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415 lu pour vous avec le tropisétron (qui agit plus sélectivement sur les récepteurs non 5-HT3), les récepteurs impliqués ne seraient pas les récepteurs 5-HT3 mais d’autres récepteurs sérotoninergiques. Sur un plan pratique, on peut également retenir une interaction de type antagonisme entre les sétrons et le paracétamol, antagonisme qui avait déjà été démontré pour l’association tramadol-sétron et qui rendrait l’usage des sétrons moins adapté au contexte périopéra- toire que d’autres agents anti-émétiques, malgré leur efficacité certaine sur la prévention des nausées et vomissements post- opératoires. Le paracétamol est habituellement administré chez l’adulte à la dose de 1 g toutes les 6 heures, soit 4 g par 24 heures. À cette dose, l’action antalgique du paracétamol en postopératoire est souvent modérée et l’effet d’épargne morphinique est inférieur à 10 mg par 24 heures. L’idée d’administrer une dose supérieure s’est fait jour d’autant que des études expérimentales avaient montré que la relation dose-effet du paracétamol ne s’interrompait pas au-delà de 1 g. Dans une première étude (Juhl et coll. 2006), 26 volontaires sains ont reçu une dose initiale de 2 g de paracéta- mol suivie de 4 doses de 1 g à 6 heures d’intervalle, après extrac- tion dentaire. Chaque dose de paracétamol était administrée su une période de 15 minutes. La valeur moyenne de la concentra- tion plasmatique maximale était de 67,9 μ g/ml après 2 g de para- cétamol, et la valeur maximale observée a été de 115 μg/ml. La Cmax observée après les administrations suivantes de 1 g de paracétamol était inférieure de 35 % à la valeur précédente et n’augmentait pas avec la répétition des doses. La concentration résiduelle 4 heures après l’administration de chaque dose (< 15 μg/ml après 2 g ; < 10 μ g/ml après 1 g) était largement inférieure au seuil de toxicité de 150 μ g/ml. Ces données montrent que la concentration plasmatique reste inférieure au seuil de toxi- cité et que le paracétamol administré selon ce nouveau schéma thérapeutique n’a aucune tendance à s’accumuler après adminis- tration répétée. Une seconde étude (Juhl et coll. 2007), effectuée en double aveugle, en dose unique contre placebo, randomisée en trois groupes, a inclus 297 patients qui ont reçu 2 g, 1 g de para- cétamol ou du placebo. L’administration de 2 g s’est avérée supé- rieure au placebo mais aussi à la dose de 1 g en termes de début d’action, de durée d’action et d’intensité de l’effet. On n’a constaté aucune élévation des transaminases hépatiques chez les 132 patients ayant reçu 2 g. Le modèle de l’extraction dentaire est favorable à la démonstration des effets antalgiques du paracétamol (valeur de NNT < à celle observée en chirurgie classique), mais on peut toutefois conclure à une meilleure efficacité de ce schéma théra- peutique chez l’adulte. Francis Bonnet Hôpital Tenon, Paris. L’activité du tramadol dépend du génotype des patients Concentrations of tramadol and 0-desmethyltramadol enantiomers in different CYP2D6 genotypes UM Stamer, F Musshoff, B Madea, A Hoeft, F Stuber. Clin Pharmacol & Ther 2007;82:41-7. Le cytochrome P 450 2D6 intervient dans le métabolisme de très nombreux agents thérapeutiques. Parmi les agents analgésiques, la codéine et le tramadol sont concernés. La codéine est ainsi transformée en morphine et le tramadol subit une déméthylation qui le transforme en 0-desméthyltramadol (ODT). Le tramadol se présente comme un mélange racémique de deux isomères dont l’action analgésique tient à l’inhibition de la recapture de nora- drénaline et de sérotonine. Cependant, le (+) ODT qui possède une forte affinité pour les récepteurs μ rend compte de l’essentiel de l’effet analgésique du tramadol dans les 3 heures qui suivent son administration. La quantité d’ODT formée dépend de l’activité du CYP2D6. Celle-ci est elle-même fonction du nombre d’allèles fonctionnels du génome du patient et qui codent l’enzyme. Les patients qui possèdent deux allèles non fonctionnels sont dits métaboliseurs faibles (poor metaboliser : PM), ceux qui possèdent deux allèles fonctionnels, quelle qu’en soit la combinaison, sont dits métaboliseurs extensifs (extensive métaboliser : EM), ceux qui sont hétérozygotes avec un allèle fonctionnel et l’autre non sont dits intermédiaires (intermediate métaboliser : IM) et ceux qui ont un allèle fonctionnel dupliqué et un autre allèle fonctionnel sont dit ultra métaboliseurs (ultra metaboliser : UM). Les sujets PM représentent environ 10 % de la population caucasienne, les EM environ 40 %, les IM 45 % et les UM 5 %. L’équipe d’Ulrike Stamer avait précédemment démontré qu’après administration de tramadol, la demande d’antalgique supplémentaire était plus importante chez les PM que chez les UM témoignant d’une inefficacité relative du tramadol chez les premiers (Stamer UM et al. Impact of CYP2D6 genotype on postoperative tramdol anal- gesia. Pain 2003 ; 105 : 231-8). Dans ce travail, la même équipe a mesuré les concentrations d’ODT chez 174 patients opérés après l’administration intraveineuse de 3 mg/kg de tramadol. L’aire sous la courbe de concentrations plasmatiques en fonction du temps (AUC) variait en fonction du génotype, les UM ayant les plus fortes concentrations plasmatiques d’ODT et les PM les plus faibles. Trois heures après l’injection, la concentration moyenne d’ODT était inférieure à 10 ng/ml dans le groupe PM contre plus de 60 ng/ml dans le groupe UM. Le nombre de patients qui nécessitait un antalgique de complément en salle de réveil était de 0 % chez les PM contre 20 % chez les UM. Les patients étaient ensuite

