États souverains. Les administrations

fiscales se sont d’ailleurs engagées dans cette voie depuis plusieurs décennies, une approche

commune de la fiscalité étant devenue nécessaire à l’heure de la mondialisation372.

333. –– Les traces de multilatéralisme, sont ainsi très faibles, voire inexistantes. De la

même façon, aucune des instances supranationales impliquées ne disposent réellement d’un

véritable pouvoir, de nature à édicter des règles contraignantes en matière fiscale. Ainsi,

l’OCDE formule avant tout des observations et des préconisations, dont les États sont libres

de s’inspirer pour établir les conventions ou pour les interpréter. Le modèle de convention

372 G. ORSINI, « La coopération des administrations fiscales », Petites affiches, n° 97, 2002, p. 50

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établi par l’organisation et régulièrement réactualisé illustre parfaitement ce mode de

fonctionnement373.

334. –– En matière de correction des doubles impositions, le cas de l’Union européenne

est globalement similaire : les institutions ne disposent pas en tant que telles de compétence

en la matière. C’est pourquoi la Convention européenne d’arbitrage, signée en 1990 par les

États membres de la Communauté européenne en vue d’éliminer les doubles impositions, a

pris la forme d’un traité interétatique, et non pas d’un acte émanant des institutions

européennes. Ce choix s’explique par la volonté ferme des États de conserver une base la plus

conventionnelle possible en droit fiscal, écartant autant que faire se peut les règles émanant

d’autorités supranationales. Par ailleurs, le traité est multilatéral, et constitue ainsi une forme

d’exception à l’hostilité de la plupart des États au multilatéralisme en matière fiscale374. Il

faudra toutefois noter que la Convention d’arbitrage ne fait qu’apporter un cadre commun

aux procédures de correction des doubles impositions au sein des États européens, et

n’apportent pas réellement de règles nouvelles en matière de fiscalité. De plus, la Convention

ne concerne que la question des corrections de prix de transfert entre entreprises associées.

Il s’agit donc plutôt de la mise en place d’un recours uniformisé pour les contribuables

résidents de l’Union européenne que d’un véritable multilatéralisme fiscal.

335. –– Les procédures internationales d’élimination des doubles impositions sont donc

essentiellement au nombre de deux. D’une part, il existe la procédure amiable, prévue par les

conventions fiscales bilatérales qui suivent le modèle de l’OCDE : elle permet au contribuable

d’amener les administrations fiscales des États concernés à négocier en vue d’un accord

permettant de résoudre la situation. D’autre part, la procédure prévue par la Convention

européenne d’arbitrage peut constituer un recours intéressant, sous certaines conditions :

cette procédure apporte notamment des garanties supplémentaires au contribuable, en

faisant peser sur les États une responsabilité plus grande quant à l’élimination effective de la

double imposition. Malgré tout, ces deux procédures ne permettent pas toujours de régler

toutes les situations de doubles impositions : il peut donc être intéressant de se pencher sur

des modes alternatifs qui permettraient de corriger ce phénomène.

373 OCDE, Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune – Version abrégée, 9e édition, 2014 374 B. CASTAGNEDE, Précis de fiscalité internationale, 5e édition, 2015, 130.

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§1 –– Les procédures amiables bilatérales

336. –– Lors des prémices de la lutte internationale contre les doubles impositions, à

l’époque de la Société des Nations, il avait déjà été envisagé une forme de recours pour les

contribuables victimes de doubles impositions. Ainsi, le premier modèle de convention fiscale

internationale fut présenté en 1943 à Mexico par le comité fiscal de la Société des Nations, et

son article XVI prévoyait explicitement la possibilité pour un contribuable faisant l’objet d’une

double imposition « d’adresser une réclamation à l’administration fiscale de l’État dans lequel

il a son domicile fiscal ou dont il est ressortissant »375. Cet article sera par la suite repris dans

le second modèle de convention publié par l’organisation, et constituera l’article XVII du

modèle présenté à Londres en 1946376. Si ces modèles de conventions n’ont pas connu un

succès immédiat après leur publication, notamment du fait de la dissolution de la Société des

Nations au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, elles demeurent tout de même une

page importante de l’histoire de la lutte contre les doubles impositions. En effet, un certain

nombre de dispositions et d’idées directrices encore à l’œuvre dans les travaux de l’OCDE

découlent directement des modèles de 1943 et 1946. C’est ainsi que le premier projet de

convention de l’OCDE vit le jour en 1963 : à l’inverse de ses prédécesseurs, ce modèle

conventionnel connut un succès considérable377.

337. –– Suite aux travaux de l’OCDE portant sur la double imposition, l’ONU a également

commencé à se pencher sur la question à la fin des années 1960. Un groupe de travail fut alors

constitué par les États membres de l’organisation, et un modèle de convention fiscale

alternatif fut adopté en 1979, et révisé à plusieurs reprises depuis cette date378. Si le modèle

de l’ONU reste globalement assez proche de celui de l’OCDE, il s’en éloigne sensiblement sur

certains points : il a en effet avant tout vocation à s’appliquer entre pays développés et pays

en voie de développement, se voulant notamment plus favorable envers ces derniers. Le

modèle de convention proposé par l’ONU prévoit également la possibilité d’une procédure

375 Comité fiscal de la Société des Nations, Modèles de conventions fiscales de Londres et de Mexico – Commentaire et texte, 1946, p. 72 376 M.-L. HUBLOT, Les procédures de règlement de la double imposition résultant de la correction des prix de transfert entre entreprises associées, Thèse, Paris, 2014, 85. 377 Ibid., 87. 378 ONU, Modèle de convention des Nations Unies concernant les doubles impositions entre pays développés et pays en développement, 2011

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amiable pour le contribuable qui souhaite éliminer la double imposition dont il est victime.

Toutefois, cette procédure « ne se distingue pas fondamentalement de celle proposée par la

convention modèle OCDE »379, c’est pourquoi nous concentrerons notre étude sur les

procédures émanant de la convention modèle de l’OCDE.

338. –– Les procédures amiables prévues dans le cadre des conventions fiscales

internationales se fondent généralement sur l’article 25 du modèle de l’OCDE ou de l’ONU,

qui est repris dans la plupart des conventions signées par la France. Ces dispositifs ont

d’ailleurs été repris par la doctrine écrite de l’administration fiscale, qui précise que la

procédure est applicable tant en matière de double imposition juridique qu’économique380.

L’idée centrale de la procédure amiable prévue par le modèle de convention de l’OCDE réside

dans une obligation de moyens pesant sur les États quant au règlement de la situation381.

Ainsi, si aucune solution n’est trouvée au travers de négociations entre les administrations

fiscales, la double imposition pourra subsister. Afin de déterminer l’efficacité de la procédure

amiable conventionnelle, il convient d’examiner sa mise en œuvre et ses interactions avec le

droit interne, avant de se pencher sur son issue et sur les solutions qu’elle pourra apporter au

contribuable. Cette analyse permettra ensuite de déterminer les limites de ce mode de

correction des doubles impositions.

A –– La mise en œuvre de la procédure amiable

339. –– La procédure amiable de règlement des doubles impositions a vocation à se

mettre en œuvre dans un cadre conventionnel, et s’inspire de l’article 25 du modèle de

convention de l’OCDE. Toutefois, comme chaque traité bilatéral peut s’écarter du modèle et

présenter certaines spécificités, il conviendra de se référer à la convention conclue entre les

États concernés pour déterminer si une procédure amiable est envisageable. Cette diversité

qui résulte de la pratique conventionnelle des États en matière fiscale peut parfois amener

certaines difficultés. Mais dans la majorité des cas, les recours prévus par les conventions

présentent des caractéristiques communes, notamment au regard de situations dans

379 M.-L. HUBLOT, Les procédures de règlement de la double imposition résultant de la correction des prix de transfert entre entreprises associées, Thèse, Paris, 2014, 92. 380 Administration fiscale, BOFiP, BOI-INT-DG-20-30-10-20170201, § 1 381 É. BONNEAUD, « Fasc. 312 : Conventions fiscales – Procédure amiable et d’arbitrage », in J.-Cl. Droit international, 2013, 1.

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lesquelles la procédure sera envisageable. Afin d’en saisir pleinement la portée, il convient de

s’intéresser au champ d’application de la procédure amiable, ainsi qu’à son déroulement.

Nous envisagerons également ses effets sur le droit interne.

1) Le champ d’application de la procédure

340. –– Pour pouvoir être mise en œuvre par un contribuable victime d’une double

imposition, la procédure amiable prévue par les conventions bilatérales nécessite un certain

nombre de conditions. La première d’entre elles tient naturellement à l’existence même de la

procédure : elle doit être prévue par la convention fiscale en vigueur entre les deux États

concernées par la double imposition. Au sein du réseau conventionnel français, environ 110

traités fiscaux prévoient le recours à un dispositif amiable pour le contribuable, suivant

généralement d’assez près le modèle de l’OCDE382. Ainsi, sous réserve des particularités

propres à chaque convention, la procédure amiable pourra notamment constituer un recours

lorsqu’un contribuable subit une « imposition non conforme aux dispositions de la présente

convention »383 ; ces termes sont parfois remplacés par ceux de « double imposition » dans

certaines conventions signées par la France, ce qui limite le champ d’application de la

procédure amiable384. La procédure amiable pourra également être utilisée pour « dissiper les

doutes auxquels peuvent donner lieu l’interprétation ou l’application de la convention », selon

l’article 25, 3 du modèle de l’OCDE385.

341. –– Si la convention en vigueur entre les deux États prévoit un dispositif amiable, il

conviendra de déterminer quels contribuables et quels impôts sont visés dans le cadre de

cette procédure. Pour les premiers, il s’agira généralement des résidents, personnes

physiques ou morales, d’un des États signataires. Dans le cas des entorses au principe de non-

discrimination, il arrive que les conventions prévoient l’ouverture de la procédure aux

nationaux des deux États, quelle que soit leur lieu de résidence386. Par ailleurs, une entreprise

382 J. SCHMIDT et al., Lamy Fiscal, 2017, n° 4503 383 OCDE, Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune – Version abrégée, 9e édition, 2014, p. 39 384 M.-L. HUBLOT, Les procédures de règlement de la double imposition résultant de la correction des prix de transfert entre entreprises associées, Thèse, Paris, 2014, 105. 385 OCDE, op. cit., p. 39 386 É. BONNEAUD, « Fasc. 312 : Conventions fiscales – Procédure amiable et d’arbitrage », in J.-Cl. Droit international, 2013, 12.

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résidente d’un État tiers et disposant d’un établissement stable dans chacun des deux États

pourra éventuellement avoir recours à la procédure amiable, dans la mesure où la convention

prévoit la possibilité pour les administrations fiscales de « se concerter en vue d’éliminer la

double imposition dans les cas non prévus par la convention »387. Concernant les types

d’impôts pouvant bénéficier de la procédure amiable, il s’agira de ceux visés par la

convention : dans la plupart des cas, il s’agira des impôts sur le revenu, sur les sociétés et sur

la fortune, ainsi que les impôts apparentés. Toutefois, dans le cas d’une entorse à une clause

de non-discrimination, « la procédure amiable peut être étendue aux impôts de toute nature

ou dénomination »388.

342. –– Enfin, la condition centrale pour justifier le recours à une procédure amiable

tient à la preuve de la situation du contribuable : ce dernier devra prouver qu’il a subi ou qu’il

risque de subir une double imposition, ou une imposition non conforme aux dispositions de la

convention, selon les termes employés dans le traité389. Il est donc envisagé ici la possibilité

d’un risque de double imposition : en effet, une société peut subir un redressement qui

n’entraînera pas immédiatement une véritable double imposition. Dans ce cas, il faudra

établir la probabilité du contribuable de subir une double imposition future, notamment en

se fondant sur les actes qui lui ont été adressés par l’administration fiscale. L’OCDE préconise

par ailleurs la possibilité de l’ouverture d’une procédure amiable avant la constatation d’une

double imposition effective : cette idée est reprise par l’administration française, qui estime

qu’un « risque de double imposition est suffisant »390. Toutefois, toutes les conventions ne le

permettent pas nécessairement, et certains États exigent une double imposition effective

pour justifier l’accès à la procédure amiable391. Par ailleurs, lorsque le contribuable a fait

l’objet de pénalités graves ou qu’il a lui-même procédé à une procédé à une correction de ses

revenus pour éviter la double imposition, l’ouverture de la procédure amiable sera refusée

par l’administration392.

387 M.-L. HUBLOT, Les procédures de règlement de la double imposition résultant de la correction des prix de transfert entre entreprises associées, Thèse, Paris, 2014, 119. 388 É. BONNEAUD, « Fasc. 312 : Conventions fiscales – Procédure amiable et d’arbitrage », in J.-Cl. Droit international, 2013, 16. 389 Ibid., 19. 390 Administration fiscale, BOFiP, BOI-INT-DG-20-30-10-20170201, § 80 391 M.-L. HUBLOT, op. cit., 171. et s. 392 É. BONNEAUD, op. cit., 25. et 26.

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343. –– Par ailleurs, on a pu se demander quelle devait être la nature de la double

imposition en cause pour permettre l’accès à une procédure amiable. Si la double imposition

juridique ne pose aucune difficulté, et entre pleinement dans les conditions du dispositif, les

choses sont moins évidentes concernant son pendant économique. La question de la double

imposition économique se posera principalement en matière de prix de transfert : la plupart

des conventions fiscale contienne une clause prévoyant la possibilité pour chaque État

signataire de réévaluer les prix de transfert pratiqués par une entreprise dans la mesure où il

serait contraire au principe de pleine concurrence393, selon les modalités de l’article 9, 2 du

modèle de l’OCDE. L’alinéa 2 du même article prévoit ensuite que l’autre État signataire tient

compte des ajustements effectués par le premier, afin d’éviter une double imposition

économique ; en cas de désaccord, une procédure amiable sera envisageable.

