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L’effet Hilton · 2018-10-16 · en Chine. Puisqu’il nous faut traiter un aspect particulier, nous nous concentrerons sur le cœur de l’organisation, la plupart des récits

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L’effet Hilton

Par Chip Heath et Karla Starr

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Avant-propos La plupart des grands groupes célébrant leur 100e anniversaire pourraient se contenter

d’organiser une belle fête. Mais Hilton a choisi d’engager des auteurs extérieurs septiques (du

domaine de l’entreprenariat avec une expérience en sciences sociales), afin de rendre compte

des effets de l’entreprise sur les voyageurs, l’industrie du voyage, ses employés, ainsi que les

communautés autour du globe. Si l’on récapitule le rôle tenu par Hilton dans tous ces domaines,

il est alors possible de mesurer l’impact que Hilton a eu dans le monde du voyage, influence

que nous dénommons « L’effet Hilton ».

Nous avons creusé dans l’histoire de Hilton pour déterminer comment, dès leurs débuts,

ils ont su être efficaces et comment ces succès historiques ont posé les jalons de leurs

pratiques actuelles. Hilton est une multinationale colossale, avec près de 900 000 chambres

réparties en 14 marques distinctes, qui connaît une forte et rapide croissance, particulièrement

en Chine. Puisqu’il nous faut traiter un aspect particulier, nous nous concentrerons sur le cœur

de l’organisation, la plupart des récits provenant de la marque phare d’origine de l’entreprise,

Hilton.

Bien sûr, nous ne sommes pas crédules, et reconnaissons notre part de subjectivité.

Hilton nous a rétribués pour ce projet, et les études ont montré que même les petits cadeaux, si

subtils soient-ils, nous rendent plus favorables à l’égard de ceux qui offrent lesdits cadeaux.

Ainsi, vous, lecteurs avisés, devez savoir que nous sommes peut-être plus positifs au sujet de

Hilton que nous ne devrions l’être, mais nous ne pensons pas que les études prédisent un parti

pris quant aux facettes de Hilton que nous voyons d’un angle positif.

Si nous sommes aujourd’hui habilités à rendre compte de l’histoire de Hilton, c’est grâce

à l’enseignement personnalisé du formidable historien Mark E. Young. Ce dernier dirige les

archives de l’industrie hôtelière au Hilton College of Hotel Management de l’Université de

Houston. Dès le début, il nous a aidés à remarquer des détails subtils et surprenants dans

l’histoire de la marque, qui se sont révélés être la clé de notre analyse, tels que : l’importance

de la climatisation dans les chambres d’hôtel, une ligne directe de réservation, Lady Hilton, un

design d’intérieur interculturel et des photos montrant clairement la croissance économique

dans le quartier après l’arrivée de l’hôtel. Nous remercions également ceux qui nous ont aidés à

réaliser les diverses études de cas présentées dans ce livre, y compris les groupes régionaux

qui ont mené les entrevues initiales.

Parce que nous, humains, sommes souvent grandiloquents pour décrire notre rôle dans

les événements, nous avons cherché des sources extérieures pour vérifier les détails des

études de cas et l’impact global de Hilton dans le monde. Ainsi, nous avons remarqué que bien

souvent, les employés de Hilton n’ont pas dérogé à la règle. Au cours de la deuxième série

d’entrevues, les récits se sont souvent révélés encore plus remarquables qu’on ne l’avait

imaginé. Ce que les membres de l’équipe considéraient en grande partie comme une journée

de travail de plus était à vrai dire tout à fait extraordinaire. Nous sommes plus qu’impatients de

vous révéler ces histoires, car nous avons nous-mêmes été surpris d’avoir pu les dénicher.

La volonté de Hilton en créant ce livre était de comprendre quels aspects de son histoire

les avaient aidés à devenir si prospères aujourd’hui, et comment ils pouvaient continuer à

améliorer ces pratiques à l’avenir. Mais ils espèrent également que ce livre aidera les

personnes qui leur sont les plus chères : vous, leurs clients, ou leurs amis dans d’autres lieux

de travail.

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Si vous travaillez pour un concurrent de Hilton, veuillez refermer ce livre immédiatement.

Si vous travaillez ailleurs (particulièrement chez Hilton), bienvenue ! Après vous, cher lecteur

curieux. Nous espérons que cet ouvrage vous apportera de précieuses informations.

Vous y apprendrez peut-être grâce aux secrets de Hilton comment requinquer des

clients fatigués, créer des environnements de travail qui engagent vraiment les employés,

devenir un point focal dans votre communauté, en somme, l’empreinte que vous pourrez

potentiellement poser en créant une entreprise qui résiste à l’épreuve du temps.

Que chacun et chacune d’entre vous ait la chance d’évoluer au sein d’un lieu de travail

aussi engagé que l’hôtel Hilton Colombo au Sri Lanka,

Chip Heath et Karla Starr

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En quoi l’hôtel Hilton est-il comme l’ampoule d’Edison ?

À vrai dire, il n’est pas tout à fait correct de dire que Thomas Edison est l’inventeur de

l’ampoule électrique. Edison a simplement breveté l’un des composants (le filament de carbone

longue durée dans un tube à vide scellé) et l’a combiné avec les inventions existantes (fils

électriques et composants). Mais sa contribution s’est avérée être la pièce manquante au

puzzle qui a permis à tout le système d’éclairage de prendre vie à part entière.

Henry Ford n’a pas inventé l’automobile non plus, juste la pièce manquante du puzzle

(chaîne de montage) qui était nécessaire pour que l’ensemble (moteur, freins et carrosserie)

devienne économiquement viable, galvanise l’intérêt et atteigne un large public.

Compte tenu de ces précédents, il n’est pas scandaleux de dire que Conrad Hilton a

inventé l’expérience hôtelière moderne, en particulier pour les voyages d’affaires. Bien sûr, les

gens voyageaient déjà jadis pour le travail (même Ferdinand Magellan était en mission pour

Dieu et le roi d’Espagne) et des hôtels existaient avant Hilton (s’il y a une crèche à Noël, c’est

parce que toutes les auberges du coin étaient complètes). Pourtant, nous savons que Hilton a

apporté la pièce manquante au puzzle, car sa marque d’hôtels fut la première à véritablement

connaître le succès.

En 1943, Hilton devint la première chaîne d’hôtel à s’établir d’un océan à l’autre.

En 1946, Hilton Hotels Corporation fut la première société hôtelière à vendre des actions

et en 1947, elle était cotée à la bourse de New York.

Trois ans plus tard, Hilton construisit le premier hôtel international moderne, le Caribe

dans la ville de San Juan à Porto Rico. Dès 1963, un reporter du magazine Life écrivait : « Dans

certains pays, comme l’Espagne, il fut ancré dans l’imaginaire collectif que “Hilton” était le mot

anglais pour “hôtel” ».

En 2016, Hilton établit sa présence dans son 100e pays.

Et aujourd’hui, Hilton fête son 100e anniversaire.

La firme de Conrad Hilton a pris son envol en apportant le chaînon manquant du séjour

hôtelier, qu’il a découvert en s’adressant à un groupe que Hilton lui-même connaissait très

bien : les voyageurs d’affaires.

Hilton grandit au sein d’une famille aisée (son père Gus, d’origine norvégienne, fit

fortune en vendant des mines de charbon), mais en 1907, une banque à New York connut une

crise monétaire qui épuisa ses réserves. La banque ferma, ce qui répandit la panique, créant

une cascade de fermetures de banques à l’échelle nationale. Gus Hilton se retrouva alors avec

une montagne d’actions qu’il ne put convertir en argent. « Tout à coup, nous n’étions plus

riches », a écrit Hilton dans ses mémoires, Be My Guest.

Selon Hilton, cette famille soudainement sans le sou convoqua une réunion de gestion

de crise et conclut qu’elle devait utiliser ses quatre actifs restants pour se maintenir à flot :

1. Une main d’œuvre

2. Un stock sur les étagères de son magasin

3. La « plus grande bâtisse en adobe du Nouveau-Mexique, située face à une gare

ferroviaire sur une ligne principale »

4. La cuisine de Mary Hilton

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La meilleure analyse a été faite par un Conrad alors âgé de 20 ans : « Cette addition

d’éléments ne pouvait donner qu’un seul résultat, un hôtel Hilton ».

Conrad et son frère Carl se rendirent tous les jours à la descente du train pour rabattre

les clients, à minuit, 3 heures du matin et à midi. Leurs hôtes étaient souvent des vendeurs

itinérants, qui possédaient l’argent nécessaire pour s’acquitter d’une nuit. Trois fois par jour,

Conrad se retrouvait à parcourir le chemin entre la gare et sa maison et pension de famille,

transportant les bagages des vendeurs remplis d’échantillons. C’est probablement en discutant

de la vie sur la route que Conrad réfléchit à la façon dont il pouvait promouvoir la cuisine de sa

mère et à la manière de rendre les hôtes heureux pendant tout leur séjour.

Conrad et Carl s’occupaient du magasin et prenaient en charge les bagages. Ils

réveillaient les hôtes. Ils dormaient là où ils le pouvaient. Gus, quant à lui, s’occupait de la

satisfaction des clients et Mary s’assurait de les sustenter.

Très vite, la famille rencontra un vif succès. Un lit confortable, des draps propres, des

repas faits maison, un magasin sur place, un emplacement de choix près des transports et deux

porteurs-vendeurs ? Pour 2,50 dollars la nuit ?

Très rapidement, le bouche-à-oreille fit son effet parmi les vendeurs avertis (une version

démodée de TripAdvisor), en répandant qu’il existait désormais un nouvel endroit où séjourner,

si vous passiez par San Antonio, au Nouveau-Mexique. « Allez donc chez les Hilton ».

En six semaines, l’information s’était répandue jusqu’à Chicago. « Si vous avez besoin

d’une pause entre deux voyages d’affaires », pouvait-on entendre, « arrêtez-vous à San

Antonio et prenez une chambre chez les Hilton ».

Tout d’abord, précisons que la propriété originale où Hilton apprit l’esprit d’entreprise et

l’hôtellerie était située à San Antonio au Nouveau-Mexique (et non San Antonio au Texas). Les

Hilton identifiaient si bien les besoins des voyageurs d’affaires que les vendeurs faisaient une

« halte » intentionnelle dans une petite ville à mi-chemin entre El Paso et Albuquerque (ou, en

termes mathématiques, à mi-chemin entre nulle part et nulle part).

En quoi cet endroit était-il si spécial ? On racontait alors :

« Ils servent les meilleurs

repas de l’Ouest et il y a ce garçon

qui excelle à rendre votre séjour

confortable ».

En 1919, Conrad Hilton

acheta son premier hôtel, le

Mobley à Cisco, au Texas, qu’il

décrivit comme « un mélange entre

un refuge miteux et une mine

d’or ». L’hôtel Mobley accueillait

principalement les voyageurs

d’affaires des champs de pétrole

de Cisco, mais les hôtels suivants

d’Hilton, à la fois achetés et acquis,

se sont concentrés sur les

voyageurs faisant des haltes pour

le travail dans les petites villes du Texas, comme Waco et El Paso, pendant le boom pétrolier

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du début du XXe siècle. En devenant le saint patron de la classe affaires mobile, il a en fait

déniché la recette qui a fonctionné pour un public beaucoup plus large : les gens veulent

voyager partout et se sentir à l’aise, comme à la maison.

Twilight Zone, épisode n° 157 : un monde hôtelier sans Hilton

Pour se faire une idée de la capacité de Hilton à apporter la pièce manquante au puzzle

pour les voyageurs d’affaires (le confort) et de la manière dont elle a évolué au fil des années,

prenons un peu de recul et essayons d’imaginer ce que serait le monde si Hilton n’existerait

pas. Si vous le pouvez, rappelez-vous des images et de la musique bizarres du générique de la

vieille série télé The Twilight Zone. Nous avons été surpris de constater à quel point le monde

serait différent si ce que Conrad Hilton avait créé venait à disparaître (ainsi que les premières

créations des hôtels, comme le Waldorf Astoria à New York, que Hilton a eu le bon goût

d’acquérir). Sa présence serait remarquée par son absence, qui pourrait presque faire pâlir un

fantôme.

Soumis à votre approbation...

Imaginez une chambre d’hôtel sans thermostat : la température de la chambre à votre

arrivée serait alors sa température toute la journée. Il fait un peu trop chaud à votre goût, vous

saisissez alors un verre pour y mettre de l’eau. L’eau est à température ambiante. Donc,

comme la chambre, elle est chaude.

En quête d’un remontant pour décompresser après ce vol épouvantable, vous videz

l’eau chaude dans l’évier et partez à la recherche du minibar. Vous continuez de chercher. Il n’y

a pas de minibar.

Vous vous asseyez sur le lit et enlevez vos chaussures. Instinctivement, votre main se

dirige vers la télécommande sur la table de chevet. Rien. Vous cherchez une liste des chaînes

du câble. Rien.

Vous inspectez votre chambre pour découvrir où se cache la télévision. Rien.

Vous êtes exténué par le trajet interminable depuis l’aéroport, qui vous a fait rater votre

heure habituelle de dîner. N’y avait-il pas un hôtel près de l’aéroport la dernière fois que vous

êtes venu en ville ?

Vous décidez de commander quelque chose pour compenser votre repas manqué, en

visualisant votre plat réconfortant préféré : des frites ! Votre main s’élance vers le téléphone,

mais la personne qui décroche à la réception prétend, hilare, n’avoir jamais entendu le terme

service d’étage. « Vous voulez dire que je préparerais votre repas et que je vous l’apporterais

dans votre chambre ? » Exactement. « Nous ne proposons pas ce service, mais vous pouvez

commander à l’extérieur. »

Il vous communique le numéro d’une pizzeria qui assure les livraisons.

Vous décidez de descendre dans le hall pour vous occuper de tout ça, ce sera

l’occasion de prendre au moins un café. Mais en bas, il n’y a pas de café.

Ailleurs, les piña coladas disparaissent des mains des buveurs assis sous des

ombrelles.

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Comme on peut s’y attendre, les gens veulent se

sentir aussi à l’aise en déplacement qu’à la maison. La

vision de Hilton ? Étant donné que la route est vraiment

épuisante, le confort de la maison n’est pas suffisant. Toutes

les innovations de Hilton mettent confort et commodités au

service du voyageur.

Avant l’ère de la climatisation en 1925, le premier

hôtel à porter le nom de Hilton était fier de ne pas proposer

de chambres orientées à l’ouest, de façon à ce que la

chaleur du soleil du Texas ne vienne surchauffer les pièces.

En 1930, le Waldorf Astoria à New York introduisit le

concept de service d’étage.

En 1947, le Roosevelt Hilton de New York devint le premier hôtel au monde à installer

des télévisions dans les chambres.

En 1954, le Caribe Hilton à Porto Rico inventa la piña colada.

En 1955, Hilton commença à installer la climatisation dans chaque chambre, avec un

thermostat individuel.

Hilton fut un pionnier dans le concept d’hôtel d’aéroport, lorsque le San Francisco Airport

Hilton ouvrit en 1959. Êtes-vous impatient à l’idée de séjourner dans un hôtel d’aéroport ?

Probablement pas. Avez-vous conscience d’ô combien il pourrait vous être utile quand vous

êtes pressé par le temps ? Bien sûr que oui.

Lorsque l’hôtel London Hilton on Park Lane ouvrit en 1963, ses chambres furent dotées

de deux télécommandes : une pour la télévision et une pour la radio.

Quelques années après, Hilton a introduit le minibar (et par là même, la culpabilité du

voyageur d’affaires qui se dit : « Je n’arrive pas à croire que j’ai mangé un sachet entier de noix

de cajou à 1 heure du matin »).

Si vous avez déjà acheté un café Starbucks ou un rasoir dans un hôtel, vous pouvez

remercier Hilton. Hilton a peut-être été inspiré par l’importance d’avoir un magasin

d’alimentation générale près de la pension de famille de ses parents et a ensuite été le premier

à faire entrer des enseignes extérieures au sein de son hôtel.

En 1947, Conrad introduisit une ligne centrale de réservation pour que les clients

puissent réserver une chambre dans n’importe quel hôtel Hilton.

Si vous avez déjà effectué une réservation via une base de données informatisée, vous

pouvez également remercier Hilton qui a mis à jour ce système en 1973.

L’impulsion initiale de Hilton était de se concentrer sur les voyageurs d’affaires

effectuant des « arrêts aux stands ». Conrad ravitaillait les personnes pressées par le temps en

remplissant ses hôtels de prestations, comme la climatisation, les minibars, les télévisions et le

service d’étage. Si vous parvenez à attirer un vendeur pressé et stressé à l’idée de conclure

une affaire, qui fait un arrêt dans une ville du Nouveau-Mexique, car il est tout simplement

exténué, et à faire que cette personne se sente à l’aise et détendue en plein mois d’août, alors

vous pouvez rendre n’importe qui heureux.

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Voyageurs d’affaires : revigorer les troupes « À supposer que Conrad ait inventé l’hôtel adapté aux voyageurs d’affaires »,

pourraient dire les cyniques. « Est-ce une raison suffisante pour le glorifier ? Hilton a choisi le

groupe de voyageurs le plus choyé et lui a donné des outils supplémentaires ; une simple

chambre, toutes identiques dans les différentes villes, avec un service d’étage et du café à la

réception pour qu’ils ne visitent jamais la ville où ils se trouvent ! » Hilton ne s’occupait-il pas

simplement de répondre aux pires aspects des phobies des voyageurs d'affaires anxieux ?

Les voyages d’affaires sont-ils un phénomène qu’il faut célébrer ou maudire ? Les

auteurs de voyage ont longtemps critiqué ce groupe et sa volonté de payer le prix fort pour

rester dans la bulle de la classe affaires. En 1965, un auteur pour le magazine Vogue a adopté

un ton condescendant en décrivant un client de l’hôtel Hilton qu’il regardait en train de prendre

son petit-déjeuner en Turquie :

Un matin à Istanbul, je prenais mon petit-déjeuner dans une verrière surplombant le Bosphore. À

la table d’à côté se trouvait un homme d’affaires américain... Il regarda à travers ses lunettes son

petit-déjeuner traditionnel américain : jus d’orange frais, pancakes et sirop d’érable, et un café

bien chaud... À cet instant précis, à quelques kilomètres de là dans la Mosquée bleue, on pouvait

entendre retentir dans les airs les appels à la prière qui auraient pu effarer son âme. Les a-t-il

seulement remarqués ? Point. Il était paisiblement à l’abri dans son oasis.

Des années après, la professeure Annabel Jane Wharton de l’Université de Duke a

relayé ce sentiment, en écrivant dans ses jeunes années qu'elle « méprisait les établissements

Hilton, lieux d’inauthenticité institutionnalisée. Ils représentent à mes yeux un repli de la

véritable expérience de la diversité ».

Un homme d’affaires myope, mangeant ses pancakes dans l’ignorance de la vaste

culture qui s’étend au-dehors.

À l’abri dans sa bulle.

Un repli de la véritable expérience de la diversité.

Inauthenticité institutionnalisée.

Ce sont là des critiques véhémentes et moralisatrices. Se protéger de l’expérience réelle

de la diversité va à l’encontre de l’idée même de la raison pour laquelle les gens voyagent :

nous quittons la maison pour élargir nos horizons, pour vivre quelque chose de plus grand que

ce que notre vie quotidienne nous offre.

Mais le point de vue du critique n’est qu’un instantané sans contexte : les pancakes et le

café du voyageur d’affaires ne représentent que la première partie de sa journée. En effet, le

petit-déjeuner peut être la seule partie familière d’une journée comportant neuf heures de

travail, dont une demi-journée de visite d’une entreprise (étrangère) et une autre demi-journée

de négociations intenses. Pendant tout ce temps, il s’efforce de se rappeler comment prononcer

des noms inconnus et de respecter les normes locales (présenter sa carte de visite avec les

deux mains, ne pas montrer les semelles de ses chaussures !). Plus tard, il pourrait prendre un

verre avec les gens du coin, manger un morceau avec eux, voire chanter le disco dans un

karaoké en leur compagnie.

Réfléchissez aux deux voyageurs ci-dessous.

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Voyageur A : une personne qui prend son petit-déjeuner avec les locaux, avant de

passer sa journée à flâner, déambuler dans la ville, découvrir son art et siroter du thé.

Voyageur B : un professionnel qui mange des pancakes avant de s’aventurer dans un

nouveau bureau, dans un pays étranger afin de créer des contacts avec les locaux.

Ne s’agit-il pas là simplement de différentes façons d’entrer en contact avec une

nouvelle culture ?

Non seulement voyager pour le travail est une raison légitime, comme d’autres, de

découvrir un pays mais c’est également éreintant. Si vous vous êtes déjà énervé sur votre

partenaire, votre chien, votre routeur Wi-Fi ou votre enfant après une journée de travail

chargée, vous avez connu un phénomène appelé « épuisement de l’égo » ou « épuisement de

soi », domaine qui occupe depuis deux décennies une place majeure dans la recherche en

psychologie. À travers une variété de manipulations expérimentales, les études montrent un

résultat très cohérent : notre énergie mentale, épuisée par la maîtrise de soi, semble être une

ressource limitée, mais renouvelable. Après avoir exercé une maîtrise de soi pendant un certain

temps, nous nous sentons vidés, ce qui entrave notre motivation et notre concentration, même

après être passé à une autre tâche.

Notre puits de ressources disponibles peut se vider à cause de n’importe quel aspect de

la vie. Lorsqu’un superviseur nous envoie constamment par e-mail des demandes stressantes

et urgentes, le fait d’ignorer ces requêtes incessantes pour focaliser notre attention ailleurs

épuise notre énergie et rend les autres tâches plus difficiles. Après une journée de déception

suite à une échéance ratée ou à des commentaires désobligeants sur la stratégie proposée,

nous avons moins le courage d’être attentionnés envers notre propre famille quand nous

rentrons à la maison.

Les choses sont fatigantes lorsque nous n’avons pas notre mot à dire sur la question, et

qu’il nous tenir bon. Les exigences externes ont des conséquences néfastes. Il n’y a pas de

meilleure expérience naturelle pour examiner les effets de l’épuisement que d’observer ce qui

se produit lorsque les gens travaillent pendant de longues heures. Une étude a examiné le

comportement de lavage des mains de 4 157 soignants dans les hôpitaux, en utilisant la

technologie d’identification par radiofréquence sur les badges des travailleurs pour surveiller

leur comportement réel. En théorie, le personnel soignant est censé se laver les mains dans la

minute et demie qui suit la fin de leur consultation avec un patient. Étant donné le rapport

disproportionné des coûts (se laver les mains ne prend pas longtemps) et des avantages

(chaque année, une mauvaise hygiène des mains contribue à environ 1 million de décès liés

aux soins de santé dans le monde), cela semble évident.

