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Parti communiste français P. 4 FORUM DES LECTEURS MICHEL VOVELLE NOUS ÉCRIT u P. 6 LE DOSSIER LE MULTICULTURALISME : UN CAUCHEMAR ? P. 22 REVUE DES MEDIAS LA MONDIALISATION REJETÉE, VERS UNE “DÉMONDIALISATION” ? Par ALAIN VERMEERSCH P. 28 HISTOIRE « ÊTRE COMMUNISTE C’EST ÊTRE INTERNATIONALISTE » Par SAMIR AMIN N°9 JUIN 2011 REVUE POLITIQUE MENSUELLE DU PCF

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P a r t i c o m m u n i s t e f r a n ç a i s

P.4 FORUM DES LECTEURS

MICHEL VOVELLE NOUS ÉCRIT

u P.6 LE DOSSIER

LE MULTICULTURALISME :UN CAUCHEMAR ?

P.22 REVUE DES MEDIAS

LA MONDIALISATIONREJETÉE, VERS UNE“DÉMONDIALISATION” ?Par ALAIN VERMEERSCH

P.28 HISTOIRE

« ÊTRE COMMUNISTE C’ESTÊTRE INTERNATIONALISTE »Par SAMIR AMIN

N°9JUIN2011

REVUEPOLITIQUEMENSUELLE

DU PCF

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LA REVUE DU PROJET - JUIN 2011

2 SOMMAIRE

FORUM DES LECTEURS

4 FORUM DES LECTEURS/LECTRICES

5 REGARDNicolas Dutent La photographie solidaire

6 u17 LE DOSSIER

LE MULTICULTURALISME : UN CAUCHEMAR ?ÉDITO Guillaume Quashie-Vauclin

Maurice Godelier Trois clefs pour comprendreles identités en conflits

Jean-Loup Amselle L’ethnicisation de la sociétéfrançaise

Catherine Kintzler La «  diversité  »  : patchwork ou  melting pot  ?

Paul Boccara Pour dépasser la crise de civilisation.  Défis des affrontements et nouveaux partages

Catherine Coquery-Vidrovitch Comment  penserl’universel à partir du postcolonial  ?

Stéphane Coloneaux Le métissage  : la pensée de l’émancipation

Rokhaya Diallo Le « communautarisme »,c’est mal  ?

Maboula Soumahoro Mouvement et multiculturalisme

Ian Brossat Contrôle au faciès  : la réalité d’une hypocrisie

Alain Blum Mesurer, classer. Statistiques ethniques  ?    

Richard Sanchez Liberté, égalité, aimer

Jacques Portes Le multiculturalisme aux Etats-Unis

18 COMBAT D’ IDÉESGérard Sreiff : Vivre ensemble, dur, dur... 

SONDAGES : Le pouvoir des politiques

21 NOTES DE SECTEUREUROPE Le congrès de la CES

22 REVUE DES MÉDIASAlain Vermeersch La mondialisation rejetée,vers une «  démondialisation  » ?

24 CRITIQUESCoordonnées par Marine RoussillonDomenico Losurdo Staline, Histoire et critique d’une légende noireDavid Pestieau, Herwig Lerouge Questionset réponses sur l’avenir de la BelgiqueRégis Sauder (DOCUMENTAIRE) Nous, Princesses de ClèvesGérard Le Puill Bientôt nous aurons faim !

26 COMMUNISME EN QUESTIONVincent Cespedes L’alchimie humaine

28 HISTOIRESamir Amin Être communiste, c’est être internationaliste

30 SCIENCESIvan Lavallée L’éthique des TIC

32 CONTACTS / RESPONSABLESDES SECTEURS

L'équipe de la Revue du Projet a le plaisir de vous annoncer que nous disposons d'une édition La Revue du Projetpubliée et recommandée par la rédaction de Mediapart. Nous vous invitons à participer à cette collaboration en réagis-sant, en commentant et en diffusant largement les contributions que nous mettons en ligne. http://blogs.mediapart.fr/edition/la-revue-du-projetNote : Pour tout commentaire concernant cette édition, vous pouvez nous contacter à l'adresse suivante : [email protected]

2

Nous disposerons sur place de 9 salles et de deux amphi de120 et 400 places pour tenir : conférences, débats, ateliers vidéo,films, vie militante... sur quelques thèmes à l'étude : les 100ans de Jean Genet, la liberté de création, la poésie contempo-raine, faut-il achever l'euro ?, jeunesse rebelle, la nation, l'ex-trême droite, guérir le travail, manipulation de l'Histoire, lagestation par autrui, socialisme, le monde, l'Europe, l'interna-tionalisme... Et d'autres déjà arrêtés : Ambroise Croizat est-ilmoderne, La perte d'autonomie, Démocratie sanitaire en région,La maternelle, À quoi servent les humanités (ou les scienceshumaines) ? Conférence sur Le Pacte des rapaces, À trop étudierle libétralisme, l'économiste devint contestataire, Le pouvoir desmots...Deux grandes nouveautés pour faciliter la participation de touteset tous.

l Animation et jardin d’enfantsl Possibilité de séjour à tarif très intéressant avant l'universitéd'été (le site ferme après l'université)Pour les « loisirs » : Piscine et tennis gratuits, un guide du patri-moine du Pays de Savoie pour des visites culturelles et les anima-tions de la station... Les camarades de la fédération de la Savoienous accueilleront entre autres avec des produits régionaux etnous feront connaître leur Savoie.

Toutes les informations complémentaires : tarifs, hébergement,localisation... sont disponibles sur le formulaire d'inscriptionen ligne sur www.pcf.fr/formationInscrivez-vous nombreuses et nombreux et rendez-vous aux Karellis !

L'UNIVERSITÉ D’ÉTÉ 2011... TOUJOURS PLUS HAUTElle se déroulera les 26-27-28 août 2011 en Savoie, au-dessus de Saint-Jean de Maurienne aux Karellis, station entièrement dédiée au tourisme social (1650m à 2500m alt.)

« Il est des moments dans l’histoire où le combat d’idées devient l’essentiel de notre lutte politique. »

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JUIN 2011- LA REVUE DU PROJET

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PATRICE BESSAC, RESPONSABLE DU PROJET

ÉDITO

LA POULE, L’ŒUF,L’ESPAGNE ET LE PENApplaudir. Maudire. Encenser.

Rejeter. La litanie des amourset des désamours médiatiques

et politiques pour les jeunes indi-gnés espagnols est sans fin. LesPOUR, les CONTRE, les compatis-sants, les accusateurs... tout celamanque singulièrement de dialec-tique.

Car, au fait, que se passe-t-il ? Leclassicisme des formes a repris sesdroits : la mise en accusation dusystème économique et politiquedébouche à la fois sur la contesta-tion la plus progressiste et sur leregain électoral et idéologique desextrêmes droites européennes.

Les hommes rajoutent du malheurà leurs malheurs. À quoi bon juger ?Le problème n’est pas là.

Nous sommes anciens. Donc déva-lués. Marine Le Pen est nouvelle,fraîche, elle n’a pas été aux affaires.Et surtout, elle a formulé une cohé-rence politique implacable. Faceaux malheurs du monde, sesréponses sont simples et compré-hensibles : bazarder l’euro, virer lesimmigrés, fermer les frontières,protéger notre industrie.

À cette cohérence, nous n’avonsqu’à opposer une complexité pourdeux raisons fondamentales.

Première raison de fond, il est impos-sible de penser la Révolution dansun seul pays... tout serait plus simple,je vous l’accorde, mais c’est faux.

Deuxième raison stratégique, lechoix de ne pas être des déma-gogues est le seul choix stratégiquepossible : faire la jonction entremouvement politique, mouvementsocial, mouvement populaire exiged’organiser et de faire progresserune cohérence programmatique.Cette cohérence dans un pays degrande éducation comme laFrance est nécessairement au prixde la sincérité et du respect. Ladémagogie serait un deccélérateurd’unité.

Quel rapport avec l’Espagne ? Ils’exprime à mes yeux à la fois unerevendication profonde de démo-cratisation économique et politiqueet, dans le même temps, la sépara-tion d’avec le champ politiqueconstitué m’apparaît être unemaladie du champ politique et nondu mouvement lui-même.

Soutenir, aimer, parfois organiserest naturel pour nous mais ce n’estcertainement pas notre responsa-bilité. Notre responsabilité est d’organiser la confrontation dansle mouvement sur les solutionsd’avenir. La dévaluation apparentede la politique n’est qu’un effet deson absence de pratique. À cela, desnombreux camarades espagnols, etbien au-delà des communistes, ontcommencé à s’attacher : c’est leplus important.

Rapporté à nos affaires et une fois LE candidat désigné, d’autres choses sérieuses commenceront.

La première d’entre-elles sera sansdoute d’imaginer la campagneprésidentielle autrement que dansle cadre d’une campagne prési-dentielle.

Par exemple avec le « programmepartagé »... les mots s’usent etdeviennent vite de la langue debois. Ainsi en est-il de cette expres-sion, « le programme partagé doitdevenir un programme réellementpartagé par le grand nombre »... Lalangue de bois banalise cetteexpression et pourtant l’essentielest là. Moins de meetings, plus decontacts avec la population...moins de JE et plus de NOUS,moins d’entre-soi et plus d’entre-nous-et-eux...

Je ne méconnais pas les aspectstactiques et les multiples lois del’élection présidentielle. Cependant,la part de boxe et de combats querequiert nécessairement l’exercicepolitique ne doit pas tout occuperjusqu’à supprimer l’essentiel. Et l’es-sentiel est notre mission démocra-tique, l’ambition principale du Frontde gauche : devenir un mouvementpuissant dans le peuple.

Comme disent les gens savants enparlant du capitalisme, cela veutdire pour dire changer de para-digme politique, changer lamanière de mener campagne,réinventer un militantisme dontl’un des cœurs est le mouvementdu grand nombre. Et le faire vrai-ment. n

DES CHANGEMENTS À LA REVUE DU PROJETGuillaume Quashie-Vauclin, qui a coordonné le dossier de ce numéro, sera désormais le responsable adjoint de laRevue du Projet, reprenant aussi la responsabilité de Cécile Jacquet. Cécile que nous remercions chaleureusementde son travail et de son enthousiasme et à qui nous souhaitons bonne route pour la suite... en étant assuré que saroute croisera de nouveau la Revue. L’équipe.

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LA REVUE DU PROJET - JUIN 2011

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FORUM DES LECTEURSÉcrivez-nous à : [email protected]

Pages réalisées par CÉCILE JACQUET

Je vous adresse les commentairesque ce dossier sur l'euthanasiem'a inspiré. Voyez-y une preuve

de l'intérêt que je porte à votrerevue. J'accepte (votre sollicitation)avec reconnaissance, non seule-ment parce que j'ai eu à aborder leproblème dans plus d'un article,lors de la mise à jour de « Mort etOccident de 1300 à nos jours » en2002, voire comme premier inter-venant auditionné par la commis-sion Léonetti... et pour avoirpendant quinze ans participé auxconférences de formation aux soinspalliatifs à l'Hôpital Paul Broussede Villejuif. Cela me donne le privilège de béné-ficier de la lecture du dossier qui faitle point sur l'état actuel de la ques-tion, en croisant différents regards.Il serait présomptueux de ma partd'arbitrer entre ces points de vue,mais un certain nombre de conclu-sions s'imposent. Il y a « dissensus ».(…) Brutalement formulé, dans lecadre de nos sociétés « privilégiées »l'impact de l'allongement de ladurée de vie s'inscrivait jusqu'à peude temps dans le dilemme entre lecancer ou l'accident cardiovascu-laire (…) et voici qu'une troisièmevoie se profile de plus en plus envahissante celle des maladies de « dégénérescence » devenantl'échéance redoutée des fins de vie,s'associant à la solitude, la perted'autonomie, la dépendance. (…)Les retraités deviennent un fardeaupour la société néolibérale. (…)Nous nous heurtons là aux héritagesanciens comme aux réflexesnouveaux qui suscitent le dissensus.D'un côté le respect sacré de la vie,comme impératif absolu d'ordrereligieux ou d'ordre étatique (leserment d'Hippocrate) quelles quesoient les infractions constantes etmajeures à ce principe dont l'his-toire est tissée. La référence contem-poraine aux massacres et génocidesdu XXe siècle renforce cette attitude,qui veut se targuer de trouver sa légi-timité dans une disposition innéede l'humanité, le dur désir de durer,ce réflexe vital qui frappe de suspi-cion le vœu fait en santé : qu'en sera-

t-il au dernier moment ? (…) Encontrepoint de cette tendance, aisé-ment majoritaire, la libre disposi-tion de son droit à la vie, impliquantcelui d'y mettre fin lorsqu'elle estdevenue insupportable, renvoie àune histoire élitiste, nourrie des sesréférents antiques ou historiques,au fil de l'histoire si occultée dusuicide, objet de proscriptions etd'interdits majeurs, sujet deréflexions philosophiques ou litté-raires de l'humanisme à nos jours.La survie du corps social implique-t-elle de défendre cet interdit ? Lesuicide héroïque des personnagesde l'Antiquité ou des héros de laRévolution française est à admirerde loin. (…) Nos auteurs évoquantle cas de Paul Lafargue et de sonépouse quittant la vie ensemble, depropos mûri et délibéré ne citentpas le commentaire de Lénine : unrévolutionnaire n'a pas le droit dedéserter ainsi !C'est bien sur ce butoir que nosparlementaires, qui ne sont pas léni-nistes, se sont arrétés, même si l'onassiste chez les responsables de lagauche à la volonté de promouvoirl'exercice de l'assistance au départvolontaire et assumé de la vie. (...)Je ne partage pas les conclusionsformulées par Axel Kahn en défensedes aménagements trop limités dela loi Léonetti : conserver les inter-dits en tolérant les infractions etmanifestant de l' « indulgence »envers les médecins volontaires quifranchiront la barrière, comme c'estactuellement le cas, n'est pas unemesure digne. C'est en faire commeles médecins qui pratiquent l'IVGles francs-tireurs d'une société quidemeure enfermée dans lesbarrières de tabous anciens, alorsmême qu'elle transgresse de plusen plus ouvertement les règles d'unhumanisme à promouvoir. n

EXTRAITS

1) Historien spécialiste de la révolu-tion française, directeur honoraire del’IHRF et professeur émérite à Paris I,Michel Vovelle a réalisé des travauxd'histoire sociale et religieuse sur lamort

Merci de l'envoi des deux exemplairesde la revue ! Il s'agit d'un excellentnuméro consacré au projet du Partisocialiste. N'hésitez pas à me recontacter au besoin, dans le cadre de projets/débats à venir concernant le PCF/Front de gauche. Bien à vous, PHILIPPE MARLIERE, PROFESSEUR DE SCIENCESPOLITIQUES À L’UNIVERSITÉ DE LONDRES, AUTEURDE LA SOCIAL-DÉMOCRATIE, UNE FORCE DU PASSÉ DANSLA REVUE DU PROJET, N°8 MAI 2011

Agrocarburants : des chiffres pour mieux comprendre Un apport non négligeable à laréflexion sur les agrocarburants que l'on peut compléter en voyant le film documentaire Green.

Contribution éclairante et instructive.

Pour l’Art, la Culture et l’Information : une nouvelleambition politiqueMerci de cette synthèse d'un débatauquel j'aurais assisté et cette priseen compte d'un enjeu fondamentaltrop souvent oublié.

Belle synthèse. Je regrette avoir été troploin de vous pour avoir pu assister àça. Mais nous allons pouvoir réfléchirautour de ces données. 2012 approcheà grands pas... À suivre...

Merci pour le compte-rendu de ce débat.  J'y suis intervenu et j'ai trouvé ça plutôt plus intéressant que ce n'est le cas d'habitude pour ce genre de débat.Beau travail, important, intéressant.

Oui, belle contribution pour un débatdémocratique, pour un programme.

DOSSIER SUR L’EUTHANASIE, MICHEL VOVELLE1 NOUS ÉCRIT

Des réactions sur Mediapart.fr

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JUIN 2011- LA REVUE DU PROJET

REGARD

© Nicolas Dutent

Ce sans-abri pour qui l'espoir est devenuétranger. Bien que résigné, ce regard sembleparadoxalement traduire une demande et

un désir d'Humanité qui restent à combler.J’ai tenté ici de défendre l'idée que la photogra-phie humaniste (notablement dans notre pays), sielle se charge souvent avec succès de figer lesdétails heureux inscrits dans le monde et révélésde notre quotidien, il apparaît également que cetexercice se doit tout autant de lever le voile surune réalité moins réjouissante : le sort accordé àcelles et ceux que la vie a oubliés, allant jusqu’àeffacer leur existence sociale. Ce qui correspondni plus ni moins à la volonté d’un Jean Jaurès pourqui « le courage c’est de chercher la vérité et dela dire. » n

NICOLAS DUTENT

« Autrui, c’est l’autre, c’est-à-dire le moi qui n’est pas moi »Jean-Paul Sartre, L’Etre et le Néant

Le Prix de la photographie solidaire est un concours organisé au sein de l'association Autre-monde qui vise à récompenser le talent et l'engage-ment solidaire de jeunes photographes de moins de 28ans, invités à proposer trois photographies sur le thèmede « l'Autre ».

Le jury de professionnels est composé de Ghyslaine Badezet(directrice pédagogique de la Maison européenne de la photo-graphie) et d'Aurore Le Maître (professeur au lycée Auguste-Renoir). Parmi les partenaires de ce concours figurent Epson,Chasseur d'Images, la Maison européenne de la photographie etles éditions Thierry Magnier.

5e Lauréat : Nicolas Dutent

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LE DOSSIER

Communauté, société, culture etidentité, ces concepts sont-ilsencore utiles à la production deconnaissances scientifiques ?

PAR MAURICE GODELIER*

J’aimerais inviter à réfléchir sur lecontenu de quatre concepts –communauté, société, culture et

identité –, probablement les plus utilisésdans les sciences sociales, mais aussi bienau-delà puisqu’on les retrouve en abon-dance dans les discours des politiciens,les articles des journalistes, etc. Du faitde leurs multiples usages dans descontextes les plus divers, ces quatreconcepts sont-ils encore utiles à laproduction de connaissances scienti-fiques ? Je le pense, mais c’est à certainesconditions que j’essaierai de définir.

COMMUNAUTÉ ET SOCIÉTÉ[…] Notre analyse nous permet depréciser la différence qui existe entre une« communauté » et une « société ». Il estessentiel de ne pas confondre ces deuxconcepts ni les réalités sociales et histo-riques distinctes auxquelles ils renvoient.Un exemple suffira pour montrer claire-ment cette différence. Les juifs de la dias-pora qui vivent à Londres, à New York, àParis ou à Amsterdam forment des

TROIS CLEFS POUR COMPRENDRE LES IDENTITÉS EN CONFLITS

PAR GUILLAUME QUASHIE-VAUCLIN

Ce numéro de la Revue du Projetparaîtdans un contexte lourd. La droite aupouvoir plonge en effet notre pays

dans une atmosphère méphitique, chaquejour plus irrespirable. La xénophobie s’af-fiche sans fard sur les perrons ministériels etles lois ignobles suivent les discoursinfâmes. Au-delà même de nos frontières,c’est ce même mouvement dangereuse-ment convergent qui se dessine parmi lesdroites européennes, toutes peu ou proulancées dans une course à l’identité (natio-nale, chrétienne, blanche). L’ennemiqu’elles désignent ? Le « multiculturalisme »,chiffon rouge agité pour détourner desmarchés financiers la colère des peuples.Et la gauche face à cela ? Elle semble adopterde plus en plus nettement la défense du« multiculturalisme », encouragée en cesens par les assauts de la droite contre cettenotion. On assiste ainsi à une mutation desréponses proposées à gauche face auxquestions qu’on rassemble parfois sous levocable de « vivre ensemble ». La promo-tion du multiculturalisme semble prendrele pas sur celle de l’universalisme de tradi-tion républicaine. Ce phénomène estvisible, de longue date, dans une large partiede l’extrême gauche, héritière d’un certaintiers-mondisme ; il l’est aussi au Parti socia-liste, de manière croissante.Assurément, les impasses, les impostureset les crimes de cet universalisme républi-cain du XIXe siècle ont contribué à discré-diter ce concept aux yeux de nombre decontemporains progressistes. C’est bien aunom de l’universalisme républicain que futmenée l’entreprise coloniale qui imposanormes, valeurs et domination européennes.

