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VENDREDI 27 MARS 202076E ANNÉE– NO 23394
2,80 € – FRANCE MÉTROPOLITAINEWWW.LEMONDE.FR –
FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRYDIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO
Algérie 220 DA, Allemagne 3,70 €, Andorre 3,50 €, Autriche 3,80 €, Belgique 3,10 €, Cameroun 2 400 F CFA, Canada 5,70 $ Can, Chypre 3,20 €, Côte d'Ivoire 2 400 F CFA, Danemark 36 KRD, Espagne 3,50 €, Gabon 2 400 F CFA, Grande-Bretagne 3,10 £, Grèce 3,50 €, Guadeloupe-Martinique 3,20 €, Guyane 3,50 €, Hongrie 1 330 HUF, Irlande 3,50 €, Italie 3,50 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 3,20 €, Malte 3,20 €, Maroc 22 DH, Pays-Bas 3,80 €, Portugal cont. 3,50 €, La Réunion 3,20 €, Sénégal 2 400 F CFA, Suisse 4,40 CHF, TOM Avion 500 XPF, Tunisie 4,10 DT, Afrique CFA autres 2 400 F CFA
PHILIPPE JAENADAPOUR ÉCRIRE, ÊTRE ENFERMÉ
LES ROMANS PRÉMONITOIRESDE CATASTROPHES SANITAIRES
LE MONDE DES LIVRES4 PAGES DANS LE QUOTIDIEN
LE REGARD DE PLANTU
SEUIL CRITIQUE POUR LES HÔPITAUX FRANCILIENS▶ Les services de réanimation d’IledeFrance approchent à très grande vitessede leur seuil de saturation,avec le fort afflux depatients depuis mardi
▶ Un peu plus de 1 100 litsde réanimation étaientoccupés mercredi sur untotal de 1 400 à 1 500 lits,avec plus de cent nouveaux malades chaque jour
▶ « La situation est extrêmement préoccupante,c’est une alerte majeure »,déclare AurélienRousseau, le directeurde l’ARS d’IledeFrance
▶ « Il n’y a plus aucune placede réanimation dans le 93 »,s’alarme un urgentiste dansce département où le confinement est moins appliquéPAGES 2-3
Un hôpital de campagne, le 21 mars, au pavillon Ifema à Madrid. COMUNIDAD DE MADRID/AFP
Des volontaires qui ont participé à la tenue du scrutin du 15 mars ont été contaminés par le SARSCoV2, alors que très peu de mesures de protection avaient été prises. « J’ai agi en kamikaze de la démocratie », soupire un président de bureau de vote.Le gouvernement s’attend désormais à des poursuites judiciaires, des commissions d’enquête parlementaires se préparentPAGE 6
MunicipalesL’amertume des assesseurs des bureaux de vote
DiplomatieL’aide trèsintéressée dela Chine et dela Russie à l’ItaliePAGE 9
EntrepriseChez Lagardère, coup d’Etaten perspectivedu fonds AmberPAGE 14
MédiasPublier chaque jour « Le Monde », au tempsdu coronavirus PAGE 21
UN « PLAN MASSIF » POUR L’HÔPITALUn an après le début de la grève des urgences, le chef de l’Etat a promis un engagement fort pour les personnels hospitaliersPAGE 3
LES EXPERTSDU PRÉSIDENTL’exécutif s’appuie sur un collectif de onze scientifiques, présidé par JeanFrançois DelfraissyPAGES 4-5
L’ORTHODOXIE EUROPÉENNE BOULEVERSÉEEn trois semaines, les tabous économiques européens sont tombés les uns après les autres. RécitPAGES 12-13
MENACES SURLA CROISSANCEUn tiers de l’activité est suspendue, estime l’InseePAGE 13
1 ÉDITORIAL
APPLAUDIR, MAIS ARMER LES SOIGNANTSPAGE 24
À NOS LECTEURSLes règles de confinement nous obligent à adapter l’organisation de la rédaction et à suspendre nos supplé-ments. « Le Monde des Livres » est ra-mené à quatre pages dans le quotidien. Nous vous prions de nous en excuser.
MADRID, CAPITALEEN GUERRE▶ L’Espagne,avec 3 434 décèsmercredi 25 mars,est désormaisplus mortellement touchéeque la Chine
▶ Madrid surtoutest frappée deplein fouet, avec11 000 hospitalisations, 1 825morts à ce stadePAGE 8
MOLL
ONA/
LEEM
AGE
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2 | CORONAVIRUS VENDREDI 27 MARS 20200123
Les hôpitaux d’IledeFrance en état d’alerteL’Agence régionale de santé est engagée dans une course pour trouver des lits et du personnel, afin de soigner les patients atteints des formes graves du Covid19
D’ un hôpital francilien à l’autre, unmême cri d’alerte.Confrontés depuis
mardi 24 mars à une nette accélération du nombre de patients atteints du Covid19 dans un étatgrave, les services de réanimation d’IledeFrance approchent àtrès grande vitesse de leur seuilde saturation. « La situation estextrêmement préoccupante, c’estune alerte majeure », déclareAurélien Rousseau, le directeur de l’Agence régionale de santé(ARS) d’IledeFrance.
Alors que la région a, en quelques semaines, massivement déprogrammé les interventions chirurgicales non urgentes et largement mobilisé l’hospitalisationprivée, cet effort pourrait ne passuffire. Mercredi, un peu plus de1 100 lits de réanimation étaient occupés par des patients contaminés par le SARSCoV2 en IledeFrance sur un total de 1 400 à 1 500 lits dédiés, avec plus de cent nouveaux malades à accueillir chaque jour.
« Il reste un peu plus de 300 lits,nous avons encore trois jours de capacité devant nous », prévient M. Rousseau. Il ajoute : « Nous ne sommes pas au point de bascule. Nous avons entre quarantehuit et soixantedouze heures devant
nous pour armer quelques centaines de lits supplémentaires. »
Quelques heures plus tôt,Martin Hirsch, le patron de l’Assistance publiqueHôpitaux de Paris (APHP), sonnait le tocsin dans lamatinale de France Info. « C’est plus qu’un appel à l’aide », lançaitil, la voix nouée, en demandant davantage de respirateurs, davantage de personnels soignants, « qu’ils soient volontairesou qu’on fasse appel à la réquisition », et une garantie de l’approvisionnement en médicaments.Pour les responsables sanitaires, ils’agit de tenir jusqu’à ce que les premiers effets du confinementse fassent sentir, avec une diminution du nombre d’admissionsquotidiennes.
La « réa » est « pleine à ras bord »Dans les hôpitaux franciliens,médecins et paramédicaux ont tous senti la situation se dégrader en quarantehuit heures. Al’hôpital RaymondPoincaré deGarches (HautsdeSeine), onze patients infectés par le SARSCoV2 ont par exemple dû être refusés en moins de vingtquatreheures, faute de place en réanimation. « Je pense, j’espère, qu’ilsont trouvé une place ailleurs », souffle Djillali Annane, le chef dela « réa ». Sur la soixantaine de
sayons de ne pas faire traîner les sorties, mais, en même temps, nous ne voulons pas renvoyer lespatients trop tôt chez eux, car il y aun toujours un risque d’aggravation », souligne Thomas Gille,pneumologue à l’hôpital Avicenne, à Bobigny. « Nous devonsaussi prendre garde au risque decontagion, notamment s’il y a despersonnes fragiles dans l’entourage du malade », ajoute lemédecin.
Frédéric Adnet, le directeur duSAMU 93 et chef du service des ur
gences d’Avicenne, se dit « inquiet » pour les prochains jours. Il juge la situation « très tendue » dans la mesure où la « réa » est« pleine à ras bord ». « Aux urgences, on ne sait plus où mettre les patients, ditil. On est au milieu de la vague, on intube cinq maladespar jour, alors que d’habitude onen intube un par semaine. Et comme les patients ont une duréede séjour longue, on n’a pas deturnover, il y a peu de sortants. »
« C’est au-delà de la fiction »Représentante CGT à l’hôpital dePontoise (Vald’Oise), ChristineAppiani décrit un afflux soudainde patients le weekend dernieret une saturation des quarantedeux lits de réanimation atteintedimanche soir. Deux maladesont depuis été transférés à Rouenen hélicoptère. Ici comme partout, le manque d’équipement etde matériel se fait cruellementsentir. « Lundi, ils sont allés chercher trois respirateurs à l’hôpitalde BeaumontsurOise », dontplusieurs services ont fermé à l’été 2019. « C’est audelà de la fiction, ce qui se passe », commentel’infirmière.
Pour ne pas être submergée etgagner quelques jours supplémentaires, l’ARS tente à tout prixd’équiper des lits d’ici à ce weekend. Au sein de l’agence, vingtcinq « bed managers » (des gestionnaires de lits) s’occupent chaque jour de répartir les malades dans tous les hôpitaux de la région. Une centaine d’établissements publics et privés prennenten charge les patients atteints deCovid19, tandis qu’environ 150 autres s’occupent des autres malades. « En quelques jours, on a redessiné de fond en comble l’offre de soins en IledeFrance », souligneton à l’ARS.
Pour « armer » des lits supplémentaires, l’ARS cherche à mobiliser des personnels tous azimuts. Près de 6 200 volontaires, dont 1 800 infirmiers et 1 000 médecins, se sont d’ores et déjà inscrits sur la plateforme mise en place il y a quelques jours par l’agence.
A l’entrée de l’hôpital d’AmbroiseParé, à BoulogneBillancourt (HautsdeSeine), mercredi 25 mars. BENOIT DURAND/HANS LUCAS
« AUX URGENCES, ON NE SAIT PLUS OÙ METTRE
LES PATIENTS. ON EST AU MILIEU DE LA VAGUE »
FRÉDÉRIC ADNETchef du service des urgences
de l’hôpital Avicenne
« Il n’y a plus une seule place de réanimation dans le 93 »Le chef du service des urgences de l’hôpital JeanVerdier de Bondy s’inquiète de l’afflux important de cas graves
ENTRETIEN
R omain Dufau est le chefdu service des urgences del’hôpital JeanVerdier à
Bondy, l’un des trois établissements de l’APHP en SeineSaintDenis. Il s’inquiète de l’afflux important de cas graves, dans ce département où le confinementn’est pas strictement appliqué.
Pourquoi la situation en SeineSaintDenis estelle préoccupante ?
Le confinement y est plus complexe, et donc le risque de contamination plus élevé. Il n’est pas rare de voir des familles de sixdans des appartements de 45 mètres carrés. Très vite, les plus jeunes n’y tiennent plus et se retrouvent dehors.
Toutes les personnes qui ont unemploi non déclaré sont aussiobligées de se déplacer pour travailler et garder un revenu. La police ferme sans doute les yeux, sinon cela exploserait.
Une partie de la population neparle pas très bien français. Les « gestes barrières » ou la « distanciation sociale », ce n’est pas forcément très parlant. Quand je circule dans Paris, je m’aperçois que
l’écart d’un mètre est bien respecté dans les files d’attente. Mais, à Bondy, c’est plus difficile de s’y tenir : la population est plusdense et n’a pas d’alternative, lesservices de livraison ne s’aventurent pas dans les cités.
Le nombre de cas graves ne cesse d’augmenter en IledeFrance. Comment anticipezvous les prochains jours ?
Une centaine de patients sontdéjà hospitalisés sur nos deux sites, JeanVerdier, à Bondy, et Avicenne, à Bobigny. Aux urgences, nous intubons trois à quatre patients par jour, contre un tous les trois à quatre jours en temps normal. Nous ne pouvons pas continuer à ce rythme, car il n’y a plus une seule place de réanimation disponible pour nos patients dans le 93. Hier, nous avons dû envoyer un patient à Orléans, et d’autres pourraient être envoyés à Rouen.
Pouvezvous encore « pousser les murs » ?
Nous avons prévu d’ouvrir huitlits supplémentaires à Avicenne et quatorze à JeanVerdier, mais nous n’avons pas l’équipe pourles faire tourner. Nous manquonscruellement d’infirmières spécia
lisées. En réanimation, les patients doivent être surveillésvingtquatre heures sur vingtquatre, et il faut au minimum uneinfirmière pour trois patients. Nous sommes à des annéeslumière de pouvoir en recruter autant.
Les autres hôpitaux d’IledeFrance sontils en mesure de vous prêter mainforte ?
J’ai de grosses craintes. Ce n’estque le début de la vague, et les autres hôpitaux nous répondent déjà : « Oh là là, je préfère garder dela place pour mes urgences. » Tous les hôpitaux vont devoir s’organiser sans trop compter sur leurs voisins. Les hôpitaux pédiatriquescommencent cependant à se mo
biliser : à RobertDebré, vingt lits ont été ouverts mardi pour accueillir des adultes. Nous y avons envoyé deux patients, mais il ne reste déjà plus que deux places.
Quel est le profil des patients atteints de Covid19 hospitalisés ?
Nous voyons arriver beaucoupde jeunes, entre 25 et 45 ans, ce qui n’est pas étonnant compte tenu dela démographie du département. Ils arrivent une semaine après le début des symptômes, avec une capacité respiratoire qui s’effondre. Leur état peut se dégrader trèsrapidement : hier, nous avons dû placer deux jeunes hommes de 28 et 32 ans en coma artificiel.
Quel est le pronostic pour ces patients jeunes ?
Ils sont intubés et ventilés pendant une à deux semaines mais s’en sortent avec une convalescence qui peut pendre six mois à un an. Les décès interviennent plutôt chez les plus de 65 ans, qui souffrent déjà d’autres pathologies comme le diabète, l’hypertension ou l’obésité.
Craignezvous de ne pas pouvoir prendre en charge tous les patients ?
Nous n’en sommes pas du toutà limiter les soins, mais, dans dixjours, on pourrait en arriver là.C’est notre crainte. Les patientsatteints de Covid19 de plus de80 ans ne sont presque jamais pris en réanimation, car le tauxde mortalité avoisine 100 %. C’estcompliqué à gérer pour dessoignants, en particulier pourceux venus en renfort. Il esttoujours difficile d’annoncer auxfamilles qu’on n’ira pas plus loin.
Comment sont pris en charge les patients pour lesquels la réanimation n’est pas possible ?
Les morts du Covid19 sont desmorts douloureuses, par asphyxie. Cela n’a rien à voir avecun malade qui s’en va paisiblement. Pour accompagner les malades et améliorer leur confort, nous donnons aux maladesdes médicaments. Au début,nous imaginions que les personnes âgées pourraient retourneren maison de retraite, mais ce serait de la maltraitance. Ces établissements sont incapables de gérer une fin de vie commecelleci.
propos recueillis parchloé hecketsweiler
« NOUS VOYONS ARRIVER BEAUCOUP DE JEUNES,
ENTRE 25 ET 45 ANS, CE QUI N’EST PAS ÉTONNANT,
COMPTE TENU DE LA DÉMOGRAPHIE DU DÉPARTEMENT »
malades atteints de Covid19hospitalisés dans l’établissement, vingtsix sont dans sonservice, sous ventilation.
« Nous aurions la possibilitéd’ouvrir de nouveaux lits, si nous étions en mesure de recruter unevingtaine d’infirmières. Mais avec les effectifs actuels, nous ne pouvons plus accueillir de patients, regrette le médecin. Il faut maintenant attendre que des patientsguérissent. »
Cette variable est dans la tête detoutes les équipes. « Nous es
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0123VENDREDI 27 MARS 2020 coronavirus | 3
E mmanuel Macron a réactivé la posture de chef deguerre face au coronavirus. « Lorsqu’on engage
une guerre, on s’y engage tout entier, on se mobilise dans l’union », a insisté le chef de l’Etat, mercredi 25 mars, devant les caméras de télévision, avec en toile de fond l’hôpital militaire de campagne de Mulhouse, qu’il venait de visiter. Les lieux accueillent depuis mardi de premiers malades en GrandEst, une région durement touchée par l’épidémie. L’occasion pour Emmanuel Macron de rendre un hommage appuyé au « courage exceptionnel » des soignants, chez qui « la fatigue est présente, l’angoisse est là pour euxmêmes, pour leurs collègues, pour leur famille ». « La nation tout entière est derrière,reconnaissante », a assuré le locataire de l’Elysée. Mais à l’approche du « pic » de l’épidémie qui se profile – près de 3 000 patients sont en réanimation, a annoncé le directeur général de la santé, JérômeSalomon, et 1 300 personnes sont mortes depuis le début de la crise –, les mots ne suffisent plus. Emmanuel Macron a donc pris des engagements sonnants et trébuchants que les personnels hospitaliers n’attendaient plus.
Un an presque jour pour jouraprès le début du mouvement de grève dans les services d’urgences,le chef de l’Etat a assuré qu’« à l’issue de cette crise, un plan massif d’investissement et de revalorisation de l’ensemble des carrières seraconstruit pour notre hôpital ». Sansdétailler à ce stade ni le montant niles modalités, il a pris l’engagement que « cette réponse sera profonde et dans la durée », promettant notamment de « majorer les heures supplémentaires effectuées sous forme d’une prime exceptionnelle ». « Nos soignants qui se battent aujourd’hui pour sauver des vies se sont hier battus, souvent, pour sauver l’hôpital, notre médecine », atil déclaré, contraint d’esquisser un léger mea culpa sur la façon dont la crise hospitalière avait été gérée : « Beaucoup a été fait, sans doute pas suffisamment vite, pas suffisamment fort. » Un reproche adressé en filigrane à Agnès Buzyn, l’exministre de la santé, qui avait promis de « réen
chanter » l’hôpital public, sans jamais réussir à mettre sur la table les budgets nécessaires pour accomplir une telle promesse.
Un premier plan en faveur despersonnels des services d’urgences, comprenant notamment une prime de 100 euros par mois pour les paramédicaux y travaillant, avait bien été débloqué, puis un second de 200 millions d’euros, en novembre 2019, mais cela n’avait pas suffi. Résultat, c’est un hôpital en crise, affaibli par des années de restriction budgétaire, qui se retrouve depuis quelques semaines à devoir faire face en urgence à unecrise sanitaire sans précédent. Dans les 39 établissements de l’Assistance publiqueHôpitaux de Paris (APHP), des centaines de lits setrouvaient par exemple fermés par manque de candidats sur les postes infirmiers, plus suffisamment attractifs.
« On attend de voir »Les annonces du chef de l’Etat sont saluées avec prudence et amertume par le corps médical. « C’est dommage d’avoir dû attendre une catastrophe, mais mieux vaut tard que jamais », estime Anne Gervais, l’une des porteparole du Collectif InterHôpitaux(CIH), qui avait orchestré en janvier la démission de près de 1 200 médecins hospitaliers de leurs fonctions administratives pour réclamer davantage de moyens. Cette spécialiste plaidenéanmoins pour l’adoption rapide d’une loi rectificative du budget de la Sécurité sociale : « Il faudra aussi du personnel en plus, et aussi augmenter de 30 % le nombre d’infirmières et en embaucher 50 000 supplémentaires pour atteindre les ratios des pays scandinaves ou anglosaxons, où il y a une infirmière pour huit lits, contreun pour quatorze chez nous. »
« C’est positif, mais après tous lesplans qu’on nous a proposés et qui étaient en deçà de ce qui était nécessaire pour les soins, on attend devoir », nuance de son côté Hugo Huon, président du Collectif InterUrgences. Quelques heures plus tôt, le collectif avait annoncé son intention de porter plainte contre X auprès du procureur de Paris pour homicide involontaire et
mise en danger de la vie d’autrui afin de dénoncer « l’absence d’équipements de protection individuelle,de tests, de moyens et de décisions àmême de protéger le personnel hospitalier » exposé au coronavirus.
Lors de sa déclaration, Emmanuel Macron a par ailleurs annoncé le lancement de l’opération militaire « Résilience », « entièrement consacrée à l’aide et ausoutien aux populations, ainsiqu’à l’appui aux services publics pour faire face à l’épidémie, enmétropole et en outremer ». Uneaide d’ordre « sanitaire », « logistique » ou encore de « protection » de sites sensibles, atil précisé. Deux navires de guerre, les portehélicoptères Mistral et Dixmude,qui disposent d’hôpitaux embarqués, seront notamment mis à contribution pour venir en aide aux outremer. Le premier, quiassurait la « mission Jeanned’Arc » – consistant à embarquer les élèves officiers de la marine pour leur formation aumoyen d’un tour du monde –, doit faire route vers La Réunion,où il arrivera samedi.
Le second, lui, sera à Toulon,vendredi 27 mars, de retour d’opération au Liban. Il aura une semaine pour se remettre en ordre, puis il lui en faudra une autrepour rejoindre les Antilles. Son rôle pourrait être d’accueillir despatients classiques pour soulager les hôpitaux locaux. « Il faut voir les bateaux comme des pions de réserve, qu’on pourra exploiter lemoment venu », explique l’étatmajor de la marine nationale. Leportehélicoptères Tonnerre avait déjà été envoyé en Corse, le weekend dernier, pour évacuer 12 malades atteints du Covid19 vers des hôpitaux marseillais.
Si les outremer ont été touchésplus tardivement que la métro
pole par l’épidémie, celleci s’y propage à présent de manière exponentielle. Tous les professionnels de santé et les responsables politiques redoutent une catastrophe, compte tenu des fragilités du système sanitaire et de l’exposition aux risques que présentent les populations de ces régions, pour la plupart insulaires. L’inquiétude est notamment très forte à La Réunion et à Mayotte. La Réunion, où le premier cas a été détecté le 11 mars, en compte désormais 115, dont 21 enregistrés dans les vingtquatre dernières heures. Alors quel’île ne dispose que d’une centaine de lits de réanimation, les personnels soignants réclament des moyens supplémentaires pour pouvoir faire face à la situation.
Masques inutilisablesL’agence régionale de santé (ARS) avait annoncé, dimanche, que 120 000 masques FFP2 provenant du stock « stratégique, régional et historique » allaient être débloqués dès mardi, mais une partie deces lots, présentant des traces de moisissure, s’est révélée inutilisable. Devant les réactions indignées, la directrice de l’ARS, Martine Ladoucette, a annoncé mercredi que 18 000 masques défectueux allaient être remplacés.
A Mayotte, 35 cas ont pourl’heure été recensés. L’île necompte que 16 lits de réanimation et les conditions d’hygiènesont déplorables. Des milliers de personnes s’entassent dans des bidonvilles, faisant craindre uneexplosion incontrôlable. Dans lesAntilles, c’est à SaintBarthélemy et à SaintBarth que le premiercas s’est déclaré, le 1er mars. LaGuadeloupe en compte à présent76, la Martinique – où un décès aété enregistré – 66, et la Guyane27. Au total, 365 cas avaient été enregistrés mercredi dans les outremer. Le ministère de la santé a lancé, mercredi soir, un appel àvolontaires à tous les professionnels de santé, y compris les retraités, pour venir en appui au personnel soignant de leur région,mais aussi des zones les plus touchées par le coronavirus.
fr. b., olivier faye,nathalie guibert,
et patrick roger
Macron promet « un plan massif »Le chef de l’Etat a rendu hommage, mercredi, au « courage » des soignants
Des stocks de médicaments sous tensionL’inquiétude, dans les services de réanimation, porte sur l’approvisionnement en curares, qui permettent de pratiquer une intubation
D epuis 10 jours, c’est la bataille pour obtenir des boîtes », lâche un pharma
cien hospitalier. Avec l’afflux de cas graves de Covid19 dans lesservices de réanimation, la consommation d’anesthésiques etd’hypnotiques s’est envolée dansson établissement, et ses stockssont au plus bas. « Nous frappons à toutes les portes pour en trouver, mais nous ne sommes pas les seuls », soupiretil. Et pour cause : avec l’afflux de patients Covid19, le recours à ces molécules a été multiplié par 5 ou 10. « Il faut anticiper, sinon l’histoire des masques risque de se décliner dans d’autres domaines », craint Rémi Salomon, président de la commission médicale d’établissement de l’APHP, en référence à la pénurie de masques respiratoires.
L’inquiétude porte en premierlieu sur les curares, utilisés pour relaxer les muscles au moment de
l’intubation. Depuis un an, les ruptures de stocks se sont multipliées et les pharmaciens craignent que les laboratoires pharmaceutiques ne soient plus en mesure d’honorer toutes les commandes. « Il ne suffit pas d’augmenter la production, encore fautil avoir accès à la matière première », souligne Nathalie PonsKerjean, chef du service de pharmacie à l’hôpital Beaujon de Clichy (HautsdeSeine), rappelant que le curare est extrait d’une plante exotique.
« Réduire les doses »Elle s’interroge aussi sur les mesures de réquisition que certainsEtats pourraient prendre en casde pénurie mondiale. « Que sepasseratil si les Américains décident de bloquer les exportations de curare ? », demandetelle, en précisant que le laboratoire américain Pfizer est l’un deses premiers fournisseurs. L’Inde
a déjà pris une telle mesure : le 4 mars, le pays a interdit l’exportation de 26 principes actifs jugésstratégiques, dont plusieurs antibiotiques et le paracétamol, utilisé pour lutter contre les fièvreset les douleurs caractéristiquesdes formes légères de Covid19.
Pour épargner leurs stocks de curare, les médecins réfléchissent déjà à l’adaptation de leurs protocoles. « Nous essayons de réduireles doses et les durées d’utilisation, car nous ne voulons pas que cela compromette notre capacité à traiter les futurs patients », explique Djillali Annane, chef du service de réanimation de l’hôpital RaymondPoincaré de Garches (HautsdeSeine), en rappelant qu’il n’existe pas d’alternative pour les curares. « Si nous devons nous en passer, nous ne serons plusdans une prise de charge optimale », prévientil. Pour l’Agence régionale de santé d’IledeFrance,
l’accès aux médicaments de réanimation est devenu un sujet majeur, car cela pourrait très vite devenir un facteur limitant dans la prise en charge des patients, indiqueton.
Les tensions d’approvisionnement concernent aussi d’autresmolécules, comme le midazolam, un sédatif puissant utilisé aussi bien en réanimation qu’ensoins palliatifs, ou le propofol, unanesthésique qui a fait l’objetd’une alerte le 10 mars parl’Agence de sécurité du médicament (ANSM) à la suite de la défaillance d’un fabricant. « La Suisse a bien voulu mobiliser desstocks pour nous », précise Mélanie Cachet, directrice adjointe del’inspection au sein de l’agence.Depuis 2016 et la loi de modernisation du système de santé, les industriels sont tenus d’élaborerdes « plans de gestion des pénuries » pour tous les médicaments
dont la rupture représente « unrisque grave et immédiat » pour les patients. « C’est à eux de trouver des solutions, par des importations ou une augmentationde la production », insiste Mélanie Cachet.
Assurer une bonne répartitionCompte tenu de l’enjeu pour la prise en charge des patients Covid19, l’ANSM a mis en place un suivi hebdomadaire des stockspour une centaine de molécules essentielles, et les commandessont désormais contingentées. Dans un tel contexte, « les laboratoires doivent réguler les flux », indique l’inspectrice. L’un des enjeux est d’assurer une bonne répartition des ressources sur l’ensemble du territoire, en fonctionde la progression de l’épidémie.« Un pilotage national est très important pour garantir une équitédans les prises en charge des pa
tients », estime une pharmacienne du CHU de Strasbourg.
Le propofol est à ce stade le seulmédicament pour lequel un risque de rupture a été formellement identifié, mais « des investigations sont en cours » pour lescurares et le midazolam, à la suitedes signalements des médecinset des hôpitaux. La réglementation ne permet pas à la France delimiter les exportations des molécules à risques. « Mais il n’est pasinterdit de penser que, comptetenu de la situation exceptionnelle, l’ANSM soit amenée à prendre des mesures également exceptionnelles », indique Mélanie Cachet. Selon nos informations, desdiscussions sont aussi en coursavec des industriels pour réorienter en urgence les chaînes de production françaises. A conditionde disposer des matières premières nécessaires.
c. hr
« La demande en personnels compétents est énorme », raconte sousle couvert de l’anonymat une infirmière d’un service de réanimation de l’APHP, qui dit avoir été « contactée trois fois par trois cliniques différentes en quarantehuit heures ».
Selon elle, la situation est tellement tendue dans les services de « réa » des hôpitaux, que « tout est envisagé, il n’y a pas de limite ». Parexemple, pour mettre à contribution tous les volontaires, il pourraêtre demandé à un chirurgien deposer un cathéter, à un élève infirmier de faire le tour des constantes (prendre la tension, la température, le pouls)… « Ils ont été chercher des renforts partout, il va falloir travailler avec des gens avec qui on n’a pas l’habitude de tra
vailler », rapporte l’infirmière, qui s’inquiète de se retrouver « avec des personnes non compétentes,qu’il faut former ».
« Aujourd’hui, ajoutetelle, onne sait pas à quoi s’attendre. On envisage tout et n’importe quoi. Notre préoccupation première, c’est :estce qu’on va être à la hauteur ? Estce qu’on va être capable ? On vaêtre bouleversé par ce qu’on va vivre. On a reçu des messages de détresse des soignants de Mulhouse [HautRhin] qui sont poignants. En Italie, ils ventilent plusieurs personnes sur un ventilateur. On n’est pas à l’abri de faire ça demain. Personne ne se fixe de limite. »
françois béguin,chloé hecketsweiler,
stéphane horelet elisabeth pineau
LE PRÉSIDENT A ÉTÉ CONTRAINT D’ESQUISSER
UN LÉGER MEA CULPA SUR LA FAÇON DONT
LA CRISE HOSPITALIÈRE AVAIT ÉTÉ GÉRÉE
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4 | coronavirus VENDREDI 27 MARS 20200123
Macron et la « République des experts »Pour décider, l’exécutif s’appuie sur un collectif de onze scientifiques présidé par JeanFrançois Delfraissy
L a politique n’a pas saplace dans la salle decours d’une université », écrivait le sociologue Max Weber,mais rien n’empêche
les experts d’investir le champ politique. Depuis le début de lacrise du coronavirus, EmmanuelMacron n’a d’ailleurs de cesse que de convoquer leur parole pour appuyer ses décisions. « Unprincipe nous guide pour définir nos actions, il nous guide depuis ledébut pour anticiper cette crise puis pour la gérer depuis plusieurssemaines, et il doit continuer de le faire : c’est la confiance dans la science », a déclaré le président dela République, le 12 mars, lors de sa première allocution télévisée consacrée à l’épidémie.
Un peu plus tôt dans la journée,le locataire de l’Elysée avait réuni pour la première fois un conseil scientifique, nommé par ses soins, pour l’épauler dans sa prise de décision. Onze universitaires qu’il écoute attentivement. Fermeture des écoles, confinement de la population, maintien des élections municipales… Leur avis, suivi à la lettre ou presque, pèse lourd. « Nous, tous seuls, ne sommes pas capables d’être audibles sur des choses qui sont contreintuitives, justifie une ministre. Il faut un rationnel scientifique. »
ÉPIDÉMIE « INEXORABLE »Les prémices de cette collaboration remontent au jeudi 5 mars. Cejourlà, ils sont encore une vingtaine à se serrer les uns contre les autres autour d’Emmanuel Macron et du ministre de la santé, Olivier Véran, dans le salon des ambassadeurs de l’Elysée. Le mètre d’écart réglementaire appartient à la sciencefiction pour encore quelques jours. Le chef de l’Etat a convoqué médecins, scientifiques et responsables de laboratoires pharmaceutiques engagés dans la lutte contre le Covid19. L’épidémie, jugetil devant eux, est « inexorable ».
JeanFrançois Delfraissy, déjà, setrouve en face de lui. Cet immunologiste de 71 ans a été, en 2014, le coordinateur interministériel de la réponse à l’épidémie d’Ebola. Depuis 2016, il préside le Comité consultatif national d’éthique. C’est lui dont Jérôme Salomon, directeur général de la santé, a suggéré le nom pour présider le conseil scientifique que le chef de l’Etat va mettre en place, le 10 mars. Lui encore qui soufflera la majorité des profils appelés à siéger à ses côtés.
Le monde scientifique étant petit, la plupart des membres ne sont pas inconnus les uns des autres. Mais personne ne sait pourquoi il a été choisi. « On m’a demandé d’en faire partie et j’ai accepté », rapporte Bruno Lina, virologue à l’université à LyonI, coauteur avec Jérôme Salomon, cependant, d’un essai sur « la gestion de l’épidémie de grippe H1N1 », La Vérité sur la grippe A H1N1, (FrisonRoche, 2009). Ancien « pasteurien », le directeur général de la santé a aussi travaillé avec l’épidémiologiste Arnaud Fontanet et le mathématicien Simon Cauchemez, dont les modélisations de l’épidémie servent de socle aux décisions de l’exécutif.
Lila Bouadma, réanimatrice àl’hôpital Bichat – l’un des deux centres de référence pour leCovid19 – explique simplement avoir « été contactée la veille de la première réunion ». Son nom aurait été soufflé par Yazdan Yazdanpanah, chef du service des maladies infectieuses de l’établissement, et pilier du Conseil.
« Mon profil correspondait sansdoute à un besoin, celui d’un clinicien exerçant en région avec une expérience dans le domaine des maladies émergentes », avancepour sa part Denis Malvy, infectiologue au centre hospitalier universitaire Pellegrin à Bordeaux, qui a travaillé avec JeanFrançois Delfraissy sur Ebola, tout comme Yazdan Yazdanpanah. Outre des médecins, une anthropologue, Laëtitia AtlaniDuault, et un sociologue, DanielBenamouzig, ont été intégrés pour appréhender la dimension « humaine » de l’épidémie.
Depuis qu’il est mis en place, leconseil se réunit tous les jours,sauf le dimanche, de 12 heures à 14 heures, pour une conférence téléphonique. « Il y a des questions qui nous sont posées par leministère de la santé ou directement par l’Elysée. Et puis il y a des sujets dont on s’autosaisit. Ce comité a son indépendance », rapporte un participant. Aucunreprésentant de l’exécutif ne participe aux échanges, assureton.
Il n’y a pas plus de vote : toutesles délibérations – quatre avis ont été rédigés jusqu’à présent – sefont « de façon collégiale », selon un membre. « Nous essayons de construire dans un phénomène d’intelligence collective, dans la difficulté, avec beaucoup d’humilité sur une situation extrêmementmouvante », assure un autre.
Didier Raoult, l’infectiologuemarseillais qui promeut l’utilisation de l’hydroxychloroquine comme remède au Covid19, s’est, lui, vite déporté de cette structure (il a été remplacé par Franck Chauvin, membre du Haut Conseil de la santé publique). « Je suis en contact avec le ministère et avec le président de la République pour leurdire ce que je pense », atil précisé, mardi, sur Twitter.
« MISE EN ROUTE INFORMELLE »L’Elysée reconnaît ces échanges directs avec le chef de l’Etat, qui consulte également Philippe Klein, le médecin français installé à Wuhan, l’épicentre chinois de l’épidémie. Selon un proche, Emmanuel Macron échange par ailleurs en ligne directe, « pas tousles jours, mais régulièrement », avec JeanFrançois Delfraissy.
Ce conseil scientifique, note unconseiller du pouvoir, « n’a pas de base légale ». « La mise en route estinformelle, reconnaît un proche d’Emmanuel Macron. Comme le Conseil national de la résistance, qui se réunit rue du Four par hasard, et qui quelque temps plus tard devient une institution. »
Dimanche, dans le cadre du projet de loi sur les mesures d’urgence en réponse à la crise, lesparlementaires ont entériné lacréation d’un « comité scientifique ». Ses membres, estil précisé,sont nommés par le président de la République, celui de l’Assemblée nationale et celui du Sénat.Ces deux derniers, assurent l’Elysée et Matignon, doivent nommer prochainement chacun un
nouveau membre pour le conseil.En parallèle, Emmanuel Macron adécidé de s’entourer de douze nouveaux chercheurs et médecins au sein d’un « comité analyse,recherche et expertise » (CARE). « Ce virus donne lieu à tout un tasd’emballements médiatiques, on l’a vu avec l’hydroxychloroquine à Marseille. L’exécutif a besoin d’êtreencadré », plaide l’entouraged’Olivier Véran.
L’omniprésence de ces expertsinterroge, cependant. « Ce qu’ilfaut éviter, c’est que le politiquedans la crise sanitaire transfère sa responsabilité morale sur le médecin en disant “l’expert a dit doncon fait” », estime Julien Aubert, député (Les Républicains) de Vaucluse. « Le président a été très clair,ces comités ne doivent pas conduire à la République des experts »,répond un proche du chef de l’Etat. « Comme Clemenceau, le président pense que la guerre est une chose trop grave pour être confiée aux seuls militaires. Il assume d’être celui qui prend les décisions », abonde un conseiller.
Selon plusieurs sources, l’exécutif a par exemple recadré, le 12 mars, les membres du conseil scientifique qui s’étaient interrogés sur le bienfondé politique du maintien ou non du premier tour des élections municipales. Une véritable ligne de crête. « La politique, c’est l’art de décider collectivement de notre avenir, rappelle Chloé Morin, experte associée à la Fondation JeanJaurès. Si l’on explique aux gens qu’il existe un seul horizon possible parce que la science l’aurait dit, on ouvre la voie soit au désengagement, c’estàdire “cet horizon ne m’intéresse pas”, ou au populisme, c’estàdire à la volonté d’aller chercher “en dehors du système” le changement espéré. »
raphaëlle bacqué,solenn de royer, olivier faye,
chloé hecketsweiler,alexandre lemarié
et cédric pietralunga
« IL Y A DES QUESTIONS QUI NOUS SONT POSÉES PAR LE MINISTÈRE DE LA SANTÉ OU DIRECTEMENT PAR L’ELYSÉE. ET PUIS IL
Y A DES SUJETS DONT ON S’AUTOSAISIT. CE COMITÉ A SON INDÉPENDANCE »,
RAPPORTE UN PARTICIPANT
Laurent Nunez, secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’intérieur, Christophe Castaner (face à lui), le ministre de la santé, Olivier Véran, le président du conseil scientifique, JeanFrançois Delfraissy, et le premier ministre, Edouard Philippe, le 13 mars, à Paris.ALEXIS SCIARD/IP3 PRESS/MAXPPP
aux côtés du conseil scientifiqueCovid19 institué le 10 mars, un nouveau comité a été mis en place, mardi 24 mars, pour accompagner la décision publique. Baptisée « comité analyse recherche et expertise » (CARE), cette instance est présidée par la professeure Françoise BarréSinoussi, virologiste à l’Institut Pasteur/Inserm, colauréate du prix Nobel de médecine (2008) pour sa participation à la découverte du VIH, et présidente de l’association Sidaction. Mardi aprèsmidi, les débats ont été menés par Emmanuel Macron durant plus d’une heure en téléconférence, aux côtés du premier ministre, Edouard Philippe, du ministre de la santé, Olivier Véran, et de la ministre de la recherche, Frédérique Vidal.
