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Revue de Géographie de l’Université de Ouagadougou, N°002 Septembre 2013 77 LE PLATEAU DE THIÈS : COMPRENDRE LA FONCTION ET LA DYNAMIQUE ACTUELLE POUR UN AMÉNAGEMENT DURABLE SY Boubou Aldiouma (email: [email protected]) KABO Raymond (email : [email protected]) Université Gaston Berger de Saint-Louis, Laboratoire Leïdi « Dynamiques des territoires et développement » UFR de Lettres et Sciences Humaines, RESUME L’organisation du relief sur le Plateau de Thiès explique la présence d’un réseau hydrographique dense constitué de cours d’eau temporaires à écoulements torrentiels. Les unités d’écoulement, qui s’organisent à partir de la ligne culminante de la zone orientée nord-sud, coulent dans différentes directions et définissent par le réseau hydrographique différents sous-écosystèmes : Fandène, Mont-Roland, Kissane-Somone, qui se caractérisent par leurs richesses en ressources hydrogéologiques et édaphiques. Ils influencent des zones éco-géographiques stratégiques du Sénégal (les Niayes, le bassin arachidier et la Petite Côte) par la recharge des nappes et par l’épandage de particules fines provenant de la dégradation d’une roche mère du type latéritoïdes phosphaté. Cependant ces fonctions très reconnues au plateau de Thiès sont bouleversées par les cycles de sécheresses persistantes dans tout le Sahel. Elles se manifestent par une mutation de la dynamique environnementale du plateau, justifiant la réduction de l’infiltration des eaux de ruissellement ; cela se répercute sur la recharge des nappes. La prédominance de l’érosion hydrique et éolienne sur les sols latéritiques et durs, dépourvus de végétation, accélère le ravinement et favorise la dégradation de la structure des sols arables. Cette tendance doit justifier l’élaboration d’actions maitrisées pour un aménagement durable du plateau, afin de lutter plus efficacement contre la nouvelle dynamique marquée par l’érosion, la recharge insuffisante des nappes et l’accumulation de débits solides dans les bas- fonds. Mots clés : nappe phréatique, aménagement antiérosif, environnement, hydrographie, Plateau de Thiès, Sénégal.

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Revue de Géographie de l’Université de Ouagadougou, N°002 – Septembre 2013 77

LE PLATEAU DE THIÈS : COMPRENDRE LA FONCTION ET

LA DYNAMIQUE ACTUELLE POUR UN AMÉNAGEMENT

DURABLE

SY Boubou Aldiouma (email: [email protected])

KABO Raymond (email : [email protected])

Université Gaston Berger de Saint-Louis,

Laboratoire Leïdi « Dynamiques des territoires et développement »

UFR de Lettres et Sciences Humaines,

RESUME

L’organisation du relief sur le Plateau de Thiès explique la présence d’un

réseau hydrographique dense constitué de cours d’eau temporaires à écoulements

torrentiels.

Les unités d’écoulement, qui s’organisent à partir de la ligne culminante de

la zone orientée nord-sud, coulent dans différentes directions et définissent par le

réseau hydrographique différents sous-écosystèmes : Fandène, Mont-Roland,

Kissane-Somone, qui se caractérisent par leurs richesses en ressources

hydrogéologiques et édaphiques. Ils influencent des zones éco-géographiques

stratégiques du Sénégal (les Niayes, le bassin arachidier et la Petite Côte) par la

recharge des nappes et par l’épandage de particules fines provenant de la dégradation

d’une roche mère du type latéritoïdes phosphaté.

Cependant ces fonctions très reconnues au plateau de Thiès sont

bouleversées par les cycles de sécheresses persistantes dans tout le Sahel. Elles se

manifestent par une mutation de la dynamique environnementale du plateau,

justifiant la réduction de l’infiltration des eaux de ruissellement ; cela se répercute

sur la recharge des nappes. La prédominance de l’érosion hydrique et éolienne sur

les sols latéritiques et durs, dépourvus de végétation, accélère le ravinement et

favorise la dégradation de la structure des sols arables.

Cette tendance doit justifier l’élaboration d’actions maitrisées pour un

aménagement durable du plateau, afin de lutter plus efficacement contre la nouvelle

dynamique marquée par l’érosion, la recharge insuffisante des nappes et

l’accumulation de débits solides dans les bas- fonds.

Mots clés : nappe phréatique, aménagement antiérosif, environnement,

hydrographie, Plateau de Thiès, Sénégal.

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ABSTRACT

THE PLATEAU OF THIÈS: UNDERSTANDING THE FUNCTION AND THE CURRENT

DYNAMICS FOR SUSTAINABLE DEVELOPMENT

The organization of the relief on the Plateau of Thiès enlightens the presence of a

dense hydrographic network of temporary torrential-flowed watercourses.

The flowing units, which are organized on the culminating line of the north-south

area, flow in different directions and define, through the hydrographic network,

different sub- ecosystems: Fandène, Mont Roland, Kissane-Somone which are

distinguished by the high quality of hydrogeological and soil resources. They

influence strategic eco-geographical zones in Senegal (the Niayes, the Groundnut

Basin and the Petite Côte) by means of a groundwater recharge and spreading fine

particles from the degradation of a latéritoЇde-phosphated rock.