Mais au cours d’un service, le personnel devient moins enclin à se laver les mains. À la

fin d’un service de douze heures, les travailleurs sont 8,7 pourcents moins susceptibles de se

laver les mains, et lorsque les exigences de la journée – et l’enchaînement des services – sont

plus élevés, le taux de lavage des mains diminue encore davantage. Lorsque les gens sont

fatigués, ils prennent des raccourcis, même lorsqu’ils peuvent effectuer des actions simples qui

pourraient sauver des vies.

Le travail semble harassant, car il apporte son lot d’exigences incessantes sur nos

comportements. Nous devons nous maîtriser depuis le moment même où le réveil retentit. Nous

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devons répondre à nos impulsions grincheuses, négatives et paresseuses avec une force

encore plus grande : la maîtrise de soi, définie dans une méta-analyse comme « la capacité de

modifier ou d’outrepasser les tendances dominantes de la réponse et de réguler le

comportement, les pensées et les émotions ». Au travail, nous devons utiliser cette force dans

de nombreux domaines à la fois. Nous devons faire de notre mieux sur le plan social (Assurez-

vous d’obtenir l’accord de Mohammed avant de le dire au groupe), émotionnel (Souriez au

client !) et cognitif (Pouvez-vous vérifier si la plus-value réalisée par ce fonds est intéressante

pour nous ?). Le travail constitue une demande constante et fatigante à la fois sur notre énergie

et notre temps, si bien que quelqu’un doit nous payer juste pour que l’on s’y rende.

La Possibilité de se Ressourcer

Inutile d’insister sur le fait que le travail soit fatigant. Mais qu’en est-il de l’opposé de

l’épuisement de l’égo, le ressourcement ? Prenons un autre exemple qui au premier coup d’œil

s’apparente à une autre histoire sur l’épuisement, mais s’avère complètement différent. Des

chercheurs en Israël ont cherché à savoir si une commission des libérations conditionnelles,

composée de juges et de travailleurs sociaux, avait accordé une liberté conditionnelle à des

prisonniers.

Les prisonniers faisant une demande de liberté conditionnelle ne sont pas un échantillon

aléatoire de criminels endurcis. Constituer un tel dossier nécessite généralement des preuves

d’erreur judiciaire ou de réelle repentance, suivies par des années, parfois des décennies, de

dur labeur et de bonne conduite.

Les chercheurs ont étudié les décisions de cette commission au cours d’une journée de

travail divisée en trois parties, avec une pause collation en milieu de matinée et un déjeuner.

Au début de la journée, la commission avait accordé des libertés conditionnelles dans

plus de la moitié des cas, mais à mesure que la journée avançait, les chances qu’un prisonnier

bénéficie d’une telle liberté diminuaient de manière constante.

Autrement dit, travailler dur sur chaque cas a mené à une sensation prononcée de

fatigue ou d’épuisement mental rendant les décisions encore plus difficiles à prendre. Les

données montrent clairement une pente descendante : la commission était de moins en moins

susceptible d’accorder une liberté conditionnelle à mesure que la journée s’écoulait. Le

problème que suscite l’utilisation de toute cette énergie mentale est que la sensation de fatigue

cumulée fait que tout paraît plus difficile. En réalité, refuser les libertés conditionnelles

augmente la quantité de travail de la commission, qui devra probablement examiner le dossier à

nouveau l’année suivante, mais cela semble être une bonne issue ; accorder une liberté

conditionnelle, plutôt que la refuser, donnera certainement lieu à des critiques.

Le message décourageant de cette étude est que même dans des situations de travail

normales, même dans des situations d’enjeux importants, même avec des employés

expérimentés, l’épuisement a une forte incidence.

La deuxième chose à noter est qu’il est relativement facile, si nous connaissons le

problème et utilisons les bons outils, de contrer l’épuisement. Dans l’étude sur les libertés

conditionnelles, les juges retrouvaient de l’énergie après une pause proposant des fruits et du

café.

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Les chercheurs ont passé des années à se disputer au sujet de l’explication théorique

de l’épuisement, mais en pratique, les méthodes utilisées pour se ressourcer partagent une

caractéristique commune : nous nous détendons et rechargeons nos batteries avec des

récompenses de notre choix. La réponse la plus fréquente à la question de savoir comment les

gens se préparent à retourner au travail est simple : avec une forme de caféine. (Le fait que les

sodas et le café soient les deux plus grandes industries de vente au détail pourrait ne pas être

une coïncidence.) Au-delà de cela, il y a peu de consensus. Certaines personnes ne jurent que

par les siestes, mais d’autres restent groggy après un somme en milieu de journée. La montée

d’endorphine après l’exercice revigore certains et endort d’autres.

Quelle que soit votre préférence, l’étude montre que nous pouvons contrer les effets de

la fatigue avec des pauses régulières, du réconfort et d’autres doses de bonheur qui nous

remettent sur la bonne voie, ce qui nous ramène à l’étude en Israël. La commission des libertés

conditionnelles n’a pas travaillé pendant une longue session, elle a en réalité travaillé pendant

trois périodes distinctes divisées par deux pauses : une pour une collation matinale (des

sandwiches et des fruits en Israël) et une pour déjeuner. Lorsque les membres de la

commission reprirent les délibérations après ces pauses, quelque chose de magique se

produisit sur la qualité de leur travail : il redevint normal. Passer moins d’une heure loin du

travail a suffi à les ressourcer pleinement et à contrer les effets de l’épuisement. Même lorsque

la sensation de fatigue et l’épuisement s’étaient accumulés au cours de la journée, les pauses

revigoraient. Tellement que les premiers cas qu’ils étudièrent tout de suite après la collation ou

le déjeuner ressemblaient aux cas examinés au début de la journée.

Réfléchissons maintenant à quelque chose de tout aussi surprenant : voyager, ça

épuise. Pour tout le monde. Entrer dans un monde rempli de nouvelles expériences exige que

nous quittions notre cocon de certitudes et d’habitudes, et naviguer dans ce nouveau territoire

nécessite un effort mental supplémentaire. Pour commencer, nous devons comprendre quelles

sont les tâches basiques requises pour la survie : Comment vais-je me nourrir ? De quel côté

dois-je regarder avant de traverser ? Quelle heure est-il ? Le voyage procure une sensation de

désorientation chronique généralement réservée aux lendemains de soirées bien arrosées. En

plus de se sentir constamment en manque de sommeil ou un peu euphorique, chaque achat

nécessite de faire la conversion des devises et nous laisse une sensation persistante de peut-

être avoir été arnaqués.

En vacances, nous subissons le fait étrange de devoir calculer tout le temps, tout en

ayant la gueule de bois, parce que nous voulons vraiment faire ce voyage - nous sommes enfin

en Italie ! Nous allons voir des choses que nous voulions voir depuis des années ! Et la

motivation intérieure aide à surmonter la fatigue mentale.

L’un des plus grands plaisirs du voyage de loisirs est généralement de pouvoir organiser

nos journées comme bon nous semble. Il est plus facile de rester alerte et frais lorsque nous

avons les choses en main, car cela inclut la possibilité de se reposer et se récompenser, avec

exactement ce qu’il faut pour contrer l’épuisement. La file d’attente est longue pour admirer

Mona Lisa ? Nous pouvons acheter quelques souvenirs entre temps ! La Grande Muraille de

Chine ne vous a pas autant émerveillé que prévu ? Fonçons droit sur les raviolis chinois ! Si

braver les transports en commun en Amérique du Sud semble vraiment pénible, pas de souci :

allons nous promener dans le parc.

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Mais voyager pour le travail, c’est du travail en plus du travail. Voyager pour le travail

exige de se revigorer le plus vite possible. Nous devons rester concentrés sur l’événement à

l’origine de notre présence à l’étranger.

C’est pourquoi nous mangeons des plats réconfortants au petit déjeuner. Nous dormons

dans des lits extra moelleux. Nous profitons de la climatisation. Nos costumes sont repassés

par des professionnels. Quand nous savons que toute la journée va être extrêmement

éprouvante tout en nous demandant de toujours être à notre maximum, nous anticipons nos

récompenses en faisant ce qui nous apporte du bien-être pour retrouver suffisamment de force

pour continuer quand ce qui nous attend paraît compliqué.

Conrad Hilton tint une pépite lorsqu’il se concentra sur la restauration pour les

voyageurs d’affaires, une importance unique parmi les hôteliers. Comparés aux voyageurs de

luxe en Europe, qui se plaisaient à montrer à quel point ils n’étaient pas pressés de retourner au

travail, les hôtes des établissements Hilton manquaient de temps. Centrer les efforts sur

l’expérience de ce groupe a donné lieu à des innovations qui ont permis aux hôtes de refaire le

plein d’énergie rapidement. Puisque voyager, c’est du travail en plus du travail, les services de

restauration Hilton pour les professionnels en déplacement aspiraient à offrir la crème de la

crème en matière de réconfort, de plaisirs et de joie... la pièce manquante du puzzle qui fit de

sa marque d’hôtels la première à décoller.

Lady Hilton Les récompenses motivent, ce qui explique pourquoi nous pouvons résoudre un

problème de maths avec dix minutes d’avance après un petit carré de chocolat. Un bon

déjeuner avec notre meilleur collègue pourra nous redonner l’énergie nécessaire pour terminer

un rapport à notre retour au bureau. Mais une présentation devant un public entraîné à ne pas

trop sourire pourra nécessiter une demi-bouteille de vin affalé sur un lit douillet.

Les voyageurs d’affaires et d’agrément aiment séjourner

dans un hôtel Hilton pour faire rapidement le plein d’énergie, mais

tandis que les vacanciers peuvent utiliser leurs ressources

mentales pour aller au musée, rencontrer des gens et apprendre

les coutumes locales, les voyageurs d’affaires doivent se

concentrer sur leur future présentation et s’assurer d’avoir emporté

le bon adaptateur pour leur ordinateur portable.

Voyager signifie être l’étranger évident dans une situation

étrange, mais les mêmes situations peuvent paraître encore plus

étranges pour certains voyageurs. Pendant des dizaines d’années,

Hilton a assuré le ravitaillement des voyageurs d’affaires, un

groupe majoritairement composé d’hommes. Au début des

années 1920 à Mobley, premier hôtel de Conrad Hilton, les hôtes

masculins étaient bien plus nombreux que les femmes, 4 pour 1.

En 1950, le Stevens Hotel de Chicago commença à étonner les voyageuses en plaçant

des dossiers étiquetés « Réservé aux femmes » dans chacune de ses 3 000 chambres. Ces

dossiers contenaient du papier à lettres et des enveloppes, un kit de couture et une brochure

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informative pour simplifier l’idée du voyage pour les femmes et indiquaient notamment comment

trouver une baby-sitter à l’hôtel et où faire repriser une robe.

Après une période de recherche au Palmer Hotel de Chicago pour déterminer ce que les

clientes considéraient comme le plus utile pendant leur séjour, le programme Lady Hilton fut

officiellement lancé en 1965. Ce programme était conçu pour aider les femmes qui

s’aventureraient hors de chez elles pour affaires à se sentir plus à l’aise, prêtes à affronter des

lieux de travail dominés par les hommes.

Les ajustements étaient relativement simples. Dans certains hôtels, le programme Lady

Hilton attribuait aux clientes des chambres dotées de conforts supplémentaires, comme un

sèche-cheveux, des cintres spéciaux et une coiffeuse. Il s’agissait d’un petit segment. On

estime qu’à cette époque, les femmes ne comptaient que pour 1 pourcent des voyageurs

d’affaires.

Carol Brock, employée d’Hilton qui

faisait partie du programme Lady Hilton au

Statler Hilton à Boston en 1969, affirme que

de nombreuses femmes qui utilisaient le

service n’avaient même pas connaissance de

ces commodités. Étant donné le rapport entre

les sexes extrêmement déséquilibré des

hôtels d’affaires à l’époque de Mad Men, le

besoin d’une femme de se sentir en sécurité

pendant son séjour (et non la disponibilité des

sèche-cheveux) était la préoccupation la plus

urgente. Certains des objets de Lady Hilton

qui pourraient aujourd’hui paraître sexistes,

comme les trousses de maquillage et de

parfum, semblent avoir été des outils

marketing qui ont éclipsé le cœur de Lady

Hilton : une vraie Lady Hilton, concierge

dédiée travaillant à l’hôtel.

« La chose la plus importante que

Lady Hilton offrait aux voyageuses était une

personne de confiance qui se souciait

d’elles », explique Brock. Le programme fit également quelques mises au point pour renforcer la

sécurité des hôtes. À l’enregistrement, les employés s’appliquaient à ne pas annoncer les

numéros de chambre. Certains hôtels réservèrent même des étages aux clientes Lady Hilton et

des liftiers dédiés veillaient à ce qu’elles ne soient pas suivies par des hommes.

Les voyageurs sont des étrangers en terres étrangères, et la chambre classique met à

disposition les équipements universels permettant à tout le monde de se ressourcer. Mais au

milieu du XXe siècle, les voyageuses d’affaires étaient en marge de ce groupe de marginaux.

Ajouter un sentiment de proximité et de soutien personnel offre un sens indéniable de sécurité...

une autre source d’énergie. Les hôtels qui fournissent le confort de niche de leurs invités sont

comme les restaurants qui mettent enfin quelque chose sur leur menu pour les clients ayant des

restrictions alimentaires. Parce que même les amateurs de viande apprécient parfois un repas

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léger, proposer un délicieux risotto vegan – quelque chose qu’ils pourraient même ne pas

envisager avant de le voir sur le menu – peut apporter une source de joie à tout un chacun.

Hamptonality : Quand une Gaufre est bien plus qu’une

Gaufre Phil Cordell est considéré comme l’un des pionniers de l’industrie hôtelière : il fut le

directeur général du second Hampton Inn qui ouvrit en 1984. La marque, maintenant appelée

Hampton by Hilton, n’a pas le nombre de membres du personnel d’un hôtel traditionnel - vous,

et non un porteur à temps plein, vous occupez de vos bagages, par exemple.

Mais elle possède quelques aménagements clés. Trente ans plus tard, le petit-déjeuner

gratuit est encore populaire ; plus de 90 pourcents des hôtes Hampton by Hilton profitent de la

chance de pouvoir prendre le premier repas de leur journée gratuitement. En raison de la

popularité de cette offre, Hampton by Hilton se lança dans une course à l’armement parmi les

autres chaînes d’hôtels dédiés au service.

« Cela commença par de simples beignets au sucre, du jus d’orange et du café »,

raconte Cordell. Mais au fil des années, les petits-déjeuners devinrent de plus en plus élaborés,

évoluèrent pour proposer des plats chauds qui restèrent gratuits, malgré les contraintes des

tarifs inférieurs de l’hôtel. Alors que la concurrence s’intensifia et qu’il fut de moins en moins

possible de distinguer Hampton en matière de petit-déjeuner, Cordell et son équipe décidèrent

d’agir pour réaffirmer la suprématie de Hampton.

Mais les clients ne sont pas doués pour réfléchir à des choses qui les rendent heureux.

« Si vous deviez les rencontrer et leur demander de vous lister cinq choses qui leur feraient

plaisir, ils auraient du mal à les formuler », explique Phil Cordell, aujourd’hui chef mondial du

développement de nouvelles marques chez Hilton.

La direction du Hampton, à qui on demanda de chercher « plusieurs choses cool » qui

éveilleraient les sens des clients, rassembla une équipe pour explorer des alternatives pour le

petit-déjeuner. Le groupe était composé de leaders d’opinion importants et de chefs, qui soient

dans l’industrie ou non. « Nous avons réfléchi à des choses extrêmement compliquées, à des

choses auxquelles les clients ne s’attendraient pas. » L’une de leurs idées testées fut le petit-

déjeuner en bâtonnet : une saucisse enveloppée d’œuf brouillé, le tout roulé dans une pâte à

crêpe.

Un autre plat testé fut une gaufre nature, préparée à l’avance et qui au départ, n’inspirait

pas grand-chose. Mais associée à des garnitures intéressantes (fraises, crème fouettée, sirops

aromatisés), la gaufre commença à susciter un peu plus d’intérêt.

Cordel se rappelle : « Nous pensions tenir quelque chose, mais que pouvions-nous faire

de plus ? Quelqu’un souleva l’idée de faire des gaufres fraîches. Le groupe a tout de suite été

intrigué, mais quelque peu circonspect.

Une gaufre fraîchement préparée est un aliment très sensoriel. Les carrés sur le dessus

peuvent être remplis de sirop d’érable et de beurre, de petits morceaux de fruits et de crème

fouettée. La gaufre est comme un tour de passe-passe alimentaire, un petit plaisir similaire à un

dessert qui reçoit toute la légitimité d’un plat pour le petit-déjeuner.

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Et préparer des gaufres fraîches est, pour une raison quelconque, impossible à faire à la

maison, où les gaufriers classiques finissent rangés au fond d’un placard recouvert de

poussières, à prendre la poussière.

Quand Alice, dans le roman de Lewis Carroll Alice au pays des merveilles dit : « Il m’est

arrivé parfois, avant même l’heure du petit-déjeuner, de croire jusqu’à six choses

impossibles. », l’une de ces choses pourrait être la capacité à répondre aux demandes simples

d’une gaufre : mélanger la pâte, préchauffer et préparer des garnitures appropriées. Le matin,

avant que le café ne fasse effet, ces tâches ne sont pas simples et représentent des efforts

herculéens.

Donc, si les hôtes voient un gaufrier avec de la pâte et des garnitures déjà prêtes, ceci

pourrait bien leur faire le plus grand des plaisirs.

La brillante proposition des gaufres n’a pas tout de suite sauté aux yeux des autres dans

l’entreprise. Selon Cordell : « Quand nous avons commencé à en parler, si nous nous étions

écoutés, il y aurait eu des signaux d’alarme. »

En y réfléchissant ensemble dans un bureau, un gaufrier constitué d’un gros morceau

de métal incroyablement chaud rassemble tout un ensemble de risques qui n’attendent que

d’arriver. Cordell explique qu’il aurait été facile pour le groupe de trouver des raisons pour

lesquelles cela ne pouvait pas marcher : « Les files d’attente vont être longues, cela va créer du

bazar, les gens ne sauront pas l’utiliser, ils vont se brûler ! »

Pour convaincre les récalcitrants, le groupe pilota le processus, en installant des

gaufriers sur le buffet de petit-déjeuner de plusieurs hôtels Hampton.

Il s’avère que quelques jours à observer les hôtes prendre leur petit-déjeuner donnent

davantage d’informations que quelques années à réfléchir au bureau. L’équipe a trouvé que la

clé pour faciliter l’expérience pour les hôtes a été de mettre au point un distributeur versant la

juste quantité de pâte pour une gaufre. Même si ce système est suffisamment simple à

comprendre seul (même avant que la première tasse de café ne fasse effet), il est assez

novateur pour enclencher une conversation entre les hôtes pendant qu’un d’entre eux – simple

novice 3 minutes 30 auparavant – retire avec soin une gaufre parfaite, et réponde aux questions

sur sa technique et plaisante au sujet des garnitures préférées.

L’équipe n’avait pas anticipé à quel point cette toute petite interaction sociale

améliorerait l’expérience. « Honnêtement, nous n’avions même pas pensé à [la composante

sociale] avant d’avoir entendu les hôtes interagir entre eux », affirme Cordell. Le processus de

préparation d’une gaufre permettait à chaque personne de transmettre ses nouvelles

connaissances culinaires au suivant, se prélassant de la gloire normalement réservée à Julia

Childs ou aux Gordon Ramsey du monde.

« Nous avons testé cela dans divers hôtels et ça a été un franc succès », déclare-t-il.

L’hôtel Hampton de Times Square à New York comporte un peu moins de 300 chambres et

nourrit entre 1 200 et 1 500 personnes au cours d’un week-end classique. La dernière fois que

Cordell s’y est rendu, il put observer que « le moment » qu’il avait imaginé 30 ans auparavant

fonctionnait toujours aussi bien. « Était-ce parfait ? Non. Parce que de nombreuses personnes

viennent se servir en même temps. Y a-t-il un peu d’attente parfois ? Oui. Y a-t-il un peu de

bazar ? Oui. Des gens se sont-ils brûlés avec le gaufrier ? Non. Les gaufriers tombent-ils

souvent en panne ? Non. »

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Cordell fait état de la situation : « Aucun des mauvais scénarios ne s’est produit et les

bons côtés ont été encore plus significatifs que ce que nous avions espéré. » Garder cette idée

dans les bureaux n’aurait jamais donné à la direction l’opportunité de voir à quel point les

bénéfices l’emportèrent sur les potentiels inconvénients. Elle n’aurait jamais pu constater que

l’un des plus grands bénéfices du produit était d’offrir un moment aux hôtes pour créer et

savourer un lien social au petit-déjeuner. Les équipements de confort sont primordiaux pour le

voyageur d’affaires s’aventurant dans des destinations exotiques, mais ils sont également

appréciés par les voyageurs de loisirs qui prennent leur petit-déjeuner avant de reprendre la

route pour des centaines de kilomètres. Avant que les voyages ne nous changent la vie, nous

devons nous sentir ressourcés pour l’aventure qui nous attend. Parfois, il suffit simplement d’un

petit instant de lien social... et d’une gaufre.

Élargir Notre Monde Offrir autant d’équipements de confort qui permettent même aux plus fatigués d’entre

nous de se ressourcer rapidement permet aux voyageurs de loisirs de tirer profit encore plus

facilement de l’ouverture qu’offrent les voyages, en adoptant une nouvelle perspective sur nous-

mêmes et le monde.

La psychologue Barbara Fredrickson de l’Université de Duke a montré que les émotions

positives aidaient les gens à élargir et construire leur monde. Les voyages peuvent

profondément nous influencer lorsque nous atteignons ce point où nous sommes

reconnaissants de savourer un bon repas ou ébahis devant une œuvre d’art. Ces émotions

puissantes stimulent notre créativité, notre lien avec les autres et améliorent notre appréciation

du monde qui nous entoure.

Nous devons nous sentir en sécurité avant de pouvoir être heureux, et une humeur

positive permet aux gens de réfléchir de manière plus créative, d’envisager davantage d’options

et de trouver plus de solutions de qualité. Quand nous ne sommes pas pressés ou ne courons

pas après les ressources, nous pouvons ressentir la sécurité et le confort de l’instant présent.