L’activité du tramadol dépend du génotype des patients

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lu pour vous

avec le tropisétron (qui agit plus sélectivement sur les récepteursnon 5-HT3), les récepteurs impliqués ne seraient pas les récepteurs5-HT3 mais d’autres récepteurs sérotoninergiques. Sur un planpratique, on peut également retenir une interaction de typeantagonisme entre les sétrons et le paracétamol, antagonisme quiavait déjà été démontré pour l’association tramadol-sétron et quirendrait l’usage des sétrons moins adapté au contexte périopéra-toire que d’autres agents anti-émétiques, malgré leur efficacitécertaine sur la prévention des nausées et vomissements post-opératoires.

Le paracétamol est habituellement administré chez l’adulte à ladose de 1 g toutes les 6 heures, soit 4 g par 24 heures. À cettedose, l’action antalgique du paracétamol en postopératoire estsouvent modérée et l’effet d’épargne morphinique est inférieur à10 mg par 24 heures. L’idée d’administrer une dose supérieures’est fait jour d’autant que des études expérimentales avaientmontré que la relation dose-effet du paracétamol ne s’interrompaitpas au-delà de 1 g. Dans une première étude (Juhl et coll. 2006),26 volontaires sains ont reçu une dose initiale de 2 g de paracéta-mol suivie de 4 doses de 1 g à 6 heures d’intervalle, après extrac-tion dentaire. Chaque dose de paracétamol était administrée suune période de 15 minutes. La valeur moyenne de la concentra-tion plasmatique maximale était de 67,9 

μ

g/ml après 2 g de para-cétamol, et la valeur maximale observée a été de 115 

μ

g/ml. LaCmax observée après les administrations suivantes de 1 g deparacétamol était inférieure de 35 % à la valeur précédente etn’augmentait pas avec la répétition des doses. La concentrationrésiduelle 4 heures après l’administration de chaque dose(< 15 

