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Le Journal de Notre Amérique n°6

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Septembre 2015

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SOMMAIRE

L'Edito du JournalPar Alex ANFRUNS & Tarik BOUAFIA

« Les Cubains sont et resteront les auteurs de leur modèle économique »Interview de Salim LAMRANI par Tarik BOUAFIA

Pourquoi la France n’ aurait jamais dû inviter Pena Nieto au 14 juillet Par Luis Alberto REYGADA

Mémoire historique: 14ème anniversaire de l’ assassinat de J-A Freytter RomeroPar Jorge FREYTTER-FLORIAN

La pauvreté au Venezuela et les cavaliers de l'apocalypse

Par Giordan MARQUEZ

Le silence d'ABC sur la loi « Bâillon » et les « Missions » Par Richard MOYA

Chili : la violence insurrectionnelle des camionneurs de droitePar J-C CARTAGENA & Nadine BRIATTE

Tentatives de déstabilisation en Equateur. Réflexion sur l´indigénisme occidental

Par Romain MIGUS

L’Équateur de 2015 : l'épuisement d'un modèle

dans un contexte de crise mondiale

Par François HOUTART

Populisme en Amérique Latine

Par Marcelo MASSONI

Au Salvador, les Etats-Unis exportent des criminels

Par Atilio BORON

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L'Edito du Journal

par Alex Anfruns & Tarik Bouafia

Le 18 décembre dernier, les présidents cubains et états-uniens, MM. RaulCastro et Barack Obama annonçaient simultanément le rétablissement des relationsdiplomatiques entre leurs deux pays.

Après cinquante ans d'agressions, d'ingérence et d'impérialisme, la MaisonBlanche se résolvait enfin à admettre l'échec de sa politique étrangère envers LaHavane. Néanmoins, de nombreuses questions reste en suspens quant à l'avenir de larévolution emmené par Fidel Castro en 1959.

Dans ce nouveau numéro du Journal de Notre Amérique, nous vous proposonsune interview avec l'un des meilleurs connaisseurs de Cuba, Salim Lamrani.Embargo, réformes économiques, intégration latino-américaine, question des droitsde l'homme... les sujets brûlants y sont traités et permettront au lecteur de se faire uneidée un peu plus clair sur ces événements historiques.

Ce Journal de Notre Amérique reviendra également sur la présence scandaleusedu président mexicain Enrique Pena Nieto lors des célébrations du 14 juillet dernier àParis. Alors que le Mexique s'enfonce tous les jours un peu plus dans le terrorismed’État, la violence, la corruption et la violation des droits de l'homme, le présidentHollande n'a pas hésité à inviter un homme qui pour beaucoup est en grande partieresponsable de la disparition des quarante-trois étudiants d'Ayotzinapa il y amaintenant un an.

Pendant que les régimes néolibéraux sont reçus en grande pompe à Paris,d'autre nations latino-américaines comme l’Équateur ou le Brésil font elles face à desmanifestations de la droite qui n'hésitent pas dans certains à appeler au coup d’État endemandant notamment l'aide des États-Unis. Mais, rassurez-vous, ces événementsn'ont été couverts par aucun des grands médias et aucune condamnation des paysoccidentaux ne s'est fait entendre. Un silence qui bien évidemment ne surprendrapersonne.

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Attention, Médiamensonges !

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Salim LAMRANI : «Les Cubains sont et resteront les auteurs deleur modèle économique »

*Docteur en Etudes Ibériques et Latino-américaines de l’Université Paris Sorbonne-Paris IV, Salim Lamrani est Maître de conférences à l’Université de la Réunion et journaliste, spécialiste de Cuba.

Tarik Bouafia : Dans votre nouveau livre à paraître ce mois-ci (septembre 2015)intitulé "Cuba: parole à la défense", vous interrogez dix personnalités de renom proches deCuba telles que Eusebio Leal ou encore Alfredo Guevara. Après l'annonce du rétablissementdes relations diplomatiques et commerciales entre Cuba et les Etats-Unis, quelle est l'opiniongénérale quant à l'avenir de la Révolution Cubaine, de ses institutions, de son modèle social etdes réformes économiques annoncées ? Doit-on craindre désormais une forme d'impérialismeéconomique et culturel des Etats-Unis à l'égard de Cuba ?

Salim Lamrani : Cuba a toujours déclaré être disposée à normaliser ses relations avec lesEtats-Unis à condition que celles-ci se basent sur trois principes fondamentaux : l’égalitésouveraine, la réciprocité et la non-ingérence dans les affaires internes. Il convient de rappeler quedans le conflit entre La Havane et Washington, l’hostilité est unilatérale. Ce sont les Etats-Unis quiimposent des sanctions économiques obsolètes, cruelles et inefficaces et qui martyrisent le peuplecubain depuis 1960. Ce sont les Etats-Unis qui ont envahi militairement Cuba en avril 1961. Ce sontles Etats-Unis qui ont menacé Cuba de désintégration nucléaire en octobre 1962. Ce sont les Etats-Unis qui financent une opposition interne à Cuba pour obtenir un changement de régime. Ce sontles Etats-Unis qui émettent des programmes de radio et de télévision illégaux et subversifs àdestination de Cuba dans le but de déstabiliser la société. Enfin, ce sont les Etats-Unis qui mènentune guerre politique, diplomatique et médiatique contre Cuba.

Cuba, de son côté, n’a jamais agressé les Etats-Unis de son histoire. Au contraire, dès 1959,Fidel Castro avait fait part de sa volonté à entretenir des relations cordiales et apaisées avecWashington. En guise de réponse, les Etats-Unis ont appliqué à l’égard de Cuba une politique debrutalité inouïe.

La décision prise par le Président Barack Obama de rétablir les liens diplomatiques avecCuba, avec l’ouverture d’ambassades à Washington et La Havane, constitue un pas positif dans leprocessus de normalisation des relations avec Cuba. La question est de savoir s’il s’agit là d’unchangement stratégique, c’est-à-dire si Washington a décidé de renoncer à son objectif de détruire laRévolution cubaine et d’accepter enfin la réalité une Cuba souveraine et indépendante, ou bien d’unsimple changement tactique, c’est-à-dire le remplacement d’une politique basée sur la violence, lamenace et le chantage par une approche plus douce basée sur le dialogue et la séduction, mais avectoujours le même objectif de faire de Cuba une nation satellite. Ma conviction profonde est qu’ils’agit d’un simple ajustement tactique car les Etats-Unis sont dans l’incapacité psychologique

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d’accepter la réalité d’une Cuba libre et émancipée de la tutelle étasunienne. Mais les Cubains sontlucides et préparés comme le montrent les conversations de Cuba, parole à la défense !

Ernesto Guevara a un jour annoncé "Toute notre action est un cri de guerre contrel'impérialisme et un appel vibrant à l'unité des peuples contre le grand ennemi du genre humain:les Etats-Unis". Que signifie cette phrase aujourd'hui en 2015 alors que Washington et LaHavane viennent de rouvrir leurs ambassades respectives ?

SL : Le Président Raúl Castro a été très clair à ce sujet. Le rétablissement des relationsdiplomatiques avec les Etats-Unis ne signifie pas le renoncement de Cuba à son projet de société ouà sa politique étrangère internationaliste et solidaire vis-à-vis des peuples du Tiers-monde et desdéshérités de la planète. La politique intérieure et la politique étrangère de Cuba sont descompétences exclusives du peuple cubain et ne sont pas négociables. Cuba ne négocie ni sa liberté,ni son indépendance, ni sa souveraineté. Cuba continuera à soutenir toutes les causes justes quirevendiquent l’émancipation du genre humain et tendra une main généreuse et fraternelle auxécrasés, aux révoqués et aux humiliés, avec pour objectif d’atteindre la « pleine dignité de l’êtrehumain », pour reprendre une expression du Héros national José Martí. Cuba, fidèle aux idéaux duChe Guevara, continuera à « trembler d’indignation » chaque fois qu’une injustice sera commise àtravers le monde. Le peuple cubain est par essence anti-impérialiste. Cela fait partie de sonidiosyncrasie. Néanmoins, il n’est pas anti-américain. Au contraire, il a une sympathie naturellepour le peuple des Etats-Unis.

Malgré les signes d'ouverture à l'œuvre à la Maison Blanche sur le sujet cubain, denombreuses questions épineuses restent en suspens notamment celle de l'embargo économiqueet de Guantanamo. Que peut-on attendre du rétablissement des relations entre les deux payssur ces sujets qui cristallisent encore de fortes tensions ?

SL : Il est en effet indispensable de lever les sanctions économiques imposées aux Cubainsdepuis 1960 car elles constituent à la fois le principal obstacle au développement du pays maiségalement à la pleine normalisation des relations bilatérales. Ce sujet est également abordé dans lelivre. Le blocus affecte toutes les catégories de la population cubaine, à commencer par les plusvulnérables, les femmes, les enfants et les personnes âgées. Il a également un impact dans tous lessecteurs. Loin de constituer une simple question bilatérale, cet état de siège est condamné parl’ensemble de la communauté internationale qui l’a condamné en octobre 2014, pour la 23ème annéeconsécutive avec une majorité écrasante de 188 pays contre 2 (Etats-Unis et Israël). Dans monouvrage précédent, Etat de siège, je rappelle le caractère extraterritorial des sanctions, car celles-cis’appliquent à tous les pays du monde. Ainsi, l’entreprise allemande Mercedes ne peut pas exporterses voitures vers les Etats-Unis si elles contiennent un seul gramme de nickel cubain. De son côté,La Havane ne peut importer aucun produit sur le marché international qui contiendrait plus de 10%de composants étasuniens. Cuba ne peut pas renouveler sa flotte aéronautique à l’heure où letourisme se développe de façon exponentielle en acquérant des avions auprès du fabriquanteuropéen Airbus car ils contiennent tous plus de 10% de composants étasuniens.

Le Président Barack Obama a lancé un appel au Congrès afin qu’il lève les sanctionséconomiques. C’est un pas positif. Néanmoins, la marge de manœuvre de la Maison-Blanche estgrande car seuls quelques aspects des sanctions nécessitent l’accord du Congrès. Obama dispose detoutes les prérogatives présidentielles nécessaires pour montrer par des actes forts sa volonté depacifier les relations avec Cuba. Ainsi, à titre d’exemple, La Maison-Blanche pourrait parfaitementélargir le nombre de catégories des citoyens étasuniens autorisés à se rendre à Cuba, légaliser lecommerce bilatéral entre les entreprises des deux pays, permettre à Cuba d’acquérir sur le marchéinternational des produits contenant plus de 10% de composants étasuniens, autoriser l’importationde produits fabriqués dans le monde à partir de matières premières cubaines, consentir à la vente àcrédit de produits non alimentaires à Cuba, et accepter que l’île de la Caraïbe utilise le dollar dans

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ses transactions commerciales et financières avec le reste du monde. Aucune autorisation duCongrès n’est nécessaire pour cela.

Guantanamo, que les Etats-Unis occupent illégalement depuis 1902, constitue également unpoint de friction. En effet, suite à l’intervention étasunienne de 1898 dans la guerre d’indépendancecubaine, Washington avait imposé l’intégration de l’amendement Platt à la nouvelle Constitution,sous peine de maintenir indéfiniment l’occupation militaire de l’île. Cet appendice législatif, quifaisait de Cuba un protectorat sans véritable souveraineté, stipulait, entre autres, que Cuba devaitlouer aux Etats-Unis une partie de son territoire pour une durée de 99 ans renouvelablesindéfiniment… à partir du moment où l’un des deux camps y était favorable. Suite à l’abrogation del’amendement Platt en 1934, la base navale de Guantanamo a été maintenue pour la modiquesomme de 4 000 dollars par an. Depuis le 1er janvier 1959, le gouvernement cubain refuse depercevoir la rétribution annuelle et exige la dévolution du territoire. A ce jour, Washington refusetoute idée de retrait de Guantanamo.

Vous qui connaissez bien la société cubaine, que pouvez-vous nous dire sur leressentiment du peuple cubain à l'égard de ces nombreux changements qui s'annoncent ?Certains craignent-ils de voir les nombreuses conquêtes de la révolution telles que l'éducation,la santé, la culture être remis en cause par les réformes à venir ?

SL : Les Cubains n’ont aucune inquiétude au sujet de l’actualisation du modèle économiquecar ils en sont les auteurs. Comme l’illustrent les conversations de ce livre, cette réformeéconomique est le fruit d’une large consultation populaire. Il faut savoir que Cuba est unedémocratie participative. Au total, près de 9 millions de Cubains ont assisté à l’une des 163 000réunions organisées pour débattre du projet avec un total de 3 millions d’interventions. Ledocument original comprenait 291 points, desquels 16 ont été intégrés à d’autres, 94 ont étémaintenus intacts, 181 ont été modifiés et 36 ajoutés pour un total comprenant au final 311 points.Le projet de départ a ainsi été modifié à 68% par les citoyens et a été adopté le 18 avril 2011 lors dela tenue du VIIème Congrès du Parti communiste cubain par les mille délégués représentant les800 000 militants. Il a ensuite été soumis au Parlement cubain, qui l’a approuvé en session plénièrele 1er août 2011. Comme le rappelle Ricardo Alarcon, Président du Parlement cubain de 1993 à2013, interviewé dans le livre, « je ne suis pas sûr que les gouvernements qui ont appliqué desmesures d’austérité drastiques, qui ont réduit les budgets de la santé et de l’éducation, qui ontaugmenté l’âge de départ à la retraite, en raison de la crise systémique néolibérale qui touche denombreuses nations aient demandé l’avis des citoyens sur les changements profonds qui affectentdésormais leur quotidien ».

Les conquêtes de la Révolution sont sacrées pour les Cubains. L’actualisation du modèleéconomique ne remet nullement en cause l’accès universel et gratuit à l’éducation, à la santé, à laculture, à la protection sociale ou à la retraite.

Depuis plus de quinze ans et l'arrivée au pouvoir de gouvernements progressistes enAmérique latine, les Etats-Unis ont perdu beaucoup d'influence et se retrouvent aujourd'huiisolés dans le sous-continent notamment à cause du blocus économique criminel contre l'îlecaribéenne. Ce rétablissement des relations entre les Etats-Unis et Cuba est-il un moyen pourWashington de redorer son blason en Amérique du Sud ? Quel impact cette nouvelle politiqueenvers Cuba entraînera-elle dans le processus d'intégration latino-américain dont Cuba atoujours été à l'avant-garde comme avec l'ALBA?

SL : Il est indéniable que Washington est isolé en Amérique. Du Canada à l’Argentine, leseul pays à ne pas disposer de relations diplomatiques, consulaires et commerciales normales avecCuba sont les Etats-Unis. Même les plus fidèles alliés tels que la Colombie ou le Hondurass’opposent aux sanctions économiques. La Maison-Blanche se trouvait dans l’obligation politiquede modifier sa politique hostile avec Cuba, car elle nuisait à ses propres intérêts.

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Je ne crois pas que le processus de normalisation des relations entre Washington et LaHavane affectera l’intégration latino-américaine pour au moins trois raisons. D’abord, l’intégrationcontinentale va dans le sens de l’histoire et l’Amérique latine vit un changement d’époque. Ensuite,la politique étrangère de Cuba n’est pas négociable. Enfin, Cuba n’abandonne jamais ses amisfidèles.

Comme sur beaucoup de thèmes de politique internationale, l'Union Européenne a trèssouvent suivi les positions du département d'Etat des Etats-Unis et notamment sur la questioncubaine. Après l'annonce du dégel entre la Havane et Washington, de nombreux responsableseuropéens dont le président François Hollande se sont empressés de se rendre sur l'île pourmontrer des signes d'amitiés avec le gouvernement cubain. Maintenant que les Etats-Unis ontchangé de cap quant à leur politique envers Cuba, doit-on attendre la même chose de l'Europe? Quelle sera selon vous la nouvelle diplomatie de l'UE envers le gouvernement cubain ?

SL : Il est vrai que la politique étrangère de l’Union européenne est subordonnée à celle desEtats-Unis et cela est profondément regrettable. L’Europe est une puissance économique mais unnain politique et diplomatique, incapable d’adopter une politique constructive, rationnelle etindépendante vis-à-vis de Cuba. Certains pays tels que l’Espagne et la France ont remis en cause cetalignement et ont demandé au reste de l’Europe d’adopter une nouvelle approche et de mettre unterme à la Position commune en vigueur contre Cuba depuis 1996 qui constitue le principal obstacleà la normalisation des relations entre les deux entités. Cuba est à la fois la porte d’entrée del’Amérique latine et le référant moral du continent qui a su traduire les aspirations des peuples duSud à la souveraineté et à l’indépendance.

Dans un de vos ouvrages intitulés "Cuba: ce que les médias ne vous diront jamais",vous critiquiez le traitement médiatique mensonger, idéologiquement engagé, partial fait parles médias dominants à l'égard de Cuba. D'autres pays de la région notamment le Mexique, leParaguay ou encore la Colombie où les droits de l'homme, la démocratie et les libertés sontsystématiquement bafoués bénéficient, eux d'un silence médiatique que l'on pourrait qualifierde honteux; Comment expliquez-vous cette acharnement médiatique à géométrie variable ? La situation des droits de l'homme, de la démocratie, des libertés individuelles concernantCuba est-elle aussi catastrophique comme aime à nous le décrire les médias dominants ?

SL : Les médias dominants, soumis aux puissances d’argent et chiens de garde de l’ordreétabli, n’ont que faire des droits humains et de la démocratie. Si c’était le cas, Cuba seraitconsidérée, à juste titre, comme la référence du Tiers-monde d’une société aux ressources limitéesmais capable de défendre les mêmes droits pour tous et de protéger les plus faibles. Ce que l’on nepardonne pas à la Révolution cubaine est d’avoir remis en cause l’idéologie dominante, d’avoirrejeté l’accumulation au profit du partage, d’avoir choisi la solidarité au lieu de l’égoïsme, d’avoirpréconisé le collectif au détriment de l’individualisme et surtout d’avoir placé place l’humain aucentre de son projet de société en procédant à une répartition équitable des richesses. C’est pourcela que les médias refusent de donner la parole à la défense !

Cuba, parole à la défense !

Paris, Editions Estrella, 2015, 20€

http://www.amazon.fr/Cuba-Parole-Defense-Salim-Lamrani/dp/2953128441/ref=sr_1_fkmr0_1?s=books&ie=UTF8&qid=1440191112&sr=1-1-fkmr0&keywords=Cuba%2C+parole+%C3%A0+la+d

%C3%A9fense Pour les copies dédicacées et commandes, contacter Salim Lamrani : [email protected]

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Extrait de la préface d’André CHASSAIGNE :

« Dans ce contexte, l’ouvrage de mon concitoyen auvergnat Salim Lamrani arrive àpoint nommé. Non seulement il nous permet de mieux comprendre le présent, mais il permetaussi d’être optimiste sur l’avenir. La lecture des témoignages conforte la conviction que lasociété cubaine d’aujourd’hui est construite sur des bases solides. L’éthique de sesdirigeants et la maturité du peuple cubain génèrent une intelligence collective pas prêted’être balayée par les vents de l’ouest venus du grand voisin yankee ! »

Cuba, petite île de la Caraïbe, vit sous état de siège depuis plus d’un demi-siècle. Rien ne lui a été épargné :sanctions économiques, invasion militaire, menace de désintégration nucléaire, attaques terroristes et une guerrepolitique, diplomatique et médiatique contre son peuple, ses dirigeants et surtout son système politique et social.

Pourtant, malgré son indéniable statut de victime, cette nation se retrouve régulièrement sur le banc desaccusés. La rhétorique ressassée à son encontre par les grandes puissances occidentales et leurs relais médiatiquesopposés au processus révolutionnaire est connue : droits de l’homme, liberté d’expression, démocratie. A la différencede tout tribunal digne de ce nom et respectueux des droits de la défense, Cuba est systématiquement privée de sondroit à répondre aux attaques, à exposer ses arguments et à exprimer sa vérité.

Parole à la défense ! Voilà le but de cet ouvrage qui donne la parole à d’éminentes voix cubaines etinternationales qui proposent une vision alternative de la plus grande île des Antilles. Loin des rengaines médiatiquestraditionnelles, elles proposent un autre point de vue sur Cuba, une société complexe, imparfaite, mais qui a le mérited’avoir choisi le camp des déshérités et d’avoir placé l’être humain au centre de son projet national.

