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Le Journal de Notre Amérique n°7

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Octobre 2015

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SOMMAIRE :L'Édito du JNA

Par Tarik Bouafia & Michel Collon

Cuba: pourquoi trois papes en vingt ans? par Manuel Yepe

Au Guatemala, victoire démocratique contre la corruption, par Olmedo Beluche

Retour de Caracas, par Hacen Mohammedi

Brèves: Fonds vautours Argentine, Salvador, Bolivie Paraguay

Dossier élections Argentine:

Après les élections, quelle avenir pour l'Argentine? Par Pablo Gandolfo

Daniel Scioli, continuité ou changement?Par Marcelo Massoni

La tentation néolibérale de la droite argentine par Tarik Bouafia

« Le Monde » parisien se paye la tête du mondepar Jean Araud

¿Allo AgoraVox? Ici Caracas. Il y a-t-il quelqu´un? Par Jean Araud

Venezuela: Mediamensonges et pertes de caps

Par Richard Moya

"L’accord de paix doit entraîner la disparition du para-militarisme en Colombie",

Interview de Victoria Sandino, membre des FARCpar Julian Cortes

Oscar Lopez, le Mandela de Notre Amériquepar Alex Anfruns

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L’ Edito

En cette fin d'année 2015, deux élections capitales. La présidentielle en Argentine et les législatives au Venezuela. Deux pays stratégiques sur l'échiquier du continent.

En Argentine, le 25 octobre, la bataille opposera Daniel Scioli, candidat du Front Pour la Victoire, qui s'engage à poursuivre la politique des époux Kirchner depuis 12 ans, et Mauricio Macri, représentant la haute bourgeoisie, partisan des recettes néolibérales qui ont pourtant causé un désastre économique et social sans précédent entre 1990 et 2001.Dans ce nouveau numéro du Journal de Notre Amérique, nous vous proposons un dossier spécial : ces élections pourraient changer la face du pays.

Elections capitales aussi au Venezuela en décembre. Un test pour le président Nicolas Maduro et pour la révolution bolivarienne. Ces derniers mois, la baisse spectaculaire des prix du pétrole a durement frappé le pays, affectant gravement son économie. S'ajoutent des déstabilisations massives tant à l'intérieur qu'à l'extérieur. Une victoire du parti au pouvoir permettrait à Maduro de mettre en place les mesures profondes et structurelles dont le pays a besoin pour parer à ces problèmes quotidiens. Une défaite permettrait à l'opposition d'attaquer tous les acquis sociaux de la révolution.Enfin, dans la Colombie voisine, la sanglante guerre civile qui a opposé pendant près de cinquante ans la guérilla des FARC à l'armée et aux paramilitaires est en passe de prendre fin. Début octobre, les représentants des FARC et le gouvernement colombien ont signé à la Havane un accord de paix que beaucoup ne croyaient plus possibles. Néanmoins, il ne pourra y avoir de paix durable sans une refonte totale des institutions, la fin du modèle néolibéral et la mise en place de politiques économiques favorables aux classes populaires. Notamment les paysans, premières victimes du pillage des ressources naturelles, du vol des terres et du terrorisme d’État.Pour évoquer ce sujet, nous avons réalisé un entretien exclusif à la Havane. Victoria Sandino, une des représentantes de la délégation des FARC, révèle l'immense travail qui reste à accomplir en Amérique Latine pour qu'enfin le continent puisse prendre le chemin de la «seconde et définitive indépendance».

Par Tarik Bouafia & Michel Collon

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En moins de vingt ans, trois papes se sont rendus en visite à Cuba. Un fait réellement surprenant, compte tenu de la taille et de la démographie de ce pays, ainsi que du nombre limité de catholiques, comparé à d’autres pays d’Amérique latine.

Par Manuel E. Yepe Après quatre siècles de colonialisme, durant lesquels le catholicisme fut la religion officielle et exclusive, Cuba est devenue une république « indépendante » sous contrôle et protection des Etats-Unis, au sein de laquelle la société cubaine a de fait conservé ce signe confessionnel durant la première moitié du 20ème siècle.Bien que les Constitutions de 1902 et 1940 stipulaient déjà la séparation entre l’Etat et l’Eglise, la moralité chrétienne était clairement identifiable dans ses textes comme étant l’éthique normative sociale, au détriment de toute autre moralité non chrétienne, niant de ce fait la diversité culturelle, morale et religieuse qu’aurait exigé la pluralité de la communauté cubaine, tant en terme d’ethnies que de cultes et de traditions.La séparation entre l’Etat et l’Eglise fut déclarée principe constitutionnel pour la première fois durant la République en armes, lors de la lutte contre le régime colonial, espagnol et… catholique. Les relations entre l’église catholique et le gouvernement de la révolution qui, après une lutte sanglante contre la dictature de Fulgencio Batista, a pris le pouvoir en 1959, ont connu des épreuves et des moments de tension.Les transformations sociales générées par la révolution et le développement du projet indépendantiste et socialiste ont eu un impact important sur le processus de désacralisation de la nature. De par son caractère novateur sur les traditions, les costumes et la culture en général, la révolution a eu un effet de sécularisation sur la société. Les actes législatifs et les pratiques de la révolution, comme la loi de naturalisation de l’enseignement, ont limité l’espace social de la religion catholique et l’ont élargi pour d’autres, comme les spiritistes, les courants religieux de type africain et les pentecôtistes qui ont eu accès à l’espace public, ce qui n’était pas le cas jusque-là en raison du monopole chrétien et catholique.Il suffit de rappeler que, avant 1959, le code pénal cubain considérait comme délit aggravé le fait de pratiquer la « sorcellerie », terme par lequel la culture

chrétienne prédominante désignait les religions originaires d’Afrique, très présentes à Cuba, surtout dans les régions les plus pauvres.En 1991, le Congrès du parti communiste de Cuba a corrigé certaines erreurs sectaires commises dans le feu de l’action des premiers affrontements et a modifié ses statuts en se déclarant organisation laïque et non athée, tout en supprimant les restrictions pour les personnes ayant des croyances religieuses d’intégrer sa formation politique.Au final, au milieu d’une situation d’apparente restriction de la place de la religion dans la société, la révolution cubaine a créé les conditions légales et sociales de base pour un véritable pluralisme religieux, sans distinction confessionnelle ni institutionnelle, et pour que puisse s’établir dans le pays un phénomène nouveau, et dont peuvent s’enorgueillir peu d’Etats : une réelle liberté de culte. Il faut reconnaître que le Vatican a mené une politique très constructive dans ses relations avec Cuba, après quelques premiers épisodes initiés par la forte influence de Pie XII et les idées fascistes de responsables cléricaux espagnols présents dans la hiérarchie catholique cubaine.Mais la pratique positive actuelle n’a pas commencé après la visite de Jean-Paul II en1998, contrairement à ce qui a été parfois écrit, mais bien après le second concile du Vatican (1962-1965), et il faut souligner que le rôle de Monseigneur Cesara Zacchi, récemment désigné Nonce apostolique à la Havane, et aujourd’hui considéré comme « l’architecte de la pacification des relations entre l’Eglise et l’Etat cubain », fut essentiel.L’accueil officiel et populaire réservé au pape François à la Havane semble confirmer les pronostics selon lesquels l’Amérique latine et les plus humbles parmi les peuples du monde entier pourront compter sur le soutien moral et éthique de ce guide charismatique du catholicisme, disposé à dépoussiérer et à rénover de fond en comble l’image de son Eglise en la rapprochant des peuples.Maintenant que les élites états-uniennes veulent faire reculer l’histoire dans les pays latino-américains qui tentent de se libérer de la tutelle du nord, ce soutien pourrait être considérable.19 septembre 2015

Pourquoi trois Papes en 20 ans ?… Le

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Guatemala : une victoire démocratique contre la corruption

Des mois de crise politique croissante et de mobilisation populaire ont abouti, le 2 septembre dernier au matin, à la démission d’Otto Perez Molina, Président du Guatemala, accusé de corruption en tant que chef d’ un groupe délictueux appelé « La Ligne », spécialisé dans le détournement d’impôts chiffrés à plusieurs millions de dollars. Perez Molina s’est rendu à la Présidence de la République afin d’être entendu par un juge et fut directement incarcéré. En avril, sa vice-présidente, Roxana Baldetti, avait suivi le même chemin. par Olmedo Beluche

La vague d’indignation populaire déclenchée par la découverte de ce scandale de corruption de la part des hautes autorités politiques n’est pas une première au Guatemala. Comme au Guatemala, au Honduras ont eu lieu cette année des mobilisations massives principalement appelées par de jeunes via les réseaux sociaux, suite à la découverte d’un vol de centaines de millions de dollars des fonds de la sécurité social, pour exiger la démission du président Juan Orlando Hernández qui avait admis que sa campagne électorale a été financée en partie par cet argent volé.

Au Panama, peu de mobilisation mais une prise de conscience citoyenne a eu lieu, qui ne fut pas sans influence sur la défaite électorale de 2014 du gouvernement de Ricardo Martinelli et sur la multitude d’enquêtes pour détournements de fonds dont ont fait l’objet plusieurs ministres. Partout, la crise de crédibilité de la politique et de ses responsables traditionnels accompagne la prise de conscience générale que, pendant que les classes populaires voient leur revenus diminuer à cause des politiques économiques néolibérales, tandis que les services sociaux sont démantelés par manque d’investissements publics, les gouvernements et leurs partenaires privés s’enrichissent outrageusement grâce au trésor public. Guatémala: un régime antidémocratique et corrompu jusqu’à la moëlle Depuis qu’au milieu des années 50, les Etats-Unis ont soutenu un coup d’état sanglant contre le président nationaliste Jacobo Arbenz pour avoir osé nationaliser une partie des terres de la transnationale bananière United

Brands, le Guatemala a enduré un des régimes les plus répressifs du continent américain.

Ce n’est pas un hasard si, concomitamment au scandale de la « Ligne », nous avons assisté dans les actualités au procès du général Efrain Rios Montt, accusé du génocide systématique d’une des ethnies du peuple maya durant sa dictature féroce dans les années 80 et dont la condamnation fut évitée grâce à des subterfuges légaux, en invoquant notamment la “démence sénile”. Bien que les médias dépeignent le Guatemala depuis les accords de la Paz avec la guérilla (en 1996), comme une société « démocratique », la réalité est autre et le pays est toujours manipulé par une oligarchie financière et une élite militaire corrompue. Otto Perez Molina lui-même était un des officiers responsable de violations des droits de l’homme au service de Rios Montt et pire encore, son gouvernement approuvait l’accord existant entre deux factions militaires corrompues, l’une connue comme « Le Syndicat » (représentée par lui-même) et l’autre dénommée la « Confrérie » (par son ex vice-président Baldetti), toutes deux spécialisées dans tout type de crimes, notamment l’évasion fiscale.

La fraude fiscale est d’une telle ampleur que, depuis 2012, les revenus de l’état provenant du prélèvement d’impôt ont commencé à chuter, jusqu’à mener à un déficit d’environ 7 milliards de quetzals, déficit ayant entraîné un accroissement de la dette. Le système politique guatémaltèque est hautement corrompu et dépourvu de crédibilité, au point que la bourgeoisie se voit obligée de créer constamment de nouveaux partis puisque ceux qui gouvernent se corrompent et ne parviennent pas à survivre jusqu’aux élections suivantes. Le manque de crédibilité affecte aussi les partis de gauche, qui ont vu chuter leurs résultats de vote pour les autorités élues, plus particulièrement lors des récentes élections. Le parti principal, URNG-Mais, a vu son candidat présidentiel démissionner en plein milieu de la champagne électorale, l’écologiste Yuri Gionvanni Melini. Une séance de l’assemblée nationale traumatisante a eu lieu le 3 mai dernier, lors de laquelle eurent lieu de lourds conflits internes et des accusations de corruption à l’encontre de deux députés, accusés de se compromettre en votant des lois anti-populaires (notamment celle de la protection et de l’obtention de végétaux- c’est à dire les OGM).

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La CICIG et son rôle dans le conflit interne

La Commission International contre l'impunité au Guatemala (CICIG) a été créée en 2006 grâce à un accord entre l’état guatémaltèque et l’Organisation des Nations Unies, en tant qu’organisme indépendant avec pour objectif de mandater et d’appuyer les autorités judiciaires dans le démantèlement de corps de sécurité illégaux (paramilitaires).

C’est avec le conseil de la CICIG qu’a eu lieu le procès de Rios Montt, et qu’ont éclaté d’autres scandales, notamment celui du capitaine Bryon Lima Oliva, accusé de l’assassinat de l’évêque Jaun José Girardi, qui dirigeait depuis le réseau tout le système pénitentiaire du pays. C’est la CICIG qui a permis les écoutes téléphoniques mettant en lumière la fraude de « la Ligne », en avril 2015, en faisant le lien avec un conseiller de la vice-présidente, Juan C. Monzon.

