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MERCREDI 8 JUILLET 2020 76 E ANNÉE– N O 23481 2,80 € – FRANCE MÉTROPOLITAINE WWW.LEMONDE.FR – FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO Algérie 220 DA, Allemagne 3,70 €, Andorre 3,50 €, Autriche 3,80 €, Belgique 3,10 €, Cameroun 2 400 F CFA, Canada 5,70 $ Can, Chypre 3,20 €, Côte d'Ivoire 2 400 F CFA, Danemark 36 KRD, Espagne 3,50 €, Gabon 2 400 F CFA, Grande-Bretagne 3,10 £, Grèce 3,50 €, Guadeloupe-Martinique 3,20 €, Guyane 3,50 €, Hongrie 1 330 HUF, Irlande 3,50 €, Italie 3,50 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 3,20 €, Malte 3,20 €, Maroc 22 DH, Pays-Bas 3,80 €, Portugal cont. 3,50 €, La Réunion 3,20 €, Sénégal 2 400 F CFA, Suisse 4,40 CHF, TOM Avion 500 XPF, Tunisie 4,10 DT, Afrique CFA autres 2 400 F CFA SCIENCE & MÉDECINE – 4 PAGES LES ÉTATS-UNIS VEULENT METTRE LA MAIN SUR LA LUNE LE REGARD DE PLANTU LA LIGNE DROITE DU GOUVERNEMENT Le gouvernement de Jean Castex, dont la com- position a été annoncée lundi 6 juillet au soir, comprend trente minis- tres et ministres délégués Proche de Nicolas Sarkozy et de Xavier Ber- trand, Gérald Darmanin hérite de l’intérieur, en remplacement de Christophe Castaner Issu également du parti Les Républicains, Bruno Le Maire est désormais seul aux commandes du mi- nistère de l’économie, des finances et de la relance Cette nouvelle équipe consacre l’évolution du macronisme vers la droite, à deux ans de l’élection présidentielle PAGES 8 À 14 Pologne Présidentielle : Duda courtise l’extrême droite en vue du second tour PAGE 2 Paris Le préfet de région délivre le permis de construire du projet gare du Nord PAGE 18 Disparition Les partitions incandescentes d’Ennio Morricone PAGES 26-27 L’énergéticien prévoit des coupes budgétaires massives, avoisinant 2,5 milliards d’euros, afin de compenser les pertes liées à la crise sanitaire PAGE 16 EDF « Mimosa », un plan drastique d’économies Avec « Tout simplement noir », le cinéaste inter- pelle avec humour le racisme et le communau- tarisme. Entretien PAGE 28 Cinéma Jean-Pascal Zadi : « Il y a autant d’identités noires que de Noirs » Gérald Darmanin, intérieur – Barbara Pompili, transition écologique – Eric Dupond-Moretti, justice. AFP - REUTERS - AFP Bruno Le Maire, économie, finances et relance Elisabeth Borne, travail, emploi et insertion Roselyne Bachelot, culture. REUTERS - AFP - AFP DÉCRYPTAGE Le point sur le gouvernement Castex : quelques surprises et une droite renforcée PAGE 8 PORTRAIT Eric Dupond-Moretti, l’« ogre » des assises à la justice PAGE 10 ÉCOLOGIE La tâche ardue de Barbara Pompili, chargée d’incarner le volontarisme vert au sein de l’exécutif PAGE 13 CULTURE Le retour inattendu de Roselyne Bachelot PAGE 14 CHRONIQUE Le remaniement dessine aussi un positionnement stratégique, qui se veut plus « populaire », pour 2022 PAGE 8 1 ÉDITORIAL LE MESSAGE RÉGALIEN DE MACRON PAGE 35 Design : Julien Bon • Réalisation : TROÏKA UN DÉLICIEUX VENT DE LIBERTÉ ! ★★★ PREMIÈRE ET SI LA VRAIE SURPRISE DE L'ÉTÉ C'ÉTAIT FELICITÀ ? FRANCE INFO UPLOADED BY "What's News" vk.com/wsnws TELEGRAM: t.me/whatsnws

Le Monde - 08 07 2020

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Page 1: Le Monde - 08 07 2020

MERCREDI 8 JUILLET 202076E ANNÉE– NO 23481

2,80 € – FRANCE MÉTROPOLITAINEWWW.LEMONDE.FR –

FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRYDIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO

Algérie 220 DA, Allemagne 3,70 €, Andorre 3,50 €, Autriche 3,80 €, Belgique 3,10 €, Cameroun 2 400 F CFA, Canada 5,70 $ Can, Chypre 3,20 €, Côte d'Ivoire 2 400 F CFA, Danemark 36 KRD, Espagne 3,50 €, Gabon 2 400 F CFA, Grande-Bretagne 3,10 £, Grèce 3,50 €, Guadeloupe-Martinique 3,20 €, Guyane 3,50 €, Hongrie 1 330 HUF, Irlande 3,50 €, Italie 3,50 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 3,20 €, Malte 3,20 €, Maroc 22 DH, Pays-Bas 3,80 €, Portugal cont. 3,50 €, La Réunion 3,20 €, Sénégal 2 400 F CFA, Suisse 4,40 CHF, TOM Avion 500 XPF, Tunisie 4,10 DT, Afrique CFA autres 2 400 F CFA

SCIENCE & MÉDECINE – 4 PAGES  LES ÉTATS­UNIS VEULENT METTRE LA MAIN SUR LA LUNE

LE REGARD DE PLANTU

LA LIGNE DROITE DU GOUVERNEMENT▶ Le gouvernement deJean Castex, dont la com­position a été annoncéelundi 6 juillet au soir,comprend trente minis­tres et ministres délégués

▶ Proche de NicolasSarkozy et de Xavier Ber­trand, Gérald Darmaninhérite de l’intérieur,en remplacement deChristophe Castaner

▶ Issu également du partiLes Républicains, Bruno LeMaire est désormais seulaux commandes du mi­nistère de l’économie, desfinances et de la relance

▶ Cette nouvelle équipeconsacre l’évolution dumacronisme vers la droite,à deux ans de l’électionprésidentiellePAGES 8 À 14

PolognePrésidentielle : Duda courtise l’extrême droite en vue du second tourPAGE 2

ParisLe préfet de région délivre le permis de construire du projet gare du NordPAGE 18

DisparitionLes partitions incandescentesd’Ennio MorriconePAGES 26-27

L’énergéticien prévoit des coupes budgétaires massives, avoisinant 2,5 milliards d’euros, afin de compenser les pertes liées à la crise sanitairePAGE 16

EDF« Mimosa », un plan drastique d’économies 

Avec « Tout simplement noir », le cinéaste inter­pelle avec humour le racisme et le communau­tarisme. EntretienPAGE 28

CinémaJean­Pascal Zadi : « Il y a autant d’identités noires que de Noirs » 

Gérald Darmanin, intérieur – Barbara Pompili, transition écologique – Eric Dupond­Moretti, justice. AFP - REUTERS - AFP

Bruno Le Maire, économie, finances et relance – Elisabeth Borne, travail, emploi et insertion – Roselyne Bachelot, culture. REUTERS - AFP - AFP

DÉCRYPTAGELe point sur le gouvernement Castex : quelques surprises et une droite renforcéePAGE 8

PORTRAITEric Dupond­Moretti, l’« ogre » des assises à la justicePAGE 10

ÉCOLOGIELa tâche ardue de Barbara Pompili, chargée d’incarnerle volontarisme vert au seinde l’exécutifPAGE 13

CULTURELe retour inattendu de Roselyne BachelotPAGE 14

CHRONIQUELe remaniement dessine aussi un positionnementstratégique, qui se veut plus « populaire », pour 2022PAGE 8

1 ÉDITORIALLE MESSAGE RÉGALIEN DE MACRONPAGE 35

Design

:JulienBon•Réalisation:T

ROÏK

A

UN DÉLICIEUX VENT DE LIBERTÉ !★★★

PREMIÈRE

ET SI LA VRAIE SURPRISE DE L'ÉTÉC'ÉTAIT FELICITÀ ?

FRANCE INFO

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Page 2: Le Monde - 08 07 2020

2 | INTERNATIONAL MERCREDI 8 JUILLET 20200123

En Pologne, Duda mise sur une ligne dureLe dirigeant ultraconservateur cherche à séduire les électeurs d’extrême droite avant le second tour du 12 juillet

varsovie ­ correspondance

A moins de cinq jours dusecond tour de l’élec­tion présidentielle du12 juillet, la campagne

électorale polonaise a pris un vi­rage à droite et s’est durcie, sur le fond comme sur la forme. Les deux adversaires, le président sor­tant Andrzej Duda, du parti natio­nal conservateur Droit et justice (PiS), et son rival libéral Rafal Tr­zaskowski (Plate­forme civique, PO), sont à quasi­égalité dans les intentions de vote. Parmi les indé­cis, les électeurs les plus convoités se révèlent être ceux du candidat d’extrême droite Krzysztof Bosak, qui a recueilli au premier tour 6,8 % des voix, soit 1,3 million d’électeurs, dont la mobilisation tranchera dans une large mesure le résultat du scrutin.

Le président Duda a ainsi multi­plié ces derniers jours les initiati­ves visant à mettre son adversairelibéral sur la défensive. Sa propo­sition phare de fin de campagne : inscrire dans la Constitution l’in­terdiction de l’adoption par lescouples homosexuels. « Je n’ac­cepterai jamais les expérimenta­tions sur nos enfants, commel’adoption par les couples de mêmesexe, de même que leur sexualisa­tion malsaine », déclarait­il le1er juillet. Le président a déposé of­ficiellement un projet de modifi­cation de la Constitution au Parle­ment, lundi 6 juillet, qu’il a justifiépar la « protection » des enfants qui ont le « droit d’être élevés dans des conditions normales ». Il a mis au défi ses opposants de centre droit de soutenir le projet.

Jeu d’équilibrismeRafal Trzaskowski, de son côté, qui en tant que maire de Varsovie a étéle premier élu local à signer, en fé­vrier 2019, une « charte LGBT+ » mettant en place des mesures an­tidiscriminatoires inédites en Po­logne, notamment dans les écoles,s’est vu obligé de répondre froide­ment : « Je ne connais aucun res­ponsable politique sérieux qui con­court à la présidence qui serait d’ac­cord avec le postulat de l’adoption »par des couples du même sexe. « Sur ce point, je suis d’accord avec le président. Même si je considère que c’est un sujet secondaire. »

Le candidat libéral s’est égale­ment attiré les foudres d’une par­tie de la gauche en déclarant qu’ilpourrait se rendre à la « marche de l’indépendance », une mani­festation organisée chaque an­née le 11 novembre par les mou­vements nationalistes. Beaucoupont estimé que dans ce jeud’équilibrisme, Rafal Trzas­

kowski avait davantage à perdredu côté des électeurs de gauchequ’à gagner du côté des électeursd’extrême droite, même si unepartie de ces derniers se retrouvedavantage dans le libéralismeéconomique de la Plate­forme ci­vique que dans l’étatisme du PiS.

Message répété à chaque débutde meeting, la « défense de la fa­mille traditionnelle » s’est ainsi re­trouvée, une fois de plus, au cœur de la campagne du président sor­tant. En référence aux campagnes antidiscriminatoires dans les éco­les de Varsovie, le président Duda arépété qu’il fera en sorte que tou­tes les associations ou ONG de­vront obtenir un accord des pa­rents « avant de rentrer dans les écoles » pour que « personne ne transmette aux enfants des idéolo­gies ennemies ou immorales ».

Les derniers jours de campagneont également été marqués par de virulentes attaques de l’équipe decampagne du président vis­à­vis des médias étrangers, particuliè­

rement allemands, accusés de prendre parti pour le candidat de l’opposition. Une vive controverse a entouré la révélation par la presse de la grâce présidentielle que M. Duda a accordée à un homme condamné pour des faits de pédocriminalité – une grâce ac­cordée des années après les faits, à la demande de la victime, concer­nant uniquement l’interdiction del’approcher, et après avis positif des tribunaux. L’équipe du prési­dent a dénoncé une « manipula­tion abjecte » de l’opposition.

Après que le tabloïd Fakt, pro­priété de l’entreprise de presse al­lemande Axel Springer, a multi­plié les « unes » peu nuancées sur cette affaire, le chef de campagnedu président Duda, Adam Bielan, est allé jusqu’à demander des ex­plications à l’ambassadeur alle­mand. Le président Duda n’a, quant à lui, pas mâché ses mots aucours de ses meetings : « C’est une manipulation par une propagandeallemande perfide, qui rappelle

celle d’il y a cent ans. Les Allemandsveulent choisir le président polo­nais, c’est odieux ! (…) C’est un exem­ple supplémentaire d’une attaque allemande dans cette élection, de cette campagne sale et sans merci tournée contre moi. »

« Repoloniser » les médias privésL’ONG Reporters sans frontières a demandé au président polonais deprésenter ses excuses au corres­pondant du journal allemand Die Welt, pris a partie personnelle­ment en plein meeting. L’ambas­sadrice américaine, Georgette Mosbacher, a pour sa part recadré publiquement l’ancienne porte­parole du PiS, Beata Mazurek, qui ainsinué que la chaîne privée TVN 24, propriété américaine, était liée aux anciens services de renseigne­ment communistes. « Nous de­vons nous interroger sur la situa­tion des médias en Pologne, a pour sa part commenté Zbigniew Zio­bro, le ministre de la justice et re­présentant de l’aile radicale de la

majorité. J’espère qu’après la cam­pagne présidentielle nous en tire­rons les conséquences. » Cette in­tervention a relancé les inquiétu­des sur la volonté annoncée du PiSde « repoloniser » et de « décon­centrer » les médias privés.

Pour le président sortant, un en­jeu majeur de cette fin de campa­gne est la mobilisation de l’électo­rat des séniors. Au premier tour, le 28 juin, leur participation électo­rale a chuté de 10 points par rap­port aux législatives de novem­

L’extrême droite fait monter les enchères sans consigne de voteArrivée quatrième au premier tour, l’alliance Konfederacja défend les « valeurs traditionnelles » d’une « Pologne chrétienne »

varsovie ­ envoyée spéciale

A ccroché sur un balcon,juste en face de ses fenê­tres, un drapeau arc­en­

ciel, symbole du mouvement LGBT, semble le narguer, mais, comme on le lui fait remarquer, Krzysztof Bosak choisit de s’en amuser. « Ah oui, c’est une associa­tion qui l’a fait exprès pour qu’on le voie lorsque l’on reçoit des télévi­sions étrangères ! », s’esclaffe­t­il.De fait, des journalistes venus des quatre coins du monde affluent ausixième étage de ce bâtiment his­torique, situé au cœur de Varsovie,où siège le candidat de Konfede­racja (« confédération »), l’extrême droite polonaise arrivée en qua­trième position au premier tour de l’élection présidentielle et, dé­

sormais, en mesure de peser pour le second tour, dimanche 12 juillet.

Le million de voix – 1,3 millionprécisément, soit 6,8 % des suf­frages – récoltées satisfait pleine­ment M. Bosak. « C’est peut­être lemeilleur score pour un candidat politiquement incorrect comme moi, ironise­t­il avec un large sou­rire. Il y a quelques années, nous aurions obtenu 1 %. » Cet homme tiré à quatre épingles qui, à 38 ans,en paraît dix de moins peut sur­tout se targuer d’avoir séduit prèsde 22 % des 18­29 ans. De quoi atti­ser les appétits, et faire monterles enchères sur son terrain fa­vori, les « valeurs traditionnelles » d’une « Pologne chrétienne ».

Fondée en 2018, Konfederacjaest une alliance entre trois forma­tions, composée de nationalistes

catholiques du Mouvement na­tional, dont est issu M. Bosak ; de libertariens conservateurs diri­gés par le sulfureux Janusz Korwin­Mikke, présent dans lepaysage depuis des années ; et detraditionalistes monarchistes ca­tholiques, pilotés par Grzegorz Braun, complotiste patenté.

Percée saisissante en 2019Moins d’un an après sa création,cette alliance envoyait à la Diète, l’Assemblée polonaise, onze dé­putés d’un coup, lors des élec­tions législatives d’octobre 2019. Une percée saisissante dans lamesure où le credo des « valeurs familiales et traditionnelles », sur fond d’homophobie et de dis­cours antimigrants sur lesquelss’appuie l’extrême droite polo­

naise, est déjà saturé par le parti ultraconservateur Droit et justice (PiS), au pouvoir depuis 2015.

« Le PiS se paye de mots, il n’y aque vous, les médias mainstream, pour les désigner “ultraconserva­teurs”, en réalité, ce serait plutôt unparti centriste, jamais ils ne chan­geront la Constitution pour inter­dire l’adoption par des couples ho­mosexuels », s’insurge M. Bosak. Elu député dans la vague d’il y a dix mois, ce dernier se définit plu­tôt « Marion Maréchal » que « Ma­rine Le Pen » – bien qu’il n’ait,dit­il, rencontré ni l’une nil’autre – et affirme « haïr l’Union européenne [UE] et l’establish­ment bruxellois qui veut faire pres­sion pour changer notre culture ». « Mais je suis aussi réaliste, com­plète­t­il, et si un “Polexit”, une

sortie de l’UE, est impossible, nous devons au moins sécuriser nos positions avec la Hongrie. »

Libéral sur le plan économiqueet viscéralement opposé à la poli­tique sociale du PiS, qu’il qualifie de « populiste », M. Bosak se garde bien de donner la moindre consi­gne de vote à ses électeurs pour le second tour, sachant que cela joueen faveur de l’extrême droite. Dans le bureau du patron deslibertariens, M. Korwin­Mikke, si­tué à quelques encablures et ta­pissé d’un mélange hétéroclite de portraits, qui vont de Ronald Rea­gan à Philippe Pétain, de Milton Friedman à Augusto Pinochet, Ju­lia Polakowska, 22 ans, et WojciechMachulski, 17 ans, approuvent.« Depuis deux semaines [date du premier tour de la présidentielle,

le 28 juin], nous sommes devenusfantastiques ! », se réjouissent­ils.

Farouchement hostiles à touteintervention de l’Etat dans le do­maine économique et social, de « l’argent gaspillé » d’après eux, oude l’éducation, ils prônent enchœur « la liberté », la disparition de tous les médias publics, le « res­pect de la famille » et la fin de « l’idéologie LGBT ». Et lorsqu’on rappelle la sortie, fort peu goûtée au Parlement de Strasbourg, en mars 2017, de leur chef de file, ex­député européen, selon lequel« les femmes seraient statistique­ment inférieures et moins intelli­gentes que les hommes », et de­vraient donc être « moins bien payées », Julia, une petite brune énergique, préfère en rire.

isabelle mandraud

Le président polonais, Andrzej Duda, lors d’un meeting à Starachowice, dans le sud de la Pologne, lundi 6 juillet. AGENCJA GAZETA/REUTERS

La « défensede la famille

traditionnelle »s’est retrouvée,

une fois de plus,au cœur de

la campagnedu président

bre 2019 – 55 % au lieu de 65 % –, une différence due aux craintes liées au Covid­19. Le premier mi­nistre, Mateusz Morawiecki, a multiplié les appels à la mobilisa­tion électorale, assurant qu’« il n’ya plus rien à craindre du coronavi­rus ». Le nombre de cas dépistés enPologne n’en reste pas moins sta­ble (environ 400 chaque jour).

En signant une « charte de la li­berté sur Internet », Andrzej Duda a également voulu faire un geste en direction de l’électorat jeune. Ledocument prévoit notamment le refus de signer la directive euro­péenne sur les droits d’auteurs ACTA 2, et met en place une pré­tendue « lutte contre la censure sur Internet », avec notamment la « transparence » des « filtres et des mécanismes de modération » sur les réseaux sociaux. C’est une re­vendication de longue date des milieux nationalistes polonais, qui s’estiment censurés par des plates­formes comme Facebook.

jakub iwaniuk

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Page 3: Le Monde - 08 07 2020

0123MERCREDI 8 JUILLET 2020 international | 3

Schäuble en défense de la « souveraineté » de l’UELe président du Parlement allemand invite à aller au­delà du plan de relance pour approfondir l’intégration

berlin ­ correspondance

L a pandémie de Covid­19restera sans doute dansl’histoire de l’Allemagnecomme un puissant accé­

lérateur de transformation. En quelques semaines, le pays qu’on jugeait hésitant, voire procédurierdans son rapport au projet euro­péen, a franchi des étapes consi­dérables. En témoigne le texte publié par Wolfgang Schäuble, fi­gure incontournable de la droite allemande, dans le quotidien Frankfurter Allgemeine Zeitung dulundi 6 juillet. Après le soutien d’Angela Merkel à un vaste plan derelance financé par une dettecommune aux Vingt­Sept, l’actuelprésident du Bundestag défendl’idée qu’il faut tirer les leçons de la crise sanitaire pour effectuerdes « progrès substantiels » dansl’intégration européenne.

Le texte est résolument politi­que et peut être lu comme une ré­ponse au discours de la Sorbonne prononcé par Emmanuel Macron à l’automne 2017, où il présentait lui­même ses idées pour renforcerl’Union. A l’époque, il n’avait reçu qu’un accueil distant. Chez Wolf­gang Schäuble, la crise sanitaire semble avoir révélé les faiblesses de l’Union européenne, mais aussi sa nécessité. « Il y a eu uneforte prise de conscience », analyse Claire Demesmay, experte des relations franco­allemandes au

Conseil allemand des relations étrangères (DGAP). « En 2017, l’ana­lyse d’Emmanuel Macron avait été vue comme trop abstraite. Les Alle­mands ne voyaient pas à quel dan­ger il fallait vraiment répondre. Maintenant, ils ont la preuve concrète qu’il faut avancer dans l’intégration. Wolfgang Schäuble est le porte­parole d’un mouve­ment assez profond, qui témoigne d’une nouvelle approche des ques­tions européennes en Allemagne. »

Coordination insuffisanteWolfgang Schäuble débute ainsi son texte en évoquant le choc qu’a constitué la fermeture des frontières intra­européennes, im­provisée sans concertation pourlutter contre la propagation du vi­rus. Pour celui qui est depuis 1972 député d’Offenburg, à quelqueskilomètres de Strasbourg, l’expé­rience a agi comme un révéla­teur : « Il est devenu évident quenous n’apprécions les choses que lorsqu’elles nous manquent : lesfrontières ouvertes ! »

Le Covid­19 a montré l’insuffi­sance de la coordination des Etats européens, déplore­t­il. Il a aussi mis en évidence la fragilité de l’Eu­rope, sa dépendance des fournis­seurs lointains pour les biens de première nécessité comme les masques. « L’Union européenne doit mieux se préparer afin que, dans les crises, elle soit plus résis­tante et plus souveraine », écrit­il. Il

s’agit de renforcer son « autono­mie stratégique », en repensant les chaînes d’approvisionnement de ces biens essentiels.

La « communauté de destin » de­venue concrète et évidente à la fa­veur de la crise, M. Schäuble consi­dère qu’il est temps de développerune « dynamique permettant à l’Europe de s’affirmer, dans la con­currence mondiale, par ses propres forces ». De façon inattendue pour un représentant du camp conser­vateur­libéral, il juge indispensa­ble d’« examiner tout notre modèleéconomique de façon critique et de corriger les excès de la mondialisa­tion, là où ils ont participé aux conséquences dramatiques de la pandémie ». Dans les efforts de re­lance économique, l’ancien mi­nistre des finances, intraitable lorsdu naufrage de la Grèce voici dix ans, appelle à « porter une atten­tion particulière à leur viabilité so­ciale et écologique à long terme ».

Ce « modèle européen », attachéà la liberté, à la justice sociale, à

l’Etat de droit, aux droits de l’homme, au développement du­rable, doit être défendu face au« totalitarisme » chinois, souli­gne­t­il. La menace chinoise, en­core diffuse il y a quelques annéeschez les responsables politiques allemands, est désormais bien identifiée et constitue un élé­ment essentiel pour comprendre l’évolution actuelle. Elle justifie le besoin « urgent » de réformer l’Europe, qui doit « retrouver une capacité d’action globale ».

Sur le plan de la défense, face audésengagement croissant des Etats­Unis, M. Schäuble estime que l’Europe doit, « bien plusqu’elle ne l’avait fait jusqu’à pré­sent, prendre ses responsabilités dans le monde et pour sa propre sécurité ». Sur le plan de l’unionmonétaire, il appelle à « avoir le courage qui a manqué en 2010pour renforcer enfin la zone euro ».Son idée est de profiter du « fondseuropéen de reconstruction » – le plan de relance de 750 milliards

d’euros qui doit financer les pays et les secteurs les plus touchés parl’épidémie de Covid­19 – pourfaire de l’union monétaire une « union économique ».

C’est là qu’il adresse des criti­ques au projet actuellement envi­sagé par la Commission : il s’agit moins de débattre des modalités de financement de ce fonds, esti­me­t­il, que des projets concretsqu’il devra financer. « A cet égard, la proposition actuelle de laCommission me semble ne pas

aller assez loin », écrit­il. Pour M. Schäuble, il manque une ré­flexion commune sur la façon d’organiser les investissements afin qu’ils servent à une transfor­mation en profondeur vers une« souveraineté européenne » en matière économique, technologi­que et énergétique. Au passage, il se dit même favorable à la créa­tion de « ressources propres » au bénéfice de l’UE, comme une taxesur les transactions financières ou sur les géants du numérique. Une percée soutenue par le prési­dent Macron, mais rejetée à ce stade par Angela Merkel.

Il estime enfin que cette trans­formation doit se faire « en coopé­ration avec les voisins immé­diats », ce qui implique de se doterd’« un droit d’asile européen », qu’il considère comme néces­saire pour défendre la sécurité et la stabilité européenne, mais aussi sa « crédibilité en tant quecommunauté de valeurs ».

cécile boutelet

L’Europe doit « prendre ses

responsabilitésdans le monde

et pour sa propresécurité »

WOLFGANG SCHÄUBLEprésident du Bundestag

L’intellectuel Xu Zhangrun arrêté à PékinFigure de l’opposition chinoise, l’universitaire était déjà privé du droit d’enseigner

pékin ­ correspondant

X u Zhangrun, un des der­niers universitaires àoser critiquer Xi Jinping,

aurait été arrêté lundi 6 juillet, à son domicile pékinois. Une ving­taine de policiers auraient pris part à l’opération, selon des pro­ches qui ont donné l’alerte.

Professeur de droit de la presti­gieuse université de Tsinghua, à Pékin, Xu Zhangrun avait fait sen­sation en publiant, en juillet 2018,un texte littéraire critiquant la ré­forme de la Constitution adoptée quatre mois plus tôt et suppri­mant la limite de deux mandats pour un président chinois. « Je m’interroge : assistons­nous à lafin de l’ère des réformes et del’ouverture, et à un retour vers un régime totalitaire ? », écrivait­il.

Long, complexe, truffé de réfé­rences, ce texte était tout sauf un manifeste destiné à un large pu­blic. Néanmoins, il avait rencon­tré un très large écho dans la com­munauté intellectuelle. Il a valu à Xu Zhangrun, né en 1962, d’être privé du droit d’enseigner, à la fin de mars 2019, alors que l’univer­sité lançait une enquête discipli­naire à son encontre. Entre­temps, cet indomptable avait pu­blié une dizaine de textes.

Parmi ses demandes, Xu Zhan­grun manifestait également « l’es­poir » de voir « réhabiliter le 4 juin[1989] ». Officiellement, le re­cours à l’armée fut nécessaire pour mater une « rébellioncontre­révolutionnaire ». Son sou­hait, évidemment, ne pouvait qu’aggraver son cas auprès desautorités. En avril 2019, des cen­taines de personnes, dont troiscents universitaires (en fonctionou retraités) et étudiants de l’uni­versité de Tsinghua (dans le nord­est du pays), avaient signé une pé­tition demandant la réhabilita­tion de l’intellectuel.

Le 28 avril 2019, alors que l’uni­versité célébrait son 108e anni­versaire, les amis de Xu Zhangrunavaient organisé une petite céré­monie de soutien. « Nous sommestous des Xu Zhangrun », avaientdéclaré les participants.

« Noyau pourri »Le 4 février, en pleine épidémie deCovid­19, Xu Zhangrun a de nou­veau publié en ligne un long texte intitulé « Alerte au virus : quand lafureur est plus forte que la peur », une nouvelle critique acerbe et passionnée du pouvoir commu­niste. « L’épidémie due au corona­virus a révélé le noyau pourri de la gouvernance en Chine », écrivait­il.

Il ne se faisait guère d’illusionsur son sort : « Il est maintenant facile de prévoir que je vais faire l’objet de nouvelles sanctions. En fait, cela pourrait bien être le der­nier texte que j’écris », notait­il en conclusion de son article. Selon le quotidien britannique The Guar­dian du 16 février, Xu Zhangrun,après la publication de cet article, a été placé en résidence surveillée et privé, pour un temps, de tout moyen de communication avecl’extérieur. En juin, il aurait publiéun article dénonçant « l’esthétiquefasciste » du pouvoir. Le 30 juin, selon ses amis, il lui aurait été in­terdit de quitter son domicile.

En deux ans, cet austère profes­seur est devenu un symbole. « Au moins, ils n’ont pas arrêté Xu Zhan­grun », disait­on, parfois, dans les milieux intellectuels. En s’en pre­nant à cet enseignant de la plus prestigieuse université du pays – celle dont est diplômé le prési­dent, Xi Jinping –, le pouvoir en­voie un message à l’ensemble des universitaires. Alors que le Parti est entré dans sa centième année d’existence, l’heure est moins quejamais à la tolérance envers les voix dissidentes.

frédéric lemaître

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Page 4: Le Monde - 08 07 2020

4 | international MERCREDI 8 JUILLET 20200123

Une explosion sur un site iranien attribuée à IsraëlTéhéran semble vouloir éviter une escalade qui obligerait les Européens à se rallier à la position américaine

jérusalem ­ correspondant

L’ explosion qui a eu lieu,jeudi 2 juillet, sur un sitedu complexe nucléaireiranien de Natanz appa­

raît de plus en plus clairement comme un acte délibéré, auquel Israël pourrait avoir contribué. Unofficiel d’un service de renseigne­ment au Proche­Orient a affirmé,dimanche, au New York Times, sous le couvert de l’anonymat, que l’Etat hébreu était responsablede cette attaque, qui a causé une puissante explosion dont on ignore encore l’origine exacte. Cette déclaration a suscité des cri­tiques d’un ancien ministre de la défense israélien, Avigdor Lieber­man, qui l’attribuait, sans le nom­mer explicitement, au patron du Mossad, Yossi Cohen. M. Lieber­man estimait que cet officiel de­vait être réduit au silence.

Suivant la politique israéliennequi consiste à ne pas nier ni con­firmer officiellement de telles in­formations, le ministre des affai­res étrangères, Gabi Ashkenazi, s’est contenté de souligner, di­manche, qu’Israël avait pour ob­jectif d’empêcher l’Iran de déve­lopper une arme nucléaire, préci­sant qu’Israël menait pour cela des « actions qu’il vaut mieux taire ». Les autorités du pays ont par ailleurs annoncé, lundi 6 juillet, avoir mis en orbite un nouveau satellite espion, capable d’améliorer leur observation des activités nucléaires iraniennes.

Série récente d’incidentsTéhéran a pour sa part confirmé,dimanche, que les installations de Natanz, où sont assemblées ettestées des centrifugeuses avan­cées, utilisées pour la productiond’uranium enrichi, avaient été endommagées par l’incident, et que leur développement en se­rait ralenti. Dès vendredi, lesautorités iraniennes avaient an­noncé avoir achevé leur enquêteet connaître l’origine de l’inci­dent, tout en se refusant à la di­vulguer pour l’heure, pour des« raisons de sécurité ». Ce mé­lange de transparence et de pré­caution est notable, alors quel’opinion iranienne s’interrogesur une série récente d’incidentsdans des infrastructures d’Etat, dont deux sur des sites liés auxprogrammes nucléaire et balisti­que iraniens.

En Israël, on l’explique par la réti­cence de Téhéran à s’engager dans une escalade militaire. « Les Ira­niens font face à un dilemme : ils nevoulaient pas d’escalade avant les élections américaines » prévues en novembre, selon Amos Yadlin, an­cien chef du renseignement mili­taire israélien. Cet attentisme a même pu contribuer à motiver l’attaque présumée de jeudi. Car vu de Tel­Aviv, l’Iran se trouve en partie immobilisé par une crise économique sans précédent, sous l’effet des sanctions américaines et de l’épidémie de Covid­19, et craint de provoquer la force mili­taire américaine en période préé­lectorale. Cette faiblesse présuméeouvre donc une fenêtre d’opportu­nité de quelques mois, que le quo­tidien Yediot Ahronoth compare, lundi, à celle dont Israël a profité récemment pour frapper des ci­bles iraniennes en Syrie.

« Leur objectif final est de faire le­ver les sanctions, pas l’escalademilitaire », rappelle aussi Sima Shine, ancienne directrice de la division recherche et évaluationdu Mossad, et responsable de l’Iran à l’Institute for National Se­curity Studies. « Mais il est difficiled’imaginer qu’ils ne répondentpas, par crainte de faire preuve de faiblesse (…). Ils pourraient estimerqu’une cyberattaque contre Israëlet les Etats­Unis ne risquerait pas de dégénérer en confrontation mi­litaire. Reste à savoir si cela peutfonctionner : leur dernière tenta­tive [menée en avril], contre le sys­tème d’alimentation en eau israé­lien, avait été un échec. »

Jeudi, à la suite de l’incident deNatanz, l’agence de presse offi­cielle de la République islamique,l’IRNA, avait publié un texte met­tant en garde les adversaires amé­ricain et israélien de Téhéran et évoquant « le franchissement deligne rouge » et la nécessité de re­penser une stratégie iranienne

qui serait restée jusqu’ici pru­dente dans ses ripostes. Pourtant,la retenue semble toujours préva­loir à Téhéran. « On ne peut pasdonner des prétextes aux Etats­Unis en réagissant de manière ir­réfléchie, même si c’est un coupdur. La vengeance est un plat qui doit se manger très, très froid », re­lève un connaisseur des affaires diplomatiques iraniennes.

Offensive diplomatiqueL’administration Trump, dont la politique de pression maximale contre l’Iran n’a pas donné de ré­sultat probant, est de fait engagée dans une nouvelle offensive diplo­matique de grande ampleur con­tre Téhéran. Washington fait cam­pagne au Conseil de sécurité des Nations unies pour que l’embargo sur les armes contre l’Iran, qui ar­rive à échéance en octobre, soit prolongé, et menace de déclen­cher cet été le retour intégral des sanctions onusiennes contre la

République islamique. Cette dé­marche est dénoncée par les autres Etats, notamment euro­péens, qui siègent au Conseil de sécurité. Isolés, les Etats­Unis pourraient donc tirer parti d’une éventuelle riposte iranienne, qui obligerait les Européens à se rallierà contrecœur à leur position. L’exécutif iranien semble, à ce stade, vouloir éviter un tel scéna­rio, en privilégiant la prudence.

Les activités menées sur le sitede Natanz n’avaient pas de quoi rendre urgente une action de l’Etathébreu, motivée par la crainte de voir l’Iran se doter à court terme de l’arme nucléaire. Selon les pré­visions du renseignement mili­taire israélien, le risque nucléaireiranien demeure en effet mesuré, depuis la reprise par Téhéran d’une activité d’enrichissement accrue en 2019. Le site touché jeudiest par ailleurs ouvert aux inspec­tions de l’Agence internationale del’énergie atomique, qui y avait do­

cumenté des tests de centrifugeu­ses avancées au mois de mai.

L’incident de jeudi est suscepti­ble de plonger désormais cette partie du programme nucléaire iranien dans l’opacité. « En matièrede prolifération, ce genre de situa­tion peut avoir des conséquences négatives, relève David Albright, président de l’Institute for Science and International Security, uncentre de recherche de Washing­ton. Téhéran pourrait vouloir re­construire des installations d’une nature similaire à celles qui ont été détruites jeudi, mais de manière clandestine. » Dans sa déclaration de dimanche, Behrouz Kamal­vandi, le porte­parole de l’Organi­sation de l’énergie atomique d’Iran, a indiqué qu’une « discus­sion » était en cours sur l’emplace­ment d’un futur site, qu’il a pro­mis « plus grand et mieux équipé » que le précédent.

louis imbertet allan kaval (à paris)

Un expert reconnu du djihadisme assassiné en IrakLa mort d’Hicham Al­Hachémi, critique des milices chiites pro­iraniennes, ravive la peur des meurtres politiques

D ans son dernier Tweet,Hicham Al­Hachémi dé­nonçait, une fois en­

core, inlassablement, la respon­sabilité des partis confession­nels et religieux dans les divi­sions de la société irakienne.

Une heure plus tard, lundi6 juillet au soir, un flot de messa­ges émus et consternés a sub­mergé le réseau social à l’annoncede sa mort. L’expert du djiha­disme, et père de famille de 47 ans,a été abattu par balles par des hommes armés devant son domi­cile à Bagdad. L’attaque n’a pas étérevendiquée, mais beaucoup yvoient la main des milices chiites pro­iraniennes, qui l’avaient me­nacé pour ses prises de position. Tous redoutent une vague d’as­sassinats politiques destinée à faire taire leurs détracteurs.

Le premier ministre, MustafaAl­Kadhimi, a dit « promettre auxauteurs de les retrouver ». « Nous ne permettrons pas le retour desassassinats sur la scène irakienne(…) et nous allons déployer tousles efforts possibles pour placer

les armes sous l’autorité de l’Etat,pour qu’aucune force ne s’érigecontre l’Etat de droit », a­t­il as­suré dans un communiqué.

Membre du groupe d’expertsIraq Advisory Council, HichamAl­Hachémi évoluait dans le cer­cle proche du nouveau chef du gouvernement − aussi chef du renseignement depuis 2016 − ainsi que du président BarhamSaleh. Ce dernier a dénoncé un« crime abject qui cible tout Ira­kien et son droit à une vie libre etdigne ». De nombreuses chancel­leries, des Nations unies à l’Unioneuropéenne et à l’Iran, ont aussiadressé leurs condoléances.

Chercheur passionnéNatif de Bagdad et fin connaisseurdes groupes djihadistes − d’Al­Qaida à l’organisation Etat islami­que (EI) −, Hicham Al­Hachémi s’est imposé comme un spécialisteincontournable de cette mou­vance pendant la guerre contre l’EI(2014­2017). Il était consulté par tous les médias internationaux pour son expertise, qu’il parta­

geait avec générosité et simplicité. Chercheur passionné et bourreau de travail, il écrivait pour de nom­breux centres de recherche comme Chatham House, à Lon­dres, et le Center for Global Policy, à Washington, et il intervenait dans des médiations de réconci­liation entre communautés déchi­rées par la guerre en Irak. A la fin de la bataille contre l’EI, il avait étendu son champ d’analyse à la politique irakienne et aux activi­tés des factions armées chiites pro­Iran, dont il dénonçait la mainmise sur l’Etat.

Ces critiques lui avaient valu, enseptembre 2019, d’être menacé demort, avec treize autres person­

nalités irakiennes, par des grou­pes en ligne pro­Iran, les accusantd’être des « collaborateurs », des« traîtres à la patrie », « pro­Israël »et « pro­Américains ».

Déjà la cible de menaces de l’EI,Hicham Al­Hachémi n’avait pasvoulu renforcer sa sécurité nitaire ses critiques, en dépit de menaces réitérées.

En octobre 2019, il avait épouséentièrement les revendicationsdu mouvement de contestation contre le pouvoir. A la télévision et sur les réseaux sociaux, il dé­nonçait la confessionnalisationdu système politique, la corrup­tion et la mainmise de l’Iran sur Bagdad. Il n’hésitait pas à pointer le rôle des milices chiites pro­ira­niennes et des autorités dans larépression des manifestations, qui ont fait au moins 600 morts.

« Ils n’ont pas pu supporter tescritiques, ta brillante analyse, toncourage à révéler leurs écueils », atweeté l’analyste Farhad Alaal­din, président de l’Iraq AdvisoryCouncil. Pour beaucoup, la mort d’Hicham Al­Hachémi est un

sombre présage, un douloureux rappel de la vague d’assassinatspolitiques qui avait secoué lepays durant la guerre civile(2006­2009), tant du fait des mi­lices que des djihadistes. Sa mortintervient après une série d’as­sassinats de militants et de jour­nalistes liés aux manifestationsd’octobre 2019, que les observa­teurs imputent aux milices chii­tes pro­iraniennes.

Elle survient surtout en pleinbras de fer entre le premier mi­nistre et les milices pro­Téhéran.Déterminé à imposer l’autoritéde l’Etat aux factions armées quimultiplient les attaques contredes intérêts américains, M. Kad­himi se heurte pour l’heure à unmur. Pour éviter une confronta­tion ouverte, le chef du gouver­nement a dû concéder la libéra­tion de membres des Brigades duHezbollah, quelques jours aprèsleur arrestation le 26 juin par lecontre­terrorisme, au motifqu’ils préparaient une nouvelleattaque.

hélène sallon

Le complexe nucléaire iranien de Natanz, endommagé après une explosion, le 2 juillet. AP

L’incident de jeudi est susceptible de plonger

une partie du programme

nucléaire iraniendans l’opacité

LE CONTEXTE

UN « INCIDENT » MYSTÉRIEUXLes autorités iraniennes avaient d’abord évoqué un « incident » à la portée mineure, après l’an-nonce d’un incendie sur un site nucléaire du complexe de Na-tanz, le 2 juillet. Depuis lors, des fuites ont commencé à pointer vers une opération délibérée menée par Israël. Les autorités iraniennes se refusent à préciserl’origine du sinistre, pour des « raisons de sécurité », tandis que Washington poursuit son offensive diplomatique contre Téhéran.

HONGKONGLoi sur la sécurité : l’exécutif exige le retrait de livres scolairesLe gouvernement de Hong­kong a ordonné lundi 6 juillet aux écoles de retirer les livres qui pourraient vio­ler la loi sur la sécurité natio­nale imposée la semaine dernière par Pékin. Les direc­teurs d’école et les ensei­gnants « doivent examiner le matériel pédagogique, y com­pris les livres » et les « retirer s’ils y trouvent des contenus périmés ou pouvant s’appa­renter aux quatre types d’in­fractions » définies par la loi. Le chef de la diplomatie américaine, Mike Pompeo, a dénoncé un acte « orwellien » de « censure ». – (AFP.)

AUSTRALIEMelbourne à nouveau confinéePlus de 5 millions de personnes ont reçu, mardi 7 juillet, l’ordre de rester confi­nées pendant au moins six semaines à Melbourne, la deuxième ville d’Australie, à la suite d’une flambée des cas de Covid­19. La limite qui sépare les Etats de Victoria et de Nou­velle­Galles du Sud est fermée depuis lundi soir. – (AFP.)

HichamAl-Hachémi dénonçait

la corruption etla mainmise de

l’Iran sur Bagdad

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Page 5: Le Monde - 08 07 2020

0123MERCREDI 8 JUILLET 2020 international | 5

Au Rwanda, la longue traque des génocidairesPlus de 1 000 suspects sont encore recherchés, vingt­six ans après l’assassinat de 800 000 Tutsi

kigali ­ correspondance

L es dossiers colorés, mar­qués « confidentiel », sontempilés du sol jusqu’auplafond. « Chacun de ces

classeurs correspond à un suspect de génocide et contient un acte d’accusation et un mandat d’arrêt international », explique le pro­cureur John Bosco Siboyintore. « Depuis la création de cette unitéen 2007, nous en avons émis 1 144, envoyés à 33 pays différents », ex­plique­t­il, en faisant visiter lesbureaux de l’Unité rwandaise detraque des fugitifs suspectés de crime de génocide (GFTU).

Situés dans trois pavillons duquartier de Nyarutarama à Ki­gali, les locaux de la GFTU sontdiscrets, presque anonymes. Seul un poster à l’entrée, avec lesphotographies des principauxsuspects du génocide des Tutsiencore en fuite, trahit les activi­tés de cette équipe de vingt­troisprocureurs et d’enquêteurs pascomme les autres. Leur mission :rédiger des actes d’accusation contre les fugitifs suspectésd’avoir participé aux massacresqui, en 1994, ont coûté la vie à plus de 800 000 personnes ; en­voyer des mandats d’arrêt dansles pays où ils vivent ; enfin, es­pérer qu’ils soient jugés sur placeou extradés vers le Rwanda.

Course contre la montreAlors que le pays s’apprête àaccueillir une enquête de l’ONUpour préparer le procès dufinancier présumé du génocide,Félicien Kabuga, arrêté près de Paris le 16 mai, la GFTU traquesans relâche les ultimes fuyards.Ceux qui n’ont pas été jugés parle Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), chargé de poursuivre les idéologues desmassacres et les ministres du gouvernement génocidaire de 1994 à 2015. Ceux, également,qui ont échappé à la justice rendue au Rwanda par les tribu­naux traditionnels populairesgacaca de 2005 à 2012.

« Le principal problème, c’estque ces fugitifs changent réguliè­rement d’adresse et de nom. Ilsdisent qu’ils ne sont pas rwan­dais, ils se font passer pour morts,

ou alors ils sont protégés par lestatut de réfugié », déplore JohnBosco Siboyintore, à la tête de la GFTU depuis 2011.

La plupart des suspects identi­fiés par l’unité se trouvent ac­tuellement en République démo­cratique du Congo, en Ougandaet au Malawi. La France occupe lapremière position pour les paysoccidentaux, ayant reçu quaran­te­sept mandats d’arrêt rwan­dais. Trois de ces accusés sontpassés devant la justice française.Aucun n’a été extradé.

Pour les enquêteurs de la GFTU,la bataille commence sur leterrain. En se fondant sur unelongue liste de « suspects de première classe » établie par le bureau du procureur général,ainsi que sur des plaintesdéposées directement à l’unité,

ils sillonnent le Rwanda à la re­cherche de témoins à charge et àdécharge, retournent sur les scè­nes de crime, interrogent des pri­sonniers. Vingt­six ans après,c’est une véritable course contrela montre pour tenter de recons­tituer les faits.

« Le grand défi, aujourd’hui,c’est que les témoins ont un âgeavancé, à tel point qu’ils ont dumal à se souvenir », note YvesNdizeye, le chef du service d’en­quête à la GFTU. Pour trouver destémoignages, l’équipe s’appuieprincipalement sur les anciensjuges des tribunaux populairesgacaca, qui avaient été choisis parmi la population en fonctionde leur intégrité. Une fois que lespreuves contre un suspect sont suffisantes, et qu’il a été localisé,les procureurs entament la ré­

daction d’un acte d’accusation etd’un mandat d’arrêt.

Commence ensuite la longueroute vers une éventuelle extradi­tion. « Pour le Rwanda, juger lesgénocidaires sur son propre sol a toujours été une priorité. Les resca­pés sont ici, les témoins sont ici. Pourquoi les envoyer témoigner dans un autre pays alors que lesprocès peuvent avoir lieu ici et êtresuivis par les premiers concer­nés ? », s’interroge Sam Rugege, juge en chef de 2011 à 2019.

Ce retraité aux yeux vifs et à lavoix fluette a été un acteur in­contournable des réformes de lajustice rwandaise. Le pays a misen place un système de protec­tion des témoins en 2006, abolila peine de mort l’année sui­vante, puis créé une chambrespéciale pour les crimes interna­

tionaux. De quoi rassurer lajustice internationale qui, jus­que­là, doutait de la capacité destribunaux rwandais à garantirdes procès équitables.

Longue bataille juridiqueEn 2012, le TPIR, basé à Arusha enTanzanie, transfère ainsi unpremier accusé à Kigali. JeanUwikindi, ancien pasteur ar­rêté en Ouganda, sera condamnéà la prison à vie. SuivrontBernard Munyagishari en 2013,puis, en 2016, Ladislas Ntagan­zwa, accusé d’avoir personnelle­ment dirigé un groupe qui a tuéplus de 20 000 Tutsi.

Aujourd’hui, le Mécanismeinternational appelé à exercer lesfonctions résiduelles des tribu­naux pénaux (IRMCT), qui a pris le relais du TPIR, garde seule­

ment compétence pour l’affaireFélicien Kabuga, ainsi que pour l’affaire Protais Mpiranya, ex­commandant de la garde prési­dentielle toujours en fuite. Lesdossiers des six derniers accusésdu TPIR ont été transférés à lajustice rwandaise.

Reste que, sur les 1 144 mandatsd’arrêt envoyés par l’unité dansdes dizaines de pays, seuls vingt­quatre accusés ont été renvoyés au Rwanda, souvent au terme d’une longue bataille juridique. Vingt­trois autres ont été jugésdans leurs pays d’accueil. « Il reste encore des centaines de suspects du génocide des Tutsi dans despays qui ont les moyens de les ju­ger et qui disent protéger les droitsde l’homme. Je pense que ces pays ne donnent pas assez d’impor­tance aux vies perdues ainsi qu’aux crimes qui ont été com­mis », s’indigne Sam Rugege.

Après la fermeture du Méca­nisme international appelé àexercer les fonctions résiduellesdes tribunaux pénaux, dansquelques années, Kigali devra compter sur la seule coopérationdes Etats dans lesquels les sus­pects se trouvent. Une gageure, selon Serge Brammertz, pro­cureur en chef de l’IRMCT : « C’estdéjà difficile pour une institutioninternationale comme la nôtre,un tribunal des Nations unies, d’obtenir une coopération de lapart de certains Etats. J’imagineque, pour un Etat­nation, c’estencore plus difficile. »

laure broulard

Dialogue de sourds entre l’Union européenne et la TurquieJosep Borrell, en visite à Ankara, et les dirigeants turcs ont divergé au sujet de la situation en Méditerranée orientale et en Libye

bruxelles ­ bureau européenistanbul ­ correspondance

L e chef de la diplomatieeuropéenne, Josep Borrell,était venu à Ankara, lundi

6 juillet, pour, selon ses mots, « prendre la température » de la Turquie en amont d’une réunion des ministres des affaires étran­gères des Vingt­Sept au cours de laquelle pourraient être adoptées,lundi 13 juillet, de nouvelles sanc­tions contre le pays du président Recep Tayyip Erdogan. Et les sour­cils du haut représentant ont dûroussir au fil de ses rencontres dans la fournaise du plateau ana­tolien. Si le ministre turc des affai­res étrangères, Mevlüt Cavusoglu,s’est montré très courtois lors d’une conférence de presse com­mune, il ne lui a, en effet, épargnéaucune récrimination.

Sur la question migratoire,d’abord, le ministre a, une fois en­core, accusé le bloc européen de nepas respecter ses promesses. « Tout attendre de la Turquie pen­dant que l’Union européenne [UE] ne s’acquitte pas de ses obligations ne résout pas le problème mais l’ag­grave. C’est pourquoi il faut mettre en œuvre les assurances données à

la Turquie », a­t­il affirmé. « La mo­dernisation de l’accord d’union douanière est importante. La libé­ralisation des visas est une pro­messe de l’UE. Que ça vous plaise ou non, vous devez l’appliquer. »

Sur ce dossier, la Turquie dis­pose d’un levier puissant vis­à­visdes Européens : celui des 3,6 mil­lions de réfugiés syriens présents sur son territoire, auxquels s’ajou­tent des centaines de milliers de migrants d’origines diverses, en route vers l’Europe. Le chef de la diplomatie turque a aussi déploré l’éviction de la Turquie des listes européennes des pays dits « sûrs »au regard de la pandémie de Co­vid­19, qui risque de torpiller la saison touristique dans son pays.

« Sérieux problèmes »Toutefois, c’est sur la question du partage des richesses en hydro­carbures de la Méditerranéeorientale – Ankara y a lancé desforages dans des espaces considé­rés par l’UE comme relevant de la zone économique maritime ex­clusive de Chypre – et sur le diffé­rend entre la Turquie et la France sur la question libyenne que lechef de la diplomatie turque s’est montré le plus véhément.

« Certains pays de l’UE soutien­nent [le maréchal Khalifa] Haftar,un putschiste sans légitimité. LaFrance, très clairement. Elle le soutient, lui fournit des armes.Comme elle perd du terrain,elle devient plus agressive et re­porte son aigreur sur la Turquie »,a commenté le ministre, dontle pays soutient avec détermina­tion la faction adverse, le gouver­nement d’accord national (GAN)de Faïez Sarraj.