Après avoir satisfait nos besoins de base, nous pouvons explorer et entrer en contact avec de

nouveaux aspects de l’environnement, qui peuvent nous rendre encore plus créatifs, s’ils nous

permettent de faire de nouveaux liens entre notre façon typique de voir le monde et de

nouvelles perspectives alimentées par une culture ou une personne différentes. Même (ou

surtout) les adultes bénéficient d’un sens de l’émerveillement et du jeu, ce qui simplifie le fait

d’avoir des interactions positives avec les autres, pour en contrepartie renforcer nos

connaissances et les connexions sociales qui élargissent notre monde.

Waldorf Astoria Amsterdam

« Il bouge dans la pièce comme sur des roulettes », a écrit le Condé Nast Traveller pour

décrire la démarche tranquille à l’étage des cocktails du directeur général du Hilton Amsterdam,

[Roberto] Payer, âgé de 69 ans. « Payer est une légende d’Amsterdam ».

Lors d’un dîner, il y a quelques années, un ami de Payer révéla que sa fille avait

récemment acheté un certain nombre de palais du XVIIe siècle le long du canal Herengracht.

L’ensemble de bâtiments, étalés dans un bloc continu, contenait une banque du XVIIIe siècle

entourée de résidences grandioses.

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Payer savait quoi faire de ces bâtiments. « Nous devrions faire un Waldorf Astoria. »

Après avoir acheté les droits de gestion du célèbre Waldorf Astoria de New York en 1949,

Hilton l’acheta dans son intégralité en 1972 ; en 2009, Waldorf Astoria devint une enseigne

Hilton d’hôtels haut de gamme.

Voilà donc le vrai défi : si vous construisez un hôtel de luxe en Europe, comment créer

des expériences qui seront uniques pour chaque hôte, permettant même à ceux qui ont déjà

tout ou déjà tout vu de véritablement récolter les avantages du voyage pour leur bonheur

personnel ?

Roberto Payer, légende d’Amsterdam et membre de l’équipe Hilton depuis 50 ans, était

parfaitement taillé pour cette tâche.

« Nous avions l’idée. L’idée était de ne copier personne, mais de placer l’hôtel dans une

autre position. »

Tout d’abord, et clairement, dans l’histoire. « Il s’agit d’un lieu unique... un palais du

XVIIe siècle. » Les six palais constituant le Waldorf Astoria accueillaient autrefois la banque

MeesPierson des Pays-Bas, fondée en 1720. Au fil des centaines d’années qui suivirent, ils

hébergèrent certaines des plus grandes familles de l’histoire néerlandaise, avec des noms

comme Geelvinck et Huygens ; en 2011, l’UNESCO classa l’un de ces palais au patrimoine

mondial. Même l’escalier en façade a une histoire qui n’a pas de prix : il fut construit par Daniel

Marot, l’architecte de Louis XIV.

Ensuite, les gens. « Quelle est la chose la plus importante lorsque vous arrivez quelque

part, la première impression ? Ce sont les gens et leur apparence. », déclare Payer. En tant

qu’animaux sociaux, les autres personnes capturent notre attention comme des aimants. Jan

Taminiau est un créateur de mode néerlandais qui lança sa propre ligne, JANTAMINIAU

en 2003 ; dix ans plus tard, la reine Maxima des Pays-Bas porta l’une de ses créations lors de

l’intronisation de son époux. (À l’étranger, ses créations ont été vues sur Beyoncé et Lady

Gaga.) Taminiau dessina les tenues portées par le personnel du Waldorf Astoria. Les femmes

travaillant à la réception sont vêtues de robes en soie affichant un superbe imprimé beige et

brun. En y regardant de plus près, vous remarquerez que ce motif représente une carte. Et

seulement si vous demandez au personnel ou si vous êtes passionné par les cartographes

néerlandais, vous comprendrez que ce motif s’inspire d’une carte de la région dessinée par le

cartographe Balthasar Florisz van Berckenrode au XVIIe siècle.

Les hôtels de luxe font attention aux détails dans chaque domaine sensoriel, il n’est

donc pas surprenant que des bougies parfumées soient disséminées aux quatre coins de l’hôtel

pour libérer un arôme élégant et délicat. Cette senteur a été spécialement élaborée pour le

Waldorf Astoria, pour un plaisir unique que vous ne trouverez nulle part ailleurs.

Après être arrivé dans votre chambre, un membre du personnel vous présente quatre

différentes senteurs. À vous de choisir celle que vous préférez. « Elle sera dans leur lit »,

explique Payer, en faisant référence à la pratique de vaporisation des draps des hôtes. Cet

arôme unique contribue à personnaliser votre chambre. À la fin de leur séjour, les hôtes

reçoivent des médaillons parfumés à la senteur exclusive de l’hôtel, qu’ils pourront emporter

chez eux pour raviver les souvenirs de leur séjour.

« [Les hôtes emportent les médaillons] dans leur valise. Et lorsqu’ils ouvrent leur valise,

voilà ! Ils sont de retour au Waldorf Astoria. » Ces bougies et senteurs uniques ont été créées

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par Cire Trudon, une entreprise française fabriquant des bougies depuis l’époque de l’escalier

Marot, au XVIIe siècle.

Au rez-de-chaussée, dans le

salon principal de l’hôtel situé dans

l’ancien bâtiment de la banque

MeesPierson, les hôtes peuvent

commander des cocktails aux

ingrédients incroyablement variés. La

libation d’inspiration indienne, par

exemple, marie de la vodka infusée au

masala Chaat, de la coriandre, du

verjus, de l’ananas séché, du

gingembre et de la bière IPA. Cette

boisson, The Rupee, a été baptisée

d’après la devise indienne. Plutôt que

de parcourir une carte, on vous remet un portefeuille rempli de billets colorés, chacun

s’apparentant à une devise internationale différente.

Les bouteilles de liqueur derrière le bar principal se dressent au-dessus de coffrets de

sûreté empilés... oui, le thème de l’argent est omniprésent. Les noms des boissons, le menu et

les coffrets de sûreté représentent toutes les façons dont le Vault Bar joue avec son riche

passé. Ce dernier se situe dans ce qui était autrefois le vrai coffre de la banque MeesPierson.

Les voyages peuvent nous rendre heureux en nous offrant de nouvelles expériences

positives, mais Payer a dû attirer des hôtes qui peuvent se permettre d’aller partout dans le

monde, des gens qui ont déjà tout, qui ont déjà tout vu ou qui sont simplement blasés. « L’idée

a été de ne copier personne. » Concurrencer Paris et Londres en bâtissant un hôtel de luxe

standard en Europe ne suffisait pas. C’est pourquoi, alors que les uniformes du personnel, les

cartes du bar et les odeurs attrayantes sont tout aussi superbes qu’originaux, chaque détail

cache plusieurs niveaux de signification pour encore plus de mystère. De jeunes et belles

personnes à la réception portent des robes inspirées d’une carte séculaire de la ville où vous

vous trouvez, qui ont été créées par un créateur approuvé par Beyoncé.

L’hôtel est profondément enivrant, tissant des plaisirs sensoriels avec les siècles de

récits offerts par l’histoire culturelle d’Amsterdam et l’histoire de l’hôtel lui-même.

Il garantit une expérience novatrice, car la variété des offres ne peut simplement pas

exister ailleurs. L’escalier datant de l’époque de Louis XIV et entièrement restauré se dresse là

depuis des siècles. Les friandises autour du miel servies lors du thé de l’après-midi en juin sont

à base de miel provenant des ruches situées sur le toit du Librije’s Zusje, un restaurant deux

étoiles au Michelin au cœur de l’hôtel et l’un des plus raffinés de la ville.

Les innovations de Payer au Waldorf prolongent le souhait initial de Conrad Hilton de

servir les hôtes les plus difficiles à satisfaire : si vous pouvez rendre heureux un groupe de

touristes qui s’ennuient, alors vous avez trouvé la clé du bonheur, c’est certain !

London Hilton on Park Lane

Depuis un certain temps, Conrad Hilton souhaitait un hôtel à Londres qu’il pourrait

appeler sien.

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Le 26 juillet 1952, le New York Times rapporta que les directeurs du Grosvenor House,

un hôtel de luxe dans le quartier londonien de Mayfair, refusèrent l’offre de Hilton de racheter

leurs 500 000 parts, probablement pour ne pas voir cette célèbre institution britannique tomber

entre les mains des Américains. À peine un an plus tard, le 5 octobre 1953, le Times révéla que

Hilton avait annoncé des plans pour un éventuel hôtel de 550 chambres surplombant Hyde

Park, à moins 800 mètres du Grosvenor.

Les Britanniques semblèrent redouter une prise de contrôle hostile de leur hôtellerie par

les Américains. « Les téléphones et les radios dans chaque chambre, et les téléviseurs dans les

suites, menacent la tranquillité que les visiteurs trouvaient depuis des années dans les hôtels

de Londres », écrivit le correspondant à l’étranger Thomas F. Brady dans le New York Time.

« L’essor du tourisme américain ces dernières années a commencé à attirer le capital et le

management américains vers le secteur hôtelier en Grande-Bretagne, et l’attrait de l’argent

obligera les hôteliers britanniques à suivre les innovations établies par les envahisseurs, aussi

barbares qu’elles puissent paraître au beau milieu de la richesse des boiseries édouardiennes,

des lustres en cristal et des serviteurs révérencieux. »

Lorsque Hilton obtint finalement un lopin de terre, celui-ci était cher et petit

(5 000 mètres carrés), et pour avoir un retour sur investissement, Hilton devait faire entrer

autant de chambres d’hôtel que possible sur cette petite parcelle. Ceci nécessita évidemment

de construire en hauteur. De construire très très haut. Les plans initiaux de Hilton se sont attirés

les foudres des Anglais : des consultations publiques en passant par le véto de la mairie de

Londres. Les gros titres des journaux, comme « Plans d’hôtel-gratte-ciel attaqués : le symbole

de la suprématie du dollar », n’ont pas contribué à apaiser les tensions. En 1959, lorsque la

mairie revint sur sa décision, la réponse rapide de Hilton fut de construire, et de construire vite.

Se dressant fièrement à 100 mètres de hauteur, le London Hilton on Park Lane était la

plus haute structure de la ville, la première à faire de l’ombre à la cathédrale Saint-Paul. Il a

même été dit que l’entourage de la Reine manifesta les craintes de Son Altesse Royale que les

hôtes puissent apercevoir le jardin du palais de Buckingham.

C’était également le plus grand hôtel d’après-guerre en Europe lorsqu’il ouvrit ses portes

le 17 avril 1963, abritant cinq bars, cinq restaurants et un hall charitablement qualifié de « trop

petit et trop bas. » Les chambres regorgeaient de conforts américains « barbares ». « Un

système de climatisation réglable permettait de chauffer ou rafraîchir chaque chambre. Des

systèmes de contrôle à distance permettaient de faire fonctionner des radios et téléviseurs

intégrés dans les coffres en noyer de chaque chambre. Les quatre programmes de radio étaient

une vraie nouveauté à l’époque. », écrit Andreas Augustin, auteur de voyages. Une kyrielle

d’opérateurs téléphoniques répondaient aux 88 lignes de l’hôtel, transférant les appels et

prenant des messages pour les hôtes absents, avertis d’un message par un voyant rouge sur le

téléphone de leur chambre à leur retour.

Tirant profit du phénomène Goldfinger en 1964, le directeur de la restauration Lim Ewe

Hin réinventa l’un des bars qui fut baptisé le 007 Night Spot du Hilton, aménagé avec des

accessoires du studio de cinéma. On y retrouvait aussi des touches temporaires du film :

l’acteur américano-japonais Harold Sakata, qui interprétait Oddjob, l’homme de main du

principal vilain Auric Goldfinger, y passa les premières semaines. Oddjob était vêtu de son

costume d’origine dans le film, complété d’un chapeau melon bordé d’acier, et avait pour

mission d’accueillir les hôtes aux ascenseurs et de les escorter jusqu’au bar.

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Sa boisson exclusive ? Des martinis secoués, et non mélangés, bien sûr.

Même dans ce contexte, il est clair que l’hôtel portait son identité britannique comme un

blazer emprunté plutôt qu’un costume parfaitement taillé, incapable de cacher les

occasionnelles mouchetures américaines : les étages de l’hôtel, par exemple, étaient à l’origine

indiqués dans un style américain, désignant le niveau du lobby comme 1 et non rez-de-

chaussée. Le dîner n’était pas accompagné de vin, comme cela est la tradition en Europe.

C’était l’Amérique, la vraie, mais de façon flexible ; le gros défi a donc été de créer un

mélange culturel, un lieu où des gens de tous horizons se sentiraient à l’aise.

À savoir, au London Hilton on Park Lane, Augustin écrit : « En 1963, il y avait un trio de

musiciens hongrois au restaurant international qui divertissaient et chantaient la sérénade aux

clients. Les uniformes et les airs des musiciens changeaient après quelques mois pour

correspondre au thème mis à l’honneur, à la décoration et aux menus du restaurant. Alors que

le restaurant changeait d’européen à méditerranéen, de nord-américain à sud/central-

américain, les musiciens passaient de violonistes viennois en queue-de-pie, à gondoliers

italiens, guitaristes espagnols, mariachis mexicains ou cowboys violonistes.

Parmi d’autres hôtes célèbres ayant fréquenté l’hôtel, on compte des artistes (Sammy

Davis Jr., Ray Charles), des acteurs (Peter Ustinov, Telly Savalas, Raquel Welch, Michael

Caine, John Cleese), des play-boys (Hugh Hefner), des lauréats du prix Nobel de la paix et

d’autres acteurs devenus présidents (Ronald Reagan). Tout de suite après la mission Apollo

ayant envoyé les premiers hommes sur la lune, Air Force One, l’avion du président américain

Richard Nixon, déposa Neil Armstrong, Buzz Aldrin et Michael Collins à Londres, où,

accompagnés de leurs épouses, ils séjournèrent au Hilton on Park Lane.

Lorsque vous créez un espace chaleureux pour une telle diversité d’hôtes, vous gagnez

le jackpot culturel, en offrant un lieu qui peut à la fois apaiser et inspirer.

La recherche soutient la valeur de la juxtaposition culturelle. Au cours d’une étude, des

étudiants américains ont été divisés en groupes auxquels on a présenté divers éléments

culturels, pendant 45 minutes de créativité. Chaque participant visionna quatre vidéoclips,

quatre bandes-annonces de films et 160 images de décorations, d’architecture, de vêtements

ou encore de design. Leur propre créativité a ensuite été testée : réimaginer le conte de

Cendrillon pour des enfants turcs d’une manière aussi vivante et unique que possible, une

tâche nécessitant de trouver des analogies créatives.

Dans la situation de créativité de référence, les étudiants ne virent rien de créatif venant

amorcer leur processus ; ils n’avaient qu’à venir au laboratoire pour réaliser les tâches de

créativité. Les autres étaient divisés en quatre groupes. Un groupe d’étudiants visionna

45 minutes des produits les plus créatifs disponibles dans leur propre culture américaine ; leur

créativité n’était que légèrement supérieure à celle du groupe de contrôle. Un autre groupe

visionna 45 minutes de produits créatifs proposés en Chine ; leur créativité s’avéra légèrement

supérieure à celle du groupe de contrôle, mais était égale au groupe de référence.

Néanmoins, deux autres groupes ont effectivement montré des améliorations. Dans une

situation que nous appellerons le « buffet », les participants observèrent une série de produits

culturels, alternant entre chinois et américains, comme une robe chinoise suivie d’une robe

américaine, puis un monument chinois suivi d’une architecture américaine. Dans un autre

groupe que nous appellerons « mash-up », les participants visionnèrent des articles combinant

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des éléments des cultures américaine et chinoise, comme les hamburgers au riz de

McDonald’s.

L’expérience suggère qu’observer les cultures côte à côte développe la créativité. Les

juges ont noté que les sujets des situations buffet et mash-up ont montré de plus hauts niveaux

de créativité que les autres. La créativité s’appuie sur la juxtaposition d’éléments, le

changement de perspectives, le floutage des frontières et la génération de nouvelles variations

sur des thèmes connus.

Depuis son séjour dans un pensionnat du Nouveau-Mexique, Hilton n’a cessé de veiller

à ce que ses hôtes se sentent comme chez eux. Mais dans des établissements internationaux,

des gens provenant d’une multitude de cultures et de pays recherchent tout le confort d’un

chez-soi, et les faire se sentir chez eux crée des effets intéressants. De nombreux hôtels

internationaux Hilton ont montré une esthétique créative ou des offres de services naissant de

la juxtaposition de cultures.

Au Hilton d’Istanbul, des responsables étrangers supervisaient la majorité des huit bars.

Le Roof Bar était à l’origine un lieu incontournable pour l’élite d’Istanbul. Après des rénovations

à la fin des années 1960, il rouvrit en 1971 sous le nom de Cloud 9 Disco et devint la toute

première discothèque d’Istanbul.

Le Karagöz Bar, établissement turc traditionnel, fut également supprimé pendant cette

série de rénovations. Un architecte se rendit quelques mois à Londres pour un pèlerinage de

design pour Hilton, afin d’étudier les établissements anglais. Le résultat de ce voyage ? Le

Pilsen Pub, évoquant un pub anglais typique et entièrement construit en bois. Sa boisson la

plus servie, la bière pression, était à moitié prix entre 17 h 00 et 19 h 00, ce qui lui valut la

distinction de devenir le premier « happy hour » de la ville.

Cette étrange juxtaposition culturelle et ce jeu sur les éléments culturels déprécient-ils

l’histoire ? La notion d’authenticité est simplement un point de vue, pas un fait : les cultures ne

cessent d’évoluer et sont soumises à l’interprétation de chacun. Jouer avec les frontières

culturelles dans le plus grand respect peut élargir notre exposition à d’autres façons de vivre et

nous rendre plus créatifs, rendre l’étranger moins étranger, mettre en valeur nos liens et faire

que nous nous sentions tous chez nous.

Depuis le tout début, Conrad Hilton a été considéré comme un expert pour faire que les

autres se sentent aussi à l’aise que s’ils étaient chez eux. La pièce manquante du puzzle qu’il

trouva ? Offrir la crème de la crème du confort, pour que les gens puissent facilement contrer

les effets de la fatigue et de l’épuisement mental, et repartir du bon pied. Les voyageurs doivent

revenir à ce sens de l’équilibre mental avant de vraiment pouvoir tirer profit des expériences

extraordinairement enrichissantes du voyage.

Le concept « élargir et construire » suggère que les hôtels peuvent porter cette joie et ce

plaisir à un autre niveau, en cherchant un sens encore plus profond à tous les détails. Les

opportunités de personnaliser les expériences, même par des choix simples, peuvent intensifier

les liens sociaux avec ceux qui nous accompagnent lors de nos voyages. Les expériences

partagées paraissent simplement plus enrichissantes.

Les résultats de l’étude examinant les effets de l’exposition culturelle sur la créativité

sont clairs – la créativité se produit lorsque l’on considère différentes cultures en même temps :

la juxtaposition est meilleure ! La coordination est meilleure ! Nous pouvons transformer des

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plaisirs culturels en étincelles de joie et de créativité en les ancrant dans un territoire connu (la

vodka), puis en ajoutant une variation d’une autre culture (infusée au chat masala). Vous

pouvez également susciter l’intérêt en juxtaposant des éléments de différentes époques en

ancrant un plaisir culturel dans un territoire connu (robe contemporaine) et en mélangeant cela

avec une variation d’une autre époque (imprimée d’une carte ancienne).

Voir ces juxtapositions nous permet de relier des points entre les cultures, et les

différentes époques, en nous donnant un point de vue différent sur notre propre culture, que

nous voyons comme une variation d’un thème plutôt que le centre de l’univers. L’un des plus

grands bénéfices des voyages est qu’ils accroissent notre capacité d’écoute et notre

sensibilisation, pour élargir et construire notre monde. Et si nous pouvons y arriver avec des

cocktails d’inspiration culturelle et de superbes robes, tout le monde y gagne.

Hilton a toujours voulu que chacun de ses hôtels ait une personnalité unique,

individuelle. À l’étranger, ceci est souvent possible en alliant des éléments de design à la

culture du pays d’accueil et des hôtes. Aux États-Unis, cela peut être aussi simple que de

réfléchir au passé dans le présent. Nous pouvons nous rapprocher de ce que nous

connaissons, avant de nous lancer dans l’inconnu ; une bonne expérience, à la fois

réconfortante et exigeante.

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Chris Silcock : serveur à l’AI Guru Après un diplôme en informatique, Chris Silcock choisit de passer une maîtrise dans un

domaine moins lucratif, la musique. Pour joindre les deux bouts, il passait ses soirées et ses

week-ends à travailler comme serveur au Hilton Watford en Angleterre.

« J’y ai vraiment aimé la communauté », raconte-t-il au sujet de ses débuts. « Vous

travaillez pendant des heures atypiques avec d’autres personnes qui travaillent pendant des

heures atypiques. Vous devenez donc amis et vous vous soutenez, car vous avez congé quand

tout le monde travaille. »

Après avoir passé sa maîtrise, le patron de Silcock l’approcha. « On m’a proposé un

travail et des responsabilités que je ne pensais pas mériter », admet-il. Il fut récompensé pour

son bon travail avec davantage de responsabilités, et cela n’était pas prêt de s’arrêter.

Envisagerait-il la possibilité, lui demanda-t-on, de devenir responsable des réceptions ?

À tout juste 21 ans, Silcock se retrouva chargé de gérer une équipe de dizaines de

personnes, servant des réceptions et des mariages comptant des centaines de clients. Il était

également le principal point de contact avec les clients et les interactions étaient intenses.

« Ces événements étaient extrêmement importants pour eux. » Il apprit les ficelles du métier

auprès d’un responsable plus expérimenté, qui lui apporta son soutien lorsque vint son tour de

prendre les décisions clés lui-même, n’offrant son avis que lorsque cela était nécessaire.

Quelques mois plus tard, son responsable lui proposa un autre poste, une expérience

d’apprentissage intense qui lui permettrait d’étendre ses compétences : on lui demanda de

gérer l’hôtel la nuit, en tant que responsable de nuit.

Silcock décrivit le poste de responsable de nuit comme un emploi « où vous apprenez

tellement, car parfois, pendant la nuit, vous êtes la seule personne de Hilton dans l’hôtel. Donc

qu’il s’agisse du service en chambre, d’une arrivée ou d’un problème dans une chambre, ou

quoi que ce soit d’autre, vous devez vous débrouiller. »

Après lui avoir présenté les avantages du poste, son responsable lui dit : « Et au fait,

vous commencez ce soir, car nous n’avons personne », se souvient Silcock en riant.