C’est bien parce que des Européens ontpensé leurs codes sur le mode de l’universelqu’ils les ont imposés aux peuples du monde,niant dans le même temps toute existence– toute possibilité même – d’une culturehors des rivages de l’Europe.De cet universalisme-là, myope et colo-nial, qui étend à l’universel ses particula-rismes de bourgade, il ne peut plus êtrequestion pour qui se veut combattant del’émancipation en ce début de XXIe siècle.Ceci est désormais acquis à gauche. Pour-tant, le débat ne s’en trouve pas clos. Toutuniversalisme doit-il être abandonné ? Lemulticulturalisme est-il le chemin àemprunter pour qui cherche la voie del’émancipation individuelle et collective ?C’est sur ce terrain que discutent les textesici rassemblés. Non sans convergencespossibles, assurément. Non sans clairsdésaccords qu’il ne s’agit pas d’amoindrircar ce n’est qu’avec ces dissonances que ledébat peut vivre et s’épanouir parmi lescommunistes – et au-delà – autour de posi-tions fortes et construites.Si la pluralité d’approches est doncrespectée dans le dossier, je souhaiteexposer en quelques mots la perspectivequi est la mienne. Une approche en termes multiculturalistesme semble receler mille dangers. Quel sensaurait encore l’humanité si celle-ci devaitêtre divisée d’insurmontable façon en « Africains », « musulmans », « Français »,étanches communautés juxtaposées donton attendrait – pour les bonnes âmes –qu’elles « dialoguent » ou – pour les âmesdamnées – qu’elles se séparent voire secombattent ? Je ne crois pas à une essencefigée, pure et parfaite du « Français », du« musulman », de l’« Africain » : l’un

mangeant saucisson, l’autre couscous et ledernier bananes ; chacun devant en resterlà, ayant tout juste le droit, dans le meilleurdes cas, de goûter au plat du voisin, le tempsd’une soirée, avant de remettre au plus vite,qui son pagne, qui son béret, qui sa burqa.Non ! La célèbre phrase de Térence nesaurait être oubliée sans périls : « Homosum, humani nihil a me alienum puto. » [Jesuis un homme, j’estime que rien de ce quiest humain ne m’est étranger.] Par ailleurs, l’individu n’est pas réductibleà une communauté, miraculeusementsusceptible de dire et définir l’entièretécomplexe et plurielle de son être. Disonsles choses politiquement : à mes yeux, l’in-dividu ne doit pas être réduit à une commu-nauté sous peine de dissolution de l’huma-nité et de tout horizon émancipateur, souspeine, tout autant, d’étouffement et d’en-fermement de l’individu dans d’aliénantesdestinées assignées. Terminons enfin parle plus évident : qui ne voit que ces étanchesdivisions arbitraires de l’humanité, appli-quées à ceux qui ont tout intérêt à se libérerde l’exploitation capitaliste, nourrissentpuissamment la division des dominés etl’illusion que l’issue ne saurait être trouvéeque par et dans « sa » seule « communauté » ?Cette prise de parti personnelle n’entendpas être une conclusion politique – je n’enai guère la légitimité –, encore moins théo-rique. Elle se veut une modeste entrée enmatière, signalant quelques-uns des lourdsenjeux que soulève le concept de multicul-turalisme. Elle se veut également une invi-tation à lire avec l’attention qu’elles méri-tent toutes les contributions de ce richedossier. Elle se veut enfin un appel à penservraiment ces questions majeures. La situa-tion de notre peuple est trop dure et lebesoin d’alternative trop immense pourque nous abandonnions paresseusementce terrain décisif. Bonne lecture ! n

MULTICULTURALISME, LA PERSPECTIVEÉMANCIPATRICE DE NOTRE TEMPS ?

ÉDITO

Le multiculturalisme : un cauchemar ?

LA REVUE DU PROJET - JUIN 2011

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JUIN 2011- LA REVUE DU PROJET

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> SUITEPAGE 8

communautés au sein de ces différentessociétés et de ces États, la Grande-Bretagne, les États-Unis, la France, lesPays-Bas, etc. Elles coexistent avec d’au-tres communautés, turques, pakista-naises, etc. qui ont chacune leurs propresfaçons de vivre, leurs traditions. Par contre,les juifs de la diaspora qui ont quitté cespays pour aller vivre en Israël vivent désor-mais dans une société qui est représentéeet gouvernée par un État dont ils veulentvoir les frontières reconnues définitive-ment par les populations et les Étatsvoisins. Et c’est ce que revendiquent égale-ment les Palestiniens, un territoire et unÉtat. Là encore, le critère qui fait société,c’est celui de la souveraineté sur un terri-toire. Il est important de remarquer quetoutes ces communautés mènent au seinde leur société d’accueil une existencesociale qui leur est particulière. Pourdonner un autre exemple, dans la plupartdes métropoles du monde existent desChinatown où les Chinois continuent àparler leur langue, à suivre leur calendrierde fêtes et à ouvrir des restaurants. Ilsforment des communautés mais neconstituent pas une société. Au passage, je voudrais également faireune distinction qui semble aujourd’huiobsolète à beaucoup d’entre nous. J’aiappelé « tribu » la forme de société qui estcelle des Baruya, comme j’ai appelé « clanset lignages patrilinéaires » leurs groupesde parenté. Et j’ai appelé aussi « ethnie »l’ensemble des groupes locaux qui danscette région affirment avoir une originecommune et être issus de la dispersion degroupes vivant autrefois près deMenyamya. Les Baruya et leurs voisinsutilisent, pour désigner cet ensemble degroupes auquel ils se savent appartenir,l’expression : « ceux qui portent les mêmesparures que nous ». Cependant, le faitd’être conscient d’appartenir à ce mêmeensemble ne procure à un Baruya ni unaccès à la terre ni un accès aux femmes etpar ailleurs ne l’empêche pas de faire laguerre aux tribus voisines appartenant aumême ensemble. On voit par là que c’estseulement la « tribu » qui constitue pourun Baruya une « société », tandis que« l’ethnie » constitue pour lui une commu-nauté de culture et de mémoire, mais nonune « société ». Ceci éclaire le fait que pourdevenir une société, une ethnie doitsouvent de nos jours réussir à former unÉtat qui lui assurera une souveraineté surson territoire. C’est là une revendicationdes groupes kurdes répartis entre plusieursÉtats, et ce fut hier une revendication desBosniaques ou des Kosovars. Et danscertains cas une ethnie, en revendiquant

pour elle seule l’appropriation d’un Étatet d’un territoire, s’autorise à procéder àdes épurations ethniques.

LES RÉPONSES DES ÉTATSDans les sociétés occidentales dont lerégime politique est en principe démocra-tique, on peut constater deux réponses desÉtats à l’existence en leur sein de commu-nautés de natures diverses, religieuses ouethniques. Soit le communautarisme à lafaçon britannique, soit l’intégration à lafrançaise de toutes les communautés ausein de la République. Les deux formulesne semblent pas avoir véritablement réussià répondre aux problèmes posés par ladiversité culturelle et religieuse au sein dessociétés modernes.[…]

CULTURE ET IDENTITÉQu’est-ce que j’entends par « identité » ?Pour moi, c’est la cristallisation à l’inté-rieur d’un individu des rapports sociauxet culturels au sein desquels il/elle est

engagé(e) et qu’il/elle est amené(e) àreproduire ou à rejeter. On est le pèreou le fils de quelqu’un par exemple etcette relation à l’Autre définit le rapportqui existe entre nous et en même tempsen chacun de nous, mais sur un modedifférent : le père n’est pas son fils. Cettedéfinition est celle du Moi social quechacun d’entre nous offre aux autres.Mais il existe aussi un autre versant duMoi, le Moi intime, celui né des rencon-tres heureuses ou douloureuses de ceMoi social avec les autres. C’est pour-quoi l’identité sociale de chaque indi-vidu est à la fois une et multiple de parle nombre des rapports que l’on entre-tient avec les autres. n

Maurice Godelier* est anthropologue, direc-teur d’études honoraire à l’EHESS.

Maurice Godelier, Communauté, société, cul-ture. Trois clefs pour comprendre les identitésen conflits, Paris, CNRS Éditions, 2009.Extraits publiés avec l’autorisation de l’auteur

À la différence d’autres payscomme les Etats-Unis, l’essor dumulticulturalisme en France setraduit par une montée duracisme.

PAR JEAN-LOUP AMSELLE*

L e multiculturalisme a échoué enFrance, et plus largement en Europe.Non pas comme le prétendent

Angela Merkel, David Cameron etNicolas Sarkozy parce qu’il n’est pasparvenu à « intégrer » les « immigrés »mais parce que, en fragmentant le corpssocial de chacun des pays où ce prin-cipe est, soit officiellement mis en œuvre,soit revendiqué par une fraction del’éventail politique, il a abouti à dresserl’un contre l’autre deux segments de lapopulation : l’identité majoritaire et lesidentités minoritaires. Par une sorted’effet boomerang, l’apparition au seinde l’espace public de minorités ethno-culturelles et raciales a provoqué, danschaque cas, le renforcement de l’iden-tité « blanche » et chrétienne. Il est d’ail-leurs symptomatique que le Frontnational et les Indigènes de la Répu-blique se soient référés tous deux à desexpressions proches pour désignerl’identité majoritaire : les « Français de

souche » dans un cas, les « souchiens »dans l’autre.

IDENTITÉS POSTCOLONIALESA la différence d’autres pays comme lesEtats-Unis, l’essor du multiculturalismeen France se traduit donc par unemontée du racisme. Ce racisme revêt lui-même deux formes : l’affirmationforcenée d’une identité majoritaire« blanche » et catholique par la droite etl’extrême droite et l’affirmation par lagauche multiculturelle et postcolonialed’identités minoritaires ethnoculturellesqui constituent autant de « commu-nautés de souffrance ». Mais qu’en est-il de ces « communautés » elles-mêmes :l’énonciation de leur identité procède-t-elle des acteurs de base ou des porte-parole qui s’expriment en leur nom ?Autrement dit, l’expression racisée desidentités postcoloniales est-elle leproduit d’un contre racisme « d’en bas »ou l’œuvre d’entrepreneurs d’ethnicitéet de mémoire prompts à accoler desspécificités raciales et culturelles sur desgroupes sérialisés d’individus. Il convientd’évoquer à ce sujet le rôle du CRAN dontle modèle s’inspire du CRIF, mais ilfaudrait également mentionner l’actionde tous ceux qui s’emploient à donnerun supplément d’âme « culturel » à desmouvements – comme celui de la pwofi-

L’ETHNICISATION DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE

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LE DOSSIER Le multiculturalisme : un cauchemar ?

SUITE DELA PAGE 7 > tasyon en Guadeloupe – dont les moti-

vations sont essentiellement d’ordreéconomique et social. Transmuter lesocial en culturel semble donc être lacaractéristique majeure de cette gauchemulticulturelle et postcoloniale quioccupe une position symétrique etinverse de la droite et de l’extrême droite« républicaine ». Par une sorte de para-doxe, déjà relevé, cette droite et cetteextrême droite, en défendant la Répu-blique et la laïcité sur des bases islamo-phobes (refus des prières musulmanesdans les rues, des repas hallal dans lescantines, etc.) défend par contrecoupdes valeurs culturelles ethnicisées « biende chez nous » (soupe au lard). Mais d’unautre côté la gauche et l’extrême gauchemulticulturelle et postcoloniale en aban-donnant la défense de l’universalismerépublicain à la droite et à l’extrêmedroite se sont engagées dans la voie d’unaffrontement civilisationnel qui faitparfaitement les affaires de la première.

PROVINCIALISER L’EUROPEL’universalisme, contrairement à ce quesoutiennent les postcoloniaux, ne seréduit en effet en aucun cas à la défensede la suprématie blanche sur le reste du

monde. En ce sens, il ne s’agit pas, enreprenant l’expression de Chakrabartyde « provincialiser l’Europe », d’affirmersa spécificité culturelle afin de continen-taliser sa pensée. Car provincialiser l’Eu-rope revient à diviser l’ensemble dumonde en autant d’« aires culturelles »étanches, à enfermer les continentsgéographiques et intellectuels dans desspécificités irréductibles. Pas plus quel’Europe des Lumières ne saurait êtrecaractérisée par la « raison » (c’est aussile siècle des « passions »), les autres conti-nents ne sauraient être réduits à des carac-téristiques culturelles intangibles(l’Afrique des ethnies, l’Inde des castes,le Moyen-Orient musulman fondamen-taliste, etc.) et voir ainsi déniée leur histo-ricité propre. Construire du lien social,c’est précisément passer à travers lescontinents géographiques et culturels,c’est postuler une universalité premièreet principielle entre tous les hommes pourréserver aux spécificités culturelles lestatut d’un « reste ». Postuler l’humanitéde l’homme, des hommes, ce n’est pasvouloir assurer la domination de l’Occi-dent sur le reste du monde, c’est affirmerla possibilité de communiquer avec lesautres. Les Révolutions démocratiques

en cours actuellement en Tunisie, enÉgypte et en Libye montrent que les droitsde l’Homme, loin d’être un carcan imposépar l’Occident au reste du monde,peuvent aussi être réappropriés par despeuples arabo-musulmans, en dépit de,ou grâce à, « leur » culture. En définissant a priori la culture d’unpeuple, on prend le risque d’être démentipar l’historicité de cette culture, c’est-à-dire de sa capacité à intégrer une multi-tude d’éléments dont on postule, parprincipe, qu’ils ne lui appartiennent pas.On ne rend pas un grand service aux« issus de la diversité » en les enfermantdans leur « négritude » ou leur « araboislamité ». Culturaliser et ethniciser lesocial est le meilleur moyen de maintenirles jeunes des banlieues sous la chapedu pouvoir, la meilleure méthode pourles enfermer dans des ghettos géogra-phiques et identitaires. n

*Jean-Loup Amselle est un anthropologueet ethnologue africaniste français. Il estdirecteur d'études à l'EHESS, rattaché auCentre d'études africaines (Ceaf) et rédac-teur en chef des Cahiers d’études africaines

Extrait de L’ethnicisation de la France, àparaître aux éditions Lignes en septembre2011, publié avec l’autorisation de l’auteur.

Une république ne réunit pas desproches en vertu d'une communeappartenance, elle ne réunit pasdavantage des collections iden-titaires. Son principe est la dis-tinction du citoyen qui, pour êtreindépendant de tout autre, pro-duit la chose publique.

PAR CATHERINE KINTZLER*

Vivre en république, est-ce s’assem-bler avec ses prochains ? Est-cerassembler une diversité de commu-

nautés ?

LIEN SOCIAL, LIEN POLITIQUELe lien social et le lien politique, pour êtrecorrélatifs, n'en sont pas moins distincts.L'un se forme par imprégnation et proxi-mité, l'autre par éloignement et intellec-tualité. Dans le bain coutumier, l'enfanttrouve à la fois racines et repères ; ilacquiert des mœurs. Cette indispensablesocialisation dispose à l'association poli-

tique, mais elle ne la construit pas car lelien politique ne relève pas de la sponta-néité sociale.Prenons un exemple. L'égalité n'auraitjamais vu le jour sans la rivalité originaireentre frères au sujet de l'amour maternel :« puisque je ne puis l'avoir exclusivement,alors que l'autre n'en ait pas plus quemoi ! ». Mais l'égalité des droits dans lacité républicaine suppose une ruptureavec ce ressentiment dont elle s'est pour-tant d'abord nourrie : « que chacun exerceses forces et ses talents, pourvu qu'il nenuise à personne ! ». On mesure ici à lafois l'opposition et la relation qui articu-lent la fraternité de sentiment et la frater-nité de principe.La limite du lien social se révèle à traversson mode de formation : le processus s'au-torise d'une identification collective,formant ce qu'on appelle des commu-nautés (moi et les miens). Pour qu'un lienpolitique républicain apparaisse, il ne suffitpas d'élargir ce mouvement, il faut aussis'en écarter. Une république ne réunit pasdes proches en vertu d'une communeappartenance, elle ne réunit pas davan-

tage des collections identitaires. Son prin-cipe est la distinction du citoyen qui, pourêtre indépendant de tout autre, produitla chose publique. Elle réunit des singu-larités et a pour fin la liberté de chacuned’entre elles : cette fin rend les citoyenssolidaires et frères. L’identité commecitoyen est donc à l’opposé de l'identifi-cation à une collection ; ce qui nous rendsemblables, c'est l'identité de nos droits.

PROCHAIN ET CITOYEN : DEUX PARADOXES SYMÉTRIQUESOn parvient à deux paradoxes. Se fondersur une appartenance préalable, c'estformer des rassemblements en accrédi-tant les séparations identitaires. Se fondersur la distinction du citoyen, c'est, paratomisation, former une cité dont le prin-cipe n'exclut personne.Il n'y a rien de plus perceptible et enmême temps rien de plus abstrait que« mon prochain » – les qualités sensiblesle définissent et le rassemblement qui enrésulte exclut celui qui ne les a pas. L'abs-traction consiste ici à se rendre aveugle àl'humanité. Symétriquement, il n'y a rien

LA « DIVERSITÉ » : PATCHWORK OU MELTING POT1 ?

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de plus intellectuel et en même tempsrien de plus concret que « mon conci-toyen » – il se définit par des propriétésjuridiques et politiques qui ont pour effetconcret d'inclure quiconque.Sur le même principe, on peut distinguerla tolérance (qui se contente d'articulerdes courants de pensée existants actuel-lement en les reconnaissant positivement,ce qui est compatible avec une religiond'État) et la laïcité qui se fonde sur unethèse minimaliste : l'absence de recon-naissance positive et la suffisance du droitcommun fondent la coexistence non pasdes courants de pensée existants mais detous les courants possibles, passés,présents et futurs, ce qui est incompa-tible avec une religion d'État, même civile.

LA BARBARIE DES CŒURS TENDRESMême si l'idée du prochain prépare leconcept du citoyen et y dispose, elle nele fonde pas.Ils avaient l'idée d'un père, d'un fils, d'unfrère et non pas d'un homme […]. De làles contradictions apparentes qu'on voitentre les pères des nations : tant de naturelet tant d'inhumanité, des mœurs si féroceset des cœurs si tendres2 […].Rousseau résume ici le paradoxe de labarbarie. La tendresse du cœur, si elleforme le terrain de toute sociabilité, nesaurait faire la matière exclusive d'uneéducation morale et civique sous peined'engendrer la férocité des mœurs. A trop s’intéresser aux ethnies, on s’exposeà perdre de vue les droits des individussouverains (lesquels peuvent librements'affilier aussi aux appartenances de leurchoix). En voulant cerner les discrimina-tions, on les exalte en collectant les « senti-ments d’appartenance » dans des consi-dérations qui risquent d’avoir les effetsséparateurs qu’elles prétendent conjurer. Une anecdote suffira à souligner la féro-cité de cette disposition pleine de bonssentiments, à la fois fusionnelle et sépa-ratrice. Alors, que faisant la queue devantun guichet, je protestais contre un resquil-leur, avec quelle assurance un adolescentm'a gratifiée d'une leçon d'antiracisme -car l'incriminé était noir ! Cet adolescentsentencieux avait tout compris de l'usageféroce de la « diversité». Il m'administraitune leçon d'ethnisation et de séparation :vu sa couleur de peau, l'incriminé étaitintouchable, hors de l'humanité !

PATCHWORK OU MELTING POT ?Oui, des cœurs tendres, bien regardants,qui avant l'homme voient le Noir et leBlanc, le chrétien et le musulman, le mâleet la femelle, les miens et les tiens, et qui,

Une analyse de la crise non passeulement au plan économiquemais aussi au plan dit « anthro-ponomique ».

PAR PAUL BOCCARA*

DÉFIS DE LA CRISE DE LA CIVILISATIONOCCIDENTALE MONDIALISÉE

Mutations, défis sociétaux et culturels

La révolution informationnelle concernetoute la vie humaine, avec la successionde l’imprimerie par la révolution fondéesur les ordinateurs personnels. Celapermet un accès sans précédent dechaque individu aux informations detoutes sortes et leur circulation dans tousles sens, avec la possibilité de réponse etde modification personnelle des infor-mations. Il y a un potentiel de participa-tion de chacun à la créativité culturelleMais cela est récupéré et dominé par degrands services monopolistiques, tendantà exacerber de nouvelles scissions et lesfractures informationnelles sociales, avecdes communautés séparées.

La révolution démographique concernela réduction très forte de la fécondité et lanatalité, la longévité, avec la très forteprogression de l’espérance de vie jusqu’àl’échelle mondiale. Cela entraîne desbesoins de droits et de partages pour la

POUR DÉPASSER LA CRISE DE CIVILISATION. Défis des affrontementset nouveaux partages d’universalisme

invités à confondre l'humanité avec leurs« potes », sont sourds au principe mêmede l'humain ! Voilà comment on se metau service d'un nouvel apartheid quis'agenouille devant toute iniquité pourvuqu'elle se réclame d'une forme deconscience identitaire ou religieuse.Gardons-nous de répandre cette barbarereligion sociale qui érige en dogmes lechaleureux lien de sentiment et l'évi-dence du prochain au détriment duconcept d'autrui. Pour être intraitable sur les discrimina-tions, il faut avoir à l'esprit que leur racineest dans une vision fractionnée de l'hu-manité qui la désagrège en coalitionsd’appartenance et de non-appartenance.