M. Cavusoglu est également re­venu sur l’affaire de la frégate fran­çaise Courbet, qui, en juin, a été empêchée par des navires de guerre turcs de contrôler un cargo soupçonné de faire de la contre­bande d’armes pour le compte de la Turquie, à destination de la Libye. Paris avait accusé la marine turque d’avoir, par trois fois, me­nacé d’ouvrir le feu sur le Courbet. « La France doit présenter des excu­ses claires et nettes à la Turquie. Elledoit aussi s’excuser auprès de l’UE et de l’OTAN pour les avoir induits en erreur », a martelé le ministre.

Sur les forages en Méditerranéeorientale, il a affirmé que la Tur­quie était « prête au dialogue et à la coopération », mais qu’« un par­tage des revenus doit être mis en

place » entre la République de Chypre, membre de l’UE et seuleentité reconnue internationale­ment, et la République turque de Chypre du Nord, autoproclaméeet reconnue par la seule Turquie. « Il n’est pas question ici d’un ac­cord bilatéral. Il peut s’agir d’unmécanisme de l’UE », a­t­il précisé.

Evoquant d’éventuelles nouvel­les sanctions contre son pays– pour lesquelles a plaidé le minis­tre français des affaires étrangè­res, Jean­Yves Le Drian –, il a af­firmé que son pays entendait montrer « toute la bonne volonténécessaire » mais serait, le cas échéant, « obligé de riposter ».

En réponse, M. Borrell a prôné,avec flegme, le dialogue. A Bruxel­les, son entourage avait eu soin de

« La France doit présenter

des excuses claires et nettes

à la Turquie »MEVLÜT CAVUSOGLU

ministre turc des affaires étrangères

Dans les bureaux de l’Unité rwandaise de traque des fugitifs suspectés de crime de génocide, à Kigali, le 22 mai. SIMON WOHLFAHRT/AFP

« Le grand défi,aujourd’hui, c’estque les témoins

ont un âge avancé, à tel pointqu’ils ont du mal

à se souvenir »YVES NDIZEYE

chef du service d’enquête

préciser, avant son voyage, que la Turquie restait « un candidat à l’adhésion à l’UE et un allié au sein de l’OTAN ». Lundi, le haut repré­sentait a indiqué : « La situation actuelle est loin d’être idéale. Il y a de sérieux problèmes et nous de­vons nous en occuper immédiate­ment. » Il poursuivait : « La Médi­terranée orientale est une zone­clépour l’UE. Et, pour pouvoir pro­gresser, il faut restaurer la con­fiance. Il ne peut pas y avoir d’ap­proche unilatérale. »

Plus tard, lors d’un débriefingavec la presse étrangère, l’ancienministre espagnol a admis la pro­fondeur du fossé séparant actuel­lement les Vingt­Sept de la Tur­quie. « Il est apparu clairement,pour les deux parties, qu’il y avait de forts désaccords, en particulier sur la question des forages, sur la situation en Méditerranée orien­tale, et des inquiétudes profondes de la part de la Grèce et de Chypre, que l’UE comprend et soutient. »

S’il estimait, avant ses entre­vues, qu’il s’agissait de tracer des« propositions de solutions » et detrouver « une nouvelle approche » pour les divers contentieux entre Ankara et Bruxelles, il sera appa­remment reparti sans avoir beau­

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coup progressé. En mars déjà M. Borrell s’était rendu à Ankara, avec le président du Conseil euro­péen, Charles Michel, pour affron­ter les récriminations de M. Erdo­gan. En réponse aux critiques sur l’initiative turque visant à encou­rager les migrants à se rendre en Grèce, le président avait déploré l’absence de soutien des Vingt­Sept à son offensive en Syrie et ré­clamé une libéralisation des visas pour ses concitoyens. Une me­sure toujours impossible à envisa­ger, selon Bruxelles, pour des rai­sons juridiques et pratiques.

Une semaine plus tard, le prési­dent turc effectuait une visite éclair à Bruxelles pour exiger la le­vée de barrières commerciales etexiger une refonte de l’accord mi­gratoire signé en mars 2016. A cesquestions non résolues se sontajoutées celles de la Libye et des tensions de plus en vives qui rè­gnent, au sein de l’OTAN, entre la Turquie et une partie du campeuropéen. « La question, aujour­d’hui, c’est : combien de temps toutcela pourra­t­il encore tenir ? »,s’interrogeait, lundi soir, un di­plomate européen.

jean­pierre stroobantset jean­françois chapelle

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Page 6: Le Monde - 08 07 2020

6 | PLANÈTE MERCREDI 8 JUILLET 20200123

Au Japon, des inondations sur fond de virusLa nécessité de prévenir les contaminations complique les secours après la catastrophe, qui a fait 49 morts

tokyo ­ correspondance

C’ est une épreuve quise superpose à uneautre. Les fortespluies tombées sur

la région japonaise du Kyushu(sud­ouest), qui ont déjà causé lamort de quarante­neuf person­nes, s’ajoutent aux craintes depropagation du SARS­CoV­2, quia contaminé 20 000 personnes et entraîné près de 1 000 décèsdans l’Archipel.

La menace contraint les autori­tés à prendre des mesures de pré­vention, tout en protégeant lespopulations des inondations etdes glissements de terrain, qui sepoursuivent.

Mardi 7 juillet, le ministère duterritoire et des transports a dûse résoudre à ouvrir le barrage deShimouke, dans le départementd’Oita (Kyushu), avec le risque defaire monter un peu plus le ni­veau des eaux en aval. De quoi in­quiéter, dans une région dure­ment touchée depuis le 3 juillet.

Le premier ministre, ShinzoAbe, a demandé le passage deszones sinistrées sous le statut de« catastrophe naturelle » dans lesmeilleurs délais, « pour une re­construction rapide ». Il avaitauparavant ordonné le déploie­ment de 40 000 policiers, pom­piers et membres des Forces ja­ponaises d’autodéfense, dans larégion sinistrée.

Séparations en cartonPlus de 500 millimètres de préci­pitations sont tombés en troisjours sur de larges zones duKyushu et la pluie pourrait, selonl’agence de météorologie (JMA),durer jusque dans la matinée du 8 juillet. La JMA maintient son ni­veau 5 – le plus élevé – d’alerte spéciale aux fortes précipita­tions dans certaines zones du nord du Kyushu. Elle a émis unniveau d’alerte élevée sur unelarge partie de l’archipel, le frontpluvieux se dirigeant vers leNord­Est. « Nous voulons que les habitants des zones soumises auxalertes spéciales prennent immé­diatement des mesures pour as­surer leur sécurité », a déclaré Yoshihisa Nakamoto, responsa­ble des prévisions de la JMA.

Sur le terrain, les autorités ontrecommandé à 1,22 million depersonnes d’évacuer. Elles lefont, avec la contrainte supplé­mentaire d’éviter la propagation du coronavirus. Un peu plus de1 000 cas de Covid­19 ont été dé­tectés dans le Kyushu.

Dans les centres d’évacuation, leplus souvent des gymnases, les autorités prennent la températurede chaque personne et ont amé­nagé l’espace pour maintenir la distanciation physique. « Un cen­tre peut accueillir normalement soixante évacués. Pour respecter lesdistances, nous limitons la capacitéà trente et demandons à certains dese rendre dans un autre refuge », a déclaré à l’agence de presse Kyodo Toshihiko Nakamura, responsable des pompiers de Minamata, dans le département de Kumamoto.

La mairie d’Amakusa, égalementà Kumamoto, demande aux dépla­cés de se désinfecter les mains et de vérifier leur température cor­porelle. Une personne en quaran­taine ayant dû évacuer a été orien­tée vers un centre équipé de com­partiments individuels. Dans le département voisin de Ka­goshima, les autorités veillent à bien ventiler la centaine de cen­tres ouverts. Le gouvernement a expédié des séparations en carton et des thermomètres sans contact.

La menace de contaminationdissuade certains habitants de se rendre dans les centres d’évacua­tion. Certains restent dans leur voiture. La ville de Kagoshima avait mené, en juin, une campa­gne pour inciter les habitants, en cas de catastrophe, à se réfugier prioritairement chez des parents ou des amis, afin de réduire le ris­que d’infection dans les centres.

Typhons de plus en plus violentsCette catastrophe sur fond d’épi­démie a un impact économique. Le ryokan (auberge traditionnelle) Yoshino de la ville d’Hitoyoshi, inauguré en 1934 et dont les bâti­ments sont classés, a été ravagé par la montée des eaux. Il avait rouvert en juin, après trois mois defermeture en raison de la crise sa­nitaire. « Il faudra au moins un an pour tout reconstruire », se désole le directeur, Yoshihiro Taguchi.

Le Covid­19 représente un défisupplémentaire dans un pays où se multiplient les catastrophes na­turelles liées au climat. « Le nom­

bre annuel d’inondations et de tem­pêtes extrêmes au Japon est le dou­ble de celui du pays “moyen”. Les événements météorologiques ex­trêmes ont été plus fréquents ces dernières années et, avec l’accumu­lation de dioxyde de carbone dans l’atmosphère, les inondations et les tempêtes pourraient doubler en treize ans », explique Vinod Tho­mas, ancien vice­président de la Banque mondiale et coauteur d’une étude sur les effets des émis­sions de CO2 sur les catastrophes hydrométéorologiques, parue, en janvier 2020, dans le Climate, Di­saster and Development Journal.

« Les pluies torrentielles obser­vées sont traditionnellement pro­voquées par le front stationnaire Baiu, qui amène de l’humidité selonun flux nord­est sur l’Asie de l’Est, dont le Japon, depuis la moussonindienne. Ce front se forme chaqueannée en juin­juillet dans le sud duJapon. Il provoque de fortes pluies et des glissements de terrain », ex­plique Jonathan Belles, météoro­logue du site Weather.com.

Or, le niveau d’humidité am­biant pourrait être supérieur à la­moyenne, comme il le fut en 2018et 2019, ce qui expliqueraitl’abondance des pluies. La catas­trophe actuelle du Kyushu coïn­cide avec le deuxième anniver­saire des inondations ayant fait296 morts dans les départementsd’Hiroshima et d’Okayama (ouest).Les 4 300 personnes qui avaient

La pollution aux microplastiques affecte aussi les terresLa présence généralisée de particules pourrait modifier le fonctionnement des sols, des végétaux et de l’atmosphère

D epuis plusieurs années,l’impact de la pollutionaux plastiques dans les

océans est largement étudié. Maisles effets sur les écosystèmes ter­restres sont encore méconnus.

Pourtant on sait aujourd’huique le plastique se retrouve sur la totalité du globe. Début juin, des scientifiques américains ontdécouvert que l’équivalent de120 millions de bouteilles en plas­tique se déversait chaque année sur les parcs nationaux des Etats­Unis par l’intermédiaire des eaux de pluie. Quelques semaines plus tard, une autre étude américaine faisait état de la pollution aux microplastiques en Antarctique,pourtant un des endroits les plus reculés de la planète.

Des scientifiques allemands del’Institut de biologie de Berlin ont voulu connaître les effets de cette

pollution sur la terre ferme. « Onne sait pas grand­chose sur ce sujet,explique Matthias Rillig, cher­cheur à l’institut et auteur de l’étude, parue le 26 juin dans Science. La recherche sur le milieu terrestre a environ dix ans de retardsur [celle concernant] les océans. »

« Cette étude est très intéres­sante, confirme Jean­François Ghiglione, directeur de recherche

CNRS à l’Observatoire d’océano­graphie microbienne de Banyuls­sur­Mer (Pyrénées­Orientales), qui n’a pas participé aux recher­ches, car c’est la première fois quedes travaux donnent l’état desconnaissances sur les microplasti­ques en milieu terrestre. »

Et les résultats sont alarmants :des sols aux animaux, en passant par les plantes, toutes les strates des écosystèmes terrestres sont touchées. « Nous avons par exem­ple observé que les particules de plastique, en particulier les fibres,peuvent induire des changementsdans la structure des sols, expliqueMatthias Rillig. Alors que cette structure est justement une carac­téristique­clé du sol qui influence de nombreux paramètres. »

Mais l’étude montre une choseétonnante : à certaines plantes, la présence de microplastiques

pourrait être favorable. Certains végétaux voient en effet leur croissance s’accélérer en présencede polymères, probablement parce que leurs racines rencon­trent moins de résistance dans lesol, selon les auteurs de l’étude.

Le cycle de l’eau est transformé« Cependant, nuance MatthiasRillig, même si certains effets peu­vent être positifs pour certains végétaux, comme la croissanceaccélérée, cela signifie toujoursque d’autres plantes en pâtiront. Ainsi, s’il y a des changements dans la composition des commu­nautés végétales, et que certaines plantes se développent mieux, çasera toujours aux dépens desautres. » De plus, de nombreux effets négatifs pourraient contre­balancer les effets positifs. Parexemple, selon l’étude, les addi­

tifs contenus dans les plastiquesdiminueraient la résistance desplantes à certaines maladies.

Mais, plus étonnant encore, leplastique pourrait avoir des effets sur la quantité de gaz à effet de serre présents dans l’atmosphère. « Beaucoup de bactéries se dévelop­pent sur les microplastiques quand ils sont dans le sol, explique M. Ghi­glione. Certaines vont consommer de l’oxygène et rejeter du dioxyde de carbone, pour d’autre ce sera l’inverse. De la même manière elles vont avoir une incidence sur le cyclede l’azote. Ce que dit cette étude, c’est que ces bactéries ont un effet qu’on ne peut plus considérer comme négligeable dans les cycles des gaz et dans les sols. »

Ainsi, la présence de plastiquepourrait, dans certains cas, avoir des conséquences sur l’agricul­ture. « Certaines bactéries présen­

tes sur les polymères vont capter des engrais, en consommant del’azote par exemple, poursuit le chercheur, donc les champs agri­coles pourraient nécessiter un trai­tement différent selon la densitéde microplastiques dans les sols. »

« Le problème, c’est que le plasti­que modifie les milieux à tous les niveaux possibles », note M. Rillig. Selon l’étude, les films plastiqueet les fibres peuvent par exemple altérer l’écoulement de l’eau dans les sols et l’évapotranspirationdes plantes. Le cycle de l’eau, le bi­lan énergétique des écosystèmes et même les taux d’érosion sont transformés par la simple pré­sence de ce matériau. « Nous par­lons d’une immense diversité de conséquences en matière de chi­mie, de physique, de biologie », relève l’auteur de l’étude.

clémentine thiberge

Des personnes réfugiées dans le gymnase de Yatsushiro, dansla régionde Kyushu, lundi 6 juillet.CHARLY TRIBALLEAU/AFP

« Un centre peutnormalement

accueillir 60 évacués.

Pour respecterles distances, nous limitons

la capacité à 30 »TOSHIHIKO NAKAMURA

responsable des pompiers de Minamata

perdu leur maison vivent encore dans des logements provisoires.En juillet 2019, de fortes pluiesavaient déjà conduit les autorités à recommander l’évacuation deplus de 1 million de personnesdans le Kyushu.

En parallèle, l’Archipel subit destyphons de plus en plus violents, comme Hagibis, en octobre 2019. Dans le Pacifique, sous l’influence du réchauffement climatique, ces phénomènes se forment plus au nord, révélait, en 2019, la Société américaine de météorologie, qui constatait une « migration vers le pôle de la latitude de l’intensité maximum [des typhons] dans le nord­ouest du Pacifique », ce qui pourrait « influencer l’exposition aux dangers causés par les ty­phons ». Les régions jusque­là moins exposées, tels le centre et le nord du Japon, devraient l’être da­vantage pendant la saison des ty­phons, entre juillet et octobre. Cette année, ce sont aussi les zonesles plus touchées par le Covid­19.

philippe mesmer

Les additifs contenus dans les plastiques

diminueraient la résistance des plantes à

certaines maladies

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Page 7: Le Monde - 08 07 2020

0123MERCREDI 8 JUILLET 2020 planète | 7

Devant les députés, la « positive attitude » de HirschLe directeur de l’AP­HP et son homologue du CHU de Strasbourg ont souligné leur réactivité et éludé les difficultés

P endant plusieurs se­maines, ils ont été enpremière ligne dans lalutte contre la pandé­

mie de Covid­19. Du jour au len­demain, pour ainsi dire, ils ont dû réorganiser leurs hôpitaux, li­bérer des lits de réanimation, dé­nicher des respirateurs, récupé­rer les masques et les surblousesqui leur faisaient défaut.

Et pourtant, lundi 6 juillet, de­vant les députés de la commis­sion d’enquête chargée de faire la lumière sur ce qui s’est passé cesdernières semaines, Martin Hirsch, directeur de l’Assistancepublique­Hôpitaux de Paris (AP­HP), et Christophe Gautier, directeur général du CHU de Strasbourg, ont préféré mettre enlumière leur « mobilisation » etleur « réactivité » plutôt que leséventuels dysfonctionnements.

A la demande du rapporteurEric Ciotti, Martin Hirsch a com­mencé par revenir sur le taux de mortalité des patients atteints de

Covid­19 dans les services de réa­nimation de l’AP­HP. Citant deuxsources de données différentes, il l’a estimé entre 25 % et 35 %, et non 43 % comme l’avait affirméDidier Raoult. L’infectiologue marseillais avait dit devant la même commission le 24 juin : « La mortalité dans les réanima­tions [de l’AP­HP] (…) est de 43 %.Chez nous, elle est de 16 % », en s’appuyant sur un rapport de la cellule de crise de l’AP­HP daté du 14 avril. Martin Hirsch a confirmél’authenticité de ce documentmais souligné qu’il était obsolète.

Pas de rupture des stocks« Personne ne peut donner aujourd’hui le taux de mortalité définitif pour une bonne raison :nous avons encore des patients quisont en réanimation et que nousespérons sauver », a observéMartin Hirsch, en précisant qu’une étude − Covid ICU − était en cours pour comparer les taux de mortalité en fonction de diffé­

rents critères comme l’âge des pa­tients. « Quand vous avez peu de patients en charge, vous pouvezmettre des patients plus légers en réanimation, alors que, quand vous avez beaucoup de patients à prendre en charge, vous faites ensorte que ce soit les patients gravesqui aient accès aux réanimations, ce qui a une influence sur le taux demortalité », a­t­il rappelé.

Interrogé sur les critères d’hospi­talisation, M. Hirsch a fait savoir qu’aucun « tri » n’avait été effectué parmi les patients. Un constat par­tagé par son homologue de Stras­bourg : « Tous les critères qui ont présidé à l’admission en réanima­tion pendant la crise étaient identi­ques à ceux qui existaient avant la crise », a assuré M. Gautier.

Le directeur de l’hôpital deStrasbourg a défendu les évacua­tions sanitaires, insistant sur le fait qu’elles avaient précisément permis d’offrir à tous les patientsles « meilleures techniques de réanimation » lorsque la capacité

maximale des hôpitaux avait été atteinte dans l’est du pays.

Christophe Gautier est aussi re­venu sur la question des pénuriesde masques. Admettant des « ten­sions », il a toutefois déclaré qu’iln’y avait « pas eu de rupture » dansles hôpitaux grâce aux livraisonsissues du stock national.

Selon les chiffres communiquésaux députés, l’hôpital disposait d’un stock de 125 000 masques chirurgicaux − soit environ trente jours de consommation −, avec un déclenchement de com­mande dès que le niveau attei­gnait vingt jours. « Ce qui n’étaitpas prévisible, évidemment, c’estla rupture de la filière d’approvi­sionnement », a­t­il insisté.

« Il y a eu des périodes difficilesoù nous avions des incertitudes surcombien de temps nous pourrions tenir », a, pour sa part, témoigné Martin Hirsch, qui a indiqué avoir1,2 million de masques chirurgi­caux en stock et 1,8 million en commande au début de la crise

pour une consommation quoti­dienne qui a atteint 170 000 uni­tés au printemps (contre 37 000 l’an passé). Préférant, malgré les questions des députés, ne pas s’avancer sur les origines de cette pénurie, il a simplement confié son regret de ne pas avoir pu don­ner de masques aux soignants quise déplaçaient en métro.

Il a aussi raconté avoir « appeléla Terre entière » pour essayer de mettre la main sur des surblousesavant de se résoudre à recom­mander l’utilisation de « sacs en

plastique redécoupés ». « Cette pé­riode a été particulièrement incon­fortable pour nos personnels », a souligné le patron de l’AP­HP.

Un peu décontenancés par lediscours très mesuré des deux di­recteurs, plusieurs députés se sont interrogés. « On a du mal àidentifier finalement où étaient vos difficultés », a ainsi avoué BorisVallaud (PS, Landes), revenant à la charge sur la question des stocksstratégiques d’Etat. « Est­ce qu’ils ont fait défaut ? Faut­il reconsti­tuer des stocks de FFP2 ? Est­ce que,vous­même, vous devez avoir des stocks plus importants ? », a­t­il de­mandé, sans obtenir de réponse.

« J’ai un peu eu l’impressionquand même, dans la présentation des choses, d’une forme de “posi­tive attitude”, a, quant à lui, re­gretté Pierre Dharréville (PCF, Bou­ches­du­Rhône). Est­ce que vous n’avez pas été en colère à la place oùvous êtes, face à la situation dans laquelle vous vous êtes trouvé ? »

chloé hecketsweiler

Martin Hirsch a fait savoir

qu’aucun « tri »n’avait été

effectué parmi lespatients atteints

de Covid-19

Coronavirus : l’immunité croisée remise en causeL’infection par des coronavirus saisonniersne protégerait pas les enfants du Covid­19

L es infections par des coro­navirus saisonniers, fré­quentes et responsables de

rhumes hivernaux, peuvent­elles contribuer à protéger contre leSARS­CoV­2 ? A cette question ré­currente d’une immunité croisée,une étude française sur une po­pulation de 775 enfants répond par la négative. Les résultats de ce travail PED­Covid, mené par Isa­belle Sermet­Gaudelus (Inserm,Assistance publique­Hôpitaux de Paris) et Marc Eloit (Institut Pas­teur), ont été prépubliés, le30 juin, sur le site MedRxiv.

Au fil de la pandémie, il est ap­paru que les jeunes semblaient moins touchés que les adultes, et présentaient surtout moins de formes graves de l’infection, d’où l’hypothèse d’une protection croi­sée, conférée par les quatre coro­navirus saisonniers, auxquelschacun est exposé dès la petite en­fance. Une étude américaine, pu­bliée par la revue Cell, a récem­ment apporté des arguments en faveur de cette immunité croisée, en montrant que 50 % des person­nes qui n’ont pas été exposées auSARS­CoV­2 ont des lymphocytes T4 reconnaissant ce virus.

Les chercheurs français ontabordé la question sous l’angle de la protection conférée par une in­fection préalable par les coronavi­rus saisonniers, détectée par la présence de leurs anticorps. Ils ontconstitué une cohorte de 775 en­fants âgés de 0 à 18 ans, consultantou étant hospitalisés dans des hô­pitaux franciliens entre le 1er avril et le 1er juin, pour un autre motif qu’un Covid­19. L’étude transver­sale a aussi inclus trente­six jeunespatients avec un syndrome in­flammatoire multisystémique, un tableau apparenté à la maladie de Kawasaki pouvant être associée à l’infection au Sars­CoV­2. Dans cette population, les chercheurs ont recherché des anticorps contrece nouveau virus et contre les qua­tre coronavirus saisonniers.

Résultat, 10 % à 15 % des enfantsavaient une sérologie positive au SARS­CoV­2. C’est un taux compa­rable à celui observé récemment par l’équipe de Robert Cohen, dansune étude sur 600 jeunes Franci­liens suivis par un pédiatre libéral. Comme dans d’autres séries pédiatriques, l’infection a été

souvent peu bruyante, voire inap­parente : près de 70 % de ces jeunesn’avaient jamais eu de symptômesévocateurs. Dans plus de la moitié des cas, les chercheurs ont mis en évidence des anticorps dits « neu­tralisants » : « Cela signifie qu’ils neutralisent le virus en laboratoire, mais, en termes cliniques, on ne saitpas quelle concentration permet deprévenir une nouvelle infection », précise la professeure Sermet­Gaudelus, pédiatre à l’hôpital Nec­ker et première autrice de l’étude.

Questions en suspensLa principale nouveauté de ce tra­vail tient surtout dans la démons­tration de l’absence d’immunité croisée entre coronavirus. Des an­ticorps contre les quatre corona­virus saisonniers ont été retrou­vés chez 70 % à 100 % de ces en­fants, de manière similaire entreles jeunes séronégatifs ou séropo­sitifs au SARS­CoV­2, quelle quesoit l’intensité des symptômes. Cerésultat suggère que les infec­tions par les coronavirus saison­niers ne confèrent pas de protec­tion contre le nouveau coronavi­rus ni ne facilitent l’infection.

Un constat qui n’étonne pasM. Eloit. « Les immunités croisées protectrices entre virus d’espèces différentes, même d’une même fa­mille, sont exceptionnelles, souli­gne le virologue. Si le nouveau co­ronavirus se comporte comme les coronavirus saisonniers, qui circu­lent malgré le très haut niveau d’immunité populationnelle mon­tré dans l’étude, cette observation interroge sur la capacité de la po­pulation à atteindre un niveaud’immunité suffisant pour empê­cher la réapparition régulière de lamaladie. » En d’autres termes, le SARS­CoV­2 pourrait bien s’instal­ler durablement dans le paysage…

Bien des questions restent ensuspens : à défaut d’immunitécroisée, quel niveau de protectionconfère une première infection par ce virus et combien de temps ?« Nous aurons des éléments de ré­ponse avec les études de cohorte, etdes essais vaccinaux chez les pri­mates », répond M. Eloit. La co­horte d’enfants franciliens va êtresuivie pour mesurer l’évolution dans le temps des anticorps et de l’immunité cellulaire.

sandrine cabut

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8 | FRANCE MERCREDI 8 JUILLET 20200123

Deux « stars » et un coup de barre à droite

I l avait promis de se « réin­venter », de promouvoir « denouveaux visages » et dedonner une coloration plus

sociale et écologique à la fin de son quinquennat. Mais, finale­ment, Emmanuel Macron n’a pasdécidé de renverser la table.Après avoir affirmé à plusieursreprises qu’il ne changerait pas lefond de sa politique, puis avoirnommé Jean Castex à Matignon,un homme du centre droit,comme Edouard Philippe, lacomposition du gouvernement,présentée lundi 6 juillet, ressem­ble elle aussi à une forme de changement dans la continuité.

Alors que de « nombreuses sur­prises » étaient annoncées, la nou­velle équipe − composée de trente ministres et ministres délégués et un secrétaire d’Etat porte­pa­role du gouvernement − enregis­tre peu de nouvelles prises. Lors d’une rencontre avec les parle­mentaires de la majorité, lundi soir, le nouveau premier ministre a lui­même reconnu qu’il n’y avait « pas de gros changements ».

Les principales surprises sontl’arrivée de l’ex­ministre de la santé Roselyne Bachelot à la cul­ture et de l’avocat médiatique et souvent en conflit avec la magis­trature Eric Dupond­Moretti à lajustice. Deux figures connues dugrand public, destinées à donnerdu clinquant à l’exécutif, parfois jugé trop terne, trop « techno ».« Dupond­Moretti, c’est le choix paillettes du président », concèdeun intime du chef de l’Etat.

Autre enseignement : la pro­motion de Gérald Darmanin àl’intérieur, en remplacement deChristophe Castaner, qui avaitperdu la confiance des forces de

l’ordre. Un choix qui confirme laplace de premier plan occupéepar le maire de Tourcoing (Nord)au sein de la Macronie, après avoir réussi un sans­faute aubudget et avoir été réélu au pre­mier tour des municipales. « Dar­manin a donné des gages. Il est loyal vis­à­vis du président et mé­ritait cette promotion », justifieun conseiller du chef de l’Etat. Unchoix qui étonne néanmoins ausein de la majorité, où l’on souli­gne que ce transfuge de la droitereste proche de Nicolas Sarkozyet de Xavier Bertrand, un poten­tiel rival de M. Macron pour laprésidentielle de 2022.

Grands équilibres inchangésParmi les huit entrants figurentégalement la députée La Républi­que en marche (LRM) de laSomme, Barbara Pompili, qui de­vient ministre de la transition écologique et gagne le logement.L’ex­secrétaire d’Etat sous Fran­çois Hollande aura la lourde res­ponsabilité d’incarner le volon­tarisme vert de M. Macron, aprèsle départ de Nicolas Huloten 2018 et le passage jugé trop ef­facé de sa prédécesseure, Elisa­beth Borne, qui avait succédé à François de Rugy. Le député (ex­LRM) de Maine­et­Loire Mat­thieu Orphelin, proche de Nico­las Hulot, l’exhorte à « tenir bon pour traduire sans filtre les146 engagements de la conven­tion citoyenne et pour gagner de beaux arbitrages budgétaires ».

Au­delà de ces nouveautés, lesgrands équilibres restent inchan­gés. Neuf ministres conserventleur portefeuille, parfois avec desajustements. Parmi les poids lourds, Bruno Le Maire garde

Bercy, en élargissant son périmè­tre (économie, finances) à la re­lance. Pas de mouvement nonplus pour Jean­Yves Le Drian (Quai d’Orsay), Florence Parly (défense), Olivier Véran (solidari­tés et santé) ou encore Jean­Mi­chel Blanquer (éducation, jeu­nesse et sports). Pour le reste, ce remaniement consiste essentiel­lement en des changements deportefeuille. Julien Denorman­die prend ainsi l’agriculture, lais­sant le logement à EmmanuelleWargon. Autre exemple : Sébas­tien Lecornu passe des collectivi­tés territoriales à l’outre­mer.

Une absence de nouveautés quipeut s’expliquer par la volonté d’avoir des ministres capables« d’entrer en action tout de suite »,comme l’a souhaité M. Castex, la

veille. « Ce gouvernement affiche une forme de normalisation, il ressemble davantage à la France,il est très hétérogène, très compo­site », vante l’Elysée. Mais ce nou­vel exécutif fait aussi tiquer au sein de la Macronie. « Ce n’est qu’un jeu de chaises musicales.Pas sûr qu’on soit en train de seréinventer juste avec Bachelot et Dupond­Moretti », peste un cadrede LRM.

L’aile gauche de la majorité s’in­terroge notamment sur le poidspris par les ministres venus de ladroite. Roselyne Bachelot et Bri­gitte Klinkert, ex­Les Républi­cains (LR) elle aussi, viennent s’ajouter à Bruno Le Maire, GéraldDarmanin, Sébastien Lecornu, Franck Riester et Amélie de Mont­chalin, déjà présents. Sans comp­

ter le chef du gouvernement, issu lui aussi de LR. En face, les élé­ments issus de la gauche − Jean­Yves Le Drian, Florence Parly, Bar­bara Pompili, Olivier Dussopt ou Brigitte Bourguignon − sont moins nombreux à occuper despostes­clés. Matignon, Beauvau,Bercy… « La droite tient les rênes. La gauche est sur les accessoires etles ministres délégués », grimaceun fidèle du chef de l’Etat, quisouligne les départs de Christo­phe Castaner, Didier Guillaume, Sibeth Ndiaye et Nicole Belloubet,tous ex­socialistes.

« Ce n’est pas un remaniementmais un reniement. Celui des va­leurs fondatrices d’En marche ! et du dépassement politique », s’em­porte un cadre de la majorité. « La droite paraît renforcée. Il va pour­tant falloir tenir compte du résultatdes municipales, avec la poussée dela gauche et des écologistes », pré­vient la députée (LRM) des Bou­ches­du­Rhône Claire Pitollat. Cer­tains de ses collègues pointent du doigt un gouvernement « giscar­do­sarkozyste » et l’évolution de LRM vers un parti de centre droit, ressemblant à l’UDF.

La veille du remaniement, l’Ely­sée décrivait pourtant un chef del’Etat « toujours dans l’esprit du “enmême temps” », désireux de « con­tinuer à travailler au dépassement politique ». « La poutre va conti­nuer à travailler des deux côtés », assurait un conseiller, promet­tant des « surprises » venues de la gauche. Certaines personnalités ont bien été approchées mais ont refusé les offres de l’exécutif, comme la présidente du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, Valérie Rabault, ou l’écologiste Laurence Tubiana.

Sans surprise, l’Elysée se défendde tout parti pris. Au contraire, « ce gouvernement conforte le “en même temps” prôné par le prési­

dent. Les grands ministères sontaux mains de “marcheurs” de la première heure, Le Drian, Véran, LeMaire, Blanquer, le directeur de ca­binet de Matignon vient de la gau­che… », énumère un proche de M. Macron. De même, pas ques­tion de voir dans le nouvel exécu­tif l’ombre de Nicolas Sarkozy,comme accusent certains macro­nistes. « Péchenard, Fontenoy, Ba­zin n’ont pas été nommés, contrai­rement à ce que certains disaient, c’est la preuve que Sarkozy n’im­pose rien », assure un conseiller.

« La fin de l’aventure initiale »En ne reconduisant pas Christo­phe Castaner à Beauvau, ni SibethNdiaye au porte­parolat, M. Ma­cron coupe aussi les ponts avec leshistoriques de sa campagne de2017. Sibeth Ndiaye « a eu de bellespropositions pour continuer dans ce gouvernement, mais elle a prisla décision d’arrêter », indique son entourage, évoquant « un choixpersonnel ». Outre Gabriel Attal,qui la remplace, seuls Julien De­normandie et Marlène Schiappa sont pour l’instant sauvés par le président. « C’est la fin de l’aven­ture initiale », regrette un macro­niste historique. « Christophe Cas­taner et Sibeth Ndiaye sont lesdeux grands brûlés du remanie­ment », concède un habitué de l’Elysée. Le premier conseil des ministres du nouveau gouverne­ment aura lieu mardi, avant l’an­nonce de la dizaine de secrétaires d’Etat, qui viendront compléter l’équipe, dans les prochains jours.

En attendant, ce nouveau cas­ting consacre d’ores et déjà la prééminence de M. Macron.Alors qu’il avait dans un premier temps prévu de prononcer sa dé­claration de politique généraledevant l’Assemblée nationale dès le milieu de cette semaine,M. Castex devra finalement at­tendre que le chef de l’Etat s’ex­prime le 14 juillet.

En juillet 2017, ce dernier avaitprocédé de la même manièreavec Edouard Philippe. Il avait déjà tracé les grandes lignes de son quinquennat devant le Parle­ment réuni en Congrès, à Ver­sailles, à la veille du discours de son premier ministre.

alexandre lemarié et cédric pietralunga

L E   G O U V E R N E M E N T   C A S T E X

Des « grandes gueules » au gouvernement

CHRONIQUE |par solenn de royer

DES DÉPUTÉS MACRONISTES 

POINTENT DU DOIGT UN GOUVERNEMENT

« GISCARDO­SARKOZYSTE »

Place à « l’incarnation ». En 2017, Emmanuel Macron avait nommé des techniciens, incon­nus et peu flamboyants. L’objec­tif affiché était de recentrer la fo­cale sur le fond, l’action et l’effi­cacité, loin des ego et des effets de manche, jugés contre­produc­tifs par les théoriciens du « nou­veau monde ». Après trois ans et autant de crises (« gilets jaunes », retraites, Covid­19), le chef de l’Etat fait le pari inverse. Exit les ministres qui n’ont pas « im­primé » (Pénicaud, Belloubet…), place à de fortes personnalités, identifiées par les Français. C’est le cas du ténor du barreau Eric Dupond­Moretti et de l’ex­mi­nistre Roselyne Bachelot, deux figures des émission « Les Gran­des Gueules » sur RMC et « Les Grosses Têtes » sur RTL.

La promotion du maire de Tourcoing, Gérald Darmanin, qui réclamait une « politique pour le peuple », et de Marlène Schiappa, connue pour son franc­parler, procède du même mouvement. « C’est le gouverne­ment de la cause du peuple »,

analyse un proche de Macron, qui évoque l’urgence à « retrou­ver la France, ses valeurs, ses re­pères, son enracinement ».

A l’Elysée, les stratèges du pré­sident s’inquiètent en effet de la fracture entre la France d’en haut et celle d’en bas, cristallisée récemment autour du profes­seur marseillais Didier Raoult, héraut du « peuple » contre les élites. Ils ont étudié les résultats des municipales marqués par une abstention massive (une « rébellion politique ») et une pro­gression des maires « divers droite » ou « divers gauche », soit des « élus de proximité ».

« La fin de la “start-up nation” »Dans un registre plus anecdoti­que, ces mêmes stratèges ont noté pendant le confinement que les téléspectateurs avaient plébiscité les vieux films français,ceux de Louis de Funès ou la tri­logie de Robert Lamoureux (Mais où est donc passée la septième compagnie ?). « Des films du patri­moine », note un proche du chef de l’Etat, persuadé que les Fran­

çais, qui se sentiraient « dépossé­dés sur le plan politique (mondia­lisation) ou culturel (communau­tarisme) », veulent « renouer avec un imaginaire traditionnel ».

Le remaniement ferait « écho »à cette tendance. Sont ainsi van­tées, dans l’entourage du prési­dent, les qualités des promus ou des entrants : Dupond­Moretti, « grand avocat à la française » ; Bachelot, une « femme popu­laire » qui sera « ministre de la culture grand public » ; Darma­nin, « produit de la méritocratie républicaine » ; Schiappa, « notre Arletty à nous ! ». Finalement, « un gouvernement qui ressemble à la France », axé sur l’« authenti­cité » et les « territoires », veut­on croire au palais. « C’est la fin de la “start­up nation” arrogante », ré­sume un ami du chef de l’Etat.

Avec ce casting, Macron veut tenter de rompre avec son image de « président des riches », dé­connecté et sans empathie. Tout en apportant une réponse à la défiance qui s’est installée avec la crise des « gilets jaunes » et la crise sanitaire.

En filigrane, ce remaniement s’inspire de Nicolas Sarkozy. Pas seulement dans le choix des personnalités (Darmanin, Cas­tex, Bachelot…), mais aussi dans le positionnement stratégique qu’il semble dessiner pour 2022. « Macron pense que la vague po­puliste est plus forte que la vagueécolo­bobo, décrypte un familier de l’Elysée. Il va essayer de si­phonner du LFI [La France insou­mise], du RN [Rassemblement national] et du “gilet jaune”, comme Sarkozy, qui s’était pré­senté comme candidat du peuple contre les élites en 2007, avait fait avec le Front national. » La récente attention portée à des figures médiatiques, comme Jean­Marie Bigard, Didier Raoult ou Eric Zemmour, relèverait de cette stratégie.

Reste à savoir si ce nouveau visage de la Macronie, voulu « plus incarné » et « populaire », convaincra les Français. A la veille du remaniement, selon un sondage Elabe, ils étaient 60 % à ne pas faire confiance au président.

Le secrétaire général de l’Elysée, Alexis Kohler, lors de l’annonce du gouvernement, à l’Elysée, le 6 juillet. JEAN-CLAUDE COUTAUSSE POUR « LE MONDE »

Eric Dupond­Moretti nommé à la justice et Roselyne Bachelot à la culture sont les seules véritables surprises du nouveau gouvernement, qui consacre une belle place aux anciens du parti Les Républicains

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C’ est sans conteste laplus belle promo­tion de cette cuvéegouvernementale.

Nommé en remplacement deChristophe Castaner, lundi, Gé­rald Darmanin est devenu à37 ans le plus jeune ministre del’intérieur de la Ve République. Après trois années passées à Bercy avec le portefeuille de l’action et des comptes publics, il hérite d’un des postes régaliens dans le gou­vernement formé par le nouveau premier ministre, Jean Castex.

Plusieurs obstacles se dressaientpourtant sur la route de l’ancien membre du parti Les Républicains(LR) pour obtenir ce ministère très convoité. Il n’a pas pour lui d’être un fidèle de la première heure du président de la République, comme Gérard Collomb et Chris­tophe Castaner. Une qualité que l’on exige souvent du ministre de l’intérieur, l’un des hommes les mieux informés de France.

Proche de Nicolas Sarkozy et deXavier Bertrand, le jeune maire de Tourcoing (Nord) a réussi à gagner au fil du temps les faveurs d’Em­manuel Macron. Gérald Darma­nin n’a pas non plus à son crédit la réputation d’être un expert des questions de sécurité. Sa nomina­tion a d’ailleurs été accueillie avec

une circonspection polie par les syndicats de police.

Mais l’homme a montré à Bercysa force de travail. Réputé bosseur, il s’est affirmé comme l’un des ra­res ministres politiques dans un gouvernement de technocrates. Lestyle direct, à la fois proche des gens et volontiers caustique, et les origines sociales populaires qu’il met en avant, ont fait mouche dans sa précédente fonction. De quoi valoir au duo qu’il formait avec le flegmatique Bruno Le Maire le surnom de « Danny Wildeet Brett Sinclair », l’Américain gouailleur et l’aristo britannique guindé, héros de la série Amicale­ment vôtre. Il faudra autre chose qu’un numéro d’artiste pour ré­soudre la crise qui mine le minis­tère de l’intérieur et l’institution policière qui en dépend.

Risque judiciaireAprès avoir traversé difficilement l’épisode des « gilets jaunes » et la crise sanitaire liée au Covid­19, les forces de l’ordre font désormais face aux accusations de violences policières, de racisme, et plus gé­néralement à une remise en cause de leurs pratiques. Un discours maladroit de Christophe Castaner, prononcé le 8 juin, a achevé de se­mer la pagaille dans les rangs.

Après un mois de manifestations nocturnes, les policiers ont obtenugain de cause avec le départ du mi­nistre. M. Darmanin est prévenu.

Ces derniers temps, Gérald Dar­manin avait distillé les messages, faisant montre d’une ambition as­sumée. Le 24 mai, il posait en une du Journal du dimanche sous le ti­tre : « Je veux peser ». Le message a été entendu par Emmanuel Ma­cron. Pour ce faire, le chef de l’Etat afait fi du risque judiciaire. Le nou­veau ministre de l’intérieur fait en effet l’objet d’une enquête à la suited’une accusation de viol, harcèle­ment sexuel et abus de confiance qu’il aurait commis en 2009.

Il avait bénéficié d’un non­lieuen 2018. Mais la cour d’appel de Pa­ris a ordonné début juin la reprise

des investigations. Gérald Darma­nin est désormais à la tête des ser­vices chargés d’enquêter sur lui. L’Elysée a fait savoir lundi soir qu’ilne s’agissait nullement d’un « obs­tacle » à sa nomination.

Savoir-faire en réformesLe nouveau locataire de Beauvau est l’un des ministres avec la feuille de route la plus chargée du gouvernement. La police de sécu­rité du quotidien, principale pro­messe de campagne d’Emmanuel Macron en 2017 sur le volet sécu­rité, a bien été créée par Gérard Collomb, mais Christophe Casta­ner a échoué à lui donner une véri­table identité. Elle se résume aujourd’hui principalement à une question d’affectation de postes

dans les quartiers sensibles. Le schéma national du maintien de l’ordre qui devait être publié en dé­but d’année dort toujours dans les cartons. Tout comme le Livre blanc de la sécurité intérieure, quidevait redéfinir la politique gou­vernementale en la matière et pré­figurer une ambitieuse loi de pro­grammation. Quant à la Préfec­ture de police de Paris, dont on a annoncé maintes fois le démantè­lement ces dernières années, elle tient plus que jamais debout, avec un Didier Lallement à sa tête qui sort renforcé de cette crise, lui qui a semblé être davantage aux côtés des troupes que de son ministre pendant la fronde.

S’il n’a pas d’expérience en ma­tière de sécurité, Gérald Darmanin

Gérald Darmanin veut « peser » à l’intérieurProche de Nicolas Sarkozy et de Xavier Bertrand, le maire de Tourcoing remplace Christophe Castaner

peut faire valoir un savoir­faire en termes de réformes. A son actif parexemple, la périlleuse application d’une mesure héritée du précé­dent quinquennat et maintes fois repoussée : le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu. Se posant en défenseur du pouvoir d’achat, il a également fait passer une loi pour le droit à l’erreur en matière fiscale dans les entrepri­ses et c’est sous son mandat qu’a été assoupli le « verrou de Bercy », ce monopole de l’administration fiscale sur les poursuites pénales en matière de fraude fiscale. La réorganisation de l’administra­tion fiscale dans les régions luivaudra davantage de critiques.

nicolas chapuis et audrey tonnelier

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son sort faisait peu de doute tant il incarnait les difficultés de la précédente équipe gouverne­mentale. Christophe Castaner n’a pas été reconduit au poste de mi­nistre de l’intérieur par Jean Cas­tex. C’est la fin d’un parcoursmouvementé pour ce ministre ar­rivé place Beauvau le 16 octo­bre 2018, à la faveur de la démis­sion surprise de Gérard Collomb. Malgré son lien indéfectible avecEmmanuel Macron, il aura sou­vent donné l’image d’un homme peinant à habiter la fonction, toutau long des vingt et un mois pas­sés aux commandes..

A peine un mois après sa promo­tion, du secrétariat d’Etat aux rela­tions avec le Parlement au minis­tère de l’intérieur, commençait le mouvement des « gilets jaunes ». Et, avec lui, le plus long épisode de maintien de l’ordre de la Ve Répu­blique. Le terrorisme ne lui aura pas été épargné, frappant même au cœur de la préfecture de police de Paris, avec l’attaque d’un agent qui a tué en octobre 2019 quatre deses collègues avant d’être lui­même abattu. Enfin, il aura dû gé­rer le confinement de la France, dans lequel les forces de l’ordre ont joué un rôle central, malgré l’absence de masques.

Sa relation avec les forces de l’or­dre aura été ambiguë tout au long de son passage à Beauvau. La no­mination en tant que secrétaire d’Etat de Laurent Nunez, ancien patron de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), avait dès le départ donné l’impression qu’il fallait un spécialiste à ses cô­tés. Tout d’abord apprécié pour son franc­parler, Christophe Cas­taner a rapidement fait face à une fronde syndicale réclamant des augmentations. Une demande quiarrivait après le saccage de l’Arc de triomphe, le 1er décembre 2018. Surordre d’Emmanuel Macron, il avait très rapidement cédé à ces re­vendications. « Ce jour­là, on a compris qu’il n’était pas le vrai pa­tron », raconte un leader syndical.

Tout à sa volonté de soutenir lestroupes mobilisées sur des opéra­tions de maintien de l’ordre extrê­

mement compliquées, Christo­phe Castaner a incarné pour les manifestants le déni des violencespolicières, une expression qu’il aura toujours contestée. Le bilan est cependant extrêmement lourd. On compte des milliers de manifestants blessés, des dizainesd’entre eux gravement mutilés, des centaines de vidéos mettant en cause la police et la gendarme­rie… et deux personnes qui ont perdu la vie : Zineb Redouane, uneoctogénaire victime d’un tir de grenade lacrymogène à Marseille ;et Steve Maia Caniço, tombé dans la Loire à Nantes lors de la Fête de la musique 2019, alors que la po­lice procédait à une évacuation duquai où il se trouvait.

Nombreuses bourdesLe soutien sans faille apportéaux forces de l’ordre par M. Cas­taner n’a pas payé. Car, de l’autrecôté, ses nombreuses bourdes– comme l’invention d’un sac­cage de la Pitié­Salpêtrière pardes manifestants le 1er mai 2019ou sa communication trop hâ­tive sur l’absence d’antécédentsde Mickaël Harpon, l’assaillant de la Préfecture – ont diffusé uneimpression d’amateurisme. L’épisode de sa virée nocturnedans une boîte de nuit pari­sienne, au soir d’un « acte » des« gilets jaunes », n’a pas arrangéson image de dilettante.

Le 8 juin, sa dernière conférencede presse a achevé de dégrader ses liens avec les troupes. Il avait as­suré que les fonctionnaires pour lesquels il y aurait des « soupçons avérés » de racisme seraient dure­ment sanctionnés. Une mala­dresse juridique à laquelle s’ajou­tait une décision controversée pour les policiers : l’annonce de la fin de la clé d’étranglement, une technique d’interpellation utilisée notamment sur Cédric Chouviat, un livreur à scooter décédé le 5 jan­vier des suites de son arrestation par quatre policiers. Il n’en fallait pas plus pour mettre les policiers dans la rue. Une mobilisation qui acontribué à mettre fin à son bail.

n. ch.

Castaner, vingt et un mois d’un bail mouvementé

Photographieretouchée©

AstriddiCrollalanza

SPLENDIDE ! Olivia de Lamberterie, ElleBRÛLANT. Bernard Géniès, L’Obs

DU PANACHE ET DU STYLE. Fabienne Pascaud, TéléramaUNE ÉNERGIE QUI VOUS EMPORTE. François Rey, Le JDD

DÉMENT.Marine de Tilly, Le PointHABITÉ. Éric Libiot, L’Express

BOULEVERSANT. Pascale Vergereau, Ouest FranceENIVRANT. Gaëlle Maindron, Page des Libraires

CLAIREBEREST

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Page 10: Le Monde - 08 07 2020

10 | france MERCREDI 8 JUILLET 20200123

PORTRAIT

L’ infectiologue DidierRaoult a été nomméministre de la santé.Non, reprenons. L’avo­

cat pénaliste Eric Dupond­Morettia été nommé garde des sceaux.L’effet est le même. Sidération. In­crédulité. Et polémique immé­diate chez les professionnels de la justice. Effet de blast garanti. Les autres annonces du remanie­ment renvoyées dans l’ombre, oupresque. « Nommer une personna­lité aussi clivante et qui méprise à ce point les magistrats, c’est unedéclaration de guerre à la magis­trature », a affirmé, dès lundi 6 juillet, Céline Parisot, présidentede l’Union syndicale des magis­trats. Mais les juges n’ont pas dansl’opinion la même popularité que les médecins à l’ère du Covid­19.On peut donc prendre le risque dese les mettre à dos si, en échange, on gagne l’opinion.

Le président de la République enmal de popularité peut savourerson coup : il a attiré à lui le seul avocat dont tous les Français con­naissent le nom, le visage, les ex­ploits, les coups de gueule et les bons mots. Celui dont la moindre apparition dans une émission de télévision ou de radio fait bondir l’Audimat et dont la signature sur une jaquette de livre vaut garantiede best­seller. Celui qui remplit lessalles de théâtre quand il monte seul sur scène et que les cinéastes s’arrachent à l’affiche de leurs films. Emmanuel Macron a peut­être pensé à son lointain prédé­cesseur, François Mitterrand,confiant en 1992 le ministère de la ville à une personnalité aussipopulaire que controversée,l’homme d’affaires, ex­animateur de télévision et patron d’équipessportives Bernard Tapie, dans le gouvernement crépusculaire de Pierre Bérégovoy.

A moins qu’un autre exemple,bien plus récent, n’ait inspiré le président de la République. Confronté aux audiences enberne de sa station de radio, Arnaud Lagardère, patron dugroupe éponyme et ex­directeur d’Europe 1, venait de décider d’of­frir à la rentrée de septembre une chronique matinale quotidienne à… Eric Dupond­Moretti. Inter­rogé le 24 juin sur cette même ra­dio, l’avocat confiait : « J’ai acceptésans hésiter. On m’offre une carte blanche de totale liberté. » Ilpromettait de « dire un certainnombre de choses sur cette époquequi commence à [l]’exaspérer ».

Clientèle de voyousAvant d’être, à 59 ans, celui quedeux hommes de pouvoir se dis­putent, Eric Dupond­Moretti a étéle plus grand avocat d’assises de sa génération. A la fin des années 1990, pendant que les plus répu­tés de ses confrères pénalistes pa­risiens abandonnaient peu à peu leur clientèle de voyous, de trafi­quants de stup, de braqueurs ou de violeurs pour celle des person­nalités politiques et des grands patrons poursuivis par la justice, l’avocat lillois continuait de dé­fendre « le Gitano qui a éventré une vieille femme pour lui piquer 40 euros », selon sa formule.

Le futur ténor naît dans ces« heures sombres où vous tournez la clé de contact, quand le type quevous avez défendu vient de pren­dre quinze ans et que vous refaites tout le procès, avec l’odeur de la sueur qui remonte, les lumièresblanches sur l’autoroute, la fatigueet le sandwich au thon dans la sta­tion essence ». Sa notoriété ne dé­passe alors guère les frontières du

Nord, mais son exceptionnel ta­lent d’orateur impressionne déjà les jurés d’assises. Parmi eux, sapremière épouse et la mère de sesenfants, dont il est séparé depuis :« Je l’ai trouvée très belle, j’ai plaidé pour elle », racontait­il.