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Pourquoi la France n’ aurait jamais dû inviter le Président du Mexique au défilé du 14 juillet (en 5 points)

Par Luis Alberto Reygada *

Le Mexique était l'invité d’honneur de l'édition 2015 du défilé du 14 juillet. Cetteparticipation du président Enrique Peña Nieto -sur fond de signature de contratsd’armement- a causé beaucoup d’amertume chez les Mexicains résidant en France et ils n’ontd’ailleurs pas hésité à le faire savoir à M. Hollande.1

Plus d’un mois après la présence de l’armée mexicaine sur les Champs-Elysées, nous revenonssur ce déplorable chapitre dans lequel les Droits de l’Homme ont été balayés d‘un revers dedossier estampillé «diplomatie économique», en rappelant en 5 points pourquoi la France s’estsalie en honorant un Président corrompu qui entraîne petit à petit son pays vers le chaos.

1- Le Mexique n’est pas une démocratie

Le Président mexicain Enrique Peña Nieto est membre du PRI (Parti Révolutionnaire Institutionnel,droite), celui-là même qui réussit à régner sans partage durant plus de 70 ans jusqu’à la fin du 20 ème

siècle grâce à la mise en place d’un système qui a su garder des apparences démocratiques(élections et multipartisme) à une époque où de cruelles dictatures militaires gouvernaient denombreux pays de la région. Ceci valut au PRI le qualificatif de «dictature parfaite».2

Après une alternance en 2000 grâce à la victoire de Vicente Fox, candidat du PAN (Parti ActionNationale, droite)–les premières vraies élections démocratiques en presque un siècle d’histoire– lesélections présidentielles de 2006 et de 2012 ont été le théâtre de fraudes et de tricheries évidentes,manifestes et indéniables, provoquant deux fois de suite la défaite du candidat Andrés ManuelLopez Obrador. En 2012, l’actuel président –Enrique Peña Nieto– est « élu » au premier tour avecseulement 38% des voix, alors que ses deux plus proches adversaires cumulent 57% des voix(système sans second tour).

Manipulation des sondages, manœuvres financières pour payer l’achat massif de voix, favoritismemédiatique, populisme électoral grossier tirant profit de la pauvreté et de l’ignorance d’une grandepartie de la population, violation du droit de vote secret pour au moins 25% de la population,pressions, intimidations, irrégularités du système de vote des Mexicains résidant à l’étranger… Laliste est longue et les preuves sont innombrables pour une élection que certains organismesindépendants n’ont pas hésité à qualifier de «la plus sale de l’histoire» et «peut-être la plus grandeopération de coercition et d’achat de votes de l’histoire du pays».

Enrique Peña Nieto –dont le parti a dépassé de 1300% les frais de campagne autorisés– restejusqu’à ce jour un président illégitime pour une très grande partie de la population mexicaine.

Bref : le Mexique n’est pas une démocratie3.

1 Le Mexique invité du 14-juillet : la "diplomatie économique" ne doit pas tout justifier (lettre ouverte), Marianne – 14/07/2015 http://www.marianne.net/agora-mexique-invite-du-14-juillet-diplomatie-economique-ne-doit-pas-justifier-100235463.html2 Qualificatif ingénieusement attribué par le Prix Nobel de littérature péruvien Mario Vargas Llosa en 1990 lors d’un débat télévisé organisé à Mexico en présence de divers intellectuels latino-américains.

3 Lire l’excellente interview du professeur et chercheur John Ackerman (UNAM, Mexique) publiée sur le site Mémoire des luttes :«J’affirme que le Mexique n’est pas une démocratie» (25/07/2015 http://www.medelu.org/J-affirme-que-le-Mexique-n-est-pas

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Juillet 2012 : protestations à Mexico suite à l’annonce des résultats.

Les Mexicains de l’extérieur expriment aussi leur mécontentement (Paris)

(Buenos-Aires)

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2- Au Mexique : explosion de la violence et situation catastrophique desDroits de l’Homme

«Le Mexique fait face à des cas [de violation des Droits de l’Homme] d’une ampleur et d’uneéchelle telles que le pays se trouve dans une des pires positions de toute l’Amérique Latine »,signale fin 2014 José Miguel Vivanco, directeur des Amériques de l’organisation Human RightsWatch (HRW), avant de préciser : « Je n’ai pas connaissance, dans tout l’hémisphère et durant cestrente dernières années, d’un autre cas similaire à l’affaire d’Iguala [voir point n°5]… [En matièrede Droits de l’Homme] le Mexique a fait un bond en arrière jusque dans les années 60 (…). Lesactions arbitraires, les atrocités commises durant le sextennat de Calderon [2006-2012] sonttoujours monnaie courante depuis l’arrivée au pouvoir de Peña Nieto parce qu’il y a une continuitédans les [stratégies] politiques mises en place et aucun effort de transparence. (…) Au Mexique,l’impunité est la règle et non pas l’exception. » 4

Ce constat alarmant n’est guère réconfortant si l’on jette un œil aux statistiques du prédécesseur del’actuel président: augmentation de 500% des plaintes pour torture, plus de 9.000 plaintes pourarrestation arbitraire (augmentation de 121%), plus de 25.000 personnes disparues (pour seulement2.000 enquêtes), 60 assassinats et 15 disparitions de journalistes, plus de 45.000 exécutions, 16.000corps non-identifiés et près de 1.500 corps retrouvés dans des fosses communes. En tout, lesextennat du Président Felipe Calderon aura provoqué plus de 120.000 morts violentes en 6 ans,selon les statistiques officielles.

Une continuité qui se confirme donc: depuis l’arrivée de Peña Nieto à la présidence de larépublique, l’on compte déjà plus de 40.000 homicides5 et le panorama apparaît bien inquiétant.

Selon les chiffres de l’Indice Global de la Paix 2015 (élaboré chaque année par l’Institut pourl’Economie et la Paix), l’augmentation du niveau de la violence a provoqué une perte de 6 pointspour le Mexique, passant de la 138ème à la 144ème place (sur 162 pays examinés), ce qui est alarmantpour un pays qui n’est pas en guerre. Les principales causes de l’augmentation de la violence parrapport à 2014 sont « la forte présence du crime organisé, la haute perception de la délinquance et leterrorisme d’Etat » qui se manifeste par la violence politique en s’appuyant sur la décompositionsociale6. Durant ces 8 dernières années, la note du Mexique s’est détériorée de près de 25%.

Disparitions forcées, exécutions, répression, détentions arbitraires, torture, féminicides,criminalisation des protestations sociales…

En février dernier, l’ONU a dénoncé un contexte de « généralisation des disparitions forcées » auMexique dans lequel des agents de l’Etat jouent souvent un rôle complice7 ; durant ces derniersmois, plusieurs dizaines de fosses communes ont été découvertes (60 rien que dans la région deGuerrero). « Ces chiffres macabres confirment ce que nous avions déjà signalé : l’ampleur de lacrise des disparitions forcées dans plusieurs régions du pays est vraiment surprenante », a

4 La situación de derechos humanos en México es "crítica", alerta HRW. CNN - 06/11/2014,http://mexico.cnn.com/nacional/2014/11/06/la-situacion-de-derechos-humanos-en-mexico-es-critica-alerta-hrw5 41 mil 737 asesinatos, de diciembre 2012 a marzo 2015. – Ariqtegui Noticias 24/04/2015http://aristeguinoticias.com/2404/mexico/41-mil-737-asesinatos-de-diciembre-2012-a-marzo-2015/6 México, más violento que hace un año, El País, 03/07/2015http://internacional.elpais.com/internacional/2015/07/02/actualidad/1435872903_923592.html7 Las desapariciones forzadas son generalizadas: ONU da 8 recomendaciones a México, Animal político - 13/02/2015http://www.animalpolitico.com/2015/02/la-onu-reconoce-desaparicion-forzada-de-los-43-y-pide-mexico-atender-la-situacion-de-desapariciones-generalizadas/

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récemment déclaré Erika Guevara-Rosas, directrice du bureau Amériques d’Amnesty International.8

Disparition d’activistes, agressions contre des défenseurs des Droits de l’Homme et des journalistes,avec 500 dossiers examinés en 2014 le Mexique est le pays qui a reçu le plus de plaintes à laCommission Interaméricaine des Droits de l’Homme.9

Le renforcement de la répression est aussi à l’ordre du jour avec l’adoption de lois qui cherchent àaugmenter le niveau de brutalité pouvant être utilisée par les forces de l’ordre lors desmanifestations.

La situation des femmes est tout aussi alarmante : 6 féminicides par jour, 8 cas de violence pour 10femmes au niveau national, 60% des femmes migrantes qui traversent le Mexique pour rejoindre lesEtats-Unis sont victimes de violences sexuelles... Depuis 1993, plus de 4.000 femmes ont perdu lavie dans la seule zone de Ciudad Juarez, dans le nord du pays, sans que jamais les responsables nesoient inquiétés. La Cour Inter-américaine des Droits de l’Homme a déjà considéré l’Etatmexicain responsable de féminicides « par omission d’enquêtes adéquates ».10

Détentions arbitraires, tortures et déclarations faussées constituent des pratiques répandues –voiresystématiques– qui sont dénoncées par divers organismes11; Anne Boucher, responsable Amériquesde l’ACAT (Action des Chrétiens contre la Torture) signale que « malgré les efforts déployés par leMexique pour se présenter comme un État de droit, le gouvernement échoue dans les faits àprotéger les droits humains ». 12

Bref : Avec des chiffres qui dépassent de loin les statistiques de toutes les dictatures militairesd’Amérique Latine du siècle dernier, le Mexique est en train de se transformer en un véritableenfer pour les Droits de l’Homme, en grande partie à cause de l’inaction voire de la complicitéde son gouvernement.

8 México tiene una crisis de desapariciones forzadas: Amnistía Internacional, CNN Mexico – 27/07/2015http://mexico.cnn.com/nacional/2015/07/27/mexico-tiene-una-crisis-de-desapariciones-forzadas-amnistia-internacional9 México, el país con más denuncias de violaciones de derechos ante la CIDH, Animal político – 15/05/2015 http://www.animalpolitico.com/2015/05/mexico-el-pais-con-mas-denuncias-de-violaciones-de-derechos-ante-la-cidh/10Cumplimiento de la sentencia Campo Algodonero http://www.campoalgodonero.org.mx/11Après la publication d'un rapport très critique de l'ONU, le Mexique doit enquêter sur la généralisation de la torture, Amnesty International – 09/03/2015http://www.amnesty.fr/Apres-la-publication-un-rapport-tres-critique-de-ONU-le-Mexique-doit-enqueter-sur-la-generalisation-1446712 Le Président mexicain en France pour le 14 juillet : Disparus et torturés, les oubliés du défilé ?, ACAT France – 09/07/2015. Cette lettre ouverte est co-signée par Amnesty International France, l’ACAT et le Collectif Paris-Ayotzinapa.http://www.acatfrance.fr/communique-de-presse/le-president-mexicain-en-france-pour-le-14-juillet---disparus-et-tortures--les-oublies-du-defile--

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72 cadavres de migrants exécutés par le crime organisé avec la complicité des autorités localesde la région de Tamaulipas (frontière avec le Texas)

Règlement de compte des cartels : 11 corps décapités et brûlés retrouvés sur le bord de la route

dans la région de Guerrero, novembre 2014.

°°°°°°°°°°

35 fosses communes ont été découvertes dans la zone d’Iguala fin 2014.

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Ciudad Juarez a le taux le plus élevé de féminicides du pays

Répression…

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répression à Chiapas

Brutale répression des professeurs d’Acapulco qui réclamaient une augmentation salariale (février 2015)

Répression des étudiants à Ayotzinapa (région de Guerrero) en décembre 2012 : 2 morts

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Lors de la répression d’Atenco (2006), 2 personnes sont mortes

et au moins 40 femmes ont été violées par la police aux ordres de Enrique Peña Nieto,

à l’époque Gouverneur de la région de Mexico.

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3- Au Mexique, impunité et corruption sont des politiques d’Etat

Il n’existerait pas une telle situation des Droits de l’Homme ni un niveau aussi effrayant de violencesans l’existence de deux facteurs trop bien ancrés au cœur de la société mexicaine : l’impunité et lacorruption, toutes deux malheureusement encouragées par le gouvernement au lieu d’êtrecombattues.

Corruption: même le Président mexicain donne le mauvais exemple!

Le Mexique a obtenu la pire note de tous les membres de l’OCDE selon le dernier rapport del’Indice de perception de la corruption, élaboré par Transparency International13 et, au-delà de sesconséquences au niveau économique, ses répercussions au niveau sociétal sont extrêmement gravespuisqu’elle détruit les fondements de la démocratie en pourrissant les bases de toute la société et del’Etat de droit.

Selon une étude récemment publiée, la corruption serait la cause d’une grave crise dereprésentation: 91% de la population ne fait pas confiance aux partis politiques, 83% aux députés,80% au système judiciaire14. Au final, seulement 27% des Mexicains se disent satisfaits de leursystème démocratique à cause de la corruption.

Cette étude révèle aussi que la moitié de la population considère que la corruption a « beaucoupaugmenté » durant ces deux dernières années et que les institutions perçues comme les pluscorrompues sont les partis politiques (91%), les forces de l’ordre (90%) et les fonctionnaires (87%).

Si le gouvernement actuel fait apparemment des efforts pour remédier à cette situation(promulgation de la réforme constitutionnelle et création du Système national anti-corruption enmai dernier), dans les faits la réalité n’évolue pas dans le bon sens et les scandales continuent detoucher tous les niveaux de l’administration, allant jusqu’à atteindre le sommet de l’Etat en lapersonne du président Peña Nieto. Les révélations de «l’achat» d’une luxueuse résidence évaluée àplus de 7 millions de dollars, construite par un « ami » homme d’affaires qui avait auparavantremporté de nombreux contrats très juteux 15 avec le gouvernement, a valu au président Peña Nietoun article d’investigation assez incommodant du New York Times…16

Malversations, abus de biens sociaux, trafic d’influence, enrichissement personnel, abus de pouvoir,évasion fiscale, blanchissement d’argent, tous ces maux gangrènent la politique mexicaine etdissimulent souvent d’étroits rapports avec le crime organisé.

En effet, la corruption est le cheval de Troie des cartels de la drogue pour miner les institutionspolitiques mexicaines dans le cadre d’une complicité devenue systémique. La spectaculaire évasiond’une prison de très haute sécurité d’un des plus puissants barons de la drogue en juillet en est unclair exemple : elle n’a pu être possible que grâce à la complicité non seulement de la Policefédérale mais aussi des services de renseignement.17

13 ¿Cómo anda México en corrupción? El peor de la OCDE, según Transparencia Internacional, Animal político, 04/12/2014 http://www.animalpolitico.com/2014/12/como-anda-mexico-en-corrupcion-el-peor-de-la-ocde-segun-transparencia-internacional/14 México: Anatomía de la Corrupción, IMCO - 20/05/2015 http://imco.org.mx/politica_buen_gobierno/mexico-anatomia-de-la-corrupcion/15 Mansión presidencial desata controversia en México, BBC – 10/11/2014 http://www.bbc.com/mundo/ultimas_noticias/2014/11/141110_ultnot_mexico_pena_nieto_mansion_esposa_men16 Deals Flow to Contractor Tied to Mexican President, The New-York Times – 30/07/2015 http://www.nytimes.com/2015/07/31/world/americas/mexican-presidents-ties-to-contractor-raise-questions.html?partner=socialflow&smid=tw-nytimes&_r=1 17 Encubrieron la fuga funcionarios de inteligencia de la PF y el Cisen, La Jornada – 19/07/2015http://www.jornada.unam.mx/2015/07/19/politica/005n1pol

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Au-delà de la police, sensée veillée sur la sécurité publique, que peut-on espérer d’un gouvernementdont même les institutions censées veiller sur la sécurité nationale sont atteintes ?

Impunité: l’inefficacité du gouvernement mexicain encourage criminalité et corruption

Comment freiner ce mal dans un pays où seulement 2% des délits pour corruption sont punis ? Il estsurprenant de noter que des 444 dénonciations présentées par l’organisme d’Audit Supérieur de laFédération entre 1998 et 2012, seules 7 ont été consignées, ce qui représente un taux de 1,5%.

Délits sans punition, appels d’offres opaques, détournements dûment récompensés, crimes sanscoupables, crimes avec coupables mais non sanctionnés… le cercle parfait et interminable del’impunité est alimenté par une politique d’Etat se résumant à parler beaucoup mais surtout à fairepeu.

Alors comment s’étonner que le Mexique soit le deuxième pays connaissant le taux d’impunité leplus haut du monde ?18 La loi ne s’applique que trop peu (avec 4 juges pour 100.000 habitants, alorsque la moyenne internationale est de 17) ou pas du tout, et ses institutions sont infiltrées par lecrime organisé. Etant donné qu’il existe une certitude quasi absolue d’impunité pour n’importe queldélit, les normes perdent de leur solidité et le vivre-ensemble se complique dans un espace publicaffaibli du fait du pacte d’impunité qui traverse de haut en bas tout le système mexicain.19

Impunité et manque de confiance de la population envers les institutions mais aussi peur desreprésailles entraînent le fait que seuls 7% des délits sont dénoncés ; quant aux plaintes deviolations de Droits de l’Homme, de nombreuses organisations ont déjà dénoncé à la CommissionInternationale des Droits de l’Homme un taux d’impunité qui dépasse les 98%.20

Bref : Le gouvernement mexicain étant lui-même corrompu, il ne peut avoir intérêt à lutterefficacement contre l’impunité qu’il encourage, se rendant complice du climat de violence quirègne dans le pays.

4- Mexique : le "règne de la terreur pour les journalistes"

Durant ces 15 dernières années, l’organisation Reporters Sans Frontières a répertorié 86 assassinatsde journalistes au Mexique. La Commission mexicaine des Droits de l’Homme en compte plus de100, auxquels il faut ajouter 21 journalistes disparus, ainsi que 55 attentats (tirs d’armes à feu,explosions ou incendies) contre des médias entre 2006 et 2015.

Ces chiffres font du Mexique le pays le plus meurtrier d’Amérique pour les journalistes et le place àla 148ème position sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse publié par RSF enfévrier 2015. « Assassinats, séquestrations et agressions de journalistes, impunité dominante face àces exactions, climat d’autocensure et forte concentration des médias, le tableau de la pressemexicaine nécessite de sérieuses retouches et il est urgent de considérer quelles solutions apporteraux graves problèmes qui affectent la liberté d’information dans le pays», signale l’organisationbasée à Paris.21

18 México, el segundo país con más impunidad en el mundo, Forbes México – mai 2015http://www.forbes.com.mx/mexico-el-segundo-pais-con-mas-impunidad-en-el-mundo/19 México: interminable círculo de impunidad, Forbes Mexique – 06/11/2014http://www.forbes.com.mx/mexico-interminable-circulo-de-impunidad/20 Denuncian a CIDH impunidad del 98% y represión de protesta social en México, ContraPunto – 30/10 /2014 http://contrapunto.com/noticia/denuncian-a-cidh-impunidad-del-98-y-represion-de-protesta-social-en-mexico/21RSF demande au président mexicain Peña Nieto d’endiguer la violence contre les journalistes, Reporters Sans

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Car 17 journalistes ont déjà été assassinés sous le mandat de l’actuel président Enrique Peña Nieto.Le dernier en date, Ruben Espinosa, avait fui la région de Veracruz suite aux menaces dugouverneur de cet Etat (membre du PRI).

Selon Luz Rosales Esteva, consultante de Freedom House – Mexique, « Le Mexique est le pays oùl’on respecte le moins la liberté d’expression »22, et le renvoi en mars dernier de Carmen Aristegui,la journaliste qui avait révélé l’existence de la résidence ultra-luxueuse du Président23, en est unclair exemple. Pour cet organisme, le Mexique fait partie des pays qui se situent dans la catégorie« non-libre » depuis 2011, avant tout à cause de la violence que subissent les journalistes en touteimpunité.D’autres organisations, organismes ou institutions comme l’Unesco, l’OEA, Article 19, leCommittee to Protect Journalists, Pen International ou encore la Fédération Internationale desJournalistes se sont tous manifestés durant ces dernières années pour condamner unanimement lasituation effroyable de la presse au Mexique et dénoncer le sort réservé aux journalistes.Récemment, plus de 500 journalistes, écrivains et personnalités du monde entier (parmi lesquelsNoam Chomsky, Paul Auster, Salman Rushdie et Margaret Atwood) ont adressé une lettre ouverte24

directement au président Peña Nieto afin d’attirer son attention sur la situation intolérable quiprédomine au Mexique: les journalistes de ce pays ne sont ni plus ni moins qu’en danger de mort.25

Bref : Les libertés d’expression et d’information sont en grave péril au Mexique, et legouvernement actuel ne fait qu’empirer une situation déjà honteuse et révoltante.