Pour former un peuple politique, ce nesont pas des groupes qu’il faut rassem-bler (patchwork) mais des individussouverains, atomes irréductibles, libreset égaux (melting pot). n

*Catherine Kintzler est philosophe, profes-seur émérite à l'Université Charles de GaulleLille III, auteure de • Qu'est-ce que la laïcité ? Paris, Vrin, 2008 2e

éd.Poétique de l'opéra français de Corneille àRousseau Paris, Minerve, 2006, 2e éd. Page web : http://www.mezetulle.net

1)Cet article se veut un hommage au titre dujournal fondé par Jean Jaurès : L'Humanité.2) Jean-Jacques Rousseau, Essai sur l'originedes langues, chapitre 9 (p. 84-85 de l'éditionGF, Paris, 1993).

promotion des femmes et celle despersonnes âgées.

La révolution parentale est marquée parl’importance des divorces, des couples nonmariés avec enfants, de la montée de l’éga-lité des femmes, des familles monoparen-tales, des parentés recomposées, descouples homosexuels, etc. Cela met encause les mœurs et autorités traditionnelles.

La révolution migratoire, c’est à l’op-posé de l’époque de l’impérialisme colo-nial, la forte pression migratoire des paysdu Sud en direction du Nord. Celaentraîne les défis massifs de l’intégrationou des rejets au plan culturel, du métis-sage, ou du multiculturalisme.

Montée de l’individualisme, des crisesd’autorité, de la crise des mœurs et miseen cause des mesures répressives

C’est l’exacerbation du libéralisme et deson individualisme. D’où les crises del’autorité. C’est la radicalité des affron-tements sur les mœurs et sur les valeurs.C’est notamment le cas des défis dumétissage culturel, avec les adoptions etles rejets de valeurs, dans les pays en déve-loppement et émergents, ou encore dansles populations immigrées et dans lesbanlieues des métropoles des pays duNord, participant à leurs conflits. C’estaussi la montée d’intégrismes opposés :• Intégrisme occidentaliste, de l’apologie

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LE DOSSIER

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SUITE DELA PAGE 9 > Pour une nouvelle gouvernance mondiale,

on pourrait chercher à construire unedémocratie participative internationale,pour des Biens publics communs de l’hu-manité. Promouvoir une culture departage et d’intercréativité de toute l’hu-manité. Une utilisation des technologiesde l’information, et de l’Internet pour uneintercréativité émancipée de la domina-tion des grands groupes privés.

Un nouvel humanisme et un nouvelœcuménisme Un humanisme de respect et de valori-sation de la dignité de chacun commecréateur devrait s’opposer à tous les inté-grismes. L’universalité de cet humanismepourrait être développé, depuis ceux quise revendiquent de la laïcité et même dela libre- pensée jusqu’à un rapproche-ment œcuménique des religions, sur desvaleurs de tolérance, de paix, et de respectde la dignité créatrice de chacun.

Un dépassement des cultures occiden-tales, orientales et du Sud, pour uneculture de toute l’humanitéUne civilisation véritablement mondialede toute l’humanité pourrait viser à dépasser

les apports de libertés de l’Occident, maissans l’égoïsme et les monopoles, et lesapports de solidarité de l’Orient et du Sud,mais sans les dominations hiérarchiques,pour l’épanouissement de chacun partout.Cela se rapporterait à une diversité enri-chissante et à des communautés de culture,avec des valeurs de partages jusqu’à chacun.Ce serait des partages des ressources, despouvoirs, des informations et des rôles, toutparticulièrement des rôles de création, pourune civilisation d’intercréativité.L’enjeu se rapporte à la convergence desluttes d’émancipation : de toutes les caté-gories de salariés du monde entier ; contreles dominations des femmes, de généra-tion, des jeunes, des personnes âgées ;des nations et zones culturelles domi-nées, de toutes les minorités immigrées;contre les repliements catégoriels etcontre tous les monopoles sociaux. n

*Paul Boccara est maître de conférenceshonoraire en Sciences économiques, mem-bre de la Commission économique du PCF

Extraits de La Crise systémique : une crise decivilisation. Ses perspectives et des proposi-tions pour avancer vers une nouvelle civilisa-tion. Fondation Gabriel Péri, décembre 2010.publiés avec l’autorisation de l’auteur

PAR CATHERINE COQUERY-VIDROVITCH*

L’histoire de France postcoloniale estcelle d’une France métisse. Elle l’ad’ailleurs toujours été : c’est un des

pays du monde qui a connu, de touttemps, les migrations les plus impor-tantes ; la culture française est uneculture syncrétique héritée de cesapports passés toujours renouvelés. Elleest donc faite de mémoires diverses,voire opposées. Ce qui est nouveau dansle postcolonial à la française, ce n’estpas le métissage : c’est la mise à jourd’un passé refoulé du métissage issu dupassé colonial. Les études dites « postcoloniales » propo-sent d’étudier l’épisode colonial en sedétachant des clichés hérités du savoirconstruit depuis plusieurs siècles en Occi-dent à l’aide de concepts forgés par les

colonisateurs, ce qu’un penseur congo-lais a appelé de façon imagée la « biblio-thèque coloniale1». Ces clichés tendentà cliver les deux mondes colonisateurs /colonisés dans un rapport de simpledomination/soumission, avec une sériede fausses oppositions binaires : tellesque l’opposition « sauvage versus civi-lisé », « tradition versus modernité », l’ir-réductibilité supposée entre la culturerurale et la culture urbaine, l’intangibi-lité intemporelle des « ethnies », et autresclichés qui continuent d’inonder lesmédias ; l’analyse postcoloniale s’attache,au contraire, aux processus incessants,tout au long de l’aventure colonialecommune aux colonisés et aux coloni-sateurs, de rencontres, d’échanges, d’ac-commodements et de résistances : c’est-à-dire tout type d’attitude impliquée parune coprésence. Il s’agit aussi de

COMMENT PENSER L’UNIVERSEL À PARTIR DU POSTCOLONIAL ?Décrypter ce qui relève de l’« héritage colonial » dans notre « natio-nal » présuppose un va-et-vient critique entre passé et présent ; c’estce qui en fait à la fois l’intérêt et la difficulté.

du libéralisme et du marché jusqu’à sacombinaison avec le moralisme conser-vateur des sectes évangélistes aux États-Unis ou encore la montée des conserva-tismes populistes et des extrêmes - droites• Intégrisme islamiste, de réaction auxmœurs occidentales contemporaines, contre leurs émancipations et aussi leursdébordements individualistes.D’où les affrontements du terrorisme isla-miste et aussi les guerres impulsées parles États-Unis en Irak et en Afghanistan.Ce sont encore : • les redoublements des crises d’excèsde délégations représentatives, de l’uti-lisation de « boucs émissaires » pourdétourner les colères sociales, mais aussides besoins de pouvoirs nouveaux.• la montée des exigences de droitsnouveaux liés à l’allongement de l’es-pérance de vie d’abord dans les paysdéveloppés, ainsi qu’à la prise deconscience du rôle décisif de l’émanci-pation des femmes dans le monde entier. • la montée des violences et donc de l’in-sécurité. Cela va des dérives de violenceet de répression dans les banlieues demétropoles, à la persistance des terro-rismes, des guerres • les divorces culturels entre une partiedes jeunes d’origine immigrée desbanlieues des pays développés et lescadres des institutions publiques. Mais ce sont aussi les échecs des réponsesrépressives et la montée récente desexigences de démocratisation profondeet des mesures sociales expansivespartout, de l’Amérique Latine aux Paysarabes et dans le monde entier.

PROPOSITIONS POUR AVANCER VERS UNE CIVILISATION DE PARTAGE DE TOUTE L’HUMANITÉ

De nouveaux droits et pouvoirsPromotion radicale des droits desfemmes, des enfants, des personnes âgéesdans les activités parentales, ainsi que despartages de pouvoirs.Dans les services publics, des pouvoirs departicipation et de coopération créatricedes usagers, directs et indirects commeles parents, avec tous les personnels.Nouveaux pouvoirs, du travail aux insti-tutions politiques. Des pouvoirs d’inter-vention dans les gestions des entrepriseset des services publics, permettraient lamaîtrise des activités, de travail et de toutela créativité. Cela favoriserait les capa-cités de tous de traiter les conditions etrègles de ces activités, définies au niveaupolitique, dans de nouvelles institutionsde démocratie participative.

Le multiculturalisme : un cauchemar ?

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décrypter ce qui relève de l’« héritagecolonial » dans notre « national ». Cettedémarche présuppose un va-et-vientcritique entre passé et présent ; c’est cequi en fait à la fois l’intérêt et la difficulté.

PLURALITÉ DES REGARDSLe postcolonial propose un mode depenser pluriel, qui entend tenir comptede tous les points de vue. On refuse deprivilégier comme universelle la pensée,consciente ou pas, transmise par l’histo-riographie classique des anciennes métro-poles européennes, via la bibliothèquecoloniale. Celle-ci est d’ailleurs autant lefait d’historiens « subalternes » qu’occi-dentaux parce que tous formés dans lesmêmes écoles jusqu’à il y a peu. Relire lepassé à la lumière de la critique menéesur la « bibliothèque coloniale » révèleaussi la contingence du savoir, étroite-ment lié à son contexte historique et poli-tique. L’analyse historiographique légi-time la nécessité de la pluralité des regards.Or les Français ont été élevés dans laconviction, et beaucoup d’entre euxdemeurent convaincus que les colonisésétaient de grands enfants qu’il fallaitdavantage dresser qu’éduquer. Dans ladifficulté française à accepter les descen-dants d’immigrés venus d’Afrique, leracisme intervient, de nature biologique– par le dosage de mélanine de la peau -envers les Noirs, ou de nature culturelleet religieuse (envers les Arabo-berbèresmusulmans). La menace de l’insécuritéest un euphémisme pour dire « insécu-rité produite par les jeunes Arabes etnoirs ». Cela est lié au thème colonial quia resurgi dans l’ensemble de la sociétéfrançaise. Le fait colonial et/ou esclava-giste est mobilisé par les medias, par lespolitiques et même par les historiens.Tous en proposent des représentationssociales et imaginaires issues du passéet réactivées pour des besoins contem-porains. Le résultat, c’est la résurgenced’une réalité (et pas seulement d’unimaginaire) : la « non-décolonisation »de la société française.

LE COSMOPOLITISMEQue les Français d’aujourd’hui le veuil-lent ou non, qu’ils se sentent menacés(en qualité de « Français de souche »,expression qui est un non-sens histo-rique hélas popularisé par Le Pen) ourejetés (en qualité d’immigrés : mais dequelles générations ?), il n’y a pas d’al-ternative ; à la fois grâce et par-delà ladiversité de nos passés reconnus et inté-grés, le creuset français va commenaguère remodeler le « sentiment d’être

français ». Cela se forge sans arrêt, « aumilieu de compatriotes venus de partout,ayant les mêmes droits que moi etrespectés en même temps dans leuridentité culturelle », comme le dit joli-ment Alain Touraine2. Quant à Imma-nuel Wallerstein3, il ébauche l’idée d’un« universalisme universel », qu’il faudraitappliquer chez nous. Cela signifierespecter l’héritage de chacun, recon-naître le bien-fondé des revendicationsdes minorités discriminées, et ne pass’opposer par principe à toute forme departicularisme, linguistique, sexuel,culturel, etc. Penser en termes multicul-turels ne signifie pas creuser des oppo-sitions dangereuses pour la cohésionnationale. Cela conduit au contraire « àpenser la diversité de la société françaisedans la convergence des histoires4 », carvivre en harmonie dans une sociétécomplexe exige l’art du compromis etdu dialogue. Cela implique l‘absoluenécessité d’enseigner ce passé communmais différent à tous les enfants, touteorigine confondue, car ce sont eux, tousensemble, qui vont construire la Francede demain.L’école, l’intelligence politique, la richessedes apports multiculturels vont permettred’édifier un sentiment commun d’ap-partenance à une nation dont les prin-cipales caractéristiques de demain nereproduiront pas à l’identique celles d’au-jourd’hui. La cohésion nationale doitintégrer la notion de cosmopolitisme, ausens de manière de penser, de sentir etd’agir capable de se situer au-delà de saculture propre tout en sachant l’en-glober5. C’est la reconnaissance de cedevenir historique et culturel communqui fait la richesse de ce qu’il est convenud’appeler l’identité nationale à conditionde la concevoir comme opposée à la fixitéet à l’unicité : c’est un complexe culturelvivant, dont la constante évolution engarantit la richesse. n

*Catherine Coquery-Vidrovitch est histo-rienne, professeure émérite à l’UniversitéDenis Diderot (Paris 7), auteure de Enjeux politiques de l'histoire coloniale,Marseille, Agone, 2009, 190 p.

1) Valentin Mudimbe, The Invention of Africa,et The Idea of Africa (Bloomington, IndianaUniversity Press, 1988 & 1994).2) Alain Touraine, « Ouvrir les yeux », Libéra-tion, 6 janvier 2008.3) I. Wallerstein, L’universalisme européen,Paris, Demopolis, 2008.4) Marie-Claude Smouts (sous la dir. de), Lasituation postcoloniale, Paris, Presses deSciences Po, 2007, 4e de couverture.5) Achille Mbembé, Sortir de la grande nuit.Essai sur l’Afrique décolonisée, Paris, LaDécouverte, 2010.

LE MÉTISSAGE : LA PENSÉE DE L’ÉMANCIPATION Le métissage est un moteur dedépassement non pas seulementdes discriminations, mais ducapitalisme lui-même.

PAR STÉPHANE COLONEAUX*

Comme le propose l’économistecommuniste Paul Boccara, portonsun regard sur ce qu’il nomme « l’an-

throponomie » comme étant l’un des« grands axes de transformation pourune autre civilisation de toute l’huma-nité ». Pour travailler à cette civilisationil nous invite, dans son dernier ouvrage,à nous intéresser aux métissages civili-sationels. Alexis Nouss, Pascal Laplan-tine, chercheurs et auteurs de plusieursouvrages sur cette notion, appellent euxaussi à reconsidérer le métissage commeétant un moteur de créativité propre àla réalité d’un monde en mouvement. J’affirme, pour ma part que le métissageest un moteur de dépassement non passeulement des discriminations, mais ducapitalisme lui-même. Il est le chemind’émancipations novatrices, au sens oùil est création, nouveauté et dynamisme.Pour admettre que le métissage est unmoteur d’émancipation il faut, commeil nous y invite, voyager, voyager au cœurde notre civilisation et de son histoire,voyager à travers soi-même pour yretrouver nos propres processus d’éman-cipation. Enfin, je parie pour la fonda-tion à partir du réel d’une pensée dupartage, de la relation permettant auxpeuples de construire un autre type decivilisation.

L’ALIÉNATION DE LA DOMINATION CAPITALISTENaomi Klein, essayiste et journaliste dansson livre La stratégie du choc dénonce« l’existence d’opérations concertées dansle but d’assurer la prise de contrôle de laplanète par les tenants d’un ultralibéra-lisme (...). Il mettrait sciemment à contri-bution crises et désastres pour substitueraux valeurs démocratiques(…) la seuleloi du marché et la barbarie de la spécu-lation. » Comment appréhender unesortie civilisationnelle du capitalisme sinous ne comprenons pas les mécanismesmis en place par celui-ci pour maintenir

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LE DOSSIERSUITE DE

LA PAGE 11 > les aliénations comme par exemple lesdiscriminations ? Il suffit de peu pour quechacun de nous puisse se rendre comptede sa stratégie. Allumer les écrans de télé-vision, regarder les Unes des journaux etvous y êtes : émeutes de la faim, crisesdes banques, crise politique, terrorisme,guerre, crise sociale, hausse des loyers,baisse du pouvoir d’achat, insécurité,suicides, meurtres… Et comme si cela nesuffisait pas : précarité énergétique,danger nucléaire, médications nocivespour la santé, pollution… Bref, cettedescription du chaos nous permet decomprendre à quoi nous conduisent lemarché et le capitalisme. Et pourtant, le capitalisme se porte bien.Il n’aura fallu qu’une petite année pourque les banques remboursent des milliardsd’euros de prêt après les faillites bancaireset tout en réalisant des bénéfices ! Le paradoxe, c’est qu’il se forme des résis-tances nouvelles dans ce « chaos »Edouard Glissant le définit en parlant deChaos-Monde : « J’appelle Chaos-Mondele choc actuel de tant de cultures qui s’em-brassent, se repoussent, disparaissentsubsistent pourtant, s’endorment ou setransforment, lentement ou à une vitessefoudroyante : ces éclats, ces éclatementsdont nous n’avons pas commencé desaisir le principe ni l’économie et dontnous ne pouvons pas prévoir l’emporte-ment. Le Tout-Monde, qui est totalisant,n’est pas (pour nous) total. »Qu’est-ce que la description du Chaos-monde peut avoir en commun avec lemétissage ? Eh bien tout, ou presque. Lemétissage c’est la pensée de l’émancipa-tion alors qu’aujourd’hui nous sommesaliénés par la domination capitaliste. Ils’agit donc, si nous voulons œuvrer pourune sortie du système, de travailler à unepensée de l’émancipation et du métissagemais pas n’importe laquelle. La stratégiedu choc c’est le capitalisme du désas -tre pour maintenir les aliénations. Au plusfort de la période esclavagiste, la traitenégrière était la plus intense, la plus inhu-maine, l’économie des pays européens aété des plus florissantes.

BESOIN DE POLITIQUES D’AFFIRMATIONDU MÉTISSAGEPour s’émanciper de la pensée capitalisteil y a deux postulats. Le premier, c’estcomprendre et connaître le système afinde le remettre en doute, le questionner,réinterroger les normes et leurs construc-tions historiques. Le second est de définirun mécanisme d’émancipation collectifqui soit un mécanisme de la relation àl’autre, une relation qui se construit dans

risme ». Deux Noirs ou trois Arabes quitentent de réaliser quoi que ce soitensemble, « complotent » forcémentpour remettre en cause l’ordre républi-cain. Nier les minorités revient pourtantsouvent à nier les discriminations. C’estce que dénonçait Jean-Paul Sartre1, pourqui le majoritaire paternaliste, quiprétend aider le minoritaire à luttercontre le racisme, est incarné par le «démocrate ». Celui-ci « a la crainte quele Juif acquière une “conscience juive” »et nie « la réalité de la question juive, ilveut “l’enfourner dans le creuset démo-

l’altérité, la découverte et le partage àcondition d’en faire une affirmation.Face à la stratégie de choc des civilisa-tions nous avons besoin de politiquesd’affirmation du métissage. Nouspouvons prendre comme exemples despolitiques qui œuvrent à l’éducation del’altérité comme les politiques culturelleslocales ou encore l’éducation populaireque nous avons conçue il y a quelquesannées. En effet, depuis la fin des annéesquatre-vingt-dix nous avons dansplusieurs collectivités territoriales desdélégués à l’égalité, à la lutte contre lesdiscriminations, au vivre ensemble ouencore, comme moi, aux métissages.Cette capacité nouvelle à définir et à agirau plan local, au plus près des citoyens àla fois contre les discriminations maisaussi à la mise en œuvre de politiquespubliques pour le vivre ensemble condui-sent des élus locaux à diagnostiquer unensemble d’actions et de propositionspropres à l’émergence d’émancipationsnouvelles. L’art de rue, le devoir demémoire, le bouleversement urbain, l’ha-bitat, les transports, etc. sont autant d’ac-tions, souvent portées par des associa-tions, où les dynamiques de la relation,du partage sont créatrices. Agir politique-ment du local au national avec une penséemonde, une pensée du métissage n’estpas une question réservée à une généra-tion mais bien une novation politique.Celle-ci s’oppose frontalement à troiscourants idéologiques : celle du repli sursoi et du nationalisme de l’extrême-droite,

celle de la globalisation libérale inéluc-table de la Droite et enfin celle des tenantsde la régulation du marché de la social-démocratie.

UNE PENSÉE MONDEAlors que certains voient dans le métis-sage une malédiction, les poètes commeEdouard Glissant ou Yacine Kateb y saisis-sent plutôt un monde en archipel, danslequel le métissage est une loi de larencontre dans l’altérité, de la réparation,et d’une humanité nouvelle. Si certainscommunistes n’interrogent pas la notionde métissage, ils se coupent alors deprocessus d’émancipations. Certes toutle monde ne peut s’investir dans tous leschamps d’émancipation mais pourrions-nous imaginer le dépassement du capi-talisme sans penser à l’émergence d’unealternative à l’économie de marché ? Deslors, il est impossible de penser le dépas-sement du capitalisme, et de son systèmed’aliénation sans une alternative d’unepensée à la relation à l’autre. Il existe unepensée de la relation, une pensée mondequi est processus de créativité et d’éman-cipation. Cette pensée, c’est l’incontour-nable notion de métissage. Il n’y aura pasde révolution, sans révolution fondamen-tale de la relation à l’autre. Une sociétépost-capitaliste n’est pas concevable sansune émancipation fondamentale. n

*Stéphane Coloneaux est maire adjointdélégué au métissage, aux droits del'Homme et devoir de mémoire, aux ancienscombattants à l’Haÿ-les-Roses.

