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LA DOUBLE IMPOSITION EN DROIT INTERNE
ET EN DROIT INTERNATIONAL
Mémoire de recherche rédigé par Romain BERBACH
Sous la direction de Monsieur le Professeur Jean-Luc PIERRE
Master II – Droit des affaires approfondi
Dirigé par les Professeurs Nicolas BORGA et William DROSS
Année universitaire 2016-2017
L’université n’entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises dans
les mémoires, ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur.
REMERCIEMENTS
À Monsieur le Professeur Jean-Luc Pierre, pour avoir accepté de diriger ce mémoire, ainsi que
pour sa disponibilité et ses précieux conseils.
TABLEAU DES ABRÉVIATIONS
ACCIS Assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés
act. Actualité
AJDA Actualité juridique de droit administratif
BDCF Bulletin des conclusions fiscales
BEPS Érosion de la base d’imposition et transfert de bénéfices
BOFiP Bulletin officiel des finances publiques
BPAT Bulletin du patrimoine
Bull. Bulletin
C. civ. Code civil
C. comptes Cour des comptes
Cass. civ. 1ère Première chambre civile de la Cour de cassation
Cass. com. Chambre commerciale de la Cour de cassation
Cass. req. Chambre des requêtes de la Cour de cassation
comm. Commentaire
concl. Conclusions
CE Conseil d'État
CEDH Cour européenne des droits de l'homme
CGI Code général des impôts
CJCE Cour de justice des Communautés européennes
CJUE Cour de justice de l'Union européenne
Cons. const. Conseil constitutionnel
CPO Conseil des prélèvements obligatoires
CRDS Contribution pour le remboursement de la dette sociale
CSG Cotisation sociale généralisée
DC Contrôle de constitutionnalité des lois ordinaires
DDHC Déclaration des droits de l'homme et du citoyen
ETNC État ou territoire non coopératif
GIE Groupement d’intérêt économique
J.-Cl. JurisClasseur
JCP E La Semaine Juridique – Entreprises et Affaires
JOCE Journal officiel des Communautés européennes
JOUE Journal officiel de l'Union européenne
Lebon Recueil des décisions du Conseil d’ État
LPF Livre des procédures fiscales
MEDEF Mouvement des entreprises de France
OCDE Organisation de coopération et de développement économiques
ONU Organisation des Nations unies
p. Page
PME Petites et moyennes entreprises
Rec. Recueil
QPC Question prioritaire de constitutionnalité
RDSS Revue de droit sanitaire et social
RJCD Revue juridique des contributions directes
RJDA Revue de jurisprudence de droit des affaires
RJF Revue de jurisprudence et des conclusions fiscales
RTD com. Revue trimestrielle de droit commercial
RTD eur. Revue trimestrielle de droit européen
s. Suivants
SA Société anonyme
SARL Société à responsabilité limitée
SCI Société civile immobilière
SDN Société des Nations
TFUE Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne
TPE Très petites entreprises
TVA Taxe sur la valeur ajoutée
§ Paragraphe
SOMMAIRE
INTRODUCTION ................................................................................................................................ 1
TITRE I –– LES ORIGINES DE LA DOUBLE IMPOSITION ................................................... 16
CHAPITRE I –– LA DOUBLE IMPOSITION JURIDIQUE .................................................... 18
CHAPITRE II –– LA DOUBLE IMPOSITION ÉCONOMIQUE ............................................ 48
Conclusion du titre I ..................................................................................................................... 87
TITRE II –– LA LUTTE CONTRE LES DOUBLES IMPOSITIONS ......................................... 89
CHAPITRE I –– LA PRÉVENTION DES DOUBLES IMPOSITIONS .................................. 92
CHAPITRE II –– LA CORRECTION DES DOUBLES IMPOSITIONS ............................... 141
Conclusion du titre II ................................................................................................................. 180
CONCLUSION GÉNÉRALE.......................................................................................................... 182
BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................................................ 184
INDEX ALPHABÉTIQUE .............................................................................................................. 191
TABLE DES MATIÈRES ................................................................................................................ 194
1
INTRODUCTION
1. –– Le droit fiscal est un domaine d’études particulièrement large. Les problématiques
qu’on y retrouve sont extrêmement variées, d’autant plus à une période qui voit un véritable
essor de la fiscalité des affaires. Pourtant, au travers de tous les sujets évoqués en matière
d’impôts, aucun ne semble autant retenir l’attention des contribuables que celui de la double
imposition. Le terme a en effet de quoi effrayer les opérateurs économiques, tant la fiscalité
est pour eux devenue un sujet sensible. L’idée même d’une double charge fiscale est de nature
à décourager de nombreux assujettis, qu’ils soient particuliers ou personnes morales : si « être
imposé une fois ne suscite jamais l’enthousiasme, que dire alors d’une imposition répétée sur
une même base »1 ? Devant les difficultés engendrées par ce phénomène, la double
imposition est régulièrement évoquée et étudiée par de nombreuses organisations
internationales, comme l’OCDE ou l’Union européenne, mais également par les contribuables
eux-mêmes, et plus particulièrement les entreprises, notamment au travers de la voix du
MEDEF.
2. –– Avant de s’intéresser plus avant à la double imposition et de se pencher sur les
problématiques qui s’y rattachent, il convient de commencer par définir la notion même
d’impôt. Si la question peut paraître triviale, elle n’en demeure pas moins fondamentale,
notamment pour appréhender la notion de double imposition. Une définition très classique
de l’impôt est attribuée au professeur Gaston Jèze au cours du XXe siècle, comme étant « une
prestation pécuniaire requise des particuliers par voie d’autorité, à titre définitif et sans
contrepartie, en vue de la couverture des charges publiques ». Cette définition nous fournit
une base solide pour aborder la notion, même si la fiscalité contemporaine a souvent
tendance à dépasser ce cadre. En effet, les impôts ne sont aujourd’hui plus exclusivement
acquittés par les particuliers, mais également bien souvent par des personnes morales,
notamment des sociétés. Par ailleurs, l’absence de contrepartie déterminée n’est pas toujours
assurée, notamment en ce qui concerne la qualification des prélèvements sociaux obligatoires
(CSG/CRDS). Malgré leur affectation au financement de la Sécurité sociale, le Conseil
1 V. DE SAINT-BLANQUAT, « La double imposition des entreprises : le point de vue du MEDEF », Droit fiscal, n° 9, 2011, p. 226
2
constitutionnel considère ces prélèvements comme des impôts, car ils sont obligatoires et
n’ouvrent aucun droit pour les contribuables2. A l’inverse, la Cour de justice de l’Union
européenne estime qu’il s’agit de cotisations sociales, en raison de leur affectation
particulière3. Les arguments du juge européen ont également été repris par le Conseil d’État,
qui a récemment qualifié les prélèvements sociaux obligatoires de cotisations sociales4.
L’impôt peut donc se définir d’une manière globale comme un prélèvement obligatoire,
généralement de nature pécuniaire, perçu par l’État et les collectivités territoriales, dans le
but de couvrir les charges publiques. Le paiement de l’impôt ne prévoit en principe aucune
contrepartie pour le contribuable, qui peut être une personne physique ou morale, selon la
nature des impositions concernées.
3. –– Au vu du développement de l’activité économique au cours des dernières
décennies, la fiscalité a elle aussi connu un essor considérable, notamment dans le but
d’encadrer les nouvelles pratiques des opérateurs économiques. Les impôts en vigueur se sont
donc multipliés, de même que la diversité de la matière imposable. Ce développement fiscal
trouve également sa source dans l’augmentation parfois sensible des charges publiques dans
le budget des États : devant un besoin important de financement, dans une optique
d’augmentation des recettes fiscales, les gouvernements ont parfois choisi de recourir à la
création de nouveaux impôts. Ce phénomène n’est en réalité pas tout à fait nouveau. Déjà à
son époque, Georges Clémenceau dénonçait cette accroissement fiscal sous un trait
d’humour : « la France est un pays extrêmement fertile : on y plante des fonctionnaires et il y
pousse des impôts ». Mais au-delà des considérations politiques que cette citation pourrait
appeler, force est de constater que la fiscalité a aujourd’hui atteint un degré très élevé de
complexité. Dans un tel contexte, elle devient une préoccupation majeure des opérateurs
économiques et des États, mais également des organisations internationales dont l’objet est
d’encourager les échanges transfrontaliers.
4. –– Si la fiscalité interne est déjà source de nombreuses difficultés, la double
imposition n’y est en réalité qu’une préoccupation secondaire. En effet, il est relativement
rare qu’un contribuable soit assujetti à deux reprises au même impôt dans un contexte
purement interne : une telle situation ne saurait être conforme aux grands principes du droit
2 Cons. const., 19/12/2000, n° 2000-437 DC, Droit social, 2001, p. 270, note X. PRÉTOT 3 CJUE, 26/02/2015, Ministre de l'Économie et des Finances c/ Gérard de Ruyter, C-623/13, RDSS, 2015, p. 833, note C. BOUTAYEB ; RJF, 5/2015, concl. E. SHARPSTON ; Droit fiscal, n° 10, 2015, act. 124, note S. QUILICI 4 CE, 27/07/2015, M. de Ruyter, n° 334551, RJF, 11/2015 ; Droit fiscal, n° 41, 2015, comm. 620
3
fiscal. En particulier, si un contribuable se retrouvait confronté à une double imposition, le
principe d’égalité devant les charges publiques5 ne saurait être respecté, l’assujetti en
question devant supporter une surcharge fiscale que rien ne viendrait justifier. Mais dans un
contexte d’échanges croissants et de mondialisation, la fiscalité des affaires n’a plus vocation
à se cantonner à un simple territoire national. En raison des nombreux échanges
internationaux et de l’émergence d’entreprises de taille mondiale, les règles relatives à l’impôt
se sont vues doublées d’un volet international, notamment au travers de conventions fiscales
bilatérales conclues entre les États. Pourtant, le cœur du droit fiscal est resté
fondamentalement national, chaque État continuant de disposer librement de sa
souveraineté en matière d’impôts : il résulte de cette situation une multitude de droits fiscaux
nationaux applicables aux opérateurs économiques exerçant leur activité sur plusieurs
territoires. Les particularités des règles en vigueur dans chaque État constituent une source
de complexité supplémentaire pour le droit fiscal, créant ainsi un contexte particulièrement
propice aux doubles impositions.
5. –– Ainsi, le développement de la fiscalité, tant au niveau du droit interne à chaque
État que dans sa dimension internationale avec les conventions fiscales, a conduit à une
complexité dont les opérateurs économiques font parfois les frais. Il s’ajoute à cela une
instabilité constante propre à la matière fiscale, les règles applicables en matière d’impôts
étant régulièrement sujettes à évolution. Il résulte de ce constat un véritable risque de double
imposition pesant sur de nombreux contribuables.
6. –– Il convient ici de s’interroger sur le véritable sens des termes double imposition.
Au premier abord, il semble que tout le monde conçoit assez bien ce qui est désigné par ce
type de situation. Mais en réalité, il arrive souvent que la notion de double imposition soit
confondue avec un simple cumul d’impôts. Le développement qu’a connu la matière fiscale
depuis la première moitié du XXe siècle a abouti à une fiscalité très diversifiée et à un grand
nombre d’impôts différents. Il n’existe pas véritablement de décompte officiel du nombre
d’impôts et de taxes en vigueur, mais le gouvernement en présentait environ 150 au travers
du rapport accompagnant la loi de finance pour 20136. Quelques auteurs, particulièrement
hostiles à une charge fiscale trop importante, vont jusqu’à dénombrer près de 360 « impôts
5 Article 13 de la DDHC 6 Projet de loi de finances pour 2013, Rapport sur les prélèvements obligatoires et leur évolution, 2013
4
et taxes »7. Connaître le nombre exact d’impôts applicables n’a pas véritablement d’intérêt,
mais ces ordres de grandeurs permettent d’appréhender le poids de la diversité fiscale
française. On conçoit aisément au travers de ces grands nombres d’impôts que certains
d’entre eux auront fatalement tendance à se recouper, c’est-à-dire à porter sur la même
matière imposable. Plusieurs impôts peuvent ainsi présenter des caractéristiques communes,
comme s’appliquer aux mêmes types de revenus ou à certains contribuables en particulier ; il
peut même parfois arriver que les assiettes fiscales de plusieurs impôts soient identiques.
Dans une telle situation, on serait vite tenté de parler de double imposition, du fait qu’une
même matière imposable soit assujettie à plusieurs impôts de manière simultanée. Mais peut-
on réellement utiliser ces termes ici ?
7. –– En pratique, un cumul d’impositions ne signifiera pas toujours une double
imposition pour le contribuable. Par exemple, les particuliers sont généralement amenés à
payer l’impôt sur le revenu ainsi qu’un certains nombres de prélèvements sociaux obligatoires,
comme la CSG et la CRDS. Si on admet que ces derniers constituent bien des impôts et non
des cotisations sociales8, on constate qu’ils présentent une assiette très proche de celle de
l’impôt sur le revenu. Il semblerait donc envisageable de parler ici de double imposition. Mais
cette notion présente en réalité certaines subtilités qui rendent impossible une telle
qualification : les prélèvements sociaux obligatoires et l’impôt sur le revenu sont deux impôts
différents, certes proches, mais qui présentent chacun des caractéristiques permettant de les
différencier. Il est par exemple à noter que la CSG et la CRDS ont pour objet le financement de
la Sécurité sociale, alors que l’impôt sur le revenu des personnes physiques constitue
simplement une recette fiscale pour l’État. La double imposition nécessite donc le cumul de
plusieurs impôts identiques, ou du moins équivalents : l’application simultanée de plusieurs
impositions distinctes ne saurait être considérée comme telle.
8. –– Ainsi, on parlera de double imposition lorsque la matière imposable a été frappée
à deux reprises par le même impôt, ou par un impôt équivalent. Par exemple, un bénéfice qui
est assujetti dans sa totalité à l’impôt sur les sociétés dans deux États différents fera l’objet
d’une double imposition : le contribuable supportera une charge plus élevée que s’il avait
7 A. VERDIER-MOLINIÉ, On va dans le mur…, Éditions Albin Michel, 2015 8 Conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui considère la CSG et la CRDS comme des impôts, du fait que ces prélèvements n’ouvrent droit à aucune contrepartie pour le contribuable qui s’en acquitte (Cons. const., 19/12/2000, n° 2000-437 DC, Droit social, 2001, p. 270, note X. PRÉTOT)
5
opéré au sein d’un seul et même État, sans que la surcharge fiscale subie ne soit justifiée par
un motif particulier. La notion de double imposition ne saurait donc être un prétexte pour
dénoncer une fiscalité trop diversifiée, ou un montant d’impôts trop élevé. Il s’agit au
contraire d’une véritable anomalie juridique, susceptible de frapper un ou plusieurs
contribuables. Si la double imposition constitue une irrégularité d’un point de vue théorique,
sa survenance s’explique souvent par un cumul de réglementations distinctes et non
harmonisées, divergentes, voire contradictoires. Ce sera tout particulièrement le cas en droit
fiscal international, où plusieurs réglementations internes trouveront souvent à s’appliquer à
la même situation, sans que l’une ne tienne nécessairement compte de l’autre. Dans ce cas,
on parlera de double imposition juridique9. Les conventions fiscales bilatérales ont pour objet
de lutter contre ce type de dérives, mais on constate très clairement en pratique que leur
efficacité est limitée, tant en termes de champ d’application que d’interprétation.
9. –– Pour autant, la double imposition n’est pas exclue en tant que telle du droit
interne. Le concours de plusieurs règles applicables peut également conduire l’administration
fiscale à exiger plusieurs fois l’impôt au titre d’un même revenu, auprès de contribuables
différents. Ce pourra notamment être le cas au sein des groupes de sociétés, qui voient
transiter entre leurs membres une part importante de leurs bénéfices. Si chaque société doit
payer l’impôt sur la totalité des bénéfices qui ont transité en son sein, la double imposition
sera alors manifeste, même si l’impôt est acquitté par des personnes juridiques différentes.
Dans ce type de situation, on parlera de double imposition économique10. Mais qu’elle soit
juridique ou économique, interne ou internationale, la double imposition demeure une
anomalie susceptible d’apparaître dans la plupart des systèmes fiscaux : elle se concrétisera
alors en une surcharge fiscale qui pèsera sur le contribuable, sans que celle-ci ne soit
véritablement justifiée.
10. –– On voit au travers de cette définition de la double imposition qu’il s’agit d’un
phénomène relativement large, susceptible de toucher un grand nombre d’impositions de
différentes natures. Pour autant, l’étude de ce phénomène, de même que celle des
conventions fiscales visant à l’éliminer, tend à se limiter à la question de la double imposition
en matière de fiscalité directe. Selon l’Union européenne, les impôts considérés comme
9 Voir infra n° 28. 10 Voir infra n° 29.
6
directs sont ceux « perçus sur le revenu, le patrimoine et les capitaux, qu’il s’agisse de
personnes physiques ou de sociétés »11 ; ce type d’imposition s’oppose aux impôts indirects,
qui seront ceux « qui ne sont perçus ni sur le revenu, ni sur les biens »12. Ces définitions sont
généralement admises par les États membres et leur droit interne. La double imposition
demeure envisageable en matière d’impôts indirects : il est par exemple possible qu’un bien
soit assujetti à la TVA à deux reprises dans le cadre d’opérations internationales et de
législations fiscales non harmonisées. Une double imposition est également susceptible de
survenir en matière de droits de succession portant sur un patrimoine fractionné entre
plusieurs États. Toutefois, les problématiques de doubles impositions restent le plus souvent
liées à la fiscalité directe, c’est-à-dire essentiellement les impôts relatifs aux revenus et à la
fortune des contribuables. Ce phénomène se confirme au travers des travaux de l’OCDE13 et
de la plupart des conventions fiscales en vigueur, qui portent avant tout sur ce type
d’imposition.
11. –– Les travaux juridiques relatifs aux doubles impositions vont également en ce sens,
en se concentrant la plupart du temps sur la fiscalité directe. Ce travail ne fera pas exception
à cette tendance et se cantonnera à l’étude de la double imposition dans le cadre de la fiscalité
touchant aux revenus. Nous étudierons donc essentiellement les problématiques relatives à
ce sujet en matière d’impôt sur les sociétés et d’impôt sur le revenu des personnes physiques.
Les autres types de double imposition n’entreront pas dans notre champ d’étude et ne seront
donc pas traitées, ou alors de manière très incidente.
12. –– Dans une approche historique de la fiscalité, la double imposition apparaît
comme un phénomène relativement récent. L’impôt tel que nous le connaissons aujourd’hui
trouve ses origines à la fin de l’époque médiévale, et il s’est progressivement développé pour
revêtir sa forme actuelle14. Si les prélèvements opérés par l’autorité gouvernante ont
pratiquement toujours existés, sous une forme ou une autre, ce n’est qu’avec l’émergence de
la conception moderne de l’État que l’impôt a commencé à exister en tant que tel. Pendant
les premiers siècles qui ont assisté au développement de la fiscalité, aucune question de
11 Parlement européen, « Politique fiscale », Fiche techniques sur l’Union européenne, 2017, p. 2 12 Ibid. 13 OCDE, Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune – Version complète, 9e édition, 2014 14 J.-É. COLLIARD et C. MONTIALOUX, « Une brève histoire de l’impôt », Regard croisés sur l’économie, n° 1, 2007, p. 56-65
7
double imposition ne s’est véritablement posée. Ce constat s’explique principalement par un
nombre d’impôts assez limités et essentiellement indirects, et surtout par une assez faible
mobilité des opérateurs économiques et des capitaux.
13. –– Les premières problématiques liées à la double imposition sont apparues au cours
de l’entre-deux-guerres, suite à l’institution de nouveaux impôts en Europe. Par exemple, un
impôt général sur le revenu a été mis en œuvre en France à partir de 191615. Dans ce contexte,
marqué par un certain développement en matière fiscale, les phénomènes de double
imposition ont commencé à voir le jour. La croissance économique aidant, les entreprises ont
commencé à s’internationaliser, au moins à l’échelle de l’Europe. Il est alors apparu la
nécessité pour les États d’élaborer un véritable droit international en matière d’impôts,
l’exercice indépendant de sa souveraineté fiscale par chaque État se révélant de plus en plus
déconnecté de la réalité économique. Cette fiscalité internationale a très rapidement pris une
forme essentiellement conventionnelle, dont les conventions fiscales actuellement en vigueur
sont les héritières directes. Des négociations entre les États le souhaitant ont été mises en
œuvre, notamment au travers de la Société des Nations, qui constituaient alors la seule
véritable instance de discussion internationale. L’Organisation économique et financière, et
plus particulièrement le comité fiscal de la Société des Nations, étaient devenus, dès 1923, un
lieu de rencontres régulières entre des experts en fiscalité et des représentants des différents
États membres. Le comité revêtait officiellement une image d’expertise et de lieu de
discussions techniques et de rencontres entre spécialistes. Mais en réalité, les négociations
avaient déjà pris une tournure profondément politique, en raison de l’enjeu fondamental que
constitue la fiscalité pour les États16. Le cœur des négociations portait alors sur la double
imposition et la lutte contre ce phénomène, mais également sur des sujets relatifs à l’évasion
fiscale : cette nouvelle problématique commençait à émerger à l’époque, en raison du grand
nombre de paradis fiscaux qui devenaient accessibles aux contribuables. Les travaux de la
Société des Nations sur ce dernier sujet ne se sont toutefois pas avérés très concluants17.
14. –– La conscience des difficultés engendrées par la double imposition est donc
présente depuis près d’un siècle auprès des États et des différents acteurs du monde
15 Loi du 15 juillet 1914 et décret du 15 janvier 1916 16 C. FARQUET, « Expertise et négociations fiscales à la Société des Nations (1923 – 1939) », Relations internationales, n° 142, 2010, p. 5-21 17 Id., « Lutte contre l’évasion fiscale : l’échec de la SDN durant l’entre-deux-guerres », L’Économie politique, n° 44, 2009, p. 93-112
8
économique. Pourtant, les travaux effectués dans le cadre de la Société des Nations n’ont pas
été suffisants pour établir les bases d’un système d’imposition permettant de garantir aux
contribuables l’absence de toute surcharge fiscale injustifiée. Malgré tout, ces négociations
interétatiques ont permis de poser un certains nombres d’idées fortes en la matière, et
constituent les véritables prémices de la lutte contre les doubles impositions telle qu’elle
existe aujourd’hui. Les travaux de l’Organisation économique et financière de la Société des
Nations ont également permis de poser les premières bases d’un éventuel multilatéralisme
en matière fiscale, même si cette voie n’a finalement pas été suivie en raison d’une certaine
réticence de la part des États. Les négociations ont toutefois permis d’aboutir à la création
d’un premier modèle de convention bilatérale dès les années 194018. Ces textes serviront alors
de bases aux travaux de l’OCDE, qui s’inscriront dans la lignée de ceux entrepris par la Société
des Nations quelques décennies auparavant.
15. –– Si la double imposition est un phénomène reconnu et combattu depuis près d’un
siècle, elle n’a connu son véritable essor qu’au cours de la seconde moitié du XXe siècle. En
effet, sous l’impulsion du développement économique, les échanges transfrontaliers se sont
multipliés. La croissance économique a alors conduit à de véritables mutations au sein de la
société et du monde des affaires, pour aboutir à la période de mondialisation dans laquelle
nous sommes encore à l’heure actuelle. L’augmentation du nombre d’opérateurs
internationaux, la multiplication des flux financiers et la mondialisation de l’économie sont
autant de facteurs caractérisant un risque croissant de double imposition. En effet, lorsque les
entreprises exercent leurs activités sur un grand nombre de territoires et que les contribuables
perçoivent des revenus de sources internationales, de nombreux droits nationaux, parfois
discordants, ont vocation à s’appliquer, créant de fait un risque accru de surcharge fiscale.
16. –– Le développement de l’économie mondialisée se manifeste également par la
disparition d’un grand nombre de barrières existant auparavant. La plupart des États se sont
positionnés en faveur d’une certaine ouverture et ont favorisé le libre-échange. Ce
phénomène est encore plus marqué au niveau du continent européen, où un véritable marché
commun entre six États a vu le jour en 195719, pour ensuite s’étendre progressivement à la
majorité du continent. Cette ouverture des frontières aux échanges internationaux s’est
18 Comité fiscal de la SDN, Modèles de conventions fiscales de Londres et de Mexico – Commentaire et texte, 1946 19 Traité instituant la Communauté économique européenne, 25/03/1957
9
accompagnée de l’apparition de groupes de sociétés de taille mondiale, amenés à jouer un
rôle de plus en plus important. On estime aujourd’hui que les opérations intragroupes
représentent près de 60 % des échanges effectués sur la planète20. Pourtant, malgré cet essor
de l’internationalisation, la fiscalité a continué d’être exercée de manière traditionnelle : les
États ont ainsi laissé demeurer de véritables frontières fiscales, qui tranchent de manière très
marquée avec les autres tendances socio-économiques induites par la mondialisation. Dans
un contexte d’ouverture et de fiscalités nationales divergentes, les doubles impositions sont
plus que jamais en mesure d’apparaître.
17. –– L’enjeu actuel réside donc véritablement dans l’adaptation de la fiscalité aux
nouveaux enjeux de la mondialisation. En effet, la plupart des États souhaitent encourager les
échanges afin de stimuler leur croissance économique. Mais la double imposition étant
clairement de nature à entraver l’internationalisation des opérateurs économiques, les
gouvernements ont rapidement pris conscience de la nécessite de lutter contre ce
phénomène. Le combat contre la double imposition a donc été mis en œuvre par les États,
certes de manière assez limitée, mais elle a surtout été le fait d’organisations internationales,
comme l’ONU ou l’OCDE. C’est ainsi que des modèles de conventions fiscales bilatérales ont
vu le jour, dont la plupart des États se sont inspirés dans le cadre de négociations bilatérales.
Le modèle le plus utilisé est celui de l’OCDE, qui fut publié pour la première fois en 1963 et qui
fait l’objet de rééditions régulières depuis cette date. La dernière version mise à disposition
date de 201421. Mais malgré les nombreux travaux de l’OCDE, de l’ONU ou de l’Union
européenne au sujet de la double imposition, la lutte contre ce phénomène dépend en grande
partie des États, qui se montrent parfois réticents en la matière. Il s’ajoute à cela les
divergences ou contradictions possibles entre les différents droits nationaux, rendant toute
forme d’harmonisation particulièrement délicate.
18. –– Il existe assez peu de chiffres et de données statistiques relatives à la survenance
de la double imposition auprès des contribuables. Les études relatives à ce sujet ne sont en
effet pas très nombreuses. On peut toutefois noter que le sujet a été évoqué par la
20 M.-L. HUBLOT, Les procédures de règlement de la double imposition résultant de la correction des prix de transfert entre entreprises associées, Thèse, Paris, 2014, 1. 21 OCDE, Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune – Version complète, 9e édition, 2014
10
Commission européenne, dans le cadre de ses travaux en vue d’améliorer l’efficacité du
marché commun. Une consultation publique a donc été lancée par l’institution en 201022, en
visant un champ relativement large : les questions portaient sur la double imposition de
manière générale, et s’adressaient aussi bien aux particuliers qu’aux entreprises. L’objet de
l’étude était avant tout d’obtenir des exemples de situations concrètes de double imposition,
afin de déterminer les facteurs de nature à provoquer ce type de phénomène. La Commission
s’intéressait aussi tout particulièrement à l’efficacité des conventions fiscales en vigueur pour
la prévention des doubles impositions. Les résultats de la consultation ont permis de fournir
des chiffres intéressants : seules 6 % des entreprises interrogées affirmaient n’avoir jamais fait
l’objet d’une double imposition dans le cadre d’opérations transfrontalières23. Le résultat
semblait donc sans appel : la plupart des opérateurs économiques internationaux sont
confrontés à la double imposition, qui constitue ainsi un enjeu majeur dans le cadre d’activités
exercées à l’étranger.
19. –– Les problématiques liées à la double imposition sont donc multiples : elles
illustrent d’une part l’attachement des États à leur souveraineté fiscale, allant parfois jusqu’à
contrarier les tendances d’ouverture de l’économie mondiale. La fiscalité demeure ainsi la
principale frontière entre les territoires, devenant un critère fondamental dans le choix des
opérateurs économiques. De ce fait, le droit fiscal peut constituer un moteur économique
important pour un État ou un territoire, ou à l’inverse, créer de véritables barrières au
développement économique. Mais d’autre part, la question de la double imposition permet
également de prendre un certain recul sur les règles relatives à l’impôt, en confrontant
notamment le contexte économique et la réalité des contribuables avec un droit fiscal parfois
trop traditionnel. L’éventuelle adaptation de la fiscalité aux mutations économiques
provoquées par la mondialisation se double d’une difficulté supplémentaire, qui tient au
besoin de financement croissant des États, ainsi qu’à la question de la lutte contre l’évasion
fiscale. La double imposition semble en quelque sorte résulter d’un choc entre une économie
internationalisée en évolution constante et une volonté des États de continuer à exercer une
22 Commission européenne, Consultation sur les conventions préventives de la double imposition dans le marché
intérieur : exemples concrets de double imposition, 2010 23 European Commission, Summary report of the responses received Commission’s consultation on double
taxation convention and the internal market: factual examples of double taxation cases, 2011, p. 3
11
souveraineté fiscale totale sur le territoire. La difficulté tient alors à l’impact de ce phénomène
sur le contribuable, qui devra in fine supporter une surcharge fiscale injustifiée.
20. –– La double imposition constitue ainsi une forme de dissonance entre la fiscalité et
le monde économique. Dans un contexte en perpétuel évolution, il est normal que le droit ne
soit pas en mesure de s’adapter immédiatement aux nouveaux enjeux rencontrés. Les règles
régissant les rapports sociaux ont en effet besoin d’une certaine stabilité pour être pleinement
efficaces : si le droit est effectivement en évolution permanente, les changements ne doivent
pas se multiplier ou se contredire, sous peine d’aboutir à une véritable insécurité juridique.
En particulier, la matière fiscale se doit de conserver un véritable socle de règles solidement
ancrées, notamment en raison de ses liens étroits avec les grands principes juridiques et les
libertés fondamentales. Dans cette constante recherche d’un équilibre entre adaptation et
stabilité, un certain nombre de dérives sont susceptibles de voir le jour, par exemple au travers
de situations de double imposition. Il peut alors en découler une surcharge fiscale injustifiée
pour les contribuables, de nature à influencer leur comportement économique. En effet, si la
double imposition conduit d’abord à une méfiance encore plus grande envers l’administration
fiscale et l’État, elle est également susceptible de décourager un grand nombre
d’investissements ou d’activités transfrontalières. Il en résulte une potentielle entrave au
développement économique et aux échanges internationaux : ce phénomène heurte alors
frontalement la volonté de nombreux États d’accompagner la mondialisation et les mutations
économiques qu’elle amène.
21. –– C’est la raison pour laquelle la double imposition est véritablement prise en
considération par les États, qui ont généralement conscience des impacts négatifs de ce
phénomène sur leur développement économique. L’exemple le plus emblématique de cette
volonté de lutte réside dans les nombreux travaux de l’OCDE et dans le nombre croissant de
conventions fiscales signées par les États : concernant par exemple la France, une centaine de
conventions visant à lutter contre la double imposition sont actuellement en vigueur24.
Pourtant, le phénomène est loin d’avoir été éradiqué, et il continue régulièrement de se
rencontrer dans la vie des opérateurs économiques. Cette inefficacité apparente de la lutte
contre les doubles impositions découle en réalité d’une contradiction majeure rencontrée par
24 Administration fiscale, BOFiP, BOI-ANNX-000306-20151007
12
les États. Ces derniers veulent en effet d’une part éviter les situations de double taxation dans
l’objectif d’encourager le développement économique ou, du moins, de ne pas l’entraver.
Mais d’autre part, ces mêmes États ne sont pas prêts à tout mettre en œuvre pour réussir leur
entreprise et éradiquer toute forme de double imposition : il leur faudrait pour cela aller vers
une forme d’uniformisation du droit fiscal ou un multilatéralisme plus marqué, ce qui les
obligerait à renoncer en partie à leur souveraineté fiscale. Par ailleurs, les problématiques
liées à la fraude et à l’évasion fiscales ont souvent tendance à occulter celles liées aux doubles
impositions du point de vue des États. Il semble notamment que la lutte contre les
contribuables souhaitant échapper à l’impôt s’avère souvent plus rémunératrice pour
l’administration fiscale que celle contre les doubles impositions, qui amène nécessairement
un État ou un autre à renoncer à l’impôt qu’il comptait percevoir. On peut donc remarquer
que les mesures prises par les États, mais également par l’Union européenne, concerne
davantage la question de l’évasion fiscale que celle de la double imposition : cette donnée se
confirme notamment au travers des plans d’action et des recommandations adoptés par la
Commission européenne25.
22. –– Pour autant, dissocier de cette façon les problématiques de double imposition et
celles de fraude fiscale nous semble être une erreur. En effet, si les deux situations peuvent
paraître opposées du point de vue des États, l’une présentant une surcharge d’impôts et
l’autre une imposition insuffisante, il s’agit en réalité de deux phénomènes symptomatiques
d’un dysfonctionnement du système fiscal dans son ensemble. La double imposition et
l’évasion fiscale sont ainsi liées, car il s’agit dans les deux cas de dérives issues d’une
dissonance entre la fiscalité et la réalité du monde économique. Un certain nombre de
facteurs peuvent d’ailleurs expliquer l’origine de ces phénomènes, le premier d’entre eux
étant l’absence de véritable harmonisation en matière de fiscalité directe, y compris au sein
de l’Union européenne. Les États étant particulièrement attachés à leur souveraineté fiscale,
il s’oppose à toute règle supranationale trop rigide, ainsi qu’à un multilatéralisme trop
marqué26. Le droit fiscal international repose alors essentiellement sur des négociations
bilatérales entre les États, souvent très incertaines pour les contribuables.
25 F. PERROTIN, « Fraude fiscale : le plan d’action de la Commission européenne », Petites affiches, n° 250, 2012, p. 3 26 B. CASTAGNÈDE, Précis de fiscalité internationale, 5e édition, Presses universitaires de France, 2015, 130.
13
23. –– Le risque de double imposition ou de fraude fiscale est présent dans les échanges
économiques entre la plupart des États, mais il est encore plus marqué sur le continent
européen, en raison de l’existence du marché unique. Avec la constitution d’un ordre juridique
européen et d’un véritable marché intérieur se comportant comme un marché national, la
plupart des frontières ont été éliminées, de manière à encourager les activités économiques
sur tout le continent. Mais en réalité, un grand nombre de frontières fiscales demeurent entre
les États membres, accroissant ainsi le risque de double imposition, mais également les
opportunités de fraude fiscale pour les entreprises internationales. Comme les sociétés
établies au sein de l’Union européenne ont accès à l’ensemble du marché unique, les
opérations transfrontalières sont nécessairement plus nombreuses, augmentant les risques
de situations de double imposition. Mais ces mêmes sociétés disposent également d’un large
choix en termes d’implantation pour leur siège social : elles pourront alors choisir l’État qui
leur garantit la fiscalité la plus avantageuse. Ce phénomène est d’ailleurs encore plus marqué
du fait des pratiques de certains États, qui n’hésitent pas à avoir recours à une forme de
concurrence en matière d’impôt afin de rendre leur territoire plus attractif27.
24. –– Les liens entre la double imposition et la fraude fiscale tiennent ainsi pour partie
aux origines de ces phénomènes, mais on peut également les appréhender sous un angle de
cause à effet. La volonté de se soustraire à l’impôt est extrêmement ancienne, pratiquement
autant que la fiscalité elle-même, il ne faudrait donc pas considérer la double imposition
comme la première cause de l’évasion fiscale rencontrée aujourd’hui. Toutefois, la surcharge
d’impôt qui risque de peser sur le contribuable peut parfois constituer une incitation pour
recourir à la fraude. Dans une telle situation, le contribuable ayant subi une double imposition
s’estimera alors victime d’une dérive émanant des services fiscaux et des États, ce qui pourra
potentiellement légitimer son recours à des pratiques illégales pour se faire justice lui-même,
et éviter de supporter une surcharge fiscale injustifiée. En constituant ainsi une véritable
entorse à toute forme de justice fiscale, les doubles impositions encouragent encore
davantage la méfiance des particuliers et des entreprises à l’égard de l’impôt et de
l’administration fiscale. Si la complexité et l’éventuelle injustice des règles juridiques
applicables ne constituent en aucune manière une justification pour se soustraire à la norme
27 A. BARBIER-GAUCHARD, « La concurrence fiscale dans l’Union européenne : les politique budgétaires confrontées à la mobilité », Politique étrangère, n° 2, 2008, p. 385-400
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impérative ou pour avoir recours à la fraude, force est de constater qu’il s’agira d’une
incitation supplémentaire à braver la loi. Cette réalité se constate encore davantage en droit
fiscal qu’au sein d’autres disciplines juridiques. En effet, comme la fraude et l’évasion fiscales
sont de nature à permettre à leurs auteurs d’effectuer des économies substantielles, ces
derniers seront encore plus enclins à y avoir recours et à y investir un certain nombre de
moyens, notamment financiers. Les problématiques relatives aux doubles impositions
semblent donc ici rejoindre des considérations d’ordre politique, concernant notamment
l’établissement d’un impôt juste et efficace. Si cette question s’écarte quelque peu du sujet,
nous pourrons tout de même noter qu’elle remonte aux origines de la fiscalité moderne. En
effet, Adam Smith le remarquait déjà en son temps, notant les liens ténus entre la qualité de
l’œuvre du législateur et le risque d’évasion fiscale : « un impôt inconsidérablement établi
offre beaucoup d’appât à la fraude ».
25. –– Assurer une véritable lutte contre la double imposition permettrait ainsi de
réconcilier les contribuables avec les services fiscaux, en leur confirmant d’une certaine
manière la volonté de l’État de garantir une véritable protection des assujettis contre les
dérives de la fiscalité internationale. Il s’agirait alors de mettre en œuvre un certain nombre
de mesures, aboutissant notamment à une forme d’harmonisation de la fiscalité
internationale et à des recours plus efficaces pour permettre aux contribuables d’éliminer les
doubles impositions dont ils ont été victimes.
26. –– Afin d’appréhender les nombreuses questions liées aux doubles impositions, ce
travail s’articulera principalement autour des deux problématiques majeures relatives à cette
question, à savoir les origines concrètes des doubles impositions et la lutte contre ce type de
situation. Sans avoir la prétention d’être exhaustif, nous chercherons à définir les différentes
formes que peuvent revêtir les cas de double imposition, et quelles articulations particulières
des règles fiscales en vigueur risquent d’aboutir à ce résultat. Nous nous interrogerons
également sur les recours dont dispose un contribuable victime de double imposition, ainsi
que les mécanismes prévus par le droit interne ou international pour remédier à ce type de
situation. L’objectif sera alors également d’évaluer l’efficacité globale de ces dispositifs de
lutte contre les doubles impositions.
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TITRE I –– L’ORIGINE DE LA DOUBLE IMPOSITION
TITRE II –– LA LUTTE CONTRE LA DOUBLE IMPOSITION
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TITRE I
LES ORIGINES DE LA DOUBLE IMPOSITION
27. –– La double imposition est un phénomène dont on imagine à première vue assez
aisément les contours. Mais en réalité, il s’avère assez difficile d’en donner une définition
stricte. Le développement de la fiscalité, en particulier contemporaine, a vu naître un grand
nombre d’impôts et de taxes diverses, à tel point qu’il n’y a rien d’étonnant à ce que plusieurs
impôts touchent le même objet, ou qu’ils aient parfois tendance à se recouper. Il apparaît
donc d’emblée quelque peu ardu de déterminer de manière absolue ce qui constitue une
véritable double imposition, et ce qui désigne deux impôts très proches dans leur objet.
Toutefois, les travaux relatifs à cette question ont conduit à distinguer deux types de doubles
impositions28 : la double imposition juridique et la double imposition économique.
28. –– Il convient de parler de double imposition juridique lors de « l’application
d’impôts comparables dans deux (ou plusieurs) États au même contribuable, pour le même
fait générateur et pour des périodes identiques »29. Il s’agira donc ainsi de la situation dans
laquelle un même revenu ou une même activité seront imposés dans plusieurs États, sur une
même période, et dont il résultera une surcharge fiscale pour le contribuable, c’est-à-dire le
paiement d’un impôt global supérieur à celui qu’il aurait payé au sein d’un État, dans les
conditions de droit commun30. Ce type de double imposition suppose la présence d’au moins
deux administrations fiscales distinctes et ne se rencontrera donc en pratique que dans le
cadre d’activités internationales. La double imposition juridique est celle qui intéresse en
premier lieu les conventions fiscales internationales, ainsi que les droits internes des États, car
il s’agit de la situation la plus courante et surtout la plus manifeste de double imposition.
29. –– La double imposition économique, quant à elle, est définie par l’OCDE comme la
situation « où deux personnes différentes sont imposables au titre d’un même revenu ou
d’une même fortune »31. Concrètement, il s’agit du cas où deux contribuables sont chacun
28 J. SCHMIDT et al., Lamy Fiscal, 2017, n° 8412 29 OCDE, Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune – Version abrégée, 9e édition, 2014, p. 7 30 B. CASTAGNEDE, Précis de fiscalité internationale, 5e édition, 2015, 3. 31 OCDE, op. cit., p. 351
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imposés pour des revenus liés, par une ou plusieurs administrations fiscales, et que ces deux
impositions font double emploi d’un point de vue économique. Nous pouvons donc constater
que la notion de double imposition économique est moins rigide que celle de double
imposition juridique : elle se fonde sur les concepts relativement flous de « revenus liés » et
« d’impositions faisant double emploi », qui ne correspondent pas à grand-chose d’un point
de vue purement juridique. Notons toutefois que la définition traditionnellement retenue
pour la double imposition économique est suffisamment large pour englober à la fois des
situations internationales et des situations purement internes. Ainsi, il existe des mesures
issues du droit national visant à prévenir et enrayer les phénomènes de double imposition
économique qui pourraient résulter de la constitution de groupes de sociétés, comme le
régime des sociétés mères et filiales, qui permet d’éviter une deuxième imposition des
dividendes, qui ont déjà été taxés au niveau du résultat de la filiale.
30. –– La double imposition, qu’elle soit de nature économique ou juridique, apparaît
clairement comme un phénomène injustifié, qui trouve davantage son origine dans une
application stricte de règles propres à chaque État, que dans une construction globale
réfléchie. En effet, pourquoi un contribuable devrait-il supporter une charge fiscale double,
voire encore supérieure, simplement en raison du caractère complexe ou international de ses
activités ? S’il apparaît que la double imposition n’est a priori souhaitée par personne, et
même combattue par beaucoup, il n’en demeure pas moins que le phénomène reste très
présent. Avant d’envisager une lutte sérieuse contre les doubles impositions, il convient donc
de s’interroger sur leurs origines et sur les raisons qui les rendent si persistantes.
31. –– Il nous paraît opportun de séparer l’étude des doubles impositions juridiques et
économiques car, même si les deux situations conduisent à une charge fiscale supplémentaire
et apparemment injustifiée, les motifs qui en sont à l’origine sont souvent de natures
différentes. Si la double imposition juridique est relativement facile à identifier, il n’en sera
pas forcément de même pour la double imposition économique, qui trouvera plus souvent
son origine dans des relations économiques particulières, comme les groupes de sociétés, ou
dans une divergence de concepts et de règles fiscales en matière internationale.
CHAPITRE I –– LA DOUBLE IMPOSITION JURIDIQUE
CHAPITRE II –– LA DOUBLE IMPOSITION ÉCONOMIQUE
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CHAPITRE I
LA DOUBLE IMPOSITION JURIDIQUE
32. –– La double imposition juridique, c’est-à-dire l’imposition d’un même revenu par
deux administrations fiscales distinctes, constitue à l’heure actuelle une problématique
majeure pour un grand nombre d’opérateurs économiques. Notamment portés par la voix du
MEDEF32, les freins au développement économique et à la croissance en raison des doubles
impositions sont de plus en plus pointés du doigt par les entreprises et même par les
particuliers. Ce phénomène s’intensifie encore davantage dans un contexte où
l’internationalisation de l’économie conduit les entreprises à exercer leurs activités à un
niveau qui dépasse largement celui d’une souveraineté nationale. De nombreux chercheurs
en gestion considèrent d’ailleurs que le niveau d’internationalisation d’une entreprise est
directement corrélé à sa croissance, et a contrario, que « la focalisation limite la taille totale
de marché à conquérir, et limite donc fortement les perspectives de croissance de
l’entreprise »33.
33. –– La conjoncture du développement économique actuel et la dynamique qu’elle
impose a ainsi tendance à se heurter à la rigidité des États et des droits nationaux, en
particulier fiscal. En effet, le droit de chaque État a avant tout vocation à régler les situations
qui se déroulent sur son territoire, la dimension internationale n’étant que subsidiaire. Le droit
fiscal en particulier vise avant tout à assurer des revenus à l’État et ce n’est pas directement
son rôle de s’adapter aux différentes mouvances économiques qui peuvent surgir. Pourtant,
dans une volonté de soutenir l’activité économique, les droits nationaux et le droit européen,
d’un naturel assez rigide, ont su s’adapter aux enjeux nouveaux. Par exemple, la réforme de
2006 relative au droit des sûretés et la loi du 19 février 2007 relative à la fiducie ont permis
d’adapter cette matière, réputée peu internationalisée, aux nouvelles contraintes
économiques34. De même, les titres de créances négociables ont également connu en 2016
32 V. DE SAINT-BLANQUAT, « La double imposition des entreprises : le point de vue du MEDEF », Droit fiscal, n° 9, 2011, p. 226 33 S. HERMANN et al., « ETI françaises et déficit d’internationalisation – Quels enseignements tirer du cas allemand des champions cachés ? », Revue française de gestion, n° 244, 2014, p. 172 34 L. AYNÈS et al., Lamy Droit des sûretés, 2017, n° 290-5
19
une réforme orientée vers davantage d’internationalisation35. Ces deux exemples, certes
éloignés du sujet fiscal, montrent toutefois que des matières assez peu enclines à s’adapter
peuvent tout de même faire une place à l’international. Mais le droit fiscal semble quelque
peu à part, comme s’il s’était construit de manière si rigide qu’aucun changement d’ordre
économique ne pourrait le bouleverser.
34. –– Même si de nombreuses réformes et une certaine volonté politique vont dans le
sens d’une internationalisation accrue, la question fiscale n’en demeure pas moins très
sensible. Le poids actuel du droit européen ainsi que la volonté d’harmonisation de l’Union
européenne ne font aucun doute, pourtant la matière fiscale semble la plus difficile à intégrer
dans ce mouvement. Cela s’explique sans doute par la sensibilité des États quant à leurs
finances publiques, et peut-être également par une certaine tradition de bilatéralisme au
travers des conventions fiscales internationales, qui vient s’opposer au multilatéralisme
européen. Il demeure clairement une certaine hostilité des États et de leur administration
fiscale envers tout changement qui pourrait mettre à mal les finances publiques, déjà
sévèrement chahutées. Dans ce contexte, la survenance d’une double imposition semble
n’être qu’un dommage regrettable, mais acceptable, découlant souvent du refus de trancher
au sein d’une concurrence entre deux juridictions fiscales.
35. –– Nous envisagerons donc la question de la double imposition juridique et l’origine
de ce phénomène au travers de deux axes : d’une part une internationalisation des échanges
et des activités économiques, à laquelle les entreprises, les particuliers mais également les
États doivent s’adapter, et d’autre part une volonté ferme de conserver une souveraineté
fiscale nationale, à la fois pour des raisons financières et politiques.
Section I
L’INTERNATIONALISATION DES ÉCHANGES ÉCONOMIQUES
36. –– Depuis plusieurs décennies, les activités économiques tendent à une
internationalisation toujours plus présente, à tel point que l’ensemble du monde économique
35 V. PAOLI-GAGIN, « La récente réforme des titres de créances négociables en deux mots : entre simplification et internationalisation », Bull. Joly Bourse, n° 07-08, 2016, p. 303
20
s’en trouve bouleversé. Le droit fiscal a connu un certains nombres de changements, mais
malgré cela, le cœur de la matière n’a pas fondamentalement changé : les grands principes
sont restés, de même que les grandes règles relatives à l’établissement et au recouvrement
de l’impôt. Le droit fiscal a toutefois connu une grande croissance en termes de complexité, à
tel point qu’il est parfois devenu difficilement compréhensible pour le contribuable. La
confrontation d’une économie mondialisée avec un droit fiscal changeant, parfois instable, et
trop souvent hermétique aux problématiques internationales des opérateurs économiques,
crée un risque réel de double imposition.
37. –– Il conviendra donc de s’intéresser d’une part aux revenus de source
internationale susceptibles de donner lieu à une double imposition, selon les règles du droit
commun ou en présence d’une convention fiscale internationale. D’autre part, nous pourrons
nous interroger sur l’inadéquation entre les règles fiscales actuelles et la vie économique des
contribuables, susceptible de conduire à des dérives comme la double imposition, ainsi que
sur la responsabilité des États dans ce phénomène.
§1 –– Des revenus de source internationale
38. –– Dans l’environnement économique actuel, un nombre croissant de revenus
revêtent un caractère international : la plupart des entreprises françaises ont vocation à
croître et à s’internationaliser36, quelle que soit leur taille. La France étant un marché
particulièrement ouvert, notamment grâce à l’Union européenne, un grand nombre d’acteurs
économiques ont également intérêt à venir s’implanter sur le territoire. Ces formes de
développement conduisent toujours à des revenus internationaux, qui peuvent prendre
différentes formes : il pourra s’agir de redevances, d’intérêts ou encore de revenus de
capitaux mobiliers dans le cas de dividendes. Le traitement fiscal de ces revenus dépendra de
leur nature et de la présence éventuelle d’une convention fiscale, qui déterminera si le droit
commun a vocation à s’appliquer ou non. Il conviendra d’étudier d’une part le traitement fiscal
des revenus de source internationale, et d’autre part d’évoquer quelques aménagements du
droit fiscal international permettant d’éviter une possible double imposition.
36 S. HERMANN et al., « ETI françaises et déficit d’internationalisation – Quels enseignements tirer du cas allemand des champions cachés ? », Revue française de gestion, n° 244, 2014, p. 165
21
39. –– Les revenus de sources internationales susceptibles de faire l’objet d’une double
imposition se retrouvent principalement dans trois situations, prévues par le droit commun :
le cas d’une entreprise exploitée en France par un opérateur étranger, qui correspond à une
activité économique effective en France, les revenus de source étrangère perçus par un
opérateur résidant en France et les revenus de source française pour un opérateur résidant à
l’étranger.
A –– L’entreprise exploitée en France
40. –– Le premier cas de revenus présentant un caractère international réside dans
l’exploitation d’une entreprise en France par un opérateur économique, quelle que soit sa
nationalité : ce principe de territorialité de l’impôt sur les bénéfices découle notamment de
l’article 209, I. du Code général des impôts. Ce dernier énonce en effet que « les bénéfices
passibles de l’impôt sur les sociétés sont déterminés […] en tenant compte uniquement des
bénéfices réalisés dans les entreprises exploitées en France ». Toutefois, la loi n’a jamais défini
le contour de la notion d’entreprise exploitée en France, c’est pourquoi le Conseil d’État a pu
préciser qu’il s’agit de l’exercice habituel d’une activité, ce qui se présentera généralement
dans trois situations : la présence d’un établissement autonome, l’exercice d’une activité par
l’intermédiaire de représentants permanents sans personnalité juridique distincte et la
réalisation d’opérations formant un « cycle commercial complet ». Ces critères sont de
jurisprudence constante, la décision SA Compagnie européenne d’équipement industriel de
1978 en étant un exemple37, et ils sont directement repris par la doctrine écrite de
l’administration fiscale38.
41. –– Le critère d’établissement autonome est généralement le plus utilisé pour
caractériser une entreprise exploitée en France. Pour revêtir cette qualification,
l’établissement devra présenter un certain caractère de permanence, ce qui rejoint l’idée
d’exercice habituel d’une activité économique, ainsi que d’une autonomie suffisante pour être
considéré comme une entité à part39. Concrètement, il pourra s’agir d’un bureau, d’une usine
ou de magasin de vente.
37 CE, 23/06/1978, SA Compagnie européenne d’équipement industriel, n° 99444, concl. P. RIVIÈRE, Lebon 1978 38 Administration fiscale, BOFiP, BOI-IS-CHAMP-60-10-10-20140627, § 90 et s. 39 B. LIGNEREUX, Le Principe de territorialité de l’impôt sur les sociétés, CPO, Rapport particulier n° 4, 2017, 13.
22
42. –– Le second critère retenu réside dans la notion de représentant permanent sans
personnalité juridique distincte : une société étrangère pourra donc être imposée à l’impôt
français sur les sociétés, même en l’absence d’établissement situé en France40. La situation
devra donc revêtir un caractère de permanence et également une certaine autonomie, qui se
traduira concrètement par la capacité du représentant à engager juridiquement l’opérateur
étranger. Ce critère ne trouvera toutefois pas à s’appliquer lorsque le représentant dispose
d’une personnalité juridique indépendante, notamment dans le cas d’un commissionnaire ou
d’un courtier : dans cette situation, le représentant, disposant d’un statut indépendant,
exercera une activité pour son compte et l’opérateur économique étranger sera réputé
exercer son activité seulement depuis son lieu de résidence41. Ainsi, pour être qualifié
d’entreprise exploitée en France, le représentant devra être directement dépendant de
l’opérateur étranger, que ce soit par une subordination juridique ou une dépendance
économique.
43. –– Le troisième critère, relatif aux opérations formant un cycle commercial complet,
est assez rarement utilisé en pratique : il pourra par exemple s’agir de l’achat de marchandise
suivi de leur revente. Si cet ensemble d’opérations est réalisé en France, alors il s’agira d’une
entreprise exploitée en France42. Par ailleurs, pour former un cycle commercial complet en
France, les activités en question doivent être détachables de l’activité de l’opérateur à
l’étranger : cela signifie que si ce cycle commercial n’est pas détachable de ses activités en
territoire étranger, elle ne sera pas redevable de l’impôt français sur les bénéfices43.