344. –– La plupart des États, dont la France, considèrent d’ailleurs qu’il ne peut y avoir

ajustement corrélatif qu’au travers d’une procédure amiable. L’objet de la négociation entre

les États portera alors sur la détermination du juste prix de transfert au regard du principe de

pleine concurrence et les ajustements corrélatifs seront établis en conséquence. Ces derniers

peuvent être de deux natures. Les ajustements primaires consistent, pour un État signataire,

à tenir compte des redressements effectués par les services fiscaux de l’autre État :

l’entreprise associée devra en principe reverser les sommes correspondantes à celle qui a fait

l’objet d’un redressement. Des ajustements secondaires pourront alors être mis en œuvre afin

de neutraliser les conséquences fiscales de cette restitution, par exemple en éliminant une

éventuelle retenue à la source394.

345. –– Ainsi, lorsqu’une convention fiscale contient une clause semblable à l’article 9,

2 du modèle de l’OCDE, la procédure amiable bilatérale trouvera clairement à s’appliquer

concernant les doubles impositions économiques. Dans le cas où aucune clause de ce type

n’existe, l’OCDE considère tout de même que le recours amiable est possible, pour peu qu’une

clause traitant des prix de transfert existe (article 9, 1 du modèle) : dans cette situation,

comme la convention traite des prix de transfert, la double imposition économique ne sera

« pas conforme, dans l’esprit, aux dispositions de la convention fiscale internationale »395.

Cette opinion est majoritaire au sein des États membres de l’organisation, mais elle ne fait pas

393 Voir supra n° 151. et s. 394 J. SCHMIDT et al., Lamy Fiscal, 2017, n° 4505 395 M.-L. HUBLOT, Les procédures de règlement de la double imposition résultant de la correction des prix de transfert entre entreprises associées, Thèse, Paris, 2014, 157.

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l’unanimité : certains États, comme l’Australie, ou la Belgique jusqu’en 2003, refusaient la

procédure amiable concernant les doubles impositions économiques en l’absence de clause

comparable à l’article 9, 2 du modèle de convention396.

346. –– Si la double imposition subie par un contribuable entre dans le champ

d’application de la procédure amiable, celui-ci pourra alors la mettre en œuvre. Dans ce cas,

il devra suivre un certain nombre de règles encadrant ce dispositif.

2) Le déroulement de la procédure

347. –– Pour mettre en œuvre les mécanismes et les garanties de la procédure amiable,

le contribuable devra en premier lieu saisir l’autorité compétente au sein de son État de

résidence, ou de son État de nationalité lorsqu’il invoque la non-discrimination. En France, il

s’agira du Directeur général des Finances publiques397. Pour que la demande soit justifiée, il

faudra satisfaire aux exigences mentionnées précédemment, et respecter un certain nombre

de règles de forme. Par ailleurs, le contribuable devra respecter le délai de saisine prévu par

la convention invoquée. Selon le modèle de l’OCDE, le contribuable doit présenter sa

demande dans « les trois ans qui suivent la première notification de la mesure qui entraîne

une imposition non conforme aux dispositions de la convention »398. Cette définition étant

relativement floue, il faudra vérifier les pratiques de chaque État en la matière : en France, le

point de départ du délai sera généralement la date de réception de la proposition de

rectification ou de la notification des redressements dans le cadre d’une procédure

contradictoire, la date de réception de la notification des bases imposables dans une

procédure de taxation d’office, ou la date du prélèvement en cas de retenue à la source399. Si

aucun délai n’est précisé dans la convention, le contribuable résidant en France pourra

soumettre sa demande à tout moment, pour peu qu’il soit encore en mesure de prouver ses

allégations400.

396 M.-L. HUBLOT, Les procédures de règlement de la double imposition résultant de la correction des prix de transfert entre entreprises associées, Thèse, Paris, 2014, 159. et s. 397 É. BONNEAUD, « Fasc. 312 : Conventions fiscales – Procédure amiable et d’arbitrage », in J.-Cl. Droit international, 2013, 53. 398 OCDE, Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune – Version abrégée, 9e édition, 2014, p. 39 399 É. BONNEAUD, op. cit., 61. 400 M.-L. HUBLOT, op. cit., 236.

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348. –– Si la demande du contribuable est jugée recevable par l’autorité compétente de

l’État de résidence, cette dernière informera l’autorité compétente de l’autre État. Ainsi, après

la phase interne de vérification du fondement de la demande, il s’ensuivra une phase

internationale, qui amènera les administrations fiscales à négocier en vue d’obtenir un accord

amiable mettant fin à la double imposition constatée, qu’elle soit effective ou simplement

probable. Comme il s’agit d’une procédure à caractère semi-diplomatique, le contribuable ne

pourra pas intervenir de son propre chef lors des échanges entre les autorités compétentes,

mais il pourra être amené à leur fournir des précisions à leur demande401. Ces dispositions ont

pu être interprétées comme un manque de transparence de la procédure amiable, qui revêt

de fait un caractère quelque peu obscure pour le contribuable.

349. –– L’ouverture de la procédure amiable bilatérale peut être exercée en parallèle

des recours contentieux prévu par le droit interne. Il convient donc d’envisager les effets

éventuels de ce dispositif sur l’établissement ou le recouvrement de l’impôt.

3) Les effets de la procédure en droit interne

350. –– En principe, la procédure amiable prévue par l’article 25 du modèle de

convention de l’OCDE est exercée « indépendamment des recours prévus par le droit interne

des États »402. Ainsi, le dispositif prévu par les conventions bilatérales se doit d’être traité à

part, dans une optique différente des recours traditionnels devant le juge de l’impôt. Comme

les deux types de dispositifs sont totalement indépendants, le recours à la procédure amiable

demeure notamment possible même lorsque le contribuable a accepté, de manière expresse

ou tacite, un redressement effectué par l’administration fiscale ; toutefois, il arrive parfois que

dans le cadre d’une transaction, les services fiscaux subordonnent l’accord au renoncement à

tout recours à une procédure amiable403.

351. –– L’indépendance entre les dispositifs du droit interne et la procédure amiable

bilatérale apparaît également au niveau du contrôle fiscal, le cas échéant. Ainsi, « la demande

d’ouverture d’une procédure amiable aux fins d’éliminer une double imposition […] est sans

401 É. BONNEAUD, « Fasc. 312 : Conventions fiscales – Procédure amiable et d’arbitrage », in J.-Cl. Droit international, 2013, 97. 402 OCDE, Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune – Version abrégée, 9e édition, 2014, p. 39 403 É. BONNEAUD, op. cit., 23.

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influence sur le déroulement de la procédure de contrôle qui se poursuit conformément aux

règles de droit commun »404. Toutefois, une disposition visant à articuler les procédures

fiscales internes avec la procédure amiable avait été prévue par la loi de finances rectificative

du 30 décembre 2004, à l’article L189 A du Livre des procédures fiscales, qui prévoyait une

suspension de la mise en recouvrement en cas de demande d’ouverture de procédure amiable

effectuée par le contribuable405. Le Conseil d’État était venu préciser la portée de cette règle

en 2007, en estimant que si la procédure amiable est ouverte avant la mise en recouvrement,

alors celle-ci n’est plus possible tant que l’issue de la procédure n’a pas été constatée par les

autorités compétentes406. Cette disposition très favorable au contribuable constituait une

exception française, que l’Inspection générale des finances estimait injustifiée, notamment en

raison la forte augmentation du nombre de saisine depuis son entrée en vigueur. C’est

pourquoi le législateur a mis fin à cette règle, en abrogeant l’article L189 A au travers de la loi

de finances pour 2014 du 29 décembre 2013407.

352. –– Ainsi, lorsqu’un contribuable fait l’objet d’une double imposition, il dispose de

deux formes de recours, la procédure amiable bilatérale et les procédures propres au droit

interne de l’État en question. Ces deux recours peuvent être exercés en parallèle, sans qu’il

soit nécessaire d’attendre l’issue de l’une des procédures pour enclencher l’autre. Ce cumul

de dispositifs indépendants présente l’avantage du choix offert au contribuable, mais

également le risque d’aboutir à des « contradictions entre les termes d’un accord amiable et

ceux d’une décision juridictionnelle »408. C’est pourquoi l’administration fiscale précise qu’en

cas de décision juridictionnelle définitive, l’accord amiable ne saurait « aggraver la situation

du contribuable par rapport à la décision intervenue »409. De la même façon, si une juridiction

française se prononce après qu’un accord amiable ait été constaté entre les États,

404 É. BONNEAUD, « Fasc. 312 : Conventions fiscales – Procédure amiable et d’arbitrage », in J.-Cl. Droit international, 2013, 71. 405 J. SCHMIDT et al., Lamy Fiscal, 2017, n° 4503 406 CE, 15/07/2007, Société Printing Pack BV, n° 299966, RJF, 10/2007, n° 1150 ; Droit fiscal, n° 38, 2007, comm. 851, concl. S. VERCLYTTE 407 B. CASTAGNEDE, Précis de fiscalité internationale, 5e édition, 2015, 97. 408 M.-L. HUBLOT, Les procédures de règlement de la double imposition résultant de la correction des prix de transfert entre entreprises associées, Thèse, Paris, 2014, 450. 409 Administration fiscale, BOFiP, BOI-INT-DG-20-30-10-20170201, § 690

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« l’exécution de l’accord amiable ne sera possible que si le contribuable renonce au bénéfice

de la chose jugée »410.

353. –– La procédure amiable bilatérale représente un recours intéressant pour les

contribuables qui ont subi une double imposition, qui peut parfaitement se cumuler avec

d’autres formes de procédures. Il convient à présent d’évoquer l’aboutissement de la

procédure, que les États soient parvenus à un accord ou non.

B –– L’issue de la procédure amiable

354. –– Suite aux négociations entreprises par les autorités compétentes des deux États

impliqués, il est possible d’aboutir à un accord amiable permettant de mettre fin à la double

imposition, ou de constater l’absence d’accord. Le caractère amiable de la procédure se

manifeste en effet au travers de l’absence d’obligation de résultat quant à l’élimination

effective de la double imposition. L’obligation qui s’impose aux États signataires se limite à

« une obligation de diligence de la part des autorités compétentes et, en aucun cas, une

obligation de résultat pour les parties »411. Par ailleurs, la plupart des conventions, comme le

modèle de l’OCDE, ne prévoient pas de délais procéduraux impératifs pour le déroulement de

la procédure amiable412 : il peut donc arriver que les négociations durent plusieurs années, ce

qui peut poser une sérieuse difficulté au contribuable.

355. –– Lorsqu’un accord est constaté par les États à l’issue de la procédure amiable, le

résultat des négociations est formalisé dans un écrit et notifié au contribuable par l’autorité

compétente initialement saisi. Celui-ci disposera alors d’un certain délai, communiqué au sein

de la notification, pour accepter ou refuser l’accord proposé : si le contribuable accepte, les

dispositions de l’accord entrent directement en vigueur, à condition qu’il se désiste de tous

les recours administratifs ou juridictionnels relatifs aux impositions concernées, et qu’il

renonce à tout recours contre la décision amiable. A l’inverse, si le contribuable refuse la

410 Administration fiscale, BOFiP, BOI-INT-DG-20-30-10-20170201, § 690 411 M.-L. HUBLOT, Les procédures de règlement de la double imposition résultant de la correction des prix de transfert entre entreprises associées, Thèse, Paris, 2014, 490. 412 Ibid., 501. et s.

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proposition résultant de l’accord, celle-ci devient caduque et la procédure amiable est

close413.

356. –– Enfin, lorsqu’aucun accord n’est trouvé entre les autorités compétentes des

deux États signataires, la procédure aboutira à un constat de désaccord. Comme aucune

obligation de résultat ne pèse sur les États dans le cadre de la procédure amiable bilatérale, la

double imposition ne sera alors pas éliminée et subsistera pour le contribuable414. Toutefois,

une autre issue est parfois envisageable : certaines conventions, comme celle conclue entre

la France et l’Allemagne, depuis le 28 septembre 1989, prévoient la possibilité d’un recours à

l’arbitrage, « faute pour les administrations des États contractants de parvenir à un accord

amiable »415. Cette possibilité a été reprise par le modèle de convention de l’OCDE, à l’article

25, 5. b) : si les administrations des États partie à la convention ne parviennent pas à un accord

permettant de résoudre la double imposition en cause « dans un délai de deux ans à compter

de la présentation du cas à l’autorité compétente de l’autre État contractant, les questions

non résolues soulevées par ce cas doivent être soumises à l’arbitrage si la personne en fait la

demande »416.

357. –– Si la possibilité du recours à l’arbitrage pour garantir l’élimination de la double

imposition est une option intéressante pour le contribuable, elle n’est pas prévue par un grand

nombre de conventions fiscales signées par la France, ce qui entrave l’efficacité de ce

dispositif. Ce constat nous amène donc à présent vers les limites de la procédure amiable.

C –– Les limites de la procédure amiable

358. –– La première limite de la procédure amiable bilatérale tient à son origine

juridique : elle se fonde sur une convention fiscale, qui présentera souvent des spécificités

particulières. En effet, même si de nombreuses conventions sont globalement fidèles au

modèle de l’OCDE, la plupart s’en éloignent sur certains points. Comme il s’agit de traités

internationaux, qui résultent de négociations entre États, il existe une forte diversité de

413 É. BONNEAUD, « Fasc. 312 : Conventions fiscales – Procédure amiable et d’arbitrage », in J.-Cl. Droit international, 2013, 100. et s. 414 Ibid., 103. 415 B. CASTAGNEDE, Précis de fiscalité internationale, 5e édition, 2015, 98. 416 OCDE, Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune – Version abrégée, 9e édition, 2014, p. 39-40

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conventions applicables, ce qui peut constituer une difficulté pour un contribuable qui ne

maîtrise pas toutes les subtilités du droit fiscal international.

