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VENDREDI 27 MARS 2020 76 E ANNÉE– N O 23394 2,80 € – FRANCE MÉTROPOLITAINE WWW.LEMONDE.FR – FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO Algérie 220 DA, Allemagne 3,70 €, Andorre 3,50 €, Autriche 3,80 €, Belgique 3,10 €, Cameroun 2 400 F CFA, Canada 5,70 $ Can, Chypre 3,20 €, Côte d'Ivoire 2 400 F CFA, Danemark 36 KRD, Espagne 3,50 €, Gabon 2 400 F CFA, Grande-Bretagne 3,10 £, Grèce 3,50 €, Guadeloupe-Martinique 3,20 €, Guyane 3,50 €, Hongrie 1 330 HUF, Irlande 3,50 €, Italie 3,50 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 3,20 €, Malte 3,20 €, Maroc 22 DH, Pays-Bas 3,80 €, Portugal cont. 3,50 €, La Réunion 3,20 €, Sénégal 2 400 F CFA, Suisse 4,40 CHF, TOM Avion 500 XPF, Tunisie 4,10 DT, Afrique CFA autres 2 400 F CFA PHILIPPE JAENADA POUR ÉCRIRE, ÊTRE ENFERMÉ LES ROMANS PRÉMONITOIRES DE CATASTROPHES SANITAIRES LE MONDE DES LIVRES 4 PAGES DANS LE QUOTIDIEN LE REGARD DE PLANTU SEUIL CRITIQUE POUR LES HÔPITAUX FRANCILIENS Les services de réanima- tion d’Ile-de-France appro- chent à très grande vitesse de leur seuil de saturation, avec le fort afflux de patients depuis mardi Un peu plus de 1 100 lits de réanimation étaient occupés mercredi sur un total de 1 400 à 1 500 lits, avec plus de cent nou- veaux malades chaque jour « La situation est extrê- mement préoccupante, c’est une alerte majeure », déclare Aurélien Rousseau, le directeur de l’ARS d’Ile-de-France « Il n’y a plus aucune place de réanimation dans le 93 », s’alarme un urgentiste dans ce département où le confi- nement est moins appliqué PAGES 2-3 Un hôpital de campagne, le 21 mars, au pavillon Ifema à Madrid. COMUNIDAD DE MADRID/AFP Des volontaires qui ont participé à la tenue du scrutin du 15 mars ont été contaminés par le SARS- CoV-2, alors que très peu de mesures de protection avaient été prises. « J’ai agi en kamikaze de la démo- cratie », soupire un prési- dent de bureau de vote. Le gouvernement s’attend désormais à des poursui- tes judiciaires, des com- missions d’enquête parle- mentaires se préparent PAGE 6 Municipales L’amertume des assesseurs des bureaux de vote Diplomatie L’aide très intéressée de la Chine et de la Russie à l’Italie PAGE 9 Entreprise Chez Lagardère, coup d’Etat en perspective du fonds Amber PAGE 14 Médias Publier chaque jour « Le Monde », au temps du coronavirus PAGE 21 UN « PLAN MASSIF » POUR L’HÔPITAL Un an après le début de la grève des urgences, le chef de l’Etat a promis un engagement fort pour les personnels hospitaliers PAGE 3 LES EXPERTS DU PRÉSIDENT L’exécutif s’appuie sur un collectif de onze scientifiques, présidé par Jean-François Delfraissy PAGES 4-5 L’ORTHODOXIE EUROPÉENNE BOULEVERSÉE En trois semaines, les ta- bous économiques euro- péens sont tombés les uns après les autres. Récit PAGES 12-13 MENACES SUR LA CROISSANCE Un tiers de l’activité est suspendue, estime l’Insee PAGE 13 1 ÉDITORIAL APPLAUDIR, MAIS ARMER LES SOIGNANTS PAGE 24 À NOS LECTEURS Les règles de confinement nous obligent à adapter l’organisation de la rédaction et à suspendre nos supplé- ments. « Le Monde des Livres » est ra- mené à quatre pages dans le quotidien. Nous vous prions de nous en excuser. MADRID, CAPITALE EN GUERRE L’Espagne, avec 3 434 décès mercredi 25 mars, est désormais plus mortelle- ment touchée que la Chine Madrid surtout est frappée de plein fouet, avec 11 000 hospitali- sations, 1 825 morts à ce stade PAGE 8 MOLLONA/LEEMAGE UPLOADED BY "What's News" vk.com/wsnws TELEGRAM: t.me/whatsnws

Le Monde - 27 03 2020

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Page 1: Le Monde - 27 03 2020

VENDREDI 27 MARS 202076E ANNÉE– NO 23394

2,80 € – FRANCE MÉTROPOLITAINEWWW.LEMONDE.FR –

FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRYDIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO

Algérie 220 DA, Allemagne 3,70 €, Andorre 3,50 €, Autriche 3,80 €, Belgique 3,10 €, Cameroun 2 400 F CFA, Canada 5,70 $ Can, Chypre 3,20 €, Côte d'Ivoire 2 400 F CFA, Danemark 36 KRD, Espagne 3,50 €, Gabon 2 400 F CFA, Grande-Bretagne 3,10 £, Grèce 3,50 €, Guadeloupe-Martinique 3,20 €, Guyane 3,50 €, Hongrie 1 330 HUF, Irlande 3,50 €, Italie 3,50 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 3,20 €, Malte 3,20 €, Maroc 22 DH, Pays-Bas 3,80 €, Portugal cont. 3,50 €, La Réunion 3,20 €, Sénégal 2 400 F CFA, Suisse 4,40 CHF, TOM Avion 500 XPF, Tunisie 4,10 DT, Afrique CFA autres 2 400 F CFA

PHILIPPE  JAENADAPOUR ÉCRIRE, ÊTRE ENFERMÉ

LES ROMANS PRÉMONITOIRESDE CATASTROPHES SANITAIRES

LE  MONDE  DES LIVRES4  PAGES  DANS  LE  QUOTIDIEN

LE REGARD DE PLANTU

SEUIL CRITIQUE POUR LES HÔPITAUX FRANCILIENS▶ Les services de réanima­tion d’Ile­de­France appro­chent à très grande vitessede leur seuil de saturation,avec le fort afflux depatients depuis mardi

▶ Un peu plus de 1 100 litsde réanimation étaientoccupés mercredi sur untotal de 1 400 à 1 500 lits,avec plus de cent nou­veaux malades chaque jour

▶ « La situation est extrê­mement préoccupante,c’est une alerte majeure »,déclare AurélienRousseau, le directeurde l’ARS d’Ile­de­France

▶ « Il n’y a plus aucune placede réanimation dans le 93 »,s’alarme un urgentiste dansce département où le confi­nement est moins appliquéPAGES 2-3

Un hôpital de campagne, le 21 mars, au pavillon Ifema à Madrid. COMUNIDAD DE MADRID/AFP

Des volontaires qui ont participé à la tenue du scrutin du 15 mars ont été contaminés par le SARS­CoV­2, alors que très peu de mesures de protection avaient été prises. « J’ai agi en kamikaze de la démo­cratie », soupire un prési­dent de bureau de vote.Le gouvernement s’attend désormais à des poursui­tes judiciaires, des com­missions d’enquête parle­mentaires se préparentPAGE 6

MunicipalesL’amertume des assesseurs des bureaux de vote

DiplomatieL’aide trèsintéressée dela Chine et dela Russie à l’ItaliePAGE 9

EntrepriseChez Lagardère, coup d’Etaten perspectivedu fonds AmberPAGE 14

MédiasPublier chaque jour « Le Monde », au tempsdu coronavirus PAGE 21

UN « PLAN MASSIF » POUR L’HÔPITALUn an après le début de la grève des urgences, le chef de l’Etat a promis un engagement fort pour les personnels hospitaliersPAGE 3

LES EXPERTSDU PRÉSIDENTL’exécutif s’appuie sur un collectif de onze scientifiques, présidé par Jean­François DelfraissyPAGES 4-5

L’ORTHODOXIE EUROPÉENNE BOULEVERSÉEEn trois semaines, les ta­bous économiques euro­péens sont tombés les uns après les autres. RécitPAGES 12-13

MENACES SURLA CROISSANCEUn tiers de l’activité est suspendue, estime l’InseePAGE 13

1 ÉDITORIAL

APPLAUDIR, MAIS ARMER LES SOIGNANTSPAGE 24

À NOS LECTEURSLes règles de confinement nous obligent à adapter l’organisation de la rédaction et à suspendre nos supplé-ments. « Le Monde des Livres » est ra-mené à quatre pages dans le quotidien. Nous vous prions de nous en excuser.

MADRID, CAPITALEEN GUERRE▶ L’Espagne,avec 3 434 décèsmercredi 25 mars,est désormaisplus mortelle­ment touchéeque la Chine

▶ Madrid surtoutest frappée deplein fouet, avec11 000 hospitali­sations, 1 825morts à ce stadePAGE 8

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2 | CORONAVIRUS VENDREDI 27 MARS 20200123

Les hôpitaux d’Ile­de­France en état d’alerteL’Agence régionale de santé est engagée dans une course pour trouver des lits et du personnel, afin de soigner les patients atteints des formes graves du Covid­19

D’ un hôpital franci­lien à l’autre, unmême cri d’alerte.Confrontés depuis

mardi 24 mars à une nette accélé­ration du nombre de patients at­teints du Covid­19 dans un étatgrave, les services de réanima­tion d’Ile­de­France approchent àtrès grande vitesse de leur seuilde saturation. « La situation estextrêmement préoccupante, c’estune alerte majeure », déclareAurélien Rousseau, le directeur de l’Agence régionale de santé(ARS) d’Ile­de­France.

Alors que la région a, en quel­ques semaines, massivement dé­programmé les interventions chi­rurgicales non urgentes et large­ment mobilisé l’hospitalisationprivée, cet effort pourrait ne passuffire. Mercredi, un peu plus de1 100 lits de réanimation étaient occupés par des patients conta­minés par le SARS­CoV­2 en Ile­de­France sur un total de 1 400 à 1 500 lits dédiés, avec plus de cent nouveaux malades à accueillir chaque jour.

« Il reste un peu plus de 300 lits,nous avons encore trois jours de capacité devant nous », prévient M. Rousseau. Il ajoute : « Nous ne sommes pas au point de bascule. Nous avons entre quarante­huit et soixante­douze heures devant

nous pour armer quelques centai­nes de lits supplémentaires. »

Quelques heures plus tôt,Martin Hirsch, le patron de l’Assis­tance publique­Hôpitaux de Paris (AP­HP), sonnait le tocsin dans lamatinale de France Info. « C’est plus qu’un appel à l’aide », lan­çait­il, la voix nouée, en deman­dant davantage de respirateurs, davantage de personnels soi­gnants, « qu’ils soient volontairesou qu’on fasse appel à la réquisi­tion », et une garantie de l’appro­visionnement en médicaments.Pour les responsables sanitaires, ils’agit de tenir jusqu’à ce que les premiers effets du confinementse fassent sentir, avec une dimi­nution du nombre d’admissionsquotidiennes.

La « réa » est « pleine à ras bord »Dans les hôpitaux franciliens,médecins et paramédicaux ont tous senti la situation se dégra­der en quarante­huit heures. Al’hôpital Raymond­Poincaré deGarches (Hauts­de­Seine), onze patients infectés par le SARS­CoV­2 ont par exemple dû être re­fusés en moins de vingt­quatreheures, faute de place en réani­mation. « Je pense, j’espère, qu’ilsont trouvé une place ailleurs », souffle Djillali Annane, le chef dela « réa ». Sur la soixantaine de

sayons de ne pas faire traîner les sorties, mais, en même temps, nous ne voulons pas renvoyer lespatients trop tôt chez eux, car il y aun toujours un risque d’aggrava­tion », souligne Thomas Gille,pneumologue à l’hôpital Avi­cenne, à Bobigny. « Nous devonsaussi prendre garde au risque decontagion, notamment s’il y a despersonnes fragiles dans l’entou­rage du malade », ajoute lemédecin.

Frédéric Adnet, le directeur duSAMU 93 et chef du service des ur­

gences d’Avicenne, se dit « in­quiet » pour les prochains jours. Il juge la situation « très tendue » dans la mesure où la « réa » est« pleine à ras bord ». « Aux urgen­ces, on ne sait plus où mettre les patients, dit­il. On est au milieu de la vague, on intube cinq maladespar jour, alors que d’habitude onen intube un par semaine. Et comme les patients ont une duréede séjour longue, on n’a pas deturn­over, il y a peu de sortants. »

« C’est au-delà de la fiction »Représentante CGT à l’hôpital dePontoise (Val­d’Oise), ChristineAppiani décrit un afflux soudainde patients le week­end dernieret une saturation des quarante­deux lits de réanimation atteintedimanche soir. Deux maladesont depuis été transférés à Rouenen hélicoptère. Ici comme par­tout, le manque d’équipement etde matériel se fait cruellementsentir. « Lundi, ils sont allés cher­cher trois respirateurs à l’hôpitalde Beaumont­sur­Oise », dontplusieurs services ont fermé à l’été 2019. « C’est au­delà de la fic­tion, ce qui se passe », commentel’infirmière.

Pour ne pas être submergée etgagner quelques jours supplé­mentaires, l’ARS tente à tout prixd’équiper des lits d’ici à ce week­end. Au sein de l’agence, vingt­cinq « bed managers » (des ges­tionnaires de lits) s’occupent cha­que jour de répartir les malades dans tous les hôpitaux de la ré­gion. Une centaine d’établisse­ments publics et privés prennenten charge les patients atteints deCovid­19, tandis qu’environ 150 autres s’occupent des autres malades. « En quelques jours, on a redessiné de fond en comble l’offre de soins en Ile­de­France », souli­gne­t­on à l’ARS.

Pour « armer » des lits supplé­mentaires, l’ARS cherche à mobili­ser des personnels tous azimuts. Près de 6 200 volontaires, dont 1 800 infirmiers et 1 000 méde­cins, se sont d’ores et déjà inscrits sur la plate­forme mise en place il y a quelques jours par l’agence.

A l’entrée de l’hôpital d’Ambroise­Paré, à Boulogne­Billancourt (Hauts­de­Seine), mercredi 25 mars. BENOIT DURAND/HANS LUCAS

« AUX URGENCES, ON NE SAIT PLUS OÙ METTRE 

LES PATIENTS. ON EST AU MILIEU DE LA VAGUE »

FRÉDÉRIC ADNETchef du service des urgences

de l’hôpital Avicenne

« Il n’y a plus une seule place de réanimation dans le 93 »Le chef du service des urgences de l’hôpital Jean­Verdier de Bondy s’inquiète de l’afflux important de cas graves

ENTRETIEN

R omain Dufau est le chefdu service des urgences del’hôpital Jean­Verdier à

Bondy, l’un des trois établisse­ments de l’AP­HP en Seine­Saint­Denis. Il s’inquiète de l’afflux im­portant de cas graves, dans ce dé­partement où le confinementn’est pas strictement appliqué.

Pourquoi la situation en Seine­Saint­Denis est­elle préoccu­pante ?

Le confinement y est plus com­plexe, et donc le risque de conta­mination plus élevé. Il n’est pas rare de voir des familles de sixdans des appartements de 45 mè­tres carrés. Très vite, les plus jeu­nes n’y tiennent plus et se retrou­vent dehors.

Toutes les personnes qui ont unemploi non déclaré sont aussiobligées de se déplacer pour tra­vailler et garder un revenu. La po­lice ferme sans doute les yeux, si­non cela exploserait.

Une partie de la population neparle pas très bien français. Les « gestes barrières » ou la « distan­ciation sociale », ce n’est pas forcé­ment très parlant. Quand je cir­cule dans Paris, je m’aperçois que

l’écart d’un mètre est bien res­pecté dans les files d’attente. Mais, à Bondy, c’est plus difficile de s’y tenir : la population est plusdense et n’a pas d’alternative, lesservices de livraison ne s’aventu­rent pas dans les cités.

Le nombre de cas graves ne cesse d’augmenter en Ile­de­France. Comment anticipez­vous les prochains jours ?

Une centaine de patients sontdéjà hospitalisés sur nos deux si­tes, Jean­Verdier, à Bondy, et Avi­cenne, à Bobigny. Aux urgences, nous intubons trois à quatre pa­tients par jour, contre un tous les trois à quatre jours en temps nor­mal. Nous ne pouvons pas conti­nuer à ce rythme, car il n’y a plus une seule place de réanimation disponible pour nos patients dans le 93. Hier, nous avons dû envoyer un patient à Orléans, et d’autres pourraient être envoyés à Rouen.

Pouvez­vous encore « pousser les murs » ?

Nous avons prévu d’ouvrir huitlits supplémentaires à Avicenne et quatorze à Jean­Verdier, mais nous n’avons pas l’équipe pourles faire tourner. Nous manquonscruellement d’infirmières spécia­

lisées. En réanimation, les pa­tients doivent être surveillésvingt­quatre heures sur vingt­quatre, et il faut au minimum uneinfirmière pour trois patients. Nous sommes à des années­lu­mière de pouvoir en recruter autant.

Les autres hôpitaux d’Ile­de­France sont­ils en mesure de vous prêter main­forte ?

J’ai de grosses craintes. Ce n’estque le début de la vague, et les autres hôpitaux nous répondent déjà : « Oh là là, je préfère garder dela place pour mes urgences. » Tous les hôpitaux vont devoir s’organi­ser sans trop compter sur leurs voisins. Les hôpitaux pédiatriquescommencent cependant à se mo­

biliser : à Robert­Debré, vingt lits ont été ouverts mardi pour ac­cueillir des adultes. Nous y avons envoyé deux patients, mais il ne reste déjà plus que deux places.

Quel est le profil des patients at­teints de Covid­19 hospitalisés ?

Nous voyons arriver beaucoupde jeunes, entre 25 et 45 ans, ce qui n’est pas étonnant compte tenu dela démographie du département. Ils arrivent une semaine après le début des symptômes, avec une capacité respiratoire qui s’effon­dre. Leur état peut se dégrader trèsrapidement : hier, nous avons dû placer deux jeunes hommes de 28 et 32 ans en coma artificiel.

Quel est le pronostic pour ces patients jeunes ?

Ils sont intubés et ventilés pen­dant une à deux semaines mais s’en sortent avec une convales­cence qui peut pendre six mois à un an. Les décès interviennent plutôt chez les plus de 65 ans, qui souffrent déjà d’autres patholo­gies comme le diabète, l’hyper­tension ou l’obésité.

Craignez­vous de ne pas pou­voir prendre en charge tous les patients ?

Nous n’en sommes pas du toutà limiter les soins, mais, dans dixjours, on pourrait en arriver là.C’est notre crainte. Les patientsatteints de Covid­19 de plus de80 ans ne sont presque jamais pris en réanimation, car le tauxde mortalité avoisine 100 %. C’estcompliqué à gérer pour dessoignants, en particulier pourceux venus en renfort. Il esttoujours difficile d’annoncer auxfamilles qu’on n’ira pas plus loin.

Comment sont pris en charge les patients pour lesquels la réanimation n’est pas possible ?

Les morts du Covid­19 sont desmorts douloureuses, par as­phyxie. Cela n’a rien à voir avecun malade qui s’en va paisible­ment. Pour accompagner les malades et améliorer leur con­fort, nous donnons aux maladesdes médicaments. Au début,nous imaginions que les person­nes âgées pourraient retourneren maison de retraite, mais ce serait de la maltraitance. Ces établissements sont incapables de gérer une fin de vie commecelle­ci.

propos recueillis parchloé hecketsweiler

« NOUS VOYONS ARRIVER BEAUCOUP DE JEUNES, 

ENTRE 25 ET 45 ANS, CE QUI N’EST PAS ÉTONNANT, 

COMPTE TENU DE LA DÉMOGRAPHIE DU DÉPARTEMENT »

malades atteints de Covid­19hospitalisés dans l’établisse­ment, vingt­six sont dans sonservice, sous ventilation.

« Nous aurions la possibilitéd’ouvrir de nouveaux lits, si nous étions en mesure de recruter unevingtaine d’infirmières. Mais avec les effectifs actuels, nous ne pou­vons plus accueillir de patients, re­grette le médecin. Il faut mainte­nant attendre que des patientsguérissent. »

Cette variable est dans la tête detoutes les équipes. « Nous es­

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0123VENDREDI 27 MARS 2020 coronavirus | 3

E mmanuel Macron a réac­tivé la posture de chef deguerre face au coronavi­rus. « Lorsqu’on engage

une guerre, on s’y engage tout en­tier, on se mobilise dans l’union », a insisté le chef de l’Etat, mercredi 25 mars, devant les caméras de té­lévision, avec en toile de fond l’hô­pital militaire de campagne de Mulhouse, qu’il venait de visiter. Les lieux accueillent depuis mardi de premiers malades en Grand­Est, une région durement touchée par l’épidémie. L’occasion pour Emmanuel Macron de rendre un hommage appuyé au « courage ex­ceptionnel » des soignants, chez qui « la fatigue est présente, l’an­goisse est là pour eux­mêmes, pour leurs collègues, pour leur famille ». « La nation tout entière est derrière,reconnaissante », a assuré le loca­taire de l’Elysée. Mais à l’approche du « pic » de l’épidémie qui se pro­file – près de 3 000 patients sont en réanimation, a annoncé le di­recteur général de la santé, JérômeSalomon, et 1 300 personnes sont mortes depuis le début de la crise –, les mots ne suffisent plus. Em­manuel Macron a donc pris des engagements sonnants et trébu­chants que les personnels hospita­liers n’attendaient plus.

Un an presque jour pour jouraprès le début du mouvement de grève dans les services d’urgences,le chef de l’Etat a assuré qu’« à l’is­sue de cette crise, un plan massif d’investissement et de revalorisa­tion de l’ensemble des carrières seraconstruit pour notre hôpital ». Sansdétailler à ce stade ni le montant niles modalités, il a pris l’engage­ment que « cette réponse sera pro­fonde et dans la durée », promet­tant notamment de « majorer les heures supplémentaires effectuées sous forme d’une prime exception­nelle ». « Nos soignants qui se bat­tent aujourd’hui pour sauver des vies se sont hier battus, souvent, pour sauver l’hôpital, notre méde­cine », a­t­il déclaré, contraint d’es­quisser un léger mea culpa sur la façon dont la crise hospitalière avait été gérée : « Beaucoup a été fait, sans doute pas suffisamment vite, pas suffisamment fort. » Un re­proche adressé en filigrane à Agnès Buzyn, l’ex­ministre de la santé, qui avait promis de « réen­

chanter » l’hôpital public, sans ja­mais réussir à mettre sur la table les budgets nécessaires pour ac­complir une telle promesse.

Un premier plan en faveur despersonnels des services d’urgen­ces, comprenant notamment une prime de 100 euros par mois pour les paramédicaux y travaillant, avait bien été débloqué, puis un se­cond de 200 millions d’euros, en novembre 2019, mais cela n’avait pas suffi. Résultat, c’est un hôpital en crise, affaibli par des années de restriction budgétaire, qui se re­trouve depuis quelques semaines à devoir faire face en urgence à unecrise sanitaire sans précédent. Dans les 39 établissements de l’As­sistance publique­Hôpitaux de Pa­ris (AP­HP), des centaines de lits setrouvaient par exemple fermés par manque de candidats sur les postes infirmiers, plus suffisam­ment attractifs.

« On attend de voir »Les annonces du chef de l’Etat sont saluées avec prudence et amertume par le corps médical. « C’est dommage d’avoir dû atten­dre une catastrophe, mais mieux vaut tard que jamais », estime Anne Gervais, l’une des porte­pa­role du Collectif Inter­Hôpitaux(CIH), qui avait orchestré en jan­vier la démission de près de 1 200 médecins hospitaliers de leurs fonctions administratives pour réclamer davantage de moyens. Cette spécialiste plaidenéanmoins pour l’adoption ra­pide d’une loi rectificative du budget de la Sécurité sociale : « Il faudra aussi du personnel en plus, et aussi augmenter de 30 % le nom­bre d’infirmières et en embaucher 50 000 supplémentaires pour at­teindre les ratios des pays scandi­naves ou anglo­saxons, où il y a une infirmière pour huit lits, contreun pour quatorze chez nous. »

« C’est positif, mais après tous lesplans qu’on nous a proposés et qui étaient en deçà de ce qui était né­cessaire pour les soins, on attend devoir », nuance de son côté Hugo Huon, président du Collectif Inter­Urgences. Quelques heures plus tôt, le collectif avait annoncé son intention de porter plainte contre X auprès du procureur de Paris pour homicide involontaire et

mise en danger de la vie d’autrui afin de dénoncer « l’absence d’équi­pements de protection individuelle,de tests, de moyens et de décisions àmême de protéger le personnel hos­pitalier » exposé au coronavirus.

Lors de sa déclaration, Emma­nuel Macron a par ailleurs an­noncé le lancement de l’opéra­tion militaire « Résilience », « en­tièrement consacrée à l’aide et ausoutien aux populations, ainsiqu’à l’appui aux services publics pour faire face à l’épidémie, enmétropole et en outre­mer ». Uneaide d’ordre « sanitaire », « logisti­que » ou encore de « protection » de sites sensibles, a­t­il précisé. Deux navires de guerre, les porte­hélicoptères Mistral et Dixmude,qui disposent d’hôpitaux embar­qués, seront notamment mis à contribution pour venir en aide aux outre­mer. Le premier, quiassurait la « mission Jean­ne­d’Arc » – consistant à embar­quer les élèves officiers de la ma­rine pour leur formation aumoyen d’un tour du monde –, doit faire route vers La Réunion,où il arrivera samedi.

Le second, lui, sera à Toulon,vendredi 27 mars, de retour d’opé­ration au Liban. Il aura une se­maine pour se remettre en ordre, puis il lui en faudra une autrepour rejoindre les Antilles. Son rôle pourrait être d’accueillir despatients classiques pour soulager les hôpitaux locaux. « Il faut voir les bateaux comme des pions de réserve, qu’on pourra exploiter lemoment venu », explique l’état­major de la marine nationale. Leporte­hélicoptères Tonnerre avait déjà été envoyé en Corse, le week­end dernier, pour évacuer 12 ma­lades atteints du Covid­19 vers des hôpitaux marseillais.

Si les outre­mer ont été touchésplus tardivement que la métro­

pole par l’épidémie, celle­ci s’y pro­page à présent de manière expo­nentielle. Tous les professionnels de santé et les responsables politi­ques redoutent une catastrophe, compte tenu des fragilités du sys­tème sanitaire et de l’exposition aux risques que présentent les po­pulations de ces régions, pour la plupart insulaires. L’inquiétude est notamment très forte à La Réu­nion et à Mayotte. La Réunion, où le premier cas a été détecté le 11 mars, en compte désormais 115, dont 21 enregistrés dans les vingt­quatre dernières heures. Alors quel’île ne dispose que d’une centaine de lits de réanimation, les person­nels soignants réclament des moyens supplémentaires pour pouvoir faire face à la situation.

Masques inutilisablesL’agence régionale de santé (ARS) avait annoncé, dimanche, que 120 000 masques FFP2 provenant du stock « stratégique, régional et historique » allaient être déblo­qués dès mardi, mais une partie deces lots, présentant des traces de moisissure, s’est révélée inutilisa­ble. Devant les réactions indi­gnées, la directrice de l’ARS, Mar­tine Ladoucette, a annoncé mer­credi que 18 000 masques défec­tueux allaient être remplacés.

A Mayotte, 35 cas ont pourl’heure été recensés. L’île necompte que 16 lits de réanima­tion et les conditions d’hygiènesont déplorables. Des milliers de personnes s’entassent dans des bidonvilles, faisant craindre uneexplosion incontrôlable. Dans lesAntilles, c’est à Saint­Barthélemy et à Saint­Barth que le premiercas s’est déclaré, le 1er mars. LaGuadeloupe en compte à présent76, la Martinique – où un décès aété enregistré – 66, et la Guyane27. Au total, 365 cas avaient été en­registrés mercredi dans les outre­mer. Le ministère de la santé a lancé, mercredi soir, un appel àvolontaires à tous les profession­nels de santé, y compris les retrai­tés, pour venir en appui au per­sonnel soignant de leur région,mais aussi des zones les plus tou­chées par le coronavirus.

fr. b., olivier faye,nathalie guibert,

et patrick roger

Macron promet « un plan massif »Le chef de l’Etat a rendu hommage, mercredi, au « courage » des soignants

Des stocks de médicaments sous tensionL’inquiétude, dans les services de réanimation, porte sur l’approvisionnement en curares, qui permettent de pratiquer une intubation

D epuis 10 jours, c’est la ba­taille pour obtenir des boî­tes », lâche un pharma­

cien hospitalier. Avec l’afflux de cas graves de Covid­19 dans lesservices de réanimation, la con­sommation d’anesthésiques etd’hypnotiques s’est envolée dansson établissement, et ses stockssont au plus bas. « Nous frappons à toutes les portes pour en trouver, mais nous ne sommes pas les seuls », soupire­t­il. Et pour cause : avec l’afflux de patients Covid­19, le recours à ces molécules a été multiplié par 5 ou 10. « Il faut anti­ciper, sinon l’histoire des masques risque de se décliner dans d’autres domaines », craint Rémi Salomon, président de la commission médi­cale d’établissement de l’AP­HP, en référence à la pénurie de masques respiratoires.

L’inquiétude porte en premierlieu sur les curares, utilisés pour relaxer les muscles au moment de

l’intubation. Depuis un an, les rup­tures de stocks se sont multipliées et les pharmaciens craignent que les laboratoires pharmaceutiques ne soient plus en mesure d’hono­rer toutes les commandes. « Il ne suffit pas d’augmenter la produc­tion, encore faut­il avoir accès à la matière première », souligne Na­thalie Pons­Kerjean, chef du ser­vice de pharmacie à l’hôpital Beau­jon de Clichy (Hauts­de­Seine), rappelant que le curare est extrait d’une plante exotique.

« Réduire les doses »Elle s’interroge aussi sur les me­sures de réquisition que certainsEtats pourraient prendre en casde pénurie mondiale. « Que sepassera­t­il si les Américains déci­dent de bloquer les exporta­tions de curare ? », demande­t­elle, en précisant que le labora­toire américain Pfizer est l’un deses premiers fournisseurs. L’Inde

a déjà pris une telle mesure : le 4 mars, le pays a interdit l’expor­tation de 26 principes actifs jugésstratégiques, dont plusieurs anti­biotiques et le paracétamol, uti­lisé pour lutter contre les fièvreset les douleurs caractéristiquesdes formes légères de Covid­19.

Pour épargner leurs stocks de cu­rare, les médecins réfléchissent déjà à l’adaptation de leurs proto­coles. « Nous essayons de réduireles doses et les durées d’utilisation, car nous ne voulons pas que cela compromette notre capacité à trai­ter les futurs patients », explique Djillali Annane, chef du service de réanimation de l’hôpital Ray­mond­Poincaré de Garches (Hauts­de­Seine), en rappelant qu’il n’existe pas d’alternative pour les curares. « Si nous devons nous en passer, nous ne serons plusdans une prise de charge opti­male », prévient­il. Pour l’Agence régionale de santé d’Ile­de­France,

l’accès aux médicaments de réani­mation est devenu un sujet ma­jeur, car cela pourrait très vite de­venir un facteur limitant dans la prise en charge des patients, indi­que­t­on.

Les tensions d’approvisionne­ment concernent aussi d’autresmolécules, comme le midazo­lam, un sédatif puissant utilisé aussi bien en réanimation qu’ensoins palliatifs, ou le propofol, unanesthésique qui a fait l’objetd’une alerte le 10 mars parl’Agence de sécurité du médica­ment (ANSM) à la suite de la dé­faillance d’un fabricant. « La Suisse a bien voulu mobiliser desstocks pour nous », précise Méla­nie Cachet, directrice adjointe del’inspection au sein de l’agence.Depuis 2016 et la loi de moderni­sation du système de santé, les industriels sont tenus d’élaborerdes « plans de gestion des pénu­ries » pour tous les médicaments

dont la rupture représente « unrisque grave et immédiat » pour les patients. « C’est à eux de trouver des solutions, par des im­portations ou une augmentationde la production », insiste Méla­nie Cachet.

Assurer une bonne répartitionCompte tenu de l’enjeu pour la prise en charge des patients Co­vid­19, l’ANSM a mis en place un suivi hebdomadaire des stockspour une centaine de molécules essentielles, et les commandessont désormais contingentées. Dans un tel contexte, « les labora­toires doivent réguler les flux », in­dique l’inspectrice. L’un des en­jeux est d’assurer une bonne ré­partition des ressources sur l’en­semble du territoire, en fonctionde la progression de l’épidémie.« Un pilotage national est très im­portant pour garantir une équitédans les prises en charge des pa­

tients », estime une pharma­cienne du CHU de Strasbourg.

Le propofol est à ce stade le seulmédicament pour lequel un ris­que de rupture a été formelle­ment identifié, mais « des investi­gations sont en cours » pour lescurares et le midazolam, à la suitedes signalements des médecinset des hôpitaux. La réglementa­tion ne permet pas à la France delimiter les exportations des mo­lécules à risques. « Mais il n’est pasinterdit de penser que, comptetenu de la situation exception­nelle, l’ANSM soit amenée à pren­dre des mesures également excep­tionnelles », indique Mélanie Ca­chet. Selon nos informations, desdiscussions sont aussi en coursavec des industriels pour réorien­ter en urgence les chaînes de pro­duction françaises. A conditionde disposer des matières premiè­res nécessaires.

c. hr

« La demande en personnels com­pétents est énorme », raconte sousle couvert de l’anonymat une in­firmière d’un service de réanima­tion de l’AP­HP, qui dit avoir été « contactée trois fois par trois cliniques différentes en quarante­huit heures ».

Selon elle, la situation est telle­ment tendue dans les services de « réa » des hôpitaux, que « tout est envisagé, il n’y a pas de limite ». Parexemple, pour mettre à contribu­tion tous les volontaires, il pourraêtre demandé à un chirurgien deposer un cathéter, à un élève infir­mier de faire le tour des constan­tes (prendre la tension, la tempé­rature, le pouls)… « Ils ont été cher­cher des renforts partout, il va fal­loir travailler avec des gens avec qui on n’a pas l’habitude de tra­

vailler », rapporte l’infirmière, qui s’inquiète de se retrouver « avec des personnes non compétentes,qu’il faut former ».

« Aujourd’hui, ajoute­t­elle, onne sait pas à quoi s’attendre. On en­visage tout et n’importe quoi. No­tre préoccupation première, c’est :est­ce qu’on va être à la hauteur ? Est­ce qu’on va être capable ? On vaêtre bouleversé par ce qu’on va vi­vre. On a reçu des messages de dé­tresse des soignants de Mulhouse [Haut­Rhin] qui sont poignants. En Italie, ils ventilent plusieurs per­sonnes sur un ventilateur. On n’est pas à l’abri de faire ça demain. Per­sonne ne se fixe de limite. »

françois béguin,chloé hecketsweiler,

stéphane horelet elisabeth pineau

LE PRÉSIDENT A ÉTÉ CONTRAINT D’ESQUISSER 

UN LÉGER MEA CULPA SUR LA FAÇON DONT

LA CRISE HOSPITALIÈRE AVAIT ÉTÉ GÉRÉE

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Page 4: Le Monde - 27 03 2020

4 | coronavirus VENDREDI 27 MARS 20200123

Macron et la « République des experts »Pour décider, l’exécutif s’appuie sur un collectif de onze scientifiques présidé par Jean­François Delfraissy

L a politique n’a pas saplace dans la salle decours d’une univer­sité », écrivait le socio­logue Max Weber,mais rien n’empêche

les experts d’investir le champ politique. Depuis le début de lacrise du coronavirus, EmmanuelMacron n’a d’ailleurs de cesse que de convoquer leur parole pour appuyer ses décisions. « Unprincipe nous guide pour définir nos actions, il nous guide depuis ledébut pour anticiper cette crise puis pour la gérer depuis plusieurssemaines, et il doit continuer de le faire : c’est la confiance dans la science », a déclaré le président dela République, le 12 mars, lors de sa première allocution télévisée consacrée à l’épidémie.

Un peu plus tôt dans la journée,le locataire de l’Elysée avait réuni pour la première fois un conseil scientifique, nommé par ses soins, pour l’épauler dans sa prise de décision. Onze universitaires qu’il écoute attentivement. Fer­meture des écoles, confinement de la population, maintien des élections municipales… Leur avis, suivi à la lettre ou presque, pèse lourd. « Nous, tous seuls, ne som­mes pas capables d’être audibles sur des choses qui sont contre­in­tuitives, justifie une ministre. Il faut un rationnel scientifique. »

ÉPIDÉMIE « INEXORABLE »Les prémices de cette collabora­tion remontent au jeudi 5 mars. Cejour­là, ils sont encore une ving­taine à se serrer les uns contre les autres autour d’Emmanuel Macron et du ministre de la santé, Olivier Véran, dans le salon des ambassadeurs de l’Elysée. Le mè­tre d’écart réglementaire appar­tient à la science­fiction pour en­core quelques jours. Le chef de l’Etat a convoqué médecins, scien­tifiques et responsables de labora­toires pharmaceutiques engagés dans la lutte contre le Covid­19. L’épidémie, juge­t­il devant eux, est « inexorable ».

Jean­François Delfraissy, déjà, setrouve en face de lui. Cet immuno­logiste de 71 ans a été, en 2014, le coordinateur interministériel de la réponse à l’épidémie d’Ebola. Depuis 2016, il préside le Comité consultatif national d’éthique. C’est lui dont Jérôme Salomon, di­recteur général de la santé, a sug­géré le nom pour présider le conseil scientifique que le chef de l’Etat va mettre en place, le 10 mars. Lui encore qui soufflera la majorité des profils appelés à siéger à ses côtés.

Le monde scientifique étant pe­tit, la plupart des membres ne sont pas inconnus les uns des autres. Mais personne ne sait pourquoi il a été choisi. « On m’a demandé d’en faire partie et j’ai ac­cepté », rapporte Bruno Lina, viro­logue à l’université à Lyon­I, coau­teur avec Jérôme Salomon, cepen­dant, d’un essai sur « la gestion de l’épidémie de grippe H1N1 », La Vé­rité sur la grippe A H1N1, (Frison­Roche, 2009). Ancien « pasteu­rien », le directeur général de la santé a aussi travaillé avec l’épidé­miologiste Arnaud Fontanet et le mathématicien Simon Cauche­mez, dont les modélisations de l’épidémie servent de socle aux décisions de l’exécutif.

Lila Bouadma, réanimatrice àl’hôpital Bichat – l’un des deux centres de référence pour leCovid­19 – explique simplement avoir « été contactée la veille de la première réunion ». Son nom aurait été soufflé par Yazdan Yazdanpanah, chef du service des maladies infectieuses de l’établis­sement, et pilier du Conseil.

« Mon profil correspondait sansdoute à un besoin, celui d’un clini­cien exerçant en région avec une expérience dans le domaine des maladies émergentes », avancepour sa part Denis Malvy, infec­tiologue au centre hospitalier universitaire Pellegrin à Bor­deaux, qui a travaillé avec Jean­François Delfraissy sur Ebola, tout comme Yazdan Yazdanpa­nah. Outre des médecins, une an­thropologue, Laëtitia Atlani­Duault, et un sociologue, DanielBenamouzig, ont été intégrés pour appréhender la dimension « humaine » de l’épidémie.

Depuis qu’il est mis en place, leconseil se réunit tous les jours,sauf le dimanche, de 12 heures à 14 heures, pour une conférence téléphonique. « Il y a des ques­tions qui nous sont posées par leministère de la santé ou directe­ment par l’Elysée. Et puis il y a des sujets dont on s’autosaisit. Ce co­mité a son indépendance », rap­porte un participant. Aucunreprésentant de l’exécutif ne par­ticipe aux échanges, assure­t­on.

Il n’y a pas plus de vote : toutesles délibérations – quatre avis ont été rédigés jusqu’à présent – sefont « de façon collégiale », selon un membre. « Nous essayons de construire dans un phénomène d’intelligence collective, dans la difficulté, avec beaucoup d’humi­lité sur une situation extrêmementmouvante », assure un autre.