Peu importe le lieu, la division ou l’ancienneté, les promotions chez Hilton représentent

une récompense universelle pour le travail bien fait : plus de travail. Mais plutôt que d’exprimer

leur appréciation de la capacité de Silcock à servir des hôtes de réception en lui donnant plus

d’heures en semaine, ses patrons lui proposèrent un travail plus intéressant.

Silcock s’est finalement frayé un chemin jusqu’au niveau administratif, en gagnant une

expérience internationale en tant que chef de projet régional. « Pour la première fois, une

entreprise me payait pour voyager à travers l’Europe, c’était extraordinaire. Un pas de géant. »

Ses capacités l’emmenèrent sur un autre continent, où il accepta un rôle de formateur

qui consistait à voyager pour former des groupes locaux sur les systèmes centraux de

réservation et de tarification. Cette promotion fut présentée dans un contexte similaire au poste

de responsable de nuit, en mettant en avant un ensemble de filets de sécurité pour amorcer

l’inévitable courbe d’apprentissage.

Silcock fut envoyé au Hilton d’Alexandrie en Égypte, mais à son arrivée au Caire, cet

apprenti voyageur sauta naïvement dans un taxi en demandant à aller à Alexandrie.

« Il s’avère que c’est un trajet long de cinq heures », rit Silcock. « C’était au milieu de

nulle part et les routes n’étaient pas en très bon état. Je pensais qu’on m’emmenait au beau

milieu du désert et que c’en était fini pour moi », blague-t-il.

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En s’appuyant sur ses connaissances en informatique et les compétences de gestion

qu’il avait acquises au fil des années, Silcock forma les membres de l’équipe aux systèmes de

gestion des réservations et des recettes. Il apprit aux équipes comment charger leurs chambres

disponibles dans la base de données du centre d’appels et à faire varier les prix des chambres

de sorte à maximiser les profits.

Après avoir fait ses preuves sur un terrain de jeu plus grand, Silcock fut promu vice-

président en charge de la gestion des revenus. Il dut alors s’assurer que chaque hôtel Hilton

International suivait un système qu’il avait à plusieurs reprises piloté dans des hôtels comme

celui d’Alexandrie, en exécutant les logiciels et les stratégies permettant aux propriétaires de

maximiser leurs bénéfices.

Le titre actuel de Silcock de directeur commercial ressemble très peu à son premier titre

de membre du personnel de service des réceptions. Son équipe établit les prix de presque

880 000 chambres dans le système Hilton. Le modèle complexe de tarification à multi-facteurs

prend en compte des facteurs comme le lieu (Topeka ou Tokyo), l’enseigne (Embassy Suites

ou Waldorf Astoria), la période de l’année et les infrastructures (L’hôtel a-t-il un bar ? Un

parking ? Propose-t-il le petit-déjeuner gratuit ?). Des données et des analyses sont utilisées

pour créer des messages marketing régionaux qui adaptent le message de Hilton à des

événements locaux et gèrent le commerce électronique. Après le départ d’un hôte, son équipe

réalise également les sondages permettant d’évaluer si cet hôte a apprécié son séjour. Ses

responsabilités ont dépassé la supervision de deux douzaines de serveurs lors d’un mariage

pour diriger des milliers de personnes, situées aux quatre coins du monde. Aujourd’hui, il

travaille au siège de l’entreprise à McLean, en Virginie, sous la supervision directe du PDG de

Hilton, Chris Nassetta.

Expériences Positives au Travail Bien que le poste actuel de Silcock soit très éloigné de son poste d’origine, la nature

même de sa trajectoire chez Hilton est liée à celle de son fondateur en personne.

« Il inventa, par exemple, la pratique peu orthodoxe mais saine de rendre ses directeurs

d’hôtel presque autonomes sans exigences particulières, à part une expérience de responsable,

une honnêteté à toute épreuve et une pincée de zèle », écrit le biographe Whitney Bolton dans

The Silver Spade: The Conrad Hilton Story.

En 1969, le psychologue Mihaly Csikszentmihalyi commença à enseigner un séminaire

sur le jeu, en se demandant s’il pouvait comprendre pourquoi certaines expériences étaient plus

agréables que d’autres. Dans une étude déterminante, il appela de manière aléatoire des

personnes passionnées par leurs passe-temps, en leur demandant ce qu’elles faisaient et à

quel point elles aimaient cela.

Étonnamment, la satisfaction générale des gens n’avait rien à voir avec le temps

consacré au travail ou aux loisirs dans la semaine ; elle était liée aux heures passées dans un

état d’engagement actif, qu’il soit qualifié de loisir ou de travail. Lorsque nous entrons dans un

état que Csikszentmihalyi appela « flow » (un état « psychologique optimal »), l’expérience est

intrinsèquement gratifiante. Les expériences de flow se produisent au croisement des

exigences d’une situation et de nos capacités à y répondre, être capable de relever un défi

intéressant nous fait nous sentir en vie, mais pour que cela se produise réellement, nous

devons relever un défi de taille.

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Imaginez-vous en train de discuter avec des alpinistes du mont Csikszentmihalyi avec

un niveau de difficulté de 9. Si vous leur demandez d’escalader un sommet de niveau 4, ils

s’ennuieront. Pour impliquer les gens, vous devez leur demander de grimper un peu plus haut ;

vous demandez à cet alpiniste (niveau de difficulté 9) de dépasser légèrement son niveau de

confort (niveau de difficulté 10, voire 11). Mais pousser la demande trop loin (niveau de défi 13)

sera en revanche contre-productif ; l’alpiniste sera anxieux et plus susceptible d’abandonner.

Lorsque vous souhaitez impliquer les gens, vous devez calibrer les défis que vous proposez

aux employés en leur proposant une tâche qui n’est qu’à un ou deux pas de leur niveau de

compétence actuel.

Les responsables de Silcock semblaient bien connaître le manuel de Csikszentmihalyi.

Pour le dissuader d’une carrière dans l’informatique, ils lui présentèrent un défi (niveau de

compétence 4, niveau de défi 5) : pouvez-vous gérer deux douzaines de serveurs pour

satisfaire un client ? Après avoir maîtrisé cette tâche, mais avant de la maîtriser si bien qu’il

aurait commencé à s’ennuyer et à se détacher, ils lui proposèrent un nouveau défi : pouvez-

vous gérer l’hôtel tout seul ? Directeur de nuit était un nouveau poste, l’obligeant à apprendre

tout le fonctionnement de l’établissement (niveau de compétence 6, niveau de défi 9), mais

présenté dans un contexte indulgent. Le rythme de nuit plus lent lui permit d’affronter un

nouveau dilemme qui ne nécessitait pas de décision immédiate. Il pouvait tâtonner, prendre une

mauvaise décision et rectifier toute erreur avant même qu’une âme ne se réveille pour le petit-

déjeuner. L’un des aspects essentiels du flow est l’autonomie : la possibilité de choisir votre

vitesse de croisière.

Le poste de Silcock au niveau administratif lui demandait d’utiliser ses connaissances en

informatique, donc le défi pouvait être plus important, car ses compétences complétaient son

nouveau poste. Pendant qu’il voyageait, formait des groupes, les exigences étaient plus

élevées, mais les lieux éloignés où il organisait les formations lui rappelaient son poste de nuit :

loin de l’écran radar de l’entreprise standard, avec une certaine latitude, pour avoir le temps

d’expérimenter et de parfaire son système. Après avoir affûté ses compétences en apprenant à

de nombreux groupes à distance à bien faire leur travail, il fut prêt à passer sous le feu des

projecteurs en tant que vice-président en charge de la gestion des revenus.

Hilton encourage les responsables à offrir des promotions aux employés comme Silcock

qui aiment les défis. En faisant passer leur autonomie avant les directives standardisées,

l’entreprise réveille une motivation intrinsèque ; le flow et l’engagement sont profondément

ancrés dans l’ADN de l’entreprise. Le flow se produit lorsque les gens se perdent complètement

dans la tâche, ce qui nécessite des objectifs clairs, un intérêt personnel, de la concentration,

une perte de timidité, un sens du contrôle du moment et un équilibre entre compétences

personnelles et les défis du moment. Combinés, ces éléments renforcent agréablement la

maîtrise en étendant notre sentiment du soi.

Le père de Conrad Hilton, Gus, a su insuffler à son fils un esprit d’entreprise dès son

plus jeune âge.

« Je vendais du bacon, du gruau de maïs, des haricots et du café dans le magasin de

mon père avant même de pouvoir vraiment voir le dessus du comptoir. » Tandis que les autres

enfants cherchaient à s’amuser, Conrad choisit d’apporter son aide aux entreprises familiales,

comptant un magasin, une maison de pension et plus tard, une banque.

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Un portrait de Hilton dans le New York Times datant de 1949 traite de son système de

gestion encourageant l’autonomie : « Conrad Hilton ne s’inquiète pas de tous les détails d’une

opération. Lorsqu’il confie un hôtel à un responsable, il lui donne une complète autonomie.

C’est pourquoi chaque unité est gérée différemment et a sa propre individualité. »

Chez Hilton, on plaisante souvent en disant : « La récompense pour un travail bien fait ?

Plus de travail ! » Mais il ne s’agit pas seulement de plus travail, il s’agit d’un travail plus

stimulant. Et cet autre défi lui est présenté de manière à ce que les employés réussissent plus

facilement, que ce soit gérer un hôtel loin des regards attentifs pendant le quart de nuit ou gérer

un établissement encore vide qui se prépare à faire son entrée en scène.

Sans surprise, l’étude montre que lorsque nous sentons que nous pouvons être jugés de

manière négative sur une tâche, cela saper notre motivation, notamment pour les tâches où

nous avons encore tout à prouver. Bien travailler nous donne la possibilité de relever le niveau

de défi suivant en toute sécurité. Après avoir maîtrisé ce niveau, nous pouvons nous aventurer

sur le devant de la scène et être vu appliquant nos nouvelles compétences pour exceller dans

un travail encore plus exigeant. En revanche, être observé pendant que nous réalisons des

tâches bien apprises améliore en réalité notre performance. Sentir que des louanges se

profilent nous donne une motivation supplémentaire, que ce soit sous la forme d’éloges ou

d’une promotion vers une prochaine tâche plus difficile.

Savonner, rincer, répéter.

Dianna Vaughan Dianna Vaughan connaît bien l’univers de

l’hôtellerie. À l’instar du fondateur Conrad Hilton, elle fit

ses premiers pas dans l’industrie avec l’entreprise

familiale dès son plus jeune âge. À l’âge de huit ans,

Vaughan aidait à accueillir les hôtes dans l’auberge de

sa tante Gladys à Houston.

Deux aspects du premier emploi rémunéré de

Vaughan en tant qu’auditrice de nuit ont permis de

façonner sa carrière.

« J’ai eu la chance d’avoir un directeur général

qui était une femme. C’était un excellent modèle, qui

m’a fait croire que si je travaillais assez dur, je pouvais

aussi devenir directrice générale », dit-elle. Vaughan

n’avait pas réalisé qu’il n’y avait pas de directrices

générales dans les grands hôtels de sa société de plus

de 300 chambres. Mais le simple fait d’avoir un patron

qui était une femme était suffisant pour que Vaughan parvienne à s’imaginer dans ce rôle, et ne

pas voir son sexe comme un obstacle.

Au cours de cette mission d’audit de nuit, entre 23 h 00 et 7 h 00, l’une des premières

directrices générales de Vaughan lui proposa une tâche supplémentaire. « Vous allez appeler

10 hôtels et voir s’ils sont complets, et le cas échéant, vous allez leur demander de vous

envoyer leurs clients. » Et je me souviens m’être dit en tant que membre d’équipe :

« Pourquoi ? Pourquoi aurais-je envie d’avoir plus de travail ? Je fais mes devoirs pendant mon

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service de 23 h 00 à 7 h 00, alors pourquoi voudrais-je appeler et faire venir plus de gens alors

que j’essaie de faire mes devoirs ? »

« Je suis revenue vers lui et lui ai dit : “Qu’est-ce que j’ai à y gagner ?” »

Sa patronne rit (« Ce que tu gagneras, c’est de garder ton emploi »), puis lui dit que si

10 personnes venaient voir Vaughan la nuit au lieu des cinq habituelles, elle gagnerait

10 pourcents sur les recettes supplémentaires ». Se sentir contrôlé - vous devez appeler

10 hôtels - est ce qui génère un sentiment de fatigue mentale et d’épuisement. Être

personnellement motivé par un résultat (« Je veux gagner plus ») nous permet de rassembler

plus d’énergie et de rester concentré, un élan de motivation qui entraîne un flow.

Les employés des autres services ont très vite demandé les mêmes avantages.

« Donc nous l’avons fait et nous avons enregistré des recettes énormes pour chaque

équipe, ainsi qu’une compétition amusante qui ajoutait un sentiment de jeu à l’argent

supplémentaire disponible dans nos poches », affirme Vaughan.

La remarquable carrière de Vaughan l’a menée d’auditrice de nuit, chef de réception,

directrice de la restauration, directrice générale adjointe, directrice des ventes, directrice

générale, directrice générale en charge de la gestion des revenus à plusieurs rôles

administratifs de vice-présidente. Plus récemment, elle lança deux nouvelles marques Hilton. La

première collection, la très chic Curio et Tapestry. Aujourd’hui, Vaughan occupe le poste de

vice-présidente senior et directrice internationale des All Suites de Hilton.

« Le cœur de l’hospitalité (et de l’industrie hôtelière), c’est d’ouvrir généreusement votre

porte et d’accueillir les gens, les aider lors de leur voyage », conçoit Vaughan. Aider les gens

lors de leur voyage ne concerne pas uniquement les hôtes, mais signifie aussi aider ses

collègues dans leur carrière. Ce sens de la solidarité a permis à Vaughan d’élargir ses contacts

sociaux dans toute l’organisation.

« Je peux immédiatement joindre n’importe qui dans l’entreprise par e-mail ou

téléphone », explique-t-elle. « En retour, si quelqu’un a besoin de moi, je reviendrai vers lui dès

que possible. La vie et le travail consistent à créer une banque de relations. » Ces autres

relations peuvent vous aider lors de vos nouveaux défis, vous aidant à accéder au niveau de

compétence supérieur en vous offrant un soutien.

Triptyque de Houston : un ingénieur, un chef et un directeur

général affrontent un ouragan Les habitants du Texas sont exceptionnellement intéressés par tout ce qui est grand. Ils

aiment penser que leur État est le plus grand, ignorant délibérément que l’Alaska porte ce titre

depuis 1959. La plus grande ville de ce grand État est Houston. Et le plus grand hôtel dans

cette grande ville : le Hilton Americas-Houston. Cet établissement de 1 200 chambres, en partie

développé grâce aux fonds d’investissement de la ville, se trouve juste à côté du palais des

congrès. Comprendre comment Hilton permet à ses employés d’innover sur une scène aussi

grande nous montre comment une entreprise parvient à continuellement engager et motiver ses

employés.

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Cet hôtel se trouve non loin de l’épicentre de l’histoire de Hilton, lorsque Conrad Hilton

acheta son premier hôtel, le Mobley à Cisco au Texas, en 1919. En 1925, il ouvrit le premier

hôtel qu’il construisit entièrement à Dallas.

Mo Khan

Mo Khan débuta sa carrière chez Hilton il y a trente ans en tant qu’ingénieur en chef

adjoint ; il est aujourd’hui directeur des opérations de l’établissement au Hilton Americas-

Houston. Khan est originaire d’Inde, issu d’une famille très modeste. Il raconte que son

expérience personnelle a semé les graines de son obsession professionnelle depuis plus de

trente ans : l’efficacité. Aujourd’hui, il est très soucieux de trouver et corriger les inefficacités.

Khan est spécialisé dans l’économie d’énergie et la préservation de l’environnement.

« Je déteste les déchets », dit-il. À son poste actuel, il est chargé de toute l’infrastructure

du bâtiment, de la rénovation, la construction et l’ingénierie à l’entretien des systèmes

électriques, de plomberie et de climatisation, ainsi que de la gestion de projets et la supervision

des budgets.

En d’autres termes, son poste actuel lui offre une multitude d’opportunités pour mettre à

profit sa passion : identifier et éliminer les déchets.

Après 11 années à Houston dans deux établissements Hilton, il déménagea sur la côte

nord-ouest du Pacifique et passa sept ans en qualité de directeur technique du Seattle Airport

DoubleTree by Hilton avant de revenir à Houston. Son intérêt depuis l’enfance pour la

préservation s’est approfondi au cours de son séjour sur la magnifique côte nord-ouest du

Pacifique.

Le Hilton Americas-Houston regorgeait de technologies pour stimuler l’efficacité, même

lorsque les hôtes ne les utilisaient pas, mais quelques choix inefficaces ont malgré tout été faits

lors de la conception des équipements opérationnels de base de l’hôtel. Khan tenta de les

éliminer avec beaucoup d’ardeur, un à un. Par exemple, chaque chambre de l’hôtel est dotée

de capteurs qui détectent lorsque les chambres sont vides et qui ajustent le thermostat, pour

éviter de souffler de l’air climatisé dans une chambre vide.

L’une de ses premières mesures pour arrêter le gaspillage : les lumières. Depuis

l’arrivée de Khan, presque 7 000 ampoules LED ont été installées pour éclairer diverses parties

de l’établissement de Houston, notamment son hall, son centre de conférences et la terrasse de

la piscine. La ville de Houston a même offert à Hilton un chèque de plus de 66 000 $. « Cela a

pratiquement tout payé ! », jubile-t-il. (Des plans sont en cours d’élaboration pour transformer

l’éclairage de toutes les chambres en ampoules LED lors d’une future rénovation.)

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Bien que le décret de Conrad, « nous ne lésinerons pas sur les draps », soit toujours

suivi, celui-ci a un prix. L’eau nécessaire au lavage des draps est une grande source de

gaspillage, notamment lorsqu’il s’agit de laver les serviettes et les draps d’un hôtel de

1 200 chambres. Khan découvrit une unité de recyclage de l’eau qui récolte et purifie 80 % de

l’eau évacuée par les machines à laver. L’élimination des peluches, la filtration du carbone et le

traitement UV antibactérien donnent une eau si propre que son installateur se met souvent en

scène buvant un verre d’une eau fraîchement purifiée qui avait précédemment servi à laver des

draps.

Lorsque l’eau propre et recyclée sort du système, prête pour un autre cycle de lavage,

elle est 40 degrés plus chaude que l’eau de la ville. Ce système de réutilisation signifie que des

millions de litres d’eau ont seulement besoin d’être chauffés de 40 degrés supplémentaires

simplement (et non de 80 degrés, comme en temps normal) avant le début du lavage. Cela

engendre d’immenses économies d’énergie, en plus d’économiser d’immenses quantités d’eau

puisqu’elle est réutilisée six fois.

Le système a été installé en septembre 2011 et rentabilisé en quelques mois ; deux ans

après, il a déjà permis à l’hôtel d’économiser plus de 750 000 $. Le Hilton New Orleans utilise

également ce système aujourd’hui et Khan a passé le message à ses collègues

d’établissements Hilton à San Francisco, en Floride, et à Dubaï.

Le Hilton Americas-Houston est rempli de technologies qui maximisent l’efficacité

énergétique et Khan s’efforce de réduire les autres sources de gaspillage. En plus de ce

système, il a également installé des systèmes de climatisation et de pompage de l’eau ayant

permis à l’hôtel d’économiser des milliers de dollars, tout en diminuant son impact sur

l’environnement.

Le système de climatisation de l’hôtel se compose de trois cuves massives et d’une

quatrième, légèrement plus petite, toutes conçues pour délivrer de l’air frais dans les chambres

et les salles de conférence. Malheureusement, elles n’étaient pas prévues pour contrôler la

capacité ou réguler la sortie. Quand Khan est arrivé, deux des grandes cuves étaient

structurellement dédiées à alimenter le hall et les étages de conférence en air frais, tandis

qu’une autre cuve, plus petite, était consacrée aux chambres.

« Nous avions trois refroidisseurs qui fonctionnaient 24 h/24, 7 j/7, quelle que soit la

température extérieure. C’était une mauvaise installation », explique Khan.

Avec l’aide de consultants externes en chauffage et climatisation, Khan a pu relier les

quatre refroidisseurs au moyen d’un collecteur commun, qui permettait à n’importe quel

refroidisseur de produire de l’air frais pour n’importe quelle partie de l’hôtel. Aujourd’hui, en

hiver, tout l’hôtel peut être rafraîchi simplement avec le petit refroidisseur, plutôt que trois.

Plus surprenant encore, Khan découvrit que même lorsque les températures flambaient

en été à plus de 37 degrés, un grand et un petit refroidisseur suffisaient pour rafraîchir tout le

bâtiment. Leur facture d’électricité mensuelle diminua de 100 000 $.

« Voici un fait intéressant », raconte-t-il. « Trois entreprises différentes sont venues nous

proposer un audit d’énergie gratuit. » Ces entreprises paient leurs audits en découvrant des

façons d’améliorer l’efficacité énergétique du client, puis en vendant ces idées au directeur

général. Mais ces cabinets d’audit ont été extrêmement déçus au Hilton Americas.

« Tous les trois vinrent nous dire que notre bâtiment ne laissait pas de marge de

manœuvre, qu’il était donc impossible de procéder à des améliorations. »

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Khan est un ingénieur qui adore l’environnement et déteste le gaspillage, et voit donc

chaque victoire sur les déchets et l’inefficacité comme précieuse. Il semblait tout aussi exalté

par le chèque de 66 000 $ destiné aux ampoules LED que par la réorganisation des

refroidisseurs qui permit à l’hôtel d’économiser plus d’un million de dollars par an sur ses

factures d’électricité.

Les projets de Khan l’ont amené de petits hôtels simples à la révision intégrale de l’un

des plus grands hôtels de l’écosystème Hilton, et ses anciens postes avaient déjà eu leur lot de

problèmes à résoudre. Mais Khan adore résoudre des problèmes. Il est à l’affût du moindre défi

et se donne du travail supplémentaire lui permettant de s’approcher de l’état d’engagement actif

où le temps disparaît que le chercheur Csikszentmihalyi qualifie de flow.