44. –– La notion d’entreprise exploitée en France et les trois critères dégagés par la
jurisprudence du Conseil d’État permettent d’établir dans quelle situation un opérateur
économique sera redevable de l’impôt français sur les sociétés : tous les bénéfices issus
d’entreprises exploitées en France seront donc imposés en France. On notera par ailleurs que,
s’agissant du droit interne, une entreprise exploitée à l’étranger se caractérisera exactement
selon les mêmes critères que ceux appliqués pour l’entreprise exploitée en France. Ainsi, une
40 CE, 05/06/1937, n° 42274, Lebon 1937, p. 351, s’agissant d’une société exerçant une activité commerciale immobilière par l’intermédiaire d’un représentant chargé d’en assurer la gestion 41 CE, 18/06/1969, n° 68042, RJCD, 1ère partie, p. 135 42 CE, 14/03/1979, n° 07098, concl. P. RIVIÈRE, Lebon 1979, s’agissant d’opérations d’achat et vente de marchandises à l’étranger par une société qui avait son siège en France, d’où elle prenait toutes les décisions relatives à son activité 43 CE, 30/04/1980, n° 05761, Lebon 1980
23
entreprise exploitée à l’étranger ne sera pas imposée par l’administration française. La
confrontation entre le principe de territorialité de l’impôt sur les sociétés, propre au droit
français, avec les règles fiscales d’autres États pourra sans aucun doute conduire à des
situations de double imposition juridique. Ce phénomène risque autant de se produire pour
les entreprises exploitées en France que pour celles exploitées à l’étranger. La double
imposition sera d’ailleurs systématique en l’absence de convention fiscale visant à l’éviter,
notamment car de nombreux États ont adopté un principe de mondialité en ce qui concerne
l’impôt sur les bénéfices : on aura donc le cumul d’un impôt réel perçu en France avec un
impôt personnel perçu dans le pays étranger qui applique le principe de mondialité, car
l’impôt en question sera alors assis sur l’ensemble des revenus de la personne morale.
45. –– Si une convention fiscale est conclue entre la France et l’État de résidence de
l’opérateur économique étranger, le droit commun et les critères de l’entreprise exploitée en
France n’auront pas vocation à s’appliquer. A l’inverse, on raisonnera selon la notion
d’établissement stable : il s’agit généralement d’une « installation fixe d’affaires par
l’intermédiaire de laquelle une entreprise exerce tout ou partie de son activité »44 ou d’un
agent sans statut indépendant et ayant le pouvoir d’engager l’entreprise45. Les critères
retenus pour qualifier un établissement stable se rapprochent de ceux retenus par le droit
français pour l’entreprise exploitée en France : on retrouve notamment un critère matériel,
celui de l’établissement autonome en droit interne, et un critère personnel, à savoir la
personne sans personnalité juridique distincte capable d’engager l’opérateur. Une entreprise
qualifiée d’établissement stable devra ainsi établir son résultat selon un principe
d’indépendance, afin que celui-ci soit imposé dans l’État où se trouve l’établissement,
conformément aux dispositions de la convention fiscale46 : l’opérateur devra ventiler son
résultat global afin d’établir un résultat cohérent et justifié, propre à l’établissement stable.
Celui-ci dispose donc d’une quasi-personnalité fiscale : il n’a pas de personnalité juridique
indépendante, mais on lui accorde toutefois une existence d’un point de vue fiscal.
44 OCDE, Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune – Version abrégée, 9e édition, 2014, p. 26 45 Ibid., p. 27 46 Ibid., p. 28
24
46. –– La particularité principale de l’établissement stable réside dans l’exception
accordée aux activités ayant un caractère préparatoire ou auxiliaire 47 : il s’agit d’une liste de
situations où on ne retiendra pas la qualification d’établissement stable. Par exemple, si
l’installation fixe de l’opérateur étranger n’est utilisée qu’à des fins de stockage de
marchandises, elle ne constituera pas un établissement stable. Toutefois, les éléments de
cette liste doivent être interprétés de manière restrictive, l’administration fiscale et le juge de
l’impôt veillant à ce que le caractère préparatoire ou auxiliaire soit bien présent.
47. –– L’entreprise exploitée en France n’est pas le seul moyen pour un opérateur
étranger de réaliser des bénéfices en France : il peut également percevoir des revenus
« passifs » de source française.
B –– Les revenus de source française perçus à l’étranger
48. –– Un opérateur économique étranger peut percevoir des revenus français de
différentes natures et ils seront généralement soumis à l’impôt en France, en particulier
lorsqu’il s’agit de sociétés : « une société étrangère est passible de l’impôt sur les sociétés en
vertu des articles 209, I. et 206, 1. à raison de tous ses revenus de source française »48. Les
revenus concernés sont les suivants : les revenus fonciers, les intérêts, les dividendes et
revenus distribués, les redevances et les plus-values.
1) Les revenus fonciers
49. –– Les bénéfices liés à l’exploitation d’un patrimoine immobilier en France (revenus
locatifs, plus-values, etc.) sont soumis à un régime particulier : l’article 206, 1. du Code général
des impôts prévoit l’assujettissement à l’impôt sur les sociétés de « toutes personnes morales
se livrant à une exploitation ou à des opérations de caractère lucratif ». Le Conseil d’État a eu
l’occasion de préciser que les revenus de nature immobilière perçus par des sociétés
47 OCDE, Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune – Version abrégée, 9e édition, 2014, p. 27 48 F. LE MENTEC, « Fasc. 3500 : Bénéfices des entreprises – Détermination du bénéfice des entreprises exploitées en France », in J.-Cl. Fiscal International, 2012, 2.
25
étrangères entraient dans cette catégorie49. Ainsi, les revenus issus de la gestion d’un
patrimoine immobilier français perçus par une société étrangère seront soumis à l’IS. Selon la
jurisprudence du Conseil d’État, si la personne met gratuitement à disposition un bien
immobilier qu’elle possède, elle pourra toujours être assujettie à l’IS sur le fondement d’un
acte anormal de gestion, sauf si ses statuts ne prévoient pas la recherche de bénéfices et que
sa démarche s’inscrit dans une optique d’intérêt général50.
50. –– L’imposition des revenus locatifs selon les règles de droit commun se fait donc
d’une manière analogue à celle des revenus d’une entreprise exploitée en France. Le
traitement fiscal réservé aux revenus de capitaux mobiliers sera par contre sensiblement
différent.
2) Les intérêts
51. –– Dans l’économie mondialisée actuelle, les flux financiers sont devenus
absolument considérables. La dette étant l’un des premiers moteurs de croissance des
entreprises, les intérêts jouent un rôle très important dans les échanges internationaux. Ainsi,
il semble normal que la fiscalité les considère à part. A titre liminaire, il convient de définir la
notion d’intérêts : il s’agit dans une conception extensive des « revenus des créances de toute
nature » selon les travaux de l’OCDE51. Le droit fiscal français, pour sa part, a tendance à
retenir la même définition des intérêts que le droit privé52 : il s’agira donc, dans une
conception plus étroite, des rémunérations des prêts d’argents.
52. –– Concernant leur traitement fiscal en droit interne, les intérêts versés par des
personnes morales établies en France ne font plus l’objet d’aucun prélèvement à la source
depuis le 1er mars 201053, ce qui peut sembler assez surprenant au premier abord. En effet, la
plupart des revenus de capitaux mobiliers font généralement l’objet d’une retenue à la source
de droit commun, qui pourra ensuite éventuellement être éliminée par l’application d’une
49 CE, 24/05/2006, Sté immobilière Saint-Charles, n° 278737, RTD com., 2006, p. 694, note O. FOUQUET ; RJF, 2006, n° 996 ; Droit fiscal, n° 50, 2006, comm. 785, concl. E. GLASER ; Droit des sociétés, 2006, comm. 155, note J.-L. PIERRE 50 CE, 27/02/2013, Établissement Poudix, n° 354994, RJF, 5/2013, n° 471 ; Droit fiscal, n° 21, 2013, comm. 290 ; Droit des sociétés, n° 8-9, 2013, comm. 150, note J.-L. PIERRE 51 OCDE, Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune – Version abrégée, 9e édition, 2014 52 R. COIN, « Fasc. 3560 : Traitement fiscal – Intérêts », in J.-Cl. Fiscal International, 2012 53 Article 131 quater du CGI
26
convention fiscale. L’exception relative aux intérêts s’explique notamment par l’importance
du recours à la dette dans le développement économique du pays : une imposition des
intérêts par une retenue à la source dissuaderait les prêteurs étrangers de placer leur argent
en France, ce qui aurait pour conséquence une augmentation du coût de l’endettement. On
notera toutefois qu’un prélèvement à la source de 75 % sera tout de même appliqué dans le
cas où le bénéficiaire est situé dans un État ou territoire non coopératif54.
53. –– Le régime particulier des intérêts présente donc la particularité d’éviter la double
imposition par l’absence totale de retenue à la source, sans la nécessité d’avoir recours aux
conventions fiscales internationales, même si ces dernières ont souvent un article relatif aux
intérêts. Il n’en sera pas forcément de même pour les dividendes et les revenus distribués, qui
seront soumis à une retenue à la source.
3) Les dividendes et revenus distribués
54. –– En matière fiscale, la notion de dividende désigne généralement « les
distributions de bénéfices opérées par des sociétés de capitaux à ses actionnaires »55. Il s’agit
donc des revenus distribués par une société de capitaux : selon l’article 164 B du Code général
des impôts, « sont considérés comme revenus de source française les revenus de valeurs
mobilières françaises ». Il semble ainsi qu’on puisse en déduire que la notion de valeur
mobilière française fasse référence aux sociétés de capitaux françaises, et donc que la loi
s’applique aux dividendes versés par des entités françaises56.
55. –– Toutefois, une exception à cette règle de nationalité apparaît au travers de
l’article 115 quinquies, qui prévoient que « les bénéfices réalisés en France par les sociétés
étrangères sont réputés distribués, au titre de chaque exercice à des associés n’ayant pas leur
domicile fiscal ou leur siège social en France » : la loi considère donc les bénéfices des
entreprises exploitées en France par des opérateurs étrangers comme des revenus distribués,
et les impose au même titre que les dividendes. Ce choix s’explique par une volonté de
54 Ensemble d’Etats et de territoires n’ayant pas conclu au moins 12 conventions fiscale prévoyant une clause d’assistance administrative et d’échange d’informations, dont au moins une avec la France ; la liste des ETNC est actualisée annuellement par arrêté ministériel. 55 F. LE MENTEC, « Fasc. 3540 : Traitement fiscal – Revenus de capitaux mobiliers – Dividendes et autres revenus distribués », in J.-Cl. Fiscal International, 2017, 1. 56 Ibid., 4.
27
neutralité entre deux situations juridiques, en raison du traitement fiscal applicables aux
dividendes.
56. –– En l’absence de convention fiscale ou d’exonération découlant du régime mères
et filiales57, la loi fiscale prévoit une retenue à la source en matière de distribution de
dividendes, dont le taux dépendra de l’État de résidence du bénéficiaire :
S’il s’agit d’un opérateur situé au sein de l’Union européenne, le taux de retenue à
la source sera de 21 %, à savoir le même que pour les résidents fiscaux français, en
vertu du principe de non-discrimination58 et de la libre circulation des capitaux59
prévux par les traités européens ;
S’il s’agit d’un opérateur situé dans un État ou territoire non coopératif, le taux de
retenue à la source sera de 75 % ;
S’il s’agit d’un opérateur situé dans un État hors de l’Union européenne, le taux de
retenue à la source sera de 30 % : c’est également ce taux qui sera appliqué aux
revenus distribués par une entreprise exploitée en France par un opérateur
étranger.
57. –– Le droit fiscal français prévoit ainsi une retenue à la source de 30 % sur les
bénéfices nets d’impôts sur les sociétés réalisés par une entreprise exploitée en France, qui
sont présumés distribués60 : cette présomption pourra toutefois être combattue par la preuve
que tous les bénéfices n’ont pas été distribués à l’étranger par l’entreprise établie en France.
L’existence de ce prélèvement de 30 % s’explique par la volonté du législateur de mettre sur
le même plan la situation où un opérateur étranger viendrait directement exploiter une
entreprise en France et celle où il choisirait de créer une société de droit français à cette fin :
si une filiale française était créée, les bénéfices nets qu’elle réaliserait deviendraient des
dividendes s’ils étaient distribués à son actionnaire, et à ce titre, ils feront l’objet de la retenue
à la source de 30 % prévue par le droit commun. Sans un dispositif de prélèvement analogue
pour les bénéfices des entreprises exploitées en France, il serait très peu intéressant d’un
point de vue fiscal de créer une filiale française pour exercer ses activités.
57 Voir infra n° 139. 58 Articles 18 à 25 du 59 Articles 63 à 66 du TFUE 60 Article 115 quinquies du CGI
28
58. –– Les dividendes et les autres revenus distribués font donc l’objet de retenues à la
source à des taux relativement élevés : ce dispositif peut s’expliquer par une volonté d’éviter
une fuite des capitaux vers d’autres États, mais présente l’inconvénient de créer de
nombreuses doubles impositions en l’absence de convention fiscale internationale. La
situation des redevances sera quelque peu analogue.
4) Les redevances
59. –– Le terme redevances désigne en général les rémunérations tirées de licences de
droit de propriété industrielle (marque, brevet, etc.). La notion fiscale de redevances peut
toutefois dépasser la simple notion contractuelle à laquelle elle revoie, à savoir le transfert de
technologie ou de marque : elle pourra également couvrir « des paiements rémunérant
certaines prestations de services, comme l’usage d’un équipement industriel, commercial ou
scientifique »61. La notion de redevances est notamment définie par la convention modèle de
l’OCDE : elle fait alors référence aux « rémunérations de toute nature payées pour l’usage ou
la concession de l’usage d’un droit d’auteur sur une œuvre littéraire, artistique ou
scientifique […] »62. Le droit européen s’est inspiré de cette définition, qui se retrouve
également dans la plupart des conventions fiscales signées par la France.
60. –– Toutefois, le droit français ne comporte pas de définition précise des redevances.
On notera simplement que l’article 182 B du Code général des impôts prévoit une retenue à
la source lorsqu’un certain nombre de conditions sont remplies, notamment que les
paiements soient effectués par des opérateurs exerçant une activité en France et que les
bénéficiaires de ces paiements n’aient pas d’établissement dans le pays.63 Le taux de ce
prélèvement est de 33 1/3 % et il vient en déduction de l’éventuel impôt sur les sociétés ou
sur le revenu de l’opérateur étranger bénéficiaire des paiements64. Si le montant du
prélèvement à la source s’avère supérieur à l’impôt dû, le contribuable peut en demander le
61 F. LE MENTEC, « Fasc. 3580 : Traitement fiscal – Redevances », in J.-Cl. Fiscal International, 2016, 1. 62 OCDE, Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune – Version abrégée, 9e édition, 2014, p. 32 63 F. LE MENTEC, op. cit., 23. 64 Article 219 du CGI
29
remboursement à l’administration fiscale65. Par ailleurs, le droit européen prévoit une
exonération de retenue à la source pour les redevances perçues par des entreprises résidentes
de l’Union, associées à 25 % pendant une durée d’au moins deux ans66.
61. –– Le prélèvement à la source relatif aux redevances a donc vocation à imposer un
bénéficiaire étranger pour des revenus de nature économique qu’il perçoit depuis la France,
ce qui rejoint la logique de territorialité qui gouverne l’impôt français sur les sociétés.
Malheureusement, ces règles présentent les mêmes risques de double imposition que celles
relatives à l’imposition des entreprises exploitées en France, dans la mesure où de nombreux
États étrangers disposent d’un principe de mondialité. Ce problème semble encore se
présenter en matière d’imposition des plus-values.
5) Les plus-values
62. –– Les plus-values peuvent concerner des biens de différentes natures, mais nous
concentrerons notre étude sur deux types de gains en capital : les plus-values de cession de
droits sociaux et les plus-values de cession immobilière.
a) Les plus-values de cession de droits sociaux
63. –– Les plus-values de cession de droits sociaux désignent les gains en capital qui
résultent de la vente de titres sociaux français par des opérateurs situés en-dehors du pays.
Le régime fiscal de ces cessions dépendra du type de participation possédée par le cédant : il
faudra distinguer le cas des participations substantielles des autres formes de participations.
64. –– Selon l’article 244 bis C du Code général des impôts, le régime prévu pour les
cessions de participations autres que substantielles réside en une exonération des opérateurs
étrangers : les dispositions relatives à l’imposition de ces opérations « ne s’appliquent pas aux
plus-values réalisées à l’occasion de cessions à titre onéreux de valeurs mobilières ou de droits
sociaux effectuées par les personnes qui ne sont pas fiscalement domiciliées en France au sens
65 CE, 17/02/2015, Fisichella, n° 373230, RJF, 5/2015, n° 380 ; BDCF, 5/2015, n° 51, concl. E. CORTOT-BOUCHER ; Droit fiscal, n° 18, 2015, comm. 297, note A. MAITROT DE LA MOTTE ; Petites affiches, n° 121, 2015, p. 3, note F. PERROTIN 66 Directive 2003/49/CE du Conseil du 03/06/2003, transposée à l’article 182 B bis du CGI
30
de l’article 4 B ou dont le siège social est situé hors de France »67. Ainsi, ce régime produit une
situation où un revenu de source française perçu par un opérateur étranger ne sera pas
imposé par l’administration fiscale française, sous réserve que la participation n’ait pas été
substantielle. Ce régime particulier est un héritage historique : il s’agissait du régime
applicable aux personnes physiques en droit interne avant 1976, date à laquelle une réforme
est venue généralisée l’imposition des plus-values ; l’ancien régime a toutefois été maintenu
pour les opérateurs internationaux.
65. –– Selon l’article 244 bis B du Code général des impôts, une participation devient
substantielle lorsque celui qui la détient, que ce soit une personne physique ou morale, a
détenu, à un moment quelconque au cours des cinq années précédant la cession, plus de 25
% des droits aux bénéfices sociaux. Le taux de participation de l’actionnaire ou de l’associé
sera apprécié de manière large, en tenant compte des participations directes comme
indirectes, ainsi que des participations détenues par le conjoint, les ascendants et les
descendants dans le cas d’une personne physique68. Dans le cas d’une participation
substantielle, un prélèvement de 45 % sera effectué : le taux de ce prélèvement est calqué sur
le taux marginal de l’impôt sur le revenu. Ce taux est porté à 75 % si le bénéficiaire est situé
dans un État ou territoire non coopératif. Par ailleurs, l’administration fiscale autorise le
contribuable, s’il est établi dans un autre État de l’Union européenne, à formuler une
demande de dégrèvement en faisant ressortir le montant de l’impôt qu’il aurait payé s’il avait
été résident fiscal français69. Ainsi, dans le cas des cessions de participations substantielles, la
possibilité d’une double imposition est maintenue du fait du prélèvement de 45 % prévu par
le droit interne.
66. –– Ces règles ne concernent pas les sociétés à prépondérance immobilière, c’est-à-
dire les sociétés dont au moins la moitié des actifs sont constitués d’immeubles ou de parts
dans des sociétés immobilières. Ces sociétés relèveront alors du régime des plus-values de
cession immobilière.
67 P. LEGENTIL, « Fasc. 3620 : Traitement fiscal – Gains en capital », in J.-Cl. Fiscal International, 2013, 5. 68 Ibid., 2013, 7. 69 Administration fiscale, BOFiP, BOI-RPPM-PVBMI-10-30-20-20160304, § 100 et s.
31
b) Les plus-values de cession immobilière
67. –– Concernant les plus-values de cessions d’immeubles situés en France, le régime
applicable à ces opérations est prévu à l’article 244 bis A du Code général des impôts. Il faudra
alors distinguer selon la nature juridique du cédant :
Si le cédant est une société, il sera appliqué un prélèvement à la source de 33 1/3 %
sur le montant de la plus-value nette, avec un amortissement forfaitaire de
l’immeuble de 2 % par année de possession si la société cédante est située en dehors
de l’Espace économique européen ; la société cédante sera ensuite assujettie à l’IS
dans les conditions de droit commun, avec possibilité de remboursement par
l’administration fiscale si le montant de la retenue à la source est finalement
supérieure à celui de l’impôt effectivement dû ;
Si le cédant est une personne physique, il sera appliqué un prélèvement à la source
de 19 % pour un résident de l’Espace économique européen et 33 1/3 % pour les
autres personnes physiques ; s’ajoutent à cela les prélèvements sociaux obligatoires
(CSG, CRDS) au taux de 15,5 % ;
Il faudra noter que les taux de retenue à la source mentionnés précédemment sont
portés à 75 % dans le cas d’une société ou d’une personne morale situé dans un État
ou territoire non coopératif.
68. –– On constate donc qu’en matière de plus-value immobilière, la retenue à la source
est systématique dans les règles de droit commun, ce qui encourage grandement
d’éventuelles doubles impositions. Celles-ci pourront être mises en échec par des conventions
fiscales, mais ceci s’appréciera au cas par cas, selon les conventions signées avec chaque État.
C –– Les revenus de source étrangère perçus en France
69. –– Une autre situation pouvant conduire à une double imposition des opérateurs
économiques est celle où des opérateurs économiques établis en France perçoivent des
revenus de source étrangère. Il s’agira notamment des entreprises exploitées à l’étranger, qui
sont déterminées selon les mêmes critères que les entreprises exploitées en France, ainsi que
les revenus « passifs » perçus depuis l’étranger (intérêts, dividendes, etc.).
32
70. –– En matière de double imposition, nous étudierons deux problèmes en particulier :
d’une part la question du sort des pertes de l’entreprise française exploitée à l’étranger, et
d’autre part le traitement fiscal des impôts étrangers, notamment dans le cas de retenues à
la source, dans les conditions de droit commun.
1) Les pertes subis par l’entreprise exploitée à l’étranger
71. –– Le principe de territorialité qui gouverne l’impôt sur les sociétés français
s’applique aussi bien pour les revenus réalisés en France par un opérateur étranger, que pour
les revenus réalisés à l’étranger par un opérateur français. Ainsi, une société française ne
paiera pas d’impôt en France pour les profits qu’elle réalise dans un autre État : d’un point de
vue fiscal, l’activité exercée à l’étranger n’a pas d’incidence en France70. Ce principe de
territorialité permet normalement d’éviter une double imposition : l’opérateur français ne
s’acquittera que de l’impôt étranger pour les activités réalisées en-dehors de France.
72. –– Si ce principe de territorialité prévoit une répartition territoriale de l’activité qui
permet d’éviter une double imposition, un problème demeure lorsque l’entreprise exploitée
à l’étranger réalise des pertes. En effet, les pertes subies par l’opérateur à l’étranger
n’intéresse que la détermination de l’impôt de l’État étranger où est exercée l’activité
économique, et ne trouve donc pas à s’appliquer pour la détermination du résultat imposable
de l’opérateur en France. Les pertes visées par ce dispositif concernent les déficits résultant
d’exploitation à l’étranger, mais également les « pertes affectant l’actif net de la société
imposable en France, imputables à l’activité exercée hors de France »71 : il pourra par exemple
s’agir de moins-values constatées ou d’amortissements pratiquées sur des actifs utilisés dans
le cadre d’une activité exercée à l’étranger. Cette règle fiscale peut constituer un obstacle
pour les entreprises françaises qui souhaitent s’implanter à l’étranger. Toutefois, un régime
dérogatoire a été prévu par la loi de finances pour 2009 pour les PME, qui peuvent, sous
certaines conditions, imputer les pertes qu’elles subissent à l’étranger72.
70 B. LIGNEREUX, Le Principe de territorialité de l’impôt sur les sociétés, CPO, Rapport particulier n° 4, 2017, 2. 71 B. CASTAGNEDE, Précis de fiscalité internationale, 5e édition, 2015, 474. 72 Article 209 C du CGI
33
73. –– En application des règles de territorialité de droit commun de l’impôt sur les
sociétés, la double imposition est plutôt rare pour une entreprise exploitée à l’étranger par
une société française. Il en est autrement pour les impôts payés à l’étranger sur des revenus
perçus en France.
2) Les impôts payés à l’étranger
74. –– De nombreux pays, comme la France, continuent d’appliquer des retenues à la
source pour les revenus qui sortent de leur territoire, notamment en matière de dividendes
ou de redevances. Ainsi, il est commun pour une société française de payer des impôts à
l’étranger, ce qui constitue pour elle une véritable charge financière. La question qui se pose
alors concerne le traitement de ces impôts dans la comptabilité des opérateurs établis en
France.
75. –– La question des impôts payés à l’étranger concernera surtout les revenus dits
passifs, comme les redevances ou les intérêts, car les entreprises directement exploitées à
l’étranger ne seront pas imposées en France, en vertu du principe de territorialité de l’impôt
sur les sociétés73. Ainsi, l’article 39, 1., 4° du Code général des impôts prévoit le traitement
des impôts payés à l’étranger comme une charge déductible pour l’établissement du revenu
de la société française. Toutefois, « la déductibilité de ces impôts est subordonnée à la
condition que lesdits produits soient assujettis à l’impôt sur les société [en France] sur le
fondement des règles de territorialité »74 : c’est ce qui semble ressortir de la jurisprudence.
Cette règle de déductibilité des retenues à la source étrangères, énoncées dans le cas de
redevances, est également valable pour les autres formes de prélèvements fiscaux effectués
à l’étranger : ainsi, en matière de dividendes, ils seront « imposables en France pour leur
montant brut diminué des charges et notamment du prélèvement éventuel perçu dans l’État
de la source »75.
76. –– Le droit commun prévoit ainsi une déduction des prélèvements étrangers dans le
calcul du résultat imposable. Si ce dispositif, qui s’appliquera en l’absence de convention
73 Article 209, I. du CGI 74 F. LE MENTEC, « Fasc. 3580 : Traitement fiscal – Redevances », in J.-Cl. Fiscal International, 2016, 71. 75 Id., « Fasc. 3540 : Traitement fiscal – Revenus de capitaux mobiliers – Dividendes et autres revenus distribués », in J.-Cl. Fiscal International, 2017, 103.
34
internationale, est fondé sur une certaine volonté de justice fiscale, il n’évite pas pour autant
une double imposition. En effet, la déduction d’une charge ne correspond pas à un crédit
d’impôt : l’impôt étranger viendra réduire le bénéfice imposable de la société française, ce qui
correspondra en réalité, au taux d’imposition de droit commun, à un crédit d’impôt égal à 33
1/3 % du montant prélevé à l’étranger. Le reste de l’impôt payé à l’étranger sera alors perdu,
et correspondra à une véritable double imposition.
77. –– Le droit commun semble ainsi parfois insuffisant pour faire face aux nouveaux
enjeux économiques actuels. Les activités de nombreux opérateurs sont aujourd’hui d’ordre
mondial, et les États ont tout intérêt à favoriser ce développement plutôt qu’à maintenir des
barrières fiscales qui, comme pour le cas de la double imposition, apparaissent souvent
injustifiées.
§2 –– Des activités d’ordre mondiale
78. –– Les enjeux économiques ont considérablement évolué depuis plusieurs
décennies, et ce phénomène ne semble pas perdre en intensité. Les revenus de nature
internationale évoqués précédemment s’inscrivent dans une mutation globale des échanges
économiques : ils constituent le caractère quantifiable des activités des opérateurs, qui se
sont majoritairement mondialisées. Le professeur Bernard Castagnède assimile d’ailleurs les
problématiques de fiscalité internationale à une contradiction entre la segmentation
territoriale de l’espace en juridictions fiscales indépendantes, et la mobilité induite par ces
nouvelles activités d’ordre mondiale76.
79. –– Toutefois, les différentes politiques fiscales mis en place par les États ne sont pas
pour autant totalement sourdes aux nouveaux enjeux économiques. Il existe en effet une
certaine volonté de soutenir les activités internationales des opérateurs, cette condition étant
devenue centrale pour assurer un bon développement économique. Malgré tout, les limites à
l’accompagnement de cette internationalisation se font vite sentir lorsque les problématiques
financières propres au budget des États ressurgissent, maintenant ainsi des barrières fiscales
déjà nombreuses.
76 B. CASTAGNEDE, Précis de fiscalité internationale, 5e édition, 2015, Avant-propos
35
A –– Une volonté de développement économique internationale
80. –– Le développement économique est devenu une problématique majeure pour la
plupart des acteurs, y compris les États. La fiscalité peut représenter un frein important pour
les échanges et l’activité internationale, et cette donnée a été enregistrée par les législateurs
fiscaux depuis bien longtemps. En effet, les premiers travaux relatifs aux problèmes de
doubles impositions internationales remontent à la Société des Nations, au début du XXe
siècle : des experts européens en fiscalité étaient chargés, dès 1923, « d’entreprendre des
discussions multilatérales sur la double imposition et l’évasion fiscale »77.
81. –– Plus récemment, d’autres organisations internationales ont émergé afin de
favoriser juridiquement les échanges économiques entre États, la fiscalité étant une des
facettes à prendre en compte pour y parvenir. Nous étudierons le cas particulier de l’Union
européenne, puis nous évoquerons les conventions fiscales internationales, généralement
inspirées du modèle de l’OCDE, et les aménagements qu’elles peuvent apporter aux règles
fiscales de droit commun.
1) L’Union européenne
82. –– Le traité de Rome, signé le 25 mars 1957, a institué la Communauté économique
européenne. Cet accord a par la suite été remanié, et deviendra le Traité sur le
fonctionnement de l’Union européenne à partir du 1er décembre 2009. Les idées fondatrices
de la construction européenne, qui découlent de ce traité, résident dans une volonté
commune de développement économique, notamment en favorisant les échanges. Cette
construction juridique unique au monde a institué un droit contraignant, reposant sur des
principes qui lui sont propres, dans l’objectif de favoriser l’essor économique des États
membres et d’adapter la réglementation à l’internationalisation des échanges.
83. –– Parmi les principes fondamentaux du droit de l’Union, nous pouvons citer le
principe de non-discrimination78, en particulier celle fondée sur la nationalité. Selon la
jurisprudence constante de la Cour de justice de l’Union européenne, ce principe requiert que
77 C. FARQUET, « Expertise et négociations fiscales à la Société des Nations (1923 – 1939) », Relations internationales, n° 142, 2010, p. 6 78 Articles 18 à 25 du TFUE
36
des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente, mais aussi que des
situations différentes ne soient pas traitée de manière égale, « à moins qu’un tel traitement
ne soit objectivement justifié »79. Combinée à la libre circulation des capitaux80, cette règle
permet à toutes les entreprises issues d’un des États membres un accès au marché commun,
ce qui tend clairement à encourager le développement international des entreprises en
Europe.
2) Les aménagements du droit fiscal conventionnel
84. –– Afin de combler les insuffisances du droit interne et d’éviter les doubles
impositions éventuelles, les conventions fiscales cherchent à trouver des solutions pratiques
pour éviter qu’un contribuable doivent s’acquitter du même impôt dans deux États différents.
L’OCDE, au travers de sa convention modèle et de ses recommandations, milite pour une
imposition des revenus dans l’État de résidence du bénéficiaire, ce qui exclurait de fait les
retenues à la source et éliminerait un certain nombre de double imposition. Mais de
nombreux États demeurent opposé à cette suppression, représentant un risque de fraude trop
important et une possible perte de revenus à leurs yeux.
85. –– En raison du maintien de nombreuses retenues à la source, y compris à travers
l’application des conventions fiscales internationales, ces mêmes conventions ont cherché à
mettre en place des traitements particuliers pour les impôts payés à l’étranger, en particulier
en matière de revenus passifs. Ces méthodes sont principalement de deux types : celles
consistant à l’exemption de l’impôt dans un des États signataires, et celles consistant à
l’imputation de l’impôt payé à l’étranger.
a) L’exemption
86. –– La technique de l’exemption consiste à prévoir, au sein d’une convention fiscale
internationale, que les revenus imposés dans un des États signataires ne seront pas assujettis
à l’impôt dans l’autre État81. Concrètement, cette méthode permet d’éviter toute double
79 CJUE, 14/05/2009, Azienda Agricola Disarò e.a., C-34/08, concl. T. VERICA 80 Articles 63 à 66 du TFUE 81 B. PLAGNET, « Fasc. 352 : Procédés techniques de suppression des doubles impositions », in J.-Cl. Droit international, 2014, 17.
37
imposition du revenu considéré, celui-ci n’étant retenu pour le calcul de l’impôt que par un
seul des États signataires, dans les conditions prévues par la convention fiscale. L’exemption
peut alors être intégrale, ou progressive, mais ces questions seront évoquées de manière plus
précise lorsque nous traiterons de la prévention des doubles impositions au travers des
conventions fiscales82.
b) L’imputation
87. –– La méthode de l’imputation conduit au paiement d’un impôt dans les deux États
signataires, c’est-à-dire à la fois à l’État où se situe la source du revenu et à celui où réside
l’opérateur qui perçoit le revenu. Afin d’éviter une double imposition, l’impôt acquitté à
l’étranger viendra en déduction de la charge fiscale subie dans l’État de résidence : cette
déduction prendra généralement la forme d’un crédit d’impôt. La déduction de l’impôt
étranger sera soumise à des conditions prévues dans chaque convention, et pourra consister
soit en une imputation intégrale de celui-ci, soit en une imputation dite ordinaire, où la
déduction sera limitée la part d’impôt relative aux revenus perçus à l’étranger83.
88. –– Cette méthode semble efficace pour éviter les doubles impositions et garantir à
chaque État signataire un revenu fiscal pour chaque opération effectuée sur leur territoire,
mais elle présente toutefois quelques limites. En effet, lorsque l’opérateur qui perçoit le
revenu étranger est déficitaire, il ne paiera aucun impôt sur ses bénéfices et ne pourra donc
pas imputer l’impôt payé à l’étranger : aucun remboursement ou report ne pourra être
demandé, et le crédit d’impôt sera perdu84. Par ailleurs, le Conseil d’État a jugé que dans une
telle situation, un retour à la règle de droit interne de l’article 39, 1., 4° du Code général des
impôts, qui considère l’impôt payé à l’étranger comme une charge déductible, n’est pas
envisageable si la convention fiscale ne le prévoit pas85 : l’application du droit commun aurait
ainsi permis d’augmenter le déficit reportable de l’opérateur déficitaire. Mais dans une
application stricte du principe de supériorité des conventions fiscales internationales, on
82 Voir infra n° 274. 83 Voir infra n° 276. et s. 84 F. LE MENTEC, « Fasc. 3540 : Traitement fiscal – Revenus de capitaux mobiliers – Dividendes et autres revenus distribués », in J.-Cl. Fiscal International, 2017, 105. 85 CE, 12/03/2014, Société Céline, n° 362528, RTD com., 2014, p. 715, note E. CORTOT-BOUCHER ; RJF, 6/2014, n° 602 ; BDCF, 6/2014, n° 59, concl. F. ALADJIDI ; Droit fiscal, n° 19, 2014, act. 275, note É. Meier et M. VALETEAU ; Droit fiscal, n° 22, 2014, comm. 356, note P. DURAND
38
aboutit à une charge supplémentaire pour l’entreprise, ce qui peut apparaître contestable
lorsque l’optique de la mesure appliquée était d’éviter les doubles impositions.
89. –– Ces techniques, prévues par les conventions fiscales, devraient en théorie
permettre d’éviter les doubles impositions juridiques, mais comme le montre cet exemple, la
tâche est loin d’être accomplie. Ces éléments constituent de véritables limites à la volonté
d’internationalisation qui semblait animer les États.
B –– Les limites de l’internationalisation
90. –– Malgré les efforts effectués par les États pour faciliter les échanges
internationaux et les activités des opérateurs au niveau mondial, des limites apparaissent
clairement en matière fiscale : les doubles impositions continuent de constituer une barrière
au développement économique. Les techniques prévues par les conventions fiscales
permettent ainsi d’éviter une double imposition juridique, mais leur application dépendra de
l’interprétation de chaque signataire, qui pourra parfois être divergente d’un État à l’autre.
91. –– La première limite à cette internationalisation se situe au niveau de l’Union
européenne. En effet, la question de la double imposition et du traitement fiscale des
opérateurs internationaux s’est rapidement posée, en particulier au regard du principe de
non-discrimination : aucune réponse n’a permis de faire tomber la barrière de la double
imposition au niveau européen, puisque « le traité ne comporte pas de disposition précise en
vue d’une harmonisation des fiscalités directes des États-membres »86. La Cour de justice de
l’Union européenne est toutefois allée plus loin et a estimé, à plusieurs reprises, que même si
la fiscalité directe relève toujours de la compétence des États membres, ces derniers doivent
tout de même respecter les principes du droit de l’Union87. Cette avancée, certes importante,
ne s’oppose toutefois pas clairement aux doubles impositions et ne permet pas encore de les
éviter de manière systématique.
92. –– Nous assistons ainsi à un phénomène étrange, où des États guidés par une
volonté d’internationalisation et de développement économique, sont rattrapés par leur
incapacité à éliminer la barrière que représente la double imposition en matière d’activités
86 B. CASTAGNEDE, Précis de fiscalité internationale, 5e édition, 2015, 21. 87 CJUE, 29/03/2012, Ministero dell’Economia e delle Finanze, Agenzia delle Entrate c/ 3M Italia SpA, C-417/10, concl. E. SHARPSTON, AJDA, 2012, p. 995, note M. AUBERT, E. BROUSSY et F. DONNAT ; RJF, 6/2012, n° 665
39
internationales. Les efforts consentis, à la fois au travers de l’Union européenne et des
conventions fiscales, ne suffisent clairement pas à enrayer les dérives de la fiscalité
internationale, puisque des doubles impositions sont encore fréquentes à l’heure actuelle. La
double imposition juridique semble ainsi avoir une autre origine, qui tient davantage aux États
eux-mêmes qu’au développement économique des affaires, à savoir leur volonté de maintenir
leur souveraineté fiscale.
Section II
LE MAINTIEN DE LA SOUVERAINETÉ FISCALE DES ÉTATS
93. –– Malgré les différentes tentatives d’intégration internationale qui ont pu être
initiées par les États, notamment au travers de l’Union européenne, la matière fiscale a
toujours été traitée à part. Cette différence de traitement s’explique notamment par son
impact direct sur les finances publiques, sujet aujourd’hui devenu central, mais également par
le lien très fort qui relie le droit fiscal à la notion de souveraineté de l’État : depuis toujours, le
pouvoir de lever l’impôt incombe à l’État et représente une facette centrale de son rôle dans
la société88. Ainsi, malgré les bouleversements économiques qui ont traversé le monde au
cours des dernières décennies, les États ont systématiquement cherché à conserver leur
souveraineté en matière d’impôts.
94. –– Cette volonté de garder une maîtrise absolue sur la question fiscale constitue
sans aucun doute un des principaux éléments à l’origine des doubles impositions juridiques :
cela résulte d’une part en des systèmes fiscaux qui ne sont pas parvenus à s’adapter à une
nouvelle forme d’économie, beaucoup plus internationalisée. D’autre part, les
administrations fiscales ont tendance à adopter un point de vue unilatéral, parfois même
réfractaire aux possibles solutions à la double imposition.
88 J. TUROT et al., Lamy Optimisation fiscale de l’entreprise, 2014, n° 409-2
40
§1 –– Des systèmes fiscaux inadaptés à l’économie mondialisée
95. –– Depuis plusieurs décennies, le paysage économique a été traversé par des
mutations de grande envergure, qui ont conduit les opérateurs économiques, et même les
particuliers, à s’adapter à ces nouveaux enjeux. Le droit fiscal, même s’il a lui aussi grandement
évolué, n’est pas allé assez loin pour totalement appréhender les échanges transfrontaliers et
l’économie mondialisée actuelle. Les systèmes fiscaux sont encore très emprunts d’une
conception traditionnelle de l’impôt et de la forme qu’il doit prendre, qui ne correspond pas
tout à fait aux nouveaux enjeux économiques.
A –– Une conception traditionnelle de la fiscalité
96. –– La fiscalité des revenus, dans sa conception traditionnelle, s’articule
principalement autour de deux idées majeures89. D’une part, on a une souveraineté nationale,
qui permet d’assujettir les citoyens ou les résidents d’un État à l’impôt sur leur revenu
mondial : on obtient donc une obligation fiscale illimitée, qui se traduit par exemple en droit
français par le principe de mondialité de l’impôt sur le revenu des personnes physiques.
D’autre part, on trouve une souveraineté territoriale, qui légitime l’impôt prélevé par un État
sur tous les revenus qui trouvent leur source sur son territoire, notamment lorsque ceux-ci
sont perçus par un opérateur étranger : cette conception se retrouve par exemple dans le
principe français de territorialité de l’impôt sur les sociétés. Ces deux manifestations de la
souveraineté fiscale ont longtemps été jugées suffisantes pour concevoir de manière
complète l’imposition des activités économiques par un État : du point de vue du droit interne,
les deux conceptions sont solidement fondées et semblent fonctionner dans la pratique.
97. –– En réalité, d’un point de vue plus global, différentes conceptions de la
souveraineté fiscale semble exister, ce qui peut aboutir à des régimes très différents d’un État
à l’autre : par exemple, la plupart des pays de l’OCDE retiennent un principe de mondialité en
matière d’impôt sur les sociétés, la France étant un des rares États à appliquer le principe de
89 J. TUROT et al., Lamy Optimisation fiscale de l’entreprise, 2014, n° 409-2
41
territorialité de manière systématique90. Ainsi, dans une économie de plus en plus
internationalisée, ces divergences étatiques aboutissent alors à un décalage entre les règles
fiscales applicables, qui se limitent à un raisonnement selon une nationalité ou un territoire,
et les activités économiques, qui s’inscrivent dans une logique mondialisée.
98. –– La fiscalité semble donc manquer, à cet égard, d’une véritable conception
internationale. Par ailleurs, la pratique des conventions fiscales présente certes de
nombreuses vertus, leur objet étant notamment l’élimination des doubles impositions, mais
elles rencontrent également de sérieuses limites. Tout d’abord, ces conventions ne sont
conclues qu’entre deux États, ce qui signifie qu’elles ne sont valables que pour un nombre très
restreint de situations et devront être étudiées au cas par cas. De plus, même si la plupart sont
inspirées du modèle proposé par l’OCDE, chacune présente des particularités propres, ce qui
maintient finalement une grande divergence en matière de règles fiscales au niveau
international. Les règles fiscales étatiques ne sont d’ailleurs pas écartées d’office par
l’existence d’une convention: selon une jurisprudence établie du Conseil d’État, il convient
d’appliquer un principe de subsidiarité des conventions fiscales internationales91. Cela signifie
que, lorsque la question d’une imposition est posée, il convient d’abord de vérifier les
dispositions du droits interne, puis dans un second temps de se reporter à la convention, si
celle-ci trouve à s’appliquer : en cas de conflit entre la loi nationale et la convention, ce sera
le texte de la convention qui l’emportera, selon le principe de primauté des conventions
fiscales. Ainsi, ces conventions « n’ont pas en effet pour objet de substituer aux dispositifs
fiscaux nationaux un quelconque système fiscal supranational », mais elles « interviennent
pour corriger les dispositions des lois fiscales internes, là où leur application simultanée aurait
pour effet d’engendrer une double imposition »92.
99. –– Les conventions fiscales ont donc davantage le rôle de palliatif ponctuel que celui
qui consisterait à adapter les systèmes fiscaux aux nouveaux enjeux économiques. L’ultime
limite de ces conventions réside d’ailleurs dans le fait qu’en pratique, ce sont les juridictions
fiscales des États signataires qui sont amenés à interpréter les dispositions d’une convention,
90 B. LIGNEREUX, Le Principe de territorialité de l’impôt sur les sociétés, CPO, Rapport particulier n° 4, 2017, p. 5 91 CE, 28/06/2002, Schneider Electric, n° 232276, Lebon 2002 ; RJF, 10/2002, n° 1080, p. 755, note L. OLLÉON ; BDCF, 10/2002, n° 120, concl. S. AUSTRY ; Droit fiscal, n° 36, 2002, comm. 657 92 B. CASTAGNEDE, Précis de fiscalité internationale, 5e édition, 2015, 273.
42
ce qui peut éventuellement aboutir à des divergences d’interprétation dans l’application
même d’une convention fiscale. Ainsi, cette conception traditionnelle de la fiscalité des
revenus ne semble pas très efficace pour aborder les nouveaux enjeux fiscaux liés à la
mondialisation.
B –– Des enjeux fiscaux nouveaux
100. –– Ces dernières décennies, le développement de l’économie mondiale a conduit
à l’élimination de la plupart des barrières juridiques qui existaient auparavant en matière de
commerce international. Par exemple, les droits de douanes ont largement diminué, et ont
même totalement disparu au sein de l’Union européenne93. L’imposition des revenus
constitue alors la principale limite d’ordre économique au sein du monde actuel : on a donc
une « coexistence de régimes différents d’impôts sur les sociétés dans un monde où la
globalisation des activités industrielles et commerciales s’est renforcée et où la plupart des
obstacles non fiscaux aux mouvements internationaux de capitaux, de services et de
technologies ont été abolis »94. Cette coexistence de multiples régimes fiscaux et la quasi-
absence d’autres barrières significatives à l’internationalisation est d’ailleurs largement
exploitée par de nombreuses entreprises, dans une optique d’optimisation fiscale : la fiscalité
d’un État constitue alors « sans nul doute une incitation à venir s’y localiser »95.
101. –– Toutefois, le recours à l’internationalisation dans un but exclusivement fiscal
reste assez difficile à mettre en œuvre et nécessite un certain niveau de technique juridique :
cette pratique reste donc globalement réservée à un petit nombre d’entreprises,
généralement de grande taille. Si ces sociétés délocalisent leur bénéfice afin d’éviter une
éventuelle double imposition ou un niveau d’impôt qu’elles jugent trop élevé, il ressort
également de cette pratique un effet pervers qui n’était pas forcément prévisible : comme les
États voient une partie de leurs recettes disparaître, ils sont contraints, dans une optique
d’équilibre des finances publiques, de taxer davantage les opérateurs économiques qui n’ont
pas délocalisé leurs bénéfices. Cette augmentation de la charge fiscale pèsera alors souvent
93 Article 30 du TFUE 94 OCDE, L’imposition des bénéfices dans une économie globale, 1991 95 J. TUROT et al., Lamy Optimisation fiscale de l’entreprise, 2014, n° 401-1
43
sur les petites entreprises (PME, TPE) et pourrait même, dans une certaine mesure,
contrevenir au principe d’égalité devant l’impôt, qui prévoit un impôt réparti selon les
capacités contributives de chacun96.
102. –– Afin de lutter contre ces pratiques de délocalisation des bénéfices et
d’optimisation fiscale à outrance, l’OCDE a publié en 2013 un rapport, suivi d’un plan d’action,
relatifs à l’érosion de la base d’imposition des États et les diverses pratiques d’optimisation
fiscale, dit projet BEPS97. Les mesures prévues par ce plan consistent principalement à lutter
contre les pratiques d’optimisation fiscale des entreprises, qui conduisent à une délocalisation
des bénéfices et une érosion de la base d’imposition, notamment en matière d’activités
numériques et des revenus d’actifs incorporels. Différentes mesures ont été envisagées,
notamment un éventuel passage à un « système de répartition forfaitaire des profits des
groupes multinationaux » entre les États, mais cette idée n’a pas été retenue, les États étant
réticent à toute forme de multilatéralisme en matière fiscale98.
103. –– Cet exemple du projet BEPS montre à la fois la préoccupation majeure que
représente l’érosion de la base d’imposition liée à l’optimisation fiscale pour les États, dont
certains voient réellement leurs finances publiques handicapées par ce phénomène, mais
également la difficulté de renoncer à ne serait-ce qu’une partie de la souveraineté nationale
en matière fiscale. Cette difficulté à sortir de cette vision unilatérale permanente se retrouve
dans le comportement des administrations fiscales, souvent réfractaires à un excès de lutte
contre la double imposition.
§2 –– Des administrations fiscales réfractaires
104. –– En France, l’administration fiscale, placée directement sous l’autorité du pouvoir
exécutif, a le rôle bien particulier de recouvrer l’impôt, qui constituera le cœur des recettes
de l’État. A quelques nuances près, on retrouve un type de fonctionnement analogue dans la
plupart des pays. Ainsi, du fait de sa mission qui consiste à assurer des revenus à l’État,
l’administration fiscale se doit de n’adopter que le point de vue le plus favorable aux finances
96 J. TUROT et al., Lamy Optimisation fiscale de l’entreprise, 2014, n° 409-2 97 OCDE, Lutter contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert des bénéfices, 2013 98 B. CASTAGNEDE, Précis de fiscalité internationale, 5e édition, 2015, 130.
44
publiques, et d’interpréter les règles fiscales en ce sens. Mais lorsque plusieurs
administrations fiscales sont amenées à se prononcer sur une imposition, notamment en
matière d’activités internationales, chacune aura tendance à adopter un point de vue
unilatéral. Cela conduira souvent à des difficultés pour collaborer afin d’éviter une double
imposition.
A –– Une vision unilatérale
105. –– Le principal rôle de l’administration fiscale consiste à percevoir les impôts et
taxes, et ainsi assurer des recettes suffisantes à l’État pour faire face aux charges publiques.
Devant des déficits publics souvent accusés d’être devenus structurels, la question fiscale est
un enjeu absolument fondamental. C’est la raison pour laquelle le Conseil constitutionnel
rappelle régulièrement que la lutte contre la fraude fiscale constitue un objectif à valeur
constitutionnelle99. Par ailleurs, la Cour des comptes est très attentive aux questions en
rapport avec les recettes fiscales et les pertes imputables à la fraude et à l’évasion fiscales,
d’autant plus que « ce phénomène s’est intensifié depuis 2008, tant au niveau international
qu’au plan interne »100. Selon la plupart des estimations, les pertes fiscales relatives à ces
pratiques se chiffrent en dizaine de milliards d’euros, et constituent ainsi une préoccupation
majeure pour l’État, et ce bien avant les problématiques de double imposition.
106. –– C’est dans ce contexte, marqué par de réelles difficultés financières étatiques,
que l’administration fiscale est chargée de sa mission de perception de l’impôt. Elle demeure
certes soumise aux grands principes du droit fiscal, notamment celui de l’égalité des
contribuables devant les charges publiques101, et aux dispositions des lois de finances internes
et des conventions fiscales internationales. Toutefois, l’administration sera souvent tentée
d’interpréter ces textes à son avantage, dans une optique favorable à la perception de l’impôt,
même si cela entraine une surcharge fiscale injustifiée au travers d’une double imposition
juridique.
99 Cons. const., 08/12/2016, n° 2016-741 DC, BPAT, 1/2017, n° 32 ; JCP E, 2016, act. 1008 100 C. comptes, « 4 – La lutte contre la fraude fiscale : des progrès à confirmer », Rapport public annuel, 2016, p. 358 101 Article 13 de la DDHC
45
107. –– Chaque État étant clairement attaché à sa souveraineté fiscale, leurs
administrations fiscales s’inscrivent dans une vision très unilatérale. Elles ne se préoccupent
donc des choix et des agissements des autres États que de manière très marginale, et ne
s’estimeront pas nécessairement concernées par les impositions qui ont pu être prononcées
à l’étranger. Si la double imposition qui en résulte peut sembler regrettable, l’administration
fiscale ne la prendra souvent en considération que si la loi interne ou une convention l’y oblige.
Même en matière de droit conventionnel, les conventions fiscales qui visent à éliminer les
doubles impositions prévoient généralement une clause d’assistance et d’échange de
renseignements entre les États, comme prévues dans la convention modèle de l’OCDE102 : cet
objectif de lutte contre la fraude fiscale s’avère ainsi souvent être une des principales
motivations des États signataires, et peut parfois prendre le pas sur celui, tout aussi louable,
mais moins rémunérateur, de lutte contre les doubles impositions.
108. –– La pluparts des États ont une conception semblable de leur souveraineté fiscale
et y sont fortement attachés, ce qui conforte les administrations fiscales dans leur position
unilatérale. Ainsi, des difficultés apparaissent souvent lorsqu’il s’agit pour les administrations
de collaborer et de s’adapter mutuellement aux mutations de l’économie mondialisée.
B –– Des difficultés à collaborer
109. –– La lutte contre les doubles impositions juridiques constitue un enjeu important
pour favoriser la croissance économique et accompagner l’essor du commerce international.
Mais pour être pleinement efficace, elle doit s’inscrire dans une démarche interétatique. En
matière fiscale, cette collaboration entre États se retrouve principalement au travers de
conventions fiscales bilatérales et des travaux de l’OCDE, mais elle semble également se
limiter à cela. Cela conduit donc les administrations fiscales à ne collaborer que de manière
limitée, et davantage dans une optique de lutte contre l’évasion et la fraude fiscales que dans
celle d’une lutte contre la double imposition. Cet unilatéralisme est d’autant plus marqué
qu’en raison de la structure des conventions fiscales, les échanges sont effectués entre deux
102 OCDE, Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune – Version abrégée, 9e édition, 2014, articles 26 et 27
46
États à la fois : ce bilatéralisme structurel constitue ainsi un obstacle supplémentaire et peut
favoriser les doubles impositions.
110. –– Il est possible d’effectuer un parallèle entre ces questions de collaboration entre
administrations fiscales et une situation analogue relative au droit de la concurrence : en effet,
du fait de l’internationalisation du commerce et des échanges, les différentes autorités
nationales de concurrence ont dû faire face à un certain nombre de difficultés relatives à des
divergences entre les régimes nationaux. La comparaison sera certes limitée, du fait de la
particularité du droit fiscal et des différences entre l’administration fiscale et les autres
autorités administratives indépendantes, mais elle permet tout de même de donner quelques
pistes de réflexion. L’internationalisation des échanges conduit à des applications
extraterritoriales des règles de concurrence nationale, aboutissant à des situations relevant
de la compétence de plusieurs autorités de concurrence103. La plupart des États étant dans
une posture d’unilatéralisme marquée, cela pouvait produire des décisions divergentes, voire
contradictoire, d’un État à l’autre : chacun appliquait son droit national comme il l’entendait,
selon des critères qui lui étaient propres. Des solutions ont alors été évoquées pour régler
cette difficulté, qui constitue un véritable obstacle pour les opérateurs économiques
internationaux : le droit de la concurrence semble ainsi se diriger vers la « recherche de
principes communs » aux différents modèles étatiques, qui permettrait une sécurité juridique
plus forte et éviterait les divergences entre les États104. Le développement le plus efficace du
droit international de la concurrence s’est déroulé au sein de l’Union européenne : les
institutions ont cherché à mettre en œuvre une véritable harmonisation des droits nationaux,
notamment au travers des travaux de la Commission fondés sur les traités105. Cette
harmonisation semble ainsi être une bonne solution pour vaincre les différences nationales et
garantir un traitement relativement égalitaire des opérateurs au sein de l’Union, tout en
permettant aux autorités administratives chargées de la concurrence de collaborer sur les
affaires touchant plusieurs États.
111. –– Mais c’est ici que le parallèle entre le droit de la concurrence et la matière fiscale
doit s’arrêter, car la particularité de l’administration fiscale et des souverainetés nationales en
103 R. BOUT et al., Lamy Droit économique, 2016, n° 968 104 Ibid. 105 Articles 101 et 102 du TFUE, relatifs aux pratiques anticoncurrentielles
47
matière d’impôt limite grandement les comparaisons. Par ailleurs, même si l’harmonisation
entre les droits nationaux, pourrait constituer une solution aux divergences entre les
différentes administrations fiscales et éviter les doubles impositions, au moins à l’échelle
européenne, cette solution n’est pas à l’ordre du jour du fait d’une grande réticence des États.