Frontières – 13/07/2015 http://fr.rsf.org/mexique-rsf-demande-au-president-mexicain-13-07-2015,48098.html

22México, donde menos se respeta la libre expresión: Freedom House, La Jornada – 26/07/2015 http://www.lajornadaguerrero.com.mx/2015/07/26/index.php?section=sociedad&article=004n1soc

23México: Despiden a la periodista que reveló el escándalo de Peña Nieto , RT Español - 29/05/2015 http://actualidad.rt.com/actualidad/169277-mexico-mvs-radio-despide-carmen-aristequi

24500+ writers to Mexican president: “End impunity in journalists’ murders”, Pen International – 17/08/2015 http://www.pen.org/press-release/2015/08/17/500-writers-mexican-president-%E2%80%9Cend-impunity-journalists%E2%80%99-murders%E2%80%9D

25Lire le témoignage de Sergio González Rodríguez dans l’article « Deux individus armés se sont approchés... », Le Monde Diplomatique – Août 2015 http://www.monde-diplomatique.fr/2015/08/GONZALEZ_RODRIGUEZ/53512

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Marche en mémoire du photo-reporter Ruben Espinosa, 16ème journaliste assassiné sous la présidence

de Enrique Peña Nieto (août 2015)

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Manifestation de soutien à la journaliste Carmen Aristegui, renvoyée sous la pression de la Présidence de la République

5- Tlatlaya et Ayotzinapa: deux récents crimes d’Etat

Tlatlaya: crime d’Etat

Le 30 juin 2014, des militaires répondent à une attaque de délinquants fortement armés dans la zonede Tlatlaya (Etat de Mexico) ; il en résulte un soldat blessé et 22 délinquants tués. Néanmoins, lescénario de l’affrontement s’effrite peu à peu et des témoignages viennent contredire la versionofficielle : en réalité, un seul délinquant aurait été tué lors de l’affrontement, les autres auraient étéd’abord simplement blessés puis au moins 15 d’entre eux auraient exécutés par les militaires aprèss’être rendus.26 Il est démontré que les agents du ministère public ont participé aux exactions endissimulant des preuves et en agressant sexuellement trois femmes arrêtées à l’issue de

26 El Ejército ejecutó a 15 de los 22 muertos en Tlatlaya, afirma CNDH en nueva recomendación (documento íntegro), Animal Político – 22/10/2014 http://www.animalpolitico.com/2014/10/ejercito-ejecuto-15-de-los-22-muertos-en-tlatlaya-afirma-cndh-en-recomendacion-dirigida-sedena-pgr-y-edomex/

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l’intervention.

L’affaire prend alors une autre dimension : il s’agirait en fait d’une exécution extra-judiciaire decivils désarmés. Mais ce n’est pas tout, un document de l’armée est rendu public : il montre que lesordres de missions indiquaient l’objectif d’«abattre de nuit des délinquants».27

La Commission Nationale des Droits de l’Homme, Human Rights Watch, Amnesty International,l’ONU, s’empressent de rappeler au Mexique que « maintenir l’ordre ne doit pas être un prétextepour violer les droits de l’homme ».28 29

Parmi les 22 morts se trouvaient trois adolescentes, deux de 17 ans et une de 15 ans.

L’entrepôt où au moins 15 civils désarmés auraient été exécutés par l’armée

en juin 2014 à Tlatlaya

27 En Tlatlaya la orden fue “abatir en horas de oscuridad”, La Jornada – 02/07/2015http://www.jornada.unam.mx/ultimas/2015/07/02/militares-de-tlatlaya-tenian-orden-escrita-de-201cabatir201d-9094.html28 Y la ONU pide a Peña castigar a todos los implicados en la matanza, Proceso – 03/07/2015http://www.proceso.com.mx/409597/2015/07/03/y-la-onu-pide-a-pena-castigar-a-todos-los-implicados-en-la-matanza29 México: Experto insta a las autoridades a considerar nuevas evidencias del caso Tlatlaya, Centre d’informations de l’ONU – 06/07/2015 http://www.un.org/spanish/News/story.asp?NewsID=32762

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Ayotzinapa : collusion entre forces de l’ordre et crime organisé

Le 26 septembre 2014, sur ordre du maire de la ville d’Iguala, un groupe d’étudiants de l’EcoleNormale d’Ayotzinapa (Etat de Guerrero) qui allait participer à une manifestation est intercepté puisviolemment réprimé par la police locale. Résultat : 25 étudiants sont blessés, 6 sont tués. Parmi cesderniers figure Julio Cesar Mondragon. Ce qui lui est arrivé est aussi terrible que révoltant et doitêtre rendu public.

Aux mains de la police d’Iguala, le jeune étudiant se fait sauvagement torturer avant de se faireexécuter : on lui arrache les yeux, on lui fracasse le crâne. Son corps sera retrouvé en pleine rue, lapeau du visage arrachée. Le médecin légiste déterminera plus tard que l’apprenti professeur, quilaisse derrière lui une femme et un bébé de trois mois, a été écorché vif. Sûrement pour l’exemple,pour intimider, pour terrifier.

Entretemps, 43 autres étudiants -ceux qui ne sont pas morts sur place ou qui n’ont pas réussi às’enfuir- sont capturés par la police qui les remet directement entre les mains des « GuerriersUnis ». Ce groupe criminel local, qui opère dans la zone avec la bienveillance complice du maired’Iguala, reçoit une instruction simple : « débarrassez-vous-en ». Ils s’exécutent, et les 43 disparusd’Ayotzinapa n’ont à ce jour pas encore pu être retrouvés.

Si plusieurs scénarios sont encore plausibles aujourd’hui (les 43 étudiants auraient été exécutés puisincinérés dans une décharge publique, ou dans un four industriel d’une caserne militaire présentedans les environs…), les familles des disparus ne perdent pas espoir de retrouver leurs enfants. Leseul espoir qu’ils ont perdu est celui de pouvoir compter sur le gouvernement afin de mener à bienl’enquête : aux dernières nouvelles, les auxiliaires de la Commission Interaméricaine des Droits del’Homme qui collaborent aux recherches ont dénoncé la destruction de preuves et des obstructions àl’enquête qui mettent en cause police et armée.30

Pour une grande partie de la population ainsi que pour nombre d’organisations, il ne s’agit ni plus nimoins que d’un crime d’Etat.31

Et c’est cet Etat qui s’est vu honoré en juillet dernier en descendant les Champs Elysées.C’est cette armée que le public français –sans le savoir- a chaleureusement applaudie. Il n’estjamais trop tard pour s’en rendre compte : la France n’aurait jamais dû inviter le présidentdu Mexique au défilé du 14 juillet !

Luis Alberto Reygada, Franco-mexicain

www.facebook.com/la.reygada @la_reygadaMembre du Collectif pour la liberté d’expression

et d’information au Mexique@ColimexFrance

30 10 observaciones de los expertos de la CIDH sobre el caso Ayotzinapa, CNN en Español - 26/08/2015 http://mexico.cnn.com/nacional/2015/08/26/10-observaciones-de-los-expertos-de-la-cidh-sobre-el-caso-ayotzinapa 31 Es un 'crimen de Estado' la desaparición de 43 estudiantes en México, afirma AI, Univisión – 08/11/2014http://noticias.univision.com/article/2152887/2014-11-08/mexico/noticias/es-un-crimen-de-estado-la-desaparicion-de-43-estudiantes-en-mexico-afirma-ai

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Manifestation de soutien aux familles des 43 étudiants disparus d’Ayotzinapa

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Julio Cesar Mondragon accompagné de sa femme et de leur bébé de trois mois.

Le cadavre de Julio cesar Mondragon, retrouvé dans les rues d’Iguala

le soir de l’enlèvement de 43 de ses camarades.

http://www.red-noticias.com/wp-content/uploads/2014/09/IMG-20140927-WA020-Copiar.jpg

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Mémoire historique: 14ème anniversaire de l’ assassinat duprofesseur et avocat Jorge Adolfo Freytter Romero

Par Jorge Freytter-Florian *

Le professeur Jorge Adolfo Freytter Romero était un académicien engagé dans la Paix en Colombie,pour la Pensée Critique, pour le soutien aux luttes sociales, politique et étudiantes. Il a cherché,comme but ultime de sa lutte politique, la réalisation de la Paix par la Justice sociale, l’extension dela Démocratie et le sens pratique de la Souveraineté. Au sein de l’Université de l’Atlantique, il asoutenu le secteur syndical (ASPU, ASOJUA) et participé à la défense des Droits Humains, auxdroits du travail et à l’éducation dans le Département de l’Altantique.Il a mené ces luttes politiques et sociales en tant qu'enseignant dans les classes de l’Université del’Atlantique, ainsi qu’à l’Institut Pestalozzi.A l’Université de l’Atlantique, il fut titulaire d’une Licence en Sciences sociales et économiques,ainsi que d’un titre d’Avocat de la Faculté de Sciences juridiques.

Persécution politique de la Pensée Critique en Colombie

L’assassinat du professeur Freytter Romero s’inscrit dans une politique de persécution politique dela part de l’état colombien envers les leaders sociaux, intellectuels critiques et activistes des DroitsHumains. Le harcèlement a commencé avec le gouvernement conservateur rexiste de MisaelEduardo Pastrana Borreo. Le leader des étudiants Freytter Romero, ainsi que les leaders etdéfenseurs des Droits humains dans la ville de Santa Marta, furent persécutés, menacés et déclaréscibles militaires par le Gouvernement national. Les hordes du système antidémocratique quiconstituaient le système colombien depuis 29 ans l’ont mené à prendre le leadership social etpopulaire dans la région des Caraïbes colombiennes.

Durant les mois de juin, juillet et août 2001, le professeur et avocat J. A. Freytter Romero acontribué à l’organisation de plusieurs journées d’accusation faisant connaître les conditionséconomiques, administratives, et de sécurité pour les membres de l’Université de l’Atlantique, ainsique les problèmes liés qualité de l’éducation. L’état colombien a asphyxié les économies desUniversités publiques, même si actuellement pourtant on tente toujours d’imposer un modèled’éducation néo-libéral, comme l’explique Renan Vega Cantor : « Une force productive –destructrice et privatisant le savoir – pour camoufler et rendre plus présentables la vente demarchandises et l’obtention de gains. Justifiant la privatisation, la différenciation entre les diplômesuniversitaires et les spécialités, la subordination entre les universités et les entreprises. »(1)

Le professeur Freytter a été séquestré, torturé et assassiné les 28 et 29 août 2001, comme l’expliquel’anthropologue et médecin Alberto Pinzon Sanchez :« le dernier souffle lui a été ôté par les armes officielles pour lui transpercer le crâne et lui détruirele cerveau. Mais l’objectif de l’offensive fasciste n’était pas seulement de détruire les« guerilleros habillés en civil et de prendre le contrôle des universités publiques capturées par laguerilla », comme l’annonçait le président Uribe Velez, mais bien d’inspirer la terreur ; le joursuivant, ils ont jeté les restes sanguinolants de sa dépouille dans le quartier Barranquilla-Cienaga,près du village de Palermo (2), sur l’autre rive du fleuve Magdalena, près du marécage deMacondo. »

Jusqu’ici, nous ne pouvons affirmer avec certitude qui est l’investigateur de cet assassinat, mais lesresponsabilités matérielles sont claires. Pour l’Unité des Droits Humains du Parquet Général de laNation, la responsabilité et la connivence des plans et de l’exécution par des membres des AUC etde la GAULA, de la police et de la défense nationales sont établies. En ce qui concerne les

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Autodéfenses unies de Colombie, il s’agit de Carlos Arturo Romero Cuartas, alias « Monterias »,Oscar Orlando Ortiz, alias « Moncho », chef paramilitaire du Front Jose Pablo Diaz. En ce quiconcerne la GAULA: Flover Argeny Torres Sanchez –grade de Lieutenant- et Julio César PachecoBolivar, connu sous le nom de « La Chacha », ains que Gabriel Angel Berrio Parra. Pourtant, jusqu’à ce jour, ni l’armée, ni l’état colombien, ni les unités de GAULA de l’Atlantiquen’ont été jugés pour leur responsabilité dans les faits rapportés.

l'ex-président de la Colombie Alvaro Uribe

Ces crimes s’inscrivent parmi d’autres opérations militaires menées par des fonctionnaires desForces militaires de Colombie. De nombreux crimes commis contre des syndicalistes, professeurs,défenseurs des Droits Humains ont eu lieu durant le temps du « Service » du Général Freddy Padillade Leon, qui fut responsable de la Seconde Brigade dans les Départements de l’AtlantiqueMagdalena et Bolivar Sud. Ce militaire, dans un article publié par le journal El Tiempo, dit : « Dansle département de l’Atlantique, il n’y a pas de paramilitaires, mais des groupements de moindreimportance qui sont ajustées à leurs véritables proportions, et remis à la justice grâce à la manièrespontanée, volontaire et effective avec laquelle collaborent les habitants ». Il affirme tout aussieffrontément : « qu’il n’y avait pas à faire écho aux rumeurs au sujet de listes d’étudiants,travailleurs et enseignants de l’Université de l’Atlantique menacés de mort par les Autodéfenses,comme ce fut le cas à l’Université de Antioquia.

Tout l’argumentaire du militaire est faux, à en juger par les signalements de responsabilités pénalespour des crimes internationaux commis contre la population civile dans le contexte de ces « Fauxpositifs ». Tout ceci dévalue la politique systématique de la part des structures militaires et despolitiques de l’état colombien, avec comme objectif d’anéantir la Pensée Critique en Colombie.L’intervention du paramilitarisme dans les universités publiques colombiennes s’inscrit dans unecampagne au niveau national, facilitée par un scénario politique entamé avec la consolidation de la« Loi de Sécurité Démocratique » et la « Loi de la Justice et de la Paix ».

Il est important de signaler que l’infiltration et l’intervention paramilitaire n’est pas un phénomènenouveau. Il faut garder à l’esprit les cas extrêmes, comme celui de l’Université de Cordoba,Altantique, Magdalena, Guajira et l’Université populaire de Cesar, Sucre afin d’apprécier à leurjuste valeur les aspects qui constituent le processus de paramilitarisation des universités publiquescolombiennes.Le rôle que viennent de jouer les Groupes d’Action Unifiés pour la Liberté (GAULA), tant de la

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police que de l’armée, détachement qui a participé directement à toute l’opération qui s’est terminéepar la séquestration, la torture et l’assassinat du professeur Jorge Freytter Romero. Rappelons que leGAULA, après avoir été en fonction au département de l’Altlantique depuis 2011, fut nouvellementréactivé le 13 février 2014 sur décision du Président Juan Manuel Santos et le Gouverneur dudépartement de l’Atlantique. Telle décision fait craindre de potentielles violations des DroitsHumains de nombreux leaders sociaux, populaires de l’Atlantique, connaissant la relationqu’entretient cette unité avec quelques opérations réalisées conjointement entre paramilitaires, ainsique nous le confirment les déclarations du Capitaine de l’Armée Adolfo Enrique Guevara et brasdroit de « Jorge 40 ».

Mémoire historique : le silence n’est pas une alternative

Le silence ne sera jamais une réponse aux crimes contre l’Humanité, crimes qui n’ont jamais étéreconnus et n’ont jamais obtenu aucun dédommagement, fait l’objet d’aucune arrestation nid’aucune procédure judiciaire.La Colombie a perdu un grand académicien et intellectuel ; nous avons perdu un père, un fils, unfrère, un époux et compagnon de vie, un ami inconditionnel et engagé, un soutien et un guidefondamental dans nos vies, dont nous pleurons l’absence ; avec la certitude de continuer depoursuivre le travail, inspiré par son héritage et rendant justice à sa mémoire et à ses enseignements.« Nous ne sommes pas tus, et nous défendrons notre parole quoi qu’il en coûte ».

La réparation collective fera partie intégrante de la Paix et la Vérité. Nous continuerons d’exiger entant que victimes de l’Etat colombien la reconnaissance en tant que sujets politiques et sociaux denotre quête de la Vérité, de la Justice intégrale, de la Réparation et la Garantie que ces faits ne sereproduiront plus. Nous avons confiance dans les pourparlers entamés entre le Gouvernement et less FARC-EP, et dans les pourparlers exploratoires avec le ELN, afin qu’ils influencent le cour deschoses et que ces cas de répression contre les professeurs et les étudiants critiques soient pris encompte par la Commission de la Vérité et la Commission de l’éclaircissement du paramilitarisme,déterrant une fois pour toute la botte militaire des Universités publiques colombiennes, et ladoctrine militaire qui ciblent chacun et chacune qui pense de manière critique. Aucune excuse nes’oppose donc plus à la vérité, la justice et la réparation quant aux nombreux crimes atroces etpersécutions qui ont été commis dans ce pays dans le cadre universitaire et académique.

Il est plus que jamais nécessaire, vu le contexte actuel, d’examiner le Terrorisme d’Etat et la visionnégationniste du projet parastatal de la Terreur.

Jorge Freytter-Florian, 29 août 2015Fils du professeur Jorge Adolfo Freytter Romero

Etudiant en Sciences politiques et Gestion publique de l’Université du Pays basque.

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La pauvreté au Venezuela et les cavaliers de l'apocalypsePar Giordan Márquez (Politologue et analyste)

La pauvreté au Venezuela a accusé ces quinze dernières années une nette tendance à la baisse.Néanmoins, il y a quelques semaines, Elías Eljuri, président de l'Institut National des Statistiques arévélé que la pauvreté, évaluée en fonction des revenus, a augmenté de 21,2% en 2012 à 27,3% en2013, ce qui signifie une augmentation de 6,1 points en un an. Ces déclarations ont provoqué (etcontinuent de provoquer) un vrai tollé dans les médias d'opposition. Ces derniers assurent uneénième fois que, “selon les chiffres officiels, il existe aujourd'hui dans le pays un total de 9.174.142personnes pauvres et que, parmi celles-ci, 2.791.292 vivent dans des conditions d’extrêmepauvreté”Les chiffres sont régulièrement accompagnés de pronostics sombres concernant la Révolution.Comme on pouvait le lire dans El Nacional (NDLR: journal vénézuélien d'opposition) “la politiquede dislocation de l'économie mise en marche depuis 1999 a produit des résultats qui témoignentd’un échec flagrant. Un immense échec. Mais cet échec ne sera pas que temporaire: certaines de sesconséquences se feront sentir dans la durée” ; Ainsi, on tente de diffuser l'idée selon laquelle lapolitique économique développée par le gouvernement du président Nicolas Maduro a contribué àaugmenter la pauvreté, raison pour laquelle le président ferait en sorte “d'occulter la situation dupays en refusant aux universitaires, aux parlementaires et aux journalistes l'accès aux sourcesd'information”. L'opposition n'a cessé, elle, de répéter que ces chiffres “reflètent une détériorationdans les conditions de vie des Vénézuéliens” et en a profité pour taxer le gouvernement nationalnon seulement d' “inefficace” et “corrompu” mais également d' “irresponsable” et de “menteur”concernant ses déclarations sur le sujet. Julio Borges (Ndlr: un des leaders de l'oppositionvénézuélienne) qui synthétise à lui seul l'esprit de toute l'opposition a affirmé que le “gouvernementde Nicolas Maduro était une usine à fabriquer de la pauvreté” puisque “en à peine un an deuxmillions de personnes sont tombées dans la pauvreté”.

Les porte-paroles de l'apocalypse attribuent l' “augmentation de la pauvreté” à un mélange confusde causes et de facteurs divers. Ils se réfèrent, avant tout, à la “contraction de l'activité économiquenationale” provenant de “politiques qui ont échoué et qui ont conduit à la destruction de l'appareilproductif”, à une “politique fiscale et monétaire traduite en hyper explosion des dépenses” et enfin àla “chute vertigineuse” d'entrées de devises pour l'Etat. Voilà la grandiloquence des opposants.