Malgré un sens inné de la curiosité intellectuelle, tout ce qui sort du champ des

problèmes qu’il s’est engagé à résoudre ne capte pas son attention. Lorsqu’on lui demande ce

que font les sous-marques d’Hilton dans le cadre de cette initiative environnementale, il répond

« je ne sais pas » et quand on lui parle des activités de la concurrence, il réplique « je m’en

fiche ! »

Ce n’est pas un homme qui répond aux signaux sociaux, mais un homme qui répond

aux signaux internes, qui tire une grande fierté à rendre son travail plus complexe. La difficulté à

laquelle font face Hilton et d’autres entreprises à fort esprit entrepreneurial réside dans le fait

qu’en permettant aux employés de toujours poursuivre leurs tendances individualistes et

entrepreneuriales, ils ne parviennent souvent pas à atteindre la standardisation, même pour des

gains évidents. Chaque hôtel dans le pays devrait avoir un système de refroidissement conçu

de la manière dont Mo Khan a redessiné son système. Chaque hôtel. Mais les entreprises

entrepreneuriales résistent souvent à la normalisation. C’est à vous et vous seul de

constamment inventer et réinventer, mais puisque tout le monde n’est pas un ingénieur aussi

acharné et intelligent que Mo Khan, standardiser ce qu’il a déjà appris serait certainement utile.

Comment gérer la tension entre le fait de créer suffisamment d’espace pour la créativité

tout en relevant simultanément la barre pour tout le monde ? La réponse vient d’un groupe

naturellement iconoclaste : les chefs. Les chefs qui se targuent de travailler sans recette ; les

chefs qui insistent sur « un petit peu de ceci, un petit peu de cela » ; les chefs qui se sentiraient

insultés par la notion de devoir tout mesurer avec précision.

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Chef Ruffy Sulaiman

« Ruffy a mis en place une importante activité de réceptions et de conférences »,

explique le directeur général du Hilton Americas-Houston, Jacques D’Rovencourt, au sujet du

chef Ruffy Sulaiman. « Ses clients lui sont très fidèles et reviennent régulièrement, dépensent

beaucoup d’argent chez nous, pour sa créativité et sa cuisine. » D’Rovencourt n’est pas le seul

à faire les louanges du chef Ruffy.

Daniel Yergin, auteur lauréat du prix Pulitzer pour The Prize: The Epic Quest for Oil,

Money, and Power, fonda Cambridge Energy Research Associates (CERA) en 1983.

Aujourd’hui, le congrès annuel de CERA sur cinq jours attire tous les acteurs de l’énergie

mondiale. (La seule fois où le Hilton Houston-Americas accueillit deux présidents en même

temps, Bill Clinton et George W. Bush, fut pendant le congrès de CERA).

Lorsque la conférence a abordé la question de la « disruption », une idée est venue à

l’esprit du chef Ruffy en écoutant les organisateurs de la conférence discuter de l’évolution

surprenante du secteur : et si des expériences novatrices étaient présentées aux hôtes lors de

l’un des dîners ? Il mit donc sur pied un dîner pour la conférence, organisé autour de cinq tables

de buffet, chacune d’entre elles réservant aux invités une innovation surprise différente.

L’une des tables proposait des mets de l’Himalaya, mais pour y goûter, les invités

devaient adopter les coutumes de la région en s’asseyant sur des tapis importés et en

mangeant avec les doigts.

D’autres surprises provenaient de la nourriture elle-même. Une table proposait de la

« moelle osseuse » grillée tout juste sortie du four. En mordant dans la moelle, les invités

recevaient un choc : il s’agissait en fait de mousse de homard.

Une autre table servait des hamburgers en apparence ordinaires. Ils avaient l’air

appétissants, bien sûr, mais rien d’extraordinaire. L’innovation était nichée dans les détails : ce

bœuf alléchant s’est révélé être de la protéine végétale.

L’offre de desserts avait des airs de laboratoire, avec des liquides faisant des bulles

dans des bocaux en verre. Des imprimantes alimentaires ont été utilisées pour confectionner

des médaillons en chocolat.

« Nous les avons bluffés », sourit Sulaiman.

Ce type de créativité n’est pas un accident. Sulaiman a choisi Hilton parce que le

challenge faisait appel à sa facette d’entrepreneur. Il a travaillé dur et sans relâche auprès de

ses pairs afin de s’assurer que ses menus soient toujours bien pensés et adaptés au client.

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Né au Nigeria, le chef Ruffy a commencé sa carrière culinaire par une expérience de

douze ans dans les hôtels Adam’s Mark, aujourd’hui disparu. Puis, un hôtel d’Orlando lui offrit

son premier poste de chef de cuisine, de 1992 à 1997. Il déménagea alors au Texas, où il

travailla en tant que chef de cuisine dans des complexes touristiques et des country clubs. Mais

cette ambiance n’était pas sa tasse de thé.

Sulaiman essayait d’entrer chez Hilton lorsqu’il trouva une offre de chef de cuisine au

Hilton Americas-Houston, un magnifique nouvel hôtel en construction. Il ne décrocha pas le

poste de chef de cuisine, mais se vit offrir et accepta celui de responsable des banquets plutôt

que chef de cuisine d’un autre hôtel à Norfolk, en Virginie. Son choix était motivé par le fait que

de nombreux membres de l’équipe en poste chez Hilton depuis de nombreuses années avaient

affirmé à Sulaiman qu’il pourrait s’y épanouir et y faire carrière. Il choisit Hilton parce qu’il voulait

travailler pour une société où il pourrait se sentir « chez lui ».

Le chef Ruffy arriva chez Hilton en 2003, jouant un rôle clé en tant que membre de

l’équipe initiale du Hilton Americas. Deux ans après avoir accepté le poste de directeur des

banquets, il fut promu sous-chef de cuisine. Il y a huit ans, il fut nommé chef de cuisine. Le

poste de ses rêves.

Tous les chefs du système n’ont pas le talent et la créativité de l’équipe du chef Ruffy.

La qualité varie grandement entre les hôtels. « La nourriture et les boissons n’étaient pas au

niveau auquel on pouvait s’attendre dans l’une des principales sociétés hôtelières du monde »,

a-t-il déclaré.

Après avoir remarqué de nombreux écarts entre les plats, une mise à niveau fut lancée

à travers toute la société afin de modifier le programme d’aliments et de boissons chez Hilton,

et d’en améliorer la qualité.

La première étape de la mise à niveau consista à embaucher un nouveau chef cuisinier :

Marc Ehrler, chef ayant fait ses classes dans les hôtels de luxe du monde entier. Bien que les

clients ne se plaignaient que rarement de la nourriture chez Hilton, ils n’étaient pas non plus

très impressionnés. Et Ehrler voulait que les clients en aient plein la vue.

Ehrler forma un groupe, le Conseil culinaire d’entreprise Hilton, composé de membres

« C1 », afin d’élever les normes du groupe. Chacune des onze régions se vit demander de

choisir un chef vedette, reconnu pour sa qualité, sa cohérence et son envie de transmettre, afin

de la représenter auprès du Conseil.

Sulaiman fut choisi pour représenter sa région. Le groupe de virtuoses de la cuisine se

retrouva pour discuter des plats et des menus idéaux, comparer leurs notes régionales, réfléchir

à de nouvelles options et cuisiner ensemble. (Les auteurs souhaitent indiquer qu’ils sont

disponibles pour participer aux prochaines réunions C1)

Une fois achevé, le nouveau menu fut envoyé dans tous les hôtels Hilton du pays. Plutôt

que de faire travailler les chefs le soir pour les mettre à niveau, le conseil C1 développa des

supports, comme des vidéos, afin d’enseigner aux chefs les techniques culinaires utilisées dans

les nouveaux plats. Les onze chefs du Conseil furent chargés d’enseigner et d’évaluer les

compétences dans toutes les cuisines de leur région respective.

Le chef Ruffy se rendit dans 18 hôtels du Texas, de la Louisiane et de l’Oklahoma afin

d’aider à la formation des chefs sur le nouveau menu. La formation continua pendant des mois

avec la tenue d’ateliers dans les hôtels et des apprentissages vidéo.

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Le conseil C1 aurait facilement pu se transformer en une bureaucratie peu attrayante :

« Pourrions-nous ajouter une patate douce à notre panure à la noix de pécan de notre menu de

Thanksgiving ? » « Allez chercher un formulaire rose près de l’horloge pour présenter votre

requête au C1. Une fois que vous aurez obtenu les signatures nécessaires, vous recevrez une

réponse sous six semaines. »

Au lieu de cela, dès que le C1 sentit que les compétences s’étaient suffisamment

améliorées dans les hôtels, il prit ses distances. Et ensuite ? Une explosion de créativité !

Ils organisèrent un concours du « Plus beau plat » dans tous les hôtels.

Grâce à cela, affirme le chef Ruffy : « nous avons pu découvrir de nombreux talents au

sein de la société. Certains des plats gagnants, que nous avons ensuite mis sur la carte, ont été

créés par des sous-chefs ». Ils récompensèrent donc le talent plutôt que le poste ou

l’ancienneté. Ils laissèrent les membres des équipes fixer leurs propres objectifs et relever le

défi !

« Maintenant, les hôtels sont indéniablement fiers. Ils ont maintenant leur propre menu

de base. Ce n’est plus quelque chose qui leur est imposé. Cela fait partie de leurs créations, et

c’est encore mieux ! »

Les cuisines sont des endroits intrinsèquement créatifs attirant des talents iconoclastes,

mais le travail exigé aux cuisiniers juniors implique des processus de préparation fastidieux et

répétitifs, proches du travail à la chaîne. Beaucoup sautèrent donc sur l’occasion de se mettre

au défi en faisant ce qui leur avait plu au départ dans ce métier.

« Même certains chefs participèrent », affirme Sulaiman. « Cela donna à tous l’occasion

de se faire connaître et de faire preuve de créativité. »

Directeur général Jacques D’Rovencourt

Après avoir obtenu son diplôme d’administration hôtelière à l’Université du Nevada-Las

Vegas, Jacques D’Rovencourt suivit le Programme de développement professionnel Hilton

en 1989. Après son premier poste de responsable adjoint du restaurant au Hilton Irvine en

Californie, il travailla dans des hôtels de Minneapolis, Chicago, Long Beach et Baltimore. Il

commença à travailler au Hilton Americas-Houston en tant que directeur en 2011. Puis il fut

nommé directeur général en avril 2016.

L’ouragan Harvey toucha terre le 25 août 2017. Il fut déclassé au stade de tempête

tropicale le 26 août, les vents de plus de 160 km/h ayant diminué jusqu’à 64. Malgré cela,

Harvey s’arrêta au-dessus de Houston le 27 et y déversa un an de pluie en moins d’une

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semaine. Les précipitations de Harvey atteignirent plus de 125 billions de litres, soit davantage

que n’importe quelle autre tempête dans l’histoire des États-Unis – pour construire un cube

suffisamment grand pour contenir toute l’eau déversée par Harvey, il faudrait que chacun de

ses côtés fasse 5 km de long. L’ouragan entraîna plus de 125 milliards de dollars de dégâts.

Hilton était préparé le mieux possible à une catastrophe naturelle. Dès l’approche de la

tempête, l’équipe de direction organisa des réunions quotidiennes afin de s’assurer de disposer

de suffisamment de provisions et de garder le contact avec tous les membres de l’équipe. Des

recommandations et une feuille de route existaient bien, mais l’équipe savait qu’ils auraient

besoin d’agir en toute fluidité et de façon conjointe.

La feuille de route contenait de nombreux éléments utilisés par la direction pour

organiser sa réponse à la catastrophe naturelle sur le point de se produire, comme commander

des provisions, remplir les baignoires et préparer des stocks d’eau. Mais la portée de Harvey

dépassa rapidement tout ce que la feuille de route avait prévu, et de nombreuses décisions

relevèrent alors du bon jugement des membres de l’équipe.

D’Rovencourt et son comité exécutif craignaient que la tempête n’exige la contribution

de plus de personnes que celles prêtes à travailler après la tempête, compte tenu du fait

qu’elles ne pourraient sans doute pas rentrer chez elles auprès de leur famille pendant

plusieurs jours.

D’Rovencourt indiqua qu’il ne s’opposait pas à ce que quelques membres de l’équipe

logent à l’hôtel avec leurs familles, mais qu’il allait consulter le comité exécutif (les directeurs de

tous les départements, qui comprenaient Mo Khan de l’équipe d’ingénieurs et le chef Ruffy).

Ce n’était pas la première fois que des membres de l’équipe logeaient à l’hôtel, bien que

cela n’arrivait pas souvent. Si un membre du personnel avait fait deux services d’affilée et que

son responsable craignait qu’il ne s’endorme sur le trajet du retour, ou si les routes étaient

dangereuses en raison d’une tempête de verglas, lui offrir une chambre devenait une évidence.

Mais ces situations restaient rares et à petite échelle.

Permettre aux familles de loger à l’hôtel constituait donc un changement de politique

sans précédent à Houston. Aucun autre hôtel de la région ne l’avait fait jusqu’alors, à leur

connaissance. Mais ils faisaient face à un défi inédit, et il ne faisait aucun doute que davantage

de personnes seraient prêtes à travailler après l’ouragan si leurs familles pouvaient loger avec

eux.

Quand la discussion eut lieu, elle se révéla étonnamment courte pour un écart si

important par rapport à la procédure standard. « Nous sommes tous tombés d’accord

immédiatement sur le fait que c’était ce qu’il fallait faire », affirma D’Rovencourt.

On lui demanda s’il n’y avait eu aucun débat, aucune polémique ? « Aucun », répondit-il.

Le comité exécutif alla encore plus loin : il permit au personnel de venir avec ses

animaux de compagnie. Chiens, chats, oiseaux, tous reçurent l’autorisation de loger avec les

membres de leur famille. « Personne ne voudrait loger ici pendant quatre jours en se faisant du

souci pour son chien », affirma l’un des membres du comité exécutif. Et si un animal de

compagnie venait à souiller l’un des luxueux tapis des chambres ? « Nous nous sommes dit

que nous réglerions ce problème plus tard », répondit-il, après que les membres de l’équipe et

leurs familles auront survécu à l’ouragan.

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D’Rovencourt autorisa son personnel à rester à l’hôtel avant de penser à obtenir

l’autorisation du vice-président régional.

L’un des chefs logea à l’hôtel avec son épouse, cheffe dans un autre hôtel. Elle aurait pu

loger dans l’hôtel où elle travaillait pendant l’ouragan Harvey, mais elle n’aurait pas pu y

emmener son époux. Au Hilton, ils étaient tous les deux les bienvenus. Un employé sur trois

parmi les 600 membres du personnel se porta volontaire pour loger à l’hôtel. Les membres des

familles répondirent avec générosité. Les épouses et les enfants firent le service à la cafétéria.

Les adultes et les adolescents se portèrent volontaires à la blanchisserie ou auprès de la Croix-

Rouge au centre de conférences situé en face.

Les cuisines nourrirent tout le monde. Tout le monde ! Les membres des services de

police de Houston, le personnel et leurs familles mangèrent tous gratuitement à la cafétéria de

l’hôtel pendant l’ouragan. Quand de nouvelles bouches à nourrir arrivèrent, de nouvelles tables

furent dressées, et 500 personnes furent servies à chaque repas.

« La première nuit, l’hôtel passa de 500 couverts à 1 000. Et avant que je ne m’en rende

compte, nous étions passés à 3 000 », raconte le chef Ruffy. « J’ai travaillé près de deux

semaines. Donc oui, nous avons accompli notre devoir. Mais en fin de compte, heureusement

que nous étions là pour prendre soin de tous ces gens ».

L’hôtel devint un centre de commandement pour deux unités des services de police de

Houston, dont les installations furent inondées. L’hôtel les nourrit également. « Ils ont pu petit-

déjeuner, déjeuner et dîner gratuitement tous les jours. Nous nous sommes assurés que tout le

monde reçoive un repas chaud par jour », remarque Lula Broussard, le responsable de la

cafétéria de l’hôtel. Au total, pendant l’ouragan, Broussard et son équipe servirent plus de

25 000 repas à toutes les personnes travaillant dans l’hôtel.

L’innovation et le travail d’équipe permirent de surmonter les obstacles initiaux auxquels

on pouvait s’attendre en recevant des centaines de nouveaux venus. Une nouvelle signalétique

permit de guider l’énorme nombre d’hôtes. Après que l’hôtel ait été transformé en centre de

commandement temporaire par les autorités, le personnel installa des postes de télévision

supplémentaires dans les parties communes, donnant aux services de police une autre façon

de se tenir informés. La police apprécia de pouvoir utiliser le parking privé. En contrepartie de

ces allées et venues supplémentaires, ils s’engagèrent à garer une voiture de patrouille pour

garder un œil sur les véhicules à l’intérieur. Au même moment, d’autres hôtels de la zone

fermaient leurs portes à tous les policiers, pompiers et sauveteurs qui avaient besoin d’aller aux

toilettes.

Certains membres des organismes de secours, dont la Croix-Rouge, s’installèrent en

face au centre de conférences George R. Brown, relié par une passerelle. Le centre de

conférences avait été réaménagé pour accueillir 1 000 habitants sinistrés, mais après quelques

jours, 10 000 personnes déplacées transformèrent le centre de conférences en un océan de lits

de camp. Le Hilton aida à nourrir les habitants réfugiés, fit don de serviettes et lava même des

draps. La réception répondit à des centaines d’appels téléphoniques concernant la disponibilité

de chambres, de la part d’habitants, de responsables de plusieurs services municipaux, du

ministère de la Sécurité intérieure, du ministère de la Santé et des services aux personnes et

aux vétérans, et de journalistes couvrant la tempête pour CNN.

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Les gens rentrèrent chez eux à mesure qu’ils se sentaient suffisamment en sécurité

pour le faire, parfois au bout de cinq jours. D’Rovencourt resta à l’hôtel pendant neuf jours.

Certaines personnes dont les logements furent gravement endommagés logèrent à l’hôtel

pendant plusieurs mois. Harvey permit de préparer l’hôtel pour les catastrophes à venir. L’hôtel

a depuis créé un service de messages texto permettant à la direction d’informer rapidement les

membres du personnel. Des mesures furent mises en place pour se préparer, comme la

vérification des stocks, le maintien de réserves et de provisions, et la formation aux procédures

d’urgence devint plus fréquente, passant de « avant la tempête » à « en tout temps ». Ils sont

maintenant prêts à toute éventualité.

À Propos des Normes et Pratiques Standardisées Le responsable de l’énergie chez Hilton pourrait être tenté de forcer tous les hôtels à

installer des systèmes permettant de minimiser la consommation d’énergie, un moyen infaillible

de faire des économies considérables. Mais obliger à des pratiques spécifiques va à l’encontre

de la culture de Hilton consistant à laisser au personnel l’autonomie de choisir la façon de faire

pour atteindre ses objectifs. Si cela avait été le Far West, il n’y aurait pas eu de débat par

rapport à l’organisation des hôtels. Mais c’est justement cette façon de faire qui distingue

l’approche Hilton.

Les occasions d’encourager la participation et les initiatives du personnel apparaissent

dans tous les services, de l’équipe d’ingénieurs à celle chargée de la restauration en passant

par celle chargée de la gestion de crise. Concernant les opérations, un système appelé

« LightStay » facilite l’équilibre entre l’autonomie des membres de l’équipe et l’obtention des

objectifs Hilton en matière de réduction des déchets ainsi que de la consommation d’énergie et

d’eau. LightStay effectue un suivi de la consommation d’énergie et des efforts de durabilité,

mais la façon dont chaque hôtel atteint ces objectifs relève du Mo Khan de chaque site.

Permettre au personnel de s’approprier la mission d’économie d’énergie à laquelle il souhaite

s’attaquer rend les choses plus fluides, aboutissant ainsi à plus d’un milliard de dollars

d’économies d’énergie au cours de la dernière décennie.

L’histoire de la compétition des chefs C1 suggère une autre solution pouvant optimiser

les bénéfices en termes de réglementation et d’autonomie : une période de formation ponctuelle

garantissant des niveaux de qualification standardisés, suivie d’une période plus libre laissant

libre cours à la créativité. Offrir aux employés des pauses entre ces périodes de défis à relever

et d’objectifs à atteindre permet de diminuer la sensation d’épuisement des employés. Bien

qu’augmenter les niveaux d’exigences fréquemment et par palier semble être une stratégie

pertinente à court terme, des études ont montré qu’avec le temps, cela entraîne la fatigue et

l’épuisement et peut également avoir un effet contre-productif en encourageant des

comportements peu éthiques. C’est par exemple le cas lorsque les employés commencent à

croire qu’ils ne sont pas capables d’atteindre les objectifs croissants par des moyens

traditionnels et décident de contourner le système.

Bien que les histoires à l’échelle du Hilton Americas-Hilton de 1 200 chambres (voire à

l’échelle du Texas) soient innombrables, les exemples d’innovations lancées par des employés

ne sont pas rares. C’est grâce à cet esprit d’entreprise que les gaufres ont conquis Kansas City

et que les 007 bars ont prospéré dans le Londres des Swinging Sixties.

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Chez Hilton, les employés se voient faire une promesse : vos collègues vous mettront

au défi d’étendre vos compétences. Si vous maîtrisez la dynamique hôtelière d’une ville, il est

temps pour vous de conquérir le centre.

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L’effet Hilton sur les communautés : un engagement

Importance, contacts sociaux et développement économique À la fin des années 50, Thomas Schelling, professeur à Harvard, testa un étonnant jeu

qu’il avait inventé :

Vous avez été associé à une autre personne de façon anonyme. Si vous arrivez tous les

deux au même moment au même endroit à New York au cours des 24 prochaines

heures, vous gagnez 100 dollars chacun (vous porterez tous les deux un gros badge

rouge vous permettant de vous reconnaître).

Où devez-vous allez, et quand ?

Habituellement, nous coordonnons nos comportements avec l’autre à travers la

communication. Partager l’information, c’est ça, la communication. Mais dans ce contexte,

Schelling avait éliminé la possibilité de communication entre les personnes, ainsi que la

possibilité d’apprendre des échecs et des réussites au fil du temps. Il n’y avait pas de deuxième

chance.

Cette situation constituait un dilemme en raison de son nombre infini de solutions,

comme l’armoire à fournitures de FAO Schwarz à 21 h 00, le coin sud-est du croisement entre

Lexington et la 48e rue au coucher du soleil ou l’entrée de Rikers Island à 4 h 00 du matin.

Malgré les possibilités infinies, l’expérience de Schelling révéla que les gens génèrent

un nombre remarquablement limité de réponses. Lorsque les gens se voient dans l’obligation

de deviner ce que l’autre personne fera, ils ont tendance à proposer quelques sites

emblématiques sortant du lot.

Tout le monde choisit de se retrouver à midi, l’heure la plus conventionnelle. Les New-

Yorkais eurent tendance à choisir l’horloge près du kiosque d’information de Grand Central

Station. Les gens qui n’habitaient pas New York choisirent généralement le site le plus

emblématique pour les touristes : le poste d’observation de l’Empire State Building.