Le 20 mai une autre scandale a éclaté, dont les conséquences sont proches de l’affaire des douanes, affaire qui avait révélé le paiement de pots-de-vin à des fonctionnaires de l’Institut guatémaltèque de sécurité sociale (IGSS) par l’entreprise mexicaine PISA en vue d’obtenir la privatisation du service de dialyse péritonéale, service dont la gestion déplorable a conduit à la mort de près de 10 personnes et a fait des dizaines de victimes. Puis, le cas « réseaux », qui implique le secrétaire de la Présidence et le gendre de Perez Molina.

Les Etats-Unis et la/le CACIF ont soutenu Perez Molina jusqu’au bout

Un débat larvé a traversé les gauches d’Amérique centrale quant au rôle joué par l’impérialisme américain dans la chute de Otto Perez M., plus spécialement par le biais de cet organisme supranational qu’est la CICIG, et grâce aux moyens de communication, particulièrement ceux reliés à « El Periodico », journal propriété du candidat présidentiel opposant, l’homme d’affaires Manuel Baldizon.

Mais une analyse détaillée de la chronologie des faits montre clairement que, s’il existe certainement de fortes contradictions au sein de la bourgeoisie au Guatemala, et que l’impérialisme yankee continue effectivement d’intervenir et cherche la conjoncture la plus favorable à ses intérêts, c’est la participation des masses populaires, ayant pris conscience de l’envergure de la corruption, qui a décidé du cours des choses.

En mars 2015, avant que n’éclate le scandale, le vice-président nord-américain Joseph Biden est venu en visite au Guatemala, affichant clairement son soutien au président Otto Perez M., avec qui ils sont parvenus à

plusieurs accords, parmi lesquels la rénovation du mandat de la CICG pour deux années de plus.

En juin, après la démission de la vice-présidence et alors que le scandale et les mobilisations étaient à leur apogée, l’ambassadeur nord-américain, Todd Robinson, s’est présenté avec Perez Molina lors d’une conférence de presse pour dire que son pays soutenait les changements et l’assainissement de la Super-intendance de l’Administration tributaire menés par le gouvernement guatémaltèque, et qu’ils comptaient sur le soutien du Département du trésor et de la Banque mondiale.

D’un autre côté, la puissante Chambre de Commerce et de Services (CACIF) qui regroupe l’élite entrepreneuriale du pays soutenait toujours Otto Perez M., comme en atteste un communiqué lui demandant un combat immédiat et effectif contre la corruption et suggérait de revoir les juteux contrats de plusieurs ministres.

C’est la mobilisation populaire qui a délogé Otto Perez Molina

Le début de la mobilisation populaire a été lent, dans un pays accablé depuis des décennies par une dure répression et dans lequel 53% de la population vit dans une pauvreté absolue. Par ailleurs les mobilisations n’ont pas été convoquées par les organismes de masse traditionnels (syndicats ou partis de la gauche électorale), mais furent spontanées et convoquées par de jeunes étudiants des classes moyennes (en réalité de familles de salariés moyens), au moyen de slogans tels que « Renuncia ya » (Démissionne maintenant), ou les hashtags #Revolucion et #planB.

A partir du 25 avril environ 20000 manifestants affluèrent sur la place de la Constitution pour exiger la démission de Beldetti et Perez Molina, parmi lesquels les étudiants de l’Université de San Marcos (au moins 3000). Le 27 avril, l’appel à la grève général était lancé et c’est ainsi que Perez Molina a ordonné l’arrestation de M. Monzon, signalé comme le meneur du réseau de corruption. Le 29 avril, des représentants de 72 communautés indigènes ont fait une déclaration de répudiation de la corruption et l’impunité et signalé que le président, devenu illégitime, devait démissionner. Le 1er mai, en pleine commémoration du jour du Travail, les syndicats et organisations populaires ont afflué vers la Place de la constitution, dénonçant notamment la corruption et l’impunité. Le 2 mai, de grandes mobilisations eurent lieu, exigeant la démission du Président et de son vice-Président.

Le 8 mai, après la démission de Baldetti, les indignés guatémaltèques gagnèrent de nouveau la rue pour crier « sigue Tito! » (reste Tito!), faisant allusion au Président.

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Le 16 mai, une nouvelle mobilisation importante a eu lieu, réunissant plus de cinquante mille personnes.

Le 20 du même mois, les organisations paysannes occupèrent la place avec mille personnes venues des provinces, sous les slogans: “Dehors les politiques, les entreprises et les militaires corrompus! En route pour une assemblé constituante populaire et plurinationale!”. C’est sous cette pression que le 19 mai, le discours du CACIF auquel nous avons précédemment fait référence, demandait à Otto Perez Molina d’intervenir sérieusement pour endiguer contre la corruption.

Le 3 juin dernier, l’archevêque de l’Eglise catholique a exprimé sa préoccupation quant à l’élargissement de “la brèche entre les citoyens et les partis qui ne sont pas les interlocuteurs valides de la population”, et a proposé que le processus électoral soit revalorisé au travers de plusieurs réformes (afin de leur rendre leur crédibilité) face au danger de “divers groupes” qui profitent des circonstances “pour arriver à leurs fins”. C’est à ce moment précis qu’avait lieu la conférence de presse de l’ambassadeur nord-américain que nous avons citée plus haut.

Le 5 juin, une organisation peu connue, l’Alliance ouvrière paysanne, a bloqué l’accès à la ville de Guatemala pour manifester, bien que d’autres secteurs l’aient accusé d’être un instrument politique du parti LIDER.Finalement, le 27 août, une grève nationale a eu lieu, la première depuis des dizaines d’années, ainsi qu’une énorme mobilisation de 10 000 personnes dans la ville de Guatemala ; les routes furent bloquées dans le reste du pays. C’est ce point culminant dans la mobilisation populaire qui, quelques jours plus tard, obligea Otto Perez Molina à démissionner de la présidence et à se livrer à la justice, le 2 septembre.

Les élections et la tentative de la bourgoisie de mettre un terme à la crise

Pour avoir conduit le pays vers les élections et la transition qui a suivi, le président Alejandro Maldonado Aguirre, qui venait d’arriver à la tête de la Cour constitutionnelle, a été maintenu à son poste.Les résultats électoraux reflétèrent la crise: aucun candidat n’a atteint la majorité pour gagner au premier tour. Le comédien télévisé, Jimmy Morales, a obtenu 24,5%; Sandra Torres, ex-première dame du président Alvaro Colom a obtenu une égalité de 19,6% avec l’homme d’affaires des médias Maunel Baldizon.

Quel que soit le résultat final des élections, il ne sera pas facile de mettre un terme à la crise politique, et la « boîte de Pandore » de la mobilisation populaire ne se laissera pas refermer aisément. Tant la crise objective du système

capitaliste dont la corruption généralisée est une des caractéristiques, que l’entrée en scène de milliers d’activistes politiques, particulièrement des jeunes, donnent l’occasion à la gauche guatémaltèque de surpasser la débâcle de ses propositions traditionnelles en créant de nouvelles alternatives politiques.

Crise capitaliste, accumulation par la dépossession et la corruption

Comme l’a dit le penseur anglais David Harvey, une des caractéristiques centrales du système capitaliste impérial dans sa crise sénile du 21ème siècle est l’accumulation par la dépossession, c’est à dire le processus par lequel une grande partie du fonctionnement économique « normal » du système (exploitation du travail au moyen de l’extraction de la plus-value) est remplacé par l’appropriation par le privé de biens qui appartenaient avant à la collectivité ou à la nature, en utilisant toutes sortes de mécanismes coercitifs.

La corruption sous la forme de vol ou détournement d’état et de bien public fait partie de cette « accumulation par dépossession » qu’évoque Harvey. Ce concept a été d’abord développé par Karl Marx, dans le Capital, tome 1, « l’accumulation primitive », où il expliquait que pour que le système puisse fonctionner sous une apparente « normalité » et pour que soient acceptées comme « naturelles » les conditions d’exploitation du travail, il a fallu une période entre le 16ème et le 18ème siècle durant laquelle les moyens de subsistance furent violemment enlevés à la majeure partie de l’humanité, l’obligeant à vendre sa force de travail.

La logique suggérée par Harvey est que, dans la phase actuelle de décadence du système capitaliste, on assiste à un retour des mécanismes de pillage et de vol de biens qui jusqu’il y a peu échappaient à l’accumulation privée. De là à ce que la lutte contre la corruption soit un aspect fondamental d’un quelconque programme de lutte alternative, c’est une demande de poids transitionnel, comme dirait Léon Trotsky, parce qu’il synthétise la lutte contre le capitalisme qui, au moyen de mécanismes s’approprie la richesse sociale.

Comme dans le cas de toute demande démocratique, il ne suffit pas aux socialistes révolutionnaires de se limiter à l’exigence de sanctions envers les corrompus, mais il est du devoir de la classe travailleuse de comprendre que, tant qu’elle ne prend pas le pouvoir en délogeant tous les capitalistes du gouvernement, il ne sera pas possible de mettre un terme ni la corruption, ni à l’impunité.

Panama, 13 septembre 2015, pour le Journal de Notre Amérique.

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De retour de Caracas

Un séjour à Caracas en septembre me conforte dans l’idée de la bonne marche du processus révolutionnaire bolivarien vénézuélien. Les problèmes existent, comme dans tous les pays, surtout ceux en développement, mais sont de bien moindre importance qu’on ne nous les présente dans les médias occidentaux.

Par Hacen Mohammedi

La population croit aux bonnes intentions et aux efforts déployés par le gouvernement du Président Maduro, et n’est pas dupe des actions de déstabilisation lancées par les secteurs de l’opposition qui cherchent à tout prix à discréditer les dirigeants du processus bolivarien en les accusant d’incompétence et d’inefficacité.

Une lutte acharnée est engagée entre l’oligarchie, strictement blanche, riche et puissante, et le peuple vénézuélien, dans toute sa diversité, qui a pris les rênes du pouvoir politique grâce à Chavez en janvier 1999. L’élite dirigeait le pays depuis des décennies selon la maxime très peu connue de Voltaire, dans son Essai sur les mœurs et l’esprit des nations : « Un pays bien organisé est celui où le petit nombre fait travailler le grand nombre, est nourri par lui, et le gouverne. ».

Le grand nombre, les masses populaires vénézuéliennes, ont chassé du pouvoir, grâce aux élections, cette petite élite corrompue, mue seulement par ses intérêts personnels et qui laissait la grande majorité de la population vivre dans une extrême pauvreté. Un vote a tout changé : l’élection de Chavez à la présidence de la République.

Pour tous ceux qui ne croient plus en la capacité du pouvoir politique d’agir concrètement sur la vie des gens, je vous invite à aller faire un petit tour au Venezuela. Ce que vous allez y voir est tout simplement incroyable. Petite précaution tout de même dans votre découverte de la nation de Bolivar et dans les futures tentatives de comparaison que

vous ferez sûrement avec votre pays, qu’il se trouve en Europe ou ailleurs :

Il faut comparer la situation actuelle du Venezuela avec celle qui prévalait avant l’arrivée de Chavez au pouvoir, et avec d’autres pays du Sud ayant à peu près les mêmes caractéristiques en termes de niveau de développement, de démographie et de ressources naturelles.

Ayant travaillé pour le Groupe des 77 et la Chine de l’ONU, qui regroupe 132 pays en développement sur des projets de coopération Sud-Sud, j’ai eu la chance de visiter plusieurs pays du Sud en Afrique, en Asie et dans le monde arabe, et de côtoyer leurs dirigeants.

La comparaison tourne nettement en faveur du Venezuela, pour qui j’ai décidé de travailler après cette expérience onusienne sur l’accès aux droits économiques, sociaux et culturels tels que définis par l’ONU.

Il s’agit des « droits fondamentaux qui concernent le lieu de travail, la sécurité sociale, la vie familiale, la participation à la vie culturelle et l’accès au logement, à l’alimentation, à l’eau, aux soins de santé et à l’éducation. »1. Les nombreux accomplissements de la révolution démocratique bolivarienne, dans ces domaines, sont tout simplement stupéfiants. Les rapports des différentes agences de l’ONU sont là pour l’attester2.

Un exemple de projet emblématique de Chavez qui a changé la vie des gens : la « Misión Barrio Adentro », qui signifie en français « Mission au cœur du quartier ». Il s’agit d’un programme d’accès aux soins de santé dans tous les quartiers populaires du pays, jusqu’aux régions les plus reculées du Venezuela. Des hôpitaux et dispensaires équipés de tout le matériel, coûtant des millions de dollars, nécessaire à des soins allant de la simple consultation médicale à des thérapies et opérations lourdes, ont été construits par milliers.

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Avec l’aide de Cuba et de ses 30 000 médecins et personnels de santé, répartis sur tout le territoire, l’accès au soin gratuit a été généralisé pour tous. Les personnes issues des classes populaires, qui savent combien le manque de moyens empêche de se faire soigner correctement et comment cela nuit au bien-être des familles, comprendront à quel point cet accès à la santé gratuite pour tous est formidable. Une avancée considérable par rapport à l’époque antérieure à Chavez où ces soins étaient réservés à une élite fortunée.