Les principales critiques consistent à opposer ces “réalités” avec le fait que le Venezuela est l’un desplus grands producteurs de pétrole au monde et qu'il possède d'énormes ressources naturelles. Bienévidemment, ces critiques de salon ne mentionnent en aucun cas la guerre économique de la droitequi a affaibli l'économie vénézuélienne; ni la reconnaissance de l'Organisation des Nations Uniespour l'agriculture et l'Alimentation (FAO) témoignée au Président Maduro pour les actions dugouvernement bolivarien en matière alimentaire. Aucun commentaire non plus sur les donnéespubliées par Elias Eljuri qui indiquent que l'extrême pauvreté continue de diminuer de manièresignificative, (de 9,9% à 5,5% en 2013). Celui-ci prend en compte des indicateurs tels que la santé,l'accès aux services de première nécessité, le logement, la précarité, l'éducation, la sécurité sociale...Les critiques de salon oseraient-ils reconnaître, par exemple, que l'indicateur de l'éducation quimesure le nombre d'enfants entre 7 et 12 ans qui ne vont pas à l'école est passé de 1,8 à 0,7% ?Divulgueront-ils le fait que l'entassement dans les foyers familiaux s'est réduit de 14,6% à 9,5%durant la Révolution? Ecriront-ils dans leurs journaux que l'indicateur qui mesure les logementssans aucune commodité est passé de 15,7% à 9,5% ? A ce jour, 2,1 millions de personnes âgées ontreçu une pension de vieillesse, c'est à dire 66% de cette même population alors que, durant lesgouvernements précédents, ils étaient seulement 387 000 à recevoir cette pension. Diront-ils cela àhaute voix ?

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L’un des déterminants sociaux de la santé est l'équité et le Venezuela est aujourd'hui le pays de larégion qui connaît le taux d’inégalité le plus faible (selon le coefficient de GINI qui mesure lesinégalités). L'UNESCO a reconnu que le Venezuela est un territoire libre d'analphabétisme et qu'ilest le troisième pays de la région dont la population lit régulièrement, tandis qu'il est le deuxièmepays d'Amérique Latine et le cinquième au monde à avoir en proportion le plus grand nombred'étudiants universitaires.De fait, un Vénézuélien sur trois est inscrit dans un programme éducatif. Depuis la crèche jusqu'àl'université, l'éducation est gratuite. Parmi ses publications, où l'opposition a t'elle cité ces chiffres ? Il est évident qu'avec son discours trompeur, l'opposition tente d'un côté de décrédibiliser laRévolution et d'un autre à enrôler les secteurs pauvres de la population avec l'objectif d'attirer ceuxqui sont restés fidèles aux idéaux bolivariens et chavistes. C'est ainsi qu'Henrique Capriles a déclaré que, pour qu'il y ait un “changement démocratique” auVenezuela, “il faut d'abord avoir l'appui des secteurs les plus pauvres” ; Pour la presserévolutionnaire, il est impératif de remettre le thème de la pauvreté dans le débat public national etinternational avec de solides arguments politiques.

Après les importants succès enregistrés par la révolution bolivarienne et une redistributioninfiniment plus juste et équitable des richesses, il est inadmissible que nous ne soyons pas capablesde défendre avec suffisamment d’énergie et d’intelligence les avancées que notre pays a réaliséessur ces thèmes sensibles. On dirait que notre objectif est plus technocratique et économétrique quepolitique, ce qui finit par nous placer sur le même plan que notre adversaire.

La révolution bolivarienne affronte encore de colossaux problèmes dans son ambitieuse missiond'éradiquer la pauvreté. Bien que ces quinze années intenses aient entraîné un changement profonddans la qualité de vie des secteurs les plus divers de la population de notre pays, en particulier lesplus humbles, il reste beaucoup à faire. Il faut donc avancer de manière rapide pour créer uneéconomie productive, diversifier les espaces de production sociale, perfectionner les mécanismes dedistribution de la richesse, fournir les conditions pour que le peuple s'éduque dans la culture dutravail. Il est donc plus que jamais important de reprendre le legs d'Hugo Chavez concernant lavaleur du travail et son efficacité dans le processus de construction socialiste. Sans cela, il seraitimpossible d'atteindre l'objectif “pauvreté zéro” en 2019. Il est ainsi essentiel de faire comprendreau pays que, sans l'augmentation de la productivité et la participation de toutes et de tous dans laproduction de richesses, les problèmes individuels et collectifs ne pourront pas être résolus.

D'autre part, il est nécessaire de donner un nouveau souffle aux missions sociales pour ainsimesurer leur efficacité et garantir la transparence dans l’allocation des ressources qui leur sontdestinées. Le président Maduro a indiqué récemment qu'entrera en vigueur une Loi Organique desMissions (Ndlr: “missions” est le nom donné aux programmes de santé, d'éducation, d'alimentation,de logement etc.). Sans aucun doute, cette loi peut représenter un apport certain car elle seraitappellée à mettre un terme au désordre des improvisations. Dans ce sens, il faudra que lesrectifications soient intégrales, c'est à dire que les programmes articulent l'économique, le politique,le social et le culturel.

Selon nous, ce qui sera décisif dans la solution apportée au problème de la pauvreté, commede n'importe quel autre problème social existant dans le pays, sera de dépasser définitivement cettepratique qui consiste à considérer le peuple comme objet et non comme sujet de la transformationde sa propre vie en communauté. Les politiques d'assistance et paternalistes que nous avons étémoralement obligés à mettre en pratique lors des quinze dernières années avec l'objectif d'améliorerle sort de millions de gens ont été progressivement mises en contradiction avec le fait que le travailet l'investissement social et collectif dans la solution des problèmes doivent devenir les piliersfondamentaux de la justice sociale et le critère déterminant de la distribution de la richessenationale. Après tout, laissons les chiens aboyer. * *(NdlR: Allusion à Don Quichotte “si les chiensaboient, c'est que nous sommes en train de galoper”)

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Le silence d'ABC sur la loi « Bâillon » et les « Missions »

par Richard Moya

Avec l'entrée en vigueur en Espagne le 1er juillet de la « loi Bâillon », le peupleespagnol se retrouve entre deux feux. Avec la mise en route de cette loi quiattaque la liberté d'expression, le gouvernement a conçu un instrument juridiquequi favorisera ouvertement les dirigeants ainsi que les corrompus de l'Etatespagnol et qui défavorisera les plus démunis.

Pendant ce temps, le peuple attend que le Parlement approuve des lois qui protègent ceux quiperdent leur maison, ceux qui se sont fait escroquer par les banques, ceux qui ont perdu leur emploiet qui sont en fin de droits, des lois qui défendent les pauvres et les démunis qui n'ont pas voix auchapitre.

Mais en ces temps de corruption, toujours plus de lois sont votées en faveur des puissants, desriches et des corrompus qui dirigent cette nation. On peut également apprécier l'insolence desinstitutions juridiques espagnoles, quand un procureur anti-corruption demande la relaxe del'Infante (fille de la Reine), au motif que – selon sa défense – elle ne savait pas... ce qu'elle signait.Mais cette dame a fait des études supérieures de troisième cycle et possède même un Master.

L'Espagne est en train de devenir un Etat policier qui se transforme en un instrument répressif etviole le droit de manifester et le droit à la liberté d'expression, au moyen d'un arsenal de lois quiviolent de nombreux articles du code civil espagnol et mettent en relief le retard de ce pays entermes de respect des droits de l'homme.

Mais nombre de ses dirigeants jouent les étonnés, et ne veulent pas voir ce que subit le peupleibérique pour pouvoir ainsi remettre en question ce qui se passe dans d'autres pays du continenteuropéen et dans le reste du monde.

Contrairement à ce qu'il se passe en Espagne, en République Bolivarienne du Venezuela le peuplevénézuélien profite de tous les bénéfices et des droits de l'Homme qu'a légués le président HugoChavez à travers ses projets d'inclusion sociale. Le changement s'est opéré à partir de laConstitution de 1999, dans laquelle la participation et le rôle du peuple lui a permis d'être maître deson destin.

En ce qui concerne le domaine juridique vénézuelien, contrairement aux lois qui sont approuvées auParlement espagnol, il a permis aux plus démunis du Venezuela de profiter de nombreux bénéficestels que: le droit au logement, l'accès gratuit aux soins y compris concernant les médicaments aucoût élevé, l'accès gratuit à l'éducation et ce jusqu'au niveau universitaire, l'accès aux technologieset à d'autres projets d'inclusion sociale et de reconnaissance des peuples indigènes, la possibilité debénéficier d'une pension de retraite et de prêts bancaires à des taux d'intérêt peu élevés.

Le Venezuela compte beaucoup de missions à travers tout le pays qui sont un bastion précieux etcouvrent différents type de besoins. On compte parmi celles-ci 34 institutions possédant descapacités dans tous les domaines. Cependant, les médias étrangers ne montrent jamais les avantagesque ces missions fournissent aux Vénézuéliens.

L'un des nombreux médias qui se distingue par sa guerre intensive menée contre le Vénézuela est

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ABC Espagne. Son directeur exécutif, Jaime Gonzalez a indiqué un jour en une du journal que « Lechavisme se sert de l'Espagne comme centre de distribution de la drogue en Europe ». La une étaitaccompagnée d'une photo du président de l'Assemblée Nationale du Vénézuela et du président de laRépublique Bolivarienne du Vénézuela, prétendant ainsi corroborer ce grand mensonge envers cesdeux hommes.

Grâce au titre ainsi qu'aux commentaires de cette publication du journal ABC, on peut analyser lastratégie basée sur la délégitimation et la disqualification du président Nicolás Maduro et de sonéquipe gouvernementale. A cette occasion, on a pu évaluer la stratégie de« qualification/disqualification » qui consiste à recourir à une rhétorique qui permet d'élever ou derabaisser la condition d'une personne ou d'un groupe selon sa position vis-à-vis du gouvernement.Les groupes et les personnes qui soutiennent le gouvernement seront systématiquement présentéscomme violents, agressifs, intolérants et corrompus. Et les groupes qui s'opposent à cetteadministration sont présentés comme victimes de la violence, civilisés et pacifistes. Une autre desstratégies qui accompagnait cette publication du journal ABC était la « dissolution des sources ».

A l'aide de la même stratégie, les journaux El Nacional et El Universal (contre qui le Président del'Assemblée Diosdado Cabello a porté plainte devant les tribunaux) ont essayé d'agir comme l'avaitfait le quotidien El Universo quelques années plus tôt contre le président Rafael Correa.

ABC est membre de la Société Inter-américaine de la Presse, l'ONG dont l'objectif est de saper lesgouvernements latino-américains qui ne se soumettent pas à leur idéologie politique. ABC, fondé en1903 est un quotidien « à la ligne conservatrice, monarchiste, et catholique » qui, selon l'historienfrançais Jean-Michel Desvois, était durant la première moitié du siècle dernier « le quotidien del'oligarchie, c'est à dire de l'aristocratie, de la grande bourgeoisie, de l'Eglise, et certainement d'unebonne partie de la petite bourgeoisie réactionnaire de province qui se sentait solidaire de la classedominante et qui n'est pas au service des démunis mais au service des bourgeois. »

ABC conserve une position...à la droite de Franco ! Mais toujours en soutenant la répression enEspagne de même que l'impérialisme dans tous les conflits internationaux. Le directeur de larédaction de ce journal s'est un jour adressé au président Maduro et a déclaré : « Vous n'allez pasnous donner des leçons de quoi que ce soit, ABC défend plus la liberté que vous ne la défendezvous-même ». Cet acteur politique, qui ne rend aucun service à sa nation, a aussi affirmé : « Nousnous sommes confrontés à des personnes beaucoup plus puissantes que vous (Maduro), la liberté etla démocratie sont toujours plus fortes que le tyran ».

Dans une autre déclaration, Gonzalez a exprimé « des mots de solidarité face aux momentsdifficiles que vit le peuple vénézuélien, nous ne les abandonnons pas, nous luttons pour la liberté ».Le cynisme et le culot de cet individu qui prétend être un « professionnel de la communication »sont définitivement un détournement de la profession de communicateur social. Curieusement, lejournal dans lequel il travaille ne publiera ni communiqué de presse ni article contre la « LoiBaillon » de son pays.

Caracas, août 2015, par Richard Moya. Pour le Journal de Notre Amérique d'Investig'Action

Traduit par Rémi Gromelle pour le Journal de Notre Amérique

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Les Brèves du JNA 6*******************************

GuatemalaAprès plusieurs mois de protestations et de grèves dans tout le pays, le présidentguatémaltèque, Otto Pérez Molina, a finalement présenté sa démission cédant ainsi face à lapression de la rue. Ce dernier est impliqué dans un scandale de corruption surnommé la«Linea». Le juge Miguel Angel Galvez a quant à lui ordonné l'incarcération provisoire duprésident déchu.

BrésilLe 17 août dernier, des centaines de milliers d'opposants à la présidente Dilma Rousseff sontdescendus dans les rues des principales villes du pays. Les manifestants étaient pour laplupart issus des classes moyennes et aisées du pays. Ces derniers n'hésitaient pas à porterdes pancartes en appelant à la destitution de la présidente. Certains plaidant ouvertementpour un coup d’État militaire voire une intervention des Etats-Unis. De son coté, l'ancienprésident du pays, Lula Da Silva a fait savoir qu'il sera candidat à l'élection présidentielle de2018 pour le Parti des Travailleurs (PT)

Mexique Le 26 septembre prochain, les mexicains commémoreront le triste anniversaire de ladisparition des 43 étudiants de l'Ecole Normale Rurale d'Ayotzinapa à Iguala dans l’État deGuerrero. (Voir article de Luis Alberto Reygada)

Argentine-Uruguay L'Argentine a officialisé jeudi 3 septembre le «Programme spécial de visa humanitaire pourles étrangers affectés par le conflit de la République Arabe Syrienne». Ce dernier consisteraà livrer aux réfugiés syriens ou palestiniens qui fuient leur pays des documents afin qu'ilspuissent séjourner légalement en Argentine. De son côté, l'ancien président de l'Uruguay,José Pepe Mujica, connu pour sa simplicité et son humilité a fait savoir qu'il accueilleradirectement chez lui, dans sa modeste maison, des réfugiés. Ces gestes de la part del'Argentine et de l'ancien président uruguayen tranchent radicalement avec la positioninhumaine de l'Union Européenne.

Équateur La Cour suprême du Canada a donné raison à l’Équateur dans son combat contre lamultinationale du pétrole, Chevron. Cette dernière est accusée depuis plus de vingt ansd'avoir contaminé des millions d'hectares de la foret amazonienne du pays. Ce jugement vapermettre aux victimes d’exiger neuf milliards cinq cent millions de dollars pour lesinnombrables dommages occasionnés.

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Chili : la violence insurrectionnelle descamionneurs de droite

Par J-C Cartagena & Nadine Briatte

La révélation de scandales politico-financiers, pratique courante qui concerne surtout ladroite mais aussi des membres de l’ex-Concertation, a ébranlé la légitimité et le prestigepolitique de bon nombre d’élus.

Les principaux dirigeants de droite, les plus compromis, sont inculpés, et pour l’instant, certainssont condamnés à la prison, d’autres à la détention à domicile et les autres ont l’interdiction dequitter le pays. Ceux de l’ex-Concertation, dont les agissements ne sont pas graves au point deconstituer un délit, ne sont condamnables que moralement, mais ont cependant subi une érosion deleur ascendant. Le cas le plus évident est celui de la présidente Bachelet dont l’autorité provenaitessentiellement d’une large popularité.

La chute de sa cote de popularité dans les sondages a été perçue par la droite, et plus largement parles secteurs conservateurs, mais aussi à l’intérieur de la coalition gouvernementale (NouvelleMajorité), comme la cloche qui sonne le départ de l’offensive.

Après avoir remanié son gouvernement pour tenter de passer le cap, Bachelet a réaffirmé sa volontéd’accomplir le programme de réformes.

En l’absence des leaders politiques de l’opposition, contraints de s’expliquer avec la justice, lesmédias, totalement aux mains de la droite, et les associations patronales ont déclenché une violenteoffensive pour essayer d’arrêter la politique de réformes allant jusqu’à demander la démission de laprésidente.

La protestation la plus spectaculaire a pris une forme qui n’est pas du tout anodine pour lesChiliens : ce sont les associations de propriétaires de camions de la IX Région (Araucanie) qui ontorganisé une caravane vers la capitale avec l’intention de se rendre au palais de la Monnaie, siègedu gouvernement.

Dans cette région de l’Araucanie située au sud du Chili, le peuple autochtone le plus nombreux dupays, les Mapuches, poursuit une lutte ancestrale pour la récupération de ses terres volées depuis lafin du XIX siècle.

Le refus de l’État chilien d’accéder aux revendications mapuches a provoqué la radicalisation decertains secteurs minoritaires qui utilisent le feu pour détruire les plantations des compagniesforestières. Jusqu’au gouvernement de Piñera la réponse des administrations successives futl’application de lois antiterroristes, contribuant ainsi à l’escalade du conflit. Par ailleurs, patronsforestiers et camionneurs ont saisi l’occasion pour profiter d’indemnisations versées par lesassurances pour le matériel incendié.

A la manne financière des patrons est venu s’ajouter le profit politique et c’est ainsi qu’a étéorganisée une caravane de protestation en direction du palais présidentiel pour dénoncer les atteintesportées à leurs propriétés et « le terrorisme mapuche » .

Les camionneurs arrivés à proximité de la capitale ont alors exigé que la caravane puisse pénétrerau centre ville en se refusant à toute négociation. Leurs exigences politiques (intervention del’armée, démission de Bachelet) et les menaces quant aux actions à venir révélaient un état d’espritinsurrectionnel.

Les peuple chilien, qui n’a pas oublié le rôle joué par les syndicats de camionneurs dans lapréparation du coup d’État contre Allende, a rejeté cette manœuvre.

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Les condamnations sont venues de toutes parts : l’association des chauffeurs de camions, les ex-prisonniers politiques, la Centrale Unitaire des Travailleurs (CUT), la Coordination des Étudiants duSecondaire (CONES), les élus communistes de la CONFECH (universitaires), et bien entendupratiquement la totalité des responsables politiques de la Nouvelle Majorité ont réprouvé l’actionsubversive des camionneurs. Une contremanifestation à l’appel des associations de Mapuches deSantiago devant la Monnaie a donné lieu à des échauffourées.

Les confédérations des étudiants ont occupé le siège de l’UDI (Union Démocratique Indépendante-extrême droite-) et distribué des dessins représentant les camions de la sédition.

Les camionneurs après avoir bloqué la route panaméricaine sud pendant des heures ont reçul’autorisation du ministre de l’Intérieur (*) d’emprunter la principale artère pour défiler dansSantiago la nuit. Là aussi, le peuple de la capitale, à l’appel notamment des JeunessesCommunistes, a affronté les camions à coups de pierres, les obligeant à accélérer leur traversée.

Bref, tous les secteurs responsables de la société chilienne n’ont pas hésité à dénoncer la campagneinsurrectionnelle de la droite.

Ces événements ont mis en évidence deux faits. D’abord qu’à l’intérieur de la Nouvelle Majorité lessecteurs conservateurs hostiles au programme de changement se montrent de plus en plus réticents àappliquer les mesures gouvernementales. Ensuite, que l’idée fondamentale de la gauche radicale,selon laquelle le gouvernement de la Nouvelle Majorité ne constituerait qu’une variante politiquecomplaisante destinée uniquement à peaufiner le système d’exploitation en place, a perdu de savigueur. La droite chilienne, les patrons en tête, en faisant appel à la violence, son ultimeargumentation traditionnelle, vient de démontrer, si besoin était, que les réformes proposées par laNouvelle Majorité qui s’attaquent à certaines structures de base des institutions héritées dePinochet, menacent effectivement ses privilèges.