Didier Raoult, l’infectiologuemarseillais qui promeut l’utilisa­tion de l’hydroxychloroquine comme remède au Covid­19, s’est, lui, vite déporté de cette structure (il a été remplacé par Franck Chau­vin, membre du Haut Conseil de la santé publique). « Je suis en con­tact avec le ministère et avec le pré­sident de la République pour leurdire ce que je pense », a­t­il précisé, mardi, sur Twitter.

« MISE EN ROUTE INFORMELLE »L’Elysée reconnaît ces échanges directs avec le chef de l’Etat, qui consulte également Philippe Klein, le médecin français installé à Wuhan, l’épicentre chinois de l’épidémie. Selon un proche, Em­manuel Macron échange par ailleurs en ligne directe, « pas tousles jours, mais régulièrement », avec Jean­François Delfraissy.

Ce conseil scientifique, note unconseiller du pouvoir, « n’a pas de base légale ». « La mise en route estinformelle, reconnaît un proche d’Emmanuel Macron. Comme le Conseil national de la résistance, qui se réunit rue du Four par ha­sard, et qui quelque temps plus tard devient une institution. »

Dimanche, dans le cadre du pro­jet de loi sur les mesures d’ur­gence en réponse à la crise, lesparlementaires ont entériné lacréation d’un « comité scientifi­que ». Ses membres, est­il précisé,sont nommés par le président de la République, celui de l’Assem­blée nationale et celui du Sénat.Ces deux derniers, assurent l’Ely­sée et Matignon, doivent nom­mer prochainement chacun un

nouveau membre pour le conseil.En parallèle, Emmanuel Macron adécidé de s’entourer de douze nouveaux chercheurs et méde­cins au sein d’un « comité analyse,recherche et expertise » (CARE). « Ce virus donne lieu à tout un tasd’emballements médiatiques, on l’a vu avec l’hydroxychloroquine à Marseille. L’exécutif a besoin d’êtreencadré », plaide l’entouraged’Olivier Véran.

L’omniprésence de ces expertsinterroge, cependant. « Ce qu’ilfaut éviter, c’est que le politiquedans la crise sanitaire transfère sa responsabilité morale sur le méde­cin en disant “l’expert a dit doncon fait” », estime Julien Aubert, député (Les Républicains) de Vau­cluse. « Le président a été très clair,ces comités ne doivent pas con­duire à la République des experts »,répond un proche du chef de l’Etat. « Comme Clemenceau, le président pense que la guerre est une chose trop grave pour être confiée aux seuls militaires. Il as­sume d’être celui qui prend les dé­cisions », abonde un conseiller.

Selon plusieurs sources, l’exécu­tif a par exemple recadré, le 12 mars, les membres du conseil scientifique qui s’étaient interro­gés sur le bien­fondé politique du maintien ou non du premier tour des élections municipales. Une vé­ritable ligne de crête. « La politi­que, c’est l’art de décider collective­ment de notre avenir, rappelle Chloé Morin, experte associée à la Fondation Jean­Jaurès. Si l’on expli­que aux gens qu’il existe un seul ho­rizon possible parce que la science l’aurait dit, on ouvre la voie soit au désengagement, c’est­à­dire “cet horizon ne m’intéresse pas”, ou au populisme, c’est­à­dire à la volonté d’aller chercher “en dehors du sys­tème” le changement espéré. »

raphaëlle bacqué,solenn de royer, olivier faye,

chloé hecketsweiler,alexandre lemarié

et cédric pietralunga

« IL Y A DES QUESTIONS QUI NOUS SONT POSÉES PAR LE MINISTÈRE DE LA SANTÉ OU DIRECTEMENT PAR L’ELYSÉE. ET PUIS IL 

Y A DES SUJETS DONT ON S’AUTOSAISIT. CE COMITÉ A SON INDÉPENDANCE », 

RAPPORTE UN PARTICIPANT

Laurent Nunez, secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’intérieur, Christophe Castaner (face à lui), le ministre de la santé, Olivier Véran, le président du conseil scientifique, Jean­François Delfraissy, et le premier ministre, Edouard Philippe, le 13 mars, à Paris.ALEXIS SCIARD/IP3 PRESS/MAXPPP

aux côtés du conseil scientifiqueCovid­19 institué le 10 mars, un nouveau comité a été mis en place, mardi 24 mars, pour accompagner la décision publique. Baptisée « comité analyse recherche et ex­pertise » (CARE), cette instance est prési­dée par la professeure Françoise Barré­Si­noussi, virologiste à l’Institut Pasteur/In­serm, colauréate du prix Nobel de méde­cine (2008) pour sa participation à la découverte du VIH, et présidente de l’asso­ciation Sidaction. Mardi après­midi, les débats ont été menés par Emmanuel Ma­cron durant plus d’une heure en télécon­férence, aux côtés du premier ministre, Edouard Philippe, du ministre de la santé, Olivier Véran, et de la ministre de la re­cherche, Frédérique Vidal.

Ce comité réunit douze chercheurs etmédecins, dont deux sont également

membres du conseil scientifique, le cli­nicien Yazdan Yazdanpanah (hôpital Bi­chat, Paris) et l’anthropologue Laëtitia Atlani­Duault (Institut de recherchepour le développement).

Décision dans un délai très courtL’objectif de ce comité, selon le site du mi­nistère de la santé, est d’« éclairer les pou­voirs publics dans des délais très courts sur les suites à donner aux propositions d’ap­proche innovantes scientifiques, technolo­giques et thérapeutiques » et de pouvoir « solliciter la communauté scientifique ». Il se penchera sur les traitements, en sur­veillant les essais cliniques, les tests dia­gnostiques et sérologiques contre le coro­navirus. L’enjeu est aussi de préparer la sortie du confinement. La doctrine du gouvernement semble s’orienter vers un

dépistage de masse. Encore faut­il en avoirles moyens. Un test sérologique, en cher­chant les anticorps, permettrait de con­naître la part de la population immunisée.L’objectif est de conseiller le gouverne­ment sur ce qui est faisable ou pas.

Le CARE devrait aussi se prononcer« sur l’opportunité de la mise en placed’une stratégie numérique d’identifica­tion des personnes ayant été au contact de personnes infectées par le Covid­19 », a indiqué l’Elysée. Des questions qui soulè­veront sans doute de vifs débats sur les li­bertés publiques. Dans tous les cas, le co­mité devra pouvoir rendre une décision dans un délai court, et sur des questions précises, il est donc plus opérationnelque le conseil scientifique, les deux étantcomplémentaires.

pascale santi

Un deuxième comité chargé de préparer l’après-confinement

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Page 5: Le Monde - 27 03 2020

0123VENDREDI 27 MARS 2020 coronavirus | 5

Estrosi, Boyer, Vassal… La droite prend fait et cause pour le professeur RaoultCertaines personnalités de LR, du sud de la France, ont été traitées dans l’unité de ce médecin qu’ils connaissent depuis longtemps

V alérie Boyer, député LesRépublicains (LR) desBouches­du­Rhône, con­

naît bien l’infectiopôle du profes­seur Didier Raoult à Marseille. Comme nombre d’élus du dépar­tement, elle l’a visité à de nom­breuses reprises. Lorsqu’elle s’est rendu compte que sa toux persis­tante pourrait bien être le signe d’une infection due au coronavi­rus, elle s’est naturellement tour­née vers cette institution. « J’y suis allée comme tout le monde, un matin, et je me suis fait dépister », raconte l’élue, déclarée positive lundi 16 mars et hospitalisée le soir même dans l’unité.

Le traitement à l’hydroxychloro­quine, défendu et administré par le Pr Raoult, lui est alors proposé. Elle n’hésite pas une seconde. Les polémiques sur le sérieux de ses

études ? « Un scandale absolu », pour la députée, qui fait une « con­fiance aveugle » au professeur, « une sommité ». « Je suis outrée, ces critiques sont lamentables, d’autant qu’elles viennent de per­sonnes qui sont aujourd’hui inca­pables de nous trouver une solu­tion », s’emporte la députée.

« Renommée mondiale »Au sein de la formation de droite, où le coronavirus a particulière­ment frappé – plusieurs députés, dont Christian Jacob, le président du parti, sont touchés –, ils sont quelques­uns, comme Martine Vassal, la candidate du parti dans la cité phocéenne pour les muni­cipales, à avoir été traités à l’infec­tiopôle de Marseille, et nom­breux à défendre coûte que coûte le traitement de Didier Raoult.

connaissait pas personnellement,mais comme beaucoup d’élus, avait entendu parler de lui et l’avait croisé dans l’exercice de ses fonctions. « J’ai confiance en cette équipe qui est de renommée mon­diale, je connais leurs réussites, le niveau de leurs savants », affirme­t­il. Une foi renforcée par la visite médicale qui a précédé son traite­ment. « C’était un contrôle précis,

gnants, de nos forces de l’ordre, denos éboueurs… »

Pour Julien Aubert, député LR deVaucluse, le soutien de ces person­nalités de droite s’explique par une proximité géographique plu­tôt que politique, car elles « con­naissent les hauts faits de ce spé­cialiste depuis longtemps ». Mais il s’interroge sur la pertinence d’un comité d’experts où les spécialis­tes des pandémies ne seraient pas« aux manettes ». « J’ai tendance à vouloir écouter quelqu’un dont c’est la spécialité et qui a un traite­ment plutôt que quelqu’un dont ce n’est pas la spécialité et qui n’a pas de solution », explique­t­il. Dans un courrier au chef de l’Etat, l’élu estime que le gouvernement aurait dû avoir recours massive­ment à l’hydroxychloroquine.

sarah belouezzane

ce n’était pas n’importe quoi non plus », poursuit Yves Moraine, qui dit préférer, « en temps de guerre »,« s’en remettre aux gens de terrain qu’aux experts de plateaux télé ».

A droite, beaucoup n’hésitentpas à politiser le débat autour dece professeur à la personnalitéclivante. Une façon de critiquerle pouvoir parisien qui seraittrop lointain, pas assez prochedes réalités du terrain et donctrop rapidement enclin à balayerles propositions de Dider Raoult.

Et qu’importe si certains scien­tifiques se montrent sceptiquesvis­à­vis de la méthode utilisée par le médecin pour démontrerses résultats. « Mais qui sont cesgens qui prennent les décisions ?,s’énerve Valérie Boyer. Ils n’ont pas été capables d’assurer l’équi­pement en masques de nos soi­

Figure de LR, Christian Estrosi,qui a aussi été soigné selon le pro­tocole de l’infectiologue, vante sesmérites. Le maire de Nice a expli­qué sur Twitter avoir « pris contactavec le président de Sanofi » pour s’assurer de l’approvisionnement en chloroquine de l’hôpital de sa ville. « Il fait partie des médecins et scientifiques dont je suis proche, qui me conseillent dans mes déci­sions en matière de santé et de re­cherche depuis longtemps. Je n’ai pas attendu d’être touché pour dé­fendre son protocole et naturelle­ment, lorsque j’ai été concerné, je n’allais pas utiliser une autre pres­cription que celle que je soute­nais », explique­t­il.

Yves Moraine, président dugroupe LR au conseil municipal de Marseille, a lui aussi été soigné dans l’unité du professeur. Il ne le

Les onze spécialistes du conseil scientifique Covid­19Créé le 10 mars pour éclairer l’exécutif dans la gestion de l’épidémie, le conseil inclut des personnalités venant de disciplines diverses

PORTRAITS

C réé mardi 10 mars, et installéle lendemain par le ministrechargé de la santé, Olivier

Véran, le conseil scientifique Covid­19 est destiné, selon lui, à « aider le gouvernement à se forgerune conviction » dans les choix diffi­ciles de gestion de la situation sani­taire liée au nouveau coronavirus. Comprenant onze membres, il estprésidé par le médecin et immuno­logiste Jean­François Delfraissy.L’infectiologue Didier Raoult (IHUMéditerranée Infection, Marseille) aindiqué le 24 mars s’en être retiré. Leconseil a à ce jour rendu quatre avis,tous publics. Dans le premier, endate du 12 mars, il indiquait que« dans un contexte épidémiqueinédit, incertain et fortement évolu­tif, il s’est efforcé, en grande humilité,de proposer des options claires enveillant à laisser aux pouvoirs publics la responsabilité des déci­sions à prendre ».

Jean­François Delfraissy, médecinimmunologiste En décembre 2016, Jean­François Delfraissy était nommé à la présidence du Comité consultatif national d’éthique. Sonmandat a été renouvelé par décret du président de la République enjanvier 2019, mandat qu’il a quitté pour participer à la réponse auCovid­19. Il est choisi le 10 mars 2020pour présider le conseil scientifiqueauprès du ministère des solidarités et de la santé afin d’éclairer la déci­sion publique face à l’épidémie. Ilavait été, en 2014 et 2015, coordina­teur interministériel de la lutte contre l’épidémie d’Ebola en Franceet en Afrique de l’Ouest. Jean­Fran­çois Delfraissy a dirigé, de 2005 à 2017, l’Agence nationale de recher­ches sur le sida et les hépatites vira­les et parallèlement, de 2008 à 2017, l’institut de microbiologie et mala­dies infectieuses de l’Institut natio­nal de la santé et de la recherche médicale (Inserm).

Laëtitia Atlani­Duault, anthropo­logue Directrice de recherche à l’Ins­titut de recherche pour le développe­ment, Laëtitia Atlani­Duault a reçu lamédaille de bronze du CNRS pour ses recherches en anthropologie cri­tique de l’aide humanitaire. Ses prin­cipaux travaux portent sur l’impact sociétal des crises sanitaires et hu­manitaires, tant les épidémies (VIH/sida, H1N1, Ebola, et aujourd’hui Covid­19), que les violences organi­sées, notamment sexuelles. Elle s’estparticulièrement penchée sur la fabrique et la gouvernance des réponses institutionnelles (Etats, Organisation mondiale de la santé, Programme des Nations unies pour le développement…) apportées à ces crises. Conseillère du secrétariatgénéral des Nations unies de 2012 à 2015 et professeure de santé publi­que à l’université Columbia (2015­2017), elle est rentrée en Franceen 2018 pour prendre la directionscientifique de la Fondation Maison des sciences de l’homme. Membredu conseil scientifique du consor­tium REACTing (Research and ACTion targeting emerging infectiousdiseases, recherche et action ciblantles maladies infectieuses émergen­tes) de l’Inserm, chargé de préparer et coordonner la recherche pourfaire face aux maladies infectieusesémergentes, elle participe aussi à la commission indépendante sur lesabus sexuels dans l’Eglise de France. En plus du comité scientifique, elle est également membre du nouveau Comité analyse recherche et exper­tise (CARE) sur le Covid­19, présidé par Françoise Barré­Sinoussi (Nobel de médecine 2008).

Daniel Benamouzig, sociologueDirecteur de recherche au CNRS, Da­niel Benamouzig est affilié au centrede sociologie des organisations deSciences Po. Il consacre ses recher­ches à l’histoire de l’économie de lasanté en France et des transfor­mations de la régulation du secteur, avec un intérêt particulier pour l’ex­

pertise au sein des agences sanitai­res et des organisations publiques à vocation scientifique. Il est membre de la Commission d’évaluation économique et de santé publique de la Haute autorité de santé, dont ilpréside le comité de sciences humai­nes et sociales. Daniel Benamouzig participe à l’organisation de la re­cherche en tant que directeur adjointde l’institut de santé publique de l’al­liance AVIESAN, chargée de coordon­ner l’action des grands opérateurs publics dans ce domaine (CNRS, Inserm…).

Lila Bouadma, réanimatrice Enpremière ligne face au nouveau coronavirus, et alors que les capaci­tés de réanimation risquent d’être débordées par l’afflux de malades duCovid­19, la professeure Lila Bouadma indiquait le 19 mars sur France Info que les choix de réani­mation seraient faits selon les chan­ces des patients de se rétablir, ce qui dépend de plusieurs paramètres. Cette médecin, réanimatrice à l’hôpi­tal Bichat­Claude­Bernard (Paris, AP­HP), rappelle que ces choix se font collégialement et quasimentchaque jour au sein des services deréanimation. Lila Bouadma estégalement chercheuse au labora­toire Inserm infection, antimicro­bien, modélisation, évolution.

Simon Cauchemez, modélisateurCe biostatisticien dirige un groupe de16 personnes sur la modélisation desmaladies infectieuses à l’Institut Pas­teur. Il a déjà travaillé sur la grippe engénéral et sur celle de type H1N1 enparticulier, les virus Zika ou Ebola, ouencore sur le syndrome respiratoiredu Moyen­Orient (lié à un coronavi­rus) pour en étudier la propagation, mais aussi évaluer l’effet de différen­tes stratégies. Il a passé huit ans à Londres, après sa thèse, au labora­toire de l’Imperial College de NeilFerguson, l’un des chercheurs les plus connus en matière de modélisa­tion et très impliqué dans les politi­ques publiques de santé – la présen­tation au conseil Covid­19 par SimonCauchemez de projections émanant de l’équipe de Neil Ferguson a contri­bué à renforcer les mesures de confi­nement décidées par le gouverne­ment. En novembre 2019, il a reçu le prix Louis­Daniel Beauperthuy debiologie moléculaire et génétique.

Franck Chauvin, président duHaut Conseil de la santé publique Professeur de santé publique à l’uni­versité de Saint­Etienne et cancéro­logue, le professeur Franck Chauvin préside depuis avril 2017 le Haut Conseil de la santé publique,instance d’expertise auprès du mi­nistère de la santé. Ce spécialiste de laprévention et de l’éducation encancérologie a mené de nombreux

« JE N’AI PAS ATTENDU D’ÊTRE TOUCHÉ POUR 

DÉFENDRE LE PROTOCOLEDE DIDIER RAOULT»

CHRISTIAN ESTROSImaire de Nice

travaux de recherche clinique et interventionnelle dans ces domai­nes. Il a conduit l’élaboration de plu­sieurs plans ou rapports nationaux concernant la santé publique ou y a participé, sur des thèmes relatifs auxcancers, aux maladies chroniques et aux maladies rares. Franck Chauvin est également vice­président de la Ligue nationale contre le cancer depuis 2013, et directeur délégué deHygée, centre de prévention et de recherche sur les cancers de la régionRhône­Alpes Auvergne.

Pierre­Louis Druais, médecin gé­néraliste Médecin généraliste au Port­Marly (Yvelines) depuis qua­rante­trois ans, le professeur Pierre­Louis Druais est président fondateurdu Collège de la médecine générale. Cette instance regroupe l’ensemble des organisations qui œuvrent pour la discipline « médecine générale », dans les champs professionnel,scientifique et universitaire. Pierre­Louis Druais a auparavant été prési­dent, de 2002 à 2010, du Collège na­tional des généralistes enseignants.Egalement membre de la Haute Autorité de santé, en tant que conseiller pour la médecine de ville et vice­président de la commission dédiée au parcours de soins, Pierre­Louis Druais rappelle qu’au sein duconseil scientifique, « la parole dechacun est entendue, afin de trouverun consensus pour orienter des déci­sions ». Il a également rédigé un rap­port, en mars 2015, pour la ministre de la santé d’alors, Marisol Touraine, « La place et le rôle de la médecine gé­nérale dans le système de santé ».

Arnaud Fontanet, épidémiologisteMédecin et titulaire d’un doctorat ensanté publique de la prestigieuseHarvard School of Public Health, le professeur Arnaud Fontanet dirige à l’Institut Pasteur l’unité d’épidémio­logie des maladies émergentes depuis son lancement, en 2002, danslaquelle il s’est notamment focalisé sur l’hépatite C, en étant l’un descoordinateurs du site de recherchede l’Agence nationale de recherches sur le sida, sur le syndrome respira­toire aigu sévère et le syndrome respiratoire du Moyen­Orient. Avantcela, il avait travaillé à l’Organisation mondiale de la santé (OMS) de 1993 à1994, à l’unité de recherche clinique du Programme mondial sur le sida,puis de 1994 à 2001 comme directeurde programme du projet de recher­che sur le sida conjoint Ethiopie­Pays­Bas. Arnaud Fontanet est codi­recteur et fondateur de l’école desanté publique commune à l’InstitutPasteur et au Conservatoire national des arts et métiers.

Bruno Lina, virologue Spécialisteinternationalement reconnu des virus grippaux, le professeur Bruno

Lina est actuellement responsable du Centre national de référence des virus des infections respiratoires(dont la grippe), aux Hospices civilsde Lyon. Médecin de formation, ceprofesseur de virologie dirige aussi l’unité de recherche virpath­grippeau Centre international de rechercheen infectiologie. Il est l’auteur de plus de 300 articles scientifiques. Bruno Lina a été l’un des experts auprès des autorités françaises pour la gestion de la pandémie à virus grippal H1N1 de 2009­2010. Au débutde celle­ci, en septembre 2009, il apublié un livre grand public, La Véritésur la grippe H1N1 (éd. Jean­PierreDelville), coécrit avec l’infectiologueJérôme Salomon, actuel directeurgénéral de la santé. Il exerce égale­ment des fonctions d’expert auprèsde l’OMS dans le domaine de la sur­veillance des virus influenzae (dont font partie les virus grippaux) et sur le sujet de l’éradication de la polio­myélite.

Denis Malvy, infectiologue DenisMalvy dirige l’unité dédiée aux ma­ladies infectieuses et tropicales du voyageur au sein du Centre hospita­lier universitaire de Bordeaux. C’estun spécialiste reconnu d’Ebola : dé­but 2019, il était le premier signa­taire, dans The Lancet, d’un vaste ar­ticle consacré à ce virus découvert en 1976 en Afrique, continent où il a de nouveau causé une flambée épi­démique entre 2013 et 2016, faisant 11 000 morts. En 2014, Denis Malvy avait codirigé un essai clinique fai­sant appel à un antiviral, le favipira­vir, en Guinée. L’occasion de croiser déjà Jean­François Delfraissy,nommé alors « Monsieur Ebola » parle premier ministre, Manuel Valls.En 2018, il avait réalisé une mission au Nigeria sur la fièvre de Lassa, ma­ladie proche de celle d’Ebola.

Yazdan Yazdanpanah, infectiolo­gue Chef du service des maladies in­fectieuses et tropicales de l’hôpitalBichat­Claude­Bernard (AP­HP, Pa­ris), le professeur Yazdan Yazdanpa­nah est en particulier spécialiste dusida et des hépatites virales. Ce mé­decin chercheur dirige l’institut thé­matique multi­organisme d’inflam­mation, infectiologie et microbiolo­gie. Depuis 2014, il est coordinateur du réseau consortium REACTing de l’Inserm, qui a pour objectif de coor­donner les actions de recherches françaises pendant les épidémies. Yazdan Yazdanpanah copréside par ailleurs le comité scientifique d’un groupement mondial de rechercheautour des maladies infectieuses, leGlopID­R, et il est expert auprès de l’OMS. Il a près de 500 publicationsscientifiques à son actif. Il figureaussi parmi les membres du nou­veau CARE, institué par l’Elysée.

service sciences

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6 | coronavirus VENDREDI 27 MARS 20200123

L’exécutif face à la menace de suites judiciairesL’opposition veut mettre en place une enquête parlementaire. Cinq plaintes ont aussi été reçues par la CJR

C’ est un sujet tabou,qui représente pour­tant une source d’in­quiétude majeure au

sommet de l’Etat : la peur d’éven­tuelles poursuites judiciaires con­tre des membres du gouverne­ment à propos de la gestion de la crise du coronavirus. Selon nos in­formations, le premier ministre, Edouard Philippe, a évoqué le sujetpour la première fois, mardi 24 mars, lors du petit déjeuner de la majorité, qui se déroulait en visioconférence.

Le locataire de Matignon a no­tamment regretté, selon un parti­cipant à la réunion, que les opposi­tions, Les Républicains (LR) en tête,aient annoncé leur volonté de lan­cer plusieurs commissions d’en­quête parlementaire. En parallèle, des médecins et des malades me­nacent le gouvernement d’éven­tuelles poursuites pénales. Une véritable épée de Damoclès pour le pouvoir.

Tous accusent l’exécutif d’« im­préparation » face à la crise ou de« manque de réaction », pointant notamment du doigt le déficit de masques, de tests ou de lits dans les services de réanimation. Avec un mot d’ordre : le sommet del’Etat devra « rendre des comptes ».

Sanctions pénalesLe 22 mars, le président des dépu­tés LR, Damien Abad, a annoncé auJournal du dimanche (JDD) que songroupe allait créer à l’automne une commission d’enquête parle­mentaire afin « d’identifier les éventuelles défaillances et dysfonc­tionnements » de la part du gou­vernement. Dans la foulée, les sé­nateurs LR et socialistes ont indi­qué qu’ils envisageaient d’en faire de même au Palais du Luxem­bourg, « une fois la crise passée ».

Autant de déclarations qui aga­cent dans les coulisses du pouvoir.« Sous le vernis de l’unité nationale affichée, ces annonces sont ressen­ties clairement comme des mena­ces – elles en sont d’ailleurs – et nui­sent au bon fonctionnement de l’Etat dans la lutte contre la crise, enmettant aux ministres et aux servi­ces une pression supplémentaire enplus de celle, déjà lourde, qu’ils sup­

portent », explique un responsablede la majorité. Avant de souligner :« Les menaces sont évidentes. Une commission d’enquête peut débou­cher sur des sanctions pénales. »

Pour tenter de reprendre lamain, l’Assemblée nationale a an­noncé, mardi 24 mars, la création

posée « inaction » du gouverne­ment malgré les avertissements de la communauté scientifique.

En fin de semaine dernière, uncollectif de médecins, C19, a an­noncé son intention de porter plainte contre Edouard Philippeet l’ex­ministre de la santé, Agnès Buzyn, devant la CJR, estimant que ces derniers « avaient cons­cience du péril et disposaient des moyens d’action, qu’ils ont toute­fois choisi de ne pas exercer ». Leur initiative est appuyée par une pé­tition en ligne, qui a déjà recueilli plus de 200 000 signatures en quatre jours.

Selon une source judiciaire, laCJR a déjà reçu cinq plaintes – qua­tre contre Edouard Philippe et Agnès Buzyn, et une contre le pre­mier ministre et l’actuel ministre

de la santé, Olivier Véran. Les mo­tifs ? Blessures involontaires, ho­micides involontaires ou mise en danger de la vie d’autrui. La com­mission des requêtes de la CJR doitse prononcer sur leur recevabilité.

Ces plaignants s’appuient entreautres sur les déclarations d’Agnès Buzyn au Monde, qui a affirmé avoir alerté dès janvier le premier ministre sur la gravité de l’épidé­mie. Au sein de l’appareil d’Etat, certains voient d’ailleurs dans ses confidences une volonté de se couvrir. « L’interview de Buzyn est une bombe atomique car elle pré­pare l’étape d’après sur les commis­sions d’enquête à venir et les éven­tuels procès », analyse un haut fonctionnaire, au fait de ces sujets.

Sérénité officielleD’autres plaignants préfèrent setourner vers le Conseil d’Etat, qui a été saisi à plusieurs reprises par des soignants, ces derniers jours. Sur les réseaux sociaux, les mena­ces de poursuites se multiplient également, de la part de particu­liers, mais pas seulement. « L’im­prévoyance du gouvernement et de l’administration française a été totale » et les autorités « aurontdes comptes à rendre », a ainsi dé­claré le 22 mars Jean­Paul Hamon,président de la Fédération des médecins de France (FMF).

« Il faut s’attendre à une défer­lante de plaintes contre l’Etat, re­connaît un membre du Conseil national des barreaux. Etant donné les polémiques sur l’absence de protection des personnels soi­gnants et l’impréparation de l’Etat et des hôpitaux, les familles des vic­times voudront demander des comptes. » De fait, un site Internet proposant des modèles de plainte pour les particuliers a déjà vu le jour. Selon que l’on est personnel soignant, personne malade ou non malade, trois types de plainte contre X à adresser au procureur de la République peuvent être télé­chargées, pour homicide volon­taire, violences volontaires, mise en danger de la vie d’autrui, etc. Pour l’heure, aucune plainte de ce type n’est arrivée au parquet de Paris, explique Rémy Heitz, le pro­cureur de la République.

Face à ces menaces, la sérénitéest officiellement de mise au sein de l’exécutif. Le gouvernement « apris ses responsabilités » et ne craint pas de « rendre des comp­tes » devant une commission d’enquête parlementaire, a as­suré, le 23 mars, sur CNews, sa porte­parole, Sibeth NDiaye. A l’Elysée, on réfute également le procès en inaction. « Le président a été le premier dirigeant au monde à appeler à la mobilisation internationale, affirme l’entou­rage de M. Macron. Les faits et la chronologie sont là, il n’y a pas depolémique à avoir. » « L’heure des comptes viendra mais plus tard. Certains veulent nous punir alorsque nous devons agir, s’agace un proche du chef de l’Etat. Ce n’est pas responsable. » Le momentvenu, l’exécutif assumera ses choix, dit­on au sommet de l’Etat.« Les décisions ne sont pas prises par le conseil scientifique, mais parle gouvernement, qui par nature est responsable », estime un pro­che d’Edouard Philippe.

Au gouvernement, la perspec­tive de devoir rendre des comptesest présente dans les esprits de­puis le départ. « Sang contaminé, amiante : le grand public a repro­ché le manque de transparence à chaque fois. Nous, nous avons ouvert le capot, vantait une minis­tre, début mars. Nous donnons à voir comment se passe la gestion d’une crise épidémiologique. » Il y a dix jours, une secrétaire d’Etat soupirait, plus sceptique : « C’est sûr qu’on se fera engueuler sur lagestion de la crise, quoi qu’on fasse. Ça finira par arriver. »

jean­baptiste jacquin,alexandre lemarié,cédric pietralunga

et olivier faye

Les assesseurs du premier tour des municipales sont amersDe nombreuses personnes ayant participé à la tenue du scrutin du 15 mars ont, depuis, développé des symptômes du Covid­19

angers, marseille, lyon,correspondants

L’ avertissement, lancé pardes amis italiens peuavant le scrutin, le hante

encore : « Vous êtes complètementdingues, vous ne savez pas ce que c’est ! » Candidat sur la liste de gauche Aimer Angers et prési­dent d’un bureau de vote, Bruno Goua a commencé à s’inquiéter.Quand, à la veille du premier tour,le premier ministre, Edouard Phi­lippe, prend la parole, l’Angevinparie donc qu’il va reporter lesélections. Il se trompe. Visage sombre, le chef du gouvernementannonce la fermeture des lieux publics « non essentiels ». Mais ilinvite les Français à aller voter le lendemain « comme prévu ».

Le dimanche 15 mars, Bruno de­mande aux assesseurs de porterdes gants et de faire très atten­tion, de ne pas mettre les mainsau visage, notamment. Lui­même évite de toucher lespapiers d’identité. Mais tous sedemandent un peu ce qu’ils fontlà en cette drôle de journée.« Toute la journée, on s’est posé laquestion… », raconte le président du bureau.

La situation devient franche­ment baroque au soir du dé­pouillement. Bruno Goua espère que les enveloppes et bulletins de

vote peuvent être désinfectés, iln’en est rien. Il est surtout effaré de retrouver les présidents des 83 bureaux de vote rassemblés à la mairie d’Angers : « Nous étionsagglutinés dans un couloir, aucun dispositif n’avait été mis en place.Une collation était organisée dansun espace restreint, tout le monde se serrait. J’avais envie de crier ! »

« Kamikaze de la démocratie »Bruno est pour l’instant chan­ceux, il n’a rien attrapé. Maisd’autres assesseurs ou présidents de bureau, à Angers ou ailleurs, partout en France, sont tombés malades dans la foulée du pre­mier tour des municipales. S’ils n’ont pas tous été testés, ce sontbien les symptômes du Covid­19 que ces hommes et ces femmesont développés. Impossible de dire, cependant, s’ils ont été con­taminés le jour du vote, mais cer­tains d’entre eux le croient. D’autres regrettent de s’être ainsi exposés ou d’avoir exposé les autres, alors qu’Emmanuel Ma­cron préconisait dès le lendemainle confinement.

« J’ai agi en kamikaze de la dé­mocratie », dit ainsi en soupirant le président d’un bureau de votemarseillais, Stéphane Mari. Ce conseiller municipal (La Républi­que en marche, LRM) s’en veutd’avoir participé à cette journée. Il

en veut surtout à l’opposition, no­tamment Les Républicains (LR), qui s’est opposée au report.

Elle aussi candidate à Marseille,Annabel Berard, référente des Jeunes avec Macron dans les Bou­ches­du­Rhône, n’a pas dormi de la nuit, la veille du premier tour.« Il me semblait évident que le gou­vernement aurait dû annuler levote », indique la jeune femme de 21 ans. En l’absence de contre­or­dre, elle a rejoint son poste d’as­sesseure au bureau Korsec, l’un des plus agités de Marseille. « Il y ades fraudes à Marseille, dit­elle, je ne pouvais pas me dégonfler… Mais j’avais les larmes aux yeux. »

Deux jours après, AnnabelBerard a ressenti une intense fati­gue et des maux de tête. Le sa­medi suivant, la fièvre a atteint39,3 °C. Elle a décidé de se faire tes­ter à l’Institut hospitalo­universi­taire (IHU) Méditerranée Infec­tion du professeur Dider Raoult, qui propose des dépistages gra­tuits. Trois heures d’attente, avant d’être diagnostiquée posi­tive au Covid­19. « Macron aurait­il pu être plus ferme et an­nuler l’élection ? Je pense que oui », juge la jeune femme.

Ce dimanche électoral paraît siloin déjà à Alexia Ohannessian, chargée de quatre bureaux du 6e secteur de Marseille pour le compte du Printemps mar­

seillais. Aucune consigne sani­taire n’y a été respectée, assure­t­elle. Les agents de sécurité patien­taient à l’extérieur. Et les élus ve­naient saluer les électeurs. La députée (LR) Valérie Boyer, dont letest s’est plus tard révélé positif, a même distribué des paquets de bonbons aux assesseurs. Nez et gorge « très pris », petite toux sè­che… Alexia Ohannessian a, elle, ressenti les premiers symptômes dans la semaine qui a suivi.

La multiplication des cas parmiles candidats marseillais – les tê­tes de liste LR et LRM sont notam­ment positives – a évidemment inquiété tous ceux qui ont parti­cipé à la campagne. « On a affaire à un véritable cluster électoral », assure Hervé Menchon, candidatEurope Ecologie­Les Verts dans le 5e secteur. Le 20 mars, l’écologiste a saisi l’Agence régionale de santé

(ARS) et la préfecture des Bou­ches­du­Rhône au nom de sa liste,Debout Marseille, pour deman­der un dépistage du Covid­19pour les 4 000 personnes ayant permis la tenue du scrutin.

« On a envoyé ces présidents, dé­légués et assesseurs défendre l’es­prit de la démocratie, rappelle l’élu. Notre responsabilité morale,c’est au minimum d’organiser un dépistage des bénévoles. » A ce jour, M. Menchon n’a obtenuaucune réponse de la préfecture,de l’ARS ou de la ville.

Si « curieuse » journéeA Angers, Marie­Laure Marchand a déclaré les premiers symptômesdès le soir du premier tour. La co­listière d’Aimer Angers avait donc vraisemblablement contracté le virus quelques jours plus tôt.

Le 15 mars, 272 électeurs sontpassés devant sa table, dans le bu­reau du quartier Saint­Serge. La comédienne, âgée de 48 ans, a passé cette si « curieuse » journée à tenter de rassurer les plus« stressés ». Ce n’est qu’à la ferme­ture du bureau de vote que ses collègues ont trouvé qu’ellen’avait pas l’air bien. « Mainte­nant que je sais que j’ai été infec­tée, le fait d’avoir été au contactavec des gens me met en colère, ditMarie­Laure. On a mis beaucoup de monde en danger ! »

A Saint­Fons, commune popu­laire de la périphérie de Lyon, la liste 100 % Citoyens emmenée parChafia Zehmoul a obtenu, le 15 mars, 10,74 % des suffrages. Ce résultat lui permettant de se maintenir au second tour. Sous pression, elle a tenté de joindre sescolistiers pour les sonder sur la position à adopter. Personne ne répondait. Elle a commencé à s’in­quiéter. La candidate a finalementappris que son bras droit avait contracté le virus et qu’il était hos­pitalisé. Dans les jours qui ont suivi, trois autres de ses colistiers ont été hospitalisés, dans un état sérieux. Tous positifs au Covid­19. Puis Chafia Zehmoul a présenté à son tour des symptômes légers, fatigue et courbatures.

Quand la candidate pense à cettejournée électorale, à la tournée destrente bureaux de Saint­Fons qu’elle et ses colistiers ont effec­tuée, elle est prise de vertige. « On a fait une belle campagne, j’ai été encontact avec toute la ville, résume­t­elle. Si on avait su assez tôt les ris­ques qu’on encourait, on aurait faitdifféremment. » Chafia Zehmoul a pris contact avec un avocat lyon­nais, Me Hervé Banbanaste, pour une possible suite judiciaire.

solenn de royer,yves tréca­durand,

gilles rofet richard schittly

d’une mission d’information sur la gestion de l’épidémie, qui de­vrait être présidée par le présidentde l’institution, Richard Ferrand, proche d’Emmanuel Macron. Cette mission, qui va contrôlerchaque semaine les mesures pri­ses par le gouvernement, pourraitse doter des prérogatives d’une commission d’enquête. Une ma­nière de couper l’herbe sous le pied à l’offensive des oppositions.

Déjà, les premières poursuites seprofilent. Le 24 mars, un patient atteint du Covid­19 a porté plainte contre X pour « entrave aux mesu­res d’assistance » devant la Cour de justice de la République (CJR), seule instance habilitée à juger desactes commis par des membres dugouvernement dans l’exercice de leurs fonctions. En cause : la sup­

« Certains veulent nous

punir alors quenous devons

agir », s’agace unproche du chef

de l’Etat

« Il me semblaitévident que le gouvernement

aurait dû annulerle vote »

ANNABEL BERARDréférente des Jeunes avec Macron, dans les

Bouches-du-Rhône

« Il faut s’attendre à une

déferlante de plaintes contre

l’Etat », reconnaîtun membre du

Conseil nationaldes barreaux

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Page 7: Le Monde - 27 03 2020

0123VENDREDI 27 MARS 2020 coronavirus | 7

Epidémie, grèves, E3C… l’« année noire » des lycéensLe calendrier scolaire a été particulièrement perturbé pour les élèves, notamment ceux de première

O n est gâtés, cette an­née ! » Laura (le pré­nom a été modifié) enrigolerait presque au

bout du fil. Cette élève de 1re au ly­cée Théophile­Gautier de Tarbes est confinée, comme 12,7 millions d’élèves français, depuis le 13 mars et jusqu’à une date inconnue – au moins jusqu’au 4 mai, a prévenu le ministre de l’éducation natio­nale, Jean­Michel Blanquer. Pour Laura, le confinement n’est que le dernier rebondissement d’une an­née déjà riche en difficultés.

En septembre 2019, les élèves de1re et leurs professeurs ont en ef­fet expérimenté le nouveau lycée,où des matières « de spécialité » remplacent les séries S, ES et L de la voie générale. Au programme, « groupe classe » éclaté, nou­veaux programmes, nouvelles épreuves… : « On a commencé l’année de 1re en ayant l’impressiond’arriver à la fac », dit Laura.