Ce comité réunit douze chercheurs etmédecins, dont deux sont également
membres du conseil scientifique, le clinicien Yazdan Yazdanpanah (hôpital Bichat, Paris) et l’anthropologue Laëtitia AtlaniDuault (Institut de recherchepour le développement).
Décision dans un délai très courtL’objectif de ce comité, selon le site du ministère de la santé, est d’« éclairer les pouvoirs publics dans des délais très courts sur les suites à donner aux propositions d’approche innovantes scientifiques, technologiques et thérapeutiques » et de pouvoir « solliciter la communauté scientifique ». Il se penchera sur les traitements, en surveillant les essais cliniques, les tests diagnostiques et sérologiques contre le coronavirus. L’enjeu est aussi de préparer la sortie du confinement. La doctrine du gouvernement semble s’orienter vers un
dépistage de masse. Encore fautil en avoirles moyens. Un test sérologique, en cherchant les anticorps, permettrait de connaître la part de la population immunisée.L’objectif est de conseiller le gouvernement sur ce qui est faisable ou pas.
Le CARE devrait aussi se prononcer« sur l’opportunité de la mise en placed’une stratégie numérique d’identification des personnes ayant été au contact de personnes infectées par le Covid19 », a indiqué l’Elysée. Des questions qui soulèveront sans doute de vifs débats sur les libertés publiques. Dans tous les cas, le comité devra pouvoir rendre une décision dans un délai court, et sur des questions précises, il est donc plus opérationnelque le conseil scientifique, les deux étantcomplémentaires.
pascale santi
Un deuxième comité chargé de préparer l’après-confinement
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0123VENDREDI 27 MARS 2020 coronavirus | 5
Estrosi, Boyer, Vassal… La droite prend fait et cause pour le professeur RaoultCertaines personnalités de LR, du sud de la France, ont été traitées dans l’unité de ce médecin qu’ils connaissent depuis longtemps
V alérie Boyer, député LesRépublicains (LR) desBouchesduRhône, con
naît bien l’infectiopôle du professeur Didier Raoult à Marseille. Comme nombre d’élus du département, elle l’a visité à de nombreuses reprises. Lorsqu’elle s’est rendu compte que sa toux persistante pourrait bien être le signe d’une infection due au coronavirus, elle s’est naturellement tournée vers cette institution. « J’y suis allée comme tout le monde, un matin, et je me suis fait dépister », raconte l’élue, déclarée positive lundi 16 mars et hospitalisée le soir même dans l’unité.
Le traitement à l’hydroxychloroquine, défendu et administré par le Pr Raoult, lui est alors proposé. Elle n’hésite pas une seconde. Les polémiques sur le sérieux de ses
études ? « Un scandale absolu », pour la députée, qui fait une « confiance aveugle » au professeur, « une sommité ». « Je suis outrée, ces critiques sont lamentables, d’autant qu’elles viennent de personnes qui sont aujourd’hui incapables de nous trouver une solution », s’emporte la députée.
« Renommée mondiale »Au sein de la formation de droite, où le coronavirus a particulièrement frappé – plusieurs députés, dont Christian Jacob, le président du parti, sont touchés –, ils sont quelquesuns, comme Martine Vassal, la candidate du parti dans la cité phocéenne pour les municipales, à avoir été traités à l’infectiopôle de Marseille, et nombreux à défendre coûte que coûte le traitement de Didier Raoult.
connaissait pas personnellement,mais comme beaucoup d’élus, avait entendu parler de lui et l’avait croisé dans l’exercice de ses fonctions. « J’ai confiance en cette équipe qui est de renommée mondiale, je connais leurs réussites, le niveau de leurs savants », affirmetil. Une foi renforcée par la visite médicale qui a précédé son traitement. « C’était un contrôle précis,
gnants, de nos forces de l’ordre, denos éboueurs… »
Pour Julien Aubert, député LR deVaucluse, le soutien de ces personnalités de droite s’explique par une proximité géographique plutôt que politique, car elles « connaissent les hauts faits de ce spécialiste depuis longtemps ». Mais il s’interroge sur la pertinence d’un comité d’experts où les spécialistes des pandémies ne seraient pas« aux manettes ». « J’ai tendance à vouloir écouter quelqu’un dont c’est la spécialité et qui a un traitement plutôt que quelqu’un dont ce n’est pas la spécialité et qui n’a pas de solution », expliquetil. Dans un courrier au chef de l’Etat, l’élu estime que le gouvernement aurait dû avoir recours massivement à l’hydroxychloroquine.
sarah belouezzane
ce n’était pas n’importe quoi non plus », poursuit Yves Moraine, qui dit préférer, « en temps de guerre »,« s’en remettre aux gens de terrain qu’aux experts de plateaux télé ».
A droite, beaucoup n’hésitentpas à politiser le débat autour dece professeur à la personnalitéclivante. Une façon de critiquerle pouvoir parisien qui seraittrop lointain, pas assez prochedes réalités du terrain et donctrop rapidement enclin à balayerles propositions de Dider Raoult.
Et qu’importe si certains scientifiques se montrent sceptiquesvisàvis de la méthode utilisée par le médecin pour démontrerses résultats. « Mais qui sont cesgens qui prennent les décisions ?,s’énerve Valérie Boyer. Ils n’ont pas été capables d’assurer l’équipement en masques de nos soi
Figure de LR, Christian Estrosi,qui a aussi été soigné selon le protocole de l’infectiologue, vante sesmérites. Le maire de Nice a expliqué sur Twitter avoir « pris contactavec le président de Sanofi » pour s’assurer de l’approvisionnement en chloroquine de l’hôpital de sa ville. « Il fait partie des médecins et scientifiques dont je suis proche, qui me conseillent dans mes décisions en matière de santé et de recherche depuis longtemps. Je n’ai pas attendu d’être touché pour défendre son protocole et naturellement, lorsque j’ai été concerné, je n’allais pas utiliser une autre prescription que celle que je soutenais », expliquetil.
Yves Moraine, président dugroupe LR au conseil municipal de Marseille, a lui aussi été soigné dans l’unité du professeur. Il ne le
Les onze spécialistes du conseil scientifique Covid19Créé le 10 mars pour éclairer l’exécutif dans la gestion de l’épidémie, le conseil inclut des personnalités venant de disciplines diverses
PORTRAITS
C réé mardi 10 mars, et installéle lendemain par le ministrechargé de la santé, Olivier
Véran, le conseil scientifique Covid19 est destiné, selon lui, à « aider le gouvernement à se forgerune conviction » dans les choix difficiles de gestion de la situation sanitaire liée au nouveau coronavirus. Comprenant onze membres, il estprésidé par le médecin et immunologiste JeanFrançois Delfraissy.L’infectiologue Didier Raoult (IHUMéditerranée Infection, Marseille) aindiqué le 24 mars s’en être retiré. Leconseil a à ce jour rendu quatre avis,tous publics. Dans le premier, endate du 12 mars, il indiquait que« dans un contexte épidémiqueinédit, incertain et fortement évolutif, il s’est efforcé, en grande humilité,de proposer des options claires enveillant à laisser aux pouvoirs publics la responsabilité des décisions à prendre ».
JeanFrançois Delfraissy, médecinimmunologiste En décembre 2016, JeanFrançois Delfraissy était nommé à la présidence du Comité consultatif national d’éthique. Sonmandat a été renouvelé par décret du président de la République enjanvier 2019, mandat qu’il a quitté pour participer à la réponse auCovid19. Il est choisi le 10 mars 2020pour présider le conseil scientifiqueauprès du ministère des solidarités et de la santé afin d’éclairer la décision publique face à l’épidémie. Ilavait été, en 2014 et 2015, coordinateur interministériel de la lutte contre l’épidémie d’Ebola en Franceet en Afrique de l’Ouest. JeanFrançois Delfraissy a dirigé, de 2005 à 2017, l’Agence nationale de recherches sur le sida et les hépatites virales et parallèlement, de 2008 à 2017, l’institut de microbiologie et maladies infectieuses de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm).
Laëtitia AtlaniDuault, anthropologue Directrice de recherche à l’Institut de recherche pour le développement, Laëtitia AtlaniDuault a reçu lamédaille de bronze du CNRS pour ses recherches en anthropologie critique de l’aide humanitaire. Ses principaux travaux portent sur l’impact sociétal des crises sanitaires et humanitaires, tant les épidémies (VIH/sida, H1N1, Ebola, et aujourd’hui Covid19), que les violences organisées, notamment sexuelles. Elle s’estparticulièrement penchée sur la fabrique et la gouvernance des réponses institutionnelles (Etats, Organisation mondiale de la santé, Programme des Nations unies pour le développement…) apportées à ces crises. Conseillère du secrétariatgénéral des Nations unies de 2012 à 2015 et professeure de santé publique à l’université Columbia (20152017), elle est rentrée en Franceen 2018 pour prendre la directionscientifique de la Fondation Maison des sciences de l’homme. Membredu conseil scientifique du consortium REACTing (Research and ACTion targeting emerging infectiousdiseases, recherche et action ciblantles maladies infectieuses émergentes) de l’Inserm, chargé de préparer et coordonner la recherche pourfaire face aux maladies infectieusesémergentes, elle participe aussi à la commission indépendante sur lesabus sexuels dans l’Eglise de France. En plus du comité scientifique, elle est également membre du nouveau Comité analyse recherche et expertise (CARE) sur le Covid19, présidé par Françoise BarréSinoussi (Nobel de médecine 2008).
Daniel Benamouzig, sociologueDirecteur de recherche au CNRS, Daniel Benamouzig est affilié au centrede sociologie des organisations deSciences Po. Il consacre ses recherches à l’histoire de l’économie de lasanté en France et des transformations de la régulation du secteur, avec un intérêt particulier pour l’ex
pertise au sein des agences sanitaires et des organisations publiques à vocation scientifique. Il est membre de la Commission d’évaluation économique et de santé publique de la Haute autorité de santé, dont ilpréside le comité de sciences humaines et sociales. Daniel Benamouzig participe à l’organisation de la recherche en tant que directeur adjointde l’institut de santé publique de l’alliance AVIESAN, chargée de coordonner l’action des grands opérateurs publics dans ce domaine (CNRS, Inserm…).
Lila Bouadma, réanimatrice Enpremière ligne face au nouveau coronavirus, et alors que les capacités de réanimation risquent d’être débordées par l’afflux de malades duCovid19, la professeure Lila Bouadma indiquait le 19 mars sur France Info que les choix de réanimation seraient faits selon les chances des patients de se rétablir, ce qui dépend de plusieurs paramètres. Cette médecin, réanimatrice à l’hôpital BichatClaudeBernard (Paris, APHP), rappelle que ces choix se font collégialement et quasimentchaque jour au sein des services deréanimation. Lila Bouadma estégalement chercheuse au laboratoire Inserm infection, antimicrobien, modélisation, évolution.
Simon Cauchemez, modélisateurCe biostatisticien dirige un groupe de16 personnes sur la modélisation desmaladies infectieuses à l’Institut Pasteur. Il a déjà travaillé sur la grippe engénéral et sur celle de type H1N1 enparticulier, les virus Zika ou Ebola, ouencore sur le syndrome respiratoiredu MoyenOrient (lié à un coronavirus) pour en étudier la propagation, mais aussi évaluer l’effet de différentes stratégies. Il a passé huit ans à Londres, après sa thèse, au laboratoire de l’Imperial College de NeilFerguson, l’un des chercheurs les plus connus en matière de modélisation et très impliqué dans les politiques publiques de santé – la présentation au conseil Covid19 par SimonCauchemez de projections émanant de l’équipe de Neil Ferguson a contribué à renforcer les mesures de confinement décidées par le gouvernement. En novembre 2019, il a reçu le prix LouisDaniel Beauperthuy debiologie moléculaire et génétique.
Franck Chauvin, président duHaut Conseil de la santé publique Professeur de santé publique à l’université de SaintEtienne et cancérologue, le professeur Franck Chauvin préside depuis avril 2017 le Haut Conseil de la santé publique,instance d’expertise auprès du ministère de la santé. Ce spécialiste de laprévention et de l’éducation encancérologie a mené de nombreux
« JE N’AI PAS ATTENDU D’ÊTRE TOUCHÉ POUR
DÉFENDRE LE PROTOCOLEDE DIDIER RAOULT»
CHRISTIAN ESTROSImaire de Nice
travaux de recherche clinique et interventionnelle dans ces domaines. Il a conduit l’élaboration de plusieurs plans ou rapports nationaux concernant la santé publique ou y a participé, sur des thèmes relatifs auxcancers, aux maladies chroniques et aux maladies rares. Franck Chauvin est également viceprésident de la Ligue nationale contre le cancer depuis 2013, et directeur délégué deHygée, centre de prévention et de recherche sur les cancers de la régionRhôneAlpes Auvergne.
PierreLouis Druais, médecin généraliste Médecin généraliste au PortMarly (Yvelines) depuis quarantetrois ans, le professeur PierreLouis Druais est président fondateurdu Collège de la médecine générale. Cette instance regroupe l’ensemble des organisations qui œuvrent pour la discipline « médecine générale », dans les champs professionnel,scientifique et universitaire. PierreLouis Druais a auparavant été président, de 2002 à 2010, du Collège national des généralistes enseignants.Egalement membre de la Haute Autorité de santé, en tant que conseiller pour la médecine de ville et viceprésident de la commission dédiée au parcours de soins, PierreLouis Druais rappelle qu’au sein duconseil scientifique, « la parole dechacun est entendue, afin de trouverun consensus pour orienter des décisions ». Il a également rédigé un rapport, en mars 2015, pour la ministre de la santé d’alors, Marisol Touraine, « La place et le rôle de la médecine générale dans le système de santé ».
Arnaud Fontanet, épidémiologisteMédecin et titulaire d’un doctorat ensanté publique de la prestigieuseHarvard School of Public Health, le professeur Arnaud Fontanet dirige à l’Institut Pasteur l’unité d’épidémiologie des maladies émergentes depuis son lancement, en 2002, danslaquelle il s’est notamment focalisé sur l’hépatite C, en étant l’un descoordinateurs du site de recherchede l’Agence nationale de recherches sur le sida, sur le syndrome respiratoire aigu sévère et le syndrome respiratoire du MoyenOrient. Avantcela, il avait travaillé à l’Organisation mondiale de la santé (OMS) de 1993 à1994, à l’unité de recherche clinique du Programme mondial sur le sida,puis de 1994 à 2001 comme directeurde programme du projet de recherche sur le sida conjoint EthiopiePaysBas. Arnaud Fontanet est codirecteur et fondateur de l’école desanté publique commune à l’InstitutPasteur et au Conservatoire national des arts et métiers.
Bruno Lina, virologue Spécialisteinternationalement reconnu des virus grippaux, le professeur Bruno
Lina est actuellement responsable du Centre national de référence des virus des infections respiratoires(dont la grippe), aux Hospices civilsde Lyon. Médecin de formation, ceprofesseur de virologie dirige aussi l’unité de recherche virpathgrippeau Centre international de rechercheen infectiologie. Il est l’auteur de plus de 300 articles scientifiques. Bruno Lina a été l’un des experts auprès des autorités françaises pour la gestion de la pandémie à virus grippal H1N1 de 20092010. Au débutde celleci, en septembre 2009, il apublié un livre grand public, La Véritésur la grippe H1N1 (éd. JeanPierreDelville), coécrit avec l’infectiologueJérôme Salomon, actuel directeurgénéral de la santé. Il exerce également des fonctions d’expert auprèsde l’OMS dans le domaine de la surveillance des virus influenzae (dont font partie les virus grippaux) et sur le sujet de l’éradication de la poliomyélite.
Denis Malvy, infectiologue DenisMalvy dirige l’unité dédiée aux maladies infectieuses et tropicales du voyageur au sein du Centre hospitalier universitaire de Bordeaux. C’estun spécialiste reconnu d’Ebola : début 2019, il était le premier signataire, dans The Lancet, d’un vaste article consacré à ce virus découvert en 1976 en Afrique, continent où il a de nouveau causé une flambée épidémique entre 2013 et 2016, faisant 11 000 morts. En 2014, Denis Malvy avait codirigé un essai clinique faisant appel à un antiviral, le favipiravir, en Guinée. L’occasion de croiser déjà JeanFrançois Delfraissy,nommé alors « Monsieur Ebola » parle premier ministre, Manuel Valls.En 2018, il avait réalisé une mission au Nigeria sur la fièvre de Lassa, maladie proche de celle d’Ebola.
Yazdan Yazdanpanah, infectiologue Chef du service des maladies infectieuses et tropicales de l’hôpitalBichatClaudeBernard (APHP, Paris), le professeur Yazdan Yazdanpanah est en particulier spécialiste dusida et des hépatites virales. Ce médecin chercheur dirige l’institut thématique multiorganisme d’inflammation, infectiologie et microbiologie. Depuis 2014, il est coordinateur du réseau consortium REACTing de l’Inserm, qui a pour objectif de coordonner les actions de recherches françaises pendant les épidémies. Yazdan Yazdanpanah copréside par ailleurs le comité scientifique d’un groupement mondial de rechercheautour des maladies infectieuses, leGlopIDR, et il est expert auprès de l’OMS. Il a près de 500 publicationsscientifiques à son actif. Il figureaussi parmi les membres du nouveau CARE, institué par l’Elysée.
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6 | coronavirus VENDREDI 27 MARS 20200123
L’exécutif face à la menace de suites judiciairesL’opposition veut mettre en place une enquête parlementaire. Cinq plaintes ont aussi été reçues par la CJR
C’ est un sujet tabou,qui représente pourtant une source d’inquiétude majeure au
sommet de l’Etat : la peur d’éventuelles poursuites judiciaires contre des membres du gouvernement à propos de la gestion de la crise du coronavirus. Selon nos informations, le premier ministre, Edouard Philippe, a évoqué le sujetpour la première fois, mardi 24 mars, lors du petit déjeuner de la majorité, qui se déroulait en visioconférence.
Le locataire de Matignon a notamment regretté, selon un participant à la réunion, que les oppositions, Les Républicains (LR) en tête,aient annoncé leur volonté de lancer plusieurs commissions d’enquête parlementaire. En parallèle, des médecins et des malades menacent le gouvernement d’éventuelles poursuites pénales. Une véritable épée de Damoclès pour le pouvoir.
Tous accusent l’exécutif d’« impréparation » face à la crise ou de« manque de réaction », pointant notamment du doigt le déficit de masques, de tests ou de lits dans les services de réanimation. Avec un mot d’ordre : le sommet del’Etat devra « rendre des comptes ».
Sanctions pénalesLe 22 mars, le président des députés LR, Damien Abad, a annoncé auJournal du dimanche (JDD) que songroupe allait créer à l’automne une commission d’enquête parlementaire afin « d’identifier les éventuelles défaillances et dysfonctionnements » de la part du gouvernement. Dans la foulée, les sénateurs LR et socialistes ont indiqué qu’ils envisageaient d’en faire de même au Palais du Luxembourg, « une fois la crise passée ».
Autant de déclarations qui agacent dans les coulisses du pouvoir.« Sous le vernis de l’unité nationale affichée, ces annonces sont ressenties clairement comme des menaces – elles en sont d’ailleurs – et nuisent au bon fonctionnement de l’Etat dans la lutte contre la crise, enmettant aux ministres et aux services une pression supplémentaire enplus de celle, déjà lourde, qu’ils sup
portent », explique un responsablede la majorité. Avant de souligner :« Les menaces sont évidentes. Une commission d’enquête peut déboucher sur des sanctions pénales. »
Pour tenter de reprendre lamain, l’Assemblée nationale a annoncé, mardi 24 mars, la création
posée « inaction » du gouvernement malgré les avertissements de la communauté scientifique.
En fin de semaine dernière, uncollectif de médecins, C19, a annoncé son intention de porter plainte contre Edouard Philippeet l’exministre de la santé, Agnès Buzyn, devant la CJR, estimant que ces derniers « avaient conscience du péril et disposaient des moyens d’action, qu’ils ont toutefois choisi de ne pas exercer ». Leur initiative est appuyée par une pétition en ligne, qui a déjà recueilli plus de 200 000 signatures en quatre jours.
Selon une source judiciaire, laCJR a déjà reçu cinq plaintes – quatre contre Edouard Philippe et Agnès Buzyn, et une contre le premier ministre et l’actuel ministre
de la santé, Olivier Véran. Les motifs ? Blessures involontaires, homicides involontaires ou mise en danger de la vie d’autrui. La commission des requêtes de la CJR doitse prononcer sur leur recevabilité.
Ces plaignants s’appuient entreautres sur les déclarations d’Agnès Buzyn au Monde, qui a affirmé avoir alerté dès janvier le premier ministre sur la gravité de l’épidémie. Au sein de l’appareil d’Etat, certains voient d’ailleurs dans ses confidences une volonté de se couvrir. « L’interview de Buzyn est une bombe atomique car elle prépare l’étape d’après sur les commissions d’enquête à venir et les éventuels procès », analyse un haut fonctionnaire, au fait de ces sujets.
Sérénité officielleD’autres plaignants préfèrent setourner vers le Conseil d’Etat, qui a été saisi à plusieurs reprises par des soignants, ces derniers jours. Sur les réseaux sociaux, les menaces de poursuites se multiplient également, de la part de particuliers, mais pas seulement. « L’imprévoyance du gouvernement et de l’administration française a été totale » et les autorités « aurontdes comptes à rendre », a ainsi déclaré le 22 mars JeanPaul Hamon,président de la Fédération des médecins de France (FMF).
« Il faut s’attendre à une déferlante de plaintes contre l’Etat, reconnaît un membre du Conseil national des barreaux. Etant donné les polémiques sur l’absence de protection des personnels soignants et l’impréparation de l’Etat et des hôpitaux, les familles des victimes voudront demander des comptes. » De fait, un site Internet proposant des modèles de plainte pour les particuliers a déjà vu le jour. Selon que l’on est personnel soignant, personne malade ou non malade, trois types de plainte contre X à adresser au procureur de la République peuvent être téléchargées, pour homicide volontaire, violences volontaires, mise en danger de la vie d’autrui, etc. Pour l’heure, aucune plainte de ce type n’est arrivée au parquet de Paris, explique Rémy Heitz, le procureur de la République.
Face à ces menaces, la sérénitéest officiellement de mise au sein de l’exécutif. Le gouvernement « apris ses responsabilités » et ne craint pas de « rendre des comptes » devant une commission d’enquête parlementaire, a assuré, le 23 mars, sur CNews, sa porteparole, Sibeth NDiaye. A l’Elysée, on réfute également le procès en inaction. « Le président a été le premier dirigeant au monde à appeler à la mobilisation internationale, affirme l’entourage de M. Macron. Les faits et la chronologie sont là, il n’y a pas depolémique à avoir. » « L’heure des comptes viendra mais plus tard. Certains veulent nous punir alorsque nous devons agir, s’agace un proche du chef de l’Etat. Ce n’est pas responsable. » Le momentvenu, l’exécutif assumera ses choix, diton au sommet de l’Etat.« Les décisions ne sont pas prises par le conseil scientifique, mais parle gouvernement, qui par nature est responsable », estime un proche d’Edouard Philippe.
Au gouvernement, la perspective de devoir rendre des comptesest présente dans les esprits depuis le départ. « Sang contaminé, amiante : le grand public a reproché le manque de transparence à chaque fois. Nous, nous avons ouvert le capot, vantait une ministre, début mars. Nous donnons à voir comment se passe la gestion d’une crise épidémiologique. » Il y a dix jours, une secrétaire d’Etat soupirait, plus sceptique : « C’est sûr qu’on se fera engueuler sur lagestion de la crise, quoi qu’on fasse. Ça finira par arriver. »
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Les assesseurs du premier tour des municipales sont amersDe nombreuses personnes ayant participé à la tenue du scrutin du 15 mars ont, depuis, développé des symptômes du Covid19
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L’ avertissement, lancé pardes amis italiens peuavant le scrutin, le hante
encore : « Vous êtes complètementdingues, vous ne savez pas ce que c’est ! » Candidat sur la liste de gauche Aimer Angers et président d’un bureau de vote, Bruno Goua a commencé à s’inquiéter.Quand, à la veille du premier tour,le premier ministre, Edouard Philippe, prend la parole, l’Angevinparie donc qu’il va reporter lesélections. Il se trompe. Visage sombre, le chef du gouvernementannonce la fermeture des lieux publics « non essentiels ». Mais ilinvite les Français à aller voter le lendemain « comme prévu ».
Le dimanche 15 mars, Bruno demande aux assesseurs de porterdes gants et de faire très attention, de ne pas mettre les mainsau visage, notamment. Luimême évite de toucher lespapiers d’identité. Mais tous sedemandent un peu ce qu’ils fontlà en cette drôle de journée.« Toute la journée, on s’est posé laquestion… », raconte le président du bureau.
La situation devient franchement baroque au soir du dépouillement. Bruno Goua espère que les enveloppes et bulletins de
vote peuvent être désinfectés, iln’en est rien. Il est surtout effaré de retrouver les présidents des 83 bureaux de vote rassemblés à la mairie d’Angers : « Nous étionsagglutinés dans un couloir, aucun dispositif n’avait été mis en place.Une collation était organisée dansun espace restreint, tout le monde se serrait. J’avais envie de crier ! »
« Kamikaze de la démocratie »Bruno est pour l’instant chanceux, il n’a rien attrapé. Maisd’autres assesseurs ou présidents de bureau, à Angers ou ailleurs, partout en France, sont tombés malades dans la foulée du premier tour des municipales. S’ils n’ont pas tous été testés, ce sontbien les symptômes du Covid19 que ces hommes et ces femmesont développés. Impossible de dire, cependant, s’ils ont été contaminés le jour du vote, mais certains d’entre eux le croient. D’autres regrettent de s’être ainsi exposés ou d’avoir exposé les autres, alors qu’Emmanuel Macron préconisait dès le lendemainle confinement.
« J’ai agi en kamikaze de la démocratie », dit ainsi en soupirant le président d’un bureau de votemarseillais, Stéphane Mari. Ce conseiller municipal (La République en marche, LRM) s’en veutd’avoir participé à cette journée. Il
en veut surtout à l’opposition, notamment Les Républicains (LR), qui s’est opposée au report.
Elle aussi candidate à Marseille,Annabel Berard, référente des Jeunes avec Macron dans les BouchesduRhône, n’a pas dormi de la nuit, la veille du premier tour.« Il me semblait évident que le gouvernement aurait dû annuler levote », indique la jeune femme de 21 ans. En l’absence de contreordre, elle a rejoint son poste d’assesseure au bureau Korsec, l’un des plus agités de Marseille. « Il y ades fraudes à Marseille, ditelle, je ne pouvais pas me dégonfler… Mais j’avais les larmes aux yeux. »
Deux jours après, AnnabelBerard a ressenti une intense fatigue et des maux de tête. Le samedi suivant, la fièvre a atteint39,3 °C. Elle a décidé de se faire tester à l’Institut hospitalouniversitaire (IHU) Méditerranée Infection du professeur Dider Raoult, qui propose des dépistages gratuits. Trois heures d’attente, avant d’être diagnostiquée positive au Covid19. « Macron auraitil pu être plus ferme et annuler l’élection ? Je pense que oui », juge la jeune femme.
Ce dimanche électoral paraît siloin déjà à Alexia Ohannessian, chargée de quatre bureaux du 6e secteur de Marseille pour le compte du Printemps mar
seillais. Aucune consigne sanitaire n’y a été respectée, assuretelle. Les agents de sécurité patientaient à l’extérieur. Et les élus venaient saluer les électeurs. La députée (LR) Valérie Boyer, dont letest s’est plus tard révélé positif, a même distribué des paquets de bonbons aux assesseurs. Nez et gorge « très pris », petite toux sèche… Alexia Ohannessian a, elle, ressenti les premiers symptômes dans la semaine qui a suivi.
La multiplication des cas parmiles candidats marseillais – les têtes de liste LR et LRM sont notamment positives – a évidemment inquiété tous ceux qui ont participé à la campagne. « On a affaire à un véritable cluster électoral », assure Hervé Menchon, candidatEurope EcologieLes Verts dans le 5e secteur. Le 20 mars, l’écologiste a saisi l’Agence régionale de santé
(ARS) et la préfecture des BouchesduRhône au nom de sa liste,Debout Marseille, pour demander un dépistage du Covid19pour les 4 000 personnes ayant permis la tenue du scrutin.
« On a envoyé ces présidents, délégués et assesseurs défendre l’esprit de la démocratie, rappelle l’élu. Notre responsabilité morale,c’est au minimum d’organiser un dépistage des bénévoles. » A ce jour, M. Menchon n’a obtenuaucune réponse de la préfecture,de l’ARS ou de la ville.
Si « curieuse » journéeA Angers, MarieLaure Marchand a déclaré les premiers symptômesdès le soir du premier tour. La colistière d’Aimer Angers avait donc vraisemblablement contracté le virus quelques jours plus tôt.
Le 15 mars, 272 électeurs sontpassés devant sa table, dans le bureau du quartier SaintSerge. La comédienne, âgée de 48 ans, a passé cette si « curieuse » journée à tenter de rassurer les plus« stressés ». Ce n’est qu’à la fermeture du bureau de vote que ses collègues ont trouvé qu’ellen’avait pas l’air bien. « Maintenant que je sais que j’ai été infectée, le fait d’avoir été au contactavec des gens me met en colère, ditMarieLaure. On a mis beaucoup de monde en danger ! »
A SaintFons, commune populaire de la périphérie de Lyon, la liste 100 % Citoyens emmenée parChafia Zehmoul a obtenu, le 15 mars, 10,74 % des suffrages. Ce résultat lui permettant de se maintenir au second tour. Sous pression, elle a tenté de joindre sescolistiers pour les sonder sur la position à adopter. Personne ne répondait. Elle a commencé à s’inquiéter. La candidate a finalementappris que son bras droit avait contracté le virus et qu’il était hospitalisé. Dans les jours qui ont suivi, trois autres de ses colistiers ont été hospitalisés, dans un état sérieux. Tous positifs au Covid19. Puis Chafia Zehmoul a présenté à son tour des symptômes légers, fatigue et courbatures.
Quand la candidate pense à cettejournée électorale, à la tournée destrente bureaux de SaintFons qu’elle et ses colistiers ont effectuée, elle est prise de vertige. « On a fait une belle campagne, j’ai été encontact avec toute la ville, résumetelle. Si on avait su assez tôt les risques qu’on encourait, on aurait faitdifféremment. » Chafia Zehmoul a pris contact avec un avocat lyonnais, Me Hervé Banbanaste, pour une possible suite judiciaire.
solenn de royer,yves trécadurand,
gilles rofet richard schittly
d’une mission d’information sur la gestion de l’épidémie, qui devrait être présidée par le présidentde l’institution, Richard Ferrand, proche d’Emmanuel Macron. Cette mission, qui va contrôlerchaque semaine les mesures prises par le gouvernement, pourraitse doter des prérogatives d’une commission d’enquête. Une manière de couper l’herbe sous le pied à l’offensive des oppositions.
Déjà, les premières poursuites seprofilent. Le 24 mars, un patient atteint du Covid19 a porté plainte contre X pour « entrave aux mesures d’assistance » devant la Cour de justice de la République (CJR), seule instance habilitée à juger desactes commis par des membres dugouvernement dans l’exercice de leurs fonctions. En cause : la sup
« Certains veulent nous
punir alors quenous devons
agir », s’agace unproche du chef
de l’Etat
« Il me semblaitévident que le gouvernement
aurait dû annulerle vote »
ANNABEL BERARDréférente des Jeunes avec Macron, dans les
Bouches-du-Rhône
« Il faut s’attendre à une
déferlante de plaintes contre
l’Etat », reconnaîtun membre du
Conseil nationaldes barreaux
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Epidémie, grèves, E3C… l’« année noire » des lycéensLe calendrier scolaire a été particulièrement perturbé pour les élèves, notamment ceux de première
O n est gâtés, cette année ! » Laura (le prénom a été modifié) enrigolerait presque au
bout du fil. Cette élève de 1re au lycée ThéophileGautier de Tarbes est confinée, comme 12,7 millions d’élèves français, depuis le 13 mars et jusqu’à une date inconnue – au moins jusqu’au 4 mai, a prévenu le ministre de l’éducation nationale, JeanMichel Blanquer. Pour Laura, le confinement n’est que le dernier rebondissement d’une année déjà riche en difficultés.
En septembre 2019, les élèves de1re et leurs professeurs ont en effet expérimenté le nouveau lycée,où des matières « de spécialité » remplacent les séries S, ES et L de la voie générale. Au programme, « groupe classe » éclaté, nouveaux programmes, nouvelles épreuves… : « On a commencé l’année de 1re en ayant l’impressiond’arriver à la fac », dit Laura.
Et alors que les lycéens commençaient à trouver leurs mar
ques, le mouvement de grève contre la réforme des retraites, à partir du 5 décembre, a fait « sauter les cours ». Et encore, Laura se dit chanceuse : les nouvelles épreuves communes de contrôle continu (E3C) du bac, perturbées dansde nombreux établissements entre janvier et mars, se sont déroulées sans encombre dans son lycée. Isabelle, la mère d’une élève de 1re scolarisée à Sète (Hérault), qui a souhaité garder l’anonymat, est moins nuancée. « Entre le 5 décembre et la fin janvier, le professeur de SVT n’a pas fait cours, expliquetelle. Au retour des vacances de février, ça a commencé à aller mieux… Et maintenant, le coronavirus. L’année est pliée. »
Entre les grèves et la perturbation des E3C, beaucoup d’enseignants se disaient déjà en retard sur le programme – en particulierpour les 1re : « Jusqu’au confinement, les terminales ont eu une année normale », souligne Philippe Vincent, du Syndicat natio
nal des personnels de direction de l’éducation nationale (SNPDEN). Un enseignant d’histoire du lycée JeanJacquesRousseau, à Sarcelles (Vald’Oise), ditainsi avoir fait « trois thèmes sur cinq » avec ses élèves de spécialité histoire. Les « multiples perturbations » sont venues, selon lui, s’ajouter à « la difficulté normale » de s’emparer d’un nouveau programme. Avec l’enseignement à distance, « avancer devient plus délicat, car nous n’avons aucun moyen de vérifier que les élèves
nous suivent », ajoutetil inquiet. De plus, tous n’appliquent pas lamême doctrine face au confinement : certains enseignants souhaitent finir le programme,d’autres, soucieux de ne pas « creuser les écarts », misent sur les révisions et la méthodologie.
La mise en place pour le moinschahutée de la réforme du lycéesera probablement « absorbée,mais les élèves de 1re, eux, ne viventcette annéelà qu’une seule fois », déplore Stéphane Crochet, du SEUNSA. Peuton pour autant parlerde génération « sacrifiée » ? A ce stade de l’année, les acteurs de l’école veulent éviter d’inquiéter « un peu plus » les élèves et leurs parents. « Je suis d’accord pourparler d’année noire, mais pas d’année blanche, tempère M. Crochet. Malgré les difficultés, les élèves ont travaillé et progressé dans les apprentissages. »
Les lycéens redoutent en outrele déroulement de la fin d’année : un peu partout, des oraux blancs
de français, prévus en avril, ont étéannulés, une deuxième session des E3C était programmée dès la mimai… Les révisions en autonomie à la maison n’en sont que plusdifficiles : « On se doute que le bac va être aménagé, et ça n’aide pas à rester concentré », dit Antoine, en terminale S au lycée HélèneBoucher, à Paris (20e).
Baccalauréat de Mai 68De nombreuses familles oscillent ainsi, se disant que l’institution fera « forcément » preuve d’indulgence. « On hésite entre la volonté d’accompagner son enfant dans la préparation de l’examen, et la certitude que le bac sera allégé », résume Laurent Cusey, le père de Jeanne, en 1re au lycée AlfredKastler de Guebwiller (HautRhin).
La date et la nature des épreuvesdu baccalauréat devraient être précisées d’ici « une dizaine de jours », a déclaré JeanMichel Blanquer, lors des questions au gouvernement, mercredi 25 mars.