Il est indéniable que cette action déstabilisatrice s’inscrit dans l’offensive générale de la droite enAmérique Latine. Aussi, désormais la droite chilienne s’apprête à s’opposer, par tous les moyens,légaux ou pas, à la réalisation du programme de la Nouvelle Majorité. Malheureusement dans cetteopération la droite possède des alliés privilégiés à l’intérieur même de la coalition gouvernementale,comme l’a révélé l’attitude fourbe du ministre de l’intérieur Jorge Burgos. Si les partenaires de laNouvelle Majorité souhaitent le succès du programme, il apparaît de plus en plus évident qu’il vafalloir régler le problème de loyauté au sein de l’équipe gouvernementale car les tâches prochaines,réforme du code du travail et changement de constitution, vont provoquer certainement une levée deboucliers encore plus importante des secteurs rétrogrades de la société.

Concernant la coalition gouvernementale , il est clair qu’il lui faudrait rassembler de larges couchesde la population pour mener à terme son programme et souhaiter, avec cette force majoritaire, qued’autres pouvoirs de fait au Chili ne choisiront pas la violence comme moyen d’expression pourfaire entendre leurs revendications, pour reprendre les termes employés par la sénatrice IsabelAllende, fille du président martyr.

On comprend facilement à quels pouvoirs elle fait référence.

J. C. Cartagena et Nadine Briatte , Massy, lundi 31 août 2015

Notes :

(*) Concertation : alliance de partis sociaux démocrates composée par la Démocratie chrétienne, le Parti Socialiste,le Parti pour la Démocratie et le Parti Social Démocrate Radical, qui a gouverné le pays de 1991 à 2010.

(**) Les hésitations, compromis et faiblesses du ministre de l’Intérieur ont été durement condamnés y compris à l’intérieur de la Nouvelle Majorité.

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Tentatives de déstabilisation en Equateur.Réflexion sur l´indigénisme occidental

Par Romain Migus

L´indien est–il bon par essence?

Précisons d´emblée que cette question est aussi absurde que raciste. Si les communautésamérindiennes d´Equateur, de Bolivie, du Brésil ou d´ailleurs étaient « bonnes par essence», celasupposerait que les gouvernements progressistes latino-américains admettent une hiérarchisationselon l´appartenance á un groupe ethnique. En effet, s´il y a de «bonnes» communautés au sein dupatchwork national, c´est qu´il doit y en avoir des «mauvaises». Heureusement, il n´en est rien.

En revanche, les processus révolutionnaires en Amérique Latine ont continuellement contribué àlutter contre l´exclusion politique, sociale, et géographique(1) des citoyens issus de toutes lescommunautés. Il suffit du reste de consulter les résultats électoraux des pays latino-américains enrévolution pour constater l´immense soutien dont bénéficient ces processus politiques dans leszones á fort peuplement indigène (2).

Cette vision essentialiste et raciste est fortement ancrée chez certains membres des classesmoyennes-supérieures occidentales. Cette construction sociale erronée, mélange entre le bonsauvage rousseauiste et l’exaltation de la pureté ethnique –pourquoi les métis ne bénéficient-ils pasd´une telle passion politique ?- est emprunt d´un sentiment de culpabilité impérialiste doublé d´uninstinct de protection.

On notera au passage le présupposé paternaliste et colonial d´une telle conception. Cette visionabonde á l´extrême gauche mais pas seulement. De nombreux journalistes et universitairesoccidentaux la véhiculent dans leurs articles. Les tensions et conflits existants entre des ethniesamérindiennes, leur grande diversité et la complexité des relations intercommunautaires sontannihilés au profit d´une totalité ethnique imaginaire : les « indigènes ».

Au cours de ses premières années á la tête de la Bolivie, Evo Morales a bénéficié de cettemansuétude journalistique. En comparaison avec d´autres dirigeants latino-américains, Evo, « l´indien », n´était jamais critiqué directement pour ses politiques de redistribution sociale, mais étaitsuspecté d´être manipulé par Hugo Chavez ou Fidel Castro, véritables incarnations du mal. Passéesá la trappe les longues années de combats syndicaux et politiques qui ont fait d´Evo Morales undirigeant apte á gouverner son pays. Pour les journalistes occidentaux le président de la Bolivie étaitaussi bon que bête et manipulable (3).

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Cette vision réductionniste et raciste a considérablement influencé la couverture des évènementsqui ont secoué l´Equateur au cours de ces dernières semaines.

Evolution politique de la Conaie

La Confédération des Nationalités Indigènes de l´Equateur (Conaie) regroupe depuis 1986, diversesfédérations et organisations indigènes du pays. La Conaie, dont certaines de ses revendicationspolitiques sont clairement marquées á gauche, fut propulsée á l´avant-garde de la lutte contre lenéolibéralisme dans les années 90. La création du parti Pachakutik, considéré comme son braspolitique, connut un certain succès électoral. Pachakutik obtint plus de 20% des voix aux électionsprésidentielles de 1996 ainsi que plusieurs gouvernements locaux et sept députés á l´AssembléeNationale.

C´est á ce moment que la Conaie établit de fortes relations au niveau international. Dans une gaucheoccidentale en pleine reconstruction depuis la disparition de l´Union Soviétique, l´organisationindigène connait une certaine popularité. Ses thèses mais aussi son fonctionnement, très en phaseavec le mouvementisme ambiant de la fin des années 90, servirent de blanc-seing auprès desdifférents acteurs de la lutte altermondialiste.

Cependant, au niveau national, sa relation avec le pouvoir et avec l´Etat va progressivement ladiscréditer. D´une part, le soutien et la participation (même brève) au gouvernement du démagogueLucio Gutierez va être un sujet de discorde interne. Mais c´est surtout sa relation conflictuelle, d´abord latente, puis de confrontation ouverte avec la Révolution citoyenne de Rafael Correa qui vafaire perdre á la Conaie et á Pachakutik l´appui populaire dont ils bénéficiaient quelques annéesauparavant. Par ailleurs, c’est à cette époque que les dirigeants des deux organisations établirent desliens très étroits avec l´ambassade des Etats-Unis en Equateur (4) et même avec un agentexpérimenté de la CIA (5). En contrepartie, ils recevront des fonds de la National Endowment forDemocracy (NED) et de la Usaid (6). Drôle de conception de la lutte anti-impérialiste…

La plupart des revendications sociales des années de lutte contre le néolibéralisme ont été assumées par legouvernement de Rafael Correa. Comme chef de l´Etat, il doit gouverner avec le soutien d’une alliancetrès large politiquement. Par conséquent, les concessions politiques sont parfois de rigueur. De plus, il a latache de renforcer la présence et le rôle de l´Etat comme instruments de redistribution de la richesse. Dupoint de vue du Pouvoir, le développement de la Nation et le bien-être des citoyens s´imposent auxrevendications communautaires, et c´est là que le bât blesse.

Pour les dirigeants de la Conaie et ses défenseurs internationaux, il semble normal qu´afin de lutter contrel´extractivisme et pour les « droits de la Pachamama », les organisations indigènes récupèrent le contrôledes territoires où ils sont numériquement majoritaires pour contrôler et gérer eux-mêmes les ressourcesnaturelles qui s´y trouvent (7). Autrement dit, opter pour la destruction de l´Etat-Nation, et le règne decommunautés autonomes. Ceux qui défendent ce point de vue pour l´Equateur ne le toléreraient pas unseul instant dans leur pays. Pourquoi donc le prônent-ils pour le pays andin ? Pourquoi revendiquent-ils la

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prédominance de l´ethnie face au citoyen ? Accepteraient-ils que des groupes ethniques en majoriténumérique sur une portion de territoire de leur pays administrent ses richesses ? Insinuent-ils que l´appartenance á un groupe ethnique particulier soit un gage d´honnêteté, de bonne administration ou deprotection écologique ? Comment peuvent-ils penser que, face au Capital, l´organisation communautaireest plus puissante que l´Etat ?

La défense sans concession de telles positions extrémistes doit beaucoup à la vision indigéniste infantile etraciste décrite précédemment. De plus, elle ne prend pas en compte l´évolution des forces politiques enprésence en Equateur. Si la Conaie fut effectivement á l´avant-garde de la contestation á l´ordrenéolibérale, ce temps là est révolu. La lutte (certes imparfaite) du gouvernement de la RévolutionCitoyenne pour la justice sociale et contre les abus du Capital a sapé la consistance du discours de l´organisation indigène.

Ce sentimentalisme militant est très présent á la gauche de la gauche. Il suffit de lire l´argumentaire desintellectuels qui se sont manifestés contre la non rénovation par l´Etat du bail du siège de la Conaie : « ils’agit d’un manque de respect envers la mémoire et l’histoire d’une organisation à laquelle l’Équateur doittoute une série de luttes démocratiques et de transformations sociales extraordinairement profondes etpositives » (8). Ce n´est pas faux mais ce qui fut vrai n´est plus. Pourquoi donc, au nom d´une histoireglorieuse passée, l´Etat devrait-il prendre en charge une partie des coûts de fonctionnement d´uneorganisation particulière ? Personne ne s´offusque que l´Etat français n´assure pas les locaux du PCF,organisation qui compte á son actif une série de « luttes démocratiques et transformations sociales » d´unetoute autre ampleur que celle de la Conaie.

Aujourd´hui la Conaie est soutenue par tous les partis de la droite néolibérale. Du banquier Lasso aucaudillo régional Jaime Nebot en passant par le magnat de la banane, Alvaro Noboa, tous se sont déclaréssolidaires des revendications de l´organisation indigène durant les dernières manifestations. Peu importe d´ailleurs si certaines de celles-ci affectaient fortement les intérêts économiques personnels des leaders de ladroite équatorienne (9).

D´autre part, la rhétorique de la prédominance des intérêts politiques des peuples premiers a de quoichoquer lorsqu´elle est évoquée par des intellectuels ou militants se revendiquant de « gauche ». En effet,cette argumentation est généralement cantonnée en Europe á l´extrême droite identitaire, qui revendiquedes droits spécifiques en raison de sa généalogie celte, biturige ou arverne.

Selon le recensement effectué en 2010 (10), l´Equateur compte seulement 7% de population indigène. Lamajorité de cette population soutient la Révolution citoyenne, mais la Conaie a réussi le tour de force de s´imposer au niveau international comme l´unique défenseur des intérêts de cette communauté. Alors qu´elle ne représente qu´une infime minorité d´organisations indigènes de base, elle fait désormais office deparavent politique à la mobilisation de la droite néolibérale. On peut aussi se demander, pourquoi donc l´intelligentsia occidentale ne mobilise pas d´arguments semblables á ceux utilisés pour la cause indigènemais afin de défendre d´autres communautés ethniques minoritaires pourtant présentes en Equateur(afroéquatoriens, montubios, ou même blancs, dont la proportion est pourtant équivalente á celle desindigènes) ?

Droit de manifester et Etat de droit

Le 2 août 2015, la Conaie entama une manifestation indigène censée rallier tous les secteurs indiens pourmarcher sur Quito. Durant une étape de cette “longue marche”, le président d´Ecuarunari (11), CarlosPerez, appela devant une multitude de 120 personnes á empêcher les media publics de faire leur travail d´information, et d´appliquer la justice indigène (sic) au cas où ces journalistes s´entêteraient á faire leurtravail. En revanche, les employés des grandes entreprises privées de communication furent les bienvenus(12). Curieuse vision de la liberté d´expression et de la liberté d´informer…ainsi que de la justice.

Les défenseurs de la liberté de la liberté de la presse étaient aux abonnées absents. L´association politiqueReporters Sans Frontières, si prompte á condamner la “censure” imposée par le président Correa dans le

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cadre du réveil du volcan Cotopaxi (13), n´a même pas pris la peine de mentionner les menaces etagressions de la Conaie aux travailleurs de la presse équatorienne.

Le 13 août, la Conaie et le Front Unitaire des Travailleurs (FUT) convoquèrent une grève générale et unemarche sur Quito. Pour compléter un attelage déjà bancal, l´ordre des médecins, certaines chambres decommerce (dont celle de Quito (14) et les partis de la droite équatorienne soutinrent l´initiative. Il esttoujours bon de rappeler cet état de fait à ceux qui versent régulièrement dans le sentimentalismeindigéniste et dont les compteurs militants sont restés bloqués aux années 90….

Face á l´échec retentissant de cette grève générale, la manifestation prévue á Quito dégénéra en uneviolence assourdissante : 86 policiers et 20 civils blessés (dont 3 journalistes. RSF est encore restémuet…)(15). Les vidéos tournées ce soir-là montrent l´extrême violence des manifestants et la très grandemodération des forces de maintien de l´ordre. De fait, le nombre de blessés dans leurs rangs illustre bien d´ou vient la violence (16).

Voir vidéo : « Violencia en marchas opositoras »

Dans les jours qui suivirent, la Conaie organisa plusieurs coups de force. A Ambatillo, les militantsindigènes bloquèrent les routes d´accès et tentèrent de détruire les antennes de retransmission de radio ettélévision. Les policiers présents sur place conseillèrent aux journalistes de faire omission de leur devoir d´informer. “Ne les prenez pas en photo et faites attention á ce que vous dites ou ils vont vous passer àtabac” lança un policier aux journalistes (17). 30 militaires venus protéger les antennes de communicationfurent séquestrés par la communauté indigène puis expulsés de « leur » territoire. Le lieutenant MiguelArmendariz, commandant le bataillon de militaires séquestrés déclara á sa libération : « Nous n´avons pasvoulu lancer de bombes lacrymogènes car il y avait des femmes et des enfants » (18). Sage précautiondont ne s´entachent que très peu de démocraties de par le monde…

A Macas, les militants de la Conaie agressèrent les policiers présents á coup de lances. Dans une vidéofilmée lors de l´agression, on ne peut que noter encore une fois la passivité et le calme des forces de l´ordre (19). Voir vidé o : « Agresiones a policías en manifestaciones en Macas »

A Dayuma, au cœur de l´Amazonie équatorienne, la Conaie revendiqua le sabotage de plusieurs puits depétrole avant d´être délogée par la police (20). Enfin à Saraguro, dans le sud du pays, après de violentsaffrontements, un policier fut enlevé et torturé par des militants de la Conaie. Il parvint á s´échapper de sesgeôliers et fut retrouvé en état de choc (21).

Le gouvernement équatorien semble avoir raison lorsqu´il évoque une tentative de coup d´Etat soft pourqualifier les récents évènements qui ont touché le pays. Si la plupart des équatoriens condamnent cesviolences, la solidarité internationale qui s´est manifestée en faveur de la Conaie reste incompréhensible.Rafael Correa jouit d´une large popularité, et comme chef de l´État, il se doit de faire respecter l´Etat dedroit.

L´ampleur des débordements contre un gouvernement légal, légitime et populaire, les séquestrations et lesagressions dont furent victimes certains membres des forces de l´ordre et les attaques à la liberté de lapresse auraient été condamnées dans n´importe quel pays, ou dans le cas de n´importe quelle autrecommunauté. Nous n´osons imaginer ce qu´il serait advenu d´un groupe afro-étasunien si celui-ci avaitséquestré et torturé un policier á Fergusson ou Baltimore ou retenu en otage 30 membres de la GardeNationale. Les réseaux de solidarité académique, les journalistes voire même certains membres de l´ultragauche auraient certainement condamné ces actes de délinquance commune. Nous ne pouvons queconstater le racisme latent qui tend á faire de cette mafia indigène un groupe au dessus des lois et desautres citoyens.

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Le cas Manuela Picq

Manuela Picq, citoyenne franco-brésilienne, grande amatrice de parapente, est arrivée en Equateur en 2007pour s´adonner á son sport favori. Conquise par les charmes du pays, elle décide de s´y établir. Elleenseigne désormais dans la riche université privée San Francisco de Quito (22). Elle est égalementprofesseure associée dans les universités étasuniennes Amherst College, dans le Massachusetts, etPrinceton dans le New Jersey. Ses domaines de recherches universitaires vont des théories Queer et de lathéorie du genre, á la participation des femmes en politique en passant par la défense de l´environnement,des peuples indigènes et par la critique de l´extractivisme. Elle est la compagne sentimentale de CarlosPerez, le président d´Ecuarunari, avec qui elle partage son agenda militant.

Notons que Mlle Picq est aussi employée du Qatar en tant que correspondante d´Al Jazeera English enEquateur. Il peut paraitre surprenant qu´une militante du droit des femmes et des LGBT, participe á lapropagande d´un Etat suspecté de financer le terrorisme international via le pillage de ses ressourcesnaturelles et où les femmes, les gays et les travailleurs sont l´objet de véritables persécutions. Qu’á cela netienne, l´offensive médiatique contre la Révolution Citoyenne mérite bien quelques sacrificesidéologiques, tant pour la journaliste que pour son employeur.

Le 13 août 2015, alors qu´elle participait á la manifestation ultraviolente á l´appel de la Conaie et de laFUT, Manuela Picq fut arrêtée par la police et menacée d´expulsion du territoire par le gouvernement(23).

Aussitôt, se forma un grand réseau de solidarité, non pas chez les mouvements indigènes latino-américains, mais parmi ses contacts académiques du monde universitaire occidental, ainsi que chez lesleaders de la droite néolibérale équatorienne. Une pétition sur internet rassembla plusieurs centaines designatures, principalement d´universités étasuniennes (24). Le banquier Guillermo Lasso, leader de l´opposition équatorienne, se déclarait solidaire de la journaliste d´Al Jazeera (25).

Et la justice tranchât….

Le 17 août, après quatre jours de Telenovela mediatico-judiciaire, le juge Gloria Pinza décida nonseulement d´annuler purement et simplement le processus de déportation de Manuela Picq, mais aussi desoumettre les policiers responsables de son arrestation á une enquête interne (26).

Belle preuve de l´indépendance de l´institution judiciaire dans un pays où le président est si souventqualifié d´autoritaire, de dictateur voir de fasciste (27). A la sortie de sa courte détention, Mlle Picq amême osé comparer le gouvernement de Rafael Correa au régime nazi (28). Le ridicule ne tue pas mais lesdictatures si. Rappelons á l´universitaire l´assassinat de deux de ses compatriotes par la dictature argentine(29) ou encore le meurtre de son confrère journaliste argentin Leonardo Henrichsen par l´armée chilienne,pour ne citer que deux exemples issus d´une longue liste macabre. Dans les dictatures, on n´expulse pasles étrangers rebelles, on les élimine.

Cette opération médiatique, en plus d´avoir fait passer une parfaite inconnue pour une héroïne moderne,aura eu le mérite de blanchir au niveau international les agressions, et les attaques d´un secteur minoritairedes indiens équatoriens contre l´Etat et la population en générale.

Soutenu par l´indigénisme béat de leur « protecteurs occidentaux », la Conaie peut continuertranquillement à se livrer à des tentatives de déstabilisation de la Révolution Citoyenne. Le 29 août, sesdirigeants ont annoncé une nouvelle mobilisation, prévue pour le 16 septembre, pour exiger de l´Assemblée Nationale le retrait des amendements á la Constitution, et pour protester contre la centaine d´arrestations qui eurent lieu après les agressions faites aux forces de l´ordre. Face á l´application de la loi,la Conaie parle « d´ethnocide » (30) perpétré par le gouvernement de Rafael Correa. Pas sûr que cemensonge, vu son énormité, soit repris par l´élite intellectuelle indigéniste….