Les autres n’avaient qu’à mourir. Ne croyez pas que j’exagère. C’est encore le cas dans beaucoup de pays. En effet, selon l’Organisation Mondiale de la Santé, faute de soins de santé « près de 7 millions d’enfants de moins de cinq ans sont morts en 2011 »3 et « en 2013, 289 000 femmes sont décédées pendant ou après la grossesse ou l’accouchement. La majeure partie de ces décès se sont produits dans des pays à revenu faible et la plupart auraient pu être évités »4.

Autre problème rencontré dans les pays du Sud, le prix exorbitant de la santé qui « chaque année dans le monde, met 150 millions de personnes environ dans une situation financière catastrophique et en fait passer 100 millions au-dessous du seuil de pauvreté. »5. Le Venezuela est épargné par ces drames, tout à fait évitables, grâce à la révolution bolivarienne de Chavez.

Drames également évités en ce qui concerne le logement avec l’accès à des appartements tout équipés pour les habitants des « barrios », l’éducation avec l’éradication de l’illettrisme, la construction d’écoles dans tous les quartiers populaires et la facilitation d’accès à l’enseignement supérieur pour tous, et enfin l’alimentation avec la création de supermarchés vendant les produits de base à des prix accessibles. Voilà pourquoi la révolution bolivarienne, malgré tous les problèmes qui existent et les erreurs commises, a encore de beaux jours devant elle.

La vie du peuple vénézuélien a changé du tout au tout avec Chavez. Un peuple dorénavant éduqué et conscient, qui se battra pour préserver son accès gratuit à ces droits humains fondamentaux. Gratuité qui fait perdre des milliards chaque année aux multinationales et aux oligarques. Ces derniers aussi sont prêts à se battre jusqu’au bout pour récupérer ces bénéfices qui leur échappent depuis maintenant 15 ans. Le peuple a également conscience de cela.

Jean Jaurès a dit : « Sous le régime capitaliste, l'individu est enfoncé dans la matière jusqu'au cœur, sous l'écrasement économique et sous l'obsession militaire. Je veux essayer de créer une cité d'espérance où l'homme s'aperçoit que les étoiles existent. ».

Chavez et le Président Maduro ont construit cette cité d’espérance que le peuple doit défendre et continuellement améliorer. Les étoiles n’en seront alors que plus étincelantes.

Notes :

1 http://www.ohchr.org/Documents/Issues/ESCR/FS%20FAQ%20on%20ESCR-fra.pdf

2http://www.undp.org/content/dam/undp/library/MDG/english/MDG%20Country%20Reports/Venezuela/CUMPLIENDO_LAS_METAS_DEL_MILENIO_23-09-13.pdf

3 OMS, Rapport sur la santé dans le monde 2013 : http://apps.who.int/iris/bitstream/10665/85764/1/9789240691193_fre.pdf?ua=1

4 http://www.who.int/mediacentre/factsheets/fs348/fr/

5 http://www.who.int/mediacentre/factsheets/fs323/fr/

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5 Les Brèves du mois d'Octobre

MEXIQUE-CHILI-PEROU : TRAITE DE LIBRE ECHANGE

Après deux ans de négociations dans le plus grand secret, l'Accord de Partenariat Transpacifique (TPP en anglais) a finalement été signé le lundi 5 octobre. Il s'agit d'un vaste accord de libre échange entre les pays possédant une façade maritime avec l'océan pacifique. En Amérique Latine, ce traité a été ratifié par le Mexique, le Chili et le Pérou. Dans notre prochain numéro, nous vous proposerons un article approfondi sur ce sujet.

DIFFEREND BOLIVIE-CHILI : LA CP DE LA HAYE SE DECLARE COMPETENTE

Le 24 septembre dernier, la Cour International de Justice de la Haye s'est déclarée compétente pour traiter le différend qui oppose la Bolivie et le Chili, le premier réclamant un accès à la mer, perdu après la guerre du salpêtre en 1879. Suite à cette décision, le président de la Bolivie, Evo Morales, a déclaré que c'était un «jour historique et inoubliable» pour son pays. La présidente chilienne Michelle Bachelet a quant à elle critiqué les conclusions de la Cour.

BOLIVIE : CONFERENCE MONDIALE DES PEUPLESDu 10 au 12 octobre s'est tenue en Bolivie la Conférence Mondiale des Peuples sur le Changement Climatique et la Défense de la Vie. Cinquante quatre nations de la planète y ont participés ainsi que des milliers de représentants des mouvements sociaux de nombreux pays. A noter également la présence du Secrétaire Général des Nations Unies, Ban Ki-Moon. Ce sommet a eu lieu avant la grande conférence climat qui se tiendra à Paris du 30 novembre au 11 décembre prochain.

DETTE ET FONDS VAUTOURS : LE VOTE DE L'ONU

L’assemblée générale de l'ONU a voté à une très large majorité un ensemble de neuf propositions visant à réduire le poids des «fonds vautours» dans les processus de restructuration des dettes souveraines. L'Argentine, accompagné du G-77 plus la Chine a été à l'avant garde dans cette lutte contre cette nouvelle forme de impérialisme économique que représentent les «fonds vautours». 136 pays ont voté pour, 42 se sont abstenus et 9 ont voté contre dont les États-Unis, Israël ou encore le Japon.

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DOSSIER ARGENTINE

Après les élections, quel avenir pour l'Argentine?

Comme le montrent la diminution du prix des matières premières ainsi que l’absence de structures solides au sein d’un système politique national tumultueux, l’Argentine traverse une situation difficile. Par ailleurs, le pays est en pleine période électorale, les trois principaux rivaux étant tous de droite. Que s’est-il passé au cours des dix dernières années et comment en est-on arrivé là? Cette spirale a débuté en 2002. Le futur de la nation est étroitement lié, d’une part aux jeux de pouvoir et, d’autre part, au contexte international.

Par Pablo Gandolfo depuis Buenos Aires Élections en Argentine

Les élections internes, appelées PASO (primaires ouvertes, simultanées et obligatoires) ont été mises en place en Argentine afin de déterminer les candidats de chaque parti ou alliance. Étant donné qu’elle est simultanée et que, dans la plupart des cas, les candidats sont élus auparavant, dans de toutes petites pièces et en étant simplement pointé du doigt, l’élection supposée être interne se rapproche en réalité plus d’un sondage. Elle est inutile car elle n’a presque aucune fonction ; cependant, elle a de lourdes conséquences : tout d’abord, les partis qui n’obtiennent pas au moins 1,5% des voix ne peuvent pas atteindre l’élection générale, et donc les votes destinés à ceux-ci seront redirigés vers d’autres partis. Ensuite, les opposants connaissent parfaitement la meilleure option qui leur permettra de vaincre leur adversaire. Ainsi, une partie des votes à faveur de certains partis seront redistribués au parti placé en deuxième position, considéré comme la seule possibilité de battre le gagnant du PASO.

Durant la PASO, trois candidats se sont opposés pour la présidence: le gouverneur Daniel Scioli, membre du Front pour la victoire (connu également sous le nom de Parti justicialiste); Mauricio Macri de Cambiemos, alliance entre la droite néolibérale et l’Union civique radicale (UCR), également un parti traditionnel qui représente la social-démocratie; enfin, Sergio Massa de l’UNA, une alliance qui

regroupe des membres provenant de tous les partis, principalement ceux du PJ (Parti justicialiste) qui ne sont pas affiliés du FPV (Front pour la victoire).

Le vainqueur est Daniel Scioli, le candidat de la coalition au pouvoir, le Front pour la victoire (FPV). Ce dernier arrive en tête avec 38,41 % des suffrages, devant Cambiemos, qui totalise 30,07 % des voix. L’UNA s’est retrouvée en troisième position avec 20,63 % des suffrages. Les partis de gauche ont quant à eux obtenu des résultats insignifiants, avec 3,31 % des voix pour le Front de gauche.

Les trois candidats principaux se trouvent très à droite sur l’échiquier politique. Deux d’entre eux, Massa et Macri, servent de marionnettes à Washington. En ce qui concerne Daniel Scioli, il a commencé à assumer ses fonctions sous le gouvernement de Carlos Menem, ancien président corrompu et connu pour ses politiques néolibérales. L’actuelle présidente Cristina Kirchner a fait en sorte que M. Scioli se présente en tant que candidat pour la présidence. Son soutien politique résulte donc de ses « bonnes » prises de position, et particulièrement envers le pouvoir actuel. La présidence se disputera entre Daniel Scioli et Mauricio Macri, tous deux fils de chefs d’entreprises.

Krichner et Scioli se sont déjà opposé à plusieurs reprises. Le « kirchnérisme », mouvement qui tient son nom de l’actuelle présidente, a attaqué durant les 12 dernières années le mouvement de M. Scioli. Ce dernier souffre d’un double handicap : il ne peut faire fi du kirchnérisme et, dans le même temps, ce dernier est dans l’incapacité de trouver un successeur.

Retour aux sources

Pour comprendre la situation actuelle, revenons 14 ans en arrière, en 2001, date à laquelle a débuté la transition politique. Le 19 et le 20 décembre 2001, des centaines de milliers de personnes ont manifesté dans les rues, mécontents du système politique et désirant une réforme de celui-ci. Ce pic de mobilisation des masses s’est étendu jusqu’aux

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premiers mois de l’année 2002. Le rejet des projets néolibéraux et la fervente opposition envers les représentants au pouvoir ont eu des conséquences importantes : les rapports de force entre les différentes classes sociales, ainsi qu’entre les fractions de la bourgeoisie, ont été bouleversés. Par ailleurs, d’autres changements au niveau politique ont été contestés par l’ensemble de la population. Le kirchnérisme s’explique donc par ces différents changements majeurs, et il a été assez malin de s’adapter à cette situation afin d’en tirer avantage.

Comment est-on passé d’une époque où les politiques néolibérales et les hommes politiques étaient décriés, à la situation actuelle, où la présidence se dispute entre trois candidats encore plus critiquables? Si le contexte le justifiait (en 2001), auraient-ils également été répudiés?

En 2003, Nestor Kirchner a assumé la présidence. Son épouse Cristina Fernandez, lui a succédé pendant deux mandats. Pendant ces 12 années, l’Argentine n’a pas subi de changements majeurs. Une politique dite de “recomposition” a été appliquée de manière systématique. Il faut savoir que recomposer signifie le contraire de transformer, bien qu’il soit nécessaire de passer par une transformation afin de recomposer. Les changements ont été réalisés de manière à rétablir la légitimité du capitalisme, réputé pour son caractère instable et qui avait déjà fait l’objet de critiques vives. Le rôle du gouvernement, comme l’aurait été celui de n’importe lequel à cette époque (à l’exception d’un gouvernement révolutionnaire), était de rétablir l’ordre et sa crédibilité. C’est d’ailleurs la tâche que s’était confié Nestor Kirchner dès son inauguration en tant que président. Son plan a porté ses fruits, comme l’atteste l’orientation politique des trois candidats à la présidence, tous de droite.

Il convient de souligner que rétablir un système capitaliste suppose la mise en place d’instruments solides, légitimes et stables destinés à l’exercice du pouvoir. Cela implique l’acquisition d’une série d’éléments indispensables: des partis crédibles et solides; des institutions étatiques légitimes capables de donner des réponses concrètes et d’autres institutions non-étatiques qui jouissent du même rôle. Dans l’Argentine actuelle, aucun de ces éléments n’est présent, on peut donc en déduire que la tentative du kirchnérisme est un échec.

Bien qu’il semble avoir réussi à atteindre quelques-uns de ses objectifs, le kirchnérisme n’a pas été capable de mettre en place des fondements solides. Par conséquent, on a affaire à un résultat contradictoire : un succès dans la conjoncture, comme le montre la stabilité politique durant ces 12 dernières années, mais un échec en ce qui concerne les structures dans leur ensemble, signe d’une profonde décadence sociale. Cependant, la débâcle n’a pas encore atteint toute son amplitude mais il est probable que l’avenir change la donne.

Comme cette étape a débuté avec une modification dans les rapports de force entre les différentes classes sociales, ceux-ci ont été réintroduits dans le cadre de la recomposition. De ce point de vue, on peut parler d’un succès partiel : une bonne partie des révolutionnaires ont rejoint des organisations « kirchnéristes » qui ont contribué au rétablissement d’un système capitaliste. Bien qu’il soit important, ce succès ne permet pas de répondre à la question suivante : le kirchnérisme a-t-il réussi à rétablir les rapports de forces entre les classes à la faveur de la bourgeoisie ? On pourrait citer quelques éléments qui soutiennent cette position. Cependant, cette question ne trouvera de réponse claire que dans les prochains mois. Il convient de se demander, à la vue de élections qui détermineront le sort du prochain gouvernement, si le peuple est prêt à accepter ce système qu’il avait auparavant rejeté (dans les années 90, puis à nouveau en 2001), qu’il considérait comme une atteinte à leur mode de vie.