Cette « année noire » auratelledes conséquences de long terme sur le parcours des lycéens ? Un seul épisode ressemble – deloin – à celui qu’ils sont en train de vivre : les événements de Mai 68, qui avaient débouché surun baccalauréat réduit aux seules épreuves orales, et ouvert lesportes de l’enseignement supérieur à une génération d’étudiants qui y ont plutôt bien réussi, selon une étude publiée, en 2005, par les économistes EricMaurin et Sandra McNally. « Maisle moment actuel est différent,tempère l’historien de l’éducation Bruno Poucet. Pendant unegrève, les élèves peuvent continuer à se voir et à échanger entre eux. Le confinement, c’est encoreautre chose. » Les enseignants s’interrogent en particulier à propos des élèves les plus fragiles, ceux qui auront le plus de mal à « se remettre » des semaines de cours manquées.
violaine morin
La date et la nature des
épreuves du bacdevraient être précisées d’ici« une dizaine
de jours »
Des « locations » gratuites pour les soignantsA la demande du ministère du logement, Airbnb a lancé un appel à ses hôtes
J ohanna Filipps, infirmière, vapouvoir s’installer gratuitement, pendant quinze jours,dans un grand sixpièces, à
quinze minutes de marche de l’hôpital Lariboisière, à Paris, oùelle vient d’être appelée en urgence. Elle arrive de Strasbourg etdevait prendre ce poste miavril, mais l’épidémie de Covid19 l’oblige à anticiper sa venue de quinze jours, sans solution de logement temporaire. C’est à l’initiative de la conciergerie Checkmyguest, gestionnaire d’appartements destinés aux touristes et unpeu désœuvré depuis le confinement mondialisé, qu’une centaine de propriétaires ont acceptéde mettre gratuitement leurs biens à disposition des personnelsmédicaux et des soignants, à qui ilsera simplement demandé de présenter leur carte professionnelle.
« Nombre d’internes sont ainsiappelés d’une région à l’autre, surtout en IledeFrance, où nous avons recensé quarantehuit hôpitaux demandeurs. Beaucoup en SeineSaintDenis ou en SeineetMarne, à Fontainebleau, MarnelaVallée, Meaux, Melun, et aussi à Créteil, indique Frédérique Hage, déléguée générale de l’Intersyndicale nationale des internes (ISNI). Les transports en commun étant auralenti, nous sommes très intéressés par ces appartements proches des établissements. » Pour consacrer la plus grande place possible à l’accueil des malades, les hôpitauxfranciliens ont, en outre, supprimé des espaces de repos habituellement réservés au personnel.
Noémie, infirmière à BoulogneBillancourt (HautsdeSeine), a écourté son congé de maternité pour renforcer les équipes de l’unité Covid19 à l’hôpital AmbroiseParé et bénéficiera gratuitement, pendant au moins quinzejours, d’un deuxpièces tout proche : « Elle va travailler douze heures sur vingtquatre, et il n’est pas question qu’elle rentre chaque soir à SaintQuentin [Aisne], où nous venons d’acheter une grande maison », explique Patrick, son époux,qui, pendant ce tempslà, s’occupedes trois enfants.
En l’absence de touristes, desmilliers d’appartements se trouvent d’un coup disponibles pour loger les travailleurs. A la demandedu ministre du logement, Julien
Denormandie, le site de locations touristiques Airbnb a, mardi 24 mars, lancé un appel à ses 400 000 hôtes, dont 60 000 Franciliens : mercredi 25 au soir, 2 700 yont répondu favorablement dans toute la France et proposent leur logement sur la plateforme Appart Solidaire. Les annonces s’adressent non seulement aux personnels hospitaliers – 230 médecins et soignants se sont déjà manifestés –, mais aussi à ceux desEhpad et aux travailleurs sociaux des centres d’hébergement.
PAP, les hôtels Accor aussiA Lyon, Aurélie Anjolras, hôte Airbnb propriétaire de plusieurs appartements, accueille, depuis le 18 mars, dans le VieuxLyon, un soignant qui peut facilement se rendre à l’hôpital de la CroixRousse, à quelques minutes de voiture : « Je suis cadre de santé, ancienne infirmière des hospices civilsde Lyon, et très sensible à la situation des hospitaliers. Avec la communauté des hôtes Airbnb de Lyon, nous sommes mobilisés pour faire ce que nous pouvons, et d’autres communautés ont embrayé. »
Sans attendre l’appel du gouvernement, le site d’annonces Particulier à Particulier (PAP) a également mobilisé son réseau de propriétaires et d’annonceurs, parvenant à collecter, en quelques heures, 420 propositions – 80 dansParis intramuros – dont un tiers de studios, un autre de deux pièceset le reste d’appartements plus vastes. « Il s’agit de logements en attente d’un locataire ou d’une vente, voire des domiciles propres d’annonceurs absents, détaille Corinne Jolly, directrice de PAP, première surprise du succès de cette opération. Nous avons mis au point un contrat de location meublée court, de quinze jours renouvelables, avec un loyer fixé à zéro euro. »
Enfin, le groupe hôtelier Accor aaussi mis une quarantaine de ses hôtels « au service du personnel soignant, de tous les Français engagés et mobilisés dans la lutte contrela propagation du Covid19 et des populations les plus vulnérables », précise son communiqué du 24 mars, soit 1 000 à 2 000 lits sur toute la France, toutes marques confondues, de la plus économique à la plus luxueuse.
isabelle reylefebvre
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8 | coronavirus VENDREDI 27 MARS 20200123
les différentes régions autonomes, où l’épidémie s’est plus oumoins étendue.
En attendant ces renforts matériels, les médecins se plient à l’urgence le cœur fendu par la détresse de patients isolés, quisont « nos pères, nos grandspères, nos grandsoncles », souligneM. Perez Molina, faisant écho à lasouffrance d’un pays qui chéritparticulièrement les anciens.Lors de leur travail quotidien dedésinfection des établissementscritiques, les militaires mobilisésont découvert, mardi, despersonnes âgées décédées duCovid dans leur lit, abandonnéesdans leur chambre. Dans la maison de retraite d’Usera, dans le sud de la capitale, les responsables du centre ont expliqué attendre du personnel médicalafin de transférer un cadavre avec le matériel de protection adéquat… Dans d’autres résidences, le personnel aurait carrément déserté les lieux.
Il est 20 heures, ce mercredi, etcomme tous les soirs, Madridrésonne de tonnerres d’applaudissement. C’est l’hommage aupersonnel soignant et à tous ceux qui rendent la vie possibleen ces tristes temps de confinement. Comme en France ou enItalie. Puis c’est toujours lemême vieux tube kitsh des années 1980 du groupe Duo Dinamico qu’un voisin met à fond surson poste : Resistiré (« Je résisterai »). C’est devenu en quelquessoirs l’hymne de l’épidémie, quetous entonnent à s’en époumoner. Pour clamer son espoir et son courage, au fil de jours dedeuil.
sandrine morel
Madrid, capitale martyre d’une Espagne endeuilléeLa pandémie avait fait 3 434 morts, mercredi, plus qu’en Chine, dont plus de la moitié dans la régioncapitale
madrid correspondante
M ercredi 25 mars ausoir, 300 maladesdu Covid19 avaientdéjà été transférés
dans le pavillon 5 du parc des expositions de Madrid. Des dizaines de lits, avec leurs bonbonnes d’oxygène individuelles, y ont été installés en quelques jours, séparés les uns des autres par des cloisons modulables blanches. Un petit laboratoire et du matériel de radiologie portable complète les lieux. A la fin de la semaine, 1 300 lits devraient être opérationnels dans trois pavillons, dont 96 destinés aux soins intensifs. « Notre rôle est de désengorger tous les hôpitaux de la région », expliqueEduardo Lopez Puertas, le directeur général de l’Ifema, gestionnaire du complexe. A terme, le sitepourra accueillir 5 500 malades, s’il le faut, si le pire se confirme.
L’aménagement en catastrophede cet hôpital de campagne, dans ce lieu d’ordinaire emblématique du dynamisme de la capitale espagnole, donne une idée de l’urgence à laquelle est confronté le pays. Depuis que l’aménagement du parc des expositions a commencé, vendredi 20 au soir,38 000 m2 de PVC ont été déployéspour fabriquer un sol nettoyable, 15 km de câbles sanitaires en cuivre, installés, ainsi que 5 000 prises d’électricité. Trois camionsciternes d’oxygène liquide stationnent sur d’immenses parkingsdésertés. L’armée, en première ligne dans la capitale martyre, aaménagé douches et sanitaires dans des conteneurs et aidé au montage des lits, avec du personnel dépêché par les services d’urgences madrilènes.
A 2 km de là, c’est la patinoireolympique de 1 800 m2 du Palacio de Hielo qui a été transformée en morgue géante, et l’armée, elleencore, réquisitionnée pour assurer le transfert des cadavres. Lundi, le maire de Madrid, José Luis Martinez Almeida avait bien fait comprendre que la ville étaitdébordée : faute de matériel de protection adéquat de son personnel, il a suspendu, l’espace d’une journée, le travail des services funéraires municipaux qui s’activaient sans relâche. « Nousfaisons face à plus de 150 morts par jour », atil annoncé.
Des médecins de l’armée appelésL’Espagne a encore battu un tristerecord, ce mercredi, avec 47 610 cas de Covid19 confirméset 3 434 morts. Désormais plusque la Chine. En vingtquatre heures, 738 décès supplémentaires ont été comptabilisés. Plus que l’Italie en l’espace d’une journée. A la différence qu’au sud des Pyrénées c’est la capitale, centre dupouvoir politique et économique,qui est la plus touchée, avec 1 825 décès, parmi lesquels l’ancien président du Real Madrid Lorenzo Sanz, et plus de 11 000 personnes hospitalisées, comme l’exhaut représentant de l’Unioneuropéenne, Javier Solana.
Mercredi, les habitants de la région ont aussi appris qu’unenouvelle résidence pour personnes âgées, cette fois dans le quartier bourgeois de Chamartin, dans le nord de la capitale, a étéravagée par l’épidémie, avec vingtcinq pensionnaires décédés et une cinquantaine de personnes infectées. A tel point que
la direction a appelé l’armée à l’aide pour qu’elle envoie des médecins reprendre en main unfoyer d’épidémie devenu incontrôlable. Encore un.
Ni Madrid et ses 6,6 millionsd’habitants ni l’Espagne dans son ensemble n’étaient prêts pour faire face à une pandémie. C’est le25 février qu’a été détecté le premier cas de Covid19 dans la capitale, sur un homme de 24 ans revenu d’un voyage en Italie. Personne n’y a fait vraiment attention. Le 3 mars survient le premier décès madrilène, le troisième du pays : une femme de 99 ans dans une résidence pourpersonnes âgées.
Le virus, en réalité, circulait depuis quelques semaines, à l’insu de tous. Cependant, la région n’aréagi que le lundi 9 mars au soir,en s’apercevant que, durant leweekend, les nombres de cas etde morts avaient triplé. La veille encore, des dizaines de milliersde personnes avaient défilé dansles rues pour la Journée desdroits des femmes. Les écoles ontfermé le mercredi 11 mars. Puis legouvernement de Pedro Sanchez(socialiste) a décrété le confinement général le 14 mars. Troptard, estiment à présent beaucoup d’Espagnols.
« Le virus nous a pris par surprise, en avançant masqué, en se transmettant par des malades lé
gers ou asymptomatiques, résume José Antonio Perez Molina,médecin infectiologue de l’hôpital Ramon y Cajal. Luimême est confiné depuis lundi après avoirété infecté, comme plus de 5 000 autres soignants espagnols. « Lesystème de santé a été abîmé par les coupes budgétaires appliquées durant la récente crise économique. Nous avons manqué d’investissements dans la santé et le personnel ces dernières années. Il est temps d’en prendre soin, et que les politiques le voient comme un investissement, pas comme une dépense », ajoutetil.
Besoin de respirateursPour le moment, le manque de matériel est criant. Des médecinsen sont réduits à se fabriquer descombinaisons avec des sacspoubelles. « Actuellement, dans la salle d’attente des urgences, on compte 268 patients pour unecapacité de 90, assure Luis Izquierdo, médecin urgentiste del’hôpital Severo Ochoa de Leganes, dans la banlieue de Madrid,au téléphone. Certains ont passé toute la nuit assis sur une chaiseen plastique, et nous avons 202 patients qui attendent unechambre et qui doivent être transférés vers d’autres centres, ainsi qu’une surcharge physique et émotionnelle difficile à gérer faceà cette tragédie. »
Pardessus tout, Madrid a besoin de respirateurs artificiels, même si la pénurie en la matièrene semble pas être la seule raisonqui oblige à faire des choix douloureux, à en croire les professionnels interrogés. « Dans denombreux cas, nous préférons ne pas entuber certains malades, trèsâgés, avec des antécédents médicaux et une faiblesse pulmonaire, dont nous savons à l’avance que l’on ne pourra pas les désentuber et que cela ne servirait qu’à prolonger leurs souffrances… », explique une médecin sous le couvertde l’anonymat.
Dans cette lutte de tous les instants contre le virus, de nouvelles mesures sont prises chaque jour pour augmenter les capacités de prise en charge du systèmede santé régional. « Nous avons dédoublé les chambres individuelles de onze unités de soin »,résume Almudena Santano, directrice de l’infirmerie de l’hôpital Puerta del Hierro, dans lenord de Madrid, où plus de 500patients atteints du Covid19
sont hospitalisés. Plus de 260 litsde plus ont ainsi été ouverts,dont une trentaine en soin intensif. « Et nous sommes sur le point d’ouvrir un hôpital annexe de2 000 m2 avec cent lits supplémentaires dont 22 pour patientscritiques. » Dans toute la région,des centaines de professionnelset d’étudiants en médecine ontaussi été recrutés, pour faire faceà l’ampleur de la contagion. Maisaussi pour remplacer les centaines de soignants infectés. Endeux semaines, le nombre de litsen réanimation a été triplé, passant de 500 à 1 500. Près de 4 000 lits hospitaliers de plusont été ouverts (+ 25 %), et onze hôtels ont été médicalisés pour accueillir les malades en voie de rémission. « Nous sommescomme des militaires : nous allonsoù on a besoin de nous, quand on nous le dit », résume une urologue madrilène âgée de 50 ans quipréfère conserver l’anonymat. C’est comme si une bombe nucléaire était tombée sur la ville. »
De toute façon, fini les spécialités médicales en ce moment.« Nous sommes tous réquisitionnés pour du travail d’internes,parce que les hôpitaux sont remplis de patients atteints du Covid19, explique cette urologue. J’ai vécu les coupes dans la santépublique. On a baissé mon salaire. Malgré tout, la santé espagnole reste très bonne et complète, avec une couverture totale de la population espagnole et étrangère. En réalité, aucun système de santé n’est préparé à tant de malades dans un état grave, ayant besoin de soins intensifs. »
Le cœur fenduL’aménagement du parc des expositions ne résoudra pas tout. Larégion en a conscience. Elle se bat pour trouver du matériel sanitaire sur les marchés internationaux, en attendant que le contrat scellé par le ministère espagnol de la santé avec des fournisseurs chinois apporte, comme promis,550 millions de masques chirurgicaux, FPP1 et FPP2, durant les huit prochaines semaines, 5,5 millions de tests rapides, 11 millions de paires de gants ou encore 950 respirateurs artificiels, qu’il faudra répartir entre
En haut, le parc des expositions de Madrid sert dorénavant d’hôpital, le 21 mars. Cidessus, l’entrée du Palais des glaces, transformé en morgue,le 23 mars. COMUNIDAD DE MADRID ; PIERRE-PHILIPPE MARCOU/AFP
« Nous sommescomme des
militaires… C’estcomme si une
bombe nucléaireétait tombée surla ville », résume
une urologue madrilène
C’est le 25 févrierqu’a été détecté
le premier cas. Levirus, en réalité,circulait depuisdes semaines, à l’insu de tous
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Retour progressif à la normale après la fin du confinement au HubeiLes 11 millions d’habitants de Wuhan ne seront autorités à se déplacer que le 8 avril
pékin, shanghaï correspondants
A près deux mois de confinement total, la provincedu Hubei, épicentre du
Covid19, renaît progressivement à la vie. Depuis le mercredi 25 mars, les 56 millions d’habitants de cette province sont à nouveau autorisés à sortir de chezeux, à travailler et à se rendre ailleurs en Chine, hormis les 11 millions d’habitants de Wuhan,la capitale. Ceuxci ne seront autorisés à se déplacer que le 8 avril. A l’exception notable, également, de ceux qui habitent Pékin.
Si des habitants du Hubei ont purejoindre la capitale mercredi – leur retour a d’ailleurs été très médiatisé –, de nombreux Pékinois qui étaient retournés pour le Nouvel An lunaire dans leur famille du Hubei fin janvier ne sonttoujours pas autorisés à rentrer. Ala fois parce que les trains sont pris d’assaut – les lignes aériennes ne sont pas rouvertes – et parce que la capitale entend maîtriser leurs retours. Ces Pékinois originaires du Hubei devront d’ailleurs faire une quatorzaine à leur domicile dans la capitale avant de reprendre toute vie sociale. Dernière restriction : pourpouvoir sortir du Hubei – ou poury entrer –, il faut télécharger une application avec un code QR délivré par les autorités indiquant, avec un code couleurs, en fonction du niveau de risque supposé du titulaire, si celuici est autorisé à se déplacer ou non.
Si un certain triomphalisme aété perceptible lors de la visite symbolique, le 10 mars, du président Xi Jinping à Wuhan – cette ville où le Covid19 a tué au moins 2 500 personnes –, les autorités semblent désormais plus prudentes. D’ailleurs, mardi 24 mars, Wuhan a connu son premier cas confirmé de coronavirus en cinq jours. Un médecin gastroentérologue de 29 ans a été admis à l’hôpital avec une fièvre légère et d’autres symptômes, rapporte le site d’informations économiques Caixin. Il avait traité un patient asymptomatique dans une clinique le 18 mars, avant que ce patientne soit luimême testé positif.
Le cas des patients asymptomatiques est de plus en plus débattu en Chine, alors que les provincesne déclarent quasiment plus aucun cas de transmission locale. La plupart des cas sont désormaisimportés de l’étranger. Après avoir changé plusieurs fois de mode de calcul, la Chine a décidé, début février, d’exclure de son décompte les cas positifs aux tests mais asymptomatiques. Pourtant, l’Organisation mondiale dela santé définit les cas de Covid19comme ceux testés positifs, quelle que soit leur situation clinique. Beaucoup de pays, dont laFrance, n’ont cependant pas lesmoyens de tester les patients asymptomatiques.
D’après le quotidien hongkongais South China Morning Post, quicite des informations classifiées du gouvernement chinois, le
nombre de ces patients positifs mais exclus des statistiques chinoises s’élève à 43 000, alors que laChine a déclaré 81 966 cas. Wuhan continue d’enregistrer plus d’une dizaine de nouveaux cas asymptomatiques par jour que la ville ne déclare pas, a également révélé Caixin. La Chine prend cependant la précaution d’isoler ces personnes pendant quatorze jours et enquête sur leurs contacts récents. Ces nouveaux cas sont découvertsparmi les contacts de cas confirmés et parmi les employés des centres de confinement mis en place pour isoler les patients et leurs proches, d’après un membre de l’équipe de prévention et de contrôle des maladies infectieusesde Wuhan, cité par Caixin.
Face aux doutes suscités par desrumeurs de nouveaux cas à Wuhan, alors que la ville n’en déclarait aucun, le premier ministre, Li Keqiang, a appelé les responsableslocaux à « chercher la vérité dans les faits » et à se montrer « ouverts et transparents » : « Cela veut dire qu’un nouveau cas doit être rapporté dès qu’il est découvert. Il nedoit pas y avoir de dissimulation,ou de sousdéclaration », atil mis en garde lors d’une réunion dont le contenu a été rendu public mardi 24 mars. La Commission nationale de la santé dit vouloir « se prémunir contre des cas de Covid19 importés et un rebond de l’épidémie en interne ».
« Risque d’incidents »Selon l’agence de presse japonaise Kyodo, un centre de réflexion chinois très proche du Parti communiste a récemment remis une note aux dirigeants les mettant en garde contre des tensions qui pourraient apparaître à Wuhan après le 8 avril, notamment si la population a le sentiment que des informations ontété dissimulées sur le nombre dedécès ou sur des négligences des autorités. « Il y a un risque que seproduisent des incidents à grandeéchelle », indiquerait le rapport. L’écrivaine Fang Fang, qui vit à Wuhan et qui, depuis le début duconfinement, tient un blog devenu célèbre, a mis fin à celuici le24 mars. Elle estime que vouloir tourner la page et faire oublier toute cette période risque d’être perçu comme une « humiliation » par la population.
D’ailleurs, si le Hubei s’ouvre, Pékin – et dans une moindre mesureShanghaï – continue d’appliquer des contrôles très sévères pour les déplacements de population. Toutavion venant de l’étranger fait uneescale médicale dans une ville de province avant de repartir pourPékin. Les passagers sont astreintsà des quarantaines dans des lieux assignés. Tous doivent passer un test à l’acide nucléique. Si les Pékinois ne sont pas confinés à leur domicile, ils doivent montrer un laissezpasser pour entrer ou sortir de chez eux. Or, dans certaines résidences, il n’y a qu’un laissezpasser par foyer. Si les commerces ouvrent peu à peu, nombre de restaurants se contentent encore de faire des livraisons à domicile. Les écoles restent fermées et ne devraient rouvrir que courant avril.La vie en Chine est loin d’avoir retrouvé son cours d’avant.
frédéric lemaître etsimon leplâtre
Poutine retarde sa réforme constitutionnelleLe président russe a ajourné, en raison de la pandémie, le vote populaire prévu le 22 avril
moscou correspondant
F ace à l’aggravation de lapandémie de Covid19 enRussie, Vladimir Poutine a
annoncé, mercredi 25 mars, le report du « vote populaire » prévu le22 avril sur une réforme de la Constitution. Une nouvelle date sera fixée après consultation des médecins, a indiqué le présidentrusse, qui a également annoncé que la semaine du 30 mars serait chômée dans le pays, « avec maintien du salaire ». « Le plus sûr, en cemoment, est de rester à la maison », atil plaidé, sans annoncer de mesures strictes de confinement. Les cafés et les parcs seront toutefois fermés.
Cette consultation – il ne s’agitpas formellement d’un référendum – devait valider une modification de la Constitution permettant au chef du Kremlin de rester au pouvoir après 2024, en « remettant à zéro » le nombre de mandats déjà effectués. « Vous savezavec quel sérieux je considère cesujet, a dit M. Poutine. Mais notre priorité absolue est la santé, la vie et la sécurité de nos citoyens. »
L’annonce de ce report s’estfaite dans un cadre très solennel,diffusée sur plusieurs chaînes detélévision en même temps. Le
président russe s’exprimait aussipour la première fois en longueur au sujet de la pandémie deCovid19. « Grâce aux mesures que nous avons prises, nousavons, dans l’ensemble, réussi àéviter une diffusion trop importante de la maladie », s’estil félicité, avant de mettre en garde :« Ce qui se passe en Europe ou del’autre côté de l’océan [aux EtatsUnis] peut devenir notre réalitédans un avenir proche. »
Demi-surpriseCette intervention du présidentrusse et la décision de reporter levote du 22 avril interviennentaprès la communication d’unnouveau bilan par les autoritéssanitaires, mercredi 25 mars.Celuici montre l’augmentationla plus forte en une journée, avec163 nouvelles contaminations,pour un total atteignant désormais 658 cas.
Cette annonce est aussi unesuite logique aux déclarations, mardi, du maire de Moscou,Sergueï Sobianine, qui est également à la tête du groupe de travail mis en place par le Kremlinpour lutter contre la pandémie.M. Sobianine avait reconnu queles chiffres de contaminations étaient « significativement plus
élevés » que les cas officiellementrecensés. Cet aveu ne constituaitqu’une demisurprise, tant les signaux inquiétants s’accumulaient ces derniers jours, depuisl’explosion du nombre de « pneumonies » dans le pays jusqu’à la transformation en centres desoins d’établissements de santécomme des maternités. La qualité et la quantité des tests produits en Russie sont également au cœur de discussions entre les spécialistes.
Le discours de Vladimir Poutine constitue malgré tout le signe d’un changement de stratégie. Il y a encore une semaine, leprésident assurait que la situation était « sous contrôle ». Desmesures de soutien aux retraités,aux entreprises et aux famillesnombreuses ont également étéannoncées mercredi.
Les autorités russes ont pris, dèsle début du mois de février, des mesures strictes de contrôle et de fermeture des frontières, mais elles rechignent à imposer un ralentissement trop brusque à l’économie. Si les événements culturels et publics ont été annulés et les écoles fermées, aucune mesure de confinement généralisé n’a été prise. A Moscou, seules les personnes âgées de plus de 65 ans
ont pour consigne de rester chezelles. Selon plusieurs sources citées dans la presse russe, c’est désormais la tenue de la parade du 9 mai, à l’occasion des soixantequinze ans de la victoire sur le nazisme, qui est en discussion. Une annulation serait un autre coupdur pour le Kremlin.
Pas de confinement généraliséLe « vote populaire » du 22 avrilétait attendu comme un moment majeur de la vie politique russe, permettant de clore la séquence constitutionnelleouverte le 15 janvier par VladimirPoutine. A l’époque, le présidentavait évoqué la soif de « changements » des Russes et fait la promesse de donner davantage de pouvoir au Parlement.
Le texte soumis aux électeursentérine au contraire un renforcement des pouvoirs du président, agrémenté de référencesconservatrices comme la « foi enDieu » ou l’interdiction du mariage entre personnes de mêmesexe. L’ajout du point le plus important, la « remise à zéro » desmandats effectués par VladimirPoutine, est survenu au derniermoment, le jour même du votedu texte par le Parlement.
benoît vitkine
La générosité très intéressée de la Chine et de la Russie pour l’ItalieLa propagande de Pékin et de Moscou agace les dirigeants européens
pékin correspondant
C’ est de bonneguerre, seraitontenté de dire. L’aideapportée par plu
sieurs pays à l’Etat italien, l’un des plus meurtris par la pandémie de Covid19, a été abondamment relayée en images, tels cescinquantedeux médecins et infirmiers cubains dépêchés par La Havane, filmés à peine débarqués, le 22 mars, avec drapeaudans une main et portrait géantde Fidel Castro dans l’autre.« Nous devons accomplir notremission révolutionnaire », diramême l’un d’eux, cité par RadioFrance internationale, alors quel’île caribéenne manque cruellement de moyens.
Pour d’autres, comme la Chineet la Russie, la solidarité a pris desallures de propagande, au pointque le chef de la diplomatie européenne, Josep Borell, s’en estému. Evoquant « non une guerremais des batailles à mener »,sanitaire et économique, contrele coronavirus, le haut représentant de l’Union européenne pourles affaires étrangères et lasécurité en a ajouté une nouvelle,lundi 23 janvier, sur le front desinformations. « Nous devons êtreconscients qu’il existe unecomposante géopolitique, y compris une lutte pour l’influence et lapolitique de générosité, atilaffirmé. Armés de faits, nous devons défendre l’Europe contreses détracteurs. »
Panda en peluche à la mainLe même jour, la Chine mettait enscène l’envoi de 100 000 masqueset 50 000 tests de dépistage à destination de l’Italie, renvoyés aprèsun désastreux épisode de détournement d’une première cargaison en République tchèque.
Dès le 12 mars, le premier envoien Italie de médecins et d’infirmiers du Sichuan, vêtus de blousons rouges et portant un panda en peluche à la main, faisait la « une » des journaux en Chine. De
puis, chaque jour, Le Quotidien du peuple, journal officiel du Parti communiste chinois (PCC), rend compte des coups de téléphone passés entre Xi Jinping et des chefsd’Etat étrangers, notamment européens. Le dirigeant chinois aainsi évoqué, lors d’une conversation avec le président du Conseil italien, Giuseppe Conte, le 16 mars,un nouveau concept de son pharaonique projet d’investissementsbaptisé les « routes de la soie », en lui adjoignant une épithète : les « routes de la soie de la santé ».
Dans la soirée du 24 mars, rapportait encore le quotidien Global Times, le président chinois a affiché son soutien à la Pologne, pays qui entretient des liens étroits avec les EtatsUnis. Avec son homologue polonais, Andrzej Duda, Xi Jinping a annoncé cette fois l’organisation d’une vidéoconférenced’experts de la santé avec dixsept pays d’Europe centrale et orientalepour partager des « mesures pertinentes » sur la prévention et la lutte contre les épidémies.
Toute l’aide chinoise fournie,pas seulement en Italie donc,mais aussi dans d’autres payscomme la Serbie, où le présidentVucic a remercié « la Chine qui nous sauve », sont ainsi mises en valeur. Les déclarations de la chancelière allemande, Angela Merkel, du 17 mars, selon laquelle la Chine ne fait que renvoyer l’ascenseur – « ce que nous voyons ici, c’est de la réciprocité » –, n’ont, elles, pas été reprises par la presse
chinoise, trop occupée à expliquer que « le modèle chinois contre le virus » est une « solutionpour le monde ».
La promotion de l’aide matérielle n’est en effet pas seule enjeu. Désormais, alors que la villede Wuhan, épicentre de la pandémie en Chine, s’apprête à célébrer le 8 avril la fin des restrictions pour sa population, c’est« l’exemple chinois » qui prend le relais. Les mesures radicalesprises par Pékin pour endiguer lapropagation du coronavirus fonten effet l’objet d’une campagnegrandissante sur le thème « nousavons vaincu ».
En parallèle, cependant, Pékindiffuse à travers son réseau d’ambassades d’autres messages moins sympathiques… Ainsi, piquée sur le compte Twitter de lachancellerie chinoise en France, la thèse d’un virus d’origine américaine, consécutive à des « essais » de pandémie sur une base,estelle revenue sur le tapis.« Deux mois plus tard, le premier cas de Covid19 a été confirmé à Wuhan », peuton lire sur le site del’ambassade. Cette agressivité de la presse et des diplomates chinois, qui n’hésitent pas à expliquer qu’en fait le virus a été importé en Chine par l’armée américaine, répond pour partie au président américain, Donald Trump, traité de « raciste » depuis qu’ils’obstine à qualifier le SARSCoV2de « virus chinois ».
« From Russia with love »La Russie s’est elle aussi mise surles rangs. Bien que l’épidémiesemble se répandre sur le solrusse – près de Moscou, un nouvel hôpital est en cours de construction –, le Kremlin soignel’image de sa « politique desolidarité ».
Le ministère russe de la défensediffuse en continu des images del’aide apportée à l’Italie, depuisl’accord conclu entre VladimirPoutine et Giuseppe Conte, le21 mars. Le « quinzième avionIL76 », transportant de l’équipe
ment s’est posé sur la base militaire italienne située à trentekilomètres de Rome, a ainsiannoncé le QG de l’armée, vidéo à l’appui, mercredi 25 mars.Comme pour les précédents, surchaque carton débarqué et filméen gros plan figure une charmante étiquette « From Russiawith love ».
Montrée du doigt pour sesbombardements intensifs qui n’ont pas épargné les hôpitauxen Syrie depuis son interventionen 2015 en soutien au régime de Bachar alAssad, la Russie a saisi l’occasion de montrer une autreimage d’ellemême. « Tout désaccord politique doit être oubliépour combattre la menace commune », soulignait il y a peu lecompte Twitter de l’ambassaderusse au Canada. Avec une pointede regret, une autre notait que « la France n’a pas encore demandé l’aide de la Russie ».
Cependant, ici aussi, cette aideest assortie de messages nettement moins sympathiques. Mercredi, Sputnik Italie, le réseau média du Kremlin sur la scèneinternationale, décrivait en ces termes l’acheminement de l’aiderusse à Bergame : « La Russie estlà. Et l’Union européenne [UE] ? »
La veille, le même média affirmait en plusieurs langues que lesavions russes transportant dumatériel vers l’Italie avaient dûfaire un détour de « 1 000 kilomètres » faute d’autorisation de survol du territoire polonais. Cetweet du sénateur russe AlexeïPouchkov était cité : « C’est une bassesse au plus haut sommet del’Etat. D’autant plus que l’aide était destinée à un pays allié de laPologne dans le cadre de l’UE et del’OTAN. » « Mensonge », ont répliqué les autorités polonaises, aveclesquelles Moscou entretient desrelations tendues. Mais l’affaire s’est emballée, et neuf pays européens ont été par la suite désignés comme ayant fermé leur espace aérien à l’aide russe.
frédéric lemaître etisabelle mandraud (à paris)
Les déclarationsd’Angela Merkel,
selon laquelle la Chine ne faitque renvoyer
l’ascenseur, n’ont,elles, pas été reprises par
la presse chinoise
La Chine a déclaré81 966 cas. Mais sont exclus des
statistiques 43 000patients positifs sans symptômes
500 km
CHINE
MONGOLIE
RUSSIE
JAPON
WuhanWuhan
Pékin
Shanghaï
Provincedu Hubei
Hongkong
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10 | coronavirus VENDREDI 27 MARS 20200123
La crise accentue les divergences entre Américains et EuropéensLors d’une visioconférence du G7, Washington a promu l’expression « virus de Wuhan », contre l’avis de ses partenaires
L es Européens ont eu biendes déceptions, ces dernières années, avec lesEtatsUnis. La sortie amé
ricaine de l’accord de Paris sur le climat et de celui sur le nucléaire iranien en sont les exemples les plus criants. Cet éloignement politique et affectif, suscité par l’unilatéralisme méprisant de l’administration Trump, s’accentuetil avec la crise du coronavirus ? Laréunion par visioconférence des ministres des affaires étrangères du G7, mercredi 25 mars, a alimenté cette impression, aucuncommuniqué n’ayant été publié àson terme. Le secrétaire d’Etat américain, Mike Pompeo, apoussé, seul, pour que soit employée l’expression « virus de Wuhan », pour mettre en cause la Chine. Le ministre français des affaires étrangères, JeanYves LeDrian, a souligné, pour sa part, « lanécessité de combattre toute instrumentalisation de la crise à desfins politiques ».
Les Européens ont été heurtéspar la façon dont les EtatsUnis – qui comptabilisaient, mercredi 25 mars, plus de mille morts dus au coronavirus – ont fermé leur espace aérien aux vols en provenance de 26 pays de l’espace Schengen. Une décision « prise unilatéralement et sans concertation », ont noté le 12 mars, dans uncommuniqué inhabituel, la présidente de la Commission, Ursulavon der Leyen, et le président du Conseil européen, Charles Michel. Le choix d’exclure de cettemesure le RoyaumeUni avaitrenforcé l’idée d’une punition sélective, de nature politique.
En outre, l’administration américaine n’a pas manifesté de solidarité élémentaire à l’égard de sespartenaires européens. En revanche, Donald Trump a envoyé unelettre au dictateur nordcoréen Kim Jongun, comme l’a rapporté Pyongyang, afin de proposer unappui dans la lutte contre la pandémie. Dimanche 22 mars, Donald Trump a confirmé sa main
tendue à la Corée du Nord en citant un autre pays susceptible d’être aidé, l’Iran.
Une chose ne risque pas de contrarier le président américain : l’ONU a disparu des radars. Seules ses agences, comme l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ou le Haut Commissariat aux réfugiés (HCR), se trouvent en première ligne, chacune dans son domaine. La concertation existe ailleurs. Une visioconférence des chefs d’Etat et de gouvernement du G7, présidé cette année par les EtatsUnis, s’est tenue dès le 16 mars, sur proposition de Paris. C’était avant même l’annonce par la Banque centrale européenne (BCE) d’un achat d’obligations de 750 milliards d’euros, avant la suspension par l’UE de la règle d’or des3 % maximum de déficit. Le G7 a ouvert la voie à ces mesures hors normes, en se disant prêt à faire « tout ce qui est nécessaire » pour assurer la stabilité mondiale.
Revoir les plans de l’OTANPartage complet des données épidémiologiques, projets communs de recherche… Le communiqué était chargé de bonnes intentions. Mais aucune réponsecollective n’a été mise en place surdeux points cruciaux : la production des masques et celle des appareils respiratoires. Seule l’Union européenne a lancé des appels d’offres groupés en urgence, pour combler les manques. Pour le reste, tout se passe dans des formats bilatéraux, par exemple entre certains Etats membres et la Chine.
Plus grave, Donald Trump a essayé de s’assurer les droits exclusifs sur les recherches menées parle laboratoire privé allemand CureVac, œuvrant à la mise au point d’un vaccin. Le gouvernement allemand s’est opposé à cettemanœuvre. La Commission européenne a offert 80 millions d’euros de crédit pour financer lestravaux de CureVac. La tentative américaine ne passe pas. « Cela va
audelà de la distanciation et de l’ignorance, souligne l’historien Justin Vaïsse, directeur général duForum de Paris sur la paix. Ce qui différencie Trump d’Obama, on levoit dans cet épisode, c’est une volonté de prédation, de destruction, de division de l’Europe. »
Le Forum sur la paix est une initiative de la France. Lors de sa seconde édition, en novembre 2019, l’ambassadrice des EtatsUnis à Paris n’avait même pas fait le déplacement, un geste clair d’hostilité. Justin Vaïsse veut croire qu’une autre Amérique, plus sensible au multilatéralisme, existe toujours. « M. Trump est un médium qui sent où se trouve le potentiel politique et où il peut attaquer, ditil. Mais Joe Biden, s’il l’emportait en novembre, pourrait aussi catalyser et faire ressortir cette autre Amérique, plus familière. »
Emmanuel Macron et DonaldTrump se sont parlé à nouveau, jeudi 19 mars, deux jours après la visioconférence du G7. « La crise du multilatéralisme n’est pas unenouveauté, on sait quelles sont les positions américaines depuis trois ans, dit une source diplomatique. Mais il y a un besoin vital de coordination, on le voit par exemple sur le rapatriement de citoyens français des EtatsUnis et des Américains se trouvant en Europe. »
A l’Elysée, on reste concentrésur la lutte contre la pandémie et les contacts avec les dirigeants étrangers. L’heure n’est pas en
core aux leçons à long terme, même si on appelle de ses vœux des marges de manœuvres inédites. « L’agenda de souveraineté et de protection en Europe, on voitqu’il est encore davantage d’actualité », dit un conseiller du président. Plus d’intégration européenne, moins de naïveté face à laChine et aux EtatsUnis : la feuille de route est claire. On soulignenéanmoins que chaque format dediscussion a sa finalité. Le G7 devait donner une impulsion entre pays industrialisés. Le G20, sousprésidence saoudienne, prévu jeudi 26 mars par visioconférence, doit servir à envoyer un signal à l’attention des pays émergents, dont les systèmes de santérisquent la noyade.