359. –– Par ailleurs, la procédure amiable repose avant tout sur la négociation entre les

administrations fiscales des États signataires, ce qui en fait davantage un recours diplomatique

que contentieux. De plus, le caractère purement amiable de la procédure se manifeste au

travers de l’absence de toute obligation de résultat quant à l’élimination de la double

imposition417. En effet, mis à part les situations où une clause de la convention prévoit le

recours à l’arbitrage en cas de désaccord entre les États, ces derniers sont seulement soumis

à une obligation de moyens concernant la correction de la double imposition à l’origine de la

procédure : les États devront seulement négocier de manière diligente, mais dans le cas où

aucun accord n’est trouvé, la double imposition pourra subsister. Il est donc possible que la

procédure amiable bilatérale ne permette pas d’apporter une solution au contribuable, ce qui

constitue une sérieuse limite à ce dispositif.

360. –– La procédure amiable apparaît également comme un recours d’intérêt assez

limité pour le contribuable. Si les négociations entre les États peuvent s’avérer efficaces et

permettre la correction de la double imposition subie, la procédure dans son ensemble semble

globalement assez floue, voire opaque, pour celui qui y a recours. Ainsi, le contribuable ne

participera que de manière très limitée à la procédure, qui semblera lui échapper, alors qu’il

en est le premier intéressé418. Enfin, dans la plupart des cas, aucun délai impératif n’est prévu

par les conventions fiscales pour encadrer la procédure amiable, ce qui ternit encore l’image

de ce recours aux yeux du contribuable.

361. –– Devant les insuffisances de la procédure amiable bilatérale, et globalement pour

pallier certains inconvénients du droit fiscal international, les mécanismes de correction des

doubles impositions ont connu un développement particulier au sein de l’Union européenne.

417 M.-L. HUBLOT, Les procédures de règlement de la double imposition résultant de la correction des prix de transfert entre entreprises associées, Thèse, Paris, 2014, 490. 418 J. SCHMIDT et al., Lamy Fiscal, 2017, n° 4504

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§2 –– La procédure européenne d’arbitrage

362. –– Dans sa volonté d’instituer un marché commun efficace, l’Union européenne

s’est assez tôt intéressée à la question de la double imposition. Le Traité de Rome, dans sa

version signée en 1957, prévoyait d’ailleurs explicitement que les États membres devraient

avoir recours à la négociation ou à d’autres dispositifs afin de corriger d’éventuelles situations

de doubles impositions419. Si cette disposition ne figure plus aujourd’hui dans le Traité sur le

fonctionnement de l’Union européenne, la Commission continue tout de même d’œuvrer

contre la double imposition, qu’elle a toujours considérée comme une entrave au bon

fonctionnement du marché intérieur.

363. –– Dans le contexte communautaire de lutte contre les doubles impositions, les

travaux de la Commission européenne avaient abouti en 1976 à une proposition de directive,

relative aux corrections des prix de transfert. La procédure envisagée consistait, à la demande

du contribuable victime de double imposition, en une négociation amiable entre les États

concernées pour trouver une solution ; si aucun accord n’était trouvé, il y aurait alors

constitution d’une commission composée de « représentants des administrations concernées

et de personnalités indépendantes, dont les administrations et les entreprises en cause

acceptent à l’avance la décision »420. Si l’idée d’une procédure amiable était globalement

acceptée par tous les États membres, le possible recours à l’arbitrage prévu par la directive

suscitait davantage de réserves. Pour régler ces difficultés, il a été envisagé en 1978 de

transformer cette proposition de directive en convention multilatérale adoptée par les États

membres de l’Union. Ainsi, le texte ne ferait pas partie du droit européen, car il n’était pas

fondé sur les traités d’origine, ce qui excluait toute compétence de la Cour de justice et tout

recours en manquement de la part de la Commission421.

364. –– Malgré le choix d’une convention multilatérale, fondée sur le droit international

et échappant au droit européen, les négociations entre les États membres se sont avérées

assez difficiles. Après plus d’une décennie de discussions, la Convention européenne

419 Article 220 du Traité instituant la Communauté européenne 420 JOCE, 21/12/1976, C 301/4 421 M.-L. HUBLOT, Les procédures de règlement de la double imposition résultant de la correction des prix de transfert entre entreprises associées, Thèse, Paris, 2014, 1290. et s.

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d’arbitrage a finalement été adoptée par les États membres le 23 juillet 1990, pour entrer en

vigueur le 1er janvier 1995. D’une durée initiale de 5 ans, les dispositions de la Convention

devaient être prorogées par les États signataires pour rester en vigueur ; depuis un protocole

signé le 1er novembre 2004 et rétroactif au 1er janvier 2000, la prorogation de la convention

est automatique, sauf opposition d’un État membre422. Par ailleurs, un code de conduite pour

la mise en œuvre effective de la Convention européenne d’arbitrage a été adopté en 2004

suite à une proposition de la Commission : ce texte porte principalement sur le point de départ

des délais prévus et sur les modalités pratiques de la procédure423. Ce code de conduite a

ensuite été révisé en 2009424.

365. –– La Convention européenne d’arbitrage prévoit globalement un fonctionnement

similaire aux procédures amiables bilatérales, mais elle présente également quelques

particularités notables. Les spécificités qui lui sont propres se retrouvent notamment au

niveau de son champ d’application, moins large que la convention bilatérale prévue par le

modèle de l’OCDE, ainsi qu’au travers du déroulement de la procédure. Nous envisagerons

enfin les limites de la procédure européenne d’arbitrage.

A –– Le champ d’application de la Convention européenne d’arbitrage

366. –– La Convention européenne d’arbitrage dispose d’un champ d’application

territoriale limitée aux États membres de l’Union européenne, à l’exception de la Croatie ; la

convention n’est également pas applicable « aux territoires et collectivités d’outre-mer

français, aux Iles Féroé ni au Groenland »425. Le recours à la procédure prévue par la

Convention ne sera donc envisageable que si la double imposition litigieuse frappe un ou

plusieurs résidents fiscaux d’États membres de l’Union européenne. Par ailleurs, cette

procédure est limitée aux doubles impositions économiques subies par des entreprises

associées, c’est-à-dire des sociétés appartenant au même groupe ou ayant entre elles des

422 M.-L. HUBLOT, Les procédures de règlement de la double imposition résultant de la correction des prix de transfert entre entreprises associées, Thèse, Paris, 2014, 1292. 423 JOUE, 28/07/2006, C 176/2 424 Code de conduite révisé pour la mise en œuvre effective de la convention relative à l’élimination des doubles impositions en cas de correction des bénéfices d’entreprises associées, JOUE, 30/12/2009, C 322/1 425 Administration fiscale, BOFiP, BOI-INT-DG-20-30-20-20170201, § 20

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liens, directs ou indirects, de direction, de capital ou de contrôle426. L’administration fiscale

retient ici les mêmes critères d’association que pour l’application de l’article 57 du Code

général des impôts, ou pour les questions de prix de transfert dans le cadre d’une convention

fiscale. De plus, les relations entre une entreprise européenne et son établissement stable

situé dans un autre État partie à la Convention seront également couvertes par la

procédure427.

367. –– Les impositions pour lesquelles la Convention européenne d’arbitrage a

vocation à s’appliquer sont principalement, pour ce qui est de la France, l’impôt sur les

sociétés et l’impôt sur le revenu des personnes physiques ; elle sera également applicable

dans le cas d’impôts équivalents ou assimilés, comme la CSG ou la contribution sociale sur

l’impôt sur les sociétés de l’article 235 ter ZC du Code général des impôts428. Par ailleurs,

l’ouverture de la procédure amiable prévue par la Convention peut être demandée par le

contribuable même après l’acceptation, expresse ou tacite, d’un redressement, y compris en

cas de transaction avec l’administration fiscale429. Comme dans le cas des conventions

bilatérales, la procédure amiable est totalement indépendante des recours de droit interne.

De la même façon, la Convention européenne d’arbitrage ne pourra pas être mise en œuvre

en cas de pénalités graves et définitives pesant sur le contribuable, comme par exemple des

sanctions pénales430. Enfin, la procédure ne trouvera pas non plus à s’appliquer si la double

imposition a fait l’objet d’un ajustement corrélatif unilatéral de la part d’un des États

concernés, et que cette correction a été acceptée par les contribuables : il n’y aura alors plus

de double imposition431.

368. –– Lorsque les conditions d’applicabilité de la procédure prévue par la Convention

européenne d’arbitrage sont réunies, le contribuable victime d’une double imposition

économique pourra demander l’ouverture de la procédure. Celle-ci lui garantira en principe

l’élimination de la surcharge fiscale qu’il a subie.

426 É. BONNEAUD, « Fasc. 312 : Conventions fiscales – Procédure amiable et d’arbitrage », in J.-Cl. Droit international, 2013, 30. 427 Ibid., 32. 428 Ibid., 40. 429 Ibid., 42. 430 J. SCHMIDT et al., Lamy Fiscal, 2017, n° 4507 431 É. BONNEAUD, op. cit., 43.

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B –– Le déroulement de la procédure

369. –– La procédure prévue par la Convention européenne d’arbitrage présente

certaines particularités, qui l’éloignent sensiblement des procédures amiables qui découlent

des conventions fiscales bilatérales. Ces spécificités apparaissent particulièrement au travers

du déroulement de la procédure. On peut distinguer deux phases, chacune étant encadrée

dans des délais stricts : après une période de discussions amiables entre les États, en l’absence

d’accord, une commission consultative sera constituée dans le cadre d’une phase arbitrale.

L’issue de la procédure permet ainsi de garantir l’élimination effective de la double imposition.

1) La phase amiable

370. –– Le déroulement de la procédure amiable prévue par la Convention européenne

d’arbitrage est globalement semblable à celle fondée sur les conventions fiscales suivant le

modèle de l’OCDE. L’entreprise devra ainsi saisir l’autorité compétente de son État de

résidence dans un délai de trois ans à compter du premier avis d’imposition « qui entraîne ou

est susceptible d’entraîner une double imposition au sens de la convention en raison d’une

correction des prix de transfert »432. Celle-ci informera alors l’autorité compétente de l’autre

État.

371. –– Une fois la recevabilité de la demande établie, les négociations entre les

administrations concernées pourront commencer. Celles-ci disposeront alors de deux ans

pour trouver une solution permettant d’éliminer la double imposition litigieuse : ce délai ne

trouvera son point de départ « qu’à compter du désistement de tout recours de droit

interne »433. Toutefois, les autorités compétentes impliquées peuvent convenir de déroger à

ce délai, avec l’accord des entreprises associées intéressées par la procédure ouverte434. Dans

un souci de transparence, le contribuable pourra par ailleurs venir lui-même présenter son

dossier dans le cadre des négociations entre les États, afin d’éclairer leur compréhension de

432 É. BONNEAUD, « Fasc. 312 : Conventions fiscales – Procédure amiable et d’arbitrage », in J.-Cl. Droit international, 2013, 65. 433 Ibid., 128. 434 Article 7, 4. de la Convention européenne d’arbitrage

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l’affaire435. Malgré ces dispositions, si aucun accord n’aboutit après l’expiration du délai, la

procédure pourra alors donner lieu à une phase arbitrale.

2) La phase arbitrale

372. –– Lorsqu’à l’issue du délai applicable à la procédure amiable, aucun accord n’a pu

être trouvé par les États concernés par la double imposition, une commission sera alors

constituée. Si les travaux initiaux de la Commission européenne avaient prévu d’en faire un

véritable comité arbitral, la réticence des États membres a conduit à lui reléguer un rôle

consultatif, dans la mesure où la double imposition est effectivement éliminée436. La

commission consultative est composée de représentants des États membres ainsi que de

personnalités indépendantes, et elle disposera de certaines prérogatives, comme la possibilité

d’auditionner les administrations des États concernés437.

373. –– La commission consultative devra rendre son avis dans un délai de six mois

suivant sa saisine, selon les termes de la Convention : sa décision présentera un certain

formalisme, et garantira l’élimination de la double imposition à l’origine de la procédure. Suite

à l’avis de la commission, les autorités compétentes des États impliqués disposeront d’un

nouveau délai de six mois pour trouver un accord permettant l’élimination effective de la

double imposition : ils sont libres de déroger aux préconisations de la commission, mais si

aucun autre accord n’est trouvé pour parvenir à l’élimination de la surcharge fiscale, l’avis de

la commission deviendra obligatoire438. Ainsi, la phase d’arbitrage prévue par la Convention

européenne constitue une différence notable de cette procédure avec les procédures

amiables bilatérales : une issue favorable au contribuable est garantie dans un délai maximum

d’un an après l’échec de la phase amiable.

435 J. SCHMIDT et al., Lamy Fiscal, 2017, n° 4509 436 M.-L. HUBLOT, Les procédures de règlement de la double imposition résultant de la correction des prix de transfert entre entreprises associées, Thèse, Paris, 2014, 1553. et s. 437 É. BONNEAUD, « Fasc. 312 : Conventions fiscales – Procédure amiable et d’arbitrage », in J.-Cl. Droit international, 2013, 142. 438 Ibid., 146.

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3) L’issue de la procédure

374. –– A la différence des procédures de correction des doubles impositions prévues

par les conventions bilatérales et par le modèle de l’OCDE, la Convention européenne

d’arbitrage garantie au contribuable l'élimination de la double imposition qu’il a subi. En effet,

le texte fait peser une véritable obligation de résultat sur les États membres, qui se manifeste

au travers de la constitution d’une commission consultative dont l’avis s’imposera si aucune

autre solution n’est trouvée. En raison de la réticence des États membres à prévoir une

commission arbitrale dans les dispositions du traité, le rôle de la commission consultative

prévue par la Convention européenne d’arbitrage présente une sorte de caractère hybride :

le professeur Jean-Pierre Le Gall estime ainsi que cette procédure « se situe à la frontière de

la procédure arbitrale et rejoint les nombreuses procédures de nature incertaine qui s’y

pressent, notamment les procédures ayant la nature de conciliation ou de médiation »439. Ce

mode de fonctionnement particulier semble également présenter un autre avantage : les

États sont fortement incités à trouver une solution amiable, le caractère dissuasif de la

procédure d’arbitrage expliquant sans doute assez faible de commissions consultatives

constituées440.