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Notes:(1) Notamment en améliorant les voies de communication.(2) Le soutien des indigènes aux révolutions latino-américaines est particulièrement flagrant lors d´élections présidentielles déterminant le futur du processus révolutionnaire. Pour le Venezuela, voirhttp://www.cne.gob.ve/web/estadisticas/index_resultados_elecciones.php, pour la Bolivie :http://www.oep.org.bo/Computo2014/,dans le cas de l´Equateur: http://cne.gob.ec/es/institucion/procesos-electorales/elecciones(3) L´article “Evo Morales, le Conquistador indien” paru dans Libération, 05/12/2009 illustre parfaitement notre propos. (4) “Wikileaks relata diálogos de indígenas con EE.UU”, El Telégrafo, 07/08/2015,http://www.telegrafo.com.ec/politica/item/desde-2005-la-conaie-vive-con-pugnas-internas.html(5) Eva Golinger, “Veterano de la CIA detrás del golpe en Ecuador”, Cubadebate, 04/10/2010,http://www.cubadebate.cu/opinion/2010/10/04/veterano-de-la-cia-detras-del-golpe-en-ecuador/#.Vd4YNpfae1s(6) Ibid.(7) Voir par exemple, “Ecuarunari/Conaie: Propuesta para la Asamblea Constituyente”, noviembre 2007,http://www.ecuarunari.org/es/info_especiales/anc/propuesta_asamblea.pdf , ou encore “(…) Realizar un diagnóstico de la tenencia de tierra en la Amazonia ecuatoriana y su conflictividad asumiendo que no existen tierras baldías; para ello se propone incluir la cosmovisión ancestral para la administración y manejo de los recursos naturales (…)”in Resoluciones del Consejo Ampliado de la Confeniae y Conaie, 27-28/01/2015, http://conaie.org/en/?start=54.(8) « Equateur : Plus de 450 intellectuels et activistes du monde se solidarisent avec la Conaie et demandent au Gouvernement de changer d’attitude », Cadtm, 26/12/2014, http://cadtm.org/Equateur-Plus-de-450-intellectuels(9) La Conaie a émis un communiqué dans lequel elle rejetait ce soutien encombrant, pour revendiquer ses « seuls alliés historiques :les classes populaires ». Classes populaires qui par ailleurs préfèrent donner leurs voix à la Révolution citoyenne si l´on en croit les résultats désastreux de Pachakutik et de ses alliés d´ultragauche aux élections présidentielles de 2013. (10) Le recensement effectué en Equateur en 2010 nous enseigne que si 7% de la population est indigène, 6,1% est blanche, 7,2% estafroéquatorienne, 7,4% est montubio et 71,9%, c´est á dire, l´immense majorité est métisse. « Censo 2010 », http://www.ecuadorencifras.gob.ec/resultados/(11) Ecuarunari est une organisation des indiens kichwa. C´est un des piliers de la Conaie.(12) “Agreden a equipo de EcuadorTv en la cobertura de la marcha indígena”, El Telegrafo, 07/08/2015,http://telegrafo.com.ec/politica/item/agreden-a-equipo-de-ecuador-tv-durante-cobertura-de-marcha-indigena.html(13) “Pourquoi le président équatorien censure-t-il la presse sur le réveil d´un volcan ? ”, Reporters sans frontières, 18/08/2015, https://fr.rsf.org/equateur-pourquoi-le-president-equatorien-18-08-2015,48234.html. Au titre de ce communiqué, nous serions tentés de répondre en 7 mots : Afin d´éviter des mouvements de panique. Précisons d´ailleurs que la centralisation de l´information est strictement limitée à l´activité du volcan Cotopaxi.(14) Voir le communiqué de la Chambre de commerce de Quito surhttp://www.lacamaradequito.com/noticias/detalle-de-noticia/noticia/gremios-con-posiciones-divididas-ante-el-paro/(15) “Ecuador : Marcha opositora deja a 86 policías y 20 civiles heridos”, Telesur, 14/08/2015,http://www.telesurtv.net/news/Ecuador-marcha-opositora-dejo-86-policias-y-20-civiles-heridos-20150814-0017.html(16) Voir la video « Violencia en marcha opositora », Youtube, 17/08/2015, https://www.youtube.com/watch?v=EQvhP_BuaFg(17) « Indígenas se radicalizan y retienen a 30 militares”, El Telegrafo, 21/08/2015,http://www.telegrafo.com.ec/politica/item/indigenas-se-radicalizan-y-retienen-a-30-militares.html(18) Ibid.(19) “Agresión a policías en manifestaciones en Macas”, Youtube, 19/08/2015, https://www.youtube.com/watch?v=1rks2B6SpPw(20) “Ministerio denuncia ataque contra pozo petrolero en bloque amazónico 7”, Ecuador en Vivo,

19/08/2015,http://www.ecuadorenvivo.com/sociedad/190-sociedad/35006-ministerio-denuncia-ataque-contra-pozo-petrolero-en-bloque-amazonico-7-instalaciones-reportaron-paralizacion-durante-quince-minutos-debido-al- incidente.html#.Vdz3qZfae1t(21) “Policía relata cómo logró escapar de sus captores en Saraguro”, El Telégrafo, 20/08/2015,http://www.telegrafo.com.ec/politica/item/policia-relata-como-logro-escapar-de-captores-en-saraguro.html(22) Le président Rafael Correa fut aussi professeur de cette Université.(23) « Equateur : mobilisation derrière une journaliste franco-brésilienne », France Info, 17/08/2015,http://www.franceinfo.fr/actu/monde/article/equateur-mobilisation-derriere-une-journaliste-franco-bresilienne-717081(24) Voir le communiqué et la pétition de la Latin American Studies Association :https://www.facebook.com/LatinAmericanStudiesAssociation/posts/883530991763142:0(25) Voir https://twitter.com/LassoGuillermo/status/632309144020733953(26) “La justicia liberó a Manuela Picq”, El Comercio, 18/08/2015. Dans la vidéo, on peut voir que la police procède à une arrestation sans grande violence physique, accompagnant même l´universitaire à récupérer son foulard. Voir :http://www.elcomercio.com/actualidad/manuelapicq-libre-deportacion-fiscalia-partepolicia.html(27) C´est par exemple le cas des hebdomadaires Marianne (http://www.marianne.net/Equateur-le-President-Correa-anti-liberal-mais-seul-maitre-a-bord_a240501.html), Le Nouvel Observateur (http://tempsreel.nouvelobs.com/monde/20130218.OBS9209/equateur-rafael-correa-un-president-intransigeant.html, ou encore du quotidien Le Monde (http://www.lemonde.fr/idees/article/2015/08/19/l-arbitraire-doit-cesser-de-regner-en-equateur_4729646_3232.html)(28) Mercedes Cabrera, “Manuela Picq : Se cayó la imagen de la Revolución ciudadana”, Ecuador Times, 19/08/2015, http://www.ecuadortimes.net/es/2015/08/19/manuela-picq-se-cayo-la-imagen-de-la-revolucion-ciudadana/(29) Angeline Montoya, “Sœur Léonie peut reposer en paix”, La Croix, 30/08/2005, http://www.la-croix.com/Religion/Actualite/Soeur-Leonie-peut-reposer-en-paix-_NG_-2005-08-30-510253(30) “Conaie pide a Gobierno que "detenga la violencia contra los indígenas", El Universo, 27/08/2015,http://www.eluniverso.com/noticias/2015/08/27/nota/5088344/conaie-pide-gobierno-que-detenga-violencia-contra-indigenas

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L’Équateur de 2015: l'épuisement d'un modèle

dans un contexte de crise mondialepar François Houtart

Pour comprendre une situation aussi complexe que la conjoncture internationale chaotique actuelle,dont les tenants et aboutissants échappent à la capacité d'action de n'importe quel pays, et enparticulier celle des pays du Sud, il est important d’éviter les explications simplistes qui réduisentles processus sociaux au volontarisme collectif ou individuel, car elles débouchent inévitablementsur des accusations mutuelles, et sont même susceptibles de conduire à l'usage de la violenceinstitutionnelle ou spontanée.

Pour autant, on ne saurait nier la lutte des intérêts économiques qui, tant au niveau nationalqu'international, dominent le paysage, orientent les politiques et colonisent les esprits. D'ailleurs, s'ily a plusieurs façons de concevoir la lutte contre l'hégémonie du capital, la pertinence du choix dansla manière de le faire ne peut être jugée que par ses résultats. C'est pourquoi nous allons analyser,dans un premier temps, le contexte local et global, pour ensuite aborder les événements du moisd'août 2015.

Cette communication a pour objectif d'élaborer des scénarios propices à favoriser le débat de fond.En ce qui concerne notre utilisation du terme modèle, celui-ci ne doit pas être compris comme étantlié à un système de valeurs en soi. Il s'agit plutôt d'un objet social qui prend forme selon la logiqueadoptée par les acteurs sociaux, à des fins qu'ils se sont fixés. Donc, lorsque nous parlons d'unmodèle de modernisation de la société, nous ne remettons pas en question l'intention de changer unesociété dans un sens de progrès, mais nous tenterons d'analyser le concept de modernité qui estsous-jacent et ses conséquences sociales.

1. Le contexte des manifestations d'août 2015

La double dimension de leur contexte, national et mondial, est assez claire. Dans l'ensemble ducontinent et à l'intérieur de chaque pays, on peut noter les éléments spécifiques qui caractérisent lesdifférentes étapes de l'épuisement du modèle actuel. L’élément le plus important cependant estl’impact de la crise mondiale à l’échelle nationale et les répercussions vécues par chaque pays.

À l'échelle nationale

La grève du travail et le «soulèvement» indien d'août 2015 sont en fait le résultat d'une situation quise détériorait depuis un certain temps déjà. Faisant suite à une période de chaos politique quiaccompagna la sortie progressive de l'ère néolibérale en Équateur, une Constitution fut élaborée en2008 et le pays connut une période de stabilité qui lui permit l'élaboration de plans dedéveloppement, le rétablissement du rôle actif de l’État, la reconstruction des services publics etl'amélioration de l'accès à la santé et à l'éducation des plus démunis.

Un changement économique et social

Bénéficiant de la hausse des prix des matières premières et d'une nouvelle politique fiscale, destransformations socio-économiques ont dès lors pu être mises en œuvre en Équateur. Des mesuressociales importantes furent enclenchées en faveur du travail déclaré et de l'augmentation du salaireminimum, la reconnaissance du travail des femmes au foyer a permis l'accès à une pension deretraite minimale pour cette catégorie sociale et des investissements importants dans les secteurs dela santé et de l'éducation ont été engagés. De grands travaux publics pour l'accès à la souverainetéénergétique sont toujours en cours d'exécution ; l'Équateur s’est doté ces dernières années de

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centaines de kilomètres de nouvelles routes.

Pourtant, un peu plus de deux ans après le début du deuxième mandat du président Rafael Correa,des protestations se sont fait entendre dans tout le pays, non seulement au sein des différentescomposantes de la droite, mais également au sein des classes populaires. Ce mécontentements’explique par plusieurs facteurs, dont le principal est l'épuisement d'un modèle de modernisation dela société. Si ce modèle a engrangé d'importantes réussites sociales et a permis de nombreuxinvestissements publics, il ne fut pas capable de transformer le mode d'accumulation et lescontradictions fondamentales de ce dernier, débouchant notamment sur une destruction dramatiquede l'environnement, la prolétarisation d’une partie du paysanant, la désintégration des culturesindiennes et une urbanisation peu contrôlée. Il s'agit, comme le président Rafael Correa l'a lui-même appelé, de la construction d'un «capitalisme moderne» fondé sur un nouveau modèleproductif. Ce dernier favorise l'accélération des exportations d'énergies fossiles (pétrole, mines) etagricoles (bananes, sucre, palmier, brocoli, des agro-carburants par le biais des monocultures),réduit les importations, assure la souveraineté énergétique et remplace ainsi l’exploitationpétrolière, dont le pic sera atteint prochainement, par l’extraction minière et l’agro-business.

Il s'agit donc d'un programme cherchant à engranger rapidement et efficacement des progrèsmatériels au bénéfice du peuple équatorien, piloté de façon dynamique et incluant l'adoption deconnaissances et de technologies de pointe. L'Équateur est probablement le pays d'Amérique latinequi a su profiter du meilleur des réussites de ce modèle. En outre, il a joué un rôle de premier planpour l'intégration latino-américaine et l'image du pays à l'étranger a été transformée de manièrepositive.

D’un point de vue social, une classe moyenne dotée d’un accès appréciable à la consommation debiens importés a pu se développer ; près de deux millions de personnes sont sorties de la pauvretégrâce à la mise en place de programmes efficaces, mais qui eurent pour effet d'augmenter leurdépendance vis à vis politiques « assistentialistes »; le pouvoir politique de la vieille oligarchiecapitaliste fut rétréci. Enfin, les partis politiques traditionnels, connus sous le nom de "particratie",furent évincés. En même temps, de nouveaux groupes capitalistes "modernes" et économiquementefficaces se sont renforcés, grâce à des processus accélérés d'accumulation dans les domaines de lafinance, de la construction, du commerce, des télécommunications, de l'agro-industrie et chez lesintermédiaires des nouveaux investisseurs, notamment chinois.

Peu à peu, une droite «moderne», située à la fois dans l'opposition et au sein du gouvernement, estparvenue à se constituer. Les recettes fiscales se sont accrues par le biais de taxes et par la créationde nouveaux impôts. Ces mesures fiscales restent néanmoins modérées à l'égard des plus riches etn'ont pas touché certains intérêts étrangers. Par ailleurs, l’État a récupéré une participationcroissante des profits des sociétés minières, ce qui lui a permis de financer ses programmes sociaux.Dans l'agriculture, le gouvernement a soutenu les monocultures d'exportation de haute productivité,ce qui s'est répercuté sur la destruction de l'environnement et du tissu social en milieu rural. Cettepolitique a été menée au détriment de l'agriculture paysanne et familiale, alors que celle-ci produitjusqu'à ce jour plus de 60% de l'alimentation du pays et garantit sa souveraineté alimentaire.

La droite équatorienne opposée à l'actuel gouvernement est plurielle. Il y a d’abord la vieilleoligarchie, représentée par Alvaro Noboa, à la tête de la production bananière, mais qui n’a plusguère de poids politique. Le reste de la droite d’opposition se divise en trois branches principales :CREO qui compte avec le banquier et ex-ministre Guillermo Lasso; le Parti Social-Chrétien (de nosjours appelé Madera de Guerrero) avec Jaime Nebot, l'actuel maire de Guayaquil, et SUMA avec lemaire de Quito, Mauricio Rodas. Chacune de ces trois branches est liée à des intérêts économiquesspécifiques. Ainsi, l'opposition de droite n'a pas de direction ni de programme unique, et elle secaractérise essentiellement par son opposition au Président Correa, en utilisant comme principale

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stratégie l’infiltration des mouvements de protestation sociale.

Mais, il y a aussi la droite présente au sein du gouvernement de Alianza País, le groupe politique deRafaël Correa. Ses membres sont prêts à accepter la lutte contre la pauvreté car celle-ci leur permetd'élargir les bases du marché, le travail formel et la sécurité sociale. Ils acceptent même de payer uncertain montant de taxes, à condition que la stabilité politique leur permette de prolonger unprocessus d'accumulation accéléré dans certains secteurs de l'économie.

Plusieurs leaders indiens ont approché des personnalités de droite de l’opposition, afin d'exiger ladémission du président Correa, au sein d’un front commun, comme cela s’était produit dans le passéavec d'autres présidents. Mais ils ont été désavoués par la CONAIE (Fédération des organisationsindigènes). En outre, il ne fait aucun doute que les services secrets des États-Unis (CIA et d'autres)sont agissants pour susciter le désordre, comme toujours. Mais ils ne peuvent être considéréscomme la principale cause des processus socio-politiques qui se développent actuellement dans lepays. La théorie du complot est dangereuse dans la mesure où elle peut cacher les causes profondesde ces processus.

Par ailleurs, certains groupes sociaux (les médecins, les travailleurs du secteur pétrolier, lesretraités, les étudiants à l'université) ont défendu des intérêts corporatifs face aux réformes, certesnécessaires, mais souvent imposées d'en haut, en l’absence de tout dialogue réel et même enplusieurs cas de manière arbitraire, ce qui eut pour effet de faire reculer le gouvernement afin derectifier ses erreurs. Dans le cas particulier des lois sur l'héritage et la spéculation,l'incompréhension a été si profonde que la droite est parvenue à susciter une réaction de rejet de lapart d’une grande partie des classes moyennes et populaires, y compris par des paysans et desindigènes, malgré le fait que ces mesures étaient destinées à une meilleure répartition des richesses.Il y a eu, dans ce cas, un déficit évident en matière de communication, en raison d'un fluxd'information trop vertical, sans prêter suffisamment attention aux réactions de ceux qui lareçoivent. Ce fut l'un des effets d'une équipe de gouvernement trop centrée sur elle-même et pourqui la seule façon d'assurer la continuité du modèle repose sur un amendement de la constitutionpermettant d’assurer la réélection du président.

Ce projet, qui identifie la modernisation de la société avec le concept du «Buen vivir » (le « bienvivre » selon la conception traditionnelle des peuples indigènes) a généré progressivement unmalaise généralisé, malgré des résultats positifs indéniables. D'une part, les groupes politiques quiavaient conclu un accord avec le gouvernement d'Alianza País ont perdu leur part de pouvoir et sesont séparés. De l'autre, des questions comme la défense de la nature par les mouvements sociaux,les droits des travailleurs touchés par le nouveau modèle de production, l’organisation de syndicatsdans le secteur public, la plurinationalité, le lien entre les territoires et l'identité des peuplesautochtones...ont été considérées comme des obstacles au projet de modernisation du pays. Lenouveau code pénal global (Código Integral Penal, COIP) et certains décrets présidentiels tels quele décret 16 sur les organisations sociales, sont les instruments utilisés pour limiter leurs actions.Simultanément, des mouvements parallèles favorables aux politiques du gouvernement ont étécréés, s'appuyant sur une base fragile mais assez large, car constituée en grande partie sur desavantages économiques immédiats ou à la suite du modèle de modernisation en crise.

Un changement dans la gestion politique

En même temps, s'est développé dans le pays un appareil d’État assez pesant et qui a été utilisé,dans plusieurs cas, comme un outil partisan pour assurer la continuité du projet politique oùl'influence du pouvoir exécutif est déterminante. Il s'agit d'un État administré par une organisation

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politique pluriclassiste ( Alianza País ), où les forces de droite ont occupé un espace toujours plusgrand dans les secteurs stratégiques, notamment à partir du deuxième mandat présidentiel.

L'ensemble de ces processus sont davantage le résultat de logiques sociales que de calculsindividuels, même si ces derniers existent bel et bien. Ce sont des évolutions inhérentes à l'exerciced'un pouvoir qui cherche à atteindre l'efficacité et à poursuivre ses objectifs politiques depuis lesommet, tout en pouvant compter sur un fort soutien populaire. Il ne s'agit pas de déterminisme,mais bien d’un ensemble de conditionnements qui peuvent toujours être inversés par une autreconception du pouvoir.

Les peuples indiens

Dans cet ensemble, les peuples indiens possèdent leur spécificité. En 2007, lors de la prise depouvoir du nouveau système politique, une Constitution très avancée fut adoptée, qui reflétait aussibien les droits de la nature que les droits collectifs des peuples indiens, allant jusqu'à lareconnaissance de l'Équateur comme un état plurinational. Elle compta sur le soutien de la CONAIE(Confédération des nationalités indigènes d’Équateur, considérée comme un véritablegouvernement des nationalités), qui avait joué un rôle clé dans le soulèvement indien de 1990.

Peu à peu, vint la déception devant le non-respect de la Constitution dans les questions relatives auxterritoires, l'éducation bilingue; dans l'absence de réforme agraire; face aux nouvelles lois et codesqui encouragent les monocultures; la dépossession du contrôle communautaire de l'eau en général etdes flancs de montagne en particulier, pour ne rien dire du mépris, des insultes et de ladélégitimation systématique du discours du pouvoir. Dans les politiques sociales de l’Etat, lesindiens furent considérés en tant que pauvres, paysans ou citoyens, mais pas comme descommunautés, des peuples, des nationalités. La marche du 8 Mars 2012 ne fut pas suffisammententendue par le pouvoir politique. Le projet de modernisation est apparu de plus en plus sous unaspect destructeur de l'identité indienne. Ce n'était pas forcément l’intention, mais ce fut en tout casle résultat, même de la part de personnes bien intentionnées, mais qui éprouvaient beaucoup dedifficultés à comprendre dans son essence la réalité et les perspectives des peuples indiens.

L'accélération de l'éclatement d’une référence socio-culturelle des communautés et des peuplesindiens par le développement urbain, le démantèlement du tissu social en milieu rural, le systèmeéducatif, les médias, la société de consommation, le renforcement de la propriété individuelle, lafolklorisation de la culture et de la cosmovision indienne, sont tous des facteurs qui, intégrés dans lapolitique officielle, ont créé un sentiment de vrai désespoir et de profonde déception pour denombreux Indiens. Par ailleurs, nombre d'indigènes sont entrés dans le système et ont contribué à laformation d'une «bourgeoisie» indienne, dont les réactions politiques sont similaires à celles de lanouvelle classe moyenne en croissance.