PAR ROKHAYA DIALLO*

Dans notre pays, la notion même deminorité fait l’objet d’un rejet, laFrance refusant de signer les traités

internationaux les mentionnant, qu’ellessoient religieuses, ethniques, linguis-tiques ou culturelles. Elle ne reconnaîtofficiellement que des citoyens natio-naux et des étrangers parmi lesquels sontdistingués les ressortissants européens.Lorsqu’elles cherchent à se réunir, lesminorités voient leurs initiatives disqua-lifiées et accusées de « communauta-

LE « COMMUNAUTARISME », C’EST MAL ?En France, il est courant d’opposer l’universalisme républicain à uncommunautarisme qui serait le fait de minorités, le (mauvais) modèleaméricain multiculturaliste, menacerait notre sacro-saint « modèlerépublicain d’intégration ».

Le multiculturalisme : un cauchemar ?

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cratique” ». Il interdit au minoritaire dese penser comme tel et cherche à l’in-clure de force dans l’indifférenciation del’universel, à l’assimiler. En résumé,quand « l’antisémite reproche au Juifd’être juif, le démocrate lui reprocheraitvolontiers de se considérer comme juif».Le plus frappant, c’est que les « commu-nautés » stigmatisées par l’accusationd’antirépublicanisme n’existent pas ! Uneassociation peut regrouper des personnesnoires non pas au nom d’une apparte-nance communautaire mais d’un mêmevécu : celui d’être noir en France. Parailleurs, les termes « communautaire »et « communautariste » sont souventconfondus : le communautarisme est unedémarche politique visant au sépara-tisme. Or, que réclament les groupescommunautaires sinon l’inclusion dansla République ?

UN DOUBLE DISCOURSÉtrangement, les regroupementscommunautaires ne sont pas toujoursdécriés, ils font même l’objet d’un doublediscours. Les offensives anti-commu-nautaristes visent en particulier lespersonnes noires ou originaires duMaghreb. Celles d’origine portugaise,chinoise ou de confession juive – oumême les Auvergnats dont l’organisa-tion sociale, économique ou culturellesouvent marquée par l’appartenancecommunautaire est très visible dans lasphère publique – sont, elles, épargnéesde toute critique. A-t-on déjà entenduquelqu’un protester contre les défiléscélébrant le Nouvel An chinois à Paris ?Il suffit pourtant que quelques malheu-reux drapeaux algériens soient brandisau même endroit pour que l’indignationsoit généralisée. Quant au communautarisme le plus effi-cace, celui qui est blanc et masculin, quicontrôle les sphères de pouvoirs écono-mique, médiatique et politique, et quiinterdit à toutes les minorités d’accéderà ces cercles, celui-là ne semble pasdéranger grand monde.

LA RECOMPOSITION IDENTITAIREQue n’a-t-on pas entendu sur l’horrible« repli communautaire » qui menace nosbanlieues ! Mais que vient faire ici unterme militaire (le repli étant la retraitedes troupes) dans une histoire d’iden-tité ? Comme Amin Maalouf l’observait :« Lorsqu’on sent sa langue méprisée, sareligion bafouée, sa culture dévalorisée,on réagit en affichant avec ostentationles signes de sa différence. » La socio-logue Christelle Hamel2 décrit effective-

ment un processus expliquant lescomportements de retrait observé chezcertains jeunes Français d’origine étran-gère qui, confrontés à l’échec social etprofessionnel, nourrissent une véritable« rage » à l’égard de la société et rejet-tent en bloc « la société, les riches, lespuissants, l’État, la justice, la police, lesystème scolaire, les médias, tout ce quià leurs yeux les opprime et les cantonnedans la marginalité. ». Ce processus de« ségrégation réciproque » est semblableà celui que l’on observait dans desbandes d’adolescents dans les années1960-1970. Ce phénomène social n’adonc rien de nouveau, ni de propre à uneculture « étrangère ».Désillusionnés par le traitement que leurréserve la République, certains jeunescherchent dans leurs origines de lamatière pour se composer une nouvelleidentité et des bases sur lesquelles formerun groupe de confiance. La « recompo-sition identitaire » consiste alors àpiocher dans sa culture d’origine réelleou supposée des éléments propres ànous construire en tant que minorité, cequi permet d’éviter les situations poten-tiellement discriminantes. Lors de sa visite en France en 2007, GayMcDougall, l’experte indépendante desNations unies, a constaté dans sonrapport « une ségrégation de fait » dansles banlieues les plus pauvres où lesminorités visibles sont fortementconcentrées, ce qui traduit l’absence devolonté de la puissance publique d’as-

surer le « mélange » des populations. Lesoffices publics de logements sociaux ontlongtemps pratiqué et pratiquent encorela ségrégation. Sous prétexte depermettre aux minorités de vivre avecles « leurs », ces instances dépendant del’État ont organisé de véritables enclavesaboutissant à la création de quartiersdénoncés ensuite comme des « ghettosethniques».Aujourd’hui, le phénomène de gentri-fication modifie le visage des quartierspopulaires. Les « bobos » sont de plusen plus nombreux à s’installer dans cesquartiers dont on vante les vertus «métissées ». Pourtant, leur stratégiescolaire montre que la volonté de coha-bitation n’est qu’une façade : il suffit decomparer la composition sociale etethno-raciale des écoles à celle desquartiers pour s’apercevoir que le «communautarisme » tant dénoncé n’esten réalité le fait de ceux que l’onaccuse… n

Extrait de « Racisme : mode d’emploi »de Rokhaya Diallo, Paris, Larousse, 2011extrait pulié avec l’autorisation de l’auteure.

1) Jean-Paul Sartre - Réflexion sur la questionjuive, Gallimard, 1954.2) Christelle Hamel, Faire tourner les meufs :Les viols collectifs dans les discours des agres-seurs et des médias, Gradhiva, n°33, 2003, pp.85-92, dossier spécial « Femmes violentées,femmes violentes ».

*Rokhaya Diallo est chroniqueuse à CanalPlus et militante associative

PAR MABOULA SOUMAHORO*

En France, le débat public tenu en cedébut de XXIe siècle sur la questiondu multiculturalisme peut donner le

sentiment que ce thème est nouveau. Ils’agirait d’un thème étroitement lié à« l’actualité ». En réalité, il n’en est rien.Le caractère récent étroitement associéà la question multiculturelle qu’une frangespécifique de la population françaises’évertue à mettre en avant ne se limitequ’à cette seule frange de la population.Cela ne soulèverait aucun problèmemajeur si cette population si particulièrene détenait pas, à elle seule, le pouvoir etles moyens d’organiser tant le débat

public que la réflexion sur ce thème. Onl’aura compris, cet ordre des choses adonc une incidence politique sur l’ap-proche et l’articulation du multicultura-lisme, de même que sur l’élaboration descatégories de personnes et communautésqui sont le plus concrètement touchéespar les politiques publiques qui en décou-lent.La France multiculturelle, on le sait, estle fruit d’une histoire dont les ramifica-tions s’étendent depuis des siècles bienau-delà de nos côtes hexagonales. Lemulticulturalisme français existe bel etbien de facto. De jure, des moments del’histoire de France tels que celui de lacolonisation – qui est loin d’avoir débuté > SUITE

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MOUVEMENT ET MULTICULTURALISMELa France multiculturelle est le fruit d’une histoire dont les ramificationss’étendent depuis des siècles bien au-delà de nos côtes hexagonales.

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avec la conférence de Berlin en 1885, cene sont pas nos amis Haïtiens qui mecontrediront) - ont donné lieu à la recon-naissance et l’acceptation par la loi destatuts et pratiques culturelles différentesau sein du même empire. Encoreaujourd’hui, dans le langage courant,certains continuent d’utiliser l’appella-tion « musulmans » pour désigner lesAlgériens. Du point de vue de l’histoire,cela s’explique très clairement. Des exem-ples de ce type, et ils font foison, révèlentqu’il fut un temps où la République étaitcapable d’«intégrer » des minorités reli-gieuses ou autres, dans tous les cas recon-nues comme telles. L’exemple de l’Algérieest parlant. En effet, la France a tantcombattu pour garder dans son giron cetancien département français. Les traceset les cicatrices laissées perdurent desdeux côtés de la Méditerranée. Ainsi, de nos jours, les minorités dites« visibles », de même que les religions nonchrétiennes actuellement présentes sur

Le multiculturalisme : un cauchemar ?

fondation de Georges Soros), avait établiun inquiétant bilan. Sur 525 opérationsde police, entre octobre 2007 et mai 2008,dans deux points de grande affluence dela capitale (Châtelet et la Gare du Nord),un « Arabe » avait sept à huit fois plus dechances de se faire contrôler qu’un« blanc ». Un « noir » : six fois plus. Pourle dire autrement, si le « contrôle aufaciès » n’existe pas en France, il s’ap-plique pourtant. L’hypocrisie est là. Niés,refoulés, les stéréotypes racistes n’ensont pas moins efficaces. Ce serait plutôtl’inverse. Et deux ans plus tard, les suitesde cette étude sont édifiantes : rien n’achangé. Le gouvernement a détourné latête. Gênée, la police n’a pas modifié soncomportement, et le harcèlement vécupar certains est loin de s’être estompé.

UNE EFFICACITÉ DOUTEUSEEn plus d’un enjeu de principe, celui decombattre les discriminations quellesqu’elles soient, la question concerne l’ef-ficacité même de l’action policière. Defait, le stéréotype raciste conduit souventles agents sur de fausses pistes et rendleurs opérations prévisibles. En 2006, lapolice londonienne (qui pratique lefichage ethnique) en a reconnu leslimites à l’examen des attentats de 2005 :leurs auteurs ne correspondaient pas

PAR IAN BROSSAT*

C’est l’histoire d’une hypocrisiedont les conséquences sont à lafois absurdes, nuisibles – et discri-

minatoires. En France, pas de fichageethnique, pas de quotas : les minoritéssont invisibles. Ce serait le fondementtoujours vivant de notre principe d’éga-lité républicaine. Dans les faits, il en vapourtant tout autrement. Et certains,certaines, sont bien plus visibles qued’autres. En mode mineur, nous en avonseu le triste rappel avec la sordide et ridi-cule controverse dite « des quotas » dansle football professionnel. En modemajeur, nous le vivons tous les jours. Surle lieu de travail, au moment de cher-cher un appartement, en attendant deprendre un train ou un avion. La discri-mination frappe partout – mais pas toutle monde, c’est sa logique. Plus grave,elle déteint sur les opérations de policeet les contrôles d’identité. Parfois, le droità la sécurité pour tous, c’est le droit dediscriminer quelques-uns. Mais quandon l’évoque : silence radio. Cela n’existepas en France.Pourtant, le consternant « contrôle aufaciès » existe bel et bien. En 2009, uneétude réalisée par deux chercheurs duCNRS, pour l'Open Society Institute (la

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LE DOSSIER

CONTRÔLE AU FACIÈS : LA RÉALITÉ D’UNE HYPOCRISIELa discrimination frappe partout, mais pas tout le monde, c’est sa logique.

le territoire national, sont toutes les fruitsdes amours et des désamours qui ontd’abord uni, puis (parfois) séparé la Franceet des territoires avec lesquels l’Europeoccidentale s’est décidée à entrer encontact depuis le XVe siècle. De ce fait,depuis ces temps anciens, on peut direque les « grandes découvertes », les traitesnégrières et autres projets coloniaux ontchacun joué un rôle déterminant dans laproduction d’identités, tant individuellesque collectives, qui se sont complexifiéespar des formes de formes de métissagedont on ne peut pas constamment etexclusivement déceler l’existence à l’œilnu. Cela s’avère particulièrement vrai ence qui concerne les cultures. La question qui se pose pour la répu-blique française aujourd’hui n’est doncpas celle de l’existence ou non d’unmulticulturalisme. Celui-ci existe, nepas le sa(voir) relève du simple déni.L’autre question qui se masque derrièrela première est en fait celle de la recon-

naissance de ce multiculturalisme. Poséeen ces termes, la question de la recon-naissance peut impressionner tant elleremet en cause les conceptions strictesde la citoyenneté qui vont de pair avecl’acceptation de l’État-nation commeseule forme de gouvernance acceptableet efficace, garante de pureté et d’ori-gine unique. En outre, le multicultura-lisme, pour ceux qui s’y opposent,touche également à la question de l’al-légeance à la Nation. Pourtant, lesparcours individuels et collectifs mettenttous deux en lumière le fait que l’êtrehumain n’a jamais laissé des frontières,réelles ou imaginaires, limité sa capa-cité de mouvement. Mouvement etmulticulturalisme, les termes sont indis-sociables et résument à eux seuls l’his-toire de l’humanité. n

*Maboula Soumahoro est maître de confé-rences en civilisation du monde anglophoneà l’Université de Tours.

« assez » au profil. Mieux : en 2007-2008, en Espagne, une petite communeproche de Madrid décide d’ignorer toutcritère ethnique pour ne se concentrerque sur des indices probants et objec-tifs. Les contrôles sont divisés par trois,mais leurs résultats (c'est-à-dire lenombre de contrôles débouchant sur ladétection d’un acte criminel) sont multi-pliés par cinq.Pendant ce temps, en France : toujoursrien. Faux problème, nous dit-on. En fait :un recul. Avec la réforme de la Commis-sion nationale de déontologie et de sécu-rité, cette dernière se confond désormaisavec le Défenseur des Droits. En réaction,Marie-George Buffet a déposé une propo-sition de loi pour la création d'un comiténational d'éthique de la sécurité – car c’estla seule solution. Contrôler les contrôles,et de manière indépendante. La plupartdes experts et des spécialistes le recon-naissent, mais pas l’État. Car pour cela, ilfaudrait en finir avec l’hypocrisie. Dansl’exposé des motifs de la proposition deloi de Marie-George Buffet, il est oppor-tunément rappelé le cas de Sihem Souidqui, fonctionnaire de police, a dénoncédans un livre des faits de racisme, desexisme, d'homophobie, des atteintes àla dignité humaine, des abus de pouvoir,etc. Pour toute récompense, l’adminis-

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ou témoin de faits dont elle estime qu’ilsconstituent un manquement aux règlesde l’éthique ou de la déontologie »,commis par « des personnes exerçantdes activités de sécurité », puisse entémoigner et faire valoir ses droits. Demanière gratuite et impartiale. Cecomité pourrait mettre en demeure lespersonnes impliquées, demander qu’onlui communique tout document utile,

se rendre sur les lieux. Mais encoredemander des sanctions disciplinaires,transmettre ses conclusions à untribunal. Cela semble si simple : onappelle cela la transparence, le respectdes droits de chacun. La véritable égalitérépublicaine commence ici. n

*Ian Brossat est chargé des questions desécurité à la direction nationale du PCF.

PAR ALAIN BLUM*

L e 23 mars 2009, Yazid Sabeg,« commissaire à la diversité et àl’égalité des chances », position

créée par le gouvernement en décembre2009, mettait en place le Comedd,Comité pour la mesure et l’évaluationdes discriminations et de la diversité. Ilétait chargé « d’identifier, d’évaluer et deproposer les catégories d’observationmobilisables, dans le cas de la France,pour la mesure et l’évaluation de la diver-sité et des discriminations ». Il devaitrépondre au souhait du président de laRépublique de disposer d’outils qui« reposent sur des méthodes incontes-tables », définis, « dans un esprit dedialogue avec l’appui de la communautéscientifique et statistique ». Cette créa-tion engageait un vif débat, où s’oppo-sèrent ceux qui pensaient que la connais-sance et la liberté du chercheur devaientconduire à développer diverses formesde statistiques ethniques (nomméesparfois, par euphémisme, statistiquesde la diversité, quand toute statistiqueest celle d’une diversité), alors que d’au-tres en soulignaient l’illusion et le carac-tère pervers voire dangereux. Le rapportofficiel du Comedd1, parut alors que ledébat était déjà plus ou moins enterré .Il fut enterré aussitôt publié.Curieuse répétition d’une histoire quidix ans auparavant avait aussi secouéle monde de la recherche quandcertains avaient introduit une visionethnicisante de la société française,l’enjeu étant alors autre : il ne s’agis-sait pas de lutter contre la discrimina-tion, mais plutôt de révéler les consé-quences de l’immigration, en figeantchacun dans ses origines, ethniciséeslorsqu’on ne venait pas d’Europe.

RELATIONS ENTRE APPARTENANCES ET COMPORTEMENTIl est vrai que la politique française montraque l’intention proclamée haut et fort dugouvernement de lutter contre les discri-minations était bien imaginaire, et queles actions politiques stigmatisantes, voireviolentes, contre des populations dési-gnées par une appartenance ethnique ouune apparence raciale témoignaient sibesoin du potentiel usage des statistiquesethniques : entre un gouvernement quiexplicitement fait référence aux roms pourprocéder à des expulsions du territoire,un journaliste qui affirme que les trafi-quants sont presque tous « noirs etarabes », une polémique sur une éven-tuelle mise en place de quotas dans lefoot, on voit bien comment pourraientêtre utilisées, quoi qu’en aient dit les zéla-teurs de la statistique ethnique, l’intro-duction de telles catégories. Car, les fervents défenseurs de l’introduc-tion d’une telle statistique ont beau direqu’elle ne peut être utilisée que toutechose égale par ailleurs (en tenantcompte, en particulier de la dimensionsociale) on voit bien comment, par cequ’elle porte de préjugés, elle serait inter-prétée, très vite, en terme de relationdirecte, essentielle, entre appartenanceet comportements.Il y a en fait beaucoup de confusion.Refuser la statistique ethnique n’est pasrefuser l’évidence : l’existence de discri-minations fondées sur des apparences.Mais c’est refuser l’idée que l’apparencepeut être mise dans des cases, qu’il exis-terait une liste d’identifiants, de carac-tères physiques, qui pourrait être attri-buée à chacun, sans hésitation. Que tousles autres attributs qui fonctionnentautour d’une personne (la manière d’être,le lieu de résidence, la maîtrise des

langues, etc.) ne contribuent pas à se fairediscriminer.

LA STATISTIQUE MET EN BOÎTEElle est un outil puissant lorsqu’elledécrit des positions dans le monde éco-nomique, une relation établie entre lesinstitutions et les personnes. Elle est unoutil au service de l’économique et dusocial, mais n’a jamais permis uneapproche fine des identités dans leurcomplexité. Il y a une position bienscientiste, qu’ont essayé de faire passerquelques chercheurs en mal de recon-naissance, que de penser qu’uneconstruction statistique est l’outil parexcellence, indispensable pour l’ana-lyse du social.La statistique peut être un magnifique outillorsqu’elle est maniée avec humilité, etlorsqu’elle est critique sur elle-même. Ellepeut être en revanche un outil redoutablequi, par sa construction même, offre undiscours partisan. Si, bien entendu, certains,dans certaines conditions, seront vuscomme des noirs, des Arabes, des beurs,des métisses, des blancs, des Européens,des Auvergnats ou des Russes, d’autres lesverront comme des Français, « de typemaghrébin », des personnes au teint mat,des Asiatiques. Et qui plus est, selon lescontextes, chacun se désignera différem-ment. Toutes les études réalisées de façonfine, auprès des populations socialementdéfavorisées, résidant aux marges descentres urbains, montrent à quel point lesdésignations ethniques sont souples, chan-geantes, loin d’une identité affirmée etunivoque. Enfin, bien des études, encontexte, fondées sur des méthodes d’ob-servation fine, sans introduire des catégo-ries ethniques figées, témoignent des méca-nismes de discrimination et permettentd’en comprendre les ressorts principaux.

tration l’a traînée au tribunal – pourmanquement à son devoir de réserve. Car,on ne badine pas avec l’hypocrisie.

POUR UN COMITÉ NATIONAL D’ÉTHIQUEOn a depuis trop longtemps lâché laproie pour l’ombre : un comité nationald’éthique de la sécurité est bel et bienindispensable. Tout simplement pourque « toute personne qui a été victime

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MESURER, CLASSER. STATISTIQUES ETHNIQUES ? Refuser l’idée que l’apparence peut être mise dans des cases, qu’il existerait une liste d’identifiants,de caractères physiques, qui pourrait être attribuée à chacun, sans hésitation.

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LA REVUE DU PROJET - JUIN 2011

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LE DOSSIER Le multiculturalisme : un cauchemar ?

Evitons donc l’essentialisme, qui, plutôtque de nous rapprocher d’une diversitédes apparences, des perceptions de soi,des perceptions des autres, les fige dansces groupes qui, s’ils sont largementutilisés par la statistique, conduisent àl’exclusion et la stigmatisation, fonde-ront des politiques publiques discrimi-nantes, au lieu de lutter contre les racinesd’un mal qui peut ronger une société. n

*Alain Blum est démographe, chercheur àl'Ined et à l'EHESS, il a contribué à l’ouvragecollectif Le retour de la race. Contre les statis-tiques ethniques, Paris, Editions de l’Aube,2009.