Schelling a appelé « focales » les solutions liées aux sites significatifs d’une même

zone. Certains sites, certaines personnes, certaines expériences sont partagés tellement de fois

que les gens peuvent, sans se parler, savoir de façon presque télépathique que quelqu’un

d’autre les trouvera aussi remarquables ou importants.

Imaginez que vous jouez à ce jeu avec quelqu’un à Paris : quand vous retrouverez-

vous ? À midi. Où vous retrouverez-vous ? À la tour Eiffel. La tour a plusieurs étages, donc il se

peut que vous choisissiez le mauvais, mais vous serez néanmoins passé d’un nombre infini de

possibilités à quelques-unes.

Vous jouez à Londres ? Rencontrez-vous à Big Ben.

Au Caire en Égypte ? Enfourchez un chameau et traversez le désert pour vous rendre à

la Grande pyramide. Qui sait ; vous retrouverez peut-être en chemin votre congénère arborant

son badge rouge.

Istanbul ? Il y a de grandes chances que vous choisissiez l’entrée de la Mosquée bleue.

Ou vous pourriez également opter pour l’entrée de l’hôtel Hilton d’Istanbul.

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Istanbul : un endroit important. Devenir un point focal, c’est comme la question de l’œuf ou la poule : quels points

focaux choisissent les gens ? Les sites importants. Et pourquoi sont-ils importants ? Parce que

les gens y vont.

De nombreux bâtiments de New York sont plus anciens que Grand Central, donc ce

n’est pas seulement le temps qui fait le point focal. Grand Central, par exemple, est une plaque

tournante de transport par laquelle transitent des millions de New-Yorkais chaque jour ainsi

qu’un classique de l’architecture, et chacune de ces deux caractéristiques contribue à sa

réputation de point de rendez-vous.

Tous les classiques étaient autrefois inconnus, et il a fallu que quelque chose les fasse

connaître. Conrad Hilton était prêt à faire avancer les choses lorsque le Hilton d’Istanbul ouvrit

ses portes. Alors qu’à l’époque de la reconstruction post-Seconde Guerre mondiale, de

nombreuses organisations investissaient prudemment et restaient près de chez eux, Hilton était

prêt à se jeter à l’eau. Et c’est apparemment ce dont le monde avait besoin.

Le 9 juin 1955, deux avions de ligne Pan American loués par Hilton, temporairement

rebaptisés Le tapis volant et Le tapis magique, atterrirent en Turquie, remplis d’invités pour

l’inauguration. La liste de 106 sommités comprenait par exemple Carol Channing, la

championne olympique de patinage artistique devenue actrice Sonja Henie et William R. Hearst

Jr., tous accueillis à l’aéroport par des milliers de Turcs. Les grooms mirent 45 minutes à

transporter leurs 1 200 valises dans les chambres. Après les cinq jours de fête, les vedettes de

Hollywood rentrèrent chez elles, mais l’hôtel Hilton d’Istanbul conserva une aura durable. Leur

présence fit du Hilton d’Istanbul un endroit incontournable.

Dans son discours d’inauguration, Hilton présagea que le Hilton d’Istanbul deviendrait la

première destination internationale, mais que beaucoup d’autres allaient suivre, chacune

devenant un point focal capable de rassembler des visiteurs issus de tous les horizons. (Il

anticipa même les termes grâce auxquels Thomas Schelling allait remporter le prix Nobel) :

L’époque où un voyageur faisant le tour du monde pourra faire halte dans un hôtel Hilton

dans pratiquement chaque ville qu’il visite n’est pas si éloignée... Ces hôtels sont

l’expression de notre idéal. Nous souhaitons que les hôtels partout dans le monde soient

plus que le centre de la collectivité. Pour avoir une portée internationale, l’hôtel doit

devenir le point focal de l’échange de connaissances entre des millions de gens,

habitants autant que visiteurs, qui s’y sont retrouvés parce qu’ils souhaitent apprendre à

se connaître, à faire des affaires et coexister en paix.

– Conrad Hilton, 1955, Scrapbook de l’hôtel d’Istanbul

(commentaires lors de l’inauguration du Hilton Istanbul

Bosphorus)

La salle de bal du Hilton d’Istanbul devint la plus vaste salle des fêtes de la ville, où les

habitants pouvaient célébrer leur mariage et leurs événements familiaux, le tout dans un confort

climatisé digne d’un hôtel Hilton. Ses cafés devinrent des lieux pour les rendez-vous importants.

Dans un point focal, tout a un sens particulier, même une tasse de café.

« Boire une tasse de café en Turquie a un sens tout particulier », écrit Conrad Hilton

dans Be My Guest. « On me l’a expliqué la première fois que l’on m’a offert une demi-tasse de

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la boisson locale forte. Une tasse de café partagée, m’a dit mon hôte, c’est trente ans

d’amitié ».

Bien que l’attrait de la nouveauté s’estompa, le sens du prestige demeura au fil des ans.

Avec le temps, le Hilton d’Istanbul est devenu l’endroit où l’élite turque se retrouve et se marie.

À l’été 1972, un nombre record de 21 couples se maria au Hilton d’Istanbul : 21 mariages en

une semaine !

Aydın Doğan se souvient d’avoir visité l’hôtel lorsqu’il était étudiant. « À cette époque,

boire une tasse de thé au Hilton était un privilège ». Après ses fiançailles, il promit à sa fiancée

qu’ils s’y marieraient, mais des obligations familiales les contraignirent à se marier à

Gumuşhane.

Cependant, le destin était plein de bonnes intentions pour Doğan. Il fonda Doğan

Holding, l’un des plus grands conglomérats de Turquie, présent dans les secteurs de l’énergie,

de la publicité et des médias (dont Milliyet), et il devint milliardaire après son entrée en Bourse.

En 2005, la société turque Doğan Group acheta l’hôtel 255 millions de dollars.

Imaginez votre époux rentrer à la maison et dire : « Tu te souviens que l’on voulait fêter

notre mariage au Hilton ? Eh bien, j’ai trouvé une façon de m’excuser de n’avoir pas pu le faire

à l’époque. »

Le succès appelle le succès. Une fois qu’un endroit devient un point focal, il est probable

qu’il le restera. Cela justifie de faire des efforts supplémentaires pour que les futurs points

focaux restent dans les mémoires. Hilton aligna un casting de vedettes et toute une

programmation d’activités pouvant sembler excessive, mais qui représentait un investissement

afin de faire du site un point focal.

La stratégie pourrait-elle être utilisée sans les starlettes et les bagages ? Elle vaut en

tout cas la peine d’être envisagée par le directeur général d’un hôtel ou d’un restaurant. Quel

type d’événement pouvons-nous activement recruter ? Pour lesquels sortons-nous le « grand

jeu » ? Les bons événements attirent sans doute un public varié lors d’une occasion spéciale

réunissant la communauté. Des collectes de jouets en période de fêtes, avec emballage de

cadeaux. Un dîner célébrant la fin de la saison de football amateur. Un concours de préparation

de gaufres lors du festival d’automne de la ville, parrainé par Hampton by Hilton.

Le théoricien des jeux Schelling était fasciné par la façon dont les gens coopèrent sans

communiquer entre eux. Mais dans le monde réel, un courrier sollicitant notre coopération nous

en demande en fait un peu plus. Au lieu de « Retrouvons-nous demain », le courrier nous

indique : « Retrouvons-nous à cet endroit. Aide-moi à m’installer. Nous serons de bons voisins,

et tisserons des liens pour que les visiteurs arrivent. Si nous pouvons travailler ensemble, nous

récolterons les fruits de cette alliance en termes économiques ».

Mais comment savoir si les gens vont faire ce que nous voulons qu’ils fassent ? Il est

facile de rester impliqué quand les choses fonctionnent, mais c’est plus difficile quand la

situation se dégrade. Dans le monde réel, nous disposons d’informations qui nous aident à

décider s’il convient pour nous de coopérer : nous connaissons la réputation de la personne.

Si nous sommes entourés de gens qui coopèrent, la meilleure stratégie est de former

une équipe et de jouer ensemble. Mais si nous sommes entourés de personnes qui privilégient

leurs propres intérêts, nous devons également nous protéger. Schelling aurait envisagé la

rénovation d’une zone sinistrée comme un dilemme en matière de coopération, à propos duquel

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les belles paroles ne valent rien. Nous voulons croire aux promesses : Se retrouver ici,

s’installer, être de bons voisins, tisser des liens pour que les visiteurs arrivent, travailler

ensemble pour récolter les fruits de cette alliance en termes économiques. Mais comment

savoir si les gens vont faire ce que nous voulons qu’ils fassent ?

La communication ne révèle jamais toutes les informations. Votre client dit : « Le chèque

a été posté ». Votre collègue dit : « Si tu confrontes le patron, nous te soutiendrons tous ! ».

Votre rancard dit : « Tout est fini avec mon ex ».

Dans la pratique, à quoi cela ressemble-t-il ? Prenons exemple sur une des

transformations les plus remarquables de l’histoire du développement des grandes villes, dans

laquelle Hilton occupe une place très significative.

Buenos Aires C’est en maintenant son engagement durant les moments difficiles qu’un hôtel Hilton

aida l’un des quartiers les plus délabrés de Buenos Aires à devenir l’un des plus appréciés.

Buenos Aires, la capitale de l’Argentine, se trouve sur les rives du Río de la Plata, à

240 kilomètres de l’océan Atlantique. Les cargos internationaux pouvaient s’approcher, mais les

eaux peu profondes du fleuve les empêchaient d’atteindre la rive. Au fil des ans, la ville rendit

cela possible en construisant un quai de 35 mètres en 1802, rallongé jusqu’à 165 mètres

en 1855. Les navires jetaient aussi l’ancre au large et des péniches venaient décharger les

cargaisons et les passagers. Finalement, la ville construisit Puerto Madero, ce qui créa un

chenal étroit mais profond avec des docks, permettant aux cargos de stationner parallèlement.

Une rangée de hangars en brique longeait la ville, suivie d’un chenal étroit. Sur la rive

récemment construite, Puerto Madero, il y avait un port derrière lequel se trouvaient des

dizaines d’hectares de pâturages.

Quand les docks ouvrirent en 1897, ils furent célébrés comme une prouesse

d’ingénierie. Mais en l’espace d’une décennie, les cargos internationaux devinrent trop larges

pour les docks, les rendant donc obsolètes. La zone autour de Puerto Madero n’était plus

nécessaire ; avec le temps, le commerce déclina et les résidents arrêtèrent progressivement

d’utiliser la rive longeant les pâturages.

Le quartier se trouvait à moins d’un kilomètre du palais présidentiel, mais des années de

délabrement et de négligence l’avaient enlaidi : des déchets flottaient sur l’eau ; les hangars

étaient abandonnés et couverts de graffiti. Des dizaines de tentatives de revitalisation de

l’endroit échouèrent au fil des ans. Finalement, fin 1989, le gouvernement fédéral argentin et le

gouvernement local de Buenos Aires signèrent un accord afin de redonner vie à ce quartier.

Le promoteur local Alberto Gonzalez acheta certains des terrains vagues et couverts

d’herbe sur la rive de Puerto Madero, à côté des docks 3 et 4. Gonzalez connaissait

l’importance des points focaux. Ancien producteur de télévision et distributeur de contenu, il

avait envisagé un stade ou un centre de conventions sur son terrain, mais après avoir fait des

projections, il opta pour un hôtel avec un grand espace de rencontre.

« Ils analysèrent les enseignes d’hôtels présentes à Buenos Aires, et celles qui n’y

étaient pas. Hilton s’imposa comme un choix évident », raconte Tom Potter, le vice-président de

Hilton pour les Caraïbes et l’Amérique latine. Après avoir commencé à dialoguer avec Hilton

en 1998, Gonzalez engagea le célèbre architecte argentin Mario Roberto Álvarez, connu

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notamment pour avoir marqué le paysage de la ville avec l’immeuble IBM (le siège de la société

en Amérique latine) et le Teatro General San Martín.

Gonzalez, Álvarez et Hilton : un trio de choc dans le monde du développement

immobilier argentin. Rien ne pouvait les arrêter.

Enfin, presque.

Fin 1998, une forte crise vint secouer l’économie historiquement turbulente de

l’Argentine. Les choses se gâtèrent.

Après s’être engagé à ouvrir l’hôtel en

janvier 2000, Gonzales fit faillite en 1999. La

situation économique empira. Il s’était aussi

engagé à organiser une fête inoubliable pour

l’arrivée du nouveau millénaire le

31 décembre 1999, pour laquelle il avait prévu de

recevoir 600 invités dans le lobby et le rez-de-

chaussée opulents de l’hôtel.

Mais la situation économique ne s’y

prêtait pas.

« En fait, cela devint assez compliqué à

ce moment-là », dit Potter. Un des promoteurs

clés du projet, une entreprise de construction

allemande, fit faillite avant d’avoir terminé le

réservoir d’eau. « Cela retarda l’achèvement du

contrat et de toute la construction. »

Les promoteurs et les entreprises de

service public n’avaient pas encore terminé

d’installer les infrastructures au niveau de la

surface herbeuse ; les évacuations, les égouts,

et les lignes de téléphone et d’électricité

restèrent en plan. « Tout fut fini en seulement

une année, en 1999. À temps pour l’ouverture

officielle de l’hôtel. »

Même la rue en face du Hilton fut pavée seulement trois mois avant l’ouverture. Si

Gonzalez, Álvarez et Hilton n’avaient pas travaillé à l’unisson, l’opération tout entière aurait

facilement pu échouer. Mais Gonzalez put organiser sa fête.

Lors de son ouverture en mars 2000, le Hilton Buenos Aires était le premier immeuble

commercial de Puerto Madero.

« Au début, les affaires n’étaient pas très bonnes en raison de la situation économique

en Argentine à ce moment-là », se souvient Potter. En juillet 2001, le taux de chômage était de

14,7 pourcents. Alors qu’il semblait y avoir une pause, un faible signe d’amélioration, les choses

empirèrent.

Ce mois-là, Standard and Poor’s fit passer le taux de crédit de tout le pays à B-. Le

chômage augmenta.

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La crainte que le peso ne vaille bientôt plus rien provoqua une ruée sur les banques en

novembre de cette année, ce qui continua d’aggraver la stabilité économique.

Mi-décembre 2001, le taux de chômage atteint 20 pourcents. Les Argentins

manifestèrent dans les rues à moins de 500 mètres du palais présidentiel.

Malgré quelques signes que les choses allaient se stabiliser, ou du moins, ne pas

empirer, ce qui avait commencé comme une crise financière devint une récession économique

qui allait durer quatre ans. Les baisses de salaire et les limites sur les retraits bancaires

compliquèrent pour les Argentins les possibilités de réinvestir dans leur propre économie.

Un hôtel-boutique, ou une marque avec moins de moyens, n’aurait peut-être pas réussi

à payer ses employés pendant cette lente période initiale.

Une marque d’hôtel internationale connue est un pont solide sur le monde extérieur, un

signe que les étrangers et leur argent affluent régulièrement d’économies plus prospères.

Même pendant une crise, elle peut offrir assez de stabilité pour maintenir un quartier entier

pendant la construction. Si elle est assez forte, elle peut même arrêter la récession et permettre

une relance économique au milieu de la crise.

Et la marque Hilton était assez forte pour cela ; Schelling et Conrad auraient été fiers.

« Au bout d’environ six mois, d’autres projets commencèrent à se développer », se

rappelle Potter. La compagnie pétrolière argentine YPF commença à construire son bâtiment

phare juste en face du Hilton. Deux ambassades emménagèrent même dans le quartier.

« Très rapidement, cela devint un centre d’opportunités et de développement pour

Buenos Aires, parce qu’il y avait encore de grandes parcelles de terre disponibles. » Si le

terrain est la toile blanche des promoteurs immobiliers, alors des parcelles situées à 400 mètres

du palais présidentiel dans une ville cosmopolite sont de véritables œuvres d’art en devenir. Il

était donc évident que d’autres entreprises et promoteurs s’y installeraient un jour.

Mais il convient de remarquer que ces parcelles étaient disponibles depuis des

décennies.

Il fallut un point focal spécial pour ouvrir la marche. « Au bout d’environ deux ans, je

dirais que 25 pourcents de Puerto Madero était en plein développement », estime Potter.

Aujourd’hui, Puerto Madero est une plaque tournante prospère de Buenos Aires pour les

entreprises internationales, les expatriés et les Argentins appréciant l’architecture moderne.

Aujourd’hui, les graffitis de Puerto Madero seraient signés Banksy. En moins de deux

décennies, ces pâturages à côté de docks à l’abandon prirent une touche plus glamour en

devenant le quartier le plus prospère de la ville, quartier que la superstar du football Lionel

Messi considère comme chez lui.

La réserve écologique Costanera Sur se situe derrière la ligne grandissante des gratte-

ciels modernes. Il s’agit de l’espace vert le plus vaste et avec le plus de biodiversité de la ville ;

un parc naturel de plus de 350 hectares.

Le promoteur Alberto Gonzalez mourut un an après l’ouverture du Hilton, « juste après

avoir laissé un dernier héritage à la ville », dit Potter. Suite à une analyse montrant qu’un

manque d’accès public pourrait étouffer les efforts de revitalisation de Puerto Madero, Gonzalez

décida de résoudre ce problème de manière spectaculaire. Comme cadeau à la ville, il engagea

l’architecte et ingénieur civil espagnol Santiago Calatrava, connu dans le monde entier, pour

réaliser un nouveau pont piéton reliant Puerto Madero au reste de la ville.

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Calatrava conçut El Puente de la Mujer, ou Pont de la Femme, représentant un couple

dansant le tango. (Le fait qu’il peut pivoter pour permettre aux navires de passer en quelques

minutes en fait aussi une merveille d’ingénierie.)

Le pont est un des endroits les plus photographiés de Buenos Aires, un symbole parfait

reliant le passé chargé d’histoire de la ville à sa nouvelle ère de revitalisation et de croissance.

« Aujourd’hui, c’est un des emblèmes de la ville », dit Potter.

Malheureusement, Gonzalez mourut durant la construction du pont.

Après avoir évalué les meilleures options pour attirer l’attention sur le quartier, Gonzalez

choisit finalement un grand investissement : un pont, pas un panneau publicitaire ; de

l’infrastructure, pas du marketing. Pour revitaliser un endroit aussi grand que Puerto Madero et

compenser des décennies de négligence, il faut une injection de capitaux significative. Le retour

sur investissement dépend de la croissance de l’endroit. Le fait de mettre l’argent sur la table

devant tout le monde réduisit l’impression de risque et incita les autres à contribuer à

l’investissement. Ils ne veulent pas perdre leur argent non plus.

Hilton fut l’heureux bénéficiaire de la brillante vision de Gonzalez. Mais le nom Hilton

était un énorme atout qui ajoutait de la crédibilité à l’engagement, et de la valeur au pot

commun. La présence d’acteurs clé avec un passé crédible et la réputation de tenir leurs

promesses incite d’autres à se rallier à la cause et à collaborer avec succès. En renonçant à ne

serait-ce que 1 pourcent de nos engagements, on s’expose à ce que les observateurs soient

moins disposés à participer. Une réputation solide basée sur le respect de nos engagements,

en revanche, incite tout le monde à participer.

Investir, c’est plus facile quand on sait que les autres ne vont pas faire marche arrière :

ils ont des intérêts à défendre aussi. Au milieu d’une récession économique turbulente

nécessitant la coopération d’une quantité d’investisseurs et de promoteurs, la moindre

hésitation risquait de causer une défection.

Même s’il fallait de la résilience et du courage pour surmonter ces difficultés initiales, le

fait d’avoir résolu les problèmes les uns après les autres incita d’autres personnes à soutenir le

projet, et par extension, le renouveau de Puerto Madero, en envoyant un message fort : nous

sommes ici pour y rester.

La revitalisation de Puerto Madero illustre la réputation de la marque d’aller jusqu’au

bout : la marque peut être un pionnier là où il veut que d’autres le suivent.

Cleveland/York, Pennsylvanie Les psychologues sociaux associent la réputation à deux éléments clés : la cordialité (la

bienveillance dans les intentions de quelqu’un) et la compétence (la capacité de réalisation de

ces intentions). Le comportement passé des gens vis-à-vis des autres est un indicateur de son

comportement futur et détermine dans quelle mesure notre bienveillance est réciproque.

En général, on suppose que les marques, en particulier les marques internationales,

sont compétentes. Le simple fait d’être une société commerciale connue est un indicateur de

compétence : l’entreprise s’y connaît assez pour pouvoir exister sur le marché. Cela fait

longtemps qu’elle est en activité. Il est probable qu’elle sache comment continuer à exister. Les

marques avec un long passé ont déjà démontré leur capacité à rester à flot durant les

turbulences économiques.

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Toutefois, la façon dont la communauté répond à l’appel invitant à construire quelque

chose en commun (« si nous pouvons travailler ensemble, nous serons récompensés ! »)

dépend en grande partie du deuxième élément important de la réputation : la cordialité. Même

si l’on pense que quelqu’un est assez compétent pour contribuer à la croissance du gâteau, on

se demande toujours comment le gâteau sera coupé ; la réputation d’être cordial incite les gens

à penser que le gâteau sera partagé équitablement.

Montrer de bonnes intentions vis-à-vis des membres les plus riches de la communauté

peut vous permettre d’obtenir une donation, mais de bonnes intentions sans idée de profit vous

apporteront ce qui ne peut pas s’acheter : la bienveillance.

Le Hilton Cleveland Downtown fit un effort hors du commun pour recruter avant son

ouverture en 2016, en donnant la priorité aux résidents, allant même jusqu’à préférer un

résident sans expérience à une personne de l’extérieur avec de l’expérience dans l’hôtellerie.

Pour dénicher ces nouveaux co-équipiers, une agence appelée Towards Employment fut

contactée.

Towards Employment est une entreprise à but non lucratif de Cleveland qui se consacre

à aider les personnes ayant du mal à trouver un emploi en raison d’erreurs commises dans le

passé ou de manque d’opportunités. Quand l’hôtel ouvrit, une grande partie des employés

locaux, qui n’avaient jamais travaillé dans l’hôtellerie, fut recrutée dans des foyers pour sans-

abri.

L’industrie hôtelière propose de nombreux postes permettant à un employé motivé

d’avoir une chance de faire ses preuves face à un candidat plus expérimenté. On considère

généralement que la priorité numéro un, c’est la satisfaction du client. Même sans expérience,

le désir d’apprendre et une forte éthique de travail peuvent rapidement transformer un groom ou

une femme de chambre novices en professionnels.