Et alors que les lycéens com­mençaient à trouver leurs mar­

ques, le mouvement de grève con­tre la réforme des retraites, à par­tir du 5 décembre, a fait « sauter les cours ». Et encore, Laura se dit chanceuse : les nouvelles épreu­ves communes de contrôle con­tinu (E3C) du bac, perturbées dansde nombreux établissements en­tre janvier et mars, se sont dérou­lées sans encombre dans son ly­cée. Isabelle, la mère d’une élève de 1re scolarisée à Sète (Hérault), qui a souhaité garder l’anonymat, est moins nuancée. « Entre le 5 dé­cembre et la fin janvier, le profes­seur de SVT n’a pas fait cours, ex­plique­t­elle. Au retour des vacan­ces de février, ça a commencé à aller mieux… Et maintenant, le co­ronavirus. L’année est pliée. »

Entre les grèves et la perturba­tion des E3C, beaucoup d’ensei­gnants se disaient déjà en retard sur le programme – en particulierpour les 1re : « Jusqu’au confine­ment, les terminales ont eu une année normale », souligne Phi­lippe Vincent, du Syndicat natio­

nal des personnels de direction de l’éducation nationale (SNPDEN). Un enseignant d’his­toire du lycée Jean­Jacques­Rous­seau, à Sarcelles (Val­d’Oise), ditainsi avoir fait « trois thèmes sur cinq » avec ses élèves de spécialité histoire. Les « multiples perturba­tions » sont venues, selon lui, s’ajouter à « la difficulté normale » de s’emparer d’un nouveau pro­gramme. Avec l’enseignement à distance, « avancer devient plus délicat, car nous n’avons aucun moyen de vérifier que les élèves

nous suivent », ajoute­t­il inquiet. De plus, tous n’appliquent pas lamême doctrine face au confine­ment : certains enseignants sou­haitent finir le programme,d’autres, soucieux de ne pas « creuser les écarts », misent sur les révisions et la méthodologie.

La mise en place pour le moinschahutée de la réforme du lycéesera probablement « absorbée,mais les élèves de 1re, eux, ne viventcette année­là qu’une seule fois », déplore Stéphane Crochet, du SE­UNSA. Peut­on pour autant parlerde génération « sacrifiée » ? A ce stade de l’année, les acteurs de l’école veulent éviter d’inquiéter « un peu plus » les élèves et leurs parents. « Je suis d’accord pourparler d’année noire, mais pas d’année blanche, tempère M. Cro­chet. Malgré les difficultés, les élè­ves ont travaillé et progressé dans les apprentissages. »

Les lycéens redoutent en outrele déroulement de la fin d’année : un peu partout, des oraux blancs

de français, prévus en avril, ont étéannulés, une deuxième session des E3C était programmée dès la mi­mai… Les révisions en autono­mie à la maison n’en sont que plusdifficiles : « On se doute que le bac va être aménagé, et ça n’aide pas à rester concentré », dit Antoine, en terminale S au lycée Hélène­Bou­cher, à Paris (20e).

Baccalauréat de Mai 68De nombreuses familles oscillent ainsi, se disant que l’institution fera « forcément » preuve d’indul­gence. « On hésite entre la volonté d’accompagner son enfant dans la préparation de l’examen, et la certi­tude que le bac sera allégé », ré­sume Laurent Cusey, le père de Jeanne, en 1re au lycée Alfred­Kast­ler de Guebwiller (Haut­Rhin).

La date et la nature des épreuvesdu baccalauréat devraient être précisées d’ici « une dizaine de jours », a déclaré Jean­Michel Blanquer, lors des questions au gouvernement, mercredi 25 mars.

Cette « année noire » aura­t­elledes conséquences de long terme sur le parcours des lycéens ? Un seul épisode ressemble – deloin – à celui qu’ils sont en train de vivre : les événements de Mai 68, qui avaient débouché surun baccalauréat réduit aux seu­les épreuves orales, et ouvert lesportes de l’enseignement supé­rieur à une génération d’étu­diants qui y ont plutôt bien réussi, selon une étude publiée, en 2005, par les économistes EricMaurin et Sandra McNally. « Maisle moment actuel est différent,tempère l’historien de l’éduca­tion Bruno Poucet. Pendant unegrève, les élèves peuvent conti­nuer à se voir et à échanger entre eux. Le confinement, c’est encoreautre chose. » Les enseignants s’interrogent en particulier à pro­pos des élèves les plus fragiles, ceux qui auront le plus de mal à « se remettre » des semaines de cours manquées.

violaine morin

La date et la nature des

épreuves du bacdevraient être précisées d’ici« une dizaine

de jours »

Des « locations » gratuites pour les soignantsA la demande du ministère du logement, Airbnb a lancé un appel à ses hôtes

J ohanna Filipps, infirmière, vapouvoir s’installer gratuite­ment, pendant quinze jours,dans un grand six­pièces, à

quinze minutes de marche de l’hôpital Lariboisière, à Paris, oùelle vient d’être appelée en ur­gence. Elle arrive de Strasbourg etdevait prendre ce poste mi­avril, mais l’épidémie de Covid­19 l’oblige à anticiper sa venue de quinze jours, sans solution de lo­gement temporaire. C’est à l’initia­tive de la conciergerie Check­myguest, gestionnaire d’apparte­ments destinés aux touristes et unpeu désœuvré depuis le confine­ment mondialisé, qu’une cen­taine de propriétaires ont acceptéde mettre gratuitement leurs biens à disposition des personnelsmédicaux et des soignants, à qui ilsera simplement demandé de pré­senter leur carte professionnelle.

« Nombre d’internes sont ainsiappelés d’une région à l’autre, sur­tout en Ile­de­France, où nous avons recensé quarante­huit hôpi­taux demandeurs. Beaucoup en Seine­Saint­Denis ou en Seine­et­Marne, à Fontainebleau, Marne­la­Vallée, Meaux, Melun, et aussi à Créteil, indique Frédérique Hage, déléguée générale de l’Intersyndi­cale nationale des internes (ISNI). Les transports en commun étant auralenti, nous sommes très intéres­sés par ces appartements proches des établissements. » Pour consa­crer la plus grande place possible à l’accueil des malades, les hôpitauxfranciliens ont, en outre, sup­primé des espaces de repos habi­tuellement réservés au personnel.

Noémie, infirmière à Boulogne­Billancourt (Hauts­de­Seine), a écourté son congé de maternité pour renforcer les équipes de l’unité Covid­19 à l’hôpital Am­broise­Paré et bénéficiera gratui­tement, pendant au moins quinzejours, d’un deux­pièces tout pro­che : « Elle va travailler douze heu­res sur vingt­quatre, et il n’est pas question qu’elle rentre chaque soir à Saint­Quentin [Aisne], où nous venons d’acheter une grande mai­son », explique Patrick, son époux,qui, pendant ce temps­là, s’occupedes trois enfants.

En l’absence de touristes, desmilliers d’appartements se trou­vent d’un coup disponibles pour loger les travailleurs. A la demandedu ministre du logement, Julien

Denormandie, le site de locations touristiques Airbnb a, mardi 24 mars, lancé un appel à ses 400 000 hôtes, dont 60 000 Fran­ciliens : mercredi 25 au soir, 2 700 yont répondu favorablement dans toute la France et proposent leur logement sur la plate­forme Ap­part Solidaire. Les annonces s’adressent non seulement aux personnels hospitaliers – 230 mé­decins et soignants se sont déjà manifestés –, mais aussi à ceux desEhpad et aux travailleurs sociaux des centres d’hébergement.

PAP, les hôtels Accor aussiA Lyon, Aurélie Anjolras, hôte Air­bnb propriétaire de plusieurs ap­partements, accueille, depuis le 18 mars, dans le Vieux­Lyon, un soignant qui peut facilement se rendre à l’hôpital de la Croix­Rousse, à quelques minutes de voiture : « Je suis cadre de santé, an­cienne infirmière des hospices civilsde Lyon, et très sensible à la situa­tion des hospitaliers. Avec la com­munauté des hôtes Airbnb de Lyon, nous sommes mobilisés pour faire ce que nous pouvons, et d’autres communautés ont embrayé. »

Sans attendre l’appel du gouver­nement, le site d’annonces Parti­culier à Particulier (PAP) a égale­ment mobilisé son réseau de pro­priétaires et d’annonceurs, parve­nant à collecter, en quelques heures, 420 propositions – 80 dansParis intra­muros – dont un tiers de studios, un autre de deux pièceset le reste d’appartements plus vastes. « Il s’agit de logements en at­tente d’un locataire ou d’une vente, voire des domiciles propres d’an­nonceurs absents, détaille Corinne Jolly, directrice de PAP, première surprise du succès de cette opéra­tion. Nous avons mis au point un contrat de location meublée court, de quinze jours renouvelables, avec un loyer fixé à zéro euro. »

Enfin, le groupe hôtelier Accor aaussi mis une quarantaine de ses hôtels « au service du personnel soignant, de tous les Français enga­gés et mobilisés dans la lutte contrela propagation du Covid­19 et des populations les plus vulnérables », précise son communiqué du 24 mars, soit 1 000 à 2 000 lits sur toute la France, toutes marques confondues, de la plus économi­que à la plus luxueuse.

isabelle rey­lefebvre

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8 | coronavirus VENDREDI 27 MARS 20200123

les différentes régions autono­mes, où l’épidémie s’est plus oumoins étendue.

En attendant ces renforts maté­riels, les médecins se plient à l’urgence le cœur fendu par la détresse de patients isolés, quisont « nos pères, nos grands­pè­res, nos grands­oncles », souligneM. Perez Molina, faisant écho à lasouffrance d’un pays qui chéritparticulièrement les anciens.Lors de leur travail quotidien dedésinfection des établissementscritiques, les militaires mobilisésont découvert, mardi, despersonnes âgées décédées duCovid dans leur lit, abandonnéesdans leur chambre. Dans la mai­son de retraite d’Usera, dans le sud de la capitale, les responsa­bles du centre ont expliqué at­tendre du personnel médicalafin de transférer un cadavre avec le matériel de protection adéquat… Dans d’autres résiden­ces, le personnel aurait carré­ment déserté les lieux.

Il est 20 heures, ce mercredi, etcomme tous les soirs, Madridrésonne de tonnerres d’applau­dissement. C’est l’hommage aupersonnel soignant et à tous ceux qui rendent la vie possibleen ces tristes temps de confine­ment. Comme en France ou enItalie. Puis c’est toujours lemême vieux tube kitsh des an­nées 1980 du groupe Duo Dina­mico qu’un voisin met à fond surson poste : Resistiré (« Je résiste­rai »). C’est devenu en quelquessoirs l’hymne de l’épidémie, quetous entonnent à s’en époumo­ner. Pour clamer son espoir et son courage, au fil de jours dedeuil.

sandrine morel

Madrid, capitale martyre d’une Espagne endeuilléeLa pandémie avait fait 3 434 morts, mercredi, plus qu’en Chine, dont plus de la moitié dans la région­capitale

madrid ­ correspondante

M ercredi 25 mars ausoir, 300 maladesdu Covid­19 avaientdéjà été transférés

dans le pavillon 5 du parc des ex­positions de Madrid. Des dizaines de lits, avec leurs bonbonnes d’oxygène individuelles, y ont été installés en quelques jours, sépa­rés les uns des autres par des cloi­sons modulables blanches. Un pe­tit laboratoire et du matériel de ra­diologie portable complète les lieux. A la fin de la semaine, 1 300 lits devraient être opération­nels dans trois pavillons, dont 96 destinés aux soins intensifs. « No­tre rôle est de désengorger tous les hôpitaux de la région », expliqueEduardo Lopez Puertas, le direc­teur général de l’Ifema, gestion­naire du complexe. A terme, le sitepourra accueillir 5 500 malades, s’il le faut, si le pire se confirme.

L’aménagement en catastrophede cet hôpital de campagne, dans ce lieu d’ordinaire emblématique du dynamisme de la capitale es­pagnole, donne une idée de l’ur­gence à laquelle est confronté le pays. Depuis que l’aménagement du parc des expositions a com­mencé, vendredi 20 au soir,38 000 m2 de PVC ont été déployéspour fabriquer un sol nettoyable, 15 km de câbles sanitaires en cui­vre, installés, ainsi que 5 000 pri­ses d’électricité. Trois camions­ci­ternes d’oxygène liquide station­nent sur d’immenses parkingsdésertés. L’armée, en première li­gne dans la capitale martyre, aaménagé douches et sanitaires dans des conteneurs et aidé au montage des lits, avec du person­nel dépêché par les services d’ur­gences madrilènes.

A 2 km de là, c’est la patinoireolympique de 1 800 m2 du Palacio de Hielo qui a été transformée en morgue géante, et l’armée, elleencore, réquisitionnée pour assu­rer le transfert des cadavres. Lundi, le maire de Madrid, José Luis Martinez Almeida avait bien fait comprendre que la ville étaitdébordée : faute de matériel de protection adéquat de son per­sonnel, il a suspendu, l’espace d’une journée, le travail des servi­ces funéraires municipaux qui s’activaient sans relâche. « Nousfaisons face à plus de 150 morts par jour », a­t­il annoncé.

Des médecins de l’armée appelésL’Espagne a encore battu un tristerecord, ce mercredi, avec 47 610 cas de Covid­19 confirméset 3 434 morts. Désormais plusque la Chine. En vingt­quatre heu­res, 738 décès supplémentaires ont été comptabilisés. Plus que l’Italie en l’espace d’une journée. A la différence qu’au sud des Pyré­nées c’est la capitale, centre dupouvoir politique et économique,qui est la plus touchée, avec 1 825 décès, parmi lesquels l’an­cien président du Real Madrid Lo­renzo Sanz, et plus de 11 000 per­sonnes hospitalisées, comme l’ex­haut représentant de l’Unioneuropéenne, Javier Solana.

Mercredi, les habitants de la ré­gion ont aussi appris qu’unenouvelle résidence pour person­nes âgées, cette fois dans le quar­tier bourgeois de Chamartin, dans le nord de la capitale, a étéravagée par l’épidémie, avec vingt­cinq pensionnaires décé­dés et une cinquantaine de per­sonnes infectées. A tel point que

la direction a appelé l’armée à l’aide pour qu’elle envoie des mé­decins reprendre en main unfoyer d’épidémie devenu incon­trôlable. Encore un.

Ni Madrid et ses 6,6 millionsd’habitants ni l’Espagne dans son ensemble n’étaient prêts pour faire face à une pandémie. C’est le25 février qu’a été détecté le pre­mier cas de Covid­19 dans la capi­tale, sur un homme de 24 ans re­venu d’un voyage en Italie. Per­sonne n’y a fait vraiment atten­tion. Le 3 mars survient le premier décès madrilène, le troi­sième du pays : une femme de 99 ans dans une résidence pourpersonnes âgées.

Le virus, en réalité, circulait de­puis quelques semaines, à l’insu de tous. Cependant, la région n’aréagi que le lundi 9 mars au soir,en s’apercevant que, durant leweek­end, les nombres de cas etde morts avaient triplé. La veille encore, des dizaines de milliersde personnes avaient défilé dansles rues pour la Journée desdroits des femmes. Les écoles ontfermé le mercredi 11 mars. Puis legouvernement de Pedro Sanchez(socialiste) a décrété le confine­ment général le 14 mars. Troptard, estiment à présent beau­coup d’Espagnols.

« Le virus nous a pris par sur­prise, en avançant masqué, en se transmettant par des malades lé­

gers ou asymptomatiques, ré­sume José Antonio Perez Molina,médecin infectiologue de l’hôpi­tal Ramon y Cajal. Lui­même est confiné depuis lundi après avoirété infecté, comme plus de 5 000 autres soignants espagnols. « Lesystème de santé a été abîmé par les coupes budgétaires appliquées durant la récente crise économi­que. Nous avons manqué d’inves­tissements dans la santé et le per­sonnel ces dernières années. Il est temps d’en prendre soin, et que les politiques le voient comme un in­vestissement, pas comme une dé­pense », ajoute­t­il.

Besoin de respirateursPour le moment, le manque de matériel est criant. Des médecinsen sont réduits à se fabriquer descombinaisons avec des sacs­pou­belles. « Actuellement, dans la salle d’attente des urgences, on compte 268 patients pour unecapacité de 90, assure Luis Iz­quierdo, médecin urgentiste del’hôpital Severo Ochoa de Lega­nes, dans la banlieue de Madrid,au téléphone. Certains ont passé toute la nuit assis sur une chaiseen plastique, et nous avons 202 patients qui attendent unechambre et qui doivent être trans­férés vers d’autres centres, ainsi qu’une surcharge physique et émotionnelle difficile à gérer faceà cette tragédie. »

Par­dessus tout, Madrid a be­soin de respirateurs artificiels, même si la pénurie en la matièrene semble pas être la seule raisonqui oblige à faire des choix dou­loureux, à en croire les profes­sionnels interrogés. « Dans denombreux cas, nous préférons ne pas entuber certains malades, trèsâgés, avec des antécédents médi­caux et une faiblesse pulmonaire, dont nous savons à l’avance que l’on ne pourra pas les désentuber et que cela ne servirait qu’à pro­longer leurs souffrances… », expli­que une médecin sous le couvertde l’anonymat.

Dans cette lutte de tous les ins­tants contre le virus, de nouvel­les mesures sont prises chaque jour pour augmenter les capaci­tés de prise en charge du systèmede santé régional. « Nous avons dédoublé les chambres indivi­duelles de onze unités de soin »,résume Almudena Santano, di­rectrice de l’infirmerie de l’hôpi­tal Puerta del Hierro, dans lenord de Madrid, où plus de 500patients atteints du Covid­19

sont hospitalisés. Plus de 260 litsde plus ont ainsi été ouverts,dont une trentaine en soin inten­sif. « Et nous sommes sur le point d’ouvrir un hôpital annexe de2 000 m2 avec cent lits supplé­mentaires dont 22 pour patientscritiques. » Dans toute la région,des centaines de professionnelset d’étudiants en médecine ontaussi été recrutés, pour faire faceà l’ampleur de la contagion. Maisaussi pour remplacer les centai­nes de soignants infectés. Endeux semaines, le nombre de litsen réanimation a été triplé, pas­sant de 500 à 1 500. Près de 4 000 lits hospitaliers de plusont été ouverts (+ 25 %), et onze hôtels ont été médicalisés pour accueillir les malades en voie de rémission. « Nous sommescomme des militaires : nous allonsoù on a besoin de nous, quand on nous le dit », résume une urolo­gue madrilène âgée de 50 ans quipréfère conserver l’anonymat. C’est comme si une bombe nu­cléaire était tombée sur la ville. »

De toute façon, fini les spéciali­tés médicales en ce moment.« Nous sommes tous réquisition­nés pour du travail d’internes,parce que les hôpitaux sont rem­plis de patients atteints du Co­vid­19, explique cette urologue. J’ai vécu les coupes dans la santépublique. On a baissé mon salaire. Malgré tout, la santé espagnole reste très bonne et complète, avec une couverture totale de la popu­lation espagnole et étrangère. En réalité, aucun système de santé n’est préparé à tant de malades dans un état grave, ayant besoin de soins intensifs. »

Le cœur fenduL’aménagement du parc des ex­positions ne résoudra pas tout. Larégion en a conscience. Elle se bat pour trouver du matériel sani­taire sur les marchés internatio­naux, en attendant que le contrat scellé par le ministère espagnol de la santé avec des fournisseurs chinois apporte, comme promis,550 millions de masques chirur­gicaux, FPP1 et FPP2, durant les huit prochaines semaines, 5,5 millions de tests rapides, 11 millions de paires de gants ou encore 950 respirateurs artifi­ciels, qu’il faudra répartir entre

En haut, le parc des expositions de Madrid sert dorénavant d’hôpital, le 21 mars. Ci­dessus, l’entrée du Palais des glaces, transformé en morgue,le 23 mars. COMUNIDAD DE MADRID ; PIERRE-PHILIPPE MARCOU/AFP

« Nous sommescomme des

militaires… C’estcomme si une

bombe nucléaireétait tombée surla ville », résume

une urologue madrilène

C’est le 25 févrierqu’a été détecté

le premier cas. Levirus, en réalité,circulait depuisdes semaines, à l’insu de tous

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Page 9: Le Monde - 27 03 2020

0123VENDREDI 27 MARS 2020 coronavirus | 9

Retour progressif à la normale après la fin du confinement au HubeiLes 11 millions d’habitants de Wuhan ne seront autorités à se déplacer que le 8 avril

pékin, shanghaï ­ correspondants

A près deux mois de confi­nement total, la provincedu Hubei, épicentre du

Covid­19, renaît progressivement à la vie. Depuis le mercredi 25 mars, les 56 millions d’habi­tants de cette province sont à nouveau autorisés à sortir de chezeux, à travailler et à se rendre ailleurs en Chine, hormis les 11 millions d’habitants de Wuhan,la capitale. Ceux­ci ne seront auto­risés à se déplacer que le 8 avril. A l’exception notable, également, de ceux qui habitent Pékin.

Si des habitants du Hubei ont purejoindre la capitale mercredi – leur retour a d’ailleurs été très médiatisé –, de nombreux Péki­nois qui étaient retournés pour le Nouvel An lunaire dans leur fa­mille du Hubei fin janvier ne sonttoujours pas autorisés à rentrer. Ala fois parce que les trains sont pris d’assaut – les lignes aérien­nes ne sont pas rouvertes – et parce que la capitale entend maî­triser leurs retours. Ces Pékinois originaires du Hubei devront d’ailleurs faire une quatorzaine à leur domicile dans la capitale avant de reprendre toute vie so­ciale. Dernière restriction : pourpouvoir sortir du Hubei – ou poury entrer –, il faut télécharger une application avec un code QR déli­vré par les autorités indiquant, avec un code couleurs, en fonc­tion du niveau de risque supposé du titulaire, si celui­ci est autorisé à se déplacer ou non.

Si un certain triomphalisme aété perceptible lors de la visite symbolique, le 10 mars, du prési­dent Xi Jinping à Wuhan – cette ville où le Covid­19 a tué au moins 2 500 personnes –, les autorités semblent désormais plus pruden­tes. D’ailleurs, mardi 24 mars, Wu­han a connu son premier cas con­firmé de coronavirus en cinq jours. Un médecin gastro­entéro­logue de 29 ans a été admis à l’hô­pital avec une fièvre légère et d’autres symptômes, rapporte le site d’informations économiques Caixin. Il avait traité un patient asymptomatique dans une clini­que le 18 mars, avant que ce patientne soit lui­même testé positif.

Le cas des patients asymptoma­tiques est de plus en plus débattu en Chine, alors que les provincesne déclarent quasiment plus aucun cas de transmission locale. La plupart des cas sont désormaisimportés de l’étranger. Après avoir changé plusieurs fois de mode de calcul, la Chine a décidé, début février, d’exclure de son dé­compte les cas positifs aux tests mais asymptomatiques. Pour­tant, l’Organisation mondiale dela santé définit les cas de Covid­19comme ceux testés positifs, quelle que soit leur situation cli­nique. Beaucoup de pays, dont laFrance, n’ont cependant pas lesmoyens de tester les patients asymptomatiques.

D’après le quotidien hongkon­gais South China Morning Post, quicite des informations classifiées du gouvernement chinois, le

nombre de ces patients positifs mais exclus des statistiques chi­noises s’élève à 43 000, alors que laChine a déclaré 81 966 cas. Wuhan continue d’enregistrer plus d’une dizaine de nouveaux cas asympto­matiques par jour que la ville ne déclare pas, a également révélé Caixin. La Chine prend cependant la précaution d’isoler ces person­nes pendant quatorze jours et en­quête sur leurs contacts récents. Ces nouveaux cas sont découvertsparmi les contacts de cas confir­més et parmi les employés des centres de confinement mis en place pour isoler les patients et leurs proches, d’après un membre de l’équipe de prévention et de contrôle des maladies infectieusesde Wuhan, cité par Caixin.

Face aux doutes suscités par desrumeurs de nouveaux cas à Wu­han, alors que la ville n’en décla­rait aucun, le premier ministre, Li Keqiang, a appelé les responsableslocaux à « chercher la vérité dans les faits » et à se montrer « ouverts et transparents » : « Cela veut dire qu’un nouveau cas doit être rap­porté dès qu’il est découvert. Il nedoit pas y avoir de dissimulation,ou de sous­déclaration », a­t­il mis en garde lors d’une réunion dont le contenu a été rendu public mardi 24 mars. La Commission nationale de la santé dit vouloir « se prémunir contre des cas de Co­vid­19 importés et un rebond de l’épidémie en interne ».

« Risque d’incidents »Selon l’agence de presse japo­naise Kyodo, un centre de ré­flexion chinois très proche du Parti communiste a récemment remis une note aux dirigeants les mettant en garde contre des ten­sions qui pourraient apparaître à Wuhan après le 8 avril, notam­ment si la population a le senti­ment que des informations ontété dissimulées sur le nombre dedécès ou sur des négligences des autorités. « Il y a un risque que seproduisent des incidents à grandeéchelle », indiquerait le rapport. L’écrivaine Fang Fang, qui vit à Wuhan et qui, depuis le début duconfinement, tient un blog de­venu célèbre, a mis fin à celui­ci le24 mars. Elle estime que vouloir tourner la page et faire oublier toute cette période risque d’être perçu comme une « humiliation » par la population.

D’ailleurs, si le Hubei s’ouvre, Pé­kin – et dans une moindre mesureShanghaï – continue d’appliquer des contrôles très sévères pour les déplacements de population. Toutavion venant de l’étranger fait uneescale médicale dans une ville de province avant de repartir pourPékin. Les passagers sont astreintsà des quarantaines dans des lieux assignés. Tous doivent passer un test à l’acide nucléique. Si les Péki­nois ne sont pas confinés à leur domicile, ils doivent montrer un laissez­passer pour entrer ou sor­tir de chez eux. Or, dans certaines résidences, il n’y a qu’un laissez­passer par foyer. Si les commerces ouvrent peu à peu, nombre de res­taurants se contentent encore de faire des livraisons à domicile. Les écoles restent fermées et ne de­vraient rouvrir que courant avril.La vie en Chine est loin d’avoir re­trouvé son cours d’avant.

frédéric lemaître etsimon leplâtre

Poutine retarde sa réforme constitutionnelleLe président russe a ajourné, en raison de la pandémie, le vote populaire prévu le 22 avril

moscou ­ correspondant

F ace à l’aggravation de lapandémie de Covid­19 enRussie, Vladimir Poutine a

annoncé, mercredi 25 mars, le re­port du « vote populaire » prévu le22 avril sur une réforme de la Constitution. Une nouvelle date sera fixée après consultation des médecins, a indiqué le présidentrusse, qui a également annoncé que la semaine du 30 mars serait chômée dans le pays, « avec main­tien du salaire ». « Le plus sûr, en cemoment, est de rester à la mai­son », a­t­il plaidé, sans annoncer de mesures strictes de confine­ment. Les cafés et les parcs seront toutefois fermés.

Cette consultation – il ne s’agitpas formellement d’un référen­dum – devait valider une modifi­cation de la Constitution permet­tant au chef du Kremlin de rester au pouvoir après 2024, en « remet­tant à zéro » le nombre de man­dats déjà effectués. « Vous savezavec quel sérieux je considère cesujet, a dit M. Poutine. Mais notre priorité absolue est la santé, la vie et la sécurité de nos citoyens. »

L’annonce de ce report s’estfaite dans un cadre très solennel,diffusée sur plusieurs chaînes detélévision en même temps. Le

président russe s’exprimait aussipour la première fois en lon­gueur au sujet de la pandémie deCovid­19. « Grâce aux mesures que nous avons prises, nousavons, dans l’ensemble, réussi àéviter une diffusion trop impor­tante de la maladie », s’est­il féli­cité, avant de mettre en garde :« Ce qui se passe en Europe ou del’autre côté de l’océan [aux Etats­Unis] peut devenir notre réalitédans un avenir proche. »

Demi-surpriseCette intervention du présidentrusse et la décision de reporter levote du 22 avril interviennentaprès la communication d’unnouveau bilan par les autoritéssanitaires, mercredi 25 mars.Celui­ci montre l’augmentationla plus forte en une journée, avec163 nouvelles contaminations,pour un total atteignant désor­mais 658 cas.

Cette annonce est aussi unesuite logique aux déclarations, mardi, du maire de Moscou,Sergueï Sobianine, qui est égale­ment à la tête du groupe de tra­vail mis en place par le Kremlinpour lutter contre la pandémie.M. Sobianine avait reconnu queles chiffres de contaminations étaient « significativement plus

élevés » que les cas officiellementrecensés. Cet aveu ne constituaitqu’une demi­surprise, tant les si­gnaux inquiétants s’accumu­laient ces derniers jours, depuisl’explosion du nombre de « pneu­monies » dans le pays jusqu’à la transformation en centres desoins d’établissements de santécomme des maternités. La qua­lité et la quantité des tests pro­duits en Russie sont également au cœur de discussions entre les spécialistes.

Le discours de Vladimir Pou­tine constitue malgré tout le si­gne d’un changement de straté­gie. Il y a encore une semaine, leprésident assurait que la situa­tion était « sous contrôle ». Desmesures de soutien aux retraités,aux entreprises et aux famillesnombreuses ont également étéannoncées mercredi.

Les autorités russes ont pris, dèsle début du mois de février, des mesures strictes de contrôle et de fermeture des frontières, mais el­les rechignent à imposer un ra­lentissement trop brusque à l’éco­nomie. Si les événements cultu­rels et publics ont été annulés et les écoles fermées, aucune me­sure de confinement généralisé n’a été prise. A Moscou, seules les personnes âgées de plus de 65 ans

ont pour consigne de rester chezelles. Selon plusieurs sources ci­tées dans la presse russe, c’est dé­sormais la tenue de la parade du 9 mai, à l’occasion des soixante­quinze ans de la victoire sur le na­zisme, qui est en discussion. Une annulation serait un autre coupdur pour le Kremlin.

Pas de confinement généraliséLe « vote populaire » du 22 avrilétait attendu comme un moment majeur de la vie politi­que russe, permettant de clore la séquence constitutionnelleouverte le 15 janvier par VladimirPoutine. A l’époque, le présidentavait évoqué la soif de « change­ments » des Russes et fait la pro­messe de donner davantage de pouvoir au Parlement.

Le texte soumis aux électeursentérine au contraire un renfor­cement des pouvoirs du prési­dent, agrémenté de référencesconservatrices comme la « foi enDieu » ou l’interdiction du ma­riage entre personnes de mêmesexe. L’ajout du point le plus im­portant, la « remise à zéro » desmandats effectués par VladimirPoutine, est survenu au derniermoment, le jour même du votedu texte par le Parlement.

benoît vitkine

La générosité très intéressée de la Chine et de la Russie pour l’ItalieLa propagande de Pékin et de Moscou agace les dirigeants européens

pékin ­ correspondant

C’ est de bonneguerre, serait­ontenté de dire. L’aideapportée par plu­

sieurs pays à l’Etat italien, l’un des plus meurtris par la pandé­mie de Covid­19, a été abondam­ment relayée en images, tels cescinquante­deux médecins et in­firmiers cubains dépêchés par La Havane, filmés à peine débar­qués, le 22 mars, avec drapeaudans une main et portrait géantde Fidel Castro dans l’autre.« Nous devons accomplir notremission révolutionnaire », diramême l’un d’eux, cité par RadioFrance internationale, alors quel’île caribéenne manque cruelle­ment de moyens.

Pour d’autres, comme la Chineet la Russie, la solidarité a pris desallures de propagande, au pointque le chef de la diplomatie euro­péenne, Josep Borell, s’en estému. Evoquant « non une guerremais des batailles à mener »,sanitaire et économique, contrele coronavirus, le haut représen­tant de l’Union européenne pourles affaires étrangères et lasécurité en a ajouté une nouvelle,lundi 23 janvier, sur le front desinformations. « Nous devons êtreconscients qu’il existe unecomposante géopolitique, y com­pris une lutte pour l’influence et lapolitique de générosité, a­t­ilaffirmé. Armés de faits, nous devons défendre l’Europe contreses détracteurs. »

Panda en peluche à la mainLe même jour, la Chine mettait enscène l’envoi de 100 000 masqueset 50 000 tests de dépistage à des­tination de l’Italie, renvoyés aprèsun désastreux épisode de détour­nement d’une première cargai­son en République tchèque.

Dès le 12 mars, le premier envoien Italie de médecins et d’infir­miers du Sichuan, vêtus de blou­sons rouges et portant un panda en peluche à la main, faisait la « une » des journaux en Chine. De­

puis, chaque jour, Le Quotidien du peuple, journal officiel du Parti communiste chinois (PCC), rend compte des coups de téléphone passés entre Xi Jinping et des chefsd’Etat étrangers, notamment européens. Le dirigeant chinois aainsi évoqué, lors d’une conversa­tion avec le président du Conseil italien, Giuseppe Conte, le 16 mars,un nouveau concept de son pha­raonique projet d’investissementsbaptisé les « routes de la soie », en lui adjoignant une épithète : les « routes de la soie de la santé ».

Dans la soirée du 24 mars, rap­portait encore le quotidien Global Times, le président chinois a affi­ché son soutien à la Pologne, pays qui entretient des liens étroits avec les Etats­Unis. Avec son ho­mologue polonais, Andrzej Duda, Xi Jinping a annoncé cette fois l’or­ganisation d’une vidéoconférenced’experts de la santé avec dix­sept pays d’Europe centrale et orientalepour partager des « mesures perti­nentes » sur la prévention et la lutte contre les épidémies.

Toute l’aide chinoise fournie,pas seulement en Italie donc,mais aussi dans d’autres payscomme la Serbie, où le présidentVucic a remercié « la Chine qui nous sauve », sont ainsi mises en valeur. Les déclarations de la chancelière allemande, Angela Merkel, du 17 mars, selon laquelle la Chine ne fait que renvoyer l’as­censeur – « ce que nous voyons ici, c’est de la réciprocité » –, n’ont, el­les, pas été reprises par la presse

chinoise, trop occupée à expli­quer que « le modèle chinois contre le virus » est une « solutionpour le monde ».

La promotion de l’aide maté­rielle n’est en effet pas seule enjeu. Désormais, alors que la villede Wuhan, épicentre de la pandé­mie en Chine, s’apprête à célé­brer le 8 avril la fin des restric­tions pour sa population, c’est« l’exemple chinois » qui prend le relais. Les mesures radicalesprises par Pékin pour endiguer lapropagation du coronavirus fonten effet l’objet d’une campagnegrandissante sur le thème « nousavons vaincu ».

En parallèle, cependant, Pékindiffuse à travers son réseau d’am­bassades d’autres messages moins sympathiques… Ainsi, piquée sur le compte Twitter de lachancellerie chinoise en France, la thèse d’un virus d’origine amé­ricaine, consécutive à des « es­sais » de pandémie sur une base,est­elle revenue sur le tapis.« Deux mois plus tard, le premier cas de Covid­19 a été confirmé à Wuhan », peut­on lire sur le site del’ambassade. Cette agressivité de la presse et des diplomates chi­nois, qui n’hésitent pas à expli­quer qu’en fait le virus a été im­porté en Chine par l’armée améri­caine, répond pour partie au pré­sident américain, Donald Trump, traité de « raciste » depuis qu’ils’obstine à qualifier le SARS­CoV­2de « virus chinois ».

« From Russia with love »La Russie s’est elle aussi mise surles rangs. Bien que l’épidémiesemble se répandre sur le solrusse – près de Moscou, un nou­vel hôpital est en cours de cons­truction –, le Kremlin soignel’image de sa « politique desolidarité ».

Le ministère russe de la défensediffuse en continu des images del’aide apportée à l’Italie, depuisl’accord conclu entre VladimirPoutine et Giuseppe Conte, le21 mars. Le « quinzième avionIL­76 », transportant de l’équipe­

ment s’est posé sur la base militaire italienne située à trentekilomètres de Rome, a ainsiannoncé le QG de l’armée, vidéo à l’appui, mercredi 25 mars.Comme pour les précédents, surchaque carton débarqué et filméen gros plan figure une char­mante étiquette « From Russiawith love ».

Montrée du doigt pour sesbombardements intensifs qui n’ont pas épargné les hôpitauxen Syrie depuis son interventionen 2015 en soutien au régime de Bachar al­Assad, la Russie a saisi l’occasion de montrer une autreimage d’elle­même. « Tout désac­cord politique doit être oubliépour combattre la menace com­mune », soulignait il y a peu lecompte Twitter de l’ambassaderusse au Canada. Avec une pointede regret, une autre notait que « la France n’a pas encore de­mandé l’aide de la Russie ».

Cependant, ici aussi, cette aideest assortie de messages nette­ment moins sympathiques. Mer­credi, Sputnik Italie, le réseau média du Kremlin sur la scèneinternationale, décrivait en ces termes l’acheminement de l’aiderusse à Bergame : « La Russie estlà. Et l’Union européenne [UE] ? »

La veille, le même média affir­mait en plusieurs langues que lesavions russes transportant dumatériel vers l’Italie avaient dûfaire un détour de « 1 000 kilomè­tres » faute d’autorisation de sur­vol du territoire polonais. Cetweet du sénateur russe AlexeïPouchkov était cité : « C’est une bassesse au plus haut sommet del’Etat. D’autant plus que l’aide était destinée à un pays allié de laPologne dans le cadre de l’UE et del’OTAN. » « Mensonge », ont répli­qué les autorités polonaises, aveclesquelles Moscou entretient desrelations tendues. Mais l’affaire s’est emballée, et neuf pays euro­péens ont été par la suite dési­gnés comme ayant fermé leur es­pace aérien à l’aide russe.

frédéric lemaître etisabelle mandraud (à paris)

Les déclarationsd’Angela Merkel,

selon laquelle la Chine ne faitque renvoyer

l’ascenseur, n’ont,elles, pas été reprises par

la presse chinoise

La Chine a déclaré81 966 cas. Mais sont exclus des

statistiques 43 000patients positifs sans symptômes

500 km

CHINE

MONGOLIE

RUSSIE

JAPON

WuhanWuhan

Pékin

Shanghaï

Provincedu Hubei

Hongkong

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Page 10: Le Monde - 27 03 2020

10 | coronavirus VENDREDI 27 MARS 20200123

La crise accentue les divergences entre Américains et EuropéensLors d’une visioconférence du G7, Washington a promu l’expression « virus de Wuhan », contre l’avis de ses partenaires

L es Européens ont eu biendes déceptions, ces der­nières années, avec lesEtats­Unis. La sortie amé­

ricaine de l’accord de Paris sur le climat et de celui sur le nucléaire iranien en sont les exemples les plus criants. Cet éloignement po­litique et affectif, suscité par l’uni­latéralisme méprisant de l’admi­nistration Trump, s’accentue­t­il avec la crise du coronavirus ? Laréunion par visioconférence des ministres des affaires étrangères du G7, mercredi 25 mars, a ali­menté cette impression, aucuncommuniqué n’ayant été publié àson terme. Le secrétaire d’Etat américain, Mike Pompeo, apoussé, seul, pour que soit em­ployée l’expression « virus de Wu­han », pour mettre en cause la Chine. Le ministre français des af­faires étrangères, Jean­Yves LeDrian, a souligné, pour sa part, « lanécessité de combattre toute ins­trumentalisation de la crise à desfins politiques ».

Les Européens ont été heurtéspar la façon dont les Etats­Unis – qui comptabilisaient, mercredi 25 mars, plus de mille morts dus au coronavirus – ont fermé leur espace aérien aux vols en prove­nance de 26 pays de l’espace Schengen. Une décision « prise unilatéralement et sans concerta­tion », ont noté le 12 mars, dans uncommuniqué inhabituel, la prési­dente de la Commission, Ursulavon der Leyen, et le président du Conseil européen, Charles Mi­chel. Le choix d’exclure de cettemesure le Royaume­Uni avaitrenforcé l’idée d’une punition sé­lective, de nature politique.

En outre, l’administration amé­ricaine n’a pas manifesté de soli­darité élémentaire à l’égard de sespartenaires européens. En revan­che, Donald Trump a envoyé unelettre au dictateur nord­coréen Kim Jong­un, comme l’a rapporté Pyongyang, afin de proposer unappui dans la lutte contre la pan­démie. Dimanche 22 mars, Do­nald Trump a confirmé sa main

tendue à la Corée du Nord en ci­tant un autre pays susceptible d’être aidé, l’Iran.

Une chose ne risque pas de con­trarier le président américain : l’ONU a disparu des radars. Seules ses agences, comme l’Organisa­tion mondiale de la santé (OMS) ou le Haut Commissariat aux réfu­giés (HCR), se trouvent en pre­mière ligne, chacune dans son do­maine. La concertation existe ailleurs. Une visioconférence des chefs d’Etat et de gouvernement du G7, présidé cette année par les Etats­Unis, s’est tenue dès le 16 mars, sur proposition de Paris. C’était avant même l’annonce par la Banque centrale européenne (BCE) d’un achat d’obligations de 750 milliards d’euros, avant la sus­pension par l’UE de la règle d’or des3 % maximum de déficit. Le G7 a ouvert la voie à ces mesures hors normes, en se disant prêt à faire « tout ce qui est nécessaire » pour assurer la stabilité mondiale.