1/ Inégalités et discriminations - Pour unusage critique et responsable de l'outil statis-tique : rapport du comité pour la mesure dela diversité et l'évaluation des discrimina-tions, http://www.ladocumentationfran-caise.fr/rapports-publics/104000077/index.shtml

sition de loi pour l'ouverture du droit aumariage à tous les couples, propositionque nous avons encore enrichie enfévrier 2010 en précisant que ce droitdevrait non seulement s'établir sansdistinction de sexe, mais aussi sansdistinction de genre.Et nous avons depuis avril 2011, unenouvelle proposition de loi destinée àlever les discriminations sur la filiation(pour l’accès à la parentalité). Cetteproposition de loi affirme une triplevolonté : la primauté de l'intérêt supé-rieur de l'enfant, son droit d'être élevépar ses parents dans de bonnes condi-tions et de pouvoir jouir d'une vie defamiliale normale ; la garantie de l'éga-lité de tous et toutes devant les lois,quelles que soient l'orientation sexuelleet l'identité de genre ; le respect de l'in-tégralité psychique et physique dechaque adulte ou enfant au plan indivi-duel comme dans les relations sociales.Alors que l'actuel droit civil de la familleest tourné vers le couple de deux sexes,elle prend en considération le dévelop-pement de familles pluriparentales oucoparentales, parfois de même sexe.Enfin un travail est engagé sur la ques-tion « trans » qui devrait aboutir à uneproposition de loi dégageant la personnequi veut légitimement affirmer le genrequi est le sien – au delà de l'apparenceque la nature lui a donnée – du carcanmédico-psycho-judiciaire qui enserrechaque étape du parcours, afin que celui-ci conjugue naturellement le respect dela personne concernée, la rigueur médi-cale, les droits sociaux et citoyens.On le voit, dans ce domaine comme danstous les autres, l'égalité des droits, lerespect de l'autre, le développement del'humain vers une civilisation supérieuresont au centre de nos soucis. C'est aussipourquoi, et ce sera ma dernière réflexion,nous n'avons pas retenu le prétenduconcept de « liberté sexuelle » toujoursconjugué, conçu même, en liaison avecune sorte de marchandisation du sexe,de culte de la performance et d’une sortede norme. Nous nous prononçons pourla libre sexualité mutuellement consentie.Dans sa vie une personne peut avoir desmoments où elle va aimer, vivre avecquelqu’un d’un autre sexe et des momentsoù elle va aimer ou vivre avec unepersonne du même sexe. Tout cela s’ins-crit dans le cadre de l’épanouissement dela personne humaine et le respect de sadifférence ou de ses différences. n

*Richard Sanchez est chargé de la questionLGBT à la direction nationale du PCF.

richesse pour le développement social.Et que le développement des différences,ça veut dire aussi égalité des droits.

FIÈR-E-S ET RÉVOLUTIONNAIRES « Fièr-e-s et révolutionnaires », le collectifdu Parti communiste qui travaille plusparticulièrement sur ces questions, aacquis une autorité certaine auprès desdiverses associations LGBT (lesbiennes,gays, bi, trans). Il est partie prenante detoutes les actions, manifestations etmoments de réflexions sur ces sujets. Ila à son actif plusieurs initiatives qui ontconnu un réel succès : débats sur l'ho-mosexualité en banlieue, rencontre euro-péenne pour l'égalité des droits, colloquesur la question trans, etc.Surtout, une collaboration étroite avecles parlementaires communistes de l'As-semblée Nationale et du Sénat, a permisl'élaboration et la présentation de touteune série de propositions de loi quiapportent des réponses marquées dusceau de la justice, de l'égalité des droitset du respect de la personne aux ques-tions posées aujourd'hui à cet égard.Curieux paradoxe pourrait-on penser,mais de fait, alors que dans sa majorité,la population française devient de plusen plus ouverte à la diversité (plusieursenquêtes d'opinion révèlent des majo-rités favorables au mariage, à l'adoption,etc.,) les actes « LGBTphobes » devien-nent plus nombreux, plus violents, plusdirectement injurieux, par le biais d'in-ternet, mais aussi sur les lieux de travail,les lieux publics et au sein de l'entouragefamilial. Déposée en juillet 2004, notreproposition de loi pour les considérercomme de véritables et graves délits, lesinterdire, les réprimer en tant que tels,donne les moyens efficaces de« combattre l'incitation à la haine homo-phobe, lesbophobe, transphobe, depuisl'école jusqu'à l'institution de formationsspécifiques dans les collectivités territo-riales, administrations et entreprises.

DES PROPOSITIONS DE LOIOn pense souvent que le PACS a toutréglé, alors même que sans nier l'avancéequ'il a constituée il y a 12 ans, et lesquelques progrès arrachés par les parle-mentaires communistes - il reste uncontrat. Notre proposition de loi de Juin2009 – qui a pu être débattue au Sénatmais repoussée par la majorité de droite– montre comment renforcer les droitsdes personnes liées par un PACS danstous les domaines de la vie de cescouples.Dès 2005, nous avons déposé une propo-

LIBERTÉ ÉGALITÉ AIMERNotre combat contre toutes lesdiscriminations – qui gangrè-nent les relations sociales etsont source de souffrancehumaine – s'inscrit dans notrelutte pour l’émancipation del’humanité et l’épanouissementde la personne.

PAR RICHARD SANCHEZ*

À l'évidence, la personne humaine nepeut s’épanouir sans que son orien-tation sexuelle, le genre qu’elle

ressent être le sien, puisse être vécu augrand jour, respecté par les autres.Pouvoir s’aimer à la vue de tous sanspeur, sans honte, sans mensonge est undroit fondamental de chaque êtrehumain. La reconnaissance de l’orien-tation sexuelle et de l’identité de genresont donc choses fondamentalementcommunistes.Pendant longtemps nous avons consi-déré que ça n’appartenait qu’au domainede l’intime. Et nous disions : respect maisquestion personnelle, pas d’immixtionsdu parti communiste dans ces questions.Nous avons appris, depuis, que la recon-naissance de la différence, son respect,son épanouissement, constituent une

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JUIN 2011- LA REVUE DU PROJET

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PAR JACQUES PORTES*

Les partis politiques s’empressaientde faire voter les nouveaux arrivants,en leur promettant la nationalité

américaine. Ce qui fait qu’au bout d’unegénération ces derniers étaient en mêmetemps proches de leurs racines et « inté-grés » dans la société américaine avecses habitudes de consommation et dedivertissement.

LE MELTING POTToutefois, l’idéologie dominante avait« inventé » au début du XXe siècle lanotion de melting pot, selon laquelle lesimmigrants perdaient rapidement leurculture pour s’américaniser.A une époque de très forte immigration(environ 1 million par an vers 1910) lemelting pot paraissait rassurant, mêmes’il fallait toujours deux ou trois généra-tions pour que des immigrants en majo-rité se marient en dehors de leur groupeet s’intègrent dans la société. La restric-tion de l’immigration en 1920 et 1924 aabouti à une forme d’intégration, sansla pression de nouveaux immigrants.En fait, il faut attendre 1965 pour que laloi sur l’immigration aboutisse au retourmassif d’immigrants, d’origines variéeset plus diverses qu’auparavant.

L’AFFIRMATIVE ACTIONA cette période, les dispositions de l’af-firmative action (dénommée absurde-ment en français « discrimination posi-tive ») ont donné naissance aumulticulturalisme moderne. Elles ontété conçues de 1965 à 1971, par le prési-dent Johnson puis son successeur Nixon,spécifiquement pour les Noirs, que leurpassé esclavagiste et ségrégationnisteavaient handicapé. D’ailleurs, les Afri-cains-Américains ont profité de cettepolitique et nombreux sont ceux qui ontainsi pu poursuivre des études et trouverdes emplois dans la fonction publiquefédérale ou fonder de petites entreprises. Dans le même temps, d’autres groupesont jugé avoir droit, eux aussi, à cesprogrammes compensateurs : le cas desfemmes et des Indiens a été réglé assezvite puisque la discrimination antérieure

était indéniable. Une première déviationde l’affirmative action se produit alors,quand les nouveaux immigrants attiréspar la loi de 1965 vont également entrerdans le système et le rendre de moins enmoins transparent.Dans les services officiels, l’arrivée depopulations venues d’Amérique latineet d’Asie correspond à la conceptionraciale de la société américaine — appa-rente également dans les catégories durecensement — divisée en cinq groupes :blancs, rouges, noirs, bruns et jaunes.La coexistence de ces groupes reconnuepar l’idéologie multiculturelle aurait pubien se passer, si elle n’avait pas été diffi-cilement compatible avec les textes quidéfendent le droit d’individus égaux ausein de la collectivité, car il est impos-sible à plaquer un carcan sur une sociétéen mouvement perpétuel.Les Africains-Américains ont constatéque les avantages dont ils disposaientétaient en diminution, dans la mesureoù les services avaient partagé lessommes disponibles entre de nombreuxpartenaires, sans qu’il y ait eu accrois-sement des crédits. Les Chinois réussis-sent fort bien dans les études supérieureset estiment qu’ils n’ont pas besoin demesures de protection, mais quand lesbureaux qui établissent les listes de béné-ficiaires veulent en rayer un certainnombre, ils sont ensevelis sous les protes-tations et les menaces des activistes dechaque groupe et se gardent bien depersister dans leur initiative malencon-treuse. De la même façon, si ces servicesécartent des programmes certains desnouveaux arrivants, des Indiens d’Indeet du Pakistan par exemple qui ont debonnes situations, il se trouve toujoursun représentant de ces groupes pourcrier à l’inégalité de traitement interditepar la loi. Il ne s’agit plus d’une améri-canisation par les valeurs, comme autre-fois, mais de l’utilisation d’un systèmeau profit de l’identité du groupe.Pour compliquer le paysage social, lesgroupes raciaux établis par l’adminis-tration, par tradition et sans la moindredéfinition scientifique, éclatent peu àpeu en raison du changement desmœurs. Si les Africains-Américains conti-

nuent, mise à part une infime propor-tion qui croît régulièrement, à pratiquerl’endogamie et ne discutent pas unehomogénéité raciale bien floue, ce n’estpas le cas des autres groupes. Lesderniers recensements indiquent en effetqu’un tiers des « Hispaniques » semarient en dehors de leur groupe« racial », comme le font plus de la moitiédes « Asiatiques ». Dans ces conditions, l’affirmative actiondevient ingérable et a perdu tout sonsens, mais le multiculturalisme est luiaussi bien difficile à définir. Quel est l’élé-ment primordial pour un Italo-améri-cain ou pour un Mexicain qui vit auxÉtats-Unis depuis des années, et qui aobtenu la nationalité américaine ? Sont-ils, avant tout, des Américains ou reven-diquent-ils plutôt leur identité d’origine ?Il apparaît que le potentiel d’assimila-tion américaine existe toujours, grâceaux médias, à la consommation demasse, à la répétition du messagenational en cas de crise, comme l’ontprouvé les réactions après les attentatsdu 11 septembre 2001. Les Américains,quelle que soit leur origine, revendiquentvolontiers leur nationalité dans ces cas-là, surtout quand ils se trouvent àl’étranger, mais dans les périodes pluscalmes, ils se plaisent à revendiquer avecforce leur identité particulière. n

*Jacques Portes est professeur d’histoire de l’Amérique du nord, université Paris 8.

LE MULTICULTURALISME AUX ÉTATS-UNIS Le multiculturalisme a toujours existé aux États-Unis, mais il n’y était ni reconnu ni admis. Au XIXe siè-cle, les immigrants dans leurs quartiers de New York ou Chicago vivaient pendant plusieurs années avecleur langue originelle, leurs produits alimentaires du pays ; toutefois les hommes se débrouillaient peuà peu en anglais dans leur travail et, à l’école, les enfants se frottaient aux autres de langues diverses.

Retrouvez sur tous les textes de ce dossier, des avis, des commentairessur www.pcf.fr et une Edition La Revuedu Projet publiée et recommandée par la rédaction de Mediapart surhttp://blogs.mediapart.fr/edition/la-revue-du-projet. Nous vous invitons à participer à cette collaboration en réagissant, en commentant et en diffusant largement les contributionsque nous mettons en ligne.

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LA REVUE DU PROJET - JUIN 2011

D’ IDÉESCO

MBA

T «Tu peux tout accomplir dans la vie si tu as le courage de le rêver, l’intelligence d’en faire un projet

économique, matérielle ; la peur du terro-risme est réelle et nourrit une méfiance àl'égard de l'islam et des musulmans. Deplus, tout se passe comme si l'actualité(identité nationale, déchéance de natio-nalité, burqa, Roms) venait nourrir leursinquiétudes et leur donner le sentimentde fragilisation de la société. L'accumula-tion sur une courte période de tous ces« débats » fait que la question de la diffé-rence, de la gestion de la différence estplus en plus visible. Dans le même temps,le discours politique se «  libère  » ; ce quiauparavant était l'apanage de l'extrêmedroite se banalise. Ce qui est nouveau, parrapport à 2007, c'est le fait de désignersans gêne tel ou tel groupe (comme le noirou l'Arabe chez Zemmour...). Le lien immi-gration–insécurité est désormais jugécomme une question de « bon sens », quenombreux taisaient jusque là en raisond'un discours antiraciste dominant. Lesondé, souvent, ne prend pas ça pour duracisme mais comme un signe de luciditési on veut vraiment s'attaquer au problèmede l'insécurité... Désormais le discours dedéfiance à l'égard de l'Autre est considérécomme légitime. « Un verrou a sauté » ditl'étude. Cette banalisation peut êtredéplorée ou saluée par les sondés qui, tous,sont pessimistes sur l'état de la société et–ce qui est plus grave– pessimistes surl'avenir : on s'imagine que l'individualismeva s'accentuer, que le manque de respectne pourra pas s'inverser ; on s'attend ensomme au pire (attentats, révoltes, guerredes religions...).Notons que, spontanément, les gens nementionnent plus le thème de « trop d'im-migrés  », ce qui peut signifier tout aussibien que, pour eux, c'est une évidence oualors que ce n'est pas en soi un problème ;mais beaucoup anticipent une augmenta-tion de l'immigration que la France ne pour-

rait pas intégrer. Les gens n'imaginent pasqu'il existe des solutions : la politique estglobalement discréditée ; on en appelle àune « prise de conscience  » sans trop ycroire.

UNE DIVERSITÉ DE DISCOURS SUR LE RACISMEDeuxième chapitre de l'étude : « Au delàde traits communs, une diversité dediscours sur le racisme. » Le racisme estrarement vécu à partir de la notion derace au sens biologique ; c'est «  le refusde l'Autre en raison de sa différence » etlà, les critères sont très variables. Pourpresque tous les sondés, le racisme estrépréhensible, une « attitude socialementet moralement non admise ». Et pour cela,on cherche à s'en exclure, soit en drama-tisant le terme (c’est du nazisme), en oppo-sant son propre racisme «  raisonné,justifié » à un racisme maximaliste, théo-rique ; soit en estimant que le racisme estun terme galvaudé, utilisé à tort et à traverset ayant perdu son sens. L'étude montreque les ressorts du racisme sont «  l'im-pact économique et social de la présencede l'Autre » (coût supposé, accès au loge-ment, à l'emploi, délinquance) ; on parlemoins qu'en 2007 de concurrence del'étranger sur l'emploi mais beaucoup plusdu risque que ces populations ne profi-tent des aides sociales. Plus on est fragiles,plus on est sensibles à cet argument.L'autre ressort, c'est la perception desdifférences et leur caractère ostentatoire; comme si l 'Autre ne voulait pas « rentrerdans le rang  », comme s'il affichait tropsa spécificité. Les principales cibles sont«  les Arabes  » et «  les noirs  » ; le thèmede l'islam est plus fort qu'en 2007 ; les«  jeunes des cités » résument et symbo-lisent bien cette inquiétude. L'Asiatique, systématiquement identifié au

Par GÉRARD STREIFF

Vivre ensemble. Dur, dur...La place de l'étranger est un thème qui revient de manière récurrente dansle débat public ces dernières années.

la demande notamment dela Commission nationale consultative desdroits de l'homme (CNCDH), la SOFRES areconduit une enquête, déjà menée en2007, sur les enjeux « Racisme, discrimi-nation et intégration ». Cette étude, menéefin 2010, a donné lieu à un rapport d'unecentaine de feuillets. Il s'agit d'une enquêtequalitative, à base d'entretiens, où la paroledu sondé est libre, l'intervieweur se conten-tant de relancer ce dernier. Quelques ensei-gnements.

UN SENTIMENT DE FRAGILISATION DE LA SOCIÉTÉL'intitulé de la première partie du rapportdit assez la détérioration de la situation :« Un contexte général peu favorable àune appréhension sereine de l'étranger ».On commence par pointer la difficulté desinterviewés à « manipuler les termes » del'entretien. Les gens sentent que les ques-tions évoquées (racisme, intégration) sontdes sujets de polémique, ils multiplient lesprécautions. Plus ils sont éduqués, plus ilsse montrent inhibés ; en général, se voulantlucides, ils ont tendance à surévaluer leurracisme. Les plus modestes, eux, le sous-évaluent... En vérité, le débat semble brouilléet les sondés ne savent plus très biencomment qualifier leurs propres prises deposition : intolérance ? racisme ? respect ?défense de certaines valeurs ?Autre donnée importante : ces discourss'inscrivent dans « une perception globa-lement négative et pessimiste  » de lasociété française. Les interviewés notentune exacerbation de l'individualisme, del'égoïsme, une insécurité grandissante,

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réaliste, et la volonté de voir ce projet mené à bien.» Sidney A. Friedman, économiste américain

« Chinois », est réputé magouilleur, installédans son coin et ne posant guère deproblèmes. La figure des Roms et desTsiganes est peu centrale dans l'imaginaireraciste ; l'antisémitisme est rarementabordé. On use des termes d'immigrés,d'étrangers, de personnes d'origine étran-gère, avec des connotations légèrementdifférentes.

TROIS DISCOURSL'étude de la SOFRES pointe ensuite troistypes de discours. UN : l'Autre est Victime,l'approche ici est plutôt théorique, leracisme est un symptôme de dysfonc-tionnement, les discriminations sont uneinjustice ; il faut œuvrer à l'intégration,la collectivité doit en assurer les bonnesconditions, c'est un discours de condam-nation voire de lutte contre le racisme.DEUX : l'Autre est Responsable, l'ap-proche est empirique, le racisme est iciun réflexe de protection naturel, lesdiscriminations s'excusent, l'intégrationest nécessaire mais dépend de la volontéde chacun, c'est un discours de justifi-cation protectrice du racisme.TROIS : l'Autre est Responsable, l'ap-proche se veut empirique, le racisme estune forme de défense d'une identité, lesdiscriminations sont légitimes, l'intégra-tion est refusée, elle menacerait l'iden-tité française, c'est un discours de justi-fication offensive du racisme.L'étude estime que les tenants de chacun

de ces discours ont des profils psycho-logiques proches et des systèmes devaleurs particuliers.Les tenants du discours UN sont plutôtbien intégrés socialement, ont uneposture d'ouverture (éducation, tolé-rance, différence, réflexion personnelle).Les tenants du discours DEUX sont plutôtfragilisés, ils sont dans la méfiance oul'inquiétude (repli sur soi, peur du conflit).Les tenants du discours TROIS ne sevivent pas comme mal intégrés sociale-ment, ils ont peu de doutes, ont le senti-ment d'une défense légitime de leursdroits, ont une posture combative et undiscours virulent.La SOFRES détaille ensuite assez longue-ment (une trentaine de pages) les compo-santes de chacun de ces discours, samanière de voir le racisme, la discrimi-nation, l'intégration. L'étude se conclutpar plusieurs enseignements, sept : auxyeux des sondés, la crise rendrait diffi-cile « un discours apaisé » sur l'autre etinterrogerait «  la possibilité même duvivre ensemble » ; une sensibilitéexacerbée chez certains des idées de«  relâchement moral », de «  la perte denotion d'effort » dont « profiterait » l'im-migré ; l'islam et les musulmans polari-sent les critiques ; l'identité française sediluerait ; le discours sur l'Autre est plus«  construit  », plus identifiable ; la défi-nition du racisme est brouillée ; le combatantiraciste est rendu plus difficile. n

C’EST PLUTÔT TENDUParoles de sondés sur leurperception de la société (lescaractéristiques des témoinssont celles de la SOFRES) : «  Je dirais qu'en France il y a plutôtdes tensions, chacun pour soi ». F, 39 ans, ingénieure en électronique,Française d'origine portugaise, Blère

«  C'est plutôt tendu, on a beaucoupde mal, les liens se font plus diffici-lement ». F, 24 ans, assistante commer-ciale, Française d'origine française, Dijon

«  Je trouve que les relations entreles gens sont moins patientes, leconflit vient beaucoup plus rapide-ment ». F, 39 ans, ingénieure en électro-nique, Française d'origine portugaise,Blère

« Pour moi, c'est l'individualisme quia tout tué, les gens sont renferméssur eux ». H, 45 ans, agent logistiquedans les transports, Français d'originemarocaine, Neuillé-Pont-Pierre

«  Les relations sont beaucoup plusdifficiles qu'avant. Les sorties sefont en groupe, ça rassure». H, 56ans, consultant informatique, Boulogne-Billancourt

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D’ IDÉESCO

MBA

T SONDAGES

Un sondage CSA pour La Croix, à l'occa-sion du trentième anniversaire du 10

mai 1981, a montré que les électeursdoutent de la capacité des responsablespolitiques à changer la vie. MAIS l'enquêterévèle également que l'opinion misetoujours sur la politique pour faciliter lavie des gens.« La politique apparaît toujours comme lemeilleur moyen non plus de bouleverserles choses mais au moins d'améliorer lequotidien, écrit La Croix. Les responsablesnationaux sont ainsi largement en tête dupalmarès des leviers capables de faciliterla vie des gens. Loin devant les élus locaux,l'Europe ou les acteurs économiques. Àquelques mois de la présidentielle, voilàles futurs candidats prévenus : les attentessont fortes, les doutes aussi  ».