375. –– En dépit de ces particularités, la Convention européenne d’arbitrage présente

l’intérêt majeur de garantir au contribuable la correction de la double imposition subie, ce qui

constitue indéniablement une avancée forte dans la lutte contre ce phénomène. Toutefois,

cette procédure ne permet pas d’éliminer toutes les doubles impositions et présentent de ce

fait un certain nombre de limites.

B –– Les limites de la Convention européenne d’arbitrage

376. –– La première limite de la Convention européenne d’arbitrage concerne son

champ d’application. D’un point de vue territorial, elle constitue un recours intéressant pour

les résidents des États membres de l’Union européenne, mais les contribuables qui peuvent

en bénéficier se limitent aux entreprises associées qui ont subi une double imposition dans le

439 J.-P. LE GALL, « Fiscalité et arbitrage », Revue de l’arbitrage, n° 1, 1994, p. 3 440 M.-L. HUBLOT, Les procédures de règlement de la double imposition résultant de la correction des prix de transfert entre entreprises associées, Thèse, Paris, 2014, 1515. et s.

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cadre d’une correction de prix de transfert ou de la rémunération d’un établissement stable.

La procédure en elle-même est globalement efficace, mais dans de nombreux cas, en

particulier en matière de double imposition juridique, le contribuable ne pourra pas y avoir

recours : les particuliers sont par exemple exclus de son champ d’application.

377. –– Par ailleurs, bien que la Convention européenne d’arbitrage soit un traité

multilatéral signé par les États membres de l’Union européenne, elle ne constitue pas en tant

que telle une avancée pour le multilatéralisme en matière fiscale. En effet, comme il s’agit

d’une procédure commune dans le cadre de la correction des doubles impositions

économiques subies dans le cadre des prix de transfert, l’influence de cette mesure sur les

contribuables est essentiellement procédural et l’harmonisation qui en résulte pour les États,

très marginale. Les divergences fiscales en matière de règles d’assiette ou de taux d’imposition

au sein des différents États européens persistent donc, en l’absence de toute mesure

d’uniformisation de la fiscalité directe en Europe.

378. –– Malgré l’intérêt notable qu’elles représentent pour le contribuable, les

procédures amiables bilatérales et la Convention européenne d’arbitrage ne suffisent pas, en

pratique, à corriger toutes les situations de double imposition. C’est la raison pour laquelle il

est parfois envisagé d’autre méthodes ou procédures permettant une meilleure élimination

de la surcharge fiscale subie par les contribuables.

§3 –– Vers d’autres modes d’élimination des doubles impositions ?

379. –– Si la Convention européenne d’arbitrage constitue une alternative dans le cas

particulier des prix de transfert, le principal recours permettant de corriger une double

imposition réside dans la procédure amiable prévue par les conventions bilatérales. Ici encore,

on constate le caractère profondément conventionnel du droit fiscal international, mais

également son incapacité à garantir de manière efficace l’élimination des doubles impositions.

Par ailleurs, ces procédures de correction sont essentiellement internationales et ne

permettent donc en aucun cas de corriger des doubles impositions économiques résultant

d’une situation purement interne.

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380. –– Devant les insuffisances du droit positif, de nombreuses méthodes alternatives

ont été envisagées pour lutter contre les phénomènes de double imposition. Si certains

paraissent difficiles à mettre en œuvre, d’autres pourraient constituer une avancée

intéressante pour la matière fiscale, notamment pour réconcilier les contribuables et les

services fiscaux. Sans chercher à être exhaustifs, nous étudierons d’abord les recours

envisageables sur le fondement du droit interne, puis les avancées possibles dans le contexte

du droit européen. Enfin, nous envisagerons les éventuelles évolutions futures du droit fiscal

international, qui pourraient amener de nouveaux recours pour les contribuables.

A –– Les recours du droit interne

381. –– Lorsqu’un contribuable fait l’objet d’une double imposition, son principal

recours en droit interne résidera dans la saisine du juge de l’impôt. Les voies contentieuses

sont en effet celles qui sont le plus souvent mises en œuvre. Pourtant, certains recours prévus

par le droit interne pourraient permettre au contribuable de trouver une solution lui évitant

une surcharge fiscale injustifiée, souvent en amont de toute procédure devant le juge. Il en

est ainsi des procédures amiables, comme la médiation et la conciliation, et plus généralement

des dispositions de droit souple en matière fiscale : ces éléments constituent autant de

possibilités pour le contribuable de trouver une solution relative à une double imposition au

travers d’un accord avec l’administration fiscale.

1) La médiation et la conciliation

382. –– Devant l’encombrement de certains tribunaux, des méthodes alternatives de

règlement des litiges ont vu le jour. Parmi ces nouvelles voies permettant de trouver des

solutions aux différends, la médiation et la conciliation occupent une place relativement

importante, tant en droit interne qu’en droit international. Dans les deux cas, il s’agira pour

les parties de soumettre volontairement leur affaire à un tiers, un conciliateur ou un

médiateur, dont l’objectif sera de trouver une solution au litige, sans pour autant avoir le

pouvoir d’imposer sa décision aux parties. La nuance entre médiation et conciliation tient

généralement au rôle du tiers choisi par les parties : là où le conciliateur écoute les prétentions

de chacun et leur propose une solution qu’il juge acceptable, le médiateur cherchera

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164

davantage à renouer le dialogue entre les parties, de façon à ce que la solution émane

directement de leurs discussions441.

383. –– Les pratiques de médiation et de conciliation ont une certaine tendance à se

démocratiser ces dernières années pour un certain nombre de litiges civils ou commerciaux.

En matière fiscale, quelques instances prévues par la loi ont vocation à jouer un rôle de

médiation, comme le médiateur de la République ou le médiateur des ministères

économiques et financiers442, ou un rôle de conciliation, comme la commission

départementale de conciliation ou le conciliateur fiscal départemental443. Ces recours

amiables peuvent constituer une voie permettant au contribuable de trouver une solution aux

litiges qui l’opposent à l’administration, notamment car certaines instances disposent d’un

pouvoir particulier en matière fiscale : par exemple, le conciliateur fiscal départemental

pourra, dans certains cas, modifier la décision initiale de l’administration, ce qui peut

constituer un véritable avantage du point de vue du contribuable. Mais en pratique, le recours

à la médiation et à la conciliation en matière de double imposition n’est que très peu utilisé,

notamment en raison du fait que « l’indépendance et l’impartialité du tiers ne sont pas

toujours garanties »444.

384. –– En droit fiscal international, le recours à la médiation ou à la conciliation n’est

pas davantage mis en avant. Si ces modes alternatifs de règlement des litiges ont un temps

été envisagés par les organisations internationales, en particulier l’OCDE, leur choix s’est

finalement davantage porté sur l’arbitrage. En effet, si la possibilité d’une médiation ou d’une

conciliation n’est jamais exclue en cas de désaccord entre États suite à une procédure amiable,

ces modes de règlement des litiges ne sauraient garantir une élimination systématique des

doubles impositions. L’arbitrage, dont la décision s’imposerait aux parties, est donc jugée plus

efficace, sans que cela ne prive les États ne pouvant pas, ou ne souhaitant pas inclure des

clauses arbitrales dans leur convention, d’avoir recours à la médiation ou à la conciliation445.

441 F. BEN MRAD, « Définir la médiation parmi les modes alternatifs de régulation des conflits », Informations sociales, n° 170, 2012, p. 11 à 19 442 M.-L. HUBLOT, Les procédures de règlement de la double imposition résultant de la correction des prix de transfert entre entreprises associées, Thèse, Paris, 2014, 866. et s. 443 Ibid., 950. et s. 444 Ibid., 987. 445 OCDE, Améliorer le processus de résolution des différends fiscaux internationaux, 2004

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165

385. –– Les modes alternatifs de règlement des conflits cherchent à impliquer les parties

dans la recherche d’une solution commune au travers d’une procédure essentiellement

amiable. D’autres mécanismes, se réclamant du droit dit souple, suivent la même logique et

pourraient constituer un mode de correction des doubles impositions.

2) Le droit souple en matière fiscale

386. –– La notion de droit souple provient du terme anglais de Soft Law, et désigne

généralement des règles qui n’ont pas de caractère obligatoire ou juridiquement

contraignant. Il s’agit donc de dispositifs destinés à impacter les comportements, mais sans

pour autant créer de véritables obligations ou de nouveaux droits pour les justiciables446. Ces

dernières années, le droit souple s’est développé dans la plupart des domaines juridiques, et

le droit fiscal ne fait pas exception. Même si ce dernier est historiquement marqué par des

principes juridiques solides, comme celui de légalité de l’impôt447, la matière fiscale a du faire

une place à des mécanismes moins rigides. Ainsi, le Conseil d’État consacrait en 2013 son

étude annuelle au droit souple, notamment dans le cadre de la gouvernance des sociétés448.

387. –– En matière de correction des doubles impositions, le droit souple se manifeste

principalement au travers du recours gracieux et la possibilité de transaction avec

l’administration fiscale. Celle-ci dispose en effet du pouvoir discrétionnaire « d’accorder des

remises totales ou partielles d’impôts directs et de pénalités »449. Le Conseil d’État a d’ailleurs

estimé que, dans le cadre d’un recours gracieux devant l’administration, l’atténuation de la

charge fiscale qui pèse sur le contribuable n’a pas nécessairement à être motivée450. Ces

recours pourraient constituer une voie intéressante pour le contribuable victime d’une double

imposition. Mais pour cela, il faudrait une véritable volonté de combattre ce phénomène de

la part des services fiscaux, ce qui ne semble pas être le cas à l’heure actuelle. Les avancées

du droit européen pourraient alors constituer une autre voie d’élimination des doubles

impositions.

446 J. CAZALA, « Le Soft Law international, entre inspiration et aspiration », Revue interdisciplinaire d’études juridiques, Volume 66, 2011, p. 41-84 447 Article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958 et article 14 de la DDHC 448 CE, Etude annuelle – Le droit souple, 2013 449 D. URY, « Le droit souple appliqué à la matière fiscale », Revue française de finances publiques, n° 135, 2016, p. 282 450 CE, 11/06/1975, n° 93383 et 93384, Lebon 1975

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B –– Les avancées du droit européen

388. –– Même si la fiscalité directe ne fait a priori pas partie du domaine de

compétences de l’Union européenne, les institutions ont toujours cherché à enrayer ce

phénomène. Les travaux de la Commission ont ainsi permis d’impacter de manière notable le

droit fiscal international à l’échelle du continent européen. C’est d’ailleurs dans ce cadre

qu’est née la Convention européenne d’arbitrage, qui constitue un recours efficace pour le

contribuable, malgré un champ d’application assez limité. Dans la lignée des mécanismes

prévus par ce traité, la Commission européenne a récemment publié une proposition de

directive relative aux mécanismes de règlement des différends en matière de double

imposition, qui est encore à l’étude devant le Conseil451. Les principales mesures envisagées

par cette proposition se fondent sur la Convention européenne d’arbitrage de 1990 et propose

d’en renforcer les dispositions : il s’agirait notamment d’en étendre le champ d’application à

toutes les situations de double imposition en cas d’existence d’une convention fiscale. Il est

également envisagé d’établir des délais contraignants qui s’imposent à tous les États

membres, ainsi que de rendre obligatoires les résultats d’un éventuel arbitrage.

389. –– Cette proposition de directive peut constituer une véritable avancée pour la

lutte contre les doubles impositions à l’échelle européenne. Toutefois, il faudra encore

attendre qu’elle soit adoptée par le Conseil de l’Union européenne. Comme il s’agit d’une

mesure fiscale, elle relève de la procédure législative spéciale, qui nécessite l’unanimité des

États membres au Conseil après consultation du Parlement. Compte tenu de la réticence des

États concernant les mesures trop contraignantes en droit fiscal international, les négociations

relatives à cette directive risquent de prendre un certain temps.

390. –– Si les avancées du droit européen en matière de correction des doubles

impositions sont notables, elles se limitent toutefois aux seuls États membres de l’Union. Dans

les autres cas, le contribuable devra se tourner vers d’éventuels recours internationaux.

451 Commission européenne, Proposition de directive du Conseil concernant les mécanismes de règlement des différends en matière de double imposition dans l’Union européenne, 2016

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C –– Les recours internationaux

391. –– En l’état actuel du droit fiscal international, l’essentiel des dispositifs relatifs à

la double imposition découle des conventions fiscales. Celles-ci ne prévoient généralement

que la possibilité pour le contribuable de demander l’ouverture d’une procédure amiable, qui

conduira à des négociations entre les États signataires mais ne garantira pas nécessairement

une élimination effective de la double imposition constatée. Le modèle de convention de

l’OCDE, à l’instar de certaines conventions en vigueur, a prévu la possibilité d’un recours à

l’arbitrage pour garantir un résultat au contribuable qui a fait l’objet d’une surcharge fiscale.

Pourtant, ce type de clause ne parvient pas à s’imposer de manière très nette auprès des États,

ce qui amène un questionnement sur le rôle de l’arbitrage en droit fiscal international. Par

ailleurs, le multilatéralisme pourrait également constituer une forme de développement

intéressante pour le droit fiscal conventionnel, en matière de lutte contre les doubles

impositions.

1) L’arbitrage en droit fiscal international

392. –– Pendant longtemps, l’arbitrage et la fiscalité ont été envisagées de manière

totalement distincte, l’une n’étant abordée par l’autre que de manière incidente : les études

sur le sujet se limitaient ainsi souvent aux conséquences fiscales d’une décision arbitrale, mais

en aucun cas à la possibilité de soumettre un litige fiscal à un arbitre452. La question est pour

autant très intéressante : est-il envisageable et acceptable pour un État de soumettre un

différend relatif à l’exercice de sa souveraineté fiscale à un arbitre, c’est-à-dire un juge privé ?