Acquittements inespérésL’affaire d’Outreau le projette surle devant de la scène. Avocat deRoselyne Godard, l’une des dix­sept personnes renvoyées pour viols, agressions sexuelles ou cor­ruption de mineurs devant la cour d’assises du Pas­de­Calais, à Saint­Omer, en 2004, il fait voler en éclats l’instruction du jugeFabrice Burgaud, obtient l’acquit­tement de sa cliente et s’impose comme la voix qui dénonce l’undes plus graves dysfonctionne­ments judiciaires de la décennie.

La carrière d’Eric Dupond­Mo­retti est lancée. On le réclame dans toutes les prisons de France, il sillonne les cours d’assises du

nord au sud, d’est en ouest, de­vient le champion des acquitte­ments inespérés. On redoute l’ar­tiste des prétoires qui sait renifler comme personne l’atmosphère d’une salle d’audience et surtoutparler aux jurés dans la languequi est la leur et pas celle du code de procédure pénale. « Il faut que les jurés aient envie de prendre le Ricard avec vous, pas le champa­gne, confiait­il en 2008. Devant une cour d’assises, on parletoujours de la même chose : de l’amour, de papa­maman, de safemme, de ses gosses. Avec les mots des pauvres gens, comme dit Ferré. Moi, j’adore les mots, mais jedéteste la littérature. »

Pendant que, dans les écoles dubarreau, il est consacré comme le meilleur d’entre eux, il n’est pas une promotion de futurs magis­trats, pas une session de forma­tion continue de l’Ecole nationale de la magistrature sans que le nom de Dupond­Moretti soitévoqué avec colère. Son bâtonnierreçoit des plaintes en rafale de magistrats « outragés » par le pénaliste. « On dit que je terroriseles juges. C’est faux, je terrorise lescons », revendique­t­il.

A Jean­Claude Decaux, le patrondu groupe du même nom, qui l’in­vite un jour à déjeuner au débutdes années 2000 pour lui deman­der conseil, il répond que les domaines dans lesquels l’homme d’affaires pourrait avoir besoin delui ne sont pas les siens. Mais il ajoute : « Si un jour vous tuez votre femme, je serai là. »

Le nom d’Eric Dupond­Morettiest alors associé aux plus belles af­

faires criminelles. Il défend les na­tionalistes corses, dont Yvan Co­lonna, comme les grandes figuresmafieuses insulaires, l’ex­vedettenationale de rugby Marc Cécillon, le professeur de droit de ToulouseJacques Viguier ou le médecin Jean­Louis Muller, accusés l’un etl’autre du meurtre de leur femme.Les acquittements s’ajoutent auxacquittements, il en a longtempstenu le compte scrupuleux.

Devant la cour d’assises spécialequi, à l’automne 2017, juge Abdel­kader Merah, le frère de Moham­med Merah, auteur des attentats qui ont coûté la vie à sept person­nes à Toulouse, dont trois enfantsjuifs, il déclenche une tempête en s’indignant des questions posées par les parties civiles à la mère desdeux hommes, citée à la barre destémoins. « Cette femme, c’est la mère d’un accusé, mais c’est aussi la mère d’un mort », lance­t­il.

Invité le lendemain surl’antenne de France Inter, il foudroie le journaliste Nicolas Demorand qui lui demande :« Vous ne trouvez pas ç a obscène de le dire comme ça, devant les fa­milles de victimes ?

– Pourquoi, c’est pas une mère ?Cette femme n’est pas une va­che qui a vêlé. Votre question est obscène. »

A l’audience, juste avant cetéclat, on l’avait entendu murmu­rer : « Putain, si c’était à ma mère qu’on faisait ça… »

Eric Dupond­Moretti est aussicela : le fils unique d’une femme de ménage italienne, orphelin d’un père mort quand il avait 4 ans. Il y puise sa rage de réussir,

socialement et financièrement, sa volonté d’être le « premier avo­cat de France » et le plus redouté,mais aussi le besoin, inextingui­ble, d’être aimé et admiré. Mais « l’ogre » des assises commence à s’y ennuyer. Il veut lui aussi des chefs d’Etat africains, des person­nalités politiques, des patrons duCAC 40 dans son portefeuille declientèle. En janvier 2016, il quitte le barreau et son bureau de Lillepour installer son cabinet dans le triangle d’or parisien, rue de la Boétie, dans le 8e arrondissement de Paris. Les clients affluent. Le roidu Maroc, des anciens ministres,dont Jérôme Cahuzac ou le maire de Levallois­Perret Patrick Balk­any, renvoyés devant la justicepour fraude fiscale.

Blagues sans filtreL’avocat qui murmurait à l’oreille des jurés et savait arracher leur clémence en faveur des accusés des crimes les plus lourds ne ren­contre pas le même succès auprèsdes magistrats professionnels qui composent les chambres finan­cières. Sa gouaille devient grossiè­reté, ses coups de gueule n’ef­fraient personne et butent sur latechnicité des dossiers dans les­quels ses confrères pénalistes des affaires obtiennent de meilleurs résultats que lui. Le plus grand desavocats d’assises touche sonplafond de verre.

Alors il prend la tangente, vachercher auprès du public qui sepresse à son one­man­show, les applaudissements et l’admirationqui sont son oxygène. Y rencontreBrigitte Macron, qui vient le félici­

Eric Dupond­Moretti, à Bobigny, en janvier 2015. JOEL SAGET/AFP

L E   G O U V E R N E M E N T   C A S T E X

Dupond­Moretti, un « ogre » des assises à la justiceA 59 ans, le très médiatique avocat pénaliste devient garde des sceaux. Sa nomination irrite les magistrats

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ter. Fait l’acteur sur les écrans de cinéma. Accourt dès qu’on le solli­cite sur les plateaux de télévision et dans les émissions de radio, toujours aussi affamé de noto­riété. A un ami lillois qui lui de­mandait récemment pourquoi il continuait d’accepter autant d’in­vitations, il a répondu : « J’ai telle­ment peur que ça s’arrête. »

Ses formules à l’emporte­piècecontinuent de ravir téléspecta­teurs et auditeurs. Il tempêtecontre la limitation de vitesse à80 km/h, se moque de la fémini­sation des noms − « Pourquoi pasécole paternelle et la mati­noire ? » −, se fige dans son per­sonnage d’amateur de havanes,de viande saignante et de blaguessans filtre. « Nous vivons une épo­que avec laquelle j’ai un peu demal. Nous sommes dans un tempsde médiocrité absolue, hypermo­raliste et hygiéniste », ne cesse­t­ilde répéter au risque de ratioci­ner. Il cogne toujours autant surles juges, dénonce leur soumis­sion à l’air du temps, rêve de sup­primer l’Ecole nationale de la ma­gistrature et le lien entre le par­quet et le siège. Il y a quelquesjours, il tonnait encore contre lesmagistrats du Parquet national financier (PNF) à propos d’uneenquête menée en marge de l’af­faire qui vaut à l’un de sesmeilleurs amis, l’avocat et con­seil de Nicolas Sarkozy, ThierryHerzog, d’être poursuivi au côtéde l’ancien président de la Répu­blique pour trafic d’influence. Dans le cadre de cette enquête, les procureurs cherchaient à sa­voir qui avait pu informerThierry Herzog que le téléphoneocculte qu’il utilisait pour s’en­tretenir avec Nicolas Sarkozyétait sur écoutes. Les fadettes de plusieurs avocats avaient étéépluchées et leurs téléphonesgéolocalisés, dont celui d’EricDupond­Moretti, qui a porté plainte. Il l’a retirée dans la fouléede sa nomination à la chancelle­rie, a fait savoir l’Elysée.

Mais face aux protestations desténors et à l’émoi du barreau de Paris, l’ex­garde des sceaux NicoleBelloubet avait demandé le 1er juillet à l’inspection générale de la justice de « conduire uneinspection de fonctionnement sur cette enquête », dont les conclu­sions doivent être rendues le 15 septembre. Elles seront donc déposées sur le bureau de son suc­cesseur… Eric Dupond­Moretti.

L’associé de son cabinet,Antoine Vey, a pour sa part préciséqu’Eric Dupond­Moretti a été omis du barreau dans la foulée de son entrée au gouvernement. Sa nomination pose toutefois la question des remontées d’infor­mation sur les affaires judiciaires en cours auxquelles il aura accès et qui sont susceptibles de concer­ner son ancien cabinet.

Il y a un an, alors que la rumeurd’un remaniement courait, unémissaire de la présidence de la République avait confié, à l’un desavocats les plus réputés de Paris, qu’Emmanuel Macron « cherchait son Badinter ». Il a peut­être trouvé son Didier Raoult.

pascale robert­diard

« ON DIT QUE JE TERRORISE 

LES JUGES. C’EST FAUX, JE TERRORISE 

LES CONS »ÉRIC DUPOND-MORETTI

avocat pénaliste

L’AFFAIRE D’OUTREAU LE PROJETTE SUR LE 

DEVANT DE LA SCÈNE. IL S’IMPOSE COMME 

LA VOIX QUI DÉNONCE L’UN DES PLUS GRAVES DYSFONCTIONNEMENTS 

JUDICIAIRES DE LA DÉCENNIE

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QUE FAITHUAWEI ENFRANCE ?IL CRÉE DESEMPLOIS.Nous sommes très engagés en France depuis 17 anset nous allons accroître notre contribution.

Nous avons ainsi créé 12 200 emplois sur le territoirefrançais, dont plus de 900 emplois directs et 11 300 emplois

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Nous continuerons de créer des emplois avec notammentla construction d’une usine de production en France qui créera500 emplois directs, et avec un centre de recherche fondamentaledont les résultats seront ouverts à la communauté scientifique.

Nous sommes fiers de cette contribution à l’économie française.

CONSTRUISONS L’AVENIR ENSEMBLE.

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A Bercy, la « relance » de Bruno Le MaireA la tête d’un ministère élargi, l’ex­LR sera épaulé par Olivier Dussopt, Agnès Pannier­Runacher et Alain Griset

L e symbole est clair, à dé­faut d’être subtil. Lundi6 juillet au soir, BrunoLe Maire a été nommé mi­

nistre de l’économie, des finances« et de la relance » dans le premier gouvernement de Jean Castex. Ces quatre mots, ajoutés à la fonc­tion de celui qui occupe depuis trois ans le sixième étage deBercy, soulignent l’importance que l’exécutif entend porter au soutien de l’économie, en réces­sion après la crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid­19.

Un plan de relance ou de « re­bond » est attendu à la rentréepour faire suite aux différentes mesures d’urgence prises depuis quatre mois. C’est aussi une manière de conforter BrunoLe Maire, en première ligne du­rant la pandémie pour coordon­ner les aides d’Etat et les soutiens sectoriels aux secteurs les plus sinistrés.

L’ancien du parti Les Républi­cains (LR), dont le nom avait été cité à plusieurs reprises dans les dernières semaines comme possible prétendant à Matignon, et qui assurait toujours en public vouloir rester à son poste, est désormais seul ministre aux commandes à Bercy, sans la cau­tion « droite sociale » de Gérald Darmanin, parti au ministère de l’intérieur. Il aura auprès de lui trois ministres délégués : Olivier Dussopt, chargé des comptes publics, Agnès Pannier­Runacherà l’industrie, et Alain Griset pour les PME.

Franchir le Rubicon« On récupère tout Bercy, se félici­tait lundi soir l’entourage deBruno Le Maire. C’est une recon­naissance du travail accompli, dela constance et de la cohérence à continuer notre politique de l’offre,tout en prenant en compte les plus faibles et l’environnement. » « On revient au Bercy des années Hollande, avec un ministre quiporte tout. C’est un peu étonnantvu les enjeux budgétaires actuels »,

estime Eric Woerth, président LRde la commission des finances de l’Assemblée nationale.

« C’est une victoire pour Le Maire,glisse un habitué des couloirs dela “forteresse”, mais peut­être pas totale vu l’intitulé du portefeuille de Franck Riester. » L’ancien mi­nistre de la culture hérite en effet au ministère des affaires étrangè­res d’un portefeuille « commerce extérieur et attractivité », ce der­nier domaine étant traditionnel­lement du ressort de Bercy.

L’arrivée d’Olivier Dussopt aubudget, auparavant secrétaired’Etat à la fonction publique, n’estpas totalement une surprise. Mal­gré une enquête du Parquet natio­nal financier qui le vise pour avoirreçu deux lithographies en ca­deau en 2017, alors qu’il était maire d’Annonay et député de l’Ar­dèche, le nom de ce transfuge du PS rallié à Emmanuel Macron ennovembre 2017 revenait réguliè­rement pour succéder à M. Dar­manin. Il a gagné ses galons en menant avec les syndicats la déli­cate réforme de la fonction publi­que. « Olivier Dussopt est très bon en fiscalité des collectivités. Il a un bon sens politique et s’est formé auprès de Gérald Darmanin », apprécie le rapporteur LRM du budget Laurent Saint­Martin.

A l’industrie, Agnès Pannier­Ru­nacher, jusqu’ici secrétaire d’Etatauprès du ministre sans attribu­tion précise, prend elle aussi dugalon. Cette inspectrice des finan­

ces passée par le privé continuera au demeurant à suivre des dos­siers qu’elle avait déjà pris en main. « L’industrie a été pour nous un cheval de bataille depuis le dé­but du quinquennat. On veut réin­dustrialiser le pays mais compte tenu de la crise, on sait aussi qu’on aura beaucoup de problèmes in­dustriels », indique­t­on à Bercy.

En revanche, rares sont ceuxqui s’attendaient à voir Alain Gri­set entrer au gouvernement.Chargé des PME, cet inconnu dugrand public était jusqu’à présentprésident de l’Union des entre­prises de proximité (U2P), maisBercy s’empresse de mettre enavant son ancien métier d’artisantaxi. Le sexagénaire originaire duNord a pris les rênes du syndicat patronal en 2017 – son mandat

devant s’achever en 2021. Pour lenouveau premier ministre, JeanCastex, cela permet d’afficherune prise patronale. « La nomina­tion d’un ministre des PME, quiplus est ancien syndicalistepatronal, comme celle d’un minis­tre de l’industrie est une bonne nouvelle pour la relance », se féli­cite Geoffroy Roux de Bézieux,président du Medef.

Le choix de M. Griset a cepen­dant surpris : il est rare de voir lenuméro un d’une organisationd’employeurs ou de salariés franchir le Rubicon. « Nous, on fe­rait ça, on nous pendrait immé­diatement ! », confie un dirigeant d’un syndicat. Un autre fait re­marquer que « s’il y a quelqu’unqui connaît les petites entreprises,c’est lui, même s’il n’a jamais eu de

salariés. Par contre, il ne sait pasce que sont les PME. Reste à savoirquelle sera sa marge demanœuvre vis­à­vis de Bercy »…

Déconcentration de l’EtatDernier changement de taille : leportefeuille de l’action publiquesort du giron strict de Bercy. Dumoins sur le papier, puisqueAmélie de Montchalin, écono­miste de formation et jusqu’à pré­sent secrétaire d’Etat chargée des affaires européennes, a été nom­mée ministre de la transforma­tion et de la fonction publiques.Lundi soir, son entourage assu­rait ne pas encore savoir si son bureau serait ou non installé au ministère de l’économie.

Sa mission pourrait être straté­gique alors que le chef de l’Etat

entend faire de la déconcentra­tion de l’Etat un axe majeur de lafin du quinquennat, en laissantles élus locaux davantage à la manœuvre. Mais « ce n’est pas que la réforme de l’Etat, assure son entourage. Il s’agira de passerau crible les politiques publiques,de les cibler par populations, par critères d’accès, et de dialogueravec tous les ministères. La crise aaussi montré que les Français enont assez de la bureaucratie ».

La nouvelle ministre déléguée,issue de l’aile droite de la majoritéet diplômée de HEC, sera égale­ment chargée de l’épineuse réforme de l’ENA, sur la sellette depuis la crise sociale des « gilets jaunes » fin 2018.

raphaëlle besse desmoulièreset audrey tonnelier

Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances, dans son bureau, à Bercy, le 9 avril. OLIVIER CORET/DIVERGENCE

« ON REVIENT AU BERCY DES ANNÉES HOLLANDE, AVEC UN MINISTRE QUI 

PORTE TOUT. C’EST UN PEUÉTONNANT, VU LES ENJEUX 

BUDGÉTAIRES ACTUELS »ÉRIC WOERTH

président de la commission des finances de l’Assemblée

Au travail, Elisabeth Borne devrait hériter de la réforme des retraitesL’ancienne ministre des transports et de la transition écologique devra gérer les conséquences sur le marché de l’emploi de la crise due au Covid­19

L a tâche s’annonce rudepour Elisabeth Borne.Nommée, lundi 6 juillet,

ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion, en remplacement de Muriel Pénicaud qui quitte le gouvernement, elle va affronterles conséquences ravageuses de larécession entraînée par l’épidé­mie de Covid­19. Et un dossierexplosif devrait tomber dans son escarcelle : la réforme des retrai­tes, qui avait été suspendue au dé­but de la crise sanitaire et que l’exécutif vient de relancer, avec l’intention d’aller vite.

Sa désignation constitue unesurprise pour tous ceux qui voyaient Gérald Darmanin occu­per le poste – avec des responsa­bilités très larges couvrant tout lespectre des affaires sociales. Lundi soir, sur Twitter, cette poly­technicienne, qui avait intégrél’équipe d’Edouard Philippe, dès mai 2017, après avoir été la colla­boratrice de personnalités socia­listes (dont Ségolène Royal), s’estdite « déterminée à relever les dé­fis économiques et sociaux des mois à venir ».

Mme Borne n’arrive pas en ter­rain complètement inconnu. Avant d’être ministre des trans­

ports (de mai 2017 à juillet 2019), puis chargée de la transition éco­logique et solidaire au sein du gouvernement, elle avait exercédes responsabilités importantes dans des entreprises publiques : à la SNCF, tout d’abord, de 2002 à 2007, en tant que directrice de la stratégie, puis à la RATP, dont elle a pris la présidence en 2015. Une expérience qui lui a permis de se frotter à des syndicats exigeants.

Dossiers brûlantsSi « elle ne s’est pas beaucoup oc­cupée de sujets d’emplois » jusqu’àprésent, « elle a une grande habi­tude des relations sociales », ré­sume Raymond Soubie, ancien conseiller social de Nicolas Sarkozy à l’Elysée et président de la société de conseil Alixio. Un atout, à l’heure où les organisa­tions d’employeurs et de salariésattendent que les décisionssoient le fruit d’une réelle concer­tation et non plus dictées par un pouvoir « jupitérien ».

A ce stade, les leaders patronauxet syndicaux se montrent peu di­serts sur elle. « Nous avons bien travaillé avec Muriel Pénicaud, etnous espérons faire de même avec Elisabeth Borne », réagit Geoffroy

Roux de Bézieux, président duMedef. « Elle connaît les sujets », dit François Asselin, le numéro un de la Confédération des petiteset moyennes entreprises (CPME). « On jugera aux actes », indique, pour sa part, Laurent Berger, se­crétaire général de la CFDT. « Elle aune grosse aptitude de travail et semontre plutôt ouverte au dialoguesocial », selon Cyril Chabanier, lepatron de la CFTC. « Il n’y a qu’une seule chose qui pèsera, ce sera sa capacité à instaurer un lien de con­fiance, souligne François Hom­meril, président de la CFE­CGC. On a toujours été bien reçus par Mme Pénicaud, mais les partenairessociaux n’étaient pas sa priorité. »

Le responsable d’une confédé­ration exprime toutefois des dou­tes, à propos de Mme Borne, en pré­cisant n’avoir « jamais entendu quelqu’un manier avec autant dedextérité la langue de bois ». Le faitde lui attribuer ce maroquininspire de « l’étonnement » au DRH d’un grand groupe : « Je nesais pas s’il y a quoi que ce soit dans son parcours qui lui aurait permis de constituer une compé­tence sur le sujet ou même de montrer un intérêt. Est­ce le signe qu’il ne va pas se passer grand­

chose dans le champ travail­em­ploi d’ici à la fin du quinquennat ? »

La prédécesseure de Mme Bornea mené à bien plusieurs réformesstructurelles, promises par Em­manuel Macron quand il était candidat à la présidentielle : réé­criture du code du travail en 2017,transformation en profondeurde la formation professionnelle et de l’apprentissage l’année sui­vante… Mais l’agenda de la nou­velle ministre du travail n’est pas pour autant épuisé. De nom­breux dossiers brûlants l’atten­dent. A commencer, donc, par lamise en place d’un système uni­versel de retraites, qu’elle devraitpiloter, selon deux sources au sein de l’exécutif. Jusqu’à présent,ce chantier était entre les mainsd’un secrétaire d’Etat, Laurent

Pietraszewski, placé sous l’auto­rité du ministre des solidarités etde la santé, Olivier Véran.

Cette redistribution des tâchesobéit à une « logique », expliqueun conseiller : Mme Borne va êtreamenée à rencontrer très fré­quemment les partenaires so­ciaux. La refonte des régimes depension est, de surcroît, « connec­tée » à des thématiques liées àl’emploi et au travail – par exem­ple l’aménagement des fins de carrière ou la pénibilité de certai­nes professions. Enfin, avancecette même source, « il n’est pas nécessaire d’empiler les réformesau même endroit ». C’est­à­direchez M. Véran, dont la besace estdéjà bien garnie, entre le Ségur dela santé et les questions touchantà la dépendance.

Mise sous cloche de l’économieMme Borne va, par ailleurs, être aux avant­postes face à la vague de plans sociaux qui a commencéà s’abattre : Renault, Air France, Airbus, Nokia… Des réductions d’effectifs massives, de nature à alimenter la hausse du nombre de chômeurs, qui a repris à partir de mars dans des proportions spectaculaires, du fait de la mise

sous cloche de l’économie lors du confinement. Désormais, il y a plus de 6 millions de demandeursd’emploi, avec ou sans activité. Dujamais­vu. Le sujet est d’autantplus sensible que des arbitrages sont attendus sur le sort de la réforme de 2019, qui a durci les règles de l’assurance­chômage. Laplupart des dispositions, dénon­cées par les syndicats, ont, certes, été suspendues ou reportées,mais on ignore encore si le gou­vernement entend les rétablir, les amender ou les abroger. Secré­taire général de FO, Yves Veyrier a la ferme intention de lui rappeler qu’il faut y renoncer. « Mon autre message portera sur la protectionde l’emploi et la revalorisation des salaires », ajoute le syndicaliste.

La ministre devrait très prochai­nement abattre ses cartes surd’autres thèmes, dont certains en relation étroite avec Bercy : l’em­ploi des jeunes, avec une série de mesures pour encourager leur embauche ; le partage de la valeur– c’est­à­dire la promotion de l’in­téressement et de la participationdans les entreprises ; la régulationdu recours au travail détaché.

r. b. d.et bertrand bissuel

L E   G O U V E R N E M E N T   C A S T E X

DES ARBITRAGES SONT ATTENDUS SUR 

LE SORT DE LA RÉFORME DE 2019, QUI A DURCI 

LES RÈGLES DE L’ASSURANCE­CHÔMAGE

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0123MERCREDI 8 JUILLET 2020 france | 13

Barbara Pompili, une écologiste ralliée à LRMLa nouvelle ministre avait été secrétaire d’Etat sous Hollande

L a nouvelle ministre dela transition écologique,Barbara Pompili, connaîtle chemin. Elle a déjà oc­

cupé un bureau de l’hôtel de Ro­quelaure, de février 2016 à mai 2017, comme secrétaire d’Etat chargée de la biodiversité, auprès de Ségolène Royal, ministre dans les gouvernements socialistes de Manuel Valls puis de Bernard Caze­neuve. Elle ne connaît pas seule­ment les lieux mais aussi un cer­tain nombre de thématiquesdont celle, en particulier, de laprotection de la nature : elle a porté une loi pour la reconquête de la biodiversité promulguée le8 août 2016, qui a notamment in­troduit la notion de préjudiceécologique dans le code civil.

Depuis juin 2017, comme prési­dente de la commission du déve­loppement durable et de l’aména­gement du territoire de l’Assem­blée, elle a pu aussi se familiariser avec les protagonistes de nombre de dossiers. Mais Barbara Pompili aura­t­elle les moyens d’incarner l’accélération de la transition éco­logique promise par le chef de l’Etat, et attendue par une partie des Français, ainsi que l’ont mon­tré les résultats des élections mu­nicipales, dimanche 28 juin ?

En transmettant les clés du mi­nistère à sa successeure, Elisabeth Borne lui lègue une tâche ardue : transcrire dans la loi et la politiquegouvernementale les propositionsde la convention citoyenne pour leclimat − remises au chef de l’Etat le21 juin −, et inscrire la transition écologique comme marqueur de la fin du quinquennat d’Emma­nuel Macron. La ministre est d’ailleurs numéro deux du gou­vernement et hérite d’un vaste pé­rimètre intégrant la thématique du logement, cruciale pour la ré­duction des émissions de gaz à ef­fet de serre, dont Emmanuelle Wargon sera la ministre déléguée. Le chef de l’exécutif n’a pourtant pas fait le choix d’un nom emblé­matique pour le ministère, comme pouvait l’être celui de Ni­

colas Hulot, préférant une diplô­mée de sciences politiques, au passé écologiste mais ralliée à la majorité présidentielle dès 2017.

Barbara Pompili, 45 ans, est, defait, peu connue du grand public. Pas plus que ne l’étaient la plupart de ses prédécesseurs, dont Fran­çois de Rugy, avec qui elle avait quitté les Verts en 2015 pour créer le Parti écologiste. Elle a ensuite re­joint La République en marche (LRM), à l’occasion de sa réélection comme députée de la Somme en juin 2017 − en juin 2012, c’est sous l’étiquette Europe Ecologie­Les Verts (EELV) qu’elle avait été élue.

Peser de l’intérieurDoit­on voir dans son arrivée à la tête du ministère une reconnais­sance pour être restée fidèle aux « marcheurs » du président et n’avoir pas rejoint les dissidents emmenés notamment par le dé­puté du Maine­et­Loire Matthieu Orphelin, ex­LRM, qui a créé, en mai 2020, le groupe parlementaireEcologie Démocratie Solidarité (EDS), comprenant dix­sept dépu­tés ? « Je me souviens que, lors du projet de création de ce neu­vième groupe parlementaire, des émissaires de la majorité m’ont fait passer le message d’un possible poste au gouvernement pour incar­ner l’écologie, en cas de renonce­ment », relate Matthieu Orphelin.

Barbara Pompili, qui avait assistéaux prémices d’EDS, a choisi de rester dans le giron de la majorité. Tout en prenant parfois la liberté de faire des pas de côté. Ainsi, aux dernières municipales à Amiens, elle soutenait une liste écologiste, emmenée par son compagnon, Christophe Porquier (ex­EELV), contre la maire sortante Union desdémocrates et indépendants (UDI), Brigitte Fouré, qui avait le soutien de LRM.

C’est néanmoins au sein de lamajorité qu’elle décide d’œuvrer, pour peser de l’intérieur, dit­elle.Elle lance, fin mai 2020, un cou­rant au sein de LRM, regroupant une cinquantaine de députés,

baptisé « En commun pour une France humaine, écologique et solidaire ». « Nous aurons aussi à concrétiser les travaux de la con­vention citoyenne sur le climat, fruit d’une délibération citoyenne éclairée et libre. Ils dessinent unnouveau contrat écologique », écrivent les signataires dans la tri­bune de lancement.

Barbara Pompili connaît les dif­ficultés qui l’attendent. Elle dé­nonçait, dans une interview auMonde en mai 2016 l’influencedes « lobbys » de la chasse, de l’agriculture intensive, ou del’agrochimie. Elle a manifestéson opposition à certains inté­rêts, en signant par exemple, le22 juin dans Libération, une tri­bune contre le développementdes projets d’entrepôts et méga­centres de tri de l’e­commerce, ci­blant en particulier Amazon.

L’un des premiers objectifs de laministre sera de tenir les orienta­tions fixées dans la loi énergie cli­mat, avec notamment l’objectif de neutralité carbone en 2050.

Sur le nucléaire, la nouvelle mi­nistre va se trouver dans une po­sition délicate. Barbara Pompili aderrière elle un parcours de mili­tante antinucléaire. Lors de sa réélection en 2017, elle met sur pied une commission d’enquêteparlementaire sur la sûreté et lasécurité des centrales nucléaires.Elle expliquait alors au Mondevouloir « sortir de l’opacité » sur ce sujet. Et affirmait n’être « pasd’accord » avec Emmanuel Ma­

cron sur le fait que le nucléaireest une énergie d’avenir.

Or elle sera la ministre de tutelledes principaux groupes du sec­teur, EDF et Orano (ex­Areva).Mme Pompili aura ainsi à échan­ger avec la filière sur le chantierhors norme de l’EPR de Flaman­ville (Manche), et surtout à avan­cer sur des dossiers­clés : le dé­coupage d’EDF pour sanctuariser les activités nucléaires et surtout les projets de construction de nouveaux réacteurs. En 2018, elleestimait ainsi « absurde » cetteidée. Elle s’est également opposéeau projet Cigéo de stockage de dé­chets nucléaires de longue duréeà Bure (Meuse). La filière nu­cléaire risque donc d’accueillir fraîchement la nouvelle ministre.

Mais celle­ci saura certainementtrouver des soutiens du côté des professionnels des énergies re­nouvelables. Mme Pompili s’est ré­gulièrement prononcée pour une accélération du développement del’éolien et du solaire. Elue de la Somme, un département très di­visé entre pro et antiéolien, elle a

souvent pris parti pour desserrer les contraintes pesant sur la créa­tion de nouveaux parcs.

Sur ce sujet, elle devra faire ap­pliquer la feuille de route énergé­tique de la France, qui prévoit unfort développement des énergiesrenouvelables. Et également con­duire la fermeture des quatredernières centrales à charbon enFrance avant 2022. Une promessed’Emmanuel Macron qui sera difficile à tenir.

« Dans une équipe si ouvertementpro­chasse ou pro­corrida ou si peu encline à prendre sérieusement encompte les enjeux écologiques (…), la tâche paraît bien lourde », com­mentait, lundi 6 juillet, EELV. « L’ex­périence et l’engagement de Bar­bara Pompili pour l’environnement ne font aucun doute, mais nous sommes malheureusement scepti­ques sur l’influence réelle qu’elle pourra avoir face à un président omniprésent », estimait de son côté Greenpeace.

Les marges de manœuvre dontbénéficiera Barbara Pompili de­vraient être rapidement con­nues. Fin juillet se tiendra unnouveau conseil de défense éco­logique, annoncé par EmmanuelMacron le 22 juin, alors qu’il rece­vait les membres de la conven­tion pour le climat à l’Elysée. Uneoccasion pour le gouvernementde matérialiser son ambitionverte affichée.

rémi barroux,alexandre piquard

et nabil wakim

Nadia Hai, une élue de Trappes au ministère de la villeAussitôt après sa nomination, la nouvelle ministre déléguée a démissionné de son mandat de députée LRM

C’ est une femme qui apassé son enfance àTrappes, un des symbo­

les de la France des banlieues,qu’Emmanuel Macron a choisie comme ministre déléguée à la ville. Nadia Hai, 40 ans, était de­puis 2017 la députée de la 11e cir­conscription des Yvelines. Elle a transmis sa démission « sèche »dès l’annonce de sa nomination. Sous les couleurs de La Républi­que en marche (LRM), cette noviceen politique avait battu dès le pre­mier tour des législatives Benoît Hamon, candidat malheureux à la présidentielle.

« Je me suis engagée à En mar­che ! parce que je voulais défendre l’égalité hommes­femmes, unthème qui m’est cher », avait dé­claré Nadia Hai devant l’assem­blée quasi exclusivement mascu­line qui l’avait reçue, quelques

jours après sa victoire, pour célé­brer à la mosquée la rupture du jeûne du ramadan. Pour promou­voir l’égalité des chances aussi.

Durant la campagne, aucunedes figures locales n’avait prêté attention à elle. Ni Hamon ni le leader de la droite locale, Jean­Mi­chel Fourgous, n’avaient cru à l’époque que cette femme, mariéeet mère de deux enfants, pourraitleur voler avec 53 % des voix lefauteuil tant convoité.

Fille d’un ouvrier arrivé du Ma­roc, cadre d’une banque privée et désormais parisienne (16e arron­dissement) depuis plus d’une di­zaine d’années, la nouvelle minis­tre se souvient très bien de la ma­nière dont la directrice du person­nel de Valeo l’avait accueillie alorsqu’elle postulait pour son pre­mier contrat en alternance, après un BTS banque et des dizaines

d’emplois en intérim. « Mais vous êtes blonde ! », s’était étonnée la DRH. A rebours des affirmations identitaires d’aujourd’hui, Nadia Hai juge que cette blondeur et « l’absence d’accent trop prononcé des quartiers » ont été une chance « pour compenser le handicap deTrappes ». Mme Hai intègre ensuitela banque HSBC dans le cadre des politiques de « discrimination po­sitive » mises en place dans les an­nées 2000 au sein de plusieurs entreprises privées, avant de de­venir conseillère en patrimoine. En 2015, elle entre chez Barclays. C’est là que la politique la cueille : début 2017, elle adhère au comité Femmes en marche avec Macron.

Nadia Hai reste liée à la ville deson enfance, où elle a grandi et oùvit encore sa mère. Sa perma­nence de députée, dans la zoneindustrielle de Trappes, est le plus

souvent déserte, mais, dès qu’elle le peut, elle y convie ses collègues ministres ou députés.

A l’Assemblée, Nadia Hai estmembre de la commission des fi­nances et vice­présidente du groupe d’études villes et ban­lieues. Elle évoque à plusieurs reprises cette thématique à l’Ely­sée avec Emmanuel Macron. En septembre 2017, après l’une de leurs rencontres, le président an­nonce devant les préfets son futur« plan de lutte contre la radicalisa­tion », testé à Trappes. Il s’agit alorsde mobiliser les services publics dans des quartiers qui ont connu de nombreux départs en Syrie, comme à Trappes. Plus de 70 jeu­nes de cette ville de 32 000 habi­tants sont partis mourir au dji­had – un record européen.

Premier souci pour la nouvelleministre : son siège à l’Assemblée

nationale. Son suppléant, Moussa Ouarouss, un des premiers à s’êtreengagé en 2016 au sein des Jeunes avec Macron, ne « souhaite pas » siéger, confie­t­il au Monde. Moussa Ouarouss, qu’elle a connu en février 2017 au siège du Medef lors d’une rencontre avec l’asso­ciation Les Déterminés (qui œuvrepour aider les entrepreneurs en banlieue), se trouve dans une si­tuation délicate. Cet entrepreneur de Reims est mis en examen et placé sous contrôle judiciaire dansune affaire de stupéfiants. Une élection législative partielle est donc probable, non sans risque pour LRM. A Trappes, Ali Rabeh, deGénération.s, vient de rafler la mairie à Guy Malandain, le maire divers gauche sortant, qui était soutenu par Nadia Hai et LRM.

raphaëlle bacquéet ariane chemin

LE CONTEXTE

GOUVERNEMENTAvec dix-sept femmes, quatorze hommes, seize ministres de plein exercice, quatorze ministres délé-gués et un secrétaire d’Etat porte-parole du gouvernement, le gou-vernement Castex respecte la parité. Parmi les ministres de plein exercice, une relative stabi-lité est de mise, avec seulement trois nouveaux noms.Promu premier dans l’ordre pro-tocolaire, Jean-Yves Le Drian reste ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Suivent Bar-bara Pompili, ministre de la tran-sition écologique ; Jean-Michel Blanquer, à l’éducation natio-nale ; Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la relance et Florence Parly aux armées. Gérald Darmanin ob-tient le ministère de l’intérieur, Elisabeth Borne celui du travail et Sébastien Lecornu les outre-mer, quand Jacqueline Gourault garde le ministère de la cohésion des territoires. Eric Dupond-Moretti, ministre de la justice, est dixième dans l’ordre protocolaire, quand Nicole Belloubet était deuxième. L’ancienne ministre Roselyne Bachelot est nommée à la culture ; Olivier Véran garde les solidarités et la santé tandis qu’Annick Girardin hérite d’un nouveau ministère, celui de la mer. Frédérique Vidal garde l’en-seignement supérieur, Julien De-normandie passe du logement à l’agriculture. Amélie de Mont-chalin, ex-secrétaire d’Etat aux affaires européennes, devient mi-nistre de la transformation et de la fonction publiques. Roxana Maracineanu reste aux sports, mais désormais rattachée à l’éducation nationale.Parmi les ministres délégués, on trouve cinq nouveaux entrants : Elisabeth Moreno, à l’égalité en-tre les femmes et les hommes, la diversité et l’égalité des chances ; Alain Griset, patron de l’union des entreprises de proximité (U2P) aux petites et moyennes entreprises, l’ex-présidente du Haut-Rhin Brigitte Klinkert, chargée de l’insertion, les dépu-tées Nadia Hai à la ville et Bri-gitte Bourguignon, chargée de l’autonomie. Pour clôturer cet or-ganigramme encore incomplet, Gabriel Attal, fidèle du chef de l’Etat, devient porte-parole du gouvernement. Quant aux secré-taires d’Etat, ils ne seront pas connus avant la fin de la se-maine, voire la semaine pro-chaine, après un premier conseil des ministres, mardi à 15 heures.

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SON PARCOURS DE MILITANTE ANTINUCLÉAIRE

VA LA PLACER DANS UNE POSITION 

DÉLICATE FACE À LA FILIÈRE

La nouvelle ministre de la transition écologique, Barbara Pompili, le 7 juillet, à Paris. JULIEN MUGUET POUR « LE MONDE »

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Page 14: Le Monde - 08 07 2020

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Le retour surprise de Roselyne BachelotRetirée de la politique depuis 2012, l’ancienne ministre de la santé de Nicolas Sarkozy revient à la culture

T oujours là. Inoxydable.73 ans, et un enthou­siasme probablementintact. Roselyne Bache­

lot, nommée ministre de la cul­ture ? Pourtant, elle avait juréqu’on ne l’y prendrait plus. La po­litique, c’était fini pour Roselyne Bachelot, et parfaitement as­sumé devant les caméras. Elleavait assez donné. Ministre del’écologie en 2002, sous JacquesChirac, puis ministre de la santésous Nicolas Sarkozy en 2007,puis ministre des solidarités en 2010… Des gaffes en pagaille,une bonne humeur inaltérable,un franc­parler plaisant.

On l’avait ainsi croisée en Afri­que du Sud, en 2010, appelée encatastrophe au chevet d’uneéquipe de France de football pro­che du ridicule, avec ses piètres leaders qualifiés par elle de « caïds ». Puis revue, à son domi­cile parisien, neuf ans plus tard, àdeux pas du siège du parti LesRépublicains (LR), pour parlerde « son » François Fillon, cetétrange homme politique qu’elleconnaît mieux que personne. Làencore, avec une sincérité peucourante, elle l’étrillait tout en lecouvant de son affection, ce qui lui avait valu le courroux de l’an­cien premier ministre, avec en­suite des échanges par SMSaigres­doux. Elle n’avait rien lâ­ché, quand c’est dit, c’est dit.

Amour de l’opéraCe jour­là, dans le 15e arrondisse­ment, elle était pressée, elle de­vait se rendre à l’opéra, et finir unarticle sur le sujet. Son grandamour, c’est vraiment la musi­que, on l’avait compris. Avant lapolitique, avant même son pre­mier métier, docteur en phar­macie. Cinquante opéras par an,des voyages initiatiques à Bay­

reuth ou Salzbourg, des livresdans ses étagères, par dizaines,sur Wagner, et surtout son cherVerdi ; d’ailleurs, Roselyne Bache­lot arrive toujours une demi­heure en avance au spectacle, aubas mot, pour s’imprégner. Le« dépucelage opératique », elle leconseille avec Verdi, à qui elle aconsacré un livre.

Animatrice d’une chroniquesur France Musique, où elle

avoue aimer l’art lyrique commele rappeur Youssoupha, elle peutvous dégainer un grand air àtout moment, comme ça, sansprévenir. Tout en conservantpour elle ses grandes peines. Unenfant en souffrance, sur le planmédical. Des douleurs person­nelles qu’elle sait taire.

Ce sont ses avanies profession­nelles qui l’ont, peut­être, propul­sée rue de Valois. Parce que le retour de Bachelot, c’est quand même du jamais­vu, personne n’y croyait, et pas sûr que quicon­que l’espérait vraiment.

Elle avait disparu de l’espace po­litique pour s’amuser sérieuse­ment sur les plateaux de télévi­sion, de C8 à LCI, rigoureuse, tou­jours, bossant ses sujets. C’est d’ailleurs à LCI, dans des studiosde maquillage déserts, qu’on l’avait revue. Pour raconter son re­tour en grâce médiatique, en plein déconfinement, alors que la France cherchait des masques et du matériel médical. Elle qui avait

tant peiné, en 2009, à promou­voir le principe de prévention,quoi qu’il en coûte, déjà.

Souvenez­vous : dès le 4 juillet2009, Roselyne Bachelot, soute­nue par Nicolas Sarkozy et son premier ministre, François Fillon, passe commande de 94 millions de doses de vaccin pour lutter contre la grippe A, tandis que195 millions d’euros sont prévus pour l’acquisition de masques, chirurgicaux et FFP2. Tant et si

L E   G O U V E R N E M E N T   C A S T E X

a priori, rien ne prédestinait Eli­sabeth Moreno à intégrer le gou­vernement français. Mais c’est peu de dire que la femme d’affaires franco­capverdienne, âgée de 49 ans, n’est pas du genre à suivre un parcours en ligne droite. Direc­trice générale Afrique du groupeHP (Hewlett­Packard) depuis jan­vier 2019, cette patronne discrètede la tech devient ministre délé­guée chargée de l’égalité femmes­hommes, de la diversité et de l’éga­lité des chances. Un nouveau cha­pitre pour cette fille d’immigrésqui s’est faite à la force du poignet. « Je cochais toutes les cases de l’im­possibilité : des parents qui ne sa­vent ni lire ni écrire, une femme,noire, élevée dans une cité », con­fiait­elle, en 2019, au Figaro.

Née au Cap­Vert, archipel d’îlesvolcaniques situé au nord­ouestdes côtes africaines, elle arrive àl’âge de 6 ans avec ses cinq frères etsœur en France, où sa famille s’ins­

talle dans l’Essonne. L’école, du­rant ces premières années, est un « refuge », racontera­t­elle plus tard. Titulaire d’un bac littéraire, elle étudie le droit mais s’oriente finalement vers l’entrepreneuriat en créant, avec son ex­mari, unesociété spécialisée dans la réhabili­tation thermique.

En 1998, elle bifurque à nouveauet rejoint le premier groupe de té­lécommunications français, Fran­ce Télécom, devenu Orange, où elle pilote le département ventes PME­PMI. Elle ne cessera plus de gravir les échelons dans la sphère des entreprises technologiques. Elle est ainsi débauchée en 2002par le groupe informatique améri­cain Dell, où elle reste dix ans, avant d’intégrer le chinois Lenovo, numéro un mondial du PC. En 2017, cette battante entrée comme commerciale y est promuePDG de la filiale française. Deux ans plus tard, son arrivée chez HP

lui permet de renouer avec son continent d’origine. Installée à Jo­hannesburg, en Afrique du Sud, elle professe sa foi en la technolo­gie pour accompagner le dévelop­pement du continent.

S’il ne s’agit pas d’un fil rougedans son parcours, la promotion des femmes est l’un de ses engage­ments. Le 4 juillet, participant en visioconférence depuis Johannes­burg aux rencontres économiques organisées par le Cercle des écono­mistes, elle invitait les femmes à s’investir davantage dans son sec­teur, connu pour manquer de pro­fils féminins. « Si on laisse les tech­nologies se construire uniquement avec des valeurs masculines, on aura des exemples malheureux (…) où les machines deviennent racistes,misogynes, exclusives », affirmait cette membre du Cercle InterElles, qui réunit les réseaux féminins d’entreprises de la technologie.

marie de vergès

ÉLISABETH MORENOUne patronne de la tech à l’égalité femmes-hommes

à bientôt 40 ans, Julien De­normandie reste ministre dansle nouveau gouvernement Cas­tex, mais il quitte le logementpour l’agriculture, où cet ingé­nieur des eaux et forêts re­trouve son domaine de forma­tion. D’une famille de méde­cins – son père est un chirur­gien orthopédique reconnu, aujourd’hui dirigeant du co­mité « Bien vieillir » dugroupe de maisons de retraite Korian –, père de quatre en­fants, catholique, il s’est beau­coup impliqué, comme secré­taire d’Etat puis ministre du lo­gement, depuis 2017, dans l’hé­bergement des sans­abri.

Sa déclaration maladroite, le30 janvier 2018, estimant à « une cinquantaine d’hommes isolés » le nombre de person­nes dormant dans les rues de lacapitale, avait vite été démen­tie par le premier comptage,

baptisé Nuit de la solidarité et organisé par la Mairie de Paris, qui, le 15 février suivant, recen­sait près de 3 000 hommes,femmes et enfants à la rue. Les contraintes budgétaires dic­tées par Bercy n’ont pas permisà Julien Denormandie de me­ner à bien la politique ambi­tieuse de construction et de ré­novation qu’il était censé met­tre en œuvre, les fameux « choc de construction » puis « choc de rénovation de l’habi­tat ancien » annoncés par leprésident de la République.

M. Denormandie est uncompagnon de la premièreheure d’Emmanuel Macron,membre de son cabinet lors­que ce dernier était ministrede l’économie et des financesentre 2014 et 2016, avant d’êtreappelé à fonder le parti En marche ! – dont il aime à direqu’il fut, en tant que secrétaire

général adjoint, l’un des pre­miers salariés – pour conqué­rir l’Elysée, en mai 2017, etremporter, dans la foulée, lesélections législatives de juin.

Apprécié pour ses qualitésd’écoute et de courtoisie ainsi que pour sa force de travail, le nouveau ministre de l’agricul­ture n’a pas néanmoins d’expé­rience d’élu local : lors d’une de ses premières apparitions en public, le 27 septembre 2017, au congrès HLM, à Strasbourg, et au lendemain de l’annonce d’une baisse brutale des recet­tes HLM, il avait eu du mal, sousles huées des 5 000 congressis­tes, à achever son discours. De­puis, il a tout fait pour rétablir ledialogue avec le monde HLM, levier essentiel pour la cons­truction de logements aborda­bles, en France, sans jamais vraiment y parvenir.

isabelle rey­lefebvre

JULIEN DENORMANDIELe fidèle de Macron déménage à l’agriculture

bien qu’à l’automne 2009, la France compte un stock de1,7 milliard de masques. Au final, au moins 662 millions d’euros dé­pensés, et des tonnes de critiques,pour, « seulement », 342 décès.

A l’époque, elle admoneste lesdéputés qui s’en prennent à sagestion de la crise : « Les masques sont un stock de précaution – excu­sez­moi si ce mot devient un gros mot ici. Et ce n’est pas évidemmentau moment où une pandémie sur­viendra qu’il s’agira de constituerles stocks. Un stock, par définition, il est déjà constitué pour pouvoirprotéger. » Sacrément divinatoire.

Respect nouveauRoselyne Bachelot est écartée de l’Avenue de Ségur, en 2010, puis quitte la vie politique, en 2012.Amère. Elle a au moins une certi­tude, nous confie­t­elle ensuite : « Je ne me suis jamais dit : “J’ai dé­conné !” Il y a bien des proches qui m’ont conseillé de m’excuser, de dire que je m’étais trompée… Non !

J’ai fait des choix, je les ai assumés, et je n’ai pas rejeté la faute sur Sarkozy ou d’autres. »

Ce qui la tourmente, encore, enmars, quand la France se calfeutre, et que l’on est encore loin des 30 000 décès imputables au coro­navirus ? « J’éprouve un sentiment de culpabilité : si nous avions été de­vant une pandémie très grave, est­ce que je n’aurais pas dû en faireplus, n’aurais­je pas dû mieux con­vaincre ? Mon affaire a amené un désarmement général, cela a décré­dibilisé la parole politique. Les gens se sont dit : “On en fait trop.” Et pournous, politiques, le risque d’en faire trop est devenu plus grand que de ne pas en faire assez. »

Reste qu’après cet épisode, elleavait pu arpenter à nouveau les plateaux, toute requinquée, devi­nant dans le regard de ses interlo­cuteurs un respect nouveau : ellen’était plus la Roselyne Bachelotétrangement vêtue et friande de bons mots, elle était celle qui avaitsu, avant tout le monde.

Quatre mois plus tard, enjuillet 2020, la voici d’ailleurs de­vant la commission d’enquêteparlementaire, convoquée pourdonner son opinion sur la gestionde la crise sanitaire par le gouver­nement. On l’espère peut­être sanglante ? Elle se montre magna­nime, épargnant les errances du pouvoir exécutif, là où elle aurait pu jouer les revanchardes : « Il fautse méfier des leçons du passé et desretours d’expériences dont noussommes si friands », lance­t­elleaux députés. En pensant, peut­être, à cette correspondance de son Giuseppe Verdi vénéré : « Lais­sons cela, écrivait­il en 1873, et neparlons plus de ces gens qui un jourou l’autre nous anéantiront. » L’avantage de l’expérience : plus besoin de sortir les daguesd’opéra, de se cacher dans les dé­cors. Sur scène, c’est définitive­ment là que ça se joue.

gérard davet et fabrice lhomme

Roselyne Bachelot, avant la passation des pouvoirs au ministère de la culture, à Paris, lundi 6 juillet. ALAIN JOCARD/AFP

« Le temps m’est compté »Lundi soir, lors de la passation de pouvoir avec son prédécesseur, Frank Riester, Roselyne Bachelot a dévoilé son plan de vol avec une priorité : « mettre la culture au cœur du plan de reconstruction de notre pays » après la crise due au Covid-19. « Je sais que le temps m’est compté, a-t-elle souligné. L’urgence absolue en ce début d’été sera d’aider à la remise en route et en état des lieux de culture : festivals, musées, cinémas, monuments historiques. » Mme Bachelot souhaite en particulier tenir « dans les prochains jours » des « états généraux des festivals », touchés par une vague d’annulations cette année, « pour que la saison prochaine retrouve sa vitalité artistique ». Elle a aussi dit vouloir s’« impliquer pour que les salles de théâtre, d’opéra et de concerts puissent redémarrer ».

ROSELYNE BACHELOT ANIME UNE CHRONIQUE SUR FRANCE MUSIQUE, OÙ ELLE AVOUE AIMER L’ART LYRIQUE COMME 

LE RAPPEUR YOUSSOUPHA

« JE NE ME SUIS JAMAIS DIT : “J’AI DÉCONNÉ !” J’AI FAIT DES CHOIX, JE 

LES AI ASSUMÉS ET JE N’AI PAS REJETÉ LA FAUTE SUR SARKOZY OU D’AUTRES »

ROSELYNE BACHELOTministre de la culture

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Page 15: Le Monde - 08 07 2020

0123MERCREDI 8 JUILLET 2020 france | 15

Mediator : « C’est une affaire de justice ou d’argent ? »Le jugement sera rendu le 29 mars 2021, plus de onze ans après la révélation du scandale de ce médicament

RÉCIT

N ous allons devoir met­tre de côté l’émotiontrès forte que nousavons ressentie, car

cette émotion ne doit pas être le guide de notre décision. Seul le respect du droit et de la procédure peut être le fil conducteur de notreréflexion. » A l’issue de « 517 heu­res et quelques minutes d’au­dience » marquées par les témoignages de dizaines de victi­mes, le procès du Mediator a pris fin, lundi 6 juillet, et c’est par cetavertissement que la présidenteSylvie Daunis a clos les débats en­tamés le 23 septembre 2019 de­vant la 31e chambre correction­nelle du tribunal de Paris.