Les raisons économiques des succès et des échecs

Le succès partiel de la recomposition se doit à l’amélioration de l’économie du pays, grâce au marché international des matières primaires. Le soja transgénique figure parmi les produits les plus demandés, avec la Chine qui en a besoin pour nourrir ses porcs.

Le modèle adopté par le gouvernement actuel est un modèle basé sur « le développement par inclusion sociale », avec un degré d’inclusion très élevé à un moment où le pays traverse une situation très difficile. Ce modèle existe surtout en raison de la reprise économique après la crise, de la dévaluation du taux de change qui a augmenté la compétitivité et de l’augmentation du prix des matières premières au niveau mondial. Sans ces trois facteurs, une forte inclusion sociale n’aurait pas été possible. Par

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ailleurs, seule la dévaluation est liée à la politique du gouvernement, bien que dans ce cas-ci, la décision ne provient pas du pouvoir actuel mais de l’ancien gouvernement. C’est pourquoi nous soutenons le fait qu’il n’existe pas de réel modèle avec comme objectif l’inclusion sociale, celle-ci étant le résultat de facteurs externes au gouvernement. Certes, le gouvernement a pris des mesures ponctuelles afin d’atteindre cet objectif, mais celles-ci n’ont pas donné lieu au résultat globale, qui trouve son explication dans les deux autres facteurs cités plus haut.

Au cours des dix dernières années, le pays a souffert du manque d’un modèle axé sur le développement. Le soja, le pétrole et l’industrie minière constituent les produits phares de la nation. Les entreprises transnationales ont monopolisé ce secteur et l’extraction de ces produits (seul une portion du pétrole a été extraite, tardivement, par l’entreprise étatique YPF). En ce qui concerne le soja et le secteur minier, ces deux activités ont pris de l’ampleur par le biais de l’utilisation de technologies très nocives à l’environnement et à la santé.

Parmi les activités industrielles, le gouvernement a mis l’accent sur deux d’entre elles en particuliers: le secteur du montage automobile et des appareils électroménagers, aux mains des multinationales. Nous insistons sur l’aspect de montage, car il ne s’agit pas de fabrication mais plutôt d’assemblage (à noter que les pièces de fabrication locales sont très peu employées). On parlera de machine, plutôt que d’industrie, qui présente plus de complexités. Ces deux secteurs souffrent d’un important déficit commercial car ils n’ont pas les moyens d’importer (chez Ford ou Samsung) les pièces d’assemblages pour fabriquer des voitures ou des téléphones et ainsi faire du profit par le biais de devises, qui se font de plus en plus rares…

Politique internationale : l’Argentine abandonne l’Amérique du Sud ?

L’aspect le moins critiquable du gouvernement est celui de sa politique envers l’Amérique du Sud. Bien qu’il n’ait pas mis en place un processus de transformation majeur, le pays a soutenu le processus d’intégration sociale qui a débuté il y a 15 ans. Grâce aux mesures politiques qu’ils ont adoptées, l’Argentine et le Brésil ont empêché la tentative d’isolement menée par le gouvernement des États-Unis, avec comme objectif de renverser les

gouvernements des pays comme le Venezuela, la Bolivie, l’Équateur et Cuba. Pour avoir tenu tête aux États-Unis, les gouvernements argentin et brésilien ont été systématiquement attaqués ; le Brésil est actuellement victime d’une des attaques les plus violentes de ces dernières années.

Qu’adviendra-t-il de cette mesure politique en matière internationale à l’issue des élections? Les trois candidats vont certainement l’éradiquer. Comme mentionné plus haut, deux d’entre eux vont se plier à la volonté de Washington. Quant à Scioli, il tentera d’arriver au même objectif mais dans un contexte différent : d’une part, il hérite d’un modèle politique avec des fondements contraires (du moins, dans l’idéologie) à la soumission à l’impérialisme américain et, d’autre part, Scioli a le soutien du Pape François. Une petite digression s’impose. Le Pape François tient envers l’Amérique latine un discours empreint d’ambiguïté. Sa conception stratégique doit être étudiée à trois niveaux : il cherche à faire progresser l’intégration du continent, tout en rejetant les processus révolutionnaires qui ont permis cette intégration (quelle contradiction !), en veillant à ne pas les affronter de face mais plutôt en critiquant leur fondement social. Cet équilibre entre le rapprochement et l’affront s’est reflété lors de sa visite en Bolivie. Evo Morales a laissé un témoignage symbolique à cet égard, montrant qu’il a cerné la position du Pape lors de sa visite.

S’il est élu président, Scioli devra tenir compte de ces deux aspect contradictoires exprimés par le Pape François et par le gouvernement actuel. Cependant, d’autres partis tenteront de l’amener à un face à face avec les gouvernements de l’ALBA (Alliance bolivarienne pour les Amériques). Dans cette hypothèse, Scioli sera à la tête d’un gouvernement qui vacillera entre ces deux positions. Une fois le conflit résolu, il se pliera aux injonctions des États-Unis. Le scénario inverse n’est pas envisageable.

Si ces différences entre les candidats en matière de politique internationale sont bien présentes, elles existent également au niveau politique dans certains domaines, bien qu’elles soient inexistantes dans d’autres. Tous proposent le même projet : mettre l’accent sur l’exportation des matières premières, attirer les investisseurs étrangers et rembourser la dette externe.

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Les conditions économiques du prochain gouvernement

Deux grands problèmes se posent : premièrement, les prix des matières premières qui ont bâti la réputation du gouvernement actuel ne sont plus les mêmes ; deuxièmement, l’épuisement du cycle économique débuté en 2002 (la croissance du pays étant très faible) se pointe de concert avec la crise capitaliste qui a atteint un nouveau pic qui touche tous les pays, et en particuliers ceux les plus développés. Ces deux facteurs augurent un avenir incertain et assez pessimiste pour le pays et ses habitants.

En résumé: chute du prix des matières premières, épuisement du cycle économique débuté en 2002, crise capitaliste à échelle internationale, implosion

du système politique qui manque d’instruments solides et attaque de la part du gouvernement Obama contre l’Amérique latine avec comme premier objectif de bouleverser les rapports de force en Argentine et au Brésil pour ensuite atteindre son objectif principal: renverser les gouvernements révolutionnaires du Venezuela et de la Bolivie. Ces facteurs marqueront la vie politique du pays à l’avenir et sont plus importants que l’analyse des résultats électoraux. Ils détermineront la position politique du prochain président, qui devra garder à l’esprit la question suivante: «comment réagira le peuple argentin face à une probable attaque contre ses conditions de vie?»

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Daniel Scioli : continuité ou changement ?

Depuis l'Argentine, Marcelo Massoni analyse pour le Journal de Notre Amérique les aspects liés à la fin de législature de Cristina Fernández de Kirchner. Le couple Kirchner aura gouverné l’Argentine durant ces douze dernières années. Au lendemain du 11 décembre, un autre président occupera le fauteuil présidentiel à La Casa Rosada.

Par Marcelo Massoni

En économie, au cours du temps, les mesures ne sont jamais linéaires et cela est indépendant du fait que les recettes appliquées soient orthodoxes ou non.Lorsque Néstor Kircher arriva à la présidence, avec Lavagna comme minis t re de l ’Économie, le pays commençait tout juste à émerger de la pire crise de son histoire où l’avaient plongé les mesures néolibérales imposées à la suite du Coup d’État de 1976.L’industrie nationale était quasiment anéantie, conséquence de l’ouverture commerciale pratiquée durant les trois décennies antérieures ; le taux de chômage frisait les 17,3 % ; le taux de pauvreté avoisinait les 50 %. Nous étions face à un panorama macabre, un pays dévasté.Avec la dévaluation de la monnaie voulue par le président par intérim Eduardo Duhalde, les secteurs exportateurs (essentiellement le secteur primaire en rapport avec la production céréalière) virent leurs profits augmenter de façon exponentielle.Avec les devises qui rentraient par les circuits commerciaux, les réserves de la Banque Centrale augmentèrent. Cela permit à Néstor Kirchner de mettre un point final aux liens de l’Argentine avec le F. M. I. en remboursant avec ces fonds la dette du pays envers cette banque.Les deux annulations de dette (plus du 73 % du capital principal pour ce qui est de la première annulation, selon le F.M.I. lui-même) obtenues par le gouvernement de Kirchner, en 2005 puis en 2010, permirent de renflouer le budget de l’État National... En 2010, on constate une réduction du poids de la dette extérieure qui représente alors 34,7 % du PBI quand elle s’élevait à 153,6 % du P.I.B. en 2003.Cette situation de relatif confort budgétaire a changé l’an dernier lorsque le juge new-yorkais Griessa a rendu un jugement favorable aux fonds vautours emmenés par Paul Singer. Ils avaient acheté des bons du Trésor à un prix extrêmement bas et ont réalisé un bénéfice de 1600 % sans rien prêter au pays alors que l’Argentine devait verser des intérêts à un taux usurier pour des titres de la dette que ces fonds avaient acquis durant le défaut de l’État argentin de 2002.

Ce litige n’est toujours pas résolu, car le gouvernement de Cristina Fernández de Kirchner rejette le jugement du juge new-yorkais qui porterait un grave préjudice à la structure de crédit de l’Argentine, car si elle paye ce que le juge a décidé elle sera obligée de dédommager 93 % des créanciers qui ont déjà accepté les restructurations de la dette.Sur ce point, Daniel Scioli reste prudent. Il s’efforce d’obtenir un financement international pour mener à bien un projet de développement industriel et cela l’oblige à clore ce conflit d’intérêts. Sur ce point, on constate une rupture entre les politiques de Néstor et Cristina de Kirchner de désendettement et la politique préconisée par Scioli d’emprunter sur le marché international.Dans le domaine industriel, la croissance a été forte. L’industrie d’équipements a été fortement impulsée. Des secteurs, comme celui de la chaussure, des jouets ou de l’habillement en sont une claire illustration. Dans aucun de ces secteurs, la participation du capital national sur le marché local ne dépassait 35 % alors qu’aujourd’hui, dans tous ces secteurs, cette participation est de 90 %.Il en est de même en ce qui concerne l’électroménager, la téléphonie, les téléviseurs ou l’industrie automobile où le secteur national a connu une croissance remarquable. Je mentionne ces secteurs à part parce qu’ils se limitent essentiellement à l’assemblage de pièces importées ce qui entraîne un déficit commercial, mais ils constituent une mine importante de postes de travail bien rémunérés.Scioli ne se contente pas des 300 parcs industriels et technologiques créés sous le gouvernement des Kirchner et il opte pour une Banque du Développement Industriel comme celle qu’avait su créer, en son temps, Juan Domingo Peron pour réorienter les ressources de l’État vers ces secteurs clés de l’économie. Il fait également le choix de garder les petites et moyennes entreprises comme pilier du développement industriel, car celles-ci sont les plus grandes sources d’emploi.Autre secteur à avoir connu, ces années passées, un essor remarquable : le secteur scientifique grâce au retour au pays de plus de 1000 scientifiques qui avaient émigré à cause du manque de débouchés. C’est cette politique que l’on promet de développer après le 11 décembre par une hausse des investissements pour le développement technologique, politique qui a permis, entre autres résultats, la mise sur orbite du premier satellite national géostationnaire (ARSATA 1) entièrement mis au point dans le pays.Assurément, la clé essentielle dans l’histoire économique de l’Argentine a été le dollar.Les Kirchner ont gouverné avec un dollar fort qui leur permettait d’exporter à un prix relativement élevé tout en étant en défaut ce qui leur permit d’obtenir une rapide