Le pouvoir des politiques

Page réalisée par GÉRARD STREIFF

Faut-il prendre aux riches pour donner aux pauvres ?

Selon vous, aujourd'hui en France, les hommes politiques ont-ils plus ou

moins la possibilité d'agir efficacementpour améliorer la vie des gens qu'ils ne

l'avaient il y a 30 ans ?

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JUIN 2011- LA REVUE DU PROJET

NOTES Chaque mois, des secteurs de travail du PCF produisent des analyses,des propositions, des notes. Cette rubrique publie leurs travaux :ù

Une seule note ce mois-ci, mais d’importance, sur l’évolution de la confédérationeuropéenne des syndicats, à l’occasion de son dernier congrès.

EUROPE

LE CONGRÈS DE LA CES Au moment où de puissantes mobi-lisations sociales se développent enEurope contre l'austérité et où laquestion de leur convergence auniveau européen devient pressante,des regards se tournent vers la Confédération européenne des syndi-cats dont le congrès s'est tenu àAthènes du 16 au 19 mai.

L a CES est composée de 83 confé-dérations syndicales nationaleset de 12 fédérations syndicales

européennes soit environ 60 millionsde membres. Le syndicalisme fran-çais y est représenté par la CGT, laCFDT, la CFTC, FO et l'UNSA. Crééeen 1973, son action principale est lelobbying auprès des institutions del'Union européenne en tant que« partenaire social européen », repré-sentant les travailleurs européens.Concrètement, cela veut dire qu'elleprend part aux sommets sociauxtripartites, élabore une réponse syndi-cale aux propositions de la Commis-sion, assure le lien avec un inter-groupe de députés au Parlementeuropéen et coordonne la participa-tion syndicale à un certain nombred'organes consultatifs. Depuis quelques années, il sembleque ce syndicat se soit tourné vers lamobilisation sociale et l'action reven-dicative sous l'impulsion de JohnMonks, ancien secrétaire général duTrades Union Congress (TUC), quifédère 71 syndicats britanniques.Monks a plaidé et agi pour que la CESait son propre agenda et ne se laissepas imposer les thématiques de travailselon les préoccupations des diri-geants européens. Plusieurs « euro-manifestations » ont ainsi été organi-sées. La dernière s'est tenue àBudapest le 9 avril dernier, rassem-blant 50 000 syndicalistes (du jamaisvu dans la capitale hongroise !) pour

dénoncer les politiques d'austérité etpromouvoir l'Europe sociale.

CONDAMNATION DU PACTE POUR L’EURO + John Monks n'a pas mâché ses motsdepuis le début de la crise en dénon-çant le « capitalisme de casino » et enqualifiant publiquement le « Pactepour l'euro + » – présenté par les diri-geants européens comme la réponseà la crise – de « pacte pour les loupsde la finance » plaçant les Etats euro-péens dans une « situation quasi-colo-niale ». Pour la première fois, la CES,qui a approuvé tous les traités euro-péens, a déclaré qu'elle ne pourraitsoutenir un traité contenant lesmesures du pacte. C'est une avancéepour le syndicalisme européen qu'ilconvient de mesurer à sa justehauteur. Le congrès de la CES à Athènes aconfirmé cette condamnation dessyndicats européens du pacte pourl'euro et des politiques d'austérité àtravers les interventions d'un millierde délégués. Les débats se sontouverts, sur proposition des syndicatsgrecs, français, allemands, autrichienset belges, par l'adoption à l'unanimitéd'une résolution d'urgence adresséeà l'ECOFIN qui se réunissait le mêmejour à Bruxelles, exigeant de lui un« changement immédiat d'orienta-tion politique» car « il n'y aura pasd'amélioration budgétaire sans crois-sance » et comme l'a déclaré JohnMonks au début du congrès « l'austé-rité ne marche pas, elle tue la crois-sance, elle tue l'emploi ».

SMIC EUROPÉENLes délégués de la CES ont ensuitedébattu du document d'orientationqui doit guider leur action jusqu'auprochain congrès. Intitulé « Mobilisa-tion pour l'Europe sociale, stratégie etplan d'action », ce texte porte à la foissur l’emploi et la réglementationfinancière ainsi que sur le modèlesocial européen pour davantage

d’égalité et de cohésion sociale. Le grosdu débat s'est focalisé sur la concep-tion de l'Europe sociale et notammentsur l'idée du SMIC européen qui –contrairement à l'analyse de la criseet au rejet des réponses néolibérales– ne fait pas consensus. Les plus scep-tiques sont les syndicats des paysnordiques et italiens qui y voient uneingérence législative dans ce qui relèvede la négociation collective. Bien quela majorité des syndicats soit pour lesalaire minimum européen, recherchedu consensus oblige, le congrès n'apas abouti à une position communesur cette question. Enfin, les déléguésont ensemble déclaré vouloir fairebarrage à l'extrême droite dont lamontée inquiète. Concernant le calendrier d'actions,une journée européenne et nationalede mobilisation et d’information auralieu le 21 juin prochain et une nouvelleeuromanifestation se prépare le mêmejour à Luxembourg-ville. Le but est deréaffirmer, à la veille du Conseil euro-péen du 24 juin, la position des syndi-cats européens « contre l’austérité etcontre le type de gouvernance écono-mique que l’Union européenne veutimposer aux travailleuses et aux travail-leurs en Europe ». Enfin, la CES a renouvelé sa directionen la rajeunissant et en la féminisant.La nouvelle secrétaire générale,Bernadette Segol, est française. Elleest l'ancienne secrétaire générale del'UNI, un syndicat international des« cols blancs ». Elle sera épaulée parun secrétariat composé de 6personnes : Jozef Niemiec (Solidar-nosc, Polonais), Patrick Itschert (Fédé-ration internationale des travailleursdu textile, de l’habillement et du cuir,Belge), Judith Kirton-Darling (Fédé-ration européenne des métallurgistes,Britannique), Claudia Menne (DGB,Allemande), Veronica Anna-MariaNilsson (Fédération syndicale euro-péenne des services publics,Suédoise) et Luca Visentini (UIL,Italien). n

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LA REVUE DU PROJET - JUIN 2011

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REVUE DES MÉDIASPar ALAIN VERMEERSCH

La crise et ses effets néfastes sur les populations entraîne unedéfiance grandissante pour la mondialisation naguère présentéecomme l'avenir radieux des peuples.

nouvelle enquête de la Fondation J. Jaurès sur les milieux populaires, « onn'est plus dans une crise du lendemain,mais dans une crise du quotidien, quise traduit par un sentiment d'insécuritépermanente... Il y a encore quatre oucinq ans, les milieux populaires perce-vaient la France comme un navireessayant tant bien que mal de garderson cap sur l'océan incertain de lamondialisation... Avant la présidentiellede 2007, les milieux populaires pensaientque l'on allait s'intéresser à eux... Leurdéception est à la mesure de leursattentes. Ils pensent s'être faits avoir.J'irai même plus loin : ils estiment quela relégation qu'ils subissent est volon-taire. Ils pensent que, pour s'enrichir, lesreprésentants de l'oligarchie financière,qui sont les acteurs de la mondialisa-tion, doivent délibérément les préca-riser et les appauvrir... Quant à la gauche,elle est perçue comme très molle sur lamondialisation. Reste un Mélenchon,mais il donne l'impression de ne pasprendre vraiment en compte la ques-tion de l'intégration des étrangers. Orcelle-ci est centrale dans le discours desmilieux populaires... Le rejet de l'immi-gration est articulé à un raisonnementde nature économique.. Je pense eneffet que c'est dans les milieux popu-laires que se trouve le potentiel élec-toral du FN... »Mathieu Castagnet dans La Croix (10/05),commentant un sondage sur les Fran-çais et les politiques, note « Interrogéssur les raisons qui nourrissent leur visiond'un pouvoir politique déclinant, les Fran-çais mettent évidemment en avant laprogression de la mondialisation. Maispas seulement. La dénonciation des”liens et conflits d'intérêts“ entre poli-tiques et groupes économiques arrivetout en haut du palmarès... Les respon-

sables politiques sont donc accusés dene plus pouvoir ou de ne plus vouloirchanger le monde. » Gérard Mermet,sociologue, énumère « Les sept révo-lutions de la société française » LeMonde (10/05). Fataliste, il remarque« Dans les enquêtes internationales, lesFrançais apparaissent comme les moinsfavorables à cette mondialisation. Elleest pour eux synonyme de délocalisa-tion, chômage, standardisation. Beau-coup craignent d'y perdre une partie deleur identité et se réfugient dans la"proximité". A l'ouverture et au gigan-tisme, ils sont tentés d'opposer le protec-tionnisme et le "petisme". Mais la plupartsavent que la marge de manœuvre natio-nale est désormais réduite et que l'ondoit raisonner large, qu'il s'agisse d'éco-nomie, de réglementation, de santé oud'environnement. Même s'ils le regret-tent, ils sont conscients que la Francedevra abandonner une partie de ses"exceptions", atouts devenus handicaps,rentrer dans le rang européen et plané-taire. Une façon aussi d'y maintenir sonrang. »Libération (14/04) explique « Prétendants'appuyer sur une étude officielle, M. LePen répète que la mondialisation adétruit 63% des emplois industriels enFrance depuis 2000. Ce chiffre appa-raît bien dans un document de travailpublié en février 2010 par la directiongénérale du Trésor et de la politiqueéconomique (DGTPE), intitulé "la Désin-dustrialisation de la France". Mais l'étudedit tout autre chose : elle n'établit pasque la mondialisation a détruit 63% desemplois industriels français depuis 2000comme l'affirme le FN, mais que 63%des emplois industriels qui ont étédétruits l'ont été à cause de la mondia-lisation. Ce qui fait une énorme diffé-rence. En fait, depuis 2000, la France a

LES FRANÇAIS CONTESTENT LA MONDIALISATIONFrançoise Fressoz, présentant la plaquettevantant le quinquennat de Sarkozy, écritdans Le Monde (24/04), « Dans l'intro-duction, il est proclamé que "la Franceavance", qu'elle "se modernise et setransforme", que les Français ont choisien 2007 "le changement"... Mais, pour-suit-elle « le premier chapitre est inti-tulé : "Protéger les Français". Il n'y estquestion que de "crise", de restaurationde "l'autorité de la loi", de "protectiondes victimes", de "maîtrise de l'immigra-tion".. Elle ajoute « L'optimisme d'uncôté, la crainte de l'autre. Le mouvementet simultanément le repli. Sans quejamais soit prononcé le mot "mondiali-sation", qui pourtant constitue la toilede fond de ce quinquennat. » Elleconstate plus loin « C'est que, depuis lacrise de l'automne 2008, la peur de lamondialisation s'est renforcée, rallumantle vieux clivage entre France du oui etFrance du non. Dans les milieux popu-laires, l'idée s'installe que la jouissancedes uns se nourrit de la relégation desautres, que "mondialisation et fragilisa-tion" vont de pair. Sur cette convictionprospère Marine Le Pen. » Elle conclutson article, en remarquant, « à gauche,un débat monte autour de la "démon-dialisation" et du degré de protectionaux frontières qu'il faudrait introduirepour défendre l'industrie nationale etl'emploi. Le projet pour 2012, adopté àl'unanimité par les socialistes, fait pourla première fois référence à un systèmed'écluses aux frontières européennes.Lié à la question du pouvoir d'achat, leprotectionnisme devrait être l'un despoints les plus discutés lors de la primairesocialiste. »Le sociologue Alain Mergier, Le Monde(22/04), donne les premiers résultats d'une

La mondialisation rejetée, versune « démondialisation » ?

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forme contemporaine de la globalisa-tion ont présenté la concurrence inter-nationale comme un déterminisme équi-valent à celui d'une loi physique, tellecelle de la gravitation. Or, c'est un projetpolitique. La mondialisation actuelle esten effet un facteur d'approfondisse-ment des inégalités au sein de chaquenation, mais elle réduit aussi la pauvretédans un pays tel que la Chine. Il existeune alternative : une négociation inter-nationale ou interrégionale » Edgar Morin interrogé dans lesin-fluences.fr (21/01) avance l'idée que « Lesalternatives que je dégage sont descouples : mondialisation et démondia-lisation, croissance et décroissance,développement et enveloppement,conservation et transformation. L’al-termondialisme a représenté unevolonté des forces de coopération, maisqui ne parvient pas à se développer au-delà des rassemblements. Un mondemeilleur serait une inter-communautéde destin et de péril.. La démondialisa-tion, c’est une nouvelle viabilité de l’éco-nomie locale et régionale. Elle revita-liserait l’alimentation de proximité, lesartisanats et les commerces de proxi-mité, le maraîchage péri-urbain, toutle tissu rural, les communautés localeset régionales. Elle contribuerait à la ré-humanisation de territoires délaisséspar la restauration de services sani-taires, scolaires et postaux. La démon-dialisation signifie également le retourd’une autorité des Etats. Autrementdit, il faut développer le global et lelocal sans que l’un dégrade l’autre. Dans sa chronique sur France Culture(06/04), Julie Clarini affirme « On l'en-tend, la démondialisation ce n’est pasmettre à bas le commerce mondial. Avrai dire, ses tenants n’ont rien contrel’accroissement des richesses si ellessont mieux partagées. Ce n’est pasnon plus prôner un repli nationaliste,on reste dans une perspective inter-nationaliste. Non, “démondialiser“, c’est plutôt réor-ganiser la planète en plusieurs zonesgéographiques cohérentes et auto-nomes. Voilà le seul moyen, à leursyeux, d’assurer une croissance respon-sable sur le long terme. »

Pour aller plus loin : Et si on commençait la démondialisa-tion financière ? Frédéric Lordon LeMonde diplomatique (01/2010).

Démondialisation : le mode d'emploid'un concept flou mais à succès Média-part (09/05).

perdu 20% de ses effectifs dans l'in-dustrie manufacturière, soit environ700 000 emplois... » L'auteure, LilasDemmou... attribue 28% des destruc-tions d'emplois industriels à la concur-rence internationale entre 2000 et 2007,(seuls 13% de ces destructions d'em-plois sont imputables aux échangesinternationaux)... Reste un dernierproblème, et pas des moindres : cettedonnée est périmée depuis juin 2010,date à laquelle a été publiée une secondeversion du document. Si le chiffre de28% y figure toujours, celui de 63% aété revu à la baisse pour tomber à 30%.L'auteur estime toutefois qu'il pourraitêtre porté à 45% à long terme, puisque«l'emploi apparaît s'ajuster relative-ment lentement aux performances exté-rieures ».

DANS LES AUTRES PAYS AUSSI..Dans Le Figaro (26/04), Jean-PierreRobin titre « La mondialisation a d'oreset déjà commencé à se détricoter, leterme n'est guère élégant : la “démon-dialisation” marque avant tout le retourde l'État dans la vie économique, pourle meilleur et pour le pire ». Il revientsur le “le consensus de Washington”.« Autrement dit, le corps de doctrineélaboré à Washington au début desannées 1990, peu après la chute du murde Berlin et de l'empire soviétique, parle FMI et la Banque mondiale, en concertavec le Trésor américain... La dérégle-mentation et les privatisations donne-raient libre cours à la croissance et à la prospérité. Les marchés financiersse chargeraient d'acheminer desressources aux secteurs les plus produc-tifs et de s'autoréguler efficacement.Et tous les citoyens du globe surferaientsur la vague montante de la mondiali-sation. Malheureusement « tout cetéchafaudage s'est effondré sur lepassage de la crise »... Sans lien directavec la faillite de Lehman Brothers etla crise financière occidentale, lesguerres civiles qui secouent l'Afriquedu Nord et le Moyen-Orient ont contraintdes milliers de Philippins, entre autres,à abandonner leur travail en Libye. Lesociologue altermondialiste WaldenBello, l'inventeur en 2003 du conceptde « démondialisation » y voit un argu-ment de plus pour stigmatiser la poli-tique de son pays, les Philippines... EnFrance, Arnaud Montebourg, député etcandidat aux primaires socialistes, ena fait son étendard avec cette défini-tion simple : « Un processus politiquevisant à reterritorialiser l'économie en

rapprochant les lieux de consommationet de production. » Il poursuit « Quoiqu'ils en disent, la démondialisation estau cœur de la stratégie collective despays du G20. La coopération mise enplace pour limiter les déséquilibres finan-ciers entre leurs économies est certai-nement légitime. »

DES PROPOSITIONS ALTERNATIVES Le 7 avril dernier, Nicolas Demorand,écrivait dans Libération un édito inti-tulé « Arrogance ». Il estimait « Aprèsles « anti » et les « alter », voici lestenants de la « démondialisation » oùse croisent l’extrême droite arc-boutéesur les frontières et la France d’avant ;des néo-colbertistes de la droite clas-sique ; des souverainistes favorables àdes barrières européennes ; un arc-en-ciel socialiste plus ou moins offensif ;une gauche de la gauche souhaitantlutter contre le dumping social, envi-ronnemental, fiscal dont se nourrit lamondialisation.. Quel chemin parcourudepuis « Tina », acronyme tiré d’unephrase fameuse de Margaret Thatcher :« There is no alternative. ». Il poursui-vait « Avec la crise économiquemondiale, ce sont précisément cesdogmes qui ont fait faillite. Et par unétonnant retournement de l’histoire desidées, les propositions des « antimon-dialisation », devenus « altermondia-listes », naguère moquées et traitéespar le mépris, sont finalement domi-nantes. » Il concluait « Demeurent deuxquestions qui désormais traversent lespartis : la mondialisation est-elle surcertains points réversible ? Et, pour cefaire, le protectionnisme est-il possibleet souhaitable ? »Robert Boyer dans Alternatives écono-miques (01/04) souligne « Mêmeutopique, toute proposition pour régulerle capitalisme mondial doit partir desenseignements majeurs qu'a livrés lacrise ouverte en 2008. C'est en effet laperte de contrôle par la collectivité dusecteur financier qui en explique lagravité et la durée. La première mesuredoit donc être de faire des banques etdes institutions financières les auxi-liaires de la puissance publique dans lagestion du crédit et de la monnaie... Laseconde mesure devrait être d'enrayerla tyrannie de la valeur actionnarialequi pèse sur la gestion quotidienne desfirmes grâce à la reconnaissance, parle droit, du pouvoir d'information et denégociation des salariés et de toutesles parties prenantes qui contribuent àleurs performances... Les tenants de la

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Chaque mois, des chercheurs, des étudiants vous présentent des ouvrages, des films, des DVD...