Certains préfèreraient ne pas engager de telles personnes. Mais quand la directrice

générale du Hilton Cleveland Downtown, Teri Agosta, évoque ces recrutements, de tels choix

ne semblent pas risqués, mais intelligents.

« Nous avons constaté que, une fois que nous donnons une deuxième chance à nos

membres de l’équipe, ils sont reconnaissants. Et cela se ressent dans leur éthique du travail et

leur productivité. Nous transformons complètement des vies ; c’est cela que nous faisons. Et [le

degré d’enthousiasme avec lequel ils travaillent] fait chaud au cœur. C’est contagieux », ajoute-

t-elle. Le geste très généreux de Hilton généra un véritable enthousiasme, et les résidents au

chômage à qui des emplois avaient été offerts furent très reconnaissants.

Le recrutement d’employés non qualifiés impliquait que Hilton devait passer plus de

temps à les former pour les mettre à niveau. Mais songez à la contrepartie : il est difficile, voire

impossible, de simuler la cordialité. (De nombreuses études ont montré que les gens sont

étonnamment doués pour identifier les sourires hypocrites.) La cordialité est la composante clé

et infalsifiable de la réputation, elle consiste à s’ouvrir sincèrement aux autres. Et cela

commence à la base.

Même si ouvrir un hôtel dans un centre international où il y en a déjà beaucoup peut

sembler risqué, ce risque est dans une certaine mesure compensé par une demande certaine,

c’est comme acheter une action de premier ordre. Et pourquoi ne pas acheter des actions dans

une entreprise différente : par exemple, une petite société sans grande notoriété, ne prévoyant

pas de s’agrandir.

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Aujourd’hui, York, en Pennsylvanie, est une ville d’à peine 40 000 habitants ; sa

population plafonna en 1950. Son économie connut peut-être même son âge d’or plus tôt que

cela : c’est la ville de la société automobile Pullman, une gamme de voitures de luxe Modèle T.

Ces dernières années, de petits efforts de revitalisation urbaine ont commencé à

transformer certains secteurs du centre de York. Vu la faible population présente dans la Rust

Belt (la « ceinture de la rouille »), une seule usine, un immeuble de bureaux ou un magasin

fermant dans le centre-ville peut faire boule de neige, dans n’importe quelle direction.

L’hôtel Yorktowne ouvrit en 1925, mais resta vide pendant des années. Des sociétés

telles que des brasseries et des restaurants ont commencé à apparaître à proximité depuis

quelques années. Malgré les galeries d’art de York, ses cafés et son système de vélo partagé,

ce sont les bâtiments désaffectés qui représentent le principal défi pour la revitalisation urbaine,

surtout dans des communautés de cette taille, qui ont des plafonds de rentabilité inférieurs.

Pour des sociétés extérieures, il est parfois difficile de se projeter et d’investir quand une très

grande variable inconnue se trouve à proximité : un grand bâtiment désaffecté aujourd’hui peut

devenir un paradis du graffiti demain.

En mai 2018, la County Industrial Development Authority de York a annoncé que le

bâtiment rouvrirait ses portes dans le cadre de la Tapestry Collection de Hilton en 2020. Ce

contrat établit non seulement un nouveau point focal dans le quartier, mais créa aussi un

partenariat avec l’école hôtelière du York College. Rien que les rénovations et la sous-traitance

vont injecter 30 millions de dollars dans l’économie locale.

« Hilton dans le centre-ville - c’est le facteur de prestige », dit Kevin Schreiber, président

et directeur de l’Alliance économique du comté de York.

Le fait de montrer à la fois de la bienveillance envers la communauté et un certain sens

des affaires incite les autres à penser que Hilton va continuer à opérer, même quand on dirait

que quelqu’un est en train de fermer les portes rapidement autour de nous.

Abuja

Même ceux qui s’y connaissent en géographie et ont vu mille fois une carte du monde

ne comprennent peut-être pas tout à fait. Les cartes retranscrivent notre monde tridimensionnel

en une image bidimensionnelle, un effet souvent obtenu grâce à la projection Mercator,

développée en 1569. La distorsion de la 3D à la 2D de l’image que nous avons généralement

du monde s’opère en augmentant la taille des objets au fur et à mesure qu’ils s’éloignent de

l’équateur. En conséquence, on sous-estime souvent l’immensité de l’Afrique. Si les globes

terrestres que nous utilisons étaient plus précis, on pourrait voir que les États-Unis, la Chine,

l’Inde, le Mexique, la France, l’Espagne, le Japon, l’Allemagne, l’Italie, la Nouvelle-Zélande, le

Royaume-Uni, le Népal, le Bangladesh et la Grèce réunis tiendraient tous confortablement sur

ce continent.

Le Nigeria est le pays le plus peuplé d’Afrique ; un Africain sur six est Nigérien.

En 1976, le gouvernement nigérian décida de retirer son statut de capitale à Lagos,

tellement congestionnée qu’il fallait des heures pour faire quelques kilomètres. Le changement

de capitale donnerait enfin au Nigeria la possibilité d’avoir une capitale neutre, une ville

dessinée sur une toile vide n’appartenant à personne, et donc à tous les Nigériens. L’endroit le

plus neutre du Nigeria serait central, mais n’appartiendrait à aucune région ni aucun groupe.

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Abuja, une ville centrale et faiblement peuplée, remplissait ces critères ; la décision d’y

transférer la capitale fut définitivement prise en 1991.

« Hilton a toujours été un pionnier quand il s’agit d’être le premier hôtel international à

s’implanter dans une capitale, que ce soit en Asie ou ailleurs », dit Andreas Jersaback, à

présent directeur général actuel du Conrad Hilton Istanbul Bosphorus. Jersaback fut engagé

dans l’équipe destinée à travailler sur l’ouverture du Hilton Abuja.

Être le premier hôtel international dans une capitale implique généralement que

l’infrastructure locale présente déjà un certain niveau en termes de déploiement et de sécurité,

susceptible d’attirer les touristes internationaux et les voyageurs d’affaires. Mais avec Abuja, ce

fut le contraire. Ici, les membres du gouvernement dirent : « Vous voyez cet endroit sous-

développé, au milieu de nulle part et non équipé en infrastructures ? C’est là qu’on va installer

la capitale ! »

Les membres haut placés du gouvernement nigérien avaient visité récemment le Noga

Hilton Hotel à Genève, en Suisse, et décidèrent qu’ils voulaient un hôtel similaire pour accueillir

des chefs d’État dans la nouvelle capitale. Le propriétaire, M. Nessim Gaon, accepta de le

construire. Et ils commencèrent.

Hilton tint sa promesse de

devenir le premier hôtel international à

s’implanter dans la nouvelle capitale

d’Abuja, malgré le manque

d’infrastructures.

« Nous avions notre propre

station d’épuration. Huit générateurs

électriques. Pour construire l’hôtel, nous

construisîmes d’abord une menuiserie...

à Kaduna, le village le plus proche, pour

tous les bois vernis », dit Jersaback.

Hilton s’engagea à être le premier à

ouvrir dans la région, malgré le travail

supplémentaire que cela représentait en

termes d’infrastructure, comme construire une menuiserie dans le village voisin.

Deuxièmement, Hilton s’engagea à accueillir des diplomates en bâtissant un hôtel

comprenant de nombreuses suites présidentielles, plutôt que de simplement construire le plus

de chambres possible afin de maximiser la rentabilité. « Nous avions 50 suites présidentielles,

160 suites juniors et 40 suites royales en vue de toute cette future activité gouvernementale. »

Enfin, le dernier engagement, qui s’avéra être le plus fou, fut également tenu. Le

gouvernement nigérian souhaitait que l’hôtel accueille le sommet de la Communauté

Économique des États de l’Afrique de l’Ouest, CEDEAO, avant la date d’ouverture officielle de

l’hôtel.

L’hôtel devait ouvrir un an plus tard au plus tôt. Le sommet CEDEAO, lui, était prévu

dans deux mois.

Hilton accepta.

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Le président du Nigeria invita promptement 14 chefs d’État d’Afrique de l’Ouest à un

sommet de deux semaines à Abuja.

L’équipe de Hilton s’était engagée.

Avec une douzaine d’autres collaborateurs venus de 17 établissements Hilton du monde

entier (Munich, Paris, Brésil et Zurich), Jersaback arriva à Londres, où le groupe de travail fut

briefé. Quelques jours plus tard, le groupe s’envola pour Lagos, aucun vol international vers la

nouvelle capitale n’existait, puis leur convoi fit route vers Abuja.

« Nous savions qu’il n’y avait pas de personnel qualifié disponible à Abuja », dit

Jersaback. Des centaines de résidents locaux se massèrent aux portes de l’hôtel après que le

groupe de travail eut fait savoir qu’il cherchait de nouveaux employés. Comme aucun d’entre

eux n’avait d’expérience, le processus de recrutement fut plus aléatoire que d’habitude.

Ils expliquèrent comment le directeur du personnel sortirait et désignerait des gens au

hasard. « Vous, vous, vous et vous, suivez-moi. » Une fois à l’intérieur, les gens se voyaient

indiquer leur poste : « Vous, vous serez serveur. Vous, vous serez barman. Vous, femme de

chambre. Vous, à la cafétéria. »

Ce que les Européens avaient prévu d’utiliser comme manuel de formation fut vite

abandonné. Avant d’apprendre à déboucher correctement un chablis, les nouveaux employés

durent apprendre à porter un plateau avec trois verres de vin sans les renverser. Avant d’arriver

à faire cela, ils durent apprendre à porter un plateau. En fait, ils durent apprendre les règles de

la verrerie.

Trois semaines avant de servir les chefs d’État, certains des nouveaux employés furent

introduit aux couverts et aux verres formels pour la première fois de leur vie. Certains employés

arrivaient sans chaussettes, car celles qu’ils possédaient et qu’ils avaient portées la veille

n’étaient pas encore sèches. Des promotions et des missions spécifiques furent attribuées en

fonction des courbes d’apprentissage individuelles.

Ailleurs, l’hôtel tout entier était encore en pleine construction.

La nature a apporté les bases de l’infrastructure initiale.

« Nous n’avions pas besoin de station d’épuration, car les vautours se chargeaient des

déchets », plaisantait Curt R. Strand, ancien président de Hilton International Hotels. Les

membres de l’équipe prenaient des photos des douzaines de vautours qui rôdaient autour de

l’hôtel.

« Lorsque nous sommes arrivés, [c’]était un chantier », affirme Jersaback. « Nous

avions une fenêtre de quatre semaines pour en faire un véritable hôtel, en partant de rien, d’une

simple coquille vide, pour, comme je le disais, défaire nos valises, tout décharger et tout

préparer. Nous avions devant nous environ trois semaines, la quatrième étant celle de la

conférence ».

Des camions livraient des centaines de cartons de draps, par exemple. Il fallait les

décharger. Il fallait les compter. Il fallait préparer les parures. Puis les répartir dans les

700 chambres de l’hôtel. Sept cents lits devaient être faits. Chacun des nouveaux membres de

l’équipe a dû apprendre à faire un lit.

Matelas, coutellerie, verrerie, serviettes, vin, cuisine, systèmes d’air conditionné,

marbre : absolument tout ce qu’il fallait pour achever la construction d’un hôtel cinq étoiles au

milieu de nulle part.

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Vers la fin, les membres de l’équipe travaillaient 20 heures par jour pour que l’hôtel et le

personnel soient fin prêts à accueillir les 800 invités lors du sommet.

Moins de deux mois après la demande initiale de rénovation de l’hôtel et un mois après

l’arrivée des premiers membres de l’équipe, le chantier s’est transformé en un véritable hôtel

totalement opérationnel, avec plus de 1 000 nouveaux membres d’équipe prêts à servir plus de

800 invités lors de cette conférence. Chefs d’État inclus.

Hilton accueillit la CEDEAO.

Par la suite, l’hôtel a fermé ses portes pendant deux mois pour terminer les travaux de

construction, rouvrant ses portes avec 70 pourcents du personnel d’origine. Comme à Buenos

Aires, le taux d’occupation était loin d’être optimal pendant les premiers mois, mais Abuja

prenait forme en tant que capitale. Trois semaines après l’ouverture officielle, l’établissement

servait 400 déjeuners et 600 dîners. Les chemins ont été remplacés par des routes

goudronnées. Des écoles furent construites. Des commerces ouverts.

Conrad Hilton disait toujours que l’on ne se sentait jamais totalement prêt avant d’ouvrir

un hôtel (il faut juste le faire), mais ce cas extrême n’a été rendu possible que grâce aux efforts

extraordinaires déployés par les membres de l’équipe Hilton provenant des quatre coins du

monde. Les survivants et les vétérans de cette ouverture épique ont reçu un badge d’honneur

distinctif : le fait de dire que vous faisiez partie de l’équipe de lancement à Abuja vous fait

gagner le respect immédiat, et probablement un verre ou deux, car les membres de l’équipe

vous réclament toujours des histoires.

La plupart des personnes imaginent les travailleurs comme les employés d’une

organisation, et parce que c’est à cela que sont habitués les lecteurs, nous les avons désignés

en utilisant ce terme.

Mais lorsque nous discutions avec Hilton de cette décision lexicale, ils nous corrigeaient

gentiment : ce ne sont pas les employées de Hilton. Ce sont les membres d’une équipe.

Il s’avère que la sémantique est importante, peut-être plus que vous ne le pensez.

La notion d’être ensemble

Un groupe de chercheurs de l’Université de Stanford a démontré les avantages de faire

partie d’une équipe ou d’un groupe. En d’autres termes, l’interaction sociale est précieuse : une

accolade ou un « tope là » de la part d’un collègue contribue grandement à nous revigorer,

nous autres êtres humains épuisés. Mais ces chercheurs se sont attachés à examiner un autre

aspect de la collaboration : ils suspectent que le simple fait de se considérer nous-mêmes

comme membre d’une équipe a des effets positifs. Même sans les tope là, conseils ou sourires,

les gens semblent attacher beaucoup d’importance à faire partie d’un groupe. Mais quel doit

être le degré du sentiment d’appartenance pour que nous en récoltions les fruits ?

Les chercheurs ont amené des étudiants au laboratoire et leur ont donné une tâche

apparemment enfantine : les instructions consistaient à colorier une carte sans utiliser la même

couleur sur deux sections adjacentes et sans utiliser plus de quatre couleurs pour l’ensemble de

la carte. La tâche, qui semblait pourtant évidente et inoffensive, s’est avérée impossible.

Les étudiants participants ont rejoint ceux qui participaient à l’expérience dans le

laboratoire, et après de brèves salutations aux autres participants, chaque sujet a été amené

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dans une pièce séparée pour travailler sur le puzzle. Tout le monde a reçu le même travail (une

tâche impossible à effectuer) dans le même cadre (travailler seul dans une pièce).

Pour tester l’impact psychologique de l’appartenance à une équipe, les

expérimentateurs ont laissé entendre très subtilement à la moitié des participants qu’ils faisaient

partie d’une équipe. Les sujets soumis à ce test « ensemble » ont reçu deux petits indices leur

indiquant qu’ils n’étaient pas vraiment seuls. Premièrement, les participants du groupe

« ensemble » ont entendu que l’étude examinait « comment les gens travaillent ensemble sur

des puzzles », tandis que les autres participants du groupe « individuel » ont simplement

entendu que l’objectif de l’étude était d’observer « comment les gens travaillent sur des

puzzles ».

Le second indice : deux minutes et demie après avoir commencé l’exercice, un

expérimentateur est entré dans la pièce avec une feuille qui contenait un indice pour résoudre

le puzzle. Les participants du groupe « ensemble » ont reçu un indice qui était « pour » eux

« de la part » d’un autre participant ; les participants du groupe « individuel » ont simplement

reçu une feuille avec écrit « pour » eux.

Les participants pensant travailler « ensemble » ont indiqué que l’exercice était plus

intéressant. Mais la découverte la plus importante ne concernait pas ces opinions subjectives.

C’était une question d’engagement, même en essayant de réaliser une tâche impossible. Les

participants qui travaillaient « seuls » ont planché sur la carte pendant un peu plus de

11 minutes, alors que ceux qui travaillaient « ensemble » ont tenté de résoudre le problème

pendant 17 minutes, soit 48 pourcents de plus.

D’autres itérations de l’étude ont révélé que les sujets pensant travailler « ensemble » se

sentaient moins mis à l’épreuve par la suite et se sentaient moins fatigués. Ce qui importe ici,

toutefois, ce n’est pas qu’ils étaient moins fatigués parce qu’ils travaillaient moins ; au contraire,

le fait de travailler « ensemble » les avait motivés à travailler plus dur.

Le sentiment de travailler avec d’autres compense l’épuisement en nous donnant

l’impression d’avoir un autre bassin de ressources à exploiter : d’autres personnes. De simples

petits indices indiquant que nous ne travaillons pas seuls nous permettent de contrer la fatigue,

afin d’en faire plus, de nous engager davantage et de continuer à avancer.

Chris Silcock, le chef Ruffy Sulaiman, Dianna Vaughan et Jacques D’Rovencourt n’ont

jamais été des employés de Hilton, car Hilton ne fait pas référence à ceux qui travaillent pour

l’entreprise en tant qu’employés : ce sont des membres de l’équipe. La simple expression

« membres d’une équipe » peut avoir plus d’impact que les responsables futés de Hilton

peuvent imaginer. Pour découvrir à quel point ce peut être puissant, lisez l’histoire ci-dessous

sur l’ampleur de l’engagement dont peuvent faire preuve les membres d’une équipe.

Sri Lanka Dans les années 80 et 90, la soirée dansante hebdomadaire du Hilton Colombo connue

sous le nom de Blue Elephant (L’éléphant bleu) était l’endroit de la capitale sri lankaise où il

fallait être.

Kapila Mohotti a commencé à travailler à l’hôtel en tant que steward stagiaire à 19 ans. Il

s’est senti attiré par le Blue Elephant et demanda à son musicien résident, DJ Bunty, de lui

apprendre les ficelles du métier. S’exercer avant et après ses services fut finalement payant

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lorsque le Blue Elephant demanda à Mohotti d’être le DJ pour une nuit. Après le départ de

Bunty, Gamini Fernando, le directeur général du Hilton Colombo, proposa à Mohotti de devenir

DJ résident du Blue Elephant.

« J’avais l’impression que tout se mettait en place », dit Mohotti.

Le Blue Elephant était la première boîte de nuit internationale ; elle attirait les

personnalités et les locaux qui voulaient devenir mondains, pour boire avec leurs amis et faire

un tour sur la piste de danse qui était toujours bondée jusqu’à l’aube.

Manesh Fernando, l’actuel directeur général de l’hôtel, se souvient affectueusement de

cette époque. « Cet hôtel était une oasis dans la ville ».

Avec un verre à la main, exécutant quelques pas sur la piste de danse, les Sri Lankais

avaient l’occasion d’oublier ce qu’il se passait à l’extérieur : leur pays était au milieu d’une

terrible guerre civile.

« Lorsque vous vivez dans un pays en guerre., il vous faut développer cette capacité à

vivre dans l’instant présent. Vous apprenez à gérer les événements. Sans faire de plans à un,

deux ou trois ans. Lorsque vous dites “au revoir” à quelqu’un, vous le pensez vraiment, car vous

n’êtes jamais sûr de revenir », partage Fernando.

« Ils étaient vraiment, vraiment très nombreux à venir dans cette boîte de nuit ».

Le Blue Elephant était bien parti pour devenir une boîte de nuit prospère, mais les temps

changent, tout comme les goûts des résidents locaux. Ses portes ont finalement fermé le

21 avril 2007, après 20 ans de bons et loyaux services, offrant aux Sri Lankais champagne,

musique, une grande piste de danse, et d’une manière générale, un endroit où ils n’avaient pas

à penser aux difficultés d’une guerre terrible dans un pays qui attire les catastrophes naturelles

comme un aimant.

La capitale du Sri Lanka, Colombo, a une population de 700 000 habitants ; vous

pouvez parcourir la ville à pied en un jour. Les bâtiments fédéraux et les principaux sièges

sociaux des grandes entreprises se trouvent dans le centre-ville de Colombo. Dans les bons

moments, la position centrale de Hilton au cœur de ces quartiers est une aubaine ; dans les

moments difficiles, c’est une cible.

Le Hilton de Colombo ouvrit ses portes en 1987, quatre ans après le début de la guerre

civile au Sri Lanka. Les Tigres de libération de l’Îlam tamoul, ou LTTE (Liberation Tigers of

Tamil Eelam), un groupe séparatiste également connu sous le nom de Tigres tamouls, entrèrent

en conflit avec le gouvernement du pays en 1983.

Le 31 janvier 1996, les LTTE firent exploser une bombe de 200 kg près de la Banque

centrale du Sri Lanka, tuant 91 personnes.

L’année suivante, le groupe frappait encore en ciblant le World Trade Center, nouvel

édifice de 39 étages ouvert 3 jours auparavant et relié au Hilton Colombo.

À l’époque, l’actuel directeur général de l’hôtel, Gamini Fernando, était stagiaire dans

l’équipe de gestion, il travaillait de nuit. Il quitta l’hôtel à 3 heures du matin. À 7 h 00, alors qu’il

dormait chez lui, l’énorme bombe (450 kg d’explosifs à l’arrière d’un camion, cachés sous des

sacs de riz) explosa.

« Mon équipe m’a réveillé, m’informant qu’une énorme bombe avait explosé au cœur de

la ville », se souvient Fernando. La bombe a explosé dans le parking de l’hôtel Galadari, faisant

voler en éclat les vitres des immeubles du centre-ville et même au-delà. Elle a également détruit

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les façades des géants hôteliers internationaux du

centre-ville : le Galadari, l’Intercontinental et le Hilton.

« Lorsque je suis revenu, l’hôtel était en ruines

au milieu d’une zone sinistrée. D’un côté, il n’y avait

plus aucune fenêtre », ajoute Fernando. Trente-six

étrangers furent emmenés à l’hôpital ; les dégâts se

comptaient en dizaines de millions de dollars.

Gamini Fernando rassembla rapidement les

membres de l’équipe pour faire une annonce : « Nous

ne fermerons jamais, et nous rouvrirons cet hôtel très

vite, d’une manière ou d’une autre ». Comme

D’Rovencourt le fera à Houston 20 ans plus tard,

Fernando ne s’est jamais demandé si l’hôtel resterait

ouvert. Il s’est simplement engagé à le maintenir ouvert.

Puis, il fit une seconde déclaration : « Ne vous

inquiétez pas pour votre salaire ». « Ça a rassemblé

tout le monde », ajoute Fernando. Au Sri Lanka, une

partie des salaires des employés de l’hôtellerie se

compose de 10 pourcents de frais de service. Le fait de

savoir que leurs salaires ne s’effondreraient pas devant

l’inévitable chute du tourisme a facilité la poursuite des activités. Les propriétaires de l’hôtel ont

emprunté 2 millions de dollars à Hilton pour revenir à une situation normale dès que possible.