Pour la dernière fois, la défensedes laboratoires Servier – jugés notamment pour « tromperie »,« homicides involontaires » et « es­croquerie » – a tenté de convaincrequ’ils n’avaient pas menti sur les propriétés du Mediator, médica­ment mis sur le marché en 1976 comme antidiabétique mais lar­gement prescrit comme coupe­faim, et qu’ils n’avaient pas vo­lontairement commercialisé jus­qu’en 2009 un produit toxique ayant causé la mort de centaines de consommateurs. Deux semai­nes plus tôt, persuadée que le groupe pharmaceutique avait fait« en toute connaissance de cause le choix cynique de ne pas tenir compte des risques qu’il ne pou­vait ignorer », la procureure avait requis plus de 10 millions d’euros d’amende contre lui, et cinq ansde prison dont deux avec sursis contre son ancien numéro 2,Jean­Philippe Seta.

Point final d’un procès extraor­dinaire par sa longueur et sa com­plexité, une journée de plaidoirie à deux voix, celles de François de Castro et Hervé Temime, avo­cats historiques des laboratoires Servier. Au premier, plus de qua­tre heures d’un exposé exhaustifet minutieux. Au second, une heure et demie d’envolées flam­boyantes. Pour les deux, un même numéro d’équilibriste : ladéfense totale de leurs clients dont ils réclament la relaxe, sans froisser les parties civiles.

« L’enjeu de ce procès est quel’histoire et la voix des victimes soient respectées sans qu’en pâ­

tisse la vérité judiciaire, a expliquéFrançois de Castro, premier à plai­der. Ce n’est pas parce que la pa­role des victimes est sincère qu’elledoit se confondre avec la réalité et interdire tout débat. La tâche dutribunal n’est pas de déterminer siles parties civiles ont souffert, mais quelle part de cette souf­france, qui n’est pas contestée, estimputable aux actions ou aux omissions des prévenus. L’apaise­ment moral que certaines partiesciviles réclament n’a pas sa place dans une instance pénale. »

Au fil d’une défense centimètrepar centimètre, appuyée sur lalongue énumération de « 26 évé­nements importants dans l’his­toire du Mediator », l’avocat a dé­douané ses clients tant qu’il pou­vait. « A aucun moment, les labo­ratoires Servier n’ont laissé le Mediator sur le marché en con­naissance des risques », a assuré Me de Castro, mettant en garde contre le « biais d’anachronisme »qui laisserait penser que la toxi­cité du Mediator, évidente au­jourd’hui, l’était déjà il y a plu­sieurs décennies. « Le pire, c’estqu’au sein des laboratoires Servier,on croyait à ce médicament », a­t­ilajouté, avant de citer Mark Twain :« Le danger, ce n’est pas ce que l’on ignore, c’est ce que l’on tient pour certain et qui ne l’est pas. »

« La faillite d’un système »Me de Castro n’a pas totalementabsous ses clients – « Je ne veux pasque le tribunal pense que les labo­ratoires Servier sont dans le déni ouqu’ils se croient irréprochables » – mais son début de mea culpa n’a servi qu’à incriminer l’Agence na­tionale de sécurité du médica­ment (ANSM), accusée de n’avoir pas empêché le scandale, et jugée elle aussi pour « homicides invo­lontaires » : « Les laboratoires Ser­vier savent qu’ils ont été mauvais, et même très mauvais, dans l’ap­préciation du risque, en se repo­sant sur les autorités sanitaires. »

« Ce serait tellement déculpabili­sant qu’un seul homme ou un seul laboratoire puisse être responsa­ble de tout. Mais non, c’est lafaillite d’un système, a enchaîné Hervé Temime. On ne dilue pasnotre responsabilité. La responsa­bilité des laboratoires Servier, elleest première. Mais on dit : “Croyez­vous que c’est si manichéen que

ça” ? » Une réponse directe à l’avo­cate de l’ANSM, Nathalie Sch­melck, qui avait reconnu une partde responsabilité de l’agence, mais affirmé lors de sa plaidoirie :« Cette affaire n’est pas la faillitedes autorités sanitaires. Il s’agitd’un médicament, et d’un seul,commercialisé par un laboratoire qui n’a cessé de mentir. »

Me Temime a balayé l’argumentde la dissimulation aux autorités des propriétés anorexigènes du Mediator, sur lequel se fondetoute l’accusation – « une fable ». Il

a dénoncé un « défaut de preuveévident » dans un dossier auquel ilmanque des pièces, notammentau sujet de l’escroquerie, pour la­quelle l’Assurance­maladie récla­me 500 millions d’euros d’in­demnisation après trente­trois ans passés à rembourser un mé­dicament qui n’était pas ce qu’il semblait être : « Comment voulez­vous condamner pour escroquerie sans avoir le dossier de demande de remboursement ? » Puis il s’en est pris aux avocats de parties ci­viles ayant réclamé, eux aussi,

500 millions d’euros d’indemni­sation pour les victimes et leurs proches : « C’est une affaire de justice ou une affaire d’argent ? »

6 793 victimes partie civileLe ton s’est fait plus calme quand il s’est agi de voler au secours de Jean­Philippe Seta, seule per­sonne physique jugée pour« tromperie » et « homicides invo­lontaires » compte tenu de ses responsabilités au sein dugroupe. L’occasion d’un nouveau numéro d’équilibriste consistantà se défausser sans en avoir l’airsur Jacques Servier, mort en 2014 :« Je ne trahirai pas Jacques Servier.Mais c’était évidemment son labo­ratoire, il était seul maître à bord (…) Jean­Philippe Seta est un pré­venu de substitution, a expliqué Me Temime. Il ne peut pas y avoir de coupable de substitution. Ledocteur Seta doit répondre de ses actes, mais je veux que vous ayez en tête que les laboratoires, c’était le docteur Servier. »

Les deux avocats se sont enfinélevés contre la « présomption d’innocence violée » et la « diaboli­sation » des laboratoires, « ac­cusés définitifs depuis 2011 », selonMe de Castro, « traités comme des malpropres, surveillés comme per­sonne d’autre », selon Me Temime.Ce dernier a appelé le tribunal à la mesure, au nom d’une forme de patriotisme pharmaceutique, alors que Servier fait presque toutson chiffre d’affaires à l’étranger mais « emploie en France ». La per­sonne morale que le tribunal a à juger, a insisté Me Temime, « ce sont 22 000 personnes qui tra­vaillent sans ambiguïté au servicede la santé des patients, et qui vi­vent cette affaire depuis dix anscomme une terrible douleur – quin’a évidemment rien à voir aveccelle des victimes ».

Le tribunal doit maintenant dé­cider de déclarer les prévenus coupables ou non. Le cas échéant,il lui faudra s’arrêter sur la situa­tion de chacune des 6 793 victi­mes qui se sont constituées partiecivile, et déterminer une indem­nisation éventuelle. Le processus sera extrêmement long. Le juge­ment sera rendu le 29 mars 2021, un an et demi après l’ouverture du procès, plus de onze ans après la révélation du scandale.

henri seckel

Renseignement : l’Etat veut étendre l’usage de l’algorithmeDans un rapport remis au Parlement, le gouvernement souhaite que cette technique soit étendue au­delà du terrorisme

C rise sanitaire oblige, unerumeur persistante lais­sait croire que le gouver­

nement prendrait six mois de plus pour dire ce qu’il pensait de l’expérimentation des algorith­mes au sein des services de ren­seignement. Cette technique desurveillance permet à ces der­niers, grâce à un programme in­formatique, de passer en revue entemps réel une masse de donnéesnumériques pour détecter des menaces terroristes.

Finalement, comme la loi l’im­posait, le gouvernement s’est pro­noncé dans un rapport confiden­tiel transmis, le 30 juin, à la prési­dente de la commission des lois del’Assemblée, Yaël Braun­Pivet. Se­lon les informations du Monde, il propose la validation du dispositif mais il veut étendre les capacités de l’algorithme à des données pluspersonnalisées.

Le ministère de l’intérieur et ladirection générale de la sécurité intérieure (DGSI), maîtres d’œu­vre de cette arme technique,même si ce sont les ingénieurs dela direction générale de la sécuritéextérieure (DGSE) qui la conçoi­

vent, veulent étendre son champ de surveillance. Ils souhaitent que l’algorithme puisse aussi s’at­taquer aux adresses dites « URL », connues sous le nom « d’adresses Web ». Ces dernières sont enregis­trées par chaque utilisateur lorsd’une consultation Internet ou d’une recherche sur les réseauxsociaux. En guise d’explication, le gouvernement assure que, à ce jour, cet outil chargé de détecter lamenace terroriste de basse inten­sité n’a permis de déboucher sur aucun dossier opérationnel.

Lecture « restrictive »Ce projet gouvernemental fait émerger une divergence de fondavec l’analyse de la Commission nationale de contrôle des techni­ques de renseignement (CNCTR),instance administrative et indé­pendante chargée de donner un avis consultatif pour l’utilisation de chacune de ces techniques. Pour la CNCTR, en effet, « l’adresseURL » n’est pas une simple don­née technique de communica­tion, comme le pensent les servi­ces. Pour elle, il s’agit de données personnelles puisqu’elles déli­

vrent des indications de « con­tenu » sur nos recherches. Unelecture jugée, au sein de l’Etat ré­galien, comme « restrictive ».

Le débat est ouvert. Dans ses con­clusions, remises le 10 juin, la mis­sion d’évaluation de l’Assemblée sur la loi renseignement du 24 juillet 2015 suivait les attentes des services. Elle partage leur sou­hait de valider le dispositif et d’in­tégrer les adresses URL dans le champ de surveillance de l’algo­rithme. Elle écrit ainsi « les trois al­gorithmes actuellement mis en œuvre ont fourni des résultats inté­ressants mais limités aux seules données téléphoniques ».

Selon le gouvernement, son rap­port nourrira le projet de loi relatif à la lutte contre le terrorisme et surle renseignement qui doit être pré­senté, le 17 juillet, au Parlement. Cetexte doit notamment prolonger la phase dite « d’expérimenta­tion » de l’algorithme. Elle devait se clore fin 2020. Créé par la loi ren­seignement de juillet 2015, l’algo­rithme comportait une clause dite « de revoyure », imposant un nou­veau passage devant le Parlement pour vérifier la pertinence de

l’outil. Il devait être réexaminé deux ans après sa mise en service, mais, l’algorithme n’ayant vu le jour que fin 2017, rendez­vous étaitpris pour décembre 2020.

« Travail très “light” »La crise sanitaire a, de nouveau, posé la question du report du dé­bat sur cette technique de sur­veillance et même donné lieu, mi­mai, à une passe d’armes entre le gouvernement et l’Assemblée. Les présidentes des commissions des lois et de la défense et quelques dé­putés ont fait obstacle à la tenta­tive du gouvernement de pérenni­ser sans contrôle démocratique des techniques de renseignement et des mesures de surveillance.

Noyé dans un projet de loi four­re­tout sur la crise sanitaire, unsimple alinéa reportait « jusqu’au1er janvier 2022 la date d’entrée envigueur ou d’application de dis­positions législatives ou celle du terme d’expérimentations », dontl’algorithme. D’ici là, le gouverne­ment aurait agi par voie d’ordon­nance. Inacceptable pour l’As­semblée, d’où le nouveau rendez­vous du 17 juillet.

« Compte tenu de la crise du Covidet d’un agenda parlementaire per­turbé, explique Yaël Braun­Pivet, on risquait de rendre illégal l’al­gorithme si on n’arrivait pas à orga­niser le débat avant la fin 2020, néanmoins nous n’avons pas suivi le gouvernement qui voulait re­pousser la discussion fin 2021, il sera donc examiné d’ici la fin juillet 2021. » Concernant le rap­port du gouvernement sur l’algo­rithme, qui lance d’ores et déjà le débat sur le fond, la présidente de la commission des lois rétorque que pour elle, « il s’agit d’un travail très light et que la vraie évaluation de cet outil sera faite en 2021 ».

Par ailleurs, ajoute­t­elle, « le Par­lement doit prendre toute sa part sur les questions de renseignement,je n’envisage pas que le débat se li­mite à la seule clause de revoyure sur l’algorithme, il faudra, par exemple, sérieusement réfléchir à l’évolution du rôle de la délégation parlementaire au renseignement (DPR) en matière de contrôle, je suistrès mécontente, notamment, de l’absence de réponse sur la trans­mission de documents ».

jacques follorou

Pour la dernièrefois, la défense

des laboratoiresServier a tenté de convaincre qu’ils n’avaientpas menti sur les propriétésdu Mediator

RASSEMBLEMENTLe Conseil d’Etat suspend l’autorisation préalable pour manifesterLe juge des référés du Conseil d’Etat a suspendu, lundi 6 juillet, le décret du 14 juin instaurant une autorisation de manifesta­tion mais a maintenu l’inter­diction des rassemblements de plus de 5 000 personnes au regard de la situation sanitaire. Le juge administra­tif, saisi par plusieurs syndi­cats, estime qu’il existe « un doute sérieux » sur le fait que cette nouvelle procédure d’autorisation « ne porte pas une atteinte disproportionnée à la liberté de manifester ». – (AFP.)

DÉFENSEUn nouveau chef d’état-major pour MacronLe vice­amiral d’escadre Jean­Philippe Rolland a été nommé chef d’état­major particulier du président Em­manuel Macron à compter du 1er août, selon un arrêté paru dimanche 5 juillet au Journal officiel. Jean­Philippe Rolland, 56 ans, commande depuis 2017 la Force d’action navale. Il remplace l’amiral Bernard Rogel, 64 ans, qui occupait le poste de « CEMP » depuis juillet 2016. – (AFP.)

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Page 16: Le Monde - 08 07 2020

16 | ÉCONOMIE & ENTREPRISE MERCREDI 8 JUILLET 20200123

« Mimosa », le nouveau plan d’économies d’EDFLes pertes causées par la crise sanitaire se situent entre 2 milliards et 3 milliards d’euros pour l’énergéticien

E DF se prépare à trois an­nées difficiles. Selon nosinformations, le premierproducteur d’électricité

en Europe a engagé, en interne, unvaste plan d’économies, baptisé « Mimosa », qui vise à combler les pertes causées par la crise sani­taire, qui devraient se situer entre 2 milliards et 3 milliards d’euros.Le groupe étudie plusieurs possi­bilités : des cessions d’actifs im­portants, un gel des embauches etdes investissements, tout en cher­chant des réductions budgétaires à tous les étages.

Selon plusieurs sources inter­nes, la direction a demandé auxdifférentes branches et filiales de présenter des budgets revus à la baisse. Selon des documents con­sultés par Le Monde, le groupe souhaite stabiliser ses dépenses d’exploitation pendant les deux prochaines années et réduire for­tement ses investissements.« Pour atteindre 2,5 milliards d’eu­ros d’économies, il n’y pas beau­coup de choix, il faudra faire une grosse cession », souligne une source interne. « On nous a de­mandé de faire remonter toutes lespossibilités d’économies », rap­porte un responsable d’une filialeimportante.

Interrogée par Le Monde, la di­rection d’EDF confirme l’exis­tence d’un tel plan, sans pourautant en livrer les détails, quidoivent être présentés, fin juillet, au conseil d’administration. « Les arbitrages définitifs ne sont pasencore pris », précise une sourceinterne.

Le PDG du groupe, Jean­BernardLévy, a lui­même évoqué ce plandans le journal de l’entreprise,vendredi 3 juillet. « Certains ont entendu parler d’un plan d’écono­mies baptisé “Mimosa”, explique M. Lévy. Tout en réduisant certai­nes dépenses, nous n’abandon­nons aucun de nos grands projets.(…) Nous ne renoncerons à riend’essentiel, mais, dans quelquescas, nous retarderons certaines dépenses, nous étudierons cer­tains actifs du groupe si c’est né­cessaire, et nous serons très atten­

tifs à ce qui n’est pas immédiate­ment indispensable. »

L’entreprise sort déjà d’une cured’économies relativement sé­vère. En 2016, au moment de sarecapitalisation par l’Etat, elle s’était engagée à économiser 1 milliard d’euros par an et céder 10 milliards d’actifs. L’objectif a été tenu. Réaliser 2,5 milliards d’euros d’économies supplémen­taires représente un effort très si­gnificatif. « D’autant qu’on n’a plus grand­chose à vendre qui nesoit pas stratégique », s’inquièteun syndicaliste.

EDF ne peut se séparer d’aucuneactivité dans le domaine du nu­cléaire et n’entend pas désinvestirles énergies renouvelables. Plu­

sieurs options seraient évoquées en interne, notamment la cessionde la filiale italienne du groupe,Edison, dont les activités d’explo­ration pétrogazière ont déjà étéabandonnées en 2019. D’autres évoquent la cession de parts dudistributeur Enedis (ex­ERDF) à la Caisse des dépôts, comme cela a été fait pour le réseau de trans­port RTE en 2017.

L’objectif d’EDF : se donner del’air et faire remonter du cash, alors que les perspectives ne s’an­noncent pas réjouissantes. Selon les documents consultés par LeMonde, le groupe anticipe « une forte baisse de l’Ebitda [équivalentde l’excédent brut d’exploita­tion] » et « une forte hausse de ladette, + 5 milliards à + 10 milliards d’ici à 2022 sans action correc­trice ». Très endetté – 41 milliardsd’euros fin 2019 –, le groupe pour­

Or ces années sont crucialespour le parc nucléaire, qui doitconnaître de nombreuses visitesdites « décennales », nécessairesà la prolongation de la durée de vie des réacteurs.

Ces opérations entraînentde longs arrêts, mais aussi des investissements considérables,compte tenu des exigences de sû­reté demandées par l’Autorité desûreté nucléaire (ASN).

Dans ces conditions, l’agence denotation S&P a dégradé la noted’EDF à BBB +, fin juin. L’agence estime que l’Ebitda de l’entreprisedevrait être inférieur de 5 mil­liards à 6 milliards à ce qui étaitprévisible en 2020­2022. « Nous nous attendons à ce que le que le groupe travaille sur des mesures fi­

Valeo met la pression sur ses salariés françaisL’équipementier automobile veut faire baisser de 10 % les coûts salariaux dans l’Hexagone

clermont­ferrand ­correspondant

E viter des mesures doulou­reuses pour l’emploi. » C’est,selon les termes de la direc­

tion du groupe, l’objectif que s’est fixé l’équipementier français Va­leo, en ouvrant, mardi 30 juin, desnégociations avec les syndicats. Il souhaite conclure, en septembre, un accord de performance collec­tive en vue « d’une réduction descoûts salariaux français de 10 %, soit 100 millions d’euros ».

« Nous faisons face à une crise in­croyable, bien pire que celle de 2008, explique au Monde la direc­tion. Il y a une véritable nécessité de travailler sur la compétitivité de

l’entreprise dans le cadre d’un dia­logue social constructif. » La crise qui touche la filière automobile est de grande ampleur. Valeo – 114 000 salariés dans le monde, dont 14 000 en France – prévoit « une baisse de son chiffre d’affai­res de 10 % en moyenne sur les cinqprochaines années », selon un do­cument remis aux syndicats. « Il est donc nécessaire d’adapter nos coûts d’investissement, de R&D, de personnel… en conséquence. » « Notre priorité reste le cash », aver­tissait déjà, le 24 juin, le PDG de Va­leo, Jacques Aschenbroich, dans un entretien au Monde.

« C’est une négociation sans ta­bous », a annoncé le directeur des ressources humaines, Bruno Guil­

lemet, aux représentants du per­sonnel. Et les sujets soumis à dis­cussion en témoignent : jours de congé, flexibilité horaire, incita­tion aux congés sans solde, gel dessalaires, rémunération des ingé­nieurs et des cadres, montant des indemnités de départ à la retraite ou de licenciement, majoration des heures de nuit, intéressement,etc. Jusqu’aux primes liées aux médailles du travail.

« Axes de travail »Pour le moment, il ne s’agit que « d’axes de travail » sur lesquels la direction souhaite « recueillir les premières réactions et propositionsdes organisations syndicales ». « La crise est un effet d’aubaine pour re­

mettre en cause un certain nombre d’accords », estime Pascal Phan, le délégué syndical central de la CFE­CGC. Les syndicats ont aussi des in­terrogations sur le niveau de l’ef­fort demandé. « La production est redevenue proche de son niveau d’avant­crise », dit Olivier Renaglia,délégué central CGT, qui reconnaîtque le développement de nou­veaux produits souffre du report ou de l’abandon de projets de la part des constructeurs.

Valeo a prévu un rythme de réu­nions soutenu pour tenter de trouver un accord. Mais, au re­gard des concessions deman­dées, les contreparties devront être significatives.

manuel armand

Le confinement,avec l’arrêt

d’une partiede l’économie,

a provoquéune chute de 15 %

à 20 % de la consommation

d’électricité

nancières extensives », souli­gnaient déjà les analystes, qui n’attendent pas d’améliorationssignificatives avant 2022.

Les observateurs s’inquiètentaussi des importants investisse­ments que doit réaliser EDF dans les années à venir : assurer la pro­longation de la durée de vie des réacteurs nucléaires, finir la cons­truction des EPR de Flamanville(Manche) et d’Hinkley Point (sud­ouest de l’Angleterre), investir dans les énergies renouvelables.Tout cela alors que le groupe con­tinue de perdre 100 000 clientsrésidentiels par mois depuis deux ans.

En parallèle, EDF continue depeser de tout son poids pour ob­tenir une réforme de la régula­tion nucléaire. Un mécanisme complexe, appelé « Arenh »,l’oblige à vendre à ses concur­rents à prix fixe une part de sa production. Un changement dece dispositif dans un sens plus fa­vorable à EDF pourrait influencerpositivement le résultat. Mais lesnégociations entamées entre la France et la Commission euro­péenne – très sourcilleuse sur laquestion de la concurrence – n’ont visiblement pas avancé d’un pouce en pleine crise sani­taire. Au grand désarroi d’EDF.

nabil wakim

Réseau de transport d’électricité : François Brottes ne sera pas reconduitL’ancien député socialiste François Brottes, patron du Réseau de transport d’électricité depuis 2015, ne sera pas reconduit à la tête du gestionnaire de réseau. Le conseil de surveillance de la filiale d’EDF a acté, vendredi 3 juillet, que M. Brottes devrait quitter son poste le 31 août, à la fin de son mandat. Le président du directoire était candidat à sa succession, mais aurait été atteint par la limite d’âge de 65 ans au printemps 2021, ce qui aurait nécessité une modification des statuts de RTE pour le maintenir en poste. Le nom de son successeur devrait être connu pendant l’été, a expliqué RTE au Monde. Selon le journal Les Echos, l’ancien conseiller énergie de Jean-Marc Ayrault à Matignon, puis de François Hollande à l’Elysée, Xavier Piechaczyk, serait bien positionné pour lui succéder.

rait ainsi pâtir d’une dette d’envi­ron 50 milliards d’euros.

Première raison de cette situa­tion catastrophique : pendant le confinement, la fermeture detout un pan de l’économie fran­çaise a provoqué une chute de15 % à 20 % de la consommation d’électricité. Sur le premier tri­mestre, le chiffre d’affaires d’EDF a été amputé de 250 millions d’euros, sur la fin mars. Les chif­fres pour avril et mai ne sont pasconnus. La baisse marquée des prix de l’électricité conjuguée àune faible demande a pesé lour­dement sur les comptes.

Une note dégradée par S&PLe confinement a aussi contraintEDF à décaler de nombreuses opé­rations de maintenance sur les réacteurs nucléaires, bousculantle calendrier déjà fragile de la fi­lière. Les conséquences de cettedésorganisation sont importan­tes : EDF anticipe que sa produc­tion d’origine nucléaire sera en forte baisse sur l’ensemble de l’année, autour de 315­325 ter­rawattheures (TWh) pour 2020, contre près de 393 TWh en 2018. Le groupe s’attend aussi à un im­pact pour 2021 et 2022, avec une production se situant entre 330 et360 TWh, ce qui pénalisera les re­venus du groupe.

« On n’a plus grand-chose

à vendrequi ne soit pas stratégique »,

s’inquièteun syndicaliste

- CESSATIONS DE GARANTIE

LOI DU 2 JANVIER 1970 - DECRETD’APPLICATION N° 72-678 DU 20

JUILLET 1972 - ARTICLES 44QBE EUROPE SA/NV, sis Cœur Défense– Tour A – 110 esplanade du Général deGaulle – 92931 LA DEFENSE CEDEX(RCS NANTERRE 842 689 556), suc-cursale de QBE EUROPE SA/NV, dont lesiège social est à 37, Boulevard du Régent,1000 BRUXELLES - BELGIQUE, faitsavoir que, la garantie financière dont bé-néficiait la :

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0123MERCREDI 8 JUILLET 2020 économie & entreprise | 17

Quand on est spécialisé dans le transport individuel de per­sonnes et qu’un méchant virus oblige tout le monde à rester chez soi, la situation devient cri­tique. Uber, qui a dû se séparer du quart de ses effectifs, a pu se féliciter d’avoir, parmi ses multi­ples tentatives de diversification, choisi de se développer dans le contraire absolu de la mobilité des personnes : la livraison à do­micile. Au mois de mai, l’activité de taxi VTC d’Uber a chuté de 80 %, quand celle de sa filiale Uber Eats a bondi de 100 %. D’autant que le confinement a apporté de nouveaux besoins. En avril, la firme a conclu un accord avec Carrefour pour livrer, non plus uniquement des repas, mais aussi de l’épicerie. Une expansion bienvenue, car cette réussite comporte un petit bémol, ce métier, hyperconcur­rentiel, n’est pas rentable.

D’où la nécessité à la fois de faire le ménage dans le secteur et de lui ouvrir de nouveaux hori­zons. C’est la raison pour laquelle le roi du VTC a signé ce lundi 6 juillet l’acquisition de son concurrent américain Postmates pour 2,6 milliards de dollars. Ce n’était pas son premier choix, puisqu’il visait un autre acteur, GrubHub, bien plus gros, mais se l’est fait souffler par l’européen Just Eat Takeaway. Postmates est surtout actif autour de Los Ange­les, mais il peut se prévaloir

d’une bonne expérience dans la livraison d’articles en tous gen­res. Sur son site, on peut com­mander un hamburger, mais aussi du vin, des écouteurs de musique ou des cachets d’aspi­rine, en provenance du magasin de la ville et livrés dans l’heure.

Joueur d’un autre calibreC’est ce modèle qui intéresse Uber, qui vient également d’ac­quérir Cornershop, autre société spécialisée dans ce même do­maine. En France, Deliveroo a si­gné un accord de ce type avec Franprix. La restructuration de ce métier naissant et coûteux prend la forme d’une course où seules les plus richement dotés par leurs actionnaires pourront ga­gner. Pour l’instant, la pertinence économique de cette diversifica­tion n’est pas trouvée et cette cavalcade va rapidement trouver sur sa route un joueur d’un autre calibre, Amazon. Celui­ci, allié en France avec Casino, est à la fois un magasin, avec ses entrepôts, une place de marché sur Internet ouverte à tous ses concurrents et une société de logistique capable de livrer elle aussi dans l’heure. Ainsi, pour échapper à la malé­diction du taxi, Uber, si riche malgré ses pertes, tente la voi­ture, le vélo, la trottinette, la li­vraison de repas, et maintenant l’e­commerce. Tous les chemins mènent à Amazon, mais pas forcément au succès.

PERTES & PROFITS | UBERpar philippe escande

Des livreurs à la poursuite d’Amazon

INTERNETTikTok annonce la suspension de son application à HongkongLes habitants de Hongkong ne pourront bientôt plus uti­liser le réseau social TikTok, très populaire chez les jeu­nes, à cause de la récente loi sur la sécurité nationale imposée par la Chine, a annoncé la société, lundi 6 juillet. L’arrêt complet va prendre quelques jours, selon TikTok, qui doit communi­

quer avec ses utilisateurs et ses annonceurs.

CONJONCTURELa Banque de France table sur un rebond du PIB au troisième trimestreLe produit intérieur brut (PIB) de la France pourrait rebon­dir de 14 % au cours du troi­sième trimestre, a estimé, lundi 6 juillet, la Banque de France. Entre avril et juin, il avait reculé de 14 % en raison du confinement.

Croissance : la crise due au Covid­19 aggrave les écarts entre pays européensBruxelles estime que l’activité devrait se contracter de 8,7 %, cette année, dans la zone euro

bruxelles ­ bureau européen

C’ est pire que prévu. Et lasituation pourrait en­core s’aggraver. Tel est,

en substance, le message que nous livre la Commission euro­péenne dans ses dernières prévi­sions économiques, publiéesmardi 7 juillet, deux mois après s’être livrée au même exercice.Non seulement la récession im­portante liée à la crise due au coro­navirus devrait être plus violente qu’attendu – cette année, l’activitédevrait se contracter de 8,3 % au sein de l’Union européenne et de 8,7 % dans la zone euro, avant de rebondir, en 2021, de 5,8 % sur le continent et de 6,1 % au sein del’Union monétaire.

Mais, en plus, elle devrait aggra­ver les écarts entre pays dans des proportions que les économistes européens n’imaginaient pas au printemps. Car les pays les plus touchés sont le plus souvent ceux où la pandémie a le plus frappé et qui ont le moins les moyens de dé­penser pour soutenir leur écono­mie. Les chiffres des aides d’Etat débloquées par les uns et les autres

pour voler au secours des entrepri­ses en difficulté sont, à cet égard, symptomatiques. A ce jour, elles représentent, en Europe, près de 2 300 milliards d’euros, et, sur ce total, une petite moitié (43,5 %) a été injectée en Allemagne. Arri­vent ensuite l’Italie (avec 19 % du total) et la France (17,9 %). L’Espa­gne suit, avec seulement 4 %…

Des signes de repriseDans ce paysage déprimé et con­trasté, la France s’en tire parti­culièrement mal : avec un produitintérieur brut (PIB) qui devrait chuter de 10,6 % en 2020, elle fait à peine mieux que l’Italie (– 11,2 %)et l’Espagne (– 10,6 %), et fait doncpartie du peloton de queue del’Union européenne. A titre de comparaison, l’Allemagne devrait voir son activité se contracter de 6,3 % cette année, tandis que laPologne affiche la moins mau­vaise performance (– 4,6 %).

Pour justifier cette contre­per­formance hexagonale, la Com­mission évoque un « confinement obligatoire » qui « a duré plus long­temps » qu’ailleurs et la surrepré­sentation de certains secteurs

dans son économie particulière­ment affectés par la pandémie, comme le tourisme, les loisirs ou les transports. Et même si l’Hexa­gone devrait, en 2021, être le pays européen où le rebond sera le plusfort (+ 7,6 %), cela ne lui permettra pas de rattraper son retard. Loin de là. La richesse nationale fran­çaise devrait rester inférieure de 3,25 points à ce qu’elle était au der­nier trimestre 2019, avant que la pandémie fasse sentir ses effets.

L’économie européenne a tou­ché un point bas, et, depuis mai, des signes de reprise se font voir, estime la Commission. Les dépen­ses publiques massives entrepri­ses par les Vingt­Sept – mesures deliquidités (garanties et reports d’impôts) représentent 23,5 % du PIB européen et mesures de sou­tien budgétaire, 4,5 % – « consti­tuent la première ligne de défense » contre la récession, soulignent les experts. Le matelas d’épargne for­cée que les Européens ont accu­mulé durant le confinement de­vrait également contribuer à sor­tir le Vieux Continent de la pire ré­cession qu’il ait eu à connaître depuis la seconde guerre mon­

diale. Si tant est que les consom­mateurs reprennent confiance.

Mais, dans ce contexte extrême­ment dégradé, prévient la Com­mission, les aléas à la baisse sont nombreux. D’abord, parce qu’une seconde vague pandémique n’est pas exclue. Mais aussi parce que les faillites pourraient être plus nombreuses, et donc le chômage plus élevé que ce qu’ont prévu ses experts. La multiplication desplans d’aide au chômage partiel, mis en place partout en Europe, etle soutien en liquidités aux entre­prises ont jusqu’ici permis de li­miter les dégâts en termes d’em­plois : en avril, le taux de chômagea atteint 7,3 % dans la zone euro,contre 7,1 % en mars. Mais ces me­sures – temporaires – pourraientne pas suffire à soutenir à bout de bras des économies malades.

L’environnement internationalde l’Union européenne pourrait également être moins porteurque ne l’a prévu la Commission, qui évoque la hausse des cas aux Etats­Unis et dans les pays émer­gents. Sans oublier le Brexit et lerisque d’un « no deal ».

virginie malingre

Les opérateurs face à de multiples défis pour déployer la 5GRestrictions imposées à Huawei, hostilité d’une partie de la population… la nouvelle norme de téléphone mobile affronte des vents contraires

L es opérateurs téléphoni­ques français pourront­ils utiliser des antennesfabriquées par Huawei

dans leurs futurs réseaux 5G ? Pour ceux qui en ont fait la de­mande, il y a déjà plusieurs mois, la date couperet approche. « Lesdécisions sont prêtes », a affirmé,dans un entretien avec Les Echos lundi 6 juillet, Guillaume Pou­pard, le directeur général de l’Agence nationale de sécurité des systèmes d’information (Anssi),chargée depuis une loi de 2019 d’autoriser – ou non – l’utilisationd’équipements conçus par la firme de Shenzhen. Encore un pa­raphe de la secrétaire générale de la défense et de la sécurité natio­nale et les opérateurs seront fixés.

Enjeu de souveraineté« Il n’y aura pas de bannissementtotal de Huawei », a prévenu le chef des cyberpompiers de l’Etat, mais il s’agit bien de limiter la pré­sence de l’entreprise chinoise en France : elle seule a fait l’objet derefus dans certaines villes, con­trairement à ses concurrents, les européens Ericsson et Nokia, a précisé M. Poupard. Ce dernier aavoué « inciter les opérateurs qui

n’utilisent pas Huawei à ne pas y aller ». L’Anssi a aussi limité dansle temps l’utilisation des maté­riels du groupe chinois à une pé­riode de trois à huit ans. Bref, « ça se durcit sur Huawei et il n’a jamaisété dit de façon aussi claire » que l’exécutif ne veut pas du fabricantchinois, décrypte­t­on chez l’un des opérateurs.

Il n’a pas fallu longtemps pourque Pékin réagisse. Le porte­pa­role du ministère chinois des affai­res étrangères, Zhao Lijian, inter­rogé lundi lors d’un point presse, aappelé la France à « prendre des mesures concrètes pour mettre enplace un environnement ouvert, équitable et non discriminatoire pour les entreprises de tous les

pays, y compris les entreprises chi­noises ». M. Poupard justifie le re­gard plus sévère porté sur Huawei par les « risques », différents selon qu’« on parle d’équipements chi­nois ou américains ». Mais il donnepeu de détails. Les autorités met­tent en avant un enjeu de souve­raineté : elles veulent parer tout risque d’espionnage, mais aussi de« débranchement » à distance d’un réseau appelé à devenir criti­que pour le transport, l’énergie, l’industrie, la santé…

Enchères en septembreDe son côté, Huawei, présent « de­puis dix­sept ans en France », a tou­jours affirmé qu’il n’y avait « ja­mais eu de sujet d’espionnage » avec ses équipements : « En France,Huawei ne respecte que la loi fran­çaise », a assuré aux Echos fin fé­vrier Linda Han, sa responsable des affaires publiques en France, ajoutant que « Huawei n’irait ja­mais à l’encontre des intérêts de sesclients ». Dans quelles villes les équipements fournis par Huawei pourront­ils être utilisés, et pen­dant combien de temps ? Les déci­sions de l’Anssi seront scrutées parles opérateurs, qui pointent de­puis des mois le manque de clarté des autorités françaises.

« Au­delà des déclarations deprincipe, nous attendons toujoursdes règles du jeu claires et précises afin de pouvoir en évaluer les con­séquences en termes de concur­rence », a réagi Orange. Fin février,déjà, Martin Bouygues avait craint que limiter l’usage des équipements de Huawei crée« des distorsions de concurrence entre les opérateurs » et il n’avait pas exclu de déposer des recours. Bouygues Telecom, Free et SFRn’ont pas souhaité commenter lesdéclarations de M. Poupard.

Les opérateurs ne sont pas égauxface aux équipements de Huawei : une petite moitié du réseau de SFR et de Bouygues y a recours, quand Free ou Orange ne l’utilisent pas. Orles antennes 4G Huawei ne peuvent

être converties à la 5G qu’avec du matériel Huawei : une interdic­tion des équipements chinois dans certaines zones pourrait à terme obliger SFR et Bouygues à de lour­des dépenses. Par ailleurs, les opé­rateurs concernés arguent qu’une antenne s’amortit sur dix ans envi­ron : une durée d’autorisation infé­rieure rendrait donc impossible leur rentabilisation. En compensa­tion du coût du démantèlement d’antennes et suivant l’exemple des Etats­Unis, Bouygues Telecom et SFR avaient réclamé au gouverne­ment une indemnisation – une op­tion non retenue. A ce coût s’ajoute­rait celui du renoncement à Huawei, dont les matériels, en plus de bénéficier d’une avance techno­logique, sont considérés comme moins chers.

Au­delà des décisions de l’Anssi,d’autres défis se dessinent pour les opérateurs : il y a bien sûr, enseptembre, les enchères pour l’oc­troi des fréquences 5G, que Bou­ygues aurait aimé voir décalées pour digérer l’impact d’une limi­tation de l’usage de Huawei. Maischez certains opérateurs, on craint aussi l’ouverture d’un nou­veau front, lié à l’hostilité d’unepartie de la population à cette technologie. Il y a les discours complotistes liant 5G et Covid­19 sur les réseaux sociaux, ou les in­cendies d’antennes­relais. Mais aussi, plus politiques, les posi­tions écologistes de certains mai­res nouvellement élus qui fusti­gent une technologie énergivore et aux effets encore incertains surla santé. Stéphane Richard, le pa­tron d’Orange, a appelé la semainedernière devant la commission des affaires économiques de l’As­semblée nationale les politiques à « purger le débat », craignant de devoir affronter « l’Afghanistan de la téléphonie mobile, où il faudrase battre pylône par pylône, com­mune par commune pour essayer de mettre la 5G ».

martin untersingeret alexandre piquard

Les autorités veulent parer

tout risque d’espionnage, mais aussi de

débranchement à distance

par Huawei

Le Royaume-Uni prêt à revoir sa positionLa décision prise par le Royaume-Uni d’accorder un rôle limité à Huawei dans le déploiement de la cinquième génération de télé-phonie mobile (5G) n’est pas gravée dans le marbre, et celle-ci est susceptible d’évoluer en fonction des sanctions américaines con-tre le groupe chinois, a déclaré, lundi 6 juillet, le secrétaire d’Etat britannique au numérique et à la culture, Oliver Dowden. Huawei est au cœur d’un différend de longue date avec Washington, qui tente de convaincre ses alliés d’exclure le géant chinois des appels d’offres pour la 5G, en arguant du fait que ses infrastructures pourraient faciliter les activités d’espionnage chinoises. Le gouver-nement britannique a décidé, en janvier, que les équipementiers « à haut risque » seraient autorisés à jouer un rôle « limité » dans la 5G, mais, entre-temps, l’administration de Donald Trump a choisi, en mai, de restreindre les ventes de semi-conducteurs à Huawei. Le Centre national britannique de cybersécurité étudie, depuis, les conséquences de ces nouvelles sanctions. M. Dowden a déclaré sur Sky News que ces sanctions auraient sans doute une profonde incidence sur la fiabilité des équipements de Huawei.

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18 | économie & entreprise MERCREDI 8 JUILLET 20200123

Gare du Nord : feu vert à la rénovation controverséeLe préfet de la région Ile­de­France autorise le projet présenté par la SNCF et Ceetrus, une filiale d’Auchan

E n délivrant, lundi6 juillet, le permis deconstruire de rénovationet d’agrandissement de

la gare du Nord, le préfet de régionIle­de­France, Michel Cadot, a donné son feu vert au projet pré­senté par la SNCF et son parte­naire Ceetrus, la filiale d’immobi­lier commercial du groupe Au­chan. La polémique autour de cette opération contre laquelle la Ville de Paris et tout un collectif d’architectes et d’urbanistes s’op­posent depuis des mois, n’en est pas pour autant terminée.

« Le gouvernement vient de s’in­venter un Notre­Dame­des­Landes en plein Paris. Je lui souhaite beau­coup de courage sur le plan politi­que et juridique », a aussitôt an­noncé Emmanuel Grégoire, le pre­mier adjoint d’Anne Hidalgo (PS) à la Mairie de Paris et nouvel élu chargé des questions d’urba­nisme, d’architecture et du Grand Paris. La Ville prendra « tous les chemins politiques et juridiques pour faire obstacle à ce projet », promet­il. Pas mieux du côté du collectif associatif Retrouvons le nord de la gare du Nord. « Ce projetcontrevient à la satisfaction des usagers et au confort des habi­tants. A la suite de l’épidémie quenous venons de connaître, il faut re­considérer les projets économiques menés pas le gouvernement. Nous ne varierons pas, nous sommes le front du refus », a déclaré son prési­dent, Serge Rémy. Autrement dit, dans l’histoire déjà mouvementée de cette opération, le chapitre juri­dique vient de s’ouvrir.

La tournure qu’allait prendretout cela est restée en suspens jus­qu’au dernier moment. Quelques heures avant l’expiration du délai légal, et alors que les élus pari­siens envoyaient encore des mes­sages au plus haut niveau pour alerter sur les conséquences d’un tel programme s’il était mené à terme, le préfet n’avait toujours pas rendu publique sa décision. Ledossier étant devenu ces derniers mois très politique, Michel Cadot a attendu la nomination du nou­veau gouvernement pour validerl’orientation à donner à ce projet d’envergure nationale.

700 000 personnes chaque jourLa nécessité de moderniser et de réaménager la plus grande gare d’Europe n’est guère discutée, sur­tout à l’approche des Jeux olympi­ques (JO) de 2024. Mais les adver­saires de la rénovation à 600 mil­lions d’euros dessinée par l’agenceValode et Pistre dénoncent depuis des mois une opération « surdi­mensionnée », « incohérente », « un projet dépassé avant même d’être construit » dans un des quartiers les plus denses d’Europe, et sans qu’aucune étude d’intégration avec son environnement n’ait été véritablement menée. « Nous ne sommes pas opposés à la rénova­tion, insiste Emmanuel Grégoire, mais c’est une gare avant toute autre chose, et non un centre com­mercial avant une gare. »

Pour désengorger la premièregare d’Europe par laquelle transi­tent 700 000 personnes chaque jour et bien davantage à l’horizon

2030, selon les dires de Statio­Nord, le consortium qui unit laSNCF à Ceetrus, il a été imaginéd’arrimer un édifice de 300 mè­tres de long, haut de cinq étages, àla halle historique de Jacques Ignace Hittorff (1792­1867). A l’in­térieur : la création d’un nouveau terminal des départs, mais aussi une bonne partie des 19 000 m2 de boutiques du projet devant les­quels devraient passer les voya­geurs, 13 000 m2 de bureaux,12 000 m2 d’équipements sportifs et culturels, dont une salle despectacle de 2 800 places. Et sur les toits, un parc public.

C’est à l’automne 2019 que laVille de Paris a commencé à dé­noncer le gigantisme de l’opéra­tion. Dans le même temps, un col­lectif d’architectes, d’urbanistes etd’historiens dénonçait un projet « inacceptable », dans une tribune publiée dans Le Monde. En mars, la commission d’enquête a rendu un avis favorable. Mais, compre­nant depuis le début qu’il serait compliqué d’avancer contre la

« [Paris prendra]tous les chemins

politiques et juridiques pour

faire obstacleà ce projet »

EMMANUEL GRÉGOIREpremier adjoint d’Anne

Hidalgo à la Mairie de Paris

La reconnaissance du Covid­19 comme maladie professionnelle en questionLe gouvernement est accusé de ne pas tenir ses promesses, notamment celles faites aux soignants, sur ce sujet sensible

L e gouvernement est accuséd’avoir manqué à sa parolesur une question sensible :

la reconnaissance en maladie pro­fessionnelle du Covid­19 lorsque des travailleurs l’ont contracté dans le cadre de leur activité. Des responsables associatifs et syndi­caux trouvent, en effet, qu’il y a untrès net écart entre les annonces récemment faites sur ce dossier et les dispositions concrètes qui sontsur le point d’être prises. L’Associa­tion nationale de défense des victi­mes de l’amiante (Andeva) s’en est même émue, en parlant de « men­songe » dans une lettre adressée,lundi 6 juillet, au nouveau chef du gouvernement, Jean Castex.

A l’origine de ce courroux, il y aun projet de décret et un projet d’arrêté, que Le Monde a pu con­sulter. Ces textes sont censés tra­duire les engagements que l’exé­cutif a affichés, le 30 juin, dans un communiqué diffusé par les ministères du travail et des soli­darités et de la santé, et par le secrétariat d’Etat à la réforme des retraites. Il faisait état d’« une re­connaissance automatique » et systématique pour les soignants et d’« une reconnaissance facilitée »pour les autres professionnels « ayant travaillé en présentiel pen­dant la période du confinement ».

Ces intentions, évoquées àgrands traits, avaient déjà été cri­tiquées par plusieurs associationset syndicats, au motif qu’ellesmanquaient d’ambition et intro­duisaient un régime à deux vites­ses (entre les soignants et les autres). Aujourd’hui, la déception s’est muée en colère chez certainsprotagonistes, l’Andeva qualifiant de « mesquinerie » le projet de dé­cret. Aux yeux de cette associa­tion, les « promesses (…) ne seront

pas tenues sur deux points essen­tiels ». S’agissant des soignants, seule « la prise en charge des sé­quelles respiratoires graves » du Covid­19 sera possible. « Toutes lesautres séquelles sévères de cette maladie – séquelles rénales, neuro­logiques… – sont exclues, s’alarme l’Andeva. Cela constitue une ini­quité flagrante entre les catégoriesde malades. » Quant aux non­soi­gnants, elle juge que le texte « les envoie dans une impasse totale » :« Ils devront établir “un lien directet essentiel” entre leurs conditions d’exposition et leur pathologie » – ce qui, en matière de Covid­19,est « absolument impossible ».

« Parcours du combattant »Un tel décalage entre la parole et les actes « inspire du dégoût », con­fie Alain Bobbio, secrétaire natio­nal de l’Andeva : « On se gargarise de grands flonflons à propos des soignants mais, dès qu’il s’agit de passer aux travaux pratiques, les mesures ne suivent pas. » Un avis partagé par Catherine Pinchaut, qui suit ces dossiers à la CFDT : « On est loin d’une reconnaissance automatique pour les soignants, y compris pour des séquelles qui pourraient survenir demain. » C’est

d’autant plus dommageable, se­lon elle, que de tels choix tombent en plein Ségur de la santé – la con­certation destinée à améliorer le sort des personnels de santé. Quant aux autres catégories de travailleurs, elle déplore que « la charge de la preuve soit de [leur] responsabilité ». « Ça va être le par­cours du combattant et beaucoup vont laisser tomber », craint­elle.

Alors qu’il avait accueilli favora­blement le communiqué gouver­nemental du 30 juin, Pierre­Yves Montéléon (CFTC) s’interroge dé­sormais : « On peut imaginer que le dispositif envisagé soit plus restric­tif que ce qui avait été dit au dé­part », observe­t­il. « Dans la liste li­mitative des travaux susceptibles de provoquer la maladie, on ne re­trouve pas ceux accomplis par des médecins de ville », s’inquiète, poursa part, Alain Prunier, de l’Associa­tion des accidentés de la vie. Pour les soignants, il relève que le délai de prise en charge pourrait excluredu dispositif des personnes ayant développé la maladie bien après y avoir été exposées.

Seule Force ouvrière se montremoins critique : « Cela va dans lebon sens même si ce n’est pas par­fait, estime Serge Legagnoa, en charge de ces questions pour la confédération. On aurait préféré que, pour les non­soignants, il y aitune reconnaissance plus directe, mais on a quand même une facili­tation [des démarches] qui n’était pas prévue jusqu’à présent. »

Au ministère des solidarités etde la santé, on assure rester « à l’écoute » et que « les principes énoncés dans le communiqué se­ront au cœur du dispositif » quisera construit.

raphaëlle besse desmoulièreset bertrand bissuel

« Dès qu’il s’agitde passer

aux travaux pratiques,

les mesures ne suivent pas »

ALAIN BOBBIO secrétaire national

de l’Andeva

LES DATES

2014Le président de la SNCF de-mande de lancer des études sur la rénovation de la gare du Nord.

JUILLET 2018Au terme d’un appel à candida-tures, le projet de Ceetrus, filiale du groupe Auchan, est retenu. Celui porté par Altarea-Cogedim, avec l’architecte Dietmar Feichtinger, et celui du groupe-ment Apsys/Wilmotte & Associés sont écartés.

MAI 2019Dépôt d’une demande de permis de construire.

JUIN 2019Avis défavorable de la commission départementale d’aménagement commercial : la hausse des surfaces de 457 % est « surdimension-née ». Quatre mois plus tard, la commission nationale approuve le programme.

MARS 2020Au terme de l’enquête publique, les commissaires rendent un avis favorable.

Mairie, même si celle­ci n’a qu’un avis consultatif dans l’histoire, lepréfet de région lançait, dans le même temps, une médiation pour que les représentants de Sta­tioNord et les élus travaillent en­semble à l’amélioration du projet. L’idée : s’entendre sur un proto­cole sur la base duquel StatioNord pourrait alors déposer une de­mande de permis modificatif.

De nombreuses réunions se sonttenues, jusqu’à deux par semaine, ces derniers temps. La Ville de Pa­ris avait listé les cinq points sur les­quels elle ne transigerait pas. Des compromis ont été trouvés. L’obli­gation de passer par le terminal dedépart pour les passagers des Transilien, selon la méthode des flux aéroportuaires, n’est, par exemple, plus d’actualité. En re­vanche, pour les TGV, StatioNord n’en démord pas : il faudra passer par le premier étage du terminal, puis redescendre par l’une des pas­serelles qui enjambera les voies avant de monter dans le train.

Concernant l’accès à la gare, lenombre de places de stationne­ment pour vélos va considérable­ment augmenter. Cela n’est pasencore le volume de ce qui se pra­tique à Amsterdam, mais Statio­Nord a donné son accord pour aménager 3 000 places, contre 1 200 puis 2 000 sur les docu­ments présentés initialement. De son coté, la Ville s’engage à en ins­taller 3 000 supplémentaires dans les rues avoisinantes. Pour ladépose taxi, Gares & Connexions ne serait pas hostile à un aména­gement du parking en sous­sol de

la gare. Une bonne chose pour les techniciens de la Mairie de Paris,qui craignent une saturation du quartier aux heures de pointe.

En revanche, c’est une fin denon­recevoir pour l’ouverture de la gare vers le nord, à laquelle la maire du Xe arrondissement est pourtant très attachée. Quant à la dédensification du projet, les con­cessions obtenues sont largementinsuffisantes, expliquaient en­core, en fin de semaine dernière, Jean­Louis Missika, l’ex­adjoint àl’urbanisme d’Anne Hidalgo. Les discussions se heurtent à un pro­blème de fond : une grande partie de l’équilibre financier de la réno­vation de la gare, pour laquelle les pouvoirs publics ne voulaient ini­tialement pas verser 1 euro, reposesur l’édification de ce grand com­plexe commercial le long de la ruedu faubourg Saint­Denis.

Le permis de construire délivré,StatioNord pourrait ne pas atten­dre que tous les recours soient purgés avant de démarrer le chan­tier. Ce dernier pourrait même débuter avant la fin du mois de juillet. Le calendrier est très serrédans la perspective des JO de 2024. Surtout, certains travauxpréparatoires doivent être menés directement sur les voies ferrées. Or, s’il fallait ajouter de la com­plexité au dossier, il s’agit d’inter­venir sur l’un des réseaux ferrés les plus fréquentés d’Europe. Et les interruptions de circulationdes trains se demandent et se ca­lent des mois, voire deux ou trois années, à l’avance.

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0123MERCREDI 8 JUILLET 2020 économie & entreprise | 19

L’annulation des festivals d’été, coup dur pour les communesSelon une étude de deux chercheurs, la déprogrammation des manifestations culturelles estivales coûtera jusqu’à 2,6 milliards d’euros à l’économie française

L es 7, 10 et 13 juillet,dans le Grand Théâtrede Provence, à Aix­en­Provence (Bouches­du­Rhône), sous la ba­guette de Sir Simon

Rattle, à la tête du London Sym­phony Orchestra, le baryton alle­mand Christian Gerhaher auraitdû interpréter Wozzeck. Dans un rôle de brave soldat méprisé, il de­vait assassiner sa maîtresse. Il n’en a rien été. En revanche, lapandémie de Covid­19 s’est avéréeplus sombre et a eu raison de laquasi­totalité des festivals en France, cet été.