Revoir les plans de l’OTANPartage complet des données épi­démiologiques, projets com­muns de recherche… Le commu­niqué était chargé de bonnes in­tentions. Mais aucune réponsecollective n’a été mise en place surdeux points cruciaux : la produc­tion des masques et celle des ap­pareils respiratoires. Seule l’Union européenne a lancé des appels d’offres groupés en ur­gence, pour combler les man­ques. Pour le reste, tout se passe dans des formats bilatéraux, par exemple entre certains Etats membres et la Chine.

Plus grave, Donald Trump a es­sayé de s’assurer les droits exclu­sifs sur les recherches menées parle laboratoire privé allemand Cu­reVac, œuvrant à la mise au point d’un vaccin. Le gouvernement al­lemand s’est opposé à cettemanœuvre. La Commission euro­péenne a offert 80 millions d’euros de crédit pour financer lestravaux de CureVac. La tentative américaine ne passe pas. « Cela va

au­delà de la distanciation et de l’ignorance, souligne l’historien Justin Vaïsse, directeur général duForum de Paris sur la paix. Ce qui différencie Trump d’Obama, on levoit dans cet épisode, c’est une vo­lonté de prédation, de destruction, de division de l’Europe. »

Le Forum sur la paix est une ini­tiative de la France. Lors de sa se­conde édition, en novembre 2019, l’ambassadrice des Etats­Unis à Paris n’avait même pas fait le dé­placement, un geste clair d’hosti­lité. Justin Vaïsse veut croire qu’une autre Amérique, plus sen­sible au multilatéralisme, existe toujours. « M. Trump est un mé­dium qui sent où se trouve le poten­tiel politique et où il peut attaquer, dit­il. Mais Joe Biden, s’il l’empor­tait en novembre, pourrait aussi catalyser et faire ressortir cette autre Amérique, plus familière. »

Emmanuel Macron et DonaldTrump se sont parlé à nouveau, jeudi 19 mars, deux jours après la visioconférence du G7. « La crise du multilatéralisme n’est pas unenouveauté, on sait quelles sont les positions américaines depuis trois ans, dit une source diplomatique. Mais il y a un besoin vital de coor­dination, on le voit par exemple sur le rapatriement de citoyens français des Etats­Unis et des Amé­ricains se trouvant en Europe. »

A l’Elysée, on reste concentrésur la lutte contre la pandémie et les contacts avec les dirigeants étrangers. L’heure n’est pas en­

core aux leçons à long terme, même si on appelle de ses vœux des marges de manœuvres inédi­tes. « L’agenda de souveraineté et de protection en Europe, on voitqu’il est encore davantage d’actua­lité », dit un conseiller du prési­dent. Plus d’intégration euro­péenne, moins de naïveté face à laChine et aux Etats­Unis : la feuille de route est claire. On soulignenéanmoins que chaque format dediscussion a sa finalité. Le G7 de­vait donner une impulsion entre pays industrialisés. Le G20, sousprésidence saoudienne, prévu jeudi 26 mars par visioconfé­rence, doit servir à envoyer un si­gnal à l’attention des pays émer­gents, dont les systèmes de santérisquent la noyade.

L’enceinte dans laquelle les rap­ports entre alliés sont scrutés de près est l’OTAN. A Bruxelles, jus­qu’à la semaine dernière, les réu­nions à près de cent personnes continuaient. Elles sont doréna­vant rares et moins fournies. Les ministres des affaires étrangères s’entretiendront le 2 avril par vi­sioconférence. Sur le plan mili­taire, le coronavirus a deux consé­quences. Defender Europe 20 de­vait être l’un des plus grands exercices américains depuis la fin de la guerre froide, réunissant 37 000 soldats de 18 Etats, dont 20 000 américains. Une démons­tration de solidarité spectaculaire, adressée à la Russie. L’essentiel desmanœuvres était prévu en avril et en mai. Mais les effectifs mobiliséssont revus à la baisse.

La question de la mobilité destroupes au sein de l’OTAN est parailleurs ravivée. En fermant ses frontières avec un empressementqui a irrité l’Elysée, la Pologne em­pêche, théoriquement, le déplace­ment de forces en soutien auxpays baltes, s’ils étaient attaqués. Le fait même qu’un tel cas n’ait pas été prévu montre comment lacrise sanitaire en cours va aussientraîner une révision des plansde défense avec les Américains.

piotr smolar

« Donald Trumpest un médium

qui sent où se trouve

le potentiel politique et où ilpeut attaquer »

JUSTIN VAÏSSEdirecteur général du Forum

de Paris pour la paix

Face au virus, le Pakistan s’en remet à l’arméeContrairement à leur voisin indien, les autorités refusent d’instaurer un confinement général

bombay ­ correspondance

L e Pakistan est aux abois etson principal allié etbailleur de fonds, la Chine,

vole à son secours. Alors que le dé­compte officiel des personnes contaminées par le coronavirus venait de franchir la barre du mil­lier d’individus dans ce pays de 210 millions d’habitants, dont 413 cas décomptés dans la pro­vince du Sind et 312 dans celle du Pendjab, un avion­cargo affrétépar la fondation de Jack Ma, le pa­tron de la firme d’e­commerce chi­noise Alibaba, a atterri, mercredi 25 mars, en fin d’après­midi, à l’aé­roport Jinnah de Karachi (sud).

A son bord : un demi­million demasques chirurgicaux et 50 000 kits de test de dépistage. De quoi soulager pour quelque temps les autorités locales, qui semblent complètement dépassées par les événements. Un autre arrivage de matériel en provenance de Chine était attendu, jeudi, avec autant de masques et de tests, d’après le lieu­tenant général Muhammad Afzal, qui préside l’organe à l’avant­postede la crise, la National Disaster Ma­nagement Authority.

L’armée, qui a dirigé le pays prèsde la moitié du temps depuis sa

création, en 1947, retrouve ses ré­flexes interventionnistes sous l’autorité du général Faiz Hameed, chef de l’InterServices Intelligence,la principale branche du rensei­gnement, et du général Qamar Ja­ved Bajwa. Ce dernier a été recon­duit en janvier au poste de chef d’état­major par la volonté du pre­mier ministre, Imran Khan, qui n’apas hésité pour cela à retoucher la Constitution, afin de relever l’âge limite imposé à la fonction.

« Mini-loi martiale »C’est d’ailleurs en vertu de la Cons­titution (article 245) que le gouver­nement a autorisé, lundi 23 mars, l’armée à se déployer dans tout lepays durant trois mois, pour assu­rer la logistique de la lutte contre le coronavirus, en mobilisant no­tamment ses laboratoires d’ana­lyse et ses hôpitaux. Une décision controversée. « Nombreux sontceux qui se demandent si la situa­tion s’est à ce point détériorée pourque l’exécutif en appelle à l’armée pour combler ses défaillances », re­lève Waseem Ahmad Shah, chro­niqueur au journal Dawn. « Nous assistons à la mise en place d’une mini­loi martiale, qui donne désor­mais plus de pouvoir aux militairesqu’aux civils », estime Ayesha Sid­

diqa, analyste politique spécialistedes questions militaires en Asie du Sud.

Les militaires, eux, sont sur lepied de guerre. « Toutes les troupes disponibles sont prêtes à interve­nir », a indiqué le général Babar If­tikhar, un proche du général Ba­jwa, nommé en janvier à la tête de l’InterServices Public Relations, le très puissant outil de propagande du quartier général de Rawalpindi.

En début de semaine, le gouver­nement a décidé de commander 10 000 respirateurs artificiels, à la Chine toujours, pour une livraisonen avril. A l’heure actuelle, indiquele général Afzal, le Pakistan ne dis­pose que de 2 200 respirateurs. Un chiffre dérisoire pour soigner les malades qui seront les plus griève­ment atteints par le Covid­19.

Contrairement à son voisin in­dien, le pays refuse l’idée d’unconfinement général. ImranKhan, qui a d’abord gardé le si­lence après la détection du pre­mier cas pakistanais, le 26 février,est apparu quatre fois à la télévi­sion ces derniers jours, pour ap­peler la population à se mettred’elle­même en quarantaine,tout en expliquant qu’une mise àl’isolement systématique mène­rait le pays « au chaos ».

Il en va, selon lui, de la « survie »de l’économie, alors que celle­ci était déjà en très grande diffi­culté avant la pandémie mon­diale. Une enveloppe équivalenteà près de 6 milliards d’euros a étépromise aux entreprises et auxagriculteurs, ainsi qu’aux sala­riés ayant perdu leur emploi en raison du coronavirus, sousforme de report d’impôts et debaisse du prix des carburants.

Dirigeants civils et militairessont accusés d’avoir réagi dans la confusion à l’arrivée du virus. Le premier foyer d’infection est ap­paru à Taftan, une ville de la pro­vince du Baloutchistan proche de la frontière iranienne. C’est par là que sont entrés, courant février, environ 4 800 Pakistanais qui se trouvaient en Iran, pays le plus contaminé de la région, dont 1 700chiites de retour de pèlerinage.

Face à cet afflux, Islamabad afermé et rouvert la frontière à plu­sieurs reprises, en plaçant ces gens en quarantaine, dans des camps constitués de simples ten­tes, dépourvus de tout masque et privés d’un accès décent à l’eau pour se laver, puis les a finale­ment autorisés à se disperser aux quatre coins du pays.

guillaume delacroix

Maintien contesté de la présidentielle en PologneLe président Duda serait le seul à pouvoir mener une campagne en bonne et due forme

varsovie ­ correspondance

L a tenue de l’élection prési­dentielle du 10 mai en Polo­gne est­elle réaliste dans le

contexte actuel ? Les experts et po­litologues sont quasi unanimes : aussi bien du point de vue de l’équité entre les candidats qu’or­ganisationnel, cette élection de­vrait être reportées. Le président sortant membre du parti au pou­voir Droit et justice (PiS), Andrzej Duda, est le seul candidat à pou­voir mener une campagne en bonne et due forme, et à bénéficierd’une exposition médiatique suf­fisante en sa qualité de chef de l’Etat sur le « front » de la lutte con­tre l’épidémie. Ses visites dans des hôpitaux et des centres de gestion de la crise sont d’ailleurs ample­ment critiquées, comme autant desituations à risque.

Malgré une épidémie relative­ment contenue (1051 cas, 14 morts)près de 70 000 personnes se trou­vent actuellement en confine­ment à domicile, et ce chiffre est susceptible d’augmenter forte­ment. Comment inciter la popula­tion à se rendre dans des bureaux de vote qui peuvent devenir d’im­portants foyers de transmission ? Comment mobiliser les 250 000 assesseurs nécessaires à la tenue du scrutin, compte tenu des ris­ques importants qu’ils encou­rent ? Enfin, comment légitimer le scrutin si le taux de participation s’avère extrêmement bas ?

Profiter de l’avantageEn dépit de ces obstacles, le pou­voir ultraconservateur semble dé­terminé à maintenir la date de l’élection, et à profiter de l’avan­tage que lui procure cette période de crise. Le président du PiS, Jaros­law Kaczynski, dans un entretien accordé samedi 21 mars, a signalé qu’aucun report du scrutin n’était pour l’heure envisagé. « Je suis per­suadé qu’actuellement, il n’y a aucune nécessité de mettre en placeun état de catastrophe naturelle qui permettrait de reporter le scru­tin, a­t­il souligné. Ces élections de­vraient avoir lieu. Les administra­tions nationales et locales ont un devoir constitutionnel de mettre lesmesures nécessaires en place. »

Signe de sa détermination,l’homme fort du pays est allé jus­qu’à avancer une solution singu­

lière pour remédier au problème des confinés. « Si l’on prend en compte le nombre de malades, hos­pitalisés, ou personnes en quaran­taine, on pourrait imaginer des moyens de déplacer les urnes élec­torales jusqu’à eux. » Une solution qui, de l’avis de nombreux ex­perts, paraît non seulement irréa­liste, mais illégale en l’état actuel du code électoral. La possibilité d’un vote électronique ou par cor­respondance est également ex­clue, le PiS ayant auparavant sup­primé cette possibilité contre l’avis des organisations de défensedes droits civiques.

L’opposition, de son côté, de­mande unanimement le report duscrutin. « Ce n’est pas un temps pour mener campagne, souligne Malgorzata Kidawa­Blonska, can­didate de la Coalition civique (KO, centre droit), le principal parti d’opposition. Je n’ai pas le souvenir d’un moment aussi dur depuis la chute du communisme. Tous les candidats ont préparé leur campa­gne, mais aujourd’hui, les règles du jeu sont faussées. Le gouverne­ment, une fois de plus, agit contre les règles de la démocratie. La faibleparticipation électorale sera à l’avantage du PiS. »

Après la mise en place par le gou­vernement de l’état de menace épidémiologique, le 13 mars, puis l’interdiction des rassemblements de plus de deux personnes, les cinq concurrents du président sor­tant ont suspendu leurs déplace­ments et meetings, pour se con­centrer sur des activités en ligne etsur les réseaux. Le pouvoir, de son côté, bénéficie toujours d’un relaismassif de la part des médias pu­blics, peu enclins à respecter les rè­gles d’équilibre de temps de pa­role, et de la complaisance d’une myriade de médias privés.

Le premier ministre, la prési­dente de la Chambre basse du Par­lement, et le porte­parole du pré­sident Duda se sont prononcés pour le maintien scrutin. La mi­nistre du développement écono­mique, Jadwiga Emilewicz, est al­lée jusqu’à affirmer que « ces temps difficiles sont un excellent moment pour que les candidats présentent leurs solutions pour faire face à cette situation, et que les électeurs évaluent leurs actions,postulats et propositions ».

Les prévisions du second tourdonnaient depuis plusieurs se­maines M. Duda et sa principale rivale au coude­à­coude. Mais se­lon une étude du quotidien d’op­position Gazeta Wybarcza, le pré­sident sortant pourrait l’emporterlargement dès le premier tour en cas de maintien du scrutin. Près de 73 % des Polonais seraient en fa­veur du report de l’élection.

jakub iwaniuk

Près de 70 000 Polonais

se trouvent actuellement

confinés chez eux

- CESSATIONS DE GARANTIE

LOI DU 2 JANVIER 1970 - DECRETD’APPLICATION N° 72-678

DU 20 JUILLET 1972 - ARTICLES 44QBE EUROPE SA/NV, sis Cœur Défense– Tour A – 110 esplanade du Général deGaulle – 92931 LA DEFENSE CEDEX(RCS NANTERRE 842 689 556), succur-sale de QBE EUROPE SA/NV, dont le siègesocial est à 37, Boulevard du Régent, 1000BRUXELLES - BELGIQUE, fait savoir que,la garantie financière dont bénéficiait la :

SARL 3A. IMMO. S.R.T.24 Rue de la Gare - 78370 PLAISIR

RCS : 435 177 506depuis le 01/01/2004 pour ses activités de :TRANSACTIONS SUR IMMEUBLES ETFONDS DE COMMERCE cessera de por-ter effet trois jours francs après publicationdu présent avis. Les créances éventuelles serapportant à ces opérations devront être pro-duites dans les trois mois de cette insertion àl’adresse de l’Établissement garant sis CœurDéfense – Tour A – 110 esplanade du Généralde Gaulle – 92931 LA DEFENSE CEDEX. Ilest précisé qu’il s’agit de créances éventuelleset que le présent avis ne préjuge en rien dupaiement ou du non-paiement des sommesdues et ne peut en aucune façon mettre encause la solvabilité ou l’honorabilité de laSARL 3 A. IMMO. S.R.T..

LOI DU 2 JANVIER 1970 - DECRETD’APPLICATION N° 72-678

DU 20 JUILLET 1972 -ARTICLES 44QBE EUROPE SA/NV, sis Cœur Défense– Tour A – 110 esplanade du Général deGaulle – 92931 LA DEFENSE CEDEX (RCSNANTERRE 842 689 556), succursale de QBEEUROPE SA/NV, dont le siège social est à 37,Boulevard du Régent, 1000 BRUXELLES -BELGIQUE, fait savoir que, la garantie financièredont bénéficiait la :

SARL IMMOBILIERE FRANCOEUROPÉENNE - I.F.E.«AGENCE

FRANCO» - 13 rue Pierre Niel - 06830GILETTE - RCS :300 464 252

depuis le 01/01/2004 pour ses activités de :TRANSACTIONS SUR IMMEUBLES ETFONDS DE COMMERCE cessera de portereffet trois jours francs après publication du présentavis. Les créances éventuelles se rapportant à cesopérations devront être produites dans les troismois de cette insertion à l’adresse de l’Établis-sement garant sis Cœur Défense – Tour A – 110esplanade du Général de Gaulle – 92931 LADEFENSE CEDEX. Il est précisé qu’il s’agit decréances éventuelles et que le présent avis ne pré-juge en rien du paiement ou du non-paiement dessommesduesetnepeutenaucune façonmettreencause la solvabilité ou l’honorabilité de la SARLIMMOBILIERE FRANCO EUROPÉENNE -I.F.E. «AGENCE FRANCO ».

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Page 11: Le Monde - 27 03 2020

0123VENDREDI 27 MARS 2020 coronavirus | 11

Le Congrès américain valide le plan de relance La Bourse salue la décision, alors que trois millions de chômeurs de plus sont attendus cette semaine

new york ­ correspondant

L e pire est­il passé ? WallStreet le croit, au moinsprovisoirement. En deuxjours, l’indice Dow Jones

a progressé de 16 %, et le Standard& Poor’s, de 13 %, alors que les si­gnes d’une reprise en main de l’économie tétanisée par le coro­navirus se profilent : soutien illi­mité de la Fed (Réserve fédérale)pour éviter la faillite du système ; journée sanitaire de mercredimoins catastrophique que la veille dans l’Etat de New York, avec une réduction du nombre d’hospitalisations ; volonté deDonald Trump de remettre l’Amé­rique au travail d’ici à Pâques et accord du Congrès sur un plan de soutien de près de 2 000 milliardsde dollars (1 846 milliards d’euros)à l’économie, soit environ 10 % duproduit intérieur brut ou la moi­tié du budget fédéral annuel. « C’est un investissement digned’un temps de guerre pour notre pays », a déclaré le patron des sé­

nateurs républicains, Mitch Mc­Connell (Kentucky).

Il est prévu de verser aux Améri­cains directement 500 milliardsde dollars. Ils vont recevoir un chè­que de 1 200 dollars par personne, à condition de gagner moins de 75 000 dollars par an pour une personne, et 150 000 pour un cou­ple, ainsi que 500 dollars par enfant. La mesure, dégressive au­delà, permet de donner du pou­voir d’achat immédiat aux ména­ges, dont beaucoup sont privés de leur travail du jour au lendemain.

Elle doit être versée d’ici à troissemaines, selon le secrétaire au Trésor, Steven Mnuchin. S’y ajoute, pour près de 250 milliards de dollars, une indemnisation fé­dérale du chômage pendant qua­tre mois. « Si vous avez été licencié, vous allez recevoir 600 dollars par semaine de plus », a précisé le séna­teur progressiste du Vermont, Ber­nie Sanders. Pour la première fois, les travailleurs ayant un statut d’indépendant, comme les chauf­feurs Uber, y auront droit. Cette

somme viendra en complément des 200 à 550 dollars payés chaquesemaine par les Etats fédérés pour une période de trois à sept mois.

Apre bataille politiqueCette mesure a longtemps fait dé­bat, mercredi 25 mars au soir, qua­tre sénateurs républicains contes­tant un système qui permettrait àcertains de gagner plus au chô­mage qu’en travaillant, encoura­geant les Américains à quitterleur travail. « Je ne crois pas que cela va créer des incitations néga­

tives », a déclaré M. Mnuchin. « Ce que la plupart des Américains veu­lent, c’est garder leur emploi. »

Cette indemnisation est capi­tale, alors que le nombre des ins­criptions hebdomadaires au chô­mage devait être connu jeudi.L’Economic Policy Institute pré­disait une hausse d’au moins trois millions du nombre de chô­meurs. Selon ses prévisions, fon­dées sur les indications de trente­cinq Etats, il sera passé en une se­maine de 5,7 à 9,1 millions. La datelimite de déclaration d’impôt

pour 2019 a par ailleurs été repor­tée du 15 avril au 15 juillet.

Le Congrès a également voté desprêts destinés aux PME, pour prèsde 370 milliards de dollars. Ces sommes ne seront pas rembour­sables si elles servent à payer les salaires, les loyers ou les intérêts d’emprunt immobilier, et les abonnements à l’eau et à l’électri­cité. S’y ajoutent 500 milliards de dollars de prêts aux grandes en­treprises. Ceux­ci seront distri­bués par le Trésor, ce qui a en­traîné une âpre bataille politique.

Les démocrates ont exigé lamise en place d’une autorité decontrôle, avec la création d’un poste d’inspecteur général. Sur cette enveloppe, environ 17 mil­liards de dollars seront alloués à des entreprises jugées stratégi­ques pour le pays, dont Boeing et General Electric, toutes deux déjà en très mauvaise posture avant la crise. Leurs actions ont crû res­pectivement de 50 % et de 24 % endeux jours. Le titre Boeing a étédopé par les déclarations de son patron, lequel a indiqué qu’il nelaisserait pas le gouvernemententrer au capital du groupe. Le19 mars, Nikki Haley, ex­ambassa­drice de Donald Trump à l’ONU,avait démissionné du conseild’administration du géant aéro­nautique, en désaccord avec la de­mande de renflouement public.

Les compagnies aériennes, dontles actions ont rebondi de 10 % à 20 % en Bourse, mercredi, seront aussi secourues à hauteur de25 milliards de dollars, les aéro­ports de 10 milliards, le fret et les

prestataires de services aériens de8 milliards. Les pouvoirs publics pourront en contrepartie impo­ser le maintien de certaines des­sertes de service public.

Surtout, le programme prévoitd’interdire les rachats d’actions, qui ont consommé l’essentiel des liquidités dégagées par ces entre­prises, et les bonus des dirigeants.Les démocrates disent avoir ob­tenu la garantie que les entrepri­ses de Donald Trump ne pourrontpas bénéficier des fonds publics.

Le Congrès va par ailleurs consa­crer 100 milliards de dollars aux hôpitaux et entreprises de soins,tandis que 16 milliards permet­tront l’achat et la production dematériels de première nécessité, comme les masques.

Les Etats fédérés, en première li­gne, vont toucher quelque 150 milliards de dollars, mais le gouverneur de l’Etat de New York, Andrew Cuomo, s’est plaint de re­cevoir moins de 4 milliards : « 3,8 milliards, cela a l’air beaucoup,mais nous prévoyons des pertes de revenus de 9, 10, 15 milliards de dol­lars » dans le budget de l’Etat. Le ré­seau de métro et de bus de New York demande, à lui seul, un ren­flouement de 3,8 milliards.

Mercredi, la banque d’affairesMorgan Stanley jugeait favorable­ment le plan des pouvoirs publics,estimant qu’il répondait à deux préoccupations majeures : éviter la faillite des ménages et des en­treprises, et établir la confianceen un redémarrage rapide del’économie.

arnaud leparmentier

La théorie du recours à la « monnaie hélicoptère » ressurgitAvec la pandémie, l’idée que les banques centrales donnent directement de l’argent aux citoyens est débattue très sérieusement

londres ­ correspondance,

A lors que la planète se dé­bat avec la pandémie deCovid­19 et les perspecti­

ves de récession, le président des Etats­Unis, Donald Trump, ca­resse un espoir : celui que « le paysse remette en marche pour Pâ­ques ». Pour cela, il a lancé, avec le Congrès, un plan de relance de2 000 milliards de dollars (1 846 milliards d’euros), avec une mesure inédite : les ménages américains en dessous d’un pla­fond de revenus recevront débutavril un chèque du Trésor (minis­tère des finances) d’un montant de 1 200 dollars pour un adulte,2 400 dollars pour un couple et 500 dollars par enfant. De quoi re­tourner faire le plein de courseschez Cosco ou Walmart, redonnervie aux centres commerciaux dé­sertés, remettre du carburant dans la voiture – autrement dit,

relancer la consommation et la machine économique.

Donner directement de l’argentaux consommateurs, sans passer par le crédit bancaire, c’est le prin­cipe de l’helicopter money (« mon­naie hélicoptère »). Selon la des­cription de l’économiste Milton Friedman en 1969, cela consiste, pour la Banque centrale d’un pays,à créer de la monnaie pour la dis­tribuer directement aux citoyens. « Imaginons qu’un jour un hélicop­tère vole au­dessus de cette com­munauté et jette des billets de 1 000 dollars », avait­il suggéré.

En ce sens, la mesure prise par leCongrès américain n’est pas à proprement parler de la « mon­naie hélicoptère », puisque l’ar­gent proviendra du budget fédé­ral et non de la Réserve fédérale (la Banque centrale). Mais l’idée,qui paraissait farfelue il y a encorequelques années, est désormais débattue très sérieusement.

Depuis la crise financière de2008, les banques centrales sont àla manœuvre : elles ont d’abord placé les taux d’intérêt à zéro, puisse sont mises à acheter des titres financiers, notamment des obli­gations d’Etat, augmentant tou­jours un peu plus les montants injectés. La Banque centrale euro­péenne promet en 2020 d’acheterpour 1 000 milliards d’euros. Maiscette méthode est de moins en

moins efficace. « Les économiesdes pays concernés ne s’en portent pas particulièrement bien », écri­vait en janvier l’Institut Veblendans un rapport, prônant le re­cours à la monnaie hélicoptère.

« Brutalité inouïe »Plutôt qu’introduire cet argent dans les circuits financiers, en es­pérant que les banques en trans­mettent les effets sur le terrain, nevaudrait­il pas mieux le verser di­rectement aux citoyens ? FrançoisPerret, directeur général de Pacte PME et fondateur de l’InstitutAnaxagore, est un ardent défen­seur de cette idée. Dans un article publié lundi dans Forbes, il souli­gne que le choc économique,« d’une brutalité inouïe », impose de trouver des solutions nouvel­les, comme « distribuer du cash, beaucoup de cash, directement aux citoyens, pas seulement auxentreprises ».

Paul Tucker, qui était vice­gou­verneur de la banque d’Angleterrelors de la crise de 2008, juge que lamonnaie hélicoptère est poten­tiellement utile, « mais ce n’est pasquelque chose à prendre à la lé­gère ». « Il ne faut le faire qu’en der­nier recours. Et il faut être très clairque ça ne peut pas être une inter­vention permanente. » Sinon, « lerisque est que les gouvernements s’y habituent. » A terme, et même si la perspective semble très loin­taine, une « monétarisation » peutmener à l’hyperinflation.

Xavier Ragot, directeur de l’Ob­servatoire français des conjonctu­res économiques (OFCE), estime, lui aussi, que, « dans le contexte ac­tuel, la monnaie hélicoptère peut être une bonne idée », mais que sa mise en œuvre poserait de nom­breuses questions, à commencerpar celle de la légitimité de la ban­que centrale. « La BCE peut­elle se permettre de faire une politique fis­

« La BCE peut-elle se permettre

de faire une politique fiscale

sans débat démocratique ? »

XAVIER RAGOTdirecteur de l’OFCE

Le président des Etats­Unis, Donald Trump,à la Maison Blanche,le 25 mars.JONATHAN ERNST/REUTERS

cale sans débat démocratique ?, s’interroge l’expert. Je suis plutôt favorable à ce que la BCE cède de lamonnaie et la donne aux Etats, qui la distribuent au travers de leur po­litique budgétaire et en suivant les règles démocratiques. »

« Il n’est pas évident que cet ins­trument soit le bon face au type decrise à laquelle nous sommes con­frontés », ajoute André Sapir, éco­nomiste à l’Université Libre de Bruxelles et chercheur chezBruegel, un centre de réflexion européen. D’abord parce qu’aujourd’hui, ce sont les entre­prises plus que les ménages qui ont des difficultés, et c’est plutôt vers elles que l’aide doit aller. En­suite, il s’agit d’une mesure non redistributive : un travailleur in­dépendant privé de revenus rece­vrait le même chèque qu’un cadresupérieur, par exemple.

éric albertet béatrice madeline

bis repetita. En décembre 2008, la Ré­serve fédérale (Fed) avait fait appel à quatregestionnaires d’actifs pour mettre en œuvre un programme massif de rachatsd’actifs de 700 milliards de dollars(646 milliards d’euros, au cours actuel) des­tiné à sauver les marchés financiers :BlackRock, Pimco, Goldman Sachs et Wel­lington avaient acheté des titres hypothé­caires pour le compte de la Banque centraleaméricaine. Mardi 24 mars, la Fed a man­daté BlackRock pour l’assister dans l’exécu­tion d’une partie de son plan de sauvetage des marchés américains du crédit.

Entre­temps, celui qui était il y a douzeans une petite « boutique » de gestion est devenu, sous la houlette de son fondateurLarry Fink, le premier acteur mondial, avec7 400 milliards de dollars d’actifs gérés (au 31 décembre 2019). En 2008, le groupe avaitcréé une entité à part, baptisée FinancialMarkets Advisory (FMA), afin d’aider lesbanques et autres grands argentiers à valo­riser et traiter leurs portefeuilles d’actifs

toxiques. BlackRock s’appuie pour cela sur sa plate­forme technologique Aladdin, qui fournit des données et des outils analyti­ques sur les risques financiers.

Depuis la création de FMA, « 650 missionsont été réalisées pour 250 clients dans 35 pays », indique la firme sur son site In­ternet, sans toutefois préciser les noms. Certains sont connus comme la Grèce, la Banque centrale d’Irlande ou la Banque centrale européenne. FMA avait égalementété mandaté par la Fed pour gérer les actifstoxiques de la banque Bear Stearns et de l’assureur AIG.

Signes de faiblesseCette nouvelle mission confiée par la Fed consiste à acquérir des obligations d’entre­prises ainsi que des créances hypothécai­res émises par les agences publiques amé­ricaines. BlackRock insiste sur le fait qu’il existe « une muraille de Chine » entre l’en­tité Financial Markets Advisory et son mé­tier d’investisseur.

Un sujet majeur car, pour la premièrefois, la Banque centrale américaine a inclusdans son programme de rachat d’actifs les fonds indiciels ou exchange­traded funds(ETF), dont certains ont donné des signes de faiblesse récemment. Or BlackRock estle numéro un mondial des ETF. Il devraitdonc être amené à acquérir certains de ses produits avec l’argent de la Fed.

Le mandat de la Fed, dont les termes nesont pas dévoilés, est vu comme un signede l’influence de BlackRock auprès des autorités américaines. Comme un lointain écho à la polémique en France sur les re­traites, mais à beaucoup plus grandeéchelle. Car autant la firme de Larry Fink, avec son petit 1 % de part de marché en France, a peu à gagner d’une réforme qui favoriserait la capitalisation, autant elle pourrait s’enrichir beaucoup grâce à cetteposition de choix. BlackRock et la Fed de­vront faire preuve de transparence pour éliminer toute suspicion.

isabelle chaperon

BlackRock appelé à la rescousse par la Réserve fédérale

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Page 12: Le Monde - 27 03 2020

12 | coronavirus VENDREDI 27 MARS 20200123

RÉCITlondres, berlin, rome

et bruxelles ­ correspondants

J eudi 26 mars, les Vingt­Sept devaient se réunir envisioconférence pour latroisième fois en moins detrois semaines. Au pro­gramme des discussions,la crise due au coronavi­

rus, alors que l’Europe entière – à l’exception de la Suède – est confi­née, que des centaines de mala­des meurent tous les jours et que l’économie continentale est en voie de paralysie.

Si l’urgence est bien sûr sani­taire, ils se retrouvent alors que les tabous économiques euro­péens tombent les uns après les autres. En quelques semaines, le pacte de stabilité et de croissance,qui régit la sacro­sainte disciplinebudgétaire des pays de la zoneeuro, a été suspendu ; l’Allemagnea présenté le plus gros budget de relance de son histoire et renoncéà l’équilibre budgétaire pourtant inscrit dans le marbre ; la Com­mission européenne a mis des di­zaines de milliards sur la table ; la Banque centrale européenne (BCE) a annoncé l’injection de 1 000 milliards d’euros. Et lesgrandes réformes de la zone euro,qui n’ont jamais été achevées après la crise de 2012, sont de nouveau sur la table.

La dernière fois que les chefsd’Etat et de gouvernement euro­péens se sont vus en chair et en os, c’était les 20 et 21 février, à Bruxelles. Du coronavirus, dontles tout premiers cas avaient été

repérés en Europe fin janvier, iln’avait alors pas été question. Les Vingt­Sept étaient réunis pour parler du budget européen af­fecté à la période 2021­2027, le­quel représente peu ou prou 1 % de leur richesse nationale. Ilss’étaient consciencieusement écharpés sur les décimales quisuivent la virgule. Le président duConseil européen, Charles Mi­chel, que le premier ministre luxembourgeois, Xavier Bettel,avait présenté au début du som­met comme « le frère jumeau de David Copperfield », n’avait pas fait de miracle.

Deux jours plus tard, le 23 fé­vrier, les premières « zones rou­ges » étaient instituées en Italie, où l’on croyait encore l’épidémieconfinée à deux foyers, en Lom­bardie et en Vénétie. « Milano nonsi ferma » (« Milan ne doit pas s’ar­rêter »), décrétait début mars Beppe Sala, le maire de la métro­pole, qui regrettera amèrementses propos par la suite.

« RETARD À L’ALLUMAGE »A vrai dire, personne, en cette fin février, ni à Bruxelles, ni à Milan, ni même à Rome, n’imaginait l’ampleur de la crise qui allait dé­ferler sur l’Europe et encore moins qu’elle emporterait avec elle le pacte de stabilité et de croissance. Lundi 23 mars, les mi­nistres des finances des Vingt­Sept ont entériné sa suspension sine die, sans même en discuter.

Pour l’heure, plus aucun Etatn’est donc tenu de respecter les li­mites de 3 % du PIB pour le déficitet de 60 % de la richesse nationalepour la dette. Autre totem qui est tombé : la Commission a considé­rablement assoupli le régime des aides d’Etat, afin de permettre aux Vingt­Sept de voler au se­cours de leurs entreprises sans se voir accuser de contrevenir aux règles du marché intérieur. Elle a également mis à la dispositiondes Etats membres 37 milliards d’euros de fonds structurels pour lutter contre le virus. Inimagina­ble quinze jours plus tôt. Même au plus fort de la crise financière,

après la faillite de Lehman Bro­thers, le 15 septembre 2008, puisde celle de la Grèce, qui a failli em­mener avec elle l’union moné­taire en 2012, un tel scénario n’avait pas été envisagé.

« J’ai fait du rangement ce week­end, et je suis tombé sur des notes et des télégrammes d’il y a quinze jours, où l’on parlait encore d’autres sujets que la crise du Co­vid­19 », s’étonne aujourd’hui un diplomate. L’Europe a eu « un re­tard à l’allumage », comme on l’entend beaucoup ces jours­ci. Qui se souvient que, lundi 9 mars,Ursula von der Leyen organisait une conférence de presse pour dresser le bilan de ses cent pre­miers jours à la tête de la Commis­sion ? Elle y parlait Green Deal, di­gitalisation de l’économie, straté­gie industrielle, et évoquait à peine la crise des migrants que le président turc, Recep Tayyip Erdo­gan, a relancée en ouvrant sa fron­tière avec la Grèce…

La veille, à l’Elysée, EmmanuelMacron avait rassemblé ses équi­pes pour parler de l’épidémie, dont on savait désormais qu’elle n’épargnerait personne en Eu­rope – Chypre a été le dernier à re­joindre le club. Cela ne peut plusdurer, s’était­il impatienté, l’Eu­rope ne peut pas continuer à pa­raître inactive. A son initiative,Charles Michel a finalement con­voqué un conseil européen – par vidéoconférence – le 10 mars.

Ce jour­là, les Vingt­Sept ont,pour la première fois, évoqué la possibilité de suspendre le pacte de stabilité. Bien sûr, les diri­geants européens n’ont pas parlé qu’économie, alors que la crise due au coronavirus a fait renaître des tentations isolationnistes par­tout en Europe. On a vu des fron­tières se fermer, des pays comme la France et l’Allemagne interdire l’exportation de ces masques dont les hôpitaux italiens man­quent tant. Mais, comme l’a mar­telé depuis Ursula von der Leyen, il faut « tout mettre en œuvre pour que l’économie européenne résisteà cette tempête ». Pour l’Italie, qui s’était sentie abandonnée par ses partenaires, ce fut presque un soulagement.

L’ancienne ministre d’AngelaMerkel n’est pas la seule à avoirmis du temps à prendre la me­sure de son rôle dans cette crise. Christine Lagarde, qui préside laBCE, a, elle aussi, eu du mal à s’adapter à une situation qu’elle n’avait pas anticipée. Celle quiétait arrivée à son poste le 1er oc­tobre en se voulant « ni colombeni faucon », mais « chouette », un animal sage qui tenterait de dé­passer les traditionnelles opposi­tions entre pays du Nord et du Sud, n’a eu d’autre choix que dechanger de posture.

Jeudi 12 mars, en annonçant sespremières mesures, elle a bien tenté de concilier l’inconciliable,

c’est­à­dire les différentes posi­tions qui s’exprimaient à son conseil des gouverneurs. Plus queles sommes en jeu, c’est le mes­sage politique de la Française quia été un désastre. Lorsque, toutsourire devant les journalistes, Christine Lagarde a laissé échap­per cette petite phrase, « Nous ne sommes pas là pour réduire les spreads » – c’est­à­dire l’écart en­tre les taux allemands et ceux desautres pays –, les marchés ont en­tendu : la BCE n’est pas prête à tout pour défendre l’Italie, le paysle plus touché par le virus, dont les taux obligataires s’étaient déjàfortement tendus.

Les Bourses se sont écrouléesencore un peu plus. Les taux des obligations italiennes se sont en­volés, se rapprochant dans les jours qui ont suivi de 3 %, un ni­veau qui n’avait pas été vu depuispresque deux ans. Le spectre d’une dislocation de la zone euro a refait surface. A l’urgence sani­taire et économique s’est ajoutéela possibilité d’une nouvelle crise de la monnaie unique.

Dans la nuit du 18 au 19 mars, laBCE a corrigé le tir et annoncé vouloir acheter pour 750 mil­liards d’euros supplémentairesde titres financiers, portant à 1 050 milliards ce qu’elle est prête à dépenser d’ici à fin 2020. Bien plus que tout ce que Mario Dra­ghi, le prédécesseur de Mme La­garde, avait fait lors de la crise de 2012­2015. Le lendemain matin, les marchés ont ouvert à la hausse. Les taux obligataires se sont détendus. La BCE a réussi son coup. La balle est désormaisdans le camp des politiques,comme ne manquera pas de lerappeler la présidente de l’institu­tion monétaire lors du conseil de jeudi, auquel elle doit également participer.

« SOLIDARITÉ CONTAGIEUSE »Les Vingt­Sept discuteront juste­ment de la manière dont ils af­fronteront – ensemble ou pas – la suite de la crise. « Est­ce qu’en le­vant les règles, on n’ouvre pas les portes à la possibilité pour lesEtats de faire cavalier seul ? Si l’Eu­rope consiste à assouplir des rè­gles et laisser faire chacun, on aura perdu le fil, on se préparerades lendemains politiques doulou­reux », s’interroge un conseillerd’Emmanuel Macron.

Les dirigeants européens ont, entout cas, prévu de parler des ins­truments de solidarité dont ils peuvent disposer dans cette crisesans précédent. Certains existent déjà, mais ils nécessitent desadaptations significatives, aux­quelles ne sont pas spontané­ment prêts Berlin ou La Haye, pour ne citer qu’eux. C’est le cas, par exemple, du Mécanisme européen de stabilité (MES), mis en place en 2012 pour aider les pays qui n’arrivent plus à se finan­cer sur les marchés et qui dispose d’une force de frappe de 410 mil­liards d’euros. C’est également le cas du budget européen, à condi­tion qu’il change d’échelle.