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croissance des réserves en devises. Cette situation a changé avec le temps. Peu à peu, le taux de change a pris du retard sur l’inflation ce qui a entraîné une baisse de la balance commerciale même si jusqu’à ce jour celle-ci est restée positive.Cela entraîne diverses conséquences : les secteurs exportateurs ont plus de difficultés pour placer leurs productions sur le marché mondial à cause de la perte de compétitivité et en même temps l’industrie nationale doit être protégée par des droits de douane plus élevés et des dispositions restrictives à l’encontre des importations pour lui permettre de résister aux productions étrangères.Le pouvoir d’achat des salaires est le revers de la méda i l l e . Avec un do l la r bas , l e s sa la i res , comparativement au dollar, ont connu une augmentation. Le SMIC ainsi que la pension retraite argentins sont les plus élevés de toute l’Amérique Latine et de loin.En ce qui concerne le dollar, Scioli, le candidat à la présidence du Frente Para la Victoria, laisse entendre qu’il procédera à une faible dévaluation pour redonner de la compétitivité aux secteurs exportateurs, mais une dévaluation moindre que celle que réclament les grands groupes céréaliers. Le danger d’une forte dévaluation c’est l’inflation que cette dernière provoquera presque immédiatement.L’inflation est l’autre problème qu’il faut résoudre. L’an passé, elle a dépassé les 35 % annuels, conséquence de la dévaluation de 18 % qui eut lieu en janvier 2014 et de la crise dans le secteur extérieur (fonds vautours). Cette année, la courbe inflationniste sera, pour la première fois en dix ans, descendante ; on estime qu’elle frisera les 23 %.La discussion porte sur le point de savoir comment parvenir à diminuer l’inflation sans porter préjudice aux salariés qui sont ceux qui ont toujours payé le coût social du redressement budgétaire.Pour y parvenir, l’équipe économique de Scioli, avec à sa tête Miguel Bein et Mario Blejer, cherche à diminuer le déficit budgétaire au moyen d’un meilleur usage de la dépense publique. Elle ne vise pas, à l’inverse du PRO de Mauricio Macri, à privatiser des entreprises, abolir des droits tels que l’Allocation Universelle par Enfant, ProCreAr (1), ProGresar (2), Fútbol para Todos (3), etc. Dans ce cas, il est proposé de réduire les subventions, principalement celles qui s’adressent à la classe moyenne/moyenne supérieure.Aujourd’hui, les subventions, en ce qui concerne les transports et l’énergie, représentent un peu moins de 4 % du PIB, un chiffre élevé compte tenu du fait que grand nombre des bénéficiaires de ces aides n’en ont pas un besoin impérieux et cela conduit à les revoir à la baisse.Un exemple de remise en ordre des comptes publics nous est fourni par la Province de Buenos Aires où résident 40 % de la population totale de l’Argentine. La province était en déficit, mais l’an dernier elle a obtenu un excédent primaire de 1,5 %, et cela a été obtenu sans recourir à une mesure de restriction budgétaire , mais en procédant à des réévaluations fiscales qui ont permis

de meilleures rentrées dans le secteur agraire et dans le secteur immobilier.De tout temps, l’économie est conditionnée par le contexte international. La crise internationale qui affecte les partenaires commerciaux du pays provoque des dégâts. On s’attend à ce que le Brésil et le Chili connaissent une baisse de plus de 2 % de leur économie ; la Chine atteindra à peine 6 % de croissance contrairement aux 9 % affichés régulièrement ces dernières années. Tout cela, qui s’ajoute au renforcement du dollar comme devise de réserve ce qui entraîne une baisse des prix des commodities (4), crée un climat défavorable pour affronter l’avenir.On espère que Scioli poursuivra l’alliance commerciale et politique avec le MERCOSUR avec lequel sont réalisées 32 % des exportations du pays. Mais il faut aussi remarquer sa plus grande empathie avec les Etats-Unis avec qui il a toujours gardé des contacts. Cela peut entraîner des changements sur la scène internationale. N’oublions pas non plus la crise que connaît le Brésil où Dilma Roussef est en train de céder face à ceux qui la pressent de rompre avec le MERCOSUR et d’aller vers un accord de libre-échange avec l’Union Européenne.Il est probable que le modèle économique argentin subira des retouches ce qui est normal après l’usure occasionnée par douze années d’exercice du pouvoir. Mais, à ce jour, les propositions avancées par Scioli ne semblent pas devoir remettre en cause les lignes générales de la politique qui sera appliquée pour la défense de l’industrie nationale, le maintien d’un faible taux de chômage, la protection des secteurs les plus fragiles... Ce ne sera qu’une fois le nouveau gouvernement en place que nous verrons quelles mesures seront réellement prises et lesquelles n’auront été que de simples promesses électorales.

Notes :1 ― la Communauté ProCreArrassemble les personnes intéressées par le Programme de Crédit en Argentine...2 ― PROGRESAR est un nouveau programme gouvernemental d’aide sociale qui s’adresse aux jeunes entre 18 et 24 ans qui sont sanstravail, ou qui occupent un emploi précaire, ou qui perçoivent un revenuinférieur au minimum vital...3 ― Football Pour Tous (Fútbol Para Todos) est un programme social du gouvernement argentin. En accord avec la Fédération de Football d’Argentine, le Programme est propriétaire des droits de diffusion en direct des matchs de Première Division et diverses finales de diverses Coupes...4 ― Terme anglais pour désigner les biens de consommation et les matières premières telles que l'or, l'argent et autres métaux précieux, ainsi que le cuivre, le café, les noix de soja, etc.

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La tentation néolibérale et néocoloniale de la droite argentine

Un peu partout en Amérique Latine, la droite tente de reconquérir le pouvoir. Du Venezuela à la Bolivie en passant par l’Équateur, elle rêve de mettre fin au cycle progressiste débuté au début des années 2000. C'est également le cas en Argentine où l'homme d'affaire Mauricio Macri tentera de remporter les élections le 25 octobre prochain. Mais ceci constituerait un grand bond en arrière pour le pays.

par Tarik Bouafia

Le 21 décembre 2001, des milliers d'argentins sortent spontanément dans la rue pour crier leur colère et leur désespoir. Le pays vient alors de faire faillite, des centaines de milliers d'épargnants perdent en un rien de temps toutes leurs économies. Le pays est ruiné, le PIB s'effondre. Le chômage atteint les 25% et la pauvreté frappe plus de 50% de la population. Pendant les manifestations, trente-huit personnes perdront la vie sous les balles de la police. Cette catastrophe sociale n'est pas le fruit du hasard mais le résultat de choix idéologiques, politique et économique mis en place à partir du coup d’État militaire du 24 mars 1976. Désengagement massif de l’État dans l'économie, libéralisation des prix, privatisations, suppression des barrières douanières à l'importation, étatisation des dettes privées...

Ces recettes néolibérales soigneusement concoctées par le Fonds Monétaire International (FMI), la Banque Mondiale (BM) et l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) seront poursuivies avec le retour de la démocratie en 1983 et connaîtront leur apogée dans les années 1990 sous l'égide du président Carlos Menem.

Quinze ans plus tard, les partisans de cette politique, qui a pourtant fait des ravages en laissant des millions de gens sur le bord de la route, sont bien décidés à reprendre les rênes du pays. Mauricio Macri, candidat de la coalition Cambiemos (changement) était sans doute la meilleure personne

pour représenter ce renouveau néolibéral dans le pays. Fils de Franco Macri, l'un des plus grands patrons du pays qui a considérablement profité de la dictature militaire pour s'enrichir, il est aujourd'hui l'une des personnalités les plus riches de l'Argentine.

Projet économique, un air de déjà vuCe qui est intéressant de remarquer, c'est le changement de discours opéré par M. Macri lors de ces derniers mois notamment concernant ses propositions économiques. En effet, il y a encore un an, ce dernier n'hésitait pas à exprimer haut et fort ses convictions ultra-libérales et promettait qu'en cas de victoire, il privatiserait à nouveau les grandes entreprises nationalisées sous les gouvernements des époux Kirchner comme la compagnie aérienne nationale (Aerolineas Argentinas), l'entreprise pétrolière nationale (YPF) ou encore les pensions de retraites.

Il s’est rapidement aperçu qu’un discours si impopulaire ne servirait en rien à son élection. C'est pourquoi il est revenu récemment sur ces propositions et a notamment déclaré lors d'un meeting qu’ «Il faut reconnaître que lors des dernières années, sur beaucoup de choses, on a beaucoup avancé et nous ne pouvons revenir en arrière» avant de promettre de ne pas revenir sur les acquis sociaux obtenus ces douze dernières années. Concernant l'Assignation Universelle par Enfant (AUH en espagnol), une allocation donnée à chaque famille ayant un enfant, il a reconnu que c'était «un droit, qu'il fallait travailler pour que le Congrès la convertisse en loi et que cette dernière ait une continuité lors des futurs gouvernements».

Concernant les privatisations, le nouveau discours de M. Macri a considérablement évolué lui aussi. Il a promis qu’YPF «continuerait à être contrôlée par l’État» tandis que la compagnie aérienne «continuera à appartenir à l’État». Une volte-face spectaculaire qui démontre la position délicate dans

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laquelle se trouve cette nouvelle droite. Elle est d'un côté tiraillée par ses électeurs et ses partisans les plus durs qui réclament la fin pure et simple de l’État providence et d'un autre par la majorité de la population argentine qui ne souhaite en aucun cas revivre la tragédie d'il y a vingt ans.

Mais le masque est finalement tombé le 13 mai dernier lors d'une conférence organisée par les plus grands chefs d'entreprises du pays et où se sont exprimés trois éminents conseillers économiques de M. Macri (1). Ces derniers ont dévoilé le véritable projet économique du candidat à la présidentielle, projet qui n'a rien de rassurant pour le peuple argentin.

Toutes les recettes appliquées aujourd'hui aux peuples européens ont été reprises point par point par ces économistes totalement coupés de la réalité.

Pour José Luis Espert, ancien membre du gouvernement de Fernando De La Rua en 2001, il s'agit de mettre fin à ce que Ronald Reagan avait appelé l' «Etat obèse». Ainsi, il préconise de «renvoyer deux millions de fonctionnaires et d'éliminer ou baisser les impôts». Les professeurs, les infirmiers, les médecins et tous ceux qui travaillent pour l'Etat ont sans doute apprécié... S'agissant du commerce extérieur, il propose la disparition des barrières douanières à l'importation. Ceci signifie une chose très simple: la disparition programmée de l'industrie nationale. Durant les deux gouvernements de M. Menem dans les années 1990, la même politique avait été mise en place. Résultat: plus de cent vingt-cinq mille entreprises avaient fait faillite.

Enfin M. Espert considère que les négociations qui ont lieu deux fois par an entre le patronat et les syndicats, notamment au sujet des augmentations salariales, est un concept «absolument fasciste». Il propose donc de les supprimer pour les remplacer par des négociations directes entre l'employeur et le salarié. Comme si le salarié seul face à son patron était en position de force pour réclamer une augmentation de salaire ou de meilleures conditions de travail. La relation entre les deux est forcément inégale étant donné que le premier possède le capital et le second n'a que sa force de travail pour subvenir à ses besoins.

Ainsi, ce que souhaite cet économiste extrémiste libéral, c'est de flexibiliser un maximum le marché du travail pour donner tout le pouvoir au patronat afin que ce dernier puisse baisser les salaires ou encore licencier comme bon lui semble. Encore une similitude avec tout ce qui se passe aujourd'hui en Europe et notamment en France où le code du travail est tous les jours un peu plus mis à mal par le gouvernement et le patronat.

Pour M. Miguel Broda, autre conseiller économique et issue du ménémisme, ce dont l'Argentine a besoin n'est pas d'inventer quelque chose de nouveau mais bien de «copier». Mais copier qui? Le Venezuela bolivarien? L'Equateur de la Révolution citoyenne? Non, bien sûr, encore une fois, il s'agit de suivre ce que font les gouvernements occidentaux, Allemagne en tête. C'est pourquoi selon lui l'austérité est «inexorable», seul la manière dont celle-ci sera appliquée peut varier. Elle sera soit «planifiée» soit imposée par les «coups». Chacun appréciera.

Les organisateurs de la conférence n'avaient, vous l'aurez deviné, convié aucun médias. C’était sans compter sur la présence dans la salle d’une personne qui a eu l’intelligence de filmer et de diffuser la conférence. Les Argentins ont pu ainsi mesurer la portée des souffrances qu'ils devront endurer si M. Macri accédaient à la présidence de la nation.

L’économie n’est cependant pas le seul point sur lequel le candidat s’appuie sur des concepts empruntés à la droite. En effet, pour tenter de séduire les classes moyennes et populaires, il a désigné un nouvel ennemi: les immigrés. Mais attention pas n'importe lesquelles. Il ne s'agit de discriminer les Français, Espagnols ou Italiens qui se rendent chaque année en Argentine et parfois pour s'y installer. Non, il s'agit de pointer du doigt ceux qui viennent en Argentine pour tenter de trouver une vie meilleure. Ils sont paraguayens, boliviens ou encore péruviens et par leur couleur de peau un peu trop basanée sont devenus les boucs-émissaires de M. Macri. Piètre rhétorique xénophobe qui malheureusement fleurit tous les jours un peu plus dans notre pauvre Europe.

Mauricio Macri a ainsi déclaré : «Notre société ne peut continuer à être exposée à une immigration sans contrôle et avec ce que cela entraîne: le narcotrafic et la déliquance» (2). Si nous enlevions le mot narcotrafic, cette phrase aurait très bien pu être prononcée par Marine Le Pen.

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Ce discours économique et social ultra-orthodoxe marque une rupture avec la politique mise en place depuis l'arrivée au pouvoir de Nestor Kirchner en 2003. Mais la rupture avec la politique impulsée par les époux Kirchner interviendrait également dans le domaine international et notamment au sujet de la politique d'intégration latino-américaine.

Soumission à l'ordre dominantDepuis maintenant deux ans, l'Argentine est la cible répétée des «fonds vautours», ces fonds spéculatifs qui réclament plus de 1,33 milliards de dollars à Buenos Aires. Cette agression s'apparente à une véritable tentative de coup d’État financier contre la nation albiceleste qui a toujours respecté ses engagements avec ses créanciers internationaux.