Ces annulations en cascade pro­voquent une onde de choc vio­lente, qui se répercute chez les ar­tistes, les compagnies, les organi­sateurs de ces manifestations, mais qui affecte aussi très dure­ment l’économie des villes et l’em­ploi. Avec des milliards d’euros évaporés et des dizaines de mil­liers d’emplois volatilisés. L’ur­gence est telle que Roselyne Ba­chelot, la nouvelle ministre de la culture, a annoncé, lundi 6 juillet, lors de sa passation de pouvoirs avec Franck Riester, vouloir tenir « dans les prochains jours » des « états généraux des festivals ».

Dans une étude publiée, enmai, sur la perte économique etsociale des festivals annulés– 4 000 manifestations toutes disciplines confondues (musique pour les deux tiers, mais aussithéâtre, danse, opéra, cinéma, lit­térature, arts du cirque…), entreavril et fin août –, Emmanuel Né­grier, chercheur au Centre natio­nal de la recherche scientifique­Centre d’études politiques del’Europe latine (CNRS­Cepel) de l’université de Montpellier, et sonconfrère Aurélien Djakouane, du laboratoire Sophiapol de l’univer­sité de Nanterre, estiment, dansleur fourchette haute, à quelque 2,6 milliards d’euros le coût de cesannulations.

Cela inclut les pertes liées à l’ab­sence de dépenses des festiva­liers (avec un panier moyen de 53 euros), la réduction des dépen­ses des festivals (dont le budget moyen s’élève à 740 718 euros) et les effets induits (l’hôtellerie, la restauration, le tourisme, la vente des spectacles…). Piètre consola­tion, le ministère de la culture a annoncé, le 1er juillet, la créationd’un fonds de 10 millions d’euros pour faire face au séisme auquel sont confrontés ces événements…

UNE CATASTROPHEEn termes d’incidence sociale, les deux chercheurs prévoient, dans l’hypothèse la plus sombre, la suppression de 111 065 emplois (hors bénévoles et personnelsmis à disposition de ces manifes­tations), d’ici à la fin août. Encomptant les bénévoles et ceux qui ont travaillé quatre mois avant la tenue espérée des festi­vals, plus de 359 000 personnessont concernées.

Rien que pour les cachets payésaux artistes, 238 000 engage­ments se sont volatilisés. Un cal­cul au minimum, puisque Emma­nuel Négrier n’attend guère un re­tour de l’effervescence festivalièreau 1er septembre. Le président de la commission culture de l’Asso­ciation des maires de France, Jean­Marc Vayssouze­Faure, re­doute, lui aussi, que les protocolessanitaires, qui évolueront encore,

incitent, par prudence, à l’annula­tion de tous les festivals jusqu’à lafin de l’année.

La suppression de ces grandesmanifestations culturelles s’ap­parente, localement, à une catas­trophe. Devant la cour d’honneur du Palais des papes, c’est le désert,et les commerçants attendent les clients. Tout semble en suspens.Paul Rondin, directeur délégué duFestival d’Avignon, désespère :« Nous allons indemniser près de 450 saisonniers et intermittents pour les cinquante créations dé­programmées. Et 70 % de ces sala­riés viennent de la région, où la main­d’œuvre est très qualifiée, grâce à l’Institut supérieur des techniques du spectacle d’Avi­gnon. » « Tant qu’on peut embau­cher localement, on le fait », assurele directeur délégué. La majoritédes prestataires, les locations degradins, grues ou matériel de son viennent de la région.

Les compagnies, venues dumonde entier, pâtissent, elles,d’un effet domino, avec l’annula­tion des spectacles : c’est leur pas­sage dans la cité des Papes qui dé­clenche des tournées en Franceet à l’étranger. Même si le Festivald’Avignon a maintenu ses parts de coproduction pour tous les spectacles prévus, les compa­gnies traverseront une périodefinancière délicate en 2021. Per­sonne n’échappe à la crise. Après

la Féria, les Rencontres d’Arles, lerendez­vous annuel de la photo­graphie, ont été supprimées danscette ville des Bouches­du­Rhône. « Le tourisme enregistreune baisse de 60 % à 70 %, se dé­sole Stéphane Paglia, président de la chambre de commerce etd’industrie (CCI) du Pays d’Arles.Quelque 40 % des hôtels sont en­core fermés, et les touristes étran­gers attendus la première se­maine des Rencontres ne sont paslà. » En 2019, la direction des Ren­contres estimait à 35 millionsd’euros les retombées économi­ques sur Arles et sa région. Les 3 000 saisonniers habituels n’ontpas été recrutés cet été, détailleM. Paglia, et Pôle emploi proposeaujourd’hui cinq fois moins d’of­fres dans le Pays d’Arles qu’avantle confinement de mars.

Le président de la CCI craint unhiver difficile : « Les PME qui viventgrâce aux festivals réalisent leurs marges en été – une saison inexis­tante, cette année. Elles devront àl’automne de nouveau payer leurs charges courantes. » M. Paglia s’at­tend à la fermeture d’une entre­prise sur trois dans le tourisme – entre les hôtels, les restaurants, les prestataires de services et les sociétés d’événementiel.

De fait, Cédric Angelone, prési­dent du nouveau Syndicat des ac­tivités événementielles, qui re­groupe 307 sous­traitants impor­tants des festivals, évalue à 159 millions d’euros la perte de chiffre d’affaires de ses adhérents,entre mars et fin juin, soit unechute de 72 % par rapport à 2019.

Egalement maire PS de Cahors,Jean­Marc Vayssouze­Faure as­sure pourtant que « les collectivi­tés locales montrent, très majori­tairement, une réelle solidarité vis­à­vis des festivals, en versant les

subventions promises, même siles spectacles n’ont pas eu lieu ». Ce qui a été rendu possible grâce àun assouplissement de la règlehabituelle. Toutefois, « cela resteune perte sèche pour toutes les dépenses indirectes, les cafés, res­taurants, hôtels, fournisseurs… », ajoute­t­il.

« Dès qu’on a appris l’annulationdes Eurockéennes, nous avons as­suré Jean­Paul Roland, le directeur de cette manifestation, du main­tien de notre soutien financierpour l’aider à passer ce cap diffi­cile », témoigne Damien Meslot,maire LR de Belfort. De son côté,Paul Rondin, opposé par le passé àla mairie d’Avignon, assure, cettefois, que « les collectivités localeset l’Etat ont été admirables en maintenant 100 % de leurs sub­ventions ». Même si certaines vil­les n’ont pas joué le jeu, déploreEmmanuel Négrier.

« DES REPORTS DE CONCERTS »La crise est là. Partout. A Clisson (Loire­Atlantique), commune de 7 400 habitants où le festival de rock métal Hellfest ne s’est pas tenu, « le manque à gagner s’élève entre 8 millions et 9 millions d’euros », souligne le maire (di­vers droite) Xavier Bonnet. « Les habitants qui louaient aux festiva­liers ne pourront pas partir en va­cances cette année », constate l’édile. A Arras, orpheline, cet été, des concerts du Main Square, Fré­déric Leturque, le maire divers centre, constate : « Pour le terri­toire, 2 millions d’euros s’évapo­rent et plus d’une centaine d’em­plois précaires ne sont pas con­clus. » La population de la ville n’apas doublé, alors qu’elle passe d’ordinaire de 40 000 à 80 000 personnes pendant ces trois joursde fête. A Carhaix­Plouguer (Fi­

nistère), où Les Vieilles Charrues s’autofinancent grâce à des co­hortes de bénévoles et drainent, chaque été, 270 000 fans de musi­que, là encore, personne n’est aurendez­vous. Aucun coup de pro­jecteur estival. Les habitants de cette petite commune ne louentni chambres ni bouts de jardin.« Plus encore que l’impact écono­mique, c’est l’absence d’un mo­ment festif, de retrouvailles, qui manque », regrette le maire diversgauche, Christian Troadec.

Comment être attrayant sansces rendez­vous ? A Hérouville­Saint­Clair (Calvados), le festival Beauregard fédère habituelle­ment 110 000 amateurs de musi­que dans un parc de 43 ha et gé­nère près de 6 millions d’euros de retombées économiques locales. Le maire MoDem, Rodolphe Tho­mas, regrette le millier de bénévo­les et les centaines d’emplois créésen 2019 (180 intermittents embau­chés au pic de la fête et 400 CDD). Ilredoute qu’à l’avenir, les mécènesdélaissent la manifestation.

Organisateur de Jazz in Marciac,dans le Gers, bien avant d’être élu maire PS de cette petite com­mune, Jean­Louis Guilhaumon déclare : « Nous portons le deuil de notre festival. Tous, la petite équipe

des sept salariés de Jazz in Marciac comme le millier de bénévoles qui yconsacrent une partie de leurs va­cances estivales. » La dernière étude du cabinet Traces TPi faisaitdéjà état, en 2014, de près de20 millions d’euros de retombées économiques sur la région. « Aujourd’hui, nous négocions desreports de concerts en 2021 avecNile Rodgers & Chic et Lenny Kra­vitz », explique le maire.

Cette équation difficile a aussibien occupé la direction du Festi­val international d’art lyrique d’Aix­en­Provence. FrançoisVienne, directeur général ad­joint, a réussi à reporter cinq pro­ductions à 2021. « C’est un casse­tête », déclare Stéphanie De­porcq, la directrice administra­tive et financière. Pour les créations impossibles à repro­grammer, une grille d’indemni­sation permet de rembourser à70 % les petits cachets (les chan­teurs de chœur, par exemple),mais à 10 % seulement les gran­des stars. « Nous sommes les seulsau niveau international à le faire, les agents et les artistes nous sontreconnaissants », se félicite Fran­çois Vienne. Le festival a aussi pa­rié sur dix jours de concerts en li­gne gratuits, du 6 au 15 juillet.

Même problématique maisautres solutions à Montpellier Danse. « On a imprimé notre pro­gramme le 3 mars, le 13, il était ob­solète », explique Jean­Paul Mon­tanari, le directeur. « Il était hors dequestion de baisser les bras : 70 % de la programmation sera présen­tée, entre septembre et fin décem­bre, dans les différents théâtres partenaires de Montpellier », ajou­te­t­il. Et si un nouveau confine­ment est annoncé ? « On reste chezsoi et on pleure… », conclut­il.

nicole vulser

Dans l’hypothèsela plus sombre,111 065 emploispourraient êtresupprimés d’ici

à la fin août

La nouvelle ministre de la

culture, RoselyneBachelot,

a annoncé vouloir tenir des« états généraux

des festivals »

PLEIN CADRE

Le Théâtre de l’Archevêché, le 24 juin, à Aix­en­Provence(Bouches­du­Rhône), où devait se tenir le Festival international d’art lyrique.CLEMENT MAHOUDEAU/AFP

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Page 20: Le Monde - 08 07 2020

20 |horizons MERCREDI 8 JUILLET 20200123

En Côte d’Ivoire, la fièvre de l’orL’orpaillage illégal a pris une ampleur considérable dans le pays et engendre bouleversements environnementaux et tensions communautaires

hiré (côte d’ivoire) ­ envoyé spécial

S oudain, au milieu d’une clairièrese découvre un trou où plongentdes êtres animés par des rêves defortune. Une fosse de terre bruneet de rocailles d’une cinquantainede mètres de diamètre, qui ai­

mante des dizaines d’hommes, de femmes etd’enfants portés par l’espoir d’y découvrir le fi­lon susceptible de changer leur destin. Armés d’une pioche ou d’une pelle, certains creusenten surface, dégoulinant de sueur. D’autres s’enfoncent au péril de leur vie dans des gale­ries souterraines. Selon la légende, l’or est une matière vivante qui, pour s’offrir aux auda­cieux, exige certains sacrifices.

En sortant de la ville d’Oumé (50 000 habi­tants), au centre de la Côte d’Ivoire, il suffit de faire quelques kilomètres de voiture, puisune demi­heure de marche à travers une forêt copieusement tronçonnée, pour tom­ber sur cette mine d’or clandestine. Ce lieu sans nom a des allures de tour de Babel inversée. Dans les entrailles de la terre s’en­gouffrent des migrants venus du Ghana, de Guinée, mais surtout du Mali, et plus encoredu Burkina Faso. Les deux voisins septen­trionaux de la Côte d’Ivoire possèdent la plus longue expérience et les réseaux lesplus performants dans le secteur aurifère.

Creuser, piocher, broyer, trier, laver, concas­ser, retrier pour ne souvent récolter qu’une pincée de poussière dorée est le quotidien deces forçats, payés au prorata de leurs décou­vertes. Les rêves de richesse sont le meilleuraimant pour les filières de recrutement oupour ceux qui sont simplement portés par l’aventure du moment. Mais la confron­tation avec la réalité peut être cruelle.Seydou, un Guinéen arrivé il y a trois ans, dit n’avoir toujours rien trouvé dans les sous­sols de la région. Dès lors, c’est devant les barset les restaurants qu’il mendie son butin.

Voilà une dizaine d’années que la fièvre del’orpaillage clandestin frappe tout le Sahel et, au­delà, une large partie de l’Afrique de l’Ouest. En Côte d’Ivoire, en parallèle d’uneproduction industrielle en constante pro­gression, le phénomène a pris une telle am­pleur que les équilibres économiques et envi­ronnementaux de certaines régions sont endanger. Les bouleversements engendrés ontsuscité en plusieurs endroits des tensions communautaires, toujours promptes à dé­border sur le champ politique.

LES FLAMBEURS DES MAQUISCes risques, Idrissa – tous les prénoms ontété modifiés – s’en fiche comme d’une gui­gne. « Quatre mois après l’ouverture, on adéjà tiré plus de 10 kg de la mine », prétend lejeune « chef de chantier ». Gestionnaire du site pour le compte d’un investisseur exté­rieur dont il préfère taire le nom, ce trente­naire alerte est chargé de payer le droit d’ac­cès à la terre aux chefs locaux, de rémunérerles orpailleurs, d’acheter le matériel, de revendre l’or extrait, de corrompre les fonc­tionnaires pour qu’ils ferment les yeux,comme lui clôt les siens sur certainestechniques destinées à ne perdre aucuneparticule de métal jaune. Devant un ali­gnement de « piscines » d’environ deuxmètres de côté, creusées à même la terre, oùle sable extrait est une dernière fois filtré dans du cyanure, Idrissa s’amuse de nos inquiétudes sanitaires : « C’est sans danger.Regarde ! Il y a encore de l’herbe à côté. »

Combien de mines illicites, semblables à cel­le­ci, se sont ouvertes ces dernières années en Côte d’Ivoire ? Un comptage précis s’avère im­possible, mais les autorités et les acteurs du secteur admettent que le phénomène, s’il n’est pas nouveau, a connu une forte expan­sion. De bonnes sources parlent d’au moins un millier de sites sur l’ensemble du territoire.En 2014, le gouvernement ivoirien estimaitque, sur les 25 millions d’habitants du pays, en­viron 500 000 vivaient de cette activité. « L’or­paillage clandestin a pris des dimensions in­quiétantes, durant les dix dernières années, fai­sant perdre à l’Etat quelque 479,22 milliards defrancs CFA, soit environ 878 millions d’euros », s’inquiétait alors le ministère des mines.

L’embargo imposé par les Nations unies surles exportations d’or et de diamants durant les années de guerre (2002­2011) avait été levéun an plus tôt. Des experts, cités dans un rap­port de l’organisation African Security SectorNetwork, évaluaient à « environ 30 tonnes d’orpar an la production artisanale qui échappe à l’Etat ». En 2019, la production officielle étaitde 32,5 tonnes. Appuyée par les industriels canadiens, australiens et nigérians ayantinvesti dans ce qui est encore un territoire prometteur pour le secteur minier, une poli­tique de répression a été engagée – plus de200 sites illégaux ont été démantelés et une

centaine de personnes interpellées depuis un an –, mais la stratégie a montré ses limitesface à l’attrait du gain rapide.

En visite dans le centre du pays, en septem­bre 2019, le président Alassane Ouattara avaitexprimé sa volonté d’« éradiquer une bonne fois pour toutes ce problème » et menacé :« Lorsque nous découvrirons que des ressortis­sants d’un pays voisin sont impliqués dans ce phénomène, nous les expulserons immédiate­ment. » A quelques kilomètres du lieu où le chef de l’Etat a tenu ce discours, Souleymane ne se sent guère concerné par cet avertisse­ment. A Hiré, une sous­préfecture d’un peu plus de 50 000 habitants, lui et son frère, tousdeux âgés d’une cinquantaine d’années, ontété des pionniers de l’orpaillage sauvage. A cejour, ils ont quatre « chantiers » en activité.

« Si tu as l’accord des autorités locales, ça suf­fit pour travailler. En Côte d’Ivoire, l’argent fi­nit toujours par tout arranger », confie l’entre­preneur clandestin, qui n’a jamais cessé lesallers­retours entre son Burkina Faso natal etla Côte d’Ivoire, où il mène ses affaires. Sarecette ? « Pour monter des chantiers, on paye 250 000 CFA [380 euros] par mois à la gendar­merie. La même chose aux Eaux et forêts.Entre 250 000 et 500 000 aux soldats des FRCI [Forces républicaines de Côte d’Ivoire]. Le flair compte, mais il y a des signes. Si tu vois dans la forêt un endroit où l’herbe est morte, ilest possible qu’il y ait un filon en dessous. »

A l’entendre, le travail serait plus aisé enCôte d’Ivoire que dans les pays du Sahel. La terre y est plus meuble, les filons moins pro­fonds. « Ici, quand il pleut, tu peux même voir les enfants ramasser l’or qui remonte dans les rues », plaisante Souleymane. L’achemine­ment de substances très toxiques, comme le mercure, utilisé pour amalgamer les poussiè­res d’or, et le cyanure, pour laver une dernièrefois les roches, ne lui cause aucun souci.« C’est un frère qui va régulièrement en Chine qui nous les envoie jusqu’au port d’Abidjan. » Une fois collecté, l’or est revendu à des bijou­tiers du quartier de Treichville, à Abidjan, au Mali, au Burkina, « en fonction de là où le cours est le meilleur », avant de prendre le plussouvent la direction de Dubaï, la plaque tour­nante mondiale du business de l’or.

La seule évocation de la brigade derépression des infractions au code minier,montée décembre 2018, notamment pourcontourner les administrations locales cor­rompues, éveille sur le visage de Sou­leymane un sourire complice. Par un gestede la main en direction de sa poche, il rap­pelle que tout est négociable. Risqué, aussi.« Sauf pour la Tabaski [nom donné à l’Aïd­el­Kébir en Afrique de l’Ouest], tu ne me verrasjamais bien habillé. Pour ne pas te faire atta­quer par des concurrents, il ne faut jamais at­tirer l’attention », prévient ce père de famillequi ne s’intéresse « ni au ballon, ni à la musi­que, ni aux filles ».

Les hommes du coin ne sont pas tous aussiaustères. En fin de semaine, dans les « ma­quis » (bars­restaurants en plein air) d’Hiré,certains creuseurs flambent leur magot dansla boisson et les plaisirs tarifés.

JARDIN SECRETAvec ses alignements d’échoppes remplies de pelles, de pioches et autres outils indispensa­bles, Hiré est un Far West contemporain. L’Etaty a organisé des descentes pour chasser les or­pailleurs clandestins arrivés par cars entiers du Burkina Faso. Les prostituées venues d’Abi­djan ont filé, mais l’attrait pour le métal jaune n’a pas cessé. Les réseaux en place et les tra­vailleurs ont repris leurs activités.

A la sortie de la ville, dans un atelier clan­destin, des femmes et des adolescentes concassent des pierres au prix de 2 500 francsCFA le sac de 50 kg. Des garçons d’une dou­zaine d’années viennent ensuite les broyer en une poudre grise ou ocre, puis laver etamalgamer le tout avec du mercure. Les for­ces de l’ordre veillent à leur façon : à une cen­taine de mètres de là, un gendarme paresse sur sa moto, à l’ombre d’un arbre. Comme unrêve ou une hallucination, un VTT dernier crimonté par un Blanc en tenue de coureurcycliste file sur la piste, puis disparaît.

Natif d’Hiré, qu’il n’a jamais quittée, Rogerest un commerçant accueillant, comme enatteste l’étonnante bande d’évangéliques ayant investi sa terrasse, très portés sur laprière, la boisson et les billets de banque. Lechaleureux sexagénaire, très au fait des

affaires de sa ville, peste volontiers contre lasociété Afrique Gold. La compagnie, montéepar un consortium canadien et des investis­seurs du continent africain, exploite en pleine ville une mine industrielle.

« Les explosions quotidiennes fissurent mamaison », s’insurge­t­il en montrant des lézardes sur les murs. « Les productions de cacao sont maintenant à plus de 15 kilomè­tres. Les champs où étaient plantées les cultu­res vivrières ont disparu, et les prix ont doncmonté », s’agace Roger, avant de laisserdécouvrir son jardin secret. « Un filon passeen dessous de chez moi, dit­il devant un conduit d’à peine deux mètres de diamètrecreusé dans son arrière­cour. En quatre mois, nous avons extrait soixante sacs de cailloux qui nous ont donné 2,2 kg d’or. »

L’affaire est rentable. Roger ne donne pas lemontant, mais il dit avoir reçu la moitié dumagot – au cours actuel, le lingot de 1 kg se négocie environ 50 000 euros –, l’autre moitiéayant été partagée entre le « chef de chantier » et les creuseurs. L’un de ses voisins a même installé une excavatrice dans son jardin. Lors­que les militaires ont tenté de racketter Roger,un coup de fil à un officier, vieille connais­sance de la famille, a permis de transformer les voleurs en protecteurs rémunérés.

Plusieurs officiers des FRCI, venus de l’an­cienne rébellion, se sont enrichis en parrai­nant des sites clandestins, d’abord dans le nord du pays, puis sur l’ensemble du territoire.« Cela a, d’une certaine manière, aidé à les démobiliser. Ils sont encore dans le commerce, mais se font plus discrets », confie une sourcesécuritaire. L’une des inquiétudes est que ce trafic puisse profiter aux réseaux djihadistesactifs au Sahel, dont les ramifications s’éten­dent jusqu’aux côtes ivoiriennes. En novem­bre, l’organisation International Crisis Group rappelait que « plusieurs membres de la katiba [brigade] Khalid Ben Walid, branche sud d’An­sar Eddine [groupe lié à Al­Qaida], auraient re­connu avoir reçu une formation aux explosifs sur une des nombreuses mines d’or artisanales du nord de la Côte d’Ivoire, près de la frontière malienne ». Le centre de recherche alertait sur le fait que, depuis 2016, au Mali, au Burkina Faso et au Niger, « des groupes armés, y compris djihadistes, trouvent dans les mines d’or une nouvelle source de financement, voire un terrain de recrutement ».

cyril bensimon

Orpailleurs travaillant dans une mine clandestine proche d’Oumé (Côte d’Ivoire), le 12 décembre 2019. CYRIL BENSIMON/« LE MONDE »

L’UNE DES INQUIÉTUDES DES FORCES DE SÉCURITÉ 

IVOIRIENNES EST QUE CE TRAFIC 

PUISSE PROFITER AUX RÉSEAUX DJIHADISTES 

ACTIFS AU SAHEL

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Page 21: Le Monde - 08 07 2020

0123MERCREDI 8 JUILLET 2020 carnet | 21

Paul SebanDocumentariste

D ès le 2 octobre 1965, lecritique Jacques Siclierécrivait dans LeMonde à propos d’un

reportage de Paul Seban, Ruth oule cap de l’été, diffusé dans le ma­gazine « Les Femmes aussi »,d’Eliane Victor : « Ce que nousdonne Paul Seban aujourd’hui sur le plan du récit télévisé dépasse dans l’écriture les fictions inspiréesdu réel. » Pionnier en la matière, il fera école auprès de nombreux documentaristes.

Si l’on devait résumer la richevie professionnelle de Paul Seban,mort le 1er juillet à Paris à l’âge de 90 ans, elle s’écrirait en trois mots : réalisateur, documenta­riste et communiste. Epousant passionnément les soubresauts du monde du XXe siècle, il a su le traduire en images dès les années1960, ce que l’on appellera plustard le « cinéma du réel ».

Né le 21 octobre 1929 à Sidi BelAbbes (Algérie) dans une famille d’origine juive, il a passé son en­fance en terre algérienne avant de débarquer en France à l’âge de 19 ans. Diplômé d’une licence de droit, il choisit en 1949 de s’orien­ter vers le cinéma, après avoir étéadmis à l’Institut des hautes étu­des cinématographiques (Idhec) – ancêtre de la Femis –, d’où il sort diplômé en 1952.

« Athée et marxiste »Paul Seban démarre sa carrière ci­nématographique en 1954 comme assistant réalisateur de Jean Renoir sur son film French Cancan. Le « patron » qui, à l’épo­que, ne cache pas ses sympathiescommunistes, accueille avecbienveillance Seban qui, se décla­rant « athée et marxiste », a pris sa carte du Parti communiste fran­çais (PCF) en 1946. Il enchaîne plu­sieurs films de réalisateurs de re­nom : Marcel Carné (Les Tricheurs,en 1958), Alexandre Astruc (Une vie, en 1958), Claude Chabrol (Les Godelureaux, en 1961), Orson Wel­les (Le Procès, en 1962) et Stanley Donen (Charade, en 1963).

Des rencontres qui, disait­il,l’ont beaucoup marqué, mais pas au point de poursuivre sa carrière dans le cinéma. A cette époquebalbutiante, il choisit la télévision.Il devient réalisateur de plusieurs magazines, dont « Lectures pour tous », présenté par le journalistePierre Dumayet, ou « Les Femmes aussi », d’Eliane Victor. Il réalise aussi de nombreux sujets pour lesmagazines « Cinq colonnes à la une » et « Le Monde en quarante minutes ». Ses entretiens avec Jean Cocteau et Georges Simenon sont des modèles. En 1961, sur le plateau de « Lectures pour tous », il rencontre Marguerite Duras

avec qui, en 1967, il réalisera le filmLa Musica, adapté de la pièce dethéâtre de cette dernière, avec Del­phine Seyrig et Robert Hossein.Selon Seban, le tournage futéprouvant, mais il le décrivit comme « une belle expérience ».

Dans les studios des Buttes­Chaumont, ruche créatrice de la té­lévision française, Paul Seban cô­toie d’autres réalisateurs comme Stellio Lorenzi et Marcel Bluwal, spécialistes des « dramatiques » transmises en direct (en 1966, Se­ban tournera Le Manteau, de Go­gol), ou encore Jacques Krier, Mau­rice Failevic, Raoul Sangla et Mar­cel Trillat, journalistes­réalisateursqui, comme lui, ne cachent pas leur appartenance au PCF. En 1967, à travers son reportage « A la re­cherche du temps futur », une sé­rie en cinq épisodes, il dresse un tableau de la jeunesse française à quelques mois de Mai 68.

Ces réalisateurs et d’autres noncommunistes (Claude Barma, Claude Loursais, Claude Santelli)formeront « l’école des ButtesChaumont », qui revendique – ettente d’imposer – une télévision de qualité malgré le corset politi­que exigé par le général de Gaulle.Ensemble, ils créeront le Syndicat français des réalisateurs CGT, en défendant le droit d’auteur des réalisateurs. Paul Seban en sera son secrétaire général de 1972 à1979. A la même époque, il réalise plusieurs fictions telles que Pour Elisa (1973) et des films sur la pein­ture comme Le Solennel Monsieurde Champaigne (1975).

Son engagement syndical et po­litique lui valut d’être souvent mis à l’écart par les dirigeants des chaînes sous tutelle du pouvoir pompidolien et giscardien.

Au milieu des années 1980, refu­sant les contraintes économiques et artistiques imposées par les chaînes du service public, qui ne lui donnent plus de travail, Paul Seban travaille en Suisse où il réa­lise quelques reportages pour la Télévision suisse romande, dontNous les exclus du travail, en 1986, et Etranges étrangers, en 1992. En 1981, la Société civile desauteurs multimédias lui décerna le Grand Prix du documentaire pour l’ensemble de son œuvre.

daniel psenny

21 OCTOBRE 1929 Naissance à Sidi Bel Abbes1954 Assistant réalisateur de Jean Renoir1960 Réalise « Lectures pour tous », « Les femmes aussi »1968 « A la recherche du temps futur », série de reportages sur la jeunesse1ER JUILLET 2020 Mort à Paris

En 1972. ARCHIVE FAMILIALE

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HORS-SÉRIE

0123

1940DE GAULLELA RÉSISTANCE

PÉTAINLA COLLABORATION

Actuellement en vente,le volume n° 10

LA GRANDE GUERRE

10

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LA GRANDE GUERREDes taxis de la Marneà la bataille de Verdun

1914/1916

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Sur abo.lemonde.frPar tél. au 03 28 25 71 71de 9 h à 18 h (prix d'un appel local)

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l’ARGOTQuizz,mots croisés,mots cachés,mots fléchés,jeux de l’oie,coloriages etpoints reliés,rebus,anagrammes,version, etc.

En vente actuellement,le volume n° 13

CAMILLE CLAUDEL

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UNE VIE, UNE ŒUVRE

ÉmileZolaL’indigné

Vu par Clemenceau, Jaurès, Aragon, Mendès-France, Taubira...

Dès mercredi 8 juillet,le volume n°1

NOTRE-DAME DE PARIS

SEULEMENT

LE VOLUME 1

3,99€

LE LIVRET

AU CARNET DU «MONDE»

Décès

Pierre Ardouin,son époux,

Perrine et Kean Ardouin-Foo,Blaise et Catherine Ardouin,

ses enfants,Adelaïde, Maxence et Théophile,

ses petits-enfants,

ont la tristesse de faire part du décèsde

Mme Anne-Marie ARDOUIN,

survenu dans sa quatre-vingt-septième année.

La cérémonie d’obsèques setiendra dans la plus stricte intimitéfamiliale.

Villennes-sur-Seine.Les Melles-Annepont.

Tous ses amis et proches

ont la tristesse de faire part du décèsde

Jean-Jacques ARSONNEAU,

survenu à Saint-Germain-en-Laye,le 25 juin 2020.

Les obsèques ont lieu ce mardi7 juillet, à 15 h 30, au crématoriumdes Mureaux (Yvelines).

« L’humour est une affirmationde la dignité, une déclarationde la supériorité de l’homme

face à ce qui lui arrive. »Romain Gary.

Sylvie et François,ses enfants,

Philippe et Maud,ses gendre et belle-fille,

Julien, Thalie, Marin et Isée,ses petits-enfants

Et toute sa famille,

ont la grande tristesse de faire partdu décès de

Robert AYME,agrégé de l’Université,

fidèle lecteur du Monde,

survenu le 1er juillet 2020.

Les obsèques ont eu lieu le lundi6 juillet, au funérarium de l’hôpitalEuropéen, à Marseille et ont étésuivies de la crémation.

« Il n’y a pas d’ailleurs où guérir d’ici,pas besoin de regarder en arrière,

les jonquilles sont devant toi »Eugène Guillevic.

Sylvie Ayme-Valéry,166, boulevard Baille,13005 Marseille.François Ayme,136, rue de Charonne,75011 Paris.

Yvonne Beyneix,son épouse,

Isabelle et Florence,ses filles,

Jacques Vacher,son gendre,

Valentine et Flavie,ses petites-filles,

Eric Beyneix,son frèreainsi que son épouse,

Michèle et Philippe Senez, HélèneRovinski, Jean et Christine Rovinski,ses belles-sœurs et beaux-frères

Ainsi que ses neveux et nièces,

ont l’immense tristesse d’annoncerle décès du

docteur Alain BEYNEIX,

survenu à Nice, le 4 juillet 2020.

Les obsèques auront lieu dansl’intimité familiale.

« Ni le soleil ni la mortne peuvent se regarder en face ».

Héraclite.

Laurent Fabius,président

Et les membresdu Conseil constitutionnel,

ont la tristesse de faire part du décèsde

Jean CABANNES,ancien membre

du Conseil constitutionnel,

survenu le 1er juillet 2020.

La famille de

M. Jean-Pierre FALAISE,psychologue,

psychanalyste,

a la douleur d’annoncer son décès,survenu à Grenoble, le 30 juin 2020,à l’âge de soixante-dix-neuf ans.

Sa générosité, son écoute, sonardeur à aider, à réparer, à faire,demeurent en nos cœurs.

Les obsèques ont eu lieu aufunérarium de La Tronche (Isère),ce mardi 7 juillet, à 13 h 45.

La famille de

M. Jean KILEDJIAN,docteur,

a la douleur d’annoncer son décès.

La célébration religieuse de sesfunérailles aura lieu le mercredi8 juillet 2020, à 11 heures, en l’églisearménienne de Paris, rue Jean-Goujon.

Marie Le Quément-Bordet,son épouse,

Matthieu Le Quément et AnoukLepage, Antonin,

Anne et Duncan Seekings-LeQuément, Joséphine et Ferdinand,

Guillaume Le Quément et MarionCharles,ses enfants et petits-enfants,

Ses frère, sœur, beaux-frères,belles-sœurs, neveux et nièces,

ont la profonde tristesse d’annoncerle décès de

Joël LE QUÉMENT,né à La Roche Derrien

(Côtes-d’Armor),le 14 juillet 1944,

décédé à Bruxelles,le 26 juin 2020.

La cérémonie religieuse etl’inhumation ont eu lieu le 2 juillet,à Bruxelles, dans l’intimité.

La famille tient à remercier lesmédecins et le personnel soignant del’hôpital Sainte-Elisabeth, à Bruxellespour leur grande humanité.

Le présent avis tient lieu de faire-part.

Clos du Manoir, 30,1150 Bruxelles.

Bordeaux. Pessac.

Jean-Pascal, Véronique et Benoît,ses enfantset leurs conjoints,

Jean-Paul, Jean-Pierre,ses frères,

Jules, Emilien, Louis, Anna,Lucien et Valentine,

ses petits-enfants,Ses belles-sœurs,Ses neveux et nièces,Les familles Poublan, Gerbeaud,

Belissen, Corsan, Maire,

ont la tristesse de faire part du décèsde

Mme Marie, Bernadette MAIRE,née POUBLAN,

des suites d’une longue maladie.

La cérémonie religieuse seracélébrée le jeudi 9 juillet 2020,à 10 heures, en l’église Notre-Dame-des-Anges, à Bordeaux, suivie de lacrémation à Mérignac.

La famille tient à remercierl’équipe soignante de Cos Villa Piaet le réseau Estey.

Cet avis tient lieu de faire-part etde remerciements.

La familleEt les amis, de

MireilleMILLET SZATAN DEMEAUX,

ont l’immense tristesse de faire partde son décès, survenu le 2 juillet 2020.

La cérémonie aura lieu le mercredi8 juillet, à 10 heures, au crématoriumde Champigny-sur-Marne.

Elle sera suivie d’un moment departage convivial, dans sa maison, enson hommage et celui de son mari,

Jean Pierre DEMEAUX,

décédé le 19 mai 2020.

Ni fleurs ni couronnes, mais desplantes qui feront vivre sa mémoire.

[email protected]

Geneviève Moreau,son épouse,

Vincent Moreau,Marie et Julien Faucher,

ses enfants,Pierre, Elise, Apolline,

ses petits-enfants,Joëlle et Thierry Lepoultier,

sa sœur et son beau-frère,Marc et Katalin Berthel,

son beau-frère et sa belle-sœur,Les familles parentes et alliées,

ont la tristesse de faire part du décès,survenu à l’aube de ses soixante-dix-huit ans,

M. Bernard MOREAU,directeur honoraire

des servicesde l’Assemblée nationale.

La cérémonie religieuse aura lieule mercredi 8 juillet 2020, à 9 heures,en l’église Notre-Dame-d’accueil,de Vergèze (Gard), suivie del’inhumation dans le caveau familialau cimetière Saint-Baudile de Nîmes.

Ni fleurs ni couronnes. Des donspeuvent être faits à l’association Orionde lutte contre le cancer du pancréas([email protected]) ou àtoute autre association caritative.

M. Stéphane Péjouanet son épouse,

Mme Valérie Brajon-Péjouan,ses enfants,

Samantha, Chloé,Ludovic, Laura, Martin,

ses petits-enfants,Jules, Léonard,

ses arrière-petits-enfants,Les familles Péjouan, Belaman,

Turlin, Dalard, Guitard,

ont le regret de faire part du décès de

M. Bernard PÉJOUAN,docteur en pharmacie,

présidentde l’académie nationale de Pharmacie,

chevalierde l’ordre national du Mérite,

survenu le 1er juillet 2020,à l’âge de quatre-vingt-sept ans.

Les obsèques se sont dérouléesdans l’intimité.

Catherine,sa femme,

Jean-Marc, Dominique et Sophie,ses enfants,

Jeanne, Camille, Martin, Antoine,Nicolas, Juliette, Pauline, Louis, Manonet Ève,ses petits-enfants,

Léo, Ernestine, Violette, Emmy,Isadora, Aleph et Nina,ses arrière-petits enfants,

ont la tristesse de faire part du décèsde

Paul SEBAN,cinéaste,

survenu le 1er juillet 2020, à Paris.

Il sera inhumé, entouré de safamille, dans le Gard.

En mémoire de

David VÉZARD,

dont le décès est survenu le 6 juillet2018.

« J’ai cueilli ce brin de bruyère.L’automne est morte, souviens-t’en.

Nous ne verrons plus sur terreOdeur du temps, brin de bruyère,Et souviens-toi que je t’attends. »L’adieu - Guillaume Apollinaire,

Alcools, 1913.

Anniversaire de décès

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Page 22: Le Monde - 08 07 2020

22 | SCIENCE & MÉDECINE MERCREDI 8 JUILLET 20200123

A pparue au plus fort de la pandé­mie de Covid­19, l’affaire est pas­sée au second plan, voire inaper­çue. Pourtant, au printemps, les

Etats­Unis ont, en deux temps, bousculé le vieux consensus international sur l’exploita­tion et l’appropriation des ressources « ex­traterrestres », celles que l’on pourra tirer de la Lune et, à plus long terme, des astéroïdes.

Premier temps, le 6 avril. Ce jour­là, DonaldTrump signe un décret présidentiel visant à « encourager le soutien international pour la récupération et l’utilisation des ressources spatiales ». Qu’y a­t­il derrière cette formula­tion abstraite ? Le texte commence par dres­ser le constat que « l’incertitude concernant ledroit de récupérer et d’utiliser les ressources spatiales, y compris l’extension du droit à la récupération et à l’utilisation commerciales des ressources lunaires, a découragé certainesentités commerciales de participer à cette entreprise ». Donald Trump décide donc declarifier les choses en affirmant que « lesAméricains devraient avoir le droit de s’enga­ger dans l’exploration commerciale, la récu­pération et l’utilisation des ressources dans l’espace extra­atmosphérique, conformément au droit applicable. L’espace extra­atmosphé­rique est un domaine de l’activité humaine unique sur le plan juridique et physique, et les Etats­Unis ne le considèrent pas comme unbien commun mondial ».

UNE MODERNISATION NÉCESSAIREPour dire les choses de manière triviale, lelocataire de la Maison Blanche donne, du haut de son poste de numéro un de la pre­mière puissance mondiale, le coup d’envoi de la ruée vers « l’or lunaire » – sachant que, dans un premier temps au moins, la plus importante des ressources de notre satellite sera l’eau, pour en extraire de l’hydrogène etde l’oxygène, fort utiles pour le Lunar Orbital Platform­Gateway (LOP­G), la station spatiale que les Etats­Unis veulent mettre enorbite autour de la Lune d’ici quelques an­nées. A condition de pouvoir faire le voyage, tout un chacun aurait donc le droit de s’acca­parer les ressources de Séléné.

Le deuxième étage de cette « fusée » surl’exploitation de la Lune est mis à feu quel­ques semaines plus tard par Jim Bridens­tine, l’administrateur de la NASA. Le 15 mai,ce dernier présente une liste de dix grandsprincipes pour un avenir dans l’espace « sûr,pacifique et prospère », qui doivent sous­tendre une série d’accords bilatéraux que l’agence spatiale américaine est chargée de négocier avec ses partenaires internatio­naux. La plupart de ces principes ne sontpas nouveaux : ils font déjà partie de la pra­tique et découlent du traité de l’espace de1967, un texte élaboré sous l’égide de l’ONU,qui a posé les fondements juridiques del’exploration spatiale. On retrouve ainsil’idée que l’espace est un lieu de paix et de

coopération entre nations et que les pays sedoivent mutuelle assistance en cas de dan­ger pour les astronautes.

Certaines déclarations de vertu ont une co­loration plus technique. Le texte de la NASA met ainsi en avant la notion d’« interopérabi­lité », c’est­à­dire l’idée que les matériels utili­sés par les uns et les autres soient compati­bles entre eux et répondent à des standards. Il est aussi demandé à ceux qui signeraient ces accords dits Artemis (du nom du pro­gramme lunaire américain de retour sur la Lune) d’enregistrer tous les objets envoyésdans l’espace, de renforcer l’action contre la prolifération des débris spatiaux en orbite autour de la Terre et de partager les données recueillies par les sondes scientifiques.

Tout cela est bel et bon, mais deux desprincipes énoncés par Jim Bridenstine vien­

nent bousculer le statu quo du droit spatial en voulant le moderniser. Le traité de l’es­pace a en effet été rédigé à une époque où aucun humain n’avait encore posé le piedsur un autre corps du Système solaire. Comme le fait remarquer Xavier Pasco, di­recteur de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) et spécialiste des questionsspatiales, « depuis plusieurs années, le dépar­tement d’Etat américain fait passer l’idéegénérale selon laquelle le droit doit s’adapter aux nouvelles technologies », maintenant qu’Homo sapiens s’apprête à retourner sur la Lune et envisage notre satellite comme unavant­poste pour le voyage vers Mars.

Premier point abordé, l’appropriation desressources lunaires par ceux qui les exploi­teront. Le traité de 1967 étant relativementvague à ce sujet, les choses ont été précisées

dans un second texte signé à l’ONU en 1979, l’accord régissant les activités des Etats sur laLune et les autres corps célestes, plus connu sous le nom de traité sur la Lune. Son arti­cle 11 prévoit notamment que « la Lune et sesressources naturelles constituent le patri­moine commun de l’humanité » et que « lasurface et le sous­sol de la Lune ne peuvent être la propriété d’Etats, d’organisations in­ternationales intergouvernementales ou non gouvernementales, d’organisations nationa­les, qu’elles aient ou non la personnalité morale, ou de personnes physiques ». Le texteva plus loin, en disant qu’en cas d’exploita­tion il faut « ménager une répartition équita­ble entre tous les Etats parties des avantages qui en résulteront, une attention spéciale étant accordée aux intérêts et aux besoins despays en développement, ainsi qu’aux effortsdes pays qui ont contribué, soit directement,soit indirectement, à l’exploration de la Lune ». Bref, partager.

LE RÉGIME DE L’ANTARCTIQUE REJETÉLa France a signé cet accord mais ne l’a jamaisratifié, pas plus qu’aucune grande puissance spatiale actuelle. Chef du service juridique de l’Agence spatiale européenne, Marco Ferraz­zani constate que « le traité sur la Lune est de moins en moins pris en compte. Le présidentaméricain le dit clairement dans son décret du6 avril. L’idée d’instaurer un régime partagé et multilatéral de la Lune comme cela existe pour l’Antarctique est rejetée ». Pour ce qui est des futures ressources extraites de notre sa­tellite, « certains juristes américains établis­sent l’analogie avec le droit de la mer, expliqueXavier Pasco : dans les eaux internationales, lamer n’est à personne, mais le poisson appar­tient à celui qui le pêche ».

Le second point sensible des accords Arte­mis est de nature territoriale. Dans la pré­sentation de Jim Bridenstine, il est fait état de « zones de sécurité » entourant les installa­tions lunaires des uns et des autres, zonesqui seraient établies pour « prévenir des in­terférences nuisibles ». « En clair, cela signifie qu’on est installé, qu’on a ses investissements sur la surface de la Lune et qu’on veut êtretranquille dans son périmètre, traduit, sous couvert d’anonymat, un spécialiste des poli­tiques spatiales. C’est avant tout un position­nement géopolitique des Etats­Unis vis­à­visde certaines puissances, mais cela peut aussi

Les Etats­Unis veulent mettre la main sur la LuneDonald Trump souhaite imposer de nouvelles règles d’exploitation des ressources spatiales, alors que la NASA projette de placer une station en orbite lunaire dans les prochaines années. Ecartant un modèle multilatéral, il bouscule le statu quo international

Donald Trump assistant au décollage de la fusée SpaceX vers la Station spatiale internationale, le 30 mai, à Cap Canaveral, en Floride. ALEX BRANDON/AP

CHINE ET RUSSIE NE COMPTENT PAS SE LAISSER DISTANCER

E n relançant un ambitieux pro­gramme lunaire et en retrou­vant leur autonomie dans le vol

habité avec le lancement de la capsuleCrew Dragon fin mai, les Etats­Unismontrent qu’ils ont fermement re­mis le cap vers l’espace. Comme le ciel constitue le prolongement du terrainde jeu d’influences qu’est la Terre, la Chine et la Russie viennent tour à tour de manifester leur intention de ne pas se laisser – trop – distancer.

Fin mai, Zhou Jianping, le concepteurdu programme des vols habités chi­nois, s’est ainsi exprimé, en marged’une réunion politique à Pékin, pouraffirmer que la construction de lastation spatiale chinoise commence­rait en 2021, avec le lancement du mo­dule central, et s’étalerait sur deux ans.Contrairement à Tiangong­1 et 2, quiétaient davantage des prototypes quede véritables stations, Tiangong­3 de­vrait être occupée en permanence pardes équipages de trois personnes se relayant tous les six mois.

Son assemblage était suspendu ausort du lanceur lourd Longue Marche­5,le seul capable, dans la gamme des fusées chinoises, de satelliser les troisgros « bidons » qui formeront l’ossature de la station. Longue Marche­5 a en effetconnu plus de deux ans d’arrêt après untir raté en juillet 2017. Deux décollages réussis, l’un en décembre 2019 et l’autreen mai dernier, ont rassuré les autoritéschinoises sur sa fiabilité. Lors de sa prisede parole, Zhou Jianping a également annoncé que la sélection du troisième groupe d’astronautes chinois, qui com­prendra des ingénieurs et des scientifi­ques en plus des traditionnels pilotes dechasse, se terminerait en juillet.

Longue Marche­5 devrait être sollicitédeux fois en 2020 pour d’importantes missions d’exploration. Tout d’aborden juillet, afin de lancer vers Mars un ambitieux trio spatial formé d’un orbi­teur, d’un atterrisseur et d’un petit rover. Quant à la seconde mission, Chang’e­5, prévue à la fin de l’année, ellesera la continuation du programme

lunaire chinois. Après avoir posé deuxastromobiles sur notre satellite, l’une sur sa face visible en 2013, l’autre sur sa face cachée en 2019, Pékin passe à la phase suivante, celle du retour d’échan­tillons. Chang’e­5 est un atterrisseur quise posera dans la région lunaire connuesous le nom d’océan des Tempêtes. Des échantillons de sols seront prélevés et placés dans un module de remontée qui décollera pour se mettre en orbite lunaire, où il aura rendez­vous avec la capsule qui rapportera ensuite le pré­cieux chargement sur Terre.

Le glorieux héritage soviétiqueSi cette mission complexe réussit, la Chine sera la troisième nation à récu­pérer du matériau sélène. Les derniers à l’avoir fait sont… les Soviétiques, avecla mission Luna­24 en 1976. Leurs héri­tiers russes, désireux de renouer avec leur glorieux passé spatial, ont ressus­cité le programme Luna de l’URSS et prévoient d’envoyer Luna­25 en 2021. Il s’agirait d’une relance modeste avec

juste un atterrisseur, doté de peu d’ins­truments scientifiques et avant tout destinée à « réapprendre » les techni­ques d’alunissage. L’idée consisterait à monter ensuite en puissance au fil dela décennie 2020, avec les missions Luna­26, 27 et 28, la dernière étant cen­sée rapporter des échantillons.

Toutefois, même si Moscou remetsur les rails son programme lunaire etcompte, comme l’a rappelé, le 31 mai, le porte­parole de l’agence spatialerusse, reprendre les tirs de son nou­veau lanceur lourd Angara, qui n’a pas volé depuis 2014, tout cela ressemble àun cache­misère et paraît dérisoire au regard des ambitions spatiales améri­caines et chinoises. Comme nous le confiait récemment Isabelle Sourbès­Verger, directrice de recherches auCNRS et spécialiste des politiques spa­tiales, le problème de la Russie « estqu’elle n’a pas de grand programme national dans le spatial habité ni le bud­get pour en avoir un ».

p. b.

« NOUS NE CONSIDÉRONS PAS L’ESPACE

ATMOSPHÉRIQUE COMME UN BIEN

COMMUN MONDIAL »DONALD TRUMP

PRÉSIDENT DES ÉTATS-UNIS

DOSSIER

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Page 23: Le Monde - 08 07 2020

0123MERCREDI 8 JUILLET 2020 science & médecine | 23

La progression exponentielle d’une épidémie, défi cognitif pour la populationUne étude met en évidence la difficulté à appréhender la croissance explosive de ce type de courbes. Un biais qui a un impact sur l’adhésion aux mesures de distanciation

A ux Etats­Unis, la propaga­tion du SARS­CoV­2 s’estaccélérée ces derniersjours, notamment dansles Etats du Sud. Dans cer­

tains d’entre eux, les mesures d’isole­ment avaient entraîné des manifesta­tions en avril. De l’autre côté de l’océan Atlantique, le déconfinement de la ma­jorité des pays européens a aussi en­traîné un certain relâchement dans les mesures de distanciation physique.

Des chercheurs allemands se sont li­vrés à une analyse regroupant troisétudes menées aux Etats­Unis pour comprendre pourquoi une impor­tante partie de la population a du mal àaccepter et à comprendre l’utilité deces mesures. Les résultats, publiés par la revue PNAS (Proceedings of the National Academy of Sciences), met­tent en évidence l’impact d’un biaiscognitif, le biais de croissance expo­nentielle, sur l’adhésion de la popula­tion aux règles de distanciation.

Modèle linéaire comme référenceLa courbe exponentielle décrit un phé­nomène explosif, qui peut avoir cours dans les premiers temps d’une pandé­mie : si le nombre de nouvelles infec­tions double tous les trois jours, cela si­gnifie que la moitié des personnes in­fectées depuis le début de l’épidémie l’ont été depuis moins de trois jours. Cephénomène d’emballement est diffi­cile à appréhender, selon les expérien­ces rapportées dans PNAS.

Ces trois études ont été menées surtrois groupes différents de plus de 500 personnes pendant la secondepartie du mois de mars, alors que lacroissance de l’épidémie s’emballait aux Etats­Unis. Pour la première étude,les chercheurs ont demandé aux parti­cipants d’estimer le nombre de nou­veaux cas sur les cinq jours passés. Surles trois premiers jours de la semaine,ces derniers ont tendance à surestimerle nombre de cas, mais la tendance s’inverse sur les deux derniers jours.Ainsi, sur l’ensemble de la période, les personnes interrogées ont en moyennesous­estimé la croissance de l’épidé­mie de 45,7 % par rapport à son évolu­

tion réelle. Cette double tendance s’ex­plique par la difficulté à appréhender la propagation exponentielle du virus. Les estimations de la majorité des par­ticipants suivent en fait un modèle li­néaire d’évolution de l’épidémie.

Les chercheurs ont également cher­ché à mettre en évidence l’influence des convictions politiques sur les esti­mations des participants. Globale­ment, ceux se considérant comme conservateurs ont eu plus de mal à es­timer la vitesse de diffusion du virusque ceux se présentant comme libé­raux. Pour autant, les auteurs indi­quent que les conservateurs ne sous­estimaient pas l’ampleur du pro­blème. Ils ont même eu tendance à da­vantage surestimer le nombre de cas que les libéraux pendant les trois pre­miers jours, mais ils ont eu plus demal à prendre en compte la rapiditéavec laquelle les cas se sont effective­ment multipliés.