Pour les organisations indiennes, la visite du Pape François a rajouté un élément circonstanciel à cetétat de choses, à cause de l'invisibilisation des peuples indigènes et de leurs dirigeants durant cestrois jours, une situation très différente de celle d'il y a 30 ans, lorsqu'une rencontre du pape Jean-Paul II avec plus de 300.000 Indiens eut lieu à Latacunga. A cette occasion, Mgr Leonidas Proañofut proclamé "l'évêque des Indiens». En 2015, le seul qui ait rendu hommage à sa mémoire a été lePrésident de la République dans son discours de bienvenue au Pape. Pendant le restant de sa visite,le silence a été complet. Manifestement, l'alternative ne consiste pas à créer des "réserves" ou des "parcs zoologiques"comme le vice-président de la Bolivie, Alvaro Garcia Linera les a nommées, mais de reconnaître lesdroits historiques des peuples qui ont été dépossédés de leurs terres et de leurs cultures, d'abord parun capitalisme mercantile et colonial triomphant et ensuite par leur intégration dans un capitalisme

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mondialisé. L'alternative dans ce cas consiste à réparer l'injustice historique, pour permettre auxpeuples indiens de vivre le "Sumak Kawsay" et de maintenir leurs identités avec des basesmatérielles suffisantes. Soutenir l'agriculture indigène, l'éducation bilingue, la justice autochtone,les organisations indiennes en milieu urbain; la définition des territoires ancestraux, sont quelques-unes des mesures qui pourraient contribuer à une transformation tournée vers l'avenir. C'est dans cecontexte que doivent être interprétées les réactions des organisations indiennes historiques, perçuespar de nombreuses personnes de la société équatorienne comme irrationnelles ou exagérées.

D'autres éléments de type politique et social

On devrait également aborder de nombreux autres aspects de la situation en Équateur, commel'utilisation des médias par le pouvoir qui, malgré le fait de ne pas avoir supprimé la liberté de lapresse, comme certains médias de droite l'affirment, se caractérise par une hyper-communication detype vertical mise au service du modèle de modernisation, et dont l'effet est davantage l'ennui que lacapacité à convaincre. On peut aussi remarquer la difficulté du gouvernement à promouvoir laparticipation, soit parce qu'elle est institutionnalisé d'en haut, soit parce que l'organisation politiquea tendance à monopoliser les rôles, les décisions et aussi parce que la décentralisation se veutdavantage comme une sorte de régionalisation du pouvoir central plutôt qu’une vraie autonomielocale.

Comme partout ailleurs dans le monde, les mouvements sociaux équatoriens ont perdu la forcequ'ils avaient dans les années 90. Il y a eu l'effet de la crise économique, des erreurs politiques enraison de préoccupations immédiates, souvent électoralistes, la perte d'objectifs à long terme,l'invasion de la société de consommation, l'absorption du leadership par les nouvelles organisationset partis politiques et leur bureaucratisation, voire également la cooptation individuelle et de groupepar l'appareil d’État. Pour ces raisons, les mouvements sociaux se trouvent dans une relationd'inégalité majeure face à l’État.

A l'échelle internationale

Les facteurs externes, tels la chute des prix des matières premières, jouent un rôle crucial dans lasituation actuelle de l’Équateur et sont essentiellement dus à la crise internationale qui, depuis 2012,a commencé à affecter les pays du Sud et notamment l'Amérique latine. La base matérielle la plusimportante du projet de progrès social, souffre lourdement des conséquences de la crise ducapitalisme mondial. Il s'agit d'un problème autrement plus grave qu'une crise financière etéconomique : c'est en réalité une crise de civilisation et ce n’est pas un phénomène temporaire,comme ne cessent de l'affirmer les dirigeants européens depuis 2008.

La situation internationale s'est dégradée. Non seulement le pétrole a, en quelques mois, passé deprès de 100 $ le baril à 37 $ (pour l’Équateur, en août 2015), mais la crise européenne s'approfonditet la Chine, en observant son économie se rétrécir, dévalue sa monnaie. La dollarisation del'économie équatorienne permet de ralentir l’inflation existante, mais diminue sa compétitivité faceaux économies voisines qui dévaluent leur monnaie (Pérou, Colombie, Venezuela).

Pour l’Équateur, l'effet immédiat est la nécessité de recourir à l'emprunt, qui connaît uneaccélération rapide, même s'il reste, pour l'instant, relativement modeste par rapport aux États-Unis,à la Belgique ou au Japon. Le besoin de trouver des sources de financement exige de nouvellesrelations avec d'anciens ennemis, comme la Banque mondiale, Goldman Sachs ou le FMI, même siles conditions des transactions sont différentes, ou avec de nouveaux créanciers comme la Chine, laThaïlande, le Qatar ou l'Arabie Saoudite. Le gouvernement voit aussi la nécessité de réduire le tauxd'investissements publics et de solliciter la coopération du secteur privé. Des politiques similaires àl' "austérité" de l'Europe sont annoncées, ce qui affectera inévitablement les revenus et l'emploi.

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En se plaçant dans une perspective de modernisation du pays, surtout lorsqu'on pense que la crisesera passagère, il est logique d'envisager la mise en place des mesures estimées raisonnables etayant pour but de sauver l'essentiel. Dès lors, une autre lecture de la réalité est perçue comme unréel danger. La réaction du Gouvernement est d'autant plus forte qu'il a la conviction profonde deposséder la vérité et qu'il peut revendiquer de vraies réussites.

2. Les événements d'août 2015

Les manifestations et les violences qui ont explosé en août 2015 ont été précédées par plusieursévénements qui ont aidé à préparer un terrain favorable à la détérioration de la situation. Nous nepouvons pas être exhaustifs ici, mais nous soulignerons quelques éléments.

La décision d'exploiter le pétrole de Yasuni est l'un d'entre eux. Sans doute, y avait-il plusieursraisons à l’adoption d’une telle mesure. La communauté internationale n'avait pas répondu auxattentes et le président Correa déclara que ce fut la décision la plus difficile de son mandat. Enoutre, il a affirmé que seule une infime partie de ce parc national serait touchée par l'exploitationpétrolière car les nouvelles technologies permettraient de minimiser les impacts environnementauxet que les communautés locales recevraient une part importante des bénéfices. Cependant, lesgroupes économiques nationaux avaient aussi intérêt à passer au plan B.

La résistance des jeunes, notamment ceux issus des zones urbaines, à l'exploitation du Parc Yasuni,fut le résultat d'une prise de conscience généralisée sur l'écologie que nous pouvons retrouver dansde nombreuses régions du monde. En 2014, lorsqu'ils ont organisé une collecte de signatures(pétition) appelant à un référendum, la Commission électorale délégitima le processus et annula descentaines de milliers de signatures avec des arguments juridiques discutables, ayant un caractèreformel (le format des formulaires, etc.) joints à certaines objections justes (répétition de signatures).Quand une délégation de ces jeunes se rendit à Lima pour témoigner devant un tribunalinternational d'opinion, le bus dans lequel ils voyageaient fut arrêté pour des raisons "techniques",entraînant un retard du voyage.

L'exploitation minière dans la vallée d'Intag par l'entreprise d’Etat chilienne CODELCO avecl'entreprise publique équatorienne ENAMI, a connu également une forte opposition dans une partiesignificative de la population locale. Ce ne fut pas la première fois. La lutte avait commencé audébut des années 90, lorsque l'entreprise japonaise Bishimetales avait remporté la concession d'unepartie du territoire de la vallée. La résistance des habitants réussit à expulser la société en 1997. En2004, le gouvernement équatorien avait de nouveau autorisé l'entrée d'une autre multinationale, lacanadienne Ascendant Copper. Les 76 communautés de la vallée finirent par expulser l'entreprise.Mais le gouvernement actuel démarra le projet Llurimagua avec les deux entreprises citées. Le 14Septembre 2014, les habitants de la région d'Intag bloquèrent l'accès à la mine. La réponse desautorités fut l'occupation militaire du site et l'arrestation de ses dirigeants avec l'objectif de gagnerdu temps et d’affaiblir les protestations.

Fin 2014, le siège de la CONAIE, concédé par l’État, fit l'objet d'une décision ministérielle derécupération du local à des fins sociales (des logements pour de jeunes toxicomanes). Cette décisioncompta sur le soutien du Président, qui accusa l'organisation d'avoir mené des activités politiquesincompatibles avec son statut de mouvement social et de négligences adminstratives. La mesureprovoqua de fortes réactions nationales et internationales. Finalement, l'ordre d'expulsion fut retiréquelques jours avant la visite du Pape, en juillet 2015. Mais les sept mois écoulés dans l'incertitudeentraînèrent de nombreuses manifestations et mécontentements.

Le 1er mai 2015, la traditionnelle marche du travail fut divisée en deux. La première fut organisée

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par les mouvements sociaux traditionnels et l'autre par le Gouvernement et les organisationsproches. D'une ampleur similaire, les deux marches étaient toutefois assez différentes par lesconditions matérielles de leur préparation. Les participants des provinces de la marche officiellefurent transportés gratuitement et reçurent de la nourriture distribuée par les autorités. Dans l'autremanifestation, pour la première fois, l'un des slogans principaux était "Correa dehors" et certainsgroupes de droite s'y joignirent aussi. A la fin, des actions de violence eurent lieu, menées par desgroupes de jeunes cagoulés qui ne purent pas être maîtrisés par les organisateurs de la marche.

Un énième cas fut l'annonce des deux projets de loi mentionnés ci-dessus, l'un sur l'héritage etl’autre sur la spéculation. Ils ont enclenché une forte réaction des différents groupes de la droite,traditionnelle et moderne, avec l'argument selon lequel il s'agirait d'une attaque contre la famille.Une partie de la classe moyenne a aussi rejoint le mouvement. Des manifestations quotidiennes ontété organisées dans le nord de la capitale, Quito, et il y eut une tentative, menée par des groupes dedroite, d'occuper la place de l'Indépendance (le siège du Palais Présidentiel). A son retour d'uneréunion à Bruxelles en tant que Président pro tempore de la CELAC (Communauté d'États latino-américains et Caraïbes) Rafael Correa a retiré provisoirement les deux projets de loi, afin d'apaiserles tensions à la veille de la visite du Pape François. Cependant, celle-ci fut seulement uneparenthèse dans la confrontation politique. En effet, bien que les explications et les détails fournissur l'application des lois par le gouvernement aient eu pour effet que l'opposition à celles-ci diminueréellement, elle n'a pas pour autant disparu.

Le premier élément de la contestation fut la décision des dirigeants du FUT (un mouvementsyndical historique) de mener une grève illimitée à partir du 13 août, avec plusieurs exigences sur letravail, mais aussi politiques (le retrait des amendements à la Constitution, y compris celuiconcernant la réélection présidentielle). Pour sa part, la CONAIE a décidé d'appeler à unsoulèvement indien, en commençant par une marche démarrée le 2 août depuis le sud du pays pouratteindre Quito le 12 août. L'organisation indienne posait des conditions claires: l'objectif de lamobilisation n'était pas d'exiger la démission du président (il doit terminer son mandat) ni derenverser le gouvernement. Par ailleurs, toute alliance avec la droite fut rejetée. L'appel lancéconsistait à participer à une marche pacifique.

Préoccupé par la situation qui était restée tendue après la visite du Pape, le Gouvernement appela àun « dialogue avec tous les citoyens « de bonne foi», et commença à organiser des réunions àl'échelle nationale, avec divers secteurs de la population. Dans l'espace d'un mois et demi, descentaines de groupes et d'organisations nationales et locales furent contactées. En fait, lesdiscussions furent menées en grande partie avec des organisations plus ou moins proches dugouvernement. Malgré cela, de nombreuses critiques se firent jour, qui ciblaient de manièregénérale le manque de reconnaissance bases populaires par les organismes et les autorités de l’État.Les organisations indiennes et syndicales traditionnelles ont refusé de participer à ces initiatives, enestimant que les conditions pour le dialogue n'étaient pas réunies, car celui-ci se réduisait souvent àune communication des décisions ou des projets gouvernementaux.

La grève du travail, au départ pour une durée indéfinie, n'a pas connu un énorme succès, même si,dans la capitale, les activités diminuèrent et le centre de Quito fut paralysé. Il convient de rappelerque la grève est illégale dans les services publics, où les syndicats ne sont pas autorisés. Lesoulèvement indien qui avait démarré dans le sud du pays s'est transformé en marche qui futaccueillie sans incidents par des sympathisants et des adversaires rencontrés sur le trajet. Mais sonimpact ne fut pas comparable avec les révoltes du passé. Plusieurs anciens dirigeants de la CONAIEet un certain nombre d'organisations indiennes et syndicats nationaux et locaux se prononcèrentcontre la marche. Ces faits ont permis au gouvernement de parler d'échec.

Pourtant, la marche du 13 août fut impressionnante. Il y avait des dizaines de milliers de personnes.

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Les Indiens étaient en tête. Dans la marche il y avait aussi un certain nombre de drapeaux noirscaractérisant les groupes de droite. Plusieurs de ces derniers montrèrent une certaine agressivitédans leurs échanges verbaux avec la police. Leurs slogans étaient clairement hostiles au présidentCorrea. Des jeunes cagoulés étaient présents dans plusieurs endroits, malgré l'existence d'un servicede sécurité organisé par les mouvements sociaux.

Les partisans du gouvernement et les membres d' « Alianza Pais » étaient sur la Grande Place, enface du palais présidentiel, où une estrade avait été installée pour un ensemble musical. Quelquesdix mille personnes, dont beaucoup issues des couches populaires, étaient présentes sur la place etles rues avoisinantes, protégées par un dispositif policier et militaire impressionnant, qui avait pourmission d'empêcher les affrontements. Sur la place il y avait la garde présidentielle ainsi qu'ungroupe de combattants Shuar vêtus de noir, qui avaient servi dans la dernière guerre contre le Pérou.

A l'arrivée de la marche à proximité de la Place de l'Indépendance, au lieu de suivre l'itinéraireprévu jusqu'à la Place Saint-Dominique, un groupe de jeunes cagoulés de la gauche radicale,d'ailleurs assez discréditée, entre autres, à cause de l'utilisation de la violence, commença à lancerdes pierres et des cocktails Molotov sur la police et l'armée, qui contrôlaient l'accès à la Place del’Indépendance. C'est un fait qu'une partie de la jeunesse de la CONAIE est influencée par eux. Lesmarcheurs tombèrent dans la provocation. Deux dirigeants d'une organisation indienne se joignirentaux jeunes. La police et l'armée ont réagirent durement, en utilisanr des gaz lacrymogènes.

Un autre dirigeant, le Président de l'ECUARUNARI, fut blessé par la police et placé en détentionprovisoire dans un hôpital. Sa compagne, Manuela Picq, journaliste et anthropologue franco-brésilienne, fut également bousculée, placée en détention et transférée dans un autre hôpital d'abord,puis dans un lieu de détention du Ministère de l'Intérieur. Son visa fut annulé. Cela a déclenché unecampagne internationale de protestation. Une juge a statué sa mise en liberté, en considérant que sadétention avait été illégale. Elle fut libérée, mais deux jours après, un juge rejeta la demande desmesures de protection. Comme elle était restée sans possibilité de se défendre, elle dût quitter lepays.

La marche se déroula sans d'autres incidents jusqu'à la Place Saint-Dominique, mais plusieursmanifestants se dirigèrent ensuite vers la place San Francisco, où il y eut de nouveauxaffrontements. La police utilisa des chiens et des cavaliers pour disperser les manifestants, ce quieut pour résultat des blessés des deux côtés.

Le soir, le président Correa se rendit à la Grande Place pour condamner les participants à la marchepar un discours particulièrement dur. Il affirma, dans une déclaration reflétant toute sonexaspération, que la violence faisait partie de la stratégie de l’opposition. Il dénonça l'existenced'une coalition entre les Indiens, les syndicats et la droite. Il donna des détails sur une tentative dedéstabilisation du Gouvernement menée par une minorité et réitéra les propos injurieux contre desdirigeants indiens. Dans une certaine mesure, on peut comprendre son emportement quand onconnait les autres composantes de la situation du pays. Les prix du pétrole poursuivent leur déclin.La Chine et la Russie, mais aussi les pays voisins, continuent à dévaluer leurs monnaies. Le déficitcommercial s'est accentué. Le budget de l’État devrait être sérieusement réduit. A cela se sontajoutées les menaces d'éruption du volcan Cotopaxi, situé à proximité de Quito, et des prévisionspessimistes concernant le phénomène climatique d' « El Niño. »

Dans les provinces, théâtre durant une semaine entière d’actions des militants de base de laCONAIE, des dizaines d'incidents eurent lieu, tels que des marches non autorisées, des blocages deroutes et des occupations de bâtiments publics. Ces actions ont notamment été menées dans larégion comprise entre Loja et Cuenca, où elles furent organisées par le peuple Kichwa Saraguro,

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ainsi que dans l'Est du pays (l'Amazonie). A Macas, par exemple, le gouverneur fut immobilisé dansson siège par des Indiens Shuar et Achuar, armés de lances à la façon traditionnelle. La réaction dela police fut dure, et les Indiens amazoniens décidèrent finalement de quitter les lieux afin d’éviterune montée de la violence. A Quito, les Indiens campèrent dans des tentes dans le parc Arbolitopendant plus d'une semaine et à partir de cet endroit, les marches se poursuivirent tous les deuxjours en direction du centre historique de la ville sans incidents et avec une plus grande maîtrise dela situation de la part des organisations.

Pendant la première semaine de protestations, une centaine de policiers furent blessés. Il y eut aussiune centaine d'arrestations et des dizaines de blessés parmi les Indiens et d'autres manifestants, ainsique des brutalités commises à l'encontre des femmes indiennes.

A plusieurs reprises, des séances d'évaluation furent mises en place par l'organisation indiennes etles syndicats . Il fut reconnu que la déclaration d'un soulèvement indien aurait dû être mieuxpréparée et qu'une grève illimitée n'était pas vraiment envisageable dans les circonstances socio-économiques actuelles du pays. Les dirigeants qui essayèrent de se rendre sur la Place del'Indépendance furent critiqués. Ceux qui prétendaient que le départ de Rafael Correa devait êtrel'objectif principal des protestations furent réprimandés, car cette position était en contradictionavec la position initiale de la CONAIE. Pourtant, après la première semaine de protestations, il futdécidé de poursuivre les actions avec des marches dans la capitale et des actions spécifiques dansd'autres secteurs du pays, tout en essayant d’en préserver le caractère pacifique.

Plusieurs membres du gouvernement, conformément à la position du Président, déclarèrent que ledialogue avec les responsables du désordre et du chaos n'était pas envisageable.

Pour l’avenir, il semble évident que la première étape vers une solution consiste à empêcher denouvelles violences, qui pourraient conduire à la perte de vies humaines et accroître la polarisation.Une telle situation mérite éventuellement une médiation venue de l'extérieur. Une seconde étapeserait la création d'espaces propices au dialogue, basés sur une lecture réaliste de la situation. Poury parvenir, les organisations indiennes et syndicales devraient se démarquer clairement desmanœuvres de la droite et le gouvernement devrait reconnaître la légitimité des protestations.

3. Un processus local intégré dans une logique d'ensemble mondial

Les réflexions de Bolívar Echeverría, l'un des plus grands intellectuels équatoriens d'après-guerre,dont la pensée se situe dans la ligne de l'école de Francfort, nous permettent de comprendre que lasituation décrite n'est pas un phénomène purement équatorien, ni un projet "machiavélique" d'uneorganisation politique particulière, comme Alianza País et encore moins celui d'un seul homme, lePrésident Correa. C'est la conception occidentale de la modernité qui est en question, parce que,selon cet intellectuel, depuis le début du Siècle des Lumières, cette dernière fut absorbée par lalogique du capitalisme. Karl Polanyi, un historien de l’économie, a développé des idées similaires,en affirmant que le capitalisme est parvenu à dissocier l'économie de la société, ce qui lui a permisd'imposer la loi de la valeur à tous les aspects de la vie communautaire.

La chute du socialisme du XXème siècle est due en grande partie au fait que cette conception dudéveloppement humain n'avait pas changé avec le socialisme, puisqu'elle concevait le progrès defaçon linéaire, comme le résultat de la science et des techniques et la planète comme un réservoirinépuisable de ressources naturelles. Pour la même raison, la Chine et le Vietnam ont adopté despolitiques économiques basées sur la loi du marché, en ignorant les externalités, c'est-à-dire lesconséquences écologiques et sociales. En Équateur, le même manque de vision holistiquecaractérise la notion du "nouveau modèle productif": exporter sans tenir suffisamment compte desexternalités, à savoir les dommages environnementaux et sociaux.