112. –– La double imposition juridique semble ainsi persister, même si elle est
combattue sur son principe et que les États essaient généralement de l’éviter, soit au moyen
de leur droit interne, soit au travers des conventions fiscales. Les opérateurs internationaux
doivent ainsi faire face à des règles fiscales anciennes et à des concepts parfois inadaptés à
l’internationalisation des échanges. Toutefois, le volet juridique ne constitue pas le seul type
de double imposition. En effet, il existe également une double imposition économique, qui
couvre un domaine à la fois plus large et moins clair, et qui ne se limite pas aux seules activités
internationales.
48
CHAPITRE II
LA DOUBLE IMPOSITION ÉCONOMIQUE
113. –– La notion de double imposition économique dispose d’une définition plus large,
et couvre ainsi un champ plus grand que la double imposition juridique : il ne s’agit plus ici de
l’application de plusieurs impôts comparables par différents État au même opérateur
économique, mais de la situation où des opérateurs distincts sont taxés au titre d’un même
revenu ou d’une même fortune, par une ou plusieurs administrations fiscales106. Il y aura donc
double imposition économique lorsque les impôts appliqués à ces opérateurs font double
emploi : il pourra par exemple s’agir de l’imposition des bénéfices des sociétés de capitaux qui
« sont d’abord atteints par l’impôt sur les sociétés au niveau de la société bénéficiaire, avant
d’être taxés entre les mains des associés à raison des distributions effectuées »107. Il pourra
également y avoir double imposition économique lorsqu’une entreprise se voit imposée dans
l’État où elle est exploitée, mais que son bénéfice est également inclus dans le résultat d’une
autre entreprise, imposée dans un autre État : ce phénomène pourra notamment se produire
lorsque l’un des deux États en question applique un principe de territorialité de l’impôt sur les
bénéfices, alors que l’autre retient un principe de mondialité.
114. –– La double imposition économique est souvent plus difficile à appréhender, car
elle s’inscrit généralement dans un schéma particulier de relations entre plusieurs sociétés,
ou entre une société et ses associés. Par ailleurs, elle se distingue de son pendant juridique
par le fait qu’elle ne présente pas nécessairement de caractère international : il est en effet
tout à fait possible d’imaginer l’imposition successive de deux résidents fiscaux français au
titre d’un même revenu. Cela élargit donc considérablement les situations susceptibles de
conduire à des doubles impositions, d’autant plus que les conventions fiscales mettent
souvent l’accent sur les doubles impositions juridiques. La lutte contre les doubles impositions
économiques nécessite en effet une plus grande harmonisation des concepts au sein des
États, qui dépasse les règles généralement prévues par les conventions et qui consistent
106 OCDE, Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune – Version abrégée, 9e édition, 2014, p. 351 107 B. CASTAGNEDE, Précis de fiscalité internationale, 5e édition, 2015, 2.
49
surtout à la répartition de la matière imposable. Afin d’éviter ces doubles impositions, il est
nécessaire pour les États de s’accorder sur un certain nombre de règles, notamment relatives
au fonctionnement des groupes de sociétés (abandon de créances, régime mère et filiale,
etc.), ce qui n’est pas l’objet des conventions fiscales fondées sur le modèle de l’OCDE. La
double imposition économique relève donc davantage du ressort des États et de leur droit
interne que du droit fiscal conventionnel : afin de résoudre les problèmes de double
imposition économique, les États devront réviser leur droit national ou mener des
négociations bilatérales qui dépassent le modèle de convention de l’OCDE108. Toutefois, les
doubles impositions juridiques prennent souvent le pas sur leurs pendants économiques, car
elles apparaissent plus nettement et ont parfois tendance à occulter les autres questions. En
effet, si la double imposition juridique paraît clairement injustifiée du point de vue des grands
principes du droit fiscal, notamment celui d’égalité devant la loi fiscale, la question de la
double imposition économique est plus difficile à cerner, du fait que de nombreux impôts ont
par principe tendance à se recouper. A titre d’exemple, nous pouvons citer l’impôt sur les
sociétés qui frappent les bénéfices d’une entreprise, et l’impôt sur le revenu qui frappera les
revenus distribués à l’associé personne physique.
115. –– Afin d’appréhender la question de l’origine des doubles impositions
économiques, nous nous concentrerons sur deux axes majeurs, sans pour autant chercher à
être exhaustif. D’une part, nous évoquerons le cas des groupes de sociétés, qui constituent
une partie majeure des doubles impositions économiques, tant sur le plan interne qu’au
niveau international. En effet, la plupart des grandes entreprises se sont constituées en
groupes de sociétés, pour la plupart très internationalisés : ce type de fonctionnement
implique un grand nombre de flux financiers entre les entités constituant le groupe, ce qui
donne un terrain propice aux doubles impositions. D’autre part, nous évoquerons le cas très
particulier de la simulation : il s’agit de la situation où il existerait à la fois un opérateur
économique apparent, qui semblerait exercer une activité donnée, mais qui ne serait en
réalité qu’un prête-nom derrière lequel se cacherait un opérateur économique réel, véritable
bénéficiaire masqué de l’activité en question. Ce cas de figure pourrait paraître anecdotique,
mais il constitue pourtant une véritable possibilité de double imposition économique : si
108 OCDE, Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune – Version abrégée, 9e édition, 2014, p. 351
50
l’administration fiscale dispose généralement du choix d’imposer soit l’opérateur réel, soit
l’opérateur apparent, dispose-t-elle de la faculté d’imposer les deux, et donc de créer une
double imposition ?
Section I
DOUBLE IMPOSITION ÉCONOMIQUE ET GROUPE DE SOCIÉTÉS
116. –– Dans une optique de meilleure organisation de leur activité et de rationalisation
des coûts, mais également pour bénéficier de certains avantages fiscaux, les entreprises ont
depuis longtemps tendance à former des groupes de sociétés, dont la structure élémentaire
réside souvent dans une société mère possédant la majorité des titres des autres membres du
groupe, appelées filiales. D’un point de vue plus juridique, un groupe de sociétés est « un
ensemble constitué de plusieurs sociétés, ayant chacune leur existence juridique propre, mais
qui sont unies entre elles par des liens divers, notamment de capital, en vertu desquels l’une
d’elles, la société mère, tient les autres sous sa dépendance, exerce un contrôle sur l’ensemble
et fait prévaloir une unité de décision »109. Le groupe relève donc de critères principalement
économiques et n’est pas une notion juridique à proprement parlé : la Cour de cassation
rappelle d’ailleurs régulièrement le principe d’indépendance patrimoniale des différentes
sociétés réunies au sein d’un groupe et l’absence de personnalité morale de celui-ci110.
117. –– Malgré la réticence du droit privé à considérer le groupe de sociétés comme une
entité à part entière, le droit fiscal s’attarde davantage sur cette notion. En effet, de
nombreuses mesures fiscales se fondent sur l’existence d’un groupe de sociétés, que ce soit
pour lui conférer des avantages (régime des sociétés mère et filiale, intégration fiscale) ou
pour poser des limites à ses activités internes (prix de transfert, abandon de créance). Le droit
fiscal nous montre une fois de plus ici son caractère profondément économique, qui le conduit
parfois à se détacher des concepts stricts du droit commercial.
109 A. LEVI et al., Lamy Droit commercial, 2017, n° 3149 110 Cass. com., 15/11/2011, n° 10-21.701, RJDA, 3/2012, n° 366 ; Droit des sociétés, n° 10, 2012, comm. 157, note R. MORTIER
51
118. –– Les groupes de sociétés peuvent présenter de nombreux avantages, autant
fiscaux qu’économiques, mais ils présentent aussi des inconvénients, le premier d’entre eux
étant d’être très vulnérables aux doubles impositions économiques. En effet, un groupe se
caractérise par un grand nombre de flux financiers, transitant entre plusieurs entités, dans
une optique d’intégration afin d’aboutir à un bénéfice global : chaque société du groupe étant
en principe considérée comme un sujet de droit à part entière, elle sera imposée en tant que
telle. Il est donc fort probable que plusieurs sociétés au sein du groupe se voient faire l’objet
d’une imposition au titre d’un même revenu, qui a simplement transité par elles. Les règles
fiscales faisant référence à l’imposition des groupes n’ignorent pas cette possible double
imposition, et certains aménagements ont été prévus pour l’éviter. A l’inverse, d’autres
mesures ont également été pensées pour éviter les dérives fiscales pouvant découler d’une
organisation en groupe, en particulier la délocalisation de bénéfices dans un État à fiscalité
privilégiée.
119. –– Malgré tout, les règles existantes ne permettent pas d’éviter toutes les doubles
impositions au sein des groupes de sociétés. Ce phénomène s’explique principalement par un
droit interne inadapté, davantage pensé pour lutter contre la fraude fiscale que pour éviter
les doubles impositions économiques, et par des conventions fiscales imparfaites.
§1 –– Un droit interne inadaptée
120. –– Le droit fiscal n’ignore pas les phénomènes de double imposition économique
inhérents à la constitution de groupe de sociétés. Par exemple, selon le schéma le plus
élémentaire en la matière, une société mère sera amenée à percevoir des dividendes de ses
filiales : ces bénéfices, issus du compte de résultat des filiales, se retrouveront sous la forme
de revenus distribués (dividendes) au sein du résultat de la société mère, et se verront donc
frappés par l’impôt sur les sociétés à deux reprises. Cette situation, où des mêmes revenus
sont imposées à plusieurs reprises auprès de contribuables différents, constituent clairement
un exemple de double imposition économique. C’est pourquoi, devant le nombre croissant de
groupes de sociétés, la loi fiscale est venue corriger ces dérives, au travers de régimes
dérogatoires permettant d’éviter les impositions successives d’un même revenu. Toutefois,
ces mesures sont loin d’être suffisantes pour éviter toute forme de double imposition,
notamment dans un contexte international d’opérations intragroupes.
52
121. –– Mais en réalité, le droit fiscal est surtout venu s’intéresser aux groupes de
sociétés pour lutter contre des pratiques d’optimisation fiscale trop marquée et la volonté des
entreprises de délocaliser leurs bénéfices dans des États à fiscalité privilégiée111. C’est
pourquoi un certain nombre de règles ont été créées pour encadrer les échanges internes aux
groupes de sociétés, notamment en matière d’abandons de créances d’une société mère
envers sa filiale ou concernant les prix de transfert, c’est-à-dire les montants facturés par les
sociétés du groupe entre elles112.
122. –– L’insuffisance des mesures visant à éviter les impositions successives de
revenus, mêlée à la lutte contre l’optimisation fiscale à outrance sont autant d’éléments qui
permettent aux doubles impositions économiques d’émerger. Nous étudierons ce
phénomène au travers de quelques exemples de mesures conçues pour éviter les doubles
impositions au sein des groupes de sociétés, notamment lors des distributions de dividendes.
Enfin, nous envisagerons les mesures restrictives prises par le droit fiscal pour encadrer les
agissements des groupes de sociétés, notamment au travers des règles afférentes aux
abandons de créances et aux prix de transfert.
A –– Les mesures visant à éviter les doubles impositions au sein
des groupes de sociétés
123. –– Du fait du grand nombre de groupes de sociétés et de leur poids dans
l’économie, plusieurs mesures ont été mises en œuvre pour éviter les doubles impositions lors
des échanges se déroulant entre les différentes entités du groupe. Nous examinerons d’abord
le cas particulier des sociétés de personnes, qui font l’objet d’un traitement fiscal particulier
par rapport aux sociétés de capitaux. Dans un second temps, nous aborderons le régime des
sociétés mères et filiales, qui permet d’éviter la double imposition des bénéfices d’un groupe
en exonérant les dividendes perçus par la société mère.
111 Article 238 A du CGI 112 OCDE, Principes de l’OCDE applicables en matière de prix de transfert à l’intention des entreprises multinationales et des administrations fiscales, 2010, p. 21
53
1) Le cas particulier des sociétés de personnes
124. –– Les sociétés de personnes désignent en droit privé une catégorie de sociétés
ayant un certain nombre de caractéristiques communes, notamment un caractère intuitu
personae fortement marqué, une responsabilité illimitée des associés au passif social et un
engagement de la société par les actes de son dirigeant strictement limité par l’objet social113.
L’originalité de ce type de société réside également dans une certaine liberté statutaire
concernant la gérance de l’entreprise, qui découle de la forte responsabilité qui pèse sur les
associés. Les sociétés de personnes s’opposent donc sur un certain nombre de points aux
sociétés de capitaux sur le plan du droit privé, ces dernières ne nécessitant pas une forte
implication de tous les associés.
125. Sur le plan du droit fiscal, ce type de société fait également l’objet d’un traitement
particulier. Deux questions peuvent alors se poser, l’une relative à l’imposition des bénéfices
de la société de personnes, l’autre concernant la plus-value en cas de cession des parts
sociales.
a) L’imposition des bénéfices de société de personnes
126. –– Les bénéfices des sociétés de personnes font l’objet d’un traitement fiscal
distinct des sociétés de capitaux : ce sont en principe les associés qui sont redevables de
l’impôt au titre des revenus perçus par la société de personnes, sauf si la société a opté pour
le régime des sociétés de capitaux, auquel cas elle sera soumise à l’impôt sur les sociétés. Ce
principe, qui gouverne l’imposition des sociétés de personnes, est celui de translucidité fiscale.
Il s’agit d’une construction jurisprudentielle opérée par le Conseil d’État, qui se fonde sur
l’article 8 du Code général des impôts. Ce texte prévoit que les associés sont
« personnellement soumis à l’impôt sur le revenu pour la part de bénéfices sociaux
correspondant à leurs droit dans la société », mais le Conseil d’État a estimé que cette mesure
ne contredisait pas le principe selon lequel les sociétés disposent d’une personnalité et d’un
patrimoine propre, distincts de ceux de ses associés, et par conséquent, que « le bénéfice net
imposable d’une de ces sociétés doit être arrêté à l’égard de la société notamment en ne
113 M.-H. MONSERIE-BON, « Synthèse 1270 : Sociétés de personnes », in J.-Cl. Notarial Formulaire, 2016
54
tenant compte que des charges déductibles qui sont des charges propres à celles-ci »114. Cette
décision a été renouvelée à plusieurs reprises et constitue une jurisprudence constante115.
127. –– Le principe de translucidité des sociétés de personne conduit donc à déterminer
l’impôt sur les bénéfices au niveau de la société, qui constitue un sujet d’imposition, mais
l’impôt ainsi déterminé sera payé par les associés en leur nom propre. Au niveau du droit
interne, ce principe fonctionne correctement et ne conduit pas nécessairement à une double
imposition des bénéfices, sous réserve de l’application du régime des sociétés mères et filiales
dans le cas où la société de personnes fait partie d’un groupe. Ce régime permet notamment
de faire remonter les déficits fiscaux d’une filiale au niveau de la société mère : si la filiale est
une société de personnes et qu’elle réalise une perte, alors cette perte pourra être considérée
comme une charge pour la société mère, en proportion de la part de droits sociaux que celle-
ci détient116. Cette forme sociale permet donc une économie d’impôts pour le groupe dans le
cas d’une filiale structurellement déficitaire, par exemple la filiale de recherche et
développement d’un groupe. Cette idée peut également être exploitée dans le cas inverse, à
savoir celui d’une société mère disposant de déficits reportables et d’une filiale bénéficiaire :
dans le cas d’une filiale société de personnes, les bénéfices pourront remonter vers la mère,
qui pourra alors utiliser ses déficits fiscaux, ces derniers ne pouvant être imputés que sur les
résultats propres de la société qui les a réalisés et seulement si elle n’a pas changé
d’activité117.
128. –– Toutefois, le principe de translucidité fiscale est propre au droit français et ne
se rencontre pas dans les autres droits nationaux, ce qui peut poser de sérieuses difficultés en
matière de fiscalité internationale. En effet, la plupart des autres États retiennent un régime
de transparence fiscale en matière de sociétés de personnes : selon ce principe, la société
n’aura pas de personnalité fiscale propre et ses associés seront taxés comme s’ils avaient agis
en lieu et place de la société, dans la proportion de leurs parts sociales. Un problème majeur
se pose alors lorsque l’associé et la société de personnes sont résidents fiscaux d’États
différents. Ainsi, plusieurs cas jurisprudentiels ont pu illustrer cette situation auprès du Conseil
114 CE, 15/12/1976, n° 94886, Lebon 1976 115 CE, 29/06/2001, Belmes, n° 223663, RJF, 10/2001, n° 1233, concl. S. AUSTRY ; Revue de droit bancaire et financier, n° 5, 2002, 212, note C. DAVID ; Petites affiches, n° 108, 2002, p. 20, note A. DE BISSY 116 J. SCHMIDT et al., Lamy Fiscal, 2017, n° 4598 117 J. TUROT et al., Lamy Optimisation fiscale de l’entreprise, 2014, n° 321-60
55
d’État, comme l’affaire Kingroup Inc.118 : il s’agissait d’une société canadienne qui détenait des
parts dans un GIE français, qui n’avait aucune activité commerciale en France mais qui
percevait des redevances de brevets. L’administration fiscale avait conclu que la société
canadienne devait être imposée à l’impôt sur les sociétés français au titre de la quote-part de
ses participations au sein du GIE. En effet, en vertu du principe de translucidité fiscale, l’impôt
est déterminé au niveau de la société de personnes, et la société canadienne en sera ensuite
redevable en tant qu’associé, ce qui a été confirmé par le Conseil d’État. Si cette situation peut
paraître acceptable du point de vue du droit interne, il l’est moins sur un plan global : le
Canada retenant le principe de transparence des sociétés de personnes, l’administration
canadienne a considéré que la société avait agi en lieu et place du GIE, dans la proportion de
sa participation. Cela conduisait à l’assujettir à l’impôt canadien sur les sociétés, conduisant à
une situation de double imposition économique : le revenu est imposé par la France au titre
du GIE et au Canada au nom de l’associé. Le cœur de cette difficulté découle de la divergence
entre les principes retenus par chaque État en matière d’imposition des sociétés de
personnes. La situation ne semble toutefois pas encline au changement sur ce point, le
principe de translucidité fiscale en matière de sociétés de personnes avec un associé étranger
ayant été réaffirmé par le Conseil d’État119.
129. –– Une autre question relative à la double imposition en matière de société de
personnes peut apparaître concernant le calcul de la plus-value constatée lors de la cession
des parts sociales.
b) L’imposition des cessions de titres de société de personnes
130. –– Une double imposition peut apparaître en matière de cession des parts sociales
d’une société de personnes. En effet, selon le régime fiscal de translucidité des sociétés de
personnes, les bénéfices de la société sont tous réputés distribués lors de l’assujettissement
à l’impôt : l’associé sera donc redevable de l’impôt sur l’ensemble de la quote-part des
bénéfices qui lui reviennent, même si ces derniers ne lui ont pas effectivement été distribués.
En pratique, les bénéfices des sociétés de personnes ne sont pas systématiquement distribués
118 CE, 04/04/1997, Société Kingroup Inc., n° 144211, RJF, 5/1997, n° 424, concl. F. LOLOUM ; Droit fiscal, n° 26, 1997, comm. 728 119 CE, 11/07/2011, Société Quality Invest, n° 317024, RJF, 2011, n° 1063 ; Droit fiscal, n° 36, 2011, comm. 496, note P. DEROUIN
56
et sont parfois même réinvestis dans l’entreprise, ce qui aura pour conséquence d’en accroître
la valeur. Ainsi, lorsque l’associé souhaitera céder les parts qu’il détient dans la société, la plus-
value qu’il dégagera sera taxée, et si aucun retraitement n’est effectué pour tenir compte des
distributions effectives ayant eu lieu par le passé, l’associé pourra être amené à supporter une
double charge fiscale sur les bénéfices qui ne lui ont pas été distribués. En effet, il aura payé
l’impôt relatif à ces bénéfices au cours de l’exercice qui les a vus naître, mais comme ces
sommes sont restées au sein de la société et qu’elles en accroissent la valeur, ce qui devrait
légitimement conduire à un prix de cession plus élevé, le cédant sera amené à payer une
seconde fois l’impôt sur ces bénéfices au titre de la plus-value.
131. –– Pour régler ce problème, le Conseil d’État a construit une méthode de calcul
particulière pour déterminer le prix de revient des parts sociales que l’on retiendra pour
calculer la plus-value lors d’une cession des titres de société de personnes. Cette solution a
été dégagée pour la première fois dans la décision Quémener120, dont l’objet visait notamment
à « assurer la neutralité de l’application de la loi fiscale compte tenu du régime spécifique »
des sociétés de personnes. Concernant le calcul prévu par le Conseil d’État pour obtenir le prix
de revient des parts sociales, il s’agit de considérer la valeur d’acquisition des parts, majorée
par la quote-part des bénéfices revenant à l’associé pendant la période de détention des parts
et par les pertes ayant été comblées par cette associé, puis minorée par les bénéfices ayant
donné lieu à répartition au profit de l’associé et par les déficits que cet associé a déduits
pendant la période de détention, « à l’exclusion de ceux qui trouvent leur origine dans une
disposition par laquelle le législateur a entendu conférer aux contribuables un avantage fiscal
définitif ». Il s’agit donc d’une méthode de calcul relativement compliquée, mais qui permet
de calculer la plus-value imposable lors de la cession des titres en tenant compte de la part
des bénéfices qui a effectivement été distribuée à l’associé. Dans une autre affaire, le Conseil
d’État est venu préciser que seuls les déficits « effectivement déduits » doivent venir en
diminution du prix d’acquisition, tout en ajoutant que ce retraitement vise effectivement à «
éviter toute double imposition ou double déduction »121. Ce procédé conduit ainsi à
120 CE, 16/02/2000, SA Etablissements Quémener, n° 133296, RJF, 3/2000, n° 334, concl. G. BACHELIER ; Droit fiscal, n° 14, 2000, comm. 283, note J. TUROT ; Bull. Joly Sociétés, n° 5, p. 535, note P. DEROUIN 121 CE, 15/12/2010, Ferreira d’Oliveira, n° 297513, Lebon 2010, p. 735 ; RJF, 5/2010, n° 280 ; Droit fiscal, n° 6, 2011, comm. 205, concl. N. ESCAUT
57
neutraliser les effets de la translucidité fiscale lors de la cession des parts sociales de la société
de personnes122.
132. –– Par la suite, ce mode de calcul a été élargi à la plus-value consécutive à une
transmission universelle de patrimoine123 : il s’agit d’un cas particulier où une société, qui
détient tous les titres d’une de ses filiales, choisit de dissoudre cette filiale et de récupérer
l’intégralité du patrimoine de cette dernière, sans qu’il y ait lieu de procéder à une
liquidation124. Dans une telle situation, si une plus-value est dégagée au cours de l’opération,
la société absorbante devra s’acquitter de l’impôt exigible. Dans le cas où la filiale absorbée
relève du régime fiscal des sociétés de personnes, le prix de revient des parts sociales, utilisé
pour établir la plus-value imposable, sera calculé selon le même mode que dans le cas d’une
cession, en vertu de la jurisprudence Quémener.
133. –– Plus récemment, le Conseil d’État est venu restreindre le recours à ce
retraitement fiscal dans le cas d’une transmission universelle de patrimoine, en le
subordonnant à une condition particulière : le cédant qui souhaite le mettre en œuvre doit
effectivement faire l’objet d’une double imposition. En effet, le Conseil d’État énonce que
cette règle « ne peut trouver à s’appliquer que pour éviter une double imposition de la société
qui réalise l’opération de dissolution »125. Dans cette affaire, des SARL possédaient des titres
de SA de droit luxembourgeois, qui détenaient des parts de SCI françaises. Après la
réévaluation des titres des SCI, les SARL procédèrent à la dissolution des SA avec transmission
universelle de patrimoine. Les SCI, désormais détenues par les SARL, ont alors procédé à la
réévaluation de la valeur de leur immeuble, dégageant ainsi des résultats bénéficiaires, cet
écart de réévaluation ayant été fiscalement appréhendé par les SARL, en vertu du régime fiscal
des sociétés de personnes. Enfin, les SARL ont procédé à la dissolution des SCI avec
transmission universelle de patrimoine, intégrant ainsi les immeubles à leur patrimoine. Elles
ont alors procédé à des corrections fiscales dans leur résultat, en réintégrant les résultats
122 J. TUROT et al., Lamy Optimisation fiscale de l’entreprise, 2014, n° 321-72 123 CE, 27/07/2015, SA Matériels Electriques Ascenseurs, n° 362025, RJF, 11/2015, n° 883, concl. É. BOKDAM-TOGNETTI ; Droit des sociétés, n° 12, 2015, comm. 224, note J.-L. PIERRE 124 Article 1844-5 du Code civil 125 CE, 06/07/2016, SARL Lupa Immobilière France et SARL Lupa Patrimoine France, n° 377904 et 377906, RJF, 11/2016, n° 982, concl. N. ESCAUT ; Les Nouvelles Fiscales, 2016, n° 1186 ; Droit fiscal, n° 39, 2016, comm. 514, note F. LUGAND
58
fiscaux des SCI, puis en déduisant une somme équivalente composée des résultats fiscaux
diminués des boni de confusion constatés lors de la transmission universelle de patrimoine :
ces corrections avaient conduit les SARL à constater une moins-value résultant de l’annulation
des titres de SCI, ce qui fut contesté par l’administration fiscale. Les SARL avaient alors invoqué
la double imposition économique des plus-values immobilières, résultant de l’imposition des
gains des SCI entre les mains des SA luxembourgeoises, ce qui justifiait le recours à ces
retraitements. Mais le Conseil d’État n’a pas suivi cette analyse, en estimant que les
corrections prévues par la jurisprudence Quémener, et applicables en matière de transmission
universelle de patrimoine, n’ont vocation à s’appliquer qu’en cas de double imposition
effective de la société absorbante, et non pas en cas de double imposition de la société
absorbante et d’une autre société (ici les SARL et les SA de droit luxembourgeois).
134. –– Cette décision vise ainsi à mettre en échec une certaine pratique de
restructuration au sein des groupes de sociétés, qui cherchaient à tirer profit de la
jurisprudence Quémener. En effet, cette dernière vise à éviter une double imposition au
niveau du cédant des titres, ou de la société absorbante, dans une optique de neutralité
fiscale ; en revanche, cette jurisprudence ne tend pas à la « neutralité économique », selon le
rapporteur public de la décision du 6 juillet 2016, et n’a donc pas vocation à éviter la double
imposition économique. Il apparaît ainsi à travers cet exemple que le droit interne n’est pas
en tant que tel opposé aux doubles impositions économiques, même s’il cherche parfois à les
éviter. Un autre outil pour lutter contre ce phénomène réside dans le régime des sociétés
mères et filiales.
2) Le régime des sociétés mères et filiales
135. –– L’un des premiers problèmes fiscaux qui peut apparaître au sein d’un groupe de
sociétés est relatif aux bénéfices distribués par les filiales du groupe. En effet, lorsqu’une
société réalise un bénéfice, elle devra s’acquitter de l’impôt relatif à ces profits avant de
procéder à une distribution de dividendes. Une double imposition économique pourra alors
apparaître lorsque ces bénéfices seront distribués à une autre société, qui sera généralement
la société mère du groupe : ces bénéfices ayant déjà été taxés au niveau du résultat de la
filiale, ils le seront une seconde fois au niveau du compte de résultat de la société mère, les
dividendes y étant intégrés en tant que produits. Ainsi, en l’absence de tout mécanisme de
59
correction, les bénéfices des filiales se verraient doublement imposés lorsqu’ils remontent
sous forme de dividendes vers la société mère.
136. –– Le phénomène n’est d’ailleurs pas propre aux groupes de sociétés, car il peut
aussi concerner les personnes physiques. En effet, lorsqu’un individu perçoit des dividendes
d’une personne morale assujettie à l’impôt sur les sociétés, il devra déclarer cette distribution
au sein de ses revenus, et celle-ci sera alors imposée à l’impôt sur le revenu126. Mais pour tenir
compte du fait que ces bénéfices ont déjà été soumis à l’impôt au niveau du résultat de la
société distributrice, la loi prévoit un abattement de 40 % sur les revenus distribués suite à
une « décision régulière des organes compétents »127. Ce mécanisme permet d’éviter une
double imposition entre la société distributrice et l’actionnaire personne physique.
137. –– Un processus analogue a été imaginé pour permettre d’éviter cette double
imposition économique dans le cas où l’actionnaire est une autre société : c’est ainsi qu’est
né le régime des sociétés mères et filiales128. Il s’agit d’un régime spécial, applicable aux
sociétés qui détiennent des parts dans une société distributrice de dividendes lorsqu’elles
répondent à certaines conditions. Selon l’article 145 du Code général des impôts, la société
détentrice des titres doit détenir « au moins 5 % du capital de la société émettrice », en pleine
propriété ou en nue-propriété : ce taux de détention s’apprécie à la date de mise en paiement
des dividendes. Par ailleurs, les titres doivent être conservés pendant un délai d’au moins deux
ans : ce régime fiscal s’inscrit donc dans une optique de conservation des titres à long terme,
ce qui correspond à la logique des groupes de sociétés. Toutefois, selon la doctrine écrite de
l’administration fiscale, « tous les produits des titres de participations peuvent bénéficier de
l’exonération dès la première année de détention »129 : cela signifie que le régime des sociétés
mères et filiales pourra s’appliquer dès l’acquisition des titres, mais concernant les deux
premières années, le bénéfice de l’exonération n’est pas définitivement acquis et devra être
remboursé si les titres sont cédés avant l’expiration du délai de deux ans.
138. –– Selon l’article 216 du Code général des impôts, lorsque les conditions du régime
des sociétés mères et filiales sont réunies, les dividendes concernés sont exonérés d’impôt au
niveau de la société mère : ils « peuvent être retranchés du bénéfice net total de celle-ci,
126 Article 158 du CGI 127 Administration fiscale, BOFiP, BOI-RPPM-RCM-20-10-30-10-20160711, § 1 128 Articles 145 et 216 du CGI 129 Administration fiscale, BOFiP, BOI-IS-BASE-10-10-10-20-20161005, § 220
60
défalcation faite d’une quote-part de frais et charges »130. Il faudra ainsi procéder à la
réintégration de cette quote-part, pour un montant égal à 5 % du produit total des
participations, crédit d’impôt compris. Le législateur considère que ce régime relève d’une
exonération d’impôt, malgré la quote-part de frais et charges, ce qui élimine toute possibilité
de crédit d’impôt en matière de fiscalité internationale.
139. –– La question de l’imposition des dividendes versés par une filiale à sa mère a
également été appréhendée par le droit européen à partir de 1990, au travers de plusieurs
directives : la dernière en date, actuellement en vigueur, date du 30 novembre 2011 et a
contribué à la consolidation des précédentes131. Cette directive prévoit notamment deux
règles relatives aux distributions de dividendes d’une filiale vers sa société mère : d’une part,
la double imposition économique qui pourrait en résulter doit être éliminée, soit par un
mécanisme d’exonération des dividendes, soit par imputation de l’impôt payé par la filiale et
afférant à ses bénéfices ; d’autre part, cette distribution de dividende ne doit faire l’objet
d’aucune retenue à la source. Ces dispositions ont été transposées en droit interne, ce qui a
notamment amené à adapter le régime des sociétés mères et filiales des articles 145 et 216
du Code général des impôts, le mécanisme retenu par le droit français pour éviter la double
imposition étant le premier proposé par la directive, à savoir l’exonération des dividendes
versés132. La jurisprudence récente du Conseil constitutionnel a également conduit à adapter
les conditions relatives à la détention des titres de la filiale par la société mère pour appliquer
ce régime spécial. En effet, la loi française prévoyait auparavant une détention minimale de
titres correspondant à 5 % du capital et à 5 % des droits de vote pour une durée de deux ans,
alors que la directive européenne ne prévoyait qu’une détention en capital, sans mentionner
les droits de vote. Le Conseil constitutionnel a alors estimé que cette différence de traitement
entre les filiales françaises et les autres filiales européennes constituait une rupture du
principe d’égalité devant les charges publiques, qui n’était pas justifiée par un principe
d’intérêt général133. Ainsi, il n’est aujourd’hui plus question que d’une détention en capital
pour l’application du régime des sociétés mères et filiales, même dans une configuration
130 Article 216 du CGI 131 Directive 2011/96/UE du Conseil du 30/11/2011 132 B. CASTAGNEDE, Précis de fiscalité internationale, 5e édition, 2015, 396. 133 C. const., 03/02/2016, Société Metro Holding France SA, n° 2015-520 QPC, RJF, 4/2016, n° 366 ; JCP E, n° 6, 2016, act. 148
61
purement interne. On pourra d’ailleurs noter qu’il s’agit de la première décision du Conseil
constitutionnel qui se fonde sur une source de droit européenne pour prendre position au
sujet du principe d’égalité devant les charges publiques134.
140. –– Le droit européen est également venu apporter une limite au régime mère et
filiale au travers d’une directive de 2015135 : il s’agit d’une mesure anti-abus visant à limiter
les tentations pour les entreprises de s’organiser en groupe dans une optique purement
fiscale. Cette règle se traduit par le fait que « les États membres n’accordent pas les avantages
du régime mère-fille à un montage ou à une série de montages » mis en place afin d’obtenir
un avantage fiscal contraire à la finalité du régime ou injustifié au vu des circonstances136. La
logique de cette mesure rejoint la théorie des abus de droit, qui vise à sanctionner les actes
fictifs ou ceux ayant uniquement vocation à obtenir un avantage fiscal injustifié137.
141. –– Lorsqu’on a un groupe de sociétés fortement intégrées, c’est-à-dire lorsque la
société mère détient directement au moins 95 % du capital de ses filiales, il est possible d’avoir
recours au régime particulier de l’intégration fiscale138. Pour être éligible à ce régime, la
société mère ne doit pas elle-même être détenue à 95 %, directement ou indirectement, par
une autre personne morale soumise à l’impôt sur les sociétés. Si ces conditions sont réunies,
alors la société mère peut demander une option pour que soit appliqué le régime d’intégration
fiscale, après que les filiales aient exprimé leur accord pour être intégrées au groupe139. Ce
régime consiste à calculer un résultat fiscal consolidé au sein du groupe, qui donnera lieu à
l’établissement d’un unique impôt sur les sociétés dont sera redevable la société mère du
groupe140. Ce dispositif permet ainsi d’assurer une certaine neutralité fiscale à l’égard des
groupes de sociétés et évite notamment toute forme de double imposition économique.
Toutefois, les conditions nécessaires pour le mettre en œuvre, en particulier celle relative à la
détention à 95 % des filiales par la société mère, ont tendance à limiter le recours à ce
mécanisme.
134 A. JAUREGUIBERRY, « La discrimination à rebours devant le juge national », RTD eur., n° 1, 2017, p. 39 135 Directive 2015/121/UE du Conseil du 27/01/2015 136 B. CASTAGNEDE, Précis de fiscalité internationale, 5e édition, 2015, 496. 137 Article L64 du LPF 138 Article 223 A du CGI 139 Administration fiscale, BOFiP, BOI-IS-GPE-20160302, § 30 140 Ibid.
62
142. –– Si le législateur a prévu certaines mesures pour éviter les doubles impositions
économiques, il en existe également d’autres qui ont pour objet l’encadrement des activités
et des flux financiers internes aux groupes de sociétés.
B –– Les mesures encadrant l’activité des groupes de sociétés
143. –– Malgré leur tendance à l’intégration de leurs activités économiques, les
différentes sociétés d’un groupe n’en demeurent pas moins des personnes juridiques
distinctes. Il convient donc de s’assurer que leurs personnalités fiscales propres sont bien
respectées, notamment dans un contexte international où certaines sociétés du groupe
peuvent être soumises à une fiscalité particulièrement avantageuse. C’est la raison pour
laquelle la loi fiscale accorde une attention particulière aux abandons de créances au sein d’un
groupe de sociétés, ainsi qu’à la question des prix de transfert entre ces sociétés.
1) Les abandons de créances
144. –– Lorsqu’une filiale réalise des pertes et qu’elle a des dettes envers sa société
mère, celle-ci peut être tentée d’abandonner les créances qu’elle détient sur sa filiale. D’un
point de vue comptable, cela aura notamment pour effet de faire remonter les pertes de la
filiale dans les comptes de la société mère, ce qui réduirait alors son résultat imposable. Mais
les sociétés du groupe étant des sujets d’impositions distincts, le droit fiscal ne saurait
admettre la possibilité générale et absolue pour une société mère de récupérer les déficits de
ses filiales. C’est pourquoi la loi fiscale est venue règlementer les abandons de créances d’une
société envers une autre, sans pour autant les interdire systématiquement. En réalité, si les
abandons de créances sont toujours possibles en comptabilité, le droit fiscal subordonnera la
déductibilité de la créance abandonnée pour la société qui la consent à certaines conditions,
de même que l’imposition du gain corrélatif auprès de la société qui en bénéficie.
145. –– Selon l’administration fiscale, l’abandon d’une créance est « la renonciation par
une entreprise à exercer les droits que lui confère l’existence d’une créance »141. Selon la
141 Administration fiscale, BOFiP, BOI-BIC-BASE-50-10-20130129, § 1
63
jurisprudence du Conseil d’État, deux conditions doivent être réunies pour qualifier un
abandon de créance : d’une part, la créance et la dette correspondante doivent avoir été
comptabilisées, chacune au sein de l’entreprise en question, pour un même montant ; d’autre
part, l’entreprise qui consent l’abandon doit comptabiliser une perte correspondant au
montant de la créance, de la même manière que l’entreprise débitrice comptabilisera un
produit de même montant. Lorsque l’abandon de créance est caractérisé, il faudra alors
déterminer s’il s’inscrit dans le cadre d’une gestion normal de la société : il s’agira d’une
condition générale de déductibilité de la créance pour la société qui consent l’abandon. Cette
exigence émane de la théorie de l’acte anormal de gestion, consacré par la jurisprudence du
Conseil d’État142 : si chaque dirigeant est libre de mener la gestion de son entreprise comme
il le souhaite, en vertu du principe de liberté du commerce et de l’industrie, ses décisions
doivent toujours être dans l’intérêt de son entreprise. Dans le cas contraire, il s’agira d’un acte
anormal de gestion, qui contreviendra à l’intérêt de l’exploitation et qui entraînera des
conséquences fiscales : une charge émanant d’un acte anormal de gestion ne saurait être
déductible fiscalement. Le caractère normal de la gestion pourra être appréhendé de manière
large et ne se cantonnera pas nécessairement à une contrepartie financière pour l’entreprise :
par exemple, dans un arrêt récent, le Conseil d’État a estimé qu’une absence de rémunération
pour une concession de licence ne constitue pas un acte anormal de gestion s’il est justifié par
la préservation d’un actif, en l’occurrence la valorisation d’une marque143. Ainsi, si l’abandon
de créance revêt le caractère d’un acte anormal de gestion, la perte pour l’entreprise qui le
consent ne sera pas déductible, ce qui conduira à une double imposition économique : le
montant de la créance ne sera pas déduit et sera donc imposé auprès de la société qui a
consenti l’abandon, et le produit correspondant sera tout de même constaté auprès de la
société débitrice, ce qui conduira à imposer une seconde fois ce même montant. Par ailleurs,
la créance abandonnée ne devra pas constituer « un élément du prix de revient d’une
participation dans une autre société » pour être déductible144.
142 CE, 07/07/1958, n° 35977, sur la première définition de l’acte anormal de gestion 143 CE, 16/06/2016, n° 371258, RJF, 5/2016, n° 403, concl. A. BRETONNEAU ; Droit fiscal, 2016, n° 24, comm. 374, note F. TEPER 144 CE, 15/10/1982, n° 26585, Lebon 1982 ; RJF, 12/1982, n° 1090 ; Droit fiscal, n° 15, 1983, comm. 754, concl. P. RIVIÈRE
64
146. –– Si l’abandon de créance satisfait aux exigences de gestion normale de
l’entreprise, alors sa déductibilité pour la société qui le consent dépendra du caractère de la
créance, selon qu’il soit commercial ou financier :
Dans le cas d’une créance à caractère commercial, c’est-à-dire qui trouve son origine
dans des relations commerciales entre les entreprises, l’abandon sera déductible
auprès de la société qui le consent : elle pourra retenir l’intégralité du montant de la
créance au sein de ses charges déductibles145. Il importe peu que les sociétés soient
du même groupe ou non pour l’application de cette règle. Par ailleurs, lorsque
l’abandon de créance à caractère commerciale est consentie à une entreprise dans
le cadre d’un plan de sauvegarde ou de redressement, il sera déductible en toute
hypothèse146 ;
Dans le cas d’une créance à caractère financier, c’est-à-dire qui ne trouve pas son
origine dans des relations commerciales entre les entreprises, le principe sera la non-
déductibilité de l’abandon de créance. Il existe toutefois quelques exceptions,
notamment lorsque l’entreprise débitrice présente des difficultés de paiement ou
qu’un accord, constaté ou homologué, a été conclu, ou encore que l’entreprise fait
l’objet d’une procédure collective147.
147. –– Concernant le traitement de l’abandon de créance auprès de l’entreprise qui en
bénéficie, il s’agira d’un produit qui devra être intégré en tant que tel dans le compte de
résultat148 : ce régime trouvera à s’appliquer tant en matière de créance à caractère
commercial que financier, et indépendamment de la déductibilité de l’abandon auprès de la
société qui le consent. Une exception pourra toutefois apparaître lorsque la société débitrice
est une filiale de la société qui détient la créance au sens de l’article 145 du Code général des
impôts149. Dans ce cas, selon l’article 216 A du même code, le produit issu de l’abandon d’une
créance à caractère financier pourra être exonéré d’impôt, pour sa fraction non déductible
des résultats imposables de la société mère, à condition que la filiale prenne « l’engagement
145 CE, 27/11/1981, n° 16814, RJF, 1982, n° 7, concl. J.-F. VERNY ; Droit fiscal, n° 31, 1982, comm. 1630 146 Article 39, 1., 8° du CGI 147 Administration fiscale, BOFiP, BOI-BIC-BASE-50-20-10-20130129, § 63 et s. 148 Articles 38, 2. et 209, I. du CGI 149 La société mère sera considérée comme telle si elle détient au moins 5 % du capital de sa filiale, pour une durée d’au moins deux ans (article 145 du CGI)
65
d’augmenter son capital au profit de la société qui consent l’abandon pour un montant
équivalent avant la clôture du second exercice suivant »150. Ce mécanisme permet alors
d’éviter l’imposition de l’abandon de créance et de convertir celle-ci en capital.
148. –– La question des abandons de créances se posent également en matière de
fiscalité internationale, concernant les succursales de sociétés françaises. En effet, les
établissements stables et les entreprises exploitées à l’étranger sont fiscalement
indépendants de l’opérateur français qui les possède. Pendant longtemps, la jurisprudence
s’est opposée à la déductibilité d’un abandon de créance consentie à une filiale ou une
succursale, en vertu du principe de territorialité de l’impôt sur les sociétés et des principes
relatifs à la déductibilité fiscale des charges d’exploitation151. Cette position a longtemps été
celle du Conseil d’État, qui l’a formalisée dans une décision de 1972152. Mais par la suite, le
Conseil a modéré sa position. Dans deux décisions, il indique qu’il n’y a pas lieu de tenir
compte des variations d’actifs nets imputables à l’activité de la succursale pour établir le
résultat imposable de la société mère. Toutefois, cette dernière pourra déduire de son résultat
les pertes subies ou régulièrement provisionnées si elles résultent d’aides apportées à la
succursale dans le cadre de relations commerciales favorisant le maintien ou le
développement des activités en France de la société mère153. Le Conseil d’État est donc venu
rappeler le principe général de quasi-personnalité fiscale de la succursale installée à
l’étranger, tout en admettant une exception lorsque la société française aide sa succursale
afin de sauvegarder ses propres intérêts en France. Toutefois, il faudra que l’entreprise
exploitée à l’étranger ait effectivement besoin de l’aide procurée par l’abandon de créance
pour qu’il soit déductible154.
149. –– Le régime des abandons de créance et ses conditions particulièrement strictes
peuvent entraîner des doubles impositions économiques lorsque la déduction de l’abandon
est refusée. Ce phénomène se produira notamment en cas d’acte anormal de gestion ou
150 Administration fiscale, BOFiP, BOI-IS-BASE-10-10-30-20160504, § 10 151 B. CASTAGNEDE, Précis de fiscalité internationale, 5e édition, 2015, 493. 152 CE, 25/10/1972, n° 81999 et 82309, Lebon 1972 ; Droit fiscal, n° 22, 1973, comm. 843, concl. L. MEHL 153 CE, 16/05/2016, Société Télécoise, n° 222956, RJF, 7/2003, n° 823, note L. OLLÉON ; Droit fiscal, n° 30-35, 2003, comm. 582, concl. M.-H. MITJAVILE, et CE, 04/12/2013, Société Kepler Equities, n° 355694, RJF, 3/2014, n° 228 ; BDCF, 3/2014, n° 32, concl. V. DAUMAS ; Droit fiscal, n° 30, 2014, comm. 465, note P. LEGENTIL 154 CE, 11/04/2008, SA Guerlain, n° 281033, Lebon 2008 ; RJF, 7/2008, n° 788, concl. C. VERNOT ; Droit fiscal, n° 18, 2008, comm. 302, note M. TALY
66
lorsqu’une société mère cherche à faire remonter les déficits de ses filiales dans son propre
résultat, ce qui va à l’encontre de nombreuses règles fiscales : la double imposition qui pourra
en résulter pourra alors s’analyser comme une forme de sanction, visant à encadrer les
pratiques des entreprises. Un régime analogue se retrouve dans le cas des prix de transfert.
2) Les prix de transfert
150. –– En matière de groupes internationaux, un des enjeux majeurs pour les
administrations fiscales réside dans le risque de délocalisation de bénéfices dans des pays à
fiscalité plus attractive, dans une optique d’optimisation fiscale. C’est pourquoi la loi porte
une attention particulière aux prix de transfert, c’est-à-dire « les prix auxquels une entreprise
transfère des biens corporels, des actifs incorporels, ou rend des services à des entreprises
associées »155. Il s’agit donc plus simplement des prix des transactions qui ont lieu entre les
différentes entreprises d’un groupe. Deux conditions doivent donc être réunies pour
caractériser un prix de transfert : des transactions intragroupes et le passage d’une
frontière156.
151. –– Lorsque les entreprises d’un groupe fixent leurs prix de transfert, cette décision
va directement affecter la répartition des bénéfices du groupe entre les différentes
entreprises qui en font partie, ce qui impactera l’assiette de l’impôt de chaque État concerné
par ces transactions. Si aucun contrôle n’était effectué par les États sur les prix des
transactions, il serait alors possible pour les entreprises de concentrer leurs bénéfices dans les
États de leur choix, qui se révéleraient souvent être des États à fiscalité privilégiée, c’est-à-dire
où l’imposition est inférieure à la moitié de l’impôt qui aurait été payé en France pour les
mêmes opérations157. Pour éviter ces dérives, les prix de transfert doivent être encadrés et
contrôlés, c’est pourquoi les États ont mis au point un certain nombre de méthodes pour
vérifier le montant des prix de transfert lors d’opérations intragroupes. Ces techniques de
vérification se fondent généralement sur le principe de pleine concurrence, qui constitue une
forme de consensus au sein des pays de l’OCDE158. Selon ce principe relativement simple dans
155 OCDE, Principes de l’OCDE applicables en matière de prix de transfert à l’intention des entreprises multinationales et des administrations fiscales, 2010, p. 19 156 Administration fiscale, BOFiP, BOI-BIC-BASE-80-10-10-20140218, § 1 157 Article 238 A du CGI 158 B. CASTAGNEDE, Précis de fiscalité internationale, 5e édition, 2015, 74.
67
son énoncé, les prix pratiqués lors d’opérations entre les entreprises d’un même groupe
doivent être les mêmes que si ces transactions avaient été effectuées entre des entreprises
indépendantes. Ainsi, les prix pratiqués doivent être justes et fidèles au fonctionnement du
marché en pleine concurrence, et ne sauraient être différents sous le seul prétexte que les
entreprises contractantes soient associées ou qu’elles appartiennent au même groupe. Le
principe de libre concurrence est d’ailleurs présent à l’article 9 du modèle de convention
fiscale de l’OCDE, qui prévoit la possibilité pour les administrations fiscales de corriger des prix
de transfert qui ne respecteraient pas ces règles159. En France, cette règle est établie par
l’article 57 du Code général des impôts, qui permet à l’administration d’imposer les bénéfices
transférés à l’étranger.
152. –– Lorsque le prix de transfert pratiqué par un groupe est jugé contraire au principe
de pleine concurrence par une administration fiscale, un risque de double imposition
économique apparaît alors. En effet, le prix pratiqué pourra être redressé s’il est jugé
insuffisant ou trop élevé, ce qui provoquera une double imposition si le redressement n’est
« pas assorti d’un ajustement corrélatif effectué par l’administration fiscale où est établie
l’autre entreprise partie à la transaction concernée »160. Si cette double imposition peut
apparaître pour certains comme la juste peine encourue par les groupes internationaux qui
cherchent une optimisation fiscale à tout prix, elle constitue davantage un risque de surcharge
fiscale de nature à entraver les échanges internationaux et les activités des entreprises. Les
méthodes découlant du principe de pleine concurrence ne relèvent pas d’une science exacte,
ce qui implique qu’un groupe de sociétés peut voir ses prix de transfert redressés alors même
qu’il n’a jamais souhaité soustraire une part de ses bénéfices à l’impôt. Pour éviter le risque
de redressement et de double imposition, les travaux de l’OCDE ont aboutis à la possibilité
d’un accord préalable de l’administration fiscale sur le calcul d’un prix de transfert, qui a été
reprise par la plupart des États membres. En France, la procédure relève du rescrit fiscal161 et
peut porter soit sur un accord unilatéral162, c’est-à-dire liant uniquement l’entreprise et
159 OCDE, Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune – Version abrégée, 9e édition, 2014, p. 30 160 B. CASTAGNEDE, Précis de fiscalité internationale, 5e édition, 2015, 91. 161 Article L80 B du CGI 162 Administration fiscale, BOFiP, BOI-SJ-RES-20-20-20170201
68
l’administration fiscale française, soit sur un accord bilatéral163, c’est-à-dire conclu entre les
administrations fiscales des deux États concernés par le prix de transfert.
153. –– Comme l’application du droit interne peut parfois donner lieu à des doubles
impositions économiques en matière de groupes de sociétés, les conventions fiscales
internationales cherchent à éviter de telles situations. Toutefois, celles-ci sont parfois loin
d’être suffisantes.
§2 –– Des conventions fiscales imparfaites
154. –– Lorsqu’une double imposition économique se produit dans un contexte
purement national, le seul recours possible pour les contribuables consistera à saisir le juge
de l’impôt afin de faire valoir leurs droits, sur le fondement du seul droit interne. Mais en
matière internationale, il est également possible d’avoir recours aux conventions fiscales :
celles-ci ont en effet généralement pour objet d’éviter les doubles impositions, économiques
tout comme juridiques. Toutefois, ces conventions sont souvent imparfaites, et elles
rencontrent de sérieuses limites, surtout en matière de doubles impositions économiques. Si
les travaux l’OCDE ont parfois permis une certaine harmonisation des notions fiscales au sein
des États, il demeure encore de nombreuses divergences de conception, qui laissent subsister
un risque de double imposition.
A –– Une volonté d’harmonisation ?
155. –– En matière internationale, les doubles impositions économiques résultent
généralement de divergences de la part des États sur les règles applicables aux opérateurs
économiques. C’est pourquoi, au travers de ses nombreux travaux sur la question, l’OCDE a
cherché mettre en place une certaine forme d’harmonisation sur des notions fiscales
fondamentales, susceptibles d’affecter directement l’imposition des groupes de sociétés. Cet
effort a notamment été mené par le biais du modèle de convention publié par
163 Administration fiscale, BOFiP, BOI-SJ-RES-20-10-20170201
69
l’organisation164, mais également au travers de rapports portant sur des points plus précis,
comme la question des prix de transfert, ou encore l’application des conventions fiscales aux
sociétés de personnes.
156. –– Les travaux de l’OCDE relatifs aux prix de transfert165 constituent un exemple
intéressant, car il traduit une volonté d’harmonisation qui s’est concrétisée, donnant lieu à un
certain consensus. En effet, les méthodes de détermination du juste prix de transfert fondées
sur le principe de pleine concurrence, appliquées à l’heure actuelle par la majorité des États,
découlent directement du travail effectué par l’OCDE. L’article 9 du modèle de convention
fiscale de l’organisation prévoit ainsi explicitement la possibilité pour l’administration fiscale
d’un État signataire d’imposer les bénéfices qui lui échapperaient en raison d’un prix de
transfert anormalement bas ou élevé. La possibilité pour une entreprise de conclure un accord
préalable relatif au montant des prix de transfert avec l’administration fiscale résulte
également des propositions de l’OCDE qui ont été suivies par les États.
157. –– Le principe de pleine concurrence présente toutefois certaines limites face aux
pratiques d’optimisation fiscale des entreprises, c’est pourquoi on a pu envisager l’idée d’une
« taxation unitaire », c’est-à-dire une méthode consistant à « répartit les bénéfices globaux
d’un groupe multinational entre ses entités implantées dans différents pays au moyen d’une
formule prédéterminée »166. Mais cette solution a été systématiquement écartée par l’OCDE,
qui la juge « extrêmement complexe sur le plan politique et administratif », et trop peu
réaliste dans le domaine de la fiscalité internationale167. En réalité, une telle méthode
nécessiterait une véritable coopération internationale, que les États ont tendance à voir
comme une atteinte à leur souveraineté en matière fiscale. L’OCDE doit donc tenir compte
des réticences des États dans ses travaux, ce qui permet à certaines divergences de conception
de subsister.
164 OCDE, Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune – Version abrégée, 9e édition, 2014 165 Id., Principes de l’OCDE applicables en matière de prix de transfert à l’intention des entreprises multinationales et des administrations fiscales, 2010 166 B. CASTAGNEDE, Précis de fiscalité internationale, 5e édition, 2015, 77. 167 OCDE, Principes de l’OCDE applicables en matière de prix de transfert à l’intention des entreprises multinationales et des administrations fiscales, 2010, p. 41
70
B –– Des divergences de conception
158. –– Malgré une certaine volonté d’harmonisation, qui transparait notamment des
travaux de l’OCDE, de profondes divergences peuvent exister sur certaines notions entre les
États, même s’ils sont signataires d’une convention fiscale suivant le modèle de l’OCDE. Ce
phénomène peut donc mener à des situations de double imposition économique en cas de
conflit de qualification d’une même situation entre deux États.