Si l’arbitrage est inenvisageable en droit interne, seul le juge de l’impôt étant compétent pour

trancher un litige entre l’administration et un contribuable, l’arbitrage existe en réalité depuis

un certain temps en droit fiscal international453.

393. –– La possibilité d’avoir recours à l’arbitrage dans le cas où les États n’arrivent pas

d’eux-mêmes à trouver une solution au différend qui les oppose était déjà envisagée dans les

premiers travaux visant à éliminer les doubles impositions, au début du XXe siècle. Mais

452 J.-P. LE GALL, « Fiscalité et arbitrage », Revue de l’arbitrage, n° 1, 1994, p. 3 453 M.-L. HUBLOT, Les procédures de règlement de la double imposition résultant de la correction des prix de transfert entre entreprises associées, Thèse, Paris, 2014, 990. et s.

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pendant longtemps, les États de l’OCDE étaient opposées à toute forme d’arbitrage, jugeant

ce mode de résolution des conflits trop dangereux pour leur souveraineté fiscale. La situation

a changé avec les premières clauses d’arbitrage insérées dans des conventions fiscales

bilatérales, comme le protocole signé en 1989 amendant la convention franco-allemande.

L’OCDE a alors choisi de revoir sa position, jusqu’à intégrer une clause de ce type dans son

modèle de convention454. Pendant longtemps, aucun arbitrage fiscal international

conventionnel n’était connu, les procédures étant généralement confidentielles, mais il

semble que plusieurs affaires impliquant le Canada et les États-Unis aient été soumises à

l’arbitrage récemment455.

394. –– L’arbitrage pourrait constituer une méthode efficace de correction des doubles

impositions, garantissant au contribuable le règlement de sa situation. Par ailleurs, l’obligation

de résultat qui en découlerait pour les États pourrait également avoir une portée

pédagogique, les incitant de manière plus nette à trouver un compromis. Pourtant, même si

des clauses d’arbitrage apparaissent parfois dans les conventions bilatérales, les États sont

globalement réticents à les mettre en œuvre. L’option d’un plus grand multilatéralisme en

matière fiscale pourrait éventuellement régler cette difficulté et écarter certaines dérives du

droit fiscal conventionnel.

2) Vers un multilatéralisme fiscal ?

395. –– La question du multilatéralisme en matière fiscale est régulièrement posée par

les organisations internationales, telles que l’OCDE ou l’Union européenne. De telles mesures

permettraient sans aucun doute de favoriser la lutte contre les doubles impositions,

notamment en simplifiant les procédures et en conférant une plus grande sécurité juridique

aux contribuables. En effet, une des principales difficultés auxquelles doivent faire face les

victimes de double imposition réside dans la grande diversité des conventions fiscales

applicables, chacune étant susceptible d’interprétations diverses. De plus, les procédures

essentiellement amiables mises en œuvre à l’heure actuelle ne garantissent pas aux

454 OCDE, Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune – Version abrégée, 9e édition, 2014, p. 39-40 455 J. MONSENEGO, « L’expérience américaine en matière de clauses d’arbitrage conventionnelles », Droit fiscal, n° 6, 2014, p. 13

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opérateurs économiques l’élimination des doubles impositions subies. La conclusion d’un

traité multilatéral permettrait de résoudre un certains nombres de ces difficultés.

396. –– Dans le cadre de son projet BEPS456, l’OCDE a récemment admis la véritable

nécessité d’une action coordonnée des États en matière fiscale, afin d’appréhender les

mutations du monde économique actuel, dans un contexte de mondialisation et de

dématérialisation. Pourtant, aucune méthode ou procédure fondamentalement

multilatérales ne sont envisagées : l’OCDE exclue ainsi tout système de répartition forfaitaire

des profits en matière de prix de transfert entre entreprise associée, traduisant ainsi les limites

fortes du multilatéralisme fiscal457.

397. –– La signature d’une convention multilatérale, ou du moins d’un traité fournissant

un certain cadre aux États membres de l’OCDE serait de nature à faire progresser la lutte

contre les doubles impositions et les procédures permettant de garantir leur élimination.

L’instauration d’une obligation de résultat systématique pour les États dans le cadre des

procédures de correction de double imposition permettrait ainsi de garantir au contribuable

qu’il ne subira pas de surcharge fiscale injustifiée. Mais la réticence des États sur ces questions

semble tenace, ces derniers étant fermement attachés à une souveraineté fiscale quasi-totale,

et se préoccupant avant tout des questions de fraude et d’évasion fiscales.

Section II

LA RÉTICENCE DES ÉTATS FACE À LA CORRECTION DES DOUBLES

IMPOSITIONS

398. –– Le nombre de recours dont dispose un contribuable qui a fait l’objet d’une

double imposition est, somme toute, relativement élevé. Mais la plupart des procédures

visant à corriger ce type de situation reposent en majeure partie sur la volonté des États

concernés. Ainsi, la persistance de la double imposition, du moins en matière de fiscalité

internationale, est largement le fait de la réticence des États à enrayer ce phénomène. Les

administrations fiscales acceptent généralement de négocier entre elles en vue de trouver

456 OCDE, Lutter contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert des bénéfices, 2013 457 B. CASTAGNEDE, Précis de fiscalité internationale, 5e édition, 2015, 130.

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une solution amiable458, mais leur marge de manœuvre est souvent limitée. Chaque État

pourra refuser de céder du terrain à l’autre, parce qu’il estime que son imposition est

pleinement justifiée, ou simplement car il est animé par une volonté de ménager ses finances

publiques. L’incertitude inhérente aux procédures amiables tend ainsi à faire peser une

insécurité juridique supplémentaire sur le contribuable, qui ne disposera d’aucune garantie

solide quant à l’élimination de la surcharge fiscale qu’il a subie.

399. –– Malgré les nombreux travaux portés par des organisations internationales et

privées, aucune procédure pleinement efficace de correction des doubles impositions n’a pu

être mise en œuvre, à l’exception de la Convention européenne d’arbitrage, qui trouve

toutefois à s’appliquer dans un contexte très précis. Cette situation s’explique principalement

par les difficultés auxquelles doivent faire face les États : ils doivent d’une part garantir au

contribuable le respect de ses droits et des principes fondamentaux du droit fiscal, mais

d’autre part, les État doivent maintenir leur souveraineté et garantir assurer un certain

équilibre de leurs finances. Ces problématiques s’avèrent en réalité souvent contradictoires,

ce qui rend la lutte contre les doubles impositions encore plus délicate.

400. –– La réticence des États face aux diverses mesures visant à corriger les situations

de double imposition résultent principalement de l’importance qu’ils attachent à leur

souveraineté fiscale, parfois en dépit de la conjoncture et des mutations économiques du

monde actuel. Une dimension purement pécuniaire vient également s’ajouter à cette

difficulté : comme les États rencontrent des difficultés financières accrues en tant de crises, la

nécessité de dégager des recettes fiscales peut parfois prendre le pas sur leur volonté de lutter

contre les doubles impositions.

§1 –– L’importance de la souveraineté fiscale

401. –– Le droit fiscal présente la spécificité d’être particulièrement lié à la notion de

souveraineté de l’État. En effet, depuis toujours, le droit de lever l’impôt afin de financer les

charges publiques relève exclusivement de l’autorité en charge de diriger le pays. Si cette règle

existait déjà, sous d’autres formes, dans l’Antiquité ou au Moyen Âge, elle cohabite

aujourd’hui avec les autres grands principes du droit fiscal. La Constitution du 4 octobre 1958

458 G. ORSINI, « La coopération des administrations fiscales », Petites affiches, n° 97, 2002, p. 50

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prévoit ainsi, en son article 34, que la loi fixe les règles concernant « l’assiette, le taux et les

modalités de recouvrement des impositions de toute nature ». La matière fiscale relève donc

de l’exclusivité du législateur, et par conséquent de l’autorité directe de l’appareil étatique. Il

s’agit d’une fonction régalienne, dont l’État ne saurait se dessaisir facilement.

402. –– Les problématiques liées à la double imposition et au droit fiscal international

ne modifient en rien la conception qu’ont les États de leur souveraineté en matière d’impôts.

Pourtant, compte tenu de l’internationalisation des échanges et du contexte économique

actuel, certains aménagements semblent nécessaires à cette conception. Les contradictions

existantes entre les impératifs d’ordre économique des contribuables et le maintien d’une

souveraineté fiscale étatique conduisent ainsi à une forme de repli juridique des États sur leur

droit interne, rejetant toute règle fiscale trop contraignante émanant d’un autre ordre

juridique. Il en découle alors un droit fiscal international essentiellement conventionnel.

A –– Une forme de repli juridique

403. –– En matière de fiscalité internationale, un des principaux objectifs des États

consiste à préserver leur souveraineté nationale intacte, malgré les développements engagés

par les organisations supranationales. Pour ce faire, les législateurs nationaux décident

généralement de mettre en œuvre leur pouvoir de prélever l’impôt sur leur territoire et

auprès de leurs ressortissants sans tenir compte des mesures fiscales existant au-delà de leurs

frontières. Les États continuent ainsi de s’opposer au développement de règles fiscales

internationales trop strictes ou d’un multilatéralisme marqué, mais ils doublent cette

opposition d’une forme de repli juridique. En effet, à force de freiner l’émergence d’un droit

fiscal harmonisé, au moins à l’échelle du continent européen, les États finissent chacun par

légiférer en s’ignorant mutuellement, risquant ainsi d’exposer leurs contribuables à des

situations de double imposition.

404. –– Cette tendance à se replier sur son droit national et à refuser d’en considérer un

autre comme équivalent est particulièrement marquée en matière fiscale, mais elle n’est pas

pour autant exclusive à cette matière. De nombreux domaines juridiques ont connu des

réformes visant à adapter les règles juridiques en vigueur aux nouveaux enjeux de la

mondialisation : le droit de la concurrence a par exemple fait l’objet d’une harmonisation

quasi totale au sein de l’Union européenne, mais aucun droit international et harmonisé de la

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concurrence n’a jamais vu le jour. En effet, de nombreux États, dont les États-Unis et les États

membres de l’Union européenne, se sont fermement opposés à la constitution d’un ordre

concurrentiel mondial, qui aboutirait à la création d’une autorité internationalement

compétente en droit de la concurrence, et dont les décisions s’imposeraient aux États459.

405. –– Si l’attachement des États à leur souveraineté est perceptible dans la plupart

des domaines juridiques, qu’ils soient plus ou moins bien internationalisés, force est de

constater que le droit fiscal est une matière que les autorités étatiques souhaitent plus que

tout garder sous leur contrôle. Par ailleurs, il semble que les États cherchent davantage à

concentrer leurs forces dans la lutte contre l’évasion fiscale, qui affecte directement leur

budget, que contre la double imposition, qui se répercute finalement sur le portefeuille des

opérateurs économiques. Cette tendance semble même se répercuter sur les organismes

internationaux pourtant connus pour leur lutte contre les phénomènes de double imposition :

les récents travaux de l’OCDE relatifs au projet BEPS continuent certes d’évoquer les

problèmes engendrés par la double imposition, mais ils insistent davantage sur la question de

l’évasion fiscale, cette problématique éclipsant en partie la précédente460. La Commission

européenne semble connaître la même dynamique, en encourageant la lutte contre la fraude

fiscale au sein des États membres de l’Union461. Ce choix de souvent privilégier la question de

l’évasion fiscale à celle de la double imposition s’explique probablement par une plus grande

réceptivité des États sur ce sujet, qui est de nature à affecter leur financement de manière

plus directe.

406. –– La prévalence de la souveraineté nationale en matière fiscale et le repli qui

anime souvent les États en matière de règles contraignantes relatives à l’impôt entravent de

façon notable la lutte contre les doubles impositions. Il en résulte principalement un droit

fiscal international essentiellement conventionnel, par nature moins efficace qu’un véritable

ordre juridique harmonisé.

459 W. ABDELGAWAD, « Jalons de l’internationalisation du droit de la concurrence : vers l’éclosion d’un ordre juridique mondial de la lex economica », Revue internationale de droit économique, n° 2, 2001, p. 161-196 460 OCDE, Lutter contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert des bénéfices, 2013 461 F. PERROTIN, « Fraude fiscale : le plan d’action de la Commission européenne », Petites affiches, n° 250, 2012, p. 3

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B –– Un droit essentiellement conventionnel

407. –– Le droit fiscal international revêt depuis son essor un caractère essentiellement

conventionnel. En effet, les États ont jusqu’à présent rejeté l’idée d’une autorité

supranationale ou d’un véritable multilatéralisme en matière fiscale. Ce phénomène s’est

particulièrement illustré au cours de la construction européenne : une proposition de

directive avait émergé des travaux de la Commission en 1976, dont l’objectif était d’aboutir à

une procédure de correction des doubles impositions uniformisée au sein de l’Union. Mais les

États européens s’étaient montrés extrêmement réticents à l’idée d’abandonner leur

compétence fiscale aux institutions de l’Union, en particulier à la Cour de justice. C’est la

raison pour laquelle cette mesure a finalement pris la forme d’un traité multilatéral entre les

États membres de l’Union européenne en 1990, de manière à échapper au contrôle de la

Commission et de la Cour de justice462.

408. –– Chaque État conserve donc une compétence fiscale quasi totale à l’égard de

ceux qui se trouvent sur son territoire, voire de l’ensemble de ses ressortissants nationaux.