L’enceinte dans laquelle les rapports entre alliés sont scrutés de près est l’OTAN. A Bruxelles, jusqu’à la semaine dernière, les réunions à près de cent personnes continuaient. Elles sont dorénavant rares et moins fournies. Les ministres des affaires étrangères s’entretiendront le 2 avril par visioconférence. Sur le plan militaire, le coronavirus a deux conséquences. Defender Europe 20 devait être l’un des plus grands exercices américains depuis la fin de la guerre froide, réunissant 37 000 soldats de 18 Etats, dont 20 000 américains. Une démonstration de solidarité spectaculaire, adressée à la Russie. L’essentiel desmanœuvres était prévu en avril et en mai. Mais les effectifs mobiliséssont revus à la baisse.
La question de la mobilité destroupes au sein de l’OTAN est parailleurs ravivée. En fermant ses frontières avec un empressementqui a irrité l’Elysée, la Pologne empêche, théoriquement, le déplacement de forces en soutien auxpays baltes, s’ils étaient attaqués. Le fait même qu’un tel cas n’ait pas été prévu montre comment lacrise sanitaire en cours va aussientraîner une révision des plansde défense avec les Américains.
piotr smolar
« Donald Trumpest un médium
qui sent où se trouve
le potentiel politique et où ilpeut attaquer »
JUSTIN VAÏSSEdirecteur général du Forum
de Paris pour la paix
Face au virus, le Pakistan s’en remet à l’arméeContrairement à leur voisin indien, les autorités refusent d’instaurer un confinement général
bombay correspondance
L e Pakistan est aux abois etson principal allié etbailleur de fonds, la Chine,
vole à son secours. Alors que le décompte officiel des personnes contaminées par le coronavirus venait de franchir la barre du millier d’individus dans ce pays de 210 millions d’habitants, dont 413 cas décomptés dans la province du Sind et 312 dans celle du Pendjab, un avioncargo affrétépar la fondation de Jack Ma, le patron de la firme d’ecommerce chinoise Alibaba, a atterri, mercredi 25 mars, en fin d’aprèsmidi, à l’aéroport Jinnah de Karachi (sud).
A son bord : un demimillion demasques chirurgicaux et 50 000 kits de test de dépistage. De quoi soulager pour quelque temps les autorités locales, qui semblent complètement dépassées par les événements. Un autre arrivage de matériel en provenance de Chine était attendu, jeudi, avec autant de masques et de tests, d’après le lieutenant général Muhammad Afzal, qui préside l’organe à l’avantpostede la crise, la National Disaster Management Authority.
L’armée, qui a dirigé le pays prèsde la moitié du temps depuis sa
création, en 1947, retrouve ses réflexes interventionnistes sous l’autorité du général Faiz Hameed, chef de l’InterServices Intelligence,la principale branche du renseignement, et du général Qamar Javed Bajwa. Ce dernier a été reconduit en janvier au poste de chef d’étatmajor par la volonté du premier ministre, Imran Khan, qui n’apas hésité pour cela à retoucher la Constitution, afin de relever l’âge limite imposé à la fonction.
« Mini-loi martiale »C’est d’ailleurs en vertu de la Constitution (article 245) que le gouvernement a autorisé, lundi 23 mars, l’armée à se déployer dans tout lepays durant trois mois, pour assurer la logistique de la lutte contre le coronavirus, en mobilisant notamment ses laboratoires d’analyse et ses hôpitaux. Une décision controversée. « Nombreux sontceux qui se demandent si la situation s’est à ce point détériorée pourque l’exécutif en appelle à l’armée pour combler ses défaillances », relève Waseem Ahmad Shah, chroniqueur au journal Dawn. « Nous assistons à la mise en place d’une miniloi martiale, qui donne désormais plus de pouvoir aux militairesqu’aux civils », estime Ayesha Sid
diqa, analyste politique spécialistedes questions militaires en Asie du Sud.
Les militaires, eux, sont sur lepied de guerre. « Toutes les troupes disponibles sont prêtes à intervenir », a indiqué le général Babar Iftikhar, un proche du général Bajwa, nommé en janvier à la tête de l’InterServices Public Relations, le très puissant outil de propagande du quartier général de Rawalpindi.
En début de semaine, le gouvernement a décidé de commander 10 000 respirateurs artificiels, à la Chine toujours, pour une livraisonen avril. A l’heure actuelle, indiquele général Afzal, le Pakistan ne dispose que de 2 200 respirateurs. Un chiffre dérisoire pour soigner les malades qui seront les plus grièvement atteints par le Covid19.
Contrairement à son voisin indien, le pays refuse l’idée d’unconfinement général. ImranKhan, qui a d’abord gardé le silence après la détection du premier cas pakistanais, le 26 février,est apparu quatre fois à la télévision ces derniers jours, pour appeler la population à se mettred’ellemême en quarantaine,tout en expliquant qu’une mise àl’isolement systématique mènerait le pays « au chaos ».
Il en va, selon lui, de la « survie »de l’économie, alors que celleci était déjà en très grande difficulté avant la pandémie mondiale. Une enveloppe équivalenteà près de 6 milliards d’euros a étépromise aux entreprises et auxagriculteurs, ainsi qu’aux salariés ayant perdu leur emploi en raison du coronavirus, sousforme de report d’impôts et debaisse du prix des carburants.
Dirigeants civils et militairessont accusés d’avoir réagi dans la confusion à l’arrivée du virus. Le premier foyer d’infection est apparu à Taftan, une ville de la province du Baloutchistan proche de la frontière iranienne. C’est par là que sont entrés, courant février, environ 4 800 Pakistanais qui se trouvaient en Iran, pays le plus contaminé de la région, dont 1 700chiites de retour de pèlerinage.
Face à cet afflux, Islamabad afermé et rouvert la frontière à plusieurs reprises, en plaçant ces gens en quarantaine, dans des camps constitués de simples tentes, dépourvus de tout masque et privés d’un accès décent à l’eau pour se laver, puis les a finalement autorisés à se disperser aux quatre coins du pays.
guillaume delacroix
Maintien contesté de la présidentielle en PologneLe président Duda serait le seul à pouvoir mener une campagne en bonne et due forme
varsovie correspondance
L a tenue de l’élection présidentielle du 10 mai en Pologne estelle réaliste dans le
contexte actuel ? Les experts et politologues sont quasi unanimes : aussi bien du point de vue de l’équité entre les candidats qu’organisationnel, cette élection devrait être reportées. Le président sortant membre du parti au pouvoir Droit et justice (PiS), Andrzej Duda, est le seul candidat à pouvoir mener une campagne en bonne et due forme, et à bénéficierd’une exposition médiatique suffisante en sa qualité de chef de l’Etat sur le « front » de la lutte contre l’épidémie. Ses visites dans des hôpitaux et des centres de gestion de la crise sont d’ailleurs amplement critiquées, comme autant desituations à risque.
Malgré une épidémie relativement contenue (1051 cas, 14 morts)près de 70 000 personnes se trouvent actuellement en confinement à domicile, et ce chiffre est susceptible d’augmenter fortement. Comment inciter la population à se rendre dans des bureaux de vote qui peuvent devenir d’importants foyers de transmission ? Comment mobiliser les 250 000 assesseurs nécessaires à la tenue du scrutin, compte tenu des risques importants qu’ils encourent ? Enfin, comment légitimer le scrutin si le taux de participation s’avère extrêmement bas ?
Profiter de l’avantageEn dépit de ces obstacles, le pouvoir ultraconservateur semble déterminé à maintenir la date de l’élection, et à profiter de l’avantage que lui procure cette période de crise. Le président du PiS, Jaroslaw Kaczynski, dans un entretien accordé samedi 21 mars, a signalé qu’aucun report du scrutin n’était pour l’heure envisagé. « Je suis persuadé qu’actuellement, il n’y a aucune nécessité de mettre en placeun état de catastrophe naturelle qui permettrait de reporter le scrutin, atil souligné. Ces élections devraient avoir lieu. Les administrations nationales et locales ont un devoir constitutionnel de mettre lesmesures nécessaires en place. »
Signe de sa détermination,l’homme fort du pays est allé jusqu’à avancer une solution singu
lière pour remédier au problème des confinés. « Si l’on prend en compte le nombre de malades, hospitalisés, ou personnes en quarantaine, on pourrait imaginer des moyens de déplacer les urnes électorales jusqu’à eux. » Une solution qui, de l’avis de nombreux experts, paraît non seulement irréaliste, mais illégale en l’état actuel du code électoral. La possibilité d’un vote électronique ou par correspondance est également exclue, le PiS ayant auparavant supprimé cette possibilité contre l’avis des organisations de défensedes droits civiques.
L’opposition, de son côté, demande unanimement le report duscrutin. « Ce n’est pas un temps pour mener campagne, souligne Malgorzata KidawaBlonska, candidate de la Coalition civique (KO, centre droit), le principal parti d’opposition. Je n’ai pas le souvenir d’un moment aussi dur depuis la chute du communisme. Tous les candidats ont préparé leur campagne, mais aujourd’hui, les règles du jeu sont faussées. Le gouvernement, une fois de plus, agit contre les règles de la démocratie. La faibleparticipation électorale sera à l’avantage du PiS. »
Après la mise en place par le gouvernement de l’état de menace épidémiologique, le 13 mars, puis l’interdiction des rassemblements de plus de deux personnes, les cinq concurrents du président sortant ont suspendu leurs déplacements et meetings, pour se concentrer sur des activités en ligne etsur les réseaux. Le pouvoir, de son côté, bénéficie toujours d’un relaismassif de la part des médias publics, peu enclins à respecter les règles d’équilibre de temps de parole, et de la complaisance d’une myriade de médias privés.
Le premier ministre, la présidente de la Chambre basse du Parlement, et le porteparole du président Duda se sont prononcés pour le maintien scrutin. La ministre du développement économique, Jadwiga Emilewicz, est allée jusqu’à affirmer que « ces temps difficiles sont un excellent moment pour que les candidats présentent leurs solutions pour faire face à cette situation, et que les électeurs évaluent leurs actions,postulats et propositions ».
Les prévisions du second tourdonnaient depuis plusieurs semaines M. Duda et sa principale rivale au coudeàcoude. Mais selon une étude du quotidien d’opposition Gazeta Wybarcza, le président sortant pourrait l’emporterlargement dès le premier tour en cas de maintien du scrutin. Près de 73 % des Polonais seraient en faveur du report de l’élection.
jakub iwaniuk
Près de 70 000 Polonais
se trouvent actuellement
confinés chez eux
- CESSATIONS DE GARANTIE
LOI DU 2 JANVIER 1970 - DECRETD’APPLICATION N° 72-678
DU 20 JUILLET 1972 - ARTICLES 44QBE EUROPE SA/NV, sis Cœur Défense– Tour A – 110 esplanade du Général deGaulle – 92931 LA DEFENSE CEDEX(RCS NANTERRE 842 689 556), succur-sale de QBE EUROPE SA/NV, dont le siègesocial est à 37, Boulevard du Régent, 1000BRUXELLES - BELGIQUE, fait savoir que,la garantie financière dont bénéficiait la :
SARL 3A. IMMO. S.R.T.24 Rue de la Gare - 78370 PLAISIR
RCS : 435 177 506depuis le 01/01/2004 pour ses activités de :TRANSACTIONS SUR IMMEUBLES ETFONDS DE COMMERCE cessera de por-ter effet trois jours francs après publicationdu présent avis. Les créances éventuelles serapportant à ces opérations devront être pro-duites dans les trois mois de cette insertion àl’adresse de l’Établissement garant sis CœurDéfense – Tour A – 110 esplanade du Généralde Gaulle – 92931 LA DEFENSE CEDEX. Ilest précisé qu’il s’agit de créances éventuelleset que le présent avis ne préjuge en rien dupaiement ou du non-paiement des sommesdues et ne peut en aucune façon mettre encause la solvabilité ou l’honorabilité de laSARL 3 A. IMMO. S.R.T..
LOI DU 2 JANVIER 1970 - DECRETD’APPLICATION N° 72-678
DU 20 JUILLET 1972 -ARTICLES 44QBE EUROPE SA/NV, sis Cœur Défense– Tour A – 110 esplanade du Général deGaulle – 92931 LA DEFENSE CEDEX (RCSNANTERRE 842 689 556), succursale de QBEEUROPE SA/NV, dont le siège social est à 37,Boulevard du Régent, 1000 BRUXELLES -BELGIQUE, fait savoir que, la garantie financièredont bénéficiait la :
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FRANCO» - 13 rue Pierre Niel - 06830GILETTE - RCS :300 464 252
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0123VENDREDI 27 MARS 2020 coronavirus | 11
Le Congrès américain valide le plan de relance La Bourse salue la décision, alors que trois millions de chômeurs de plus sont attendus cette semaine
new york correspondant
L e pire estil passé ? WallStreet le croit, au moinsprovisoirement. En deuxjours, l’indice Dow Jones
a progressé de 16 %, et le Standard& Poor’s, de 13 %, alors que les signes d’une reprise en main de l’économie tétanisée par le coronavirus se profilent : soutien illimité de la Fed (Réserve fédérale)pour éviter la faillite du système ; journée sanitaire de mercredimoins catastrophique que la veille dans l’Etat de New York, avec une réduction du nombre d’hospitalisations ; volonté deDonald Trump de remettre l’Amérique au travail d’ici à Pâques et accord du Congrès sur un plan de soutien de près de 2 000 milliardsde dollars (1 846 milliards d’euros)à l’économie, soit environ 10 % duproduit intérieur brut ou la moitié du budget fédéral annuel. « C’est un investissement digned’un temps de guerre pour notre pays », a déclaré le patron des sé
nateurs républicains, Mitch McConnell (Kentucky).
Il est prévu de verser aux Américains directement 500 milliardsde dollars. Ils vont recevoir un chèque de 1 200 dollars par personne, à condition de gagner moins de 75 000 dollars par an pour une personne, et 150 000 pour un couple, ainsi que 500 dollars par enfant. La mesure, dégressive audelà, permet de donner du pouvoir d’achat immédiat aux ménages, dont beaucoup sont privés de leur travail du jour au lendemain.
Elle doit être versée d’ici à troissemaines, selon le secrétaire au Trésor, Steven Mnuchin. S’y ajoute, pour près de 250 milliards de dollars, une indemnisation fédérale du chômage pendant quatre mois. « Si vous avez été licencié, vous allez recevoir 600 dollars par semaine de plus », a précisé le sénateur progressiste du Vermont, Bernie Sanders. Pour la première fois, les travailleurs ayant un statut d’indépendant, comme les chauffeurs Uber, y auront droit. Cette
somme viendra en complément des 200 à 550 dollars payés chaquesemaine par les Etats fédérés pour une période de trois à sept mois.
Apre bataille politiqueCette mesure a longtemps fait débat, mercredi 25 mars au soir, quatre sénateurs républicains contestant un système qui permettrait àcertains de gagner plus au chômage qu’en travaillant, encourageant les Américains à quitterleur travail. « Je ne crois pas que cela va créer des incitations néga
tives », a déclaré M. Mnuchin. « Ce que la plupart des Américains veulent, c’est garder leur emploi. »
Cette indemnisation est capitale, alors que le nombre des inscriptions hebdomadaires au chômage devait être connu jeudi.L’Economic Policy Institute prédisait une hausse d’au moins trois millions du nombre de chômeurs. Selon ses prévisions, fondées sur les indications de trentecinq Etats, il sera passé en une semaine de 5,7 à 9,1 millions. La datelimite de déclaration d’impôt
pour 2019 a par ailleurs été reportée du 15 avril au 15 juillet.
Le Congrès a également voté desprêts destinés aux PME, pour prèsde 370 milliards de dollars. Ces sommes ne seront pas remboursables si elles servent à payer les salaires, les loyers ou les intérêts d’emprunt immobilier, et les abonnements à l’eau et à l’électricité. S’y ajoutent 500 milliards de dollars de prêts aux grandes entreprises. Ceuxci seront distribués par le Trésor, ce qui a entraîné une âpre bataille politique.
Les démocrates ont exigé lamise en place d’une autorité decontrôle, avec la création d’un poste d’inspecteur général. Sur cette enveloppe, environ 17 milliards de dollars seront alloués à des entreprises jugées stratégiques pour le pays, dont Boeing et General Electric, toutes deux déjà en très mauvaise posture avant la crise. Leurs actions ont crû respectivement de 50 % et de 24 % endeux jours. Le titre Boeing a étédopé par les déclarations de son patron, lequel a indiqué qu’il nelaisserait pas le gouvernemententrer au capital du groupe. Le19 mars, Nikki Haley, exambassadrice de Donald Trump à l’ONU,avait démissionné du conseild’administration du géant aéronautique, en désaccord avec la demande de renflouement public.
Les compagnies aériennes, dontles actions ont rebondi de 10 % à 20 % en Bourse, mercredi, seront aussi secourues à hauteur de25 milliards de dollars, les aéroports de 10 milliards, le fret et les
prestataires de services aériens de8 milliards. Les pouvoirs publics pourront en contrepartie imposer le maintien de certaines dessertes de service public.
Surtout, le programme prévoitd’interdire les rachats d’actions, qui ont consommé l’essentiel des liquidités dégagées par ces entreprises, et les bonus des dirigeants.Les démocrates disent avoir obtenu la garantie que les entreprises de Donald Trump ne pourrontpas bénéficier des fonds publics.
Le Congrès va par ailleurs consacrer 100 milliards de dollars aux hôpitaux et entreprises de soins,tandis que 16 milliards permettront l’achat et la production dematériels de première nécessité, comme les masques.
Les Etats fédérés, en première ligne, vont toucher quelque 150 milliards de dollars, mais le gouverneur de l’Etat de New York, Andrew Cuomo, s’est plaint de recevoir moins de 4 milliards : « 3,8 milliards, cela a l’air beaucoup,mais nous prévoyons des pertes de revenus de 9, 10, 15 milliards de dollars » dans le budget de l’Etat. Le réseau de métro et de bus de New York demande, à lui seul, un renflouement de 3,8 milliards.
Mercredi, la banque d’affairesMorgan Stanley jugeait favorablement le plan des pouvoirs publics,estimant qu’il répondait à deux préoccupations majeures : éviter la faillite des ménages et des entreprises, et établir la confianceen un redémarrage rapide del’économie.
arnaud leparmentier
La théorie du recours à la « monnaie hélicoptère » ressurgitAvec la pandémie, l’idée que les banques centrales donnent directement de l’argent aux citoyens est débattue très sérieusement
londres correspondance,
A lors que la planète se débat avec la pandémie deCovid19 et les perspecti
ves de récession, le président des EtatsUnis, Donald Trump, caresse un espoir : celui que « le paysse remette en marche pour Pâques ». Pour cela, il a lancé, avec le Congrès, un plan de relance de2 000 milliards de dollars (1 846 milliards d’euros), avec une mesure inédite : les ménages américains en dessous d’un plafond de revenus recevront débutavril un chèque du Trésor (ministère des finances) d’un montant de 1 200 dollars pour un adulte,2 400 dollars pour un couple et 500 dollars par enfant. De quoi retourner faire le plein de courseschez Cosco ou Walmart, redonnervie aux centres commerciaux désertés, remettre du carburant dans la voiture – autrement dit,
relancer la consommation et la machine économique.
Donner directement de l’argentaux consommateurs, sans passer par le crédit bancaire, c’est le principe de l’helicopter money (« monnaie hélicoptère »). Selon la description de l’économiste Milton Friedman en 1969, cela consiste, pour la Banque centrale d’un pays,à créer de la monnaie pour la distribuer directement aux citoyens. « Imaginons qu’un jour un hélicoptère vole audessus de cette communauté et jette des billets de 1 000 dollars », avaitil suggéré.
En ce sens, la mesure prise par leCongrès américain n’est pas à proprement parler de la « monnaie hélicoptère », puisque l’argent proviendra du budget fédéral et non de la Réserve fédérale (la Banque centrale). Mais l’idée,qui paraissait farfelue il y a encorequelques années, est désormais débattue très sérieusement.
Depuis la crise financière de2008, les banques centrales sont àla manœuvre : elles ont d’abord placé les taux d’intérêt à zéro, puisse sont mises à acheter des titres financiers, notamment des obligations d’Etat, augmentant toujours un peu plus les montants injectés. La Banque centrale européenne promet en 2020 d’acheterpour 1 000 milliards d’euros. Maiscette méthode est de moins en
moins efficace. « Les économiesdes pays concernés ne s’en portent pas particulièrement bien », écrivait en janvier l’Institut Veblendans un rapport, prônant le recours à la monnaie hélicoptère.
« Brutalité inouïe »Plutôt qu’introduire cet argent dans les circuits financiers, en espérant que les banques en transmettent les effets sur le terrain, nevaudraitil pas mieux le verser directement aux citoyens ? FrançoisPerret, directeur général de Pacte PME et fondateur de l’InstitutAnaxagore, est un ardent défenseur de cette idée. Dans un article publié lundi dans Forbes, il souligne que le choc économique,« d’une brutalité inouïe », impose de trouver des solutions nouvelles, comme « distribuer du cash, beaucoup de cash, directement aux citoyens, pas seulement auxentreprises ».
Paul Tucker, qui était vicegouverneur de la banque d’Angleterrelors de la crise de 2008, juge que lamonnaie hélicoptère est potentiellement utile, « mais ce n’est pasquelque chose à prendre à la légère ». « Il ne faut le faire qu’en dernier recours. Et il faut être très clairque ça ne peut pas être une intervention permanente. » Sinon, « lerisque est que les gouvernements s’y habituent. » A terme, et même si la perspective semble très lointaine, une « monétarisation » peutmener à l’hyperinflation.
Xavier Ragot, directeur de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), estime, lui aussi, que, « dans le contexte actuel, la monnaie hélicoptère peut être une bonne idée », mais que sa mise en œuvre poserait de nombreuses questions, à commencerpar celle de la légitimité de la banque centrale. « La BCE peutelle se permettre de faire une politique fis
« La BCE peut-elle se permettre
de faire une politique fiscale
sans débat démocratique ? »
XAVIER RAGOTdirecteur de l’OFCE
Le président des EtatsUnis, Donald Trump,à la Maison Blanche,le 25 mars.JONATHAN ERNST/REUTERS
cale sans débat démocratique ?, s’interroge l’expert. Je suis plutôt favorable à ce que la BCE cède de lamonnaie et la donne aux Etats, qui la distribuent au travers de leur politique budgétaire et en suivant les règles démocratiques. »
« Il n’est pas évident que cet instrument soit le bon face au type decrise à laquelle nous sommes confrontés », ajoute André Sapir, économiste à l’Université Libre de Bruxelles et chercheur chezBruegel, un centre de réflexion européen. D’abord parce qu’aujourd’hui, ce sont les entreprises plus que les ménages qui ont des difficultés, et c’est plutôt vers elles que l’aide doit aller. Ensuite, il s’agit d’une mesure non redistributive : un travailleur indépendant privé de revenus recevrait le même chèque qu’un cadresupérieur, par exemple.
éric albertet béatrice madeline
bis repetita. En décembre 2008, la Réserve fédérale (Fed) avait fait appel à quatregestionnaires d’actifs pour mettre en œuvre un programme massif de rachatsd’actifs de 700 milliards de dollars(646 milliards d’euros, au cours actuel) destiné à sauver les marchés financiers :BlackRock, Pimco, Goldman Sachs et Wellington avaient acheté des titres hypothécaires pour le compte de la Banque centraleaméricaine. Mardi 24 mars, la Fed a mandaté BlackRock pour l’assister dans l’exécution d’une partie de son plan de sauvetage des marchés américains du crédit.
Entretemps, celui qui était il y a douzeans une petite « boutique » de gestion est devenu, sous la houlette de son fondateurLarry Fink, le premier acteur mondial, avec7 400 milliards de dollars d’actifs gérés (au 31 décembre 2019). En 2008, le groupe avaitcréé une entité à part, baptisée FinancialMarkets Advisory (FMA), afin d’aider lesbanques et autres grands argentiers à valoriser et traiter leurs portefeuilles d’actifs
toxiques. BlackRock s’appuie pour cela sur sa plateforme technologique Aladdin, qui fournit des données et des outils analytiques sur les risques financiers.
Depuis la création de FMA, « 650 missionsont été réalisées pour 250 clients dans 35 pays », indique la firme sur son site Internet, sans toutefois préciser les noms. Certains sont connus comme la Grèce, la Banque centrale d’Irlande ou la Banque centrale européenne. FMA avait égalementété mandaté par la Fed pour gérer les actifstoxiques de la banque Bear Stearns et de l’assureur AIG.
Signes de faiblesseCette nouvelle mission confiée par la Fed consiste à acquérir des obligations d’entreprises ainsi que des créances hypothécaires émises par les agences publiques américaines. BlackRock insiste sur le fait qu’il existe « une muraille de Chine » entre l’entité Financial Markets Advisory et son métier d’investisseur.
Un sujet majeur car, pour la premièrefois, la Banque centrale américaine a inclusdans son programme de rachat d’actifs les fonds indiciels ou exchangetraded funds(ETF), dont certains ont donné des signes de faiblesse récemment. Or BlackRock estle numéro un mondial des ETF. Il devraitdonc être amené à acquérir certains de ses produits avec l’argent de la Fed.
Le mandat de la Fed, dont les termes nesont pas dévoilés, est vu comme un signede l’influence de BlackRock auprès des autorités américaines. Comme un lointain écho à la polémique en France sur les retraites, mais à beaucoup plus grandeéchelle. Car autant la firme de Larry Fink, avec son petit 1 % de part de marché en France, a peu à gagner d’une réforme qui favoriserait la capitalisation, autant elle pourrait s’enrichir beaucoup grâce à cetteposition de choix. BlackRock et la Fed devront faire preuve de transparence pour éliminer toute suspicion.
isabelle chaperon
BlackRock appelé à la rescousse par la Réserve fédérale
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12 | coronavirus VENDREDI 27 MARS 20200123
RÉCITlondres, berlin, rome
et bruxelles correspondants
J eudi 26 mars, les VingtSept devaient se réunir envisioconférence pour latroisième fois en moins detrois semaines. Au programme des discussions,la crise due au coronavi
rus, alors que l’Europe entière – à l’exception de la Suède – est confinée, que des centaines de malades meurent tous les jours et que l’économie continentale est en voie de paralysie.
Si l’urgence est bien sûr sanitaire, ils se retrouvent alors que les tabous économiques européens tombent les uns après les autres. En quelques semaines, le pacte de stabilité et de croissance,qui régit la sacrosainte disciplinebudgétaire des pays de la zoneeuro, a été suspendu ; l’Allemagnea présenté le plus gros budget de relance de son histoire et renoncéà l’équilibre budgétaire pourtant inscrit dans le marbre ; la Commission européenne a mis des dizaines de milliards sur la table ; la Banque centrale européenne (BCE) a annoncé l’injection de 1 000 milliards d’euros. Et lesgrandes réformes de la zone euro,qui n’ont jamais été achevées après la crise de 2012, sont de nouveau sur la table.
La dernière fois que les chefsd’Etat et de gouvernement européens se sont vus en chair et en os, c’était les 20 et 21 février, à Bruxelles. Du coronavirus, dontles tout premiers cas avaient été
repérés en Europe fin janvier, iln’avait alors pas été question. Les VingtSept étaient réunis pour parler du budget européen affecté à la période 20212027, lequel représente peu ou prou 1 % de leur richesse nationale. Ilss’étaient consciencieusement écharpés sur les décimales quisuivent la virgule. Le président duConseil européen, Charles Michel, que le premier ministre luxembourgeois, Xavier Bettel,avait présenté au début du sommet comme « le frère jumeau de David Copperfield », n’avait pas fait de miracle.
Deux jours plus tard, le 23 février, les premières « zones rouges » étaient instituées en Italie, où l’on croyait encore l’épidémieconfinée à deux foyers, en Lombardie et en Vénétie. « Milano nonsi ferma » (« Milan ne doit pas s’arrêter »), décrétait début mars Beppe Sala, le maire de la métropole, qui regrettera amèrementses propos par la suite.
« RETARD À L’ALLUMAGE »A vrai dire, personne, en cette fin février, ni à Bruxelles, ni à Milan, ni même à Rome, n’imaginait l’ampleur de la crise qui allait déferler sur l’Europe et encore moins qu’elle emporterait avec elle le pacte de stabilité et de croissance. Lundi 23 mars, les ministres des finances des VingtSept ont entériné sa suspension sine die, sans même en discuter.
Pour l’heure, plus aucun Etatn’est donc tenu de respecter les limites de 3 % du PIB pour le déficitet de 60 % de la richesse nationalepour la dette. Autre totem qui est tombé : la Commission a considérablement assoupli le régime des aides d’Etat, afin de permettre aux VingtSept de voler au secours de leurs entreprises sans se voir accuser de contrevenir aux règles du marché intérieur. Elle a également mis à la dispositiondes Etats membres 37 milliards d’euros de fonds structurels pour lutter contre le virus. Inimaginable quinze jours plus tôt. Même au plus fort de la crise financière,
après la faillite de Lehman Brothers, le 15 septembre 2008, puisde celle de la Grèce, qui a failli emmener avec elle l’union monétaire en 2012, un tel scénario n’avait pas été envisagé.
« J’ai fait du rangement ce weekend, et je suis tombé sur des notes et des télégrammes d’il y a quinze jours, où l’on parlait encore d’autres sujets que la crise du Covid19 », s’étonne aujourd’hui un diplomate. L’Europe a eu « un retard à l’allumage », comme on l’entend beaucoup ces joursci. Qui se souvient que, lundi 9 mars,Ursula von der Leyen organisait une conférence de presse pour dresser le bilan de ses cent premiers jours à la tête de la Commission ? Elle y parlait Green Deal, digitalisation de l’économie, stratégie industrielle, et évoquait à peine la crise des migrants que le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a relancée en ouvrant sa frontière avec la Grèce…
La veille, à l’Elysée, EmmanuelMacron avait rassemblé ses équipes pour parler de l’épidémie, dont on savait désormais qu’elle n’épargnerait personne en Europe – Chypre a été le dernier à rejoindre le club. Cela ne peut plusdurer, s’étaitil impatienté, l’Europe ne peut pas continuer à paraître inactive. A son initiative,Charles Michel a finalement convoqué un conseil européen – par vidéoconférence – le 10 mars.
Ce jourlà, les VingtSept ont,pour la première fois, évoqué la possibilité de suspendre le pacte de stabilité. Bien sûr, les dirigeants européens n’ont pas parlé qu’économie, alors que la crise due au coronavirus a fait renaître des tentations isolationnistes partout en Europe. On a vu des frontières se fermer, des pays comme la France et l’Allemagne interdire l’exportation de ces masques dont les hôpitaux italiens manquent tant. Mais, comme l’a martelé depuis Ursula von der Leyen, il faut « tout mettre en œuvre pour que l’économie européenne résisteà cette tempête ». Pour l’Italie, qui s’était sentie abandonnée par ses partenaires, ce fut presque un soulagement.
L’ancienne ministre d’AngelaMerkel n’est pas la seule à avoirmis du temps à prendre la mesure de son rôle dans cette crise. Christine Lagarde, qui préside laBCE, a, elle aussi, eu du mal à s’adapter à une situation qu’elle n’avait pas anticipée. Celle quiétait arrivée à son poste le 1er octobre en se voulant « ni colombeni faucon », mais « chouette », un animal sage qui tenterait de dépasser les traditionnelles oppositions entre pays du Nord et du Sud, n’a eu d’autre choix que dechanger de posture.
Jeudi 12 mars, en annonçant sespremières mesures, elle a bien tenté de concilier l’inconciliable,
c’estàdire les différentes positions qui s’exprimaient à son conseil des gouverneurs. Plus queles sommes en jeu, c’est le message politique de la Française quia été un désastre. Lorsque, toutsourire devant les journalistes, Christine Lagarde a laissé échapper cette petite phrase, « Nous ne sommes pas là pour réduire les spreads » – c’estàdire l’écart entre les taux allemands et ceux desautres pays –, les marchés ont entendu : la BCE n’est pas prête à tout pour défendre l’Italie, le paysle plus touché par le virus, dont les taux obligataires s’étaient déjàfortement tendus.
Les Bourses se sont écrouléesencore un peu plus. Les taux des obligations italiennes se sont envolés, se rapprochant dans les jours qui ont suivi de 3 %, un niveau qui n’avait pas été vu depuispresque deux ans. Le spectre d’une dislocation de la zone euro a refait surface. A l’urgence sanitaire et économique s’est ajoutéela possibilité d’une nouvelle crise de la monnaie unique.
Dans la nuit du 18 au 19 mars, laBCE a corrigé le tir et annoncé vouloir acheter pour 750 milliards d’euros supplémentairesde titres financiers, portant à 1 050 milliards ce qu’elle est prête à dépenser d’ici à fin 2020. Bien plus que tout ce que Mario Draghi, le prédécesseur de Mme Lagarde, avait fait lors de la crise de 20122015. Le lendemain matin, les marchés ont ouvert à la hausse. Les taux obligataires se sont détendus. La BCE a réussi son coup. La balle est désormaisdans le camp des politiques,comme ne manquera pas de lerappeler la présidente de l’institution monétaire lors du conseil de jeudi, auquel elle doit également participer.
« SOLIDARITÉ CONTAGIEUSE »Les VingtSept discuteront justement de la manière dont ils affronteront – ensemble ou pas – la suite de la crise. « Estce qu’en levant les règles, on n’ouvre pas les portes à la possibilité pour lesEtats de faire cavalier seul ? Si l’Europe consiste à assouplir des règles et laisser faire chacun, on aura perdu le fil, on se préparerades lendemains politiques douloureux », s’interroge un conseillerd’Emmanuel Macron.
Les dirigeants européens ont, entout cas, prévu de parler des instruments de solidarité dont ils peuvent disposer dans cette crisesans précédent. Certains existent déjà, mais ils nécessitent desadaptations significatives, auxquelles ne sont pas spontanément prêts Berlin ou La Haye, pour ne citer qu’eux. C’est le cas, par exemple, du Mécanisme européen de stabilité (MES), mis en place en 2012 pour aider les pays qui n’arrivent plus à se financer sur les marchés et qui dispose d’une force de frappe de 410 milliards d’euros. C’est également le cas du budget européen, à condition qu’il change d’échelle.
D’autres pistes peuvent être explorées. Comme celle d’une mutualisation des emprunts de lazone euro, afin de financer les ravages du Covid19. Et d’allégerainsi la charge financière pour les pays, que les marchés auraient tendance à faire payer plus cher. Lors du conseil européen du17 mars, le président du conseildes ministres italien, Giuseppe Conte, a lancé cette idée de « coronabond », avec le soutien de Paris et Madrid.
« La solidarité [entre Européens]peut être aussi contagieuse que le virus », a affirmé Christine Largarde, mardi 24 mars, au cours d’une réunion avec les ministres des finances de la zone euro, pourpréparer le conseil de jeudi. Pas sûr qu’elle ait convaincu tous ses interlocuteurs. Car sur ces sujets,l’Europe reste désunie, même si, àla marge, on constate certaines évolutions. Ainsi, mercredi, parmi les neuf pays qui ont écrit àCharles Michel pour défendrel’idée d’un « instrument de dettecommun », on trouve, audelà des « usual suspects » (la France, laGrèce, l’Italie, le Portugal et l’Espagne), des capitales jusquelà moins adeptes de ce concept (le Luxembourg, la Belgique, l’Irlande et la Slovénie).
Mais, pour l’essentiel, le virusn’est pas venu à bout des lignes traditionnelles de fracture entre lenord et le sud du Vieux Continent,comme en atteste cette déclara
LA BALLE EST DÉSORMAIS DANS LE CAMP DES
POLITIQUES, COMMENE MANQUERA PAS DE
LE RAPPELER MME LAGARDE
Les trois semaines qui ont chamboulé l’orthodoxie économique européenne
Un sommet devait se tenir, jeudi 26 mars, pour faire avancer la réforme de la zone euro, dont la solidité est mise à mal par la pandémie
tion du ministre allemand de l’économie, Peter Altmaier, en début de semaine : « Je recommandela prudence, quand des concepts apparemment nouveaux sont présentés, qui ne sont en réalité que des recyclages d’idées rejetées depuis longtemps », atil lancé, aprèsavoir qualifié la discussion sur leseuroobligations de « débat fantôme ». Côté néerlandais, la réaction n’est pas plus engageante.
« ATTENDONS DE VOIR »Berlin et La Haye martèlent qu’ils ont déjà consenti à l’impensableces derniers jours, notamment enacceptant de suspendre le pacte de stabilité. Mais, compte tenu de l’ampleur des moyens que ces deux gouvernements ont décidé de consacrer à sauver leur économie, ils n’avaient pas le choix. « Il est bien trop tôt pour prendre de nouvelles décisions. Attendons de voir ce que sera la situation dans six semaines ou dans trois mois. A ce stade, personne n’en sait rien. Il faut se garder des munitions », lance un diplomate d’un pays attaché à l’orthodoxie budgétaire.
« L’Allemagne est plus ouverteque les PaysBas, et si l’Allemagne bouge, les PaysBas suivront », veuton croire à Bercy. Pour l’heure, les déclarations publiques des uns et des autres ne permettent pas de donner du corps àcette affirmation. Là où Bruno Le Maire, le ministre de l’économie français, martèle que cette crise
POUR L’ESSENTIEL,LE VIRUS N’EST PAS VENU
À BOUT DES LIGNES TRADITIONNELLES
DE FRACTURE ENTRELE NORD ET LE SUD
DU VIEUX CONTINENT
FIN FÉVRIER, PERSONNE N’IMAGINAIT L’AMPLEUR
DE LA CRISE ET ENCORE MOINS QU’ELLE EMPORTERAIT AVEC ELLE
LE PACTE DE STABILITÉET DE CROISSANCE
du lundiau vendredi
11H–11H5
FlorianDelorme
L’espritd’ouver-ture.
franceculture.fr/@Franceculture
Enpartenariatavec
CULTURESMONDE.
