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« Le Christianisme comme religion de l’autre » Sujet de la séance (1 ère partie) : Penser la présence de l’autre : la place faite aux Juifs dans l’Occident médiéval 1 2
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Sujet de la séance (1ère partie) :
« Le Christianisme comme religion de l’autre »
Penser la présence de l’autre : la place faite aux Juifs dans l’Occident médiéval
Comment était pensée la présence juive dans l’Occident médiéval ? Répondre à cette
question a pu sembler pour les chrétiens un véritable « casse‐tête ». Présence juive il y a,
et soulignons qu’elle est, au Moyen Âge, la seule présence non chrétienne tolérée en
Occident (là où hérétiques et païens ne bénéficient pas d’un tel droit) ; mais comment
l’accepter dans une société se concevant en même temps comme un « corps » tout entier
chrétien ?
La base du « droit des Juifs » demeure le droit romain : « ciues Romani, Iudaei
religione », les Juifs ont grâce au célèbre édit de Caracalla (212) les droits et devoirs des
autres citoyens. La conversion de Constantin et les compilations juridiques postérieures
(Code théodosien par exemple) changent les choses (une spécificité des Juifs apparaît
dans la loi), mais le cadre général demeure.
Par une lettre fameuse dont l’incipit est « Sicut Iudæis », le pape Grégoire le Grand (590‐
604) semble fonder l’attitude de l’Église à l’égard de cette présence : ces mots seront en
effet repris comme l’incipit d’une bulle appelée à une belle fortune, réitérée sous des
formes chaque fois un peu renouvelées à partir du XIIe siècle. Interdire aux Juifs de
dépasser les limites qu’on leur a fixées, mais les protéger dans ces limites (en refusant, en
particulier, le baptême forcé) ; voilà la position, qui n’est remise en cause que
ponctuellement (pensons entre autres à l’antijudaïsme de l’Espagne wisigothique, au VIIe
siècle) jusqu’à ce que, à partir du bas Moyen Âge, la « condition » juive se détériore : sans
parler des persécutions et des violences réelles, qui sont condamnées par les pouvoirs,
Collège des Bernardins, Séminaire sur l’Altérité
Département Judaïsme et Christianisme
Séance du 17 mars 2011
Intervenant et compte rendu : Pierre Savy
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évoquons les expulsions, qui commencent à la fin du XIIe siècle et s’achèvent au XVIe, et
les mesures de ségrégation (notamment au quatrième concile de Latran, 1215).
C’est qu’il y a entre les deux religions ce que, après d’autres, on pourrait appeler un
problème d’« identité » : d’abord parce que les chrétiens, s’ils reconnaissent dans le
judaïsme une « religion », peinent parfois, au Moyen Âge, dans le feu de la polémique en
particulier, à admettre qu’un homme d’origine juive et baptisé ne soit pas encore « un peu
juif » (le converti reste « le Juif » ou « quondam Iudaeus » ; évoquons aussi l’antipape
Anaclet et l’exigence de limpieza de sangre à partir du milieu du XVe siècle en Espagne). En
outre, la théologie demeure à l’heure de la substitution : les chrétiens se pensent encore,
depuis l’Antiquité tardive, comme Verus Israel. L’élection divine aurait été transférée
d’Israël au « peuple chrétien ». Pour autant, les Juifs demeurent tolérés, jusqu’aux
expulsions : l’idée d’Augustin, fameuse – et nullement incompatible avec celle du Verus
Israel –, est qu’on doit voir en eux un peuple « témoin » : leur existence et leur déchéance
témoigneraient du châtiment divin, des temps anciens, antérieurs à l’Incarnation, et de
l’abandon de l’alliance première entre Israël et Dieu.
Au fond, on peut d’un mot dire que la manière chrétienne de penser la présence de
l’altérité juive au Moyen Age est à l’enseigne de la tension : il nous faut renoncer à
résoudre cette tension – entre la croyance en la conversion finale d’Israël et le désir de
convertir les Juifs ici et maintenant ; entre la passion de l’Église pour l’inclusion des
hommes et les mécanismes d’exclusion mis en place par la même Église. Ainsi, quoique
placés dans une position d’infériorité, les Juifs ont longtemps été protégés par divers
aspects de la tradition, mobilisés à cette fin par les penseurs chrétiens et par les pouvoirs
du Moyen Âge occidental.
Pierre Savy