Pour adapter ce mode de fonctionnement à l’internationalisation des échanges, les

administrations fiscales ont dû mettre en œuvre un certain nombre de méthodes visant à

assurer leur bon fonctionnement. Si la lutte contre les doubles impositions peut constituer un

objectif important, la véritable volonté des services fiscaux est de lutter contre l’évasion fiscale

et ce qu’on pourrait qualifier de double non-imposition des contribuables. Ce type de situation

pourrait survenir dans le cas où des opérations économiques sont exercées entre plusieurs

États, mais aucun d’entre eux n’est en droit d’imposer ce type d’activités, soit en raison de

dispositions spécifiques de leur droit interne, soit du fait d’une grande habileté fiscale de

l’opérateur économique. Pour lutter contre ce type de dérives, les administrations fiscales ont

pris l’habitude de travailler de manière conjointe. Cette attitude est vivement encouragée par

l’OCDE, qui inclut par exemple au sein de son modèle de convention un article relatif à

l’échange de renseignements entre les autorités compétentes des États signataires, « pour

appliquer les dispositions de la présente convention ou pour l’administration ou l’application

de la législation interne »463. Le modèle de l’OCDE prévoit également une « assistance en

462 Voir supra n° 362. et s. 463 OCDE, Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune – Version abrégée, 9e édition, 2014, p. 40

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matière de recouvrement d’impôts », c’est-à-dire une obligation pour les États contractants

de se prêter « mutuellement assistance pour le recouvrement de leurs créances »464. A ce

titre, un grand nombre de conventions fiscales signées par la France prévoient une clause

d’assistance dont l’objet est de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales465.

409. –– La nature conventionnelle du droit fiscal international aboutit à la véritable

constitution d’un réseau entre les administrations fiscales des différents États. Depuis

plusieurs décennies, au travers de l’application des conventions fiscales, mais parfois

également de leur propre chef, les services fiscaux nationaux se rapprochent dans l’optique

de mieux remplir leurs missions. Cette coopération est notamment devenue indispensable du

fait de la mondialisation de l’économie, qui rend particulièrement « difficile pour les États de

faire respecter des règles de territorialité »466. Ce nouveau mode de fonctionnement pourrait

s’avérer intéressant, tant pour les États que pour les contribuables, et permettrait d’apporter

à ces derniers une plus grande transparence et une meilleure justice fiscale. Toutefois, il

semble qu’en pratique, le rapprochement des administrations vise davantage à lutter contre

l’évasion fiscale que contre les situations de double imposition : ces dernières seront

généralement envisagées au travers de procédures amiables bilatérales, plus lourdes d’un

point de vue procédural que les échanges d’informations spontanées467.

410. –– Le développement du droit fiscal conventionnel présente ainsi certains intérêts,

mais il n’est exempt de défaut. En effet, en raison de la multiplication des conventions et

traités applicables entre les États, on a pu voir apparaître des stratégies de treaty shopping :

il s’agit de « l’art d’utiliser les différentes conventions fiscales internationales dans le but de

diminuer la charge des contribuables, voire de l’annuler »468. Cette pratique, qui nécessite tout

de même une assez bonne connaissance des conventions en vigueur, est souvent mise en

œuvre par les grandes entreprises multinationales. Les phénomènes de treaty shopping sont

en réalité susceptibles d’avoir de nombreux effets négatifs sur la mise en œuvre de la fiscalité :

d’une part, ils constituent un véritable manque à gagner pour les États, qui voient des

464 OCDE, Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune – Version abrégée, 9e édition, 2014, p. 41 465 Administration fiscale, BOFiP, BOI-ANNX-000082-20130603 466 G. ORSINI, « La coopération des administrations fiscales », Petites affiches, n° 97, 2002, p. 50 467 Voir supra n° 336. et s. 468 FOURRIQUES Michel, « Le Treaty Shopping ou l’usage abusif des conventions fiscales », Petites affiches, n° 197, 2012, p. 3

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bénéfices parfois colossaux échapper de manière injustifiée à l’impôt. D’autre part, ces

pratiques portent atteinte au principe même de justice fiscale, en encourageant la méfiance

des administrations fiscales à l’égard des contribuables honnêtes, en faisant peser sur eux une

charge plus lourde, voire une double imposition. Un certain nombre de mécanismes ont été

prévus pour lutter contre les risques de treaty shopping, comme l’abus de droit prévu par la

loi interne469 ou encore la notion de bénéficiaire effectif en matière de dividendes, intérêts ou

redevances, prévu par le modèle de convention de l’OCDE470.

411. –– La réticence des États quant à la correction des doubles impositions trouve

largement son fondement dans une volonté politique de protéger la souveraineté fiscale

nationale, mais s’ajoute à cela une raison supplémentaire d’ordre pratique. Devant les

difficultés financières rencontrées, de nombreux États se voient aujourd’hui contraints de

ménager leurs finances publiques.

§2 –– La nécessité de ménager les finances publiques

412. –– Selon le mode de fonctionnement de l’économie actuelle, toute personne,

physique ou morale, est susceptible de rencontrer des difficultés d’ordre financier. Bien que

plus stables par nature, les États ne font toutefois pas exception à cette règle, en particulier

en période de crise. Si la dette constitue un mode de financement utilisé par la plupart des

États, il ne s’agit pas de la source financière la plus stable qui soit. Ainsi, en raison de facteurs

aggravants comme la concurrence mondiale ou les crises structurelles de certains pays, les

États doivent tout mettre en œuvre afin de percevoir des recettes fiscales suffisantes pour

assurer leur financement, et ainsi réduire le poids de leur dette et éviter la faillite. Cette

problématique pécuniaire s’ajoute à la nécessité constante d’adapter les règles fiscales en

vigueur aux nouvelles mutations conjoncturelles et aux pratiques des opérateurs

économiques, ce qui ne saurait faciliter la lutte contre les doubles impositions.

413. –– Les mécanismes de correction des doubles impositions voient donc leur

développement entravée par des préoccupations supérieures pour les États, notamment au

travers d’une lutte contre les difficultés financières qu’ils pourraient rencontrer. Mais souvent,

469 Article L64 du LPF 470 OCDE, Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune – Version abrégée, 9e édition, 2014, p. 30 et s.

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ces difficultés se retournent souvent contre le contribuable victime, qui ne pourra pas faire

valoir ses droits et devra donc en payer le prix au travers d’une surcharge fiscale injustifiée.

A –– Les difficultés financières des États

414. –– La dernière décennie a été particulièrement marquée par une crise économique

majeure, qui a sévèrement frappé un grand nombre d’États, en particulier en Europe. Pour

faire face à ces difficultés financières, de nombreuses politiques d’austérité ont été mises en

œuvre afin de réduire les déficits publics. Ces méthodes ont toutefois fait l’objet de

nombreuses critiques, les accusant notamment d’asphyxier l’économie et d’entretenir un

cercle vicieux ne permettant pas de sortir durablement de la crise471. Si la diminution des

dépenses publiques peut être contestée comme n’étant pas un remède efficace aux

problèmes économiques rencontrés par les États, il n’en demeure pas moins que leurs

difficultés financières sont bien réelles. Comme les charges publiques ne peuvent être

diminuées de manière trop importante, au risque d’accroître la pauvreté et de bloquer la

croissance, il ne reste aux États que la possibilité d’augmenter leurs recettes pour aboutir à

un budget équilibré. La première source de revenus d’un État résidant généralement dans les

recettes fiscales, les choix effectués en matière de fiscalité constitueront nécessairement le

reflet des besoins en financement. C’est la raison pour laquelle un certain nombre de régimes

fiscaux favorables au contribuable ont été supprimés par le législateur, comme celui du

bénéfice mondial consolidé, qui permettait à certaines sociétés multinationales de retenir

l’ensemble de leurs exploitations, directes ou indirectes, situées en France ou à l’étranger,

pour le calcul de l’assiette des impôts relatifs à la réalisation et à la distribution de leurs

bénéfices472 : ce régime nécessitait un agrément à cet effet du ministère de l’Économie et des

finances, mais il a été supprimé en 2011.

415. –– La volonté des États d’augmenter leurs recettes fiscales ne se traduit pas

seulement pas des hausses de taux ou par la fin de régimes jugés trop favorables : elle peut

également prendre la forme d’une véritable concurrence fiscale, en particulier en Europe. En

471 X. TIMBEAU, « La débâcle de l’austérité – Perspective 2012-2013 pour l’économie mondiale », Revue de l’OFCE, n° 125, 2012, p. 9-42 472 Article 209 quinquies du CGI

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effet, en raison des libres circulations instituées au sein de l’Union européenne, il est

relativement facile pour un opérateur économique d’aller s’établir dans un autre État

européen. En l’absence de fiscalité directe harmonisée entre les États membres, les différents

taux d’impôts applicables constituent une des seules véritables barrières économiques entre

les États. Ce phénomène est par ailleurs largement exploité par de nombreux opérateurs

économiques, qui considèrent explicitement une fiscalité avantageuse comme une incitation

à s’implanter sur un territoire en particulier473. Cela se traduit également par une concurrence

entre les États membres en matière fiscale : certains vont proposer des taux particulièrement

attractifs concernant l’imposition des dividendes ou des bénéfices des entreprises ; par

exemple, l’Irlande est particulièrement connue pour avoir recours à cette pratique, avec un

taux d’impôt sur les sociétés de 12,5 % pour les entreprises implantées sur son territoire.

416. –– La concurrence fiscale peut présenter certaines vertus, notamment

d’encourager le développement économique d’un État au travers d’une fiscalité visant à

attirer des capitaux étrangers sur son territoire. Dans une conception plus large, cela incite

également tous les États européens à mener une réflexion sur leur fiscalité dans son

ensemble. Mais malgré cela, une concurrence fiscale trop marquée risque de conduire à une

pression à la baisse des taux d’imposition frappant les facteurs les plus mobiles, contre une

augmentation corrélative de la fiscalité des facteurs les moins sujets à la mobilité474. D’une

manière générale, des taux d’imposition trop différents risquent d’encourager l’évasion fiscale

au sein des États ayant une fiscalité plus lourde, encourageant ainsi la méfiance de

l’administration fiscale à l’égard des opérations internationales. Ce contexte n’étant pas

vraiment propice à la lutte contre les doubles impositions, la réticence des États n’en sera que

plus marquée.

417. –– Il est toutefois à noter que l’Union européenne a mis en œuvre un certain

nombre de mesures visant à lutter contre les pratiques de certains États à proposer une

fiscalité trop attractive, notamment concernant les tax rulings : ce sont des accords conclus

entre des entreprises et l’administration fiscale d’un État, destinés à fixer les règles de calcul

de l’impôt futur. De nombreux États disposent ainsi d’une méthode de rescrit fiscal, assez

473 J. TUROT et. al., Lamy Optimisation fiscale de l’entreprise, 2014, n° 409-2 474 A. BARBIER-GAUCHARD, « La concurrence fiscale dans l’Union européenne : les politique budgétaires confrontées à la mobilité », Politique étrangère, n° 2, 2008, p. 393

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similaire à celle prévue en droit interne, notamment en matière de prix de transfert475. La

différence notable entre le rescrit fiscal français et le tax ruling de certains États résident dans

un traitement parfois plus favorable de certaines entreprises par l’administration fiscale de

l’État où elles s’implantent, créant ainsi des incitations fortes pour les sociétés

multinationales. Cette pratique est fermement combattue par la Commission européenne, car

elle peut constituer une forme d’aides d’État, prohibée par les traités fondateurs476 : cette

situation est largement illustrée par l’affaire qui oppose actuellement la Commission

européenne à l’Irlande, concernant la fiscalité dont a bénéficié la société Apple. Par ailleurs,

un accord permettant une plus grande transparence en matière de tax ruling a été trouvé au

sein du Conseil de l’Union européenne : les États européens doivent à présent communiquer

entre eux les accords qu’ils ont pu conclure avec des multinationales477.

418. –– La volonté des États d’augmenter leur recette fiscale et de lutter contre l’évasion

fiscale tend ainsi parfois à occulter la problématique des doubles impositions, ce qui conduit

à reporter une grande part des difficultés financières étatiques sur le contribuable.

B –– Un prix souvent payé par le contribuable

419. –– Lorsqu’une double imposition apparaît et qu’aucun mécanisme de correction ne

permet de trouver une solution entre les États concernés, la surcharge fiscale pesant sur le

contribuable persistera. Ce type de situation n’est pas particulièrement rare en pratique. De

fait, il s’agit de faire supporter aux opérateurs économiques le prix des difficultés financières

rencontrées par les États et l’absence d’harmonisation en matière fiscale, en particulier en

Europe. Ce phénomène heurte frontalement les grands principes du droit fiscal. En effet, on

peut d’abord considérer que la double imposition est contraire au principe d’égalité devant

les charges publiques, comme l’estime le Conseil constitutionnel478 : si certains contribuables

sont amenés à supporter une double charge fiscale, on ne peut plus affirmer que chacun

contribue aux finances publiques à hauteur de ses facultés.

475 Voir supra n° 256. et s. 476 Article 107 et s. du TFUE 477 F. PERROTIN, « Transparence fiscale : un accord sur les rulings », Petites affiches, n° 219, 2015, p. 4 478 Cons. const., 26/11/2010, M. Moreau, n° 2010-70 QPC, RJF, 2/2011, n° 210 ; Droit fiscal, n° 6, 2011, comm. 209, note F. DIEU ; Gazette du Palais, n° 58, 2011, p. 18

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420. –– Mais au-delà du principe d’égalité devant l’impôt, la double imposition va à

l’encontre de toute forme de justice fiscale. Si cette notion s’avère souvent délicate à définir,

il semble toutefois assez délicat de considérer comme juste le fait qu’un contribuable doive

s’acquitter à deux reprises du même impôt. Mais également d’un point de vue pratique,

l’absence de véritable solution pour corriger les situations de double imposition encouragent

la défiance des contribuables à l’égard des services fiscaux, ce qui ne saurait qu’augmenter la

tentation d’avoir recours à l’évasion fiscale. Dans une telle situation, il semble apparaître une

forme de fiscalité à deux vitesses : les opérateurs les mieux lotis, comme les entreprises

multinationales, peuvent mettre en œuvre des techniques juridiques et fiscales complexes

pour alléger au maximum leur charge d’impôts. Par conséquent, les autres contribuables, qui

ne disposent pas de grands moyens juridiques ou financiers, sont condamnés à supporter la

majeure partie des charges publiques, les exposant à des risques de double imposition. Ce

phénomène frappe principalement les PME et les particuliers, qui verront leur charge fiscale

s’alourdir du fait des délocalisations de bénéfices de certaines multinationales479.