μ

g/ml après 2 g ; < 10 

μ

g/ml après 1 g) était largementinférieure au seuil de toxicité de 150 

μ

g/ml. Ces données montrentque la concentration plasmatique reste inférieure au seuil de toxi-cité et que le paracétamol administré selon ce nouveau schémathérapeutique n’a aucune tendance à s’accumuler après adminis-tration répétée. Une seconde étude (Juhl et coll. 2007), effectuéeen double aveugle, en dose unique contre placebo, randomisée entrois groupes, a inclus 297 patients qui ont reçu 2 g, 1 g de para-cétamol ou du placebo. L’administration de 2 g s’est avérée supé-rieure au placebo mais aussi à la dose de 1 g en termes de débutd’action, de durée d’action et d’intensité de l’effet. On n’a constatéaucune élévation des transaminases hépatiques chez les 132 patientsayant reçu 2 g. Le modèle de l’extraction dentaire est favorable àla démonstration des effets antalgiques du paracétamol (valeurde NNT < à celle observée en chirurgie classique), mais on peuttoutefois conclure à une meilleure efficacité de ce schéma théra-peutique chez l’adulte.

Francis Bonnet

Hôpital Tenon, Paris.

L’activité du tramadol dépend du génotype des patients

Concentrations of tramadol and 0-desmethyltramadol enantiomers in different CYP2D6 genotypes

UM Stamer, F Musshoff, B Madea, A Hoeft, F Stuber. Clin Pharmacol & Ther 2007;82:41-7.

Le cytochrome P

450

2D6 intervient dans le métabolisme de trèsnombreux agents thérapeutiques. Parmi les agents analgésiques,la codéine et le tramadol sont concernés. La codéine est ainsitransformée en morphine et le tramadol subit une déméthylationqui le transforme en 0-desméthyltramadol (ODT). Le tramadolse présente comme un mélange racémique de deux isomères dontl’action analgésique tient à l’inhibition de la recapture de nora-drénaline et de sérotonine. Cependant, le (+) ODT qui possède uneforte affinité pour les récepteurs 

μ

rend compte de l’essentiel del’effet analgésique du tramadol dans les 3 heures qui suivent sonadministration. La quantité d’ODT formée dépend de l’activitédu CYP2D6. Celle-ci est elle-même fonction du nombre d’allèlesfonctionnels du génome du patient et qui codent l’enzyme. Lespatients qui possèdent deux allèles non fonctionnels sont ditsmétaboliseurs faibles (poor metaboliser : PM), ceux qui possèdentdeux allèles fonctionnels, quelle qu’en soit la combinaison, sontdits métaboliseurs extensifs (extensive métaboliser : EM), ceuxqui sont hétérozygotes avec un allèle fonctionnel et l’autre nonsont dits intermédiaires (intermediate métaboliser : IM) et ceuxqui ont un allèle fonctionnel dupliqué et un autre allèle fonctionnelsont dit ultra métaboliseurs (ultra metaboliser : UM). Les sujetsPM représentent environ 10 % de la population caucasienne, lesEM environ 40 %, les IM 45 % et les UM 5 %. L’équipe d’UlrikeStamer avait précédemment démontré qu’après administration detramadol, la demande d’antalgique supplémentaire était plusimportante chez les PM que chez les UM témoignant d’uneinefficacité relative du tramadol chez les premiers (Stamer UM

et al

. Impact of CYP2D6 genotype on postoperative tramdol anal-gesia.

Pain

2003 ; 105 : 231-8). Dans ce travail, la même équipe amesuré les concentrations d’ODT chez 174 patients opérés aprèsl’administration intraveineuse de 3 mg/kg de tramadol. L’airesous la courbe de concentrations plasmatiques en fonction dutemps (AUC) variait en fonction du génotype, les UM ayant les plusfortes concentrations plasmatiques d’ODT et les PM les plus faibles.Trois heures après l’injection, la concentration moyenne d’ODTétait inférieure à 10 ng/ml dans le groupe PM contre plus de60 ng/ml dans le groupe UM. Le nombre de patients qui nécessitaitun antalgique de complément en salle de réveil était de 0 %chez les PM contre 20 % chez les UM. Les patients étaient ensuite