Pour la deuxième étude, les cher­cheurs ont répété les conditions de lapremière expérience, mais en séparantle deuxième groupe en deux sous­groupes. La moitié des participants ontreçu un message d’avertissement leur indiquant que la plupart des person­nes n’arrivaient pas à estimer correcte­ment la vitesse de propagation du

Covid­19 et qu’« aux Etats­Unis (commedans presque tous les autres pays) le nombre de patients double et continuede doubler tous les trois jours ». Encore une fois, les deux groupes ont eu ten­dance à surestimer le nombre de cas dans un premier temps, puis à le sous­estimer ensuite. Toutefois, les estima­tions du groupe ayant reçu l’avertisse­ment se sont révélées plus proches del’évolution réelle de la maladie que cel­les du groupe de contrôle.

Cette difficulté à appréhender lephénomène de croissance exponen­tielle a déjà été mise en évidence dansd’autres études, notamment dans ledomaine économique. En 2009, deschercheurs avaient montré que les

ménages touchés par ce biais avaienttendance à emprunter plus et à épar­gner moins. Une autre étude, de 2015, a révélé que plus une personne étaittouchée par ce biais, plus elle se mon­trait confiante dans sa capacité à éva­luer une croissance exponentielle. Leschercheurs notent également que lesparticipants avertis ont davantagetendance à soutenir les mesures de distanciation physique.

Une amélioration est possiblePour la troisième étude, ils se sont donc demandé s’il était possible de corriger ce biais. Cette fois, l’ensembledes participants du troisième groupe(scindé en deux) ont reçu les chiffres de l’évolution réelle du nombre de casaux Etats­Unis ainsi que l’avertisse­ment sur l’incapacité des gens à appré­hender cette croissance exponentielle.Il leur a ensuite été demandé d’estimerl’évolution de l’épidémie sur les quinzejours à venir. Le sous­groupe decontrôle a dû donner directement le nombre de cas à la fin de la période,tandis que le second devait estimerl’évolution du virus en cinq étapes es­pacées de trois jours. Le second groupea donné des estimations proches d’une courbe exponentielle et un ré­sultat final supérieur de 173 % par rap­port au groupe de contrôle.

Ce dernier volet montre qu’en de­mandant à certains participants deprendre en compte différentes étapes de progression du nombre de cas dansle futur, ils ont une meilleure compré­hension des effets d’une croissance exponentielle de l’épidémie et sou­tiennent davantage les mesures dedistanciation physique. Pour lesauteurs, ces résultats montrent à quelpoint l’impact de ce biais cognitif estimportant dans la perception que lapopulation a de l’épidémie et quant àson soutien aux mesures de distancia­tion physique. Ils soulignent égale­ment que, dans le cadre d’une criseaussi médiatisée que celle liée au Co­vid­19, il est possible de corriger ce tra­vers en avertissant la population.

étienne meyer­vacherand(« le temps »)

CARTE BLANCHE

Par STÉPHANE VAN DAMME

P roduit de la nouvelle société dela connaissance, l’histoire dessavoirs a envahi ces dernières

années aussi bien les rayons des librai­ries que les programmes de recherche des universités. En 2017, la création de larevue américaine Know, tout comme, en 2019, celle du Journal for the History of Knowledge aux Pays­Bas, parachè­vent un processus d’institutionnalisa­tion qui avait commencé une quin­zaine d’années plus tôt par la parution de l’ouvrage emblématique de Peter Burke, Social History of Knowledge (Po­lity, 2000, non traduit). La France ne futpas en reste, avec la publication des monumentaux Lieux de savoirs dirigéspar Christian Jacob en 2007 et en 2011 (Albin Michel), témoignant d’une dyna­mique interdisciplinaire attentive à la matérialité et à la géographie des sa­voirs, au proche comme au lointain, et

aujourd’hui prolongés par une biblio­thèque numérique sur la plate­forme Savoirs, rendant accessible toute cette production savante.

Désormais, l’histoire des savoirs nese définit plus par défaut comme unehistoire des sciences à laquelle l’en­quête naturaliste aurait été soustraite,mais comme un véritable champ derecherche. Selon Martin Mulsow, pro­fesseur à l’université d’Erfurt (Allema­gne), cette histoire des savoirs n’est pasmonolithique, mais suit différents modèles. Un premier s’intéresse à une épistémologie historique, et reste lar­gement une histoire culturelle de concepts scientifiques tels que l’objec­tivité, la démonstration, la preuve, l’observation complétée par des étu­des sur la face obscure de la rationalité scientifique (l’erreur, l’ignorance, l’in­certitude, la croyance).

Une seconde orientation consiste àrapprocher l’histoire des savoirs de

l’histoire de l’information et de la com­munication. Il s’agit d’explorer l’articu­lation entre production de savoirs et pratiques d’information. La troisième voie concerne ce que Mulsow nomme une « poétique des savoirs » dans une proximité avec l’art et la littérature, insistant sur les ressorts discursifs. Enfin, une quatrième approche repose sur l’ouverture à des savoirs pratiques. Même si ces différents courants ne sontpas toujours aussi nets, ils témoignent d’une volonté nouvelle de conceptuali­sation, en particulier outre­Rhin, où les historiens des savoirs sont légion et proposent de sortir des limites tradi­tionnelles de l’histoire des sciences, qu’il s’agisse de Jakob Vogel, de PhilippeSarrasin ou de Claire Gantet.

D’autres disciplines accueilliesConséquence de ce déplacement, cette histoire ample des savoirs ac­cueille les disciplines de l’érudition (antiquariat, philologie, grammaire,numismatique) comme les sciences del’information (histoire du livre, his­toire des médias, etc.), mais l’enquête sur la nature n’est plus au centre duchamp. En s’intéressant aux « savoirs précaires » dans un ouvrage traduit en français, Savoirs précaires. Pour une autre histoire des idées à l’époque mo­derne (Editions de la Maison des sciences de l’homme, 2018), Mulsow a

donné l’exemple, frappant, d’une his­toire fragile des sciences peu intéres­sée par les grands récits de conquête,d’accumulation et de domination,mais attentive à la précarité matérielle,à la marginalité, à la perte.

Sur ce point, il rejoint les conclu­sions de l’ouvrage Tant de choses à sa­voir (Seuil, 496 p., 25 €), d’Ann Blair,professeure à Harvard, qui montreque la révolution de l’imprimerie fut contemporaine d’une révolution destechnologies intellectuelles pour maî­triser les nouveaux flux d’informa­tions, surmontant l’anxiété devant lamenace de la perte et de l’oubli. AnnBlair propose même de relire les ambi­tions encyclopédiques des humanis­tes comme une réponse au scepti­cisme épistémologique qui court duXVIe au XVIIIe siècle parmi les tenants de la révolution scientifique désirantfaire table rase du passé. Mais, en re­tour, cet objectif n’est pas sans modi­fier l’histoire des sciences elle­même, en conférant une dignité nouvelle à cemonde savant empiriciste, qui a sou­vent été identifié à la pratique de laphilologie ou de l’histoire naturelle, jadis considéré en dehors de la révolu­tion scientifique.

L’histoire des savoirs a 20 ans

être vu comme un premier pas vers la pro­priété des terrains. » Un droit de propriété qui est fermement exclu en théorie. Pour sa part, Marco Ferrazzani reste prudent : « Maméthode de juriste, c’est de lire les textes. Pourl’instant, on n’a qu’une annonce de la NASA avec des principes généraux sans plus de dé­tails. Il faudra décliner ces principes dans de vraies dispositions juridiques pour savoir ceque la notion de zone de sécurité recouvre. »

« On voit émerger aux Etats­Unis une visionde l’espace qui est presque géographique, ana­lyse Xavier Pasco. Aller dans l’espace de façon plus routinière fait gonfler la surface et l’envi­ronnement terrestres. Cela conduit à s’y proje­ter dans une logique presque territoriale et on y a besoin d’une protection parce que le spatialest considéré comme une infrastructure d’inté­rêt vital. » Cette vision est déjà clairement àl’œuvre pour les satellites artificiels, ajoute le directeur de la FRS : « Les Américains estiment que si quelqu’un s’approche trop de leurs satel­lites, il est hostile. Cette idée pourrait d’ailleurs devenir la règle pour les grands pays spatiaux. Le projet d’établir des zones de sécurité sur la Lune semble prolonger cette logique. »

Il en est un qui n’a pas du tout apprécié leconcept de zone de sécurité : Dmitri Rogo­zine, le directeur général de Roscosmos (l’agence spatiale russe), pas spécialement réputé pour faire dans la dentelle. Dans unTweet publié une semaine avant que ne soit dévoilée officiellement la philosophie des accords Artemis, il comparait les plans lu­naires des Etats­Unis à « une invasion », évo­quant les interventions militaires américai­nes des années 2000 en Afghanistan et en Irak… Le 25 mai, à peine plus calme, il décla­rait à l’agence de presse russe TASS : « Nous n’accepterons en aucun cas les tentatives deprivatisation de la Lune. C’est illégal, c’est contraire au droit international. »

LA CHINE EXCLUE DU DEALContrairement au traité de l’espace de 1967, élaboré sous l’ombrelle onusienne, les futurs accords Artemis ne seront pas empreints de multilatéralisme, lequel n’est pas du tout en odeur de sainteté à la Maison Blanche. « Alorsque les Russes et les Chinois veulent promou­voir des traités internationaux juridiquementcontraignants, les Américains préfèrent des arrangements politiques mettant en place une espèce de club dont les membres adhèrentà leur vision », explique Xavier Pasco. En si­gnant toute une série d’accords bilatéraux avec des « like­minded countries » (des pays qui ont des vues similaires), ils envisagent une structure en roue de vélo dont ils consti­tueraient le moyeu et leurs alliés les rayons.

La Chine sera de facto exclue de ces ac­cords Artemis. En effet, depuis 2011, pourprévenir tout transfert de technologie avec l’empire du Milieu, le Congrès américain a interdit à la NASA « d’élaborer, de concevoir,de planifier, de promulguer, de mettre en œuvre ou d’exécuter une politique, un pro­gramme, un ordre ou un contrat bilatéral dequelque nature que ce soit » avec la Chine, à moins d’y être expressément autorisée par une loi. La situation est plus floue pour la Russie : celle­ci est partenaire des Etats­Unis depuis une vingtaine d’années dans la Sta­tion spatiale internationale (ISS) et elle est a priori désireuse de poursuivre la collabora­tion en participant à la construction duLunar Orbital Platform­Gateway. Moscoupourrait donc en théorie se voir proposer designer les accords Artemis, bien que les dé­clarations récentes de Dmitri Rogozine ne soient guère encourageantes sur le résultat d’éventuelles négociations.

Quid de l’Europe ? S’alignera­t­elle surcette nouvelle vision du droit spatial ? « Les Etats­Unis conduisent vraiment le jeu dansl’approche intellectuelle et juridique de ce quedoit être l’occupation de l’espace, souligneXavier Pasco. Ils donnent le “la”, ils sont leschefs d’orchestre de toute l’activité d’explora­tion du Système solaire. Pour eux, les choses doivent se faire à leur manière et, pourl’instant, je ne note pas de réaction particu­lière de la part des Européens. » Ceux­ci sont d’ailleurs déjà bien engagés, via l’Agencespatiale européenne, dans le LOP­G.

Directeur de la programmation, de l’inter­national et de la qualité au Centre national d’études spatiales (CNES), Jean­Pascal Le Francrappelle que « l’objectif à terme est de poser unEuropéen ou une Européenne sur le sol lunaire,et cela ne se fera qu’avec les Etats­Unis. Les Américains sont clairement leaders dans cette nouvelle aventure et nous avons intérêt à enêtre partie prenante, avec les Canadiens et les Japonais. Nous suivrons le mouvement, sauf si cela heurte des principes auxquels nous ne voulons pas déroger… » La France a été officiel­lement contactée par les Etats­Unis au sujet des accords Artemis. Les discussions juridi­ques vont pouvoir commencer.

pierre barthélémy

Une gestion de la crise fausséePourquoi, durant cette pandémie, les Américains se sont-ils beaucoup plus inquiétés de l’absence de respirateurs que des défaillances dans les politi-ques de distanciation physique et de dépistage, qui auraient permis de sauver bien plus de vies ? Pour Scott Halpern (université de Pennsylva-nie, Philadelphie) et ses collègues, cela tient à une série de biais cognitifs « qui privilégient le facilement imaginable au détriment des statistiques, le présent au détriment du futur, et le direct au détriment de l’indirect ».Dans un « point de vue » publié par la revue JAMA (Journal of the American Medical Association) le 29 juin, ils détaillent ces biais partagés tant par le public que par les médecins et les décideurs, qui ont pu affaiblir la réponse sanitaire face au Covid-19. Nous serions ainsi « précâblés » pour favoriser les victimes identifiables au détriment des décès cachés, considérés comme des « statistiques ». Une tendance doublée d’un optimisme souvent mal placé. Nous sommes aussi biaisés par le présent, préférant des gains immédiats à des bénéfices futurs pourtant plus grands. Le biais d’omission nous fait préférer un dommage résultant d’un défaut d’action plutôt que d’un choix délibéré. Les dirigeants seraient bien inspirés de tenir compte de ces biais « fâcheux » pour mieux gérer ce type de crise, plaident les chercheurs.

EN 2009, DES CHERCHEURS AVAIENT MONTRÉ QUE LES MÉNAGES

TOUCHÉS PAR CE BIAIS AVAIENT

TENDANCE À EMPRUNTER PLUS ET À ÉPARGNER MOINS

Stéphane Van DammeProfesseur d’histoire des sciences à l’Institut universitaire européen (Florence)

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Page 24: Le Monde - 08 07 2020

24 | science & médecine MERCREDI 8 JUILLET 20200123

E. BUSSER, G. COHEN ET J.L. LEGRAND © POLE 2020 [email protected]

À table !

Une plaque de carton fort a pour côtés 13 dm, 20 dm et 21 dm. Lors d’une colonie devacances mathématiques, il est proposé aux jeunes de construire une table à partirde cette plaque. La démarche : définir (en pointillés) des segments parallèles aux côtés(ne se coupant pas, sauf éventuellement aux extrémités) et plier la plaque selon cessegments de sorte que les triangles ainsi constitués forment les pieds (verticaux) dela table. Evidemment, le plateau de la table doit être horizontal.1. Quelle est la hauteur maximale d’une telle table ? 2. Quelle est alors l’aire de son plateau ?

Solution du problème 1152

1. Il y avait au moins dix équipes.Lors de chaque match, on affecte un point à l’équipe vic-torieuse. La moyenne des scores des équipes est de deuxpoints. L’équipe A a deux points de plus que la moyenne,les équipes B, C et D ont un point de plus. Total : + 5.Personne n’ayant perdu ses quatre rencontres, il y a donc,pour justifier la moyenne de deux points, cinq équipesqui n’ont gagné qu’un match.Avec A, B, C et D, cela fait un minimum de neuf équipes.Mais le nombre étant pair, dix équipes, au moins, ont par-ticipé à Euromath. Reste à montrer que c’est possible.2. Il est possible qu’il n’y ait que dix équipes. Voici un exemple de résultats, semaine par semaine.On appelle E la dixième équipe, celle qui marque deuxpoints et termine à la cinquième place. F, G, H, I et J sontles cinq équipes qui n’ont qu’une victoire.Lors de chaque match, l’équipe gagnante est en rouge.Semaine 1 : A - B C - F D - J H - I E - GSemaine 2 : A - C B - F D - H G - I J - ESemaine 3 : A - D C - G B - E F - H I - JSemaine 4 :A - F B - H C - J D - G E - I

RÉOUVERTURE DE LA CITÉ DES SCIENCES La Cité des sciences est à nouveau ouverte.Petits et grands peuvent maintenant profi-ter des animations de l’été, comme le« Bubulles Show », pour percer les mystèresdes bulles de savon, leur taille, leur forme…ou « La face cachée des codes secrets », où,à travers une exploration historique de lacryptographie, chacun pourra découvrir,chaque jour à midi, les grands principes ducodage et tenter soi-même de décoder. Ne pas oublier non plus que la Cité dessciences, ce sont aussi d’innombrable res-sources virtuelles, comme le programmeLa science est là ou La Bibliothèque chezvous, une bibliothèque numérique.Informations sur www.cite-sciences.fr

I AM A.I. EXPOSITION VIRTUELLE SUR L’I.A. La nouvelle exposition d’Imaginary, lejardin des mathématiques interactives, exa-mine des questions autour de l’intelligenceartificielle. Pourquoi un ordinateur est-ilcapable de reconnaître mes propres mots ?Comment un réseau neuronal apprend-il ?L’I.A. peut-elle se tromper ? Une expositionphysique sera mise en circulation début2021, mais on peut en consulter la versionnumérique à l’aide d’un guide virtuel. Vouspourrez tour à tour lire un essai comiquesur l’I.A., construire votre propre jeu de Nimet y jouer contre une I.A., et même vousprendre pour un pianiste virtuose ouencore découvrir des trésors enfouis. .Informations sur www.i-am.ai

DEUX PRIX AUX ACTEURS DE LA VULGARISATION DES MATHS Les deux prix 2020 de la Société mathéma-tique de France (SMF), honorant les acteursde la popularisation des mathématiques,ont été attribués.- Le Prix d’Alembert, qui récompense uneaction destinée à mieux faire connaître lesmathématiques auprès d’un large public, aété décerné au festival « Les maths danstous leurs états » (à Castanet-Tolosan), portépar l’Association Les maths en scène. - Le Prix Jacqueline Ferrand, qui honore uneopération pédagogique innovante, va à « LaGrange vadrouille/La Grange Ecole » portéepar l’association La Grange des maths.Bravo aux heureux lauréats !Informations sur Smf.emath.fr

N° 1153

AFFAIRE DE LOGIQUE – N° 1153

DIX MILLE PAS ET PLUSREPRENDRE LE SPORT EN DOUCEUR POUR ÉVITER LES BLESSURES

Par PASCALE SANTI

D epuis quelques semaines, les médecins dusport et kinésithérapeutes voient arriverdans leurs cabinets des personnes avec des

tendinites, du genou, du pied, de la cheville, des décompensations articulaires comme des poussées d’arthrose… En cause, une reprise trop brutale de l’ac­tivité physique. « Nous avons une recrudescence nette des inflammations tendineuses de l’appareil locomo­teur depuis la reprise postconfinement, constate le docteur Romain Rousseau, chirurgien du sport à l’Ins­titut Nollet (Paris) et président de la Société française de traumatologie du sport. L’incidence a été multipliéepar deux ou trois en consultation de médecine dusport. » Dans son cabinet, il voit « deux à trois person­nes avec des tendinites aiguës par jour alors qu’habi­tuellement c’est une à deux par semaine ».

Même constat pour Mathieu Abbot, responsable dela traumatologie au service de médecine du sport duCHU de Clermont­Ferrand : « Je reçois un à deux pa­tients par jour pour ces motifs, alors qu’en tempsnormal c’est trois ou quatre par semaine. » Des per­sonnes qui ont voulu reprendre « comme avant », sans échauffement. Difficile à chiffrer toutefois. Uncas est documenté : aux Etats­Unis, en 2011, les

joueurs n’avaient pas pu s’entraîner en raison d’un mouvement de grève de la Ligue nationale de foot­ball américain. Douze ruptures de tendons d’Achille ont été enregistrées dès le premier mois de reprise d’entraînement après dix­huit semaines d’arrêt.

Certains sont moins catégoriques, comme le doc­teur Béchir Boudjemaa, médecin du sport à la Ligue Hauts­de­France d’athlétisme : « Certes, il y a des souf­frances articulaires, mais pas tellement plus de tendini­tes que d’habitude. » Les kinésithérapeutes voient deleur côté plus de lumbagos fonctionnels, qui peuvent être en partie liés au confinement. La position assise, plus fréquente en raison du télétravail, ne favorise pasles choses. En tout cas, « le déconditionnement fait le litde blessures ostéo­articulaires ou tendinomusculai­res », souligne Mathieu Abbot.

Concrètement, lors d’une période d’inactivité, il y aune perte musculaire, une altération de la fonction cardiovasculaire, de la sensibilité profonde (appelée« proprioception »), et de la capacité élastique des ten­dons. Le risque de chute est aussi majoré lors des dé­placements rapides ou sur terrain accidenté. Le temps de reconditionnement est plus long. Autrement dit, on perd plus vite du muscle qu’on en gagne. Après ce temps de confinement de près de deux mois, il faut environ trois mois pour récupérer, et cela en faisant

du sport trois fois par semaine. Le message est clair : « En cas d’arrêt, même bref, il est nécessaire d’être pro­gressif en volume et en intensité », rappelle le docteur Boudjemaa. Il est indispensable « d’avoir un temps deremise en condition physique, indique Romain Rous­seau, avec des activités fractionnées, afin de refaire du muscle, de reconditionner l’appareil cardiovasculaire ». Et cela est valable pour un athlète de haut niveau, un sportif averti, ou un coureur du dimanche.

La régularité est le maître mot. Le ministère dessports a publié un guide de recommandations pourune reprise progressive afin de limiter les risques d’ac­cidents notamment cardiaques, musculaires ou articu­laires. En revanche, « je n’ai pas vu de recrudescence de macrotraumatologie, comme une rupture du ligament croisé ou des lésions traumatiques des ménisques, car lareprise sportive est encore très encadrée, par exemple lesclubs de judo n’ont pas rouvert, les championnats n’ont pas repris », constate le docteur Rousseau.

Les sportifs de très haut niveau sont également ex­posés mais très entourés. Afin d’éviter le cercle vicieuxde devoir de nouveau ralentir pour cause de douleur, ilest impératif de reprendre doucement, et régulière­ment. Car, rappelons­le, la pratique régulière d’une activité physique et la réduction du temps passé en position assise sont bénéfiques pour la santé.

L’EXPOSITION

Charcot de retour au HavreLe célèbre explorateur, célébré au Muséum d’histoire naturelle, était parti du port normand pour ses premières expéditions

L ever l’ancre et prendre le sillage ducommandant Charcot. C’est l’invita­tion lancée par le Muséum d’histoire

naturelle du Havre, du 1er juillet au 3 jan­vier 2021, avec l’exposition « L’Aventure Charcot, du Havre à l’Antarctique ». Le célè­bre scientifique­explorateur a en effet effec­tué ses deux premières expéditions au dé­part du port normand, direction le pôle Sud.Toutes les suivantes, douze au total, seront consacrées à l’Arctique.

Le 8 août 1903, il appareillait à bord duFrançais, avec vingt hommes à bord, et cinq ans plus tard, jour pour jour, il était à la barre du mythique Pourquoi Pas ?, avectrente compagnons. Irrité par l’absence de la France des régions polaires dont il soup­çonnait tout l’intérêt, il entendait réparercette indifférence en finançant une bonne partie des frais.

Ce sportif, champion de France de rugbyet double médaillé d’argent, en voile, auxJO de 1900, n’était animé par aucun esprit de compétition ou de conquête, seul l’inté­rêt scientifique l’intéressait, ce qui lui valutle surnom de « Polar Gentleman ». Chacunede ses expéditions, qui durèrent deux ans, aété marquée par neuf mois d’hivernage surle bateau volontairement laissé paralysé par les glaces pour effectuer repérages, collectes, études…

Moisson d’observations et de relevésLes résultats de ses deux missions furent considérables, avec une colossale moissond’observations et de relevés météorologi­ques, géologiques, océanographiques, géo­graphiques (4 000 km de côtes explorés, création de nouvelles cartes marines), decollectes zoologiques et botaniques.

Ces expéditions furent aussi des aventu­res humaines. On découvre que Jean­Bap­tiste Charcot portait une grande attentionau bien­être de son équipe, qui passait par la qualité de la table. En plus d’un vrai cuisi­nier, il y avait même un maître d’hôtel, et lechampagne ne manquait pas. Il avait prévuun grand nombre de distractions : luge, ski,tir à la carabine, jeux d’échecs et de dames, lecture (2 000 livres), cours d’anglais, de maths et de navigation… On apprend aussi qu’il fut très soucieux de la protection envi­ronnementale et animale ; on n’y tuait des« pingouins », comme il disait, que par stricte nécessité et, lorsqu’un léopard de mer, dont le crâne est exposé, a dû être abattu, il a confié que sa mort lui avaitlaissé « une impression pénible ».

Tous ces aspects sont évoqués avec, pourla partie scientifique, des instrumentsréunis par Agnès Voltz, comme un théodo­lite, un thermographe et un hygromètre àcheveux, qui utilise la propriété du cheveu de se raccourcir ou de s’allonger en fonc­tion de l’hygrométrie. La commissaire pré­sente encore bon nombre d’objets et de souvenirs qui racontent souvent une his­toire ou une anecdote, comme un carnet decroquis, un pull­over, des cartes postales envoyées lors d’escales ainsi que des dizai­nes de photos – comme celle qui nousmontre Charcot faisant écouter de la musi­que aux manchots. Une vidéo de Paul­Emile Victor nous rappelle fort à proposque le commandant est le père des expédi­tions polaires françaises.

Une seconde exposition, « Carnets d’ex­ploration, cap sur la diversité », suit lestravaux et le parcours de deux jeunes biolo­gistes­explorateurs, Barbara Réthoré etJulien Chapuis, en Amérique centrale et àMadagascar. Au­delà de l’intérêt scientifi­que, elle permet de comparer les moyensmis en œuvre, à un siècle de distance, etl’évolution des matériels.

francis gouge

« L’Aventure Charcot, du Havre à l’Antarctique » et « Carnets d’exploration, cap sur la biodiversité », du 1er juillet au 3 janvier 2021. Muséum d’histoire naturelle du Havre, place du Vieux­ Marché, Le Havre (76). Tél. : 02­35­41­37­28, Museum­lehavre.fr

150 TOMBES ANTIQUES DÉCOUVERTES À AUTUNDepuis le 8 juin, une équipe de l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) met au jour une nécropole proche de l’église paléochré-tienne de Saint-Pierre-l’Etrier, à Autun (Saône-et-Loire). Sur ce lieu d’inhumation, qui devait être utilisé entre le IIIe et le Ve siècle, près de 150 tombes ont été identifiées, les sépultures se présentant selon des modes très divers : certains défunts ont été enterrés dans des sarco-phages en grès, d’autres dans des coffrages en tuiles qui évo-quent des pratiques funéraires du Haut-Empire romain, d’autres encore dans des cercueils de bois ou de plomb. Très peu d’objets accompagnent les squelettes, comme cela était la coutume dans l’Antiquité tardive. Un des huit cercueils de plomb retrouvés sur le site semble hermétique-ment fermé, et les archéologues espèrent que l’individu qu’il contient sera bien conservé, ainsi que ses vêtements. L’ouverture de ce cercueil est programmée à la fin de la fouille, qui se termi-nera aux alentours de la mi-août.(PHOTO : CHRISTOPHE FOUQUIN/INRAP)

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Page 25: Le Monde - 08 07 2020

0123MERCREDI 8 JUILLET 2020 science & médecine | 25

« La crise sanitaire a révélé le faible rôle reconnu aux patients et aux associations »Trois membres de Renaloo, qui accompagne les insuffisants rénaux, rappellent l’importance des structures associatives, et espèrent être davantage écoutés à l’avenir par les autorités de santé

L e constat est unanime : lesassociations d’usagers dela santé ont été oubliées

au plus fort de la crise liée auCovid­19. En première ligne, Yvanie Caillé, fondatrice, MagaliLeo, responsable du plaidoyer, etChristian Baudelot, vice­prési­dent de l’association de patients insuffisants rénaux Renaloo, ana­lysent cette période.

Comment, en tant qu’associa­tion de patients, avez­vous vécu ces derniers mois ?

Yvanie Caillé : Comme beau­coup d’associations de patients, nous avons été précipités dans cette crise de manière très brutale fin février­début mars, quand la circulation du virus a posé des dif­ficultés massives, inédites et très aiguës. L’inquiétude chez les pa­tients souffrant d’insuffisance ré­nale chronique, dialysés et greffés, et chez leurs proches, a rapide­ment pris une ampleur sans pré­cédent. Très vite, nous avons com­pris qu’ils feraient partie des per­sonnes les plus susceptibles de développer une forme grave d’in­fection par le SARS­CoV­2. Et cela s’est hélas confirmé. La mortalité chez ces patients infectés par le Covid­19 est élevée, de l’ordre de 20 %. Et 25 % des décès chez les greffés concernent des personnes de moins de 60 ans. Hélas, plus de trois mois après le début du confi­nement, nous n’avons toujours pas pu accéder aux données sur le rôle de l’âge et des comorbidités, comme l’obésité, pour voir à quel point le risque diffère de celui dela population générale. Il s’agit pourtant d’informations majeu­res pour les patients dont la vie esten jeu. Nous ne désespérons pas de les obtenir un jour…

Quelles mesures avez­vous préconisées ?

Y. C. : Dès début mars, nousavons dit aux patients « protégez­vous, ne l’attrapez pas ». Nous avons interpellé l’Agence de la bio­médecine à propos de l’absence derecommandations officielles. Il y en a eu un peu plus tard pour les greffés, mais jamais pour les per­sonnes dialysées. Avant même lepassage au stade 3 de l’épidémie, le14 mars, et avant le confinement du 17 mars, nous avons décidé de produire nos propres « conseilsaux patients » pour lesquels nousnous sommes inspirés des recom­mandations internationales, desCentres pour le contrôle et la pré­vention des maladies (CDC) amé­ricains et des informations qui nous venaient de Chine et d’Italie. Nous leur avons ainsi conseillé de rester chez eux et de ne plus se rendre sur leur lieu de travail.

Magali Leo : Il y a eu un signalavec le discours d’Emmanuel Macron le 12 mars, qui a recom­mandé à « toutes les personnes qui souffrent de maladies chroniques de rester chez elles », mais aucun dispositif n’était prévu pour qu’elles puissent arrêter le travail. Beaucoup de médecins doutaient encore de la gravité de l’épidémie et refusaient de délivrer des arrêts de travail. Nicolas Revel, directeur général de la Caisse nationale de l’assurance­maladie, a été sensibleaux témoignages des patients, et en quelques jours, les patients « à risque » ont pu s’autodéclarer en arrêt de travail.

L’arrêt des greffes de rein ne vous a­t­il pas étonnés ?

M. L. : L’activité de greffe de reina été interrompue à partir du

18 mars, les greffes de cœur, de foieou poumon ont à l’inverse été maintenues. Ni l’Agence de la bio­médecine ni les sociétés savantes ne nous ont associés, ni même in­formés. Nous le regrettons. A l’épo­que, nous n’avons pas contesté cette mesure, qui semblait raison­nable. Mais avec le recul, certains transplanteurs admettent que si c’était à refaire, l’activité de greffe devrait être maintenue dans cer­taines conditions, comme cela a été décidé dans plusieurs pays.

Pensez­vous qu’il y a eu des dommages collatéraux ?

Y. C. : Sans aucun doute, des don­neurs décédés ont été prélevés du cœur ou du foie, mais leurs reins ont dû être « jetés ». Au moins 200 reins ont ainsi été perdus. Par rapport à la même période de 2019, ce sont 600 greffes de rein qui n’ont pas été réalisées. Pendantce temps, les patients en attente ont été surexposés au virus à cause de l’obligation de se rendre en dialyse trois fois par semaine.

Fin mars, de nombreux centres d’hémodialyse manquaient de masques. Nous avons alerté à plu­sieurs reprises sur cette question qui, nous le savions, constituait unenjeu de survie. En Ile­de­France, plus de 10 % des patients dialysés ont ainsi été contaminés.

Alors que le plan Ma santé 2022, adopté mi­2019, faisait une grande place au patient, dans le prolongement de la loi sur les droits des malades de 2002, pensez­vous que l’on assiste à un recul ?

Christian Baudelot : Oui, c’estévident. La coopération avec les patients a été considérée comme accessoire. L’autorité médicale met tout le monde devant le fait accompli. Les répercussions de certaines mesures sur leur vie quotidienne sont trop souvent négligées par les autorités médica­les, administratives ou politiques.

Cette crise est un véritable révéla­teur du fonctionnement de la mé­decine, des activités de santé et du faible rôle reconnu aux patients et à leurs associations.

M. L. : Certes, des évolutions po­sitives ont eu lieu depuis la loi de 2002, et avec Ma santé 2022. Mais cette crise a montré que ces avan­cées, acquises de haute lutte par lesmilitants associatifs, restent extrê­mement fragiles. L’édifice s’est ef­fondré en quelques jours. La dé­mocratie en santé a beaucoup souffert pendant cette crise alors même qu’elle aurait, plus que ja­mais, dû être mobilisée au regard des enjeux auxquels nous étions collectivement confrontés.

Peut­on parler de renonce­ment aux droits des patients ?

Y. C. : Le fait de fermer les portesde l’hôpital aux familles des mala­des a été une des premières déci­sions, très symbolique. Cette at­teinte aux fondements mêmes de l’humanisation des soins et de l’hôpital, qui semblaient des ac­quis depuis des décennies, consti­tue un recul considérable. Certes, l’hôpital a dû s’organiser très rapi­dement pour affronter l’épidémie.Mais le fait d’avoir considéré que la présence des proches auprès des patients, y compris durant leurs derniers instants, était deve­nue accessoire, pose des questionséthiques majeures.

M. L. : Au moment où ces déci­sions douloureuses ont été prises, personne ne les a contestées. Téta­nie collective ? Sans doute, y com­pris du côté des acteurs associatifs.Avons­nous eu tort de ne pas protester ? Que dit cette forme d’acceptation sociale et de résigna­tion de notre éthique du soin et denos valeurs ? Sont­elles si relatives qu’elles ont si vite cédé ? A nous de mieux définir les lignes rouges que nous ne devrons plus accepterde franchir, même lors d’une crise.

Ces choix ayant été faits, on a prisle risque d’ouvrir une brèche, de créer des précédents pour de nou­velles formes d’abus de pouvoir médical, qui aboutissent, notam­ment aujourd’hui, à priver les per­sonnes dialysées de repas durant des heures, alors que c’est médica­lement et humainement inaccep­table. Les patients en souffrent beaucoup et leur état de santé comme leur moral se dégradent. Alors que la phase aiguë de la crise

est derrière nous et que la Haute Autorité de santé a recommandé de rétablir les collations, beaucoupde centres de dialyse ne l’ont tou­jours pas fait, tandis que d’autres ont réduit leur composition. Nous sommes inquiets pour la suite, nous craignons la poursuite et l’amplification de ces dérives qui utilisent le principe de précaution comme un alibi.

Quels sont vos souhaits pour le Ségur de la santé ?

M. L. : Lorsque le Ségur a été an­noncé, nous aurions souhaité qu’un cinquième pilier autour de l’humanisation des soins et desdroits des patients y soit intégré.Mais nous avons vite compris quece n’est pas du tout le sujet, res­treint au champ de l’hôpital et aux dimensions organisationnel­les. La représentation des patientsest d’ailleurs ultraminoritaire.

Quelles actions envisagez­vous ?M. L. : Pour nous, la crise est loin

d’être finie. Sans parler des incerti­tudes des prochains mois, la vie des patients reste aujourd’hui très compliquée : en raison de leur fragilité, le retour des « jours heu­reux » est un espoir bien lointain pour eux. On leur demande de poursuivre un « confinement vo­lontaire », qui implique des diffi­cultés majeures, psychologiques, familiales, professionnelles, fi­nancières, etc. La communication gouvernementale sur les person­nes fragiles ne cible que les se­niors, alors que nous parlons ausside personnes jeunes et actives.

Il y a un risque réel d’exclusionet que ces populations, qui paient déjà un lourd tribut à leur mala­die, sortent de là très pénaliséeset stigmatisées. Elles se sententoubliées et laissées pour compte.Renaloo a lancé voici quelques jours une grande enquête, pourmesurer l’expérience particulière de l’épidémie vécue par ces per­sonnes et en tirer des connaissan­ces nouvelles. Nous espéronsque ses résultats contribueront àles sortir de l’invisibilité danslaquelle elles sont plongées et àfaire en sorte qu’elles soient enfin entendues. Et surtout, nous souhaitons que désormais,plus rien nous concernant ne sefasse sans nous.

propos recueillis parpascale santi

Magali Leo, Yvanie Caillé et Christian Baudelot, le 29 juin, à Paris. BRUNO LEVY POUR « LE MONDE »

« FERMER LES PORTES DE L’HÔPITAL AUX

FAMILLES DES MALADES A ÉTÉ UNE DÉCISION TRÈS SYMBOLIQUE »

ENTRETIENASTRONOMIEUne exoplanète géante réduiteà son noyauSituée à 730 années­lumière, l’exoplanète TOI 849­b est si proche de son étoile qu’elle en fait le tour en seulement dix­huit heures et que sa température de surface est de plus de 1 500 °C. Mais là n’est pas sa caractéristi­que la plus surprenante : dotée d’une masse équivalant à 39 fois celle de la Terre, son diamètre n’est que de 3,4 fois celui de notre planète. Ce qui fait de TOI 849­b l’exoplanète la plus dense pour sa taille. Pour l’équipe internationale à l’origine de cette découverte, cet astre est en réalité le noyau d’une planète géante gazeuse… sans gaz. Les chercheurs émettent deux hypothèses : ou bien l’exoplanète, lors de sa naissance, n’a pas été en mesure d’accumuler une épaisse enveloppe gazeuse autour de son noyau, ou bien elle en a été dépouillée par la suite.> Armstrong et al., « Nature », 1er juillet.

ZOOLOGIELe venin ancien des céciliesLes cécilies sont des amphibiens dépourvus de pattes qui pourraient être confondus avec des serpents. Ces animaux vermiformes, qui résident dans les régions intertropicales, sont des carnivores apparus il y a 250 mil­lions d’années, soit 150 millions d’années avant les serpents. Il semblerait que certai­nes espèces de cécilies disposent elles aussi de dents permettant l’injection de venin stocké dans des glandes. Carlos Jared (Institut Butantan de Sao Paulo) et ses collègues les ont découvertes en étudiant d’autres glandesdisposées sur la tête de l’espèce Siphonops annulatus, qui excrète un mucus facilitant sa progression dans des corridors souterrains. Ses glandes à venin buccales se développent comme chez les serpents à partir du tissu dentaire, mais, à l’inverse des reptiles, où elles alimentent généralement une paire de crochets, elles équipent toutes les dents supérieures. Elles produisent de la phospho­lipase A2, une toxine de nombreux venins.> Mailho­Fontana et al., « iScience », 3 juillet.

PALÉONTOLOGIEUn lointain parent des dinosaures découvert à MadagascarL’origine et les ancêtres des grands reptiles du Mésozoïque que sont les dinosaures et leurs cousins volants, les ptérosaures, restent mal connus. Une équipe américano­malga­che a mis au jour à Madagascar ce qui pour­rait être un de ces ancêtres. Autant les dino­saures ont atteint des tailles gigantesques, autant cet animal vieux de 237 millions d’années était petit : le Kongonaphon kely ne devait pas dépasser les 10 centimètres de haut. Les restes de la bestiole, découverts en 1998 dans un gisement contenant des centaines de fossiles, n’ont été étudiés que récemment par les paléontologues. En raison des traces d’usure observées sur ces dents, les chercheurs avancent qu’il devait se nourrir d’insectes à carapace dure et que le passage à un régime insectivore est proba­blement associé à la « miniaturisation » de ce groupe d’animaux. (DESSIN : ALEX BOERSMA)> Kammerer et al., « PNAS », 6 juillet.

ÉTHOLOGIEObserver les animaux de ferme pour prédire les séismesDe nombreux témoignages décrivent des animaux ayant un comportement anormal avant un séisme, comme s’ils pressentaient la catastrophe. Une équipe internationale a voulu confirmer ce phénomène dans une ferme italienne située dans une zone sismi­que. Ces chercheurs ont équipé d’accéléro­mètres six vaches, cinq moutons et deux chiens qui avaient déjà manifesté ce type de pressentiment et ont pu enregistrer leurs mouvements et les mettre en regard de l’activité sismique. Résultat : plus un séisme était proche de la ferme, plus les animaux avaient des mouvements inhabituels, et ce, jusqu’à 20 heures avant l’événement. Les scientifiques suggèrent d’intégrer la détection de ces comportements animaux aux systèmes de surveillance et d’alerte.> Wikelski et al., « Ethology », 3 juillet.

T É L E S C O P Eb

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26 |disparitions MERCREDI 8 JUILLET 20200123

Ennio Morricone

Compositeur italien

J oueur chevronné, EnnioMorricone avait composél’hymne de l’Olympiaded’échecs de 2006, qui s’étaitdéroulée à Turin. « Le jeu

d’échecs est bien plus qu’un simple passe­temps, affirmait­il, en 1991,au magazine spécialisé Torre & Cavallo. C’est une chose impor­tante ; une philosophie, un moyende mieux se connaître, un miroir de la lutte de la vie. » Anecdoti­ques, sans doute, au regard d’une œuvre musicale parmi les plus prodigieuses du XXe siècle, ces phrases peuvent être transposées au rapport passionnel qu’il entre­tenait avec la chose artistique :une affaire « importante », où l’in­timité le dispute au lyrisme, et laconflictualité à l’apaisement.

Pour le partenaire emblémati­que du cinéaste Sergio Leone, qu’il a accompagné de Pour une poignée de dollars (1964) à Il étaitune fois en Amérique (1984), cettelutte s’est achevée, lundi6 juillet : le chef d’orchestre etcompositeur italien est mort, à91 ans, dans une clinique de saville de Rome, où il avait été ad­mis à la suite d’une chute.

Il était une fois, donc, EnnioMorricone. Né le 10 novem­bre 1928, à Rome, il grandit à Tras­tevere, alors l’un des quartiers les plus populaires de la capitale ita­lienne. Sa mère, qui travaille dans le textile, l’élève au côté de ses trois sœurs, Adriana, Maria et Franca. La peintre yougoslave Eva Fischer, de retour de déportation, est sa voisine. Plus tard, Morri­cone conviendra que cette en­fance sous haute protection fémi­nine a pu nourrir son attrait pour les voix de femmes − l’un des leit­motivs de sa proliférante disco­graphie. « L’instrument par excel­lence, celui qui ménage les plus im­pressionnantes variations, du cri au murmure, c’est la voix humaine− en particulier féminine », confes­sera­t­il, en 2014, au Monde.

Débuts dans la musique légèreTout aussi décisive sera l’in­fluence paternelle : originaire d’Arpino, dans le Latium, MarioMorricone est trompettiste dans divers orchestres. C’est cet instru­ment que le jeune Ennio décide d’étudier au conservatoire Sainte­Cécile, en même temps que l’or­chestration et la composition. Une encre dont se servira le maes­tro pour établir sa « signature » : altières et mélodieuses, ses par­ties de trompette figurent en tête des sonorités auxquelles l’adjectif« morriconnien » est le plus sou­vent associé, avec le tressaute­ment de la guimbarde ou lechuintement des chœurs.

Si ces « gimmicks » l’ont renducélèbre bien au­delà du cercle des amateurs de musique de films, le Romain prenait ombrage de ce que l’on réduise son écriture à une succession d’effets, aussi ac­crocheurs fussent­ils : « La trom­pette produit des sons tellement intenses qu’il faut l’utiliser avec parcimonie », disait celui qui a

gravé quatre morceaux avec lejazzman Chet Baker, en 1962.

Car c’est dans la « musique lé­gère », comme disent les Transal­pins, qu’Ennio Morricone a fait ses gammes. D’abord sur les pla­teaux de la télévision nationale, laRAI, où il effectue quelques piges d’arrangeur, entre 1956 et 1958. Puis, plus fondamentalement, au sein de la filiale italienne de RadioCorporation of America (RCA).

Nommé directeur artistique decette maison de disques, en 1956,Vincenzo Micocci a de grandesambitions : offrir au « boom » − lemiracle économique italien −une bande­son digne de ce nom.En 1961, Micocci fait édifier de vastes studios d’enregistrement,via Tiburtina, dans le nord­est deRome. Il en confie les clés à untrio d’arrangeurs qui viennent des’illustrer sur plusieurs produc­tions siglées RCA : l’Argentin LuisBacalov, ainsi qu’un duo d’amisfraîchement diplômés duconservatoire, Bruno Nicolai etEnnio Morricone.

Grâce à ce trident exceptionnel,la pop de la Botte rivalise bientôt d’inventivité avec ses rivalesanglo­saxonnes. Morricone, en particulier, officie derrière les principales vedettes de l’époque, àun rythme effréné : Mina (Se tele­fonando), Gianni Morandi (Fattimandare dalla mamma), Gino Pa­oli (Sapore di sale), Rita Pavone (T’ho conosciuto), Edoardo Via­nello (O mio signore), Jimmy Fon­tana (Il Mondo), Paul Anka (Sta­sera resta con me)…

Pour le jeune orchestrateur,cette école est le contrepointidéal à ses études académiques.A Sainte­Cécile, son maître Gof­fredo Petrassi l’avait initié au ré­pertoire classique − Bach, Beetho­ven, Stravinsky − comme àl’avant­garde contemporaine, deLuciano Berio à Luigi Nono. ChezRCA, Morricone découvre un ins­trumentarium que les manda­rins du conservatoire vouaientaux gémonies, et qui fera le sel deses futures partitions : guitareélectrique, basse, batterie… Il ap­prend la vitesse d’exécution, l’ef­ficacité mélodique, l’émulationcollective. Surtout, il saisit le po­tentiel artistique de formes alors jugées mineures, car populaires :la pop music, dont il goûte la ma­lice et la sensualité, tout en ono­matopées ; et, bien sûr, le cinéma.Faut­il s’en étonner ? Le premiercinéaste à faire appel à lui, Lu­ciano Salce, a frayé avec le music­hall. Artiste prolixe que ce Salce, tour à tour acteur, parolier, met­teur en scène de théâtre, de télé­vision ou de cinéma.

Morricone l’a brièvement cô­toyé dans les studios de la RAI,en 1958, puis lors des répétitionsd’une pièce avec le mime FélicienMarceau, La Pappa reale (1959,version italienne de La BonneSoupe, créé l’année précédente), dont il assure l’illustration so­nore. Leurs sept collaborationsfilmiques, de Mission ultra­se­crète (1961) à Comment j’ai appris

à aimer les femmes (1966), sontdans le ton des travaux de Morricone chez RCA : entre autres merveilles, la voix téné­breuse du chanteur Luigi Tenco yfait mouche, servie par les paro­les de Salce et les cordes lanci­nantes du maestro.

Lyrisme facétieuxDans le sud­est de Rome, dans les studios de Cinecittà, les jeunesTurcs du cinéma italien repèrentce compositeur prometteur.Parmi eux figure une vieille con­naissance de Morricone, Sergio Leone, qui a fréquenté la même école primaire que lui.

Enfant de la balle − son père estréalisateur, sa mère actrice −,épris de cinéma américain, Leone cherche à subvertir les stéréoty­pes du western. En croisant cetimaginaire avec ceux du péplumet du film de samouraïs, il comptebien en révéler l’ironie ; pire, lacruauté. Fini les poursuites effré­nées de cow­boys et d’Indiens : place à une ronde de mercenaires et de gringos, cupides et laconi­ques. Le scénario de Leone tient en quelques lignes ? A chargepour Morricone, préposé à la ban­de­son, d’en déployer toute la ri­chesse. Le maestro pioche dans le lexique qu’il a commencé à élabo­rer pour Salce et la RCA − arpèges obsédants, chœurs incongrus… −, dont il accentue les facéties opé­ratiques. Le résultat, Pour une poi­gnée de dollars (1964), est un car­ton international, et propulse Morricone au rang de star, en même temps que la vedette du film, un certain Clint Eastwood.

Dès lors, le compositeur sera detous les longs­métrages de Leone.Et pour quelques dollars de plus (1965), Le Bon, la Brute et le Truand(1966), Il était une fois dans l’Ouest(1968), Il était une fois… la révolu­

tion (1971) creusent la veine du western à l’italienne, auquel la presse a cru bon d’accoler le terme « spaghetti », ce qui a le dond’irriter Morricone.

Quant à leur ultime collabora­tion, Il était une fois en Amérique (1984), elle fera date : le film estune méditation mélancolique surle temps et l’amitié, et la partition,le plus vertigineux des sabliers.Du reste, il n’est pas interdit delire, dans le duo formé par Max(James Woods) et Noodles (RobertDe Niro), un écho de la relationtempétueuse qu’entretenait le ci­néaste avec son alter ego musical.

Est­il couple plus dissemblableque Leone, ogre débonnaire etgénéreux, et Morricone, ludionsec et nerveux ? « Sergio suppor­tait la Lazio de Rome, et Ennio leclub de foot rival, l’AS Roma, ra­contait au Monde l’acteur et ci­néaste Carlo Verdone, en 2019. Jeme demandais comment ils pou­vaient s’entendre aussi bien l’unavec l’autre… Lorsque Leone m’aannoncé qu’il produirait mon pre­mier film, Un sacco bello [1980], ila emmené Morricone dans ses ba­gages. C’était non négociable,j’étais terrorisé ! Dieu soit loué : sabande­son est un joyau. »

Cela a contribué à sa légende : lecaractère du compositeur était plutôt du genre trempé. Dans unpremier temps, cet orgueil ra­geur sera son meilleur atout. Apartir de la moitié des années1960, l’Italie bascule dans la vio­lence politique ; une nouvelle gé­nération de cinéastes, aussi do­rée que séditieuse, s’en fait l’écho.

Pour leurs pellicules irrévéren­tes, les partitions incandescentesde Morricone s’avèrent le com­bustible idoine : Bernardo Berto­lucci l’enrôle sur Prima della rivo­luzione (1964), Marco Bellocchio sur Les Poings dans les poches

(1965), Pier Paolo Pasolini sur Des oiseaux, petits et gros (1966). Sui­vront Marco Ferreri, Elio Petri, Mauro Bolognini, Dario Argento,Mario Bava, les frères Taviani… « Ilne se passe pas un mois sans qu’Ennio et moi nous nous en­gueulions par téléphone, confiait le réalisateur Paolo Taviani au Monde, en 2018. C’est un génie, et une sacrée tête de mule. »

Les choses se gâtentIl n’empêche, sur les génériques,« Musique d’Ennio Morricone » devient le plus fiable des labels dequalité. D’autant qu’il franchitsans encombre les frontières :en 1969, son nom apparaît aussi bien à l’affiche du Clan des Sici­liens, du Français Henri Verneuil, que de La Tente rouge, du Soviéti­que Mikhaïl Kalatozov ; deux ans plus tard, Here’s to You, extrait de Sacco et Vanzetti, de Giuliano Montaldo, est un tube internatio­nal, porté par la voix de Joan Baez.

Mais, très vite, les choses se gâ­tent : « Ennio demandait qu’on luiapporte le film déjà monté, expli­quait Marco Bellocchio au Monde, en 2016. Alors seulement il pouvait se mettre au travail : il regardait les images et composaitla musique, point final. Je voulaisdavantage d’interaction ; à partirde 1972, je me suis tourné vers un compositeur plus jeune et conci­liant. » En authentique auteur,Morricone exige, auprès de cha­cun de ses collaborateurs, le finalcut : il ne l’obtiendra pas tou­jours, loin s’en faut. Malgré la fi­délité que lui témoigneront Ber­nardo Bertolucci, Mauro Bolo­gnini ou Giuseppe Tornatore, sacarrière, jalonnée de fâcheriesplus ou moins définitives, souf­frira en partie de cette irascibi­lité. Elle lui devra aussi, parado­xalement, ses plus beaux trésors.