D’autres pistes peuvent être ex­plorées. Comme celle d’une mu­tualisation des emprunts de lazone euro, afin de financer les ra­vages du Covid­19. Et d’allégerainsi la charge financière pour les pays, que les marchés auraient tendance à faire payer plus cher. Lors du conseil européen du17 mars, le président du conseildes ministres italien, Giuseppe Conte, a lancé cette idée de « coro­nabond », avec le soutien de Paris et Madrid.

« La solidarité [entre Européens]peut être aussi contagieuse que le virus », a affirmé Christine Lar­garde, mardi 24 mars, au cours d’une réunion avec les ministres des finances de la zone euro, pourpréparer le conseil de jeudi. Pas sûr qu’elle ait convaincu tous ses interlocuteurs. Car sur ces sujets,l’Europe reste désunie, même si, àla marge, on constate certaines évolutions. Ainsi, mercredi, parmi les neuf pays qui ont écrit àCharles Michel pour défendrel’idée d’un « instrument de dettecommun », on trouve, au­delà des « usual suspects » (la France, laGrèce, l’Italie, le Portugal et l’Es­pagne), des capitales jusque­là moins adeptes de ce concept (le Luxembourg, la Belgique, l’Ir­lande et la Slovénie).

Mais, pour l’essentiel, le virusn’est pas venu à bout des lignes traditionnelles de fracture entre lenord et le sud du Vieux Continent,comme en atteste cette déclara­

LA BALLE EST DÉSORMAIS DANS LE CAMP DES 

POLITIQUES, COMMENE MANQUERA PAS DE 

LE RAPPELER MME LAGARDE

Les trois semaines qui ont chamboulé l’orthodoxie économique européenne

Un sommet devait se tenir, jeudi 26 mars, pour faire avancer la réforme de la zone euro, dont la solidité est mise à mal par la pandémie

tion du ministre allemand de l’économie, Peter Altmaier, en dé­but de semaine : « Je recommandela prudence, quand des concepts apparemment nouveaux sont pré­sentés, qui ne sont en réalité que des recyclages d’idées rejetées de­puis longtemps », a­t­il lancé, aprèsavoir qualifié la discussion sur leseuro­obligations de « débat fan­tôme ». Côté néerlandais, la réac­tion n’est pas plus engageante.

« ATTENDONS DE VOIR »Berlin et La Haye martèlent qu’ils ont déjà consenti à l’impensableces derniers jours, notamment enacceptant de suspendre le pacte de stabilité. Mais, compte tenu de l’ampleur des moyens que ces deux gouvernements ont décidé de consacrer à sauver leur écono­mie, ils n’avaient pas le choix. « Il est bien trop tôt pour prendre de nouvelles décisions. Attendons de voir ce que sera la situation dans six semaines ou dans trois mois. A ce stade, personne n’en sait rien. Il faut se garder des munitions », lance un diplomate d’un pays at­taché à l’orthodoxie budgétaire.

« L’Allemagne est plus ouverteque les Pays­Bas, et si l’Allemagne bouge, les Pays­Bas suivront », veut­on croire à Bercy. Pour l’heure, les déclarations publi­ques des uns et des autres ne per­mettent pas de donner du corps àcette affirmation. Là où Bruno Le Maire, le ministre de l’économie français, martèle que cette crise

POUR L’ESSENTIEL,LE VIRUS N’EST PAS VENU 

À BOUT DES LIGNES TRADITIONNELLES

DE FRACTURE ENTRELE NORD ET LE SUD

DU VIEUX CONTINENT

FIN FÉVRIER, PERSONNE N’IMAGINAIT L’AMPLEUR 

DE LA CRISE ET ENCORE MOINS QU’ELLE EMPORTERAIT AVEC ELLE 

LE PACTE DE STABILITÉET DE CROISSANCE

du lundiau vendredi

11H–11H5

FlorianDelorme

L’espritd’ouver-ture.

franceculture.fr/@Franceculture

Enpartenariatavec

CULTURESMONDE.

©RadioFrance/Ch.Abram

owitz

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Page 13: Le Monde - 27 03 2020

0123VENDREDI 27 MARS 2020 coronavirus | 13

De gauche à droite : la présidente de la BCE, Christine Lagarde, le président français, Emmanuel Macron, la chancelière allemande, Angela Merkel, et la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, lors d’un sommet à Bruxelles,le 13 décembre 2019. POOL NEW/REUTERS

L’Insee estime à 35 % la baissede l’activité en FranceSi le confinement dure deux mois, 6 points de PIB s’envoleront

A crise exceptionnelle,communication inédite.L’Insee a publié, jeudi

26 mars, sa première estimation de l’incidence de la crise sanitaire sur l’activité économique en France. Une publication précédée d’une introduction inhabituellerédigée par le directeur général del’institut de conjoncture, Jean­LucTavernier. Ce dernier précise avoir« cependant hésité avant de don­ner son feu vert » à la diffusion de cette estimation, en raison à lafois du côté « dérisoire » de tels cal­culs dans la période vécue et de l’aspect « fragile » des statistiques affichées. « Quoi qu’il en soit, pour incertain et imprécis qu’il soit, il m’a semblé que donner ce premier ordre de grandeur était préférable à ne rien dire du tout », conclut M. Tavernier.

Et les chiffres annoncés sontplus pessimistes encore que ceux qui ont pu être publiés par d’autres instituts de prévision :l’activité « instantanée », mesu­rée cette semaine par rapport à une semaine dite « normale », est

en recul de 35 %, et un confine­ment d’un mois aurait un impact « de l’ordre d’une douzaine depoints de produit intérieur brut [PIB] trimestriel en moins, soit 3 points de PIB annuel ». Deux mois de confinement auraientun effet deux fois plus important,soit la perte de 24 points de PIB trimestriel, correspondant à 6 points de PIB annuel.

L’Insee souligne que « cet ordrede grandeur semble cohérent avec les premières informations dispo­nibles sur la situation des sala­riés » : un tiers environ en activité sur leur lieu habituel de travail, un tiers en télétravail et le derniertiers au chômage partiel. Il est également « compatible » avec la diminution observée de la con­sommation d’électricité, actuelle­ment d’environ 20 % par rapport à une situation ordinaire.

La consommation s’effondreVolontairement, l’Insee ne livre pas d’estimation de croissance pour 2020. « Cela dépendra no­tamment de la durée de cette pé­riode de confinement, que nous n’avons aucune légitimité ni aucune compétence à prévoir, pré­cise Jean­Luc Tavernier. C’est peu de dire que ce que nous présentons aujourd’hui est fragile, susceptible d’être révisé. D’abord, parce que nosméthodes, dans une telle situation, ne sont pas éprouvées : c’est inédit dans l’histoire de l’Insee. C’est fra­gile aussi parce que la situation el­le­même est très évolutive. »

L’institut souligne égalementune grande différence de situa­tions selon les secteurs. Certaines activités telles que les transports, l’hôtellerie et la restauration ou les loisirs sont très sévèrement touchées, alors que d’autres lesont moins, comme les télécom­munications et les assurances parexemple. Environ les deux tiers des services marchands sont maintenus, estime l’Insee. Dans l’industrie, environ la moitié de l’activité est maintenue, alors queles activités agricoles « devraient

se poursuivre seulement un peu endeçà de la normale ». A noter éga­lement que dans certaines activi­tés industrielles et dans les tra­vaux publics, « l’activité reprend après s’être interrompue », alorsque dans d’autres secteurs, par exemple dans les services aux en­treprises, « le creux n’est sansdoute pas encore atteint ».

Cette très forte baisse de l’acti­vité du pays résulte en grande par­tie de l’effondrement de la con­sommation des ménages, consé­quence normale du confinement et de la fermeture des commerces.Les dépenses de textile, d’habille­ment, de matériel de transport sont réduites à leur plus simple expression, avec une baisse com­prise entre 90 % et 100 %.

D’autres dépenses commel’électricité se maintiennent, tan­dis que la pharmacie, elle, est en hausse de 5 %. Au total, « nous es­timons que la consommation to­tale des ménages français s’établitactuellement à 65 % de la nor­male », souligne l’Institut de la statistique.

L’Insee complète ces élémentsde conjoncture avec des notes surle climat général des affaires : cedernier perd dix points (à95 points), soit « la plus forte baisse mensuelle de l’indicateur depuis le début de la série, en 1980 ». « En octobre 2008, aprèsla faillite de Lehman Brothers, l’in­dicateur avait chuté de 9 points. » L’indicateur de climat de l’emploi connaît également sa plus forte chute depuis le début de la série, en 1991. Il perd 9 points pour at­teindre 96 points. Dans tous les secteurs, l’indicateur du climatdes affaires se dégrade fortement,à l’exception toutefois de celui du bâtiment. « Cela confirme que ces indicateurs sont à lire avec pru­dence, ce mois­ci, souligne Jean­Luc Tavernier. Ils reflètent sans doute l’opinion des chefs d’entre­prise début mars plutôt que finmars. » Comprendre : le pire estplutôt à venir.

béatrice madeline

Santé ou économie d’abord, la Suède en plein débatDes voix s’élèvent pour mettre en garde contre les conséquences économiques d’un confinement de la population

malmö (suède) ­correspondante régionale

E n déclarant que son paysne pouvait rester « fermé »encore longtemps, le prési­

dent américain, Donald Trump, a créé la consternation. Et pour­tant, en Suède, des économistes disent exactement la même chose, mettant en garde contre les risques d’une dépression éco­nomique, qui, finalement, pour­rait déboucher sur un bilan hu­main bien plus dramatique quecelui de la pandémie.

La première à avoir osé le diretout haut est Kerstin Hessius, ex­patronne de la Bourse de Stockholm et présidente d’un des plus gros fonds de pension sué­dois depuis 2004. Jeudi 19 mars, elle était invitée sur le plateau dela chaîne SVT, avec le président dela confédération des entreprises suédoises, Jan­Olof Jacke, venu demander des aides supplémen­taires à l’Etat.

Interrogée sur les conséquenceséconomiques des mesures de con­finement, adoptées dans le monde entier, Mme Hessius met engarde contre un retour au chô­

mage de masse « comme dans les années 1920 et 1930 ». Elle exige un« calendrier clair » pour la sortie del’état d’urgence : « Il doit y avoir desmoyens plus efficaces de limiter l’engorgement des hôpitaux que defermer une économie entière. »

Au journaliste interloqué, quiremarque que faire passer l’éco­nomie avant les centaines de mil­liers de vies qui sont en jeu peutparaître « cynique », elle répond : « Je ne parle pas d’économie, je parle de la vie des gens. Une géné­ration entière va perdre son ave­nir, si nous continuons. C’est très grave. Cette question n’est pas po­sée. Pourtant, elle devrait l’être parles politiciens, en se fondant surl’expertise. »

En face d’elle, le journaliste luifait remarquer que c’est exacte­ment ce que fait le gouvernementsuédois, qui suit à la lettre les re­commandations des experts de ladirection de la santé publique. « Mais ils ne s’intéressent qu’à unaspect de la question, sans regar­der les conséquences des mesures qui sont prises », argue Kerstin Hessius. En cas de dépression, affirme­t­elle, « il faut s’attendre à un chômage de 20 % à 40 % ».

Face à la pandémie, la Suède,pourtant, peut difficilement être accusée d’en faire trop. Seuls les rassemblements de plus de 500 personnes sont interdits, ainsi que l’accès aux maisons deretraite et le service au bar dans les cafés et restaurants. Les jar­dins d’enfants, les écoles et les col­lèges sont ouverts. Pour le reste, legouvernement fait appel au ci­visme et à la responsabilité de chacun.

Dilemme éthiqueMais, comme ailleurs en Europe, l’économie, très fortement dé­pendante des exportations, tourne au ralenti. Les construc­teurs Scania et Volvo AB, qui comptent parmi les principauxemployeurs du pays, ont sus­pendu leur production. Partout,en Suède, les entreprises annon­cent des licenciements. Le secteurdes services est le plus touché. Plusieurs enseignes de prêt­à­porter ont mis la clé sous la porte.

Jusqu’à présent, le gouverne­ment, composé des Verts et dessociaux­démocrates, et soutenu par les libéraux et les centristes, a débloqué 300 milliards de cou­

ronnes (27,5 milliards d’euros)pour venir en aide aux entrepri­ses. Par ailleurs, 125 milliards de couronnes supplémentaires ont été annoncés, sous la forme decrédit et prêt garantie par l’Etat.Mardi 24 mars, Jan­Olof Jacke, lepatron des patrons, a estimé quece n’était pas suffisant et a, enconséquence, demandé 200 mil­liards supplémentaires.

Directeur du Research Instituteof Industrial Economics àStockholm, l’économiste Magnus Henrekson fulmine : « Lors de la crise financière, au début des an­nées 1990, nous avons perdu 600 000 emplois en trois ans. Nous pourrions en voir disparaîtreautant en trois mois. » Pour lui, leconfinement généralisé est uneaberration : « Si on ne revient pas rapidement à la normale, des mil­liers d’entreprises vont faire faillite, les gens vont perdre leuremploi définitivement et il ne res­tera plus grand­chose du secteurprivé, ce qui va entraîner l’effon­drement des recettes publiques. Il n’y aura plus d’argent pour finan­cer les hôpitaux, ni pour aider les personnes qu’on veut protéger en se confinant. »

L’économiste s’insurge encorecontre les dirigeants, dans le monde, qui ont « fait le choix du court terme, sans une analyse descoûts et bénéfices sur le long terme ». Il n’est pas le seul. D’autres voix s’élèvent en Suède pour avertir des risques sanitai­res d’une dépression.

Dans le quotidien Svenska Dag­bladet, l’économiste Eva Mörk re­connaît le dilemme éthique : « Il faut faire un choix entre plusieursgroupes, entre le présent et l’ave­nir. » Pour le moment, la Suède, qui, à ce jour, enregistre 42 morts liés au Covid­19, résiste aux in­jonctions de l’extérieur, et même de certains de ses scientifiques, qui lui demandent de changer de stratégie et de s’aligner sur ses voisins.

Accusé de prendre trop enconsidération l’impact sur l’éco­nomie de mesures plus restricti­ves, le directeur de l’Agence de la santé publique, Johan Carlson, s’est défendu, le 20 mars, en ar­guant qu’une fermeture de la so­ciété aurait des effets bien plus dévastateurs sur la santé publi­que que la pandémie.

anne­françoise hivert

doit être l’occasion de « refonderla construction européenne », ses homologues néerlandais et alle­mand brandissent la nécessité d’un retour à la normale dès queles conditions le permettront. Et de rappeler que, s’ils peuventaujourd’hui se permettre de dé­vier de leur trajectoire budgé­taire, c’est parce qu’ils ont jus­qu’ici été vertueux dans leur ges­tion des finances publiques.

« Nous avons du souffle », a dé­claré Olaf Scholz, ministre des fi­nances social­démocrate et vice­chancelier depuis 2017, alors quele Bundestag a voté en urgence, mercredi 25 mars, la levée de l’obligation constitutionnelle de présenter des comptes publics à l’équilibre et avalisé le plus grosplan de soutien à l’économie de son histoire.

Un message qui sonne commeun reproche aux pays qui, commel’Italie, l’Espagne ou la France,dans une moindre mesure, n’ont pas abordé cette crise avec des fi­nances publiques aussi assainies.« L’aléa moral », dont tout le monde affirme qu’il n’existe pas dans cette séquence, puisque la pandémie touche tout le monde, indifféremment de la tenue deses comptes publics, n’est pas si loin. Comme quoi, tous les tabousne sont pas tombés…

éric albert,cécile boutelet,

jérôme gautheretet virginie malingre

LES CHIFFRES

3C’est, en points de produit inté-rieur brut annuel (PIB), la baisse anticipée par l’Insee de la contri-bution à la croissance d’un mois de confinement de l’économie française. Pour deux mois, l’Insee anticipe une chute de 6 points. En 2020, l’institut prévoyait une croissance de 1,3 % du PIB.

95C’est, en points, le niveau global du climat des affaires, un indica-teur de suivi de la conjoncture. Il a chuté de 10 points en mars, soit la plus forte baisse men-suelle de l’indicateur depuis le début de la série (1980).

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14 | économie & entreprise VENDREDI 27 MARS 20200123

Coup d’Etat en perspective chez LagardèreDevenu premier actionnaire du groupe, le fonds Amber demande la révocation du conseil de surveillance

P endant la pandémie dueau coronavirus, l’heuren’est pas à la paix desbraves dans le capita­

lisme français. Le groupe Lagar­dère, propriétaire d’Hachette,d’Europe 1, ou de Paris Match, vaêtre le théâtre d’un nouvel affron­tement entre Amber, son premieractionnaire, avec 16,4 %, et son pa­tron, Arnaud Lagardère, déten­teur de 7,3 % du capital.

Le fonds activiste britannique,qui ferraille depuis trois ans pour accélérer le recentrage du groupesur deux métiers principaux, le travel retail (boutiques d’aéro­ports et duty free) et Hachette, prépare une révolution de palaislors de l’assemblée générale du 5 mai. Il a déposé des résolutions demandant la révocation pure etsimple de tout le conseil de sur­veillance de Lagardère, jugeant qu’il n’a pas rempli son rôle de « contre­pouvoir ».

A la place, il propose la nomina­tion de huit nouveaux membres, tous « indépendants de Lagardère et d’Amber », parmi lesquels Bri­gitte Taittinger­Jouyet, ex­pa­tronne des parfums Annick Gou­tal et administratrice de Suez et deFnac Darty, Enrico Letta, ancienprésident du Conseil italien, et, surtout, Patrick Sayer, qui a été pa­tron de la société d’investissementEurazeo, et qu’Amber souhaite voir accéder à la tête du conseil.

« Je connais Joseph Oughourlian[le fondateur d’Amber], qui a été un actionnaire fidèle et de longterme d’Eurazeo. Et je m’intéresse depuis longtemps au groupe, par exemple, quand j’ai eu l’occasiond’être candidat au rachat d’Editis. Je connais Arnaud Lagardère de­puis près de vingt ans », déclare au Monde Patrick Sayer, administra­teur d’Eurazeo et de Valeo.

Surprise, Amber se dit, en revan­che, favorable à la nomination de Nicolas Sarkozy et de l’ancien pré­sident de la SNCF Guillaume Pepy,les deux nouveaux administra­teurs qu’Arnaud Lagardère va pro­

poser lors de l’assemblée. Pour­tant, le choix de l’ancien prési­dent de la République, qui entre­tient de longue date de bonnes relations avec le Qatar, deuxième actionnaire du groupe avec 13 %du capital, avait été interprété comme un appel à l’aide de M. La­gardère face aux assauts d’Amber.

« Cela n’a pas fonctionné »Avec seulement 16,4 % du capital, comment Amber peut­il parvenirà ses fins ? Il y a deux ans, le fondsavait déjà tenté d’entrer au conseilde surveillance et avait essuyé un cuisant échec. Selon M. Sayer, cer­tains grands investisseurs se se­raient montrés sensibles à la né­cessité de faire évoluer le groupe. « Cette assemblée, c’est l’heure devérité : soit l’on fait bouger les cho­

tait, en 2017, 204 millions d’euros, selon le Financial Times.

« Depuis 2006, le groupe a sorti10 milliards d’euros de cash, dont 80 % issus des cessions, et 20 % des cash­flows [flux de trésorerie] des activités, notamment Hachette. Ces sommes ont trop peu servi à in­vestir dans les deux activités por­teuses du groupe », dit M. Sayer.

Mercredi 25 mars, Lagardère aprévenu qu’il suspendait ses pré­visions de résultat en raison de la crise liée au SARS­CoV­2 et qu’il ré­duisait de 23 % son dividende an­nuel, à 1 euro. En mai, le groupe de­vra néanmoins verser 132 millionsd’euros à ses actionnaires. « Vu le contexte, il aurait été plus sage de laisser les fonds dans l’entreprise », critique Patrick Sayer. En renouve­lant le conseil de surveillance, Am­

ber espère profiter d’une fenêtre de tir qui s’ouvre en 2021. Si le sta­tut de commandité le rend inex­pugnable, M. Lagardère doit être renouvelé au poste de gérant, autrement dit de patron opéra­tionnel du groupe, l’an prochain. Or, il aura besoin de l’aval du con­seil de surveillance.

« Il n’y a rien d’agressif ni de per­sonnel vis­à­vis d’Arnaud Lagar­dère, mais l’on voit bien que cela n’apas fonctionné. Faut­il aller jus­qu’au remplacement de la gé­rance ? La question pourra être po­sée au conseil le moment venu », prévient M. Sayer. Un nouveau conseil serait aussi chargé d’ima­giner une nouvelle gouvernance. Mettrait­il fin à la commandite ? « Chez Lagardère, [celle­ci] tient à la disparition de La Cinq en 1992.

Cela devait être provisoire. Je suis persuadé que ce modèle peut per­durer. En revanche, il ne peut priver ses actionnaires d’avoir leur mot à dire sur les résultats et la stratégie »,affirme l’ex­patron d’Eurazeo.

En attendant, la holding, qui em­ploie 133 personnes et qui a coûté 1,3 milliard d’euros depuis 2003, est en ligne de mire. « La question est de savoir s’il faut avoir une structure faîtière coûteuse et opa­que, alors qu’il ne reste plus que deux activités principales, qui pos­sèdent leurs propres organisa­tions », s’interroge M. Sayer.

Depuis des mois, Amber de­mande la publication des comp­tes de Lagardère Capital Manage­ment, qui porte la participation d’Arnaud Lagardère, et qui rému­nère et défraie généreusement lescinq membres du comité de direc­tion. En dix­sept ans, cette struc­ture a coûté 336 millions d’euros.

Officiellement, il n’est pas dansles projets d’Amber de dépecer le groupe et de le vendre par appar­tement. « Je ne suis pas candidat au conseil de surveillance pour ap­porter ma caution morale à une opération de banquier d’affaires, mais, au contraire, pour dévelop­per », affirme Patrick Sayer, assu­rant que les intérêts d’Amber sontalignés avec ceux d’Arnaud Lagar­dère. Pas sûr que ce dernier l’en­tende de cette oreille.

sandrine cassini

Patrick Sayer, ancien patron d’Eurazeo, en 2014,à Paris. GILLES ROLLE/REA

Le gouvernement réduitmassivement l’offre de transportsDans un entretien au « Monde », le secrétaire d’Etat Jean­Baptiste Djebbari annonce une baisse des TGV et des avions

C omme une grande partiedu monde, la France s’ins­talle dans un confine­

ment de longue durée et la mobi­lité ne fait pas exception. Le secré­taire d’Etat aux transports, Jean­Baptiste Djebbari, explique au Monde l’action du gouvernementen la matière, une politique d’ur­gence visant « à réduire l’offre de transport de voyageurs, à la main­tenir à un niveau permettant lacontinuité des services essentiels, et à le faire dans les meilleuresconditions sanitaires possible. »

« A partir de vendredi 27 mars,nous allons faire passer le nombre de TGV de 90 par jour actuelle­ment [soit 15 % du service normal],à 40, annonce M. Djebbari. L’en­semble des circulations ferroviai­res de longue distance sera ramenéà 7 % de la normale. C’est, je crois, un chiffre plancher correspondant aux besoins essentiels de déplace­ments lointains de la population.Nous procédons à une diminution rapide, mais précautionneuse del’offre. Il s’agit de faire les choses aumieux, pour éviter l’engorgement des quais et des trains. »

Dans le transport aérien, la logi­que est la même. « Concernant les liaisons intérieures aériennes,nous maintenons 6 % du service, soit 162 fréquences cette semaine, ajoute M. Djebbari. C’est, de mon

point de vue, un chiffre incompres­sible que nous allons maintenirpour assurer les liaisons rapides entre divers points du territoire. »Cela va entraîner, à moyen terme, la fermeture de certains aéro­ports, comme celui d’Orly, àcompter du 31 mars, a annoncémercredi le Groupe ADP.

« Dérives »Un si faible niveau d’offre de transport sur longue distance est inédit, hors périodes de grandesgrèves, comme en 1995. QuaranteTGV en France par jour, c’est unegoutte d’eau si l’on compare à unejournée d’avant la crise quand,sur la seule ligne à grande vitesse Paris­Lyon, la SNCF faisait circulerau quotidien près de 240 TGV.

L’un des buts assumés de cetteopération « peau de chagrin » estde limiter, le week­end prochain,des phénomènes d’exode équiva­lents à ceux que l’on a pu voir les semaines précédentes. La ruéedes citadins dans les trains ou sur les autoroutes pour aller télétra­vailler dans sa famille ou sa villa secondaire a fait polémique.

« J’ai demandé, dès la semainedernière, que, à partir de ce jeudi26 mars, les réservations grandes lignes soient bloquées pour leweek­end afin d’éviter les dérives que nous avons connues, note

Jean­Baptiste Djebbari. La réduc­tion de l’offre est un bon moyen d’endiguer ce phénomène. De même, les contrôles sur les motifs légitimes de déplacement seront effectués avec fermeté. »

Les dessertes ferroviaires trans­frontalières sont, elles aussi, très diminuées : les TER « saute­fron­tière » sont suspendus et les liaisons internationales réduitesà 10 % du service. Seul l’Eurostarfait exception, avec 30 % de circu­lations maintenues. « Le premier ministre Boris Johnson a demandéà ses compatriotes de regagner leRoyaume­Uni, explique M. Djeb­bari. C’est pourquoi, en lien avecles autorités britanniques, nousmaintenons de façon transitoire ce niveau de service. Il s’agit là d’être capable de faire face aux fluxde retour vers Londres dans desconditions sanitaires correctes. »

Tous les travailleurs du trans­port et les entreprises doiventaffronter une tempête inédite. Se­lon le secrétaire d’Etat aux trans­ports, en un mois, la SNCF aura perdu 90 % de son chiffre d’affai­res. « L’engagement des acteurs de la mobilité pour la continuité duservice public est admirable,conclut M. Djebbari. Ils font partiede ces soldats au service des be­soins essentiels des Français. »

éric béziat

ses, soit l’on continue sur une pentedéclinante. Et ce serait dommage, car il y a deux très beaux actifs dans la société, Hachette et le tra­vel retail », précise Patrick Sayer.

Dans une présentation renduepublique jeudi 26 mars, Amber égrène les chiffres qui font mal.Depuis 2006, le groupe a dépensé2,7 milliards d’euros, en pure perte, dans le sport et les médias. Les restructurations et les provi­sions ont coûté 4,2 milliards d’euros. Mais, sur la même pé­riode, 4,4 milliards d’euros de di­videndes ont été versés. Si le groupe est particulièrement gé­néreux avec ses actionnaires, c’estqu’Arnaud Lagardère, le troisièmed’entre eux, a un besoin cruciald’argent frais pour rembourser sadette personnelle, qui représen­

SIDÉRURGIEThyssenKrupp supprime 3 000 postesL’allemand ThyssenKrupp a annoncé, mercredi 25 mars, la suppression de « 2 000 postes dans les trois prochaines an­nées » et de « 1 000 postes de plus d’ici à 2026 », sur les 27 000 de la branche sidérur­gie, soit plus de 10 % des effectifs, en raison la chute de l’activité mondiale due au coronavirus. – (AFP.)

AGROALIMENTAIREDanone garantit emplois et salaires pour trois moisLe PDG de Danone, Emma­nuel Faber, a annoncé, jeudi 26 mars, sur RTL, que « tous les contrats de travail et les salai­res sont garantis pour les trois prochains mois. C’est la sécu­rité sociale que nous pouvons apporter » au sein du groupe.

LUXELVMH reporte au 30 juin son assemblée généraleLVMH a annoncé, mercredi 25 mars, reporter, du 16 avril au 30 juin, l’assemblée géné­rale de ses actionnaires. Le groupe précisera « ultérieu­rement (…) les dispositions qui seront prises pour (…) le paiement du dividende ».

SALONSLa Foire de Paris sera décalée en juilletLa Foire de Paris, prévue du 30 avril au 11 mai, est repor­tée du 4 au 15 juillet en raison de la pandémie de Covid­19, a annoncé, mercredi 25 mars, Comexposium, organisateur d’événements. – (AFP.)

En ces temps de SARS­CoV­2, l’économie suspend son vol. Mais pas la finance. Masayoshi Son, PDG de SoftBank et plus gros investisseur mondial de l’ère Internet, vit sa petite crise dans la grande. Et derrière lui tout un secteur qu’il a largement soutenu, celui de l’économie du partage, des taxis Uber aux im­meubles de bureau WeWork.

Face à l’effondrement de moitiéde son cours de Bourse depuis le début de l’année et à une dette colossale de plus de 55 milliards de dollars (50,8 milliards d’euros), le groupe nippon a an­noncé, lundi 23 mars, un plan de cession d’actifs portant sur plus de 40 milliards de dollars, des­tiné à alléger sa dette et à rache­ter ses propres actions.

Certains trouveront le momentpeu opportun. Vendre au son du canon, comme disent les inves­tisseurs boursiers, c’est­à­dire en pleine déconfiture des marchés, est rarement de bon augure. C’est le signe qu’il y a le feu à la maison et qu’il faut, au plus mauvais moment, se séparer des bijoux de famille pour tenter de l’éteindre. Tout cela n’a pas beau­coup plu à l’agence de notation Moody’s. Elle a dégradé la dette de SoftBank, la reléguant dans les profondeurs des « obligations pourries », celles qui se placent

avec des taux d’intérêt dépassant les 10 %, quand les bons élèves n’en paient aucun.

M. Son n’est certes pas sur la paille, puisque la valeur de ses participations dépasse les 240 milliards de dollars, notam­ment grâce à ses actions dans le géant chinois d’e­commerce Ali­baba qui, à elles seules, valent plus de 120 milliards de dollars. Et puis, c’est un rescapé de l’explosion de la bulle Internet en 2000. Il a le cuir épais.

Mais son rêve se brise. Avec sonfonds « Vision », il a mis la main sur les vedettes de demain, les Uber, Didi, Slack, ByteDance, WeWork, Getaround, Oyo, dont les valorisations se comptaient en dizaines de milliards de dol­lars. Une vision qui s’appuie sur le développement de cette éco­nomie née au seuil des années 2010, où l’on partage tout pour en baisser le prix : son taxi, son bureau, sa voiture, son logement.

Sa puissance d’investissement,grâce notamment à l’argent saou­dien, était supérieure à celle de toutes les autres sociétés de capi­tal­risque réunies dans le monde, faisant grimper les prix jusqu’au ciel. L’absence de rentabilité de nombre de ses champions et la paralysie économique mettent un terme à son ambition. Une bulle éclate dans l’air confiné.

PERTES & PROFITS | SOFTBANKpar philippe escande

Le rêve brisé de l’économie du partage

« L’assembléedu 5 mai sera

l’heure de vérité :soit l’on fait bouger les

choses, soit l’oncontinue sur une

pente déclinante »PATRICK SAYER

ex-patron d’Eurazeo

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Page 15: Le Monde - 27 03 2020

0123VENDREDI 27 MARS 2020 télévision | 15

HORIZONTALEMENT

I. A deux, c’est lui le premier. II. Sup-porte le plancher ou les fruits à venir. Sur la pente. III. Personnel. A porté Chirac au pouvoir. Protection en mer profonde. IV. Mal équipées pour pro-gresser dans la découpe. Couche dé-faite. V. La première à sortir du Chaos. Lâché sur le coup. Du fer et du car-bone. VI. Ce n’est pas le moment de se découvrir. Devenue pas bien maligne. VII. Plat de terre et de légumes. Bons dans leurs domaines. Encadre le noir. VIII. Personnel. Trop bête pour un amateur de son. IX. Entre dans le beurre. Sans T, comme chez Carolus. X. Avec vigueur et excitation.

VERTICALEMENT

1. Elle reste souvent à prouver. 2. Souvent grotesque, il fait toujours rire. 3. Très proche. Passer au plus près. 4. Pour attirer l’œil du lecteur. En dessous de la moyenne. En rivière. 5. Sur la tête du baron. Amateur de son. 6. Bien possédée. Garde la chambre. 7. Manière de se déplacer. Petit espace de culture. 8. En jaune sur les bornes. Met fin volontaire-ment. 9. Sans la moindre fantaisie. Mou et jaune. 10. Installe sur son siège. Découpage historique. 11. Au-teur de Cœur fidèle sur les écrans. Quatre saisons. 12. Prirent possession.

SOLUTION DE LA GRILLE N° 20 - 073

HORIZONTALEMENT I. Lance-pierres. II. Apaisante. Cu. III. Pp. RDA. Dos. IV. Irréalité. TP. V. Douleur. Ur. VI. Af. Arrée. Onc. VII. Toc. Aecr (racé). Met. VIII. Inouï. Tapage. IX. Odin. Astaire. X. Ninive. Ornés.

VERTICALEMENT 1. Lapidation. 2. Approfondi. 3. Na. Ru. Coin. 4. Cisela. Uni. 5. Es. Aérai. 6. Parlure. Ae. 7. Indirects. 8. Etat. Erato. 9. Rê. Eu. Par. 10. Romain. 11. Ecot. Nègre. 12. Suspectées.

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12

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GRILLE N° 20 - 074PAR PHILIPPE DUPUIS

SUDOKUN°20­074

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8 5 1Realise par Yan Georget (https://about.me/yangeorget)

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DifficileCompletez toute la

grille avec des chiffres

allant de 1 a 9.

Chaque chiffre ne doit

etre utilise qu’une

seule fois par ligne,

par colonne et par

carre de neuf cases.

cHeZ Votre MarcHanDDe JoUrnaUX

chaque jeudi,l’essentielde la presseétrangère

PoP culture — il y a cent ans naissait le robot

écoles fermées, confinementgénéralisé, télétravail, restrictionsde la circulation…Tout cequi vachangerdansnotrequotidienRepenseR

lemondeEt si la criseducoronavirusétait l’occasiond’unnouveaudépart ? Philosophes,poètes,journalistesétrangers, ils veulent ycroire

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No 1534 du 26mars au 1er avril 2020courrierinternational.comFrance : 4,50€

V E N D R E D I   2 7   M A R S

TF121.05 Koh-Lanta, l’île des hérosTélé-réalité. Présenté par Denis Brogniart.23.10 Le Grand BêtisierDivertissement présenté par Karine Ferri.

France 221.05 Astrid et RaphaëlleSérie. Avec Lola Dewaere, Sara Mortensen, Benoît Michel(Fr., 2019).22.55 Astrid et RaphaëlleSérie. Avec Lola Dewaere, Sara Mortensen, Benoît Michel(Fr., 2020).

France 321.05 Allez viens, je t’emmène…Divertissement présenté parLaury Thilleman.23.30 La Vie secrète des chansonsLe parolier Etienne Roda-GilMagazine présenté par André Manoukian.

Canal+21.00 Tanguy, le retourFilm d’Etienne Chatiliez. Avec André Dussollier, Sabine Azéma, Annelise Hesme (Fr., 2019, 93 min).22.35 Venise n’est pas en ItalieFilm d’Ivan Calbérac. Avec Benoît Poelvoorde, Valérie Bonneton, Gigi Ledron (Fr., 2018, 90 min).

France 520.50 La Maison France 5Magazine présenté par Stéphane Thebaut.22.20 Silence, ça pousse !Magazine présenté par Carole Tolila et Stéphane Marie.

Arte20.55 Paris-BrestTéléfilm de Philippe Lioret. Avec Anthony Bajon, Catherine Arditi, Valérie Karsenti (Fr., 2019, 85 min).22.20 Betty Boop for EverDocumentaire de Claire Duguet (Fr., 2020, 52 min).

M621.05 NCISSérie. Avec Mark Harmon, Sean Murray (EU, 2019, 2016).22.50 NCISSérie. Avec Michael Weatherly, Pauley Perrette (EU, 2016, 2015).

Le blanchiment d’argent comme stratégie de survieDans cette addictive troisième saison d’« Ozark », très dense, les Byrde s’enfoncent dans le crime organisé familial

NETFLIXÀ LA DEMANDE

SÉRIE

Q ui connaît, de ce cô­té­ci de l’Atlantique,cette étendue monta­gneuse que l’on ap­pelle Ozark ? Ce terri­

toire à l’identité indienne ances­trale, parc naturel magnifique, mais miné par la pauvreté, le ra­cisme et la criminalité, est le cadre d’une des séries originales Netflix les plus addictives du moment.

Le pitch est banal – un conseillerfinancier compromis dans des opérations louches se voit obligé de quitter précipitamment Chi­cago, emmenant femme (dont il vient, par ailleurs, de découvrir l’infidélité) et enfants (un préado et une jeune fille), pour s’installer dans cette région déshéritée peu­plée de « rednecks ». Mais les scé­naristes, Bill Dubuque et Mark Williams, ont bâti dessus un solidepolar, servi par une réalisation so­bre et soignée et, surtout, une dis­tribution impeccable. Et c’est prin­cipalement pour le plaisir de re­trouver Jason Bateman (Marty, le mari) et Laura Linney (Wendy, sa femme) que l’on visionnera les dix épisodes, fort (voire trop) den­ses, de cette troisième saison.

Les deux premières saisons ontmontré le basculement de la fa­mille Byrde, dont seul le père était

mouillé dans le trafic de drogue, vers le crime organisé familial, as­sumé par chaque membre du foyer, enfants compris. Car il n’est rien de moins qu’une stratégie de survie : pour être épargnés par le cartel de Navarro, qui emploie Marty, les Byrde sont en effet con­traints de passer des années à blanchir des centaines de millions de dollars. D’où le choix des Ozarks

comme point de chute : champs de pavot et jeux d’argent alimen­tent à plein l’économie locale et, chômage aidant, la main­d’œuvre discrète et bon marché y abonde.

Casino flottantAprès avoir, dans la saison 2, échoué à laisser les affaires entre les mains de Ruth (Julia Garner, ex­cellente), jeune « white trash » sans

scrupule devenue bras droit de Marty, et à fuir la région, les Byrde se trouvent, au début de cette sai­son, à la tête d’un casino flottant, nouvel arsenal de leur machine à blanchir, alimentée jusqu’à l’indi­gestion par le cartel.

Forcés de voir toujours plusgrand, Marty et Wendy adoptent, en bon couple dysfonctionnel, des stratégies opposées et peu compa­

tibles. Le premier tentant de sau­ver l’avenir de sa famille en copi­nant avec le FBI, la seconde en cé­dant, non sans plaisir, à la pressionexercée par le cartel, qui, menacé par ses rivaux, impose aux Byrde des demandes extravagantes.

De leur côté, les enfants, Char­lotte (Sofia Hublitz) et Jonah (Sky­lar Gaertner), font, malgré leur jeune âge, partie intégrante de la sale petite entreprise de leurs pa­rents, et commencent à goûter le sentiment de liberté, fût­il factice,que procure l’argent. Dans son as­pect le plus intime, qui est aussi le plus intéressant, Ozark est la chro­nique en creux d’un mariage vicié,où la peur de perdre a remplacé l’amour, où la crainte du déclasse­ment a remplacé la morale.

Comme elle en fait la démons­tration depuis Mystic River (Clint Eastwood, 2003), Laura Linney n’est jamais meilleure que dans ces rôles de Lady Macbeth mo­derne, archétype de la bourgeoise manipulatrice prête à tout pour ménager ses intérêts. Face à elle, Ja­son Bateman – qui réalise égale­ment certains épisodes – donne del’épaisseur et de la finesse à son rôle de père de famille dépassé parle monstre qu’il a lui­même créé.

audrey fournier

Ozark. Saison 3 (EU, 2020, 10 × 60 min). A la demande sur Netflix.

Dans « Ozark », Laura Linney incarne Wendy Byrde. STEVE DEITL/NETFLIX

Betty Boop, de « poo poo pee doo » à #metooUn documentaire drôle et pédagogique consacré à la célèbre pin­up animée des Studios Fleischer

ARTEVENDREDI 27-22 H 20

DOCUMENTAIRE

P in­up mythique et femmeémancipée. Depuis ses pre­mières apparitions dans

des dessins animés en 1930, grâce au talent de pionniers, les frères Fleischer (Max et Dave), jusqu’à la « une » du New Yorker le 27 no­vembre 2017 en plein scandale Harvey Weinstein, Betty Boop est toujours pimpante et iconique.