©RadioFrance/Ch.Abram
owitz
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0123VENDREDI 27 MARS 2020 coronavirus | 13
De gauche à droite : la présidente de la BCE, Christine Lagarde, le président français, Emmanuel Macron, la chancelière allemande, Angela Merkel, et la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, lors d’un sommet à Bruxelles,le 13 décembre 2019. POOL NEW/REUTERS
L’Insee estime à 35 % la baissede l’activité en FranceSi le confinement dure deux mois, 6 points de PIB s’envoleront
A crise exceptionnelle,communication inédite.L’Insee a publié, jeudi
26 mars, sa première estimation de l’incidence de la crise sanitaire sur l’activité économique en France. Une publication précédée d’une introduction inhabituellerédigée par le directeur général del’institut de conjoncture, JeanLucTavernier. Ce dernier précise avoir« cependant hésité avant de donner son feu vert » à la diffusion de cette estimation, en raison à lafois du côté « dérisoire » de tels calculs dans la période vécue et de l’aspect « fragile » des statistiques affichées. « Quoi qu’il en soit, pour incertain et imprécis qu’il soit, il m’a semblé que donner ce premier ordre de grandeur était préférable à ne rien dire du tout », conclut M. Tavernier.
Et les chiffres annoncés sontplus pessimistes encore que ceux qui ont pu être publiés par d’autres instituts de prévision :l’activité « instantanée », mesurée cette semaine par rapport à une semaine dite « normale », est
en recul de 35 %, et un confinement d’un mois aurait un impact « de l’ordre d’une douzaine depoints de produit intérieur brut [PIB] trimestriel en moins, soit 3 points de PIB annuel ». Deux mois de confinement auraientun effet deux fois plus important,soit la perte de 24 points de PIB trimestriel, correspondant à 6 points de PIB annuel.
L’Insee souligne que « cet ordrede grandeur semble cohérent avec les premières informations disponibles sur la situation des salariés » : un tiers environ en activité sur leur lieu habituel de travail, un tiers en télétravail et le derniertiers au chômage partiel. Il est également « compatible » avec la diminution observée de la consommation d’électricité, actuellement d’environ 20 % par rapport à une situation ordinaire.
La consommation s’effondreVolontairement, l’Insee ne livre pas d’estimation de croissance pour 2020. « Cela dépendra notamment de la durée de cette période de confinement, que nous n’avons aucune légitimité ni aucune compétence à prévoir, précise JeanLuc Tavernier. C’est peu de dire que ce que nous présentons aujourd’hui est fragile, susceptible d’être révisé. D’abord, parce que nosméthodes, dans une telle situation, ne sont pas éprouvées : c’est inédit dans l’histoire de l’Insee. C’est fragile aussi parce que la situation ellemême est très évolutive. »
L’institut souligne égalementune grande différence de situations selon les secteurs. Certaines activités telles que les transports, l’hôtellerie et la restauration ou les loisirs sont très sévèrement touchées, alors que d’autres lesont moins, comme les télécommunications et les assurances parexemple. Environ les deux tiers des services marchands sont maintenus, estime l’Insee. Dans l’industrie, environ la moitié de l’activité est maintenue, alors queles activités agricoles « devraient
se poursuivre seulement un peu endeçà de la normale ». A noter également que dans certaines activités industrielles et dans les travaux publics, « l’activité reprend après s’être interrompue », alorsque dans d’autres secteurs, par exemple dans les services aux entreprises, « le creux n’est sansdoute pas encore atteint ».
Cette très forte baisse de l’activité du pays résulte en grande partie de l’effondrement de la consommation des ménages, conséquence normale du confinement et de la fermeture des commerces.Les dépenses de textile, d’habillement, de matériel de transport sont réduites à leur plus simple expression, avec une baisse comprise entre 90 % et 100 %.
D’autres dépenses commel’électricité se maintiennent, tandis que la pharmacie, elle, est en hausse de 5 %. Au total, « nous estimons que la consommation totale des ménages français s’établitactuellement à 65 % de la normale », souligne l’Institut de la statistique.
L’Insee complète ces élémentsde conjoncture avec des notes surle climat général des affaires : cedernier perd dix points (à95 points), soit « la plus forte baisse mensuelle de l’indicateur depuis le début de la série, en 1980 ». « En octobre 2008, aprèsla faillite de Lehman Brothers, l’indicateur avait chuté de 9 points. » L’indicateur de climat de l’emploi connaît également sa plus forte chute depuis le début de la série, en 1991. Il perd 9 points pour atteindre 96 points. Dans tous les secteurs, l’indicateur du climatdes affaires se dégrade fortement,à l’exception toutefois de celui du bâtiment. « Cela confirme que ces indicateurs sont à lire avec prudence, ce moisci, souligne JeanLuc Tavernier. Ils reflètent sans doute l’opinion des chefs d’entreprise début mars plutôt que finmars. » Comprendre : le pire estplutôt à venir.
béatrice madeline
Santé ou économie d’abord, la Suède en plein débatDes voix s’élèvent pour mettre en garde contre les conséquences économiques d’un confinement de la population
malmö (suède) correspondante régionale
E n déclarant que son paysne pouvait rester « fermé »encore longtemps, le prési
dent américain, Donald Trump, a créé la consternation. Et pourtant, en Suède, des économistes disent exactement la même chose, mettant en garde contre les risques d’une dépression économique, qui, finalement, pourrait déboucher sur un bilan humain bien plus dramatique quecelui de la pandémie.
La première à avoir osé le diretout haut est Kerstin Hessius, expatronne de la Bourse de Stockholm et présidente d’un des plus gros fonds de pension suédois depuis 2004. Jeudi 19 mars, elle était invitée sur le plateau dela chaîne SVT, avec le président dela confédération des entreprises suédoises, JanOlof Jacke, venu demander des aides supplémentaires à l’Etat.
Interrogée sur les conséquenceséconomiques des mesures de confinement, adoptées dans le monde entier, Mme Hessius met engarde contre un retour au chô
mage de masse « comme dans les années 1920 et 1930 ». Elle exige un« calendrier clair » pour la sortie del’état d’urgence : « Il doit y avoir desmoyens plus efficaces de limiter l’engorgement des hôpitaux que defermer une économie entière. »
Au journaliste interloqué, quiremarque que faire passer l’économie avant les centaines de milliers de vies qui sont en jeu peutparaître « cynique », elle répond : « Je ne parle pas d’économie, je parle de la vie des gens. Une génération entière va perdre son avenir, si nous continuons. C’est très grave. Cette question n’est pas posée. Pourtant, elle devrait l’être parles politiciens, en se fondant surl’expertise. »
En face d’elle, le journaliste luifait remarquer que c’est exactement ce que fait le gouvernementsuédois, qui suit à la lettre les recommandations des experts de ladirection de la santé publique. « Mais ils ne s’intéressent qu’à unaspect de la question, sans regarder les conséquences des mesures qui sont prises », argue Kerstin Hessius. En cas de dépression, affirmetelle, « il faut s’attendre à un chômage de 20 % à 40 % ».
Face à la pandémie, la Suède,pourtant, peut difficilement être accusée d’en faire trop. Seuls les rassemblements de plus de 500 personnes sont interdits, ainsi que l’accès aux maisons deretraite et le service au bar dans les cafés et restaurants. Les jardins d’enfants, les écoles et les collèges sont ouverts. Pour le reste, legouvernement fait appel au civisme et à la responsabilité de chacun.
Dilemme éthiqueMais, comme ailleurs en Europe, l’économie, très fortement dépendante des exportations, tourne au ralenti. Les constructeurs Scania et Volvo AB, qui comptent parmi les principauxemployeurs du pays, ont suspendu leur production. Partout,en Suède, les entreprises annoncent des licenciements. Le secteurdes services est le plus touché. Plusieurs enseignes de prêtàporter ont mis la clé sous la porte.
Jusqu’à présent, le gouvernement, composé des Verts et dessociauxdémocrates, et soutenu par les libéraux et les centristes, a débloqué 300 milliards de cou
ronnes (27,5 milliards d’euros)pour venir en aide aux entreprises. Par ailleurs, 125 milliards de couronnes supplémentaires ont été annoncés, sous la forme decrédit et prêt garantie par l’Etat.Mardi 24 mars, JanOlof Jacke, lepatron des patrons, a estimé quece n’était pas suffisant et a, enconséquence, demandé 200 milliards supplémentaires.
Directeur du Research Instituteof Industrial Economics àStockholm, l’économiste Magnus Henrekson fulmine : « Lors de la crise financière, au début des années 1990, nous avons perdu 600 000 emplois en trois ans. Nous pourrions en voir disparaîtreautant en trois mois. » Pour lui, leconfinement généralisé est uneaberration : « Si on ne revient pas rapidement à la normale, des milliers d’entreprises vont faire faillite, les gens vont perdre leuremploi définitivement et il ne restera plus grandchose du secteurprivé, ce qui va entraîner l’effondrement des recettes publiques. Il n’y aura plus d’argent pour financer les hôpitaux, ni pour aider les personnes qu’on veut protéger en se confinant. »
L’économiste s’insurge encorecontre les dirigeants, dans le monde, qui ont « fait le choix du court terme, sans une analyse descoûts et bénéfices sur le long terme ». Il n’est pas le seul. D’autres voix s’élèvent en Suède pour avertir des risques sanitaires d’une dépression.
Dans le quotidien Svenska Dagbladet, l’économiste Eva Mörk reconnaît le dilemme éthique : « Il faut faire un choix entre plusieursgroupes, entre le présent et l’avenir. » Pour le moment, la Suède, qui, à ce jour, enregistre 42 morts liés au Covid19, résiste aux injonctions de l’extérieur, et même de certains de ses scientifiques, qui lui demandent de changer de stratégie et de s’aligner sur ses voisins.
Accusé de prendre trop enconsidération l’impact sur l’économie de mesures plus restrictives, le directeur de l’Agence de la santé publique, Johan Carlson, s’est défendu, le 20 mars, en arguant qu’une fermeture de la société aurait des effets bien plus dévastateurs sur la santé publique que la pandémie.
annefrançoise hivert
doit être l’occasion de « refonderla construction européenne », ses homologues néerlandais et allemand brandissent la nécessité d’un retour à la normale dès queles conditions le permettront. Et de rappeler que, s’ils peuventaujourd’hui se permettre de dévier de leur trajectoire budgétaire, c’est parce qu’ils ont jusqu’ici été vertueux dans leur gestion des finances publiques.
« Nous avons du souffle », a déclaré Olaf Scholz, ministre des finances socialdémocrate et vicechancelier depuis 2017, alors quele Bundestag a voté en urgence, mercredi 25 mars, la levée de l’obligation constitutionnelle de présenter des comptes publics à l’équilibre et avalisé le plus grosplan de soutien à l’économie de son histoire.
Un message qui sonne commeun reproche aux pays qui, commel’Italie, l’Espagne ou la France,dans une moindre mesure, n’ont pas abordé cette crise avec des finances publiques aussi assainies.« L’aléa moral », dont tout le monde affirme qu’il n’existe pas dans cette séquence, puisque la pandémie touche tout le monde, indifféremment de la tenue deses comptes publics, n’est pas si loin. Comme quoi, tous les tabousne sont pas tombés…
éric albert,cécile boutelet,
jérôme gautheretet virginie malingre
LES CHIFFRES
3C’est, en points de produit inté-rieur brut annuel (PIB), la baisse anticipée par l’Insee de la contri-bution à la croissance d’un mois de confinement de l’économie française. Pour deux mois, l’Insee anticipe une chute de 6 points. En 2020, l’institut prévoyait une croissance de 1,3 % du PIB.
95C’est, en points, le niveau global du climat des affaires, un indica-teur de suivi de la conjoncture. Il a chuté de 10 points en mars, soit la plus forte baisse men-suelle de l’indicateur depuis le début de la série (1980).
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14 | économie & entreprise VENDREDI 27 MARS 20200123
Coup d’Etat en perspective chez LagardèreDevenu premier actionnaire du groupe, le fonds Amber demande la révocation du conseil de surveillance
P endant la pandémie dueau coronavirus, l’heuren’est pas à la paix desbraves dans le capita
lisme français. Le groupe Lagardère, propriétaire d’Hachette,d’Europe 1, ou de Paris Match, vaêtre le théâtre d’un nouvel affrontement entre Amber, son premieractionnaire, avec 16,4 %, et son patron, Arnaud Lagardère, détenteur de 7,3 % du capital.
Le fonds activiste britannique,qui ferraille depuis trois ans pour accélérer le recentrage du groupesur deux métiers principaux, le travel retail (boutiques d’aéroports et duty free) et Hachette, prépare une révolution de palaislors de l’assemblée générale du 5 mai. Il a déposé des résolutions demandant la révocation pure etsimple de tout le conseil de surveillance de Lagardère, jugeant qu’il n’a pas rempli son rôle de « contrepouvoir ».
A la place, il propose la nomination de huit nouveaux membres, tous « indépendants de Lagardère et d’Amber », parmi lesquels Brigitte TaittingerJouyet, expatronne des parfums Annick Goutal et administratrice de Suez et deFnac Darty, Enrico Letta, ancienprésident du Conseil italien, et, surtout, Patrick Sayer, qui a été patron de la société d’investissementEurazeo, et qu’Amber souhaite voir accéder à la tête du conseil.
« Je connais Joseph Oughourlian[le fondateur d’Amber], qui a été un actionnaire fidèle et de longterme d’Eurazeo. Et je m’intéresse depuis longtemps au groupe, par exemple, quand j’ai eu l’occasiond’être candidat au rachat d’Editis. Je connais Arnaud Lagardère depuis près de vingt ans », déclare au Monde Patrick Sayer, administrateur d’Eurazeo et de Valeo.
Surprise, Amber se dit, en revanche, favorable à la nomination de Nicolas Sarkozy et de l’ancien président de la SNCF Guillaume Pepy,les deux nouveaux administrateurs qu’Arnaud Lagardère va pro
poser lors de l’assemblée. Pourtant, le choix de l’ancien président de la République, qui entretient de longue date de bonnes relations avec le Qatar, deuxième actionnaire du groupe avec 13 %du capital, avait été interprété comme un appel à l’aide de M. Lagardère face aux assauts d’Amber.
« Cela n’a pas fonctionné »Avec seulement 16,4 % du capital, comment Amber peutil parvenirà ses fins ? Il y a deux ans, le fondsavait déjà tenté d’entrer au conseilde surveillance et avait essuyé un cuisant échec. Selon M. Sayer, certains grands investisseurs se seraient montrés sensibles à la nécessité de faire évoluer le groupe. « Cette assemblée, c’est l’heure devérité : soit l’on fait bouger les cho
tait, en 2017, 204 millions d’euros, selon le Financial Times.
« Depuis 2006, le groupe a sorti10 milliards d’euros de cash, dont 80 % issus des cessions, et 20 % des cashflows [flux de trésorerie] des activités, notamment Hachette. Ces sommes ont trop peu servi à investir dans les deux activités porteuses du groupe », dit M. Sayer.
Mercredi 25 mars, Lagardère aprévenu qu’il suspendait ses prévisions de résultat en raison de la crise liée au SARSCoV2 et qu’il réduisait de 23 % son dividende annuel, à 1 euro. En mai, le groupe devra néanmoins verser 132 millionsd’euros à ses actionnaires. « Vu le contexte, il aurait été plus sage de laisser les fonds dans l’entreprise », critique Patrick Sayer. En renouvelant le conseil de surveillance, Am
ber espère profiter d’une fenêtre de tir qui s’ouvre en 2021. Si le statut de commandité le rend inexpugnable, M. Lagardère doit être renouvelé au poste de gérant, autrement dit de patron opérationnel du groupe, l’an prochain. Or, il aura besoin de l’aval du conseil de surveillance.
« Il n’y a rien d’agressif ni de personnel visàvis d’Arnaud Lagardère, mais l’on voit bien que cela n’apas fonctionné. Fautil aller jusqu’au remplacement de la gérance ? La question pourra être posée au conseil le moment venu », prévient M. Sayer. Un nouveau conseil serait aussi chargé d’imaginer une nouvelle gouvernance. Mettraitil fin à la commandite ? « Chez Lagardère, [celleci] tient à la disparition de La Cinq en 1992.
Cela devait être provisoire. Je suis persuadé que ce modèle peut perdurer. En revanche, il ne peut priver ses actionnaires d’avoir leur mot à dire sur les résultats et la stratégie »,affirme l’expatron d’Eurazeo.
En attendant, la holding, qui emploie 133 personnes et qui a coûté 1,3 milliard d’euros depuis 2003, est en ligne de mire. « La question est de savoir s’il faut avoir une structure faîtière coûteuse et opaque, alors qu’il ne reste plus que deux activités principales, qui possèdent leurs propres organisations », s’interroge M. Sayer.
Depuis des mois, Amber demande la publication des comptes de Lagardère Capital Management, qui porte la participation d’Arnaud Lagardère, et qui rémunère et défraie généreusement lescinq membres du comité de direction. En dixsept ans, cette structure a coûté 336 millions d’euros.
Officiellement, il n’est pas dansles projets d’Amber de dépecer le groupe et de le vendre par appartement. « Je ne suis pas candidat au conseil de surveillance pour apporter ma caution morale à une opération de banquier d’affaires, mais, au contraire, pour développer », affirme Patrick Sayer, assurant que les intérêts d’Amber sontalignés avec ceux d’Arnaud Lagardère. Pas sûr que ce dernier l’entende de cette oreille.
sandrine cassini
Patrick Sayer, ancien patron d’Eurazeo, en 2014,à Paris. GILLES ROLLE/REA
Le gouvernement réduitmassivement l’offre de transportsDans un entretien au « Monde », le secrétaire d’Etat JeanBaptiste Djebbari annonce une baisse des TGV et des avions
C omme une grande partiedu monde, la France s’installe dans un confine
ment de longue durée et la mobilité ne fait pas exception. Le secrétaire d’Etat aux transports, JeanBaptiste Djebbari, explique au Monde l’action du gouvernementen la matière, une politique d’urgence visant « à réduire l’offre de transport de voyageurs, à la maintenir à un niveau permettant lacontinuité des services essentiels, et à le faire dans les meilleuresconditions sanitaires possible. »
« A partir de vendredi 27 mars,nous allons faire passer le nombre de TGV de 90 par jour actuellement [soit 15 % du service normal],à 40, annonce M. Djebbari. L’ensemble des circulations ferroviaires de longue distance sera ramenéà 7 % de la normale. C’est, je crois, un chiffre plancher correspondant aux besoins essentiels de déplacements lointains de la population.Nous procédons à une diminution rapide, mais précautionneuse del’offre. Il s’agit de faire les choses aumieux, pour éviter l’engorgement des quais et des trains. »
Dans le transport aérien, la logique est la même. « Concernant les liaisons intérieures aériennes,nous maintenons 6 % du service, soit 162 fréquences cette semaine, ajoute M. Djebbari. C’est, de mon
point de vue, un chiffre incompressible que nous allons maintenirpour assurer les liaisons rapides entre divers points du territoire. »Cela va entraîner, à moyen terme, la fermeture de certains aéroports, comme celui d’Orly, àcompter du 31 mars, a annoncémercredi le Groupe ADP.
« Dérives »Un si faible niveau d’offre de transport sur longue distance est inédit, hors périodes de grandesgrèves, comme en 1995. QuaranteTGV en France par jour, c’est unegoutte d’eau si l’on compare à unejournée d’avant la crise quand,sur la seule ligne à grande vitesse ParisLyon, la SNCF faisait circulerau quotidien près de 240 TGV.
L’un des buts assumés de cetteopération « peau de chagrin » estde limiter, le weekend prochain,des phénomènes d’exode équivalents à ceux que l’on a pu voir les semaines précédentes. La ruéedes citadins dans les trains ou sur les autoroutes pour aller télétravailler dans sa famille ou sa villa secondaire a fait polémique.
« J’ai demandé, dès la semainedernière, que, à partir de ce jeudi26 mars, les réservations grandes lignes soient bloquées pour leweekend afin d’éviter les dérives que nous avons connues, note
JeanBaptiste Djebbari. La réduction de l’offre est un bon moyen d’endiguer ce phénomène. De même, les contrôles sur les motifs légitimes de déplacement seront effectués avec fermeté. »
Les dessertes ferroviaires transfrontalières sont, elles aussi, très diminuées : les TER « sautefrontière » sont suspendus et les liaisons internationales réduitesà 10 % du service. Seul l’Eurostarfait exception, avec 30 % de circulations maintenues. « Le premier ministre Boris Johnson a demandéà ses compatriotes de regagner leRoyaumeUni, explique M. Djebbari. C’est pourquoi, en lien avecles autorités britanniques, nousmaintenons de façon transitoire ce niveau de service. Il s’agit là d’être capable de faire face aux fluxde retour vers Londres dans desconditions sanitaires correctes. »
Tous les travailleurs du transport et les entreprises doiventaffronter une tempête inédite. Selon le secrétaire d’Etat aux transports, en un mois, la SNCF aura perdu 90 % de son chiffre d’affaires. « L’engagement des acteurs de la mobilité pour la continuité duservice public est admirable,conclut M. Djebbari. Ils font partiede ces soldats au service des besoins essentiels des Français. »
éric béziat
ses, soit l’on continue sur une pentedéclinante. Et ce serait dommage, car il y a deux très beaux actifs dans la société, Hachette et le travel retail », précise Patrick Sayer.
Dans une présentation renduepublique jeudi 26 mars, Amber égrène les chiffres qui font mal.Depuis 2006, le groupe a dépensé2,7 milliards d’euros, en pure perte, dans le sport et les médias. Les restructurations et les provisions ont coûté 4,2 milliards d’euros. Mais, sur la même période, 4,4 milliards d’euros de dividendes ont été versés. Si le groupe est particulièrement généreux avec ses actionnaires, c’estqu’Arnaud Lagardère, le troisièmed’entre eux, a un besoin cruciald’argent frais pour rembourser sadette personnelle, qui représen
SIDÉRURGIEThyssenKrupp supprime 3 000 postesL’allemand ThyssenKrupp a annoncé, mercredi 25 mars, la suppression de « 2 000 postes dans les trois prochaines années » et de « 1 000 postes de plus d’ici à 2026 », sur les 27 000 de la branche sidérurgie, soit plus de 10 % des effectifs, en raison la chute de l’activité mondiale due au coronavirus. – (AFP.)
AGROALIMENTAIREDanone garantit emplois et salaires pour trois moisLe PDG de Danone, Emmanuel Faber, a annoncé, jeudi 26 mars, sur RTL, que « tous les contrats de travail et les salaires sont garantis pour les trois prochains mois. C’est la sécurité sociale que nous pouvons apporter » au sein du groupe.
LUXELVMH reporte au 30 juin son assemblée généraleLVMH a annoncé, mercredi 25 mars, reporter, du 16 avril au 30 juin, l’assemblée générale de ses actionnaires. Le groupe précisera « ultérieurement (…) les dispositions qui seront prises pour (…) le paiement du dividende ».
SALONSLa Foire de Paris sera décalée en juilletLa Foire de Paris, prévue du 30 avril au 11 mai, est reportée du 4 au 15 juillet en raison de la pandémie de Covid19, a annoncé, mercredi 25 mars, Comexposium, organisateur d’événements. – (AFP.)
En ces temps de SARSCoV2, l’économie suspend son vol. Mais pas la finance. Masayoshi Son, PDG de SoftBank et plus gros investisseur mondial de l’ère Internet, vit sa petite crise dans la grande. Et derrière lui tout un secteur qu’il a largement soutenu, celui de l’économie du partage, des taxis Uber aux immeubles de bureau WeWork.
Face à l’effondrement de moitiéde son cours de Bourse depuis le début de l’année et à une dette colossale de plus de 55 milliards de dollars (50,8 milliards d’euros), le groupe nippon a annoncé, lundi 23 mars, un plan de cession d’actifs portant sur plus de 40 milliards de dollars, destiné à alléger sa dette et à racheter ses propres actions.
Certains trouveront le momentpeu opportun. Vendre au son du canon, comme disent les investisseurs boursiers, c’estàdire en pleine déconfiture des marchés, est rarement de bon augure. C’est le signe qu’il y a le feu à la maison et qu’il faut, au plus mauvais moment, se séparer des bijoux de famille pour tenter de l’éteindre. Tout cela n’a pas beaucoup plu à l’agence de notation Moody’s. Elle a dégradé la dette de SoftBank, la reléguant dans les profondeurs des « obligations pourries », celles qui se placent
avec des taux d’intérêt dépassant les 10 %, quand les bons élèves n’en paient aucun.
M. Son n’est certes pas sur la paille, puisque la valeur de ses participations dépasse les 240 milliards de dollars, notamment grâce à ses actions dans le géant chinois d’ecommerce Alibaba qui, à elles seules, valent plus de 120 milliards de dollars. Et puis, c’est un rescapé de l’explosion de la bulle Internet en 2000. Il a le cuir épais.
Mais son rêve se brise. Avec sonfonds « Vision », il a mis la main sur les vedettes de demain, les Uber, Didi, Slack, ByteDance, WeWork, Getaround, Oyo, dont les valorisations se comptaient en dizaines de milliards de dollars. Une vision qui s’appuie sur le développement de cette économie née au seuil des années 2010, où l’on partage tout pour en baisser le prix : son taxi, son bureau, sa voiture, son logement.
Sa puissance d’investissement,grâce notamment à l’argent saoudien, était supérieure à celle de toutes les autres sociétés de capitalrisque réunies dans le monde, faisant grimper les prix jusqu’au ciel. L’absence de rentabilité de nombre de ses champions et la paralysie économique mettent un terme à son ambition. Une bulle éclate dans l’air confiné.
PERTES & PROFITS | SOFTBANKpar philippe escande
Le rêve brisé de l’économie du partage
« L’assembléedu 5 mai sera
l’heure de vérité :soit l’on fait bouger les
choses, soit l’oncontinue sur une
pente déclinante »PATRICK SAYER
ex-patron d’Eurazeo
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0123VENDREDI 27 MARS 2020 télévision | 15
HORIZONTALEMENT
I. A deux, c’est lui le premier. II. Sup-porte le plancher ou les fruits à venir. Sur la pente. III. Personnel. A porté Chirac au pouvoir. Protection en mer profonde. IV. Mal équipées pour pro-gresser dans la découpe. Couche dé-faite. V. La première à sortir du Chaos. Lâché sur le coup. Du fer et du car-bone. VI. Ce n’est pas le moment de se découvrir. Devenue pas bien maligne. VII. Plat de terre et de légumes. Bons dans leurs domaines. Encadre le noir. VIII. Personnel. Trop bête pour un amateur de son. IX. Entre dans le beurre. Sans T, comme chez Carolus. X. Avec vigueur et excitation.
VERTICALEMENT
1. Elle reste souvent à prouver. 2. Souvent grotesque, il fait toujours rire. 3. Très proche. Passer au plus près. 4. Pour attirer l’œil du lecteur. En dessous de la moyenne. En rivière. 5. Sur la tête du baron. Amateur de son. 6. Bien possédée. Garde la chambre. 7. Manière de se déplacer. Petit espace de culture. 8. En jaune sur les bornes. Met fin volontaire-ment. 9. Sans la moindre fantaisie. Mou et jaune. 10. Installe sur son siège. Découpage historique. 11. Au-teur de Cœur fidèle sur les écrans. Quatre saisons. 12. Prirent possession.
SOLUTION DE LA GRILLE N° 20 - 073
HORIZONTALEMENT I. Lance-pierres. II. Apaisante. Cu. III. Pp. RDA. Dos. IV. Irréalité. TP. V. Douleur. Ur. VI. Af. Arrée. Onc. VII. Toc. Aecr (racé). Met. VIII. Inouï. Tapage. IX. Odin. Astaire. X. Ninive. Ornés.
VERTICALEMENT 1. Lapidation. 2. Approfondi. 3. Na. Ru. Coin. 4. Cisela. Uni. 5. Es. Aérai. 6. Parlure. Ae. 7. Indirects. 8. Etat. Erato. 9. Rê. Eu. Par. 10. Romain. 11. Ecot. Nègre. 12. Suspectées.
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GRILLE N° 20 - 074PAR PHILIPPE DUPUIS
SUDOKUN°20074
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cHeZ Votre MarcHanDDe JoUrnaUX
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lemondeEt si la criseducoronavirusétait l’occasiond’unnouveaudépart ? Philosophes,poètes,journalistesétrangers, ils veulent ycroire
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No 1534 du 26mars au 1er avril 2020courrierinternational.comFrance : 4,50€
V E N D R E D I 2 7 M A R S
TF121.05 Koh-Lanta, l’île des hérosTélé-réalité. Présenté par Denis Brogniart.23.10 Le Grand BêtisierDivertissement présenté par Karine Ferri.
France 221.05 Astrid et RaphaëlleSérie. Avec Lola Dewaere, Sara Mortensen, Benoît Michel(Fr., 2019).22.55 Astrid et RaphaëlleSérie. Avec Lola Dewaere, Sara Mortensen, Benoît Michel(Fr., 2020).
France 321.05 Allez viens, je t’emmène…Divertissement présenté parLaury Thilleman.23.30 La Vie secrète des chansonsLe parolier Etienne Roda-GilMagazine présenté par André Manoukian.
Canal+21.00 Tanguy, le retourFilm d’Etienne Chatiliez. Avec André Dussollier, Sabine Azéma, Annelise Hesme (Fr., 2019, 93 min).22.35 Venise n’est pas en ItalieFilm d’Ivan Calbérac. Avec Benoît Poelvoorde, Valérie Bonneton, Gigi Ledron (Fr., 2018, 90 min).
France 520.50 La Maison France 5Magazine présenté par Stéphane Thebaut.22.20 Silence, ça pousse !Magazine présenté par Carole Tolila et Stéphane Marie.
Arte20.55 Paris-BrestTéléfilm de Philippe Lioret. Avec Anthony Bajon, Catherine Arditi, Valérie Karsenti (Fr., 2019, 85 min).22.20 Betty Boop for EverDocumentaire de Claire Duguet (Fr., 2020, 52 min).
M621.05 NCISSérie. Avec Mark Harmon, Sean Murray (EU, 2019, 2016).22.50 NCISSérie. Avec Michael Weatherly, Pauley Perrette (EU, 2016, 2015).
Le blanchiment d’argent comme stratégie de survieDans cette addictive troisième saison d’« Ozark », très dense, les Byrde s’enfoncent dans le crime organisé familial
NETFLIXÀ LA DEMANDE
SÉRIE
Q ui connaît, de ce côtéci de l’Atlantique,cette étendue montagneuse que l’on appelle Ozark ? Ce terri
toire à l’identité indienne ancestrale, parc naturel magnifique, mais miné par la pauvreté, le racisme et la criminalité, est le cadre d’une des séries originales Netflix les plus addictives du moment.
Le pitch est banal – un conseillerfinancier compromis dans des opérations louches se voit obligé de quitter précipitamment Chicago, emmenant femme (dont il vient, par ailleurs, de découvrir l’infidélité) et enfants (un préado et une jeune fille), pour s’installer dans cette région déshéritée peuplée de « rednecks ». Mais les scénaristes, Bill Dubuque et Mark Williams, ont bâti dessus un solidepolar, servi par une réalisation sobre et soignée et, surtout, une distribution impeccable. Et c’est principalement pour le plaisir de retrouver Jason Bateman (Marty, le mari) et Laura Linney (Wendy, sa femme) que l’on visionnera les dix épisodes, fort (voire trop) denses, de cette troisième saison.
Les deux premières saisons ontmontré le basculement de la famille Byrde, dont seul le père était
mouillé dans le trafic de drogue, vers le crime organisé familial, assumé par chaque membre du foyer, enfants compris. Car il n’est rien de moins qu’une stratégie de survie : pour être épargnés par le cartel de Navarro, qui emploie Marty, les Byrde sont en effet contraints de passer des années à blanchir des centaines de millions de dollars. D’où le choix des Ozarks
comme point de chute : champs de pavot et jeux d’argent alimentent à plein l’économie locale et, chômage aidant, la maind’œuvre discrète et bon marché y abonde.
Casino flottantAprès avoir, dans la saison 2, échoué à laisser les affaires entre les mains de Ruth (Julia Garner, excellente), jeune « white trash » sans
scrupule devenue bras droit de Marty, et à fuir la région, les Byrde se trouvent, au début de cette saison, à la tête d’un casino flottant, nouvel arsenal de leur machine à blanchir, alimentée jusqu’à l’indigestion par le cartel.
Forcés de voir toujours plusgrand, Marty et Wendy adoptent, en bon couple dysfonctionnel, des stratégies opposées et peu compa
tibles. Le premier tentant de sauver l’avenir de sa famille en copinant avec le FBI, la seconde en cédant, non sans plaisir, à la pressionexercée par le cartel, qui, menacé par ses rivaux, impose aux Byrde des demandes extravagantes.
De leur côté, les enfants, Charlotte (Sofia Hublitz) et Jonah (Skylar Gaertner), font, malgré leur jeune âge, partie intégrante de la sale petite entreprise de leurs parents, et commencent à goûter le sentiment de liberté, fûtil factice,que procure l’argent. Dans son aspect le plus intime, qui est aussi le plus intéressant, Ozark est la chronique en creux d’un mariage vicié,où la peur de perdre a remplacé l’amour, où la crainte du déclassement a remplacé la morale.
Comme elle en fait la démonstration depuis Mystic River (Clint Eastwood, 2003), Laura Linney n’est jamais meilleure que dans ces rôles de Lady Macbeth moderne, archétype de la bourgeoise manipulatrice prête à tout pour ménager ses intérêts. Face à elle, Jason Bateman – qui réalise également certains épisodes – donne del’épaisseur et de la finesse à son rôle de père de famille dépassé parle monstre qu’il a luimême créé.
audrey fournier
Ozark. Saison 3 (EU, 2020, 10 × 60 min). A la demande sur Netflix.
Dans « Ozark », Laura Linney incarne Wendy Byrde. STEVE DEITL/NETFLIX
Betty Boop, de « poo poo pee doo » à #metooUn documentaire drôle et pédagogique consacré à la célèbre pinup animée des Studios Fleischer
ARTEVENDREDI 27-22 H 20
DOCUMENTAIRE
P inup mythique et femmeémancipée. Depuis ses premières apparitions dans
des dessins animés en 1930, grâce au talent de pionniers, les frères Fleischer (Max et Dave), jusqu’à la « une » du New Yorker le 27 novembre 2017 en plein scandale Harvey Weinstein, Betty Boop est toujours pimpante et iconique.
La garçonne sexy, désirée par leshommes et admirée par les fem
mes, combattait déjà les harceleurs dans les années 1930. Elledonnait, à travers ses aventures,une image de femme active et indépendante. Ce documentaire à la fois drôle et pédagogique, adoptant une réjouissante tonalité féministe, dresse aussi, à traversBetty Boop, une histoire de l’Amérique et des rapports entre hommes et femmes.
En donnant la parole à des créateurs inspirés par ce personnage,comme les stylistes Chantal Thomas et JeanCharles de Castelbajac, le réalisateur Steve
Moore ou la productrice Lili Zanuck, et en adoptant un montage dynamique mêlant extraits de dessins animés, témoignages etmises en perspective, ce documentaire rend un bel hommage à la pétillante Betty, à son amour dujazz et de la bringue.
« Personnage militant »Betty Boop vit seule, entouréed’hommes qui veulent la posséder. Ce personnage de femme libre collant parfaitement à l’époque rencontre un succès fulgurantdès 1930, en se heurtant, à partir
de 1934, aux puritains scandalisés par son comportement et à la très influente et catholique Ligue pour la vertu. « Le personnage de Betty Boop incarne la féminité, la modernité. Elle a été pensée comme un personnage militant », résume JeanCharles de Castelbajac.
Si août 1939 marque déjà la fin deses aventures, après une centaine de films mis à l’écran par les Studios Fleischer, son aura ne va pasdisparaître pour autant. Cette reine du merchandising, célébrée au Japon, devient l’égérie de grandes marques. Celle qui s’était dis
tinguée dès 1933 dans un dessin animé en repoussant les avances d’un harceleur sur son lieu de travail reviendra sur le devant de la scène avec la fameuse « une » du New Yorker : l’illustration signée Barry Blitt montre un minuscule Harvey Weinstein, de dos, ouvrantson peignoir devant une immenseBetty Boop dégoûtée et perplexe. Quatrevingtdix ans après, cette femme libre a encore du travail.
alain constant
Betty Boop for Ever, de Claire Duguet (Fr., 2 020, 52 min).
V O T R ES O I R É E
T É L É
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16 | LIVRES VENDREDI 27 MARS 20200123
ANALYSE
I maginer les périodes de trouble et –parfois – de reconstruction a souvent été l’apanage de la sciencefiction d’anticipation, et une occasion
pour elle de montrer que la littérature degenre, si souvent prémonitoire, est une indispensable vigie. Ainsi en estil desscénarios liés au réchauffement climatique, qu’elle traite au moins depuis 1964, année de parution de Sécheresse, du Britannique J. G. Ballard (Casterman, 1975).Ou encore à propos des virus, épidémies et catastrophes sanitaires de toute sorte, objets d’une vaste bibliographie de lacontagion, qui s’est richement étoffée depuis deux décennies.