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lu pour vous

connectés à une pompe d’auto-analgésie contenant du tramadol.Après 48 heures d’utilisation, les douleurs persistaient chez 80 %des patients du groupe PM, contre 20 % dans le groupe PM. Enfin,la consommation cumulée de tramadol était 60 % plus élevée dansle groupe PM par rapport au groupe UM après 48 heures. Ces résultatstendent à montrer que si l’action de l’ODT ne rend pas comptede la totalité de l’effet analgésique du tramadol, elle y contribuelargement. De plus, la réponse au tramadol est hétérogène dansune population donnée en fonction du génotype, avec des varia-tions importantes d’un patient à l’autre. Ces résultats suscitentdes interrogations quant à l’efficacité globale du tramadol dansune population donnée. Cette efficacité peut dépendre nonseulement du génotype du patient mais aussi de la co-administrationd’autres agents susceptibles par exemple d’inhiber l’action duCYP2D6 comme la cimétidine ou l’amiodarone. De plus, lespatients UM sont exposés à plus d’effets secondaires liés à lastimulation des récepteurs opiacés, surtout si des agonistes 

μ

sontadministrés concomitamment. Un raisonnement comparable peutêtre tenu en ce qui concerne la codéine transformée en morphinepar le CYP2D6, avec une ampleur dépendante du génotype (Kir-chheiner J

et al

. Pharmacokinetics of codeine an dits metabolitemorphine in ultra-rapid metabloizers due to CYP2D6 duplication.Pharmacogenomic J 2007;7:257-65).

Francis Bonnet

Hôpital tenon, Paris.

La vie entre chien et loup

Christine Bergé, Jacqueline SalmonCollection « Belle page » Robert Jauze éditeur — 192 pages — 35 

L’évolution de la technologie incarne le symptôme d’une moderni-sation croissante et inéluctable, particulièrement marquée dans lemilieu hospitalier par l’intervention de machines sophistiquéesqui procurent la vie artificielle, qui analysent le corps au travers

des données objectives (où elles sont « 

les complices qui permettentd’entrer dans l’espace intérieur, traverser les parois, écouter les flux

 »)et qui transforment un patient de réanimation en « 

un corpsincarcéré, ouvert à tous les vents

 ». Aussi, peut-on penser qu’ellesannihilent la dimension humaine dans l’approche thérapeutiquede ces hommes et ces femmes dont la vie a été rendue vulnérablepar la maladie ou un événement accidentel. Le livre de ChristineBergé, anthropologue et philosophe de formation, et de JacquelineSalmon, photographe, historienne, formée à l’histoire des artsplastiques et d’architecture, propose avec toute la rigueurscientifique et la sensibilité artistique une réponse à cetteinterrogation. En effet, en nous immergeant dans l’univers dela réanimation postopératoire et traumatologique de l’hôpitalLariboisière, les auteurs extraient toute l’humanité et l’émotivitéde ce milieu dans lequel l’espace est caractérisé par

« la rationalitédes dispositifs techniques ou antiseptiques

 ». Les machines sontpurement considérées comme des intermédiaires « 

glacés

 » quidonnent une réponse théorique, dénuée d’émanation spirituelle.Elles sont des outils de lecture et d’analyse et une assistance tech-nique incontournable. En revanche, au coeur de cet environnementmécanique, Christine Bergé met en exergue, au moyen de nombreuxtémoignages, d’observations et de notes personnelles, le travaildes équipes dans son aspect relationnel, intellectuel, émotionnel etsymbolique. Elle dégage les mécanismes d’élaboration des savoirs,met en lumière les zones d’incertitude qui interfèrent dans lesdécisions thérapeutiques et dévoile les moments de fragilité dessoignants. Enfin, elle scrute la lutte des corps cachés exposés,abîmés, arrangés, « 

gisants ou récalcitrants

 » des malades, et ellesouligne l’investissement singulier des patients et des soignantsdans cette lutte incessante face à la mort. C’est ainsi que ce livreest une aventure, un voyage et une expérience d’où l’on ressortenrichi.

Muriel Pinte

Hôpital Tenon, Paris.