L’engagement est une relation bilatérale. Apprendre que Hilton s’était engagé à rester

ouvert a eu des effets spécifiques sur le personnel, Fernando se souvient : « Nous nous

sommes tous remis en marche comme une armée ».

« La chose la plus urgente à mettre en place était le nettoyage des lieux... nous étions

tous équipés de gants et de seaux pour débarrasser les débris de verre répandus dans tout

l’hôtel ». Pendant qu’ils ramassaient le verre à la main, ils portaient des casques et d’autres

couvre-chefs pour se protéger contre les morceaux de béton et de verre qui pouvaient tomber

au hasard.

Les rappels d’une identité commune et de l’appartenance à un groupe nous aident

lorsque les temps sont difficiles, ce qui accroît notre résilience. Répondre à une crise commune

peut mettre en évidence le destin commun des membres de l’équipe, ce qui permet aux

groupes de se sentir encore plus connectés.

Un fort sentiment d’engagement crée une spirale ascendante positive : le fait de savoir

que nous sommes là pour longtemps facilite les choses et nous incite à travailler vers un avenir

meilleur. Voir des progrès rendus possibles grâce à des efforts supplémentaires, en retour, est

revigorant ; l’engagement appelle l’engagement. Savoir que les directeurs ne fermeraient pas

boutique (et maintiendraient leurs salaires) a galvanisé les employés à se mettre au travail et à

nettoyer l’hôtel.

Puis, un groupe d’ingénieurs d’une équipe régionale a fait le déplacement depuis

Singapour pour évaluer les dégâts de l’édifice et a déclaré la structure comme étant intacte.

Savoir que l’hôtel était voué à rester ouvert a posé pour la direction la question du « comment »,

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et non du si ; Fernando et l’ingénieur en chef du bâtiment ont décidé de protéger l’intérieur de

l’hôtel en le recouvrant rapidement avec du contreplaqué.

L’hôtel Galadari d’à côté a souffert de dommages similaires, mais n’a pas pu rester

ouvert. Selon Fernando, ils n’avaient pas bouché les ouvertures où la bombe avait fait voler en

éclat les fenêtres. Ses directeurs ont douté s’il fallait ou non maintenir l’hôtel ouvert en raison

des retours décevants. Lorsque des étrangers regardent l’hôtel, ils ont tendance à s’y projeter,

eux au premier plan en tant qu’hôte, le personnel de l’hôtel en arrière-plan. Mais les locaux

voient l’hôtel d’un œil différent, comme une source potentielle d’emplois par exemple, un endroit

où organiser un mariage, un cocktail. Ils passent alors au premier plan, et les hôtes en arrière-

plan. Lorsque les propriétaires étrangers ont commencé à douter de la fin de la guerre civile, ils

se sont demandé si les touristes reviendraient un jour. S’ils ne revenaient pas, il n’y aurait plus

grand intérêt à rester.

Les choses se sont compliquées pour le Galadari : après la bombe, ce fut une terrible

mousson qui s’abattit sur la ville.

« La tempête s’est abattue et a endommagé l’hôtel bien plus que la bombe, je crois, car

la montée des eaux a tout ravagé à l’intérieur de l’hôtel », poursuit Fernando.

Après la mousson, le Galadari ferma ; l’hôtel Hilton Colombo reprit ses opérations en

quelques semaines.

À ce moment, la guerre civile avait coûté la vie à 50 000 personnes et le tourisme

international en payait le prix fort. Pendant un temps, l’hôtel Hilton de Colombo était le seul

hôtel international, faisant ainsi de lui l’endroit où les voyageurs d’affaires se rendaient

automatiquement.

D’autres hôtels ont négligé la valeur de leur présence pour les résidents locaux et leurs

fermetures ont fait de Hilton un point encore plus central pour les habitants. Malgré la guerre

civile en cours, les résidents de Colombo n’avaient d’autres choix que de rester. Ils sont

vraiment restés fidèles à cet endroit.

« On ne s’est même pas posé la question d’une fermeture. C’est notre petit monde, et

Hilton devait continuer à tourner », ajoute Fernando. Quand partir n’est pas une option, les

membres d’équipe et les locaux n’ont pas d’autres choix que de tirer le meilleur parti de la

situation. Ils sont restés proches les uns des autres et ont développé un tel sentiment de

loyauté qu’ils se sont sacrifié de bon cœur pour l’équipe. (Certains membres de l’équipe

conduisaient plus de 20 km dans des conditions dangereuses, à travers une zone de guerre,

pour se rendre au travail tous les jours).

Les années passèrent et la guerre civile ne montrait aucun signe d’arrêt.

À un moment donné, « on a demandé à toute la ville de passer en mode nuit pour que

les avions ne puissent pas voir où ils étaient censés bombarder », explique Fernando. Il ajoute :

« [Je] n’ai jamais voulu nous voir fermer l’hôtel au milieu des raids aériens ». La direction décida

de couvrir toutes les fenêtres de l’hôtel de rideaux occultants, esthétiquement agréables de

l’intérieur et de l’extérieur, mais non ouvrants, hermétiquement scellés contre les fuites de

lumière.

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En 2008, un kamikaze tua neuf personnes (dont sept policiers), après avoir fait exploser

sa bombe au barrage de police à l’extérieur de l’hôtel, endommageant certaines fenêtres.

William Costley, le directeur général à cette époque (qui est maintenant vice-président des

opérations pour la péninsule arabique et la Turquie), comme son prédécesseur, n’a jamais

envisagé de fermer l’hôtel.

À cette époque, l’hôtel s’était bâti une réputation en restant ouvert et en assurant la

sécurité de tout le monde ; garder les lumières allumées, c’était tout simplement normal.

« La vie continue », déclare Fernando.

« Cet hôtel était le lieu où les gens venaient

pour oublier leurs problèmes, toute cette

négativité. C’était la bulle d’oxygène de la

ville ». Le seul endroit où la vie avait un

semblant de normalité, où les gens pouvaient

se créer de bons souvenirs.

Même le jour où l’attentat-suicide fit

voler en éclat les vitres d’un côté de l’hôtel, la

vie reprit le dessus.

La guerre civile n’a pas anéanti les

désirs de mariage et d’organisation de fêtes. Ce jour-là, de l’autre côté de l’hôtel, un mariage fut

célébré, comme prévu.

Vous vous souvenez du rédacteur désobligeant de Vogue, contrarié par l’homme

d’affaires qui prenait son petit-déjeuner dans son oasis ? Dans certains cas, cette oasis peut-

être un abri qui vous sauve la vie.

Être capable de se sentir en sécurité au milieu d’une guerre civile n’a rien d’anodin. Et le

directeur général actuel Manesh Fernando a toujours gardé cela à l’esprit, depuis qu’il vit son

propre directeur général Gamini Fernando arpenter le hall en short, juste avant de monter sur

scène et de déclamer aux membres de l’équipe : « Nous ne fermerons jamais, et nous

rouvrirons cet hôtel très vite, d’une manière ou d’une autre » ;

Le simple fait d’entendre les mots « Nous ne fermerons jamais » a suffisamment motivé

l’équipe à trouver les réponses aux incertitudes : l’engagement appelle l’engagement.

Mais à quoi bon, si le tourisme venait à s’effondrer temporairement ? Les touristes ne

sont qu’un revers de la médaille. Les habitants de la région ont besoin de la lumière et de la

chaleur de l’hospitalité, eux aussi.

Savoir que les lumières étaient allumées et que les autres membres de l’équipe avaient

besoin d’eux facilitait le fait de rester. Des 700 membres de l’équipe qui travaillent actuellement

au Hilton Colombo, 200 personnes étaient déjà là lorsque la première bombe a explosé

en 1996.

La vision de Conrad Hilton était simple : être une source fiable d’hospitalité pour ses

clients. Mais il lui était impossible de prédire qu’adhérer à cette vision (répandre sur la terre la

lumière et la chaleur de l’hospitalité) prendrait une signification totalement différente en près de

100 ans.

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Les hôtels Hilton peuvent élargir le monde des voyageurs et construire des

communautés en respectant simplement le but premier de la société, celui d’être accueillant. Ici,

cela se traduit par une oasis qui garde ses lumières allumées, qui joue le rôle d’une ancre en

pleine tempête. Être aussi fiable qu’une ancre, alors que le pays part à la dérive, garder ses

portes ouvertes pour les locaux comme pour les clients, cela instaure la confiance et incite les

autres à en faire autant.

Les contrats modernes sont rédigés de façon à ce que les personnes soient déchargées

de leurs responsabilités contractuelles en cas de force majeure, appelés « actes de Dieu » dans

les juridictions anglo-saxonnes. Voici une clause traditionnelle d’acte de Dieu :

Le dépositaire légal n’est pas responsable de tout manquement ou retard dans

l’exécution de ses obligations en vertu de la présente convention découlant de,

ou causé, directement ou indirectement, par des circonstances hors de son

contrôle raisonnable, y compris, notamment, les cas de force majeure,

tremblements de terre, incendies, inondations, guerres, troubles civils ou

militaires, sabotages, épidémies, émeutes, accidents, conflits sociaux, actes des

autorités civiles ou militaires, ou actions gouvernementales.

Il serait compréhensible que l’une ou l’autre de ces situations perturbe le service, l’objet

même de cette clause permettant légalement aux gens d’abandonner leur contrat dans des

situations difficiles indépendantes de leur volonté. Mais les éléments sémantiques de ce contrat

font écho à une liste d’épreuves endurées par des membres d’équipe dans des endroits comme

Colombo, Le Caire et le Japon.

Incendies ? Oui.

Inondations ? Oui.

Guerres, troubles civils ou militaires, sabotage ? Échec et mat.

Personne n’aurait reproché à un employé de quitter son travail pendant l’une de ces

situations, mais c’est à ce moment que les employés de Hilton ont réussi à s’unir le plus. Les

membres d’équipe s’engagent activement envers l’équipe, ce qui permet en retour à Hilton de

tenir ses engagements auprès des communautés que l’entreprise sert.

À Buenos Aires, la crise économique de plus en plus grave a conduit à la faillite des

investisseurs et entrepreneurs clés avant l’achèvement des travaux de l’hôtel. Alors que la crise

s’était transformée en récession, l’hôtel était déterminé à ouvrir ses portes à la date prévue et à

laisser les lumières allumées. S’engager à verser un salaire stable aux membres de l’équipe a

permis de garder cette lumière allumée dans les moments difficiles. Hilton était le seul bâtiment

commercial du quartier, c’était un tel signe de stabilité qu’il a stimulé le développement de la

zone environnante, transformant ses hectares de prairies et de bâtiments abandonnés en l’un

des quartiers les plus prisés de Buenos Aires, au milieu d’une récession.

Au Caire, malgré la révolution du printemps arabe éclata près du Nile Hilton, et cet hôtel

près du centre-ville soutenait les manifestants prodémocratiques. Un commentateur disait :

« Ce n’est pas un hasard si ces événements se sont déroulés près du Hilton, car il a toujours

fait partie du cœur de la ville ». Et il était au cœur de la ville, car comme pour Buenos Aires,

c’était un point focal autour duquel la ville s’est développée.

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Au Japon, les membres de l’équipe ont survécu à la fureur des dieux, surmonter un

tremblement de terre, un tsunami et une panne de centrale nucléaire.

Il est facile de rester fidèle à des lieux dans les bons moments. Mais faire preuve

d’engagement dans les moments difficiles ? Pas aussi simple.

Conrad Hilton n’aurait probablement pas pu imaginer son hôtel dans une ville

bombardée plusieurs fois sur une décennie. Mais il aurait été fier que son nom soit associé à

l’hôtel Colombo, car les membres de l’équipe ont incarné sa vision de l’hospitalité à son

paroxysme.

Le 5 novembre 1954, Hilton tint un discours lors de la convention de l’American Hotel

Association à New York. Il conta la version suivante de cette vieille histoire :

Il était une fois un monde plongé dans les ténèbres et le froid. Puis un jour, Prométhée

décida de voler le feu aux dieux et de le ramener sur terre. Des files d’hommes, de femmes

et d’enfants attendaient, depuis le sommet de la plus haute montagne jusqu’aux extrémités

de la terre, prêts à recevoir la flamme et à la transmettre. Soudain frappa un éclair, et le

premier flambeau de l’homme le plus proche fut allumé. Rapidement, la flamme passa de

main en main. D’une seule flamme en naquirent dix, d’une centaine, mille, puis elle passa de

ville en ville, de pays en pays, jusqu’à ce que la lumière et la chaleur se répandissent sur

terre. Voici l’histoire de notre industrie. En tant qu’hommes et femmes de l’industrie

hôtelière, il est de notre responsabilité de répandre la lumière et la chaleur de

l’hospitalité sur terre.

« Répandre sur terre la lumière et la chaleur de l’hospitalité ». Aujourd’hui, à petite ou

grande échelle, Hilton poursuit cette vision, celle de créer l’effet Hilton pour ses clients, ses

membres d’équipe et les communautés :

● Une hôte part pour la première fois en voyage d’affaires à l’étranger pour

essayer de convaincre une cliente qui parle une autre langue d’acheter ses

produits. Elle redoute déjà les négociations complexes, mais se réjouit de voir les

plats de son petit-déjeuner préféré sur le buffet, comme à la maison. Ce sera une

longue et dure journée, mais au moins, elle aura pris un bon petit-déjeuner. Sa

mère serait fière d’elle.

● Un jeune membre de l’équipe d’Abuja, au Nigéria, s’occupe des banquets à

l’hôtel Embassy Suites de Houston, au Texas. Il est convoqué au bureau de son

directeur et on lui demande s’il voudrait être directeur de nuit pendant quelque

temps. « C’est un travail difficile » lui dit-on, « mais vous apprendrez beaucoup. »

● Un groom de Cleveland montre sa chambre à une famille, requinquée par son

enthousiasme contagieux et ses connaissances de l’histoire de l’hôtel. Avant

d’obtenir ce travail, il était au chômage depuis cinq ans.

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Le retour du Blue Elephant En 2018, le Blue Elephant annonça qu’il rouvrirait pour une fête rétro les 10 et 11 août,

plus de 10 ans après sa fermeture.

DJ Kapila revint pour la soirée, bien qu’on devrait plutôt dire qu’il s’installa. Kapila

Mohotti est maintenant le directeur du département Aliments et boissons, et travaille au Hilton

Colombo depuis plus de 30 ans.

« Les gens nous demandaient tout

le temps quand il rouvrirait ses portes ! Ils

y avaient tellement de souvenirs », raconte

le directeur général Fernando.

L’annonce de la fête rétro au Blue

Elephant créa une certaine effervescence

sur les médias sociaux. Les gens

évoquaient leurs soirées passées dans cet

endroit avec nostalgie et poésie, se

demandant combien de vieux amis

viendraient, 10 ans plus tard, rendre

hommage à un club qui a existé un certain temps dans un hôtel du centre, offrant lumière et

chaleur aux gens d’un pays régulièrement frappé par des actes de Dieu.

Quand on ne sait pas combien de temps le bonheur va durer, on savoure l’instant

présent.

À la soirée rétro, la file d’attente à l’entrée était pleine de visages radieux, et nombreux

étaient ceux qui portaient des vêtements certainement restés au fond d’un placard pendant des

années. Le bar était pris d’assaut. Le DJ aussi. « C’était plein à craquer », déclara Fernando.

Le DJ passa l’hymne de Whitney Houston : « I Wanna Dance with Somebody. » La

musique était assourdissante et les boissons étaient fraîches dans un hôtel qui n’avait jamais

fermé ses portes, et qui avait toujours offert lumière et chaleur même durant les heures les plus

sombres du pays.

Et ils dansèrent jusqu’au bout de la nuit.

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Conclusion sur l’Effet Hilton

Par Christopher J. Nassetta, président et CEO de Hilton

Comme beaucoup d’employés que Chip et Karla ont rencontrés en étudiant l’Effet

Hilton, j’ai débuté très jeune dans l’hôtellerie. Mon père m’encouragea à travailler pendant mes

vacances scolaires au service ingénierie d’un hôtel de Washington D.C. En fait, j’ai débouché

tellement de toilettes un été que mon cadeau de départ fut une ventouse peinte en doré. Malgré

cet honneur douteux, je suis tombé amoureux de ce secteur et n’ai jamais cherché à faire autre

chose.

Mais ce n’est que lorsque je devins PDG d’Hilton il y a dix ans que réalisai vraiment ce

que Conrad Hilton avait compris très longtemps avant moi : la capacité du voyage à donner

envie aux gens de se dépasser réside dans l’aptitude d’une entreprise hôtelière à permettre aux

voyageurs de montrer le meilleur d’eux-mêmes. Conrad lui-même comprit cela avec l’ouverture

de son premier hôtel à Cisco, au Texas, lorsqu’il constata que pour satisfaire les clients, il fallait

créer un esprit de corps chez les employés, une culture d’équipe les encourageant à innover

sur le moment pour enrichir l’expérience de leurs clients.

Aujourd’hui, comme Chip et Karla l’ont eux-mêmes découvert, nos 400 000 employés

restent fidèles à notre héritage, dans l’ensemble des 5 400 établissements Hilton, répartis

jusqu’à présent dans 106 pays et territoires. En réponse au message de Conrad, les plus de

10 millions de membres qui composent notre équipe répandent sur la terre la lumière et la

chaleur de l’hospitalité depuis notre fondation, et c'est plus de trois milliards de voyageurs que

nous avons ainsi accueillis.

Nous encourageons nos clients à explorer, rêver, agir, se réunir avec leurs proches,

découvrir des cultures, et faire des choses qu’ils n’auraient jamais imaginé faire : changer leur

monde et le nôtre.

À une époque caractérisée par tant d’anxiété et de discorde, le pouvoir fédérateur du

voyage n’a jamais été aussi nécessaire. C’est cela, le secret du voyage : il élargit notre vision

du monde tout en nous rapprochant des divers peuples de la planète.

Comme je le dis souvent, nous sommes dans l’âge d’Or du voyage. Les classes

moyennes émergeant dans des endroits comme l’Inde et la Chine alimentent une soif globale

d’exploration et d’aventure, et conduisent à l’apparition de plus en plus de destinations dans des

cultures et des idées nouvelles. En 2017, nous avons recensé 4 milliards de passagers aériens.

Dans à peine 20 ans, ce chiffre aura doublé.

C’est pour cela que je suis si reconnaissant – à l’heure où nous célébrons notre

centenaire – que nous utilisions le siècle d’expérience qu’Hilton possède dans la création de

liens chargés de sens et d’histoire, pour être les pionniers d’une nouvelle ère de l’hospitalité. À

la veille de son centenaire, Hilton n’a jamais été aussi dynamique.

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Nous ouvrons la voie à de nouvelles destinations de voyage en ouvrant des centaines

d'hôtels dans près de 50 pays et territoires rien que pour notre année anniversaire.

En ouvrant des hôtels abordables et de haute qualité dans tout le pays, nous permettons

à des millions de familles de la classe moyenne chinoise de voyager avec plus de confort et

d’assurance.

Nous sommes toujours les premiers à repousser les limites du voyage en Afrique, et

nous nous sommes engagés à ouvrir 100 nouveaux hôtels d’ici 2022 dans le cadre de notre

Initiative de croissance Hilton en Afrique.

Nous nous adaptons aux besoins et préférences changeants des nouvelles générations

de voyageurs, en ajoutant de nouvelles marques intelligentes à notre portefeuille de

14 marques mondiales, et nous continuons à proposer des innovations dans le secteur, comme

la Connected Room, la première expérience hôtelière entièrement connectée.

Chaque jour, nous avons à cœur d’honorer l’esprit pionnier que notre fondateur a

insufflé à la première entreprise hôtelière mondiale.

Quand je lis l’étude de Chip et Karla, je me sens honoré de faire partie de cette histoire

appelée « l’Effet Hilton ». Je crois sincèrement que la naissance d’Hilton il y a cent ans a rendu

service à l’humanité, et que si nous faisons bien notre travail, le monde n’en sera que meilleur,

car Hilton en fera partie pendant les cent ans à venir.

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SOURCES

PREMIÈRE SECTION “Suddenly, we weren’t rich anymore”: Conrad Hilton (1957), Be My Guest. Englewood Cliffs, NJ:

Prentice-Hall, p. 61.

“Tipped me five dollars”: Hilton, Be My Guest, p. 62.

“A crackerjack at making things comfortable for you”: J. Randy Taraborrelli (2014), Hiltons: The

True Story of an American Dynasty. New York, NY: Grand Central, p. 22.

“A cross between a flophouse and a gold mine”: Hilton, Be My Guest, p. 109.

First hotel to install TVs, multi-hotel reservations system, no guest rooms with westward-facing

windows: http://newsroom.hilton.com/hhr/page/29

Erin McCarthy, “Who Invented the Brownie?” Mental Floss, November 13, 2014,

http://mentalfloss.com/article/60011/who-invented-brownie

“Real experience of difference”: For context, in this statement, Wharton was emphasizing what

she thought of Hilton hotels when she was younger. Annabel Jane Wharton (2001), Building the

Cold War: Hilton International Hotels and Modern Architecture. Chicago, IL: University of

Chicago Press, p. xiii.

“the capacity to alter or override dominant response tendencies and to regulate behavior,

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“The system was installed in September 2015 for $166,000; two years later, it had already

saved the hotel over $750,000”: Elliott Mest, “How Large and Small Hotels Approach Laundry

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TROISIÈME SECTION

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CLEVELAND/YORK Andrew Small, “The Difference a DIY Cultural Revival Can Make,” Citylab, September 2017,

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“Hilton in your downtown – that’s a prestige factor”: Anthony J. Machcinski, “Saving Yorktowne:

Unlikely story of how York landed Hilton and why that’s such a big deal,” York Daily Record,

June 4, 2018, https://www.ydr.com/story/news/2018/06/04/hilton-tapestry-rescue-yorktowne-

hotel-story-behind-deal-downtown-york-efforts-could-have-died/630300002/

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Blue Elephant Retro Party: YAMU TV, https://www.yamu.lk/event/blue-elephant-retro-party

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the-gloom-hanging-over-sri-lanka.html

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Intervention de Conrad N. Hilton au déjeuner annuel de la convention, American Hotel

Association, New York, NY. November 5, 1954. Transcription fournie par le département

Hospitality Industry Archives, Conrad N. Hilton College of Hotel & Restaurant Management,

University of Houston, Texas.