Mieux, ce pan de la littérature dystopique est devenu à la fois mainstream et mondialisé, la fiction épidémique d’anticipation essaimant dans l’audiovisuel, le jeu vidéo, la bande dessinée… Rappelons que la série télévisée The Walking Dead – dans laquelle une mystérieuse épidémie transforme les humains en zombies – est l’adaptation d’une série de romans graphiques de Robert Kirkman (Delcourt, 20072019), et que le film à succès World War Z (2013), bâti sur le même schéma, était à l’origine un roman d’horreur de Max Brooks (CalmannLévy, 2009).
Dans la même lignée infectieuse – parmorsure, cette fois –, les romans de la série La Communauté du Sud, de Charlaine Harris (J’ai lu, 20052014), adaptée pour la télévision sous le titre True Blood, ouceux de la série de Richelle Mead Vampire Academy (Castelmore, 20102012) se sont arrachés à des millions d’exemplaires et ont fait le tour du monde. Pourfolkloriques qu’ils soient, zombies et vampires ne sont que des épouvantails sur lesquels projeter des inquiétudespropres à l’époque : catastrophe nucléaire, guerre bactériologique, fuite accidentelle d’un virus cultivé en laboratoire,acte de justice immanente contre les excès de prédation environnementale des sociétés humaines…
Sujet d’une grande plasticité, qui seprête à tous les fantasmes et à toutes les interprétations, la pandémie se présente comme un révélateur. Tantôt simple menace acculant un groupe disparate à survivre ensemble (Déchirés, de PeterStenson, Super 8, 2014), tantôt métaphore de la discrimination (L’Education de Stony Mayhall, de Daryl Gregory, Le Bélial’, 2014)…
Pour le Français Pit Agarmen, pseudonyme anagrammatique de Martin Page (La nuit a dévoré le monde, Robert Laffont, 2012), et l’Américaine Mira Grant (Feed, Bragelonne, 2012), le zombie n’est ainsi qu’un point de départ. D’emblée, ces auteurs l’érigent en postulat, de sorteque l’essentiel est ailleurs, dans ledevenir postapocalypse. Le premier s’attache à décrire l’absolu isolement d’un homme, la seconde dépeint les EtatsUnis en 2039. Chez l’un et l’autre, l’infection virale est contenue par des règles de sécurité draconiennes. Les villes forment des enclaves protégées, les citoyens sortent peu. Au fil des jours, le temps s’organise, les journées se règlent,
se ritualisent. « Il m’a fallu un mois pour comprendre que les zombies ne sont pas le vrai danger, confie le protagoniste deLa nuit a dévoré le monde, cuvant sa solitude dans son appartement. Je suis mon pire ennemi. » Il reste la musique, lesboîtes de conserve et l’eau de pluie qu’ilrecueille sur sa terrasse.
Extinction de l’espèce, extinction deslumières. Dans L’Année du Lion, seuls ont réchappé à une mortelle contagion les individus immunisés par leurs gènes.Entre tensions humaines et progrèstechniques, le roman du SudAfricain
Deon Meyer (Seuil, 2017) chronique les cinq premières années d’une nouvelle société. Dans Station Eleven, fiction d’anticipation de la Canadienne Emily St. John Mandel (Rivages, 2016), l’un desrescapés d’une grippe dévastatrice a l’idée de constituer une collection de reliques du monde d’avant. « Parce que survivre ne suffit pas. »
De la nature précise du virus, on ne saitpas grandchose non plus dans Vongozero, de la Russe Yana Vagner (Mirobole, 2014), sinon que les sujets frappés par la fièvre meurent en quelques jours et que la pandémie touche tous les continents. En périphérie de Moscou, mise en quarantaine comme les autres grandes villesdu monde, Anna, son père, son fils adolescent et quelques autres s’apprêtent àfuir « la vague ». Jusqu’à un refuge situé sur une île, en Carélie.
Par la diversité de leurs propos, les directions qu’ils empruntent, les enjeuxqu’ils brassent, ces romans témoignent d’une évidence : ce serait ne rien comprendre à la popularité du mythe de l’infection généralisée que de le réduire à uncauchemar adolescent. Certes, le catalo
gue raisonné des « œuvres pandémiques », dont l’essor a correspondu à une résurgence des hantises de fin dumonde, compte nombre de livres oubliables. Toutefois, cette veine a d’ores et déjà donné naissance à plusieurs chefsd’œuvre, au sein de la littérature degenre comme audelà.
Sans même parler de La Peste, d’AlbertCamus (Gallimard, 1947), les classiques Jesuis une légende, de l’Américain Richard Matheson (Denoël, 1955), L’Amour autemps du choléra, du Colombien Gabriel Garcia Marquez (Grasset, 1987), La Quarantaine, de J. M. G. Le Clézio (Gallimard, 1995), ou L’Aveuglement, du Portugais José Saramago (Seuil, 1997), en offrentdes preuves éclatantes. Ces œuvres proposent une philosophie de la crise grâce à l’étude des dilemmes moraux et à la description des réactions en chaîne. « Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés », lisaiton déjà dans la fable de LaFontaine Les Animaux malades de la peste (1678). En pareille situation, l’onde de choc n’épargne personne.
De ces récits de contagion mortelle,plusieurs enseignements à tirer. A tout le
moins, quelques questions. Notamment,qui sont les individus les plus redoutables en cas d’épidémie ? Les malades ouceux qui cèdent à la violence et au cynisme ? Comment réinventer le vivreensemble après la catastrophe ? Et surtout : que nous apprennent ces récits sur nousmêmes, notre condition, notre vulnérabilité ?
Dans sa thèse « La contagion des imaginaires. Lectures camusiennes du récitd’épidémie contemporain » (dont la parution est prévue cet été aux Presses universitaires de Rennes), la chercheuse en littérature Aurélie Palud note à ce sujet :« Particulièrement exhibée dans le récit d’épidémie, [la] fragilité rassemble l’humanité pardelà les cultures et les religions et conduit à poser le principe éthique de la responsabilité. » Elle ajoute : « Lacontagion apparaît comme un moyen privilégié de questionner le rapport à autrui, cet autre désormais perçu, à tort ou à raison, comme une menace. » Le champ, on le voit, est immense. Quel que soit legenre qu’ils pratiquent, les écrivainsn’ont pas fini de l’explorer.
macha séry
Littérature et épidémie : le vaccin des dystopiesLes romans de catastrophes sanitaires nous ontils préparés au pire ? A tout le moins à (sur)vivre, ensemble
Une image de la série « The Walking Dead », d’après la bande dessinée de Robert Kirkman. PROD DB/AMC STUDIOS
L’ennui, sans modération« ON NE SUPPORTE PLUS SA MAISON, SON ISOLEMENT, LES MURSDE SA CHAMBRE. » Ces mots pourraient être ceux d’un confiné de2020, assigné à résidence par la pandémie de Covid19, commedes centaines de millions d’autres. En fait, c’est une phrasede Sénèque dans les Lettres à Lucilius. Elle fut écrite à Rome, autemps de Néron (Ier siècle). C’est de l’ennui que parle le penseurstoïcien, qu’il définit comme cetétat où « l’on se voit avec chagrin abandonné à soimême », submergé par un sentiment de vide,
d’accablement et d’« à quoi bon ». Soudain manquent le sens et l’énergie, comme si le ressort quiles actionne ensemble s’était détérioré.
On se prélasse, on se lasseBeaucoup d’entre nous redé
couvrent en ce moment cettebéance. Les routines de la vie normale suspendues, on se prélassed’abord, on se lasse ensuite. Bientôt les dérivatifs ne fonctionnentplus, l’ennui s’installe, chacun commence à « bâiller sa vie », comme disait René, le héros de
Chateaubriand. Incapables de « demeurer en repos dans une chambre », selon Pascal, nous nous heurtons à une suite de« nonchoses » sans contours ni densité : nousmême, l’inaction,le néant…
Ce qui nous tombe dessus estalors bien plus métaphysique qu’on ne pense. C’est « l’embêtement de l’existence ». Flaubert,génialement, dit en trois mots ceque ressassent les Modernes : l’homme est un animal qui s’ennuie. Eprouvant sa solitude, se découvrant jeté dans un monde sans signification ni mode d’emploi, il découvre au cœur de l’ennui, entre effarement et vertige, letragique de sa condition.
Car l’ennui ne serait pas uniquement lié aux circonstances. Il y aurait en lui quelque chose de radical, propre à notre condition. Schopenhauer, dans Le Monde comme volonté et comme représentation (1818), décrit la vie
humaine oscillant, tel « un pendule, entre la douleur et l’ennui ». Ou bien le désir vous taraude, privation et tensions vous habitent, et vous souffrez. Ou vousêtes repu, alangui, sans manqueapparent, et l’ennui vous rattrape.Ceux qui affirment ne jamaiss’ennuyer seraient donc des menteurs.
Ecole de lucidité« Cet ennui absolu n’est en soi
que la vie toute nue, quand elle seregarde clairement. » Dans L’Ame et la Danse (1921), Paul Valéry imagine un Socrate parlant ainsi. Sil’on y prête attention, voilà que tout s’inverse. Au lieu d’être désagrément à fuir, malaise à colmater, l’ennui se fait école de lucidité,exigence de pensée, nécessitéd’inventer. Au lieu de pesercomme un fardeau, il peut se fairelevier, tremplin, point de départ d’un futur en gestation. Croire qu’il faille, à tout prix, ne jamais
HUIS CLOS • 1ROGER-POLDROIT
s’ennuyer est donc bien trop naïf.Vivre sans temps mort, toujours
accaparé par quelque chose, toujours occupé à quelque travail, quelque image, quelque jeu… n’est pas propice à la rumination où, sans qu’on le sache d’abord, des nouveautés éclosent. Les temps d’ennui ne sont pas des catastrophes. Il y flotte au contraire des sensations et intuitions inhabituelles, d’abord imperceptibles, qu’il convient de laisser venir.Dans la fadeur de l’inaction, cefond vide de contours et de projets, croissent souvent les fulgurances du lendemain.
Ennuyezvous sans crainte. Il ensortira quelque chose. On ne supporte plus sa maison, on s’embêteet se sent perdu ? Voilà qui est normal, humain, inévitable. Et finalement de bon augure pour demain. Parce que la pensée écarte les murs. Même quand elle s’ennuie, la pensée est antichambre. A tous les sens qu’on voudra.
« Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés »,
lisaiton déjà dans la fable de La Fontaine « Les Animaux malades de la peste » (1678). En pareille
situation, l’onde de choc n’épargne personne
BRUNO LEVY
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0123VENDREDI 27 MARS 2020 livres | 17
ROMANTempête de fablesAnton et ses deux fils – dont l’unporte son prénom – élèvent deschevaux pour l’intendance militaire quand une terrible tempêteconduit le cadet à partir en villealerter les autorités. Comme il nerevient pas, Anton le jeune part àson tour. Tel un nouveau Candide,enrôlé de force à la veille d’uneguerre absurde, il ne trouve deréconfort que dans l’amitié deSpinoz et dans ces récits légendaires que, le soir au bivouac, iloffre comme un remède à la laideur du monde. Face à « des bêtesqui ne pensent plus comme deshommes », le seul viatique est laparole du conteur. Spinoz résume :« Il y a un monde entre le cœur et labouche, un continent entre les oreilles et les mots, et un infinientre l’esprit et le livre. » Le verbe
seul peut soustraireau malheur seloncette variationvoltairienne. philippejeancatinchiNostra requiem, de Ludovic Roubaudi, Serge Safran, 192 p., 17,90 €;numérique 10 €.
SOCIOLOGIETyrannie du regardAuteure, notamment, d’une étudesur la charge symbolique et politique que nos sociétés accordentau patronyme, Changer de nom(Stock, 1995 ; rééd. Gallimard, 2006), la sociologue Nicole Lapierre n’ignore pas qu’une nation,conçue comme une extension descellules qui la composent, se voitappliquer ce « jeu des ressemblances » auquel toutes les familles selivrent. Qui se ressemble s’assemble : cette évidence conditionnenos existences. Sacralisation de lafiliation, création de ghettos ouautres formes de ségrégation spatiale, théorie du « grand remplacement »… Soulignant que « c’est lafrontière qui cristallise la différenceet non la différence qui délimite lafrontière », l’auteure explore les diverses manières dont s’imposel’injonction à l’assimilation, nousrendant aveugles à ce que l’autrepourrait nous apporter. Contrecette tyrannie du regard social, elledéfend un comparatisme des expériences minoritaires, pariant, avecEdouard Glissant (19282011), sur la« Relation » : « Tu échanges, chan
geant avec l’autresans pour autant teperdre et te dénaturer. » jeanlouis jeannelleFautil seressembler pours’assembler ?, de Nicole Lapierre,Seuil, 216 p., 17 € ;numérique 12 €.
Alain Corbin explore les chemins de la méconnaissanceDans « Terra incognita », le grand historien retrace les sinuosités de la constitution des savoirs, autour des sciences de la Terre
HISTOIRE
N ous ignorons beaucoup de choses. Une obscurité que nous nepouvons mesurer s’étend sur
nousmêmes, la planète, l’Univers – ne parlons pas des maladies –, sur tant de mystères qui, pour nos arrièrepetitsneveux, seront devenus limpides. Il est vraique quelques générations plus tard,d’autres riront d’eux, puis d’autres ensuite de ceuxlà. On n’en sortira pas, et ces rires en cascade à travers les sièclesforment une des dimensions à la fois indépassables et peu explorées de l’histoirehumaine.
De sorte qu’on n’est pas outrément surpris de voir Alain Corbin s’en emparer, même si l’on ne peut qu’être impressionné par la vigueur, la malice, l’inventivité dont le grand historien des sensibilités, né en 1936, continue de faire preuve.
Terra incognita, qui balaye, de 1750 à 1900,la masse des ignorances en s’en tenant à « la Terre, à l’effacement ou au maintien deses mystères », poursuit en effet un objet dont, par les voies les plus diverses, Corbin n’a cessé de s’approcher depuis plus de quarante ans : le paysage de la vie humaine, les constances et les inconstances de nos manières d’habiter le monde.
Or, parmi elles, l’ignorance est indépassable. Elle constitue l’un de nos liens intimes avec la Terre, planète à trous, à secrets. Certes, le développement de lascience la repousse peu à peu, mais il ne l’efface pas et, sur une période qui marque la sortie des croyances traditionnelles sur les phénomènes naturels, Alain Corbin joue avec la flèche du temps, tente de la briser, de l’assouplir au moins,en cherchant à saisir non un progrès continu, mais le vaetvient sporadique de l’expérience commune.
Pour y parvenir, il fait avancer son enquête sur un double plan chronologique et thématique. Il regroupe, en trois grandes parties, trois époques – second XVIIIe siècle, 18001850, 18601900 – représentant autant d’étapes du mouvement irrégulier des savoirs, que les chapitres incarnent sur un ensemble de questions particulières, les mêmes à chaque pas : l’âge de la Terre, sa structure, lesabysses marins, les glaciers, les météores… Une étape après l’autre, nos prédécesseurs en savent parfois plus, mais parfois non, ou si légèrement, sans parler des fausses pistes. Passent et repassent ainsi, en spirale, énigmes et avancées, incertitudes, lueurs plus ou moinsvacillantes.
Un dépôt se forme à mesure, où se tientla réalité vécue. Réunissant les morceauxéclatés d’un monde désormais perdu, puisque ce n’était pas le bon, Alain
Corbin constitue un atlas des représentations approximatives qui suffisaient alors à se mouvoir sur la Terre. A quelle force penseton être confronté si unséisme survient, quand on ignore la tectonique des plaques ? Quelle vie ou quelle absence se cache dans les abysses inexplorés, « monde tout mystère, sans ciel, sans saisons », qui incite « à la plongée imaginaire, à des visions de descente vers le centre de la Terre, de tourbillons vers l’inconnu » ?
L’art d’habiter la Terre est un bricolagehasardeux. Chaque époque a le sien. Et chacun dans son époque s’en arrange à sa mode, crée sa carte du réel comme il peut, selon qu’il est savant ou non, paysan arrimé à son territoire ou voyageurinarrêtable comme un personnage de Jules Verne, si souvent cité dans ce livre. Les ignorances forment un « feuilletage »,une juxtaposition de lacunes inégales,
qui n’a cessé de s’accroître depuis les bouleversements scientifiques duXXe siècle, dont pointent ici les prémices.
Un simple journaliste atil désormais,après tant de levées d’ignorance, des représentations de la planète similaires àcelles d’un Prix Nobel de physique ? Vivonsnous tous dans le même monde ?Alain Corbin ne se contente pas de ressusciter – avec quelle incomparable et inaltérable puissance d’évocation – les paysages oubliés. Il finit toujours par nous tendre un miroir.
florent georgesco
terra incognita. une histoire de l’ignorance, xviiiexixe siècle,d’Alain Corbin,Albin Michel, 282 p., 21,90 € ; numérique 15 €.
Nouveau précis de décompositionAvec « Kree », Manuela Draeger, connue aussi sous le nom d’Antoine Volodine, poursuit l’exploration de son univers littéraire si particulier, touchant ici à une plénitude romanesque admirable
ÉLODIE BOUÉDEC
ROMAN
C e que l’on voit toutd’abord : des rivièresd’hémoglobine quijaillissent et irriguent
une terre noire et infertile ; des plaies ; des têtes tranchées ; descorps démembrés ; la violence aveugle et permanente que l’onsuppose dans un monde d’après la catastrophe. Ce que l’on découvre ensuite : davantage de sang encore. Un rideau de pluie rouge derrière les yeux, une ondée cramoisie, une averse vineuse quiobscurcit la vue de Kree : au débutdu chapitre 2, Myriam Agazaki, l’unique vraie amie de Kree Toronto, s’applique à extraire desépingles de son crâne. Lentement,avec précaution. A chaque fois,Kree a l’impression qu’il pleut du sang à l’intérieur. « C’est quandque l’épingle elle touche une naissance ou une mort », précise Myriam, la syntaxe postapocalyptique. Les deux femmes sont des survivantes sous des ciels de « bitume », « gris ardoise » ou « noir aile de corbeau », à une époque quipourrait ne pas se situer si loin en avant de la nôtre, mais une époque sans mémoire où le temps semble neutralisé. Pasd’avenir, pas de passé. « Le présentsuffisait, avec ses hauts et ses baset ses lendemains improbables. »
Voyages intérieursKree est une femme dont le fil de l’histoire est bousculé, désorganisé, lacunaire. Kree est un livre, le troisième écrit par Manuela Draeger pour les adultes (après une grosse poignée de petits romans pour L’Ecole des loisirs entre 2002 et 2015). Celleci appartient à une communautéd’auteurs imaginaires réunis sousla bannière du « postexotisme » – où coexistent Lutz Bassmann, Elli Kronauer ou encore, et surtout, Antoine Volodine (qui, en l’occurrence, porte plume poureux tous comme d’aucuns portent flingue). Avec Kree, Draeger atteint une forme de plénitudedans la description d’errances entre les mondes et les réalités. Le chamanisme, les états de conscience alternatifs, les voyages intérieurs sont au cœur deson œuvre et hantent le postexotisme – mais ils touchent ici à une
simplicité romanesque, une pureté admirable. Le monde selonKree est également un monde audelà, pardelà et entre parenthèses, que seul le concept bouddhiste du « bardo », que tous lesprotagonistes du livre ont à labouche, parvient à saisir (on sedoute que c’est imparfaitement).
Le bardo peut être sommairement défini comme un état intermédiaire entre mort et renaissance. Cette dernière semble ici cependant très compromise et l’existence dans le bardo paraîtdéfinitive. En effet, « l’humanité
s’était engagée dans l’errance sans espoir, dans l’errance loqueteuse,(…) ce monde ne connaissait plus nipoudre, ni électricité, ni machines. L’humanité décédée et ses trèsinfimes survivants et débris allaient à mains nues dans le bardo boueux ». On ne s’inquiète plus des lendemains : il n’y en a pas quichantent. Pas de beau temps après la pluie. C’est presque unesurprise de voir, dans ce monde où sexe et procréation se révèlent aussi peu agréables et sans objet, qu’une forme de métempsychose existe (et l’on se demande bienpour quoi faire). Mais, de fait, des oiseaux géants pondent près descharniers ou des fosses communes, offrant une éventuelle renaissance à des âmes fraîchementfauchées… Comme un cycle désespérant de vie qui ne veut pass’interrompre, un éternel recommencement triste, têtu.
Relation au réelPar les temps qui courent, il y aurait certainement beaucoup à dire sur cette œuvre collective dupostexotisme qui met en scène, au fil de ses textes et de ses récits, une décomposition globale en cours. Très XXe siècle, à sa façon :
on y voit le totalitarisme agonisant, la disparition de cultures et de peuples, un égalitarisme (toujours) dévoyé, une urbanité pervertie et anéantie, un monde où« savoir lire et écrire [compte]autant que savoir jouer du couteau »… Mais ce mondelà rêve encore, il est réenchanté, et l’humanité (même cabossée comme Kree) se surprend à repenser sa relation au réel. Ici, l’on tue les chiens imaginaires de nos récits d’enfants. Avant de les manger et de les venger. La construction durécit est à l’avenant, partant d’un point pour revenir en arrière puis repartir dans l’avant – sans que le départ et l’arrivée appartiennenttout à fait au même continuum. Les principes de la physique, du vraisemblable, du temps également ébranlés, tout devient flou devant les yeux de Kree, commesous l’effet de ses averses intérieures. Rien que de très normal dans ce monde comme un autre.
nils c. ahl
kree, de Manuela Draeger, L’Olivier, 320 p., 19 € ; numérique 14 €.
EXTRAIT
« Les souvenirs de ces annéeslà étaient si sombres que la plupart des survivants, lorsqu’ils les évoquaient, donnaient l’impression d’avoir baigné dans une obscurité perpétuelle. Ils avaient traversé exclusivement des paysages nocturnes, des villes plongées dans le noir, sans avoir jamais connu l’éclairage du plein jour. Ni soleil ni midi n’existaient. Midi rampait à côté d’eux comme un nuage de naphte.Après le fracas et les bousculades, il se fit un silence, et ce silence dura. Ce fut la période la plus pénible de l’hiver.A l’usine de transformation animale, une femme qui coupait des rogatons de viande avait les mains tellement glacées qu’elle se sectionna un doigt sans s’en apercevoir. Sur le tapis la phalange continua en direction du broyeur, au milieu de vilains débris carnés (…). »
kree, page 105
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18 | livres VENDREDI 27 MARS 20200123
La victime expiatoirePierre frappe sa femme, encore et encore. Jusqu’où ? Patrick Delperdange livre un huis clos empathique
Combat naval
B A N D E D E S S I N É E
Une classique tempête paranormaleMutants psychiques contre agents secrets : « Furie », de John Farris, près de 45 ans et toujours terrifiant
normales et anormales, viendra àbout d’une intrigue où Farris, àson meilleur, mêle les vertus du roman noir, du thriller d’espionnage et du « fantastique spirite ».Un classique du genre dans la lignée de L’Echiquier du mal, de DanSimmons (Denoël, 1992), ou du récent Institut, de Stephen King (Albin Michel, lire « Le Monde deslivres » du 14 février).
françois angelier
furie (The Fury), de John Farris, traduit de l’anglais (EtatsUnis) par Gilles Goullet, Gallmeister, 500 p., 24,80 € ; numérique 17 €.
EN 2007, ODYSSEY MARINE EXPLORATION, une entreprise américaine spécialisée dans la recherche d’épaves sousmarines, avait remonté à la surface le trésor d’une frégate espagnole, la Nuestra Señora de las Mercedes, coulée par les Britanniques au large des côtesportugaises deux siècles plus tôt. S’en était suivie une bataille juridique de cinq ans avec l’Espagne, qui revendiquait la propriété du navire et des 500 000 pièces d’argent exhumées de ses cales. Témoin de ces événements alors qu’il était diplomate, Guillermo Corral van Damme en a tiré un scénario romancé mis en pages par l’auteur de bande dessinée espagnol le plus talentueux du moment, Paco Roca. C’est tout le feuilleton du combat pour la possession du trésor qui est raconté, à travers des personnages fictifs, dans cet album à michemin entre le docuBD et le thriller politique. Le réalisme des situations, la précision des dialogues et le soin apporté à une narration très classique sur le plan formel composent un album palpitant d’un bout à l’autre. frédéric potetLe Trésor du Cygne noir, de Paco Roca et Guillermo Corral, Delcourt, 216 p., 25,50 €; numérique 18 €.
DELCOURT
Son mari s’estil débarrassé d’elle ? Atelle fui sa ville ? S’estelle suicidée ?
Nouveau registrePatrick Delperdange est un auteur prolifique, auteur descénario de bandes dessinéeset de fictions pour enfants (mentionnons par exemple la série L’Œil du milieu, Nathan, 20032004) comme de polars(Si tous les dieux nous abandonnent, Gallimard, 2016), et de quelques romans « horsgenre ». Il a notamment reçu, en Belgique, le prestigieuxprix Rossel pour Chants des gorges (Sabine Wespieser,2005). Avec C’est pour ton bien,le Belge change une fois encore de registre, signant untexte sur le patriarcat et les violences conjugales. On y suit une Camille victime expiatoire de tous les hommes de son entourage mais aussi d’un système incapable de la protéger.
Observant les codes duthriller à huis clos, Delperdange se plaît à égarer lelecteur dans de fausses pistes. On pense ainsi aux livres deGillian Flynn et à La Fille du train, de Paula Hawkins (Sonatine, 2015). Surtout, il nous tient en haleine grâce à une écriture sèche, des chapitrescourts et son art des rebondissements. Addictif.
abel mestre
c’est pour ton bien, de Patrick Delperdange, Les Arènes, « Equinox », 336 p., 16 € ; numérique 12 €.
QUE FAIRE QUAND ON DOIT RESTER À DISTANCE DE TOUS ET QU’ON A BESOIN DE PRÉSENCE ET DE JOIE ? On ne
peut jouir de ce réconfort audehors ? « Eurêka cela netienne ! », s’exclame ValérieRouzeau, qui a trouvé une solution parfaite. Dans Ephéméride, elle joue avec le temps etles mots, ressources que nousavons, plus que d’habitude, àdisposition. Qu’estce qu’une
éphéméride ? C’est un almanach qui recense les événements importants sur une période donnée, mais aussi, comme
l’explique l’auteure, « certains nonévénements de ma vie, de ces moments que l’on pourrait qualifier d’anodins, du moins de tout à fait oubliables à ceci prèsqu’ils se sont gravés tels des 1eravril ou des14Juillet dans la fragile boîte noire demon crâne ». La mémoire opère en effet un tri subjectif. Et brouillon : pas question d’arracher les pages du calendrierdans l’ordre, au contraire il sera fait« moult pieds de nez à Kronos, des coqàl’âne, des digressions, du sautemouton ». C’est donc dans le désordre, entre1993 et aujourd’hui, que « cette matièrede vivre accumulée » au fil des années
– notes, courriels, fragments, lettres… –nous donne à éprouver le corps mêmedu temps et que cette Ephéméride se mueen œuvre poétique : (Le temps passe et fait mes rides) en est le soustitre.
En feuilletant sa correspondance,Valerie Rouzeau, née en 1967, retrouve des pépites, des témoignages d’amitié ou de conflits pardonnés depuis, des traces écrites des attentats de Paris en 2015 – « le nombre au lieu des noms, c’est terrible », lui écrit le poète Antoine Emaz (19552019) –, qu’elle commente avec deseffets de zoom mémoriel saisissants.Elle nous plonge aussi dans la vie précaire d’un poète du XXIe siècle – « pas derevenus stables, pas de salaire » – qui
combat la dépression chronique, croulesous la paperasserie de l’Agessa et de l’Urssaf – « Il faudrait un CAP de comptabilité » (les intéressés comprendront) – et vivote grâce aux résidences d’artistes etaux festivals de poésie dont s’honorentencore certains pays du monde.
Mais la poésie lui est consubstantielle :« Bonne qu’à ça ou rien », notetelle dansVrouz, un autre de ses recueils paruen 2012 (La Table ronde). Et puis, ajoutetelle, « J’ai un toit sur la tête et pardessus ce toit/ Un ciel plein de flocons/ Cen’est pas sur moi qu’il neige/ Ce n’est pasmoi qui meurs de froid. » Car le « je » deValérie Rouzeau, dans ces textes personnels, reste fortement tourné vers le dehors, et les remarques féministes, écologiques, la critique politique se fondentau quotidien des jours, au deuil ou à lajoie. Ce « je » est d’ailleurs à cent lieuesde toute arrogance autocentrée, il relèvebien plutôt de ce que le poète DanielBiga appelle la « poévie ». « Depuis Montaigne, souligne Rouzeau, on saitcombien l’expérience de l’autre nousaide à vivre. » Aussi préfèretelle parlerdu « j’euh » incertain de son ami Emaz,
ALINE BUREAU
éphéméride (le temps passe et fait mes rides), de Valérie Rouzeau, La Table ronde, 144 p., 16,50 € ; numérique 12 €.
S’en sortir sans sortir
LE FEUILLETON
CAMILLE LAURENS récemment décédé, qu’elle cite abondamment.
Car Ephéméride est aussi et surtoutune ode à l’amitié et à l’admiration. Valérie Rouzeau aime pardessus toutGuillaume Apollinaire – « Il me réjouit » – et Robert Desnos, qui l’accompagne depuis qu’elle a appris son premier poème, enfant. Elle traduit despoètes étrangers, sa chère Sylvia Plath(19321963) ou William Carlos Williams (18831963), par exemple. Elle énumère et célèbre des auteurs connus et méconnus, qu’ils soient anciens ou ses « pairs contemporains », tels Christian Bachelin(19332014), « pas un poète d’aujourd’hui » mais « un poète de toujours »,Daniel Biga, Fabienne Courtade, JamesSacré, Catherine Pozzi (18821934) et tantd’autres. Elle pose la fameuse questionde Ghérasim Luca (19131994), que notreactualité remet au premier plan : « Comment s’en sortir sans sortir ? » Sa réponseest claire : par les rythmes et les sonorités de la langue (Rouzeau fait beaucoup de lectures à voix haute), les créations de néologismes qui concilient les contraires, comme le verbevalise« s’amarracher », les télescopages, répétitions et autres jeux de mots, on attrape« dans les mailles du poème » la pensée en mouvement, les émotions, le poissonvivant de la vie.
Ephéméride, comme toute l’œuvre deValérie Rouzeau et celle des nombreux poètes qu’elle cite, nous rappelle à point nommé l’importance capitale, pour nous tous, de « la poésie où la vie s’invente magistralement ». En modifiant seulement la place d’un mot, elle nous invite à son « jeu sérieux ». Puisque vousne pouvez pas sortir de chez vous et vousen aller où vous voulez, « allez en vous », écritelle. L’introspection alliée au senspoétique du monde n’a rien de superflu : « L’écriture d’un poème peut représenterpour moi un moyen de réparer (…) ce quimarche mal ou ne marche pas dans la vie,voire se venger des méchancetés et autres vacheries de l’existence », assure Valérie Rouzeau, « la mécanicienne », comme elle aime à se nommer, et on la croit bienvolontiers. Pour se purger de l’inutile et de l’angoisse, oublier les aléas du « couac quarante » en célébrant la vie « belle et fragile », pour s’amarrer et s’arracher d’un même geste à la réalité, rien de telque de lire ou d’écrire de la poésie. « Des livres, des livres, des livres ! » Ce n’est pas làfaire acte de retranchement stérile maisde résistance active : « Mon cœur ne s’ennuie pas. Il se bat. »
Puisque vous ne pouvez pas sortir de chez vous
et vous en aller où vous voulez, « allez en vous », écrit Valérie
Rouzeau. L’introspection alliée au sens poétique du monde
n’a rien de superflu
PHILIPPE MATSAS
THRILLER
C amille a tout pourêtre heureuse. CetteBruxelloise, enceinte
de son premier enfant, partage sa vie entre son mari et sameilleure amie. Mais un jour le monde de Camille bascule. Pierre, son époux si aimant et attentionné, lève la main sur elle. « Vous devez bien vousl’avouer, l’homme avec qui vous vivez a changé. Il n’estplus tout à fait celui que vous avez épousé. (…) Il vous a frappée pour que vous arrêtiez deparler, et jamais, au grand jamais, vous ne l’auriez cru capable d’un tel geste », résume le narrateur.
L’engrenage des violencesconjugales s’enclenche. Pierre frappe de plus en plus souvent, Camille, elle, se réfugie quotidiennement dans lapeur et la honte. Tous les subterfuges sont bons pour cacher la vérité à ses proches.Malgré tout, ses amis commencent à s’apercevoir que quelque chose cloche dans le couple que l’on croyait parfait.Et un jour, Camille disparaît.
FANTASTIQUE
P remier volet d’une tétralogie romanesque sur leparanormal, paru en 1976
aux EtatsUnis, porté à l’écrandeux ans plus tard par Brian DePalma, aujourd’hui réédité dans une traduction révisée, Furie est l’un des pics de terreur paniquedu romancier et scénariste américain John Farris (père du romancier Peter Farris, également publiéen France par Gallmeister).
Soit un coup de sonde vertigineux dans le monde des hyperpouvoirs de l’esprit et de leurmésusage sinistre par des officines secrètes de l’Etat. L’histoirese polarise autour d’un coupled’adolescents qu’unit, sans qu’ils se connaissent l’un l’autre, une intense gémellité mystique :Gillian Bellaver, 14 ans, rejetonned’une richissime famille, et RobinSandza, un jeune médium, fils d’un ancien agent du MORG, agence clandestine vouée à l’exploitation scientifique des mutants psychiques.
Monstrueux cobayeSi Gillian endure, sans les maîtriser, ses pouvoirs au quotidien, Robin est, lui, enlevé par le MORG, qui en fait un monstrueux cobaye. Seule une terrible mêlée, où se confronteronttoutes les puissances humaines,
L’ÉCRITURE PREND VIE
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0123VENDREDI 27 MARS 2020 livres | 19
JE VOULAIS BIEN SÛR VOUS PARLER DE LAMORT À VENISE, évoquer cette épidémie de choléra et de nostalgie qui envahit les pages brûlantes de Thomas Mann, pour vous changer de La Peste, de Camus, que, paraîtil, vous relisez en boucle, mais je n’ai pas trouvé d’édition récente justifiant une telle recension : il semble qu’au temps de la pandémie on ait d’autres chats à fouetter
que rééditer des livresdécrivant l’infection, lesmouchoirs sur la bouche,Venise déserte et frissonnante de fièvre, la beauté,la mort, Éros, Thanatos.
Mais, de fil en aiguille,perturbé par les questionsde Thomas Mann et sonobsession pour la maladie, je me suis plongédans cette masse d’inter
rogations que constitue Comprendre le nazisme, de Johann Chapoutot. Cette anthologie de conférences, d’émissions de radioet d’articles me semble s’intéresser à cequ’on pourrait appeler « la culture » nazie– le corps nazi, le colonialisme nazi (passionnant), le nazisme comme horizon inéluctable de la république de Weimar. Avec son humour parfois cinglant, sa ténacitéfroide, sa clairvoyance modeste, Chapoutotexplore les confins de la violence extrême avec une clarté passionnée.
L’HISTOIRE, C’EST UNE SOMME D’HISTOIRES, que cellesci en soient les sources ou lesexemples – quelle meilleure illustration de cette lapalissade qu’Une histoire de France, de Nathalie Heinich. Le singulier y devientcollectif ; l’histoire de France, une somptueuse métonymie. Cet essai – ce récit – documente la vie des ascendants de l’auteure depuis la fin du XIXe siècle, et construit le roman de ces existences en images. Bien sûr, au cœur du XXe siècle se trouvent la violence nazie et l’extermination : de quelle
façon on y échappe, comment on porte le deuil deceux qui ont disparu ousont revenus ; cette partd’horreur, elle se cache enchacun de nous.
Evidemment, il y a toujours « l’autre côté » de lafamille, ici des protestantsoriginaires d’Alsace quin’ont pas subi (ni fait subirnon plus) cette violence : ces
deux « branches » se fondent dans une épiphanie de lumière méditerranéenne, à Marseille. « Une histoire de France » comme il y en aurait des millions, car toutes racontent la mixité et les hasards qui ont tissé les familles de ce pays, tout autant que la France qu’elles fabriquent à leur tour.
LA MÉMOIRE, LE SECRET ET LA MORT SONTaussi au cœur de Deuils, du Guatémaltèque Eduardo Halfon. Un enfant mort noyé dans un lac au Guatemala, un grandoncle mort dans le ghetto de Lodz, un grandpère rescapé : les échos de la catastrophe se font sentir longtemps, bien longtemps après. Un récit familial, c’est ce que nous imaginons,
enfant, à partir du silencedes adultes ; un récit familial, ce sont ces fleurs silencieuses qui poussent dansla partie de l’imaginationque l’on croit appeler mémoire. Le lac devient petit àpetit une métaphore. C’estun lac bien réel, une étendue d’eau profonde, quiacquiert doucement, grâceà la maestria d’Halfon, sa
dimension métaphorique. Empoisonnée etpolluée, l’eau de ce lac. Il faudra la scienced’une vieille femme chamane pour que le narrateur accède à sa vérité intérieure, qu’il renoue les fils de sa propre existence.
Le roman d’Eduardo Halfon est simple etbeau comme un voyage vers soi ; fragile comme une vérité initiatique, comme une révélation qui nous dévoilerait soudain notre propre place en ce monde.