421. –– Même si la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales semblent plus

rémunératrices du point de vue des États, il faut garder à l’esprit que la double imposition

risque fortement d’encourager le recours à ce type de méthodes illégales, qui seraient alors

encore davantage légitimées dans l’esprit des contribuables. Lutter de manière plus efficace

contre les phénomènes de double imposition, éventuellement au travers d’un

multilatéralisme fiscal ou d’une harmonisation européenne, permettrait ainsi de limiter les

barrières économiques entre les États et surtout de réconcilier les opérateurs avec la fiscalité

internationale.

479 J. TUROT et al., Lamy Optimisation fiscale de l’entreprise, 2014, n° 409-2

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CONCLUSION DU TITRE II

422. –– La lutte contre les doubles impositions constitue un enjeu majeur pour les États.

Il s’agit d’une part de mettre en œuvre une certaine sécurité juridique pour le contribuable,

en lui garantissant le respect des principes fondamentaux du droit fiscal, en particulier celui

d’égalité devant les charges publiques. En effet, il ne saurait être conforme à aucune forme

de justice fiscale d’assujettir un redevable à deux reprises au même impôt. D’autre part, les

situations de double imposition se produisant en grande partie lors d’échanges

transfrontaliers, ce phénomène est de nature à entraver le développement international des

opérateurs économiques, y compris au sein du marché intérieur européen. Dans cette

optique, la lutte contre les doubles impositions permet d’accompagner les changements de

comportements des contribuables et d’adapter la fiscalité internationale aux nouveaux enjeux

de la mondialisation.

423. –– Le combat contre les doubles impositions peut se manifester soit sous la forme

de dispositions visant à prévenir ces phénomènes, soit au travers de procédures permettant

de les corriger, dans le cas où la prévention a échoué. Dans la pratique, les mécanismes de

correction des doubles impositions sont relativement difficiles à mettre en œuvre, en

particulier en raison du caractère essentiellement amiable de ces procédures et d’un fort

attachement des États à leur souveraineté fiscale. C’est pourquoi la voie de la prévention peut

sembler plus prometteuse, que ce soit au travers des textes fiscaux législatifs ou

conventionnels, ou encore au travers du rôle du juge. Du point de vue du contribuable, la

prévention des doubles impositions, notamment devant le juge, présente l’avantage d’une

plus grande sécurité juridique : la procédure ne sera pas tributaire d’un accord amiable entre

États. Par ailleurs, en droit interne, lorsqu’un contribuable effectue un recours devant le juge,

il peut demander un sursis de paiement480, ce qui n’est plus le cas en matière de procédure

internationale visant à corriger une double imposition.

424. –– Enfin, force est de constater que si la lutte contre les doubles impositions fait

effectivement partie des préoccupations des États, ce n’est qu’en second rang, après les

problématiques de fraude et d’évasion fiscales. De là à considérer ce phénomène comme un

480 Article L277 du LPF

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problème secondaire, il n’y a qu’un pas. Mais tant que les États ne seront pas parvenus à

établir un véritable axe de lutte contre les doubles impositions, la situation risque de ne pas

progresser : il s’agit ici d’une question de choix et de priorité en matière de politique fiscale.

La plus grande avancée envisageable à la matière résiderait en de meilleures procédures de

correction des doubles impositions : un tel dispositif permettrait de garantir l’élimination

effective de toute double taxation, par exemple au travers d’une obligation de résultat pour

les États et un recours systématique à l’arbitrage en cas de désaccord. De telles dispositions

présenteraient un double avantage : d’une part, les doubles impositions seraient quasiment

toutes garanties d’être éliminées, même si ce n’est qu’à l’issue d’une longue procédure et

après paiement de l’impôt par le contribuable. D’autre part, s’il est assuré que toutes les

doubles impositions finiront par être éliminées, les administrations fiscales, les législateurs

nationaux et les juges de l’impôt seront probablement plus enclins à prévenir ce type de

situation. Mais pour cela, il faudrait une véritable volonté des États de lutter contre la double

imposition, en acceptant de renoncer à une partie de leur souveraineté fiscale, ce qui va à

l’encontre des courants actuellement perceptibles en matière de politique fiscale.

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CONCLUSION GÉNÉRALE

425. –– La double imposition constitue une véritable problématique pour les opérateurs

économiques internationaux. Si elle n’est pas totalement exclue dans une situation purement

interne, elle se manifeste la plupart du temps dans le cas d’échanges transfrontaliers ou

d’activités exercées sur plusieurs territoires nationaux. La plupart des États et des

organisations internationales ont depuis longtemps conscience de l’étendue des difficultés

induites par les situations de double imposition. Pourtant, malgré les nombreuses conventions

fiscales conclues et les travaux de l’Union européenne ou de l’OCDE relatifs à ce sujet, de

nombreux contribuables doivent encore faire face aux doubles impositions, juridiques comme

économiques. Ce constat ne traduit pas tant une incapacité des États à combattre le

problème, mais se rapporte davantage à un choix d’ordre politique : souhaitant conserver leur

souveraineté, rejetant ainsi un multilatéralisme trop marqué ou toute forme d’autorité

supranationale en matière fiscale, les États se refusent à aller plus loin dans la lutte contre la

double imposition. Il en résulte une prévention assez limitée, et des mécanismes de correction

incomplets.

426. –– Dans une optique plus large, nous pouvons constater que la double imposition

est une problématique reflétant les liens ténus entre la fiscalité et le monde économique : il

s’agit d’une illustration particulièrement flagrante de dissonance entre ces deux univers. La

conjoncture économique actuelle est marquée par de nombreux changements. La

mondialisation et l’internationalisation des échanges ont apporté de nouveaux enjeux

économiques et sociaux, mais ont également posé de nouvelles problématiques, comme le

rôle des États dans le monde actuel, ou encore la place de la fiscalité dans ce nouveau mode

de fonctionnement. A l’inverse, le droit fiscal semble à l’opposé de cette conception

mondialiste : il se fonde principalement sur des principes anciens et solidement ancrés, et

comme la plupart des disciplines juridiques, il s’accommode mal des changements brutaux.

427. –– Cette opposition entre fiscalité et économie semble avoir conduit aux situations

de doubles impositions que l’on constate aujourd’hui. La réalité est d’autant plus complexe

que les États sont pour la plupart attachés à leur souveraineté fiscale et à leurs modes de

fonctionnement territoriaux. Cette réticence aux avancées économiques trop marquées

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renforce encore davantage les risques de double imposition qui pèsent sur les contribuables.

Le droit ayant vocation à réguler les relations entre les individus au sein d’une société, il doit

nécessairement tenir compte des mutations s’opérant dans le mode de vie des membres du

corps social. Pour autant, les disciplines juridiques ont besoin de stabilité, afin d’apporter une

certaine sécurité aux justiciables, en particulier dans les matières les plus sensibles, comme le

droit fiscal. Ainsi, le parfait équilibre que cherche le droit semble constamment en

mouvement, ce qui rend la tâche des autorités étatiques particulièrement ardue.

428. –– Malgré tout, pour mettre en œuvre une véritable lutte contre la double

imposition, la fiscalité devra s’adapter et faire un pas vers l’économie mondialisée. Si cette

donnée semble avoir été acceptée par les organisations internationales, comme l’OCDE, les

États semblent moins enclins à suivre ce mouvement : la plupart sont encore tentés par cet

instinct de repli identitaire, si caractéristique de la matière fiscale.

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Droit fiscal, n° 18, 2015, comm. 297

« Les clauses anti-abus et le droit de l’Union européenne », Droit fiscal, n° 13, 2016, comm. 257

MEIER Éric et VALETEAU Mathieu, « Retenue à la source étrangère : la situation du contribuable

aggravée par une convention fiscale », Droit fiscal, n° 19, 2014, act. 275

MONSENEGO Jérôme, « L’expérience américaine en matière de clauses d’arbitrage

conventionnelles », Droit fiscal, n° 6, 2014, p. 13

MORTIER Renaud, « Réaffirmation solennelle de l’autonomie patrimoniale de principe des sociétés

groupées », Droit des sociétés, n° 10, 2012, comm. 157

OLLÉON Laurent :

« Article 209 B et conventions fiscales internationales : "Après les ténèbres, la lumière" », RJF,

10/2002, n° 1080, p. 755

« Territorialité de l’impôt : des trous dans le mur », RJF, 7/2003, n° 823, p. 571

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188

ORSINI Gérard, « La coopération des administrations fiscales », Petites affiches, n° 97, 2002, p. 50

OUDENOT Philippe, « Retenues à la source et crédit d’impôt : actualités et perspectives », Droit fiscal,

n° 49, 2016, p. 627

PAOLI-GAGIN Vanina, « La récente réforme des titres de créances négociables en deux mots : entre

simplification et internationalisation », Bull. Joly Bourse, n° 07-08, 2016, p. 303

PERROTIN Frédérique :

« Fraude fiscale : le plan d’action de la Commission européenne », Petites affiches,

n° 250, 2012, p. 3

« Retenue à la source applicable aux sportifs non-résidents », Petites affiches, n° 121,

p. 3

« Transparence fiscale : un accord sur les rulings », Petites affiches, n° 219, 2015, p. 4

PIERRE Jean-Luc :

« Détention d’un immeuble situé en France », Droit des sociétés, n° 10, 2006, comm. 155

« Qualification éventuelle d’établissement stable pour une société française commissionnaire

d’une société étrangère », Droit des sociétés, n° 7, 2010, comm. 153

« Société étrangère – Détention d’un immeuble situé en France », Droit des sociétés,

n° 8-9, 2013, comm. 150

« Détermination de la plus-value afférente à des parts de société de personnes, en cas de

liquidation ou de dissolution sans liquidation de cette dernière », Droit des sociétés, n° 12, 2015,

comm. 224

PRÉTOT Xavier, « La conformité à la Constitution de la loi de financement de la Sécurité sociale pour

2001 », Droit social, 2001, p. 270

QUILICI Sandrine, « Les prélèvements sociaux sur les revenus du patrimoine sont des cotisations

sociales au sens du droit de l’Union », Droit fiscal, n° 10, 2015, act. 124

REVEL Alexis, « Traités fiscaux bilatéraux : un contrôle de conventionalité assez peu conventionnel »,

Petites affiches, n° 248, 2013, p. 5

TALY Michel, « Abandons de créances au profit de succursales appartenant à une filiale bénéficiaire :

transfert indirect de bénéfices (oui) », Droit fiscal, n° 18, 2008, comm. 302

TEPER Frédéric, « Acte anormal de gestion : l’absence de rémunération d’une concession de licence

peut être justifiée par la préservation de l’existence d’un actif », Droit fiscal, n° 24, 2016, comm.

374

TIMBEAU Xavier, « La débâcle de l’austérité – Perspective 2012-2013 pour l’économie mondiale »,

Revue de l’OFCE, n° 125, 2012, p. 9-42

TUROT Jérôme, « Imposition des membres des sociétés de personnes – Pour le calcul de la plus-value

de cession des parts détenues à titre professionnel par un associé, le prix de revient fiscal des

parts correspond à la valeur d’acquisition majorée des bénéfices imposés et des pertes comblés

et minorée des déficits déduits et des bénéfices répartis », Droit fiscal, n° 14, 2000, comm. 283

URY Didier, « Le droit souple appliqué à la matière fiscale », Revue française de finances publiques, n°

135, 2016, p. 277

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189

V –– Rapports institutionnels

OCDE

Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune – Version abrégée, 9e édition, 2014

Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune – Version complète, 9e édition, 2014

L’imposition des bénéfices dans une économie globale, 1991

Lutter contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert des bénéfices, 2013

Principes de l’OCDE applicables en matière de prix de transfert à l’intention des entreprises

multinationales et des administrations fiscales, 2010

L’Application du modèle de Convention fiscale de l’OCDE aux sociétés de personnes, 1999

Union européenne

Commission européenne, Consultation sur les conventions préventives de la double imposition dans le

marché intérieur : exemples concrets de double imposition, 2010

European Commission, Summary report of the responses received Commission’s consultation on double

taxation convention and the internal market: factual examples of double taxation cases, 2011

Commission européenne, Proposition de directive du Conseil concernant une assiette commune

consolidée pour l’impôt sur les sociétés (ACCIS), 2016

Commission européenne, Proposition de directive du Conseil concernant les mécanismes de règlement

des différends en matière de double imposition dans l’Union européenne, 2016

Parlement européen, « Politique fiscale », Fiche techniques sur l’Union européenne, 2017

Autres institutions internationales

Conseil de l’Europe, « La Convention européenne des Droits de l’Homme et le droit de propriété »,

Dossiers sur les droits de l’Homme, n° 11 rév.

ONU, Modèle de convention des Nations Unies concernant les doubles impositions entre pays

développés et pays en développement, 2011

SDN, Modèles de conventions fiscales de Londres et de Mexico – Commentaire et texte, 1946

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190

Institutions françaises

Conseil d’État, Etude annuelle – Le droit souple, 2013

Cour des comptes, « 4 – La lutte contre la fraude fiscale : des progrès à confirmer », Rapport public

annuel, 2016, p. 357

Projet de loi de finances pour 2013, Rapport sur les prélèvements obligatoires et leur évolution, 2013

VI –– Documentation électronique

Administration fiscale, BOFiP : http://bofip.impots.gouv.fr

Conseil constitutionnel : www.conseil-constitutionnel.fr

Conseil d’État : www.conseil-etat.fr

Cour de cassation : www.courdecassation.fr

Cour des comptes : www.ccomptes.fr

Législation française et jurisprudence : www.legifrance.gouv.fr

OCDE : www.ocde.org

Union européenne : www.europa.eu

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191

INDEX ALPHABÉTIQUE

(Les chiffres renvoient aux numéros des paragraphes)

A

Abandon de créances : 144 et s.