La garçonne sexy, désirée par leshommes et admirée par les fem­

mes, combattait déjà les harce­leurs dans les années 1930. Elledonnait, à travers ses aventures,une image de femme active et in­dépendante. Ce documentaire à la fois drôle et pédagogique, adop­tant une réjouissante tonalité fé­ministe, dresse aussi, à traversBetty Boop, une histoire de l’Amé­rique et des rapports entre hom­mes et femmes.

En donnant la parole à des créa­teurs inspirés par ce personnage,comme les stylistes Chantal Thomas et Jean­Charles de Castelbajac, le réalisateur Steve

Moore ou la productrice Lili Za­nuck, et en adoptant un montage dynamique mêlant extraits de dessins animés, témoignages etmises en perspective, ce docu­mentaire rend un bel hommage à la pétillante Betty, à son amour dujazz et de la bringue.

« Personnage militant »Betty Boop vit seule, entouréed’hommes qui veulent la possé­der. Ce personnage de femme li­bre collant parfaitement à l’épo­que rencontre un succès fulgurantdès 1930, en se heurtant, à partir

de 1934, aux puritains scandalisés par son comportement et à la très influente et catholique Ligue pour la vertu. « Le personnage de Betty Boop incarne la féminité, la moder­nité. Elle a été pensée comme un personnage militant », résume Jean­Charles de Castelbajac.

Si août 1939 marque déjà la fin deses aventures, après une centaine de films mis à l’écran par les Stu­dios Fleischer, son aura ne va pasdisparaître pour autant. Cette reine du merchandising, célébrée au Japon, devient l’égérie de gran­des marques. Celle qui s’était dis­

tinguée dès 1933 dans un dessin animé en repoussant les avances d’un harceleur sur son lieu de tra­vail reviendra sur le devant de la scène avec la fameuse « une » du New Yorker : l’illustration signée Barry Blitt montre un minuscule Harvey Weinstein, de dos, ouvrantson peignoir devant une immenseBetty Boop dégoûtée et perplexe. Quatre­vingt­dix ans après, cette femme libre a encore du travail.

alain constant

Betty Boop for Ever, de Claire Duguet (Fr., 2 020, 52 min).

V O T R ES O I R É E

T É L É

0123 est édité par la Société éditricedu « Monde » SA. Durée de la société : 99 ans à compter du 15 décembre 2000. Capital social : 124.610.348,70 ¤.Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).

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Origine du papier : France. Taux de fibres recyclées : 100 %. Ce journal est imprimé sur un papier UPM issu de forêts gérées

durablement, porteur de l’Ecolabel européen sous le N°FI/37/001. Eutrophisation : PTot = 0.009 kg/tonne de papier

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Page 16: Le Monde - 27 03 2020

16 | LIVRES VENDREDI 27 MARS 20200123

ANALYSE

I maginer les périodes de trouble et –parfois – de reconstruction a sou­vent été l’apanage de la science­fic­tion d’anticipation, et une occasion

pour elle de montrer que la littérature degenre, si souvent prémonitoire, est une indispensable vigie. Ainsi en est­il desscénarios liés au réchauffement climati­que, qu’elle traite au moins depuis 1964, année de parution de Sécheresse, du Bri­tannique J. G. Ballard (Casterman, 1975).Ou encore à propos des virus, épidémies et catastrophes sanitaires de toute sorte, objets d’une vaste bibliographie de lacontagion, qui s’est richement étoffée depuis deux décennies.

Mieux, ce pan de la littérature dystopi­que est devenu à la fois mainstream et mondialisé, la fiction épidémique d’anti­cipation essaimant dans l’audiovisuel, le jeu vidéo, la bande dessinée… Rappelons que la série télévisée The Walking Dead – dans laquelle une mystérieuse épidé­mie transforme les humains en zombies – est l’adaptation d’une série de romans graphiques de Robert Kirkman (Del­court, 2007­2019), et que le film à succès World War Z (2013), bâti sur le même schéma, était à l’origine un roman d’hor­reur de Max Brooks (Calmann­Lévy, 2009).

Dans la même lignée infectieuse – parmorsure, cette fois –, les romans de la sé­rie La Communauté du Sud, de Charlaine Harris (J’ai lu, 2005­2014), adaptée pour la télévision sous le titre True Blood, ouceux de la série de Richelle Mead Vam­pire Academy (Castelmore, 2010­2012) se sont arrachés à des millions d’exemplai­res et ont fait le tour du monde. Pourfolkloriques qu’ils soient, zombies et vampires ne sont que des épouvantails sur lesquels projeter des inquiétudespropres à l’époque : catastrophe nu­cléaire, guerre bactériologique, fuite acci­dentelle d’un virus cultivé en laboratoire,acte de justice immanente contre les ex­cès de prédation environnementale des sociétés humaines…

Sujet d’une grande plasticité, qui seprête à tous les fantasmes et à toutes les interprétations, la pandémie se présente comme un révélateur. Tantôt simple menace acculant un groupe disparate à survivre ensemble (Déchirés, de PeterStenson, Super 8, 2014), tantôt méta­phore de la discrimination (L’Education de Stony Mayhall, de Daryl Gregory, Le Bélial’, 2014)…

Pour le Français Pit Agarmen, pseudo­nyme anagrammatique de Martin Page (La nuit a dévoré le monde, Robert Laf­font, 2012), et l’Américaine Mira Grant (Feed, Bragelonne, 2012), le zombie n’est ainsi qu’un point de départ. D’emblée, ces auteurs l’érigent en postulat, de sorteque l’essentiel est ailleurs, dans ledevenir post­apocalypse. Le premier s’at­tache à décrire l’absolu isolement d’un homme, la seconde dépeint les Etats­Unis en 2039. Chez l’un et l’autre, l’in­fection virale est contenue par des règles de sécurité draconiennes. Les villes forment des enclaves protégées, les ci­toyens sortent peu. Au fil des jours, le temps s’organise, les journées se règlent,

se ritualisent. « Il m’a fallu un mois pour comprendre que les zombies ne sont pas le vrai danger, confie le protagoniste deLa nuit a dévoré le monde, cuvant sa soli­tude dans son appartement. Je suis mon pire ennemi. » Il reste la musique, lesboîtes de conserve et l’eau de pluie qu’ilrecueille sur sa terrasse.

Extinction de l’espèce, extinction deslumières. Dans L’Année du Lion, seuls ont réchappé à une mortelle contagion les individus immunisés par leurs gènes.Entre tensions humaines et progrèstechniques, le roman du Sud­Africain

Deon Meyer (Seuil, 2017) chronique les cinq premières années d’une nouvelle société. Dans Station Eleven, fiction d’anticipation de la Canadienne Emily St. John Mandel (Rivages, 2016), l’un desrescapés d’une grippe dévastatrice a l’idée de constituer une collection de re­liques du monde d’avant. « Parce que sur­vivre ne suffit pas. »

De la nature précise du virus, on ne saitpas grand­chose non plus dans Vongo­zero, de la Russe Yana Vagner (Mirobole, 2014), sinon que les sujets frappés par la fièvre meurent en quelques jours et que la pandémie touche tous les continents. En périphérie de Moscou, mise en qua­rantaine comme les autres grandes villesdu monde, Anna, son père, son fils ado­lescent et quelques autres s’apprêtent àfuir « la vague ». Jusqu’à un refuge situé sur une île, en Carélie.

Par la diversité de leurs propos, les di­rections qu’ils empruntent, les enjeuxqu’ils brassent, ces romans témoignent d’une évidence : ce serait ne rien com­prendre à la popularité du mythe de l’in­fection généralisée que de le réduire à uncauchemar adolescent. Certes, le catalo­

gue raisonné des « œuvres pandémi­ques », dont l’essor a correspondu à une résurgence des hantises de fin dumonde, compte nombre de livres oublia­bles. Toutefois, cette veine a d’ores et déjà donné naissance à plusieurs chefs­d’œuvre, au sein de la littérature degenre comme au­delà.

Sans même parler de La Peste, d’AlbertCamus (Gallimard, 1947), les classiques Jesuis une légende, de l’Américain Richard Matheson (Denoël, 1955), L’Amour autemps du choléra, du Colombien Gabriel Garcia Marquez (Grasset, 1987), La Qua­rantaine, de J. M. G. Le Clézio (Gallimard, 1995), ou L’Aveuglement, du Portugais José Saramago (Seuil, 1997), en offrentdes preuves éclatantes. Ces œuvres pro­posent une philosophie de la crise grâce à l’étude des dilemmes moraux et à la description des réactions en chaîne. « Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés », lisait­on déjà dans la fable de LaFontaine Les Animaux malades de la peste (1678). En pareille situation, l’onde de choc n’épargne personne.

De ces récits de contagion mortelle,plusieurs enseignements à tirer. A tout le

moins, quelques questions. Notamment,qui sont les individus les plus redouta­bles en cas d’épidémie ? Les malades ouceux qui cèdent à la violence et au cy­nisme ? Comment réinventer le vivre­en­semble après la catastrophe ? Et surtout : que nous apprennent ces récits sur nous­mêmes, notre condition, notre vulnéra­bilité ?

Dans sa thèse « La contagion des imagi­naires. Lectures camusiennes du récitd’épidémie contemporain » (dont la pa­rution est prévue cet été aux Presses uni­versitaires de Rennes), la chercheuse en littérature Aurélie Palud note à ce sujet :« Particulièrement exhibée dans le récit d’épidémie, [la] fragilité rassemble l’hu­manité par­delà les cultures et les reli­gions et conduit à poser le principe éthi­que de la responsabilité. » Elle ajoute : « Lacontagion apparaît comme un moyen pri­vilégié de questionner le rapport à autrui, cet autre désormais perçu, à tort ou à rai­son, comme une menace. » Le champ, on le voit, est immense. Quel que soit legenre qu’ils pratiquent, les écrivainsn’ont pas fini de l’explorer.

macha séry

Littérature et épidémie : le vaccin des dystopiesLes romans de catastrophes sanitaires nous ont­ils préparés au pire ? A tout le moins à (sur)vivre, ensemble

Une image de la série « The Walking Dead », d’après la bande dessinée de Robert Kirkman. PROD DB/AMC STUDIOS

L’ennui, sans modération« ON NE SUPPORTE PLUS SA MAI­SON, SON ISOLEMENT, LES MURSDE SA CHAMBRE. » Ces mots pour­raient être ceux d’un confiné de2020, assigné à résidence par la pandémie de Covid­19, commedes centaines de millions d’autres. En fait, c’est une phrasede Sénèque dans les Lettres à Luci­lius. Elle fut écrite à Rome, autemps de Néron (Ier siècle). C’est de l’ennui que parle le penseurstoïcien, qu’il définit comme cetétat où « l’on se voit avec chagrin abandonné à soi­même », sub­mergé par un sentiment de vide,

d’accablement et d’« à quoi bon ». Soudain manquent le sens et l’énergie, comme si le ressort quiles actionne ensemble s’était dé­térioré.

On se prélasse, on se lasseBeaucoup d’entre nous redé­

couvrent en ce moment cettebéance. Les routines de la vie nor­male suspendues, on se prélassed’abord, on se lasse ensuite. Bien­tôt les dérivatifs ne fonctionnentplus, l’ennui s’installe, chacun commence à « bâiller sa vie », comme disait René, le héros de

Chateaubriand. Incapables de « demeurer en repos dans une chambre », selon Pascal, nous nous heurtons à une suite de« non­choses » sans contours ni densité : nous­même, l’inaction,le néant…

Ce qui nous tombe dessus estalors bien plus métaphysique qu’on ne pense. C’est « l’embête­ment de l’existence ». Flaubert,génialement, dit en trois mots ceque ressassent les Modernes : l’homme est un animal qui s’en­nuie. Eprouvant sa solitude, se dé­couvrant jeté dans un monde sans signification ni mode d’em­ploi, il découvre au cœur de l’en­nui, entre effarement et vertige, letragique de sa condition.

Car l’ennui ne serait pas unique­ment lié aux circonstances. Il y aurait en lui quelque chose de ra­dical, propre à notre condition. Schopenhauer, dans Le Monde comme volonté et comme repré­sentation (1818), décrit la vie

humaine oscillant, tel « un pen­dule, entre la douleur et l’ennui ». Ou bien le désir vous taraude, privation et tensions vous habi­tent, et vous souffrez. Ou vousêtes repu, alangui, sans manqueapparent, et l’ennui vous rattrape.Ceux qui affirment ne jamaiss’ennuyer seraient donc des menteurs.

Ecole de lucidité« Cet ennui absolu n’est en soi

que la vie toute nue, quand elle seregarde clairement. » Dans L’Ame et la Danse (1921), Paul Valéry ima­gine un Socrate parlant ainsi. Sil’on y prête attention, voilà que tout s’inverse. Au lieu d’être désa­grément à fuir, malaise à colma­ter, l’ennui se fait école de lucidité,exigence de pensée, nécessitéd’inventer. Au lieu de pesercomme un fardeau, il peut se fairelevier, tremplin, point de départ d’un futur en gestation. Croire qu’il faille, à tout prix, ne jamais

HUIS CLOS • 1ROGER-POLDROIT

s’ennuyer est donc bien trop naïf.Vivre sans temps mort, toujours

accaparé par quelque chose, tou­jours occupé à quelque travail, quelque image, quelque jeu… n’est pas propice à la rumination où, sans qu’on le sache d’abord, des nouveautés éclosent. Les temps d’ennui ne sont pas des ca­tastrophes. Il y flotte au contraire des sensations et intuitions inha­bituelles, d’abord imperceptibles, qu’il convient de laisser venir.Dans la fadeur de l’inaction, cefond vide de contours et de pro­jets, croissent souvent les fulgu­rances du lendemain.

Ennuyez­vous sans crainte. Il ensortira quelque chose. On ne sup­porte plus sa maison, on s’embêteet se sent perdu ? Voilà qui est nor­mal, humain, inévitable. Et fina­lement de bon augure pour de­main. Parce que la pensée écarte les murs. Même quand elle s’en­nuie, la pensée est antichambre. A tous les sens qu’on voudra.

« Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés », 

lisait­on déjà dans la fable de La Fontaine « Les Animaux malades de la peste » (1678). En pareille 

situation, l’onde de choc n’épargne personne

BRUNO LEVY

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Page 17: Le Monde - 27 03 2020

0123VENDREDI 27 MARS 2020 livres | 17

ROMANTempête de fablesAnton et ses deux fils – dont l’unporte son prénom – élèvent deschevaux pour l’intendance mili­taire quand une terrible tempêteconduit le cadet à partir en villealerter les autorités. Comme il nerevient pas, Anton le jeune part àson tour. Tel un nouveau Candide,enrôlé de force à la veille d’uneguerre absurde, il ne trouve deréconfort que dans l’amitié deSpinoz et dans ces récits légen­daires que, le soir au bivouac, iloffre comme un remède à la lai­deur du monde. Face à « des bêtesqui ne pensent plus comme deshommes », le seul viatique est laparole du conteur. Spinoz résume :« Il y a un monde entre le cœur et labouche, un continent entre les oreilles et les mots, et un infinientre l’esprit et le livre. » Le verbe

seul peut soustraireau malheur seloncette variationvoltairienne. philippe­jeancatinchiNostra requiem, de Ludovic Roubaudi, Serge Safran, 192 p., 17,90 €;numérique 10 €.

SOCIOLOGIETyrannie du regardAuteure, notamment, d’une étudesur la charge symbolique et poli­tique que nos sociétés accordentau patronyme, Changer de nom(Stock, 1995 ; rééd. Gallimard, 2006), la sociologue Nicole La­pierre n’ignore pas qu’une nation,conçue comme une extension descellules qui la composent, se voitappliquer ce « jeu des ressemblan­ces » auquel toutes les familles selivrent. Qui se ressemble s’assem­ble : cette évidence conditionnenos existences. Sacralisation de lafiliation, création de ghettos ouautres formes de ségrégation spa­tiale, théorie du « grand remplace­ment »… Soulignant que « c’est lafrontière qui cristallise la différenceet non la différence qui délimite lafrontière », l’auteure explore les di­verses manières dont s’imposel’injonction à l’assimilation, nousrendant aveugles à ce que l’autrepourrait nous apporter. Contrecette tyrannie du regard social, elledéfend un comparatisme des expé­riences minoritaires, pariant, avecEdouard Glissant (1928­2011), sur la« Relation » : « Tu échanges, chan­

geant avec l’autresans pour autant teperdre et te déna­turer. » jean­louis jeannelleFaut­il seressembler pours’assembler ?, de Nicole Lapierre,Seuil, 216 p., 17 € ;numérique 12 €.

Alain Corbin explore les chemins de la méconnaissanceDans « Terra incognita », le grand historien retrace les sinuosités de la constitution des savoirs, autour des sciences de la Terre

HISTOIRE

N ous ignorons beaucoup de cho­ses. Une obscurité que nous nepouvons mesurer s’étend sur

nous­mêmes, la planète, l’Univers – ne parlons pas des maladies –, sur tant de mystères qui, pour nos arrière­petits­ne­veux, seront devenus limpides. Il est vraique quelques générations plus tard,d’autres riront d’eux, puis d’autres en­suite de ceux­là. On n’en sortira pas, et ces rires en cascade à travers les sièclesforment une des dimensions à la fois in­dépassables et peu explorées de l’histoirehumaine.

De sorte qu’on n’est pas outrément sur­pris de voir Alain Corbin s’en emparer, même si l’on ne peut qu’être impres­sionné par la vigueur, la malice, l’inventi­vité dont le grand historien des sensibili­tés, né en 1936, continue de faire preuve.

Terra incognita, qui balaye, de 1750 à 1900,la masse des ignorances en s’en tenant à « la Terre, à l’effacement ou au maintien deses mystères », poursuit en effet un objet dont, par les voies les plus diverses, Cor­bin n’a cessé de s’approcher depuis plus de quarante ans : le paysage de la vie hu­maine, les constances et les inconstances de nos manières d’habiter le monde.

Or, parmi elles, l’ignorance est indépas­sable. Elle constitue l’un de nos liens inti­mes avec la Terre, planète à trous, à se­crets. Certes, le développement de lascience la repousse peu à peu, mais il ne l’efface pas et, sur une période qui mar­que la sortie des croyances traditionnel­les sur les phénomènes naturels, Alain Corbin joue avec la flèche du temps, tente de la briser, de l’assouplir au moins,en cherchant à saisir non un progrès continu, mais le va­et­vient sporadique de l’expérience commune.

Pour y parvenir, il fait avancer son en­quête sur un double plan chronologique et thématique. Il regroupe, en trois gran­des parties, trois époques – second XVIIIe siècle, 1800­1850, 1860­1900 – re­présentant autant d’étapes du mouve­ment irrégulier des savoirs, que les cha­pitres incarnent sur un ensemble de questions particulières, les mêmes à cha­que pas : l’âge de la Terre, sa structure, lesabysses marins, les glaciers, les météo­res… Une étape après l’autre, nos pré­décesseurs en savent parfois plus, mais parfois non, ou si légèrement, sans par­ler des fausses pistes. Passent et repas­sent ainsi, en spirale, énigmes et avan­cées, incertitudes, lueurs plus ou moinsvacillantes.

Un dépôt se forme à mesure, où se tientla réalité vécue. Réunissant les morceauxéclatés d’un monde désormais perdu, puisque ce n’était pas le bon, Alain

Corbin constitue un atlas des représenta­tions approximatives qui suffisaient alors à se mouvoir sur la Terre. A quelle force pense­t­on être confronté si unséisme survient, quand on ignore la tec­tonique des plaques ? Quelle vie ou quelle absence se cache dans les abysses inexplorés, « monde tout mystère, sans ciel, sans saisons », qui incite « à la plon­gée imaginaire, à des visions de descente vers le centre de la Terre, de tourbillons vers l’inconnu » ?

L’art d’habiter la Terre est un bricolagehasardeux. Chaque époque a le sien. Et chacun dans son époque s’en arrange à sa mode, crée sa carte du réel comme il peut, selon qu’il est savant ou non, pay­san arrimé à son territoire ou voyageurinarrêtable comme un personnage de Ju­les Verne, si souvent cité dans ce livre. Les ignorances forment un « feuilletage »,une juxtaposition de lacunes inégales,

qui n’a cessé de s’accroître depuis les bouleversements scientifiques duXXe siècle, dont pointent ici les prémices.

Un simple journaliste a­t­il désormais,après tant de levées d’ignorance, des représentations de la planète similaires àcelles d’un Prix Nobel de physique ? Vi­vons­nous tous dans le même monde ?Alain Corbin ne se contente pas de res­susciter – avec quelle incomparable et inaltérable puissance d’évocation – les paysages oubliés. Il finit toujours par nous tendre un miroir.

florent georgesco

terra incognita. une histoire de l’ignorance, xviiie­xixe siècle,d’Alain Corbin,Albin Michel, 282 p., 21,90 € ; numérique 15 €.

Nouveau précis de décompositionAvec « Kree », Manuela Draeger, connue aussi sous le nom d’Antoine Volodine, poursuit l’exploration de son univers littéraire si particulier, touchant ici à une plénitude romanesque admirable

ÉLODIE BOUÉDEC

ROMAN

C e que l’on voit toutd’abord : des rivièresd’hémoglobine quijaillissent et irriguent

une terre noire et infertile ; des plaies ; des têtes tranchées ; descorps démembrés ; la violence aveugle et permanente que l’onsuppose dans un monde d’après la catastrophe. Ce que l’on décou­vre ensuite : davantage de sang encore. Un rideau de pluie rouge derrière les yeux, une ondée cra­moisie, une averse vineuse quiobscurcit la vue de Kree : au débutdu chapitre 2, Myriam Agazaki, l’unique vraie amie de Kree Toronto, s’applique à extraire desépingles de son crâne. Lentement,avec précaution. A chaque fois,Kree a l’impression qu’il pleut du sang à l’intérieur. « C’est quandque l’épingle elle touche une nais­sance ou une mort », précise My­riam, la syntaxe post­apocalypti­que. Les deux femmes sont des survivantes sous des ciels de « bi­tume », « gris ardoise » ou « noir aile de corbeau », à une époque quipourrait ne pas se situer si loin en avant de la nôtre, mais une époque sans mémoire où le temps semble neutralisé. Pasd’avenir, pas de passé. « Le présentsuffisait, avec ses hauts et ses baset ses lendemains improbables. »

Voyages intérieursKree est une femme dont le fil de l’histoire est bousculé, désorga­nisé, lacunaire. Kree est un livre, le troisième écrit par Manuela Draeger pour les adultes (après une grosse poignée de petits romans pour L’Ecole des loisirs entre 2002 et 2015). Celle­ci appartient à une communautéd’auteurs imaginaires réunis sousla bannière du « postexotisme » – où coexistent Lutz Bassmann, Elli Kronauer ou encore, et sur­tout, Antoine Volodine (qui, en l’occurrence, porte plume poureux tous comme d’aucuns por­tent flingue). Avec Kree, Draeger atteint une forme de plénitudedans la description d’errances entre les mondes et les réalités. Le chamanisme, les états de conscience alternatifs, les voya­ges intérieurs sont au cœur deson œuvre et hantent le postexo­tisme – mais ils touchent ici à une

simplicité romanesque, une pu­reté admirable. Le monde selonKree est également un monde au­delà, par­delà et entre parenthè­ses, que seul le concept boud­dhiste du « bardo », que tous lesprotagonistes du livre ont à labouche, parvient à saisir (on sedoute que c’est imparfaitement).

Le bardo peut être sommaire­ment défini comme un état inter­médiaire entre mort et renais­sance. Cette dernière semble ici cependant très compromise et l’existence dans le bardo paraîtdéfinitive. En effet, « l’humanité

s’était engagée dans l’errance sans espoir, dans l’errance loqueteuse,(…) ce monde ne connaissait plus nipoudre, ni électricité, ni machines. L’humanité décédée et ses trèsinfimes survivants et débris al­laient à mains nues dans le bardo boueux ». On ne s’inquiète plus des lendemains : il n’y en a pas quichantent. Pas de beau temps après la pluie. C’est presque unesurprise de voir, dans ce monde où sexe et procréation se révèlent aussi peu agréables et sans objet, qu’une forme de métempsychose existe (et l’on se demande bienpour quoi faire). Mais, de fait, des oiseaux géants pondent près descharniers ou des fosses commu­nes, offrant une éventuelle re­naissance à des âmes fraîchementfauchées… Comme un cycle dé­sespérant de vie qui ne veut pass’interrompre, un éternel recom­mencement triste, têtu.

Relation au réelPar les temps qui courent, il y aurait certainement beaucoup à dire sur cette œuvre collective dupostexotisme qui met en scène, au fil de ses textes et de ses récits, une décomposition globale en cours. Très XXe siècle, à sa façon :

on y voit le totalitarisme agoni­sant, la disparition de cultures et de peuples, un égalitarisme (tou­jours) dévoyé, une urbanité per­vertie et anéantie, un monde où« savoir lire et écrire [compte]autant que savoir jouer du cou­teau »… Mais ce monde­là rêve en­core, il est réenchanté, et l’huma­nité (même cabossée comme Kree) se surprend à repenser sa relation au réel. Ici, l’on tue les chiens imaginaires de nos récits d’enfants. Avant de les manger et de les venger. La construction durécit est à l’avenant, partant d’un point pour revenir en arrière puis repartir dans l’avant – sans que le départ et l’arrivée appartiennenttout à fait au même continuum. Les principes de la physique, du vraisemblable, du temps égale­ment ébranlés, tout devient flou devant les yeux de Kree, commesous l’effet de ses averses intérieu­res. Rien que de très normal dans ce monde comme un autre.

nils c. ahl

kree, de Manuela Draeger, L’Olivier, 320 p., 19 € ; numérique 14 €.

EXTRAIT

« Les souvenirs de ces années­là étaient si sombres que la plupart des survi­vants, lorsqu’ils les évoquaient, donnaient l’impression d’avoir baigné dans une obscurité perpétuelle. Ils avaient traversé exclusivement des paysages noctur­nes, des villes plongées dans le noir, sans avoir jamais connu l’éclairage du plein jour. Ni soleil ni midi n’existaient. Midi rampait à côté d’eux comme un nuage de naphte.Après le fracas et les bousculades, il se fit un silence, et ce silence dura. Ce fut la période la plus pénible de l’hiver.A l’usine de transformation animale, une femme qui coupait des rogatons de viande avait les mains tellement glacées qu’elle se sectionna un doigt sans s’en apercevoir. Sur le tapis la phalange continua en direction du broyeur, au milieu de vilains débris carnés (…). »

kree, page 105

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Page 18: Le Monde - 27 03 2020

18 | livres VENDREDI 27 MARS 20200123

La victime expiatoirePierre frappe sa femme, encore et encore. Jusqu’où ? Patrick Delperdange livre un huis clos empathique

Combat naval

B A N D E D E S S I N É E

Une classique tempête paranormaleMutants psychiques contre agents secrets : « Furie », de John Farris, près de 45 ans et toujours terrifiant

normales et anormales, viendra àbout d’une intrigue où Farris, àson meilleur, mêle les vertus du roman noir, du thriller d’espion­nage et du « fantastique spirite ».Un classique du genre dans la li­gnée de L’Echiquier du mal, de DanSimmons (Denoël, 1992), ou du récent Institut, de Stephen King (Albin Michel, lire « Le Monde deslivres » du 14 février).

françois angelier

furie (The Fury), de John Farris, traduit de l’anglais (Etats­Unis) par Gilles Goullet, Gallmeister, 500 p., 24,80 € ; numérique 17 €.

EN 2007, ODYSSEY MARINE EXPLORATION, une entreprise amé­ricaine spécialisée dans la recherche d’épaves sous­marines, avait remonté à la surface le trésor d’une frégate espagnole, la Nuestra Señora de las Mercedes, coulée par les Britanniques au large des côtesportugaises deux siècles plus tôt. S’en était suivie une bataille juri­dique de cinq ans avec l’Espagne, qui revendiquait la propriété du navire et des 500 000 pièces d’argent exhumées de ses cales. Témoin de ces événements alors qu’il était diplomate, Guillermo Corral van Damme en a tiré un scénario romancé mis en pages par l’auteur de bande dessinée espagnol le plus talentueux du moment, Paco Roca. C’est tout le feuilleton du combat pour la possession du trésor qui est raconté, à travers des personnages fictifs, dans cet album à mi­chemin entre le docu­BD et le thriller politique. Le réalisme des situations, la précision des dialogues et le soin apporté à une nar­ration très classique sur le plan formel composent un album palpitant d’un bout à l’autre. frédéric potetLe Trésor du Cygne noir, de Paco Roca et Guillermo Corral, Delcourt, 216 p., 25,50 €; numérique 18 €.

DELCOURT

Son mari s’est­il débarrassé d’elle ? A­t­elle fui sa ville ? S’est­elle suicidée ?

Nouveau registrePatrick Delperdange est un auteur prolifique, auteur descénario de bandes dessinéeset de fictions pour enfants (mentionnons par exemple la série L’Œil du milieu, Nathan, 2003­2004) comme de polars(Si tous les dieux nous aban­donnent, Gallimard, 2016), et de quelques romans « horsgenre ». Il a notamment reçu, en Belgique, le prestigieuxprix Rossel pour Chants des gorges (Sabine Wespieser,2005). Avec C’est pour ton bien,le Belge change une fois en­core de registre, signant untexte sur le patriarcat et les violences conjugales. On y suit une Camille victime ex­piatoire de tous les hommes de son entourage mais aussi d’un système incapable de la protéger.

Observant les codes duthriller à huis clos, Delper­dange se plaît à égarer lelecteur dans de fausses pistes. On pense ainsi aux livres deGillian Flynn et à La Fille du train, de Paula Hawkins (Sona­tine, 2015). Surtout, il nous tient en haleine grâce à une écriture sèche, des chapitrescourts et son art des rebondis­sements. Addictif.

abel mestre

c’est pour ton bien, de Patrick Delperdange, Les Arènes, « Equinox », 336 p., 16 € ; numérique 12 €.

QUE FAIRE QUAND ON DOIT RESTER À DISTANCE DE TOUS ET QU’ON A BESOIN DE PRÉSENCE ET DE JOIE ? On ne

peut jouir de ce réconfort audehors ? « Eurêka cela netienne ! », s’exclame ValérieRouzeau, qui a trouvé une so­lution parfaite. Dans Ephémé­ride, elle joue avec le temps etles mots, ressources que nousavons, plus que d’habitude, àdisposition. Qu’est­ce qu’une

éphéméride ? C’est un almanach qui re­cense les événements importants sur une période donnée, mais aussi, comme

l’explique l’auteure, « certains non­évé­nements de ma vie, de ces moments que l’on pourrait qualifier d’anodins, du moins de tout à fait oubliables à ceci prèsqu’ils se sont gravés tels des 1eravril ou des14­Juillet dans la fragile boîte noire demon crâne ». La mémoire opère en effet un tri subjectif. Et brouillon : pas ques­tion d’arracher les pages du calendrierdans l’ordre, au contraire il sera fait« moult pieds de nez à Kronos, des coq­à­l’âne, des digressions, du saute­mou­ton ». C’est donc dans le désordre, entre1993 et aujourd’hui, que « cette matièrede vivre accumulée » au fil des années

– notes, courriels, fragments, lettres… –nous donne à éprouver le corps mêmedu temps et que cette Ephéméride se mueen œuvre poétique : (Le temps passe et fait mes rides) en est le sous­titre.

En feuilletant sa correspondance,Valerie Rouzeau, née en 1967, retrouve des pépites, des témoignages d’amitié ou de conflits pardonnés depuis, des tra­ces écrites des attentats de Paris en 2015 – « le nombre au lieu des noms, c’est terri­ble », lui écrit le poète Antoine Emaz (1955­2019) –, qu’elle commente avec deseffets de zoom mémoriel saisissants.Elle nous plonge aussi dans la vie pré­caire d’un poète du XXIe siècle – « pas derevenus stables, pas de salaire » – qui

combat la dépression chronique, croulesous la paperasserie de l’Agessa et de l’Urssaf – « Il faudrait un CAP de compta­bilité » (les intéressés comprendront) – et vivote grâce aux résidences d’artistes etaux festivals de poésie dont s’honorentencore certains pays du monde.

Mais la poésie lui est consubstantielle :« Bonne qu’à ça ou rien », note­t­elle dansVrouz, un autre de ses recueils paruen 2012 (La Table ronde). Et puis, ajoute­t­elle, « J’ai un toit sur la tête et par­des­sus ce toit/ Un ciel plein de flocons/ Cen’est pas sur moi qu’il neige/ Ce n’est pasmoi qui meurs de froid. » Car le « je » deValérie Rouzeau, dans ces textes person­nels, reste fortement tourné vers le de­hors, et les remarques féministes, éco­logiques, la critique politique se fondentau quotidien des jours, au deuil ou à lajoie. Ce « je » est d’ailleurs à cent lieuesde toute arrogance autocentrée, il relèvebien plutôt de ce que le poète DanielBiga appelle la « poévie ». « Depuis Montaigne, souligne Rouzeau, on saitcombien l’expérience de l’autre nousaide à vivre. » Aussi préfère­t­elle parlerdu « j’euh » incertain de son ami Emaz,

ALINE BUREAU

éphéméride (le temps passe et fait mes rides), de Valérie Rouzeau, La Table ronde, 144 p., 16,50 € ; numérique 12 €.

S’en sortir sans sortir

LE FEUILLETON

CAMILLE LAURENS récemment décédé, qu’elle cite abon­damment.

Car Ephéméride est aussi et surtoutune ode à l’amitié et à l’admiration. Valérie Rouzeau aime par­dessus toutGuillaume Apollinaire – « Il me ré­jouit » – et Robert Desnos, qui l’accom­pagne depuis qu’elle a appris son pre­mier poème, enfant. Elle traduit despoètes étrangers, sa chère Sylvia Plath(1932­1963) ou William Carlos Williams (1883­1963), par exemple. Elle énumère et célèbre des auteurs connus et mécon­nus, qu’ils soient anciens ou ses « pairs contemporains », tels Christian Bachelin(1933­2014), « pas un poète d’aujour­d’hui » mais « un poète de toujours »,Daniel Biga, Fabienne Courtade, JamesSacré, Catherine Pozzi (1882­1934) et tantd’autres. Elle pose la fameuse questionde Ghérasim Luca (1913­1994), que notreactualité remet au premier plan : « Com­ment s’en sortir sans sortir ? » Sa réponseest claire : par les rythmes et les sono­rités de la langue (Rouzeau fait beau­coup de lectures à voix haute), les créa­tions de néologismes qui concilient les contraires, comme le verbe­valise« s’amarracher », les télescopages, répé­titions et autres jeux de mots, on attrape« dans les mailles du poème » la pensée en mouvement, les émotions, le poissonvivant de la vie.

Ephéméride, comme toute l’œuvre deValérie Rouzeau et celle des nombreux poètes qu’elle cite, nous rappelle à point nommé l’importance capitale, pour nous tous, de « la poésie où la vie s’in­vente magistralement ». En modifiant seulement la place d’un mot, elle nous invite à son « jeu sérieux ». Puisque vousne pouvez pas sortir de chez vous et vousen aller où vous voulez, « allez en vous », écrit­elle. L’introspection alliée au senspoétique du monde n’a rien de superflu : « L’écriture d’un poème peut représenterpour moi un moyen de réparer (…) ce quimarche mal ou ne marche pas dans la vie,voire se venger des méchancetés et autres vacheries de l’existence », assure Valérie Rouzeau, « la mécanicienne », comme elle aime à se nommer, et on la croit bienvolontiers. Pour se purger de l’inutile et de l’angoisse, oublier les aléas du « couac quarante » en célébrant la vie « belle et fragile », pour s’amarrer et s’arracher d’un même geste à la réalité, rien de telque de lire ou d’écrire de la poésie. « Des livres, des livres, des livres ! » Ce n’est pas làfaire acte de retranchement stérile maisde résistance active : « Mon cœur ne s’ennuie pas. Il se bat. »

Puisque vous ne pouvez pas sortir de chez vous 

et vous en aller où vous voulez, « allez en vous », écrit Valérie 

Rouzeau. L’introspection alliée au sens poétique du monde 

n’a rien de superflu

PHILIPPE MATSAS

THRILLER

C amille a tout pourêtre heureuse. CetteBruxelloise, enceinte

de son premier enfant, par­tage sa vie entre son mari et sameilleure amie. Mais un jour le monde de Camille bascule. Pierre, son époux si aimant et attentionné, lève la main sur elle. « Vous devez bien vousl’avouer, l’homme avec qui vous vivez a changé. Il n’estplus tout à fait celui que vous avez épousé. (…) Il vous a frap­pée pour que vous arrêtiez deparler, et jamais, au grand jamais, vous ne l’auriez cru capable d’un tel geste », ré­sume le narrateur.

L’engrenage des violencesconjugales s’enclenche. Pierre frappe de plus en plus sou­vent, Camille, elle, se réfugie quotidiennement dans lapeur et la honte. Tous les sub­terfuges sont bons pour ca­cher la vérité à ses proches.Malgré tout, ses amis com­mencent à s’apercevoir que quelque chose cloche dans le couple que l’on croyait parfait.Et un jour, Camille disparaît.

FANTASTIQUE

P remier volet d’une tétra­logie romanesque sur leparanormal, paru en 1976

aux Etats­Unis, porté à l’écrandeux ans plus tard par Brian DePalma, aujourd’hui réédité dans une traduction révisée, Furie est l’un des pics de terreur paniquedu romancier et scénariste améri­cain John Farris (père du roman­cier Peter Farris, également publiéen France par Gallmeister).

Soit un coup de sonde vertigi­neux dans le monde des hyper­pouvoirs de l’esprit et de leurmésusage sinistre par des offi­cines secrètes de l’Etat. L’histoirese polarise autour d’un coupled’adolescents qu’unit, sans qu’ils se connaissent l’un l’autre, une intense gémellité mystique :Gillian Bellaver, 14 ans, rejetonned’une richissime famille, et RobinSandza, un jeune médium, fils d’un ancien agent du MORG, agence clandestine vouée à l’ex­ploitation scientifique des mu­tants psychiques.

Monstrueux cobayeSi Gillian endure, sans les maîtri­ser, ses pouvoirs au quotidien, Robin est, lui, enlevé par le MORG, qui en fait un mons­trueux cobaye. Seule une terrible mêlée, où se confronteronttoutes les puissances humaines,

L’ÉCRITURE PREND VIE

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Page 19: Le Monde - 27 03 2020

0123VENDREDI 27 MARS 2020 livres | 19

JE VOULAIS BIEN SÛR VOUS PARLER DE LAMORT À VENISE, évoquer cette épidémie de choléra et de nostalgie qui envahit les pages brûlantes de Thomas Mann, pour vous changer de La Peste, de Camus, que, pa­raît­il, vous relisez en boucle, mais je n’ai pas trouvé d’édition récente justifiant une telle recension : il semble qu’au temps de la pandémie on ait d’autres chats à fouetter

que rééditer des livresdécrivant l’infection, lesmouchoirs sur la bouche,Venise déserte et frisson­nante de fièvre, la beauté,la mort, Éros, Thanatos.

Mais, de fil en aiguille,perturbé par les questionsde Thomas Mann et sonobsession pour la mala­die, je me suis plongédans cette masse d’inter­

rogations que constitue Comprendre le nazisme, de Johann Chapoutot. Cette antho­logie de conférences, d’émissions de radioet d’articles me semble s’intéresser à cequ’on pourrait appeler « la culture » nazie– le corps nazi, le colonialisme nazi (pas­sionnant), le nazisme comme horizon iné­luctable de la république de Weimar. Avec son humour parfois cinglant, sa ténacitéfroide, sa clairvoyance modeste, Chapoutotexplore les confins de la violence extrême avec une clarté passionnée.

L’HISTOIRE, C’EST UNE SOMME D’HISTOI­RES, que celles­ci en soient les sources ou lesexemples – quelle meilleure illustration de cette lapalissade qu’Une histoire de France, de Nathalie Heinich. Le singulier y devientcollectif ; l’histoire de France, une somp­tueuse métonymie. Cet essai – ce récit – do­cumente la vie des ascendants de l’auteure depuis la fin du XIXe siècle, et construit le roman de ces existences en images. Bien sûr, au cœur du XXe siècle se trouvent la violence nazie et l’extermination : de quelle

façon on y échappe, com­ment on porte le deuil deceux qui ont disparu ousont revenus ; cette partd’horreur, elle se cache enchacun de nous.