Comprendre le nazisme, de Johann Chapoutot, Texto, 442 p., 10,50 €; numérique 10 €.Une histoire de France, de Nathalie Heinich, Champs, « Libres », 240 p., 8 €; numérique 12 €.Deuils (Duelo), d’Eduardo Halfon, traduit de l’espagnol (Guatemala) par David Fauquemberg, Livre de poche, 128 p., 6,70 €; numérique 12 €.PI
ERRE
MAR
QUÈS
DES POCHESSOUS LES YEUXMATHIAS ÉNARD
ENTRETIEN
P hilippe Jaenada le raconte,entre autres, dans La Femmeet l’ours (Grasset, 2011) :en 1989, il s’est enfermé pendant un an. Aucun contact
avec son prochain, et dix minutes de sortie par jour au maximum pour aller chercher des vivres et des cigarettes. C’est là qu’il a commencé à écrire. Depuis, il mène une existence notoirement « troglodyte », comme il la décrit dansnombre de ses livres. Nous avons interrogé (par courriel, car il professe un goût très modéré pour le téléphone) ce champion du confinement sur sa singulière expérience de la mise en retrait.
Pourriezvous expliquer ce qui vous a poussé à passer l’année 1989 à l’écart de tout ?
Disons, pour simplifier, que je n’allaispas bien du tout à cette époque, il devenait urgent (vital, même, sans rire) de faire quelque chose. J’ai pensé à me faire interner en psychiatrie, mais ça m’embêtait quand même, donc je me suis dit que, peutêtre, si je tentais quelque chosede radical, qui crée un vrai choc, une cassure dans ma vie, ça pouvait suffire pourrepartir un peu neuf, vierge et pimpant.
A cette époque, j’ai vu à la télé unejeune femme sortir d’une grotte souterraine où elle venait de passer un peu plusde trois mois, dans un but scientifique, en particulier pour des expériences sur les rythmes du corps. Elle s’appelaitVéronique Le Guen. N’étant pas propriétaire de grotte, j’ai décidé de faire ça dansmon appartement. Et comme c’est plus facile en appartement que 80 mètres sous terre, me semblaitil, j’ai décidé dem’y enfermer un an. J’ai mis à la cavema télé, mon téléphone, ma radio, machaîne hifi (mon Minitel !), tout ce qui pouvait me permettre d’avoir un contactavec le monde, j’ai fermé les volets, et pendant un an (un peu plus, même), je suis resté assis sur un fauteuil à regarder mes murs – je ne sortais même pas dix minutes par jour, cinq, vite, et sansouvrir la bouche.
Un peu plus d’un an après sa sortie dela grotte, Véronique Le Guen s’est suicidée (je pense, sans raison particulière,qu’il y a un lien, mais officiellement non). Moi, c’est le contraire : sans vouloir employer de grands mots mièvres, cet
enfermement m’a redonné vie. Je suiscomme revenu au monde, retapé, reformé (rebiscoulé, comme on dit enAveyron), indestructible – si, je le jure.
C’est à ce momentlà que vous avez commencé à écrire – des nouvelles, tout d’abord. Vous souvenezvous de la manière dont vous vous êtes lancé ?
Je m’en souviens comme si c’étaitavanthier soir. Au début, cette « expérience », c’est rigolo. Au bout d’un mois ou deux à fixer un mur blanc, on commence à trouver ça un peu moins drôle – ça va deux minutes, l’aventure intérieure, ou deux mois, bon, mais pas plus. Après quatre ou cinq mois, c’est l’effondrement, on dégringole en dedans de soimême, on se sent devenir fou. Fou d’ennui, d’abord, d’immobilisme physique et psychique, et fou de silence, de noncommunication, d’hermétisme. (C’est bête, mais si je rêvais que je couchais avec Greta Garbo, qui avait malheureusement la tête de Louis de Funès, ou si je glissais dans ma baignoire et me cassais une incisive sur le robinet, je ne pouvais en parlerà personne. C’était rageant.) J’ai senti que,si je continuais comme ça, j’allais vite abandonner. (Je suis un véritable colosse, je n’apprends rien à personne, mais nousavons tous nos limites.)
Il fallait, c’était indispensable, que jetrouve quelque chose à faire. Si une guitare ou une flûte avait traîné dans ma chambre, j’aurais probablement essayé d’apprendre tout seul à jouer de la guitare ou de la flûte (mes voisins auraient fini par mettre fin à mon expérience, les gens n’ont pas de respect pour les aventuriers de l’extrême) ; si j’avais retrouvé dans un placard des feuilles de papier àdessin et la vieille boîte de tubes de peinture qu’on m’avait offerte à Noël 1978, je me serais sans doute mis à peindre (et je ne pense pas que, dans le monde des artsgraphiques, il y aurait eu un avant et un après) ; je n’avais que quelques vieuxcahiers inutiles et un ou deux stylos. Je n’avais jamais écrit auparavant, pourainsi dire. Et je n’avais aucune prétentionlittéraire quelconque, bien sûr. Mais je me suis dit que ça m’occuperait, ce qui était déjà inespéré, et que ça me permettrait, sans être vulgaire, de « sortir des trucs de moi » – quels qu’ils soient, peu importe, je ne me faisais aucune illusion quant à leur intérêt éventuel, le principalétait que des trucs sortent. Donc je me suis mis à écrire des nouvelles, très différentes, hétéroclites, tout ce qui me passait par la tête. (Sans fausse modestie, croyezmoi, c’était consternant.)
Estce que ce n’est pas précisément ce que vous avez recherché dans cette expérience ?
Non, très sincèrement, non. Je n’avaisjamais pensé à écrire, je n’en avais jamaiseu envie. Si on m’avait dit, la veille dujour où je me suis enfermé, « Tu vasécrire des nouvelles », ç’aurait été exactement comme : « Tu vas faire de l’équilibre sur la tête sans les mains ». C’était seulement, franchement, pour me « soulager », et parce qu’écrire, former des lettres, des phrases, c’est à la portée de tout le monde.
Vous êtes sorti de cette année avec de nets penchants « troglodytes », selon vos propres dires. A quel point liezvous l’écriture et ce rapport à la solitude, à l’enfermement ?
Si vous m’aviez posé la question sixmois après ma sortie de cette grotte au quatrième étage, je vous aurais dit : « Aucun rapport. » Aujourd’hui, c’est sûr, c’est très étroitement lié à mon écriture. En fait, cinq ans plus tard, je me suis mis en tête d’écrire un roman. Je pensais l’écrire à Paris, chez moi, quand l’inspiration tomberait du ciel, quand les musesviendraient me lécher les oreilles. Tu parles. Au bout de trois ans, j’avais péniblement, laborieusement, aligné 40 ou 50 pages (il ne faut jamais faire confianceaux muses, ces pignoufs). J’ai comprisqu’à ce rythmelà, si je réussissais à écrire, dans toute ma vie, un roman inachevé, j’aurais de la chance.
Avant d’abandonner, j’ai repensé àcette année, enfermé, qui m’avait permisd’écrire quelques nouvelles, quatre ou cinq, de qualité médiocre mais quandmême. Je suis parti m’enfermer troismois (comme Véronique Le Guen), dans un village de Normandie, VeuleslesRoses, en hiver. Dans le genre solitude, ça sepose là. J’ai écrit 700 pages en trois mois. Ça reste mon record (ah, la jeunesse, la jeunesse…), mais depuis (c’était il y a vingtquatre ans), j’ai compris : je ne sais pas pour les autres, mais moi, pour écrirecorrectement, efficacement, il faut que jesois enfermé quelque part, seul évidemment, et que je ne fasse rien d’autre.
Aujourd’hui (après être retourné pourchaque livre, les années où ma femme et moi n’avions pas encore d’enfant, à VeuleslesRoses), je peux faire ça à Paris, dans mon bureau (où j’ai un lit, aussi). Là,ça fait bientôt sept mois que je n’en sors pas, de mon bureau, sept jours sur sept.Sauf pour descendre deux heures parjour au bar d’en bas, mais comme on sait,c’était le bon temps, c’est fini. Je vais pouvoir écrire beaucoup dans les semaines qui viennent. Heureusement que j’ai derrière moi mon solide entraînement de 1989. Le confinement, à côté, c’est dela gnognote.
propos recueillis parraphaëlle leyris
Philippe Jaenada : « Pour écrire, il faut que je sois enfermé »Le confinement n’effraie pas l’auteur de « La Serpe », bien au contraire. Il s’explique
Philippe Jaenada, en 2017. MOLLONA/LEEMAGE
EXTRAIT
« Je m’étais débarrassé de ma télé, de mon téléphone et de mon poste de radio, j’avais fermé tous mes volets, mais, bénéficiant tout de même d’un confort non négligeable par rapport à la grotte de référence, j’avais fixé, pour compenser, la durée de la claustration à trois cent soixantecinq jours, du 1er janvier au 31 décembre. (…) J’en étais effectivement ressorti transformé, libéré de tout problème d’insignifiance et d’ennui (comme on est libéré de la peur de l’eau quand on vient de passer un an à nager perdu dans l’Atlantique) mais, en contrepartie, bien plus sauvage qu’auparavant. J’avais prévu de mettre un terme à mon enfermement et de revenir (radieux) parmi mes semblables le 1er janvier, mais je n’ai pas pu, j’avais peur (ils sont nombreux et imprévisibles, mes semblables), et ce n’est que le 17 que j’ai trouvé le courage d’entrer dans une cabine et d’appeler une amie, AnneClaude, la plus calme et rassurante des filles que je connaissais, pour lui demander de m’emmener dans un restaurant. »
la femme et l’ours (grasset, 2011), page 50
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20 |carnet VENDREDI 27 MARS 20200123
Jacques OudinHomme politique
S a vie commence commeun roman d’aventures.La mère de Jacques Oudin,journaliste d’origine
ukrainienne exilée en France, partdans les années 1930 en reportageen Chine puis en Indochine, où elle rencontre le dernier empereur du Vietnam, Bao Daï. C’est au cours de ce séjour qu’il naît sur unbateau vapeur, en mer de Chine, naissance officiellement déclarée le 7 octobre 1939 à ce qui s’appelle alors Tourane et est devenu aujourd’hui Da Nang. Alors qu’il est âgé de 11 ans, sa mère rentre enFrance et s’installe sur le littoral atlantique, à Noirmoutier.
De ses origines asiatiques, Jacques Oudin, mort samedi 21 marsà Paris à l’âge de 80 ans des suites du Covid19, conservait les traits, un regard plissé et malicieux, et une passion assidue pour l’ExtrêmeOrient. Sénateur de la Vendée élu en 1986 – il le demeurera jusqu’en 2004 –, cet énarque, conseiller référendaire à la Cour des comptes, présida longtemps le groupe sénatorial d’amitié FranceVietnam. C’est à ce titre qu’il s’yrendit, en mai 2003, en compagnie du président du Sénat, Christian Poncelet. C’était le premier déplacement au Vietnam d’officiels étrangers depuis que sévissait l’épidémie de SRAS.
Avant de s’engager en politique,Jacques Oudin a suivi de brillantes études : lauréat du concoursgénéral, diplômé de HEC, licencié en droit, diplômé de Sciences Po,ENA, direction la Cour des comptes. Il entre en 1971 au cabinet d’Olivier Guichard, grand baron du gaullisme, alors ministre del’éducation nationale, qu’il suivra à l’aménagement du territoire. Il est ensuite nommé au ministère de l’industrie, où il occupe plusieurs fonctions directoriales.
Fonction sensibleMais son premier mentor lui a instillé le goût de la politiqueainsi que la même foi gaulliste et, dès 1976, il conquiert ses premiers mandats locaux : conseillergénéral, conseiller municipal, puis, en 1985, conseiller régionaldes Pays de la Loire, alors présidéspar Olivier Guichard, avant de se présenter, en 1986, aux électionssénatoriales en Vendée sur une liste dissidente, et de l’emporter face à l’ancien ministre RPR Vincent Ansquer.
Il ne lui en est pas tenu rigueur.Son ascension dans l’appareil politique du RPR chiraquien commence par sa nomination,
en 1988, au sein du conseil national de prospective, où il est chargédes entreprises. Cinq ans plustard, le RPR le désigne comme trésorier, une fonction sensible danscette période où le financement des partis politiques n’était pasaussi encadré qu’il l’est aujourd’hui et pouvait passer par des canaux occultes. C’est aussi à ce titrequ’il sera trésorier de l’association de financement de la campagne présidentielle de Jacques Chirac en 1995, à l’issue de laquelle ce dernier accède à l’Elysée. Cettemême année, il entre au bureau politique du RPR.
Autant dire que Jacques Oudinconserve pardevers lui bien des secrets des financements politiques de l’époque. Toutefois, si son nom a été cité à plusieurs reprises et s’il a été entendu dans certaines des affaires judiciaires qui ont marqué la fin des années 1990 et ledébut des années 2000, il n’a jamais fait l’objet de la moindre condamnation. En novembre 1997, il est mis en examen pour « complicité et recel d’abus de biens sociaux » à la suite de la découverte d’employés du RPR dont les salaires étaient versés par des entreprises privées. Il sera relaxé « en l’absence de charges ». Egalement mis en examen dans une affaire sur le financement des salaires des permanents de l’exRPR, il est finalement exonéré de toute poursuite.
Ainsi Jacques Oudin poursuivratil ses activités au Palais duLuxembourg, où il exerce la fonction de viceprésident de la commission des finances. Celui quiest également président du Cerclefrançais de l’eau et du Comité national de l’eau se distingue notamment par ses travaux et ses propositions sur la gestion de l’eau. Jusqu’à ce qu’il essuie une défaite aux élections sénatoriales de 2004, alors qu’il briguait untroisième mandat. Jusqu’en 2015, il est resté conseiller général du canton de Noirmoutierenl’Ile, auquel il consacrait l’essentiel de ses activités.
patrick roger
7 OCTOBRE 1939 Naissance déclarée à Tourane (Da Nang, Vietnam)1986-2004 Sénateur de la Vendée1993 Trésorier du RPR1995 Trésorier de la campagne présidentielle de Jacques Chirac21 MARS 2020 Mort à Paris
En 2010. FRANCK DUBRAY/ PHOTOPQR/MAXPPP
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Le Carnet
AU CARNET DU «MONDE»
Décès
Ses enfants,Ses petits-enfantsEt son arrière-petit-fils,
ont la tristesse de faire part du décèsde
M. Léon ATTIA,professeur agrégé de philosophie,
survenu le 22 mars 2020,à l’âge de quatre-vingt-douze ans.
Un hommage sera organisé dansle courrant de l’été, chez lui, àChampigny-sur-Marne.
Sidonie et Clarisse Lenoble,ses filleset leurs conjoints
Ainsi que Anouk, Lucien, Basile,Gabriel,ses petits-enfants,
ont l’immense tristesse de faire partdu décès de
Mme Jocelyne BASSELIN,mère aimante et courageuse,
survenu le 18 mars 2020, à Paris.
La crémation aura lieu dansl’intimité familiale, le vendredi27 mars, à 11 heures, au crématoriumdu cimetière du Père-Lachaise,Paris 20e.
Françoise Beeker,née Poncelet,son épouse,
Etienne et Sophie, Anne et Vlad,Florence et Dov, Emmanuel etLaurence, François et Annick,ses enfants et leurs conjoints,
Benjamin, Nathanaël, Pierre (†),Gabriel, Jonas, Ella, Léopold, Arielle,Niels, Oscar et Adam,ses petits-enfants et arrière-petits-enfants,
Sa famille,Ses amis,
ont la tristesse d’annoncer le décèsde
Adrien BEEKER,
survenu le 23 mars 2020,à l’âge de quatre-vingt-douze ans.
L’inhumation aura lieu lundi30 mars, dans l’intimité au cimetièred’Antony.
Une cérémonie sera organiséeultérieurement.
La famille tient à remercier Riri,Sabrina et tous ceux qui l’ontaccompagné ces derniers mois etsemaines.
[email protected], allée du Rhône,92160 Antony.
M. et Mme Olivier Billion,leurs enfants, Arnaud, Amandineet Florenceet leurs conjointsainsi que leurs petits-enfants,
M. et Mme Jean-Francis Billion,leurs enfants, Franck et sa compagne,Guilhem, Emiliaainsi que leur petite-fille,
Les familles Billion, Vauzanges,Ginier-Gillet, Pichat, familles liéeset amies,
Samira, qui l’a accompagnée,
ont la tristesse de faire part du décès,le 20 mars 2020, en sa quatre-vingt-dix-neuvième année, de
Mme Josette BILLION,née VAUZANGES,
épouse de feuJacques BILLION.
Une messe va être célébrée à sonintention. Merci de vous y associerpar vos pensées et vos prières.
Une cérémonie religieuse, suivied’une réunion, sera organiséeultérieurement.
Le présent avis tient lieu de faire-part.
[email protected]@wanadoo.fr
Christiane Boniol,son épouse,
Yves, Martine, Monique, Frédéric,ses enfantset leurs conjoints,
Ses petits-enfantsEt ses arrière-petits-enfants,
ont la douleur de faire part du décèsde
Jean BONIOL,pasteur à la retraite,
survenu le 23 mars 2020,à l’âge de quatre-vingt-quinze ans.
Un culte de reconnaissance seracélébré ultérieurement.
« En tout temps, à tout sujet,rendez grâce »
(Ephésiens V, 20).
Jean-Marc et María Mercedes,Bénédicte et Christian Maitre,Bertrand et Claire,
ses enfants,Matthieu, Quentin, Mathilde,
Clémence, Ludovic, Benjamin, Cômeet Bertille,ses petits-enfants,
ont la tristesse de faire part du décèsde
Raymond CESAIRE,ambassadeur de France
commandeurde la Légion d’honneur,ancien administrateur
de la France d’Outre-Mer,membre titulaire
de l’Académie des sciencesd’Outre-Mer,
survenu le 24 mars 2020,dans sa quatre-vingt-huitième année.
Cet avis tient lieu de faire-part.
29, avenue Bosquet,75007 [email protected]
Paris.
Jeannine « Fabiola » Delbez,son épouse,
Denise Teyssèdreet sa famille,
Les familles Delbez, Dommergue,Mallet, Fox
Et ses amis,
ont la tristesse de faire part du décèsde
M.Maurice DELBEZ,réalisateur,
survenu à La Maison des Artistes,le 23 mars 2020,à l’âge de quatre-vingt-dix-sept ans.
En raison de la situation sanitaire, lacélébration aura lieu ultérieurement.
Paulette Madaule,son épouse,
Catherine, Isabelle, Jean-Baptiste,Stéphane,ses enfants,
Murielle, Sylvie,ses belles-filles,
Ses petits-enfantsEt ses arrière-petits-enfants,Toute sa familleEt ses amis,
ont la tristesse de faire part du décèsde
Pierre MADAULE(1927-2020),
chrétien,père de famille,
mais lecteur de l’œuvre de Blanchotdepuis les années 50,
resté captif du manqueà partir duquel cette œuvre
fut écrite,
survenu le 24 mars 2020,dans sa quatre-vingt-treizième année.
25, avenue Jules-Pelissier,81120 Réalmont.
Le directeur,Le personnelEt les chercheurs
du CEPREMAP, le Centre pour larecherche économique et sesapplications,
ont l’immense tristesse de faire partdu décès de
Pierre MALGRANGE,directeur émérite de recherche
au CNRS.
Pierre Malgrange a été l’undes pionniers de la modélisationmacroéconométrique en France.
Nous avons perdu avec Pierre unepersonne aux qualités humainesexceptionnelles.
CEPREMAP,48, boulevard Jourdan,75014 Paris.
Nous avons l’immense tristessede faire part du décès du
docteur Roger MOULLEC,médecin général des Armées,
officier de la Légion d’honneur,
survenu dans sa quatre-vingt-treizième année.
De la part de
Ses neveux, nièces,Ses filleules et filleul.
En raison des circonstancesactuelles, une cérémonie religieusesera célébrée ultérieurement enl’église Saint-Tugen de Primelin,dont il fut l’instigateur derénovations.
L’inhumation aura lieu le vendredi27 mars, à 10 h 30, au cimetièrede Primelin.
La famille remercie l’humanitéet la présence du personnel de lamaison de retraite de la baied’Audierne ainsi que toutes lespersonnes qui prendront part à leurpeine.
Ni fleurs ni couronnes.
PFG Services funéraires deDouarnenez.
Tél. : 02 98 92 10 45.
Françoise Schoen,sa femme,
Vincent, Antoine et Laure,ses enfants,
Hélène, Françoise, Pascal, Benoist,ses belles-filles et gendres,
Arthur, Cécile, Marguerite, Adrien,Manon, Jeanne, Louise, Jules etFlorent,ses petits-enfants
Et tous les proches qui l’ontaccompagné le long de sa vie,
ont la tristesse de faire part du décèsde
l’ingénieur généralde l’armementFrancis SCHOEN
(X-53, Supaéro),
survenu le 23 mars 2020.
Sa famille remercie le serviced’hématologie de l’hôpital de laConception pour l’humanitémanifestée au cours de ces derniersmois.
71, boulevard Notre-Dame,13006 Marseille.
Hommage
Hommage à
Michel GRISOLIA,écrivain et scénariste.
Depuis le 29 mars 2005, tu nepeux plus lire Le Monde des Livres.
On pense à toi.
Françoise Hamel.
Prix de thèse
Prix de thèse 2020du Défenseur des droits :appel à candidatures.
Le Défenseur des droitsdécerne annuellement un prixdestiné à distinguer des thèses
intéressant l’un de ses domainesde compétences : défense des droits
des usagers des services publics,défense et promotiondes droits de l’enfant,
lutte contre les discriminationset promotion de l’égalité,respect de la déontologie
des professionnelsde la sécurité, orientation
et protection des lanceurs d’alerte.
Ce prix, d’une valeur de 10 000 €,récompense des travaux menésdans une discipline juridique,
ou des sciences humaines, socialeset politiques (économie, géographie,histoire, sociologie, anthropologie…).
Les étudiantes et les étudiantsayant soutenu leur thèse entre
le 1er janvier 2019et le 31 décembre 2019
peuvent se procurer le formulairede candidature
et toutes les informationsnécessaires au dépôt sur le site :
https://www. defenseurdesdroits.fr/fr/le-prix-de-these-du-defenseur-
des-droits
Date limite de dépôtdes candidatures :
30 avril 2020, à minuit.
Défenseur des droitsDPEAD – Prix de thèse
3, place de Fontenoy, 75007 Paris.Contact :
Formation
Communication diverse
L’Inalcolance un DU d’ethnomédecine
en septembre 2020D’une durée de deux ans,
ce nouveau DU comprend 12 UEde langues
(initiation chinois ou hindi),de sciences humaines et sociales(droit de la santé, anthropologie
et géographie de la santé),d’ethnobotanique,
d’ethnopharmacologie,de médecine chinoise
et ayurvédique.Ce diplôme est ouvert
à tous les professionnels de santé,médecins, pharmaciens,
infirmiers, sages-femmes,kinésithérapeutes, ergothérapeutes,ainsi qu’aux autres professionnels
à partir du niveau L2-L3(sélection sur dossier).
INALCO,65, rue des Grands Moulins,
75013 Paris.Renseignements :
www.inalco.fr/formations/ecoles
La Fédération des Aveuglesde France
rend hommageà ses généreux bienfaiteurs.
En désignant notre associationcomme bénéficiairede leur patrimoine,
ils contribuent à améliorerla vie quotidienne
des personnes aveugleset malvoyantes.
Leur mémoire restera à jamaisancrée dans nos souvenirs.
Nous ne les oublierons jamais.
Fédération des Aveuglesde France,
6, rue Gager Gabillot,75015 Paris.
Tél. : 01 44 42 91 91.
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Les bénévoles de SOS Amitiéécoutent
par téléphone et/ou par internetceux qui souffrent de solitude,de mal-être et peuvent avoir
des pensées suicidaires.
Nous recherchons des écoutantsbénévoles
sur toute la France.L’écoute peut sauver des vies
et enrichir la vôtre !Choix des heures d’écoute,
formation assurée.
En IdF RDV surwww.sosamitieidf.asso.fr
En région RDV surwww.sos-amitie.com
Société éditrice du « Monde » SAPrésident du directoire, directeur de la publicationLouis DreyfusDirecteur du « Monde », directeur délégué de lapublication,membre du directoire Jérôme FenoglioDirecteur de la rédaction Luc BronnerDirectrice déléguée à l’organisation des rédactionsFrançoise TovoDirection adjointe de la rédactionGrégoire Allix, Philippe Broussard, EmmanuelleChevallereau, Alexis Delcambre, Benoît Hopquin,Marie-Pierre Lannelongue, Caroline Monnot,Cécile Prieur, Emmanuel Davidenkoff (Evénements)Directrice éditoriale Sylvie KauffmannRédaction en chef numériqueHélène BekmezianRédaction en chef quotidienMichel Guerrin, Christian Massol, Camille Seeuws,Franck Nouchi (Débats et Idées)Directeur délégué aux relations avec les lecteursGilles van KoteDirecteur du numérique Julien Laroche-JoubertChef d’édition Sabine LedouxDirectrice du design Mélina ZerbibDirection artistique du quotidien Sylvain PeiraniPhotographie Nicolas JimenezInfographie Delphine PapinDirectrice des ressources humaines du groupeEmilie ConteSecrétaire générale de la rédaction Christine LagetConseil de surveillance Jean-Louis Beffa, président,Sébastien Carganico, vice-président
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0123VENDREDI 27 MARS 2020 | 21
« Le Monde » fait évoluer ses relations avec ses lecteurs« le monde » veut approfondir ses rapports avec ses lecteurs. A la fonction de médiateur, créée en 1994 et qui fut occupée ces dernières années parFranck Nouchi – devenu récemment rédacteur en chef du service « Débats et idées » –, se substitue désormais un poste de directeur délégué aux relations avec les lecteurs confié à Gilles van Kote, qui anotamment dirigé notre journal de 2014 à 2015. Celuici sera chargé de plusieurs missions, dont la toute première restera, bien évidemment, de prendre connaissance des nombreux emails, lettres, messages ou réactions qui nous sont adressés chaque jour, sur papier ou par voie numérique.
Il a commencé à le faire depuis quelques joursdéjà, la crise du coronavirus ayant provoqué un afflux sans précédent de messages. Les milliers de contributions reçues ces derniers jours nous rappellent s’il en était besoin l’immense intérêt que les lecteurs du Monde manifestent pour le travail de la rédaction, mobilisée actuellement
comme jamais. C’est aussi pour cela que nous devons enrichir et fluidifier la relation entre lecteurset journalistes du Monde.
Gilles van Kote aura pour tâche de répondre à cescourriers individuellement ou à travers des textes qui seront publiés sur nos différents supports. Maisil pourra également transmettre remarques, questions ou reproches à la rédaction et veiller à ce que celleci prenne, davantage que par le passé, sa part de réponses. Chaque journaliste du Monde est eneffet comptable de la confiance que vous placez tous les jours dans nos productions éditoriales.
Cette relation repose sur notre fiabilité toutautant que sur notre honnêteté, notre humilité et notre transparence. En ces temps où l’information est si souvent falsifiée, nous vous devons d’éviter les erreurs, et plus encore de savoir reconnaître sans délai celles qui ont été commises. Dans ce domaine, la gamme des réponses possibles est large : cela peut aller du simple rectificatif – nous allons
faire en sorte qu’ils apparaissent plus clairementdans les versions numériques de nos articles – jusqu’à un éditorial du directeur.
Renforcer notre indépendance éditorialeCette démarche sera prolongée par divers textes, enpréparation au sein de la rédaction, pour mieux présenter ce que nous sommes, ainsi que nos principesde fonctionnement. Nous publierons ces articles dans les semaines qui viennent, en même temps que nous mettrons en place un espace spécifique ausein de notre site et de nos applications pour dialoguer plus fréquemment avec vous, mieux vous raconter notre travail, nos enquêtes et, parfois, nos interrogations. Dans la situation exceptionnelle que connaît le pays, c’est plus que jamais nécessaire.
Gilles van Kote sera aussi chargé d’approfondir lelien avec nos abonnés, chaque jour plus nombreux,notamment par la conception et l’organisation de rencontres avec la rédaction qui ne pourront que
renforcer la communauté des lecteurs du Monde. Des événements comme Le Monde Festival et le Festival international de journalisme, animé par lesjournalistes des titres du groupe Le Monde, y contribueront également.
Il alimentera aussi, aux côtés de la Société des lecteurs du Monde, la réflexion sur les meilleurs moyens d’associer toutes celles et ceux qui le souhaitent à la transformation de notre capital, dans laperspective de la mise en place d’une fondation souhaitée par la rédaction et les actionnaires du groupe. Vous avez été, en effet, très nombreux ces derniers mois à manifester votre volonté d’appuyer notre combat pour renforcer notre indépendance éditoriale, en allant audelà du soutien que vous nous apportez déjà par votre lecture ou votre abonnement. Soyezen ici remerciés.
jérôme fenoglio, directeur du « monde »
Pour nous joindre : courrierdes[email protected]
L’immeuble du Monde, dans le13e arrondissement parisien, estcomme hanté depuis le début duconfinement. Certes, quelquesrares salariés s’y rendent encore :personnel de sécurité, équipes
informatiques, membres de la hiérarchie de la rédaction… Une quinzaine de personnes par jour tout au plus. Dans les espaces de bureaux, des dizaines d’écrans d’ordinateurs sont pourtant allumés etcomme activés par une force invisible. Devant des fauteuils vides, des fenêtres s’ouvrent et se ferment sur les écrans, les curseurs se déplacent, des lettres, des mots, des phrases apparaissent.
José Bolufer, le directeur informatiquedu groupe Le Monde, entré au journalen 1988, n’oubliera jamais le sentiment qui l’a envahi quand il a traversé ces bureaux déserts et qu’il a senti la rédaction malgré tout – et plus que jamais – au travail. « En pointe, nous avons atteint jusqu’à530 connexions simultanées à distance », notetil. Ces connexions dites « VPN » (pour « réseau virtuel privé »), qui permettent de prendre à distance le contrôle de son propre ordinateur de bureau.
LE 17 MARS, LES LOCAUX SE VIDENTEntre le jeudi 12 mars, date à laquelle LouisDreyfus, président du directoire du Monde, et Jérôme Fenoglio, directeur du journal, ont adressé un message enjoignant à « tous les collaborateurs dont la présence physique dans les locaux n’est pas indispensable pour la publication numérique et papier ainsi que pour le fonctionnement des services non rédactionnels » de rejoindre leur domicile et de se mettre en télétravail, et le mardi 17, jour du début du confinement, les locaux du Monde et de l’ensemble des titres du groupe se sont presque entièrement vidés. « Le dimanche 15 mars, pour le premier tour des élections municipales, nous sommes venus à la rédaction, raconte Elvire Camus, rédactrice en chef adjointe du site Internet. Vers 17 heures, vu comment les choses tournaient, on s’est dit qu’il fallait changer notrefusil d’épaule et on a demandé à une partie de l’équipe qui devait assurer la soirée électorale de le faire depuis chez elle. » Comme
par miracle, le quotidien a continué à être publié, imprimé et distribué et le site Lemonde.fr à fonctionner en continu, sans que les lecteurs réalisent qu’ils sont désormais fabriqués par des journalistes depuis leur domicile. Même si les médias font partie des secteurs autorisés à poursuivre leur activité, la rédaction du Mondeest – comme la majorité des Français – confinée chez elle. « C’était un saut dans l’inconnu : traiter de l’actualité probablement la plus forte depuis la fin de la seconde guerre mondiale tout en mettant 500 journalistes en télétravail en moins de quarantehuit heures, estime Luc Bronner, le directeur de la rédaction du Monde, l’undes rares à aller encore régulièrement au journal. Et on n’a connu aucun accident majeur. Chapeau à l’informatique. »
Le 26 février, José Bolufer est de retourd’un court séjour en Espagne et inquiet dece qu’il y a entendu sur l’arrivée imminente de la crise du coronavirus. Deux jours plus tard, la direction du groupe fait le point sur les capacités à mettre en place le télétravail : le groupe ne dispose alors que de 200 licences VPN. La semaine suivante, elle est doublée, avec la possibilité d’utiliser des licences supplémentaires encas de dépassement, sachant que le groupe Le Monde compte environ 1 450 collaborateurs, mais que certains peuventtravailler à distance sans accès VPN.
Tout est donc prêt pour que le télétravailse mette en place à une échelle sans précédent. Sauf que les collaborateurs ne possèdent pas toujours le matériel nécessaire à leur domicile. Certains partent donc avec leur ordinateur de bureau. Celles et ceux qui travaillent sur la maquette, le graphisme ou la vidéo emportent les postes et les écrans spéciaux nécessaires pour utiliser les logiciels dont ils ont besoin.
Chacun, chez soi, se bricole un espace detravail. Une rédactrice réquisitionne les pupitres de ses deux jeunes fils pour sefaire un bureau dans son salon. Une éditrice tire des câbles et monte une tente pour pouvoir travailler du seul endroit deson jardin où elle trouve de la 4G. Une jeune journaliste, confinée chez ses parents, retrouve sa chambre d’adolescente,où ses peluches et ses vieux posters sem
blaient l’attendre, et s’installe au bureau où, il y a quelques années encore, elle rédigeait ses dissertations. « Le contraste estsaisissant entre ce cocon que j’ai retrouvé et le côté anxiogène des informations que j’y suis amenée à traiter », notetelle.
En quelques heures, une nouvelle organisation et de nouveaux outils se mettenten place. La conférence de rédaction de midi, qui réunit traditionnellement une trentaine de représentants des services dela rédaction, se tient désormais via l’application de visioconférence Google Hangouts Meet. N’y participent physiquement qu’environ cinq personnes, qui se tiennent à distance réglementaire les unes des autres. Les autres sont connectées depuis chez elles. Ce qui favorise quelques moments de respiration et de rire collectif : l’apparition impromptue d’un enfant ou d’un chat à l’écran, un échange un peu vif avec un conjoint alors que le micro est resté ouvert… Chacun apprend àse discipliner et à n’activer son micro qu’au moment de prendre la parole.
Du côté du site Internet, c’est la messagerie Slack qui est devenue l’outil numéro un de communication, « une salle de réunion virtuelle », selon les mots d’AlexandrePouchard, rédacteur en chef adjoint du site Internet. Les boucles de mails se multiplient aussi, jusqu’à devenir parfois ingérables : l’adresse [email protected],créée pour partager des idées de sujets, s’est retrouvée rapidement noyée sous lesmessages en tout genre et a finalement été abandonnée. « Les premiers jours, il y a eu beaucoup d’initiatives désordonnées, reconnaît Simon Roger, chef du service « planète ». Il a fallu se coordonner entre services. » « On a eu du mal à se repérer, àcomprendre qui faisait quoi, confirme la rédactrice Chloé Hecketsweiler, qui – avec ses confrères François Béguin et Paul Benkimoun – est au cœur depuis un mois déjàde la “cellule Covid19”. On passait la journée à s’organiser et on se retrouvait à 20 h 30 avec nos interlocuteurs à appeler et notre article à rédiger dans la nuit. »
Deux équipes spéciales de journalistesvenus de tous les services de la rédaction ont été constituées : l’une pour suivre au jour le jour la bataille des blouses blanches, l’autre pour raconter la vie confinée des Français. « Cette organisation requiert une énergie collective énorme, notamment au niveau de la coordination, remarque Luc Bronner. En même temps, tout devient plus simple, des circuits courts se mettent en place, les arbitrages à rendre sont infiniment plus fluides que d’habitude… et heureusement ! »
La table de bouclage du quotidien « papier », qui accueille normalement jusqu’à 10 h 30 une dizaine de journalistes de la direction de la rédaction, de l’édition, de la correction, de la direction artistique, de l’iconographie et de la photogravure, a étéréduite à trois personnes. Les autres intervenants travaillent à distance mais communiquent en direct par l’application
audio Hangouts. « Ça ne change pas tant que ça, estime Sabine Ledoux, chef d’édition du Monde. Devant son ordinateur et avec la connexion audio, c’est comme si on était à côté les uns des autres. »
Sur le site, les équipes ont été renforcées pour assurer les « lives » quasi permanents, un exercice particulièrementénergivore mais plébiscité par les internautes : on a recensé jusqu’à 12 300 questions, témoignages ou messages de lecteurs par jour. Evidemment, seule une petite partie d’entre eux peuvent être publiés et traités par les deux journalistes setrouvant devant leur écran, ce qui peut occasionner une certaine frustration.
BEAUCOUP D’ADRÉNALINE« Le “live” crée un lien très particulier avecles lecteurs, explique la journaliste CamilleBordenet. La semaine dernière, quand j’étais de “live” en soirée, j’avais l’impression d’être comme sur une radio le soir, avec une communauté d’auditeurs autour de moi. On reçoit beaucoup d’encouragements, et ça fait du bien. Mais c’est aussi beaucoup d’adrénaline et de concentration. » « Les gens nous posent des questionssur notre organisation interne, veulent savoir depuis où on travaille », remarque Marie Slavicek, l’une des trois journalistesqui gèrent les comptes Facebook et Twitter du Monde. Le bureau de Los Angeles, qui prend les commandes du site tous les jours de 23 heures à 7 heures du matin, a décidé de confiner chez eux sa quinzainede collaborateurs, bien que les règles soient moins strictes en Californie.
L’équipe des Décodeurs s’est retrouvéeen première ligne face aux nombreuses fausses informations qui circulent. Et le constat n’est pas aussi affligeant que ce que l’on pouvait craindre : « Je trouve qu’ily a une prise de conscience, note Adrien Sénécat, journaliste spécialisé dans le factchecking. Sur un sujet aussi grave, lesgens réalisent qu’on ne peut pas partager n’importe quoi n’importe comment. Même si on retrouve toujours ceux qui sedisent : dans le doute, je partage… »
Du côté de la fabrication et de la distribution du quotidien papier, les équipes se sont mises également au télétravail… à l’exception d’une personne par jour, qui se rend sur le site de l’imprimerie située au TremblayenFrance (SeineSaintDenis) pour remettre les listes des journaux à
envoyer aux abonnés et aux dépositaires de presse. Chez les deux soustraitants où Le Monde est imprimé (au Tremblay et à Montpellier), l’organisation du travail a été aménagée pour que les équipes se croisent le moins possible.