Avec Sergio Leone, au Festival de Cannes, le 13 mai 1984. JEAN-MARC ZAORSKI/GAMMA-RAPHO VIA GETTY IMAGES

Discours pour son Oscar d’honneur, en 2007, à Hollywood, avec Clint Eastwood. KEVIN WINTER/GETTY IMAGES/AFP

SA DISCOGRAPHIE PREND UNE ALLURE 

SCHIZOPHRÈNE : D’UN CÔTÉ, LES PARTITIONS 

« RESPECTABLES », DE L’AUTRE, 

DES BANDES­SON DÉMONIAQUES, 

ILLUSTRANT LES SOUS­BOIS

LES PLUS PERMISSIFS DU CINÉMA « BIS »

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0123MERCREDI 8 JUILLET 2020 disparitions | 27

10 NOVEMBRE 1928 Naissance à Rome1961 Compose sa première bande originale pour Il federale (Mission ultra-secrète), de Luciano Salce1962 Ecrit, avec Chet Baker, sur l’album Chet Is Back1964 Pour une poignée de dollars : première colla-boration avec le réalisa-teur Sergio Leone. Sui-vront Le Bon, la Brute et le Truand (1966), Il était une fois dans l’Ouest (1968)…1971 Compose Here’s to You, chantée par Joan Baez2007 Oscar d’honneur pour sa carrière2015 Compose la musique du film Les 8 Salopards, de Quentin Tarantino, pour laquelle il reçoit un Oscar6 JUILLET 2020 Mort à Rome

En 2003, à Rome, au studio Forum Music Village, dont il fut l’un des fondateurs. FERDINANDO SCIANNA/MAGNUM PH

Dès 1966, Morricone, qui ne dé­sire rien davantage que de garder le contrôle sur ses créations, s’éloigne de RCA : il fonde avec son vieux complice Vincenzo Mi­cocci la maison de disques Pa­rade. Un nom ô combien morri­connien, tout d’esquive et d’es­broufe, qui tient autant de la re­vue militaire que de la rêverie.Quatre ans durant, Morricone y publiera certains de ses meilleurs disques, ainsi que ceux d’arran­geurs (Piero Piccioni, Luis Baca­lov, Armando Trovajoli…) et d’in­terprètes dont il partage la sensi­bilité. Las, entaché par les malver­sations d’un avocat possédé par ledémon du jeu, le label ferme bou­tique en 1970. Cet échec ne dis­suade guère le compositeur d’ouvrir, la même année, et aucôté des mêmes musiciens, unstudio d’enregistrement derniercri, le Studio Orthophonic.

Il donne sur la basilique du Sa­cré­Cœur Immaculé de Marie,une église massive du très chicquartier des Parioli, dans le nordde Rome : « Quand j’y pense, celame semble incroyable que Morri­cone ait enregistré les bandes­sondes premiers films de mon père,Dario Argento, dans un environ­nement aussi coincé », racontaitau Monde la fille du maître du cinéma d’épouvante, AsiaArgento, en janvier.

De fait, au tournant des années1970, Morricone semble une par­faite incarnation de la notabilité.Avec le groupe d’improvisation Nuova Consonanza, ou sous sonpropre nom, ce fervent catholi­que cède à son penchant pour lamusique sérieuse, ou plutôt « ab­solue », ainsi qu’il la définit :« La musique de films, à l’inverse de la musique absolue, est appli­quée et contrainte, insistait­il, non sans une pointe de condes­

cendance. Elle s’adresse à un pu­blic de culture moyenne. »

Toujours impeccable avec sesmontures foncées et sa mine con­centrée, déjà bardé d’hommageset de récompenses, Morriconefile, depuis 1956, un mariage sans histoires avec Maria Travia, qui luidonnera quatre enfants. Sauf que sa discographie prend une allurede plus en plus schizophrène : d’un côté, les partitions « respec­tables », adoubées par l’establish­ment du classique et du cinéma international ; et de l’autre, des bandes­son démoniaques, illus­trant les sous­bois les plus per­missifs du cinéma « bis ».

Improbable bacchanaleComposées à une cadence de sa­tyre, publiées en catimini, voire sous des pseudonymes dignes d’acteurs pornos (Dansavio, LeoNichols…), ces bandes originalesvoient Morricone prendre part à une improbable bacchanale. Danscette Italie à cheval entre les an­nées 1960 et 1970, l’heure est au mélange des genres cinématogra­phiques le film érotique drague le policier, le péplum pactise avec le western. Pour célébrer ces no­ces torrides, le maestro trouve desnotes insensées : débarrassé des étiquettes esthétiques, confrontéà des cinéastes aux ego moinssusceptibles, il laisse dériver sa virtuosité vers de voluptueux ri­vages, qui empruntent autant à la musique baroque qu’au funk et à la bossa­nova. N’a­t­il pas enregis­tré tout un album, en cette prolifi­que année 1970, avec le maître de la musique populaire brésilienne,Chico Buarque de Hollanda ?

Comble de la lascivité, il inviteses camarades de jeu à participer à l’orgie : à la même époque, les condisciples les plus proches de Morricone − Bruno Nicolai, Piero

Umiliani… − se livrent à des cares­ses musicales similaires, même siaucune de leurs bandes origina­les n’égalera ses prouesses. Avecle temps, ces musiques compo­sées pour d’obscures séries B − LaDonna invisibile (1969), de Paolo Spinola, Metti, una sera a cena(1969), de Giuseppe PatroniGriffi, Maddalena (1971), de Jerzy Kawalerowicz… − ont été rééva­luées, au point d’apparaître aujourd’hui comme les chapellessixtines de sa discographie.

Morricone lui­même étaitconscient de leur valeur. N’a­t­il pas « recyclé » l’un de ces thèmes,Chi mai ?, pour la fameuse bande­son du Professionnel (1981), deGeorges Lautner ? Le composi­teur n’oubliait jamais d’inclureces partitions sensuelles au ré­pertoire des concerts qu’il don­nait depuis des décennies, dansles arènes du monde entier. Avecleur protocole réglé comme dupapier à musique, ponctuées pard’interminables ovations, ces cé­rémonies insistaient, non sansemphase, sur la carrière interna­tionale de Morricone.

C’est que celle­ci, à partir deL’Exorciste II, de John Boorman(1977), connaît une vive accéléra­tion. Là encore, la liste des cinéas­tes qui se sont tournés vers luidonne le tournis : Terrence Ma­lick (Les Moissons du ciel, 1978),John Carpenter (La Chose, 1982), Brian De Palma (Les Incorrupti­bles, 1987), Roman Polanski(Frantic, 1988), Pedro Almodovar (Attache­moi !, 1989) ou QuentinTarantino (Les Huit Salopards, 2015, qui lui valut son premierOscar, en 2016, neuf ans après ce­lui reçu pour l’ensemble de sacarrière)… Rien moins que le go­tha du cinéma mondial, même siMorricone s’adonnait, de tempsà autre, à des choix plus compro­

mettants : qui se souvient de saparticipation à La Cage aux folles 2 (1980), d’Edouard Moli­naro, par exemple ?

L’« anxiété » de la scèneAvant de se rendre à la pharmacieoù il avait ses habitudes, dans le centre de Rome, le compositeurpassait systématiquement uncoup de fil : « Morricone ! »,criait­il dans le combiné. « Le­quel ? », répondait la pharma­cienne, qui comptait un homo­nyme parmi sa clientèle.

Le compositeur faisait alors fu­ser les noms d’oiseaux : « Lemaestro, bon Dieu ! Celui dont lenom a été donné à un astéroïde ! »Une passe d’armes qui évoquecelle qui l’opposa à Quentin Ta­rantino, en novembre 2018, surun mode bien plus planétaire etpolémique : « Cet homme est uncrétin, aurait dit Morricone à unjournaliste de la version alle­mande de Playboy. Il n’a rien des grands d’Hollywood, comme JohnHuston, Alfred Hitchcock ou BillyWilder. Tarantino ne fait que duréchauffé. » Après la publication,l’Italien nia ardemment avoirtenu de tels propos, menaçant même le magazine de poursuitesjudiciaires. Du reste, on touche làau cœur du système Morricone :la musique a­t­elle déjà connu unêtre à ce point écartelé entrela quête d’honorabilité et l’appel de la dépravation ?

Avant chaque interview, le« staff » du musicien glissait aux journalistes une liste d’expres­sions prohibées et de « conseils »pour que l’entretien se déroule dans de bonnes conditions : mieux valait, vous faisait­on comprendre, prononcer le mot« maestro » que « spaghetti ». Ce­pendant, le même entourage seplaisait à raconter les « vices ca­

chés » de Dottore Ennio et Mister Morricone : parmi eux, une pas­sion quasi pathologique pour les clés de chambres d’hôtel, dont il avait assemblé, murmurait­ondu bout des lèvres, une impres­sionnante collection. Curieuse manie pour quelqu’un qui apassé sa vie cloîtré dans son stu­dio d’enregistrement, non ?

Pas tant que ça, répondront ceuxqui ont déjà assisté à l’un de ses concerts. Sur scène, Morricone semblait user de sa baguette comme un serrurier manœuvre lagâche, le pêne ou la bouterolle. En fin mécanicien, il privilégiait les sonorités métalliques − carillon, glockenspiel, clavecin, arpèges de guitare électrique, cuivres −, qu’huilaient violons et violoncel­les. Si certaines parties parais­saient un brin rouillées (basses et batteries notamment, très kitsch), le dispositif, dans l’ensemble, fonctionnait à merveille : chez chaque spectateur, la boîte à ima­ges s’ouvrait grand, laissant défilerune cavalcade de cow­boys et de coyotes, de mafieux et de filles far­dées. « Avant de monter sur scène,je ressens une grande anxiété, re­connaissait­il en 2014. Comme tout chef d’orchestre, j’ai une res­ponsabilité vis­à­vis des musiciens et du public. Si le concert se passe bien, je redeviens tranquille. »

De toutes ces grands­messes, lesplus poignantes furent données àRome, comme il se doit. Pour ses adieux à la Ville éternelle, Morri­cone reçut, le 11 janvier, une lon­gue standing­ovation, au Sénat. Six mois plus tôt, du 15 au 23 juin 2019, il s’était produit dansun lieu à l’histoire autrement sul­fureuse, les thermes de Caracalla :c’est que, chez cet homme­là, leshonneurs se doublaient toujours d’un frisson de volupté.

aureliano tonet

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Page 28: Le Monde - 08 07 2020

28 | CULTURE MERCREDI 8 JUILLET 20200123

« Il y a autant d’identitésnoires en France que de Noirs »Au communautarisme, qu’il tourne en dérision dans « Tout simplement noir », le cinéaste Jean­Pascal Zadi préfère le dialogue

ENTRETIEN

J ean­Pascal Zadi fait feu detout bois. A 39 ans, issud’une famille trouvant sesorigines en Côte d’Ivoire etcomptant dix frères et

sœurs, ce natif de Bondy (Seine­Saint­Denis) tôt installé en Nor­mandie n’aura attendu personne pour se lancer dans le rap (La Cel­lule), la télévision (Canal+), le Web(Mouv’) et le cinéma (trois longs­métrages autoproduits et auto­vendus avec succès).

Un esprit d’aventure et de bri­cole qui lui réussit. Il entreaujourd’hui comme réalisateur dans le circuit commercial avecTout simplement noir, une comé­die qui colle drôlement à l’actua­lité. L’histoire est celle d’un acteurnoir raté qui organise une mar­che de la colère antiraciste. Oucomment être en même tempsau cœur des choses et à côté de laplaque. Ce déphasage n’est­il pasun autre nom de l’humour ? On envisage sérieusement l’hypo­thèse avec l’intéressé.

Entre la mort de George Floyd aux Etats­Unis et la marche pour Adama Traoré en France, votre film est au diapason de la vigoureuse dénonciation du racisme antinoir, mais en même temps tourne en dérision le lieu commun d’une communauté noire qui se révèle introuvable. Cette position n’est­elle pas un peu instable ?

Cette instabilité est celle­làmême de l’humour. Ce film était tellement important pour moique je ne voyais pas comment le traiter autrement qu’avec hu­mour. Je n’ai pas beaucoup de cordes à mon arc, mais j’ai au moins celle­là. L’humour, dansma vie, m’a permis de me sortir

de beaucoup de situations. Je ne voyais pas comment parlerautrement de l’identité noire française, et questionner aussi le communautarisme.

Entre tenants de la laïcité républicaine et défenseurs des identités, il y a aujourd’hui deux conceptions de la société qui semblent se radicaliser. C’est dans ce plat que votre film met, en quelque sorte, les pieds…

Pour moi, il n’y a en Francequ’une seule République, mais chacun la voit et la veut différem­ment. Je pense en fait que tout le monde veut l’égalité et va dans le même sens. Même les déboulon­neurs de statues, qui ne revendi­quent rien d’autre que la recon­naissance du déni d’une certainehistoire de ce pays. Leur acte restecriant d’amour pour la France, se­lon moi. Ce qu’il faut compren­dre, c’est que sont des gens qui se sentent rejetés, qui ont l’impres­sion de ne pas avoir les mêmes droits que leurs concitoyens, etque la seule manière de luttercontre cela, c’est de se regrouperentre soi. Je crois que le film faitun sort à la notion de commu­nautarisme noir. Je suis noir, Fary est noir, Fabrice Eboué est noir, onn’a rien en commun.

Comment rapprocher ces visions différentes ?

En s’écoutant, en discutant.Quand le président Macron ditqu’on ne déboulonnera aucune statue en France, je crois qu’ilferme la porte à ce dialogue. Je ne dis pas pour autant que c’est bien de déboulonner les statues, je dis simplement que ces gens ont un truc à dire, et qu’il est primordial de les écouter. Ce n’est pas qu’ils sont devenus fous et qu’ils ont dé­cidé de déboulonner des statues

pour se faire plaisir. Moi, je suis un fils de la République. Je ne pense pas qu’il faille rayer une partie de l’histoire française, comme la colonisation, mais je pense en revanche qu’il faut l’en­seigner et l’expliquer plutôt que lataire. Trouvez­vous normal que, du haut de mes 39 ans, tout ce queje sais sur la question, je l’ai apprisen dehors de l’école ? Ce n’est pas la République qui me l’a appris, c’est mon père.

Etes­vous partisan, dans le domaine du cinéma, d’une politique des quotas ?

Je me fous complètement qu’oncolle deux Noirs dans Joséphine,ange gardien. Ce n’est pas ça quicompte. On ne peut pas en vou­loir à un réalisateur de ne pas mettre des Noirs dans un film alors que rien dans l’univers dufilm ne l’exige. Il fait ce qu’il veut,c’est sa liberté. En revanche, ce

qu’on veut, c’est faire des films,nous aussi. Ce qui importe, c’est que, en France, tout le monde aitles mêmes chances et les mêmesopportunités de s’exprimer, etqu’on fasse vivre la pluralité des points de vue de ce pays.

Votre film comporte un casting des principales têtes d’affiche noires de ce pays (Fary, Claudia Tagbo, Lilian Thuram…). Pourquoi ?

C’est simple. Je ne trouve pasnormal qu’on connaisse mieuxen France l’histoire des Noirs américains que celle des Noirsfrançais. Pourquoi Martin LutherKing et Malcolm X, et pas GastonMonnerville et Frantz Fanon ? Enimaginant, autour de l’arche nar­rative d’un acteur raté, une sériede rencontres avec des artistesnoirs, je voulais aborder toute ladiversité de l’identité noire en France. Le métissage avec Eric

Judor, le binôme Antilles­Afriqueavec Fabrice Eboué et LucienJean­Baptiste, etc. Histoire de montrer qu’il y a autant d’identi­tés noires en France que de Noirs.Et que c’est vrai des juifs, des Ara­bes, des homosexuels et, bien en­tendu, des Français.

L’équivalent esthétique de cette intention, c’est lorsque vous prétendez avoir réalisé « African Gangster » (2010) sous l’influence de « Touchez pas au grisbi » (1954), de Jacques Becker, plutôt que de « Scarface » (1983), de Brian De Palma…

Ah mais oui ! On a tous, évidem­ment, été influencés par la cul­ture américaine. Mais moi, mes références, elles sont à 200 %françaises. Eddie Murphy, bien sûr. Mais plus encore Louis de Funès, Jean­Paul Belmondo, c’est complètement mon ADN. Et Jean

L’antiracisme sur la corde raideSuccession de sketchs, le premier film de Jean­Pascal Zadi, réalisé avec John Wax, séduit par la qualité de son écriture et son esprit corrosif

TOUT SIMPLEMENT NOIR

C’ est le propre d’un pland’ouverture de toutdire d’une œuvre qui

s’annonce. Dans le premier film « industriel » du prodigue Jean­Pascal Zadi (rappeur, humoriste, chroniqueur à la télé, cinéasteamateur…), associé ici avec le pho­tographe John Wax, il y a tout à la fois une intelligence du cadre,une subtilité de l’humour et l’éla­boration d’un comique ahuri quile placent sous des auspices favo­rables. Soit, au premier plan, JP(Zadi en personne), acteur visible­ment raté en même temps que sous­employé, qui lance en direct depuis chez lui un appel grave surles réseaux sociaux – « Je suis en

colère… Les Noirs ne sont nullepart… appel à une grosse marchede la colère noire… le jour de l’abo­lition de l’esclavage » –, tandis que sa femme, blanche, s’affaireindifférente en arrière­plan et l’interpelle à plusieurs reprises sur des affaires domestiques, ruinant à chaque fois par la trivia­lité de ses interventions la colère de ce dispositif.

On en saisit immédiatementl’enjeu. D’une part, sur fond demorts violentes d’hommesnoirs, la contemporanéité tragi­que avec un mouvement de colère antiraciste dont le film està l’évidence solidaire. De l’autre, des éléments comiques qui inflé­chissent la radicalité opportu­niste de certains discours identi­taires : l’acteur noir qui politise sa

nullité, sa femme blanche quipart bosser pour faire bouillir la marmite, la mixité avérée dufoyer. C’est sur cette corde raide,mais assez joyeuse, que le film,non sans culot ni courage, s’étend. Tenant son argument – un acteur noir, suivi pour undocumentaire par une équipe de télévision, tente de mobiliser la communauté des artistes demême couleur en vue d’une mar­

che de protestation –, Jean­PascalZadi tient ipso facto sa forme. Elleconsiste, comme souvent avec lestransfuges humoristes, en une succession de sketchs agrégés lesuns aux autres.

Déboulonnage interneCe que l’on pourrait considérer comme une facilité (formecourte réitérée pour atteindre la longueur d’un long­métrage, ef­fet d’aubaine du défilement des célébrités plutôt que construc­tion de personnages sur la durée)est ici compensé par la qualité del’écriture, l’ambiguïté de la miseen abyme, alors même quechacun joue son propre rôle, et l’esprit corrosif qui emporte sur son passage tant le racisme réel de la société que l’hypocrisie du

discours communautariste qui lui répond. Une brochette impo­sante de « beautiful people » noirs s’est prêtée au jeu.

Le stand­upeur Fary y incarneun opportuniste intégral, sur­fant sur la colère politique pourrenforcer son image. Eric Judor,fort d’un métissage peu visible, yjoue le Noir honteux, se revendi­quant à 100 % autrichien. L’An­tillais Fabrice Eboué et l’AfricainLucien Jean­Baptiste en viennentaux gros mots puis aux mainsdans un restaurant. Ramzy Bediaet Jonathan Cohen, amis sur le fildu rasoir, y font entendre dansun dialogue délicieusementaigre­doux la concurrence victimaire et la possibilité del’antisémitisme comme panacéeuniverselle…

A la manœuvre de ce déboulon­nage interne, Jean­Pascal Zadi – grand corps burlesque, tête de pied nickelé farceur, zigomar gaffeur et passablement couard – agit comme un révélateur de faux­semblants. Non sans s’assurer au passage, par quelques fulgurants retournements du faisceau hu­moristique, que la société globaleet la cohorte de ses racistes ordi­naires en prennent aussi pour leur grade. Zadi est un universa­liste dans l’âme, son film nous montre que la connerie n’a ni couleur ni frontière.

j. ma.

Film français de Jean­Pascal Zadi et John Wax. Avec Jean­Pascal Zadi, Fary, Claudia Tagbo, Caroline Anglade, JoeyStarr (1 h 30).

Le réalisateur et comédien, place de la République, à Paris, le 3 juillet. JULIEN MIGNOT POUR « LE MONDE »

Gabin, Touchez pas au grisbi, Le Gentleman d’Epsom, Archimède le clochard…

Vous avez toujours fabriqué vos œuvres, votre musique, vos films, vos DVD dans un esprit d’aventure et de bricole. Vous voici aujourd’hui produit par l’un des plus grands opérateurs industriels du cinéma français, la Gaumont. Qu’advient­il de votre liberté ?

Concrètement, ils sont venus mechercher, parce qu’ils ont sans doute senti qu’il y avait besoin, dans un cinéma populaire qui tourne un peu en rond, d’un espritnouveau. Avec mon coréalisateur John Wax, je pense qu’on est dans cette mouvance, dans cet esprit. Lefilm a été réalisé avec un budget relativement modeste, tout le monde y a été payé au même prix,ça a été démocratique, ça a été la République !

Lors de la sortie de « Sans pudeur ni morale », en 2011, vous avez déclaré à « Libération » que, dans votre enfance, dans les années 1980 en province, c’était « les Noirs entre eux, les Arabes entre eux, les Blancs entre eux ». Di­riez­vous de même aujourd’hui ?

Non. Moi, je n’entrais pas dansles boîtes de nuit, en Normandie. C’était le rap et le foot, et point barre. Mes enfants grandissentdans une France où il y a Chris­tiane Taubira au gouvernement, Harry Roselmack à la télévision,Omar Sy et Ladj Ly au cinéma, et même leur papa est cinéaste…Bon, les gens vont devoir se faire àl’idée qu’il y a des Noirs dans ce pays. Qu’on fait partie de son his­toire et de son paysage. Les chosesévoluent, ça avance, j’ai espoir. Je suis un vrai républicain.

propos recueillis parjacques mandelbaum

CHEF­D'ŒUVRE          À  NE  PAS  MANQUER          À  VOIR          POURQUOI  PAS          ON  PEUT  ÉVITER

« Je suis noir, Fary est noir,

Fabrice Eboué est noir,

on n’a rien en commun »

Une brochette imposante de

« beautiful people » noirs

s’est prêtée au jeu

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0123MERCREDI 8 JUILLET 2020 culture | 29

Deux regards sur une séparationLes films de Yaron Shani chroniquent la rupture d’un couple, du point de vue masculin puis féminin

CHAINEDBELOVED

D eux longs­métragespour suivre les der­niers instants de la vied’un couple. Le tour­

billon Chained et Beloved, de Ya­ron Shani, arrive en salle à une se­maine d’écart, Chained dès le 8 juillet, Beloved le 15. Si la ruptureamoureuse est un thème rebattu au cinéma, le réalisateur israé­lien, né en 1973, renouvelle le genre avec un dispositif fausse­ment documentaire, plutôt so­phistiqué, au terme duquel Chai­ned suit le point de vue mascu­lin de la séparation, et Beloved le versant féminin. La même scène inaugurale – avec des prisesde vue différentes – ouvre les deux films : Rashi (Eran Naim) et Avigail (Stav Almagor) attendentun enfant et sont à l’hôpital pour l’échographie de la huitième se­maine. Mais le cœur du bébé a cessé de battre, et Avigail est en pleurs dans les bras de son mari.

Chained nous met dans les pasde Rashi, policier à Tel­Aviv, marié à Avigail, qu’il aime « plus que tout ». On le découvre en pleine mission, intervenant au domicile d’un homme qui frappe ses en­fants. Rashi est un homme sous tension qui va être écrasé de pres­sions de plus en plus fortes. Pro­fessionnelle d’abord, puisqu’il se voit accusé d’agression sexuelle après avoir effectué une fouille corporelle sur des jeunes, dont l’un a un père haut placé dans la police. Familiale ensuite, car il est confronté à la rébellion perma­nente de la fille d’Avigail, née d’un précédent mariage, qui n’a que 13 ans mais se comporte comme sielle en avait 17 ou 18. Sentimentale,enfin, puisque, de jour en jour, il voit sa femme lui échapper jus­

qu’au moment où elle lui dit les choses : c’est fini entre eux.

Si Chained suit une ligne droite,tranchante comme une lame, Be­loved déploie ses ondes comme après le choc d’une pierre dans un lac : Avigail, qui travaille comme infirmière dans un hôpital, se lie d’amitié avec une femme qui vientrendre visite à son père mourant. Cette quadragénaire accompagne aussi des futures mamans, prend Avigail sous son aile et la fait en­trer dans son cercle féminin.

Une multitude de signauxDans cette atmosphère d’atten­tion bienveillante, Avigail se ré­vèle à elle­même et découvrequ’elle n’est pas heureuse. Est­ce lavie quotidienne avec ses récurren­tes disputes conjugales au sujetde sa fille, Jasmine (Stav Patay) ?

Est­ce parce qu’elle se voit infan­tilisée par son mari qui lui rap­pelle qu’une adolescente a besoin d’un cadre, et de limites ? Est­ceparce qu’elle refuse que ce soit l’homme de la maison, Rashi, qui dicte les règles comme il a l’habi­tude de le faire quand il pa­trouille ? Enfin, a­t­elle encore en­vie d’un homme dans sa vie ?

Comme dans Ajami (2009), unpolar coréalisé par Yaron Shani et Scandar Copti, empreint d’une fine connaissance de la société is­raélienne, Chained et Beloved en­voient une multitude de signaux de l’époque contemporaine, oùl’homme, travaillé par les ques­tions d’égalité avec les femmes, est à la fois fragilisé et tenté de re­prendre le pouvoir par d’autres moyens. Ainsi, Rashi accepte que sa compagne parte quelques jours

avec des amies, mais, en retour, ilse montre de plus en plus posses­sif, et laisse faire un collègue de la police qui lui propose d’enquêter sur sa femme… Beloved déploie unlarge éventail de portraits fémi­nins comme pour suggérer que, désormais, c’est de ce côté­là que s’ouvrent tous les possibles. Une femme trouve une échappatoire et un gagne­pain comme tra­vailleuse du sexe, d’autres dans la

maternité, avec ou sans homme. Yaron Shani a écrit et affiné les dialogues pour les acteurs princi­paux dont certains ont vécu dessituations assez proches de celles décrites dans le scénario. Les co­médiens ne font pas que jouer, ils sont leurs personnages, énonce lecinéaste, qui les a filmés en plan serré, dans une esthétique de télé­réalité – jusqu’à cet accouche­ment dans l’eau dont on traverse toutes les étapes. Rashi et Avigail, eux, sont criants de vérité. Il n’en faudrait pas beaucoup pour que le spectateur se sente un peu voyeur, à suivre d’aussi près les faits et gestes de ce couple et des personnages secondaires.

Yaron Shani s’est cependantposé une limite, jouant avec les co­des du reportage télévisé et flou­tant certains visages (ceux des

personnes âgées à l’hôpital) ou parties du corps – surtout dans Be­loved. On peut juger ce parti pristrop envahissant, mais il vise à dis­tinguer, et à protéger, des person­nages du film qui ne sont pas co­médiens. On peut aussi apprécier l’étrangeté de ces corps sans tête, aux visages aspirés, qui évoquent des toiles de Francis Bacon (1909­1992), ainsi que la volonté de ne pas simplement reproduire des modèles. Jouant ainsi avec la dé­formation, esthétique et narrative (le vrai et le faux), Yaron Shani pro­pose un autre regard sur le couple,cette énigme.

clarisse fabre

Films israéliens et allemands de Yaron Shani. Avec Eran Naim, Stav Almagor, Stav Patay (1 h 52) et (1 h 48).

« Crash », la collision des corpsMontrant des personnages qui ne trouvent d’excitation sexuelle qu’à la vue d’accidents de voiture, le film de David Cronenberg a fait scandale lors de sa sortie en 1996

REPRISE

O bjet d’un scandale reten­tissant lors de sa présen­tation à Cannes en 1996,

contant l’attrait érotique de quelques personnages pour les accidents de voiture, Crash, quiressort en version restaurée,apparaîtra peut­être un jourcomme le plus grand filmd’amour des années 1990. En­core faudrait­il voir ce que l’onentend par « amour ».

Le film de David Cronenbergn’a que peu à voir avec le do­maine des sentiments, galvau­dés par un siècle de romantismehollywoodien, et qui n’ont ja­mais véritablement intéressé leréalisateur de La Mouche et deVideodrome, féru de dérives psy­chanalytiques et d’horreur orga­nique. Pour le maître canadienné en 1943, le cœur et ses raisonsn’existent pas, puisque toutel’aventure humaine se passequelque part entre le cerveau et la chair, dans l’influence souventmonstrueuse qu’ont les idées sur le corps. La grande affairede Crash est donc celle de l’at­traction des corps. Ou, pour le dire autrement, des stratégiesqu’ils mettent en œuvre pour en­trer en collision.

Crash est le fruit d’une rencon­tre entre le cinéaste, alors ausommet d’une créativité qui le voit enchaîner les films impor­tants (Faux­Semblants, Le Festinnu, d’après Burroughs, et M. But­

terfly), et l’œuvre de J. G. Ballard (La Foire aux atrocités, Super­Cannes), auteur britannique de science­fiction fourrageant lesrecoins inavouables de l’hyper­modernité, et dont le romanCrash !, publié en 1973, fut sansdoute l’un des plus sulfureux etcontroversés. Cronenberg en transpose simplement l’argu­ment de Londres à Toronto, enAmérique du Nord. James Bal­lard (James Spader), réalisateurde publicités, forme avec safemme Catherine (Deborah KaraUnger) un couple libre, multi­pliant les aventures, mais traver­sant néanmoins une mauvaisepasse sexuelle.

Songe languideAprès une violente sortie de route, qui le laisse la jambe bri­sée, James fait la rencontre à l’hô­pital du mystérieux Bob Vaughan(Elias Koteas), au visage scarifié,dont le passe­temps favori est de reconstituer clandestinementdes célèbres accidents de voiture(comme ceux qui coûtèrent la vieà James Dean ou à Jayne Mans­field). Autour de lui gravite unepetite communauté de fétichis­tes (Holly Hunter, Rosanna Ar­quette) plus ou moins éclopés,qui ne trouvent d’excitation quedans les désastres automobiles,au contact de la tôle froissée.

Le désir où s’immerge Crash estdonc médiatisé par la voiture, fé­tiche technologique de la civili­sation occidentale, dont l’imagi­

naire érotique et la promesse decatastrophe transforment en profondeur l’expérience ducorps humain. En intégrant legroupe, James et Catherine accè­dent non seulement à de nou­veaux partenaires, mais aussi àune sexualité renouvelée, singu­lièrement dépersonnalisée, où lesujet compte moins que l’atte­lage rutilant qui l’entoure. L’acci­dent devient une scène fantas­matique, où décombres et dé­bris, comme tous les stigmates de la destruction, renvoient aumoment fatidique de l’impact,image décuplée de la jouissance.Dans cette perspective de la colli­sion, le corps tout entier devientl’objet d’une secousse puissam­ment érotique, les dommagessubis remodelant petit à petit leschairs – la longue cicatrice or­nant la cuisse de Rosanna Ar­quette qui ressemble à un nouvelorifice sexuel. Cronenberg filme

cette aventure comme une sortede songe languide (le riff inquié­tant et planant d’Howard Shore àla guitare électrique), où les per­sonnages quittent leur moder­nité atone (celle des métropoleset de leurs mille reflets glauques)pour plonger dans une dimen­sion marginale de l’existence : unoutre­monde fait de parkings etde fourrières, de bretelles aban­données et de virées noctur­nes, où le désir prend des for­mes extrêmes. La beauté sidé­rante de Crash est ainsi la dis­tance de sa mise en scène, qui setient à la lisière de la réalité et in­vente un territoire presque ex­clusivement cérébral.

Si le film a tant choqué à sonépoque, c’est sans doute parcequ’on attendait qu’il dénonce leculte de la voiture ou la perver­sion de ses personnages. Loins’en faut. Cronenberg les dépeintsurtout comme des êtres enquête d’expérience, d’un contact renouvelé avec notre monde, ter­riblement déréalisé. L’amour se­lon Crash est un empirisme :qu’un morceau de fer pénètredans un morceau de chair et c’esttoute la réalité qui, d’un seul coup, chavire sur son axe.

mathieu macheret

Film canadien de David Cronenberg (1996).Avec James Spader, Deborah Kara Unger, Holly Hunter, Elias Koteas, Rosanna Arquette (1 h 40).

Le film de DavidCronenberg

n’a que peu à voiravec le domainedes sentiments,

galvaudéspar un siècle

de romantismehollywoodien

Eran Naim et Stav Almagor, dans « Chained », de Yaron Shani. NIZAN LOTEM & SHAI SKIFF

La même scèneinaugurale, avecdes prises de vue

différentes, ouvre les deux

longs-métrages

Les quatre cents coupsd’une jeune gymnasteEva Riley filme le corps d’une adolescente comme un territoire à recomposer

L’ENVOLÉE

C ontrairement à ce que sontitre pourrait laisser en­tendre, L’Envolée, d’Eva Ri­

ley, n’est pas un film de plus sur l’émancipation d’une jeune fille par le sport, ici la gymnastique. La réalisatrice et scénariste écossaise,qui avait présenté un court­mé­trage en compétition à Cannes en 2014, Patriot, a su trouver un récit moins prévisible, et deux acteurs très convaincants, non professionnels : Frankie Box, qui joue Leigh, la gymnaste qu’elle est dans la vie, et Alfie Deegan, jeune menuisier repéré lors d’un castingsauvage, qui interprète Joe, sondemi­frère, faux beau gosse et gueule cassée dans l’esprit des personnages de Ken Loach.

Dans les alentours de Brighton,en Angleterre, Leigh répète quoti­diennement, dans sa chambre, l’enchaînement de gymnastiquequ’elle doit présenter lors d’unecompétition. La professeure, Gemma (Sharlene Whyte), lui semble entièrement dévouée, per­suadée que la jeune fille a quelque chose de profond à donner, en dé­pit de ses absences et irrégularités.Les filles de l’équipe en revanchene sont pas de bonnes copines, quise moquent des justaucorps de la petite brunette ou lui font remar­quer qu’elle n’est là qu’en vertu de

son statut de boursière. Ce rapide tableau de la méchanceté am­biante – ou de la lâcheté, concer­nant le père – manque sans doute de nuances, mais c’est en s’échap­pant de ce cadre convenu, grâce à l’irruption de nouveaux person­nages, que L’Envolée se détournede son programme annoncé.

Un matin, Leigh voit débarquerun adolescent un peu plus âgé qu’elle, qui se présente comme sondemi­frère. Ils n’ont que leur père en commun, lequel ne leur a ja­mais rien dit. Cette soudaine fra­trie vient à la fois perturber et ré­veiller la jeune fille. « Notre père a baisé une fois ta mère, cela ne fait pas de toi mon frère ! », lui lance­t­elle. Joe est un petit délinquant qui vole des motos pour le compte d’un caïd du coin, Reece (Billy Mogford). Leigh découvre l’argent facile, les soirées de bikers, fait les 400 coups, et son agilité lui donne un avantage quand il s’agit d’entrerpar effraction dans une maison.

La réalisatrice filme une adoles­cente qui sort de l’enfance avectous ses traumas sur le feu. Plusque les prouesses d’une gym­naste, elle capte le corps d’une jeune fille par fragments, pointes, bras, mains, comme un territoireà recomposer.

cl. f.

Film britannique d’Eva Riley. Avec Frankie Box, Alfie Deegan, Sharlene Whyte (1 h 23).

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30 | culture MERCREDI 8 JUILLET 20200123

LE

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IL

MS Retrouvez l’intégralité des critiques sur Lemonde.fr

POURQUOI PASLucky StrikeFilm coréen de Kim Yong­hoon (1 h 48).Il ne faut pas toucher au grisbi, fût­il planqué dans un très chic fourre­tout Vuitton. Ça porte malheur. Pour avoir ignoré ce conseil pourtant ancien de Jacques Becker en 1953, les prota­gonistes de ce premier film du Sud­Coréen Kim Yong­hoon vont se retrouver dans de sales draps. Parmi eux, on compte un employé de club de sauna ex­restaurateur dans la débine, un douanier, un prêteur sur gage, une hôtesse de bar. Seule une technicienne de surface pourra peut­être y trouver son bonheur. Adapté d’un roman japonais, Lucky Strike est chapi­tré comme un film de Tarantino (Kill Bill), un réalisateur qui semble inspirer Kim Yong­hoon, sans que ce dernier par­vienne toutefois à l’égaler. L’histoire se traîne un peu et la li­berté que prend le réalisateur avec la chronologie dérange plus qu’elle ne stimule. ph. r

La Forêt de mon pèreFilm belge, français, suisse de Vero Cratzborn (1 h 31)Pour son premier long­métrage, la réalisatrice belge Vero Cratzborn traite d’un sujet personnel, la « folie » dont a souf­fert son père et la façon dont, enfant, elle a tenté d’appréhen­der cette maladie jugée « anormale ». Gina, 15 ans, vit dans la belle insouciance d’une famille aimante – entre un petit frère, une mère qui travaille et un père fantaisiste, étrange aux yeux des autres, magique et drôle aux yeux de ses gosses. Jusqu’au jour où se produit l’écart de trop, un épisode psychotique qui fait tout basculer. Le père est hospitalisé, la famille trébuche et Gina s’acharne à vouloir libérer son père. Rien dans la mise en scène (fort conventionnelle), ni dans le scénario, en revanche, ne dérape. Piloté avec une extrême timidité, le film fait regretter les aspérités qui auraient apporté plus de vigueur au propos. v. cau

À L’AFFICHE ÉGALEMENTMalmkrogFilm roumain, de Criti Puiu (3 h 20).Scooby !Film américain de Tony Cervone (1 h 34).

La Grèce chute de son OlympeDes adolescents errent dans les vestiges des Jeux olympiques d’Athènes

PARK

D imitris, Anna et lesautres… Des adoles­cents sans collier, à lafois graciles et disgra­

cieux, musculature noueuse, peau lisse. Ils zonent dans ce qui fut, lors des Jeux olympiques d’Athènes en 2004, un stade (en­vahi d’herbes folles et sèches), unepiscine (où croupit un reste d’eausale), un vestiaire (aux armoires en fer déglinguées). Il fait chaud. Ils s’ennuient. Ils font des fêtesqui tournent en « binge drin­king » (biture express). Les filles se tortillent, les garçons matent. Ils se battent parfois, sans qu’onsache trop pourquoi, comme deschiots trop nombreux dans un panier. D’ailleurs, ils aiment bien les chiens. Les pitbulls. Et les scoo­ters qu’ils pilotent sur une seule roue, en wheeling.

Dimitris paraît le plus âgé decette petite bande – 17 ans, à tout casser. Il a de faux airs de Rafael Nadal, une coupe de cheveuxcomme cette génération l’aime à cet âge – long sur le dessus, tem­pes rasées – et porte des tee­shirtssans manches et des shorts toutmous de basketteur. C’est sur lui

que la caméra s’attarde le plus. Elle le cerne, lui tourne autour, dé­taille la finesse de ses attaches, levelouté de sa peau. Dimitris a uneliaison avec Anna, une jeune fillequ’on devine dessalée et senti­mentale. Ils font l’amour crû­ment sur des tapis de sol. Parfois, ils vont au bord de la mer. Il estmal, il hurle plus souvent qu’il ne parle. Il bosse chez un marbrier, amant de sa mère. Celle­ci boit, peut­être un peu trop. Annas’éloigne. Bientôt, Dimitris perdson boulot. Inapte à polir la pierredans laquelle la Grèce a figé sesdieux et ses statues…

« Je veux me casser d’ici »C’est à peine une histoire. La ten­sion de ce film ne vient pas du scé­nario, des événements. Elle naît d’aucun effet de suspense, mais de la seule confrontation des per­sonnages entre eux, de leurs frôle­ments ou de leur bousculade sou­daine. Principe de la dynamo. Film électrique et tendu, il ne va pas sans un peu d’ennui. Sa réus­site tient à son casting exception­nel : cinq cents auditions et six mois de tests ont été nécessai­res pour trouver les acteurs, pourla plupart non professionnels, les mettre ensemble, et attendre que naisse entre eux l’alchimie, l’étin­

celle. Ils ont en commun d’être lesreprésentants de la génération 2004 quand la Grèce, au prix de quelques contorsions budgétaireset avec la complicité du CIO (Co­mité international olympique), se prit pour une grande puissance.

2004 : les JO retrouvent leur pa­trie. Rien n’est trop beau pour ac­cueillir dignement l’événement. Il faut y croire, se motiver, tricher. Des stades, des gymnases et des piscines sortent de terre comme par miracle ; 22 sites sont créés ; 9 milliards d’euros sont mis sur la table par le gouvernement de l’époque. Les promoteurs, les bâ­tisseurs et leurs intermédiaires, lesaigrefins se frottent les mains. Tout sera prêt au jour J, après bien des polémiques et des retards. Ce petit pays peut être fier. Pour beau­coup, le ver de la crise financière de2010 était déjà dans le fruit… Dimi­

tris, Anna et les autres sont les en­fants de ce mensonge olympique.

Ils sont les héritiers de piscinesvides, de stades sans athlètes, deParthénon de béton armé dispa­raissant sous le chiendent et les ronces. Sur les 22 sites créés pourl’occasion, une grande majorité a été abandonnée et constitue ce qu’on appelle des « éléphants blancs ». Ils sont aujourd’hui le re­fuge, le cocon, de Dimitris et de sapetite bande d’adolescents sans avenir. Sofia Exarchou, formée à New York et à Toulouse, a fait d’eux une métaphore d’un paysqui, depuis, ne s’est jamais totale­ment relevé de ce mirage.

« Je veux me casser d’ici, dit Di­mitris à Anna. – Pour aller où ?, lui demande­t­elle. – N’importe où, je m’en fous. »

Projeté à Saint­Sébastien et àToronto dès 2016, il a fallu quatreans pour que ce film arrive jus­qu’à nous. Comme Ulysse, il afait un long voyage. Mais sa fé­brilité est intacte. Son absoluenécessité aussi.

philippe ridet

Film grec de Sofia Exarchou (2016). Avec Dimitris Kitsos, Dimitra Vlagopoulou, Enuki Gvenatadze (1 h 40).

Dimitris, Anna et les autres sont les héritiers des « éléphants blancs » des Jeux olympiques de 2004. TAMASA DISTRIBUTION

Film électrique et tendu, il ne vapas sans un peu

d’ennui. Sa réussite tient à son casting exceptionnel

Quatre courts­métrages pour un opéraDes films réalisés par Sergei Loznitsa, Karim Moussaoui, Julie Deliquet et Jafar Panahi

 CELLES QUI CHANTENT

D epuis sa création, en2015, par le directeur del’Opéra de Paris, Sté­

phane Lissner, la plate­forme3e Scène est devenue le terrain de fructueuses expérimentations au croisement du cinéma, de la vi­déo, de la photographie, du théâ­tre, de la danse, du chant et de l’artlyrique… Des cartes blanches sont données à des « signatures », réali­sateurs ou metteurs en scène – Mathieu Amalric, Clément Cogi­tore, Valérie Donzelli, Apichat­pong Weerasethakul… – pour con­cevoir une œuvre originale liée à l’opéra. Plusieurs dizaines de courts­métrages ont ainsi été pro­duits sous la houlette de Philippe Martin, des Films Pelléas, diffusés en accès libre.

Pour la première fois, un pro­gramme de quatre courts­métra­ges de 3e Scène, Celles qui chantent,sort en salles mercredi 8 juillet. Hasard ou magie du cinéma, ces films, signés respectivement par Sergei Loznitsa (Une nuit àl’Opéra), Karim Moussaoui (Les Di­vas du Taguerabt, Julie Deliquet (Violetta) et Jafar Panahi (Hidden) résonnent entre eux et donnent corps à un film avec ses personna­ges de chanteuses, tel un quatuorà cordes… vocales. Si chacune de ces œuvres a sa part de singula­rité, les quatre réalisateurs explo­rent une seule et même question :qu’est­ce qui fait opéra ?

Deux faux documentairesSergei Loznitsa répond avec un film d’archives qui revisite le pro­tocole des soirées de gala au PalaisGarnier dans les années 1950 et 1960, lorsque le tout­Paris, de Bri­

gitte Bardot au général de Gaulle, se pressait pour entendre les plus grandes voix (ici Maria Callas). Ka­rim Moussaoui et Jafar Panahi proposent deux faux documen­taires en forme de road­movie. Le réalisateur d’En attendant les hi­rondelles (2017) part dans le désertdu Sahara à la recherche de ces femmes qui interprètent, dans desgrottes, un chant traditionnel ber­bère, dont il filme magnifique­ment une reconstitution. Jafar Pa­nahi, lui, finit par trouver la canta­trice qui n’a pas le droit d’exercer son métier – lui­même a été con­damné, en 2010, à ne plus tourner de films pendant vingt ans, inter­diction qu’il contourne régulière­ment. La chanteuse va se cacher derrière un rideau blanc. Fragile etsublime écran de cinéma.

Un opéra n’est­il qu’un opéra ?,s’interroge de son côté la met­teuse en scène Julie Deliquet, qui

réalise ici son tout premier film, des plus audacieux. Les couloirsde l’Opéra Bastille, à Paris, avec leurs portes qui s’ouvrent toutes seules et leurs chariots remplis de costumes, lui ont fait penser à l’hôpital. Dans la vivacité d’un montage qui nous fait passer de « Bastille » au centre de cancérolo­gie Gustave­Roussy de Villejuif(Val­de­Marne), la réalisatrice suit deux personnages : l’une, chan­teuse, interprète Violetta Valéry cheminant vers la mort dans La Traviata (une mise en scène de Benoît Jacquot en 2018) ; l’autre, comédienne, incarne une femme démarrant sa chimiothérapie. Cel­les qui chantent nous emmène en eau trouble.

clarisse fabre

Quatre courts­métrages de SergeiLoznitsa, Karim Moussaoui, Julie Deliquet, Jafar Panahi (1 h 15).

La Bonne Epouse 3 99 217 1 065 ↓ – 21 % 479 770

Les Parfums 1 96 408 561 96 408

En avant 4 58 940 880 ↑ + 6 % 741 830

De Gaulle 4 56 730 999 ↓ – 41 % 773 479

L’Ombre de Staline 2 42 944 520 ↓ – 36 % 127 824

Invisible Man 5 32 280 449 704 560

The Demon Inside 2 24 896 321 ↓ – 36 % 73 153

L’Appel de la forêt 6 18 267 496 ↑ + 5 % 1 221 667

10 jours sans maman 6 16 034 270 ↑ + 4 % 1 145 259

Nous, les chiens 2 15 565 441 ↓ – 19 % 37 715

Nombrede semaines

d’exploitationNombre

d’entrées (*)Nombred’écrans

Evolutionpar rapport

à la semaineprécédente

Totaldepuis

la sortie

AP : avant­premièreSource : « Ecran total »

* EstimationPériode du 1er au 5 juillet inclus

La deuxième semaine du déconfinement cinématographique n’a rien à envier à la première. Le moins qu’on puisse dire, c’est que la fréquen­tation reste très médiocre, même si certains l’avaient imaginée pire encore. Avec 620 000 tickets vendus, contre 590 000 du 24 au 28 juin, elle signe une hausse trop faible pour qu’on puisse conclure à un redémarrage. Ce chiffre est à comparer avec celui de 710 000 entrées enregistrées la semaine précédant le confinement (du 11 au 14 mars), alors que déjà la jauge des salles avait été réduite, et, plus cruellement encore, avec celui de la même période de l’année dernière, quand 2,9 millions de spectateurs avaient trouvé le chemin des salles… Autres temps. Dans le détail, les mêmes films se partagent la part du (maigre) lion : La Bonne Epouse, En avant, De Gaulle et L’Ombre de Staline. A noter, les bons débuts (dans ce contexte) du film de Grégory Magne, Les Parfums, avec Emmanuelle Devos, qui totalise près de 100 000 entrées pour 561 copies dès sa première semaine d’exploitation.

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Page 31: Le Monde - 08 07 2020

0123MERCREDI 8 JUILLET 2020 télévision | 31

HORIZONTALEMENT

I. Souvent sincères dans les moments difficiles. II. Reste en bordure de forêt. Piquante et mordante. III. Passas. Créateur du « New Look ». Luth à trois cordes. IV. Manifestent leur mécon-tentement. Garde pour lui. V. Chez les filles. Recommandée en partant. Em-poigné. VI. Un geste pour la planète. Qui fait quoi au Monde. VII. Lâcha son coup. Baigne amoureusement dans le miel. Le césium. VIII. Choisi par les autres. Levé en partant. Surface sur le terrain. IX. Blessés en profondeur. Bonne disposition avant de commen-cer. X. Lourd souvenir.

VERTICALEMENT

1. A toujours un mauvais coup en préparation. 2. Ouverture en façade. Rejoint la Vilaine à Rennes. 3. Ses eaux sombres gardent leur mystère. De bons moyens pour s’en sortir. 4. Roule au hasard. Fit le bon poids. Introduit les qualités. 5. Porte souvent un faux col. Carré, il faudra le défendre. 6. Belle, elle est souvent vierge. Assure le maintien. 7. Partici-pation individuelle. Rien de nouveau de ce côté-là, chez Remarque. 8. Trotte en tête. Relie le Cattégat à la Baltique. 9. Aux bouts du nœud. Mauvaise part de l’héritage. Deu-xième tour du cadran. 10. Convo-quais au palais. Blonde anglaise. 11. Supports provisoires. Mouvement en tête. 12. Equipent les chatons.

SOLUTION DE LA GRILLE N° 20 - 157

HORIZONTALEMENT I. Brut. Hameçon. II. Aines. Carabe. III. Naines. Senec (cènes). IV. As. Data. Soir. V. Tuners. Pro. VI. EPR. Trotte. VII. Maïs. Emoi. Da. VIII. Ensor. Erebus. IX. Netcam. Edens. X. Tresser. Elée.

VERTICALEMENT 1. Banalement. 2. Rias. Paner. 3. Uni. Triste. 4. Tendu. Socs. 5. Séant. Ras. 6. Stère. Me. 7. Ac. Arôme. 8. Mas. Store. 9. Eres. Tiède. 10. Canope. Bel. 11. Obéir. Dune. 12. Nécrosasse.

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12

I

II

III

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GRILLE N° 20 - 158PAR PHILIPPE DUPUIS

SUDOKUN°20­158

9 4

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9 7

1 8 2

4 2 7 3

1 2 5 3

7 2 4 6 8

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7 8 9 6 2 1 3 5 4

2 1 3 7 4 5 9 6 8

6 4 5 8 9 3 2 1 7

4 7 1 3 8 2 6 9 5

3 9 8 1 5 6 7 4 2

5 2 6 9 7 4 8 3 1

8 3 7 4 1 9 5 2 6

1 6 2 5 3 8 4 7 9

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France 221.05 L’Amie prodigieuseSérie. Avec Gaia Girace, Margherita Mazzuco (It.-EU, 2018).23.00 Daria Marx, ma vie en grosDocumentaire de Marie-Christine Gambart(Fr., 2020, 68 min).

France 321.05 Le Monde de JamyMagazine présenté par Jamy Gourmaud et Eglantine Emeyé.23.05 Papa s’en vaDocumentaire de Pauline Horovitz (Fr., 2020, 50 min).

Canal+21.07 Ahmed Sylla : DifférentSpectacle.22.50 Le Coup du siècleFilm de Chris Addison. Avec Anne Hathaway, Rebel Wilson(EU, 2019, 95 min).

France 520.50 Les Secretsde François TruffautDocumentaire de Grégory Draï et Jérôme Bermyn(Fr., 2020, 90 min).23.30 Le Mystère du loch NessDocumentaire de Mike Wafer(RU, 2011, 50 min).

Arte20.55 Woman at WarFilm de Benedikt Erlingsson. Avec Halldora Geirharthsdottir, Johann Sigurtharson(Isl.-Fr., 2018, 100 min).22.35 Aux pieds de la gloireDocumentaire de Fabrice Macaux (Fr., 2019, 53 min).

M621.05 Zone interditePrêts à tout pour organiser le mariage de leurs rêvesMagazine présenté parOphélie Meunier.23.00 Zone interditeMagazine présenté parOphélie Meunier.

Aix­en­Provence libère son plein air sur le petit écranEn raison de l’annulation de ses spectacles, le Festival propose une programmation alternative en ligne

ARTE.TVÀ LA DEMANDE

SPECTACLES

L’ édition 2020 du Festi­val d’Aix­en­Provencen’est pas annulée, elleest simplement empê­

chée. » Cette sensible atténuationsémantique ne parviendra ce­pendant pas à masquer la tris­tesse et la consternation ressen­ties à l’entour du mythique théâ­tre (en plein air) de l’Archevêché où, depuis 1948, se donne l’un des festivals lyriques internatio­naux les plus notables.

Le directeur de la manifestation,le Libano­Britannique d’expres­sion française Pierre Audi, met­teur en scène, ancien directeur de l’Almeida Theatre de Londres, de l’Opéra d’Amsterdam et, entre autres, du Holland Festival, n’ima­ginait sûrement pas que son man­dat serait affecté aussi dramati­quement dès sa deuxième saison, en raison de la crise sanitaire mondiale générée par le Covid­19.