Evidemment, il y a tou­jours « l’autre côté » de lafamille, ici des protestantsoriginaires d’Alsace quin’ont pas subi (ni fait subirnon plus) cette violence : ces

deux « branches » se fondent dans une épi­phanie de lumière méditerranéenne, à Mar­seille. « Une histoire de France » comme il y en aurait des millions, car toutes racontent la mixité et les hasards qui ont tissé les fa­milles de ce pays, tout autant que la France qu’elles fabriquent à leur tour.

LA MÉMOIRE, LE SECRET ET LA MORT SONTaussi au cœur de Deuils, du Guatémaltèque Eduardo Halfon. Un enfant mort noyé dans un lac au Guatemala, un grand­oncle mort dans le ghetto de Lodz, un grand­père res­capé : les échos de la catastrophe se font sentir longtemps, bien longtemps après. Un récit familial, c’est ce que nous imaginons,

enfant, à partir du silencedes adultes ; un récit fami­lial, ce sont ces fleurs silen­cieuses qui poussent dansla partie de l’imaginationque l’on croit appeler mé­moire. Le lac devient petit àpetit une métaphore. C’estun lac bien réel, une éten­due d’eau profonde, quiacquiert doucement, grâceà la maestria d’Halfon, sa

dimension métaphorique. Empoisonnée etpolluée, l’eau de ce lac. Il faudra la scienced’une vieille femme chamane pour que le narrateur accède à sa vérité intérieure, qu’il renoue les fils de sa propre existence.

Le roman d’Eduardo Halfon est simple etbeau comme un voyage vers soi ; fragile comme une vérité initiatique, comme une révélation qui nous dévoilerait soudain notre propre place en ce monde.

Comprendre le nazisme, de Johann Chapoutot, Texto, 442 p., 10,50 €; numérique 10 €.Une histoire de France, de Nathalie Heinich, Champs, « Libres », 240 p., 8 €; numérique 12 €.Deuils (Duelo), d’Eduardo Halfon, traduit de l’espagnol (Guatemala) par David Fauquemberg, Livre de poche, 128 p., 6,70 €; numérique 12 €.PI

ERRE

MAR

QUÈS

DES POCHESSOUS LES YEUXMATHIAS ÉNARD

ENTRETIEN

P hilippe Jaenada le raconte,entre autres, dans La Femmeet l’ours (Grasset, 2011) :en 1989, il s’est enfermé pen­dant un an. Aucun contact

avec son prochain, et dix minutes de sortie par jour au maximum pour aller chercher des vivres et des cigarettes. C’est là qu’il a commencé à écrire. De­puis, il mène une existence notoirement « troglodyte », comme il la décrit dansnombre de ses livres. Nous avons inter­rogé (par courriel, car il professe un goût très modéré pour le téléphone) ce cham­pion du confinement sur sa singulière expérience de la mise en retrait.

Pourriez­vous expliquer ce qui vous a poussé à passer l’année 1989 à l’écart de tout ?

Disons, pour simplifier, que je n’allaispas bien du tout à cette époque, il deve­nait urgent (vital, même, sans rire) de faire quelque chose. J’ai pensé à me faire interner en psychiatrie, mais ça m’embê­tait quand même, donc je me suis dit que, peut­être, si je tentais quelque chosede radical, qui crée un vrai choc, une cas­sure dans ma vie, ça pouvait suffire pourrepartir un peu neuf, vierge et pimpant.

A cette époque, j’ai vu à la télé unejeune femme sortir d’une grotte souter­raine où elle venait de passer un peu plusde trois mois, dans un but scientifique, en particulier pour des expériences sur les rythmes du corps. Elle s’appelaitVéronique Le Guen. N’étant pas proprié­taire de grotte, j’ai décidé de faire ça dansmon appartement. Et comme c’est plus facile en appartement que 80 mètres sous terre, me semblait­il, j’ai décidé dem’y enfermer un an. J’ai mis à la cavema télé, mon téléphone, ma radio, machaîne hi­fi (mon Minitel !), tout ce qui pouvait me permettre d’avoir un contactavec le monde, j’ai fermé les volets, et pendant un an (un peu plus, même), je suis resté assis sur un fauteuil à regarder mes murs – je ne sortais même pas dix minutes par jour, cinq, vite, et sansouvrir la bouche.

Un peu plus d’un an après sa sortie dela grotte, Véronique Le Guen s’est suici­dée (je pense, sans raison particulière,qu’il y a un lien, mais officiellement non). Moi, c’est le contraire : sans vouloir employer de grands mots mièvres, cet

enfermement m’a redonné vie. Je suiscomme revenu au monde, retapé, re­formé (rebiscoulé, comme on dit enAveyron), indestructible – si, je le jure.

C’est à ce moment­là que vous avez commencé à écrire – des nouvelles, tout d’abord. Vous souvenez­vous de la manière dont vous vous êtes lancé ?

Je m’en souviens comme si c’étaitavant­hier soir. Au début, cette « expé­rience », c’est rigolo. Au bout d’un mois ou deux à fixer un mur blanc, on com­mence à trouver ça un peu moins drôle – ça va deux minutes, l’aventure inté­rieure, ou deux mois, bon, mais pas plus. Après quatre ou cinq mois, c’est l’effon­drement, on dégringole en dedans de soi­même, on se sent devenir fou. Fou d’en­nui, d’abord, d’immobilisme physique et psychique, et fou de silence, de non­com­munication, d’hermétisme. (C’est bête, mais si je rêvais que je couchais avec Greta Garbo, qui avait malheureusement la tête de Louis de Funès, ou si je glissais dans ma baignoire et me cassais une inci­sive sur le robinet, je ne pouvais en parlerà personne. C’était rageant.) J’ai senti que,si je continuais comme ça, j’allais vite abandonner. (Je suis un véritable colosse, je n’apprends rien à personne, mais nousavons tous nos limites.)

Il fallait, c’était indispensable, que jetrouve quelque chose à faire. Si une gui­tare ou une flûte avait traîné dans ma chambre, j’aurais probablement essayé d’apprendre tout seul à jouer de la gui­tare ou de la flûte (mes voisins auraient fini par mettre fin à mon expérience, les gens n’ont pas de respect pour les aven­turiers de l’extrême) ; si j’avais retrouvé dans un placard des feuilles de papier àdessin et la vieille boîte de tubes de pein­ture qu’on m’avait offerte à Noël 1978, je me serais sans doute mis à peindre (et je ne pense pas que, dans le monde des artsgraphiques, il y aurait eu un avant et un après) ; je n’avais que quelques vieuxcahiers inutiles et un ou deux stylos. Je n’avais jamais écrit auparavant, pourainsi dire. Et je n’avais aucune prétentionlittéraire quelconque, bien sûr. Mais je me suis dit que ça m’occuperait, ce qui était déjà inespéré, et que ça me permet­trait, sans être vulgaire, de « sortir des trucs de moi » – quels qu’ils soient, peu importe, je ne me faisais aucune illusion quant à leur intérêt éventuel, le principalétait que des trucs sortent. Donc je me suis mis à écrire des nouvelles, très diffé­rentes, hétéroclites, tout ce qui me pas­sait par la tête. (Sans fausse modestie, croyez­moi, c’était consternant.)

Est­ce que ce n’est pas précisément ce que vous avez recherché dans cette expérience ?

Non, très sincèrement, non. Je n’avaisjamais pensé à écrire, je n’en avais jamaiseu envie. Si on m’avait dit, la veille dujour où je me suis enfermé, « Tu vasécrire des nouvelles », ç’aurait été exacte­ment comme : « Tu vas faire de l’équili­bre sur la tête sans les mains ». C’était seulement, franchement, pour me « sou­lager », et parce qu’écrire, former des let­tres, des phrases, c’est à la portée de tout le monde.

Vous êtes sorti de cette année avec de nets penchants « troglodytes », selon vos propres dires. A quel point liez­vous l’écriture et ce rapport à la solitude, à l’enfermement ?

Si vous m’aviez posé la question sixmois après ma sortie de cette grotte au quatrième étage, je vous aurais dit : « Aucun rapport. » Aujourd’hui, c’est sûr, c’est très étroitement lié à mon écriture. En fait, cinq ans plus tard, je me suis mis en tête d’écrire un roman. Je pensais l’écrire à Paris, chez moi, quand l’inspira­tion tomberait du ciel, quand les musesviendraient me lécher les oreilles. Tu parles. Au bout de trois ans, j’avais péni­blement, laborieusement, aligné 40 ou 50 pages (il ne faut jamais faire confianceaux muses, ces pignoufs). J’ai comprisqu’à ce rythme­là, si je réussissais à écrire, dans toute ma vie, un roman ina­chevé, j’aurais de la chance.

Avant d’abandonner, j’ai repensé àcette année, enfermé, qui m’avait permisd’écrire quelques nouvelles, quatre ou cinq, de qualité médiocre mais quandmême. Je suis parti m’enfermer troismois (comme Véronique Le Guen), dans un village de Normandie, Veules­les­Ro­ses, en hiver. Dans le genre solitude, ça sepose là. J’ai écrit 700 pages en trois mois. Ça reste mon record (ah, la jeunesse, la jeunesse…), mais depuis (c’était il y a vingt­quatre ans), j’ai compris : je ne sais pas pour les autres, mais moi, pour écrirecorrectement, efficacement, il faut que jesois enfermé quelque part, seul évidem­ment, et que je ne fasse rien d’autre.

Aujourd’hui (après être retourné pourchaque livre, les années où ma femme et moi n’avions pas encore d’enfant, à Veu­les­les­Roses), je peux faire ça à Paris, dans mon bureau (où j’ai un lit, aussi). Là,ça fait bientôt sept mois que je n’en sors pas, de mon bureau, sept jours sur sept.Sauf pour descendre deux heures parjour au bar d’en bas, mais comme on sait,c’était le bon temps, c’est fini. Je vais pou­voir écrire beaucoup dans les semaines qui viennent. Heureusement que j’ai derrière moi mon solide entraînement de 1989. Le confinement, à côté, c’est dela gnognote.

propos recueillis parraphaëlle leyris

Philippe Jaenada : « Pour écrire, il faut que je sois enfermé »Le confinement n’effraie pas l’auteur de « La Serpe », bien au contraire. Il s’explique

Philippe Jaenada, en 2017. MOLLONA/LEEMAGE

EXTRAIT

« Je m’étais débarrassé de ma télé, de mon téléphone et de mon poste de radio, j’avais fermé tous mes volets, mais, bénéficiant tout de même d’un confort non négligeable par rapport à la grotte de référence, j’avais fixé, pour compenser, la durée de la claustration à trois cent soixante­cinq jours, du 1er janvier au 31 décembre. (…) J’en étais effectivement ressorti transformé, libéré de tout problème d’insignifiance et d’ennui (comme on est libéré de la peur de l’eau quand on vient de passer un an à nager perdu dans l’Atlantique) mais, en contrepartie, bien plus sauvage qu’auparavant. J’avais prévu de mettre un terme à mon enfer­mement et de revenir (radieux) parmi mes semblables le 1er jan­vier, mais je n’ai pas pu, j’avais peur (ils sont nombreux et impré­visibles, mes semblables), et ce n’est que le 17 que j’ai trouvé le courage d’entrer dans une cabine et d’appeler une amie, Anne­Claude, la plus calme et rassurante des filles que je connaissais, pour lui demander de m’emmener dans un restaurant. »

la femme et l’ours (grasset, 2011), page 50

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20 |carnet VENDREDI 27 MARS 20200123

Jacques OudinHomme politique

S a vie commence commeun roman d’aventures.La mère de Jacques Oudin,journaliste d’origine

ukrainienne exilée en France, partdans les années 1930 en reportageen Chine puis en Indochine, où elle rencontre le dernier empe­reur du Vietnam, Bao Daï. C’est au cours de ce séjour qu’il naît sur unbateau vapeur, en mer de Chine, naissance officiellement déclarée le 7 octobre 1939 à ce qui s’appelle alors Tourane et est devenu aujourd’hui Da Nang. Alors qu’il est âgé de 11 ans, sa mère rentre enFrance et s’installe sur le littoral atlantique, à Noirmoutier.

De ses origines asiatiques, Jac­ques Oudin, mort samedi 21 marsà Paris à l’âge de 80 ans des suites du Covid­19, conservait les traits, un regard plissé et malicieux, et une passion assidue pour l’Extrê­me­Orient. Sénateur de la Vendée élu en 1986 – il le demeurera jus­qu’en 2004 –, cet énarque, con­seiller référendaire à la Cour des comptes, présida longtemps le groupe sénatorial d’amitié Fran­ce­Vietnam. C’est à ce titre qu’il s’yrendit, en mai 2003, en compa­gnie du président du Sénat, Chris­tian Poncelet. C’était le premier déplacement au Vietnam d’offi­ciels étrangers depuis que sévis­sait l’épidémie de SRAS.

Avant de s’engager en politique,Jacques Oudin a suivi de brillan­tes études : lauréat du concoursgénéral, diplômé de HEC, licencié en droit, diplômé de Sciences Po,ENA, direction la Cour des comp­tes. Il entre en 1971 au cabinet d’Olivier Guichard, grand baron du gaullisme, alors ministre del’éducation nationale, qu’il suivra à l’aménagement du territoire. Il est ensuite nommé au ministère de l’industrie, où il occupe plu­sieurs fonctions directoriales.

Fonction sensibleMais son premier mentor lui a instillé le goût de la politiqueainsi que la même foi gaulliste et, dès 1976, il conquiert ses pre­miers mandats locaux : conseillergénéral, conseiller municipal, puis, en 1985, conseiller régionaldes Pays de la Loire, alors présidéspar Olivier Guichard, avant de se présenter, en 1986, aux électionssénatoriales en Vendée sur une liste dissidente, et de l’emporter face à l’ancien ministre RPR Vin­cent Ansquer.

Il ne lui en est pas tenu rigueur.Son ascension dans l’appareil po­litique du RPR chiraquien com­mence par sa nomination,

en 1988, au sein du conseil natio­nal de prospective, où il est chargédes entreprises. Cinq ans plustard, le RPR le désigne comme tré­sorier, une fonction sensible danscette période où le financement des partis politiques n’était pasaussi encadré qu’il l’est aujour­d’hui et pouvait passer par des ca­naux occultes. C’est aussi à ce titrequ’il sera trésorier de l’associa­tion de financement de la campa­gne présidentielle de Jacques Chi­rac en 1995, à l’issue de laquelle ce dernier accède à l’Elysée. Cettemême année, il entre au bureau politique du RPR.

Autant dire que Jacques Oudinconserve par­devers lui bien des secrets des financements politi­ques de l’époque. Toutefois, si son nom a été cité à plusieurs reprises et s’il a été entendu dans certaines des affaires judiciaires qui ont marqué la fin des années 1990 et ledébut des années 2000, il n’a ja­mais fait l’objet de la moindre con­damnation. En novembre 1997, il est mis en examen pour « compli­cité et recel d’abus de biens so­ciaux » à la suite de la découverte d’employés du RPR dont les salai­res étaient versés par des entrepri­ses privées. Il sera relaxé « en l’ab­sence de charges ». Egalement mis en examen dans une affaire sur le financement des salaires des per­manents de l’ex­RPR, il est finale­ment exonéré de toute poursuite.

Ainsi Jacques Oudin poursui­vra­t­il ses activités au Palais duLuxembourg, où il exerce la fonc­tion de vice­président de la com­mission des finances. Celui quiest également président du Cerclefrançais de l’eau et du Comité na­tional de l’eau se distingue no­tamment par ses travaux et ses propositions sur la gestion de l’eau. Jusqu’à ce qu’il essuie une défaite aux élections sénatoriales de 2004, alors qu’il briguait untroisième mandat. Jusqu’en 2015, il est resté conseiller général du canton de Noirmoutier­en­l’Ile, auquel il consacrait l’essentiel de ses activités.

patrick roger

7 OCTOBRE 1939 Naissance déclarée à Tourane (Da Nang, Vietnam)1986-2004 Sénateur de la Vendée1993 Trésorier du RPR1995 Trésorier de la campagne présidentielle de Jacques Chirac21 MARS 2020 Mort à Paris

En 2010. FRANCK DUBRAY/ PHOTOPQR/MAXPPP

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Le Carnet

AU CARNET DU «MONDE»

Décès

Ses enfants,Ses petits-enfantsEt son arrière-petit-fils,

ont la tristesse de faire part du décèsde

M. Léon ATTIA,professeur agrégé de philosophie,

survenu le 22 mars 2020,à l’âge de quatre-vingt-douze ans.

Un hommage sera organisé dansle courrant de l’été, chez lui, àChampigny-sur-Marne.

Sidonie et Clarisse Lenoble,ses filleset leurs conjoints

Ainsi que Anouk, Lucien, Basile,Gabriel,ses petits-enfants,

ont l’immense tristesse de faire partdu décès de

Mme Jocelyne BASSELIN,mère aimante et courageuse,

survenu le 18 mars 2020, à Paris.

La crémation aura lieu dansl’intimité familiale, le vendredi27 mars, à 11 heures, au crématoriumdu cimetière du Père-Lachaise,Paris 20e.

Françoise Beeker,née Poncelet,son épouse,

Etienne et Sophie, Anne et Vlad,Florence et Dov, Emmanuel etLaurence, François et Annick,ses enfants et leurs conjoints,

Benjamin, Nathanaël, Pierre (†),Gabriel, Jonas, Ella, Léopold, Arielle,Niels, Oscar et Adam,ses petits-enfants et arrière-petits-enfants,

Sa famille,Ses amis,

ont la tristesse d’annoncer le décèsde

Adrien BEEKER,

survenu le 23 mars 2020,à l’âge de quatre-vingt-douze ans.

L’inhumation aura lieu lundi30 mars, dans l’intimité au cimetièred’Antony.

Une cérémonie sera organiséeultérieurement.

La famille tient à remercier Riri,Sabrina et tous ceux qui l’ontaccompagné ces derniers mois etsemaines.

[email protected], allée du Rhône,92160 Antony.

M. et Mme Olivier Billion,leurs enfants, Arnaud, Amandineet Florenceet leurs conjointsainsi que leurs petits-enfants,

M. et Mme Jean-Francis Billion,leurs enfants, Franck et sa compagne,Guilhem, Emiliaainsi que leur petite-fille,

Les familles Billion, Vauzanges,Ginier-Gillet, Pichat, familles liéeset amies,

Samira, qui l’a accompagnée,

ont la tristesse de faire part du décès,le 20 mars 2020, en sa quatre-vingt-dix-neuvième année, de

Mme Josette BILLION,née VAUZANGES,

épouse de feuJacques BILLION.

Une messe va être célébrée à sonintention. Merci de vous y associerpar vos pensées et vos prières.

Une cérémonie religieuse, suivied’une réunion, sera organiséeultérieurement.

Le présent avis tient lieu de faire-part.

[email protected]@wanadoo.fr

Christiane Boniol,son épouse,

Yves, Martine, Monique, Frédéric,ses enfantset leurs conjoints,

Ses petits-enfantsEt ses arrière-petits-enfants,

ont la douleur de faire part du décèsde

Jean BONIOL,pasteur à la retraite,

survenu le 23 mars 2020,à l’âge de quatre-vingt-quinze ans.

Un culte de reconnaissance seracélébré ultérieurement.

« En tout temps, à tout sujet,rendez grâce »

(Ephésiens V, 20).

Jean-Marc et María Mercedes,Bénédicte et Christian Maitre,Bertrand et Claire,

ses enfants,Matthieu, Quentin, Mathilde,

Clémence, Ludovic, Benjamin, Cômeet Bertille,ses petits-enfants,

ont la tristesse de faire part du décèsde

Raymond CESAIRE,ambassadeur de France

commandeurde la Légion d’honneur,ancien administrateur

de la France d’Outre-Mer,membre titulaire

de l’Académie des sciencesd’Outre-Mer,

survenu le 24 mars 2020,dans sa quatre-vingt-huitième année.

Cet avis tient lieu de faire-part.

29, avenue Bosquet,75007 [email protected]

Paris.

Jeannine « Fabiola » Delbez,son épouse,

Denise Teyssèdreet sa famille,

Les familles Delbez, Dommergue,Mallet, Fox

Et ses amis,

ont la tristesse de faire part du décèsde

M.Maurice DELBEZ,réalisateur,

survenu à La Maison des Artistes,le 23 mars 2020,à l’âge de quatre-vingt-dix-sept ans.

En raison de la situation sanitaire, lacélébration aura lieu ultérieurement.

Paulette Madaule,son épouse,

Catherine, Isabelle, Jean-Baptiste,Stéphane,ses enfants,

Murielle, Sylvie,ses belles-filles,

Ses petits-enfantsEt ses arrière-petits-enfants,Toute sa familleEt ses amis,

ont la tristesse de faire part du décèsde

Pierre MADAULE(1927-2020),

chrétien,père de famille,

mais lecteur de l’œuvre de Blanchotdepuis les années 50,

resté captif du manqueà partir duquel cette œuvre

fut écrite,

survenu le 24 mars 2020,dans sa quatre-vingt-treizième année.

25, avenue Jules-Pelissier,81120 Réalmont.

Le directeur,Le personnelEt les chercheurs

du CEPREMAP, le Centre pour larecherche économique et sesapplications,

ont l’immense tristesse de faire partdu décès de

Pierre MALGRANGE,directeur émérite de recherche

au CNRS.

Pierre Malgrange a été l’undes pionniers de la modélisationmacroéconométrique en France.

Nous avons perdu avec Pierre unepersonne aux qualités humainesexceptionnelles.

CEPREMAP,48, boulevard Jourdan,75014 Paris.

Nous avons l’immense tristessede faire part du décès du

docteur Roger MOULLEC,médecin général des Armées,

officier de la Légion d’honneur,

survenu dans sa quatre-vingt-treizième année.

De la part de

Ses neveux, nièces,Ses filleules et filleul.

En raison des circonstancesactuelles, une cérémonie religieusesera célébrée ultérieurement enl’église Saint-Tugen de Primelin,dont il fut l’instigateur derénovations.

L’inhumation aura lieu le vendredi27 mars, à 10 h 30, au cimetièrede Primelin.

La famille remercie l’humanitéet la présence du personnel de lamaison de retraite de la baied’Audierne ainsi que toutes lespersonnes qui prendront part à leurpeine.

Ni fleurs ni couronnes.

PFG Services funéraires deDouarnenez.

Tél. : 02 98 92 10 45.

Françoise Schoen,sa femme,

Vincent, Antoine et Laure,ses enfants,

Hélène, Françoise, Pascal, Benoist,ses belles-filles et gendres,

Arthur, Cécile, Marguerite, Adrien,Manon, Jeanne, Louise, Jules etFlorent,ses petits-enfants

Et tous les proches qui l’ontaccompagné le long de sa vie,

ont la tristesse de faire part du décèsde

l’ingénieur généralde l’armementFrancis SCHOEN

(X-53, Supaéro),

survenu le 23 mars 2020.

Sa famille remercie le serviced’hématologie de l’hôpital de laConception pour l’humanitémanifestée au cours de ces derniersmois.

71, boulevard Notre-Dame,13006 Marseille.

Hommage

Hommage à

Michel GRISOLIA,écrivain et scénariste.

Depuis le 29 mars 2005, tu nepeux plus lire Le Monde des Livres.

On pense à toi.

Françoise Hamel.

Prix de thèse

Prix de thèse 2020du Défenseur des droits :appel à candidatures.

Le Défenseur des droitsdécerne annuellement un prixdestiné à distinguer des thèses

intéressant l’un de ses domainesde compétences : défense des droits

des usagers des services publics,défense et promotiondes droits de l’enfant,

lutte contre les discriminationset promotion de l’égalité,respect de la déontologie

des professionnelsde la sécurité, orientation

et protection des lanceurs d’alerte.

Ce prix, d’une valeur de 10 000 €,récompense des travaux menésdans une discipline juridique,

ou des sciences humaines, socialeset politiques (économie, géographie,histoire, sociologie, anthropologie…).

Les étudiantes et les étudiantsayant soutenu leur thèse entre

le 1er janvier 2019et le 31 décembre 2019

peuvent se procurer le formulairede candidature

et toutes les informationsnécessaires au dépôt sur le site :

https://www. defenseurdesdroits.fr/fr/le-prix-de-these-du-defenseur-

des-droits

Date limite de dépôtdes candidatures :

30 avril 2020, à minuit.

Défenseur des droitsDPEAD – Prix de thèse

3, place de Fontenoy, 75007 Paris.Contact :

[email protected]

Formation

Communication diverse

L’Inalcolance un DU d’ethnomédecine

en septembre 2020D’une durée de deux ans,

ce nouveau DU comprend 12 UEde langues

(initiation chinois ou hindi),de sciences humaines et sociales(droit de la santé, anthropologie

et géographie de la santé),d’ethnobotanique,

d’ethnopharmacologie,de médecine chinoise

et ayurvédique.Ce diplôme est ouvert

à tous les professionnels de santé,médecins, pharmaciens,

infirmiers, sages-femmes,kinésithérapeutes, ergothérapeutes,ainsi qu’aux autres professionnels

à partir du niveau L2-L3(sélection sur dossier).

INALCO,65, rue des Grands Moulins,

75013 Paris.Renseignements :

www.inalco.fr/formations/ecoles

La Fédération des Aveuglesde France

rend hommageà ses généreux bienfaiteurs.

En désignant notre associationcomme bénéficiairede leur patrimoine,

ils contribuent à améliorerla vie quotidienne

des personnes aveugleset malvoyantes.

Leur mémoire restera à jamaisancrée dans nos souvenirs.

Nous ne les oublierons jamais.

Fédération des Aveuglesde France,

6, rue Gager Gabillot,75015 Paris.

Tél. : 01 44 42 91 91.

Envie d’être utile ? Rejoignez-nous !

Les bénévoles de SOS Amitiéécoutent

par téléphone et/ou par internetceux qui souffrent de solitude,de mal-être et peuvent avoir

des pensées suicidaires.

Nous recherchons des écoutantsbénévoles

sur toute la France.L’écoute peut sauver des vies

et enrichir la vôtre !Choix des heures d’écoute,

formation assurée.

En IdF RDV surwww.sosamitieidf.asso.fr

En région RDV surwww.sos-amitie.com

Société éditrice du « Monde » SAPrésident du directoire, directeur de la publicationLouis DreyfusDirecteur du « Monde », directeur délégué de lapublication,membre du directoire Jérôme FenoglioDirecteur de la rédaction Luc BronnerDirectrice déléguée à l’organisation des rédactionsFrançoise TovoDirection adjointe de la rédactionGrégoire Allix, Philippe Broussard, EmmanuelleChevallereau, Alexis Delcambre, Benoît Hopquin,Marie-Pierre Lannelongue, Caroline Monnot,Cécile Prieur, Emmanuel Davidenkoff (Evénements)Directrice éditoriale Sylvie KauffmannRédaction en chef numériqueHélène BekmezianRédaction en chef quotidienMichel Guerrin, Christian Massol, Camille Seeuws,Franck Nouchi (Débats et Idées)Directeur délégué aux relations avec les lecteursGilles van KoteDirecteur du numérique Julien Laroche-JoubertChef d’édition Sabine LedouxDirectrice du design Mélina ZerbibDirection artistique du quotidien Sylvain PeiraniPhotographie Nicolas JimenezInfographie Delphine PapinDirectrice des ressources humaines du groupeEmilie ConteSecrétaire générale de la rédaction Christine LagetConseil de surveillance Jean-Louis Beffa, président,Sébastien Carganico, vice-président

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0123VENDREDI 27 MARS 2020 | 21

« Le Monde » fait évoluer ses relations avec ses lecteurs« le monde » veut approfondir ses rapports avec ses lecteurs. A la fonction de médiateur, créée en 1994 et qui fut occupée ces dernières années parFranck Nouchi – devenu récemment rédacteur en chef du service « Débats et idées » –, se substitue dé­sormais un poste de directeur délégué aux rela­tions avec les lecteurs confié à Gilles van Kote, qui anotamment dirigé notre journal de 2014 à 2015. Ce­lui­ci sera chargé de plusieurs missions, dont la toute première restera, bien évidemment, de pren­dre connaissance des nombreux e­mails, lettres, messages ou réactions qui nous sont adressés cha­que jour, sur papier ou par voie numérique.

Il a commencé à le faire depuis quelques joursdéjà, la crise du coronavirus ayant provoqué un af­flux sans précédent de messages. Les milliers de contributions reçues ces derniers jours nous rappellent s’il en était besoin l’immense intérêt que les lecteurs du Monde manifestent pour le tra­vail de la rédaction, mobilisée actuellement

comme jamais. C’est aussi pour cela que nous de­vons enrichir et fluidifier la relation entre lecteurset journalistes du Monde.

Gilles van Kote aura pour tâche de répondre à cescourriers individuellement ou à travers des textes qui seront publiés sur nos différents supports. Maisil pourra également transmettre remarques, ques­tions ou reproches à la rédaction et veiller à ce que celle­ci prenne, davantage que par le passé, sa part de réponses. Chaque journaliste du Monde est eneffet comptable de la confiance que vous placez tous les jours dans nos productions éditoriales.

Cette relation repose sur notre fiabilité toutautant que sur notre honnêteté, notre humilité et notre transparence. En ces temps où l’information est si souvent falsifiée, nous vous devons d’éviter les erreurs, et plus encore de savoir reconnaître sans délai celles qui ont été commises. Dans ce do­maine, la gamme des réponses possibles est large : cela peut aller du simple rectificatif – nous allons

faire en sorte qu’ils apparaissent plus clairementdans les versions numériques de nos articles – jus­qu’à un éditorial du directeur.

Renforcer notre indépendance éditorialeCette démarche sera prolongée par divers textes, enpréparation au sein de la rédaction, pour mieux pré­senter ce que nous sommes, ainsi que nos principesde fonctionnement. Nous publierons ces articles dans les semaines qui viennent, en même temps que nous mettrons en place un espace spécifique ausein de notre site et de nos applications pour dialo­guer plus fréquemment avec vous, mieux vous ra­conter notre travail, nos enquêtes et, parfois, nos in­terrogations. Dans la situation exceptionnelle que connaît le pays, c’est plus que jamais nécessaire.

Gilles van Kote sera aussi chargé d’approfondir lelien avec nos abonnés, chaque jour plus nombreux,notamment par la conception et l’organisation de rencontres avec la rédaction qui ne pourront que

renforcer la communauté des lecteurs du Monde. Des événements comme Le Monde Festival et le Festival international de journalisme, animé par lesjournalistes des titres du groupe Le Monde, y contribueront également.

Il alimentera aussi, aux côtés de la Société des lec­teurs du Monde, la réflexion sur les meilleurs moyens d’associer toutes celles et ceux qui le sou­haitent à la transformation de notre capital, dans laperspective de la mise en place d’une fondation souhaitée par la rédaction et les actionnaires du groupe. Vous avez été, en effet, très nombreux ces derniers mois à manifester votre volonté d’ap­puyer notre combat pour renforcer notre indépen­dance éditoriale, en allant au­delà du soutien que vous nous apportez déjà par votre lecture ou votre abonnement. Soyez­en ici remerciés.

jérôme fenoglio, directeur du « monde »

Pour nous joindre : courrier­des­[email protected]

L’immeuble du Monde, dans le13e arrondissement parisien, estcomme hanté depuis le début duconfinement. Certes, quelquesrares salariés s’y rendent encore :personnel de sécurité, équipes

informatiques, membres de la hiérarchie de la rédaction… Une quinzaine de per­sonnes par jour tout au plus. Dans les es­paces de bureaux, des dizaines d’écrans d’ordinateurs sont pourtant allumés etcomme activés par une force invisible. Devant des fauteuils vides, des fenêtres s’ouvrent et se ferment sur les écrans, les curseurs se déplacent, des lettres, des mots, des phrases apparaissent.

José Bolufer, le directeur informatiquedu groupe Le Monde, entré au journalen 1988, n’oubliera jamais le sentiment qui l’a envahi quand il a traversé ces bu­reaux déserts et qu’il a senti la rédaction malgré tout – et plus que jamais – au tra­vail. « En pointe, nous avons atteint jusqu’à530 connexions simultanées à distance », note­t­il. Ces connexions dites « VPN » (pour « réseau virtuel privé »), qui per­mettent de prendre à distance le contrôle de son propre ordinateur de bureau.

LE 17 MARS, LES LOCAUX SE VIDENTEntre le jeudi 12 mars, date à laquelle LouisDreyfus, président du directoire du Monde, et Jérôme Fenoglio, directeur du journal, ont adressé un message enjoi­gnant à « tous les collaborateurs dont la présence physique dans les locaux n’est pas indispensable pour la publication numéri­que et papier ainsi que pour le fonctionne­ment des services non rédactionnels » de rejoindre leur domicile et de se mettre en télétravail, et le mardi 17, jour du début du confinement, les locaux du Monde et de l’ensemble des titres du groupe se sont presque entièrement vidés. « Le dimanche 15 mars, pour le premier tour des élections municipales, nous sommes venus à la ré­daction, raconte Elvire Camus, rédactrice en chef adjointe du site Internet. Vers 17 heures, vu comment les choses tour­naient, on s’est dit qu’il fallait changer notrefusil d’épaule et on a demandé à une partie de l’équipe qui devait assurer la soirée élec­torale de le faire depuis chez elle. » Comme

par miracle, le quotidien a continué à être publié, imprimé et distribué et le site Lemonde.fr à fonctionner en continu, sans que les lecteurs réalisent qu’ils sont désormais fabriqués par des journalistes depuis leur domicile. Même si les médias font partie des secteurs autorisés à pour­suivre leur activité, la rédaction du Mondeest – comme la majorité des Français – confinée chez elle. « C’était un saut dans l’inconnu : traiter de l’actualité probable­ment la plus forte depuis la fin de la se­conde guerre mondiale tout en mettant 500 journalistes en télétravail en moins de quarante­huit heures, estime Luc Bronner, le directeur de la rédaction du Monde, l’undes rares à aller encore régulièrement au journal. Et on n’a connu aucun accident majeur. Chapeau à l’informatique. »

Le 26 février, José Bolufer est de retourd’un court séjour en Espagne et inquiet dece qu’il y a entendu sur l’arrivée immi­nente de la crise du coronavirus. Deux jours plus tard, la direction du groupe fait le point sur les capacités à mettre en place le télétravail : le groupe ne dispose alors que de 200 licences VPN. La semaine sui­vante, elle est doublée, avec la possibilité d’utiliser des licences supplémentaires encas de dépassement, sachant que le groupe Le Monde compte environ 1 450 collaborateurs, mais que certains peuventtravailler à distance sans accès VPN.

Tout est donc prêt pour que le télétravailse mette en place à une échelle sans précé­dent. Sauf que les collaborateurs ne possè­dent pas toujours le matériel nécessaire à leur domicile. Certains partent donc avec leur ordinateur de bureau. Celles et ceux qui travaillent sur la maquette, le gra­phisme ou la vidéo emportent les postes et les écrans spéciaux nécessaires pour utiliser les logiciels dont ils ont besoin.

Chacun, chez soi, se bricole un espace detravail. Une rédactrice réquisitionne les pupitres de ses deux jeunes fils pour sefaire un bureau dans son salon. Une édi­trice tire des câbles et monte une tente pour pouvoir travailler du seul endroit deson jardin où elle trouve de la 4G. Une jeune journaliste, confinée chez ses pa­rents, retrouve sa chambre d’adolescente,où ses peluches et ses vieux posters sem­

blaient l’attendre, et s’installe au bureau où, il y a quelques années encore, elle ré­digeait ses dissertations. « Le contraste estsaisissant entre ce cocon que j’ai retrouvé et le côté anxiogène des informations que j’y suis amenée à traiter », note­t­elle.

En quelques heures, une nouvelle orga­nisation et de nouveaux outils se mettenten place. La conférence de rédaction de midi, qui réunit traditionnellement une trentaine de représentants des services dela rédaction, se tient désormais via l’appli­cation de visioconférence Google Han­gouts Meet. N’y participent physique­ment qu’environ cinq personnes, qui se tiennent à distance réglementaire les unes des autres. Les autres sont connec­tées depuis chez elles. Ce qui favorise quel­ques moments de respiration et de rire collectif : l’apparition impromptue d’un enfant ou d’un chat à l’écran, un échange un peu vif avec un conjoint alors que le micro est resté ouvert… Chacun apprend àse discipliner et à n’activer son micro qu’au moment de prendre la parole.

Du côté du site Internet, c’est la message­rie Slack qui est devenue l’outil numéro un de communication, « une salle de réu­nion virtuelle », selon les mots d’AlexandrePouchard, rédacteur en chef adjoint du site Internet. Les boucles de mails se multiplient aussi, jusqu’à devenir parfois ingérables : l’adresse [email protected],créée pour partager des idées de sujets, s’est retrouvée rapidement noyée sous lesmessages en tout genre et a finalement été abandonnée. « Les premiers jours, il y a eu beaucoup d’initiatives désordonnées, reconnaît Simon Roger, chef du service « planète ». Il a fallu se coordonner entre services. » « On a eu du mal à se repérer, àcomprendre qui faisait quoi, confirme la rédactrice Chloé Hecketsweiler, qui – avec ses confrères François Béguin et Paul Ben­kimoun – est au cœur depuis un mois déjàde la “cellule Covid­19”. On passait la jour­née à s’organiser et on se retrouvait à 20 h 30 avec nos interlocuteurs à appeler et notre article à rédiger dans la nuit. »

Deux équipes spéciales de journalistesvenus de tous les services de la rédaction ont été constituées : l’une pour suivre au jour le jour la bataille des blouses blan­ches, l’autre pour raconter la vie confi­née des Français. « Cette organisation re­quiert une énergie collective énorme, no­tamment au niveau de la coordination, re­marque Luc Bronner. En même temps, tout devient plus simple, des circuits courts se mettent en place, les arbitrages à rendre sont infiniment plus fluides que d’habi­tude… et heureusement ! »

La table de bouclage du quotidien « pa­pier », qui accueille normalement jusqu’à 10 h 30 une dizaine de journalistes de la di­rection de la rédaction, de l’édition, de la correction, de la direction artistique, de l’iconographie et de la photogravure, a étéréduite à trois personnes. Les autres inter­venants travaillent à distance mais com­muniquent en direct par l’application

audio Hangouts. « Ça ne change pas tant que ça, estime Sabine Ledoux, chef d’édi­tion du Monde. Devant son ordinateur et avec la connexion audio, c’est comme si on était à côté les uns des autres. »

Sur le site, les équipes ont été renfor­cées pour assurer les « lives » quasi per­manents, un exercice particulièrementénergivore mais plébiscité par les inter­nautes : on a recensé jusqu’à 12 300 ques­tions, témoignages ou messages de lec­teurs par jour. Evidemment, seule une petite partie d’entre eux peuvent être pu­bliés et traités par les deux journalistes setrouvant devant leur écran, ce qui peut occasionner une certaine frustration.

BEAUCOUP D’ADRÉNALINE« Le “live” crée un lien très particulier avecles lecteurs, explique la journaliste CamilleBordenet. La semaine dernière, quand j’étais de “live” en soirée, j’avais l’impres­sion d’être comme sur une radio le soir, avec une communauté d’auditeurs autour de moi. On reçoit beaucoup d’encourage­ments, et ça fait du bien. Mais c’est aussi beaucoup d’adrénaline et de concentra­tion. » « Les gens nous posent des questionssur notre organisation interne, veulent sa­voir depuis où on travaille », remarque Marie Slavicek, l’une des trois journalistesqui gèrent les comptes Facebook et Twit­ter du Monde. Le bureau de Los Angeles, qui prend les commandes du site tous les jours de 23 heures à 7 heures du matin, a décidé de confiner chez eux sa quinzainede collaborateurs, bien que les règles soient moins strictes en Californie.