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CRITIQUES

Staline, Histoire et critique d’une légende noire éditions Aden, 2011

DOMENICO LOSURDO

Par ADRIEN TIBERTI

Écrire sur Stalinen’est pas forcémentl’exercice le plussimple quand on estcommuniste. MaisDomenico Losurdone refuse pas la diffi-culté et sait utiliserles outils de l’histo-rien pour affronterle problème. Ainsil’auteur choisit dedéconstruire lesdiscours sur Staline.Et tout le monde ypasse : les ennemisattendus et qui ontpourtant pratiqué lalouange comme

Churchill, mais aussi Krouchtchev et son rapport, ouencore Trotsky dont les écrits ont bien souvent constituéla matrice de toutes les critiques antistaliniennes… Lesmotivations des uns et des autres sont décrites, les inco-hérences mises à jour et quelques certitudes craquent.Domenico Losurdo s’attache également à établir unecomparaison solide entre Staline et les autres dirigeantsdes puissances contemporaines : Churchill toujours lui,Roosevelt et quelques-uns de ses concitoyens mais aussiévidemment Hitler. On sait à quel point le motif dumonstre sert à rapprocher Hitler et Staline pour construirel’identité entre nazisme et communisme. De nombreuxarguments convaincants viennent démonter cette thèse.Enfin Domenico Losurdo cherche à recontextualiser lepersonnage de Staline dans l’histoire de la Russie et deses guerres civiles, dans l’histoire du mouvement révo-lutionnaire et des durs débats entre Bolcheviks, dans l’his-toire du XXe siècle et du paroxysme de la lutte des classesd’un conflit mondial à l’autre.Tout cela forme un véritable travail d’historien dont lameilleure preuve reste le recours constant à l’historiogra-phie : l’auteur se fait un malin plaisir à s’appuyer sur leshistoriens russes, anglais ou états-uniens issus de la grandetradition libérale et anti-communiste. Mais ce livre n’estpas une synthèse, ce n’est que le premier coup de massuesur la statue de Staline qui sert encore de repoussoirmagique. Ce livre ne fait que rendre possible le début d’untravail serein sur Staline et ses choix politiques, sur l’URSSet ses contradictions, sur la Révolution d’Octobre et sonélan. Nous nous rapprochons du moment où la conver-gence des historiens de tout bord sur l’établissement des

faits dans leur nudité permettra la construction de notreanalyse.Dans l’immédiat, pour nous ce livre est utile car il permetde sortir de la « légende noire » et de réfléchir sur ce qu’estun communiste au pouvoir. Ce ne peut être que quelqu’unqui rend le pouvoir au peuple et préfère organiser sonimpuissance. Mais il est une autre question qui reste ensuspens : que faire quand la lutte des classes se durcit aumoment où, par exemple, la crise du capitalisme s’appro-fondit ? n

Questions et réponses sur l’avenir de la BelgiqueÉditions du PTB. Septembre 2010. 96 pages.

DAVID PESTIEAU ET HERWIG LEROUGE

Par AUGUSTIN PALLIÈRE

La crise politique belge dure depuis des mois. Une ques-tion revient sans cesse : « Est-ce que la Belgique existe ? ».Cette question, en France, semble surréaliste. La petite brochure que le PTB vendait durant la dernièreFête de l'Humanité a le mérite de poser en préambule labonne question : Qu'est-ce que les Belges ont à gagner àune scission de leur pays ? En cent pages, la brochureexpose les véritables enjeux : sécurité sociale, politique del'emploi, salaire, service public…Sans nier la richesse linguistique et culturelle de la Belgiqueet de sa capitale Bruxelles, les auteurs montrent qu'il n'y apas face à face un peuple wallon et un peuple flamand, maisbien des travailleurs (néerlandophones et francophones)face au patronat. L'extrême droite nationaliste flamande(Vlaams Belang, N-VA)met en exergue lesbrûlantes questions iden-titaires pour dissimulercela. Les véritables objec-tifs des nationalistes sontceux du patronat : fairereculer les droits destravailleurs et faire baisserles salaires. Destinée aux Belges biensûr, cette brochure mérited'être lue par des Françaissoucieux de comprendrela crise belge. Mais audelà, les auteurs montrentbien les deux logiquessous-jacentes : la compé-tition contre la solidarité. Pour imposer la compétitionentre les régions, l'Union Européenne participe active-ment au démantèlement des échelons où les luttessociales ont imposé des solidarités au fil de l'histoire. Lacrise de la nation belge n'apparaît plus dès lors si absurdeaux yeux des Français... n

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25Nous, Princesses de Clèves RÉGIS SAUDER (DOCUMENTAIRE)

Par CÉCILE BARON

Dans les quartiers Nord de Marseille, les élèves de premièreet terminale du lycée Diderot lisent, jouent, font vivre l’ou-vrage de Madame de Lafayette. Les amours et les intriguesde la cour d’Henri II trouvent un écho tout particulier dansle grand hall de cet établissement classé ZEP. Mona, Sarah,Manel, Cadiatou ou Anaïs posent une analyse lucide etépoustouflante de maturité sur leur condition et celle deleurs parents. Tout en dressant un parallèle entre leurpropre expérience amoureuse et celle de la Princesse deClèves, ils abordent la culture, les rapports parents-enfants,la religion, l’intégration. Une séquence particulièrementriche est celle de leur visite au Louvre à Paris, l’émerveil-lement (« C’est comme une cascade ») et la conscience del’importance de cette École qui leur donne accès à cetteculture : « Moi je suis heureuse d’avoir vu le Louvre, parceque nos parents ils ont d’autres préoccupations, payer leloyer, nous donner à manger, ils n’ont pas le temps ni lesmoyens de nous amener dans les musées ou au théâtre ».Et étrangement, alors que la parole est libre, belle et précisedevant la caméra pour aborder des thèmes complexes etpersonnels, le langage devient confus et désorganisélorsqu’il s’agit de préparer l’oral du bac de français face àune professeure pourtant bienveillante et à l’écoute ;comme si l’exercice scolaire rendait ces élèves démuniset méfiants vis-à-vis d’un système reflet d’une société quiles enferme dans les clichés alors que comme le dit Wafa :« des textes faciles pour des gens comme nous, je déteste,on a tous un cerveau il suffit de le mettre en marche ».On a envie de se dire que l’école est bien la meilleure armecontre la sclérose intellectuelle que cherche à nous imposer

le gouvernement actuel. Les élèves veulent apprendre etles enseignants veulent enseigner, transmettre les savoirs,éveiller la curiosité, construire l’émancipation. Pour uneécole qui s’adresse à ceux qui n’ont que l’école pourapprendre. n

Bientôt nous aurons faim !Pascal Gallodé éditions, 2011

GÉRARD LE PUILL

Par IVAN LAVALLÉE

Voici sans doute le livre de chevetde tout citoyen soucieux à la foisd’écologie et d’humanité. Il s’agit làde notre assiette et de son contenu.Montrant en quoi la logique ducapitalisme mondialisé mène l’hu-manité à la famine dans un procheavenir, il éclaire en même tempsquelques sérieuses pistes pour concrètement faire du « encommun », du communisme, tant il est vrai qu’on ne peuts’en sortir qu’ensemble, et qu’en France on a encore desatouts pour commencer. Cet ouvrage n’est pas résumabletant il est dense et documenté, il faut le lire et tout projetde société émancipatrice se doit d’en tenir compte. GérardLe Puill, ancien paysan lui-même, devenu journaliste aprèsêtre passé par la case « prolétaire d’usine » et avoir fait l’ex-périence concrète de la lutte des classes, sait de quoi il parle. Ce livre est composé de deux parties. La première fait unbilan terrifiant de la situation, en particulier en France :Le « candidat du pouvoir d’achat » a pillé le monde paysan »et « jamais les intérêts agricoles de la France n’ont été aussimal défendus à Bruxelles que depuis l’arrivée de NicolasSarkozy à l’Élysée […] Nous avons affaire, à Bruxelles, àune équipe de fous furieux qu’il faudrait combattre enpermanence avec beaucoup d’énergie ». Dans la deuxièmepartie, l’auteur pose en termes simples les problèmes àrésoudre : « Pour nourrir durablement une populationmondiale en constante augmentation jusqu’en 2050environ, l’agriculture va devoir produire plus. Dans le mêmetemps, il lui faudra émettre moins de gaz à effet de serrepar calorie produite et transportée ». Il avance quelquesidées de bon sens paysan : « le contexte planétaire va imposerla nécessité des productions vivrières de proximité danstoutes les régions du monde, y compris chez nous […]Concrètement, cela veut dire que je commence par fairetout ce que je peux faire avec les moyens locaux, et aprèsseulement, je pose la question de ce que j’importe ». Ce quinous renvoie à la démocratie selon Montesquieu : « Lepeuple qui a la souveraine puissance doit faire par lui-même tout ce qu’il peut bien faire... ».Pourquoi produit-on, pour le profit ou pour répondre à desbesoins ? Qu’est-ce qu’on produit ? Et comment le produit-on ? La question fondamentale du mode de production etd’échange est ici posée. Il est vital de la résoudre sous peinede famine. n

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COMMUNISME EN QUESTION

Par VINCENT CESPEDES*

dividu lui-même est multiculturel. Jedissous la question en fait. La «  mono-culture » n’existe pas au niveau de l’indi-vidu du fait de cette complexité qui existeen nous, Montaigne disait « un honnêtehomme est un homme mêlé » : soit autantde paysages dans un être humain qu’il ya d’hommes qui cohabitent. Ce brassagemulticulturel existe, on le voit bien, dansle rêve. Dans les différents âges de la viequi nous habitent : nous sommes l’enfantde cinq ans, l’adolescent révolté, l’adultequi a renoncé à ses rêves, etc. C’est unephilosophie qui empêche la question dumulticulturalisme dans le sens où tout lemonde est multiculturel. Le principe poli-tique de cette philosophie consiste à dire :qui sont ces fous qui s’imaginent qu’il y ade la « mono-culture » et se revendiquentd’une seule identité et rejettent tous cequi ne répond pas à ce critère ? Lanouveauté et la diversité font intrinsèque-ment partie de l’identité humaine. C’estplus fort que tout « anti-racisme » car jemontre que ce multiculturalisme propreà tous est ontologique. L’Autre est déjà enmoi, car il y a un métissage qui existe déjàen nous-mêmes. On ne peut pas selon moitrouver d’atome de culture. C’est pourquoi chaque mot est un symbole

infini. Je mets une constellation de sensderrière chaque mot. Que signifie le mot« breton » ? Une connexion affective liéeà ma grand-mère, une forme de résistancefamiliale chauvine, une langue de poésie,de guerre ? La langue bretonne a autantd’aspects culturels qu’il y a d’individus quiparlent le breton. Il y a autant de culturesbretonnes que de bretons dans ma vision.Nous devons donc faire face à un grandproblème de langage, d’étiquetage. Si jevous donne par ailleurs le mot « mer »,nous pourrions en parler des heures. Lacouleur elle-même du mot « mer » impliquetoute une série de rêves et de symboles,votre océan à vous, la couleur bleue dansvotre ordinateur intime comprend plusieursarchivages : un accident impliquant unevoiture bleue, un blason, une couleur poli-tique, les yeux bleus de votre premieramour. La couleur bleue devient doncmulticulturelle, foisonnante, infinie. A partirde cet infini, la question est de savoircomment se rencontrer. Sur quelles basesse rencontrer si les mots sont appropriéspar les individus et ne sont plus figés dansle dictionnaire ? On tend ainsi vers le grossomodo. « Breton », c’est être grosso modotel ou tel.

•Vous semblez donc dépasser, et mêmesupplanter, l’approche multiculturaliste ?V. C. : C’est effectivement un dépasse-ment radical. J’appelle ce dépassement« le mixisme » techniquement, commevision totalisante du Monde et non uneidéologie dans la mesure où il n’y a pasd’applications. Assez proche en un sensde la pensée d’Héraclite dont l’Occident,prisonnier du langage, ne rend pas suffi-samment compte. Être et ne pas êtresont liés, ce qui s’oppose à Parménide(autre portique de la philosophie antiquegrecque) et son principe de non contra-diction : être et ne pas être sont aucontraire séparés. La grande force etfaiblesse est d’avoir cru aux mots et aulangage, de l’avoir totémiser, notammentpar l’écrit. Enquête sur l’alchimie humainetraduit cela, la matière est insaisissable

•Dans un livre de 2006, vous avez titré« Mélangeons-nous, enquête sur l’alchimiehumaine », quel serait alors votre approche dumulticulturalisme ? Posez-vous une distanceou une proximité philosophique avec ceconcept ?Vincent Cespedes : Il y a une proximitéévidente car c’est une philosophie de lamixité. De toutes les mixités : mixitésociale, des classes sociales, des cultures,des horizons de référence multiples etvariés et la mixité des êtres humains. C’estmême du « sur-mixisme ». Ce n’est pasune mixité qui se situerait au niveau pure-ment moléculaire des individus entre eux.C’est pour moi la définition même de l’êtrehumain. Je fais rentrer la mixité dansl’identité humaine, dans l’identité mêmedu sujet. Aussi, il y a selon moi un problèmede mixité avec moi-même : de par nosabords différents, nos parents, nos proches,ce qu’on a reçu comme valeurs contradic-toires. Un problème de mixité en soi-mêmedonc. Je prône donc un multiculturalismeétendu, presque ontologique. Le mélangeest d’abord un mélange de soi à soi et desoi avec l’autre dans l’intimité. Ce qu’onpeut étendre ensuite au politique. Le multi-culturalisme est pléonastique, il m’estévident que tout est mutliculturel car l’in-

L’alchimie humaineIl ne peut y avoir de révolution sans révolution philosophique. Toute révolution est l’actualisation d’une philosophie, l’événement philosophique.

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* VINCENT CESPEDES est un philosophe etun écrivain français. Analyste de la nouvellejeunesse et intervenant régulièrement dansles débats de société, sa philosophie seprésente surtout comme un néo-vitalismehumaniste, reliant l'intime et le politique,où les notions de mélange humain,d'effectif et d'affectif, d'onde de choc et d’onde de charme forment une grille de lecture dynamique des relationsinterpersonnelles (amour, bonheur,sexisme...) des institutions (orthographe,« encouplement « , aliénation...) de l'entreprise, de la création de sens, de lasociété et de la philosophie elle-même – la puissance autocritique d'une civilisation.

alors synonymes, c’est une forme de vita-lisme. Ce qui fonde l’identité c’est l’af-fect. Ce qui fait que je me mélange auxautres, c’est l’émotion en communpartagée. Entre deux identités il y ad’abord de l’affect qui circule. La raisonne s’oppose pas à l’affect chez moi. C’estde même l’affect qui fait qu’on parle. Oncommunique pour digérer ce qu’on vit etnon pour transmettre une information.Le film Seul au Monde l’illustre bien,Robinson, n’en pouvant plus d’affronterla solitude extrême dans laquelle il estplongé, humanise son ballon de volet« Wilson» et lui parle pendant quatre ans.Il « télécharge » son émotion dans ceballon de volley. Et quand Wilson, depuisson radeau de fortune, tombe à l’eau, iln’hésite pas à sauter pour tenter de lesauver et semble perdre à ce momentl’être le plus cher. Ce besoin vital decommuniquer est rendu de manière trèscrédible dans plusieurs séquences. La plus grande aliénation de nos joursc’est l’imaginaire. On imagine là où onnous dit d’imaginer. Se dire blanc, le débatsur la couleur de peau... tout cela est del’imaginaire. On fait trop confiance auxmots, on les « fétichise » et on y croit.On est conditionné par cet imaginairealors qu’il faudrait se le réapproprier.Pourtant l’identité c’est croire sans ycroire. L’ambigüité de l’enfant le montrebien. Dans la cour de l’école et quand iljoue en projetant un tigre dans lamontagne, il y croit sans y croire. C’estcette ambivalence là vers laquelle ilfaudrait tendre pour l’identité. Il fautremettre du jeu, du leste, de l’alchimie.

•Un autre de vos ouvrages est consacré large-ment à Mai 68. Quelle perception avez-vous dece moment, disons exceptionnel et novateur, dansl’histoire récente ? Quelle pente, selon vous,devrait épouser la politique pour jouer pleine-ment et authentiquement son rôle ?V. C. : Je constate que la politique manqued’imaginaire. Tous les slogans sont pour-tant liés à l’imagination : Désirs d’avenir,Tout est possible... Mais dans les discoursil n’y a pas plus de vision que d’utopie.L’affect n’est pas présent, alors que nousen avons besoin pour mobiliser ; danstous les grands hommes et mouvementspolitiques il y a avait de l’utopie, unevision. La résistance était une utopie : onva un jour sortir de l’occupation, elle vase terminer ! Entourés de nazis, il fautêtre utopiques. La politique, selon moi,doit dire et penser le Monde d’après. Dans20 ans il se passera ça. Alors que nousn’avons aujourd’hui aucune perspective.Nous ne faisons bien souvent que

condamner, le chômage etc. alors qu’ilfaudrait plutôt dire : tel sera le Monde devos petits-enfants. C’est ce qu’a réussiObama. En utilisant un imaginaire trèsréel. Le bouddhisme dans son versantoccidental, le yoga, la psychanalyse... ontd’autre part développé et maintenu ce« réalise ou regarde toi déjà toi-même ! ».Le courant « psy » depuis 1973 a en unsens tué la politique. En 1968, on ne seposait pas la question de « papa-maman »pour caricaturer, on était là pour parlerde l’écologie, des ouvriers, de savoircomment on va changer le Monde. Ilsétaient dans l’imagination au pouvoir. Des débats où les ouvriers parlaient auxétudiants et se demandaient : qu’est-cequ’on fait demain ? On arrête lesmachines et on réfléchit : qu’est-ce qu’onveut ? Où on va ? Un capitalisme effrénédans sa forme actuelle ou future, est-cece que nous voulons ? Ces gens étaientpris dans une explosion philosophiqueoù on repense la civilisation. Et quand lacivilisation se pense elle-même, c’est dela philosophie. En ce sens Mai 68 est unfait philosophique majeur et ils ne sontpas nombreux. Cela a été également uneénergie métaphysique, spirituelle et poli-tique sans égal. Mai 68 a par ailleurs réalisé que la démo-cratie vivante se joue dans les micro-désobéissances, mises bout à bout ellesnous permettent instantanément derefaire le Monde et de vérifier où j’en-gage ma liberté. Tout cela a été dévoyéquand on est revenu par la suite auxpréoccupations exclusives et mondainesde son petit nombril, imputables àquarante ans de dictature « psy », dechange-toi toi-même avant de changerle Monde, de réactions à 68, le divan aainsi absorbé la rue. Ils ont étouffé larévolution et l’intelligence collectivesdans l’auto-psychologique. n

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR

NICOLAS DUTENT

et en transformation permanente. C’estla métaphore d’un frayage continu de lamatière avec elle-même. Comme unedialectique étendue et radicale qui touchel’identité. Henri Lefebvre est un maîtreen la matière. Il a été déterminant dansmon livre sur 68. Je crois à ce titre quela révolution et la philosophie sont lamême chose. Il ne peut y avoir de révo-lution sans révolution philosophique.Toute révolution est l’actualisation d’unephilosophie, l’événement philosophique.La révolution purement ou strictementpolitique ne marche pas. Je dois viser unobjet. C’est valable pour l’utopie. L’idéeque je crée l’objet dans l’acte même decomprendre, la « transduction », je penseun objet et je le pose comme existantpour le comprendre. Comme un objetextérieur du Monde. Je suis familier deces philosophes qui pensaient que dansune flamme de chandelle il y a le mondequi se reconstitue. C’est une forme dedialectique quantique appliquée à l’iden-tité. Ce qui ringardise les débats actuelssur la diversité. Même si je comprendsque ce soit une réaction par rapport àune violence et des discriminations bienréelles. On ne saurait selon moi se figerou se « totémiser » dans un mot. Quandon dit je suis, c’est toujours je deviens.Sauf pour Descartes pour qui le néantn’a pas de propriétés. Toutes les institu-tions « totémisées » éclatent ici. Le « jesuis » identitaire n’est qu’une réductionsémantique. Je me sens par exemple trèsnoir, de la même manière que quand jeme trouve dans les pays arabes je mesens maghrébin. C’est un autre rapportà l’altérité que je pose et qui redéfinit lequestionnement. Tout autre s’imposedans une altérité et une « mêmeté » maxi-males, étant entendu que l’autre peutaussi faire entrer en lui les mêmes ingré-dients que moi. Il y a donc toujours du« jeu ». Le moi-même n’existe pas, s’il ya un autre dans moi-même c’est que jesuis un peu l’autre. Notre micro-rencontrefait par exemple que vous allez habiterpeut-être mes pensées, mes rêves, je mereconnais en vous. On se « rentre dedans» en quelque sorte. Mais je n’abandonnepas comme d’autres le concept d’iden-tité car il y a une identité pour moi dansla mesure où il y a du langage et que jedois pouvoir dire « je ». La linguistiqueest importante, la responsabilité est ausside pouvoir dire « c’est moi ». Mais je metsde l’ironie dans l’identité, le « je » est unje(u). Un « je » toujours en train d’êtreautre. Une essence est linguistique pourmoi. Ce n’est ni l’existence ni l’action quime déterminent. La vie et l’affect sont

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HISTOIRE

ENTRETIEN AVEC SAMIR AMIN,économiste franco-égyptien. Son œuvre aborde les questionsd’émancipation, de l’internationa-lisme et de la voie vers le socialisme sans jamais figer sa pensée dans un produit définitif. Parmi ses ouvrages :Le développement inégal, Ed. de Minuit, 1973. L'Éveil du Sud, Le Temps des cerises, 2008.La loi de la valeur mondialisée, Le Temps des cerises, 2011.