Face à ce coup de force du monde financier international, un élan patriote s'est emparé de millions d'argentins et un slogan a fait son apparition un peu partout dans le pays: «Patria o Buitres» (La patrie ou les fonds vautours). Pour beaucoup, il était hors de question de rembourser quoi que ce soit à ces spéculateurs sans scrupules, ne serait-ce que pour des questions de fierté et de dignité nationale.

Dans cette affaire, un homme en particulier a joué un rôle majeur, il s'agit du juge Thomas Griesa qui, siégeant à New York, a à de nombreuses reprises donner raison aux «fonds vautours». Et alors que l'immense majorité des argentins se solidarisaient avec son gouvernement dans cette lutte pour l'indépendance et la souveraineté du pays, qui a eu une voix discordante? M. Macri bien évidemment! (3) Ce dernier a jugé inutile de se battre contre ces spéculateurs qui ne cherchent qu'à saigner les peuples et a déclaré concernant la décision du juge Griesa que «Même si cela ne nous plaît pas, nous devons nous plier au jugement».

Un de ses conseillers économiques cité plus haut a quant à lui exulté lors de l'annonce de la décision du juge états-unien: «Merci Griesa pour mettre des limites à la barbarie populiste».

Bel exemple de soumission à l'ordre économique et politique dominant !Autre exemple, encore plus grave, d'asservissement aux puissances occidentales, le cas des Malouines.

Ces îles de l'Atlantique Sud sont, depuis 1833, colonisées par le Royaume-Uni qui refuse tout dialogue avec Buenos Aires en vue de leur restitution. En Argentine, si il y a bien un sujet sur lequel 99% des argentins sont d'accord c'est bien que «Las Malvinas son Argentinas» (Les Malouines sont Argentines).

Toutefois, Mauricio Macri ne partage pas complètement cette opinion. Ainsi, il a affirmé en 1997 que «récupérer les Malouines provoquerait un fort déficit pour l'Argentine» avant d'ajouter : «Je n'ai jamais compris les questions de souveraineté pour un pays aussi grand que le nôtre». Après tout, à quoi bon s’entêter à revendiquer un territoire minuscule alors que l’Argentine est le huitième plus grand pays au monde? Pourquoi se battre pour récupérer une terre qui a été volée il y plus d'un siècle et demi quand on possède un aussi grand pays? Voilà le message de rédition et de capitulation dont il est question. Depuis, M. Macri est revenu sur ces déclarations en signalant que les «Malouines nous reviendront de manière inexorable et en paix» mais personne ne croit un seul instant que si ce dernier devenait président, il se battrait comme il se doit pour reconquérir cette terre colonisée.

Enfin, ce qui s'avère plus dangereux encore si la droite venait à s'imposer dans les urnes, c'est la nouvelle politique régionale que Buenos Aires mettrait en œuvre. Ce qui est sûr, c'est qu'elle serait en totale rupture avec celle mise en place jusqu'à aujourd'hui.

M. Macri n'a pas hésité à montrer ces dernières années son hostilité à la Révolution Bolivarienne au Venezuela. Preuve de cet affront avec le gouvernement de Caracas, il a reçu le 27 mars dernier les épouses de Léopoldo Lopez et de Carlos Ledezma (5), tous deux emprisonnés pour avoir été à l'origine de la flambée de violence qui a coûté la vie à quarante-trois personnes en février 2014.Le leader de la droite argentine est beaucoup plus proche des dirigeants ou leaders réactionnaires de la région comme l'ancien président chilien Sebastian Pinera, l'ancien candidat à l'élection présidentielle au Brésil, M. Aecio Neves ou de l'ex-président péruvien Alan Garcia.Il entretient également de très bonnes relations avec la droite européenne comme en témoigne ses

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rencontres avec le premier ministre espagnol Mariano Rajoy et l'ex-premier ministre du royaume, José Maria Aznar.Toutes ces personnalités-là ont la particularité d'éprouver une haine viscérale vis à vis de la Révolution Bolivarienne et du progressisme latino-américain dans son ensemble.

ConclusionCes douze dernières années ont été une renaissance pour le peuple argentin. Cela dit, il ne faut pas oublier les échecs et erreurs des époux Kirchner. De nombreux grands défis restent à relever comme la fin de l'extractivisme imposé par les multinationales et qui ont des conséquences absolument désastreuses sur l'environnement. Sur le plan économique, même si de nombreux progrès ont été réalisés, l'Argentine tout comme la majorité des pays d'Amérique Latine, continue à dépendre fortement de l'exportation des matières premières comme le soja. Enfin, malgré la législation du mariage homosexuel, de nombreuses questions sociétales restent en suspens et notamment une, urgente, qui préoccupe des millions de femmes, la dépénalisation de l'avortement. En effet, à cause de l'interdiction qui leur en est faite, des centaines des milliers de femmes décident d'avorter clandestinement chaque année. Pour celles qui peuvent se payer un avortement dans une clinique, les risques sanitaires sont nuls. Mais pour l'immense majorité des autres femmes, elles n'ont souvent pas d'autre choix que d'avorter avec les moyens du bord et parfois les conséquences sont dramatiques.Il reste donc beaucoup à faire en Argentine mais une chose est sûre, le retour au pouvoir de cette droite néolibérale ne ferait qu'aggraver les problèmes existants et contribuerait à détruire tout ce qui a été construit de bon depuis douze ans.

Ce que propose M. Macri n'est ni plus ni moins qu'un retour aux années 1990 où une poignée de la population s'enrichissait tandis que l'immense majorité de la population sombrait dans le chômage et la misère sociale.

Espérons que le peuple argentin se souvienne de cet épisode douloureux de son histoire lorsqu'il ira s'exprimer dans les urnes le 25 octobre prochain.

Sources:

1)https://www.youtube.com/watch?time_continue=357&v=Pcj7ezMIfUc2) Ibid3)http://tn.com.ar/politica/macri-sobre-los-fondos-buitre-aunque-nos-disguste-hay-que-cumplir-el-fallo-judicial_5198254)http://www.perfil.com/politica/Cuando-Macri-dijo-que-recuperar-Malvinas-seria-un-fuerte-deficit-20150403-0027.html5)http://www.perfil.com/internacional/Macri-se-sumo-a-la-oposicion-venezolana-y-se-reunio-con-esposas-de-detenidos-politicos-20150327-0037.html

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« Le Monde » parisien se paye la tête du monde

“Le Monde” est un vénérable quotidien parisien qui, comme son nom l´indique, s´annonce comme un média informant du panorama mondial. Mais visiblement il se paye la tête du monde, ou tout du moins de “son monde”, c´est-à-dire de ses lecteurs. Pour la crise colombo-vénézuélienne, il diffuse l´important mais passe sous silence l´essentiel.

Par Jean Araud, Correspondant d'Investig'Action à Caracas, Octobre 2015

Dans notre société médiatique globalisée, il semble que “Le Monde” abandonne sa miss ion journalistique d´information pour ne devenir qu´un p i o n d e p l u s , u t i l i s é p o u r m a n i p u l e r l´opinion publique. “Le Monde” informe très rarement des actualités concernant l´Amérique Latine et généralement ne daigne lui consacrer son attention que lorsqu´il s´agit de conflits, de problèmes ou de catastrophes. Ceci est le cas actuellement au sujet de la crise frontalière colombo-vénézuélienne pour laquelle “Le Monde” limite ses informations à des situations ponctuelles d´actualité, certes importantes, mais tout en passant sous silence leurs racines essentielles qui permettraient à ses lecteurs de comprendre les motifs réels de cette crise frontalière.

Ceci s´explique, en partie, par le fait que “Le Monde” nous présente ce conflit sous la plume exclusive d´une correspondante à Bogota qui probablement doit, ou se doit, d´ignorer les antécédents et réalités colombo-vénézuéliens. Ceci peut aussi se comprendre pour qui sait que la Colombie fonctionne, politiquement et économiquement, sous la direction d’une toute puissante élite oligarque résidant principalement dans l´exclusif quartier Chapinero de Bogota, les grands médias ne devant sûrement pas ignorer cette situation.

La crise frontalière colombo-vénézuélienne vue par “Le Monde” :

L´important et l´essentiel.L’information importante relayée par “Le Monde” est une “crise bilatérale déclenchée par la décision du Venezuela de fermer la frontière et d’expulser des Colombiens”.

L´essentiel est de savoir le pourquoi de cette décision du Venezuela.

Pour ce qui est “d´expulser des Colombiens”, il ´agit en réalité du rapatriement dans leur pays d´origine de citoyens colombiens, sans papiers, installés illégalement sur le territoire vénézuélien, dont bon nombre de trafiquants de drogue, de paramilitaires auteurs d´enlèvements ou d´assassinats et autres contrebandiers colombiens qui sévissaient sur le territoire vénézuélien.Important bien sûr les “Plus de 1.000 Colombiens expulsés” titré au début du conflit par “Le Monde”, mais essentiel de parler aussi des presque six millions de Colombiens ayant immigré légalement, pour la plupart nationalisés, établis au Venezuela qui les accueillis au cours des cinq dernières décennies.Et aussi essentiel de savoir que la Colombie compte environ trois millions de déplacés sur son propre t e r r i to i re e t de savo i r que bon nombre de ses compatriotes se sont aussi réfugiés en Equateur.Le motif de ces déplacés, réfugiés et migrants colombiens est que depuis plus de 60 ans la Colombie vit une véritable guerre civile, depuis l´assassinat en 1948 de Jorge Eleizar Gaetan, un candidat progressiste aux présidentielles. Ceci incita le peuple colombien à créer divers mouvements de résistance c o m m e l e s FA R C . E P ( F o r c e s A r m é e s Révolutionnaires Colombiennes. Armée du Peuple), et la résistance de nombreux dirigeants dans les secteurs paysans, pour la plupart assassinés.

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La réponse des autorités colombiennes, à part la naturelle mise en opération de ses forces armées, a été aussi la création de forces parami l i t a i res avec des méthodes d´une violence extrême.Le résultat: depuis plus de 60 ans, annuellement des milliers de victimes au sein principalement de la population la moins favorisée et surtout paysanne.C´est ainsi que le Venezuela a accueilli quelque six millions de réfugiés colombiens car le Venezuela a été de tout temps une terre d´asile. De ceci, peuvent en témoigner ses fortes colonies européennes d´origine principalement portugaise, espagnole et italienne établies au Venezuela à la suite de guerres civiles ou de crises économiques internes.En un mot, l´essentiel est de savoir que le Venezuela a été pour des millions de Colombiens une terre d´asile, même s´il est important que les circonstances a c t u e l l e s l ’ o b l i g e à r a p a t r i e r quelques Colombiens dans leur pays d´ origine.

Le lecteur européen devrait pouvoir parfaitement comprend re l e s déc i s i ons de s au to r i t é s vénézuéliennes. Pour des délits bien moindres, il est témoin des décisions de gouvernements européens, qui engendrent par exemple l´expulsion des Roms et les drames humanitaires de migrants qui tentent actuellement de se réfugier sur les territoires européens.L’information importante donnée par “Le Monde” est une “crise bilatérale déclenchée par la décision du Venezuela de fermer la frontière et d’expulser des Colombiens”.L´essentiel est cependant de savoir le pourquoi de cette décision du Venezuela.Pour ce qui est de “fermer la frontière”, en réalité il existe quelques “petits détails” essentiels. A savoir que:. Dans cette zone frontalière, depuis pas mal de temps déjà, les autorités colombiennes sont, volontairement ou pas, pratiquement inexistantes. Cette zone est ainsi sous la mainmise des paramil i ta i res , t raf iquants de drogues et contrebandiers.. A Cucuta, petite ville du côté colombien, sont établies plusieurs milliers de maisons de change i l l é g a l e s q u i d e p l u s , g r â c e à u n e l o i colombienne, pratiquent à leur guise des taux de change ahurissants au détriment de la monnaie vénézuélienne.. Se comptent par milliers de tonnes les produits principalement alimentaires et combustibles qui

bénéficiant de subsides du gouvernement vénézuélien qui sont revendus en Colombie avec des pourcentages spéculatifs exorbitants, lire % avec plusieurs zéros et jusqu´à trois zéros. En clair, à travers cette zone frontalière, le Venezuela alimentait la population colombienne pendant que la population vénézuélienne souffre d’une forte crise de distribution des mêmes produits. Cette situation a par ailleurs été bien diffusée par certains grands médias sous le titre de “crise alimentaire au V e n e z u e l a ” . D e f a i t , u n e guerre économique savamment orchestrée par les opposants au gouvernement vénézuélien dans le but de provoquer le mécontentement pour tenter de générer une révolte populaire.. C´est à travers cette zone frontalière que pénétrait en grande partie le para-militarisme colombien qui s’est implanté en territoire vénézuélien jusqu´à sa capitale, Caracas.

Voilà en résumé les motifs pour lesquels le Venezuela ferma en partie sa frontière avec la Colombie: pour bloquer la pénétration de paramilitaires, narcotrafiquants, contrebandiers et migrants illégaux, pour défendre sa monnaie, pour empêcher une exportation massive et illégale de ses produits et pour contrattaquer un véritable terrorisme financier.