159. –– Le problème se pose notamment pour les sociétés de personne. Le traitement
fiscal particulier dont elles font l’objet en droit interne ayant déjà été évoqué168, nous nous
concentrerons ici sur la question l’application des conventions fiscales aux sociétés de
personnes. En effet, selon qu’elle soit considérée comme un sujet d’imposition (translucidité
fiscale) ou non (transparence fiscale), elle ne sera pas nécessairement considérée comme
résident fiscal d’un État partie à la convention : une société transparente, dépourvue de toute
personnalité fiscale, ne sera donc généralement pas éligible à l’application d’une convention
fiscale. L’OCDE avait perçu cette difficulté assez tôt, ce qui la conduisit à publier des
propositions de solutions pour trancher la question de l’application des conventions fiscales
aux sociétés de personnes169. Toutefois, les méthodes proposées ne sont pas directement
intégrées aux conventions fiscales et ne présentent donc aucun caractère contraignant : ainsi,
la France a signé assez peu de conventions traitant, directement ou implicitement, du cas des
sociétés de personnes170. Par ailleurs, les solutions de l’OCDE se fondent pour la plupart sur
les notions relatives au droit interne de chaque État, ce qui n’élimine pas le risque de
divergence d’interprétation sur l’application de la convention.
160. –– Si la France retient généralement le principe de translucidité fiscale des sociétés
de personnes, le Conseil d’État a pu parfois faire application du principe de transparence dans
des cas de fiscalité internationale. Cela a notamment été le cas dans l’affaire Diebold
Courtage171, qui concernait une société de personnes néerlandaise, fiscalement transparente,
168 Voir supra n° 124. et s. 169 OCDE, L’Application du modèle de Convention fiscale de l’OCDE aux sociétés de personnes, 1999 170 Parmi les conventions fiscales signées par la France qui traitent des sociétés de personnes, nous pouvons citer celles conclues avec l’Allemagne, l’Italie, le Luxembourg, l’Autriche la Belgique et la Suisse 171 CE, 13/10/1999, Diebold Courtage, n° 191191, Lebon 1999 ; RJF, 12/1999, n° 1492 ; Droit fiscal, n° 52, 1999, comm. 948, concl. G. BACHELIER, note C. ACARD ; Bull. Joly Sociétés, n° 10, 2000, p. 54
71
qui percevait des redevances d’origine française et dont les associés résidaient aux Pays-Bas.
Le juge de l’impôt a alors accepté de rechercher si les associés de la société avaient la qualité
de résident fiscal des Pays-Bas et de leur appliquer le régime prévue par la convention franco-
néerlandaise. Ainsi, dans le cas particulier des revenus passifs, tels que les dividendes ou les
redevances, le Conseil d’État accepte de retenir le principe de transparence fiscal pour les
sociétés de personnes étrangères, alors qu’il applique généralement le principe de
translucidité pour ces entités. La jurisprudence du juge de l’impôt français montre donc que
l’application des dispositions des conventions dépend en réalité de chaque État et de ses
concepts juridiques.
161. –– Le problème d’une divergence de conception peut également se poser en
matière de reconnaissance d’établissement stable par les administrations fiscales des États
parties à la convention. L’administration française a par exemple pu estimer que la filiale
française d’un groupe britannique, détenue à 100 % par la maison mère et qui avait le statut
de commissionnaire, constituait en réalité un établissement stable de la société britannique
au sens de la convention signée avec le Royaume-Uni ; le Conseil d’État n’a toutefois pas suivi
le raisonnement de l’administration en estimant qu’un réel commissionnaire ne pouvait
donner lieu à une qualification d’établissement stable172. Lorsqu’un État partie à la convention
qualifie une situation d’établissement stable alors que l’autre État signataire ne retient pas
cette qualification, une double imposition économique pourra apparaître : une partie des
bénéfices risquent d’être taxés par l’État qui considère qu’il existe un établissement stable, et
ils seront également taxés au nom de l’opérateur économique résident dans l’autre État.
162. –– La possibilité de telles divergences résulte d’une absence d’harmonisation sur
de nombreux concepts fiscaux fondamentaux entre les différents États. Les conventions
fiscales fixent un certain nombre de règles, mais celles-ci seront toujours interprétées par
l’administration fiscale ou le juge de l’impôt d’un des États signataires, qui appréhendera les
notions de la convention à l’aune de ses concepts et de sa culture juridique nationale. Les
divergences de conception qui peuvent alors apparaître constituent un risque majeur de
172 CE, 31/10/2010, Société Zimmer, n° 304715 et n° 308525, RJF, 2010, n° 568 ; Droit des sociétés, n° 7, 2010, comm. 153, note J.-L. PIERRE ; Droit fiscal, n° 16, 2010, comm. 289, concl. J. BURGUBURU, note É. RIVIÈRE, P. ESCAUT et É. BONNEAUD ; JCP E, 2010, 1433
72
double imposition économique en matière internationale. Une solution possible à cette
situation consisterait en un accord entre les États qui définirait un certain nombre de concepts
fondamentaux, ou encore en l’existence d’une autorité supranationale chargée d’interpréter
les conventions fiscales en vigueur. Mais cette idée demeure très peu réaliste à l’heure
actuelle, où les États sont toujours extrêmement attachés à leur souveraineté fiscale.
163. –– Si les groupes de sociétés constituent une grande source de double imposition
économique, la question se pose également dans le cas particulier de la simulation. Si la
double imposition apparaît ici davantage hypothétique, son étude paraît tout de même
nécessaire.
Section II
DOUBLE IMPOSITION ÉCONOMIQUE ET SIMULATION
164. –– La notion de simulation désigne un type particulier de situation, qui intéresse
en premier lieu le droit privé. L’intérêt du droit fiscal pour la question est apparu par la suite,
du fait que l’on rencontre principalement ce type d’agissement auprès de contribuables
souhaitant échapper à l’impôt. La simulation désigne, en droit civil, la situation où « une
apparence est volontairement créée pour induire en erreur les tiers, qui ne connaîtront
qu’exceptionnellement la réalité »173. Plus concrètement, une simulation se manifestera le
plus souvent par la coexistence de deux actes juridiques, ou du moins de deux situations de
droit : l’une sera ostensible, présentée au tiers comme étant réelle, et l’autre sera gardée
secrète, car elle reflétera la véritable volonté des parties. Les situations pouvant donner lieu
à des simulations sont extrêmement nombreuses : il pourra s’agir de la création d’une société
fictive, au déguisement d’une donation en vente pour alléger la charge fiscale de l’opération,
en passant par l’interposition de personne au travers d’une convention de prête-nom.
165. –– Malgré le grand nombre de simulations possibles, la réalité nous montre que
dans de nombreux cas, l’opération est réalisée dans une optique purement fiscale : le tiers
que les parties à l’acte simulé cherchent à duper n’est autre que l’administration. C’est la
173 M. STORCK, « Article 1321 – Fasc. unique : Contrats et obligations – Preuve littérale – Théorie des contre-lettres – Simulation », in J.-Cl. Civil Code, 2016, 1.
73
raison pour laquelle le droit fiscal a dû se pencher très tôt sur ce phénomène, pour
l’appréhender dans une dimension particulière, tout en se fondant sur la définition donnée
par le droit privé. Le juge de l’impôt a également été amené à créer un dispositif particulier
pour lutter contre les simulations visant à éviter ou diminuer l’impôt, à savoir l’abus de droit :
la notion a d’abord été imaginée par la Cour de cassation au XIXe siècle, puis elle a été reprise
par le Conseil d’État174. Le dispositif a ensuite été consacré par le législateur, qui a instauré
une procédure particulière visant à réprimer les abus de droit175.
166. –– Le lien entre la simulation et la double imposition économique réside dans la
coexistence entre deux situations juridiques, à savoir celle issue de l’acte ostensible et celle
issue de l’acte secret : on aura donc une situation apparente et une situation réelle. Selon le
régime fiscal de la simulation, l’administration pourra soit choisir d’imposer la situation réelle,
issue de la véritable volonté des parties, matérialisée dans l’acte secret, soit se limiter à la
situation apparente, en vertu de la théorie de l’apparence dégagée par la jurisprudence du
Conseil d’État176. Si l’administration fiscale a le choix de la situation qu’elle retiendra, il n’est
a priori pas impossible qu’elle puisse retenir les deux, c’est-à-dire imposer à la fois la situation
apparente et la situation réelle, ce qui constituerait alors clairement une double imposition
économique. Aucune affaire n’a pour l’instant donné lieu à une décision sur cette éventualité,
mais la question présente tout de même un certain intérêt.
167. –– Pour appréhender la question de la double imposition éventuelle découlant
simulation, nous envisagerons d’abord les caractéristiques de la simulation en droit fiscal, en
nous fondant sur la définition issue du droit privé et sur les particularités propres à la matière
fiscale. Ensuite, nous aborderons le régime fiscal particulier de la simulation, notamment au
travers du choix ouvert à l’administration et de la théorie de l’apparence consacrée par la
jurisprudence.
174 C. DE LA MARDIERE, « V° Enregistrement – Fasc. 375 : Abus de droit – Textes, historique et notion », in J.-Cl. Notarial Formulaire, 2016, 12. et s. 175 Article L64 du LPF 176 CE, 20/02/1974, Lemarchand, n° 83270, Lebon 1974 ; Droit fiscal, n° 30, 1974, comm. 958, concl. D. MANDELKERN
74
§1 –– La notion de simulation en droit fiscal
168. –– La notion de simulation vient d’abord du droit privé, où elle désigne
généralement une situation contractuelle : un acte juridique apparent est conclu dans le but
de tromper un ou plusieurs tiers, et cet acte est contredit par une contre-lettre qui vient
rétablir la volonté réelle des parties. La définition retenue en droit fiscal est globalement la
même, les différences notables tenant surtout au statut particulier de l’administration fiscale,
qui ne saurait être traitée comme un simple tiers de droit privé : la divergence entre la matière
fiscale et le droit privé se retrouvera donc principalement au niveau du régime de la
simulation, car l’administration fiscale disposera d’options qui lui sont propres et dont ne
disposent pas les autres tiers.
169. –– Afin d’appréhender la notion de simulation en droit fiscal, il conviendra de
déterminer dans un premier temps les principales caractéristiques de ce phénomène, puis
dans un second temps de s’intéresser aux manifestations concrètes que peut revêtir une
simulation.
A –– Les caractéristiques de la simulation
170. –– La simulation désigne une situation où « une apparence est volontairement
créée pour induire en erreur les tiers, qui ne connaîtront qu’exceptionnellement la réalité »177.
Cette définition, issue du droit privé et de certaines dispositions du Code civil relatives aux
contrats178, a été reprise par la matière fiscale et répond aux mêmes conditions : le droit fiscal
vient ici se greffer aux concepts du droit privé, en y ajoutant les particularités propres au
recouvrement de l’impôt et au fonctionnement de l’administration. Pour caractériser plus
précisément la notion de simulation, on peut constater qu’elle résulte de la réunion de deux
conditions : il faut un élément matériel, qui se caractérise généralement par l’existence d’un
acte occulte venant contredire un acte apparent, et un élément psychologique, qui traduit la
volonté de tromper un ou plusieurs tiers à l’opération.
177 M. STORCK, « Article 1321 – Fasc. unique : Contrats et obligations – Preuve littérale – Théorie des contre-lettres – Simulation », in J.-Cl. Civil Code, 2016, 1. 178 Article 1201 et s. du C. civ.
75
1) L’élément matériel
171. –– L’élément matériel d’une simulation s’apprécie à deux niveaux : il faudra qu’il
existe un acte ostensible contredit par un acte occulte, mais ces deux actes devront également
avoir été conclus de manière concomitante et par les mêmes parties179. Concernant son
existence, aucune condition particulière ne s’impose à l’acte ostensible : il pourra s’agir de
n’importe quel type d’acte juridique, qui sera ensuite exposé en pleine lumière par les auteurs
de la simulation. L’acte occulte, également appelé contre-lettre, n’est en principe pas non plus
soumis à des conditions particulières de validité, mais il devra en revanche être tenu secret
pour caractériser une simulation : il s’agira de l’expression de la volonté réelle des parties qui
aura été masquée par l’acte ostensible. La contradiction entre les deux actes, qui pourra
éventuellement ne porter que sur une partie de l’acte apparent, constitue le cœur de la
simulation, ce qui en fait donc une condition fondamentale.
172. –– Par ailleurs, l’acte apparent et l’acte occulte doivent avoir été conclus de
manière concomitante : il s’agit là d’une autre condition importante de la simulation. La
doctrine considère généralement que les deux actes doivent être contemporains, ce qui
s’accommode très bien du cas où les deux actes sont conclus en même temps. Par contre,
lorsque les deux actes ont été conclus à des moments différents, la qualification de simulation
peut apparaître plus difficile, mais elle n’est pas pour autant impossible : la Cour de cassation
a par exemple pu admettre une simulation lorsque l’acte occulte avait précédé l’acte apparent
d’une durée de quatre ans180. De la même façon, il est concevable pour des parties de rédiger
une contre-lettre quelques temps après la conclusion de l’acte ostensible : exclure la
qualification de simulation par principe dans une telle situation constituerait sans doute une
faveur bien trop grande pour les simulateurs. Ainsi, si la concomitance matérielle de l’acte réel
et de l’acte apparent n’est pas une condition absolue, il faudra tout de même une
« simultanéité intellectuelle » entre les deux actes pour qualifier une simulation : « au
moment où l’acte apparent est présenté aux tiers, la volonté d’en altérer la portée existe dans
l’intention des parties »181. A l’inverse, une « contre-lettre n’a pas pour objet de compléter un
179 F. DEBOISSY, La simulation en droit fiscal, Thèse, LGDJ, 1997, 58. et s. 180 Cass. civ. 1ère, 02/06/1970, Bull. civ. I, n° 186 181 F. DEBOISSY, La simulation en droit fiscal, Thèse, LGDJ, 1997, 89.
76
acte inachevé ou imparfait »182 : si l’acte conclu ultérieurement par les parties a pour rôle de
préciser, compléter ou expliquer l’acte apparent initial, on ne pourra pas parler de simulation.
Cette position se retrouve notamment dans la jurisprudence de la Cour de cassation183.
173. –– Le caractère volontaire de la simulation, qui trouve son origine dans la
simultanéité intellectuelle des deux actes, se retrouve plus particulièrement au niveau de
l’élément psychologique.
2) L’élément psychologique
174. –– La simulation implique de créer une apparence trompeuse en vue d’induire un
ou plusieurs tiers en erreur. Il résulte de cette définition la nécessité d’un élément
psychologique pour qualifier une situation de simulation, même si cet élément n’est pas
toujours présent chez tous les auteurs. En réalité, il est possible de scinder cet élément
psychologique en deux modalités particulières : la simulation suppose d’une part une volonté,
et d’autre part une intention. Selon le professeur Florence Deboissy, qui retient cette
distinction, la volonté se définit comme « la faculté de se déterminer librement à agir ou à
s’abstenir en pleine connaissance de cause et après réflexion »184 ; à l’inverse, l’intention
consiste à « se proposer un certain but »185. Pour qu’il y ait simulation, il faut donc que l’acte
apparent et l’acte occulte aient tous les deux été conclus de manière volontaire et libre par
les parties. C’est cet élément qui sépare notamment la simulation de l’erreur : les parties ont
conscience de créer une réalité discordante avec l’apparence qu’ils affichent et choisissent de
le faire en toute connaissance de cause. A cette volonté travestir la réalité viendra s’ajouter
une intention, dont l’objet est de tromper certains tiers. L’intention de la simulation, qui
constitue en quelque sorte la donnée téléologique de l’opération, désigne l’objectif immédiat
visé par les parties : pour retenir la qualification d’une simulation, il faudra nécessairement
que cette intention ait pour objet d’induire les tiers en erreur, en leur cachant la réalité sous
un masque juridique.
182 M. STORCK, « Article 1321 – Fasc. unique : Contrats et obligations – Preuve littérale – Théorie des contre-lettres – Simulation », in J.-Cl. Civil Code, 2016, 1. 183 Cass. civ. 1ère, 26/05/1965, Bull. civ. I, n° 341 184 F. DEBOISSY, La simulation en droit fiscal, Thèse, LGDJ, 1997, 95. 185 Ibid.
77
175. –– Malgré l’intention et la volonté de tromper les tiers, inhérentes à toute
simulation, il ne faudra pas confondre cette opération avec la fraude ou avec la dissimulation :
si ces éléments ont certains points communs, il subsiste des différences très marquées.
3) Simulation, fraude et dissimulation
176. –– La simulation visant à tromper les tiers sur une réalité juridique, elle sera
souvent assimilée à la fraude. Cet amalgame sera encore plus marqué sur le terrain du droit
fiscal, où la simulation visera généralement à éviter l’impôt ou à en diminuer le montant. La
dissimulation, autre technique relative à la fraude fiscale, sera alors elle aussi assimilée à la
simulation. Pourtant, ces éléments se doivent d’être distingués, la simulation n’étant pas par
définition par une dissimulation, et pas nécessairement une fraude.
177. –– La distinction entre la simulation et la dissimulation est assez aisée à opérer : la
dissimulation cherche simplement à cacher la réalité, sans lui faire revêtir un masque
quelconque186. Ainsi, sur le terrain de l’élément matériel, elle se distinguera de la simulation
par l’absence d’acte occulte : l’auteur ne crée aucune situation juridique apparente contraire
à la réalité, il se contente de cacher la vérité. Cette idée se prolonge sur le terrain de l’élément
psychologique : l’intention du dissimulateur ne sera pas de tromper les tiers, mais simplement
de garder un élément secret. La distinction trouve son intérêt dans le mode de répression
prévu par le droit fiscal à l’encontre de ces pratiques : la simulation relève de la procédure
particulière de l’abus de droit187, alors que la dissimulation est réprimée selon les règles de
droit commun.
178. –– La simulation est plus délicate à distinguer de la fraude, tant les deux notions
ont tendance à se recouper sur le terrain fiscal. La fraude peut se définir comme un ensemble
de manœuvres juridiques visant à éviter l’application d’une règle impérative, notamment en
allant à l’encontre de l’esprit du législateur. En réalité, si l’intention de la simulation est de
tromper les tiers, il est possible que ce comportement réponde à « des motifs qui n’ont pas
nécessairement une finalité de fraude »188. Cette assertion aura plus tendance à se confirmer
186 F. DEBOISSY, La simulation en droit fiscal, Thèse, LGDJ, 1997, 206. et s. 187 Article 64 LPF 188 M. STORCK, « Article 1321 – Fasc. unique : Contrats et obligations – Preuve littérale – Théorie des contre-lettres – Simulation », in J.-Cl. Civil Code, 2016, 1.
78
sur le terrain du droit privé, où un bienfaiteur pourra par exemple chercher à garder
l’anonymat. En droit fiscal, la simulation sera plus souvent frauduleuse, dans le sens où les
parties à l’acte apparent et à l’acte réel chercheront à se soustraire à l’impôt, ou du moins à
en diminuer le montant. Dans ce cas, la fraude participera des motifs qui sont à l’origine de la
simulation. Mais il est possible d’avoir recours à des manœuvres frauduleuses en matière
d’impôt sans nécessairement opérer une simulation : il pourra s’agir d’une fraude à la loi
fiscale, réprimée comme la simulation par la procédure de l’abus de droit. L’extension de cette
procédure au cas d’une fraude à la loi émane d’un arrêt du Conseil d’État189, qui a opéré une
lecture particulièrement large de la loi relative à l’abus de droit pour y inclure la fraude ; cette
décision a ensuite été reprise par la jurisprudence de la Cour de cassation190. Aujourd’hui, la
loi inclut explicitement la simulation et la fraude à la loi fiscale à l’article L64 du Livre des
procédures fiscales, ce qui diminue quelque peu l’intérêt d’une distinction entre les deux
notions.
179. –– Les caractéristiques propres à la simulation ayant été définis, il convient à
présent d’envisager les manifestations réelles de la simulation, et les diverses formes que
cette pratique peut prendre.
B –– Les manifestations de la simulation
180. –– Du fait de sa définition et de ses caractéristiques assez larges, la notion de
simulation peut englober un grand nombre de situations différentes. Toutefois, en droit fiscal
comme en droit privé, on distingue classiquement les simulations selon trois catégories, selon
les effets que l’acte occulte produit sur l’acte apparent191 : il s’agit de la fictivité, du
déguisement et de l’interposition de personne.
189 CE, 10/06/1981, n° 19079, RJF, 9/1981, n° 787 ; Droit fiscal, n° 48-49, 1981, comm. 2187, concl. P. LOBRY 190 Cass. com., 19/04/1988, n° 86-19.079, RJF, 2/1989, n° 250 ; Droit fiscal, n° 32-38, 1988, comm. 1733 191 C. DE LA MARDIERE, « V° Enregistrement – Fasc. 375 : Abus de droit – Textes, historique et notion », in J.-Cl. Notarial Formulaire, 2016, 155.
79
1) La fictivité
181. –– La fictivité désigne la situation qui verra un acte apparent totalement anéanti
par un acte occulte : la simulation « porte alors sur l’existence même de l’opération
apparente »192. Cette pratique, qui constitue la version la plus extrême de la simulation, crée
une contradiction totale entre l’apparence et la réalité : on la retrouvera très souvent lorsqu’il
s’agit de mettre en œuvre une fraude pour échapper à l’impôt. En effet, l’acte fictif permettra
de faire apparaître une situation plus favorable pour le contribuable, alors que la réalité
instaurée par la contre-lettre viendra retirer toute forme d’existence au masque de
l’apparence. La fictivité est susceptible de porter sur tous les types d’actes juridiques, mais
force est de constater que le contrat de société y est particulièrement sujet : un contribuable
pourra par exemple chercher à créer une société fictive dans le but de dissimuler ses activités
personnelles, ou encore afin de déduire des charges normalement non déductibles au travers
de déficits fiscaux de complaisance.
182. –– Si la fictivité anéantit l’apparence créée par la simulation, les effets du
déguisement sont moins extrêmes.
2) Le déguisement
183. –– Le déguisement désigne la situation où un acte occulte viendra modifier la
nature ou un des éléments substantiel de l’acte apparent : « l’acte ostensible maquille son
objet véritable en s’affichant sous un costume différent » 193. Les actes déguisés peuvent se
retrouver dans différents pans de la fiscalité. L’exemple le plus classique réside dans le
déguisement d’une donation en vente, les droits perçus en matière de mutation à titre gratuit
étant nettement plus élevés que ceux applicables aux mutations à titre onéreux : il s’agira ici
d’un déguisement portant sur la nature du contrat. Une autre situation que l’on rencontre
fréquemment sera le déguisement du prix, qui portera alors sur un élément particulier de
l’acte : il s’agira ici de faire apparaître un prix de cession inférieur au prix réellement payé par
l’acquéreur afin de réduire l’assiette de l’impôt sur la plus-value constatée.
192 F. DEBOISSY, La simulation en droit fiscal, Thèse, LGDJ, 1997, 226. et s. 193 Ibid., 373. et s.
80
184. –– La fictivité et le déguisement affectent directement l’existence ou la
qualification de l’acte apparent, mais il existe un volet de la simulation qui laissera l’acte
apparent quasiment indemne et se contentera d’en altérer certains effets : il s’agit de
l’interposition de personne.
3) L’interposition de personne
185. –– L’interposition de personne, également désignée sous le terme de prête-nom,
désigne la situation où un acte occulte viendra déplacer les effets de droit prévus par l’acte
apparent, conclu entre le prête-nom et un tiers, sur la tête d’une autre personne. La simulation
porte alors sur l’identité d’une des parties à l’acte apparent et la relation ainsi créée sera
dédoublée : « l’acte ostensible conclu entre le prête-nom et le tiers se double d’un acte
occulte passé entre le prête-nom et l’emprunteur de nom » 194. Le domaine de l’interposition
de personne est très large en droit fiscal : il pourra par exemple s’agir d’un prête-nom placé à
la tête d’une société, le véritable dirigeant souhaitant rester dans l’ombre, ou encore d’un
associé prête-nom, afin de constituer une société fictive en l’absence de tout affectio
societatis. La simulation par interposition de personne est particulièrement susceptible de se
retrouver en matière de fiscalité des affaires, au travers des notions d’opérateur économique
réel et apparent : le prête-nom pourra alors être une personne morale, par exemple une
société agissant pour le compte d’une autre société ou d’une personne physique, comme son
dirigeant.
186. –– Après ce succinct tour d’horizon des situations pouvant être qualifiées de
simulation, il convient de s’intéresser au régime juridique applicable à la simulation en droit
fiscal : lorsqu’elle est confrontée aux manœuvres d’un simulateur qui souhaite échapper à
l’impôt, quelles sont les options dont dispose l’administration fiscale ?
194 F. DEBOISSY, La simulation en droit fiscal, Thèse, LGDJ, 1997, 592. et s.
81
§2 –– Le régime de la simulation en droit fiscal
187. –– Si le droit fiscal se fonde clairement sur la définition de la simulation issue du
droit privé, c’est là que s’arrête l’analogie possible entre les deux matières. En droit civil, la
simulation n’est pas en tant que telle une source de nullité pour les actes qui ont été conclus.
Ainsi, le régime de la simulation en droit privé prévoit que le tiers trompé par les manœuvres
des parties pourra soit se prévaloir des dispositions de l’acte apparent, soit de celles de l’acte
occulte, sachant que l’acte secret ne lui sera pas opposable195. Ce choix s’en verra par contre
affecté s’il s’avère que le tiers en question a activement participé à la mise en œuvre de la
simulation. Cette dernière analyse ne se retrouvera pas sur le terrain du droit fiscal,
l’administration ne pouvant être considérée comme un simple tiers. C’est pourquoi le régime
de la simulation en droit fiscal obéit à des règles particulières : l’administration disposera
effectivement d’un choix entre la situation apparente et la situation réelle, mais cette
alternative sera conditionnée par sa connaissance de la simulation. Dans le cas où un choix est
possible, il se posera alors la question d’une éventuelle double imposition.
A –– Le choix des armes de l’administration fiscale
188. –– Lorsque l’administration constate ou soupçonne une situation de simulation, on
a pu se demander s’il fallait lui appliquer le même régime qu’au tiers de droit privé. Ce dernier
dispose généralement d’une option : il pourra se prévaloir soit de l’acte réel, soit de l’acte
ostensible, dans la mesure où il ne s’est pas rendu complice de la simulation. Le tiers sera
totalement libre de son choix, peu important qu’il ait pu avoir connaissance de la situation ;
l’article 1201 du Code civil ajoute également que la contre-lettre ne lui sera pas opposable par
les parties à la simulation, ce qui lui permet d’ignorer la réalité des faits si l’apparence lui est
plus favorable. Ces dispositions, prévues par la loi et par la jurisprudence, émanent plus
largement de la théorie de l’apparence, qui a plus ou moins inspiré le juge de l’impôt
concernant le régime de la simulation.
195 Article 1201 du C. civ.
82
189. –– La question était alors de savoir si l’administration devait disposer d’un choix
analogue à celui ouvert aux tiers de droit privé dans le cas d’une simulation ayant pour objet
d’éviter l’impôt. Si la possibilité d’imposer la situation réelle, issue de l’acte occulte, ne fait
aucune difficulté, certaines réserves ont pu être émises quant à la possibilité pour
l’administration de se limiter à la situation apparente. En effet, le droit fiscal se caractérise par
son réalisme : l’impôt a avant tout vocation à saisir la réalité des faits, et ne saurait être limité
par les qualifications retenues par les contribuables. Le réalisme du droit fiscal, qui fonde
également le pouvoir de requalification de l’administration, semble commander aux services
fiscaux d’imposer la situation réelle lors d’une simulation. Ce raisonnement a été adopté par
certains droits étrangers, notamment le droit belge, qui ôte tout choix à l’administration
fiscale : celle-ci sera obligée d’imposer la situation réelle si elle est confrontée à une
simulation196. Le droit fiscal belge choisit ainsi de faire systématiquement primer « la réalité
juridique sur la forme juridique »197, en choisissant de retenir uniquement l’acte qui a
réellement refléter la volonté des parties.
190. –– A l’inverse, le droit fiscal français, au travers de la jurisprudence du Conseil
d’État, n’a pas retenu le même raisonnement que le juge de l’impôt belge. En effet, si
l’imposition de la situation réelle demeure le principe en matière de simulation198, il demeure
un choix pour l’administration fiscale de se limiter aux apparences délibérément créées par le
contribuable. Cette solution émane d’une décision majeure du Conseil d’État, rendue dans
l’affaire Lemarchand199 : le juge de l’impôt a estimé qu’une convention de prête-nom n’était
pas opposable à l’administration fiscale et que celle-ci pouvait donc librement choisir
d’imposer la situation apparente mise en place par la simulation. L’option de l’administration
est toutefois conditionnée à la non-révélation de la simulation par les parties : la situation
apparente pourra être imposée si l’administration fiscale a ignoré la simulation ou qu’elle l’a
découverte elle-même au travers de ses investigations ; à l’inverse, si l’acte occulte lui est
directement révélé par le contribuable, par exemple au travers d’une déclaration de revenus,
196 B. SAVADOGO, Le traitement fiscal des revenus de source étrangère en droit français et belge, Thèse, Bordeaux, 2012, p. 126 et s. 197 T. LINARD DE GUERTECHIN, Analyse du principe de réalité en droit fiscal belge, européen et international, Mémoire, Université catholique de Louvain, 2015, p. 17 198 F. DEBOISSY, La simulation en droit fiscal, Thèse, LGDJ, 1997, 700. et s. 199 CE, 20/02/1974, Lemarchand, n° 83270, Lebon 1974 ; Droit fiscal, n° 30, 1974, comm. 958, concl. D. MANDELKERN
83
alors l’administration perdra le droit de se prévaloir de l’acte apparent200. La théorie de
l’apparence en droit fiscal se voit donc conditionnée à l’ignorance de la réalité par les services
fiscaux, ce qui revient à les traiter de manière plus sévère que le tiers de droit privé.
191. –– Lorsque l’administration dispose de l’option entre la situation réelle et la
situation apparente, son choix conditionnera la procédure à suivre : si elle opte pour
l’apparence, le redressement éventuel se fera selon les règles de droit commun, mais si elle
choisit de dénoncer la simulation pour se prévaloir de la situation réelle, alors il faudra avoir
recours à la procédure de l’abus de droit201. Dans le cas contraire, l’administration priverait le
contribuable des garanties spéciales inhérentes à cette procédure et pourrait être
sanctionnée par le juge pour avoir commis un « abus de droit rampant », c’est-à-dire avoir
cherché à sanctionner une simulation ou une fraude à la loi sans passer par la procédure de
l’article L64 du Livre des procédures fiscales202.
192. –– Certains auteurs ont pu estimer que l’option pour l’apparence laissée à
l’administration fiscale émanait de l’idée d’une sanction pour le contribuable et s’inscrivait
dans une ligne de moralisation de la vie économique. Mais d’autres, à l’instar du professeur
Florence Deboissy, considèrent que la notion de peine ou de sanction est totalement
extérieure à la simulation : l’option pour l’apparence de l’administration fiscale s’inscrit en
réalité dans la lignée du principe de réalisme du droit fiscal. En effet, même si les deux notions
semblent opposées, l’acte ostensible constitue la position que le contribuable a prise vis-à-vis
de l’administration : celui-ci sera alors lié par sa décision et devra en assumer les
conséquences envers les services fiscaux, ce qui fonde leur droit à se prévaloir de l’apparence
créée par le contribuable203.
193. –– Le choix de l’administration fiscale pour l’apparence ou la réalité ne faisant plus
aucun doute, force est de constater que la question de la double imposition qui pourrait en
découler n’est que très rarement évoquée. C’est pourquoi il convient de s’interroger sur la
possibilité éventuelle pour l’administration d’imposer à la fois la situation réelle et la situation
apparente.
200 F. DEBOISSY, La simulation en droit fiscal, Thèse, LGDJ, 1997, 967. et s. 201 Article L64 du LPF 202 C. DE LA MARDIERE, « V° Enregistrement – Fasc. 375 : Abus de droit – Textes, historique et notion », in J.-Cl. Notarial Formulaire, 2016, 336. 203 F. DEBOISSY, op. cit., 1023. et s.
84
B –– Vers une double imposition ?
194. –– La double imposition qui résulterait du cumul des deux options laissées à
l’administration, c’est-à-dire la taxation de la situation apparente et de la situation réelle, n’est
pratiquement jamais évoquée en doctrine, en tout cas en matière d’imposition des revenus.
Cela s’explique probablement par le fait que l’administration n’a jamais explicitement cherché
à prélever un double droit lorsqu’une simulation est découverte : elle choisit généralement la
voie la plus intéressante entre l’apparence et la réalité.
195. –– A l’inverse, la question de la double imposition d’une simulation a pu se poser à
quelques occasions en matière de droits d’enregistrement et d’interposition de personne : la
Cour de cassation juge en effet depuis longtemps que lorsqu’une personne interposée se
porte acquéreur d’un bien pour le compte d’une autre et qu’elles sont liées par une
convention de prête-nom, l’administration pourra percevoir un double droit de mutation, sauf
s’il s’agit d’une vente avec réserve de command régulièrement conclue204. Ainsi, dans cette
situation, l’auteur de l’interposition de personne et la personne interposées seront tous deux
redevables des droits de mutations portant sur le bien acquis : la Chambre des requêtes avait
déjà résumé cette décision en son temps205. On pourrait considérer que la double perception
des droits de mutations par les services fiscaux constitue une double imposition économique,
mais il s’agit plutôt en réalité d’un particularisme inhérent aux droits d’enregistrement lorsque
l’administration se cantonne à l’apparence. En effet, comme le rappelle justement le
professeur Florence Deboissy, « la double taxation est une manifestation de la faculté offerte
à l’administration de s’en tenir à la situation apparente »206 : si l’on se limite aux apparences,
la personne interposée s’est portée acquéreur du bien et en est devenue propriétaire, ce qui
l’oblige à s’acquitter des droits de mutation ; elle a ensuite transmis la propriété du bien à
l’auteur de l’interposition de personne, qui devra à son tour régler les droits d’enregistrement.
Il n’y a donc pas à proprement parlé une double imposition économique, mais plutôt deux
impositions successives, ce qui est relativement habituel en matière de droit
d’enregistrements.
204 Selon l’article 686 du CGI, pour éviter le double droit de mutation, la réserve de command doit être inscrite au contrat initial et la déclaration doit être effectuée par acte public dans les 24 heures suivant l’acte. 205 Cass. req., 10/02/1936 206 F. DEBOISSY, La simulation en droit fiscal, Thèse, LGDJ, 1997, 617.
85
196. –– La question d’une double imposition de revenus dans le cadre d’une simulation
reste toutefois encore entière. Si on transpose le raisonnement opéré précédemment en
matière de droits d’enregistrements au cas de l’impôt sur les revenus ou sur les sociétés, peut-
on envisager une double imposition ? Il semble que l’administration n’ait jamais envisagé
cette possibilité, mais on pourrait éventuellement l’inscrire dans le prolongement de la
théorie de l’apparence. Par exemple, si un dirigeant a recours à une interposition de personne
morale avec la société qu’il dirige pour masquer une partie de ses revenus, il s’agira d’une
simulation où l’opérateur économique apparent est la société, supposant qu’elle n’est pas
fictive, et l’opérateur économique réel est son dirigeant. L’administration pourra alors soit
dénoncer la simulation et imposer la situation réelle par la voie de l’abus de droit, soit elle
pourra s’en tenir aux apparences : en l’occurrence, on pourra considérer que la société a perçu
les revenus de l’opération économique, puis les a directement reversés à son dirigeant sous
la forme d’une rémunération occulte207. Dans ce cas, en se fondant sur la théorie de
l’apparence, il est envisageable que l’administration impose à la fois l’opérateur apparent et
l’opérateur réel, l’un étant imposé consécutivement à l’autre. Aucune règle impérative ne fait
a priori obstacle à ce raisonnement, la double imposition économique n’ayant rien d’illégale
en soit. L’exemple fonctionnerait aussi dans le cas d’une interposition de personne physique,
en considérant que le prête-nom perçoit le revenu, puis effectue une donation au profit de la
personne à l’origine de l’interposition : la seconde imposition résidera alors dans les droits de
mutation à titre gratuit, mais il faudra toutefois démontrer l’existence d’une intention
libérale208.
197. –– La double imposition en matière d’interposition de personne semble ainsi
envisageable car il est possible d’appréhender la situation en deux temps, en se fondant sur
la théorie de l’apparence : l’acteur économique apparent perçoit le revenu, puis il le reverse
à l’acteur économique réel, puisque c’est ce dernier qui en sera le bénéficiaire effectif.
L’opération peut ainsi être découpée en deux et l’imposition sera double car elle frappera
consécutivement chacun des opérateurs. D’une certaine façon, dans le cas de l’interposition
de personne, la situation apparente englobe la situation réelle en y ajoutant une étape
intermédiaire, ce qui permet de réconcilier les deux.
207 Selon l’article 111, c. du CGI, la rémunération occulte constitue un revenu distribué de manière irrégulière, qui sera imposé chez le bénéficiaire dans la catégories des revenu de capitaux mobiliers mais n’ouvrira pas droit à l’abattement de 40 % prévu par l’article 158, 3., 2°. 208 Article 893 du C. civ.
86
198. –– En-dehors du cas particulier de l’interposition de personne, il semble très délicat
de justifier une double imposition éventuelle en matière de simulation. Dans le cas d’une
fictivité209 ou d’un déguisement210, le raisonnement précédent ne pourra pas s’appliquer, car
la situation apparente et la situation réelle sont irréconciliables. En effet, si l’on considère par
exemple qu’une société est fictive, alors elle ne pourra pas être imposée puisqu’elle n’a
aucune existence, il sera seulement possible d’établir l’impôt selon la situation réelle ; à
l’inverse, la société pourra être imposée sur le fondement de la théorie de l’apparence, mais
elle ne saurait alors être considérée comme fictive, puisqu’elle perçoit des revenus, et il
n’existerait donc plus de motif valable pour imposer l’opérateur réel. De la même façon, en
matière de déguisement, si l’on prend l’exemple d’une simulation visant à travestir une
donation en vente, il n’est pas possible d’appliquer des droits de mutation à titre gratuit sur
le fondement de la situation réelle, tout en appliquant également des droits de mutation à
titre onéreux sur le fondement de l’apparence.
199. –– Ainsi, il ne semble pas que la double imposition en matière de simulation
constitue un véritable risque à l’heure actuelle. Si l’administration envisageait une double
imposition dans le cas d’une apparence fictive ou déguisée, elle serait en réalité contrainte de
soutenir deux thèses opposées et contradictoires, ce qui est inenvisageable en pratique.
Toutefois, une double imposition pourrait résulter d’une application stricte de la théorie de
l’apparence dans le cas particulier de l’interposition de personne. Ce phénomène pourrait
alors s’analyser comme le prix à payer par les contribuables qui souhaitent rester dans l’ombre
et se cacher derrière des hommes de paille.
209 Voir supra n° 181. 210 Voir supra n° 183.
87
CONCLUSION DU TITRE I
200. –– Qu’elle soit de nature économique ou juridique, la double imposition demeure
pour une part non négligeable dans la vie des opérateurs économiques. Ce phénomène est
particulièrement marqué en matière internationale, car chaque État souhaite conserver sa
souveraineté fiscale. La conclusion de conventions fiscales permet de lutter contre les doubles
impositions, mais cela ne saurait suffire en l’état actuel des choses : si les conventions sont
certes contraignantes, les États signataires disposent toujours d’une certaine marge de
manœuvre, tant dans l’interprétation que pour l’application des traités. Par ailleurs, si la
fiscalité internationale est le domaine de prédilection de la double imposition, celle-ci
n’épargne pas pour autant le droit interne. En effet, la fiscalité des sociétés et des revenus
distribués, ainsi que la simulation, sont autant d’éléments susceptibles d’être frappés par une
double imposition économique.
201. –– La véritable difficulté posée par les doubles impositions réside en deux points :
d’une part, l’enjeu est considérable pour les opérateurs économiques comme pour
l’administration, autant pour des raisons financières qu’au regard de l’idée de justice fiscale.
En effet, aucun État ne peut délibérément ignorer, voire encourager la double imposition : le
fait qu’un contribuable doive participer doublement à l’effort financier envers les charges
publiques ne saurait être en accord avec le principe d’égalité devant l’impôt. D’autre part, la
double imposition peut prendre un grand nombre de formes différentes, ce qui rend alors la
tâche visant à les combattre assez délicate. Si tout le monde s’accorde sur le fait qu’elles
doivent être évitées autant que faire se peut, et qu’elles doivent être combattues dans la
mesure où elles viendraient à exister, il demeure que les doubles impositions constituent le
plus souvent une simple conséquence de l’application de règles fiscales discordantes ou
inadaptées. L’origine des doubles impositions semblent ainsi se trouver dans l’application de
règles fiscales de sources différentes, par des administrations fiscales qui manquent parfois
de recul et se concentrent avant tout sur le caractère financier des opérations économiques.
202. –– La question de l’origine des doubles impositions ayant été traitée, il convient à
présent de se pencher sur la forme que peut prendre la lutte contre ce type de situation. En
effet, les États ont pour la plupart conscience de l’entrave que constitue la double imposition
88
pour les opérations économiques internes comme internationales. Même si le phénomène ne
sera sans doute jamais véritablement éradiqué, il existe plusieurs voies envisageables pour le
combattre : des mesures visent d’abord à prévenir les situations de double imposition et, en
cas d’échec de la prévention, des procédures permettent de corriger a posteriori la double
taxation dont le contribuable a fait l’objet. Après avoir cherché à dessiner les contours de
l’origine de la double imposition, nous tenterons à présent de dresser le portrait de la lutte
contre ce phénomène.
89
TITRE II
LA LUTTE CONTRE LES DOUBLES IMPOSITIONS
203. –– Depuis l’émergence du phénomène de double imposition, la majorité des États
et des opérateurs économiques ont perçu le problème qu’il constitue. Non seulement ce type
de situation porte atteinte au principe fondamental d’égalité devant l’impôt211, mais il
s’oppose également à toute forme de justice fiscale. Par ailleurs, la double imposition pose de
très sérieuses limites au développement économique des entreprises, en particulier au sein
de l’Union européenne, où elle entre en contradiction frontale avec l’idée d’un marché
intérieur européen, tel que prévu par le Traité sur le fonctionnement de l’Union
européenne212. En effet, les phénomènes de double imposition sont susceptibles de générer
des « distorsions et autres discriminations » et de grever « la compétitivité et le dynamisme
des entreprises européennes face au reste du monde »213. Les problématiques liées à ce
phénomène et la nécessité de les combattre sont donc bien présentes à l’esprit de certains
acteurs supranationaux, comme l’OCDE et les institutions européennes.
204. –– L’idée de lutte contre les doubles impositions n’est toutefois pas nouvelle. Dans
une approche historique, on notera le rôle précurseur de la Société des Nations en matière de
négociations internationales relatives à l’impôt, par l’intermédiaire du comité fiscale de
l’Organisation économique et financière. Dans les années 1920, les négociations fiscales
menées par les États présentent avant tout un caractère d’expertise technique, mais chacun
tient déjà à favoriser les intérêts qui lui sont propres, craignant de voir des décisions
contraignantes émanant de l’organisation contrarier leur souveraineté. Par la suite, ces
premiers travaux ont pris une dimension indéniablement politique, et les négociations ont
abouti à un certain nombre d’accords bilatéraux : la possibilité d’un traité fiscal multilatéral
s’était heurtée aux « positions antagonistes des camps britanniques et français »214. Si la
problématique majeure traitée au cours de ces discussions concerne explicitement la double
211 Article 13 de la DDHC 212 Article 3, 3. du TFUE 213 V. DE SAINT-BLANQUAT, « La double imposition des entreprises : le point de vue du MEDEF », Revue de Droit fiscal, n° 9, 2011, p. 226 214 C. FARQUET, « Expertise et négociations fiscales à la Société des Nations (1923 – 1939) », Relations internationales, n° 142, 2010, p. 6
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imposition, les négociations porteront également sur la question de l’évasion fiscale,
notamment au cours des années 1930215. Même si les travaux de la Société des Nations en
matière fiscale n’ont pas eu d’incidence majeure sur l’économie mondiale, en particulier du
fait de la crise financière de 1929 et de la Seconde Guerre mondiale, leur forme et les
méthodes mises en œuvre seront par la suite reprises par l’OCDE. Ainsi, les travaux ayant
abouti au modèle de convention fiscale utilisé par la plupart des États216 ou aux projets de
type BEPS217 trouvent leur origine dans des pratiques nées au début du XXe siècle.
205. –– La lutte contre les doubles impositions ne constitue donc pas réellement une
problématique nouvelle en tant que telle. Le sujet a été longuement évoqué par les États, par
les experts en fiscalité, et même par les contribuables. Un certain nombre de mesures ont été
adoptées dans l’optique de limiter l’ampleur de ce phénomène : la France dispose par
exemple d’un grand réseau de conventions fiscales signées avec d’autres États, et sa place
dans l’intégration européenne constitue encore un exemple de sa volonté
d’internationalisation. Mais il n’en demeure pas moins que la problématique est toujours
d’actualité, le problème de la double imposition n’ayant jamais été véritablement réglé :
comme l’écrivait le professeur Daniel Gutmann en 2011, « la double imposition demeure bien
vivante »218. Pour s’en convaincre, il suffit de se référer aux résultats d’une consultation
publique menée par la Commission européenne en 2010219 : après avoir interrogé un certain
nombre d’opérateurs économiques, il s’est avéré qu’une écrasante majorité d’entre eux
témoignaient avoir déjà fait l’objet d’une double imposition internationale220. Dans la plupart
des cas, une convention fiscale internationale était applicable221.
206. –– La double imposition constitue donc aujourd’hui un enjeu majeur pour les
contribuables, en particulier les opérateurs économiques, mais également pour les États qui
souhaitent favoriser les échanges et l’internationalisation de leur économie. Si la volonté de
215 C. FARQUET, « Expertise et négociations fiscales à la Société des Nations (1923 – 1939) », Relations internationales, n° 142, 2010, p. 6 216 OCDE, Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune – Version complète, 9e édition, 2014 217 Id., Lutter contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert des bénéfices, 2013 218 D. GUTMANN, « La double imposition : problèmes contemporains – Introduction au dossier », Droit fiscal, n° 9, 2011, p. 225 219 Commission européenne, Consultation sur les conventions préventives de la double imposition dans le marché intérieur : exemples concrets de double imposition, 2010 220 Id., Summary report of the responses received Commission’s consultation on double taxation convention and the internal market: factual examples of double taxation cases, 2011, p. 15 221 Ibid., p. 17
91
lutte contre ce phénomène est établie, il reste à déterminer la forme que celle-ci devra
prendre.
207. –– Traditionnellement, la lutte contre la double imposition se manifeste sous deux
axes particuliers. D’une part, on cherchera généralement à éviter les doubles impositions au
travers d’une politique de prévention, tant au niveau de la loi interne qu’au niveau
international avec les conventions fiscales ; s’ajoutera à cela l’interprétation de ces textes par
les juges nationaux et supranationaux. L’idée consistera à adapter les règles de droit aux
conditions économiques, afin d’éviter la survenance d’une surcharge fiscale. D’autre part,
lorsqu’une situation de double imposition survient malgré la prévention mise en œuvre par la
loi et le juge, on pourra envisager de l’éliminer au travers d’une procédure de correction des
doubles impositions. Il s’agira alors de trouver une solution pragmatique pour que les
administrations fiscales impliquées acceptent de renoncer à l’imposition initialement prévue.
CHAPITRE I –– LA PRÉVENTION DES DOUBLES IMPOSITIONS
CHAPITRE II –– LA CORRECTION DES DOUBLES IMPOSITIONS
92
CHAPITRE I
LA PRÉVENTION DES DOUBLES IMPOSITIONS
208. –– La lutte contre les doubles impositions passe dans un premier temps par la
prévention de ce phénomène. Il s’agit par ailleurs de l’axe majeur développé par les États et
les instances supranationales : il est en effet plus avantageux d’éviter la double imposition
avant qu’elle n’apparaisse, les dispositions de la loi et des conventions ayant anticipé
d’éventuelles difficultés. Par ailleurs, lorsque la prévention se montre efficace, le contribuable
n’aura généralement pas à supporter le poids de la double imposition, ce qui constitue un réel
avantage pour les opérateurs économiques. Ainsi, la prévention reste donc le premier mode
de lutte contre la double imposition car elle permettra d’éviter d’éventuelles procédures de
correction, permettant ainsi une économie de temps et de moyens.
209. –– Le contexte économique actuel étant fortement marqué par la mondialisation,
les États cherchent à encourager les investissements et le développement de leurs
entreprises. Si la fiscalité peut constituer une incitation forte pour les opérateurs
économiques, l’existence, même éventuelle, d’une double imposition peut véritablement
freiner ce développement. C’est donc dans ce contexte particulier, marqué par « l’affirmation
d’une économie mondialisée », qu’est apparue « une crise de la relation entre l’impôt, l’État
et son territoire »222. La double imposition, qui caractérise clairement une dérive, ou du moins
une imperfection du système, se doit alors d’être évitée.
210. –– Dans leur volonté d’encourager les échanges internationaux et le
développement économique, les États disposent d’un certain nombre d’outils pour prévenir
les doubles impositions. Le premier moyen résidera dans les règles de droit écrit, à
commencer par la loi nationale, qui sera la source majeure du droit fiscale : en France, la
Constitution prévoit notamment que la loi fixe « l’assiette, le taux et les modalités de
recouvrement des impositions de toute nature »223. Les dispositions prévues par les lois
internes pourront alors être complétées par les conventions fiscales internationales : leur
objet sera avant tout la lutte contre la double imposition, ainsi que contre la fraude et
222 B. CASTAGNEDE, Précis de fiscalité internationale, 5e édition, 2015, Avant-propos 223 Article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958
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l’évasion fiscales224. Les conventions prévoient notamment des méthodes analytiques de
prévention des doubles impositions comme l’imputation ou l’exemption225. Toutefois, leur
principale limite résidera dans le principe de subsidiarité dégagé par la jurisprudence du
Conseil d’État226 : celui-ci se traduira concrètement par une étude prioritaire du droit interne
en matière fiscale227. Enfin, le droit européen relatif à la fiscalité pourra éventuellement être
amené à jouer un rôle déterminant en matière de double imposition, même si la sphère de la
fiscalité directe ne tombe que de manière très limitée dans le champ de compétences des
institutions européennes. Mais comme l’a montré l’harmonisation récente de l’Union
européenne en matière de fiscalité indirecte228, notamment pour la TVA, les institutions sont
capables d’une certaine efficacité pour traiter ce type de problème.
211. –– Si les règles de droit écrit ne sont pas suffisantes pour prévenir les doubles
impositions, un second moyen de lutte contre ce type de situation pourra résider dans le
travail du juge. En effet, celui-ci pourra être amené à interpréter les règles prévues par les
normes écrites, notamment lorsque celles-ci sont obscures, silencieuses ou inadaptées à la
réalité économique. Par ailleurs, la jurisprudence pourra devenir une source de droit à part
entière en faisant application des grands principes du droit fiscal ou du droit international. Les
juges amenés à statuer sur des questions fiscales pourront alors être nationaux, dans le cas
de la loi fiscale interne ou dans le cas de conventions internationales, ou supranationaux, dans
les cas particuliers de l’Union européenne, voire éventuellement de la Cour européenne des
droits de l’homme.
212. –– La lutte contre les doubles impositions au travers de mécanismes de prévention
résultera donc de l’articulation entre les dispositions prévues par le droit fiscal interne et
international, et l’interprétation de ces règles par le juge, en conformité avec les principes
généraux du droit. Nous envisagerons donc d’une part l’étude des normes écrites de la
fiscalité, puis d’autre part le rôle du juge, national et supranational, dans l’application de ces
règles.
224 J. SCHMIDT et al., Lamy Fiscal, 2017, n° 4348 225 Administration fiscale, BOFiP, BOI-INT-DG-20-20-100-20160603, § 40 et s. 226 M.-C. BERGERÈS, « Conventions internationales – Le principe de subsidiarité des conventions fiscales internationales », Droit fiscal, n° 36, 2005, 30. 227 C. DAVID et G. GEST, « Impôts », Répertoire de droit international, Dalloz, 2016, 28. 228 Articles 110 à 113 du TFUE
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Section I
LA PRÉVENTION DES DOUBLES IMPOSITIONS PAR LA LOI ET LES
CONVENTIONS FISCALES INTERNATIONALES
213. –– Dans la plupart des branches du droit, le cœur des dispositions applicables
réside dans des sources écrites. Les textes constituent donc l’origine principale de la plupart
des règles en vigueur. En particulier en matière fiscale, la Constitution prévoit que
l’établissement de l’impôt et les modalités de son recouvrement sont établis par la loi229. Ce
monopole législatif en matière fiscale traduit en réalité le principe fondamental de
consentement à l’impôt230 : les citoyens participent à la mise en place de l’impôt et y
consentent par l’intermédiaire de leurs représentants, notamment au travers du vote des lois
de finances par le Parlement. Comme la double imposition ne fait pas exception à ces règles,
la loi constituera donc également la première source de droit en matière de lutte contre ce
phénomène.
214. –– Malgré son rôle majeur, la loi ne saurait suffire en elle-même à concentrer
toutes les dispositions relatives à l’impôt et aux doubles impositions. En matière
internationale, le droit fiscal interne se verra doublé d’un volet conventionnel, au travers de
conventions visant à lutter contre la double imposition et contre l’évasion fiscale. Ces textes
internationaux sont généralement négociés entre deux États, ce qui conduit à un grand
nombre de conventions en vigueur, chacune ayant des spécificités propres. Toutefois, la
plupart de ces traités présentent des articles relatifs aux mêmes thèmes, et même parfois des
parties très semblables : ces textes s’inspirent souvent du modèle de convention proposé par
l’OCDE231. Les dispositions propres à chaque convention résulteront ensuite des négociations
menées entre la France et l’autre État signataire, chaque gouvernement ayant des
préoccupations particulières en matière d’impôts.