Abus de droit : 177, 191

ACCIS : 291

Acte anormal de gestion : 49, 145

Ajustements corrélatifs : 343 et s.

Arbitrage : 372 et s., 392 et s.

B

BEPS : 102, 396

C

Charge déductible : 75, 88, 222

Conciliation : 382 et s.

–– en droit interne : 383

–– en droit inernational : 384

Concurrence fiscale : 23, 415 et s.

Convention européenne d’arbitrage : Voir

Procédure européenne d’arbitrage

Convention européenne des droits de

l’homme : 325 et s.

Conventions fiscales : 407, 332 et s., 261 et s.,

154 et s.

–– clause de non-discrimination : 272, 341

–– limites : 90, 98 et s., 281 et s.

–– méthodes : 84 et s., 268 et .

–– objectifs : 265 et s.

–– principe de subsidiarité : 98, 312

Crédit d’impôt : 76, 87, 276 et s.

D

Dividendes : 54 et s.

Double imposition :

–– approche historique : 12 et s.

–– correction : 328 et s.

–– définition : 6 et s.

–– économique : 29, 113 et s., 226, 315

–– juridique : 28, 32 et s., 44, 221, 304, 343

–– prévention : 208 et s.

–– simulation : 194 et s.

Droit de l’Union européenne : 82 et s., 91, 139,

285 et s.

–– avancées : 388 s.

–– CJUE : 320 et s.

–– libre circulation des capitaux : 56, 83

–– principe de non-discrimination : 56, 83,

322

Droit fiscal souple : 386

Droits d’enregistrement : 195

E

Entreprise exploitée à l’étranger 44

Entreprise exploitée en France 40 et s.

Entreprises associées : Voir Groupe de

sociétés

Établissement stable : 45 et s., 161, 270 et s.

ETNC : 52

Évasion fiscale : Voir Fraude fiscale

Exemption : 86, 229 et s., 274

F

Finances publiques : 101, 412 et s.

Fraude fiscale : 21 et s., 105, 420

G

Garanties pour le contribuable : 241 et s.

–– interprétation des textes fiscaux : 243 et

s.

Groupe de sociétés : 116 et s., 366

I

Impôt :

–– définition : 2

–– direct : 10

–– indirect : 10

–– principe de mondialité : 44, 232

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- 192 -

–– principe de territorialité : 40, 71 et s., 231

et s.

–– recouvrement : 351

Impôts payés à l’étranger : 74 et s., 221

Imputation : 87 et s., 276 et s.

Intégration fiscale : 141

Intérêts : 51 et s., 235 et s., 290

J

Juge :

–– constitutionnel : 302 et s.

–– de l’impôt : 308 et s.

–– européen : 318 et s.

L

Loi fiscale : 217 et s.

M

Médiation : 382 et s.

–– en droit interne : 383

–– en droit international : 384

Modèle de convention fiscale :

–– OCDE : 17, 156, 263

–– ONU : 17, 337

–– SDN : 14

P

Participations :

–– non substantielles : 64, 238

–– substantielles : 65

Pertes subies à l’étranger : 71 et s.

Plus-values : 62

–– cession de droits sociaux : 63 et s., 238

–– cession immobilière : 67

PME : 72

Prélèvement à la source : Voir Retenue à la

source

Prélèvements sociaux obligatoires : 2, 7, 67,

367

Principe d’égalité devant l’impôt : 4, 101, 304

et s., 419

Prix de transfert : 343 et s., 150 et s., 343 et s.,

366

–– accord préalable 250 et s.

–– principe de pleine concurrence : 151, 250

–– taxation unitaire : 157, 279

Procédure amiable bilatérale : 336 et s.

–– champ d’application : 340 et s.

–– déroulement : 347 et s.

–– délais : 347

–– issue : 354 et s.

–– limites : 358 et s.

Procédure européenne d’arbitrage : 334, 362

et s.

–– approche historique : 363 et s.

–– champ d’application : 366 et s.

–– déroulement : 369 et s.

–– issue : 374 et s.

–– limites : 376 et s.

R

Recours gracieux : 387

Redevances : 59 et s., 290

Régime des sociétés mères et filiales : 135

et s.

–– conditions : 137

–– directive européenne : 139, 289, 305

–– effets : 138

–– limites : 140, 294

Rescrit fiscal : 256 et s., 417

Retenue à la source : 56 et s., 60, 67

Revenus fonciers : 49 et s.

Risque de double imposition : 342

S

Simulation : 164 et s.

–– caractéristiques : 170 et s.

–– définition : 164

–– déguisement : 183

–– double imposition : 315

–– fictivité : 181

–– interposition de personne : 185

–– théorie de l’apparence : 190 et s.

Société à prépondérance immobilière : 66

Société de personnes : 124 et s.

–– application des conventions fiscales : 159

–– cession de titres : 130 et s., 311

–– translucidité : 126

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- 193 -

–– transparence : 128

Société des Nations : 13 et s., 80, 204

Souveraineté fiscale : 93 et s., 107, 401 et s.

T

Théorie de l’apparence : Voir Simulation

Transaction : 350, 387

Transfert indirect de bénéfices : 152, 366

Transmission universelle de patrimoine : 133

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194

TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION ................................................................................................................................ 1

TITRE I –– LES ORIGINES DE LA DOUBLE IMPOSITION.................................................. 16

CHAPITRE I –– LA DOUBLE IMPOSITION JURIDIQUE ............................................... 18

Section I –– L’internationalisation des échanges économiques .......................................... 19

§1 –– Des revenus de source internationale ...................................................................... 20

A –– L’entreprise exploitée en France ....................................................................... 21

B –– Les revenus de source française perçus à l’étranger ........................................ 24

1) Les revenus fonciers .......................................................................................... 24

2) Les intérêts ......................................................................................................... 25

3) Les dividendes et revenus distribués ................................................................. 26

4) Les redevances ................................................................................................... 28

5) Les plus-values ................................................................................................... 29

a) Les plus-values de cession de droits sociaux ................................................. 29

b) Les plus-values de cession immobilière ......................................................... 31

C –– Les revenus de source étrangère perçus en France .......................................... 31

1) Les pertes subis par l’entreprise exploitée à l’étranger .................................... 32

2) Les impôts payés à l’étranger ............................................................................ 33

§2 –– Des activités d’ordre mondiale .................................................................................. 34

A –– Une volonté de développement économique internationale .......................... 35

1) L’Union européenne .......................................................................................... 35

2) Les aménagements du droit fiscal conventionnel ............................................. 36

a) L’exemption .................................................................................................... 36

b) L’imputation ................................................................................................... 37

B –– Les limites de l’internationalisation ................................................................... 38

Section II –– Le maintien de la souveraineté fiscale des États ............................................. 39

§1 –– Des systèmes fiscaux inadaptés à l’économie mondialisée ................................... 40

A –– Une conception traditionnelle de la fiscalité .................................................... 40

B –– Des enjeux fiscaux nouveaux ............................................................................. 42

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195

§2 –– Des administrations fiscales réfractaires .................................................................. 43

A –– Une vision unilatérale ........................................................................................ 44

B –– Des difficultés à collaborer ................................................................................ 45

CHAPITRE II –– LA DOUBLE IMPOSITION ÉCONOMIQUE ....................................... 48

Section I –– Double imposition économique et groupe de sociétés ................................... 50

§1 –– Un droit interne inadaptée ......................................................................................... 51

A –– Les mesures visant à éviter les doubles impositions au sein des groupes de

sociétés ...................................................................................................................... 52

1) Le cas particulier des sociétés de personnes ..................................................... 53

a) L’imposition des bénéfices de société de personnes ..................................... 53

b) L’imposition des cessions de titres de société de personnes ........................ 55

2) Le régime des sociétés mères et filiales ............................................................ 58

B –– Les mesures encadrant l’activité des groupes de sociétés ............................... 62

1) Les abandons de créances ................................................................................. 62

2) Les prix de transfert ........................................................................................... 66

§2 –– Des conventions fiscales imparfaites ........................................................................ 68

A –– Une volonté d’harmonisation ? ......................................................................... 68

B –– Des divergences de conception ......................................................................... 70

Section II –– Double imposition économique et simulation ................................................. 72

§1 –– La notion de simulation en droit fiscal ...................................................................... 74

A –– Les caractéristiques de la simulation ................................................................ 74

1) L’élément matériel ............................................................................................. 75

2) L’élément psychologique ................................................................................... 76

3) Simulation, fraude et dissimulation ................................................................... 77

B –– Les manifestations de la simulation .................................................................. 78

1) La fictivité ........................................................................................................... 79

2) Le déguisement .................................................................................................. 79

3) L’interposition de personne ............................................................................... 80

§2 –– Le régime de la simulation en droit fiscal ................................................................. 81

A –– Le choix des armes de l’administration fiscale .................................................. 81

B –– Vers une double imposition ? ............................................................................ 84

Conclusion du titre I ..................................................................................................................... 87

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196

TITRE II –– LA LUTTE CONTRE LES DOUBLES IMPOSITIONS ....................................... 89

CHAPITRE I –– LA PRÉVENTION DES DOUBLES IMPOSITIONS .............................. 92

Section I –– La prévention des doubles impositions par la loi et les conventions

fiscales internationales .............................................................................................................. 94

§1 –– La loi fiscale ................................................................................................................... 95

A –– Des dispositifs permettant d’éviter la double imposition ................................. 96

1) L’impôt payé à l’étranger ................................................................................... 97

2) Le régime des sociétés mères et filiales ............................................................ 98

3) L’exemption unilatérale ................................................................................... 100

a) La territorialité de l’impôt sur les sociétés ................................................... 100

b) L’exonération des intérêts payés à l’étranger ............................................. 102

c) Les cessions de participations non substantielles par un opérateur

étranger ............................................................................................................ 103

B –– Les garanties contre les changements de position de l’administration

fiscale ....................................................................................................................... 104

1) L’interprétation des textes fiscaux par l’administration ................................. 105

2) La qualification des faits par l’administration fiscale ...................................... 107

a) Les accords préalables en matière de prix de transfert ............................... 108

b) Le rescrit fiscal .............................................................................................. 110

§2 –– Les conventions fiscales internationales................................................................. 112

A –– Les objectifs des conventions fiscales ............................................................. 114

B –– Les méthodes conventionnelles de prévention des doubles impositions ...... 115

1) L’imposition des établissements stables ......................................................... 117

2) L’exemption ..................................................................................................... 118

3) L’imputation ..................................................................................................... 119

4) Vers d’autres méthodes de prévention des doubles impositions ? ................ 121

C –– Les limites des conventions fiscales ................................................................ 121

§3 –– Le droit européen ....................................................................................................... 123

A –– Une volonté de prévention des doubles impositions ..................................... 124

B –– Les limites de la prévention des doubles impositions par le droit européen . 126

Section II –– La prévention des doubles impositions par le juge ....................................... 128

§1 –– Le juge national .......................................................................................................... 129

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197

A –– La prévention des doubles impositions par le juge constitutionnel ............... 129

B –– La prévention des doubles impositions par le juge de l’impôt ....................... 132

1) Le rôle du Conseil d’État .................................................................................. 132

2) Le rôle de la Cour de cassation ........................................................................ 134

C –– Les limites de la prévention des doubles impositions par le juge national ..... 135

§2 –– Le juge supranational ................................................................................................ 136

A –– La Cour de justice de l’Union européenne ...................................................... 137

B –– La Cour européenne des droits de l’Homme ................................................... 139

CHAPITRE II –– LA CORRECTION DES DOUBLES IMPOSITIONS ........................... 141

Section I –– La correction des doubles imposition par les procédures internationales . 143

§1 –– Les procédures amiables bilatérales ....................................................................... 145

A –– La mise en œuvre de la procédure amiable .................................................... 146

1) Le champ d’application de la procédure ......................................................... 147

2) Le déroulement de la procédure ..................................................................... 150

3) Les effets de la procédure en droit interne ..................................................... 151

B –– L’issue de la procédure amiable ...................................................................... 153

C –– Les limites de la procédure amiable ................................................................ 154

§2 –– La procédure européenne d’arbitrage .................................................................... 156

A –– Le champ d’application de la Convention européenne d’arbitrage................ 157

B –– Le déroulement de la procédure ..................................................................... 159

1) La phase amiable ............................................................................................. 159

2) La phase arbitrale ............................................................................................ 160

3) L’issue de la procédure .................................................................................... 161

B –– Les limites de la Convention européenne d’arbitrage .................................... 161

§3 –– Vers d’autres modes d’élimination des doubles impositions ? ........................... 162

A –– Les recours du droit interne ............................................................................ 163

1) La médiation et la conciliation ......................................................................... 163

2) Le droit souple en matière fiscale .................................................................... 165

B –– Les avancées du droit européen ...................................................................... 166

C –– Les recours internationaux .............................................................................. 167

1) L’arbitrage en droit fiscal international ........................................................... 167

2) Vers un multilatéralisme fiscal ? ...................................................................... 168

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198

Section II –– La réticence des États face à la correction des doubles impositions .......... 169

§1 –– L’importance de la souveraineté fiscale ................................................................. 170

A –– Une forme de repli juridique ........................................................................... 171

B –– Un droit essentiellement conventionnel ......................................................... 173

§2 –– La nécessité de ménager les finances publiques ................................................... 175

A –– Les difficultés financières des États ................................................................. 176

B –– Un prix souvent payé par le contribuable ....................................................... 178

Conclusion du titre II ................................................................................................................. 180

CONCLUSION GÉNÉRALE.......................................................................................................... 182

BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................................................ 184

INDEX ALPHABÉTIQUE .............................................................................................................. 191

TABLE DES MATIÈRES ................................................................................................................ 194