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Évidemment, il ne s'agit pas de proposer un retour au passé, mais de redéfinir une nouvellemodernité, impliquant un changement de paradigme, avec des applications concrètes et desprocessus de transitions, pour répondre aux besoins de l'humanité et de la planète. Appliquée à lasituation de l’Équateur, cette nouvelle modernité pourrait être baptisée « Bien Commun del’Humanité, ou encore « Buen vivir».

Comme dans d'autres parties du monde, beaucoup pensent que le seul modèle possible, dans laconjoncture actuelle, est une amélioration du capitalisme (social et vert). D'une part, la force dusystème, malgré la crise, est énorme (on a pu l’expérimenter en Grèce) grâce à la combinaison ducapitalisme des monopoles avec les institutions financières et commerciales internationales. D'autrepart, la pensée économique et sociale des mouvements et des nouveaux dirigeants politiques nes'aventure pas au-delà de la formulation d'une nouvelle forme de « développe-mentalisme » (neo-desarrollismo), tout en évitant de faire la critique de la modernité capitaliste. Les défenseurs de cemodèle ont bénéficié d'un réel soutien populaire, qui a commencé à décliner seulement avecl'évolution des conditions économiques mondiales et, dans certains cas, à cause des erreurscommises. A cela on devrait ajouter l'absence d'une référence crédible après la chute du socialismeen Europe et l'évolution des modèles du socialisme asiatique. Dans une telle perspective, laproposition d'un nouveau paradigme semble illusoire.

Pourtant, une autre pensée est possible et, face à la crise systémique du capitalisme, et notamment de la gravité de la destruction de l'environnement, elle apparaît désormais comme indispensable. Les transitions ne peuvent pas être conçues comme de simples adaptations du système à de nouvelles exigences sociales, culturelles, écologiques. On doit aller résolument de l'avant vers un nouveau paradigme, basé sur les pratiques dans les différentes sphères de la vie économique, socialeet culturelle, avec une vue d'ensemble (holistique) et sur la base de l'exigence éthique de produire, reproduire et améliorer la vie.

Par François Houtart, Quito, 23 août 2015 Traduction : A. Anfruns

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Populisme en Amérique Latine

Depuis que Christophe Colomb a posé le pied sur le Nouveau Continent, lesautochtones n'ont rien fait d'autre que se battre pour récupérer leur indépendanceet ils ont par dessus tout lutté pour retrouver leur dignité.

Par Marcelo Massoni

A l'exception des États-Unis et du Canada, l’Amérique est un ensemble de pays qui ont étévictimes du colonialisme et du néocolonialisme, et qui continuent de l'être. Ce fait, négligé laplupart du temps quand on analyse les structures politiques de la région, s'avère fondamental pourcomprendre pleinement les causes de l'émergence de nouvelles formes de construction populairesancrées dans des concepts aussi élémentaires que l'indépendance, la souveraineté et la justicesociale. Ce dernier point participe à la formation d'une identité nationale, indispensable pour ledéveloppement d'une Nation dans sa plénitude.

L'identité nationale est quelque chose qui s'en est allé au fur et à mesure que la globalisation aavancé impérieusement avec ses consignes aliénantes qui se répètent constamment comme unmantra. Sur base de ces problématiques, émergent des gouvernements caractérisés par des racinespopulaires et qui cherchent à récupérer ce qui les rend différents. Chaque région a ses particularités,ce qui est en même temps le résultat d'une série de processus historiques. C'est pour cela queprétendre adapter les marques conceptuelles de l'Europe ou des États-Unis à celles qui s'observenten Amérique Latine, c'est vouloir forcer la réalité pour la simplifier à un extrême absurde.

Pour comprendre le présent latino-américain et l’ampleur des problèmes structurels qui continuent àle faire souffrir et le différencient des pays développés, il est important de revoir son passé. Enmême temps, si nous voulons approfondir notre regard sur les changements qui sont en train de voirle jour dans ce continent, il est nécessaire que nous nous libérions de nos préjugés vis à vis decertains personnages, certaines époques ou certains événements.

Ces caractéristiques propres à la région impliquent que l'on ne parle pas trop de droite et de gauchecomme cela se fait en Europe, mais que l'on parle plutôt d'indépendance ou de joug colonial. Quandun pays ne réussit toujours pas à fonctionner par ses propres moyens, il y a des questions dontl'analyse s’arrête à la forme, sans envisager le problème en profondeur, et amènent des jugementslapidaires sur des gouvernements baptisés „populistes“ et des leaders „charismatiques“. Pensons àce sujet au type de construction politique où les gouvernements populaires ont souvent cooptél'appareil gouvernemental pour ainsi avoir de meilleurs outils et tenter de mener à bien leurcombat : l'indépendance d'un peuple. Cela n'est sans doute pas bien vu par l’opinion orthodoxepuisque que cela implique un "asservissement" de l'exécutif aux pouvoirs législatifs et judiciaires.Ce n'est donc pas par hasard si, dans la région, les secteurs conservateurs s'immiscent à maintesreprises dans la défense des institutions malgré que cela implique ne pas pouvoir se séparer duréseau qui continue toujours de soumettre ces pays. Cela arrive parce que la logique qui a oeuvré enfaveur de ces pouvoirs a été au service d‘intérêts monopolistes concentrés.

Ces trois concepts mentionnés ci-dessus (l'indépendance économique, la souveraineté politique et lajustice sociale), font partie de la “doctrice péroniste”, laquelle donne lieu et forme au mouvementpopulaire argentin fondé par le Général Juan Domingo Perón. Ce processus comprennait deuxétapes, la première eut lieu entre 1946 et 1955 (elle se termina par un coup d'Etat) alors que ladeuxième, plus courte, commença en Octobre 1973 jusqu'à la mort de Peron, le 1er juillet 1974.

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Si quelque chose devrait caractériser Perón sur le plan économique, ce serait sans doute ledéveloppement industriel, la recherche constante d'un Etat plus participatif qui réglemente lemarché pour ainsi obtenir une meilleure distribution des revenus; dans le domaine politique, il acherché l'intégration régionale et essayé de ne pas dépendre des deux grands pôles idéologiques quiprédominaient durant cette époque. Perón expliquait la troisième position par la phrase restéefameuse: “Ni Yankees ni marxistes, Péronistes!”

Par rapport à la justice sociale, on pourrait dire qu'il a réussi à s'intégrer dans plusieurs secteurs, quihistoriquement avaient été oubliés par la politique. Dans ce domaine, la grande promotrice a été EvaDuarte de Perón, plus connue sous le nom de “Evita”, épouse et compagne du Général, qui aincarné les revendications des plus défavorisés en augmentant leurs droits, en distribuant de l‘aide,en promouvant la construction de nombreuses écoles et d‘hopitaux publics, etc.

Les gouvernements populaires en Amérique Latine, à la différence de ce qu'il s'est passéhistoriquement dans le Nord, ont l'habitude d'être traversés par différents courants idéologiques. Lemeilleur exemple a été le peronisme où se sont ralliés des secteurs de gauche radicaux dirigés parJohn William Cooke et des secteurs réactionnaires menés par López Rega et son groupeparamilitaire, appelé Triple A (Alliance Anti-communiste Argentine). Ces contradictions quiparaissaient être insurmontables selon les normes européennes ne le sont pas pour la région. Siquelque chose devrait caractériser ce type de mouvements populaires, ce serait leur volonté deconcilier les pouvoirs de différents secteurs (pas seulement celui des bases populaires, qui sont lesplus invisibles), pour ainsi avoir un poids spécifique, suffisamment fort pour affronter les réformesstructurelles nécessaires pour atteindre l'indépendance définitive.

L'indépendance comme telle a deux dimensions qui courent sur deux lignes de vies. La première estle formel, lequel se voit reflété dans la déclaration de l'indépendance. Cela suffit à peine pourréussir une „demi“ souveraineté politique, puisqu’il manque les outils économiques qui permettentune libre administration des ressources nationales. C’est seulement un début pour mettre en placeles fondements de ce qui commence à être une Nation. La deuxième dimension, et celle qui terminede donner forme à un pays souverain, c'est l'indépendance économique; celle-ci est la plus difficileà réussir. A peine quelques pays, la plupart du sud-est asiatique, ont réussi à rejoindre les paysdéveloppés dans la deuxième partie du 20ème siècle. Même si certains répètent que ces Etats sontdes éléphants mous et maladroits, et qu’ils doivent rester marginaux, les expériences asiatiques ontdémontré que seul un Etat participatif et maître de ses ressources nationales peut réussir etdévelopper une industrie locale compétitive. Nous savons que les largesses du marché libre (etparticulièrement des marchés spéculatifs) finissent toujours par favoriser les mêmes, lesquelsjustement sont ceux qui promeuvent ces politiques.

Un nouveau modèle latino-américain

Dans cette dernière étape, il s'est produit un changement dans la manière de faire face à cetteproblématique. On a récupéré de vieux drapeaux qui paraissaient enterrés par la longue étapenéolibérale, commencée depuis les années 1970 et menée jusqu'au début des années 2000. On arecommencé à parler de l'indépendance, de la souverainté, de la Grande Patrie... des conceptspolitiques qui avaient été occultés et qui maintenant reviennent dans toute leur splendeur. Lesnouveaux gouvernements ont abordé une nouvelle fois le concept de l'Etat, lequel oubliait ceux quiavaient été les plus abandonnés quand il s’agissait de satisfaire les diktats qui arrivaient del'extérieur (F.M.I et Banque Mondiale principalement); alors qu‘aujourd'hui, on cherche, avec deserreurs et des succès, une meilleure souveraineté tant sur le plan politique qu‘économique. Celan'est sans doute pas bon signe pour le Nord, qui a toujours réussi à piller les ressources. Pour cetteraison, les médias dominants visent à diaboliser les leaders de ces mouvements politiques. Chávez,qui fût traité d'innombrables fois de dictateur, sert d'exemple (il a gagné 14 élections), Cristina

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Fernández de Kirchner en Argentine, le bolivien Evo Morales ou Correa en Equateur, tous qualifiésd‘autoritaires et de peu démocratiques.

Quand on parle de populisme négativement, ce que l’on fait en réalité est de compromettre lesmouvements de libération politique qui tentent d‘ouvrir les menottes fermées par le colonialisme.Cette première étape de colonialisme s'est ensuite transformée en un néocolonialisme, qui n'attaquepas seulement économiquement en amènant les pays vers la faillite, mais qui, par son appareil depropagande, inculque une culture de déracinement en essayant d'imposer des conduites et descoutumes propres à la Métropole. Cet immense appareil veut nous faire croire que récupérer desentreprises nationales, orienter la dépense publique vers les secteurs les plus défavorisés ou cesserde suivre les principes imposés par le F.M.I ou la Banque Mondiale est du populisme, alors qu‘enréalité une logique économique et politique est en train de se gérer, qu’il s’agit d‘un nouveauparadigme, que se crée une nouvelle version des Etats, chacun avec son peuple et tous les peuplesreliés ensemble sans oppression, sur base du respect et de la coopération.

Beaucoup d'analystes situent le point d’inflexion entre le 4 et le 5 novembre 2005, date du IVèSommet des Amériques. A Mar del Plata fut prononcée la célèbre phrase de Hugo Chávez : "ALCA(Área de Libre Comercio de América "Aire deLibre Commerce de l'Amérique" à la merde"). Durant ce sommet, il fut décidé de ne pas accepterl'offre nord-américaine d‘inclure sans barrières tarifaires la région du Sud dans le réseaucommercial du Nord, puisque cela aurait terminé de détruire complètement l'industrie résiduelle quiavait survécu à l'étape néolibérale et dont on commençait à peine à sortir. Cela a sans doute marquéun avant et un après dans les relations diplomatiques et commerciales entre le Sud et le Nord. On acommencé à donner une plus grande importance à l'intégration commerciale régionale et denouveaux horizons ont été ouverts, particulièrement vers la Chine qui cherche constamment denouveaux marchés avec lesquels créer de nouvelles relations tant commerciales que financières.

Après une décennie de gouvernements populaires dans de nombreux pays d'Amérique latine, deschangements importants ont commencé à être observés dans leurs structures socio-économiques. Ala différence de ce qu’il s’est produit à d'autres époques, la croissance augmente maintenant grâce àl’inclusion, par la réduction de l‘écart entre riches et pauvres et le doublement de la classe moyennedans la région.

Cela impactera sûrement les prix des commodities puisqu'on continue de dépendre des mêmes, maisles réponses des États distincts ne seront pas de diminuer la dépense publique en nuisant ainsi auxsecteurs les plus faibles qui participent activement à l'économie pour maintenir forts leurs marchésrespectifs locaux. À cela, il faut ajouter une donnée qui n’est pas des moindres : les pays nedépendent plus autant que dans des décennies passées du secteur financier international. Durant lesdernières années, la dette publique externe de l'Amérique latine et des Caraïbes a connu uneréduction remarquable, puisqu‘au début des années 90 elle représentait un peu plus de 70 % du PIBalors qu'en 2014 elle était de 16 %.

Il importe de prendre des décisions politiques et de les assumer avec constance. La reddition dugouvernement grec de Tsipras aux injonctions de la Troïka, tournant le dos au peuple grec qui avoté pour le changement de ce schéma d'ajustement et d'endettement, il est difficile de ne pas fairela comparaison avec ce qu'il s'est passé en Argentine durant la crise de 2001. Les coïncidences sontnombreuses :

1. L'augmentation de la dette dans les pays s'explique en grande partie par l'étatisation de ladette privée, absorbée par le secteur public pour générer une "plus grande confiance" dansles marchés, alors que le discours dominant indique que l'endettement a été causé par unedépense excessive de l’Etat ;

2. La privatisation des entreprises et des biens appartenant à l'État pour s'acquitter des

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demandes des créanciers (F.M.I. dans un cas et la Troika dans l'autre)1) Une réduction du nombre des fonctionnaires et une réduction de leur pouvoir d’achat ainsi

que de celui des retraités. Naturellement, ces mesures ont été consenties par les dirigeantspolitiques qui savaient à qui ces mesures bénéficiaient et à qui elles nuisaient, ne soyons pasnaïfs.

En Argentine, deux ans après l'explosion sociale de 2001, le gouvernement de Nestor Kirchnerdécide non seulement de dire « non » à l'Alca, mais aussi de clôturer la dette avec le F.M.I. pour quecelui-ci ne puisse plus s’immiscer dans les politiques nationales. Dernier point qui a changé leschéma macro-économique du pays : il a réussi une restructuration de pair avec la plus grandesuppression de dette de l'histoire, permettant ainsi à la Chine de croître pendant des années etd’améliorer la qualité de vie de plusieurs secteurs d'une population qui vivait dans des conditionspitoyables.

Peut-être qu'il est l'heure pour une indépendance latino-américaine définitive, les conditionssemblent en tout cas confluer vers cet objectif historique. Les mouvements populaires seront-ilscapables de forcer les gouvernements à ne pas faire marche arrière et à poursuivre la conquête denouveaux droits et de nouvelles libertés ?

Le peuple est souverain et, comme tel, il doit se faire écouter. Comme a dit Cristina Kirchner :“N'ayez pas peur de ce qu'il va se passer. Parce que vous êtes ceux qui ont gagné le pouvoir, vousêtes les titulaires des droits, les vrais maîtres de votre destin”.

Par Marcelo Massoni,

Rosario (Argentina), Août 2015

pour le Journal de Notre Amérique

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Au Salvador, les Etats-Unis exportent des criminels

La décision du gouvernement des Etats-Unis de libérer des centaines, probablement desmilliers de "mareros" qui étaient détenus dans diverses prisons de ce pays et de les envoyerdirectement au Salvador. Ce n'est pas précisément un geste amical envers le pays dans lequelon remet un si néfaste contingent mais c'est beaucoup plus grave si auparavant on "nettoie" lecasier judiciaire de ces délinquants de telle façon qu'il est impossible d'empêcher légalementleur entrée au Salvador. Par Atilio Boron

Dans El Clarin de ce dimanche, il y a une petite note de Gustavo Sierra intitulée "Les "lièvres"ensanglantent le Salvador" (23 Agosto 2015, p. 32). On y parle de la vague de violence qui secouece pays d'Amérique Centrale: selon l'auteur, en 3 jours, "125 personnes sont mortes dans lesaffrontements entre les bandes et la police ou l'armée." La note abonde en détails: le tauxphénoménal d'homicides dans le Salvador actuel: 90 pour 100 000 habitants. En comparaison,disons que selon les chiffres produits par le Bureau des Nations Unies contre la Drogue et le Délit,pour l'année 2012, le taux pour les Etats-Unis était de 4,8, pour l'Argentine de 5,4, pour le Brésil de21,8 et pour le Honduras de 66,5. Cette même année, le taux pour le Salvador était de 41,2, toujourspour 100 000 habitants. C'est à dire qu'un taux déjà très élevé a doublé en moins de 3 ans et enparticulier, ces derniers mois.

Evidemment, de nombreux facteurs expliquent ce malheureux résultat et ce n'est pas le moment deles examiner ici. En fait, dans la note de Sierra, certains de ceux-ci sont mentionnés mais celui qui,dans la violente irruption de ces jours-ci est sans doute le plus important, est omis: la décision dugouvernement des Etats-Unis de libérer des centaines, probablement des milliers de "mareros" quiétaient détenus dans diverses prisons de ce pays et de les envoyer directement au Salvador. Ce n'estpas précisément un geste amical envers le pays dans lequel on remet un si néfaste contingent maisc'est beaucoup plus grave si auparavant on "nettoie" le casier judiciaire de ces délinquants de tellefaçon qu'il est impossible d'empêcher légalement leur entrée au Salvador. Avec leurs antécédentsdélictueux convenablement purgés, rien ne peut les arrêter et les malfaiteurs deviennent des gensqui rentrent dans leur pays d'origine sans avoir aucun compte en suspens avec la justice. Unecanaillerie, ni plus, ni moins.Comment interpréter cette décision criminelle? Il va de soi que cela n'a pas pu être une idée subitedes autorités carcérales nord-américaines qui un jour ont décidé de relâcher tous les "mareros". Unepolitique de grande importance est adoptée à un autre niveau: au Département d'Etat, au ConseilNational de Sécurité ou à la Maison Blanche elle-même. Le but: provoquer une vague de violencespour semer le chaos et provoquer le mal-être social qui déstabilise le gouvernement du présidentSalvador Sanchez Ceren, du Front Farabundo Marti de Libération Nationale, conformément à lapriorité états-unienne de"mettre de l'ordre" le plus rapidement possible dans l'arrière-cour latino-américaine récalcitrante en en faisant partir les gouvernements indésirables. A cause de cela, ungeste immoral et délictueux comme celui-ci qui a couté tant de vies au Salvador et qui certainementen coûtera beaucoup plus dans les jours qui viennent. Indifférent aux conséquences de ses actes,Washington continue imperturbablement à donner des leçons de droits de l'homme et de démocratieau reste du monde alors qu'il applique, sans arrêt, les tactiques du "coup d'Etat doux" contre ceuxqui ont l'audace de prétendre gouverner avec patriotisme et au bénéfice de la grande majorité dupeuple. L'auto-proclamée "destinée manifeste" des Etats-Unis est d'exporter la démocratie et lesdroits de l'homme aux quatre coins de la planète. Ce qu'ils font, en réalité, c'est d'exporter descriminels.

Traduction Françoise Lopez de Cuba Si Provence

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TRADUCTION :

« Chaos et pillages après le passage « Terribles images du pillage d´un Pdval * du Tiphon Haiyan aux Philippines » à Barrancas sur l´Orénoque »

(Diffusé para Univision) (Diffusé par Monde24 )

*NdlR: PDVAL signifie :« Pétrole du Venezuela Alimentaire », une chaîne de distribution des denrées alimentaires de base

du gouvernement vénézuélien.

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LE JOURNAL DE NOTRE AMERIQUE n° 6 , septembre 2015

Directeur de publication : Michel Collon

Rédacteur en chef : Alex Anfruns

Rédacteur en chef adjoint : Tarik Bouafia

Traducteurs: A. Anfruns, M. Colinas, T. Bouafia, Rémi Gromelle, Françoise Lopez

Correcteurs/trices: Elisabeth Beague, Sarah Brasseur, Sarah Vergote, Pedro Yaya

Photomontage et graphisme : Baf.f. !, Jean Araud

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