215. –– Par ailleurs, la France étant membre de l’Union européenne depuis longtemps,
il faudra également tenir compte de l’ordre juridique européen en matière fiscale. Le droit de
l’Union a joué un rôle majeur dans certains domaines de la fiscalité, en particulier en matière
229 Article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958 230 Article 14 de la DDHC 231 OCDE, Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune – Version complète, 9e édition, 2014
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de taxes sur le chiffre d’affaires : la fiscalité indirecte a donc fait l’objet d’une importante
harmonisation au sein de l’Union européenne232. A l’inverse, la fiscalité directe n’est pas
couverte en tant que telle par les traités fondateurs : l’harmonisation en la matière résulte
davantage du travail de la Cour de justice que de règlements ou de directives émanant des
institutions européennes233. Même si elles sont peu nombreuses, les règles de droit européen
en matière de fiscalité directe ont tout de même vocation à s’appliquer aux États membres,
selon le principe de primauté du droit européen, consacré par la jurisprudence de la Cour de
justice234. Même s’il est limité, le droit européen pourra donc constituer une voie envisageable
pour prévenir les éventuelles situations de double imposition.
216. –– La prévention de ce phénomène au travers de règles issues de source écrite peut
donc être envisagée selon trois axes : d’abord, nous traiterons du rôle majeur de la loi, qui
constitue la source principale du droit fiscal, tant interne qu’international ; ensuite, nous
étudierons l’impact des conventions fiscales concernant la lutte contre les doubles
impositions ; enfin, nous évoquerons le cas particulier du droit européen et de l’ordre
juridique qu’il implique.
§1 –– La loi fiscale
217. –– La loi constitue la principale source de droit en matière fiscale. Toutefois, la
double imposition n’est pratiquement jamais évoquée en tant que telle dans les textes
internes. Le rôle préventif de la loi fiscale contre ce phénomène est en réalité assez discret, et
apparaît au travers de mesures particulières. Le législateur français a prévu un certain nombre
de mesures permettant d’éviter une éventuelle double imposition, tantôt juridique, tantôt
économique. Généralement, ces dispositifs s’inscrivent dans une volonté d’encadrer ou
d’encourager l’activité des entreprises, souvent dans un contexte mondialisé. L’objectif
poursuivi par le législateur est alors souvent d’éviter une charge fiscale trop lourde et
d’aboutir à une meilleure justice fiscale. Le risque de double imposition s’en voit alors
logiquement réduit.
232 Articles 110 à 113 du TFUE 233 Parlement européen, « Politique fiscale », Fiche techniques sur l’Union européenne, 2017 234 CJCE, 15/07/1964, Costa c/ ENEL, n° 6/64, Rec. CJCE 1964, p. 1141
96
218. –– Les développements suivants n’auront pas la prétention d’être exhaustifs en ce
qui concerne les dispositions législatives ayant pour objet ou pour effet de prévenir les
doubles impositions. Nous envisagerons d’une part le rôle de la loi fiscale comme mode de
prévention des doubles impositions en nous attardant plus précisément sur certaines mesures
importantes. Puis nous évoquerons d’autre part le cas particulier des garanties prévues contre
les changements de position de l’administration, comme le rescrit fiscal, qui constitue un
moyen intéressant d’éviter une double imposition future.
A –– Des dispositifs permettant d’éviter la double imposition
219. –– Si la double imposition n’est pas directement évoquée par la loi, le législateur
n’en est pas moins conscient des difficultés posées par ce phénomène. Outre la surcharge
financière qu’une double imposition représente pour une entreprise ou un particulier,
l’existence même d’un double prélèvement peut conduire à une réelle injustice fiscale. Face
à une telle situation, de nombreux contribuables seront tentés de remettre en cause les règles
fiscales dans leur ensemble, et se dirigeront alors de plus en plus vers la fraude ou l’évasion
fiscale. Par ailleurs, la double imposition ne saurait être ignorée par le législateur, étant donné
qu’elle va à l’encontre du principe d’égalité devant l’impôt235 : en effet, si certaines personnes
sont amenées à contribuer deux fois à « l’entretien de la force publique » et aux « dépenses
d’administration », alors la contribution ne sera plus « également répartie entre tous les
citoyens, en raison de leurs facultés ». De plus, dans un contexte d’économie mondialisée
propice à la mobilité des actifs et des flux financiers, les plus grands contribuables seront les
mieux armés pour mettre en œuvre des stratégies d’optimisation fiscale ; il en résultera alors
comme conséquence directe un alourdissement de la charge fiscale pesant sur les
contribuables plus modestes, comme les PME ou les particuliers236. Ce type de phénomène,
encouragé par les mutations économiques, risque de mettre en péril les principes les plus
fondamentaux du droit fiscal. C’est la raison pour laquelle la loi prévoit des mesures visant à
éviter, ou du moins contenir, certaines dérives, comme les situations de double imposition.
235 Article 13 de la DDHC 236 J. TUROT et al., Lamy Optimisation fiscale de l’entreprise, 2014, n° 409-2
97
220. –– Nous évoquerons principalement trois types de dispositions législatives
permettant d’éviter les doubles impositions : d’abord, le sort des impôts payés à l’étranger
par les opérateurs économiques français ; ensuite, le cas des groupes de sociétés au travers
du régime mères et filiales ; enfin, nous traiterons de quelques exemptions unilatérales
prévues par le droit fiscal français en matière d’opérations internationales.
1) L’impôt payé à l’étranger
221. –– La double imposition juridique représente un phénomène relativement
fréquent en fiscalité internationale : il s’agit de la situation où un contribuable se verra
appliqué le même impôt par deux États distincts, pour une même opération et une même
période237. Si aucune mesure particulière n’est prévue, toute opération présentant un
caractère international risque d’être victime d’une double imposition. Par exemple,
lorsqu’une société française perçoit des revenus de source étrangère, ceux-ci font
généralement l’objet d’une retenue à la source dans l’État d’origine, avant d’être assujettis
une seconde fois à l’impôt en France. Cette situation peut être corrigée par les dispositions
d’une convention fiscale, mais l’application du droit commun ne permettra généralement pas
d’éviter la double imposition. Le législateur français a toutefois prévu de limiter ce
phénomène en tenant compte, d’une certaine façon, de l’impôt payé à l’étranger.
222. –– Selon l’article 39, 1., 4° du Code général des impôts, les impôts et taxes payés à
l’étranger constituent une charge déductible pour l’entreprise française, sous réserve des
règles de territorialité applicables en matière d’impôt sur les sociétés : pour être déductibles,
les impôts payés à l’étranger doivent être relatifs à des produits assujettis à l’impôt sur les
sociétés français238. Si l’on peut se réjouir de la prise en compte de l’impôt étranger dans le
calcul du résultat imposable des sociétés françaises, la double imposition n’est en revanche
pas totalement évitée. En effet, la prise en compte d’une charge déductible n’a pas le même
effet qu’un crédit d’impôt, et ne présente donc pas le même intérêt qu’un mécanisme
d’imputation239.
237 OCDE, Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune – Version abrégée, 9e édition, 2014, p. 7 238 F. LE MENTEC, « Fasc. 3580 : Traitement fiscal – Redevances », in J.-Cl. Fiscal International, 2016, 71. 239 Voir supra n° 76.
98
223. –– La loi fiscale permet ainsi de réduire la surcharge fiscale liée à la double
imposition en matière de revenus internationaux, mais ne permet clairement pas de l’éliminer
entièrement. Les dispositions relatives à l’impôt payé à l’étranger relèvent davantage d’une
logique économique, considérant que les charges légitimement supportées par les entreprises
doivent être prises en compte pour le calcul de l’impôt dont elles sont redevables. Comme les
impôts étrangers ne peuvent généralement pas être évités, notamment dans le cas d’une
retenue à la source, il paraît donc logique de permettre aux entreprises de les déduire
fiscalement pour ne pas les décourager d’investir à l’étranger. La lutte contre la double
imposition ne semble ici que très secondaire, le phénomène n’étant que légèrement atténué
en l’absence de convention fiscale internationale.
224. –– Un autre exemple de disposition législative visant à prévenir les doubles
impositions réside dans le régime des sociétés mères et filiales : si l’inspiration de la loi est
également en grande partie économique, le résultat en termes de prévention des doubles
impositions est plus notable.
2) Le régime des sociétés mères et filiales
225. –– Les groupes de sociétés représentent une part très importante de l’économie,
en particulier internationale : il s’agit généralement d’un ensemble de plusieurs entreprises,
unies au travers de liens notamment financiers, et qui font prévaloir une unité de décision au
sein du groupe, incarnée par la société mère240. Un groupe de sociétés ne dispose d’aucune
personnalité morale propre, en raison du principe d’indépendance patrimonial des différentes
entités qui en font partie241 : seules les sociétés qui en sont membres pourront être
considérées comme des personnes de droit privé. Toutefois, le droit fiscal se révèle moins
rigide sur ce point que le droit commercial, c’est pourquoi il accorde une importance plus
grande à la notion de groupe242.
226. –– Un des éléments majeurs qui caractérise la notion de groupe se trouve dans les
flux financiers entre les entités qui le composent. Par exemple, dans le cas d’une société mère
de type holding, c’est-à-dire dont l’objet social réside dans la détention des titres de ses
240 A. LEVY et al., Lamy Droit commercial, 2017, n° 3149 241 Cass. com., 15/11/2011, n° 10-21.701, RJDA, 3/2012, n° 366 ; Droit des sociétés, n° 10, 2012, comm. 157, note R. MORTIER 242 Voir supra n° 117. et s.
99
filiales, les principaux flux financiers seront les résultats des autres entités qui remontent vers
la société mère sous forme de dividendes. Ces résultats ayant déjà fait l’objet d’une imposition
au niveau du compte de résultat des filiales, les intégrer tels quels dans le résultat de la société
mère conduirait à une situation de double imposition économique. Pour éviter la surcharge
fiscale qui pourrait alors apparaître, et pour ne pas décourager les sociétés de se constituer
en groupe, la loi fiscale est venue prévoir un régime particulier pour les dividendes qu’une
filiale reverse à sa société mère243. Cette règle existait depuis un certain temps en droit
interne, mais elle a fait l’objet de certaines adaptations avec l’intervention du droit européen,
notamment au travers de plusieurs directives, dont la dernière date de 2011244. Sous la forme
qu’il revêt aujourd’hui, le régime des sociétés mères et filiales nécessite notamment que deux
conditions soient remplies : selon l’article 145 du Code général des impôts, la société mère
doit détenir au moins 5 % des participations de sa filiale, pour une durée d’au moins deux ans.
Si ces conditions sont réunies, l’article 216 du même code prévoit que les dividendes perçus
pourront être retranchés du résultat de la société mère, après la défalcation d’une quote-part
de 5 % pour frais et charges. Même si on pourrait voir ici une surcharge fiscale injustifiée qui
pèse sur la société mère, le taux fixé par la loi à 5 % pour la quote-part de frais et charges est
trop faible pour pouvoir réellement parler d’une double imposition.
227. –– Ce régime spécial a pour objet de lutter contre les situations de double
imposition économique qui risquaient d’apparaître au sein des groupes de sociétés. Les
conditions prévues sont relativement simples à remplir, car on peut difficilement parler de
groupe de sociétés ou de filiale lorsque l’on est en présence d’une participation inférieure à 5
% ; par ailleurs, les groupes ont vocation à s’inscrire dans une structure de long terme, c’est
pourquoi le délai de détention de deux ans ne pose généralement pas non plus de difficulté.
Le régime des sociétés mères et filiales est très souvent utilisé par les entreprises, ce qui
traduit un certain succès de ce dispositif dans la lutte contre les doubles impositions.
228. –– D’autres dispositions prévues par la loi fiscale permettent de prévenir les
doubles impositions en matière de fiscalité internationale. Moins sophistiqués et dérogatoires
que le régime des sociétés mères et filiales, ces dispositifs résident dans un mécanisme
unilatéral d’exemption de certains revenus perçus à l’étranger.
243 Articles 145 et 216 du CGI 244 Directive 2011/96/UE du Conseil du 30/11/2011
100
3) L’exemption unilatérale
229. –– Parmi les mécanismes utilisés pour éviter les doubles impositions, l’exemption
est sûrement le plus simple. On le rencontre parfois dans les conventions fiscales ayant pour
objet de lutter contre la double imposition : dans ce cas, il s’agira pour l’État de résidence du
contribuable de ne pas assujettir à l’impôt les revenus qui sont attribués par la convention à
l’autre État signataire245. Ce type de disposition permet ainsi d’éviter la double imposition
juridique en s’assurant qu’il n’y ait qu’une seule et unique imposition, au sein de l’État où le
revenu trouve son origine.
230. –– Même si l’exemption découle souvent de l’application d’une convention, la
logique du mécanisme peut également se retrouver en droit interne. En effet, des dispositions
prévoient une exonération totale d’impôt en France pour certains revenus de sources
internationales. Même si l’objectif de ces exemptions unilatérales n’est pas nécessairement la
lutte contre la double imposition, l’absence d’impôt français conduit nécessairement à la
disparition du risque de surcharge fiscale, ce qui fait de ces dispositions législatives un moyen
de prévention très efficace. Nous envisagerons donc les principales exemptions unilatérales
prévues par le droit fiscal interne : l’exonération qui résulte du principe de territorialité de
l’impôt français sur les sociétés, l’absence de retenue à la source en matière d’intérêts sur
emprunt payés à l’étranger, et enfin la non-imposition de la plus-value en cas de cession de
participation non substantielle par un opérateur étranger.
a) La territorialité de l’impôt sur les sociétés
231. –– En droit fiscal français, l’impôt sur les sociétés est marqué par un principe de
territorialité : selon l’article 209, I. du Code général des impôts, les bénéfices réalisés par les
entreprises exploitées en France ont vocation à être imposés par l’administration fiscale
française246. Ce principe, absolument fondamental en fiscalité interne, constitue à certains
égards une « exception française ». En effet, la plupart des autres États imposent les bénéfices
de leurs sociétés selon un principe de mondialité, de manière analogue à l’impôt sur le revenu
245 B. PLAGNET, « Fasc. 352 : Procédés techniques de suppression des doubles impositions », in J.-Cl. Droit international, 2014, 17. 246 Administration fiscale, BOFiP, BOI-IS-CHAMP-60-10-10-20140627, § 50 et s.
101
des personnes physiques. Toutefois, cette différence de conception entre la France et les
autres États doit être relativisée, les aménagements apportés à ces principes, en particulier
par les conventions fiscales, conduisant à un certain nombre de points de convergence entre
les différents systèmes fiscaux247.
232. –– Chaque principe repose sur une logique qui lui est propre : la mondialité permet
ainsi d’aboutir à une certaine neutralité fiscale quel que soit le lieu d’implantation des activités
d’une entreprise, étant donné que tous les bénéfices seront imposés au même taux, à savoir
celui de l’État l’opérateur économique a établi son siège. Dans le cas où le taux d’imposition
de l’État de résidence de l’entreprise est élevé, le système de mondialité peut alors
représenter un frein réel au développement international de ses activités248. A l’inverse, la
territorialité repose sur l’idée simple que chaque État dispose du droit d’imposer les bénéfices
qui sont nés sur son territoire. Ainsi, ce principe permet d’encourager la compétitivité des
entreprises résidentes en évitant une charge fiscale trop lourde lorsqu’elles choisissent de
s’implanter à l’étranger pour développer leurs activités, en particulier au sein d’États
disposant d’une fiscalité sur les bénéfices plus attractive249.
233. –– Par ailleurs, le principe de territorialité peut être perçu comme un mode efficace
de prévention des doubles impositions. En effet, comme la France n’impose que les bénéfices
issus des entreprises exploitées sur son territoire, elle ignore de fait tous les profits des
exploitations effectuées à l’étranger. Cela se traduit donc en pratique par une exonération
fiscale des bénéfices issus des entreprises exploitées à l’étranger par des opérateurs français,
ce qui permet théoriquement d’éviter toute forme de double imposition. Ainsi, il réside au
sein du principe de territorialité, qui gouverne la fiscalité des entreprises françaises depuis ses
origines, une forme d’exemption unilatérale permettant de prévenir les doubles impositions.
234. –– Au travers de la territorialité de l’impôt sur les sociétés, le législateur français
permet de réduire de manière significative le risque de double imposition. En effet, dans un
système de mondialité, l’État de résidence de l’opérateur doit avoir recours à des mécanismes
d’imputations des impôts payés à l’étranger pour permettre d’éviter une surcharge fiscale, ce
qui est souvent plus délicat à mettre en œuvre, là où la territorialité évite par principe ce type
247 B. LIGNEREUX, Le Principe de territorialité de l’impôt sur les sociétés, CPO, Rapport particulier n° 4, 2017, p. 5 248 Ibid., 23. 249 Ibid., 24.
102
de difficulté. De la même manière, l’exonération des intérêts prévue par la loi fiscale française
constitue également une exemption unilatérale de nature à prévenir les doubles impositions.
b) L’exonération des intérêts payés à l’étranger
235. –– La fiscalité des intérêts fait l’objet d’un régime particulier prévu par la loi fiscale
interne. Pendant longtemps, les intérêts, étant compris comme les « paiements de créances
de toute nature » selon les travaux de l’OCDE250, faisaient l’objet d’une retenue à la source
lorsqu’ils étaient payés à l’étranger par un opérateur économique ayant son siège en
France251. Le droit européen était alors intervenu pour apporter une limite à ce prélèvement,
au travers d’une directive de 2003 qui prévoyait l’absence de retenue à la source pour les
intérêts payés entre des entreprises associées à 25 %, lorsque leurs sièges sont situés dans
des États membres de l’Union européenne, à la condition que la participation de 25 % ait été
détenue de manière ininterrompue pour une durée d’au moins deux ans252. L’exonération de
la retenue à la source issue du droit européen avait ainsi permis d’écarter le risque de double
imposition des intérêts dans le cas des groupes de sociétés ayant leur siège au sein de l’Union,
mais le phénomène était toujours possible dans les autres cas.
236. –– Depuis le 1er mars 2010, les intérêts payés à l’étranger par des personnes
morales établies en France ne font plus l’objet d’aucun prélèvement à la source253, sauf si le
bénéficiaire est situé dans un État ou territoire non coopératif : dans ce cas, le débiteur devra
démontrer que les opérations relatives au paiement de ces intérêts « ont principalement un
objet et un effet autres que de permettre la localisation de ces revenus et produits dans un
État ou territoire non coopératif »254. Ainsi, mise à part cette dernière situation particulière
induite par la lutte accrue contre l’évasion fiscale, les produits des emprunts contractés à
l’étranger par les personnes morales françaises font l’objet d’une exemption fiscale selon la
loi interne. Ce choix participe davantage d’une logique économique que d’une volonté de
prévenir les doubles impositions : en effet, le risque que représente un prélèvement à la
source est le même pour les intérêts que pour les dividendes ou pour les redevances, or seuls
250 Voir supra n° 51. et s. 251 Article 125 A du CGI 252 Directive 2003/49/CE du Conseil du 03/06/2003, transposée à l’article 119 quater du CGI 253 Article 131 quater du CGI 254 Article 125 A, III. du CGI
103
les intérêts payés à l’étranger font l’objet de cette exonération. La raison de ce choix de
politique fiscale découle du rôle majeur de la dette dans le développement actuel des
entreprises françaises. L’endettement représente un moteur fondamental pour la plupart des
activités économiques, et une charge fiscale trop importante pesant sur les intérêts pourraient
décourager les prêteurs étrangers de mettre leurs capitaux à dispositions des opérateurs
français. De plus, une retenue à la source pesant sur les intérêts versés à l’étranger conduirait
à une augmentation des taux d’intérêt, ce qui accroîtrait le coût global de l’endettement des
sociétés résidant en France.
237. –– L’exemption unilatérale dont bénéficient les intérêts versés à l’étranger par des
personnes morales ayant leur siège en France permet de facto de prévenir tout risque de
double imposition. Même si les raisons de cette mesure découlent davantage d’un choix
économique que d’une véritable lutte contre les phénomènes de double imposition, il nous
faut tout de même reconnaître son efficacité. Un autre exemple d’exemption prévue par la loi
fiscale française se trouve dans le régime applicable aux cessions de parts sociales françaises
par un opérateur étranger, dans le cas où sa participation n’était pas substantielle.
c) Les cessions de participations non substantielles par un opérateur étranger
238. –– Les cessions de parts de sociétés françaises font généralement l’objet d’une
imposition au titre de la plus-value réalisée. Mais dans le cas d’une cession de participation
effectuée par un opérateur étranger, c’est-à-dire qui n’a pas son siège en France ou qui n’est
pas domicilié fiscalement en France au sens de l’article 4 B du Code général des impôts dans
le cas d’une personne physique, le régime applicable dépendra de la nature de la participation
cédée. En effet, lorsque la participation du cédant est dite substantielle, c’est-à-dire « lorsque
les droits dans les bénéfices de la société détenus par le cédant ou l’actionnaire ou l’associé,
avec son conjoint, leurs ascendants et leurs descendants, ont dépassé ensemble 25 % de ces
bénéfices à un moment quelconque des cinq dernières années »255, un prélèvement de 45 %
sera effectué. Ce montant, qui est calqué sur le taux marginal de l’impôt sur le revenu, se verra
porté à 75 % dans le cas où l’opération est réalisée par un opérateur situé dans un État ou
255 Article 244 bis B du CGI
104
territoire coopératif, et par dérogation, la cession sera imposée quel que soit le pourcentage
de droits aux bénéfices détenu par le cédant256.
239. –– Dans le cas où la participation cédée n’est pas substantielle, c’est-à-dire que les
droits aux bénéfices du cédant n’ont jamais excédé 25 % au cours des cinq années précédant
la cession, le régime fiscal applicable prévoit une exonération de la plus-value réalisée257. Ce
dispositif permet ainsi d’éviter une double imposition, comme le cédant, qui n’est pas
domicilié fiscalement en France, se verra probablement imposé dans son État de résidence au
titre de la plus-value constatée. Ce régime particulier ne découle pas réellement d’une volonté
de lutte contre la double imposition, mais d’un héritage historique : il s’agit d’une survivance
du régime applicable aux personnes physiques en droit interne avant 1976, date de la réforme
généralisant l’imposition des plus-values ; les anciennes dispositions ont toutefois été
maintenues pour les opérateurs étrangers258. Il est à noter que cette exonération prévue par
la loi interne n’est pas applicable aux sociétés à prépondérance immobilière, c’est-à-dire des
sociétés dont au moins la moitié des actifs sont constitués d’immeubles ou de parts dans des
sociétés immobilières : dans ce cas, la cession relèvera du régime des plus-values
immobilières259.
240. –– Par cette exemption particulière relative aux cessions de participations non
substantielles par des opérateurs étrangers, la loi fiscale permet de prévenir les doubles
impositions juridiques qui pourraient en découler. Afin de limiter le risque de double
imposition et d’insécurité juridique pour les contribuables, un certain nombre de mécanismes
de protection contre les changements de position de l’administration fiscale ont été mis en
place.
B –– Les garanties contre les changements de position de l’administration
fiscale
241. –– Si les règles applicables en matière fiscale sont établies par la loi ou par les
conventions internationales, elles n’en sont pas moins mises en œuvre par l’administration.
256 Article 244 bis B, al. 2 du CGI 257 Article 244 bis C du CGI 258 Voir supra n° 63. et s. 259 P. LEGENTIL, « Fasc. 3620 : Traitement fiscal – Gains en capital », in J.-Cl. Fiscal International, 2013, 79.
105
Celle-ci, de par sa fonction et son rôle d’établissement et de recouvrement de l’impôt, dispose
d’un pouvoir considérable. En effet, c’est elle qui est amenée à prendre position sur
l’applicabilité des régimes fiscaux, sur l’interprétation des textes et sur la qualification
juridique de la situation du contribuable, ce dernier ne disposant que du recours devant le
juge de l’impôt pour faire valoir ses droits. Comme l’État peut rencontrer certaines difficultés
financières et que l’administration dépend directement du pouvoir exécutif, celle-ci se
retrouve souvent à devoir faire des choix très favorables aux finances publiques, parfois –
certains diront souvent – au détriment du contribuable.
242. –– Afin d’éviter les dérives qui pourraient survenir dans l’exercice de ses fonctions
par l’administration, et pour que les contribuables ne fassent pas les frais de la complexité
croissante du droit fiscal, certaines mesures ont été mises en œuvre pour encadrer le travail
des services fiscaux. Ces dispositifs sont essentiellement de deux types, l’un tenant à
l’interprétation des règles fiscales par l’administration, et l’autre concernant la qualification
de la situation de fait du contribuable.
1) L’interprétation des textes fiscaux par l’administration
243. –– Dans son rôle de détermination et de prélèvement de l’impôt, l’administration
fiscale est souvent amenée à interpréter des textes, ou à prendre position sur leur application.
En effet, le législateur fiscal n’est pas forcément en mesure de prévoir toutes les conséquences
pratiques des règles qu’il met en place, c’est pourquoi il reviendra souvent au pouvoir exécutif
et à l’administration fiscale d’apporter des réponses aux questions pratiques des
contribuables. En cas d’interprétation divergente entre un contribuable et l’administration, il
appartiendra au juge de l’impôt de trancher : c’est à lui que revient le rôle de contrôler le
travail interprétatif effectué par les services fiscaux. Si l’interprétation administrative se
rencontre également dans d’autres branches du droit, notamment par le biais d’instructions
ou de circulaires, elle revêt tout de même un caractère particulier lorsqu’il s’agit de la matière
fiscale. En raison de l’impact fort des décisions de l’administration sur les contribuables, il a
très vite semblé nécessaire de mettre en place des garanties contre les changements
106
d’interprétation des textes par les services fiscaux, notamment au travers de l’article L80 A du
Livre des procédures fiscales260.
244. –– Une difficulté supplémentaire, d’ordre plus pratique, risque également
d’apparaître : comme l’administration est placée sous l’autorité du ministère de l’Économie
et des Finances, son interprétation des textes fiscaux risquent d’être influencée par les choix
politiques des différents gouvernements. Cette instabilité latente risque alors de représenter
une réelle menace pour la sécurité juridique des contribuables, ce qui constitue une raison
supplémentaire de prévoir un mécanisme de protection permettant d’éviter que les
contribuables ne fassent les frais d’une interprétation changeante de l’administration fiscale.
245. –– Un tel dispositif a été prévu à l’article L80 A du Livre des procédures fiscales.
Selon ce texte, un double mécanisme permet de protéger le redevable de l’impôt. D’une part,
le premier alinéa prévoit une garantie lorsque l’administration a formellement pris position
sur l’interprétation d’un texte fiscale : cette règle permet ainsi au contribuable de se prévaloir
de la première décision de l’administration à son égard, notamment dans le cas où il subit le
rehaussement d’une imposition antérieure261. Ce premier alinéa n’a donc pas vocation à
s’appliquer lors d’une imposition primitive262. D’autre part, le second alinéa de l’article L80 A
apporte au contribuable une garantie contre les changements dans l’interprétation des textes
fiscaux telle que présentée dans la doctrine écrite publiée par l’administration fiscale. Cette
règle a donc pour effet de rendre ses publications opposables à l’administration. À la
différence du premier alinéa, ce dispositif a vocation à s’appliquer aussi bien pour les
rehaussements que pour les impositions primitives263.
246. –– L’administration fiscale n’est pas seulement amenée à interpréter des textes
fiscaux, elle peut également être interrogée sur des questions de fait. En effet, les difficultés
du droit fiscal ne se limitent pas à la complexité des textes et des régimes applicables, et il se
pose souvent des difficultés de qualification juridique. Comme les contribuables ont rarement
la même approche de leur situation que l’administration fiscale, il peut être intéressant pour
260 J. GUEZ, L’interprétation en droit fiscal, Thèse, LGDJ, 2007 261 Administration fiscale, BOFiP, BOI-SJ-RES-10-10-20-20120912, § 30 262 CE, 09/02/2000, M. J.-M. Pagès, n° 185589 et 185599, RJF, 3/2000, n° 358 ; Droit fiscal, n° 27, 2000, comm. 551, concl. J. ARRIGHI DE CASANOVA 263 Administration fiscale, BOFiP, BOI-SJ-RES-10-10-10-20130718, § 90
107
eux d’interroger cette dernière sur leur assujettissement éventuel à un impôt. Cette possibilité
a notamment été mise en place au travers de la procédure du rescrit fiscal.
2) La qualification des faits par l’administration fiscale
247. –– Si l’interprétation des textes fiscaux peut occasionner certaines difficultés, la
qualification juridique de la situation d’un contribuable est une question encore plus sensible.
En effet, des considérations purement pratiques peuvent rendre l’appréciation de sa propre
situation assez difficile. Si on ajoute à ces difficultés la complexité des différents régimes
applicables, il semblait logique de permettre aux personnes, physiques comme morales,
d’interroger l’administration fiscale quant à leur situation. Pour rendre un tel dispositif
efficace, il a fallu l’encadrer dans une procédure déterminée, et apporter aux contribuables
un certain nombre de garanties relatifs à la réponse que lui fournirait l’administration264.
248. –– Une autre procédure est également apparue dans le cas particulier de la
détermination des prix de transfert. Il s’agit des montants payés entre elles par des entreprises
du même groupe situés dans des États différents : pour éviter des stratégies fiscales qui
consisteraient à localiser la majeure partie des bénéfices du groupe dans des territoires à
fiscalité privilégiée, des règles spécifiques ont été mises au point par l’OCDE et par les États
pour éviter les dérives. Si les prix de transfert pratiqués par une entreprise font l’objet d’un
redressement par l’administration fiscale265, une double imposition risque alors d’apparaître :
les bénéfices considérés comme transférés à l’étranger seront réintégrés au résultat fiscal de
l’entreprise française ; si aucune correction n’est apportée dans État de résidence de l’autre
entreprise associée, une situation de double imposition économique sera constatée266. Pour
éviter ce risque de surcharge fiscale, les groupes internationaux ont la possibilité de passer un
accord avec l’administration pour valider le calcul des prix de transfert qu’il pratique, et ainsi
éviter le risque de double imposition. On parle alors d’accord préalable en matière de prix de
transfert.
264 Article L80 B du LPF 265 Selon l’article 57 du CGI, les bénéfices indirectement transférés à des entreprises associées situées hors de France peuvent être réintégrés au résultat de l’exploitation située en France et seront alors imposés comme telle. 266 Voir supra n° 150. et s.
108
249. –– Les garanties proposées aux contribuables pour faire face à la qualification de
leur situation par l’administration fiscale sont principalement de deux types. Nous évoquerons
donc dans un premier temps les accords préalables en matière de prix de transfert, qui
constituent une garantie propre aux groupes internationaux de sociétés. Ensuite, nous
envisagerons dans une optique plus globale les garanties proposées dans le cadre de la
procédure de rescrit fiscal, général ou spécifique.
a) Les accords préalables en matière de prix de transfert
250. –– La question des prix de transfert est une des problématiques majeures traitées
par l’OCDE, en raison de la part importante des groupes de sociétés dans l’économie mondiale
et des conséquences financières qu’implique le traitement fiscal des prix de transfert. Afin de
déterminer un prix de transfert considéré comme juste, la méthode préconisée par
l’organisation s’articule autour du principe de pleine concurrence : cette méthode constitue
une forme de consensus au sein de l’OCDE267. Il s’agit concrètement de fixer les prix pratiqués
entre les sociétés d’un même groupe de la même manière que si ces entreprises n’avaient pas
été associées, c’est-à-dire en ne tenant compte que du fonctionnement du marché en
situation de pleine concurrence. Les prix ainsi fixés doivent être juste et fidèles au
fonctionnement économique du marché pour ne pas être sanctionnés au titre d’un transfert
indirect de bénéfices.
251. –– Toutefois, le principe de pleine concurrence tient plus au résultat à atteindre
qu’à une méthode applicable par un groupe de sociétés pour calculer le montant de ses prix
de transfert. C’est pourquoi l’OCDE propose un certain nombre de démarches pratiques pour
déterminer un prix de transfert respectant le principe de pleine concurrence. Par exemple, la
méthode du prix comparable sur le marché libre consiste à comparer le prix choisi par les
entreprises du même groupe à ceux pratiqués sur le marché par des entreprises
indépendantes268. Une autre possibilité de calcul proposée par l’OCDE réside dans la méthode
transactionnelle de la marge nette, qui consiste à déterminer le juste prix de transfert en
267 B. CASTAGNEDE, Précis de fiscalité internationale, 5e édition, 2015, 74. 268 Ibid., 75.
109
fonction de la marge bénéficiaire nette réalisée par le contribuable269. D’autres méthodes sont
encore envisagées par l’organisation, mais en réalité, les entreprises demeurent libres
d’appliquer celle de leur choix, voire de proposer une méthode de détermination des prix de
transfert qui leur est propre. Toutefois, elles devront démontrer que le résultat qu’elles
obtiennent est en conformité avec le principe de pleine concurrence.
252. –– La pluralité de méthodes possibles pour calculer un prix de transfert, à laquelle
s’ajoutent le caractère intrinsèquement flou du principe de pleine concurrence, conduit à une
certaine insécurité juridique du point de vue des groupes de sociétés. La situation est d’autant
plus préoccupante que le risque de double imposition est réel en cas de qualification de
transfert indirect de bénéfices à l’étranger par l’administration fiscale. C’est la raison pour
laquelle l’OCDE a prévu la possibilité pour les groupes de sociétés de passer un accord
préalable avec les services fiscaux, afin que ces derniers valident les prix de transfert retenus
par l’entreprise et renoncent à toute remise en cause ultérieure.
253. –– Les accords préalables en matière de prix de transfert s’inscrivent clairement
dans une volonté de prévention des doubles impositions économiques. Selon l’OCDE, il s’agit
d’un « accord qui fixe, préalablement à des transactions entre entreprises associées, un
ensemble approprié de critères (concernant par exemple la méthode de calcul, les éléments
de comparaison, les correctifs à y apporter et les hypothèses de base concernant l’évolution
future) pour la détermination des prix de transfert appliqués à ces transactions au cours d’une
certaine période »270. Ce type de procédure a progressivement été adopté par la plupart des
États membres de l’organisation, même si la France a été relativement réticente à sa mise en
place. Le dispositif a d’abord pris la forme d’une simple instruction administrative en 1999,
avant de faire l’objet d’une légalisation en 2004 à l’article L80 B du Livre des procédures
fiscales271. Le fondement légal de cette procédure est donc aujourd’hui le même que celle du
rescrit fiscal classique.
254. –– Il existe en réalité deux types d’accords préalables en matière de prix de
transfert qui peuvent être conclus avec l’administration fiscale. D’une part, une entreprise
pourra conclure avec les services fiscaux un accord unilatéral, qui viendra valider les prix
269 B. CASTAGNEDE, Précis de fiscalité internationale, 5e édition, 2015, 76. bis 270 OCDE, Principes de l’OCDE applicables en matière de prix de transfert à l’intention des entreprises multinationales et des administrations fiscales, 2010, p. 186 271 B. CASTAGNEDE, op. cit., 93. et 94.
110
pratiqués lors des opérations intragroupes. L’accord portera notamment sur les méthodes de
calcul utilisées pour déterminer les prix en question, sur les éléments de comparaison, ainsi
que sur les hypothèses d’évolution future. Si la négociation aboutit et qu’un accord unilatéral
est conclu, l’administration s’engage à ne pas remettre en cause les prix pratiqués par
l’entreprise, en garantissant notamment que ces opérations ne constituent pas un transfert
indirect de bénéfices au sens de l’article 57 du Code général des impôts272. D’autre part, un
accord bilatéral peut être conclu entre l’administration fiscale française et celle de l’autre État
concerné par le prix de transfert : cette procédure, qui portera également sur les méthodes
mises en œuvre, permet d’apporter une meilleure sécurité juridique aux groupes
internationaux et de stabiliser leur environnement fiscal. Une fois conclu, l’accord bilatéral
garantit à l’entreprise que les prix qu’elle pratique ne seront pas qualifiés de transfert indirect
de bénéfices au sens de l’article 57, de façon analogue à l’accord unilatéral273.
255. –– Les accords préalables en matière de prix de transfert, qu’ils soient unilatéraux
ou bilatéraux, se voient conférer une portée législative en vertu de l’article L80 B du Livre des
procédures fiscales. D’une manière plus générale, ce texte est également le siège de la
procédure du rescrit fiscal, qui permet au contribuable d’obtenir une prise de position
formelle de l’administration sur une situation de fait.
b) Le rescrit fiscal
256. –– Si le rescrit fiscal existe sous sa forme actuelle depuis quelques décennies, les
origines des procédures de ce type sont bien plus anciennes. A l’époque du droit romain, un
particulier pouvait interroger l’empereur ou un conseiller impérial sur un point de droit précis ;
la réponse écrite qui lui était alors fournie avait une valeur juridique contraignante pour celui
qui l’avait émise274. Le législateur contemporain s’est inspiré du même principe pour mettre
en œuvre le rescrit fiscal : cette procédure a été introduite pour la première fois en 1987, avec
272 Administration fiscale, BOFiP, BOI-SJ-RES-20-20-20170201, § 1 273 Administration fiscale, BOFiP, BOI-SJ-RES-20-10-20170201, § 10 274 B. PLESSIX, « Le rescrit en matière administrative », Revue juridique de l'économie publique, n° 657, 2008, Etude 8
111
la loi dite Aicardi. Le mécanisme est actuellement codifié à l’article L80 B du Livre des
procédures fiscales.
257. –– D’un point de vue pratique, le rescrit fiscal permet à un contribuable
d’interroger par écrit l’administration sur une question de fait relative à sa situation. Les
services fiscaux disposent alors d’un certain délai pour lui répondre, qui pourra varier selon la
nature de la question posée. Une fois une prise de position formelle adoptée par
l’administration, le contribuable sera en mesure de se prévaloir de l’appréciation émise quant
à sa situation. La réponse fournie par les services fiscaux fait alors l’objet des mêmes garanties
que celles accordées aux prises de positions formelles de l’administration concernant
l’interprétation d’un texte fiscal275. L’administration ne pourra donc changer son point de vue
que pour l’avenir, sa décision n’ayant aucun effet rétroactif276. Par ailleurs, la prise de position
des services fiscaux suite à une demande de rescrit doit être antérieure aux agissements du
contribuable : cette procédure ne peut en aucun cas être exploitée pour chercher à régulariser
une situation a posteriori.
258. –– La loi prévoit deux types de rescrits distincts, en fonction des conséquences
qu’emporte la non-réponse de l’administration fiscale dans les délais prévus par la loi. Dans le
cas d’un rescrit dit général, seule une réponse explicite de l’administration fiscale traduira une
prise de position formelle. La loi de modernisation de l’économie de 2008 a élargi les
possibilités ouvertes au contribuable qui souhaite demander l’appréciation de sa situation par
les services fiscaux au regard d’une règle particulière, et a prévu que la demande soit
généralement assorti d’un délai de réponse de trois mois. Toutefois, le non-respect de ce délai
par l’administration ne vaudra pas acceptation implicite et ne sera donc pas de nature à
l’engager juridiquement277. A l’inverse, dans le cas des rescrits dits spécifiques, l’absence de
réponse de l’administration fiscale dans le délai prévu par la loi vaudra accord implicite pour
le contribuable. Ainsi, si aucune prise de position formelle n’est communiquée par les services
fiscaux à temps, le redevable pourra en déduire que l’analyse qu’il leur a communiquée dans
le cadre de sa demande est validée. Cette acceptation tacite engagera juridiquement
l’administration et lui sera opposable278.
275 Article L80 A du LPF 276 Article L80 B, 1° du LPF 277 Administration fiscale, BOFiP, BOI-SJ-RES-10-20-20-20150902, § 20 278 Ibid.
112
259. –– Le rescrit constitue ainsi une procédure intéressante pour le contribuable qui
souhaite limiter le risque fiscal qui pèse sur lui et sécuriser sa situation juridique. Toutefois,
cette procédure demeure assez peu utilisée, en particulier en matière de fiscalité
internationale. Les opérateurs, français comme étrangers, ont souvent tendance à percevoir
la procédure de rescrit davantage comme une source de risque pour eux qu’autre chose. En
effet, en interrogeant l’administration fiscale sur l’appréciation de leur situation, un opérateur
va pousser les services fiscaux à étudier son dossier de manière très précise : dans le cas où la
réponse de l’administration n’est pas celle escomptée, il sera alors très difficile pour le
contribuable d’aller dans un autre sens sans encourir un sérieux risque de redressement. Pour
éviter ce type de situation, les entreprises n’envisagent que très rarement le recours au rescrit
fiscal. En matière de double imposition, le bilan du rescrit est somme toute assez mitigé. En
effet, la réponse de l’administration indiquera surtout à l’opérateur s’il risque de s’exposer à
une double imposition dans le cadre de ses activités, mais dans le cas où le risque de surcharge
fiscale est réel, aucune solution pour l’éviter n’est prévue par cette procédure. L’efficacité du
rescrit fiscal en matière de prévention des doubles impositions est donc globalement assez
limitée, cette procédure étant réellement une arme à double tranchant pour les
contribuables.
260. –– La loi fiscale permet à certains égards d’éviter les doubles impositions, mais son
action de prévention réside principalement dans des dispositions portant sur des points
précis. D’un point de vue plus global, la prévention de ce phénomène par la loi est plutôt
limitée. C’est la raison pour laquelle les règles nationales seront complétées par les
conventions fiscales internationales, qui constituent un des plus importants modes de lutte
contre les doubles impositions.
§2 –– Les conventions fiscales internationales
261. –– Même si la loi demeure la source de droit majeure en matière d’impôts, elle ne
saurait suffire en elle-même à encadrer la fiscalité internationale et éviter les phénomènes de
doubles impositions. En effet, les lois promulguées par les États n’ont de valeur juridique
contraignante que dans la limite de leur territoire national. Or cette situation s’accommode
mal du caractère international que peuvent revêtir les échanges et les activités économiques.
113
C’est pourquoi le rôle des conventions fiscales est vite apparu comme fondamental aux yeux
de nombreux acteurs internationaux. Dès le début du XXe siècle, des négociations étaient
menés par les États membres de la Société des Nations dans le cadre de l’Organisation
économique et financière, donnant ainsi naissance à une des premières expériences notables
de multilatéralisme et de négociations internationales en matière fiscale279. A cette époque,
dans les années 1930, les négociations étaient menées par des experts en fiscalité, chargés de
représenter les différents États, dans une optique essentiellement technique au premier
abord. En réalité, il s’avère qu’au-delà de l’image officielle véhiculée par l’organisation, les
négociations avaient déjà pris une tournure politique, marquées par la volonté des États de
mettre en œuvre une véritable politique fiscale internationale qui leur serait la plus favorable
possible280.
262. –– Malgré les efforts mis en œuvre au sein de l’Organisation économique et
financière de la Société des Nations, assez peu de mesures contraignantes ont vu le jour en
fiscalité internationale. De plus, les années 1930 ont vu l’essor de plusieurs régimes totalitaires
en Europe, et la guerre a très rapidement mis les problématiques géopolitiques sur le devant
de la scène, au détriment des négociations fiscales. Toutefois, les travaux de la Sociétés des
Nations ont trouvé une certaine continuité au sein du Comité des affaires fiscales de l’OCDE.
En effet, dès le début des années 1950, l’organisation a commencé à être le siège de
négociations en matière d’impôts, dans l’optique de répondre à deux problématiques
majeures, à savoir la double imposition et l’évasion fiscale.
263. –– Si l’OCDE est un lieu de discussion et de négociations entre États, il ne s’agit pas
pour autant d’une autorité supranationale capable d’édicter des règles de droits :
l’organisation a avant tout un rôle consultatif, la mise en œuvre de nouvelles règles en matière
de fiscalité internationale dépendant exclusivement de la volonté des États. Le rôle de l’OCDE
est toutefois déterminant, car il a conduit à l’élaboration d’un modèle de convention fiscale
bilatérale, publié pour la première fois en 1963 et régulièrement remis à jour depuis cette
date. La version la plus récente du document a été finalisée en juillet 2014, constituant la
neuvième version du modèle281. La plupart des conventions fiscales en vigueur, y compris
celles conclues par la France, s’inspirent assez fortement de ce modèle, même si les États
279 C. FARQUET, « Expertise et négociations fiscales à la Société des Nations (1923 – 1939) », Relations internationales, n° 142, 2010, p. 5-21 280 Ibid. 281 OCDE, Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune – Version abrégée, 9e édition, 2014
114
disposent toujours de la faculté de s’en écarter. Par ailleurs, le modèle de convention publié
par l’OCDE comporte un certains nombres de recommandations pratiques à destination des
services fiscaux et des contribuables. Ainsi, même si les États restent à la manœuvre, l’étude
du modèle et des travaux de l’OCDE demeure incontournable, tant son influence est grande ;
il faudra toutefois garder à l’esprit que chaque convention bilatérale peut s’en éloigner, et
devra donc être consultée au cas par cas.
264. –– Afin de déterminer le véritable caractère préventif des conventions fiscales
internationales en matière de double imposition, nous évoquerons d’abord les objectifs
clairement affichés par ces textes. Ensuite, dans une optique plus pratique, nous nous
attarderons sur les méthodes prévues par les conventions pour éviter les doubles impositions.
Enfin, nous évoquerons les limites du droit fiscal conventionnel.
A –– Les objectifs des conventions fiscales
265. –– Dans le cadre des travaux de l’OCDE, le premier objectif du droit fiscal
conventionnel résidait dans la prévention et l’élimination des doubles impositions. En effet,
dans le projet de convention de 1963 et le modèle publié en 1977, « l’élimination des doubles
impositions étaient mentionnée dans le titre du modèle de convention »282. Mais par la suite,
cette dénomination a été abandonnée, car l’OCDE a rapidement considérée que le modèle
qu’elle propose ne concerne pas uniquement la lutte contre les doubles impositions, mais
s’adresse également à des questions comme l’évasion fiscale ou la discrimination par l’impôt.
En réalité, l’OCDE conçoit au travers de son modèle les problématiques de fiscalité
internationale dans une certaine globalité. L’idée majeure est donc d’organiser les relations
fiscales entre deux États selon des règles garantissant une certaine sécurité juridique, tout en
évitant que des contribuables soient amenés à supporter une surcharge fiscale injustifiée, ou
encore que des États subissent des pertes financières trop importantes. Les conventions
fiscales internationales ont ainsi pour objectif de s’adresser à toutes ces différentes questions
282 OCDE, Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune – Version abrégée, 9e édition, 2014, p. 11
115
à la fois, sans se limiter aux doubles impositions comme elles ont parfois pu le faire par le
passé.
266. –– Pourtant, malgré des objectifs clairement affichés de lutte contre de telles
situations, l’existence d’une convention ne garantit pas au contribuable l’absence totale de
risque de double imposition, sinon le phénomène aurait été éradiqué depuis longtemps. En
effet, comme le résume très bien un auteur, « la double imposition juridique d’un revenu est
un constat classique en l’absence de convention bilatérale mais elle n’est pas pour autant
exclue en présence d’un accord entre les États »283. A titre d’illustration, on pourra constater
que dans la plupart des situations de doubles impositions juridiques, une convention fiscale a
été conclue entre les États concernées, mais soit celle-ci n’est pas applicable, soit elle ne
permet pas systématiquement d’éviter la double imposition. Ce phénomène résulte
principalement de la construction même des conventions : celles-ci prévoient des méthodes
pour l’établissement de l’impôt dans un cadre international entre deux États, afin d’apporter
de la sécurité juridique aux contribuables, mais il arrive souvent que certains types
d’opérations échappent à l’application de la convention. En effet, chaque État a des règles et
des traditions propres en matière fiscale qu’il souhaite conserver malgré l’existence d’une
convention. Les éventuelles réserves des États membres apparaîtront alors sous forme de
commentaires au sein du modèle de convention de l’OCDE ; même s’ils n’ont aucune valeur
juridique en tant que telle, ils constitueront tout de même une référence pratique pour
l’administration fiscale ainsi que pour les contribuables284.
267. –– Même si les objectifs visés ne sont pas systématiquement atteints, les
conventions fiscales aspirent tout de même à lutter contre les doubles impositions,
notamment par des mécanismes de prévention. En pratique, les États pourront avoir recours
à différents types de méthodes pour éviter qu’un tel phénomène ne survienne.
B –– Les méthodes conventionnelles de prévention des doubles impositions
268. –– Dès les prémices de la lutte contre la double imposition, dans la première moitié
du XXe siècle, le comité fiscal de la Société des Nations avait imaginé des procédés permettant
283 M. CHASTAGNET, « Double imposition des dividendes, prestations d’assurance, droit conventionnel et droit dérivé : le droit fiscal de l’UE est un chemin sinueux… », Les Nouvelles Fiscales, n° 1179, 2016 284 J. SCHMIDT et al., Lamy Fiscal, 2017, n° 4348
116
d’éviter ce type de phénomènes. Quatre méthodes avaient été retenues et se retrouvaient au
sein des conventions conclues à l’époque285 :
L’exemption, qui consiste pour l’un des États à renoncer à imposer les contribuables
qui ont des liens particulièrement étroits avec l’autre État partie à la convention ;
La déduction, qui permet à chaque État signataire de percevoir l’impôt selon sa
législation interne, mais oblige également l’un des États à déduire de son impôt le
montant payé par le contribuable au même titre à l’autre État signataire, selon les
modalités prévues par la convention ;
La division du produit, qui consiste à charger un seul État de percevoir l’impôt auprès
des redevables pour ensuite partager les recettes fiscales entre les deux États
signataires ;
La répartition de la matière imposable, qui vise à définir des catégories de revenus
et à les attribuer à l’un ou l’autre État, selon des critères objectifs prévus par la
convention.
269. –– Cette classification n’a pas été reprise en tant que telle par les travaux de l’OCDE,
notamment car la méthode relative à la division du produit n’est pratiquement jamais
retenue, car elle supposerait des transferts de fonds régulier et une très forte coopération
entre les États286. Les trois autres mécanismes imaginés par le comité fiscal dans les années
1930 ont par contre été repris par la convention modèle de l’OCDE, parfois sous des formes
quelque peu différentes. Aujourd’hui encore, les conventions fiscales ont finalement pour
objet de « répartir la compétence fiscale entre les deux États signataires », permettant ainsi
de prévenir les doubles impositions éventuelles287. Pour ce faire, les principales méthodes
utilisées résident dans l’imposition exclusive des établissements stables et les mécanismes
d’exemption ou d’imputation de l’impôt payé à l’étranger. D’autres méthodes de prévention
des doubles impositions pourront éventuellement être envisagées par la suite.
285 B. PLAGNET, « Fasc. 352 : Procédés techniques de suppression des doubles impositions », in J.-Cl. Droit international, 2014, 12. 286 B. PLAGNET, « Fasc. 352 : Procédés techniques de suppression des doubles impositions », in J.-Cl. Droit international, 2014, 12., 13. 287 J. SCHMIDT et al., Lamy Fiscal, 2017, n° 4348
117
1) L’imposition des établissements stables
270. –– La notion d’établissement stable est systématiquement présente dans la plupart
des conventions fiscales internationales. Il s’agit d’un ensemble de critères permettant de
rattacher territorialement les bénéfices d’une entreprise à l’un des États signataires de la
convention. Selon l’article 5 du modèle de l’OCDE, l’établissement stable se définit comme
« une installation fixe d’affaires par l’intermédiaire de laquelle une entreprise exerce tout ou
partie de son activité »288 : il pourra par exemple s’agir d’un bureau, d’une usine ou encore
une succursale. Sous réserve des spécificités propres à chaque convention, les bénéfices
réalisés par une entreprise au travers d’un établissement stable seront imposables dans l’État
où se trouve cet établissement. La convention modèle de l’OCDE prévoit par exemple que les
bénéfices d’une entreprise établie dans un État seront imposés par ce dernier, sauf pour la
part qui résulte de l’exploitation d’un établissement stable dans l’autre État, qui sera alors en
droit d’imposer les bénéfices réalisés sur son territoire289. La méthode d’imposition des
établissements stables constitue d’une certaine manière une forme de répartition de la
matière imposable entre les États : chacun sera compétent pour imposer les bénéfices issus
des établissements stables implantés sur son territoire. Parfois, ce système devra toutefois
être complété par une méthode d’exemption ou d’imputation pour éviter une double
imposition, en particulier lorsqu’un des États signataires retient un principe de mondialité
pour l’impôt sur les sociétés.
271. –– Concrètement, les critères retenus en matière conventionnel pour caractériser
un établissement stable sont très proches de ceux établis par le Conseil d’État pour
caractériser l’entreprise exploitée en France290. Toutefois, quelques différences sont à relever
entre les deux notions. Le critère de cycle commercial complet comme entreprise exploitée
en France est par exemple propre au droit interne et ne se retrouve pas dans les conventions
fiscales : il s’agira par exemple de la situation où des opérations sont effectués à l’étranger,
mais décidées, organisées et contrôlées depuis la France291. Une autre différence résultera
288 OCDE, Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune – Version abrégée, 9e édition, 2014, p. 26 289 Ibid., p. 28 290 Voir supra n° 40. et s. 291 CE, 03/03/1976, n° 98680, RJF, 5/1976, n° 222
118
des exceptions prévues par le modèle de convention de l’OCDE : l’article 5 prévoit un certain
nombre de situations qui ne constitueront pas un établissement stable, notamment lorsqu’il
s’agit d’activités préparatoires ou auxiliaires, par exemple à des fins de stockage292. A l’inverse,
en droit interne, un bureau d’achat disposant d’une certaine autonomie sera considéré
comme un établissement autonome293.
272. –– Un autre mode de prévention des doubles impositions relatif aux bénéfices des
entreprises et aux établissements stables résulte du principe de non-discrimination : il s’agit
d’une règle prévue à l’article 24 du modèle de l’OCDE qui oblige les États signataires à ne pas
traiter les ressortissants de l’autre État de manière moins favorable que ses résidents
nationaux, en particulier s’agissant des établissements stables294. Cette règle permet de
garantir une certaine uniformité de traitement et une sécurité juridique pour les
contribuables.
273. –– Si le système d’imposition des établissements stables repose sur une logique
forte, rejoignant à certains égards le principe français de territorialité, il ne permet toutefois
pas toujours d’éviter les doubles impositions, c’est pourquoi il est souvent complété par des
méthodes d’exemption ou d’imputation.
2) L’exemption
274. –– L’exemption est une méthode de prévention des doubles impositions qui
apparaît dans de nombreuses conventions. Il s’agit d’un système particulièrement privilégié
par les travaux de l’OCDE, car il garantit de manière plus certaine l’absence de surcharge
fiscale pour les contribuables. C’est notamment pour cette raison que l’organisation milite
pour la suppression des retenues à la source, les revenus passifs étant alors uniquement
imposés dans l’État de résidence du bénéficiaire. Très concrètement, la méthode
conventionnelle de l’exemption consiste pour chaque État signataire à ne pas assujettir à
292 OCDE, Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune – Version abrégée, 9e édition, p. 27 293 B. LIGNEREUX, Le Principe de territorialité de l’impôt sur les sociétés, CPO, Rapport particulier n° 4, 2017, 125. 294 OCDE, op. cit., p. 38
119
l’impôt les revenus imposables par l’autre État en vertu des dispositions du traité. Si l’idée est
relativement simple, il existe en réalité deux types d’exemption possibles295 :
L’exemption intégrale prévoit de ne tenir aucun compte, pour l’État qui établit
l’impôt, des revenus qui échappent sa compétence : seuls les revenus imposables
en vertu de la convention servent de base pour le calcul de l’impôt ;
L’exemption avec progressivité, également appelée méthode du taux effectif, vise
à tenir compte des revenus qui seront imposés dans l’autre État pour déterminer le
taux de l’impôt : dans un système d’impôt progressif, le taux retenu correspondra
donc à l’ensemble des revenus du contribuable, y compris ceux qui ne sont pas
imposés par l’État en question.