Mais il a dû se rendre au durprincipe de réalité : « J’ai bataillé, bataillé, avant de me rendre à l’évi­dence : on ne verra jamais cette constellation de productions. Ce sont des années de travail qui s’écroulent », confiait Pierre Audi au Monde, en avril, en évoquantles spectacles d’opéra prévus cet été, Wozzeck, de Berg, Le Coq d’or,

de Rimski­Korsakov, Cosi fan tutte,de Mozart et la création mondiale d’Innocence de Kaija Saariaho.

« Scène numérique »Il a donc été décidé de produireune alternative à la programma­tion en public des récitals, con­certs et opéras de l’été 2020 sousforme d’une « scène numérique »,qui propose non seulement des

films d’archives de productions récentes qui ont marqué le Festi­val, mais aussi des captationsnouvelles de récitals dans la courde l’hôtel Maynier d’Oppède, ainsique des rencontres et débats.

Du 6 au 15 juillet, le site du festi­val, Arte.tv, Arte et France Musi­que se partagent la diffusion de ces événements : sur la scène nu­mérique d’Aix, les opéras sont

proposés chaque soir à 21 heures, tandis que le site d’Arte les rend d’ores et déjà tous disponibles.

Les récitals, diffusés par le sited’Aix à 19 heures chaque soir, ont en revanche été tournés en juin sans public : cet inconvénient est pallié par la liberté plus grande quiaura été donnée aux caméras fil­mant les artistes, dont le baryton allemand Christian Gerhaher

dans un programme de lieder, ou la mezzo­soprano tchèque Magdalena Kozena, accompagnéeau piano par son époux le chef d’orchestre Sir Simon Rattle.

La proposition lyrique est largeet riche : on notera l’Elektra de Ri­chard Strauss, mise en scène par Patrice Chéreau en 2013 ; la pre­mière Tosca de Puccini à l’affichedu Festival en 2019, dans la mise en scène insolente de Christophe Honoré ; l’opéra Pinocchio, de Philippe Boesmans et Joël Pom­merat, créé en 2017…

Parmi les films d’opéra retenus,on aura plaisir à revoir la mise en scène de A Midsummer Night’sDream, de Benjamin Britten d’après Shakespeare, qui est pro­bablement l’une des plus réussiesdu prolifique Canadien Robert Carsen, créée au Festival en 1991, reprise et captée en 2015.

On avait gardé un vif souvenir decette mise en image enchante­resse de la subtile musique de Brit­ten, notamment de cette scène où l’on voyait une série de lits aéro­portés au pays des songes, tandis que le grand contre­ténor britan­nique James Bowman incarnait le rôle d’Obéron, ici chanté par son jeune collègue Lawrence Zazzo…

renaud machart

Festival d’Aix­en­Provence 2020, disponibles sur Arte.tv et sur Festival­aix.com.

La « Tosca », de Puccini, au Festival d’Aix­en­Provence, en 2019. JEAN LOUIS FERNANDEZ

Joseph Kessel, romancier et chasseur d’horizonsA l’occasion de l’entrée de l’auteur dans « La Pléiade », France Culture propose une approche originale de son œuvre

FRANCE CULTUREPODCASTÉMISSION

Q uelle merveilleuse idée,pour accompagner lasortie de son œuvre dansla prestigieuse collection

« La Pléiade », chez Gallimard, que d’imaginer cette « Grande Table d’été » autour de – et même pres­que avec, tant il se donne ici à en­tendre – Joseph Kessel (1898­1979). Académicien, grand reporter, ré­sistant, il est l’auteur de romans connus de tous – puisque souvent

enseignés : de Belle de jour (1928), dont Buñuel tira un film devenu culte, au Lion (1958) en passant parLes Cavaliers (1967).

Homme sans frontièresPour évoquer cet homme inclassa­ble, séduisant séducteur, auteur dequelque quatre­vingts livres, trois invités : Serge Linkès, qui a dirigé l’édition en deux tomes de « La Pléiade » ; Gilles Heuré, journaliste qui, après s’être occupé de l’édition« Quarto », publie un Album Kessel,et Dominique Missika, autrice d’Un amour de Kessel (Seuil).

Comme le rappelle Gilles Heuré,pour Kessel, « le style est unemachine à crémaillère » – il est donc hors de question de « laisser le lecteur en plan ». Parmi les auteurs que Kessel admirait : Du­mas, Maupassant, Dostoïevski ou encore Tolstoï (Guerre et paix étaitsa bible). S’il considérait perméa­bles les frontières entre reportageet roman, il n’est pas certain que son style hyperbolique, si bien ac­cueilli par Pierre Lazareff alors di­recteur de Paris­Soir, soit encoretoléré dans les colonnes des jour­naux d’aujourd’hui…

Son insatiable curiosité l’em­mène d’Afghanistan au Yémen, de Syrie en Ethiopie puis en Chine. EnIsraël aussi, dès la création de l’Etathébreu, en 1948 : il rappellera son judaïsme lors de son entrée à l’Aca­démie française, en 1962.

Homme sans frontières, Kesselest, selon la belle expression deGilles Heuré, « un chasseur d’hori­zon », et sa vie une aventure dans un siècle de guerres et de révolu­tions. « Plus long le chemin, plus ri­ches ses promesses », disait­il. Ex­cessif, intimidant, auteur d’une œuvre multiforme et hétérogène,

c’était aussi, comme le rappelle Olivier Weber, auteur d’un Diction­naire amoureux de Joseph Kessel (Plon, 2019), un homme doué d’une profonde empathie. C’est donc heureux que, voyageurs im­mobiles mais auditeurs attentifs, nous partons un peu avec lui grâceà cette belle émission.

émilie grangeray

« La Grande Table d’été », présenté par Olivia Gesbert, réalisé par Alexandra Longuet (72 min). Disponible sur Franceculture.fr et sur les plates­formes de podcast.

V O T R ES O I R É E

T É L É

0123 est édité par la Société éditricedu « Monde » SA. Durée de la société : 99 ans à compter du 15 décembre 2000. Capital social : 124.610.348,70 ¤.Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).

Rédaction 67-69, avenue Pierre-Mendès-France, 75013 Paris. Tél. : 01-57-28-20-00

Abonnements par téléphone au 03 28 25 71 71 (prix d’un appel local) de 9 heures à 18 heures. Depuis l’étranger au : 00 33 3 28 25 71 71. Par courrier électronique : [email protected]. Tarif 1 an : France métropolitaine : 399 ¤

Courrier des lecteursPar courrier électronique : [email protected]

Médiateur : [email protected]

Internet : site d’information : www.lemonde.fr ; Emploi : www.talents.fr/

Collection : Le Monde sur CD-ROM : CEDROM-SNI 01-44-82-66-40Le Monde sur microfilms : 03-88-04-28-60

La reproduction de tout article est interdite sans l’accord de l’administration. Commission paritaire des publications et agences de presse n° 0722 C 81975 ISSN 0395-2037

L’Imprimerie, 79, rue de Roissy, 93290 Tremblay-en-FranceMontpellier (« Midi Libre »)

67-69, avenue Pierre-Mendès-France

75013 PARIS Tél : 01-57-28-39-00Fax : 01-57-28-39-26

PRINTED IN FRANCEPrésidente :

Laurence Bonicalzi Bridier

Origine du papier : France. Taux de fibres recyclées : 100 %. Ce journal est imprimé sur un papier UPM issu de forêts gérées

durablement, porteur de l’Ecolabel européen sous le N°FI/37/001. Eutrophisation : PTot = 0.009 kg/tonne de papier

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Page 32: Le Monde - 08 07 2020

32 |styles MERCREDI 8 JUILLET 20200123

AUTOMOBILE

L e néoconverti Porsche n’aurapas tardé à se poser en puriste.Poussé dans les bras de la Féeélectricité par le succès de Tesla

aux Etats­Unis et la mutation du marchéchinois, le constructeur aborde, comme à son habitude, le sujet avec beaucoupd’assurance. Alors que les autres mar­ques sportives de luxe, Ferrari en tête, hésitent à franchir le Rubicon, le cons­tructeur le plus rentable au monde lancele Taycan. Un modèle en rupture avec son histoire, mais sur lequel les ingé­nieurs maison, dépositaires du pouvoir au sein de la maison de Zuffenhausen (Bade­Wurtemberg), se sont investisaprès avoir jugé la révolution électrique compatible avec leur savoir­faire.

Cette greffe tentée – et réussie, préci­sons­le – offre une illustration supplé­mentaire du darwinisme appliqué à l’automobile. Le Taycan propose une lecture porschiste d’une berline quatre portes dépourvue de moteur thermi­que, jusqu’alors cœur battant des modè­les de la gamme, y compris des hybridesrechargeables. Sa carte de visite an­nonce une puissance délivrée par les deux moteurs synchrones (un sur cha­que essieu) située entre 530 ch (390 kW) et 761 ch (680 kW).

En pratique, cela peut donner un 0­100 km/h abattu en seulement 2,8 se­condes en utilisant la fonction dite« launch control », qui gère électroni­quement le dosage de l’accélération et sa transmission aux quatre roues. Legenre de séquence émotion dont on

conseillera aux estomacs fragiles de nepas abuser.

Compte tenu de la capacité du moteurélectrique à délivrer un couple constant,ce genre de performance n’est, à vraidire, pas ce qu’il y a de plus difficile à réa­liser, mais le Taycan convoque tout unarsenal technologique pour canalisercette force brute. Motoristes distingués, mais aussi experts en châssis et enliaisons au sol, ces messieurs­dames de chez Porsche ont mis sur la route unevoiture très réactive lors des change­ments d’appui et aux réactions on nepeut plus saines.

Plongeant et galbéLa suspension pneumatique adaptative et les quatre modes de conduite pro­grammables se plient à l’humeur du conducteur. La direction hyperprécise met à profit l’équilibre de la répartition des masses et l’abaissement du centre degravité pour faire complètement oublierque l’on se trouve aux commandes d’un véhicule de quelque 2,3 tonnes. Le Tay­can, dont le freinage réclame une pé­riode d’adaptation, n’est pas seulementtaillé pour de rageuses montées à l’abor­dage sur le circuit Maison Blanche,au Mans, où nous l’avons testé. Sur les routes de campagne, il fournit avec tact des accélérations franches mais brèves, source de ces plaisirs minuscules sans être frustrants que sait mieux qu’aucun autre prodiguer un véhicule électrique.

Pour convertir à cette sportive d’ungenre nouveau les riches aficionados (le tarif est compris entre 109 000 euros et 189 000 euros) d’une marque vouée au

culte du flat­six, le Taycan a également été conçu pour ne pas trop désorienterson public. Le rayon d’action a été cali­bré pour varier, selon la capacité de la batterie (79,2 ou 93,4 kWh), entre 407 kmet 463 km. Seul modèle bénéficiantd’une infrastructure électrique en800 volts, la nouvelle Porsche est com­patible avec des bornes délivrant de 225 kW à 270 kW en courant continu. Cela permet de passer d’une charge de 5 % à 80 % en un peu plus de vingt­deuxminutes sur l’une des stations du con­sortium Ionity (une quarantaine enFrance, réparties sur les grands axes) as­sociant le groupe Volkswagen, Ford, BMW, Kia et Hyundai.

Le faible encombrement de son mo­teur électrique permet au Taycan d’ac­centuer les traits caractéristiques dustyle Porsche en dessinant un capot très plongeant et des ailes toujours plus gal­bées. Long (4,96 m) et bas, ce modèle à laprésentation sobre offre un profil fluide,avec des porte­à­faux réduits qui le « po­sent » bien sur la route. La partie arrière est délibérément inspirée de celle de la911, l’icône indéboulonnable.

Pour ne pas trop perturber le petit peu­ple des porschistes, les accélérationspeuvent s’accompagner d’une sonorité spéciale, mais la marque a eu le bon goûtde ne pas reconstituer les vocalises ca­verneuses de ses moteurs thermiques. Elle a poussé le sens de l’authenticité jusqu’à amplifier le vrai bourdonne­ment du moteur électrique et le diffuserdans l’habitacle.

Autre élément de mise en scène conçupour ne pas rompre le cordon avec les

modèles à propulsion du XXe siècle : le petit coup de pied aux fesses provoquépar l’inédite boîte de vitesses (à deux rapports) implantée sur l’essieu arrière. Curieusement, le réglage de la récupéra­tion d’énergie au freinage ne permetqu’un effet de rétrogradage limité au le­ver de la pédale d’accélérateur, privant leconducteur de sensations qui font aussi le sel de la conduite en mode électrique. Les arguments avancés – un « manque d’efficience » et un effet « contre natureen conduite sportive » – ressemblent à autant de coquetteries d’ingénieur.

Enfin, l’habitacle tiré à quatre épinglesrespecte les canons de la porschitude, avec son alignement réglementaire decinq cadrans et des écrans lisibles mais d’envergure standard. Seule concession notable : la possibilité d’opter pour un revêtement intérieur en cuir végan.

Malgré de premiers mois de commer­cialisation troublés, le Taycan semble ré­pondre aux espérances. Le plan decharge de l’usine de Zuffenhausen est bien garni, la moitié des acheteurs n’ontjamais acheté de Porsche, et leur moyenne d’âge est inférieure de septans à la moyenne de la marque.

Dans les prochains mois, sera lancéeune version Cross Turismo (une sorte debreak de chasse), en attendant une adap­tation tout­électrique du Macan. Hardi mais prudent, le constructeur se conver­tit au zéro émission mais n’abjure pas ses anciennes croyances. Il vient d’an­noncer le retour du flat­six atmosphéri­que sous le capot du roadster 718, et d’unopulent V8 à bord du SUV Cayenne.

jean­michel normand

Pour ne pas trop perturber

le petit peuple des

porschistes, lesaccélérations

peuvent s’accompagnerd’une sonorité

spéciale

Insaisissable MX­30Imaginée comme un coupé SUV, la première électrique de Mazda joue sa petite musique dans la catégorie des « zéro émission »

P remière électrique conçuepar Mazda, qui s’est tou­jours posé comme un dé­

fenseur zélé de la cause du moteurthermique, l’inédit MX­30 était at­tendu avec un brin de curiosité. Lafirme d’Hiroshima a pris les cho­ses très à cœur et opté pour deschoix tranchés qui lui permet­tront de répondre, comme à son habitude, aux besoins d’un publicciblé. Hélas, cette nouvelle Mazda ressemble fort à un exercice im­posé, réalisé avec rigueur mais sans grande passion.

Le MX­30, dont la dénomina­tion fait référence pour d’obscu­res raisons très « corporates » aupetit roadster MX­5 qui n’a pour­tant rien à voir, se contente d’unebatterie à la capacité relative­ment modeste (35,5 kWh) qui li­mite d’autant son rayon d’action(262 km en ville et 200 km en cy­cle mixte). Mazda, qui destine le

MX­30 à des usages urbains, n’apas voulu se lancer dans la courseà l’autonomie. Ses porte­parolefont remarquer que le kilomé­trage moyen quotidien d’un automobiliste européen n’ex­cède par 48 km et font valoir que leur approche contribue à alléger le poids du véhicule (1 645 tonnes dont 310 kg de batteries) ainsi queson prix (26 900 euros, une foisdéduit le bonus écologique de7 000 euros).

Des plastiques recyclésD’ici début 2022, l’objectif est devendre 1 000 unités en France de ce modèle qui pourrait, à terme,être équipé d’un prolongateurd’autonomie sous la forme d’un moteur à essence à piston rotatif.

Le raisonnement pourrait êtreconvaincant si le MX­30 ne mesu­rait pas 4,39 mètres, gabarit pour le moins généreux pour circuler

en ville au quotidien. L’habitabi­lité intérieure n’est pas particuliè­rement généreuse aux places ar­rière auxquelles on accède (en se déhanchant légèrement) par unoriginal système de portes anta­gonistes et la capacité de charge­ment du coffre (366 litres) est toutjuste moyenne.

Ce parti pris n’est pas, non plus,prodigue en sensations de con­duite. Malgré le poids contenu, la voiture n’apparaît pas très agile sur la route et les suspensionspercutent au passage du moindre

ralentisseur. Le moteur électri­que développe 107 kW (145 ch) et propose cinq niveaux de réglagedu freinage régénératif, mais ilmanque de tempérament ; il faut presque dix secondes pour passerde 0 à 100 km/h. Chaque accéléra­tion s’accompagne d’un bruit ar­tificiel imitant celui d’une tur­bine, point trop intrusif et assezchantant mais qui, aussi curieuxque cela puisse paraître, ne peut être désactivé. Comme si les con­ducteurs de voiture électrique de­vaient forcément porter le deuil

de la sacro­sainte sonorité d’un moteur à explosion.

Pour être honnête, on s’ennuieun peu au volant du MX­30, ce quiest doublement surprenant. D’abord parce que les autres Ma­zda sont tout sauf ennuyeuses etensuite parce que les autres mo­dèles électriques modernes met­tent davantage en évidence le dy­namisme et l’élasticité d’un mo­teur à aimants.

Imaginé comme un coupé SUV(concept en passe de s’imposer comme la tarte à la crème des de­

signers), le MX­30 présente desdécoupes massives et des passa­ges de roues rectangulaires pour faire « costaud ». Sa partie arrière fuyante, sans doute la compo­sante la plus réussie, adopte de jo­lis feux ronds. On appréciera ceteffort destiné à donner une per­sonnalité particulière à cette voi­ture, mais, à tout prendre, on pré­fère les formes affûtées et l’élé­gante sobriété qui prévalent à bord des Mazda.

L’habitacle, classique mais debon goût, dispose d’une consolecentrale très réussie dont la baseest en partie recouverte de liège. Les tissus des contreportes sont garnis de textiles élaborés à partirde plastiques recyclés alors que le cuir des sièges est végan, caracté­ristique devenue incontournableà bord de ce genre de véhicule.

Ces traits de caractère dessinentune voiture finalement assez in­saisissable, dont la cohérence ne saute pas toujours aux yeux. Au moins le MX­30 apporte­t­il la dé­monstration que, contrairementà une crainte récurrente, les nou­velles voitures électriques ne sont pas une armée de clones.

j.­m. n.

Le Taycan de Porsche.PORSCHE

Le MX­30 de Mazda a un rayon d’action de 262 km en ville.MAZDA

Révolution électriquechez Porsche

Berline quatre portes, le Taycan est le premier modèle 100 % électrique du constructeur allemand. Et, dans l’habitacle,le changement, c’est aussi pour maintenant, avec l’option « cuir végan » pour le revêtement…

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Page 33: Le Monde - 08 07 2020

0123MERCREDI 8 JUILLET 2020 IDÉES | 33

Non, M. Macron n’est pas l’incarnation d’un racisme systémiqueEn réponse aux accusations portées dans nos colonnes par des universitaires, sept chercheurs affirment que le président de la République mène bel et bien des politiques mémorielles et de lutte contre les discriminations

Dans une tribune publiéele 23 juin dernier par LeMonde, quatorze univer­sitaires s’alarmaient de la

position jugée accablante duprésident de la République faceaux manifestations antiracistesde ces dernières semaines et affirmaient trouver une source d’« inspiration » dans cettemobilisation. Nous voudrions icifaire entendre une autre voix,venue elle aussi de l’université,et témoigner d’une inquiétude et d’un trouble.

C’est que le racisme est unfléau si ancien, si lourd et si cri­minel qu’il est requis de ne paslaisser son analyse à la seule « inspiration » dont se réclamentnos collègues. Et l’antiracismeune affaire si sérieuse qu’elle nesaurait être abandonnée aux« énervés de la race », pour re­prendre l’expression du Canard enchaîné du 24 juin dernier.Commentant les propos accusa­toires qui seraient ceux, privés,du président de la République, etrapportés dans un article duMonde du 12 juin – « Le mondeuniversitaire a été coupable. Il aencouragé l’ethnicisation de la question sociale en pensant quec’était un bon filon » –, les qua­torze affirment qu’ils n’ont été « à l’instigation » de rien.

Ils s’estiment donc innocentset, accusés tel Socrate de corrom­pre une jeunesse innocente elle aussi dans son enthousiasme ju­vénile, ils se contentent de retourner l’accusation. Le réqui­sitoire dressé est sévère : qui atué George Floyd ? Et, partransitivité, qui a tué Adama Tra­oré ? Le coupable, par­delà tousles noms qu’on pourrait avancer,est désigné, il s’appelle Emma­nuel Macron.

Coupable désignéIl faut mesurer la significationde chacune des accusations por­tées contre lui dans ladite tri­bune. Elles affirment en touteslettres que la société françaiseest dans sa pratique « ordinaire »une société principalement structurée par la « ségrégation »et les « discriminations » ; que laviolence policière est la princi­pale cause de la violence sociale ;que le président lui­même,complaisant envers le pétai­nisme et ses alliés, envers les cri­mes de la colonisation, et enga­geant une lutte contre l’antira­cisme, est en conséquence undéfenseur patenté du racisme.

Comment, au bout de toutesces allégations, ne pas conclurequ’il existe bien un racismed’institution, un racisme systé­

mique, et finalement un racismeincarné par le président de la Ré­publique en personne – alors quele racisme, en France, est si peu « d’Etat » que nombre de figures« décoloniales » ou « indigénis­tes » se retrouvent au sein mêmede ses appareils idéologiques.

Ne nous résignant pas à admet­tre des conclusions dont les con­séquences seraient dramatiques,nous voudrions en appeler à lanuance, toujours suspecte, évi­demment, aux yeux du militant,c’est­à­dire aussi à la précision.Ainsi, Emmanuel Macron, donton peut déplorer sur ce point les

oscillations de pensée, n’a­t­ilpas qualifié, alors qu’il étaitcandidat à l’élection présiden­tielle, la colonisation de « crime contre l’humanité » ?

N’a­t­il pas conduit l’Etat, de­puis son élection, à faire amendehonorable dans l’affaire Audin[en 1957, le mathématicien com­muniste et anticolonialiste Mau­rice Audin disparaît à Alger, em­mené par des parachutistes fran­çais, et meurt sous la torture ;Emmanuel Macron a reconnu la responsabilité de l’Etat danscette affaire en 2018], en parlant même de torture systémique ?N’a­t­il pas retenu les dates du 7et du 24 avril, pour la commé­moration du génocide des Tutsiet de celui des Arméniens,les premières à prendre acte du sens universel du génocide dé­sormais inscrit dans le calen­drier de la République ?

Et de plus, lui qu’on désignecomme un adversaire de l’anti­racisme, n’a­t­il pas prorogé etdéveloppé la délégation inter­ministérielle à la lutte contre leracisme, l’antisémitisme et lahaine anti­LGBT (Dilcrah) ? Et ne reçoit­il pas chaque année unrapport de la Commissionnationale consultative des droitsde l’homme, remis au pre­mier ministre, le « Rapport sur la

lutte contre le racisme, l’antisé­mitisme et la xénophobie » ? Quant à la violence dans lapolice, patente aujourd’hui, peut­elle être sérieusementprésentée comme l’origine prin­cipale, voire exclusive, des vio­lences sociales ?

Responsabilité universelleIl ne s’agit pas de nier la réalitédes rémanences de schèmes co­loniaux dans la société française,ni de minorer la violence exer­cée par des membres des forcesde l’ordre dans l’exercice de leurfonction. Il convient néanmoinsd’interroger la pertinence, la jus­tesse et la justice d’une démar­che dont les conclusions ruinentla confiance qu’on voudraitmettre dans la République etfont perdre aux citoyens la con­viction qu’ils sont eux­mêmes parties prenantes, comptables etcoresponsables de ce qui va et de ce qui ne va pas.

L’expertise des sciences socia­les a tendance à rapporter la res­ponsabilité de chacun à l’institu­tion, au système, à l’oppressionsociale. Ainsi – et c’est bien ce quis’exprime dans la tribune desquatorze – le « racisme systémi­que » se cristallise tout d’un coupautour de la personne d’unhomme, devenu, un peu puérile­

ment, l’incarnation et la cause principale du Mal universel.Nous pensons, en revanche,que ce qui est ici en cause estavant tout la question de laresponsabilité. Cette responsabi­lité est universelle.

Mais cette universalité ne sepeut qu’à condition de croiser des singularités, irréductiblesà l’intelligence statistique ousociologique. Et de cette univer­salité, l’Université – puisqu’ilest question d’elle – se doit de toujours témoigner en fai­sant « profession de la vérité »(Jacques Derrida).

Gérard Bensussan, philoso-phe, université de Strasbourg ; Alain David, philosophe, Collège international de philo-sophie, Paris ; Christian Godin, philosophe, université Clermont-Auvergne ; Géraud de la Pradelle, juriste, univer-sité de Paris-Nanterre ; Avital Ronell, philosophe, université de New York ; Yves Charles Zarka, philosophe, université de Paris, directeur de la revue Cités ; Paul Zawadzki, politiste, université Paris-I

Lun ZhangLe maintien de la paix, de la démocratie et de la liberté exige plus que jamais de prêter attention à HongkongLa loi relative à la sécurité nationale, imposéele 30 juin par Pékin à Hongkong, signe la mort du modèle unique développé par cette île et accélère l’essor d’« une nouvelle guerre froide » entre la Chine et les Etats­Unis

Hongkong est morte ! Cette phrase,je ne cesse de la répéter depuis uncertain temps, surtout depuis l’andernier. C’est à présent confirmé :

l’application de la loi relative à la sécuriténationale fait de Hongkong une villesemblable aux autres villes chinoises du point de vue politique.

« Un pays, deux systèmes » devient uneexpression désuète. Il est vrai que la Bourse de Hongkong peut encore affi­cher une image relativement sérieuse. Grâce d’une part aux fonds mobilisés par Pékin pour la soutenir et, d’autre part, aux capitaux des entreprises chi­noises se retirant du marché américain àla suite du contrôle de plus en plus sé­vère de l’administration américaine. Le secteur des services hongkongais pourra garder une prospérité relative si la pan­démie reste sous contrôle et si les dépen­ses et l’investissement des continentaux s’y maintiennent. Ces derniers tentent,en effet, d’échapper à une situation éco­nomique et politique qui ne cesse de se dégrader en Chine continentale.

Néanmoins, la situation de Hongkongne pourra pas se stabiliser comme le sou­haitent Pékin et certains hommes d’af­faires hongkongais ou étrangers, et ce

malgré une loi extrêmement dure en ter­mes de répression. Cette loi demeure vo­lontairement floue sur la définition de certains crimes, laissant à Pékin une très grande latitude pour condamner à son gré. La perle d’Orient s’éteint ; une page historique est décidément tournée.

L’Occident en OrientPour le comprendre, il faut se rappelerque Hongkong est d’abord un produit « mixte » issu de deux cultures, orientale et occidentale, mélange de tradition etde modernité, à la périphérie de la Chine,mais représentant l’Occident en Orient.Son charme et son dynamisme provien­nent de ce mélange qui est lié à une pé­riode historique aujourd’hui révolue, à l’origine de ses forces mais aussi de sesfaiblesses. Les institutions britanniques, qui garantissaient les libertés individuel­les, tout comme la fuite des cerveaux, de la main­d’œuvre et des capitaux de la Chine continentale, après la prise du pouvoir par les communistes, lui ont permis un décollage économique signifi­catif. Ces facteurs ont posé les bases deson rayonnement international.

A cela s’ajoute une conjoncture inter­nationale favorable. Si le succès d’hier de

Hongkong est en partie le résultat de la guerre froide, son destin tragique d’aujourd’hui est aussi lié à un nouveau rapport de force, à une nouvelle guerre froide qui s’amorce.

La situation actuelle constitue, en ef­fet, la première bataille de cette nou­velle guerre froide qu’on peut qualifier de warm war (« guerre tiède »), en raisondu niveau et de la nature du conflit en­tre la Chine et les Etats­Unis. La tempé­rature peut varier y compris jusqu’à larupture des liens commerciaux ou même un conflit armé. Cette « troi­sième guerre mondiale » provoquel’ébranlement des organisations inter­nationales. L’ordre mondial est en passed’être modifié profondément.

Cette décomposition de la structure in­ternationale ne date pas d’aujourd’hui, le risque est apparu depuis des années. Parmi les principaux facteurs en cause,la montée en puissance de la Chine et le renforcement de la tendance isolation­niste américaine, tous deux intrinsèque­ment liés. La Chine a su tirer les bénéfi­ces de la globalisation pour renforcer sa capacité au détriment de certains inté­rêts américains, favorisant l’émergenced’un sentiment de frustration et de co­lère aux Etats­Unis.

Ce sentiment explique en partie l’arri­vée de Donald Trump à la Maison Blan­che. En jouant habilement le jeu « démo­cratique », Pékin a imposé une influence grandissante au sein des organisations internationales, en s’appuyant sur lesoutien des « Etats voyous », selon lavieille expression américaine, et de cespays ou hommes politiques pro­Pékin soutenus par la Chine via diverses aides financières. L’action de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) contre la pandémie est, une nouvelle fois, repré­sentative de cette influence.

Comment faire face à une telle situa­tion ? La crise de Hongkong nous offreaujourd’hui l’occasion d’observer unnouvel ordre mondial en gestation. Ellenous permet surtout de vérifier si les Occidentaux, en particulier les Euro­péens, auront le courage et l’intelli­gence de défendre les principes qu’ils ont eux­mêmes conçus et promus dansle monde. Ce sont bien les Européensqui devraient avoir en mémoire cer­tains dangers, plus que n’importe quelautre peuple du monde : ils sont les

mieux placés pour entrevoir ce quipourrait arriver si un pouvoir totalitaireexprimait son avidité territoriale et ad­ministrative au nom de la gloire natio­nale, sans être freiné par la résistancedes pays démocratiques.

Il ne faut pas oublier la garantie de cin­quante ans d’autonomie aux Hongkon­gais inscrite dans la déclaration con­jointe sino­britannique signée en 1984sur le statut de Hongkong, et cautionnéepar les Nations unies. Le maintien de la paix, de la démocratie et de la liberté,ainsi que la sauvegarde de la structure in­ternationale dont l’humanité a besoinpour faire face aux nouveaux défis com­muns, exigent plus que jamais de prêter attention à ce qui se passe à Hongkong.

Il est crucial d’agir plus énergiquementpour que ce nouvel ordre mondial post­pandémie ne soit pas marqué par la vic­toire aussi facile d’un pouvoir néototali­taire. Si les Européens ferment les yeux,comme ils l’ont fait durant les années 1930 dans d’autres circonstances, ils su­biront eux­mêmes, tôt ou tard, les consé­quences de leur inaction.

Lun Zhang est chercheur au labora-toire Agora et au Collège d’études mondiales (FMSH, Paris), actuellement chercheur invité à l’université de Harvard, rédacteur en chef du site Chinese-future.org. Il est l’auteur, avec Aurore Merle, de « La Chine désorien-tée » (Charles Leopold Mayer, 2018)

CETTE LOI DEMEURE VOLONTAIREMENT FLOUE SUR LA DÉFINITION DE CERTAINS CRIMES, LAISSANT À PÉKIN UNE TRÈS GRANDE LATITUDE POUR CONDAMNER À SON GRÉ

N’A-T-IL PAS CONDUIT L’ÉTAT À FAIRE AMENDE HONORABLE DANS L’AFFAIRE AUDIN, EN PARLANT MÊME DE TORTURE SYSTÉMIQUE ?

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Page 34: Le Monde - 08 07 2020

34 | idées MERCREDI 8 JUILLET 20200123

Thomas Philippon et David Thesmar Les instances dirigeantesde Polytechnique doivent faire plus de place aux universitairesLes deux économistes se prononcent en faveur d’une réforme en profondeur de la gouvernance de l’X, un des fleurons de l’élite française. Et ce, au moment où cette institution prévoit un partenariat financier avec le groupe pétrolier Total

L’Ecole polytechnique, autre­ment dit l’X, prévoit de si­gner un accord avec Totalpour accueillir la direction

de la recherche du groupe pétro­lier en bordure de son campus. Cette affaire est emblématique des problèmes de l’enseignement supérieur en France : absence d’autonomie, faiblesse des contre­pouvoirs et ignorance des bonnes pratiques internationales.

Il y a trois modalités de finance­ment des universités par des fonds privés : les donations indivi­duelles, pour mettre son nom sur un bâtiment ou un amphithéâtre ;les laboratoires de recherche sur des projets communs ; et l’im­plantation de bâtiments exté­rieurs. Les donations individuel­les préservent l’indépendance des universités et les laboratoires communs créent des synergies scientifiques. L’implantation debâtiments extérieurs est l’option la moins attrayante du point de vue de l’université, mais peut se justifier pour peu que l’entreprise partenaire y mette le prix.

De ce point de vue, le projet To­tal est pour le moins surpre­nant. Total prévoyait de payer 50 000 euros par an pour un bâti­ment destiné à sa recherche et dé­veloppement (R&D) au milieu du campus. Pour établir une compa­raison, rappelons qu’IBM s’est en­gagé à financer des projets de re­cherche sur l’intelligence artifi­cielle (IA) avec les chercheurs du Massachusetts Institute of Tech­nology (MIT, à Cambridge) à hau­teur de 24 millions de dollars (21 millions d’euros) par an sur dix ans. L’accord X­Total semble donc hors des normes de ce qui sepratique dans le secteur.

Enjeux stratégiquesComment en est­on arrivé là ? Un élément de réponse est que la gouvernance de l’Ecole polytech­nique n’est pas aux normes inter­nationales. Dans les grandes uni­versités étrangères, le président est nommé à la suite d’un proces­sus transparent conduit par uncomité ad hoc, composé d’univer­sitaires de réputation internatio­

nale, d’anciens élèves et de mem­bres du conseil d’administration.

Ce processus débouche presquesystématiquement sur l’embau­che d’un universitaire de haut ni­veau. Par exemple, Rafael Reif (MIT) est spécialiste des semi­con­ducteurs, Andrew Hamilton (uni­versité de New York, NYU) est chi­miste, Carol Christ (Berkeley, Californie) est professeure de litté­rature, Robert Zimmer (président de l’université de Chicago, Illinois)est mathématicien, et Marc Tes­sier­Lavigne (président de l’uni­versité Stanford, Californie) est spécialiste des neurosciences.

Il est certes possible que lemeilleur profil ne soit pas univer­sitaire, mais c’est en pratique rare­ment le cas. De même que les groupes pétroliers sont dirigés par des ingénieurs, les cabinets deconseil par des consultants, on di­rige difficilement une université d’élite sans être un enseignant­chercheur expérimenté. Au fond, l’éducation supérieure est un sec­teur comme les autres : il faut des années pour comprendre les en­

jeux stratégiques du secteur et sesbonnes pratiques.

Dans une université bien gérée,le conseil d’administration est di­vers et ouvert : il peut se compo­ser de chefs d’entreprise, d’inven­teurs, de journalistes, d’artistes, de personnalités étrangères. Mais,in fine, ce n’est ni le conseil, ni le ministère, ni les anciens élèves qui détiennent les clés du succès. Ce sont les enseignants et les cher­cheurs, qui ont la vision la plus fine de l’évolution du paysage in­ternational de la recherche et sa­vent attirer les meilleurs élèves.

La gouvernance de l’X est piégéeentre le fait du prince et l’in­fluence excessive de quelques an­ciens, qui, malgré leur bonne vo­lonté, ignorent trop souvent les réalités du secteur. Pour se mettre aux normes internationales, les dirigeants de l’X doivent faire plus de place aux universitaires et s’ouvrir vers l’extérieur.

C’est une condition nécessaire àla survie de cette grande institu­tion dans un univers plus concur­rentiel que jamais.

Thomas Philippon est professeur de finance à New York University (NYU) ;David Thesmar est économiste, professeur de finance au Massachusetts Institute of Technology (MIT). Tous deus sont anciens élèves de l’Ecole polytechnique

Il faut donner un cadre à l’exercice du métier d’attaché parlementaireAprès la condamnation en première instance, le 29 juin, des époux Fillon, les organisations syndicales de l’Assemblée nationale plaident en faveur de la création d’un statut pour les collaborateurs des députés

Il y a trois ans, un métier jusque­là peuconnu devenait, l’espace de quelquessemaines, le plus célèbre de France. Tousles fantasmes de l’antiparlementarisme se

sont déployés, dégradant l’image d’un métier et rendant difficile la reconversion des 1 492 collaborateurs licenciés au lendemain des élections législatives de 2017. Trois ans plus tard, après une loi symbolique et un timide accord collectif, la situation reste pré­caire et opaque pour les quelque 2 000 colla­boratrices et collaborateurs de députés. La condamnation, le 29 juin, en première ins­tance devant le tribunal correctionnel des époux Fillon jette un nouvel éclairage sur les «petites mains de la République » et les leçons que l’Assemblée nationale pourrait en tirer.

Dans le souffle de déflagration et l’élan du« nouveau monde », une loi fut votée et pro­mulguée, le 15 septembre 2017. Pour retrou­ver « la confiance dans la vie politique », elle proscrit les emplois familiaux, la rémunéra­tion par des représentants d’intérêts et la déclaration des fonctions exercées par lescollaborateurs au sein d’une formation poli­tique. Une loi qui n’apporte pas de garantie sur l’emploi de complaisance ou fictif qui pourrait subsister. Une loi qui déclare desinterdictions mais détourne le regard de la réalité et des besoins d’une profession pour­tant au cœur des rouages démocratiques.

Un accord collectif, obtenu en octo­bre 2018, offre une timide avancée : une fi­che de poste, personnalisable mais non obli­gatoire. Rude bataille qui ne fait pas oublier que les collaborateurs parlementaires font

partie des 2 % de salariés à ne pas bénéficier d’une convention collective complète. Onmesure combien la transparence sur les tâ­ches demandées est encore à achever.

Pourquoi est­ce important ? Pour rappelerque notre métier est lié essentiellement auxmissions que l’article 24 de la Constitution confère au Parlement : élaborer la loi, contrôler l’action du gouvernement, évaluerles politiques publiques. En énumérant lestâches liées à l’exercice du mandat parle­mentaire, nous voulons mettre fin à l’em­prise que certains employeurs pensent pou­voir exercer sur leurs salariés de droit privé, liés par une clause exorbitante de loyauté et de confiance. Non, « brumiser les jambes » de son employeur, garder les enfants decelui­ci ou lui faire ses courses et son ménage personnel ne sont pas les missions d’un collaborateur parlementaire.

Ces faits amènent trop souvent à des si­tuations de harcèlement dans notre insti­tution. Si la parole se libère, notamment grâce à la mise en place d’une cellule d’écoute anti­harcèlement, la peur de re­présailles et le manque d’audace de la partdes autorités à l’Assemblée nationale en la

matière sont regrettables. Composée depsychologues et de juristes en droit du tra­vail, la cellule n’a pas de capacité de signale­ment en dehors des interlocuteurs dési­gnés au sein de l’Assemblée. Pourquoi nepas rendre possible le signalement au pro­cureur de la République ?

De même pour l’inspection du travail, quine peut aujourd’hui accéder au Palais­Bour­bon au nom d’une conception trèsextensive de la séparation des pouvoirs.Une ligne que le tribunal correctionnelvient de mettre en pièces méthodique­ment, rappelant que « le contrat du collabo­rateur est détachable de la fonction du parle­mentaire » et que « l’examen de la prestationde travail ne revient pas à porter une appré­ciation sur les discours, écrits, opinions ouvotes émis dans l’exercice de ses fonctions dans les enceintes parlementaires ».

La loi doit s’imposerDe la même manière qu’un député doit res­pecter le code de la route et payer ses impôts, le droit du travail, qu’il contribue àélaborer, s’impose à lui. Combien faudra­t­il de drames humains pour comprendreque les abus abîment le lien de confiance nécessaire entre les citoyens et leurs repré­sentants ? Les citoyens doivent­ils accepterque la loi puisse s’arrêter aux murs del’Assemblée nationale ? Faut­il que la statuede Montesquieu, située à proximité del’Hémicycle et de la très médiatique salle des Quatre­Colonnes, s’anime et dise que« pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir » ?

Durant la crise sanitaire, le Parlement aété au rendez­vous par des législations d’urgence, y compris par des innovations procédurales parfois tortueuses. Les colla­borateurs parlementaires n’ont pas failli. S’adaptant aux circonstances, tout fut mis en œuvre, dans des conditions techniques,professionnelles et familiales parfois

dégradées et utilisant souvent des moyensmatériels et financiers personnels, pourcontinuer à être un relais entre les besoinsde nos compatriotes et l’action de la repré­sentation nationale.

Il est temps que l’Assemblée nationalereconnaisse l’existence complète des colla­borateurs parlementaires, acteurs et usa­gers quotidiens de ces lieux communs de laRépublique. Par une participation aux déci­sions touchant au cadre général de leursconditions de travail à travers une repré­sentation au comité d’hygiène, de sécuritéet des conditions de travail. Par la recon­naissance de notre ancienneté quand noussommes amenés à changer de parlemen­taire employeur. Par le respect des règles générales de conciliation de la vie person­nelle et familiale, en appliquant le droit à ladéconnexion et la compensation destemps supplémentaires accordés à notreemployeur. Par le remboursement des fraisprofessionnels engagés dans le cadre denotre activité professionnelle, sur justifica­tifs et avec des procédures de contrôle.

Hommes et femmes passionnés, dévouéset attachés à l’institution parlementaire, nous n’acceptons pas de voir notre métier, nos compétences et notre esprit de service ainsi mis à mal. Nous demandons du res­pect, sa traduction concrète par un statut, et,plus que tout, que la loi s’applique là où elle est votée. Pas demain, pas à la prochainelégislature. Aujourd’hui.

Gonzague de Chantérac, CFTC-Parle-ment ; Simon Desmarest, CGT-CP ; Tavana Livardjani et Camille Aspar, SNCP FO ; Astrid Ribardière, UNSA USCP ; Laurence de Saint-Sernin, Solidaires ; Brayen Sooranna, CFDT ; Maxime Torrente, CFE-CGC.

DÉVOUÉS ET ATTACHÉS À L’INSTITUTION PARLEMENTAIRE, NOUS N’ACCEPTONS PAS DE VOIR NOTRE MÉTIER AINSI MIS À MAL

DANS LES GRANDES UNIVERSITÉS ÉTRANGÈRES, LE PRÉSIDENT EST NOMMÉ À LA SUITE D’UN PROCESSUS TRANSPARENT

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Page 35: Le Monde - 08 07 2020

0123MERCREDI 8 JUILLET 2020 0123 | 35

L e nouveau premier minis­tre est vexé que l’onpuisse le considérercomme un simple « colla­

borateur » du président de la Ré­publique. « Quand vous aurez ap­pris à me connaître, vous verrez que ma personnalité n’est pas solu­ble dans ce terme », a riposté Jean Castex dans une interview au Journal du dimanche. Dont acte. Mais si la presse a été unanime àinterpréter le remaniement mi­nistériel qui vient de se produire comme une reprise en main ély­séenne, c’est bien parce qu’elle manquait d’une grille d’analyse plus solide. De ce changement d’ampleur, un seul message clairémerge : Macron joue Macron pour tenter de sauver la fin de sonquinquennat. Et il le fait à rebours des canons traditionnels.

Au lendemain d’élections muni­cipales marquées par une absten­tion record et une forte poussée écologiste, le président de la Répu­blique aurait pu choisir, au nom du rééquilibrage, de remplacer Edouard Philippe, venu des rangs de la droite juppéiste, par une fi­gure de gauche. Depuis le début du quinquennat, le camp dont il est issu lui fait en effet le procès d’être devenu un président de droite au service des puissants.

La thèse du rééquilibrage étaitd’autant moins incongrue que la dépression économique liée à lacrise sanitaire a conduit le prési­dent de la République à « sociali­ser » sans réserve l’économiefrançaise. En finançant le chô­mage partiel pour plus de 30 milliards d’euros, l’Etat s’est, de fait, substitué aux employeursprivés, et, en accumulant les plans de soutien aux secteurs lesplus fragiles, le gouvernement alaissé filer, sans sourciller, les dé­ficits publics et la dette publique,comme l’ont d’ailleurs fait la plu­part des autres pays.

Dans ce contexte, il n’aurait pasété très difficile de plaider quel’ampleur du drame social qui s’annonce ainsi que les failles de l’Etat protecteur apparues durant la crise sanitaire nécessitaientd’assumer dans les paroles le vi­rage à gauche qui venait de s’opé­rer dans les faits. Emmanuel Ma­cron a récusé ce choix en considé­rant que celui­ci l’exposait à deux risques majeurs : perdre le centredroit, qui constitue son socle élec­toral depuis les élections euro­péennes de 2019. Et, surtout, di­luer l’offre politique nouvelle qu’il tente d’incarner depuis trois ans en niant la pertinence du cli­vage gauche­droite.

Dès la veille du remaniement, leprésident de la République avait levé toute ambiguïté en déclarantdans la presse régionale : « Je crois que le cap sur lequel je me suis en­gagé en 2017 reste vrai. » Une ga­geure tant le contexte politique, économique et social a été boule­versé par l’ampleur de la dépres­sion économique et la montée des préoccupations écologiques.

A Matignon, Jean Castex a pourmission de continuer le « enmême temps » : poursuivre la « modernisation » du pays et l’apaiser. A peine dit cela, ressur­git le chiffon rouge de la réforme des retraites, qui, avant le confi­nement, avait bloqué les trans­ports et précipité des milliers de manifestants dans les rues. Ils

étaient peu nombreux dans l’en­tourage présidentiel à plaiderpour le retour de cette réforme mal emmanchée et mal com­prise. Mais à force d’être contes­tée, la retraite par points a fini pardevenir le marqueur du quin­quennat, peut­être le seul qui sur­vivra à cette période chahutée decinq ans. Emmanuel Macron ne veut pas y renoncer sans avoir es­sayé, au moins, une dernière fois.

Nouveau compromis socialLe nouveau premier ministre a aussi la charge de renforcer le mo­dèle social, à travers le Ségur de la santé et la création d’un cin­quième « risque dépendance ». Mais il doit aussi dégager les moyens de le financer, alors quele président exclut d’augmenter les impôts pour contenir les défi­cits publics, qui dépassent désor­mais les 10 % du PIB. La Cour des comptes refuse de croire à la fableselon laquelle le retour de la crois­sance permettra de tout financer. Seul un nouveau compromis so­cial fondé sur l’augmentation du volume de travail permettrait desortir de l’ambiguïté. Jean Castex est prêt à en discuter sans relâche.Mais qui, parmi les partenaires sociaux, est disposé à conclure ?

C’est la deuxième fois que leprésident de la République mise sur un changement de méthode pour tenter de sauver l’essence deson quinquennat. La premièretentative a été engagée après lemouvement des « gilets jaunes », lorsqu’il vantait l’acte II, fondé sur le dialogue et la concertation.Et ce fut un échec. Cette fois, lapartie s’annonce encore plus compliquée, car l’élection prési­dentielle de 2022 approche, au risque de cristalliser les opposi­tions : à droite, trois présidents derégion sont des rivaux potentiels,de même que le président de l’As­sociation des maires de France. Agauche, les manœuvres unionis­tes ont commencé dans la foulée des municipales pour tenter debarrer la route à l’« usurpateur »qui prétendait, il y a trois ans, res­tructurer à son profit le paysagepolitique.

La fin du quinquennat Macronn’est pas sans rappeler les diffi­cultés éprouvées par Valéry Gis­card d’Estaing à l’issue de son sep­tennat. Surpris par le second chocpétrolier alors qu’il commençait à engranger des résultats, le hé­raut de la « société libérale avan­cée » s’était retrouvé pris en te­naille entre une gauche unie etune droite réfractaire. Le giscar­disme, qui se voulait une offre de renouvellement entre le socia­lisme et le gaullisme, n’a été, au bout du compte, qu’une paren­thèse dans l’histoire.

C’est contre la reproductiond’un tel scénario que se bat Em­manuel Macron en misant, face au dégagisme, sur le dernier le­vier qui lui reste : l’appareil d’Etat.Décrit comme l’homme des mis­sions impossibles, Jean Castex estchargé de le rendre, en quelques mois, moins procédurier et plus efficace afin que le plan de re­lance donne quelques résultatstangibles d’ici à 2022. De ce pointde vue, le premier ministre a rai­son : il ne sera pas qu’un simple collaborateur.

L’ urgence, au cours des prochainsmois, sera de nature économiqueet sociale. C’est pourtant du côté

des fonctions régaliennes que sont interve­nus, lundi 6 juillet, les bouleversements lesplus significatifs, au terme du remanie­ment ministériel annoncé dans la soirée.

Au ministère de l’intérieur, Gérald Darma­nin remplace Christophe Castaner. Un homme issu de la droite se substitue à un autre, venu de la gauche. Avant même de connaître la feuille de route du nouveau mi­nistre, son nom est déjà un symbole. Le maire de Tourcoing est un ancien élu de l’UMP. Il a été coordinateur de la campagne de Nicolas Sarkozy lors de la primaire de la droite. Devenu ministre du budget dans les gouvernements Philippe, il s’est présenté comme le défenseur des milieux populaires.

Très tôt, il a plaidé pour que la sécurité de­vienne l’un des marqueurs de la fin du quin­quennat. Gérald Darmanin rêvait d’occuperle bureau de la Place Beauvau, qui avait servi de rampe de lancement à son ancien men­tor. Il a fini par obtenir le poste, au moment où Christophe Castaner vivait une véritable crise de confiance avec les policiers.

Au terme de vingt et un mois éprouvants,marqués par la crise des « gilets jaunes » et des manifestations à répétition contre la réforme des retraites, l’ancien socialiste s’est retrouvé dans l’incapacité de répon­dre à la double injonction qui lui était adressée : soutenir fermement ses troupestout en condamnant les violences et les ac­tes racistes commis par la police. Revendi­qué par Emmanuel Macron, le « en même temps » s’est révélé intenable dans cette période de forte tension.

Après la démission de Gérard Collomb etl’échec de Christophe Castaner, le présidentde la République s’est vu dans l’obligation de changer pour la troisième fois de minis­tre. Le choix de Gérald Darmanin est un si­gnal fort adressé aux policiers autant qu’àl’électorat de droite. Il montre aussi la diffi­culté qu’éprouve Emmanuel Macron à in­carner, depuis le début du quinquennat, « l’ordre républicain juste ». Devenue minis­tre délégué à la citoyenneté, au côté dunouveau ministre de l’intérieur, MarlèneSchiappa devra aussi relever le défi.

L’autre changement important concernele ministère de la justice. A la surprise géné­

rale, Emmanuel Macron a décidé d’y nom­mer l’avocat pénaliste Eric Dupond­Mo­retti, personnage aussi truculent et contro­versé qu’était effacée Nicole Belloubet. Cette nomination est à l’évidence faitepour choquer, mais dans quel but ? Mas­quer la fadeur du reste du remaniement ?Céder à l’air du temps populiste en inté­grant dans le gouvernement une « grandegueule » ou régler leur compte aux juges ? Car, ces derniers temps, l’avocat n’a pas mâ­ché ses mots à l’égard du Parquet nationalfinancier, qui a épluché ses factures télé­phoniques, comme celles d’autres avocats, pour tenter d’identifier une « taupe » dans l’affaire dites des « écoutes » impliquant Ni­colas Sarkozy.

Le clin d’œil à toute une partie de l’électo­rat de droite, prompte à dénoncer, comme le pénaliste, « la République des juges », semble évident, mais si le prix à payer estcelui d’une déstabilisation de la justice, ilapparaît très élevé. Jusqu’à présent, le prési­dent de la République s’était interdit d’in­troduire de la disruption dans le fonction­nement des institutions. Cette fois, il a pris le risque d’installer une bombe à retarde­ment Place Vendôme. Si les avocats saluentla nomination d’Eric Dupond­Moretti, l’Union syndicale des magistrats, majori­taire dans la profession, parle d’une « dé­claration de guerre ». Ils paraissent loin, les appels au rassemblement lancés par le pré­sident de la République tout au long duconfinement.

MACRON JOUE MACRON 

POUR TENTER DE SAUVER

LA FIN DE SON QUINQUENNAT

LE MESSAGE RÉGALIEN DE MACRON

FRANCE | CHRONIQUEpar françoise fressoz

A rebours des canons traditionnels

LE GISCARDISME N’A ÉTÉ, AU BOUT

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Page 36: Le Monde - 08 07 2020

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