Depuis déjà quelques temps, le gouvernement vénézuélien avait signalé ces situations au gouvernement colombien en lui demandant de prendre les décisions nécessaires sur son territoire. Le gouvernement colombien fit la sourde oreille, bien au contraire, trop content de ce voisin tranquille qui alimentait une bonne partie de sa population car, de plus, la population colombienne frontalière, avec accord du Venezuela, traversait la frontière pour bénéficier de services de santé et d’éducation, inexistants du coté colombien.

Essentiel aussi: clair et net en quelques chiffres illustratifs

. Le taux officiel de change de la Banque Centrale de Colombie pour le bolivar (monnaie vénézuélienne) est de 232 pesos (monnaie colombienne). Mais en 2000, la Banque Centrale de Colombie approuva par sa Résolution 8, une législation spéciale pour ses frontières autorisant un libre taux de change. Actuellement le taux de change du bolivar à Cucuta est de 4,8 pesos produisant une énorme dévaluation du bolivar. Ceci explique que, dans cette petite ville

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frontalière, on estime que 3.500 personnes vivent de la contrebande au service de 25 grandes mafias.. Les pérégrinations du bolivar, Venezuela-Cucuta-Bogota et retour Venezuela est ahurissante. Simple mathématique: le billet de 100 bolivars acheté à 4,5 pesos à Cucuta se transforme en 450 bolivars. De là, chaque billet de 100 bolivars voyage à Bogota où, au change officiel de la Banque Centrale de Colombie, il s’échange au taux de 253 pesos pour se transformer en 25.300 pesos. Ainsi, à Bogota et au taux officiel du dollar US à 3238 pesos/1 dollar, les 25.300 pesos se transforment en 7,8 dollars qui retournent au Venezuela où une organisation parallèle (“DolarToday”) les réincorporent sur le marché noir à 715 bolivars pour 1 dollar. Nos 100 bolivars achetés à Cucuta se sont transformés en 5.577 bolivars, à la plus grande joie des commerçants vénézuéliens qui utilisent cette référence pour l´appliquer à la vente de leurs produits. En conséquence, au Venezuela l´important pourcentage d´inflation actuelle dissimule un énorme pourcentage de spéculation. De nombreux analystes considèrent “DollarToday” comme une organisation destinée à déstabiliser l´économie du Venezuela pour déclencher une crise.. Il est également estimé que 11 départements colombiens vivent du transit de la spéculation de la monnaie et de la contrebande.. Durant ces quatre dernières années, 180 mille tonnes de denrées alimentaires vénézuéliennes ont été saisies en Colombie sans que le Venezuela n’en obtienne la restitution pourtant officiellement réclamée aux autorités colombiennes.. 18 millions de Colombiens sont bénéficiaires du commerce illégal du combustible vénézuélien.. A Cucuta, le billet de plus forte dénomination du bolívar (billet de 100 bolivars) est quotée à 250 bolivars, payés en petites coupures afin de faciliter aux contrebandiers leurs transactions.. Il est estimé qu´approximativement 85% à 87% de la population de Cucuta vit de la contrebande.. Le kilo de lait en poudre vénézuélien (subsidié), coute 200 bolivars au Venezuela et revendu par les contrebandiers 14.000 bolivars à Cucuta.

Le paramilitarisme colombien“Le Monde” souligne que “le président vénézuélien s’en est pris une fois encore à l’ex-président colombien, Alvaro Uribe (2002-2010), qualifié de « très assassin chef des paramilitaires »”.

Pourtant il passe sous silence l´essentiel: les antécédents de l’ex-président colombien. Par exemple que le para-militarisme colombien est une création de la famille Uribe, que Uribe est fiché par les services DEA anti-narcotiques des Etats Unis, que le Venezuela réussit à neutraliser un groupe de paramilitaires qui avaient pour mission l´assassinat du Président Chavez (à l´époque l´actuel président colombien Santos était ministre de la défense) et pour clore la déclaration d´Uribe à la fin de son mandat “Si je n´ai pas réussi à envahir le Venezuela c´est parce que je n´ai pas disposé du temps nécessaire”.“Le Monde” passe aussi sous silence les méthodes du para-militarisme qui sont d´une violence inouïe et coupables de nombreux enlèvements et assassinats au Venezuela.

Le cynisme des acteurs colombiensFace à cette crise frontalière, les autorités colombiennes ont tenté d´obtenir une intervention de l’OEA, Organisation des Etats Américains. Sans succès, bien que l’OEA soit établie à Washington.Mais le cynisme atteint son point culminant lorsque les autorités colombiennes accusent le Venezuela à l’ONU d’atteinte aux droits humains.Il est essentiel de savoir que, précisément au sein de la cour Pénale Internationale, un grand nombre de plaintes sont déposées contre le gouvernement colombien et que la Colombie est le pays sud-américain où sont commis le plus grand nombre de violations de droits humains, dépassant le triste record de l´époque de la dictature du Général Pinochet au Chili.

“Le Monde”, mais pas seul au mondePourtant “Le Monde” ne doit pas se sentir seul au monde, Le 27 août, le New York Times publiait un article sous le titre de “Colombians Flee Venezuela’s Crackdown on Immigrants” (Les Colombiens fuient les mesures énergiques du Venezuela contre les migrants).Un titre mal intentionné d´un article tentant de présenter le Venezuela comme une nation agressive vis à vis de l´immigration. Et bien naturellement sans la moindre information sur les réalités et ses motifs.En conclusion : le Venezuela a fermé une partie de sa frontière avec la Colombie pour lui signifier que “trop c´est trop”, que « basta » la contrebande

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massive de ses produits au détriment du peuple vénézuélien, « basta » les opérations pour déstabiliser sa monnaie, et « basta » le para-militarisme colombien au Venezuela.L´essentiel reste de connaitre en détails par quels mécanismes les Colombiens parvenaient à faire de la contrebande avec des millions de tonnes de produits alimentaires et des millions de litres de combustible, à dévaluer la monnaie vénézuélienne, et tout cela avec la bénédiction des autorités colombiennes.L´essentiel aussi est de savoir qui sont et comment agissent les paramilitaires colombiens avec leurs macabres statistiques de fosses communes et leurs fameux “faux positifs”.Mais il est également et surtout essentiel de savoir que cette crise frontalière entre le Venezuela et la Colombie n´est probablement qu´une simple bataille dans le contexte plus complexe d´une guerre. Ce n´ est probablement pas par hasard que, simultanément à cette crise frontalière, le Venezuela affronte ces derniers mois une forte crise économique dénommée à juste titre “guerre économique”, en même temps qu´un autre litige frontalier pourtant vieux de plus d´ un siècle était réactivé par la Guyane voisine, ex britannique.Pour clore les spectaculaires démonstrations de la diplomatie colombienne qui ressemblent à celles d´ un spectacle de théâtre comique, celle du maire de Cucuta mise en scène par la chaine NTN 24, qui prétend dénoncer à La Haye le président Maduro pour délits de « lèse humanité ».

Titre : « Le maire de Cúcuta dépose à La Haye une plainte contre Maduro pour délits de « lèse

humanité » (NTN24 Venezuela )

Le maire de Cucuta. Ville frontalière colombienne

Il faut pourtant le comprendre dans son rôle de maire de cette ville frontalière florissante et en pleine croissance qui, suite à la fermeture de la frontière, risque purement et simplement de tomber en faillite : des contrebandiers et trafiquants subitement mis au chômage et des habitants privés de produits alimentaires subsidiés par le Venezuela.

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¿Allo AgoraVox? Ici Caracas.Il y a-t-il quelqu´un?

Message d´alerte pour “Alias Morice” : Pour réagir à la présentation du Venezuela comme étant un « Etat narco » faite par le chroniqueur d’AgaraVox (que nous avons baptisé “Alias Morice”), nous avions proposé un échange d´informations. Maintenant, c´est une alerte que nous diffusons.Par Jean Araud. Correspondant Investig´Action au Venezuela.

En consultant ses écrits, nous avions constaté que “Alias Morice” pistait ses narco-informations sur la toile. Nous souhaitons donc le mettre en garde : s´il détecte une information de l´Agence Reuters au sujet d´un transport aérien de drogue crashé en mai dernier sur les côtes colombiennes, qu’il ne se laisse pas abuser. Cet avion ne venait pas du Venezuela comme l´annonça un câble de Reuters.

Merci de transmettre à “Alias Morice” l´information exacte de cet accident, diffusée au Venezuela par le général Vladimir Padrino, ministre de la défense et patron du CEO-FANB, Commando Stratégique Opérationnel de la Force Armée Nationale Bolivarienne.L´information exacte est la suivante :L´avion HAWKER 800 crashé sur la côte des Caraïbes colombiennes ne venait pas du Venezuela. L´appareil a violé le FIR (Flight Information Region) du Venezuela et a donc été neutralisé en accord à ce qu´établit la Loi de Contrôle de Défense Intégrale de l´Espace Aérien.L’appareil a cependant atterri dans la province vénézuélienne de l´Apure. Au moment de la capture de l´appareil, le pilote redécolla. Son interception fut donc décidée et la FANB lui infligea deux impacts dont l´un dans les turbines.Le HAWKER 800 partit en piqué et disparut des radars vénézuéliens. La Force Aérienne de Colombie fut informée de cette procédure.

Malgré cela, l´agence Reuters (cable de la agencia Reuter) fit circuler un câble accusant le Venezuela d´ expédition de drogue à la nation néo-grenadine, câble jugé “tendancieux et manipulateur” par Padrino López.Le ministre a précisé que 90 appareils ont été neutralisés dans l´espace aérien national entre 2012 et 2015. “Avec ces appareils détruits et endommagés, nous avons évité le transport de 180 tonnes de produits illicites à travers le territoire vénézuélien”.De même, il précisa la mise hors service de 486 pistes clandestines utilisées par le narcotrafic.

Et en sus pour “Alias Morice”Nous avions proposé à “Alias Morice” un échange d´informations.Nous faisons le premier pas, en lui envoyant cette information pour l´alerter sur une information fausse diffusée par Reuters.Comme dans son narco-article “Alias Morice” mettait en scène “Air Cocaïne”, nous espérons qu´il nous éclaire sur un cas un peu confus pour nous.Que peut-il nous dire des deux pilotes français, Pascal Fauret et Bruno Odos, condamnés à 20 ans de prison par un tribunal de Saint Domingue ? Ces pilotes français furent mis en détention le 19 mars dernier, car à bord de leur appareil Falcon-50 se trouvaient 26 valises contenant 700,4 kg de cocaïne.De fait, ce procès judiciaire à Saint Domingue a été baptisé comme “Procès Air Cocaïne”.Nos doutes sont ceux-ci : cette information diffusée par “Le Monde” de Paris serait-elle, comme celle de Reuters, “tendancieuse et manipulatrice” pour lier la France et des Français au trafic de drogue?Merci d´avance, Monsieur Morice.

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Venezuela: Mediamensonges et pertes de caps

Comme de coutume, le Venezuela continue à être calomnié par les médias d´opposition du pays et du monde entier qui alimentent une propagande contre le pays afin de faire croire à la communauté internationale que la terre de Bolivar, son libérateur, est administrée par un groupe de personnalités incompétentes. Ces affirmations publiées par certains médias d´opposition sont totalement fausses et nous pouvons affirmer que la communauté mondiale est l´objet d’une violence médiatique.

par Richard Moya,pour Investig´Action depuis Caracas

Pour comprendre cette violence médiatique, il est nécessaire d´analyser les moyens de domination utilisés par le pouvoir socioéconomique du capitalisme aux mains d’un groupe de magnats qui, par un système de monopoles, tente d´annexer les moyens de production et ne se préoccupe que de replacer ses bénéfices sans aucune considération sociale.

La guerre contre l´administration du président Nicolas Maduro n´est pas arrivée à ses fins, mais le peuple vénézuélien souffre de ses conséquences. Les capitalistes et les acteurs politiques d´opposition tentent d´obtenir le pouvoir au Venezuela parce qu’ils pourraient ainsi manipuler l´environnement social au bénéfice d´une minorité. Ces acteurs politiques, opposés au processus révolutionnaire, génèrent de nombreuses polémiques aux niveaux national et international contre la politique menée pour opérer des changements décisifs : changement de la constitution et caractère politique du pays, démocratie participative et socialisme. Sur le plan international, cette situation a heurté les vieux schémas de démocratie représentative qui se vivent dans d´autres nations.

Le Venezuela est actuellement sur la sellette et le pays a été mis en question, attaqué, et disqualifié parmi le monde politique international, surtout par les Etats-Unis et certains organismes multilatéraux établis dans d´autres pays, fondés pour accomplir une mission mais qui n’exercent plus qu’une fonction. Et maintenant,

beaucoup de ces organismes internationaux discréditent des gouvernements légitimement constitués. L´extorsion internationale a été une partie des pratiques de certains représentants de ces institutions telle la OEA, Organisation des Etats Américains, dont le secrétaire général est au service des intérêts des Etats-Unis et non des peuples sud-américains. Le Venezuela s´est donc trouvé face à la nécessité de créer de nouvelles organisations ayant une autorité inter territoriale latino-américaine afin de prévenir l’aggravation des conditions de vie des citoyens sud-américains.