L’équipe des Décodeurs s’est retrouvéeen première ligne face aux nombreuses fausses informations qui circulent. Et le constat n’est pas aussi affligeant que ce que l’on pouvait craindre : « Je trouve qu’ily a une prise de conscience, note Adrien Sénécat, journaliste spécialisé dans le fact­checking. Sur un sujet aussi grave, lesgens réalisent qu’on ne peut pas partager n’importe quoi n’importe comment. Même si on retrouve toujours ceux qui sedisent : dans le doute, je partage… »

Du côté de la fabrication et de la distribu­tion du quotidien papier, les équipes se sont mises également au télétravail… à l’exception d’une personne par jour, qui se rend sur le site de l’imprimerie située au Tremblay­en­France (Seine­Saint­De­nis) pour remettre les listes des journaux à

envoyer aux abonnés et aux dépositaires de presse. Chez les deux sous­traitants où Le Monde est imprimé (au Tremblay et à Montpellier), l’organisation du travail a été aménagée pour que les équipes se croi­sent le moins possible.

« Nous avons une réunion téléphoniquequotidienne pour réajuster les quantités dejournaux, raconte Hervé Bonnaud, le chef du service production et diffusion du groupe Le Monde. Un quart des points devente sont fermés en France, mais ceux qui restent ouverts vendent beaucoup de jour­naux et il faut augmenter les quantités ha­bituelles. De même, à cause de l’exode donton a beaucoup parlé, la demande de jour­naux est plus forte que d’habitude chez cer­tains dépositaires en régions. »

Des instructions claires ont été donnéesaux journalistes du Monde : pas question de sortir et d’aller en reportage, sauf né­cessité absolue et autorisation de la direc­tion de la rédaction. « Et ce pour deux rai­sons : la santé des salariés, et le risque de contribuer à la propagation du virus », ex­plique Luc Bronner. Même chose pour les photographes que le journal fait travailler.« On fait service minimum, affirme NicolasJimenez, le chef du service photo. Chaque reportage est validé par la direction de la rédaction, et on s’assure que le photogra­phe est encadré et prend les mêmes précau­tions que les gens qu’il accompagne. »

Une situation inhabituelle et para­doxale pour des journalistes habitués à aller sur le terrain. « On n’a jamais été autant à distance de notre sujet, constate Chloé Hecketsweiler. C’est un risque jour­nalistique, car il devient très difficile d’in­terroger le discours officiel et de savoir cequi se passe. C’est la première fois qu’on ne peut compter que sur le regard d’autrespersonnes pour évaluer la situation et nourrir nos articles. Pour compenser, il faut multiplier les sources. »

Certains profitent même du confine­ment pour innover : Jean­Guillaume Santi a improvisé un studio audio dans sachambre et s’apprête à lancer une série depodcasts consacrée à la pandémie. Six jours ont suffi entre le lancement du pro­jet et la mise en ligne du premier épisode, réalisé avec Hervé Morin, le responsable du supplément « Science & médecine ». La question est maintenant de gérer l’or­ganisation sur la durée et d’économiser des collaborateurs mobilisés sur l’actua­lité et qu’il est parfois difficile de convain­cre de prendre du repos. « Il y aura un mo­ment très compliqué, ce sera l’immédiat après­confinement, anticipe Luc Bronner.La rédaction sera épuisée et il y aura uneactualité considérable à traiter, notam­ment sur le plan économique. »

Le mot d’ordre a été rabâché à la rédac­tion : chacun doit s’imposer des temps dedéconnexion et de repos. Car l’onde dechoc provoquée par la pandémie se poursuivra bien au­delà de la période de confinement.

gilles van kote

DEUX ÉQUIPES SPÉCIALES ONT ÉTÉ CONSTITUÉES : 

L’UNE SUIT AU JOUR LE JOUR LA BATAILLE 

DES BLOUSES BLANCHES, L’AUTRE RACONTE LA VIE CONFINÉE DES FRANÇAIS

« Le Monde » au tempsdu coronavirus

Depuis une semaine, les collaborateurs du « Monde » travaillent quasiment tous de leur domicile. Une situation inédite, mais qui n’a pas empêché le journal de paraître et le site de connaître un afflux de connexions sans précédent.

« TRAITER DE L’ACTUALITÉ PROBABLEMENT LA PLUS FORTE DEPUIS 1945 TOUT 

EN METTANT 500 JOURNALISTES EN 

TÉLÉTRAVAIL EN MOINS DE 48 HEURES, C’ÉTAIT UN 

SAUT DANS LE VIDE »LUC BRONNER

directeur de la rédaction

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Page 22: Le Monde - 27 03 2020

22 | IDÉES VENDREDI 27 MARS 20200123

Gilles Dufrénot et Fredj Jawadi La solidarité à l’échelle internationale sera indispensable aux pays pauvresPour l’économiste et le professeur de finance, les pays les plus pauvres, traversés par la crise que provoque le Covid­19, auront besoin non seulement d’aide en matière de santé publique, mais aussi de soutien financier et économique

La pandémie de Covid­19 etles mesures de confine­ment adoptées par ungrand nombre de pays sou­

lèvent déjà des inquiétudes quantaux effets négatifs attendus surles économies, aux crises finan­cières possibles et au ralentisse­ment de la mondialisation. Il s’agit là d’inquiétudes – légitimes – de pays riches. Car ce que metégalement à nu cette crise sani­taire, c’est le terrible dilemme auquel seront bientôt confrontés les pays pauvres de la planète.

Pour ceux qui les ont adoptées,les mesures de confinement to­tal seront nécessairement de trèscourte durée, donc inefficaces.En effet, hors crise, une écrasantemajorité des populations vit déjàdes situations économiques dif­ficiles. Environ 1,3 milliard depersonnes dans le monde sontpauvres, selon un rapport du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD).

Parmi elles, 50 % habitent l’Asiedu Sud, et 30 % l’Afrique. Dans ces pays, les taux de chômage desjeunes sont à des niveaux record,les secteurs de l’industrie et de latransformation n’ont pas les mê­mes performances que ceux despays industrialisés, les produc­

tions agricoles sont régulière­ment durement touchées àcause de chocs climatiques (inva­sions acridiennes, sécheresses etinondations).

Choc sanitairePlusieurs centaines de millionsde personnes sont sous­alimen­tées dans ces pays, y compris en Amérique centrale et latine. Labaisse actuelle des prix du pé­trole ajoute au choc sanitaire unchoc économique pour les pays exportateurs d’hydrocarbures et de gaz. Enfin, le ralentissementde la demande dans les pays in­dustrialisés pénalisera les écono­mies déjà très dépendantes del’extérieur pour leur tourisme ou leurs exportations.

Alors qu’une polémique naîtdéjà en Europe sur la stratégie op­timale à adopter (faut­il restrein­dre la circulation des populationset jusqu’à quel point ?), les pays pauvres d’Amérique latine, d’Afri­que et d’Asie n’auront vraisem­blablement pas ce choix. Car lesconditions économiques, déjà difficiles hors crise, placent lesgouvernements face à un dilemme.

D’un côté, le choix du confine­ment pour ralentir la propaga­

tion du virus, et la mise à l’arrêtau moins partielle des activitéséconomiques, en aggravant une situation déjà difficile en temps normal. Le sacrifice à accepterpour sauver des vies serait une aggravation de la pauvreté.

De l’autre, la limitation des effetsnégatifs sur leurs économies du ralentissement de la conjoncture mondiale, en pariant sur une im­munité naturelle des populations au contact du virus. Le sacrifice se­rait alors d’accepter un nombre demorts peut­être très élevé.

Cette situation illustre le terri­ble dilemme auquel sont con­frontés les gouvernements des pays en développement. Les étu­

des épidémiologiques manquentencore pour connaître le degré d’immunité au virus, compte tenu de la diversité génétique auniveau des populations. Et nousmanquons de données en tempsréel pour évaluer, aujourd’hui, jusqu’à quel point les économies souffriront du ralentissement ac­tuel de la conjoncture mondiale.

Les mesures de restriction pri­ses par les pays et zones qui ti­rent habituellement la crois­sance mondiale (la Chine, lesEtats­Unis et l’Europe) vont af­fecter les économies des paysd’Asie, d’Amérique centrale et la­tine, et d’Afrique. Cruelle pers­pective, alors que les articles de presse se succèdent pour alar­mer sur la difficile résilience dessystèmes sanitaires de ces pays au choc actuel.

Il est possible qu’une fois la crisepassée la réouverture des frontiè­res dans les pays du Nord se fasse de façon parcimonieuse vis­à­vis des populations du Sud, qui se­ront alors en pleine pandémie. Des milliers de morts, au sein de pays fragiles sur le plan économi­que mais dynamiques sur le plan démographique, entraîneraient une situation explosive et insou­tenable pour le reste du monde.

Dans leur malheur, les payspauvres auront peut­être une lueur d’espoir : que la collabora­tion active entre chercheurs de laplanète pour trouver des remè­des n’entraîne pas, une fois quel’on aura passé le pic de l’épidé­mie en Europe et aux Etats­Unis,un retour des réflexes du chacunpour soi. Cette situation n’estmalheureusement pas à exclure dans le contexte actuel de courseà l’hégémonie à laquelle se li­vrent les grandes puissances dece monde.

Entre la faim et la mortAlors que l’urgence sanitaire oc­cupe le devant de la scène, les ar­mes s’affûtent déjà à bas bruit. Car les nouveaux traitements an­tirétroviraux qui seront décou­verts représenteront une mannefinancière pour quiconque dis­posera d’une exclusivité com­merciale au titre du droit de pro­priété et de la récompense del’innovation.

La crise a aussi une dimensiongéopolitique forte. Alors que lespays européens et les Etats­Unis sont, pour le moment, occupés àendiguer l’épidémie à l’intérieurde leurs propres frontières, laChine et la Russie affichent elles

aussi leur savoir­faire et leurs connaissances sur les pandémiesliées aux maladies virales.

Si l’on ne veut pas laisser lespays pauvres choisir entre lafaim et la mort, la solidarité àl’échelle internationale sera in­dispensable, au­delà du seul do­maine sanitaire. Sans doute desmécanismes internationaux se­ront­ils nécessaires pour per­mettre que des populations dontles revenus sont très faiblesaient accès à tous les traitementsdisponibles.

Sans doute, plus de flexibilitésera, là aussi, essentiel, lorsque,criblés de nouvelles dettes qu’ilsauront contractées pour soute­nir leurs économies, les gouver­nements des pays pauvres de­manderont l’aide des pays in­dustrialisés et de la Chine pouren annuler et rééchelonner une partie.

Gilles Dufrénot est profes-seur de sciences économiques à l’université d’Aix-MarseilleFredj Jawadi est professeur de finance à l’université de Lille

François Dubet Le confinementdû au coronavirus accroît la violence

des « petites inégalités »Le sociologue redoute, dans cette périodede pandémie, la montée d’un sentiment

d’injustice au sein d’une partie de la population, tant tous ne vivent pas la situation dans

les mêmes conditions. La recherche de boucs émissaires pourrait devenir tentante

Avant la pandémie, les économis­tes, et plus largement les sciencessociales, dénonçaient d’abord etsurtout les très grandes inégali­

tés sociales : les 2 %, les 1 %, voire les 0,1 %ou les 0,01 %, contre tous les autres.Ils avaient raison de le faire tant ces iné­galités gigantesques sont morale­ment scandaleuses et socialement dé­sastreuses. Mais cette vision opposant les ultrariches et les ultrapuissants àun vaste ensemble « moyen » devenu va­guement homogène, à l’exception d’une minorité de pauvres et d’exclus, n’est pastoujours pertinente.

En effet, les inégalités qui comptentpour les individus et les citoyens sont les « petites inégalités », celles qui nous touchent tous les jours, celles qui nousdistinguent de ceux dont nous sommes pourtant relativement proches : l’autre quartier, l’autre profession, l’autre statut,l’autre lycée…

Ces inégalités­là ont de lourdes consé­quences politiques quand tous ceux qui se perçoivent comme les victimesdes petites inégalités territoriales, éduca­

tives, professionnelles… ne se sententplus représentés et rejettent les élites, la « caste », et les plus pauvres qu’eux­mêmes. Les « gilets jaunes » ne sont pas si loin de nous et ils se sont moins battus contre les patrons et les super­ri­ches qu’ils n’ont dénoncé le méprisdes privilégiés.

Tous égauxA priori, la pandémie et le confinement nous rendent tous égaux puisque le vi­rus est relativement démocratique en ne choisissant pas ses cibles. Il est aussi dé­mocratique parce que la protection detous dépend de la protection et de la res­ponsabilité de chacun. Il est enfin démo­cratique parce qu’on découvre ce que nous n’aurions pas dû oublier : les insti­tutions et l’Etat sont indispensables àla vie collective.

On redécouvre ce que le sociologueEmile Durkheim (1858­1917) appelait la« solidarité organique » : le travail de cha­cun contribue à la vie collective. Gageonsqu’une fois sortis du confinement nousregarderons d’une autre manière les per­

sonnels soignants, les enseignants, les agriculteurs, les routiers, les artisans, les ouvriers, les employés municipaux etbien d’autres encore. Nous savons que les Etats­providence sont sortis renfor­cés des épreuves terribles des guerres mondiales, que les politiques ont repris la main sur les économies et que l’égalitésociale y a gagné.

Cette conséquence égalitaire et démo­cratique de la pandémie forge le scénariooptimiste. Plus rien ne sera commeavant ! Nous comprendrons que noussommes dans la nature et pas seulementface à elle, nous comprendrons que la mondialisation doit être régulée et soli­daire, nous défendrons des services pu­blics efficaces, et notre « hubris » consu­mériste sera refroidie par notre confron­tation à des enjeux vitaux. Les dirigeantsseront tenus d’être plus modestes et plusresponsables. Il suffit de regarder autour de soi pour voir que cette tendance existe, en tout cas au moment où nous sommes : les citoyens se conduisentplutôt bien, l’arrogance, la démagogie, les invectives politiques se sont, pour le moment, un peu calmées.

Défiance Mais un scénario beaucoup moins opti­miste peut être envisagé car le confine­ment, la rareté et l’angoisse exacerbent les « petites inégalités » et les tensions quien découlent. Vu d’un appartement situé au 10e étage d’un immeuble de banlieuedont l’ascenseur est inutilisable, le confi­

nement d’une famille dans une maison de vacances proche de la plage est insup­portable s’il s’étale, comme les photos de vacances, sur les réseaux sociaux.

Pourquoi, quand je fais mes courses,certains ont des masques et d’autres n’en ont pas ? Pourquoi certains trouventdu gel et d’autres pas ? Pourquoi certains peuvent aider leurs enfants à faire leursdevoirs alors que je suis débordé ? Pour­quoi certains sont confinés avec un jar­din alors que d’autres sont prisonniers dans un petit appartement ? Pourquoi certains peuvent travailler et pas moi ? Pourquoi suis­je obligé de travaillerquand d’autres en sont dispensés ? La crise exacerbe les comparaisons, les « ja­lousies » et les ressentiments à propos de

petites inégalités qui cessent d’être insi­gnifiantes et sont mêmes perçues comme vitales.

Il va de soi que ces colères se greffentsur une angoisse profonde et une dé­fiance exacerbée puisque nous ne connaissons pas vraiment l’évolution de l’épidémie, ni celle de l’efficacité des me­sures prises. Dès lors, tout est possible et chacun devient, à lui tout seul, le gouver­nement et la science, le président et le meilleur épidémiologiste. Personne n’y échappe, les intellectuels non plus, car,depuis que les pandémies ne sont plus un châtiment divin, il faut bien leur trou­ver des causes et, quand il n’y a pas de causes établies, il ne reste que les com­plots, les incompétences politiques, lesboucs émissaires et les « y a qu’à ».

Plus le temps passera, plus le scénariopessimiste a des chances de s’imposer ; pas seulement parce que le confinement sera de plus en plus pénible à supporter, mais aussi parce que la perception desinégalités sera exacerbée. Il nous fautdonc être d’autant plus sensibles à ces inégalités que l’état émotionnel et moral dans lequel nous sortirons de cette pé­riode conditionnera autant l’avenir quenotre capacité scientifique et politique de surmonter les épreuves.

François Dubet est sociologue

LA CRISE EXACERBE LES COMPARAISONS, LES « JALOUSIES » ET LES RESSENTIMENTS À PROPOS DE PETITES INÉGALITÉS QUI CESSENT D’ÊTRE INSIGNIFIANTES

LE SACRIFICEÀ ACCEPTERPOUR SAUVERDES VIES SERAIT UNE AGGRAVATION DE LA PAUVRETÉ

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Page 23: Le Monde - 27 03 2020

0123VENDREDI 27 MARS 2020 idées | 23

Fabien Calvo et Jessica Zucman-Rossi Assumer les erreurs qui ont vidé de sens le principe de précaution

Les deux professeurs de médecine regrettent la minimisation du danger du Covid­19 pendant trop longtemps par le politique, qui a négligé les leçons des expériences chinoise, taïwanaise et sud­coréenne

La pandémie de Covid­19 doitnous faire réfléchir sur les ac­tions en cours comme à veniret nous inciter à avoir un regard

critique sur notre façon de communi­quer. Mais elle devrait surtout nousamener à questionner le rôle dessciences dans la prise de décision po­litique. Le raisonnement scientifique est fondé sur l’observation des faits, la proposition d’hypothèses puis leur validation. Les chercheurs n’étant pasdétenteurs de la vérité, ils se donnentles moyens, à travers une démarche codifiée, de s’en approcher. Les obser­vations puis les résultats d’expérien­ces sont analysés et interprétés au re­gard des expérimentations antérieu­res et sont légitimement critiqués parl’ensemble de la communauté scien­tifique. La communication vers le public doit ensuite être totale.

La pandémie actuelle a débuté enChine. Wuhan et la province du Hubeiont été particulièrement touchées. La preuve de l’infection par un nou­veau virus, le SARS­CoV­2, de la fa­mille des coronavirus, a été rapide­ment établie par des équipes de cher­cheurs chinois. La décision d’unconfinement strict a, certes, été très dure pour la population, mais elle apermis d’enrayer efficacement l’épi­démie et d’empêcher sa diffusion dans les autres provinces.

Ce succès a été possible en particu­lier par l’action de plus 70 000 méde­cins venus de toutes les villes de Chinevers le Hubei et la construction d’hô­pitaux en urgence pour isoler les pa­tients infectés. Cette politique efficace a conduit à l’arrêt économique du pays. L’industrie s’est mobilisée pour la lutte contre la maladie : construc­tions ciblées, équipements de protec­tion, développement de tests et d’automates pour aider au diagnostic.

En France, en revanche, l’interpréta­tion de ces faits objectifs, à la fois par

les politiques, les médecins et les scientifiques, a conduit le plus sou­vent à minimiser la gravité de la mala­die. L’hypothèse d’une pandémie a étéquasi systématiquement écartée, no­tamment en raison du fait que les précédentes émergences de virus n’avaient pas atteint les frontières du monde occidental. A cela s’ajoutait le souvenir du plan de prévention contre le virus H1N1, en 2009, pour uncoût de 1 milliard d’euros, qui s’était révélé inutile une fois le danger écarté.

Communication politiqueD’autres pays asiatiques très touchés, comme la Corée du Sud, ont profité deleurs expériences antérieures, en par­ticulier celle du SRAS, en 2003, et du MERS­Cov, en 2015, pour préparer des stocks de matériels et d’outils de dia­gnostic développés rapidement. Le pouvoir politique y a joué un rôle mo­teur pour décider d’un criblage de la population afin d’identifier précoce­

ment les patients infectés, leurs con­tacts, et les isoler. Cette stratégie a bé­néficié de l’appui d’une communauté scientifique et médicale bien équipée et très réactive. Le nombre de nouveaucas semble maîtrisé, malgré l’émer­gence de nouveaux foyers d’infection.

L’Europe du Sud, première régiontouchée en Occident, avec l’Italie, l’Espagne et la France, s’est caractéri­sée par une appréciation communedu problème : on sait, on comprend, on demande l’avis des scientifiqueset on retarde autant que possible la prise de décisions contraignantes, en omettant de communiquer sérieuse­ment sur les enjeux, l’évolution at­tendue, le tribut à payer. L’économie prime sur la précaution. Les leçons des actions menées en Asie ne sont pas utilisées, alors qu’elles ont été scrutées à la loupe.

Et, surtout, nous manquons d’anti­cipation à chaque étape de l’expan­sion de la maladie. Alors que le prin­cipe de précaution existe dans la Constitution, en France, nous som­mes en retard pour commander des masques, obtenir des kits de diagnos­tic et des automates, pour déployer des laboratoires sur un plus grandnombre de sites, avec des équipe­ments ad hoc afin de réaliser destests à haut débit, et enfin pour met­tre en œuvre la distanciation sociale.

La communication reste avant toutpolitique, et non scientifique : on ob­serve des rassemblements de per­sonnes non protégées dans l’espace

public, en particulier dans les quar­tiers aux populations les plus fragiles et les plus exposées, on réaffirme que les masques pour le grand public neservent à rien et que le dépistage ne sert plus. Pourquoi ne pas assumer leserreurs passées qui ont vidé de sens leprincipe de précaution ? Le gouverne­ment s’appuie sur le conseil scientifi­que mis en place le 11 mars (!) pour ré­pondre à des questions de politique ou d’économie, sur la tenue des élec­tions municipales, deux jours plus tard, et, trois jours plus tard, pour dé­cider du confinement et de sa durée.

Répondre du retard des décisionsSi les médecins et chercheurs ne sont pas toujours d’accord entre eux, ils en débattent publiquement et au travers d’études publiées dans des revues. Le politique doit s’en inspirer, éviter de s’abriter derrière la science lorsqu’il estpris en défaut et cesser de considérer que la recherche est un exercice narcis­sique pour les médecins et chercheurs en dehors des urgences sanitaires.

Freiner l’épidémie de Covid­19 im­plique d’amplifier ces trois mesures :tests diagnostiques, essais et confi­nement. Pourquoi ne pas activer les réseaux de biologie moléculairehospitaliers, les plates­formes degénétique moléculaire, déjà en placepour le cancer et les maladies rares, et les laboratoires privés, afin d’aideret compléter l’action, forcément li­mitée, des virologues et mener undiagnostic plus massif ?

Pourquoi ne pas chercher à l’étran­ger, en Chine, en Corée ou ailleurs, les tests et réactifs nécessaires pour iden­tifier le nombre de cas et mieux éviterla dissémination comme en Corée ? Les tests diagnostiques à haut débit permettent de mieux comprendre la dissémination de l’épidémie et d’amé­liorer son contrôle (ce qui sera égale­ment précieux après la levée du confi­

nement). Ils aideront surtout à isoler les cas sans gravité dans des structures adaptées en soulageant les hôpitaux.

L’Allemagne, qui possède plus de litsde réanimation par habitant que la France, a déjà mobilisé des hôtels etd’autres structures d’accueil pour sou­lager les hôpitaux ; en Italie, un édilelocal de Vénétie combine quarantaine et tests obligatoires. Enfin, les essaisthérapeutiques déjà réalisés à l’étran­ger ou commencés à Marseille, relayéspar les CHU de France et l’Inserm, doivent servir à élaborer des traite­ments innovants et les valider avecune méthodologie correcte.

Au stade actuel de l’extension de lapandémie en France, le confinement doit désormais prendre en compte le modèle chinois, qui a fait ses preuves. Un aspect essentiel de celui­ci consiste également à isoler les cas bénins deleur entourage afin d’éviter de conta­miner tout l’entourage familial.

Le politique a une double responsa­bilité. Il devra répondre du retard des décisions prises en regard des informa­tions scientifiques. Mais aussi de l’in­vestissement insuffisant des quinze dernières années dans les hôpitaux etla recherche médicale et scientifique. Les annonces budgétaires sont très en deçà des besoins réels de la recherche et des soins en France.

Fabien Calvo est professeur émérite à la faculté de médecine de l’université de Paris et ancien directeur scientifique de l’Institut national du cancerJessica Zucman-Rossi est professeure à la facultéde médecine de l’université de Paris et directrice du centre de recherche des Cordeliers, à Paris

NOUS MANQUONS D’ANTICIPATION À CHAQUE ÉTAPE DE L’EXPANSION DE LA MALADIE

Nicolas Henckes La faillite de notre démocratie sanitaireLe sociologue constate que les différentes instances censées débattre des enjeux de santé sont inaudibles depuis le début de la pandémie, l’espace étant occupé par un haut commandement placé sous l’autorité directe du président

Le coronavirus a fait une victime col­latérale : la démocratie sanitaire.Depuis une trentaine d’années, nousavions commencé à prendre l’ha­

bitude de délibérer collectivement des enjeux de santé. Décisions thérapeutiques,stratégies de prévention et de promotionde la santé, politiques publiques territoria­les et stratégie nationale de santé, recher­che : sur tous ces enjeux, il était devenuimpensable de se fier seulement à l’avis ducorps médical et de se passer de l’expertisedes personnes concernées elles­mêmesmais aussi de celle d’une variété d’acteurs, chercheurs, notamment en sciences humaines et sociales, politiques ou autres corps professionnels. Leur recrutementdans différentes instances de gouverne­

ment de la santé était l’aspect le plus visi­ble de cette révolution, depuis les conseils d’administration des établissements jus­qu’aux comités d’experts et conseils consultatifs des agences et ministères. Mais, plus largement, c’est notre relation à la médecine dans son ensemble qui subis­sait une profonde transformation.

C’est ce mouvement qui a été d’un coupcourt­circuité depuis une dizaine dejours. Toutes nos instances de délibéra­tion et d’expertise sur la santé publique sesont tues ou presque. On n’a pas entendule Haut Conseil de la santé publique surl’organisation, l’extension et les limitesdu confinement. Les instances consultati­ves locales n’ont rien eu à dire sur sa miseen œuvre sur les territoires. L’ensembledu dispositif d’éducation à la santé, péni­blement construit depuis une cinquan­taine d’années, a été court­circuité dans l’élaboration et l’application des messa­ges. C’est à une véritable faillite de notre démocratie sanitaire que l’on a assisté enquelques heures.

A la place, les décisions ont été concen­trées dans un haut commandement placé sous l’autorité directe de la présidence. L’expertise a été réorganisée au sein d’un comité ad hoc de vingt personnalités issues des mondes de la médecine et de la recherche, et constitué en quelques heu­res. Et l’on en est à compter sur les forcesde l’ordre pour faire respecter des mesures d’hygiène qu’on nous présente pourtantcomme évidentes et élémentaires.

On dira que l’on fait face à une criseexceptionnelle et qu’il fallait se donner les moyens d’agir en urgence. Mais, outre que l’épidémie était non seulement prévisible, mais prévue – d’ailleurs, où sont nos plans

de gestion des épidémies aujourd’hui ? –, il est clair maintenant que nous aurons àgérer dans la durée la présence du corona­virus dans la population. Et, du même coup, que le nombre de questions que sou­lèvera l’épidémie ne cessera de s’élargir : enjeux juridiques, politiques et éthiques dela gestion du confinement et du dépistage ;conséquences sociales et économiques del’arrêt de secteurs entiers de la société ;mais aussi, de façon beaucoup plus immé­diate et comme nous le montre déjà la criseà laquelle font face les hôpitaux psychiatri­ques, les Ehpad ou le secteur de la précarité,conséquences sanitaires pour l’ensemble de la population du triage et de la priorisa­tion imposés aux services de santé par l’af­flux des malades du coronavirus.

Défilé des expertsPour l’instant, on voit bien que, tout en se disant guidés exclusivement par lascience, nos gouvernants gèrent la situa­tion à vue, en fonction des remontées des hôpitaux, des stocks de matériel disponi­bles, d’intérêts économiques et sociaux plus ou moins avoués, et d’émotions plusou moins avouables. L’image forte du début du confinement aura été de voir leprésident de la République tancer son peu­ple pour son inconduite face à une règlequ’il n’avait lui­même énoncée qu’à moi­tié. L’autoritarisme traduit aussi les limitesd’un modèle de décision.

Face à l’ampleur des enjeux, il faudraitcommencer par interroger la nature et les fondements de l’expertise dont nousavons besoin. Quels sont les savoirs perti­nents pour décider de la poursuite, de l’étendue et de la nature de la stratégie dedépistage et de confinement ? Sur quels

indicateurs asseoir les analyses ? Com­ment construire des décisions qui impli­quent les populations qu’elles concer­nent ? Comment, surtout, faire avec les in­certitudes massives auxquelles nous faisons face ? Si nous avons besoin de modèles scientifiques et de stratégies pourguider la décision, nous avons aussi besoind’en comprendre les limites. Et nous avonsbesoin de mettre sur la table les incohéren­ces des données qui nous parviennent de toutes parts et qui montrent bien que laprogression de l’épidémie ne s’explique pas par des variables simples. A cet égard,le défilé des experts dans la presse, faisant,avec une conviction inébranlable, la pro­motion des modèles les plus contradictoi­res, a quelque chose d’indécent.

Dans ces conditions, il faut mettre en dis­cussion l’expertise dans des cercles plus larges qu’un comité restreint constitué en urgence. C’est un véritable parlement du coronavirus qu’il faut instituer. Mieuxencore, c’est à reconstituer et à appro­fondir les institutions de la démocratie sanitaire qu’il faut travailler. C’est d’autant plus urgent que les décisions les plus diffi­ciles sont probablement devant nous, lors­qu’il faudra lever le confinement. Autant que le succès de la lutte contre le virus, c’est le maintien de notre vie démocrati­que qui est en jeu.

Nicolas Henckes est chargé de recherche au CNRS (Centre de recherche médecine, sciences, santé, santé mentale et société)

C’EST UN VÉRITABLE PARLEMENT DU CORONAVIRUS QU’IL FAUT INSTITUER

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Page 24: Le Monde - 27 03 2020

24 |0123 VENDREDI 27 MARS 20200123

L a lutte contre le Covid­19reflète la carte géopoliti­que de l’heure. La Chinene cesse de monter en

force ; les Etats­Unis se replientsur eux­mêmes. Entre les deuxpremières puissances du monde,déjà en pleine bataille économi­que, le nouveau coronavirus est un sujet de conflit supplémen­taire, pas de coopération. Leur ri­valité étouffe ce qui reste de« communauté internationale » ou de multilatéralisme. Le Co­vid­19 s’en porte mieux.

Dans cette affaire, les uns et lesautres ont perdu beaucoup de temps. Le Chinois Xi Jinping parce qu’il ne voulait pas savoir, l’Américain Donald Trump parce qu’il ne comprenait rien. La Chine, d’abord victime d’un sys­tème politique qui élimine lesporteurs de mauvaises nouvelles, s’est reprise.

Elle s’attache à faire oublier saresponsabilité première dans la tragédie en cours. Avec un aplomb impérial, elle est omni­présente sur le front de la luttecontre le virus, distribuant des le­çons et des médicaments, rem­plissant le vide laissé par uneAmérique que Trump a rapetis­sée. Pour la première fois dans une crise d’ampleur mondiale, lesEtats­Unis semblent n’exerceraucun leadership.

L’autoritarisme centralisateur àla Xi Jinping a empêché que le co­ronavirus apparu dans la région du Hubei, à Wuhan, soit immé­diatement traité. De peur de dé­plaire au « centre », les autoritéslocales ont fait taire les lanceurs d’avertissement. Pendant des se­maines – précieuses semaines –,on a circulé librement dans ethors du Hubei. Le virus s’est pro­pagé. Le Parti communiste chi­nois (PCC) n’est pas sorti grandi d’une affaire inhérente au mode de gouvernement qu’il incarne.

Ode à l’autocratie !Il entend se rattraper aujourd’hui. Il vante la capacité qu’il a eue à neutraliser la crise. Le PCC met en avant son unique aptitude à im­poser un confinement total à des dizaines de millions de person­nes. Ode à l’autocratie ! Il n’y a pas que l’échelon politique. Le capita­lisme d’Etat, tel qu’on le pratiqueen Chine, est célébré. Pékin com­mande aux entreprises chinoises, qui obéissent, avec cette souplessede réaction qui les caractérise.

Quand la Commission deBruxelles veut acheter des mas­ques, elle doit passer des appels d’offres : cela prend des semaines.La Chine bâtit une aile d’hôpital en quinze jours. Elle produit des masques et des « respirateurs » à la chaîne, des médicaments aussi,qu’on distribue à l’orgueilleux Oc­cident. La Chine profite de sa rente de situation : nous lui avons, largement, confié notre in­dustrie pharmaceutique…

La Chine sait que la bataille con­tre le Covid­19 a un front idéologi­que. Elle saisit l’occasion de gagnerdes points dans un « combat » – pour reprendre une expression que Xi emploie volontiers – qui luiest cher : la légitimation et la pro­motion du régime de gouverne­ment autoritaire. Organe du PCC, Le Quotidien du peuple assène les

performances du pays et pointe le déclin de l’Amérique : « La Chine a su mobiliser le courage et l’imagi­nation nécessaires pour maîtriser le virus, tandis que les Etats­Unissont encore à la peine. »

Cité par le quotidien russe Kom­mersant, l’ambassadeur chinois à Moscou, Zhang Hanhui, verse dans l’autosatisfaction : avec la lutte contre le coronavirus, dit­il, « la Chine a relevé avec succès le défi le plus difficile depuis long­temps ; une fois de plus, elle a mon­tré les avantages incomparables du socialisme à la chinoise ».

Au fil des atterrissages des avi­ons­cargos chinois bourrés du matériel médical qui manque en Europe et aux Etats­Unis, Pékin marque des points dans son of­fensive diplomatique. Au moins dans le domaine de la campagne contre le Covid­19, la Chine, qui in­vestit toutes les organisations spécialisées de l’ONU, apparaît comme « la nation indispensable »– comme disait l’ex­secrétaire d’Etat Madeleine Albright pour parler des Etats­Unis. Paradoxe d’un drame où sa part de respon­sabilité n’est pas petite, la Chinerebondit en affichant son rôle degrande puissance mondiale.

Sa visibilité reflète l’absence deleadership américain dans cetteaffaire – il faut se souvenir de l’en­gagement de Barack Obama con­tre Ebola. Leçon de science politi­que en temps réel : pour la pre­mière fois, un populiste est auxcommandes à Washington dans un moment de crise mondiale. Lerésultat est sans surprise. Donald Trump, héros des populistes européens, cafouille depuis le dé­but. Il ne veut pas y croire, à ce vi­rus : sûrement un « coup monté » des démocrates, dit Fox News, sachaîne porte­parole.

La Bourse, qu’il a érigée en indi­cateur suprême de sa politique économique, s’effondre. Flirtant, une fois de plus, avec une manièrede racisme, et avec la bonne vieilletechnique du bouc émissaire,Trump parle du « virus chinois ». Aux Etats­Unis, il en va de la luttecontre le virus comme de celle contre le réchauffement climati­que : elle est assurée, souvent ad­mirablement, par les gouverneurset les maires des grandes villes.

Versatile, changeant de discoursau fil des semaines, Trump a donné de fausses informations, moqué les experts, annoncé un« miracle » fin février, entonné à lami­mars la rhétorique du chef deguerre pour, la semaine d’après, en revenir à l’incantation magi­que : « Est­ce que ce ne serait pasgénial d’avoir toutes les églises pleines » le 16 avril pour les fêtesde Pâques chrétiennes ? Si, Mister President, ce serait « génial ».

En attendant, pas le moindreengagement américain pour unelutte coordonnée au sein d’insti­tutions multilatérales qu’il a dé­sinvesties ; incapacité à mobiliser un G7 pour une relance économi­que commune ; pas un geste àl’adresse des alliés traditionnels des Etats­Unis : le renoncement à jouer un rôle international est complet. Ajoutons que le Co­div­19 n’a rien à craindre d’un éventuel front commun Pékin­Washington : ces deux­là échan­gent des accusations.

D ix jours après avoir décrété la« mobilisation générale » et alorsque certains hôpitaux engagés

dans la « guerre » contre le Covid­19 appro­chent de la saturation, le président de la Ré­publique a appelé la nation, mercredi25 mars, à « faire bloc » et annoncé un nou­veau train de mesures : prime exception­nelle pour les personnels de santé, « plan massif » pour l’hôpital et revalorisation des carrières, mobilisation de l’armée.

La France, elle, est méconnaissable : confi­née, largement paralysée et inquiète, mais mobilisée contre un virus qui menace cha­cun. Nulle menace étrangère ni décombres, mais des rues désertes, des familles en coha­bitation forcée, assujetties à une actualité angoissante, des solitudes exacerbées, des

professionnels dévoués et admirés. Placés en première ligne, les personnels soignants sont les nouveaux « hussards noirs » de cette République combattante, les héros d’une lutte vitale qui vise à honorer la pro­messe républicaine de l’égale protection face à la maladie et de l’égal accès aux soins.

Emmanuel Macron en a justement tiré laconclusion : l’hôpital public, déjà en crise avant la pandémie, doit faire d’urgence l’ob­jet de tous les soins. Le dévouement de ses personnels, parmi les plus mal payés d’Eu­rope, permettra de limiter l’ampleur du drame. Il faudra se souvenir des promesses de revalorisation une fois la crise passée.

Reflet du soutien de la population, les ap­plaudissements nourris, qui saluent aux fe­nêtres, chaque soir, à 20 heures, l’engage­ment des personnels de santé, sont bienve­nus alors que pointe le risque d’épuisement physique et moral. Mais ils ne sauraient remplacer d’autres formes de reconnais­sance, politique, sociale et financière.

Les soignants doivent être épaulésd’abord par les efforts collectifs destinés à contenir la pandémie. En respectant et en faisant respecter les règles du confine­ment, en interrogeant ses comportements à l’aune de l’intérêt commun, chacun peut soulager indirectement la charge qui pèse sur des personnels submergés. Nul ne doit se sentir exonéré de cette responsabilité.

Nous sommes loin d’avoir passé la vague.A l’approche du pic de l’épidémie, l’admira­

ble dévouement des soignants doit aller de pair avec une mobilisation sans faille desautorités, chargées non seulement d’équi­per les structures de soins, de gérer au mieux les lits disponibles, mais aussi de fournir à la population tous les moyens possibles de prévention.

Or, en dépit de la « mobilisation totale » dé­crétée à nouveau par M. Macron mercredi, ladistribution des masques de protection reste entravée par la pénurie. Que des méde­cins généralistes, des caissières, des ouvriers, des policiers en soient démunis, que des personnels hospitaliers les quéman­dent n’est pas acceptable. Que la vie de mala­des soit compromise faute d’appareils d’as­sistance respiratoire ne l’est pas davantage.

Il faut aussi tirer les conséquences del’impossibilité matérielle d’un confine­ment strict dans des logements exigus. Pour soulager les hôpitaux et retarder lacontagion, des lieux intermédiaires pour­raient accueillir des personnes présentant des symptômes. Vides, des hôtels et d’autres lieux d’hébergement collectif de­vraient être réquisitionnés.

Le président de la République, s’il veut al­ler jusqu’au bout de la métaphore guer­rière qu’il a choisie, ne doit pas se conten­ter de paraphraser Clemenceau. Il doit ar­mer les fantassins qui montent à l’assaut,protéger les civils et mobiliser l’appareil productif, s’il prétend être comparé un jourau « Père la victoire ».

ENTRE DONALD TRUMP ET XI JINPING, 

LE COVID­19 EST UN SUJET 

DE CONFLIT, PAS DE COOPÉRATION

COVID­19 : APPLAUDIR LES SOIGNANTS MAIS AUSSI LES ARMER

INTERNATIONAL | CHRONIQUEpar alain frachon

Géopolitiquedu coronavirus

POUR LA PREMIÈRE FOIS DANS 

UNE CRISE MONDIALE, LES ÉTATS­UNIS 

SEMBLENT N’EXERCER AUCUN LEADERSHIP

Tirage du Monde daté jeudi 26 mars : 130 923 exemplaires

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‘reArWindoW’stArringJAmessteWArtAndgrAcekelly.(pHotobymovieposterimAgeArt/gettyimAges)

Cahier numéro un de l’édition n° 2890 du 26 mars au 1er avril 2020

Penserle confinement

AvecBoris Cyrulnik,Erri De Luca, Sylvie Angel,Gaël Giraud, Scott Atran...

Dans l’enferDeMulhouse LouisdeFunès P. 67P. 32

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