275. –– L’exemption tient ainsi compte du revenu imposable dans l’autre État pour
éviter une double imposition, mais il est également possible d’envisager une autre méthode,
qui tient davantage à l’impôt éventuellement payé à l’étranger : il s’agira de la méthode de
l’imputation.
3) L’imputation
276. –– L’imputation apparaît comme une méthode nécessaire pour prévenir les
doubles impositions au vu du grand nombre de retenues à la source pratiquées par les États.
Même si les conventions traitent généralement de la question de ces prélèvements et
prévoient souvent des taux inférieurs à ceux du droit commun, les États sont tout de même
attachés aux prélèvements à la source, qui représentent une recette fiscale relativement
sécurisée. La méthode de l’imputation consiste donc pour l’État de résidence du contribuable
à accorder un crédit d’impôt égal au montant payé à l’État d’origine des revenus. Ce système
est privilégié par la France, malgré les recommandations de l’OCDE, car il permet aux deux
États signataires d’une convention de se répartir les recettes fiscales pour chaque opération
effectuée entre eux296. Ce système de crédit d’impôt présente toutefois quelques
inconvénients, notamment lorsque l’opérateur qui effectue des opérations à l’étranger est
295 B. PLAGNET, « Fasc. 352 : Procédés techniques de suppression des doubles impositions », in J.-Cl. Droit international, 2014, 17. et s. 296 P. OUDENOT, « Retenues à la source et crédit d’impôt : actualités et perspectives », Droit fiscal, n° 49, 2016, p. 627
120
déficitaire : le crédit d’impôt ne pourra alors pas être utilisé. Par ailleurs, le Conseil d’État
s’oppose à un retour au droit commun si la convention ne le prévoit pas expressément297, ce
qui interdira la déduction de l’impôt étranger sous forme de charge en vue d’accroître le
déficit reportable de l’entreprise298. Par ailleurs, lorsque l’ensemble de l’impôt payé à
l’étranger n’a pas pu être imputé sur l’impôt dû en France, le Conseil d’État estime que cela
ne peut donner lieu à aucun remboursement, sauf si le contraire est expressément prévu par
la loi ou par la convention299, ce qui n’arrive quasiment jamais en pratique.
277. –– Il existe en réalité deux types d’imputation de l’impôt étranger300 :
L’imputation intégrale consiste à calculer l’impôt sur l’ensemble des revenus du
contribuable, puis à déduire l’ensemble des impôts payés par ce dernier à l’étranger,
ce qui garantira théoriquement l’absence de double imposition ;
L’imputation dite ordinaire, qui est généralement privilégiée par les conventions
fiscales, prévoit de limiter la déduction « au montant de l’impôt qui serait dû dans
l’État de résidence, en raison des revenus de source étrangère, en l’absence de
convention »301 : dans ce cas, lorsque le taux pratiqué à l’étranger est supérieur à
celui de l’impôt de l’État de résidence, l’ensemble de l’impôt payé ne pourra pas être
déduit, et la double imposition ne sera pas entièrement évitée.
278. –– Les méthodes prévues par les conventions fiscales et par les travaux de l’OCDE
pour prévenir les doubles impositions présentent certaines vertus, mais elles ne permettent
pas d’éviter l’ensemble des doubles impositions, ce phénomène étant encore très fréquents
en fiscalité internationale. C’est pourquoi il est possible de s’interroger sur d’autres méthodes
conventionnelles de prévention des doubles impositions.
297 CE, 12/03/2014, Société Céline, n° 362528, RTD com., 2014, p. 715, note E. CORTOT-BOUCHER ; RJF, 6/2014, n° 602 ; BDCF, 6/2014, n° 59, concl. F. ALADJIDI ; Droit fiscal, n° 19, 2014, act. 275, note É. Meier et M. VALETEAU ; Droit fiscal, n° 22, 2014, comm. 356, note P. DURAND 298 Voir supra n° 88. 299 CE, 27/06/2016, Société Faurecia, n° 388984 300 B. PLAGNET, « Fasc. 352 : Procédés techniques de suppression des doubles impositions », in J.-Cl. Droit international, 2014, 35. et s. 301 Ibid., 38.
121
4) Vers d’autres méthodes de prévention des doubles impositions ?
279. –– La question du multilatéralisme en matière fiscale est fort ancienne, mais elle
n’a jamais eu un réel succès du fait d’un très grand attachement des États à leur souveraineté
fiscale. Pourtant, les travaux sur le sujet ont parfois abouti à des propositions intéressantes
pour lutter contre la double imposition au niveau international. En particulier, sur la question
des prix de transfert302, il avait été envisagé une méthode de taxation unitaire, consistant à
« répartir les bénéfices globaux d’un groupe multinational entre ses entités implantées dans
différents pays au moyen d’une formule prédéterminée »303. L’idée forte de cette méthode
consiste à éviter les difficultés impliquée par le bilatéralisme concernant la fiscalité de groupes
de sociétés présents dans de nombreux États.
280. –– Un tel système avait été expérimenté aux États-Unis, où l’impôt payé par une
entreprise présente sur une grande partie du territoire était ensuite réparti entre les États
membres de la fédération. Mais la méthode de la taxation unitaire a été fermement rejeté par
l’OCDE, notamment en raison d’une grande réticence des États et des « difficultés que
présenteraient l’élaboration d’un accord international sur la composition du groupe à
imposer, la façon d’en déterminer l’assiette taxable globale, la formule de répartition du
bénéfice entre juridictions fiscales »304. La fiscalité internationale est ainsi assez peu encline à
l’élaboration de nouvelles méthodes de prévention des doubles impositions, ce qui amène
clairement des limites au rôle préventif des conventions fiscales.
C –– Les limites des conventions fiscales
281. –– Malgré les différentes méthodes envisagées par le droit fiscal conventionnel, les
situations de double imposition continuent d’être très fréquentes. La première limite des
conventions fiscales internationales réside, du moins en France, au sein du principe de
subsidiarité établi par le Conseil d’État305. Il s’agit d’une construction jurisprudentielle qui
prévoit un mode de raisonnement particulier concernant l’application des traités
302 Voir supra n° 150. et s. 303 B. CASTAGNEDE, Précis de fiscalité internationale, 5e édition, 2015, 77. 304 Ibid., 2015, 77. 305 CE, 28/06/2002, Schneider Electric, n° 232276, Lebon 2002 ; RJF, 10/2002, n° 1080, p. 755, note L. OLLÉON ; BDCF, 10/2002, n° 120, concl. S. AUSTRY ; Droit fiscal, n° 36, 2002, comm. 657
122
internationaux en matière fiscale. L’idée de cette subsidiarité réside dans une priorité du droit
fiscal interne, qui sera le premier lieu où le juge devra rechercher une solution au problème
qui lui est posé306 : les conventions ont ainsi davantage un rôle de correctif par rapport au
droit interne. Dans le cas où une convention est applicable, elle disposera d’une force plus
grande que la loi nationale, en vertu du principe de primauté des traités internationaux307.
Malgré cette supériorité, dans la conception même du droit fiscal par le juge français, les
conventions fiscales sont condamnées à un rôle secondaire, subsidiaire, voire palliatif.
282. –– Toutefois, les dispositions d’une convention fiscale ne doivent pas aggraver la
situation d’un contribuable telle que prévue par le droit interne : il s’agit du principe de non-
aggravation de la situation du contribuable, qui consiste à préserver les avantages accordés
par le droit interne, même dans le cas où une convention est applicable308. Ce principe peut
parfois être exprimé au travers d’une clause dans une convention fiscale internationale,
acquérant ainsi la valeur de norme conventionnelle : c’est par exemple le cas de la convention
franco-américaine309. Au plan interne, le Conseil d’État semble avoir admis ce principe dans
sa jurisprudence dans une décision de 1984310. Pourtant, le juge de l’impôt s’oppose presque
systématiquement à un retour au droit interne lorsque le crédit d’impôt accordé par une
convention n’est pas utilisable311. On peut donc s’interroger sur la possibilité qu’une
convention fiscale internationale aggrave la situation d’un contribuable au regard du droit
interne, la position du Conseil d’État semblant incertaine sur cette question.
283. –– Une autre limite du droit conventionnel réside dans sa grande diversité. En effet,
les conventions fiscales sont par principe bilatérale, il en existe donc un très grand nombre et
chacune ne trouvera à s’appliquer qu’entre deux États. Étant le fruit de négociations
diplomatiques, chaque convention aura des particularités qui lui sont propres. Dans cette
situation très complexe, un phénomène de treaty shopping risque alors d’apparaître312 : il
306 M.-C. BERGERÈS, « Conventions internationales – Le principe de subsidiarité des conventions fiscales internationales », Droit fiscal, n° 36, 2005, Etude 30, 5. 307 Article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958 308 A. CLOUTÉ, Le principe de subsidiarité des conventions fiscales internationales, Mémoire, Université Paris I – Panthéon Sorbonne, 2011, p. 30 309 B. CASTAGNEDE, Précis de fiscalité internationale, 5e édition, 2015 310 CE, 17/12/1984, n° 47293, RJF, 2/1985, n° 308 ; Droit fiscal, n° 11, 1985, comm. 555, concl. O. FOUQUET 311 Voir supra n° 88. 312 M. FOURRIQUES, « Le Treaty Shopping ou l’usage abusif des conventions fiscales », Petites affiches, n° 197, 2012, p. 3
123
s’agit de l’exploitation par un contribuable des différentes conventions fiscales dans le but de
diminuer ou d’annuler sa charge fiscale sans motif valable. Il s’agit donc d’une forme de fraude
fiscale, particulièrement difficile à combattre car souvent très élaborée. Ce type de dérive
risque ainsi d’encourager la méfiance des administrations fiscales et des juges à l’égard des
conventions.
284. –– D’une manière plus globale, la principale limite des conventions fiscales
internationales résulte de l’approche du problème de la double imposition par l’OCDE et par
les États. Comme ces derniers sont très attachés à leur souveraineté, les négociations et les
travaux relatifs à la double imposition portent surtout sur des méthodes, des points de détail,
mais ne s’adressent pas de manière frontale au problème de la double imposition. Ainsi,
aucune obligation de résultat ne pèse véritablement sur les États, malgré toutes les
conventions signées. Le droit européen constitue peut-être une opportunité d’approche
différente de ces problématiques.
§3 –– Le droit européen
285. –– La question de la compétence de l’Union européenne en matière fiscale est
régulièrement débattue. En effet, si la solution est claire en matière de fiscalité indirecte, elle
l’est nettement moins pour ce qui est de la fiscalité directe, et plus particulièrement de
l’imposition des revenus. Les taxes sur le chiffre d’affaires et d’autres types d’impôts indirects
ont ainsi fait l’objet d’une certaine harmonisation par le droit européen, fondé sur le texte des
traités originels313. A l’inverse, le droit écrit de l’Union ne traite que très peu de l’imposition
des revenus : concernant les personnes physiques, l’action européenne est surtout du fait de
la jurisprudence de la Cour de justice, et en matière d’impôt sur les sociétés, le droit de l’Union
n’envisage les problématiques fiscales que sous l’angle du fonctionnement du marché
unique314.
286. –– Malgré une compétence a priori limitée concernant la fiscalité directe, l’Union
européenne n’est pas sans se préoccuper de la double imposition : selon la Commission
européenne, ce phénomène constitue un véritable obstacle aux activités économiques
313 Article 110 à 113 du TFUE 314 Parlement européen, « Politique fiscale », Fiche techniques sur l’Union européenne, 2017
124
transfrontalières et il est de ce fait inacceptable315. Ainsi, même si le droit européen n’a pas
vocation à une action marquée en matière fiscale, la double imposition représente tout de
même une sérieuse limite à l’intégration européenne et au développement du marché unique.
C’est pourquoi l’Union européenne, notamment au travers de la Commission, cherche à éviter
ce type de situation. Cette volonté de prévention des doubles impositions rencontre toutefois
certaines difficultés et se heurte à de sérieuses limites.
A –– Une volonté de prévention des doubles impositions
287. –– L’Union européenne s’est toujours préoccupée de la matière fiscale,
notamment en ce qui concerne la double imposition et la fraude fiscale. Le Traité de Rome,
signé en 1957 et instituant la Communauté économique européenne, prévoyait ainsi que « les
États membres engageront entre eux, en tant que de besoin, des négociations en vue
d’assurer, en faveur de leurs ressortissants […] l’élimination de la double imposition à
l’intérieur de la Communauté »316. Ainsi, au cours de la construction européenne, un certain
nombre de règles sont venues prévenir une double imposition éventuelle, en particulier pour
la fiscalité des entreprises. La compétence de l’Union étant très limitée en la matière, ces
réformes ont souvent pris la forme de directives, dont certaines sont encore à l’état de
proposition.
288. –– L’action de l’Union européenne a particulièrement porté sur la prévention
contre les doubles impositions économiques en matière de groupes de sociétés. En effet, au
sein du marché unique, il arrive souvent que des entreprises exercent leurs activités sur le
territoire de plusieurs États et qu’elles soient organisées sous forme de groupes. Afin de lutter
contre les doubles impositions économiques, relativement fréquentes chez les entreprises
associées en l’absence de mesures spécifiques317, le droit européen a surtout cherché à limiter
les prélèvements à la source en ce qui concerne les revenus dits passifs, comme les dividendes,
les intérêts ou les redevances.
315 V. DE SAINT-BLANQUAT, « La double imposition des entreprises : le point de vue du MEDEF », Droit fiscal, n° 9, 2011, p. 226 316 Article 220 du Traité instituant la Communauté européenne 317 Voir supra n° 116. et s.
125
289. –– Plusieurs directives ont porté sur un régime fiscal spécifique pour les dividendes
perçus par les sociétés mères de la part de leurs filiales, dont la dernière en date, actuellement
en vigueur, remonte à 2011318. Le régime mères et filiales prévu par l’Union dans le cadre de
ces directives prévoit notamment deux éléments : d’une part, l’absence de retenue à la source
lors du versement des dividendes ; d’autre part, une imposition spécifique des dividendes
perçus par la société mère, soit sous la forme d’une exonération d’impôt, soit par le biais d’un
crédit d’impôt correspondant au montant payé par la filiale. Cette directive a ainsi permis de
diminuer le risque de double imposition économique au sein du marché unique, et a même
conduit à quelques ajustements au sein du régime des sociétés mères et filiales de droit
français319.
290. –– Outre le cas des dividendes, l’Union européenne a également émis une directive
relative aux intérêts et aux redevances320. L’idée est ici de faire disparaître les retenues à la
source en cas de paiements de ce type entre entreprises associées au moins à hauteur de
25 %. Comme de nombreuses doubles impositions résultent d’un prélèvement à la source,
cette exonération devrait réduire le risque de voir apparaître de telles situations. La directive
a été transposée en droit français à l’article 182 B bis du Code général des impôts en ce qui
concerne les redevances, et à l’article 119 quater du même code pour les intérêts : cette
dernière transposition est toutefois devenue sans objet, les intérêts payés à l’étranger étant
à présent exonérés de prélèvement de droit commun, exception faite des États et territoires
non coopératifs321.
291. –– Par ailleurs, les travaux de la Commission européenne ont conduit à une
proposition de directive relative à une assiette consolidée pour l’impôt payé par les sociétés
européennes. La première proposition remonte à 2011, puis elle a fait l’objet
d’aménagements pour aboutir à une version réactualisée en 2016322. Le projet est encore à
l’étude, mais il prévoit notamment des dispositifs de lutte contre la fraude fiscale, considérée
comme portant atteinte à l’efficacité du marché unique. Dans un second temps, des
318 Directive 2011/96/UE du Conseil du 30/11/2011 319 Article 145 et 216 du CGI 320 Directive 2003/49/CE du Conseil du 03/06/2003 321 Article 131 quater du CGI 322 Commission européenne, Proposition de directive du Conseil concernant une assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés (ACCIS), 2016
126
négociations d’ordre politique devraient intervenir entre les États pour aboutir à un accord
sur « un ensemble de règles contraignantes relatives à l’assiette commune »323 de l’impôt sur
les sociétés. La dernière étape consistera alors à intégrer une dimension de consolidation
fiscale à cette mesure (ACCIS). Les propositions de la Commission européenne relatifs à une
base d’imposition commune pour les sociétés rejoignent en réalité les mécanismes de
taxation unitaires qui ont déjà été évoquées dans le cas de l’OCDE. L’idée consisterait en effet
à « une répartition par application d’une formule préétablie de la base imposable ainsi
déterminée » 324. L’Union européenne pourrait ainsi être le théâtre d’une expérimentation de
nouvelles méthodes de lutte contre les doubles impositions.
292. –– Malgré une volonté marquée de lutte contre les phénomènes de double
imposition, à la fois au travers de règles établies et de projets futurs, l’Union européenne se
heurte à un certain nombre de limites dans le cadre de son travail de prévention.
B –– Les limites de la prévention des doubles impositions par le droit européen
293. –– Si le Traité instituant la Communauté européenne prévoyait à l’origine une
mesure portant sur la lutte contre la double imposition, la version actuellement en vigueur du
Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ne traite plus de ce point325. La raison de
cette modification résulte principalement de la volonté des États de conserver leur
souveraineté intacte en matière fiscale, évitant ainsi une trop forte ingérence européenne
dans ce domaine. Par ailleurs, même si la Commission entend agir contre la double imposition,
qui constitue un véritable obstacle aux objectifs poursuivis par les traités, elle se heurte à une
autre limite, qui résulte d’une difficulté purement pratique. En effet, en vertu des traités
fondateurs, « les mesures de nature fiscale doivent être adoptées à l’unanimité par les États
membres »326. Ainsi, la marge de manœuvre des institutions est particulièrement limitée sur
ce sujet, car elles devront constamment composer avec les États membres.
323 Commission européenne, Proposition de directive du Conseil concernant une assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés (ACCIS), 2016, p. 3 324 B. CASTAGNEDE, Précis de fiscalité internationale, 5e édition, 2015, 79. 325 D. GUTMANN, « La double imposition : problèmes contemporains – Introduction au dossier », Droit fiscal, n° 9, 2011, p. 225 326 Parlement européen, « Politique fiscale », Fiche techniques sur l’Union européenne, 2017, p. 1
127
294. –– La seconde série de limites relatives à la prévention des doubles impositions par
le droit européen tient davantage à une question de choix politiques. En effet, les institutions
européennes, et en particulier la Commission, ont tendance à davantage se concentrer sur la
fraude et l’évasion fiscales, plutôt que sur la double imposition. De même, la conception de la
politique fiscale européenne par le Parlement européen concerne avant tout la lutte contre
« la fraude fiscale, l’évasion fiscale, l’optimisation fiscale abusive et le blanchiment de
capitaux »327. L’action de l’Union en matière fiscale se concentre donc surtout sur les
contribuables souhaitant échapper à l’impôt, plutôt que sur ceux qui sont victimes d’une
surcharge fiscale injustifiée. A titre d’exemple, on pourra citer une directive venue compléter
celle portant sur le régime des sociétés mères et filiales, en y apportant une véritable limite :
« Les États membres n'accordent pas les avantages de la présente directive à un
montage ou à une série de montages qui, ayant été mis en place pour obtenir, à titre
d'objectif principal ou au titre d'un des objectifs principaux, un avantage fiscal allant à
l'encontre de l'objet ou de la finalité de la présente directive, n'est pas authentique
compte tenu de l'ensemble des faits et circonstances pertinents »328.
295. –– Ainsi, un régime prévu dans le cadre de la prévention contre les doubles
impositions économiques se voit être limité dans un objectif de lutte contre la fraude fiscale,
apparaissant clairement comme prépondérante329. La prévention des doubles impositions par
l’Union européenne apparaît donc comme relativement limitée, tant pour des raisons d’ordre
institutionnel que politique, le phénomène de double imposition n’étant finalement abordé
que dans une dimension très économique.
296. –– Au vu du grand nombre de situations de double impositions qui surviennent
encore, force est de constater que les sources de droit écrites, qu’elles soient de nature
législatives, conventionnelles ou européennes, ne parviennent pas à enrayer le phénomène.
C’est la raison pour laquelle la prévention des doubles impositions passe également par un
rôle important du juge.
327 Parlement européen, « Politique fiscale », Fiche techniques sur l’Union européenne, 2017, p. 1 328 Directive 2015/121/UE du Conseil du 27/01/2015 329 F. PERROTIN, « Fraude fiscale : le plan d’action de la Commission européenne », Petites affiches, n° 250, 2012, p. 3
128
Section II
LA PRÉVENTION DES DOUBLES IMPOSITIONS PAR LE JUGE
297. –– Le rôle du juge apparaît comme fondamental dans la lutte contre les situations
de double imposition. En effet, en dépit du nombre croissant de lois et de conventions
internationales visant à lutter contre de telles situations, le phénomène est toujours présent
au sein des activités économiques, en particulier internationales. Au niveau de l’Union
européenne, la Commission a procédé à une consultation publique destinée aux entreprises
en 2010330 : les résultats montraient qu’une écrasante majorité d’entre elles avaient déjà fait
l’objet d’une double imposition de leurs activités internationales, bien qu’une convention
fiscale fût souvent applicable331. Au vu de l’importance des phénomènes de double
imposition, il semble que les sources écrites du droit fiscal international ne sauraient suffire à
mettre en œuvre une prévention suffisante. Par ailleurs, toute norme de droit écrit a vocation
à être appliqué aux cas d’espèce par un juge, qu’il s’agisse d’un texte de loi ou d’une
convention internationale. Le droit fiscal ne fait d’ailleurs pas exception : même s’il revient
souvent à l’administration d’appliquer les règles relatives à l’impôt, elle le fait
systématiquement sous le contrôle du juge, qui constitue un recours fondamental pour le
contribuable qui s’estime lésé.
298. –– Par ailleurs, du fait de la complexité croissante des règles applicables en droit
fiscal et de leur nécessaire articulation avec les stipulations des conventions internationales,
ainsi qu’avec les principes fondamentaux du droit, le juge a un rôle d’une importance capitale
en matière de prévention des doubles impositions. Sa fonction sera en réalité double : d’une
part, il devra souvent interpréter la loi et les conventions fiscales pour déterminer dans quelle
mesure elles trouveront à s’appliquer ; d’autre part, le juge devra confronter ces sources de
droit aux grands principes du droit fiscal, en articulant ces différentes sources en vue de
construire un ensemble cohérent.
299. –– En raison de l’ordre juridique dans lequel s’inscrit la France, en particulier du fait
de son appartenance à l’Union européenne et de son adhésion à d’autres instances
330 Commission européenne, Consultation sur les conventions préventives de la double imposition dans le marché intérieur : exemples concrets de double imposition, 2010 331 European Commission, Summary report of the responses received Commission’s consultation on double taxation convention and the internal market: factual examples of double taxation cases, 2011, p. 15 à 17
129
internationales, le juge amené à se prononcer sur des cas de double imposition sera en réalité
multiple. Concrètement, il s’agira d’abord du juge national, qui est le premier à être
compétent pour connaître d’un litige relatif à l’établissement d’un impôt ; il pourra ensuite
éventuellement s’agir d’un juge supranational, dont l’autorité s’imposera à l’État à l’origine
de la double imposition constatée.
§1 –– Le juge national
300. –– Lorsqu’un contribuable estime qu’il fait l’objet d’une double imposition, il
pourra saisir le juge national pour faire constater sa surcharge fiscale. Celui-ci sera alors amené
à qualifier juridiquement la situation dans laquelle se trouve le contribuable, puis à confronter
ces faits aux règles fiscales effectivement applicables en vue d’éviter la double imposition. Le
rôle préventif du juge résidera alors principalement dans l’interprétation des lois internes et
des conventions fiscales, et en parallèle, dans la confrontation des règles issues de ces textes
avec les grands principes du droit fiscal.
301. –– Par ailleurs, on remarque que les deux rôles qui incombent au juge national
peuvent se distinguer selon deux axes : d’une part, il est amené à contrôler la compatibilité
des règles fiscales applicables avec les grands principes, essentiellement issus du bloc de
constitutionnalité ; d’autre part, le travail du juge consiste à confronter la réglementation
applicable avec la matérialité des faits, que celle-ci provienne de la loi interne ou d’une
convention internationale. L’ordre juridique français reprend d’une certaine façon cette
distinction : le juge constitutionnel sera ainsi compétent pour déterminer si les règles dont
découlent les doubles impositions éventuelles sont conformes à la Constitution, et le juge de
l’impôt déterminera quant à lui dans quelle mesure ces règles fiscales sont applicables.
A –– La prévention des doubles impositions par le juge constitutionnel
302. –– Le Conseil constitutionnel est souvent amené à statuer sur la constitutionnalité
des lois de finances votées chaque année. Depuis 2008, avec l’instauration d’un mécanisme
de contrôle a posteriori, au travers de la question prioritaire de constitutionnalité, le nombre
de décisions du juge constitutionnel a connu une très nette augmentation, y compris en
130
matière fiscale. Le contrôle effectué par le Conseil permet d’assurer que les lois relatives à
l’impôt respectent les principes qui émanent de la Constitution, ainsi que des autres textes
composant le bloc de constitutionnalité. Le principe qui donne lieu au plus grand nombre de
décisions de la part du Conseil constitutionnel est celui d’égalité devant l’impôt, également
parfois appelé principe d’égalité devant les charges publiques332.
303. –– Si les situations de doubles impositions sont relativement fréquentes, le juge
constitutionnel n’avait jamais eu l’occasion de se prononcer sur cette question jusqu’en 2010 :
au travers d’une décision portant sur l’article 155 A du Code général des impôts, le Conseil a
pu estimer que le fait qu’un « contribuable soit assujetti à une double imposition au titre d’un
même impôt » ne saurait être conforme à la Constitution333. La loi sur laquelle porte cette
décision est en réalité une spécificité française, datant d’une loi de 1970 : il s’agit d’un
mécanisme qui prévoit que « les sommes perçues par une personne domiciliée ou établie hors
de France en rémunération de services rendus par une ou plusieurs personnes domiciliées ou
établies en France sont imposables au nom de ces dernières » lorsque certaines conditions
sont réunies, notamment si le bénéficiaire des rémunérations est une société contrôlée par le
prestataire de services, si elle est située dans un État à fiscalité privilégiée, ou encore si elle
n’a pas une autre activité que la prestation de services334. Le Conseil constitutionnel a ainsi
estimé que cette loi était conforme à la Constitution, du fait que « le législateur a entendu
mettre en œuvre l’objectif constitutionnel de lutte contre l’évasion fiscale ». Il apporte
toutefois une sérieuse limite à ce mécanisme : si le bénéficiaire du paiement situé à l’étranger
reverse tout ou partie des sommes perçues au prestataire de services établi en France, ce
dernier ne saurait faire l’objet d’une double imposition.
304. –– Ainsi, le Conseil constitutionnel considère que le phénomène de double
imposition juridique n’est pas conforme à la Constitution, car il entraînerait une rupture du
principe d’égalité devant les charges publiques en faisant peser sur certains contribuables une
surcharge fiscale injustifiée. La portée de cette décision est toutefois à nuancer, car les
doubles impositions juridiques surviennent presque exclusivement dans le cadre d’opérations
332 Article 13 de la DDHC 333 Cons. const., 26/11/2010, M. Moreau, n° 2010-70 QPC, RJF, 2/2011, n° 210 ; Droit fiscal, n° 6, 2011, comm. 209, note F. DIEU ; Gazette du Palais, n° 58, 2011, p. 18 334 Article 155 A du CGI
131
internationales : reste donc à déterminer « quelles conséquences tirer de ce principe dans
l’ordre international »335.
305. –– Par la suite, le Conseil constitutionnel a de nouveau été amené à prendre une
décision relative à un cas de double imposition, mais de manière plus indirecte. Dans une
décision de 2016, il a été jugé que le régime des sociétés mères et filiales prévus par les articles
145 et 216 du Code général des impôts entrainaient une rupture du principe d’égalité devant
les charges publiques336. En effet, à l’époque, ces articles prévoyaient que pour appliquer ce
régime de lutte contre les doubles impositions économiques, une société mère devait disposer
de 5 % du capital et de 5 % des droits de vote de sa filiale pendant au moins deux ans. A
l’inverse, le droit européen ne prévoyait qu’une condition de détention en capital, et non pas
en droits de vote.
306. –– On assistait donc à un phénomène de discrimination à rebours, c’est-à-dire
lorsqu’une situation de droit purement interne, où le droit de l’Union n’a pas vocation à
s’appliquer, conduit à un traitement plus sévère que l’application du droit européen dans une
situation analogue. Si ce type de différence n’est pas contraire au droit de l’Union, la situation
étant en-dehors de son champ de compétence, il n’en est pas moins contraire au principe
d’égalité devant la loi337. C’est la raison pour laquelle le Conseil constitutionnel a jugé que
l’ancienne forme du régime des sociétés mères et filiales entraînait une rupture du principe
d’égalité devant les charges publiques, car elle conduisait à opérer une différenciation entre
les dividendes d’une filiale française et ceux d’une filiale d’un autre État membre de l’Union
européenne. Le régime français a donc été adapté, et seule la condition relative à la détention
du capital a été maintenue338. Suite à cette décision, le Conseil constitutionnel a ainsi
indirectement conduit à prévenir les cas de double imposition économique en élargissant le
champ d’application d’un régime visant à éviter ce phénomène.
335 D. GUTMANN, « La double imposition : problèmes contemporains – Introduction au dossier », Droit fiscal, n° 9, 2011, p. 225 336 C. const., 03/02/2016, Société Metro Holding France SA, n° 2015-520 QPC, RJF, 4/2016, n° 366 ; JCP E, n° 6, 2016, act. 148 337 A. JAUREGUIBERRY, « La discrimination à rebours devant le juge national », RTD eur., n° 1, 2017, p. 39 338 Voir supra n° 135. et s.
132
307. –– Le rôle du Conseil constitutionnel en matière de prévention des doubles
impositions est notable, mais il demeure limité par la nature particulière du juge de la
Constitution : sa compétence se limite à l’appréciation des textes au regard des principes
contenus dans le bloc de constitutionnalité. A l’inverse, juge de l’impôt dispose d’une
approche différente, qui peut parfois se traduire par une plus grande marge de manœuvre.
B –– La prévention des doubles impositions par le juge de l’impôt
308. –– Le juge de l’impôt dispose d’un rôle fondamental en matière de double
imposition, car il sera concrètement confronté à ce type de situation. C’est donc lui qui sera
en mesure de mettre en œuvre les règles permettant d’éviter de phénomène. Le juge de
l’impôt, qu’il émane de l’ordre administratif ou judiciaire, devra interpréter la loi interne et les
conventions internationales, et déterminer dans quelle mesure ces textes sont de nature à
prévenir une situation de double imposition. Il pourra éventuellement aussi être amené à faire
œuvre de création au travers de sa jurisprudence.
309. –– En pratique, on constate que le rôle du Conseil d’État en matière de prévention
des doubles impositions est sensiblement plus important que celui de la Cour de cassation,
qui n’a pas compétence pour connaître des litiges relatifs aux impôts directs.
1) Le rôle du Conseil d’État
310. –– Selon l’article L199 du Livre des procédures fiscales, les décisions rendues par
l’administration fiscale en matière d’impôts directs peuvent faire l’objet d’un recours devant
les juridictions de l’ordre administratif. En pratique, ce sera donc surtout devant le Conseil
d’État que se poseront les questions relatives à des situations de double imposition. En effet,
ce type de phénomène se produit généralement en matière d’imposition des revenus, ce qui
appartient à la catégorie des impôts directs.
311. –– Le rôle du Conseil d’État en la matière est globalement assez limité. Mais parfois,
le juge administratif présente tout de même une certaine volonté de lutter contre certaines
situations manifestes de surcharge fiscale. Par exemple, il a cherché à corriger le phénomène
133
de double imposition qui résultait du régime particulier des sociétés de personnes339. En effet,
au travers de sa jurisprudence Quémener, le Conseil d’État a mis en œuvre une méthode
particulière pour le calcul du prix de revient des titres d’une société de personne lors d’une
cession, notamment de manière à tenir compte de la part de bénéfices qui a effectivement
été distribuée à l’associé cédant340. Ce mécanisme s’inscrit dans une volonté de neutralité de
la loi fiscale face au régime de translucidité des sociétés de personnes, et permet ainsi d’éviter
une double imposition économique, qui aurait conduit à imposer l’associé au titre des
bénéfices de la société fiscalement translucide d’une part, et d’autre part au titre de la plus-
value constatée lors de la cession. Par la suite, ce mode de calcul prétorien a été étendu aux
plus-values constatées suite à une transmission universelle de patrimoine341. Mais dans ce cas
précis, le juge est rapidement venu y apporter une limite : le régime spécifique au calcul du
prix de revient des titres d’une société de personnes n’a vocation à s’appliquer qu’en cas de
véritable double imposition subie par la société absorbante342.
312. –– Si cette jurisprudence du Conseil d’État constitue clairement un mode de
prévention des doubles impositions, les interventions du Conseil d’État en la matière sont
assez peu fréquentes. Le juge administratif n’a d’ailleurs pas une tendance particulièrement
marquée à interpréter la loi et des conventions fiscales en faveur des contribuables victimes
de double imposition. La plupart du temps, il se contentera d’opérer une interprétation stricte
des textes applicables, estimant qu’il ne lui revient pas de s’opposer aux surcharges fiscales
qui découlent simplement du cumul des règles en vigueur. La jurisprudence du Conseil d’État
a également conduit à minorer l’importance des conventions fiscales internationales. En effet,
en vertu du principe de subsidiarité343, la loi fiscale interne doit être consultée en priorité, la
convention fiscale éventuellement applicable n’ayant vocation qu’à s’appliquer dans un
339 Voir supra n° 124. et s. 340 CE, 16/02/2000, SA Etablissements Quémener, n° 133296, RJF, 3/2000, n° 334, concl. G. BACHELIER ; Droit fiscal, n° 14, 2000, comm. 283, note J. TUROT ; Bull. Joly Sociétés, n° 5, p. 535, note P. DEROUIN 340 CE, 15/12/2010, Ferreira d’Oliveira, n° 297513, Lebon 2010, p. 735 ; RJF, 5/2010, n° 280 ; Droit fiscal, n° 6, 2011, comm. 205, concl. N. ESCAUT 341 CE, 27/07/2015, SA Matériels Electriques Ascenseurs, n° 362025, RJF, 11/2015, n° 883, concl. É. BOKDAM-TOGNETTI ; Droit des sociétés, n° 12, 2015, comm. 224, note J.-L. PIERRE 342 CE, 06/07/2016, SARL Lupa Immobilière France et SARL Lupa Patrimoine France, n° 377904 et 377906, RJF, 11/2016, n° 982, concl. N. ESCAUT ; Les Nouvelles Fiscales, 2016, n° 1186 ; Droit fiscal, n° 39, 2016, comm. 514, note F. LUGAND 343 CE, 28/06/2002, Schneider Electric, n° 232276, Lebon 2002 ; RJF, 10/2002, n° 1080, p. 755, note L. OLLÉON ; BDCF, 10/2002, n° 120, concl. S. AUSTRY ; Droit fiscal, n° 36, 2002, comm. 657
134
second temps. A l’origine, cette notion était appelée principe de priorité du droit interne par
la doctrine, mais le terme de subsidiarité a finalement été retenu, suite à la jurisprudence
établie du Conseil d’État en la matière344. Le juge suprême de l’ordre administratif est même
allé plus loin dans ce raisonnement, en estimant que même si une loi peut être écartée par
l’application d’une convention dans un cas d’espèce, elle n’est pas pour autant contraire à une
norme supérieure345. Ainsi, lorsqu’apparaît une discordance entre la loi fiscale et une
convention bilatérale, « la disposition nationale ne saurait être vue comme non conforme
mais seulement inapplicable dans un contexte spécifique »346. Ce principe a été réaffirmé de
manière forte dans deux décisions de 2013347.
313. –– La jurisprudence du Conseil d’État est donc parfois encline à encourager la lutte
contre la double imposition, mais le juge administratif se montre très souvent réticent à
interpréter les conventions et la loi interne dans une optique trop favorable au contribuable.
Le juge judiciaire, bien que peu sollicité en matière de double imposition, rejoint son
homologue administratif sur ce point.
2) Le rôle de la Cour de cassation
314. –– Selon l’article L199 du Livre des procédures fiscales, la compétence fiscale de la
Cour de cassation se limite aux droits d’enregistrements et aux autres formes d’impôts
indirects. Selon la loi, les juridictions de l’ordre judiciaire ne sont pas compétentes pour les
litiges portant sur l’établissement des impôts relatifs aux revenus des personnes physiques et
morales, ce qui exclut de fait les problématiques de doubles impositions. Cette organisation
juridique conduit donc logiquement à une jurisprudence judiciaire très faible, voire
inexistante, en la matière.
315. –– Toutefois, il est intéressant d’évoquer le cas très particulier de la double
imposition économique qui pourrait résulter d’une situation de simulation348. En effet, dans
344 A. CLOUTÉ, Le principe de subsidiarité des conventions fiscales internationales, Mémoire, Université Paris I – Panthéon Sorbonne, 2011, p. 15 345 CE, 09/07/2010, Société Jas Hennessy et Cie, n° 314406, RJF, 11/2010, n° 1103 ; RJF, 2/2011, n° 144 ; Droit fiscal, n° 45, 2010, comm. 554, concl. É. GEFFRAY, note P. DIBOUT 346 A. REVEL, « Traités fiscaux bilatéraux : un contrôle de conventionalité assez peu conventionnel », Petites affiches, n° 248, 2013, p. 11 347 CE, 12/07/2013, Aube-Martin et Gibier, n° 359994 et n° 399314, Droit fiscal, n° 37, 2013, comm. 417, concl. B. BOHNERT, note, F. LE MENTEC ; Petites affiches, n° 248, 2013, p. 5, note A. REVEL 348 Voir supra n° 164. et s.
135
le cas où un contribuable met en scène une situation ostensible dans le but de tromper
l’administration fiscale en masquant la situation réelle dans laquelle il se trouve, le Conseil
d’État reconnaît depuis longtemps un choix à l’administration : de dénoncer la simulation sur
le terrain de l’abus de droit349, soit se limiter à l’apparence mis en œuvre par le
contribuable350. En réalité, cette éventualité était déjà acceptée par la Cour de cassation de
manière implicite depuis bien longtemps. En effet, lorsqu’une convention de prête-nom a été
conclue dans le but d’acquérir un bien, sans qu’il s’agisse d’une déclaration de command
régulièrement conclue351, « les auteurs enseignent depuis longtemps que l’administration
peut alors percevoir un double droit de mutation sans que le prête-nom ne puisse opposer sa
qualité réelle de simple mandataire »352. On peut estimer qu’il s’agit ici d’une situation de
double imposition économique, mais celle-ci découle en réalité d’une interprétation stricte
des apparences créées dans le cadre de la simulation, qui conduisent à deux transferts de
propriété successifs. Ce raisonnement est appliqué sans difficulté par la Cour de cassation
depuis plusieurs décennies353. Celle-ci semble donc n’avoir aucune difficulté à constater des
phénomènes de double imposition, peut-être parfois dans une optique de sanction du
comportement des contribuables. La position du juge, judiciaire comme administratif, conduit
ainsi à montrer certaines limites au rôle du juge national dans la lutte contre les doubles
impositions.
C –– Les limites de la prévention des doubles impositions par le juge national
316. –– Le juge de l’impôt et le Conseil constitutionnel cherchent parfois à prévenir les
doubles impositions en adaptant certaines réglementations aux situations pratiques que
peuvent rencontrer les contribuables, parfois même en créant des mécanismes nouveaux,
auxquels le législateur n’avait pas forcément pensé. Pourtant, le rôle préventif du juge est
globalement assez modéré : ce dernier cherche avant tout à appliquer la loi fiscale dans le
respect le plus strict de la volonté du législateur, même si cela conduit à minorer la part des
349 Article L64 du LPF 350 CE, 20/02/1974, Lemarchand, n° 83270, Lebon 1974 ; Droit fiscal, n° 30, 1974, comm. 958, concl. D. MANDELKERN 351 Article 686 du CGI 352 F. DEBOISSY, La simulation en droit fiscal, Thèse, LGDJ, 1997, 617. 353 Cass. req., 10/02/1936
136
conventions fiscales face à la loi interne. Cette réticence à combattre plus franchement les
doubles impositions résulte notamment d’une préoccupation plus grande pour les
problématiques de fraude fiscale. Le Conseil constitutionnel rappelle d’ailleurs régulièrement
que la lutte contre l’évasion fiscale constitue un objectif à valeur constitutionnelle, de nature
à justifier certaines atteintes aux libertés individuelles354.
317. –– Par ailleurs, les conventions fiscales internationales doivent souvent faire l’objet
d’une interprétation par le juge dans leur application. Dans cet exercice, le Conseil d’État a
souvent tendance à réduire la portée des conventions, ou du moins à les circonscrire à des cas
bien précis : le principe de subsidiarité est un exemple de cette approche particulière du droit
fiscal conventionnel. Les conventions seront souvent appréhendées par le juge selon sa
culture juridique nationale, et ainsi interprétées dans un sens favorable au droit interne. Si le
juge national ne parvient pas à lutter contre les doubles impositions de manière efficace, les
contribuables pourront éventuellement trouver un autre recours auprès d’un juge
supranational.
§2 –– Le juge supranational
318. –– La France fait partie d’un certain nombre d’organisations internationales. Mais
en réalité, assez peu d’institutions présentent un caractère contraignant qui se manifeste au
travers d’un juge indépendant des États : dans la plupart des cas, ce seront les juridictions
nationales des États signataires qui appliqueront les dispositions d’un traité international.
Toutefois, certaines organisations prévoient l’existence d’un juge supranational, indépendant
des États membres, mais dont les décisions s’imposent à ces derniers. Ce type d’institution
s’est principalement développé sur le continent européen, dans un premier temps au travers
du Conseil de l’Europe et de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des
libertés fondamentales, signée en 1950. Par la suite, la construction de l’Union européenne a
également permis d’aboutir à nouvelle une source de droit, y compris en matière fiscale.
319. –– Ce développement du droit international a conduit à la mise en place de deux
juges supranationaux, qui seront éventuellement amenés à se prononcer sur des questions
354 E. DE CROUY-CHANEL, « Le Conseil constitutionnel mobilise-t-il d’autres principes constitutionnels que l’égalité en matière fiscale ? », Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 33, 2011
137
relatives à l’impôt. D’une part, la Cour de justice de l’Union européenne a développé une
jurisprudence relativement abondante en matière fiscale, traitant parfois plus ou moins
directement de la double imposition. D’autre part, devant la persistance des phénomènes de
doubles impositions, un recours pourrait éventuellement être envisagé devant la Cour
européenne des droits de l’homme.
A –– La Cour de justice de l’Union européenne
320. –– Tout au long de la construction européenne, le rôle de la Cour de justice s’est
avéré extrêmement important. C’est par exemple sa jurisprudence qui a consacré les principes
fondamentaux de primauté355 et d’effet direct356, dont l’objet est d’articuler le droit de l’Union
avec le droit national des États membres. En matière de fiscalité, la Cour de justice et les traités
européens se sont davantage concentrés sur la fiscalité indirecte, en particulier sur les taxes
sur le chiffre d’affaires et les droits de douanes. L’objectif premier étant la création d’un
marché unique, il apparaissait primordial de traiter ce type d’impôt dans un premier temps.
Par la suite, la Cour de justice commencera à s’intéresser à la fiscalité directe, mais de manière
assez limitée.
321. –– Pendant un certain temps, on a pu soutenir que la double imposition constituait
une restriction aux mouvements de capitaux entre les États membres, et allait ainsi à
l’encontre des dispositions du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Mais en
2009, dans une affaire portant sur une double imposition juridique de dividendes français
perçus par des résidents belges, la Cour de justice a invalidé cet argumentaire. Il a donc été
jugé que l’ancien article 56 CE357 ne s’opposait pas à l’existence d’une convention fiscale
bilatérale « qui ne prévoit pas qu’il soit posé, à la charge de l’État membre de résidence de
l’actionnaire, une obligation inconditionnelle de prévenir la double imposition juridique qui
en résulte »358. La Cour avait déjà rappelé quelques années auparavant que l’assiette et les
taux d’imposition des dividendes relevaient de la compétence exclusive des États359 : ce
355 CJCE, 15/07/1964, Costa c/ ENEL, n° 6/64, Rec. CJCE 1964, p. 1141 356 CJCE, 05/02/1963, Van Gend en Loos, n° 26/62, Rec. CJCE 1963, p. 3 357 Devenu l’article 63 du TFUE 358 CJCE, 16/07/2009, Damseaux, C-128/08, Rec. CJCE 2009, I, p. 6823 ; RJF, 11/2009, n° 1031; Droit fiscal, n° 30, 2009, 428 359 CJCE, 12/12/2006, Test Claimants in Class IV of the ACT Group Litigation, C-374/04, Rec. CJCE 2006, I, p. 11673, concl. L. A. GEELHOED ; RJF, 3/2007, n° 376 ; Droit fiscal, n° 52, 2006, act. 265
138
raisonnement peut également s’appliquer à d’autres types d’impôts directs. Ainsi,
« l’existence de la double imposition doit être considérée comme une possibilité logique en
l’absence d’harmonisation et juridiquement acceptable »360. La Cour de justice refuse donc de
prévenir les doubles impositions par principe, considérant que cela n’est pas son rôle mais
plutôt celui des États, et que les situations de ce type ne sont pas en elles-mêmes contraires
au droit de l’Union. Cette jurisprudence constante de la Cour peut être interprétée comme
une faiblesse de la construction européenne, mais elle résulte en réalité davantage des
difficultés rencontrées par les États membres pour harmoniser leurs règles d’assiette ou de
taux en matière d’impôts directs. Pour résoudre cette difficulté, il faudrait s’orienter vers un
fédéralisme européen plus marqué, mais les États s’y refusent depuis près de 60 ans361.
322. –– Même si son rôle en matière de prévention des doubles impositions est limité,
la Cour de justice de l’Union européenne n’ignore pas pour autant la fiscalité directe mise en
œuvre par les États. Si ces derniers sont libres dans la détermination de leurs règles relatives
à l’impôt, ils se doivent tout de même de respecter les principes fondamentaux du droit de
l’Union, notamment ceux issus des traités fondateurs. A partir des années 1980, la Cour
vérifiera donc la compatibilité des mesures fiscales en vigueur au sein des États membres, en
particulier au regard du principe de non-discrimination362. Une règle à l’origine d’une double
imposition pourra ainsi être invalidée par le droit européen dans la mesure où elle impliquerait
une discrimination au sein de l’Union : ce sera le cas si le texte en question prévoit de traiter
différemment deux personnes qui sont dans la même situation, ou encore à traiter de façon
identique deux personnes étant dans des situations différentes.
323. –– Par ailleurs, un autre mécanisme propre au droit européen peut constituer une
protection pour le droit fiscal des États membres. En effet, si les lois nationales doivent en
tout état de cause être compatibles avec le droit dérivé de l’Union, elles disposeront d’un
statut particulier dès lors qu’elles sont en conformité avec ce dernier, ce qui sera
généralement le cas lors de la transposition fidèle d’une directive. Ainsi, les lois fiscales
conformes au droit européen dérivé bénéficieront d’une protection dans leur relation avec le
droit primaire de l’Union, et sera donc valable tant que la directive qu’elles transposent n’a
360 M. CHASTAGNET, « Double imposition des dividendes, prestations d’assurance, droit conventionnel et droit dérivé : le droit fiscal de l’UE est un chemin sinueux… », Les Nouvelles Fiscales, n° 1179, 2016 361 Ibid. 362 P. MARCHESSOU, « Impôts directs », Répertoire de droit européen, Dalloz, 2016, 66. et s.
139
pas été invalidée363. Comme ce mécanisme prévoit une certaine protection du droit national
face aux principes issus du droit primaire de l’Union, il pourrait rendre plus difficile la lutte
contre les doubles impositions par la jurisprudence de la Cour de justice consistant à
soumettre les lois nationales aux principes fondamentaux du droit primaire.
324. –– La jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne est donc
relativement importante en matière d’impôts directs, mais elle ne témoigne pas d’une volonté
franche de prévenir les doubles impositions, estimant que cela doit avant tout relever du rôle
des États. Les contribuables victimes de ce phénomène ne pouvant se satisfaire d’un recours
devant le juge d’ l’Union, il leur reste éventuellement un recours devant celui de la Convention
européenne des droits de l’homme.
B –– La Cour européenne des droits de l’Homme
325. –– Les recours devant la Cour européenne des droits de l’homme en matière fiscale
sont relativement fréquents. Ils se fondent généralement sur l’article 1er du premier protocole
additionnel à la Convention, dont l’objet est la protection de la propriété privée. Le texte
rappelle toutefois, en son second alinéa, que ces dispositions « ne portent pas atteinte au
droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaire […] pour
assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ». Ainsi, le texte a bien vocation à
s’appliquer en matière fiscale, mais dans une optique très limitée. Comme l’État dispose d’un
pouvoir souverain d’imposition, l’atteinte au droit de propriété par l’impôt devra être
disproportionnée ou contraire à un autre principe garanti par la Convention, par exemple
l’interdiction de la discrimination364. La Cour contrôlera donc particulièrement « la
proportionnalité entre le montant de l’impôt et la capacité financière de l’assujetti »365, et se
concentrera moins sur la décision d’imposition en elle-même, ou encore sur les objectifs socio-
économiques poursuivis.
363 A. MAITROT DE LA MOTTE, « Les clauses anti-abus et le droit de l’Union européenne », Droit fiscal, n° 13, 2016, comm. 257, 16. 364 Article 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales 365 Conseil de l’Europe, « La Convention européenne des Droits de l’Homme et le droit de propriété », Dossiers sur les droits de l’Homme, n° 11 rév., p. 26
140
326. –– En matière de double imposition, la jurisprudence de la Cour de Strasbourg
apparaît très limitée. On peut toutefois noter que dans une de ses décisions, elle envisage la
question de double imposition sur le même plan que l’expropriation pour conclure qu’une loi
n’allait pas à l’encontre du droit de propriété366. Il semble donc que la Cour européenne des
droits de l’homme considère les situations de double imposition résultant d’une loi comme
contraire à la protection du droit de propriété, mais aucune de ses décisions ne permet
clairement de l’affirmer. Si ce recours peut paraître intéressant, comme la double imposition
juridique est de nature à porter atteinte de façon disproportionnée à l’article 1er du premier
protocole additionnel, il se heurte toutefois à une difficulté d’ordre procédural. En effet,
« plusieurs États ne peuvent être cumulativement assignés devant la Cour européenne des
droits de l’homme »367, ce qui empêchera de caractériser les faits qui portent atteinte au droit
de propriété. Ainsi, le contribuable ne pourra utiliser cette voie que dans le cas où la double
imposition dont il est victime est le fait d’un seul État, ce qui n’arrive pratiquement jamais.
327. –– De nombreuses mesures permettent de combattre la double imposition par la
voie de la prévention. Il s’agit généralement de la voie la plus efficace du point de vue du
contribuable, qui pourra faire chercher à faire valoir ses droits devant les juridictions de son
État de résidence. Un ensemble de mesures a ainsi été prévu, tant par la loi et les conventions
fiscales internationales que par le juge, pour permettre une lutte efficace contre les doubles
impositions. Mais malgré cette prévention active, de nombreuses situations de doubles
impositions continuent d’apparaître auprès des contribuables. Lorsque tous les recours
préventifs sont épuisés, la seule option consistera alors à rechercher la correction de la double
imposition, c’est-à-dire qu’une administration fiscale renonce à son droit d’imposition pour
neutraliser la surcharge fiscale qui pèse sur lui.
366 CEDH, 23/10/1997, National and Provincial Building Society, Leeds Building Society et Yorkshire Building Society c/ Royaume-Uni, n° 21319/93, 21449/93 et 21675/93, Rec. CEDH 1997, p. 7 ; RJF, 12/1997, n° 1215 367 D. GUTMANN, « La double imposition : problèmes contemporains – Introduction au dossier », Droit fiscal, n° 9, 2011, p. 225
141
CHAPITRE II
LA CORRECTION DES DOUBLES IMPOSITIONS
328. –– Malgré les nombreuses méthodes de prévention qui ont été mises en œuvre, à
la fois par le droit interne et le droit international, la double imposition continue de frapper
un grand nombre d’entreprises, en particulier lorsqu’elles exercent leurs activités dans un
cadre international. Comme ce phénomène constitue un véritable frein aux activités
économiques, plusieurs organisations se sont penchées sur cette question, notamment
l’OCDE et l’Union européenne368. Les États eux-mêmes s’intéressent à cette question depuis
plusieurs décennies, et la plupart cherchent activement à lutter contre la double imposition
au travers d’un nombre croissant de conventions fiscales bilatérales : la France fait d’ailleurs
ici figure de bonne élève, puisque « son réseau conventionnel est parmi les plus étendus au
monde »369. Pourtant, en dépit de tous les efforts entrepris, la situation ne semble pas
réellement s’améliorer pour les contribuables, en tout cas d’un point de vue global. Ce constat
résulte notamment du fait qu’en l’état actuel des choses, la prévention ne suffit pas à enrayer
les doubles impositions. Les États étant trop réticents à s’engager plus avant dans cette
optique, les mesures entreprises s’apparentent surtout à des négociations et des règles peu
contraignantes, afin de préserver une grande souveraineté fiscale.
329. –– La prévention des doubles impositions constitue en réalité le mode de lutte le
plus efficace contre ce type de situation. En effet, avec des mécanismes d’exonération ou
d’imputation de l’impôt payé à l’étranger, les opérateurs économiques n’ont pas à supporter
le coût de la surcharge fiscale qui pèse sur eux. Les mesures préventives permettent ainsi
d’éviter ces situations sans malmener les finances des entreprises les plus internationalisées.
Toutefois, ces méthodes étant souvent limitées à des situations très précises, une part
importante des doubles impositions ne parvient pas à être évitée de cette façon. C’est la
raison pour laquelle il a été imaginé des mécanismes de correction, qui résultent
368 DE SAINT-BLANQUAT Vanessa, « La double imposition des entreprises : le point de vue du MEDEF », Droit fiscal, n° 9, 2011, p. 226 369 D. GUTMANN, « La double imposition : problèmes contemporains – Introduction au dossier », Droit fiscal, n° 9, 2011, p. 225
142
principalement des travaux de l’OCDE et de l’Union européenne, qui ont ensuite été acceptés
et mis en œuvre par les États.