« Nous avons une réunion téléphoniquequotidienne pour réajuster les quantités dejournaux, raconte Hervé Bonnaud, le chef du service production et diffusion du groupe Le Monde. Un quart des points devente sont fermés en France, mais ceux qui restent ouverts vendent beaucoup de journaux et il faut augmenter les quantités habituelles. De même, à cause de l’exode donton a beaucoup parlé, la demande de journaux est plus forte que d’habitude chez certains dépositaires en régions. »
Des instructions claires ont été donnéesaux journalistes du Monde : pas question de sortir et d’aller en reportage, sauf nécessité absolue et autorisation de la direction de la rédaction. « Et ce pour deux raisons : la santé des salariés, et le risque de contribuer à la propagation du virus », explique Luc Bronner. Même chose pour les photographes que le journal fait travailler.« On fait service minimum, affirme NicolasJimenez, le chef du service photo. Chaque reportage est validé par la direction de la rédaction, et on s’assure que le photographe est encadré et prend les mêmes précautions que les gens qu’il accompagne. »
Une situation inhabituelle et paradoxale pour des journalistes habitués à aller sur le terrain. « On n’a jamais été autant à distance de notre sujet, constate Chloé Hecketsweiler. C’est un risque journalistique, car il devient très difficile d’interroger le discours officiel et de savoir cequi se passe. C’est la première fois qu’on ne peut compter que sur le regard d’autrespersonnes pour évaluer la situation et nourrir nos articles. Pour compenser, il faut multiplier les sources. »
Certains profitent même du confinement pour innover : JeanGuillaume Santi a improvisé un studio audio dans sachambre et s’apprête à lancer une série depodcasts consacrée à la pandémie. Six jours ont suffi entre le lancement du projet et la mise en ligne du premier épisode, réalisé avec Hervé Morin, le responsable du supplément « Science & médecine ». La question est maintenant de gérer l’organisation sur la durée et d’économiser des collaborateurs mobilisés sur l’actualité et qu’il est parfois difficile de convaincre de prendre du repos. « Il y aura un moment très compliqué, ce sera l’immédiat aprèsconfinement, anticipe Luc Bronner.La rédaction sera épuisée et il y aura uneactualité considérable à traiter, notamment sur le plan économique. »
Le mot d’ordre a été rabâché à la rédaction : chacun doit s’imposer des temps dedéconnexion et de repos. Car l’onde dechoc provoquée par la pandémie se poursuivra bien audelà de la période de confinement.
gilles van kote
DEUX ÉQUIPES SPÉCIALES ONT ÉTÉ CONSTITUÉES :
L’UNE SUIT AU JOUR LE JOUR LA BATAILLE
DES BLOUSES BLANCHES, L’AUTRE RACONTE LA VIE CONFINÉE DES FRANÇAIS
« Le Monde » au tempsdu coronavirus
Depuis une semaine, les collaborateurs du « Monde » travaillent quasiment tous de leur domicile. Une situation inédite, mais qui n’a pas empêché le journal de paraître et le site de connaître un afflux de connexions sans précédent.
« TRAITER DE L’ACTUALITÉ PROBABLEMENT LA PLUS FORTE DEPUIS 1945 TOUT
EN METTANT 500 JOURNALISTES EN
TÉLÉTRAVAIL EN MOINS DE 48 HEURES, C’ÉTAIT UN
SAUT DANS LE VIDE »LUC BRONNER
directeur de la rédaction
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22 | IDÉES VENDREDI 27 MARS 20200123
Gilles Dufrénot et Fredj Jawadi La solidarité à l’échelle internationale sera indispensable aux pays pauvresPour l’économiste et le professeur de finance, les pays les plus pauvres, traversés par la crise que provoque le Covid19, auront besoin non seulement d’aide en matière de santé publique, mais aussi de soutien financier et économique
La pandémie de Covid19 etles mesures de confinement adoptées par ungrand nombre de pays sou
lèvent déjà des inquiétudes quantaux effets négatifs attendus surles économies, aux crises financières possibles et au ralentissement de la mondialisation. Il s’agit là d’inquiétudes – légitimes – de pays riches. Car ce que metégalement à nu cette crise sanitaire, c’est le terrible dilemme auquel seront bientôt confrontés les pays pauvres de la planète.
Pour ceux qui les ont adoptées,les mesures de confinement total seront nécessairement de trèscourte durée, donc inefficaces.En effet, hors crise, une écrasantemajorité des populations vit déjàdes situations économiques difficiles. Environ 1,3 milliard depersonnes dans le monde sontpauvres, selon un rapport du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD).
Parmi elles, 50 % habitent l’Asiedu Sud, et 30 % l’Afrique. Dans ces pays, les taux de chômage desjeunes sont à des niveaux record,les secteurs de l’industrie et de latransformation n’ont pas les mêmes performances que ceux despays industrialisés, les produc
tions agricoles sont régulièrement durement touchées àcause de chocs climatiques (invasions acridiennes, sécheresses etinondations).
Choc sanitairePlusieurs centaines de millionsde personnes sont sousalimentées dans ces pays, y compris en Amérique centrale et latine. Labaisse actuelle des prix du pétrole ajoute au choc sanitaire unchoc économique pour les pays exportateurs d’hydrocarbures et de gaz. Enfin, le ralentissementde la demande dans les pays industrialisés pénalisera les économies déjà très dépendantes del’extérieur pour leur tourisme ou leurs exportations.
Alors qu’une polémique naîtdéjà en Europe sur la stratégie optimale à adopter (fautil restreindre la circulation des populationset jusqu’à quel point ?), les pays pauvres d’Amérique latine, d’Afrique et d’Asie n’auront vraisemblablement pas ce choix. Car lesconditions économiques, déjà difficiles hors crise, placent lesgouvernements face à un dilemme.
D’un côté, le choix du confinement pour ralentir la propaga
tion du virus, et la mise à l’arrêtau moins partielle des activitéséconomiques, en aggravant une situation déjà difficile en temps normal. Le sacrifice à accepterpour sauver des vies serait une aggravation de la pauvreté.
De l’autre, la limitation des effetsnégatifs sur leurs économies du ralentissement de la conjoncture mondiale, en pariant sur une immunité naturelle des populations au contact du virus. Le sacrifice serait alors d’accepter un nombre demorts peutêtre très élevé.
Cette situation illustre le terrible dilemme auquel sont confrontés les gouvernements des pays en développement. Les étu
des épidémiologiques manquentencore pour connaître le degré d’immunité au virus, compte tenu de la diversité génétique auniveau des populations. Et nousmanquons de données en tempsréel pour évaluer, aujourd’hui, jusqu’à quel point les économies souffriront du ralentissement actuel de la conjoncture mondiale.
Les mesures de restriction prises par les pays et zones qui tirent habituellement la croissance mondiale (la Chine, lesEtatsUnis et l’Europe) vont affecter les économies des paysd’Asie, d’Amérique centrale et latine, et d’Afrique. Cruelle perspective, alors que les articles de presse se succèdent pour alarmer sur la difficile résilience dessystèmes sanitaires de ces pays au choc actuel.
Il est possible qu’une fois la crisepassée la réouverture des frontières dans les pays du Nord se fasse de façon parcimonieuse visàvis des populations du Sud, qui seront alors en pleine pandémie. Des milliers de morts, au sein de pays fragiles sur le plan économique mais dynamiques sur le plan démographique, entraîneraient une situation explosive et insoutenable pour le reste du monde.
Dans leur malheur, les payspauvres auront peutêtre une lueur d’espoir : que la collaboration active entre chercheurs de laplanète pour trouver des remèdes n’entraîne pas, une fois quel’on aura passé le pic de l’épidémie en Europe et aux EtatsUnis,un retour des réflexes du chacunpour soi. Cette situation n’estmalheureusement pas à exclure dans le contexte actuel de courseà l’hégémonie à laquelle se livrent les grandes puissances dece monde.
Entre la faim et la mortAlors que l’urgence sanitaire occupe le devant de la scène, les armes s’affûtent déjà à bas bruit. Car les nouveaux traitements antirétroviraux qui seront découverts représenteront une mannefinancière pour quiconque disposera d’une exclusivité commerciale au titre du droit de propriété et de la récompense del’innovation.
La crise a aussi une dimensiongéopolitique forte. Alors que lespays européens et les EtatsUnis sont, pour le moment, occupés àendiguer l’épidémie à l’intérieurde leurs propres frontières, laChine et la Russie affichent elles
aussi leur savoirfaire et leurs connaissances sur les pandémiesliées aux maladies virales.
Si l’on ne veut pas laisser lespays pauvres choisir entre lafaim et la mort, la solidarité àl’échelle internationale sera indispensable, audelà du seul domaine sanitaire. Sans doute desmécanismes internationaux serontils nécessaires pour permettre que des populations dontles revenus sont très faiblesaient accès à tous les traitementsdisponibles.
Sans doute, plus de flexibilitésera, là aussi, essentiel, lorsque,criblés de nouvelles dettes qu’ilsauront contractées pour soutenir leurs économies, les gouvernements des pays pauvres demanderont l’aide des pays industrialisés et de la Chine pouren annuler et rééchelonner une partie.
Gilles Dufrénot est profes-seur de sciences économiques à l’université d’Aix-MarseilleFredj Jawadi est professeur de finance à l’université de Lille
François Dubet Le confinementdû au coronavirus accroît la violence
des « petites inégalités »Le sociologue redoute, dans cette périodede pandémie, la montée d’un sentiment
d’injustice au sein d’une partie de la population, tant tous ne vivent pas la situation dans
les mêmes conditions. La recherche de boucs émissaires pourrait devenir tentante
Avant la pandémie, les économistes, et plus largement les sciencessociales, dénonçaient d’abord etsurtout les très grandes inégali
tés sociales : les 2 %, les 1 %, voire les 0,1 %ou les 0,01 %, contre tous les autres.Ils avaient raison de le faire tant ces inégalités gigantesques sont moralement scandaleuses et socialement désastreuses. Mais cette vision opposant les ultrariches et les ultrapuissants àun vaste ensemble « moyen » devenu vaguement homogène, à l’exception d’une minorité de pauvres et d’exclus, n’est pastoujours pertinente.
En effet, les inégalités qui comptentpour les individus et les citoyens sont les « petites inégalités », celles qui nous touchent tous les jours, celles qui nousdistinguent de ceux dont nous sommes pourtant relativement proches : l’autre quartier, l’autre profession, l’autre statut,l’autre lycée…
Ces inégalitéslà ont de lourdes conséquences politiques quand tous ceux qui se perçoivent comme les victimesdes petites inégalités territoriales, éduca
tives, professionnelles… ne se sententplus représentés et rejettent les élites, la « caste », et les plus pauvres qu’euxmêmes. Les « gilets jaunes » ne sont pas si loin de nous et ils se sont moins battus contre les patrons et les superriches qu’ils n’ont dénoncé le méprisdes privilégiés.
Tous égauxA priori, la pandémie et le confinement nous rendent tous égaux puisque le virus est relativement démocratique en ne choisissant pas ses cibles. Il est aussi démocratique parce que la protection detous dépend de la protection et de la responsabilité de chacun. Il est enfin démocratique parce qu’on découvre ce que nous n’aurions pas dû oublier : les institutions et l’Etat sont indispensables àla vie collective.
On redécouvre ce que le sociologueEmile Durkheim (18581917) appelait la« solidarité organique » : le travail de chacun contribue à la vie collective. Gageonsqu’une fois sortis du confinement nousregarderons d’une autre manière les per
sonnels soignants, les enseignants, les agriculteurs, les routiers, les artisans, les ouvriers, les employés municipaux etbien d’autres encore. Nous savons que les Etatsprovidence sont sortis renforcés des épreuves terribles des guerres mondiales, que les politiques ont repris la main sur les économies et que l’égalitésociale y a gagné.
Cette conséquence égalitaire et démocratique de la pandémie forge le scénariooptimiste. Plus rien ne sera commeavant ! Nous comprendrons que noussommes dans la nature et pas seulementface à elle, nous comprendrons que la mondialisation doit être régulée et solidaire, nous défendrons des services publics efficaces, et notre « hubris » consumériste sera refroidie par notre confrontation à des enjeux vitaux. Les dirigeantsseront tenus d’être plus modestes et plusresponsables. Il suffit de regarder autour de soi pour voir que cette tendance existe, en tout cas au moment où nous sommes : les citoyens se conduisentplutôt bien, l’arrogance, la démagogie, les invectives politiques se sont, pour le moment, un peu calmées.
Défiance Mais un scénario beaucoup moins optimiste peut être envisagé car le confinement, la rareté et l’angoisse exacerbent les « petites inégalités » et les tensions quien découlent. Vu d’un appartement situé au 10e étage d’un immeuble de banlieuedont l’ascenseur est inutilisable, le confi
nement d’une famille dans une maison de vacances proche de la plage est insupportable s’il s’étale, comme les photos de vacances, sur les réseaux sociaux.
Pourquoi, quand je fais mes courses,certains ont des masques et d’autres n’en ont pas ? Pourquoi certains trouventdu gel et d’autres pas ? Pourquoi certains peuvent aider leurs enfants à faire leursdevoirs alors que je suis débordé ? Pourquoi certains sont confinés avec un jardin alors que d’autres sont prisonniers dans un petit appartement ? Pourquoi certains peuvent travailler et pas moi ? Pourquoi suisje obligé de travaillerquand d’autres en sont dispensés ? La crise exacerbe les comparaisons, les « jalousies » et les ressentiments à propos de
petites inégalités qui cessent d’être insignifiantes et sont mêmes perçues comme vitales.
Il va de soi que ces colères se greffentsur une angoisse profonde et une défiance exacerbée puisque nous ne connaissons pas vraiment l’évolution de l’épidémie, ni celle de l’efficacité des mesures prises. Dès lors, tout est possible et chacun devient, à lui tout seul, le gouvernement et la science, le président et le meilleur épidémiologiste. Personne n’y échappe, les intellectuels non plus, car,depuis que les pandémies ne sont plus un châtiment divin, il faut bien leur trouver des causes et, quand il n’y a pas de causes établies, il ne reste que les complots, les incompétences politiques, lesboucs émissaires et les « y a qu’à ».
Plus le temps passera, plus le scénariopessimiste a des chances de s’imposer ; pas seulement parce que le confinement sera de plus en plus pénible à supporter, mais aussi parce que la perception desinégalités sera exacerbée. Il nous fautdonc être d’autant plus sensibles à ces inégalités que l’état émotionnel et moral dans lequel nous sortirons de cette période conditionnera autant l’avenir quenotre capacité scientifique et politique de surmonter les épreuves.
François Dubet est sociologue
LA CRISE EXACERBE LES COMPARAISONS, LES « JALOUSIES » ET LES RESSENTIMENTS À PROPOS DE PETITES INÉGALITÉS QUI CESSENT D’ÊTRE INSIGNIFIANTES
LE SACRIFICEÀ ACCEPTERPOUR SAUVERDES VIES SERAIT UNE AGGRAVATION DE LA PAUVRETÉ
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0123VENDREDI 27 MARS 2020 idées | 23
Fabien Calvo et Jessica Zucman-Rossi Assumer les erreurs qui ont vidé de sens le principe de précaution
Les deux professeurs de médecine regrettent la minimisation du danger du Covid19 pendant trop longtemps par le politique, qui a négligé les leçons des expériences chinoise, taïwanaise et sudcoréenne
La pandémie de Covid19 doitnous faire réfléchir sur les actions en cours comme à veniret nous inciter à avoir un regard
critique sur notre façon de communiquer. Mais elle devrait surtout nousamener à questionner le rôle dessciences dans la prise de décision politique. Le raisonnement scientifique est fondé sur l’observation des faits, la proposition d’hypothèses puis leur validation. Les chercheurs n’étant pasdétenteurs de la vérité, ils se donnentles moyens, à travers une démarche codifiée, de s’en approcher. Les observations puis les résultats d’expériences sont analysés et interprétés au regard des expérimentations antérieures et sont légitimement critiqués parl’ensemble de la communauté scientifique. La communication vers le public doit ensuite être totale.
La pandémie actuelle a débuté enChine. Wuhan et la province du Hubeiont été particulièrement touchées. La preuve de l’infection par un nouveau virus, le SARSCoV2, de la famille des coronavirus, a été rapidement établie par des équipes de chercheurs chinois. La décision d’unconfinement strict a, certes, été très dure pour la population, mais elle apermis d’enrayer efficacement l’épidémie et d’empêcher sa diffusion dans les autres provinces.
Ce succès a été possible en particulier par l’action de plus 70 000 médecins venus de toutes les villes de Chinevers le Hubei et la construction d’hôpitaux en urgence pour isoler les patients infectés. Cette politique efficace a conduit à l’arrêt économique du pays. L’industrie s’est mobilisée pour la lutte contre la maladie : constructions ciblées, équipements de protection, développement de tests et d’automates pour aider au diagnostic.
En France, en revanche, l’interprétation de ces faits objectifs, à la fois par
les politiques, les médecins et les scientifiques, a conduit le plus souvent à minimiser la gravité de la maladie. L’hypothèse d’une pandémie a étéquasi systématiquement écartée, notamment en raison du fait que les précédentes émergences de virus n’avaient pas atteint les frontières du monde occidental. A cela s’ajoutait le souvenir du plan de prévention contre le virus H1N1, en 2009, pour uncoût de 1 milliard d’euros, qui s’était révélé inutile une fois le danger écarté.
Communication politiqueD’autres pays asiatiques très touchés, comme la Corée du Sud, ont profité deleurs expériences antérieures, en particulier celle du SRAS, en 2003, et du MERSCov, en 2015, pour préparer des stocks de matériels et d’outils de diagnostic développés rapidement. Le pouvoir politique y a joué un rôle moteur pour décider d’un criblage de la population afin d’identifier précoce
ment les patients infectés, leurs contacts, et les isoler. Cette stratégie a bénéficié de l’appui d’une communauté scientifique et médicale bien équipée et très réactive. Le nombre de nouveaucas semble maîtrisé, malgré l’émergence de nouveaux foyers d’infection.
L’Europe du Sud, première régiontouchée en Occident, avec l’Italie, l’Espagne et la France, s’est caractérisée par une appréciation communedu problème : on sait, on comprend, on demande l’avis des scientifiqueset on retarde autant que possible la prise de décisions contraignantes, en omettant de communiquer sérieusement sur les enjeux, l’évolution attendue, le tribut à payer. L’économie prime sur la précaution. Les leçons des actions menées en Asie ne sont pas utilisées, alors qu’elles ont été scrutées à la loupe.
Et, surtout, nous manquons d’anticipation à chaque étape de l’expansion de la maladie. Alors que le principe de précaution existe dans la Constitution, en France, nous sommes en retard pour commander des masques, obtenir des kits de diagnostic et des automates, pour déployer des laboratoires sur un plus grandnombre de sites, avec des équipements ad hoc afin de réaliser destests à haut débit, et enfin pour mettre en œuvre la distanciation sociale.
La communication reste avant toutpolitique, et non scientifique : on observe des rassemblements de personnes non protégées dans l’espace
public, en particulier dans les quartiers aux populations les plus fragiles et les plus exposées, on réaffirme que les masques pour le grand public neservent à rien et que le dépistage ne sert plus. Pourquoi ne pas assumer leserreurs passées qui ont vidé de sens leprincipe de précaution ? Le gouvernement s’appuie sur le conseil scientifique mis en place le 11 mars (!) pour répondre à des questions de politique ou d’économie, sur la tenue des élections municipales, deux jours plus tard, et, trois jours plus tard, pour décider du confinement et de sa durée.
Répondre du retard des décisionsSi les médecins et chercheurs ne sont pas toujours d’accord entre eux, ils en débattent publiquement et au travers d’études publiées dans des revues. Le politique doit s’en inspirer, éviter de s’abriter derrière la science lorsqu’il estpris en défaut et cesser de considérer que la recherche est un exercice narcissique pour les médecins et chercheurs en dehors des urgences sanitaires.
Freiner l’épidémie de Covid19 implique d’amplifier ces trois mesures :tests diagnostiques, essais et confinement. Pourquoi ne pas activer les réseaux de biologie moléculairehospitaliers, les platesformes degénétique moléculaire, déjà en placepour le cancer et les maladies rares, et les laboratoires privés, afin d’aideret compléter l’action, forcément limitée, des virologues et mener undiagnostic plus massif ?
Pourquoi ne pas chercher à l’étranger, en Chine, en Corée ou ailleurs, les tests et réactifs nécessaires pour identifier le nombre de cas et mieux éviterla dissémination comme en Corée ? Les tests diagnostiques à haut débit permettent de mieux comprendre la dissémination de l’épidémie et d’améliorer son contrôle (ce qui sera également précieux après la levée du confi
nement). Ils aideront surtout à isoler les cas sans gravité dans des structures adaptées en soulageant les hôpitaux.
L’Allemagne, qui possède plus de litsde réanimation par habitant que la France, a déjà mobilisé des hôtels etd’autres structures d’accueil pour soulager les hôpitaux ; en Italie, un édilelocal de Vénétie combine quarantaine et tests obligatoires. Enfin, les essaisthérapeutiques déjà réalisés à l’étranger ou commencés à Marseille, relayéspar les CHU de France et l’Inserm, doivent servir à élaborer des traitements innovants et les valider avecune méthodologie correcte.
Au stade actuel de l’extension de lapandémie en France, le confinement doit désormais prendre en compte le modèle chinois, qui a fait ses preuves. Un aspect essentiel de celuici consiste également à isoler les cas bénins deleur entourage afin d’éviter de contaminer tout l’entourage familial.
Le politique a une double responsabilité. Il devra répondre du retard des décisions prises en regard des informations scientifiques. Mais aussi de l’investissement insuffisant des quinze dernières années dans les hôpitaux etla recherche médicale et scientifique. Les annonces budgétaires sont très en deçà des besoins réels de la recherche et des soins en France.
Fabien Calvo est professeur émérite à la faculté de médecine de l’université de Paris et ancien directeur scientifique de l’Institut national du cancerJessica Zucman-Rossi est professeure à la facultéde médecine de l’université de Paris et directrice du centre de recherche des Cordeliers, à Paris
NOUS MANQUONS D’ANTICIPATION À CHAQUE ÉTAPE DE L’EXPANSION DE LA MALADIE
Nicolas Henckes La faillite de notre démocratie sanitaireLe sociologue constate que les différentes instances censées débattre des enjeux de santé sont inaudibles depuis le début de la pandémie, l’espace étant occupé par un haut commandement placé sous l’autorité directe du président
Le coronavirus a fait une victime collatérale : la démocratie sanitaire.Depuis une trentaine d’années, nousavions commencé à prendre l’ha
bitude de délibérer collectivement des enjeux de santé. Décisions thérapeutiques,stratégies de prévention et de promotionde la santé, politiques publiques territoriales et stratégie nationale de santé, recherche : sur tous ces enjeux, il était devenuimpensable de se fier seulement à l’avis ducorps médical et de se passer de l’expertisedes personnes concernées ellesmêmesmais aussi de celle d’une variété d’acteurs, chercheurs, notamment en sciences humaines et sociales, politiques ou autres corps professionnels. Leur recrutementdans différentes instances de gouverne
ment de la santé était l’aspect le plus visible de cette révolution, depuis les conseils d’administration des établissements jusqu’aux comités d’experts et conseils consultatifs des agences et ministères. Mais, plus largement, c’est notre relation à la médecine dans son ensemble qui subissait une profonde transformation.
C’est ce mouvement qui a été d’un coupcourtcircuité depuis une dizaine dejours. Toutes nos instances de délibération et d’expertise sur la santé publique sesont tues ou presque. On n’a pas entendule Haut Conseil de la santé publique surl’organisation, l’extension et les limitesdu confinement. Les instances consultatives locales n’ont rien eu à dire sur sa miseen œuvre sur les territoires. L’ensembledu dispositif d’éducation à la santé, péniblement construit depuis une cinquantaine d’années, a été courtcircuité dans l’élaboration et l’application des messages. C’est à une véritable faillite de notre démocratie sanitaire que l’on a assisté enquelques heures.
A la place, les décisions ont été concentrées dans un haut commandement placé sous l’autorité directe de la présidence. L’expertise a été réorganisée au sein d’un comité ad hoc de vingt personnalités issues des mondes de la médecine et de la recherche, et constitué en quelques heures. Et l’on en est à compter sur les forcesde l’ordre pour faire respecter des mesures d’hygiène qu’on nous présente pourtantcomme évidentes et élémentaires.
On dira que l’on fait face à une criseexceptionnelle et qu’il fallait se donner les moyens d’agir en urgence. Mais, outre que l’épidémie était non seulement prévisible, mais prévue – d’ailleurs, où sont nos plans
de gestion des épidémies aujourd’hui ? –, il est clair maintenant que nous aurons àgérer dans la durée la présence du coronavirus dans la population. Et, du même coup, que le nombre de questions que soulèvera l’épidémie ne cessera de s’élargir : enjeux juridiques, politiques et éthiques dela gestion du confinement et du dépistage ;conséquences sociales et économiques del’arrêt de secteurs entiers de la société ;mais aussi, de façon beaucoup plus immédiate et comme nous le montre déjà la criseà laquelle font face les hôpitaux psychiatriques, les Ehpad ou le secteur de la précarité,conséquences sanitaires pour l’ensemble de la population du triage et de la priorisation imposés aux services de santé par l’afflux des malades du coronavirus.
Défilé des expertsPour l’instant, on voit bien que, tout en se disant guidés exclusivement par lascience, nos gouvernants gèrent la situation à vue, en fonction des remontées des hôpitaux, des stocks de matériel disponibles, d’intérêts économiques et sociaux plus ou moins avoués, et d’émotions plusou moins avouables. L’image forte du début du confinement aura été de voir leprésident de la République tancer son peuple pour son inconduite face à une règlequ’il n’avait luimême énoncée qu’à moitié. L’autoritarisme traduit aussi les limitesd’un modèle de décision.
Face à l’ampleur des enjeux, il faudraitcommencer par interroger la nature et les fondements de l’expertise dont nousavons besoin. Quels sont les savoirs pertinents pour décider de la poursuite, de l’étendue et de la nature de la stratégie dedépistage et de confinement ? Sur quels
indicateurs asseoir les analyses ? Comment construire des décisions qui impliquent les populations qu’elles concernent ? Comment, surtout, faire avec les incertitudes massives auxquelles nous faisons face ? Si nous avons besoin de modèles scientifiques et de stratégies pourguider la décision, nous avons aussi besoind’en comprendre les limites. Et nous avonsbesoin de mettre sur la table les incohérences des données qui nous parviennent de toutes parts et qui montrent bien que laprogression de l’épidémie ne s’explique pas par des variables simples. A cet égard,le défilé des experts dans la presse, faisant,avec une conviction inébranlable, la promotion des modèles les plus contradictoires, a quelque chose d’indécent.
Dans ces conditions, il faut mettre en discussion l’expertise dans des cercles plus larges qu’un comité restreint constitué en urgence. C’est un véritable parlement du coronavirus qu’il faut instituer. Mieuxencore, c’est à reconstituer et à approfondir les institutions de la démocratie sanitaire qu’il faut travailler. C’est d’autant plus urgent que les décisions les plus difficiles sont probablement devant nous, lorsqu’il faudra lever le confinement. Autant que le succès de la lutte contre le virus, c’est le maintien de notre vie démocratique qui est en jeu.
Nicolas Henckes est chargé de recherche au CNRS (Centre de recherche médecine, sciences, santé, santé mentale et société)
C’EST UN VÉRITABLE PARLEMENT DU CORONAVIRUS QU’IL FAUT INSTITUER
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24 |0123 VENDREDI 27 MARS 20200123
L a lutte contre le Covid19reflète la carte géopolitique de l’heure. La Chinene cesse de monter en
force ; les EtatsUnis se replientsur euxmêmes. Entre les deuxpremières puissances du monde,déjà en pleine bataille économique, le nouveau coronavirus est un sujet de conflit supplémentaire, pas de coopération. Leur rivalité étouffe ce qui reste de« communauté internationale » ou de multilatéralisme. Le Covid19 s’en porte mieux.
Dans cette affaire, les uns et lesautres ont perdu beaucoup de temps. Le Chinois Xi Jinping parce qu’il ne voulait pas savoir, l’Américain Donald Trump parce qu’il ne comprenait rien. La Chine, d’abord victime d’un système politique qui élimine lesporteurs de mauvaises nouvelles, s’est reprise.
Elle s’attache à faire oublier saresponsabilité première dans la tragédie en cours. Avec un aplomb impérial, elle est omniprésente sur le front de la luttecontre le virus, distribuant des leçons et des médicaments, remplissant le vide laissé par uneAmérique que Trump a rapetissée. Pour la première fois dans une crise d’ampleur mondiale, lesEtatsUnis semblent n’exerceraucun leadership.
L’autoritarisme centralisateur àla Xi Jinping a empêché que le coronavirus apparu dans la région du Hubei, à Wuhan, soit immédiatement traité. De peur de déplaire au « centre », les autoritéslocales ont fait taire les lanceurs d’avertissement. Pendant des semaines – précieuses semaines –,on a circulé librement dans ethors du Hubei. Le virus s’est propagé. Le Parti communiste chinois (PCC) n’est pas sorti grandi d’une affaire inhérente au mode de gouvernement qu’il incarne.
Ode à l’autocratie !Il entend se rattraper aujourd’hui. Il vante la capacité qu’il a eue à neutraliser la crise. Le PCC met en avant son unique aptitude à imposer un confinement total à des dizaines de millions de personnes. Ode à l’autocratie ! Il n’y a pas que l’échelon politique. Le capitalisme d’Etat, tel qu’on le pratiqueen Chine, est célébré. Pékin commande aux entreprises chinoises, qui obéissent, avec cette souplessede réaction qui les caractérise.
Quand la Commission deBruxelles veut acheter des masques, elle doit passer des appels d’offres : cela prend des semaines.La Chine bâtit une aile d’hôpital en quinze jours. Elle produit des masques et des « respirateurs » à la chaîne, des médicaments aussi,qu’on distribue à l’orgueilleux Occident. La Chine profite de sa rente de situation : nous lui avons, largement, confié notre industrie pharmaceutique…
La Chine sait que la bataille contre le Covid19 a un front idéologique. Elle saisit l’occasion de gagnerdes points dans un « combat » – pour reprendre une expression que Xi emploie volontiers – qui luiest cher : la légitimation et la promotion du régime de gouvernement autoritaire. Organe du PCC, Le Quotidien du peuple assène les
performances du pays et pointe le déclin de l’Amérique : « La Chine a su mobiliser le courage et l’imagination nécessaires pour maîtriser le virus, tandis que les EtatsUnissont encore à la peine. »
Cité par le quotidien russe Kommersant, l’ambassadeur chinois à Moscou, Zhang Hanhui, verse dans l’autosatisfaction : avec la lutte contre le coronavirus, ditil, « la Chine a relevé avec succès le défi le plus difficile depuis longtemps ; une fois de plus, elle a montré les avantages incomparables du socialisme à la chinoise ».
Au fil des atterrissages des avionscargos chinois bourrés du matériel médical qui manque en Europe et aux EtatsUnis, Pékin marque des points dans son offensive diplomatique. Au moins dans le domaine de la campagne contre le Covid19, la Chine, qui investit toutes les organisations spécialisées de l’ONU, apparaît comme « la nation indispensable »– comme disait l’exsecrétaire d’Etat Madeleine Albright pour parler des EtatsUnis. Paradoxe d’un drame où sa part de responsabilité n’est pas petite, la Chinerebondit en affichant son rôle degrande puissance mondiale.
Sa visibilité reflète l’absence deleadership américain dans cetteaffaire – il faut se souvenir de l’engagement de Barack Obama contre Ebola. Leçon de science politique en temps réel : pour la première fois, un populiste est auxcommandes à Washington dans un moment de crise mondiale. Lerésultat est sans surprise. Donald Trump, héros des populistes européens, cafouille depuis le début. Il ne veut pas y croire, à ce virus : sûrement un « coup monté » des démocrates, dit Fox News, sachaîne porteparole.
La Bourse, qu’il a érigée en indicateur suprême de sa politique économique, s’effondre. Flirtant, une fois de plus, avec une manièrede racisme, et avec la bonne vieilletechnique du bouc émissaire,Trump parle du « virus chinois ». Aux EtatsUnis, il en va de la luttecontre le virus comme de celle contre le réchauffement climatique : elle est assurée, souvent admirablement, par les gouverneurset les maires des grandes villes.
Versatile, changeant de discoursau fil des semaines, Trump a donné de fausses informations, moqué les experts, annoncé un« miracle » fin février, entonné à lamimars la rhétorique du chef deguerre pour, la semaine d’après, en revenir à l’incantation magique : « Estce que ce ne serait pasgénial d’avoir toutes les églises pleines » le 16 avril pour les fêtesde Pâques chrétiennes ? Si, Mister President, ce serait « génial ».
En attendant, pas le moindreengagement américain pour unelutte coordonnée au sein d’institutions multilatérales qu’il a désinvesties ; incapacité à mobiliser un G7 pour une relance économique commune ; pas un geste àl’adresse des alliés traditionnels des EtatsUnis : le renoncement à jouer un rôle international est complet. Ajoutons que le Codiv19 n’a rien à craindre d’un éventuel front commun PékinWashington : ces deuxlà échangent des accusations.
D ix jours après avoir décrété la« mobilisation générale » et alorsque certains hôpitaux engagés
dans la « guerre » contre le Covid19 approchent de la saturation, le président de la République a appelé la nation, mercredi25 mars, à « faire bloc » et annoncé un nouveau train de mesures : prime exceptionnelle pour les personnels de santé, « plan massif » pour l’hôpital et revalorisation des carrières, mobilisation de l’armée.
La France, elle, est méconnaissable : confinée, largement paralysée et inquiète, mais mobilisée contre un virus qui menace chacun. Nulle menace étrangère ni décombres, mais des rues désertes, des familles en cohabitation forcée, assujetties à une actualité angoissante, des solitudes exacerbées, des
professionnels dévoués et admirés. Placés en première ligne, les personnels soignants sont les nouveaux « hussards noirs » de cette République combattante, les héros d’une lutte vitale qui vise à honorer la promesse républicaine de l’égale protection face à la maladie et de l’égal accès aux soins.
Emmanuel Macron en a justement tiré laconclusion : l’hôpital public, déjà en crise avant la pandémie, doit faire d’urgence l’objet de tous les soins. Le dévouement de ses personnels, parmi les plus mal payés d’Europe, permettra de limiter l’ampleur du drame. Il faudra se souvenir des promesses de revalorisation une fois la crise passée.
Reflet du soutien de la population, les applaudissements nourris, qui saluent aux fenêtres, chaque soir, à 20 heures, l’engagement des personnels de santé, sont bienvenus alors que pointe le risque d’épuisement physique et moral. Mais ils ne sauraient remplacer d’autres formes de reconnaissance, politique, sociale et financière.
Les soignants doivent être épaulésd’abord par les efforts collectifs destinés à contenir la pandémie. En respectant et en faisant respecter les règles du confinement, en interrogeant ses comportements à l’aune de l’intérêt commun, chacun peut soulager indirectement la charge qui pèse sur des personnels submergés. Nul ne doit se sentir exonéré de cette responsabilité.
Nous sommes loin d’avoir passé la vague.A l’approche du pic de l’épidémie, l’admira
ble dévouement des soignants doit aller de pair avec une mobilisation sans faille desautorités, chargées non seulement d’équiper les structures de soins, de gérer au mieux les lits disponibles, mais aussi de fournir à la population tous les moyens possibles de prévention.
Or, en dépit de la « mobilisation totale » décrétée à nouveau par M. Macron mercredi, ladistribution des masques de protection reste entravée par la pénurie. Que des médecins généralistes, des caissières, des ouvriers, des policiers en soient démunis, que des personnels hospitaliers les quémandent n’est pas acceptable. Que la vie de malades soit compromise faute d’appareils d’assistance respiratoire ne l’est pas davantage.
Il faut aussi tirer les conséquences del’impossibilité matérielle d’un confinement strict dans des logements exigus. Pour soulager les hôpitaux et retarder lacontagion, des lieux intermédiaires pourraient accueillir des personnes présentant des symptômes. Vides, des hôtels et d’autres lieux d’hébergement collectif devraient être réquisitionnés.
Le président de la République, s’il veut aller jusqu’au bout de la métaphore guerrière qu’il a choisie, ne doit pas se contenter de paraphraser Clemenceau. Il doit armer les fantassins qui montent à l’assaut,protéger les civils et mobiliser l’appareil productif, s’il prétend être comparé un jourau « Père la victoire ».
ENTRE DONALD TRUMP ET XI JINPING,
LE COVID19 EST UN SUJET
DE CONFLIT, PAS DE COOPÉRATION
COVID19 : APPLAUDIR LES SOIGNANTS MAIS AUSSI LES ARMER
INTERNATIONAL | CHRONIQUEpar alain frachon
Géopolitiquedu coronavirus
POUR LA PREMIÈRE FOIS DANS
UNE CRISE MONDIALE, LES ÉTATSUNIS
SEMBLENT N’EXERCER AUCUN LEADERSHIP
Tirage du Monde daté jeudi 26 mars : 130 923 exemplaires
AposterforAlfredHitcHcock’s
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‘reArWindoW’stArringJAmessteWArtAndgrAcekelly.(pHotobymovieposterimAgeArt/gettyimAges)
Cahier numéro un de l’édition n° 2890 du 26 mars au 1er avril 2020
Penserle confinement
AvecBoris Cyrulnik,Erri De Luca, Sylvie Angel,Gaël Giraud, Scott Atran...
Dans l’enferDeMulhouse LouisdeFunès P. 67P. 32
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