P a r m i l a c r é a t i o n d e s n o u v e l l e s organisations, nous pouvons citer la UNASUR, l´Union des Nations Sud-américaines, laquelle assume le défi d´éliminer l´inégalité socioéconomique, de parvenir à l´inclusion sociale, d’augmenter la participation des citoyens, de fortifier la démocratie et de réduire les asymétries existantes tout en assurant sa souveraineté et son indépendance face aux Etats-Unis.

Bien que ses 21 objectifs spécifiques nous décrivent mieux sa mission et sa vision, un autre organisme créé pour fortifier l´économie ando-américaine est la CELAC, Communauté des Etats Latino-américains et des Caraïbes. Le principal objectif de cette organisation est l´intégration de l´économie latino-américaine qui actuellement vit une importante croissance due à son marché interne, à l´exportation de ses matières premières et à la fusion de ses biens et services.Il faut souligner que ces institutions ne souffrent d´aucun type de tutelles externes qui puissent orienter leurs lignes d´action comme cela est le cas par exemple de l’ONU, Organisation des Nations Unies. Relevons que son secrétaire général, Ban Ki-Moon, ferme actuellement les yeux et ne questionne ni ne signale au président des Etats-Unis Barack Obama les actes d´ingérences contre la Syrie. C’est le cas aussi de la OEA, dont l’ex secrétaire général José Miguel Insulsa et l’actuel secrétaire général Luis Almagro émettent des déclarations contre le Venezuela et d´autres nations latino-américaines, s’indignant de leur désir d’émancipation et de leur résistance à l’ingérence. Les représentants de la OEA formulent en effet des déclarations en faveur de l´ ingérence impérialiste, tout

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comme d´autres organisations internationales importantes comme l’OTAN, Organisation du Traité de l´Atlantique Nord, qui compte un long historique d´agressions militaires, invasions, crimes, coups d´Etats, appui au fascisme et autres interventions violant le droit international. Une autre organisation encore s´ajoute à c e t t e l i s t e : l ’ U E , U n i o n E u r o p é e n n e . La Chancelière allemande Angela Merkel, à l´unisson avec la directrice du FMI, Fonds Monétaire International, Christine Lagarde établissent les quotas de paiement aux nations européennes concernant des dettes externes impayables qui génèrent des revenus économiques uniquement aux arques du FMI pour de supposés sauvetages économiques des peuples espagnol, grec, portugais et autres de ce continent.Autre institution qui n´est pas en reste : la CIDH, Cour Interaméricaine des Droits Humains, qui soit dit au passage ne défend plus les droits humains comme le démontrent ses déclarations, notamment lors du “Caracazo” (révolte populaire à Caracas ayant fait plusieurs milliers de morts). La CIDH n´est pas intervenue non plus face au coup d´Etat du 11 avril 2002 et la DIDH et l’OEA acceptèrent la violation des droits humains au Venezuela lors de ces évènements.Et le Prix Nobel de la Paix a été attribué à Barack Obama qui bombarde des nations et augmente le volume de ses troupes en Afghanistan.Le gouvernement Obama traite l´Iran comme une menace à cause de son programme d´enrichissement d´uranium, mais n´exerce aucune pression sur d´autre n a t i o n s n u c l é a i r e s c o m m e l ´ I n d e , le Pakistan ou Israël. En même temps les Etats-Unis se présentent, grâce aux “médias d´information”, comme

le pays qui lutte pour les droits humains des autres nations, qui ne le leur ont rien demandé, laissant ces nations dans un chaos économique, social et politique, servant les intérêts de l´ empire états-unien.J´insiste et j’appuie le discours du Président Hugo Chavez à l’ONU le 20 septembre 2006 lorsqu´il déclara que “le système des Nation Unies qui est né à la suite de la deuxième Guerre Mondiale a fait faillite et ne sert plus (…) Le Venezuela propose que nous refondions les Nations Unies, refondions ces organismes qui ont perdu leur objectif de servir les peuples et non les intérêts de minorités”. Je partage l´idée que ces institutions doivent être refondées et reprendre l´ orientation pour laquelle elles furent créées. Il est urgent que l´ingérence de certaines nations soit à l´ordre du jour afin de démontrer que ces organismes multinationaux sont des écrans et ne sont en aucun cas au service des moins protégés pour résoudre leurs attentes.Définitivement, la pratique de la politique internationale a besoin d´une table ronde.

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Le 23 septembre dernier, un important accord a été conclu entre les FARC et le gouvernement colombien de Juan Manuel Santos, ce qui constitue une avancée positive vers la paix si attendue dans ce pays, après 60 années de conflit. Quels enjeux se présentent désormais et quelles étapes vont suivre dans ce chemin parsemé d'obstacles ? Un envoyé spécial d'Investig'Action est allé à la rencontre de la commandante Victoria Sandino, un des acteurs-clés de cet accord historique qui vient d'être conclu et dont les répercussions auront une portée indiscutable pour toute l'Amérique Latine.

Victoria Sandino - JulianCortés Julian Cortés: La fin du conflit semble proche, quelles sont vos impressions ?

La fin du conflit armé, qui s'est prolongé pendant plus de 60 ans, est en effet proche. Mais les conflits n‘en seront pas terminés pour autant car la paix ne fait que commencer à se construire. De très importantes luttes sociales vont très certainement suivre et la lutte sera longue. Mais nous souhaitons que la fin de la guerre, du conflit armé, arrive bientôt. Nous pensons que c'est possible si de larges couches de la société s'y engagent et s'il y a la volonté, en particulier la volonté politique de l'autre partie, de reconnaître qu'elle n'a pas pu vaincre un groupe insurrectionnel comme le nôtre pendant près de

60 ans. Ce sera également possible grâce au soutien du monde entier, de la communauté internationale, des organisations populaires et sociales, démocratiques et des gouvernements voulant soutenir le processus

J-C. De nombreux secteurs au sein de la gauche colombienne, telles que les organisations sociales, paysannes et d'étudiants, voient d'un œil méfiant ce qui peut arriver après les négociations à La Havane. Que leur répondriez-vous ?

V-S. Eh bien, que leur méfiance est valable, tout comme la préoccupation à propos de l'avenir qui nous attend en Colombie. Le résultat dépendra de l'effort et la participation de tout le monde. Autrement dit, le processus ne pourra avancer que s'il y a une volonté politique de la part du régime pour mettre en oeuvre les changements nécessaires en Colombie. Mais si la conception actuelle de la guerre - avec cette théorie de la «sécurité intérieure » qui menace tous ceux qui protestent - ne prend pas fin, alors le phénomène du paramilitarisme se poursuivra, de même que la persécution et la stigmatisation des mouvements sociaux. Ce dont nous avons besoin est justement d'en finir avec tous ces fléaux qui ont frappé la Colombie depuis plus de 50 ans. Donc, cette préoccupation est valable, mais il est nécessaire d’être présent, d'agir ensemble, de s’exprimer, et il est surtout indispensable qu'il y ait une réelle décision politique de la part des élites pour la mise en place de ces changements.

"L’accord de paix doit entraîner la disparition du paramilitarisme en Colombie"

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J-C. De nombreuses organisations sociales en Europe ont manifesté leur solidarité avec le processus colombien. Quel rôle, à votre avis, la communauté internationale pourrait-elle jouer dans le processus de paix avec les FARC ?

V-S. Mon premier message est un message de gratitude à toutes les organisations et personnes qui font un travail très important pour la paix en Colombie. Je leur dirais que leur travail doit continuer, que nous ne devons pas nous en arrêter là. Le plus important est de soutenir le processus jusqu'à ce que, je l'espère, on aboutisse à la signature d'un accord définitif. D'autre part, il s'agira de vérifier la mise en œuvre de ces accords ainsi que des garanties dont les Colombiens doivent disposer, et surtout de faire valoir les accords que notre organisation, qui sera déjà à ce moment-là devenue un mouvement politique, a négociés avec le gouvernement.Pour le dire plus précisément: il faut qu'il y ait des garanties politiques, comme celle du droit à la vie, pour pouvoir exercer la politique ouvertement, sans qu’il soit nécessaire d'avoir recours aux armes. C'est pourquoi le rôle de la communauté internationale va être fondamental, ainsi que sa participation directe, pour que nous puissions obtenir un espace démocratique dans lequel les accords prennent forme.

Et il est surtout nécessaire de changer complètement la vision qui prévaut aujourd'hui. La Colombie est devenu un pays stigmatisé, et les organisations sociales le sont

tout autant. Bien sûr parmi elles, nous, les Farc, qui nous sommes battues pendant plus de 50 ans, et avons été fortement stigmatisées. Nous avons été baptisées "organisations terroristes", nuisibles à la population ou au pays. Il faut dépasser ces clichés, nous devons nous faire connaître tels que nous sommes. A ce sujet, les échanges avec les personnes du monde entier peuvent être utiles, les différents groupes pourront nous rendre visite sur place, avec des équipes de travail qui vérifieront de près ce que nous aurons obtenu et poursuivront le travail.

J-C. Pensez-vous que la mise en œuvre de ces accords partiels soit faisable?

V-S. Oui, sans aucun doute. Les accords ne représentent pas une transformation majeure. C'est tout simplement le passage d'un pays en guerre, violent, en crise ... à un état différent. Toutes les propositions de changement du pays que nous, les FARC, avons soulevées sont des propositions qui ont été entendues dans d'autres pays plus développés. Comme les questions de la terre, des grands propriétaires, la participation politique accessible à la grande majorité de la société... c'est à dire, que les gens ne soient pas assassinés quand ils ont une opinion différente, quand ils sont dans l'opposition. Il est parfaitement possible d'ouvrir des espaces démocratiques.

Entretien réalisé à La Havane, Cuba, août 2015

Source: Investig'Action / El Turbion

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Oscar Lopez Rivera, le Mandela de Notre Amérique

"De nos jours, l’industrie carcérale est l’une des plus puissantes aux Etats-Unis. Elle rapporte de l’argent, c’est la seule chose qui compte." ( Oscar Lopez Rivera ) Par Alex Anfruns

Au début des années ’60, le mouvement pour les droits civiques mené par des Afro-américains avait réussi à imposer la question de l’égalité dans l’échiquier politique états-unien. C’est à Chicago, ville où les luttes sociales pour l’égalité sont très fortes, qu’Oscar Lopez Rivera (né le 6 janvier 1943) s’engage pendant sa jeunesse.

Mais le gouvernement états-unien allait trouver un débouché très opportun pour les masses de jeunes Latinos et Noirs prêts à se révolter contre un système injuste et un avenir sans dignité. La rage de ces jeunes allait être détournée lorsque ce système les envoya comme "chair à canon" à la guerre de Vietnam. Lopez Rivera fut l’un d’entre eux.

1968. Des milliers de jeunes de tous horizons rejoignaient cette fois le mouvement contre la guerre. La défaite des Etats-Unis fut double : sur le terrain et dans la conscience de toute une génération anti-guerre qui a enfin ouvert les yeux. C’est seulement à son retour que Lopez Rivera va comprendre qu’il a été, avec des milliers d’autres jeunes, un pion jetable de l’impérialisme. Il va développer une conscience anti-coloniale et devenir l’un des principaux leaders de la cause pour l’indépendance de Porto Rico.

La violence de la "plus grande démocratie du monde" va alors s’acharner contre ses propres citoyens. En 1981, lors de son arrestation et du procès qui lui a été intenté pour "conspiration séditieuse" et "appartenance

aux Forces Armées de Libération Nationale", Oscar Lopez Rivera choisit de ne pas se défendre. Il déclara être, avec ses camarades, un "prisonnier de guerre".

Aujourd’hui, à 72 ans, Oscar Lopez Rivera est le plus ancien détenu politique aux USA et du monde entier. Il croupit depuis 33 ans derrière les barreaux, dont 12 ans en isolement total et ce, pour avoir osé défendre le droit à l’auto-détermination des peuples.

Sous le gouvernement Obama, les Latinos et les Afro-américains sont toujours les victimes d’un racisme systémique. Ils sont surreprésentés dans la population carcérale et font l’objet de meurtres et massacres ciblés, comme à Charleston. Quant à Porto Rico, malgré son statut d’"Etat Libre Associé", ce pays subit les foudres néo-libérales néfastes du régime colonial de Washington et est devenu, selon The Economist, la "Grèce des Caraibes".

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Le Journal de Notre AmériqueN°7 Octobre 2015

Directeur de publication : Michel Collon Rédacteur en chef : Alex Anfruns

Rédacteur en chef adjoint : Tarik Bouafia

Traducteur(trices)s: Manuel Colinas, Muhammat Asa, Sarah Brasseur

Correctrices: Elisabeth Beague, Sarah Vergote

Photomontage, mise en page : Baf.f. !, Michèle Janss

----Diffusion gratuite----

INVESTIG' ACTION