•Le monde arabe est traversé, depuis janvier,par un mouvement social puissant. Assiste-t-onà la seconde vague des luttes pour l'émancipa-tion, celle que vous appelez de vos vœux dansvos ouvrages les plus récents ? Samir Amin : En 2009, quand j’écris « Surla crise », cette seconde vague avaitcommencé, en Amérique latine et au Népal,mais elle n'avait pas encore touché d'au-tres régions du monde. Voilà que le ventsouffle sur le monde arabe. Oui c'est bienla deuxième vague des luttes pour l'éman-cipation. Mon analyse de 2009 n'était paserronée : le capitalisme des monopolesgénéralisés, nouvelle étape du capitalismesénile, devait se solder par une révoltegénéralisée des pays de la périphérie, c'està dire de la majorité du monde. Mao disait« Le Tiers Monde c'est la zone destempêtes » : le capitalisme ne peut pasrépondre aux problèmes fondamentauxauxquels se heurtent ces pays. La révoltecouve en permanence et éclate parfois …Mais les tempêtes ne sont pas la révolutionet surtout pas la Révolution comme on l'avaitimaginé dans la tradition du marxisme histo-rique : dirigée par une « avant garde », avecun bloc de classe populaire solidaire et unprogramme précis d'alternative. C'est plutôtde manière chaotique et avec toutes lescontradictions que cela suppose. On le voitparticulièrement en Égypte. A l'heure actuelle en Égypte il y a une vaguede lutte populaire pour une démocratieauthentique, c'est à dire non réduite aupluripartisme mais une démocratie dansl'organisation de la vie économique etsociale. Une démocratie dans la vie quoti-dienne. Il y a des revendications trèsprécises. Des revendications économiques,pour les salaires, des revendicationssociales, la santé pour tous, l'école gratuite,le logement.

La dimension anti-impérialiste du mouve-ment populaire est aussi très forte, c'estce que craignent par dessus tout les puis-sances impérialistes. Ce ne sont pas desrévolutions démocratiques pro-occiden-tales comme les fausses révolutions jaunesoranges ou vertes de l'Europe de l'Est. Il ya un refus de l'insertion dans le contrôlemilitaire de la planète par les États-Unis,l'OTAN et quelques autres. Un refus dusoutien tacite au programme d'expansioncoloniale d'Israël dans les territoiresoccupés. C'est un mouvement démocratique, anti-impérialiste et social donc… mais pas néces-sairement socialiste. Ce bloc populaire seconstitue hors des sentiers battus de notretradition, avec une multiplicité d’organisa-tions, de partis, de syndicats et le réseau des« comités populaires » de tous les quartiers.Face à ce bloc populaire il y a le bloc réac-tionnaire, très cohérent lui, avec des appuisextérieurs très clairs. Ce sont les États-Unis, et l'Europe qui suit derrière, les paysdu Golfe et Israël dont la politique d'ex-pansion dans les territoires occupés nepeut tenir que si elle est entourée derégimes policiers incapables de soutenirle peuple palestinien. Dans ce bloc il y d'abord les classes capi-talistes urbaines, corrompues et subor-données au capitalisme américain et euro-péen. Mais il y a aussi les paysans riches,issus des réformes agraires de Nasser. Ilsreprésentent 30 % de la paysannerie. C'estla base objective des mouvements isla-mistes, notamment des Frères Musulmans.

•Le « bloc populaire » est-il suffisamment armé– théoriquement et socialement – pour résisterà la réaction ?S. A. : Je suis optimiste sur le long terme,mais je ne veux pas être béat et naïf. Les

« Être Communiste c’est Le Tiers Monde c'est la zone des tempêtes » : le capitalisme ne peut pasrépondre aux problèmes fondamentaux auxquels se heurtent ces pays. Larévolte couve en permanence et éclate parfois…

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comités populaires des quartiers ont uneimportante capacité de mobilisation : ilsrassemblent plusieurs centaines de milliersde manifestants sur le boulevard El-tahrirchaque vendredi. Mais ils sont très faiblesdans leur analyse, ils savent ce qu'ils neveulent pas mais ils ne savent pas quellesalternatives avancer. Les islamistes saventjouer sur ces faiblesses, car le discours reli-gieux moralisant peut paraître satisfaisant.

•Dans votre œuvre, la question agraire tientune place centrale. Vous expliquez que le capita-lisme n'a rien à offrir d'autre aux paysans africains qu'un humanitarisme intéressé. Face àcette situation, on a l'impression qu'aucune alternative politique et sociale n'émergeaujourd'hui en Afrique de l'ouest… S. A. : Je n'ai pas une vision aussi pessi-miste. Dans plusieurs pays, le processusd'expropriation des paysans s'accélère.Une résistance s'organise, il s'agit de mouve-ments paysans organisés qui ne sont plusnégligeables dans l'éventail politique,comme au Sénégal par exemple. Ce quimanque toujours c'est un bloc historiquequi se constitue avec les classes populairesurbaines et une partie des classesmoyennes. Mais d'autres pays, comme la Côte d'Ivoiresont restés en dehors de ce mouvement.Toute la période d'Houphouët-Boigny etde ses successeurs a été celle de la dépo-litisation, associée à une croissance écono-mique importante, relativement partagéemême avec les immigrés. Cette dépoliti-sation peut expliquer la dérive ethniqued'aujourd'hui, en Côte d'Ivoire ; une dériveque Ouatara a manipulée comme Gbagbo.Le pays est coincé dans un conflit qui n'apas de sens et qui risque de se poursuivrequelle que soit l'issue concernant les diffé-rents leaders politiques.

•Les pays émergents, la Chine en particulier, entre-tiennent des relations économiques de plus en plusétroites avec l'Afrique. Doit-on parler d'un nouvelimpérialisme ou est-ce l'occasion de sortir du têteà tête avec les anciennes puissances coloniales ?S. A. : Il n'y a pas d'autre impérialisme quecelui de la triade (Etats-Unis, Europe, Japon).Ni la Chine, ni l'Inde, ni le Brésil ne sont despuissances impérialistes. C'est de la déma-gogie de dire cela. Ce qui ne veut pas dire

que ce soit des pays dont la politique exté-rieure est magnifique et indiscutable. Les occidentaux viennent en Afrique, ilsimposent comme conditions la capitulationintégrale, la politique de la porte ouverte,la libéralisation économique. Les chinoisdisent «  Nous voulons du pétrole, quellessont vos conditions ?  ». Cela ouvre denouvelles perspectives si dans les pays afri-cains il y a un pouvoir légitime, crédible,populaire, capable de négocier. C'est à diredes blocs historiques alternatifs nationauxdémocratiques et populaires. Alors on peutentrevoir une grande alliance du sud. Faceà un impérialisme déterminé à conserverses positions de domination à l'échellemondiale, non pas seulement économique-ment mais aussi militairement, cette grandealliance est impossible avec les gouverne-ments autocratiques en place ni même avecles pseudo-démocraties vulgairementalignées sur les positions occidentales.

•Vous dites «  Être communiste, c'est être internationaliste  », qu'est-ce que c'est «  être internationaliste » aujourd'hui, d'après vous, pourun communiste français ? S. A. : L'internationalisme à l'échellemondiale ne peut être fondé que sur l'anti-impérialisme, pas sur le discours humani-taire démocratique. Son point de départdoit être une analyse lucide de la domina-tion du grand capital des grands mono-poles généralisés, c'est à dire des intérêtsde l'impérialisme. C'est la dimension fonda-mentale de la question internationaliste. Une autre question vous concerne plusdirectement, vous, les communistes fran-çais  : c'est la question de l'internationa-lisme à l'échelle européenne. Je croisqu'«  une autre Europe  » ne peut êtreconstruite que si l'on déconstruit l'Eu-rope actuelle. Le discours de la gauchesociale démocrate est dominé par l'idéeque l'Europe actuelle pourrait évoluervers une «  Europe sociale  ». Cette idéeme paraît naïvement réformatrice. Toutel'Europe a été construite d'une façon

systématique pour n'être que l'Europedes monopoles dominants, et elle ne peutpas être autre chose. Les nationalistes chauvins de différentspays, comme tous les fascistes sont desmenteurs, ils cherchent à éviter une allianceinternationaliste des classes populaires,restent au service du capital des grandsmonopoles dominants en cas de succès.Mais on peut aussi déconstruire l'Europeen la dépassant par des alliances mais desalliances de combats des classes popu-laires européennes.

•Mais de quelle organisation l'internationalismea-t-il besoin ? Quelle organisation faut-il pour lemouvement communiste international  ? Vousétiez à Dakar cette année, les forums sociauxpeuvent-ils être cette organisation ?S. A. : C'est la question fondamentale. Lesforums sociaux sont ce qu'ils sont : s'y s'ex-priment de manière dominante la protes-tation. C'est une bonne chose, toutcommence par le refus de ce que le capitalimpose. Il y a le Forum mondial des alter-natives (www.forumsdesalternatives.org) ;nous n'avons pas choisi ce nom par hasard…il ne faut pas une organisation qui donnentdes «  directives  », mais des alternativespour approfondir le débat à partir duquelpourront émerger des stratégies d'alter-natives positives. Pour cela nous avons besoin d'une orga-nisation. Non pas d'une organisation hiérar-chisée, avec un pays égal un parti, le bon,les autres étant soit des traîtres soit desincapables  ; mais une multiplicité, ou entous cas plusieurs organisations, partispolitiques, syndicats, organisations popu-laires… anticapitalistes, pas seulement anti-néolibérales. Finalement nous avons besoind'une Ve internationale qui serait plusproche, dans des conditions historiquesévidemment très différentes de la Ire inter-nationale, celle de Marx. n

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR TÉLÉPHONE PAR

AUGUSTIN PALLIÈRE EN AVRIL 2011

être internationaliste »

Exceptionnellement, au titre de l’histoire immédiate, nous avonschoisi de publier cet entretien dans la rubrique “histoire”.

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SCIENCESLa culture scientifique est un enjeu de société. L’appropriation citoyenne de celle-ci participe de la constructiondu projet communiste. Chaque mois un article éclaire une actualité scientifique et technique. Et nous pensonsavec Rabelais que « science sans conscience n’est que ruine de l’âme ».

américain. La campagne "smiles" de laSNCF (société nationale...) en témoigne,comme l'impossibilité de mettre deslettres accentuées dans les adressesinternet alors que techniquement, rienne s'y oppose.

LA STRATÉGIE ÉTATS-UNIENNE DE DOMINATION MONDIALELa stratégie mondiale de domination desEtats-Unis s'appuie sur quatre piliers : lecontrôle des ressources énergétiques,des ressources alimentaires, des fluxfinanciers, et enfin le contrôle total del'information sous toutes ses formes, etplus généralement, le contrôle de l'inno-vation technologique Aujourd’hui, c’estbien ce dernier point qui est le plus stra-tégique pour les dirigeants états-unienscar il conditionne dans une large mesuretous les autres. C’est ce qui a déterminél’administration Clinton à mettre en placele PITAC (Program Investigation TaskAdvisatory Comitee), un comité doté demoyens financiers considérables et quin'a à répondre de ses activités qu'auPrésident. L'impétuosité de la diffusion des TICentraîne nombre de situations de rupturestechnologiques, économiques et organi-sationnelles qui favorisent la prédationéconomique au niveau mondial. L'impli-cation de la Maison Blanche dans lesoutien total, économique, financier etpolitique au développement des TIC n'estpas fortuite au pays des chantres du libé-ralisme économique... pour les autres !Il n’est pas innocent que les centres"racines" du réseau des réseaux, internetse trouvent presque tous physiquementaux Etats-Unis et que ceux-ci refusentd’en partager le contrôle, fut-ce avecl’ONU.

L'IMPACT SUR LES ENTREPRISESLe développement des TIC, en particulierla mise en réseaux, permet pour nombre

L’éthique des TICLa maîtrise des TIC est un enjeu aux multiples facettes. Bien qu'introduisantune contradiction de principe dans l'économie capitaliste, elles sont détermi-nantes pour le capital, en particulier états-unien, particulièrement pour lecontrôle de la création intellectuelle et la marchandisation de l'information.

L

*IVAN LAVALLÉE est professeur des universités (Paris-VIII/EPHE), co-auteur de Cyber-Révolution1, Paris 2011, Le Temps des Cerises."

es TIC (Technologie de l’Infor-mation et de la Communication), c'est lafusion en un système unique des tech-nologies de la communication et de l'in-formatique. Là où on a cru voir une révo-lution informationnelle, sans doute vaut-ilmieux parler de "révolution numérique"ou peut-être électronique. En effet, onsait depuis Leibnitz (1646-1716) que toutobjet est représentable par une séquencede deux symboles répétés autant de foisque nécessaire. L'électronique a permisde systématiser cette façon de faire etpartant d'unifier les deux technologies.

LES ENJEUX DU CONTRÔLE DES TIC POUR LES ETATS-UNISFidèles à leur sens pratique, les Etats-Unis appliquent de façon pragmatiqueles enseignements du marxisme. Ils ontintégré depuis longtemps l'idée que ledéveloppement impétueux des forcesproductives était essentiel pour dominerle monde. Aujourd’hui ce développementpasse bien souvent par la maîtrise desinformations et de la communication. Unaspect occulté de la mise en dépendancepar rapport aux USA, c'est l'impositionde leur sabir, avec la complicité des"élites" locales. Il n'est pas une campagnede publicité ou un jeu télévisé qui n'em-ploie des termes empruntés à l'anglo-

d'entreprises d'optimiser leurs circuits decommunication, interne entre les diffé-rentes unités de production, externe avecles clients et les fournisseurs.La localisation de l'usine ou du labora-toire a beaucoup moins d'importance.Ainsi, la mise en réseau permet la main-tenance et le dépannage à distance desordinateurs, le gardiennage et la surveil-lance distants, le diagnostic médical. Toutle système bancaire est bouleversé. Lamise en réseau des terminaux moné-taires a engendré des gains substantielspour les banques. L'utilisation d'Internetpour les transactions entraîne des écono-mies de l'ordre de 80% par rapport auxtransactions traditionnelles. Par ailleurspour ce qui est des transactions bour-sières, on peut imaginer le degré de réac-tivité – donc aussi d'instabilité – que celapermet, lorsque des milliers de milliardschangent de mains en quelques micro-secondes au gré des exigences de rende-ment financier des fonds de pension.Ainsi les TIC sont-elles considéréescomme l'outil idéal du libéralisme sansfrein. Elles permettent une organisationréactive et flexible des entreprises, parla liaison qu'elles autorisent avec lesclients et les fournisseurs. Les TIC permet-tent aussi aux transnationales, commeleur nom l'indique de se passer du cadrenational. Ce sont ces multinationalesaujourd'hui qui "jouent" contre l'idéemême de nation de façon à déposséderles citoyens de tout pouvoir réel. Laconstruction européenne en est l'exempletype. C'est au mouvement révolution-naire de reconquérir et rénover le conceptet la réalité de la nation.

L'IMPACT SUR LE STATUT DE LA CRÉATION INTELLECTUELLEToute création intellectuelle (livre, disque,image, photographie, cinéma, vidéo...)est aujourd'hui en libre-service et copiablepar qui le souhaite. Le prix d'un graveur

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de CD, ou de DVD, est dérisoire. Les trans-actions commerciales sur Internet sontà la merci de n'importe quel pirate unpeu évolué. Il faut développer des trésorsd'imagination, mobiliser des armées deprogrammeurs, de mathématiciens oude juristes (cryptage, protection desœuvres et droit d'auteur...) pour détournerle réseau internet de son rôle premierde mise en communication libre et sansentrave. Le caractère marchand de lacréation intellectuelle est remis en causeet il faut des trésors d'ingéniosité pourle maintenir.

DROIT D’AUTEUR ET CRÉATIONIl s'agit aussi d'arguties liberticides. AinsiDimitri Sklyarov a-t-il été arrêté par leFBI, l’été 2001 (libéré depuis), comme undangereux terroriste suite à une commu-nication publique dans une conférenceinternationale sur la façon dont sontcryptés des fichiers dits « *.pdf » au nomde la loi états-unienne « 1998 Digital Mille-nium Copyright Act ». Dimitri Sklyarovn’avait pas le droit de soulever le capotpour voir comment est fait le moteur etexpliquer comment on peut le démonter.Pire, en 1999, l’agence policière norvé-gienne a arrêté dés sa majorité un jeunehomme pour avoir conçu lorsqu’il avait15 ans (en 1999) un programme, soussystème linux, qui lui permettait de liredes DVD sur son ordinateur. Le prétexteen étant que, pour ce faire, il avait dû lui

aussi aller voir comment étaient cryptésles DVD. C'est l’exemple type des manœu-vres utilisées pour rendre marchand unmédia qui, par nature, ne l’est pas. C’estune illustration de ce qui peut se passersi on ne réagit pas aux lois sur les copy-rights ou les brevets. Ces lois scélératesbrident l’accès à la connaissance.Une rumeur circule sur le web. SFR favo-riserait le passage par ses serveurs pourses clients et pénaliserait les autres defaçon à les obliger à payer. Nous ysommes. On se posait la question depuisquelques années, de savoir comment lesfournisseurs d'accès et les détenteursdes clés d'internet allaient pouvoir nousfaire payer un "timbre" électronique pourchacun de nos mels (message électro-nique). Nous y sommes presque.Certains, à l'apparition de Wikipédia, "l'En-cyclopédie Libre", ont cru à la diffusiond'une information libre et non faussée,c'est oublier que le choix de la publica-tion – ou non –, sa mise en forme, ne sontpas innocents. En la matière, et mêmeen sciences, l'exposé est enjeu idéolo-gique. Ainsi en est-il de façon flagrantedans les pages consacrées à l'histoirecontemporaine. Wikipédia n'est pasneutre, ni impartiale. Les éditeurs respon-sables des rubriques sont pour l'essen-tiel anonymes, prennent des décisionsde censure. L'information est bel et bienun enjeu politique. Ce n'est pas JimmyWales, fondateur de Wikipédia, dont la

proximité avec les représentants desgrandes multinationales du réseau desréseaux et de l'informatique n'est unsecret pour personne, qui me démentira.

PARADOXE: UNE SOCIÉTÉ SANS MÉMOIRE ?L'informatique devient la mémoire del'humanité. Lorsqu'elle manipule desconnaissances, certains l'appellent Intel-ligence artificielle. Elle investit tous lessecteurs de l'activité humaine, des artsà la science en passant par la cuisine, lalittérature et le jeu. De la rédaction d'unlivre à l'élaboration d'un médicament enpassant par la conception d'une œuvrecinématographique ou le dépannaged'une ligne de production automatisée,l'informatique est omniprésente. Il s'agitlà sans aucun doute d'une évolution aussiimportante dans l'histoire de l'humanitéque l’apparition de l'écriture. Wiener, pèrede la cybernétique, disait "l'informationc'est l'information, elle n'est ni matièreni énergie", certes, mais il faut bien l'en-registrer quelque part, ne serait que surune feuille de papier. Avec l'électronique,l'information est enregistrée sur dessupports magnétiques dont la durée devie quoi qu'on fasse dépassera pénible-ment les cinq ans. Il y a là des inquié-tudes à avoir sur la pérennité de lamémoire et son archivage. n

1/ Lire Cyber Révolution éd. Le temps descerises Paris 2002.

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Patrice BessacRepsonsable national du [email protected]

Stéphane Bonnery Formation/Savoirs, é[email protected]

Nicolas Bonnet [email protected]

Hervé Bramy [email protected]

Ian Brossat Sécurité[email protected]

Laurence Cohen Droits des femmes/Féminisme [email protected]

Xavier Compain Agriculture/Pêche [email protected]@pcf.fr

Olivier Dartigolles [email protected]

Yves Dimicoli Economie [email protected]

Jacques Fath Relations internationales, paix et désarmement [email protected]

Olivier Gebhurer Enseignement supérieur et [email protected]

Jean-Luc Gibelin Santé Protection [email protected]

Isabelle De Almeida [email protected]

Fabienne Haloui Lutte contre racisme, antisémitisme et [email protected]

Alain Hayot [email protected] ou [email protected]

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Jean-Louis Le Moing [email protected]

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de rédaction

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Partice BessacResponsable de la Revue

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Responsable adjoint& Histoire

COMITÉ DU PROJET ÉLU AU CONSEIL NATIONAL DU 9 SEPTEMBRE 2010 : Patrice Bessac - responsable ; Patrick Le Hyaric ; Francis WurtzMichel Laurent ; Patrice Cohen-Seat ; Isabelle Lorand ; Laurence Cohen ; Catherine Peyge ; Marine Roussillon ; Nicole Borvo ; Alain Hayot ; Yves DimicoliAlain Obadia ; Daniel Cirera ; André Chassaigne.

L’ÉQUIPE DE LA REVUE

LES RESPONSABLES THÉMATIQUES

Liste publiée dans CommunisteSdu 22 septembre 2010

Marine RoussillonPages critiques

Alain VermeerschRevue des médias

Frédo CoyèreMaquette etgraphisme