330. –– Ces méthodes d’élimination des doubles impositions ont une conception avant
tout très pratique : il s’agit de procédures, que peut mettre en œuvre un contribuable qui
s’estime victime d’une surcharge fiscale afin que les administrations des États concernés se
consultent, et trouvent une solution qui satisfasse tous les acteurs en présence. Ce type de
mécanisme repose en grande partie sur le caractère amiable de la procédure, qui prendra
d’abord la forme d’une négociation entre administrations fiscales. Ainsi, le modèle de
convention fiscale de l’OCDE prévoit que « les autorités compétentes des États contractants
s’efforcent, par voie d’accord amiable, de résoudre les difficultés ou de dissiper les doutes
auxquels peuvent donner lieu l’interprétation ou l’application de la convention »370. Un autre
recours est envisageable pour les contribuables européens, sous certaines conditions, sur le
fondement de la Convention européenne d’arbitrage371. Il est à noter que ces procédures sont
indépendantes des recours prévus par le droit interne dans chaque État. Ainsi, en cas de conflit
avec l’administration fiscale, un contribuable pourra d’abord chercher à faire valoir ses droits
devant le juge, national ou supranational, en vue d’éliminer la double imposition par des
mécanismes de prévention ; dans le cas où ces recours s’avérerent insuffisants, il pourra
enclencher une procédure de correction des doubles impositions sur le fondement d’une
convention internationale le prévoyant. En raison des délais de prescription relativement
courts, les deux types de recours seront parfois exercés en parallèle. Mais comme il s’agit de
procédures indépendantes, il n’est pas impossible d’avoir exclusivement recours à l’un ou
l’autre.
331. –– Les méthodes de corrections des doubles impositions reposent donc avant tout
sur la coopération entre les administrations fiscales des États concernés. On comprend donc
aisément que ce recours ne sera pas envisageable pour le contribuable dans une situation de
double imposition purement interne : dans ce cas, seuls les recours devant le juge seront
possibles. Mais dans les situations de doubles impositions internationales, qu’elles soient
juridiques ou économiques, un recours en vue de corriger la surcharge fiscale subie sera
370 OCDE, Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune – Version abrégée, 9e édition, 2014, p. 39 371 Convention relative à l’élimination des doubles impositions en cas de correction des bénéfices d’entreprises associées (90/436/CEE) du 23/07/1990
143
généralement envisageable. Ce système se fonde en majeure partie sur des procédures
internationales, qui relèvent pour beaucoup de la négociation et de la diplomatie entre États.
Ce mode de fonctionnement s’accommode assez mal de règles trop strictes, ce qui peut
constituer une véritable incertitude pour le contribuable. Cette insécurité juridique se voit
encore renforcée par les spécificités de la matière fiscale, particulièrement sensible aux
atteintes à la souveraineté nationale. Ainsi, les procédures internationales de correction des
doubles impositions constituent un recours intéressant pour les victimes de ce phénomène,
mais son efficacité est grandement entravée par une réticence marquée de la part des États.
Section I
LA CORRECTION DES DOUBLES IMPOSITIONS PAR LES PROCÉDURES
INTERNATIONALES
332. –– Le droit fiscal international est très largement façonné par les conventions
conclues entre les États : ce caractère conventionnel se manifeste concrètement en une
multitude de traités bilatéraux, notamment conclus en vue d’éviter les doubles impositions.
Ainsi, les règles applicables en matière de fiscalité internationale résultent principalement de
la souveraineté propre à chaque État : soit la volonté étatique prendra directement forme,
notamment avec les lois internes, soit elle se manifestera à travers des négociations menées
dans le cadre des conventions fiscales. Les procédures internationales de correction des
doubles impositions participent globalement de la même logique, présentant un caractère
profondément amiable et fondé sur la négociation entre États souverains. Les administrations
fiscales se sont d’ailleurs engagées dans cette voie depuis plusieurs décennies, une approche
commune de la fiscalité étant devenue nécessaire à l’heure de la mondialisation372.
333. –– Les traces de multilatéralisme, sont ainsi très faibles, voire inexistantes. De la
même façon, aucune des instances supranationales impliquées ne disposent réellement d’un
véritable pouvoir, de nature à édicter des règles contraignantes en matière fiscale. Ainsi,
l’OCDE formule avant tout des observations et des préconisations, dont les États sont libres
de s’inspirer pour établir les conventions ou pour les interpréter. Le modèle de convention
372 G. ORSINI, « La coopération des administrations fiscales », Petites affiches, n° 97, 2002, p. 50
144
établi par l’organisation et régulièrement réactualisé illustre parfaitement ce mode de
fonctionnement373.
334. –– En matière de correction des doubles impositions, le cas de l’Union européenne
est globalement similaire : les institutions ne disposent pas en tant que telles de compétence
en la matière. C’est pourquoi la Convention européenne d’arbitrage, signée en 1990 par les
États membres de la Communauté européenne en vue d’éliminer les doubles impositions, a
pris la forme d’un traité interétatique, et non pas d’un acte émanant des institutions
européennes. Ce choix s’explique par la volonté ferme des États de conserver une base la plus
conventionnelle possible en droit fiscal, écartant autant que faire se peut les règles émanant
d’autorités supranationales. Par ailleurs, le traité est multilatéral, et constitue ainsi une forme
d’exception à l’hostilité de la plupart des États au multilatéralisme en matière fiscale374. Il
faudra toutefois noter que la Convention d’arbitrage ne fait qu’apporter un cadre commun
aux procédures de correction des doubles impositions au sein des États européens, et
n’apportent pas réellement de règles nouvelles en matière de fiscalité. De plus, la Convention
ne concerne que la question des corrections de prix de transfert entre entreprises associées.
Il s’agit donc plutôt de la mise en place d’un recours uniformisé pour les contribuables
résidents de l’Union européenne que d’un véritable multilatéralisme fiscal.
335. –– Les procédures internationales d’élimination des doubles impositions sont donc
essentiellement au nombre de deux. D’une part, il existe la procédure amiable, prévue par les
conventions fiscales bilatérales qui suivent le modèle de l’OCDE : elle permet au contribuable
d’amener les administrations fiscales des États concernés à négocier en vue d’un accord
permettant de résoudre la situation. D’autre part, la procédure prévue par la Convention
européenne d’arbitrage peut constituer un recours intéressant, sous certaines conditions :
cette procédure apporte notamment des garanties supplémentaires au contribuable, en
faisant peser sur les États une responsabilité plus grande quant à l’élimination effective de la
double imposition. Malgré tout, ces deux procédures ne permettent pas toujours de régler
toutes les situations de doubles impositions : il peut donc être intéressant de se pencher sur
des modes alternatifs qui permettraient de corriger ce phénomène.
373 OCDE, Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune – Version abrégée, 9e édition, 2014 374 B. CASTAGNEDE, Précis de fiscalité internationale, 5e édition, 2015, 130.
145
§1 –– Les procédures amiables bilatérales
336. –– Lors des prémices de la lutte internationale contre les doubles impositions, à
l’époque de la Société des Nations, il avait déjà été envisagé une forme de recours pour les
contribuables victimes de doubles impositions. Ainsi, le premier modèle de convention fiscale
internationale fut présenté en 1943 à Mexico par le comité fiscal de la Société des Nations, et
son article XVI prévoyait explicitement la possibilité pour un contribuable faisant l’objet d’une
double imposition « d’adresser une réclamation à l’administration fiscale de l’État dans lequel
il a son domicile fiscal ou dont il est ressortissant »375. Cet article sera par la suite repris dans
le second modèle de convention publié par l’organisation, et constituera l’article XVII du
modèle présenté à Londres en 1946376. Si ces modèles de conventions n’ont pas connu un
succès immédiat après leur publication, notamment du fait de la dissolution de la Société des
Nations au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, elles demeurent tout de même une
page importante de l’histoire de la lutte contre les doubles impositions. En effet, un certain
nombre de dispositions et d’idées directrices encore à l’œuvre dans les travaux de l’OCDE
découlent directement des modèles de 1943 et 1946. C’est ainsi que le premier projet de
convention de l’OCDE vit le jour en 1963 : à l’inverse de ses prédécesseurs, ce modèle
conventionnel connut un succès considérable377.
337. –– Suite aux travaux de l’OCDE portant sur la double imposition, l’ONU a également
commencé à se pencher sur la question à la fin des années 1960. Un groupe de travail fut alors
constitué par les États membres de l’organisation, et un modèle de convention fiscale
alternatif fut adopté en 1979, et révisé à plusieurs reprises depuis cette date378. Si le modèle
de l’ONU reste globalement assez proche de celui de l’OCDE, il s’en éloigne sensiblement sur
certains points : il a en effet avant tout vocation à s’appliquer entre pays développés et pays
en voie de développement, se voulant notamment plus favorable envers ces derniers. Le
modèle de convention proposé par l’ONU prévoit également la possibilité d’une procédure
375 Comité fiscal de la Société des Nations, Modèles de conventions fiscales de Londres et de Mexico – Commentaire et texte, 1946, p. 72 376 M.-L. HUBLOT, Les procédures de règlement de la double imposition résultant de la correction des prix de transfert entre entreprises associées, Thèse, Paris, 2014, 85. 377 Ibid., 87. 378 ONU, Modèle de convention des Nations Unies concernant les doubles impositions entre pays développés et pays en développement, 2011
146
amiable pour le contribuable qui souhaite éliminer la double imposition dont il est victime.
Toutefois, cette procédure « ne se distingue pas fondamentalement de celle proposée par la
convention modèle OCDE »379, c’est pourquoi nous concentrerons notre étude sur les
procédures émanant de la convention modèle de l’OCDE.
338. –– Les procédures amiables prévues dans le cadre des conventions fiscales
internationales se fondent généralement sur l’article 25 du modèle de l’OCDE ou de l’ONU,
qui est repris dans la plupart des conventions signées par la France. Ces dispositifs ont
d’ailleurs été repris par la doctrine écrite de l’administration fiscale, qui précise que la
procédure est applicable tant en matière de double imposition juridique qu’économique380.
L’idée centrale de la procédure amiable prévue par le modèle de convention de l’OCDE réside
dans une obligation de moyens pesant sur les États quant au règlement de la situation381.
Ainsi, si aucune solution n’est trouvée au travers de négociations entre les administrations
fiscales, la double imposition pourra subsister. Afin de déterminer l’efficacité de la procédure
amiable conventionnelle, il convient d’examiner sa mise en œuvre et ses interactions avec le
droit interne, avant de se pencher sur son issue et sur les solutions qu’elle pourra apporter au
contribuable. Cette analyse permettra ensuite de déterminer les limites de ce mode de
correction des doubles impositions.
A –– La mise en œuvre de la procédure amiable
339. –– La procédure amiable de règlement des doubles impositions a vocation à se
mettre en œuvre dans un cadre conventionnel, et s’inspire de l’article 25 du modèle de
convention de l’OCDE. Toutefois, comme chaque traité bilatéral peut s’écarter du modèle et
présenter certaines spécificités, il conviendra de se référer à la convention conclue entre les
États concernés pour déterminer si une procédure amiable est envisageable. Cette diversité
qui résulte de la pratique conventionnelle des États en matière fiscale peut parfois amener
certaines difficultés. Mais dans la majorité des cas, les recours prévus par les conventions
présentent des caractéristiques communes, notamment au regard de situations dans
379 M.-L. HUBLOT, Les procédures de règlement de la double imposition résultant de la correction des prix de transfert entre entreprises associées, Thèse, Paris, 2014, 92. 380 Administration fiscale, BOFiP, BOI-INT-DG-20-30-10-20170201, § 1 381 É. BONNEAUD, « Fasc. 312 : Conventions fiscales – Procédure amiable et d’arbitrage », in J.-Cl. Droit international, 2013, 1.
147
lesquelles la procédure sera envisageable. Afin d’en saisir pleinement la portée, il convient de
s’intéresser au champ d’application de la procédure amiable, ainsi qu’à son déroulement.
Nous envisagerons également ses effets sur le droit interne.
1) Le champ d’application de la procédure
340. –– Pour pouvoir être mise en œuvre par un contribuable victime d’une double
imposition, la procédure amiable prévue par les conventions bilatérales nécessite un certain
nombre de conditions. La première d’entre elles tient naturellement à l’existence même de la
procédure : elle doit être prévue par la convention fiscale en vigueur entre les deux États
concernées par la double imposition. Au sein du réseau conventionnel français, environ 110
traités fiscaux prévoient le recours à un dispositif amiable pour le contribuable, suivant
généralement d’assez près le modèle de l’OCDE382. Ainsi, sous réserve des particularités
propres à chaque convention, la procédure amiable pourra notamment constituer un recours
lorsqu’un contribuable subit une « imposition non conforme aux dispositions de la présente
convention »383 ; ces termes sont parfois remplacés par ceux de « double imposition » dans
certaines conventions signées par la France, ce qui limite le champ d’application de la
procédure amiable384. La procédure amiable pourra également être utilisée pour « dissiper les
doutes auxquels peuvent donner lieu l’interprétation ou l’application de la convention », selon
l’article 25, 3 du modèle de l’OCDE385.
341. –– Si la convention en vigueur entre les deux États prévoit un dispositif amiable, il
conviendra de déterminer quels contribuables et quels impôts sont visés dans le cadre de
cette procédure. Pour les premiers, il s’agira généralement des résidents, personnes
physiques ou morales, d’un des États signataires. Dans le cas des entorses au principe de non-
discrimination, il arrive que les conventions prévoient l’ouverture de la procédure aux
nationaux des deux États, quelle que soit leur lieu de résidence386. Par ailleurs, une entreprise
382 J. SCHMIDT et al., Lamy Fiscal, 2017, n° 4503 383 OCDE, Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune – Version abrégée, 9e édition, 2014, p. 39 384 M.-L. HUBLOT, Les procédures de règlement de la double imposition résultant de la correction des prix de transfert entre entreprises associées, Thèse, Paris, 2014, 105. 385 OCDE, op. cit., p. 39 386 É. BONNEAUD, « Fasc. 312 : Conventions fiscales – Procédure amiable et d’arbitrage », in J.-Cl. Droit international, 2013, 12.
148
résidente d’un État tiers et disposant d’un établissement stable dans chacun des deux États
pourra éventuellement avoir recours à la procédure amiable, dans la mesure où la convention
prévoit la possibilité pour les administrations fiscales de « se concerter en vue d’éliminer la
double imposition dans les cas non prévus par la convention »387. Concernant les types
d’impôts pouvant bénéficier de la procédure amiable, il s’agira de ceux visés par la
convention : dans la plupart des cas, il s’agira des impôts sur le revenu, sur les sociétés et sur
la fortune, ainsi que les impôts apparentés. Toutefois, dans le cas d’une entorse à une clause
de non-discrimination, « la procédure amiable peut être étendue aux impôts de toute nature
ou dénomination »388.
342. –– Enfin, la condition centrale pour justifier le recours à une procédure amiable
tient à la preuve de la situation du contribuable : ce dernier devra prouver qu’il a subi ou qu’il
risque de subir une double imposition, ou une imposition non conforme aux dispositions de la
convention, selon les termes employés dans le traité389. Il est donc envisagé ici la possibilité
d’un risque de double imposition : en effet, une société peut subir un redressement qui
n’entraînera pas immédiatement une véritable double imposition. Dans ce cas, il faudra
établir la probabilité du contribuable de subir une double imposition future, notamment en
se fondant sur les actes qui lui ont été adressés par l’administration fiscale. L’OCDE préconise
par ailleurs la possibilité de l’ouverture d’une procédure amiable avant la constatation d’une
double imposition effective : cette idée est reprise par l’administration française, qui estime
qu’un « risque de double imposition est suffisant »390. Toutefois, toutes les conventions ne le
permettent pas nécessairement, et certains États exigent une double imposition effective
pour justifier l’accès à la procédure amiable391. Par ailleurs, lorsque le contribuable a fait
l’objet de pénalités graves ou qu’il a lui-même procédé à une procédé à une correction de ses
revenus pour éviter la double imposition, l’ouverture de la procédure amiable sera refusée
par l’administration392.
387 M.-L. HUBLOT, Les procédures de règlement de la double imposition résultant de la correction des prix de transfert entre entreprises associées, Thèse, Paris, 2014, 119. 388 É. BONNEAUD, « Fasc. 312 : Conventions fiscales – Procédure amiable et d’arbitrage », in J.-Cl. Droit international, 2013, 16. 389 Ibid., 19. 390 Administration fiscale, BOFiP, BOI-INT-DG-20-30-10-20170201, § 80 391 M.-L. HUBLOT, op. cit., 171. et s. 392 É. BONNEAUD, op. cit., 25. et 26.
149
343. –– Par ailleurs, on a pu se demander quelle devait être la nature de la double
imposition en cause pour permettre l’accès à une procédure amiable. Si la double imposition
juridique ne pose aucune difficulté, et entre pleinement dans les conditions du dispositif, les
choses sont moins évidentes concernant son pendant économique. La question de la double
imposition économique se posera principalement en matière de prix de transfert : la plupart
des conventions fiscale contienne une clause prévoyant la possibilité pour chaque État
signataire de réévaluer les prix de transfert pratiqués par une entreprise dans la mesure où il
serait contraire au principe de pleine concurrence393, selon les modalités de l’article 9, 2 du
modèle de l’OCDE. L’alinéa 2 du même article prévoit ensuite que l’autre État signataire tient
compte des ajustements effectués par le premier, afin d’éviter une double imposition
économique ; en cas de désaccord, une procédure amiable sera envisageable.
344. –– La plupart des États, dont la France, considèrent d’ailleurs qu’il ne peut y avoir
ajustement corrélatif qu’au travers d’une procédure amiable. L’objet de la négociation entre
les États portera alors sur la détermination du juste prix de transfert au regard du principe de
pleine concurrence et les ajustements corrélatifs seront établis en conséquence. Ces derniers
peuvent être de deux natures. Les ajustements primaires consistent, pour un État signataire,
à tenir compte des redressements effectués par les services fiscaux de l’autre État :
l’entreprise associée devra en principe reverser les sommes correspondantes à celle qui a fait
l’objet d’un redressement. Des ajustements secondaires pourront alors être mis en œuvre afin
de neutraliser les conséquences fiscales de cette restitution, par exemple en éliminant une
éventuelle retenue à la source394.
345. –– Ainsi, lorsqu’une convention fiscale contient une clause semblable à l’article 9,
2 du modèle de l’OCDE, la procédure amiable bilatérale trouvera clairement à s’appliquer
concernant les doubles impositions économiques. Dans le cas où aucune clause de ce type
n’existe, l’OCDE considère tout de même que le recours amiable est possible, pour peu qu’une
clause traitant des prix de transfert existe (article 9, 1 du modèle) : dans cette situation,
comme la convention traite des prix de transfert, la double imposition économique ne sera
« pas conforme, dans l’esprit, aux dispositions de la convention fiscale internationale »395.
Cette opinion est majoritaire au sein des États membres de l’organisation, mais elle ne fait pas
393 Voir supra n° 151. et s. 394 J. SCHMIDT et al., Lamy Fiscal, 2017, n° 4505 395 M.-L. HUBLOT, Les procédures de règlement de la double imposition résultant de la correction des prix de transfert entre entreprises associées, Thèse, Paris, 2014, 157.
150
l’unanimité : certains États, comme l’Australie, ou la Belgique jusqu’en 2003, refusaient la
procédure amiable concernant les doubles impositions économiques en l’absence de clause
comparable à l’article 9, 2 du modèle de convention396.
346. –– Si la double imposition subie par un contribuable entre dans le champ
d’application de la procédure amiable, celui-ci pourra alors la mettre en œuvre. Dans ce cas,
il devra suivre un certain nombre de règles encadrant ce dispositif.
2) Le déroulement de la procédure
347. –– Pour mettre en œuvre les mécanismes et les garanties de la procédure amiable,
le contribuable devra en premier lieu saisir l’autorité compétente au sein de son État de
résidence, ou de son État de nationalité lorsqu’il invoque la non-discrimination. En France, il
s’agira du Directeur général des Finances publiques397. Pour que la demande soit justifiée, il
faudra satisfaire aux exigences mentionnées précédemment, et respecter un certain nombre
de règles de forme. Par ailleurs, le contribuable devra respecter le délai de saisine prévu par
la convention invoquée. Selon le modèle de l’OCDE, le contribuable doit présenter sa
demande dans « les trois ans qui suivent la première notification de la mesure qui entraîne
une imposition non conforme aux dispositions de la convention »398. Cette définition étant
relativement floue, il faudra vérifier les pratiques de chaque État en la matière : en France, le
point de départ du délai sera généralement la date de réception de la proposition de
rectification ou de la notification des redressements dans le cadre d’une procédure
contradictoire, la date de réception de la notification des bases imposables dans une
procédure de taxation d’office, ou la date du prélèvement en cas de retenue à la source399. Si
aucun délai n’est précisé dans la convention, le contribuable résidant en France pourra
soumettre sa demande à tout moment, pour peu qu’il soit encore en mesure de prouver ses
allégations400.
396 M.-L. HUBLOT, Les procédures de règlement de la double imposition résultant de la correction des prix de transfert entre entreprises associées, Thèse, Paris, 2014, 159. et s. 397 É. BONNEAUD, « Fasc. 312 : Conventions fiscales – Procédure amiable et d’arbitrage », in J.-Cl. Droit international, 2013, 53. 398 OCDE, Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune – Version abrégée, 9e édition, 2014, p. 39 399 É. BONNEAUD, op. cit., 61. 400 M.-L. HUBLOT, op. cit., 236.
151
348. –– Si la demande du contribuable est jugée recevable par l’autorité compétente de
l’État de résidence, cette dernière informera l’autorité compétente de l’autre État. Ainsi, après
la phase interne de vérification du fondement de la demande, il s’ensuivra une phase
internationale, qui amènera les administrations fiscales à négocier en vue d’obtenir un accord
amiable mettant fin à la double imposition constatée, qu’elle soit effective ou simplement
probable. Comme il s’agit d’une procédure à caractère semi-diplomatique, le contribuable ne
pourra pas intervenir de son propre chef lors des échanges entre les autorités compétentes,
mais il pourra être amené à leur fournir des précisions à leur demande401. Ces dispositions ont
pu être interprétées comme un manque de transparence de la procédure amiable, qui revêt
de fait un caractère quelque peu obscure pour le contribuable.
349. –– L’ouverture de la procédure amiable bilatérale peut être exercée en parallèle
des recours contentieux prévu par le droit interne. Il convient donc d’envisager les effets
éventuels de ce dispositif sur l’établissement ou le recouvrement de l’impôt.
3) Les effets de la procédure en droit interne
350. –– En principe, la procédure amiable prévue par l’article 25 du modèle de
convention de l’OCDE est exercée « indépendamment des recours prévus par le droit interne
des États »402. Ainsi, le dispositif prévu par les conventions bilatérales se doit d’être traité à
part, dans une optique différente des recours traditionnels devant le juge de l’impôt. Comme
les deux types de dispositifs sont totalement indépendants, le recours à la procédure amiable
demeure notamment possible même lorsque le contribuable a accepté, de manière expresse
ou tacite, un redressement effectué par l’administration fiscale ; toutefois, il arrive parfois que
dans le cadre d’une transaction, les services fiscaux subordonnent l’accord au renoncement à
tout recours à une procédure amiable403.
351. –– L’indépendance entre les dispositifs du droit interne et la procédure amiable
bilatérale apparaît également au niveau du contrôle fiscal, le cas échéant. Ainsi, « la demande
d’ouverture d’une procédure amiable aux fins d’éliminer une double imposition […] est sans
401 É. BONNEAUD, « Fasc. 312 : Conventions fiscales – Procédure amiable et d’arbitrage », in J.-Cl. Droit international, 2013, 97. 402 OCDE, Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune – Version abrégée, 9e édition, 2014, p. 39 403 É. BONNEAUD, op. cit., 23.
152
influence sur le déroulement de la procédure de contrôle qui se poursuit conformément aux
règles de droit commun »404. Toutefois, une disposition visant à articuler les procédures
fiscales internes avec la procédure amiable avait été prévue par la loi de finances rectificative
du 30 décembre 2004, à l’article L189 A du Livre des procédures fiscales, qui prévoyait une
suspension de la mise en recouvrement en cas de demande d’ouverture de procédure amiable
effectuée par le contribuable405. Le Conseil d’État était venu préciser la portée de cette règle
en 2007, en estimant que si la procédure amiable est ouverte avant la mise en recouvrement,
alors celle-ci n’est plus possible tant que l’issue de la procédure n’a pas été constatée par les
autorités compétentes406. Cette disposition très favorable au contribuable constituait une
exception française, que l’Inspection générale des finances estimait injustifiée, notamment en
raison la forte augmentation du nombre de saisine depuis son entrée en vigueur. C’est
pourquoi le législateur a mis fin à cette règle, en abrogeant l’article L189 A au travers de la loi
de finances pour 2014 du 29 décembre 2013407.
352. –– Ainsi, lorsqu’un contribuable fait l’objet d’une double imposition, il dispose de
deux formes de recours, la procédure amiable bilatérale et les procédures propres au droit
interne de l’État en question. Ces deux recours peuvent être exercés en parallèle, sans qu’il
soit nécessaire d’attendre l’issue de l’une des procédures pour enclencher l’autre. Ce cumul
de dispositifs indépendants présente l’avantage du choix offert au contribuable, mais
également le risque d’aboutir à des « contradictions entre les termes d’un accord amiable et
ceux d’une décision juridictionnelle »408. C’est pourquoi l’administration fiscale précise qu’en
cas de décision juridictionnelle définitive, l’accord amiable ne saurait « aggraver la situation
du contribuable par rapport à la décision intervenue »409. De la même façon, si une juridiction
française se prononce après qu’un accord amiable ait été constaté entre les États,
404 É. BONNEAUD, « Fasc. 312 : Conventions fiscales – Procédure amiable et d’arbitrage », in J.-Cl. Droit international, 2013, 71. 405 J. SCHMIDT et al., Lamy Fiscal, 2017, n° 4503 406 CE, 15/07/2007, Société Printing Pack BV, n° 299966, RJF, 10/2007, n° 1150 ; Droit fiscal, n° 38, 2007, comm. 851, concl. S. VERCLYTTE 407 B. CASTAGNEDE, Précis de fiscalité internationale, 5e édition, 2015, 97. 408 M.-L. HUBLOT, Les procédures de règlement de la double imposition résultant de la correction des prix de transfert entre entreprises associées, Thèse, Paris, 2014, 450. 409 Administration fiscale, BOFiP, BOI-INT-DG-20-30-10-20170201, § 690
153
« l’exécution de l’accord amiable ne sera possible que si le contribuable renonce au bénéfice
de la chose jugée »410.
353. –– La procédure amiable bilatérale représente un recours intéressant pour les
contribuables qui ont subi une double imposition, qui peut parfaitement se cumuler avec
d’autres formes de procédures. Il convient à présent d’évoquer l’aboutissement de la
procédure, que les États soient parvenus à un accord ou non.
B –– L’issue de la procédure amiable
354. –– Suite aux négociations entreprises par les autorités compétentes des deux États
impliqués, il est possible d’aboutir à un accord amiable permettant de mettre fin à la double
imposition, ou de constater l’absence d’accord. Le caractère amiable de la procédure se
manifeste en effet au travers de l’absence d’obligation de résultat quant à l’élimination
effective de la double imposition. L’obligation qui s’impose aux États signataires se limite à
« une obligation de diligence de la part des autorités compétentes et, en aucun cas, une
obligation de résultat pour les parties »411. Par ailleurs, la plupart des conventions, comme le
modèle de l’OCDE, ne prévoient pas de délais procéduraux impératifs pour le déroulement de
la procédure amiable412 : il peut donc arriver que les négociations durent plusieurs années, ce
qui peut poser une sérieuse difficulté au contribuable.
355. –– Lorsqu’un accord est constaté par les États à l’issue de la procédure amiable, le
résultat des négociations est formalisé dans un écrit et notifié au contribuable par l’autorité
compétente initialement saisi. Celui-ci disposera alors d’un certain délai, communiqué au sein
de la notification, pour accepter ou refuser l’accord proposé : si le contribuable accepte, les
dispositions de l’accord entrent directement en vigueur, à condition qu’il se désiste de tous
les recours administratifs ou juridictionnels relatifs aux impositions concernées, et qu’il
renonce à tout recours contre la décision amiable. A l’inverse, si le contribuable refuse la
410 Administration fiscale, BOFiP, BOI-INT-DG-20-30-10-20170201, § 690 411 M.-L. HUBLOT, Les procédures de règlement de la double imposition résultant de la correction des prix de transfert entre entreprises associées, Thèse, Paris, 2014, 490. 412 Ibid., 501. et s.
154
proposition résultant de l’accord, celle-ci devient caduque et la procédure amiable est
close413.
356. –– Enfin, lorsqu’aucun accord n’est trouvé entre les autorités compétentes des
deux États signataires, la procédure aboutira à un constat de désaccord. Comme aucune
obligation de résultat ne pèse sur les États dans le cadre de la procédure amiable bilatérale, la
double imposition ne sera alors pas éliminée et subsistera pour le contribuable414. Toutefois,
une autre issue est parfois envisageable : certaines conventions, comme celle conclue entre
la France et l’Allemagne, depuis le 28 septembre 1989, prévoient la possibilité d’un recours à
l’arbitrage, « faute pour les administrations des États contractants de parvenir à un accord
amiable »415. Cette possibilité a été reprise par le modèle de convention de l’OCDE, à l’article
25, 5. b) : si les administrations des États partie à la convention ne parviennent pas à un accord
permettant de résoudre la double imposition en cause « dans un délai de deux ans à compter
de la présentation du cas à l’autorité compétente de l’autre État contractant, les questions
non résolues soulevées par ce cas doivent être soumises à l’arbitrage si la personne en fait la
demande »416.
357. –– Si la possibilité du recours à l’arbitrage pour garantir l’élimination de la double
imposition est une option intéressante pour le contribuable, elle n’est pas prévue par un grand
nombre de conventions fiscales signées par la France, ce qui entrave l’efficacité de ce
dispositif. Ce constat nous amène donc à présent vers les limites de la procédure amiable.
C –– Les limites de la procédure amiable
358. –– La première limite de la procédure amiable bilatérale tient à son origine
juridique : elle se fonde sur une convention fiscale, qui présentera souvent des spécificités
particulières. En effet, même si de nombreuses conventions sont globalement fidèles au
modèle de l’OCDE, la plupart s’en éloignent sur certains points. Comme il s’agit de traités
internationaux, qui résultent de négociations entre États, il existe une forte diversité de
413 É. BONNEAUD, « Fasc. 312 : Conventions fiscales – Procédure amiable et d’arbitrage », in J.-Cl. Droit international, 2013, 100. et s. 414 Ibid., 103. 415 B. CASTAGNEDE, Précis de fiscalité internationale, 5e édition, 2015, 98. 416 OCDE, Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune – Version abrégée, 9e édition, 2014, p. 39-40
155
conventions applicables, ce qui peut constituer une difficulté pour un contribuable qui ne
maîtrise pas toutes les subtilités du droit fiscal international.
359. –– Par ailleurs, la procédure amiable repose avant tout sur la négociation entre les
administrations fiscales des États signataires, ce qui en fait davantage un recours diplomatique
que contentieux. De plus, le caractère purement amiable de la procédure se manifeste au
travers de l’absence de toute obligation de résultat quant à l’élimination de la double
imposition417. En effet, mis à part les situations où une clause de la convention prévoit le
recours à l’arbitrage en cas de désaccord entre les États, ces derniers sont seulement soumis
à une obligation de moyens concernant la correction de la double imposition à l’origine de la
procédure : les États devront seulement négocier de manière diligente, mais dans le cas où
aucun accord n’est trouvé, la double imposition pourra subsister. Il est donc possible que la
procédure amiable bilatérale ne permette pas d’apporter une solution au contribuable, ce qui
constitue une sérieuse limite à ce dispositif.
360. –– La procédure amiable apparaît également comme un recours d’intérêt assez
limité pour le contribuable. Si les négociations entre les États peuvent s’avérer efficaces et
permettre la correction de la double imposition subie, la procédure dans son ensemble semble
globalement assez floue, voire opaque, pour celui qui y a recours. Ainsi, le contribuable ne
participera que de manière très limitée à la procédure, qui semblera lui échapper, alors qu’il
en est le premier intéressé418. Enfin, dans la plupart des cas, aucun délai impératif n’est prévu
par les conventions fiscales pour encadrer la procédure amiable, ce qui ternit encore l’image
de ce recours aux yeux du contribuable.
361. –– Devant les insuffisances de la procédure amiable bilatérale, et globalement pour
pallier certains inconvénients du droit fiscal international, les mécanismes de correction des
doubles impositions ont connu un développement particulier au sein de l’Union européenne.
417 M.-L. HUBLOT, Les procédures de règlement de la double imposition résultant de la correction des prix de transfert entre entreprises associées, Thèse, Paris, 2014, 490. 418 J. SCHMIDT et al., Lamy Fiscal, 2017, n° 4504
156
§2 –– La procédure européenne d’arbitrage
362. –– Dans sa volonté d’instituer un marché commun efficace, l’Union européenne
s’est assez tôt intéressée à la question de la double imposition. Le Traité de Rome, dans sa
version signée en 1957, prévoyait d’ailleurs explicitement que les États membres devraient
avoir recours à la négociation ou à d’autres dispositifs afin de corriger d’éventuelles situations
de doubles impositions419. Si cette disposition ne figure plus aujourd’hui dans le Traité sur le
fonctionnement de l’Union européenne, la Commission continue tout de même d’œuvrer
contre la double imposition, qu’elle a toujours considérée comme une entrave au bon
fonctionnement du marché intérieur.
363. –– Dans le contexte communautaire de lutte contre les doubles impositions, les
travaux de la Commission européenne avaient abouti en 1976 à une proposition de directive,
relative aux corrections des prix de transfert. La procédure envisagée consistait, à la demande
du contribuable victime de double imposition, en une négociation amiable entre les États
concernées pour trouver une solution ; si aucun accord n’était trouvé, il y aurait alors
constitution d’une commission composée de « représentants des administrations concernées
et de personnalités indépendantes, dont les administrations et les entreprises en cause
acceptent à l’avance la décision »420. Si l’idée d’une procédure amiable était globalement
acceptée par tous les États membres, le possible recours à l’arbitrage prévu par la directive
suscitait davantage de réserves. Pour régler ces difficultés, il a été envisagé en 1978 de
transformer cette proposition de directive en convention multilatérale adoptée par les États
membres de l’Union. Ainsi, le texte ne ferait pas partie du droit européen, car il n’était pas
fondé sur les traités d’origine, ce qui excluait toute compétence de la Cour de justice et tout
recours en manquement de la part de la Commission421.
364. –– Malgré le choix d’une convention multilatérale, fondée sur le droit international
et échappant au droit européen, les négociations entre les États membres se sont avérées
assez difficiles. Après plus d’une décennie de discussions, la Convention européenne
419 Article 220 du Traité instituant la Communauté européenne 420 JOCE, 21/12/1976, C 301/4 421 M.-L. HUBLOT, Les procédures de règlement de la double imposition résultant de la correction des prix de transfert entre entreprises associées, Thèse, Paris, 2014, 1290. et s.
157
d’arbitrage a finalement été adoptée par les États membres le 23 juillet 1990, pour entrer en
vigueur le 1er janvier 1995. D’une durée initiale de 5 ans, les dispositions de la Convention
devaient être prorogées par les États signataires pour rester en vigueur ; depuis un protocole
signé le 1er novembre 2004 et rétroactif au 1er janvier 2000, la prorogation de la convention
est automatique, sauf opposition d’un État membre422. Par ailleurs, un code de conduite pour
la mise en œuvre effective de la Convention européenne d’arbitrage a été adopté en 2004
suite à une proposition de la Commission : ce texte porte principalement sur le point de départ
des délais prévus et sur les modalités pratiques de la procédure423. Ce code de conduite a
ensuite été révisé en 2009424.
365. –– La Convention européenne d’arbitrage prévoit globalement un fonctionnement
similaire aux procédures amiables bilatérales, mais elle présente également quelques
particularités notables. Les spécificités qui lui sont propres se retrouvent notamment au
niveau de son champ d’application, moins large que la convention bilatérale prévue par le
modèle de l’OCDE, ainsi qu’au travers du déroulement de la procédure. Nous envisagerons
enfin les limites de la procédure européenne d’arbitrage.
A –– Le champ d’application de la Convention européenne d’arbitrage
366. –– La Convention européenne d’arbitrage dispose d’un champ d’application
territoriale limitée aux États membres de l’Union européenne, à l’exception de la Croatie ; la
convention n’est également pas applicable « aux territoires et collectivités d’outre-mer
français, aux Iles Féroé ni au Groenland »425. Le recours à la procédure prévue par la
Convention ne sera donc envisageable que si la double imposition litigieuse frappe un ou
plusieurs résidents fiscaux d’États membres de l’Union européenne. Par ailleurs, cette
procédure est limitée aux doubles impositions économiques subies par des entreprises
associées, c’est-à-dire des sociétés appartenant au même groupe ou ayant entre elles des
422 M.-L. HUBLOT, Les procédures de règlement de la double imposition résultant de la correction des prix de transfert entre entreprises associées, Thèse, Paris, 2014, 1292. 423 JOUE, 28/07/2006, C 176/2 424 Code de conduite révisé pour la mise en œuvre effective de la convention relative à l’élimination des doubles impositions en cas de correction des bénéfices d’entreprises associées, JOUE, 30/12/2009, C 322/1 425 Administration fiscale, BOFiP, BOI-INT-DG-20-30-20-20170201, § 20
158
liens, directs ou indirects, de direction, de capital ou de contrôle426. L’administration fiscale
retient ici les mêmes critères d’association que pour l’application de l’article 57 du Code
général des impôts, ou pour les questions de prix de transfert dans le cadre d’une convention
fiscale. De plus, les relations entre une entreprise européenne et son établissement stable
situé dans un autre État partie à la Convention seront également couvertes par la
procédure427.
367. –– Les impositions pour lesquelles la Convention européenne d’arbitrage a
vocation à s’appliquer sont principalement, pour ce qui est de la France, l’impôt sur les
sociétés et l’impôt sur le revenu des personnes physiques ; elle sera également applicable
dans le cas d’impôts équivalents ou assimilés, comme la CSG ou la contribution sociale sur
l’impôt sur les sociétés de l’article 235 ter ZC du Code général des impôts428. Par ailleurs,
l’ouverture de la procédure amiable prévue par la Convention peut être demandée par le
contribuable même après l’acceptation, expresse ou tacite, d’un redressement, y compris en
cas de transaction avec l’administration fiscale429. Comme dans le cas des conventions
bilatérales, la procédure amiable est totalement indépendante des recours de droit interne.
De la même façon, la Convention européenne d’arbitrage ne pourra pas être mise en œuvre
en cas de pénalités graves et définitives pesant sur le contribuable, comme par exemple des
sanctions pénales430. Enfin, la procédure ne trouvera pas non plus à s’appliquer si la double
imposition a fait l’objet d’un ajustement corrélatif unilatéral de la part d’un des États
concernés, et que cette correction a été acceptée par les contribuables : il n’y aura alors plus
de double imposition431.
368. –– Lorsque les conditions d’applicabilité de la procédure prévue par la Convention
européenne d’arbitrage sont réunies, le contribuable victime d’une double imposition
économique pourra demander l’ouverture de la procédure. Celle-ci lui garantira en principe
l’élimination de la surcharge fiscale qu’il a subie.
426 É. BONNEAUD, « Fasc. 312 : Conventions fiscales – Procédure amiable et d’arbitrage », in J.-Cl. Droit international, 2013, 30. 427 Ibid., 32. 428 Ibid., 40. 429 Ibid., 42. 430 J. SCHMIDT et al., Lamy Fiscal, 2017, n° 4507 431 É. BONNEAUD, op. cit., 43.
159
B –– Le déroulement de la procédure
369. –– La procédure prévue par la Convention européenne d’arbitrage présente
certaines particularités, qui l’éloignent sensiblement des procédures amiables qui découlent
des conventions fiscales bilatérales. Ces spécificités apparaissent particulièrement au travers
du déroulement de la procédure. On peut distinguer deux phases, chacune étant encadrée
dans des délais stricts : après une période de discussions amiables entre les États, en l’absence
d’accord, une commission consultative sera constituée dans le cadre d’une phase arbitrale.
L’issue de la procédure permet ainsi de garantir l’élimination effective de la double imposition.
1) La phase amiable
370. –– Le déroulement de la procédure amiable prévue par la Convention européenne
d’arbitrage est globalement semblable à celle fondée sur les conventions fiscales suivant le
modèle de l’OCDE. L’entreprise devra ainsi saisir l’autorité compétente de son État de
résidence dans un délai de trois ans à compter du premier avis d’imposition « qui entraîne ou
est susceptible d’entraîner une double imposition au sens de la convention en raison d’une
correction des prix de transfert »432. Celle-ci informera alors l’autorité compétente de l’autre
État.
371. –– Une fois la recevabilité de la demande établie, les négociations entre les
administrations concernées pourront commencer. Celles-ci disposeront alors de deux ans
pour trouver une solution permettant d’éliminer la double imposition litigieuse : ce délai ne
trouvera son point de départ « qu’à compter du désistement de tout recours de droit
interne »433. Toutefois, les autorités compétentes impliquées peuvent convenir de déroger à
ce délai, avec l’accord des entreprises associées intéressées par la procédure ouverte434. Dans
un souci de transparence, le contribuable pourra par ailleurs venir lui-même présenter son
dossier dans le cadre des négociations entre les États, afin d’éclairer leur compréhension de
432 É. BONNEAUD, « Fasc. 312 : Conventions fiscales – Procédure amiable et d’arbitrage », in J.-Cl. Droit international, 2013, 65. 433 Ibid., 128. 434 Article 7, 4. de la Convention européenne d’arbitrage
160
l’affaire435. Malgré ces dispositions, si aucun accord n’aboutit après l’expiration du délai, la
procédure pourra alors donner lieu à une phase arbitrale.
2) La phase arbitrale
372. –– Lorsqu’à l’issue du délai applicable à la procédure amiable, aucun accord n’a pu
être trouvé par les États concernés par la double imposition, une commission sera alors
constituée. Si les travaux initiaux de la Commission européenne avaient prévu d’en faire un
véritable comité arbitral, la réticence des États membres a conduit à lui reléguer un rôle
consultatif, dans la mesure où la double imposition est effectivement éliminée436. La
commission consultative est composée de représentants des États membres ainsi que de
personnalités indépendantes, et elle disposera de certaines prérogatives, comme la possibilité
d’auditionner les administrations des États concernés437.
373. –– La commission consultative devra rendre son avis dans un délai de six mois
suivant sa saisine, selon les termes de la Convention : sa décision présentera un certain
formalisme, et garantira l’élimination de la double imposition à l’origine de la procédure. Suite
à l’avis de la commission, les autorités compétentes des États impliqués disposeront d’un
nouveau délai de six mois pour trouver un accord permettant l’élimination effective de la
double imposition : ils sont libres de déroger aux préconisations de la commission, mais si
aucun autre accord n’est trouvé pour parvenir à l’élimination de la surcharge fiscale, l’avis de
la commission deviendra obligatoire438. Ainsi, la phase d’arbitrage prévue par la Convention
européenne constitue une différence notable de cette procédure avec les procédures
amiables bilatérales : une issue favorable au contribuable est garantie dans un délai maximum
d’un an après l’échec de la phase amiable.
435 J. SCHMIDT et al., Lamy Fiscal, 2017, n° 4509 436 M.-L. HUBLOT, Les procédures de règlement de la double imposition résultant de la correction des prix de transfert entre entreprises associées, Thèse, Paris, 2014, 1553. et s. 437 É. BONNEAUD, « Fasc. 312 : Conventions fiscales – Procédure amiable et d’arbitrage », in J.-Cl. Droit international, 2013, 142. 438 Ibid., 146.
161
3) L’issue de la procédure
374. –– A la différence des procédures de correction des doubles impositions prévues
par les conventions bilatérales et par le modèle de l’OCDE, la Convention européenne
d’arbitrage garantie au contribuable l'élimination de la double imposition qu’il a subi. En effet,
le texte fait peser une véritable obligation de résultat sur les États membres, qui se manifeste
au travers de la constitution d’une commission consultative dont l’avis s’imposera si aucune
autre solution n’est trouvée. En raison de la réticence des États membres à prévoir une
commission arbitrale dans les dispositions du traité, le rôle de la commission consultative
prévue par la Convention européenne d’arbitrage présente une sorte de caractère hybride :
le professeur Jean-Pierre Le Gall estime ainsi que cette procédure « se situe à la frontière de
la procédure arbitrale et rejoint les nombreuses procédures de nature incertaine qui s’y
pressent, notamment les procédures ayant la nature de conciliation ou de médiation »439. Ce
mode de fonctionnement particulier semble également présenter un autre avantage : les
États sont fortement incités à trouver une solution amiable, le caractère dissuasif de la
procédure d’arbitrage expliquant sans doute assez faible de commissions consultatives
constituées440.
375. –– En dépit de ces particularités, la Convention européenne d’arbitrage présente
l’intérêt majeur de garantir au contribuable la correction de la double imposition subie, ce qui
constitue indéniablement une avancée forte dans la lutte contre ce phénomène. Toutefois,
cette procédure ne permet pas d’éliminer toutes les doubles impositions et présentent de ce
fait un certain nombre de limites.
B –– Les limites de la Convention européenne d’arbitrage
376. –– La première limite de la Convention européenne d’arbitrage concerne son
champ d’application. D’un point de vue territorial, elle constitue un recours intéressant pour
les résidents des États membres de l’Union européenne, mais les contribuables qui peuvent
en bénéficier se limitent aux entreprises associées qui ont subi une double imposition dans le
439 J.-P. LE GALL, « Fiscalité et arbitrage », Revue de l’arbitrage, n° 1, 1994, p. 3 440 M.-L. HUBLOT, Les procédures de règlement de la double imposition résultant de la correction des prix de transfert entre entreprises associées, Thèse, Paris, 2014, 1515. et s.
162
cadre d’une correction de prix de transfert ou de la rémunération d’un établissement stable.
La procédure en elle-même est globalement efficace, mais dans de nombreux cas, en
particulier en matière de double imposition juridique, le contribuable ne pourra pas y avoir
recours : les particuliers sont par exemple exclus de son champ d’application.
377. –– Par ailleurs, bien que la Convention européenne d’arbitrage soit un traité
multilatéral signé par les États membres de l’Union européenne, elle ne constitue pas en tant
que telle une avancée pour le multilatéralisme en matière fiscale. En effet, comme il s’agit
d’une procédure commune dans le cadre de la correction des doubles impositions
économiques subies dans le cadre des prix de transfert, l’influence de cette mesure sur les
contribuables est essentiellement procédural et l’harmonisation qui en résulte pour les États,
très marginale. Les divergences fiscales en matière de règles d’assiette ou de taux d’imposition
au sein des différents États européens persistent donc, en l’absence de toute mesure
d’uniformisation de la fiscalité directe en Europe.
378. –– Malgré l’intérêt notable qu’elles représentent pour le contribuable, les
procédures amiables bilatérales et la Convention européenne d’arbitrage ne suffisent pas, en
pratique, à corriger toutes les situations de double imposition. C’est la raison pour laquelle il
est parfois envisagé d’autre méthodes ou procédures permettant une meilleure élimination
de la surcharge fiscale subie par les contribuables.
§3 –– Vers d’autres modes d’élimination des doubles impositions ?
379. –– Si la Convention européenne d’arbitrage constitue une alternative dans le cas
particulier des prix de transfert, le principal recours permettant de corriger une double
imposition réside dans la procédure amiable prévue par les conventions bilatérales. Ici encore,
on constate le caractère profondément conventionnel du droit fiscal international, mais
également son incapacité à garantir de manière efficace l’élimination des doubles impositions.
Par ailleurs, ces procédures de correction sont essentiellement internationales et ne
permettent donc en aucun cas de corriger des doubles impositions économiques résultant
d’une situation purement interne.
163
380. –– Devant les insuffisances du droit positif, de nombreuses méthodes alternatives
ont été envisagées pour lutter contre les phénomènes de double imposition. Si certains
paraissent difficiles à mettre en œuvre, d’autres pourraient constituer une avancée
intéressante pour la matière fiscale, notamment pour réconcilier les contribuables et les
services fiscaux. Sans chercher à être exhaustifs, nous étudierons d’abord les recours
envisageables sur le fondement du droit interne, puis les avancées possibles dans le contexte
du droit européen. Enfin, nous envisagerons les éventuelles évolutions futures du droit fiscal
international, qui pourraient amener de nouveaux recours pour les contribuables.
A –– Les recours du droit interne
381. –– Lorsqu’un contribuable fait l’objet d’une double imposition, son principal
recours en droit interne résidera dans la saisine du juge de l’impôt. Les voies contentieuses
sont en effet celles qui sont le plus souvent mises en œuvre. Pourtant, certains recours prévus
par le droit interne pourraient permettre au contribuable de trouver une solution lui évitant
une surcharge fiscale injustifiée, souvent en amont de toute procédure devant le juge. Il en
est ainsi des procédures amiables, comme la médiation et la conciliation, et plus généralement
des dispositions de droit souple en matière fiscale : ces éléments constituent autant de
possibilités pour le contribuable de trouver une solution relative à une double imposition au
travers d’un accord avec l’administration fiscale.
1) La médiation et la conciliation
382. –– Devant l’encombrement de certains tribunaux, des méthodes alternatives de
règlement des litiges ont vu le jour. Parmi ces nouvelles voies permettant de trouver des
solutions aux différends, la médiation et la conciliation occupent une place relativement
importante, tant en droit interne qu’en droit international. Dans les deux cas, il s’agira pour
les parties de soumettre volontairement leur affaire à un tiers, un conciliateur ou un
médiateur, dont l’objectif sera de trouver une solution au litige, sans pour autant avoir le
pouvoir d’imposer sa décision aux parties. La nuance entre médiation et conciliation tient
généralement au rôle du tiers choisi par les parties : là où le conciliateur écoute les prétentions
de chacun et leur propose une solution qu’il juge acceptable, le médiateur cherchera
164
davantage à renouer le dialogue entre les parties, de façon à ce que la solution émane
directement de leurs discussions441.
383. –– Les pratiques de médiation et de conciliation ont une certaine tendance à se
démocratiser ces dernières années pour un certain nombre de litiges civils ou commerciaux.
En matière fiscale, quelques instances prévues par la loi ont vocation à jouer un rôle de
médiation, comme le médiateur de la République ou le médiateur des ministères
économiques et financiers442, ou un rôle de conciliation, comme la commission
départementale de conciliation ou le conciliateur fiscal départemental443. Ces recours
amiables peuvent constituer une voie permettant au contribuable de trouver une solution aux
litiges qui l’opposent à l’administration, notamment car certaines instances disposent d’un
pouvoir particulier en matière fiscale : par exemple, le conciliateur fiscal départemental
pourra, dans certains cas, modifier la décision initiale de l’administration, ce qui peut
constituer un véritable avantage du point de vue du contribuable. Mais en pratique, le recours
à la médiation et à la conciliation en matière de double imposition n’est que très peu utilisé,
notamment en raison du fait que « l’indépendance et l’impartialité du tiers ne sont pas
toujours garanties »444.
384. –– En droit fiscal international, le recours à la médiation ou à la conciliation n’est
pas davantage mis en avant. Si ces modes alternatifs de règlement des litiges ont un temps
été envisagés par les organisations internationales, en particulier l’OCDE, leur choix s’est
finalement davantage porté sur l’arbitrage. En effet, si la possibilité d’une médiation ou d’une
conciliation n’est jamais exclue en cas de désaccord entre États suite à une procédure amiable,
ces modes de règlement des litiges ne sauraient garantir une élimination systématique des
doubles impositions. L’arbitrage, dont la décision s’imposerait aux parties, est donc jugée plus
efficace, sans que cela ne prive les États ne pouvant pas, ou ne souhaitant pas inclure des
clauses arbitrales dans leur convention, d’avoir recours à la médiation ou à la conciliation445.
441 F. BEN MRAD, « Définir la médiation parmi les modes alternatifs de régulation des conflits », Informations sociales, n° 170, 2012, p. 11 à 19 442 M.-L. HUBLOT, Les procédures de règlement de la double imposition résultant de la correction des prix de transfert entre entreprises associées, Thèse, Paris, 2014, 866. et s. 443 Ibid., 950. et s. 444 Ibid., 987. 445 OCDE, Améliorer le processus de résolution des différends fiscaux internationaux, 2004
165
385. –– Les modes alternatifs de règlement des conflits cherchent à impliquer les parties
dans la recherche d’une solution commune au travers d’une procédure essentiellement
amiable. D’autres mécanismes, se réclamant du droit dit souple, suivent la même logique et
pourraient constituer un mode de correction des doubles impositions.
2) Le droit souple en matière fiscale
386. –– La notion de droit souple provient du terme anglais de Soft Law, et désigne
généralement des règles qui n’ont pas de caractère obligatoire ou juridiquement
contraignant. Il s’agit donc de dispositifs destinés à impacter les comportements, mais sans
pour autant créer de véritables obligations ou de nouveaux droits pour les justiciables446. Ces
dernières années, le droit souple s’est développé dans la plupart des domaines juridiques, et
le droit fiscal ne fait pas exception. Même si ce dernier est historiquement marqué par des
principes juridiques solides, comme celui de légalité de l’impôt447, la matière fiscale a du faire
une place à des mécanismes moins rigides. Ainsi, le Conseil d’État consacrait en 2013 son
étude annuelle au droit souple, notamment dans le cadre de la gouvernance des sociétés448.
387. –– En matière de correction des doubles impositions, le droit souple se manifeste
principalement au travers du recours gracieux et la possibilité de transaction avec
l’administration fiscale. Celle-ci dispose en effet du pouvoir discrétionnaire « d’accorder des
remises totales ou partielles d’impôts directs et de pénalités »449. Le Conseil d’État a d’ailleurs
estimé que, dans le cadre d’un recours gracieux devant l’administration, l’atténuation de la
charge fiscale qui pèse sur le contribuable n’a pas nécessairement à être motivée450. Ces
recours pourraient constituer une voie intéressante pour le contribuable victime d’une double
imposition. Mais pour cela, il faudrait une véritable volonté de combattre ce phénomène de
la part des services fiscaux, ce qui ne semble pas être le cas à l’heure actuelle. Les avancées
du droit européen pourraient alors constituer une autre voie d’élimination des doubles
impositions.
446 J. CAZALA, « Le Soft Law international, entre inspiration et aspiration », Revue interdisciplinaire d’études juridiques, Volume 66, 2011, p. 41-84 447 Article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958 et article 14 de la DDHC 448 CE, Etude annuelle – Le droit souple, 2013 449 D. URY, « Le droit souple appliqué à la matière fiscale », Revue française de finances publiques, n° 135, 2016, p. 282 450 CE, 11/06/1975, n° 93383 et 93384, Lebon 1975
166
B –– Les avancées du droit européen
388. –– Même si la fiscalité directe ne fait a priori pas partie du domaine de
compétences de l’Union européenne, les institutions ont toujours cherché à enrayer ce
phénomène. Les travaux de la Commission ont ainsi permis d’impacter de manière notable le
droit fiscal international à l’échelle du continent européen. C’est d’ailleurs dans ce cadre
qu’est née la Convention européenne d’arbitrage, qui constitue un recours efficace pour le
contribuable, malgré un champ d’application assez limité. Dans la lignée des mécanismes
prévus par ce traité, la Commission européenne a récemment publié une proposition de
directive relative aux mécanismes de règlement des différends en matière de double
imposition, qui est encore à l’étude devant le Conseil451. Les principales mesures envisagées
par cette proposition se fondent sur la Convention européenne d’arbitrage de 1990 et propose
d’en renforcer les dispositions : il s’agirait notamment d’en étendre le champ d’application à
toutes les situations de double imposition en cas d’existence d’une convention fiscale. Il est
également envisagé d’établir des délais contraignants qui s’imposent à tous les États
membres, ainsi que de rendre obligatoires les résultats d’un éventuel arbitrage.
389. –– Cette proposition de directive peut constituer une véritable avancée pour la
lutte contre les doubles impositions à l’échelle européenne. Toutefois, il faudra encore
attendre qu’elle soit adoptée par le Conseil de l’Union européenne. Comme il s’agit d’une
mesure fiscale, elle relève de la procédure législative spéciale, qui nécessite l’unanimité des
États membres au Conseil après consultation du Parlement. Compte tenu de la réticence des
États concernant les mesures trop contraignantes en droit fiscal international, les négociations
relatives à cette directive risquent de prendre un certain temps.
390. –– Si les avancées du droit européen en matière de correction des doubles
impositions sont notables, elles se limitent toutefois aux seuls États membres de l’Union. Dans
les autres cas, le contribuable devra se tourner vers d’éventuels recours internationaux.
451 Commission européenne, Proposition de directive du Conseil concernant les mécanismes de règlement des différends en matière de double imposition dans l’Union européenne, 2016
167
C –– Les recours internationaux
391. –– En l’état actuel du droit fiscal international, l’essentiel des dispositifs relatifs à
la double imposition découle des conventions fiscales. Celles-ci ne prévoient généralement
que la possibilité pour le contribuable de demander l’ouverture d’une procédure amiable, qui
conduira à des négociations entre les États signataires mais ne garantira pas nécessairement
une élimination effective de la double imposition constatée. Le modèle de convention de
l’OCDE, à l’instar de certaines conventions en vigueur, a prévu la possibilité d’un recours à
l’arbitrage pour garantir un résultat au contribuable qui a fait l’objet d’une surcharge fiscale.
Pourtant, ce type de clause ne parvient pas à s’imposer de manière très nette auprès des États,
ce qui amène un questionnement sur le rôle de l’arbitrage en droit fiscal international. Par
ailleurs, le multilatéralisme pourrait également constituer une forme de développement
intéressante pour le droit fiscal conventionnel, en matière de lutte contre les doubles
impositions.
1) L’arbitrage en droit fiscal international
392. –– Pendant longtemps, l’arbitrage et la fiscalité ont été envisagées de manière
totalement distincte, l’une n’étant abordée par l’autre que de manière incidente : les études
sur le sujet se limitaient ainsi souvent aux conséquences fiscales d’une décision arbitrale, mais
en aucun cas à la possibilité de soumettre un litige fiscal à un arbitre452. La question est pour
autant très intéressante : est-il envisageable et acceptable pour un État de soumettre un
différend relatif à l’exercice de sa souveraineté fiscale à un arbitre, c’est-à-dire un juge privé ?
Si l’arbitrage est inenvisageable en droit interne, seul le juge de l’impôt étant compétent pour
trancher un litige entre l’administration et un contribuable, l’arbitrage existe en réalité depuis
un certain temps en droit fiscal international453.
393. –– La possibilité d’avoir recours à l’arbitrage dans le cas où les États n’arrivent pas
d’eux-mêmes à trouver une solution au différend qui les oppose était déjà envisagée dans les
premiers travaux visant à éliminer les doubles impositions, au début du XXe siècle. Mais
452 J.-P. LE GALL, « Fiscalité et arbitrage », Revue de l’arbitrage, n° 1, 1994, p. 3 453 M.-L. HUBLOT, Les procédures de règlement de la double imposition résultant de la correction des prix de transfert entre entreprises associées, Thèse, Paris, 2014, 990. et s.
168
pendant longtemps, les États de l’OCDE étaient opposées à toute forme d’arbitrage, jugeant
ce mode de résolution des conflits trop dangereux pour leur souveraineté fiscale. La situation
a changé avec les premières clauses d’arbitrage insérées dans des conventions fiscales
bilatérales, comme le protocole signé en 1989 amendant la convention franco-allemande.
L’OCDE a alors choisi de revoir sa position, jusqu’à intégrer une clause de ce type dans son
modèle de convention454. Pendant longtemps, aucun arbitrage fiscal international
conventionnel n’était connu, les procédures étant généralement confidentielles, mais il
semble que plusieurs affaires impliquant le Canada et les États-Unis aient été soumises à
l’arbitrage récemment455.
394. –– L’arbitrage pourrait constituer une méthode efficace de correction des doubles
impositions, garantissant au contribuable le règlement de sa situation. Par ailleurs, l’obligation
de résultat qui en découlerait pour les États pourrait également avoir une portée
pédagogique, les incitant de manière plus nette à trouver un compromis. Pourtant, même si
des clauses d’arbitrage apparaissent parfois dans les conventions bilatérales, les États sont
globalement réticents à les mettre en œuvre. L’option d’un plus grand multilatéralisme en
matière fiscale pourrait éventuellement régler cette difficulté et écarter certaines dérives du
droit fiscal conventionnel.
2) Vers un multilatéralisme fiscal ?
395. –– La question du multilatéralisme en matière fiscale est régulièrement posée par
les organisations internationales, telles que l’OCDE ou l’Union européenne. De telles mesures
permettraient sans aucun doute de favoriser la lutte contre les doubles impositions,
notamment en simplifiant les procédures et en conférant une plus grande sécurité juridique
aux contribuables. En effet, une des principales difficultés auxquelles doivent faire face les
victimes de double imposition réside dans la grande diversité des conventions fiscales
applicables, chacune étant susceptible d’interprétations diverses. De plus, les procédures
essentiellement amiables mises en œuvre à l’heure actuelle ne garantissent pas aux
454 OCDE, Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune – Version abrégée, 9e édition, 2014, p. 39-40 455 J. MONSENEGO, « L’expérience américaine en matière de clauses d’arbitrage conventionnelles », Droit fiscal, n° 6, 2014, p. 13
169
opérateurs économiques l’élimination des doubles impositions subies. La conclusion d’un
traité multilatéral permettrait de résoudre un certains nombres de ces difficultés.
396. –– Dans le cadre de son projet BEPS456, l’OCDE a récemment admis la véritable
nécessité d’une action coordonnée des États en matière fiscale, afin d’appréhender les
mutations du monde économique actuel, dans un contexte de mondialisation et de
dématérialisation. Pourtant, aucune méthode ou procédure fondamentalement
multilatérales ne sont envisagées : l’OCDE exclue ainsi tout système de répartition forfaitaire
des profits en matière de prix de transfert entre entreprise associée, traduisant ainsi les limites
fortes du multilatéralisme fiscal457.
397. –– La signature d’une convention multilatérale, ou du moins d’un traité fournissant
un certain cadre aux États membres de l’OCDE serait de nature à faire progresser la lutte
contre les doubles impositions et les procédures permettant de garantir leur élimination.
L’instauration d’une obligation de résultat systématique pour les États dans le cadre des
procédures de correction de double imposition permettrait ainsi de garantir au contribuable
qu’il ne subira pas de surcharge fiscale injustifiée. Mais la réticence des États sur ces questions
semble tenace, ces derniers étant fermement attachés à une souveraineté fiscale quasi-totale,
et se préoccupant avant tout des questions de fraude et d’évasion fiscales.
Section II
LA RÉTICENCE DES ÉTATS FACE À LA CORRECTION DES DOUBLES
IMPOSITIONS
398. –– Le nombre de recours dont dispose un contribuable qui a fait l’objet d’une
double imposition est, somme toute, relativement élevé. Mais la plupart des procédures
visant à corriger ce type de situation reposent en majeure partie sur la volonté des États
concernés. Ainsi, la persistance de la double imposition, du moins en matière de fiscalité
internationale, est largement le fait de la réticence des États à enrayer ce phénomène. Les
administrations fiscales acceptent généralement de négocier entre elles en vue de trouver
456 OCDE, Lutter contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert des bénéfices, 2013 457 B. CASTAGNEDE, Précis de fiscalité internationale, 5e édition, 2015, 130.
170
une solution amiable458, mais leur marge de manœuvre est souvent limitée. Chaque État
pourra refuser de céder du terrain à l’autre, parce qu’il estime que son imposition est
pleinement justifiée, ou simplement car il est animé par une volonté de ménager ses finances
publiques. L’incertitude inhérente aux procédures amiables tend ainsi à faire peser une
insécurité juridique supplémentaire sur le contribuable, qui ne disposera d’aucune garantie
solide quant à l’élimination de la surcharge fiscale qu’il a subie.
399. –– Malgré les nombreux travaux portés par des organisations internationales et
privées, aucune procédure pleinement efficace de correction des doubles impositions n’a pu
être mise en œuvre, à l’exception de la Convention européenne d’arbitrage, qui trouve
toutefois à s’appliquer dans un contexte très précis. Cette situation s’explique principalement
par les difficultés auxquelles doivent faire face les États : ils doivent d’une part garantir au
contribuable le respect de ses droits et des principes fondamentaux du droit fiscal, mais
d’autre part, les État doivent maintenir leur souveraineté et garantir assurer un certain
équilibre de leurs finances. Ces problématiques s’avèrent en réalité souvent contradictoires,
ce qui rend la lutte contre les doubles impositions encore plus délicate.
400. –– La réticence des États face aux diverses mesures visant à corriger les situations
de double imposition résultent principalement de l’importance qu’ils attachent à leur
souveraineté fiscale, parfois en dépit de la conjoncture et des mutations économiques du
monde actuel. Une dimension purement pécuniaire vient également s’ajouter à cette
difficulté : comme les États rencontrent des difficultés financières accrues en tant de crises, la
nécessité de dégager des recettes fiscales peut parfois prendre le pas sur leur volonté de lutter
contre les doubles impositions.
§1 –– L’importance de la souveraineté fiscale
401. –– Le droit fiscal présente la spécificité d’être particulièrement lié à la notion de
souveraineté de l’État. En effet, depuis toujours, le droit de lever l’impôt afin de financer les
charges publiques relève exclusivement de l’autorité en charge de diriger le pays. Si cette règle
existait déjà, sous d’autres formes, dans l’Antiquité ou au Moyen Âge, elle cohabite
aujourd’hui avec les autres grands principes du droit fiscal. La Constitution du 4 octobre 1958
458 G. ORSINI, « La coopération des administrations fiscales », Petites affiches, n° 97, 2002, p. 50
171
prévoit ainsi, en son article 34, que la loi fixe les règles concernant « l’assiette, le taux et les
modalités de recouvrement des impositions de toute nature ». La matière fiscale relève donc
de l’exclusivité du législateur, et par conséquent de l’autorité directe de l’appareil étatique. Il
s’agit d’une fonction régalienne, dont l’État ne saurait se dessaisir facilement.
402. –– Les problématiques liées à la double imposition et au droit fiscal international
ne modifient en rien la conception qu’ont les États de leur souveraineté en matière d’impôts.
Pourtant, compte tenu de l’internationalisation des échanges et du contexte économique
actuel, certains aménagements semblent nécessaires à cette conception. Les contradictions
existantes entre les impératifs d’ordre économique des contribuables et le maintien d’une
souveraineté fiscale étatique conduisent ainsi à une forme de repli juridique des États sur leur
droit interne, rejetant toute règle fiscale trop contraignante émanant d’un autre ordre
juridique. Il en découle alors un droit fiscal international essentiellement conventionnel.
A –– Une forme de repli juridique
403. –– En matière de fiscalité internationale, un des principaux objectifs des États
consiste à préserver leur souveraineté nationale intacte, malgré les développements engagés
par les organisations supranationales. Pour ce faire, les législateurs nationaux décident
généralement de mettre en œuvre leur pouvoir de prélever l’impôt sur leur territoire et
auprès de leurs ressortissants sans tenir compte des mesures fiscales existant au-delà de leurs
frontières. Les États continuent ainsi de s’opposer au développement de règles fiscales
internationales trop strictes ou d’un multilatéralisme marqué, mais ils doublent cette
opposition d’une forme de repli juridique. En effet, à force de freiner l’émergence d’un droit
fiscal harmonisé, au moins à l’échelle du continent européen, les États finissent chacun par
légiférer en s’ignorant mutuellement, risquant ainsi d’exposer leurs contribuables à des
situations de double imposition.
404. –– Cette tendance à se replier sur son droit national et à refuser d’en considérer un
autre comme équivalent est particulièrement marquée en matière fiscale, mais elle n’est pas
pour autant exclusive à cette matière. De nombreux domaines juridiques ont connu des
réformes visant à adapter les règles juridiques en vigueur aux nouveaux enjeux de la
mondialisation : le droit de la concurrence a par exemple fait l’objet d’une harmonisation
quasi totale au sein de l’Union européenne, mais aucun droit international et harmonisé de la
172
concurrence n’a jamais vu le jour. En effet, de nombreux États, dont les États-Unis et les États
membres de l’Union européenne, se sont fermement opposés à la constitution d’un ordre
concurrentiel mondial, qui aboutirait à la création d’une autorité internationalement
compétente en droit de la concurrence, et dont les décisions s’imposeraient aux États459.
405. –– Si l’attachement des États à leur souveraineté est perceptible dans la plupart
des domaines juridiques, qu’ils soient plus ou moins bien internationalisés, force est de
constater que le droit fiscal est une matière que les autorités étatiques souhaitent plus que
tout garder sous leur contrôle. Par ailleurs, il semble que les États cherchent davantage à
concentrer leurs forces dans la lutte contre l’évasion fiscale, qui affecte directement leur
budget, que contre la double imposition, qui se répercute finalement sur le portefeuille des
opérateurs économiques. Cette tendance semble même se répercuter sur les organismes
internationaux pourtant connus pour leur lutte contre les phénomènes de double imposition :
les récents travaux de l’OCDE relatifs au projet BEPS continuent certes d’évoquer les
problèmes engendrés par la double imposition, mais ils insistent davantage sur la question de
l’évasion fiscale, cette problématique éclipsant en partie la précédente460. La Commission
européenne semble connaître la même dynamique, en encourageant la lutte contre la fraude
fiscale au sein des États membres de l’Union461. Ce choix de souvent privilégier la question de
l’évasion fiscale à celle de la double imposition s’explique probablement par une plus grande
réceptivité des États sur ce sujet, qui est de nature à affecter leur financement de manière
plus directe.
406. –– La prévalence de la souveraineté nationale en matière fiscale et le repli qui
anime souvent les États en matière de règles contraignantes relatives à l’impôt entravent de
façon notable la lutte contre les doubles impositions. Il en résulte principalement un droit
fiscal international essentiellement conventionnel, par nature moins efficace qu’un véritable
ordre juridique harmonisé.
459 W. ABDELGAWAD, « Jalons de l’internationalisation du droit de la concurrence : vers l’éclosion d’un ordre juridique mondial de la lex economica », Revue internationale de droit économique, n° 2, 2001, p. 161-196 460 OCDE, Lutter contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert des bénéfices, 2013 461 F. PERROTIN, « Fraude fiscale : le plan d’action de la Commission européenne », Petites affiches, n° 250, 2012, p. 3
173
B –– Un droit essentiellement conventionnel
407. –– Le droit fiscal international revêt depuis son essor un caractère essentiellement
conventionnel. En effet, les États ont jusqu’à présent rejeté l’idée d’une autorité
supranationale ou d’un véritable multilatéralisme en matière fiscale. Ce phénomène s’est
particulièrement illustré au cours de la construction européenne : une proposition de
directive avait émergé des travaux de la Commission en 1976, dont l’objectif était d’aboutir à
une procédure de correction des doubles impositions uniformisée au sein de l’Union. Mais les
États européens s’étaient montrés extrêmement réticents à l’idée d’abandonner leur
compétence fiscale aux institutions de l’Union, en particulier à la Cour de justice. C’est la
raison pour laquelle cette mesure a finalement pris la forme d’un traité multilatéral entre les
États membres de l’Union européenne en 1990, de manière à échapper au contrôle de la
Commission et de la Cour de justice462.
408. –– Chaque État conserve donc une compétence fiscale quasi totale à l’égard de
ceux qui se trouvent sur son territoire, voire de l’ensemble de ses ressortissants nationaux.
Pour adapter ce mode de fonctionnement à l’internationalisation des échanges, les
administrations fiscales ont dû mettre en œuvre un certain nombre de méthodes visant à
assurer leur bon fonctionnement. Si la lutte contre les doubles impositions peut constituer un
objectif important, la véritable volonté des services fiscaux est de lutter contre l’évasion fiscale
et ce qu’on pourrait qualifier de double non-imposition des contribuables. Ce type de situation
pourrait survenir dans le cas où des opérations économiques sont exercées entre plusieurs
États, mais aucun d’entre eux n’est en droit d’imposer ce type d’activités, soit en raison de
dispositions spécifiques de leur droit interne, soit du fait d’une grande habileté fiscale de
l’opérateur économique. Pour lutter contre ce type de dérives, les administrations fiscales ont
pris l’habitude de travailler de manière conjointe. Cette attitude est vivement encouragée par
l’OCDE, qui inclut par exemple au sein de son modèle de convention un article relatif à
l’échange de renseignements entre les autorités compétentes des États signataires, « pour
appliquer les dispositions de la présente convention ou pour l’administration ou l’application
de la législation interne »463. Le modèle de l’OCDE prévoit également une « assistance en
462 Voir supra n° 362. et s. 463 OCDE, Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune – Version abrégée, 9e édition, 2014, p. 40
174
matière de recouvrement d’impôts », c’est-à-dire une obligation pour les États contractants
de se prêter « mutuellement assistance pour le recouvrement de leurs créances »464. A ce
titre, un grand nombre de conventions fiscales signées par la France prévoient une clause
d’assistance dont l’objet est de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales465.
409. –– La nature conventionnelle du droit fiscal international aboutit à la véritable
constitution d’un réseau entre les administrations fiscales des différents États. Depuis
plusieurs décennies, au travers de l’application des conventions fiscales, mais parfois
également de leur propre chef, les services fiscaux nationaux se rapprochent dans l’optique
de mieux remplir leurs missions. Cette coopération est notamment devenue indispensable du
fait de la mondialisation de l’économie, qui rend particulièrement « difficile pour les États de
faire respecter des règles de territorialité »466. Ce nouveau mode de fonctionnement pourrait
s’avérer intéressant, tant pour les États que pour les contribuables, et permettrait d’apporter
à ces derniers une plus grande transparence et une meilleure justice fiscale. Toutefois, il
semble qu’en pratique, le rapprochement des administrations vise davantage à lutter contre
l’évasion fiscale que contre les situations de double imposition : ces dernières seront
généralement envisagées au travers de procédures amiables bilatérales, plus lourdes d’un
point de vue procédural que les échanges d’informations spontanées467.
410. –– Le développement du droit fiscal conventionnel présente ainsi certains intérêts,
mais il n’est exempt de défaut. En effet, en raison de la multiplication des conventions et
traités applicables entre les États, on a pu voir apparaître des stratégies de treaty shopping :
il s’agit de « l’art d’utiliser les différentes conventions fiscales internationales dans le but de
diminuer la charge des contribuables, voire de l’annuler »468. Cette pratique, qui nécessite tout
de même une assez bonne connaissance des conventions en vigueur, est souvent mise en
œuvre par les grandes entreprises multinationales. Les phénomènes de treaty shopping sont
en réalité susceptibles d’avoir de nombreux effets négatifs sur la mise en œuvre de la fiscalité :
d’une part, ils constituent un véritable manque à gagner pour les États, qui voient des
464 OCDE, Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune – Version abrégée, 9e édition, 2014, p. 41 465 Administration fiscale, BOFiP, BOI-ANNX-000082-20130603 466 G. ORSINI, « La coopération des administrations fiscales », Petites affiches, n° 97, 2002, p. 50 467 Voir supra n° 336. et s. 468 FOURRIQUES Michel, « Le Treaty Shopping ou l’usage abusif des conventions fiscales », Petites affiches, n° 197, 2012, p. 3
175
bénéfices parfois colossaux échapper de manière injustifiée à l’impôt. D’autre part, ces
pratiques portent atteinte au principe même de justice fiscale, en encourageant la méfiance
des administrations fiscales à l’égard des contribuables honnêtes, en faisant peser sur eux une
charge plus lourde, voire une double imposition. Un certain nombre de mécanismes ont été
prévus pour lutter contre les risques de treaty shopping, comme l’abus de droit prévu par la
loi interne469 ou encore la notion de bénéficiaire effectif en matière de dividendes, intérêts ou
redevances, prévu par le modèle de convention de l’OCDE470.
411. –– La réticence des États quant à la correction des doubles impositions trouve
largement son fondement dans une volonté politique de protéger la souveraineté fiscale
nationale, mais s’ajoute à cela une raison supplémentaire d’ordre pratique. Devant les
difficultés financières rencontrées, de nombreux États se voient aujourd’hui contraints de
ménager leurs finances publiques.
§2 –– La nécessité de ménager les finances publiques
412. –– Selon le mode de fonctionnement de l’économie actuelle, toute personne,
physique ou morale, est susceptible de rencontrer des difficultés d’ordre financier. Bien que
plus stables par nature, les États ne font toutefois pas exception à cette règle, en particulier
en période de crise. Si la dette constitue un mode de financement utilisé par la plupart des
États, il ne s’agit pas de la source financière la plus stable qui soit. Ainsi, en raison de facteurs
aggravants comme la concurrence mondiale ou les crises structurelles de certains pays, les
États doivent tout mettre en œuvre afin de percevoir des recettes fiscales suffisantes pour
assurer leur financement, et ainsi réduire le poids de leur dette et éviter la faillite. Cette
problématique pécuniaire s’ajoute à la nécessité constante d’adapter les règles fiscales en
vigueur aux nouvelles mutations conjoncturelles et aux pratiques des opérateurs
économiques, ce qui ne saurait faciliter la lutte contre les doubles impositions.
413. –– Les mécanismes de correction des doubles impositions voient donc leur
développement entravée par des préoccupations supérieures pour les États, notamment au
travers d’une lutte contre les difficultés financières qu’ils pourraient rencontrer. Mais souvent,
469 Article L64 du LPF 470 OCDE, Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune – Version abrégée, 9e édition, 2014, p. 30 et s.
176
ces difficultés se retournent souvent contre le contribuable victime, qui ne pourra pas faire
valoir ses droits et devra donc en payer le prix au travers d’une surcharge fiscale injustifiée.
A –– Les difficultés financières des États
414. –– La dernière décennie a été particulièrement marquée par une crise économique
majeure, qui a sévèrement frappé un grand nombre d’États, en particulier en Europe. Pour
faire face à ces difficultés financières, de nombreuses politiques d’austérité ont été mises en
œuvre afin de réduire les déficits publics. Ces méthodes ont toutefois fait l’objet de
nombreuses critiques, les accusant notamment d’asphyxier l’économie et d’entretenir un
cercle vicieux ne permettant pas de sortir durablement de la crise471. Si la diminution des
dépenses publiques peut être contestée comme n’étant pas un remède efficace aux
problèmes économiques rencontrés par les États, il n’en demeure pas moins que leurs
difficultés financières sont bien réelles. Comme les charges publiques ne peuvent être
diminuées de manière trop importante, au risque d’accroître la pauvreté et de bloquer la
croissance, il ne reste aux États que la possibilité d’augmenter leurs recettes pour aboutir à
un budget équilibré. La première source de revenus d’un État résidant généralement dans les
recettes fiscales, les choix effectués en matière de fiscalité constitueront nécessairement le
reflet des besoins en financement. C’est la raison pour laquelle un certain nombre de régimes
fiscaux favorables au contribuable ont été supprimés par le législateur, comme celui du
bénéfice mondial consolidé, qui permettait à certaines sociétés multinationales de retenir
l’ensemble de leurs exploitations, directes ou indirectes, situées en France ou à l’étranger,
pour le calcul de l’assiette des impôts relatifs à la réalisation et à la distribution de leurs
bénéfices472 : ce régime nécessitait un agrément à cet effet du ministère de l’Économie et des
finances, mais il a été supprimé en 2011.
415. –– La volonté des États d’augmenter leurs recettes fiscales ne se traduit pas
seulement pas des hausses de taux ou par la fin de régimes jugés trop favorables : elle peut
également prendre la forme d’une véritable concurrence fiscale, en particulier en Europe. En
471 X. TIMBEAU, « La débâcle de l’austérité – Perspective 2012-2013 pour l’économie mondiale », Revue de l’OFCE, n° 125, 2012, p. 9-42 472 Article 209 quinquies du CGI
177
effet, en raison des libres circulations instituées au sein de l’Union européenne, il est
relativement facile pour un opérateur économique d’aller s’établir dans un autre État
européen. En l’absence de fiscalité directe harmonisée entre les États membres, les différents
taux d’impôts applicables constituent une des seules véritables barrières économiques entre
les États. Ce phénomène est par ailleurs largement exploité par de nombreux opérateurs
économiques, qui considèrent explicitement une fiscalité avantageuse comme une incitation
à s’implanter sur un territoire en particulier473. Cela se traduit également par une concurrence
entre les États membres en matière fiscale : certains vont proposer des taux particulièrement
attractifs concernant l’imposition des dividendes ou des bénéfices des entreprises ; par
exemple, l’Irlande est particulièrement connue pour avoir recours à cette pratique, avec un
taux d’impôt sur les sociétés de 12,5 % pour les entreprises implantées sur son territoire.
416. –– La concurrence fiscale peut présenter certaines vertus, notamment
d’encourager le développement économique d’un État au travers d’une fiscalité visant à
attirer des capitaux étrangers sur son territoire. Dans une conception plus large, cela incite
également tous les États européens à mener une réflexion sur leur fiscalité dans son
ensemble. Mais malgré cela, une concurrence fiscale trop marquée risque de conduire à une
pression à la baisse des taux d’imposition frappant les facteurs les plus mobiles, contre une
augmentation corrélative de la fiscalité des facteurs les moins sujets à la mobilité474. D’une
manière générale, des taux d’imposition trop différents risquent d’encourager l’évasion fiscale
au sein des États ayant une fiscalité plus lourde, encourageant ainsi la méfiance de
l’administration fiscale à l’égard des opérations internationales. Ce contexte n’étant pas
vraiment propice à la lutte contre les doubles impositions, la réticence des États n’en sera que
plus marquée.
417. –– Il est toutefois à noter que l’Union européenne a mis en œuvre un certain
nombre de mesures visant à lutter contre les pratiques de certains États à proposer une
fiscalité trop attractive, notamment concernant les tax rulings : ce sont des accords conclus
entre des entreprises et l’administration fiscale d’un État, destinés à fixer les règles de calcul
de l’impôt futur. De nombreux États disposent ainsi d’une méthode de rescrit fiscal, assez
473 J. TUROT et. al., Lamy Optimisation fiscale de l’entreprise, 2014, n° 409-2 474 A. BARBIER-GAUCHARD, « La concurrence fiscale dans l’Union européenne : les politique budgétaires confrontées à la mobilité », Politique étrangère, n° 2, 2008, p. 393
178
similaire à celle prévue en droit interne, notamment en matière de prix de transfert475. La
différence notable entre le rescrit fiscal français et le tax ruling de certains États résident dans
un traitement parfois plus favorable de certaines entreprises par l’administration fiscale de
l’État où elles s’implantent, créant ainsi des incitations fortes pour les sociétés
multinationales. Cette pratique est fermement combattue par la Commission européenne, car
elle peut constituer une forme d’aides d’État, prohibée par les traités fondateurs476 : cette
situation est largement illustrée par l’affaire qui oppose actuellement la Commission
européenne à l’Irlande, concernant la fiscalité dont a bénéficié la société Apple. Par ailleurs,
un accord permettant une plus grande transparence en matière de tax ruling a été trouvé au
sein du Conseil de l’Union européenne : les États européens doivent à présent communiquer
entre eux les accords qu’ils ont pu conclure avec des multinationales477.
418. –– La volonté des États d’augmenter leur recette fiscale et de lutter contre l’évasion
fiscale tend ainsi parfois à occulter la problématique des doubles impositions, ce qui conduit
à reporter une grande part des difficultés financières étatiques sur le contribuable.
B –– Un prix souvent payé par le contribuable
419. –– Lorsqu’une double imposition apparaît et qu’aucun mécanisme de correction ne
permet de trouver une solution entre les États concernés, la surcharge fiscale pesant sur le
contribuable persistera. Ce type de situation n’est pas particulièrement rare en pratique. De
fait, il s’agit de faire supporter aux opérateurs économiques le prix des difficultés financières
rencontrées par les États et l’absence d’harmonisation en matière fiscale, en particulier en
Europe. Ce phénomène heurte frontalement les grands principes du droit fiscal. En effet, on
peut d’abord considérer que la double imposition est contraire au principe d’égalité devant
les charges publiques, comme l’estime le Conseil constitutionnel478 : si certains contribuables
sont amenés à supporter une double charge fiscale, on ne peut plus affirmer que chacun
contribue aux finances publiques à hauteur de ses facultés.
475 Voir supra n° 256. et s. 476 Article 107 et s. du TFUE 477 F. PERROTIN, « Transparence fiscale : un accord sur les rulings », Petites affiches, n° 219, 2015, p. 4 478 Cons. const., 26/11/2010, M. Moreau, n° 2010-70 QPC, RJF, 2/2011, n° 210 ; Droit fiscal, n° 6, 2011, comm. 209, note F. DIEU ; Gazette du Palais, n° 58, 2011, p. 18
179
420. –– Mais au-delà du principe d’égalité devant l’impôt, la double imposition va à
l’encontre de toute forme de justice fiscale. Si cette notion s’avère souvent délicate à définir,
il semble toutefois assez délicat de considérer comme juste le fait qu’un contribuable doive
s’acquitter à deux reprises du même impôt. Mais également d’un point de vue pratique,
l’absence de véritable solution pour corriger les situations de double imposition encouragent
la défiance des contribuables à l’égard des services fiscaux, ce qui ne saurait qu’augmenter la
tentation d’avoir recours à l’évasion fiscale. Dans une telle situation, il semble apparaître une
forme de fiscalité à deux vitesses : les opérateurs les mieux lotis, comme les entreprises
multinationales, peuvent mettre en œuvre des techniques juridiques et fiscales complexes
pour alléger au maximum leur charge d’impôts. Par conséquent, les autres contribuables, qui
ne disposent pas de grands moyens juridiques ou financiers, sont condamnés à supporter la
majeure partie des charges publiques, les exposant à des risques de double imposition. Ce
phénomène frappe principalement les PME et les particuliers, qui verront leur charge fiscale
s’alourdir du fait des délocalisations de bénéfices de certaines multinationales479.
421. –– Même si la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales semblent plus
rémunératrices du point de vue des États, il faut garder à l’esprit que la double imposition
risque fortement d’encourager le recours à ce type de méthodes illégales, qui seraient alors
encore davantage légitimées dans l’esprit des contribuables. Lutter de manière plus efficace
contre les phénomènes de double imposition, éventuellement au travers d’un
multilatéralisme fiscal ou d’une harmonisation européenne, permettrait ainsi de limiter les
barrières économiques entre les États et surtout de réconcilier les opérateurs avec la fiscalité
internationale.
479 J. TUROT et al., Lamy Optimisation fiscale de l’entreprise, 2014, n° 409-2
180
CONCLUSION DU TITRE II
422. –– La lutte contre les doubles impositions constitue un enjeu majeur pour les États.
Il s’agit d’une part de mettre en œuvre une certaine sécurité juridique pour le contribuable,
en lui garantissant le respect des principes fondamentaux du droit fiscal, en particulier celui
d’égalité devant les charges publiques. En effet, il ne saurait être conforme à aucune forme
de justice fiscale d’assujettir un redevable à deux reprises au même impôt. D’autre part, les
situations de double imposition se produisant en grande partie lors d’échanges
transfrontaliers, ce phénomène est de nature à entraver le développement international des
opérateurs économiques, y compris au sein du marché intérieur européen. Dans cette
optique, la lutte contre les doubles impositions permet d’accompagner les changements de
comportements des contribuables et d’adapter la fiscalité internationale aux nouveaux enjeux
de la mondialisation.
423. –– Le combat contre les doubles impositions peut se manifester soit sous la forme
de dispositions visant à prévenir ces phénomènes, soit au travers de procédures permettant
de les corriger, dans le cas où la prévention a échoué. Dans la pratique, les mécanismes de
correction des doubles impositions sont relativement difficiles à mettre en œuvre, en
particulier en raison du caractère essentiellement amiable de ces procédures et d’un fort
attachement des États à leur souveraineté fiscale. C’est pourquoi la voie de la prévention peut
sembler plus prometteuse, que ce soit au travers des textes fiscaux législatifs ou
conventionnels, ou encore au travers du rôle du juge. Du point de vue du contribuable, la
prévention des doubles impositions, notamment devant le juge, présente l’avantage d’une
plus grande sécurité juridique : la procédure ne sera pas tributaire d’un accord amiable entre
États. Par ailleurs, en droit interne, lorsqu’un contribuable effectue un recours devant le juge,
il peut demander un sursis de paiement480, ce qui n’est plus le cas en matière de procédure
internationale visant à corriger une double imposition.
424. –– Enfin, force est de constater que si la lutte contre les doubles impositions fait
effectivement partie des préoccupations des États, ce n’est qu’en second rang, après les
problématiques de fraude et d’évasion fiscales. De là à considérer ce phénomène comme un
480 Article L277 du LPF
181
problème secondaire, il n’y a qu’un pas. Mais tant que les États ne seront pas parvenus à
établir un véritable axe de lutte contre les doubles impositions, la situation risque de ne pas
progresser : il s’agit ici d’une question de choix et de priorité en matière de politique fiscale.
La plus grande avancée envisageable à la matière résiderait en de meilleures procédures de
correction des doubles impositions : un tel dispositif permettrait de garantir l’élimination
effective de toute double taxation, par exemple au travers d’une obligation de résultat pour
les États et un recours systématique à l’arbitrage en cas de désaccord. De telles dispositions
présenteraient un double avantage : d’une part, les doubles impositions seraient quasiment
toutes garanties d’être éliminées, même si ce n’est qu’à l’issue d’une longue procédure et
après paiement de l’impôt par le contribuable. D’autre part, s’il est assuré que toutes les
doubles impositions finiront par être éliminées, les administrations fiscales, les législateurs
nationaux et les juges de l’impôt seront probablement plus enclins à prévenir ce type de
situation. Mais pour cela, il faudrait une véritable volonté des États de lutter contre la double
imposition, en acceptant de renoncer à une partie de leur souveraineté fiscale, ce qui va à
l’encontre des courants actuellement perceptibles en matière de politique fiscale.
182
CONCLUSION GÉNÉRALE
425. –– La double imposition constitue une véritable problématique pour les opérateurs
économiques internationaux. Si elle n’est pas totalement exclue dans une situation purement
interne, elle se manifeste la plupart du temps dans le cas d’échanges transfrontaliers ou
d’activités exercées sur plusieurs territoires nationaux. La plupart des États et des
organisations internationales ont depuis longtemps conscience de l’étendue des difficultés
induites par les situations de double imposition. Pourtant, malgré les nombreuses conventions
fiscales conclues et les travaux de l’Union européenne ou de l’OCDE relatifs à ce sujet, de
nombreux contribuables doivent encore faire face aux doubles impositions, juridiques comme
économiques. Ce constat ne traduit pas tant une incapacité des États à combattre le
problème, mais se rapporte davantage à un choix d’ordre politique : souhaitant conserver leur
souveraineté, rejetant ainsi un multilatéralisme trop marqué ou toute forme d’autorité
supranationale en matière fiscale, les États se refusent à aller plus loin dans la lutte contre la
double imposition. Il en résulte une prévention assez limitée, et des mécanismes de correction
incomplets.
426. –– Dans une optique plus large, nous pouvons constater que la double imposition
est une problématique reflétant les liens ténus entre la fiscalité et le monde économique : il
s’agit d’une illustration particulièrement flagrante de dissonance entre ces deux univers. La
conjoncture économique actuelle est marquée par de nombreux changements. La
mondialisation et l’internationalisation des échanges ont apporté de nouveaux enjeux
économiques et sociaux, mais ont également posé de nouvelles problématiques, comme le
rôle des États dans le monde actuel, ou encore la place de la fiscalité dans ce nouveau mode
de fonctionnement. A l’inverse, le droit fiscal semble à l’opposé de cette conception
mondialiste : il se fonde principalement sur des principes anciens et solidement ancrés, et
comme la plupart des disciplines juridiques, il s’accommode mal des changements brutaux.
427. –– Cette opposition entre fiscalité et économie semble avoir conduit aux situations
de doubles impositions que l’on constate aujourd’hui. La réalité est d’autant plus complexe
que les États sont pour la plupart attachés à leur souveraineté fiscale et à leurs modes de
fonctionnement territoriaux. Cette réticence aux avancées économiques trop marquées
183
renforce encore davantage les risques de double imposition qui pèsent sur les contribuables.
Le droit ayant vocation à réguler les relations entre les individus au sein d’une société, il doit
nécessairement tenir compte des mutations s’opérant dans le mode de vie des membres du
corps social. Pour autant, les disciplines juridiques ont besoin de stabilité, afin d’apporter une
certaine sécurité aux justiciables, en particulier dans les matières les plus sensibles, comme le
droit fiscal. Ainsi, le parfait équilibre que cherche le droit semble constamment en
mouvement, ce qui rend la tâche des autorités étatiques particulièrement ardue.
428. –– Malgré tout, pour mettre en œuvre une véritable lutte contre la double
imposition, la fiscalité devra s’adapter et faire un pas vers l’économie mondialisée. Si cette
donnée semble avoir été acceptée par les organisations internationales, comme l’OCDE, les
États semblent moins enclins à suivre ce mouvement : la plupart sont encore tentés par cet
instinct de repli identitaire, si caractéristique de la matière fiscale.
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L’imposition des bénéfices dans une économie globale, 1991
Lutter contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert des bénéfices, 2013
Principes de l’OCDE applicables en matière de prix de transfert à l’intention des entreprises
multinationales et des administrations fiscales, 2010
L’Application du modèle de Convention fiscale de l’OCDE aux sociétés de personnes, 1999
Union européenne
Commission européenne, Consultation sur les conventions préventives de la double imposition dans le
marché intérieur : exemples concrets de double imposition, 2010
European Commission, Summary report of the responses received Commission’s consultation on double
taxation convention and the internal market: factual examples of double taxation cases, 2011
Commission européenne, Proposition de directive du Conseil concernant une assiette commune
consolidée pour l’impôt sur les sociétés (ACCIS), 2016
Commission européenne, Proposition de directive du Conseil concernant les mécanismes de règlement
des différends en matière de double imposition dans l’Union européenne, 2016
Parlement européen, « Politique fiscale », Fiche techniques sur l’Union européenne, 2017
Autres institutions internationales
Conseil de l’Europe, « La Convention européenne des Droits de l’Homme et le droit de propriété »,
Dossiers sur les droits de l’Homme, n° 11 rév.
ONU, Modèle de convention des Nations Unies concernant les doubles impositions entre pays
développés et pays en développement, 2011
SDN, Modèles de conventions fiscales de Londres et de Mexico – Commentaire et texte, 1946
190
Institutions françaises
Conseil d’État, Etude annuelle – Le droit souple, 2013
Cour des comptes, « 4 – La lutte contre la fraude fiscale : des progrès à confirmer », Rapport public
annuel, 2016, p. 357
Projet de loi de finances pour 2013, Rapport sur les prélèvements obligatoires et leur évolution, 2013
VI –– Documentation électronique
Administration fiscale, BOFiP : http://bofip.impots.gouv.fr
Conseil constitutionnel : www.conseil-constitutionnel.fr
Conseil d’État : www.conseil-etat.fr
Cour de cassation : www.courdecassation.fr
Cour des comptes : www.ccomptes.fr
Législation française et jurisprudence : www.legifrance.gouv.fr
OCDE : www.ocde.org
Union européenne : www.europa.eu
191
INDEX ALPHABÉTIQUE
(Les chiffres renvoient aux numéros des paragraphes)
A
Abandon de créances : 144 et s.
Abus de droit : 177, 191
ACCIS : 291
Acte anormal de gestion : 49, 145
Ajustements corrélatifs : 343 et s.
Arbitrage : 372 et s., 392 et s.
B
BEPS : 102, 396
C
Charge déductible : 75, 88, 222
Conciliation : 382 et s.
–– en droit interne : 383
–– en droit inernational : 384
Concurrence fiscale : 23, 415 et s.
Convention européenne d’arbitrage : Voir
Procédure européenne d’arbitrage
Convention européenne des droits de
l’homme : 325 et s.
Conventions fiscales : 407, 332 et s., 261 et s.,
154 et s.
–– clause de non-discrimination : 272, 341
–– limites : 90, 98 et s., 281 et s.
–– méthodes : 84 et s., 268 et .
–– objectifs : 265 et s.
–– principe de subsidiarité : 98, 312
Crédit d’impôt : 76, 87, 276 et s.
D
Dividendes : 54 et s.
Double imposition :
–– approche historique : 12 et s.
–– correction : 328 et s.
–– définition : 6 et s.
–– économique : 29, 113 et s., 226, 315
–– juridique : 28, 32 et s., 44, 221, 304, 343
–– prévention : 208 et s.
–– simulation : 194 et s.
Droit de l’Union européenne : 82 et s., 91, 139,
285 et s.
–– avancées : 388 s.
–– CJUE : 320 et s.
–– libre circulation des capitaux : 56, 83
–– principe de non-discrimination : 56, 83,
322
Droit fiscal souple : 386
Droits d’enregistrement : 195
E
Entreprise exploitée à l’étranger 44
Entreprise exploitée en France 40 et s.
Entreprises associées : Voir Groupe de
sociétés
Établissement stable : 45 et s., 161, 270 et s.
ETNC : 52
Évasion fiscale : Voir Fraude fiscale
Exemption : 86, 229 et s., 274
F
Finances publiques : 101, 412 et s.
Fraude fiscale : 21 et s., 105, 420
G
Garanties pour le contribuable : 241 et s.
–– interprétation des textes fiscaux : 243 et
s.
Groupe de sociétés : 116 et s., 366
I
Impôt :
–– définition : 2
–– direct : 10
–– indirect : 10
–– principe de mondialité : 44, 232
- 192 -
–– principe de territorialité : 40, 71 et s., 231
et s.
–– recouvrement : 351
Impôts payés à l’étranger : 74 et s., 221
Imputation : 87 et s., 276 et s.
Intégration fiscale : 141
Intérêts : 51 et s., 235 et s., 290
J
Juge :
–– constitutionnel : 302 et s.
–– de l’impôt : 308 et s.
–– européen : 318 et s.
L
Loi fiscale : 217 et s.
M
Médiation : 382 et s.
–– en droit interne : 383
–– en droit international : 384
Modèle de convention fiscale :
–– OCDE : 17, 156, 263
–– ONU : 17, 337
–– SDN : 14
P
Participations :
–– non substantielles : 64, 238
–– substantielles : 65
Pertes subies à l’étranger : 71 et s.
Plus-values : 62
–– cession de droits sociaux : 63 et s., 238
–– cession immobilière : 67
PME : 72
Prélèvement à la source : Voir Retenue à la
source
Prélèvements sociaux obligatoires : 2, 7, 67,
367
Principe d’égalité devant l’impôt : 4, 101, 304
et s., 419
Prix de transfert : 343 et s., 150 et s., 343 et s.,
366
–– accord préalable 250 et s.
–– principe de pleine concurrence : 151, 250
–– taxation unitaire : 157, 279
Procédure amiable bilatérale : 336 et s.
–– champ d’application : 340 et s.
–– déroulement : 347 et s.
–– délais : 347
–– issue : 354 et s.
–– limites : 358 et s.
Procédure européenne d’arbitrage : 334, 362
et s.
–– approche historique : 363 et s.
–– champ d’application : 366 et s.
–– déroulement : 369 et s.
–– issue : 374 et s.
–– limites : 376 et s.
R
Recours gracieux : 387
Redevances : 59 et s., 290
Régime des sociétés mères et filiales : 135
et s.
–– conditions : 137
–– directive européenne : 139, 289, 305
–– effets : 138
–– limites : 140, 294
Rescrit fiscal : 256 et s., 417
Retenue à la source : 56 et s., 60, 67
Revenus fonciers : 49 et s.
Risque de double imposition : 342
S
Simulation : 164 et s.
–– caractéristiques : 170 et s.
–– définition : 164
–– déguisement : 183
–– double imposition : 315
–– fictivité : 181
–– interposition de personne : 185
–– théorie de l’apparence : 190 et s.
Société à prépondérance immobilière : 66
Société de personnes : 124 et s.
–– application des conventions fiscales : 159
–– cession de titres : 130 et s., 311
–– translucidité : 126
- 193 -
–– transparence : 128
Société des Nations : 13 et s., 80, 204
Souveraineté fiscale : 93 et s., 107, 401 et s.
T
Théorie de l’apparence : Voir Simulation
Transaction : 350, 387
Transfert indirect de bénéfices : 152, 366
Transmission universelle de patrimoine : 133
194
TABLE DES MATIÈRES
INTRODUCTION ................................................................................................................................ 1
TITRE I –– LES ORIGINES DE LA DOUBLE IMPOSITION.................................................. 16
CHAPITRE I –– LA DOUBLE IMPOSITION JURIDIQUE ............................................... 18
Section I –– L’internationalisation des échanges économiques .......................................... 19
§1 –– Des revenus de source internationale ...................................................................... 20
A –– L’entreprise exploitée en France ....................................................................... 21
B –– Les revenus de source française perçus à l’étranger ........................................ 24
1) Les revenus fonciers .......................................................................................... 24
2) Les intérêts ......................................................................................................... 25
3) Les dividendes et revenus distribués ................................................................. 26
4) Les redevances ................................................................................................... 28
5) Les plus-values ................................................................................................... 29
a) Les plus-values de cession de droits sociaux ................................................. 29
b) Les plus-values de cession immobilière ......................................................... 31
C –– Les revenus de source étrangère perçus en France .......................................... 31
1) Les pertes subis par l’entreprise exploitée à l’étranger .................................... 32
2) Les impôts payés à l’étranger ............................................................................ 33
§2 –– Des activités d’ordre mondiale .................................................................................. 34
A –– Une volonté de développement économique internationale .......................... 35
1) L’Union européenne .......................................................................................... 35
2) Les aménagements du droit fiscal conventionnel ............................................. 36
a) L’exemption .................................................................................................... 36
b) L’imputation ................................................................................................... 37
B –– Les limites de l’internationalisation ................................................................... 38
Section II –– Le maintien de la souveraineté fiscale des États ............................................. 39
§1 –– Des systèmes fiscaux inadaptés à l’économie mondialisée ................................... 40
A –– Une conception traditionnelle de la fiscalité .................................................... 40
B –– Des enjeux fiscaux nouveaux ............................................................................. 42
195
§2 –– Des administrations fiscales réfractaires .................................................................. 43
A –– Une vision unilatérale ........................................................................................ 44
B –– Des difficultés à collaborer ................................................................................ 45
CHAPITRE II –– LA DOUBLE IMPOSITION ÉCONOMIQUE ....................................... 48
Section I –– Double imposition économique et groupe de sociétés ................................... 50
§1 –– Un droit interne inadaptée ......................................................................................... 51
A –– Les mesures visant à éviter les doubles impositions au sein des groupes de
sociétés ...................................................................................................................... 52
1) Le cas particulier des sociétés de personnes ..................................................... 53
a) L’imposition des bénéfices de société de personnes ..................................... 53
b) L’imposition des cessions de titres de société de personnes ........................ 55
2) Le régime des sociétés mères et filiales ............................................................ 58
B –– Les mesures encadrant l’activité des groupes de sociétés ............................... 62
1) Les abandons de créances ................................................................................. 62
2) Les prix de transfert ........................................................................................... 66
§2 –– Des conventions fiscales imparfaites ........................................................................ 68
A –– Une volonté d’harmonisation ? ......................................................................... 68
B –– Des divergences de conception ......................................................................... 70
Section II –– Double imposition économique et simulation ................................................. 72
§1 –– La notion de simulation en droit fiscal ...................................................................... 74
A –– Les caractéristiques de la simulation ................................................................ 74
1) L’élément matériel ............................................................................................. 75
2) L’élément psychologique ................................................................................... 76
3) Simulation, fraude et dissimulation ................................................................... 77
B –– Les manifestations de la simulation .................................................................. 78
1) La fictivité ........................................................................................................... 79
2) Le déguisement .................................................................................................. 79
3) L’interposition de personne ............................................................................... 80
§2 –– Le régime de la simulation en droit fiscal ................................................................. 81
A –– Le choix des armes de l’administration fiscale .................................................. 81
B –– Vers une double imposition ? ............................................................................ 84
Conclusion du titre I ..................................................................................................................... 87
196
TITRE II –– LA LUTTE CONTRE LES DOUBLES IMPOSITIONS ....................................... 89
CHAPITRE I –– LA PRÉVENTION DES DOUBLES IMPOSITIONS .............................. 92
Section I –– La prévention des doubles impositions par la loi et les conventions
fiscales internationales .............................................................................................................. 94
§1 –– La loi fiscale ................................................................................................................... 95
A –– Des dispositifs permettant d’éviter la double imposition ................................. 96
1) L’impôt payé à l’étranger ................................................................................... 97
2) Le régime des sociétés mères et filiales ............................................................ 98
3) L’exemption unilatérale ................................................................................... 100
a) La territorialité de l’impôt sur les sociétés ................................................... 100
b) L’exonération des intérêts payés à l’étranger ............................................. 102
c) Les cessions de participations non substantielles par un opérateur
étranger ............................................................................................................ 103
B –– Les garanties contre les changements de position de l’administration
fiscale ....................................................................................................................... 104
1) L’interprétation des textes fiscaux par l’administration ................................. 105
2) La qualification des faits par l’administration fiscale ...................................... 107
a) Les accords préalables en matière de prix de transfert ............................... 108
b) Le rescrit fiscal .............................................................................................. 110
§2 –– Les conventions fiscales internationales................................................................. 112
A –– Les objectifs des conventions fiscales ............................................................. 114
B –– Les méthodes conventionnelles de prévention des doubles impositions ...... 115
1) L’imposition des établissements stables ......................................................... 117
2) L’exemption ..................................................................................................... 118
3) L’imputation ..................................................................................................... 119
4) Vers d’autres méthodes de prévention des doubles impositions ? ................ 121
C –– Les limites des conventions fiscales ................................................................ 121
§3 –– Le droit européen ....................................................................................................... 123
A –– Une volonté de prévention des doubles impositions ..................................... 124
B –– Les limites de la prévention des doubles impositions par le droit européen . 126
Section II –– La prévention des doubles impositions par le juge ....................................... 128
§1 –– Le juge national .......................................................................................................... 129
197
A –– La prévention des doubles impositions par le juge constitutionnel ............... 129
B –– La prévention des doubles impositions par le juge de l’impôt ....................... 132
1) Le rôle du Conseil d’État .................................................................................. 132
2) Le rôle de la Cour de cassation ........................................................................ 134
C –– Les limites de la prévention des doubles impositions par le juge national ..... 135
§2 –– Le juge supranational ................................................................................................ 136
A –– La Cour de justice de l’Union européenne ...................................................... 137
B –– La Cour européenne des droits de l’Homme ................................................... 139
CHAPITRE II –– LA CORRECTION DES DOUBLES IMPOSITIONS ........................... 141
Section I –– La correction des doubles imposition par les procédures internationales . 143
§1 –– Les procédures amiables bilatérales ....................................................................... 145
A –– La mise en œuvre de la procédure amiable .................................................... 146
1) Le champ d’application de la procédure ......................................................... 147
2) Le déroulement de la procédure ..................................................................... 150
3) Les effets de la procédure en droit interne ..................................................... 151
B –– L’issue de la procédure amiable ...................................................................... 153
C –– Les limites de la procédure amiable ................................................................ 154
§2 –– La procédure européenne d’arbitrage .................................................................... 156
A –– Le champ d’application de la Convention européenne d’arbitrage................ 157
B –– Le déroulement de la procédure ..................................................................... 159
1) La phase amiable ............................................................................................. 159
2) La phase arbitrale ............................................................................................ 160
3) L’issue de la procédure .................................................................................... 161
B –– Les limites de la Convention européenne d’arbitrage .................................... 161
§3 –– Vers d’autres modes d’élimination des doubles impositions ? ........................... 162
A –– Les recours du droit interne ............................................................................ 163
1) La médiation et la conciliation ......................................................................... 163
2) Le droit souple en matière fiscale .................................................................... 165
B –– Les avancées du droit européen ...................................................................... 166
C –– Les recours internationaux .............................................................................. 167
1) L’arbitrage en droit fiscal international ........................................................... 167
2) Vers un multilatéralisme fiscal ? ...................................................................... 168
198
Section II –– La réticence des États face à la correction des doubles impositions .......... 169
§1 –– L’importance de la souveraineté fiscale ................................................................. 170
A –– Une forme de repli juridique ........................................................................... 171
B –– Un droit essentiellement conventionnel ......................................................... 173
§2 –– La nécessité de ménager les finances publiques ................................................... 175
A –– Les difficultés financières des États ................................................................. 176
B –– Un prix souvent payé par le contribuable ....................................................... 178
Conclusion du titre II ................................................................................................................. 180
CONCLUSION GÉNÉRALE.......................................................................................................... 182
BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................................................ 184
INDEX ALPHABÉTIQUE .............................................................................................................. 191
TABLE DES MATIÈRES ................................................................................................................ 194