However, these highly recognized functions of the plateau of Thiès are disrupted by

cycles of persistent droughts in the Sahel. They manifest themselves through a

mutation of the environmental dynamics of the plateau, which justifies the reduction

of infiltration of runoffs and this phenomenon affects the groundwater recharge. The

dominance of water and wind erosion on lateritic and hard soils, devoid of

vegetation, accelerates the ravine and strengthens the degradation of the structure of

the arable land.

This trend has to justify the development of well-understood actions for a

sustainable management of the plateau to fight more effectively against the new

dynamics that are marked by erosion, insufficient recharge and the accumulation of

sediment discharge in the shallow places.

Key words: groundwater, erosion control, environment, hydrography, Plateau of

Thiès, Senegal.

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INTRODUCTION

Le plateau de Thiès se situe à l’ouest du Sénégal, dans le bassin

sédimentaire sénégalo-mauritanien sur un substratum constitué de dépôts du

Crétacé et du Tertiaire. Il est à cheval sur les régions administratives de Thiès

et de Dakar, couvrant une superficie de 2 161,64 km². Il abrite dix

communautés rurales et trois communes : Pour, Thiès et Nguékhokh (SÈNE,

2009) (figure 1).

Figure 1 : Localisation du plateau de Thiès dans l’Ouest du Sénégal

Source : KABO, 2012

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L’importance stratégique du plateau de Thiès relève de facteurs

naturels. C’est le seul ensemble surélevé de la région, qui influence de par son

réseau hydrographique des zones hautement stratégiques du Sénégal : la zone

des Niayes (principale région agro-économique en voie d’urbanisation

accélérée et qui voit se développer des activités de maraîchage et

d’arboriculture fruitière), la Petite Côte et le bassin arachidier.

La zone du plateau a subi plusieurs crises tectoniques datées de

l’Éocène. Les premières secousses, qui remontent à l’Yprésien, il y a 56

millions d’années, ont généré une faille de direction nord-sud, soulevant le

Horst de Ndiass. La seconde, survenue au Lutétien, il y a 47,8 millions

d’années, a joué en faveur de l’effondrement actuel constitué par la

combinaison Somone-Tamna et le soulèvement progressif du plateau de Thiès

(figure 2).

Figure 2 : Coupe géomorphologique de la région du Cap Vert

Source : MUDRY et TRAVI, 1992

La spécificité des unités géomorphologiques marque son empreinte

dans l’organisation du réseau hydrographique, déterminant le sens et

l’intensité des écoulements. L’espace du plateau est délimité en fonction des

ramifications de son réseau hydrographique, qui se caractérise par un

ensemble de cours d’eau intermittents, avec des écoulements observés durant

les événements pluvieux importants.

En sus d’un réseau hydrographique dense, la configuration géologique

et la tectonique (linéaments de champs de failles) du plateau joue un rôle

déterminant dans la recharge de la nappe phréatique du plateau lui-même et

dans d’autres régions, formant « le château d’eau du Centre-Ouest

sénégalais ». Une grande partie de l’eau consommée à Dakar et dans ses

environs provient du plateau de Thiès, qui régule la remontée des eaux salées

et les écosystèmes côtiers. Cependant, les cycles de sécheresses persistantes

depuis les années 1970, expliquent les problèmes environnementaux dont les

conséquences se traduisent in situ par la diminution des ressources hydriques,

perturbant l’accès des populations à l’eau potable.

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La baisse de la pluviométrie entraîne un déficit des eaux de surface, un

faible taux d’infiltration. Cela se répercute fortement sur les activités

productives villageoises et le taux du couvert végétal (MICHEL et SALL,

1983). Or, la végétation joue le rôle d’une véritable éponge. Sa disparition

diminue considérablement le taux d’infiltration. Les sols latéritiques se

durcissent. L’eau ruisselle abondamment et plus vite sur la cuirasse

squelettique, aggravant l’érosion différentielle.

L’ampleur de la dégradation des ressources hydriques, du couvert

végétal et des sols, explique les nombreuses interventions des ONG, des

projets de développement, des structures étatiques et des instituts de

recherche. L’essentiel des projets portent sur la restauration et la protection

des milieux naturels dégradés et sur l’amélioration de la productivité des

terres. Face au niveau de dégradation de l’environnement, cet article étudie la

fonction du plateau de Thiès, la compréhension de la dynamique actuelle pour

mieux appréhender les choix d’aménagement afin de lutter plus efficacement

contre les contraintes. Pour atteindre cet objectif, la méthodologie suivante a

été adoptée.

2. METHODOLOGIE

La méthodologie comprend l’exploitation documentaire, les activités

de terrain, l’analyse et le traitement des données.

La recherche documentaire a permis de présenter une vue d’ensemble

des caractéristiques du plateau de Thiès, des bassins de Mont-Rolland et de

Kissane. Elle s’est faite dans divers centres de documentation et bibliothèques

universitaires et sur internet.

La phase de terrain a permis l’exploitation des guides d’entretien à

questions ouvertes portant sur les thèmes relatifs à la limite de la zone

d’étude, à la perception par rapport aux potentialités et aux fonctions

multiples du plateau, aux caractéristiques historiques et actuels de l’évolution

de la zone, aux changements observés, aux usages des ressources naturelles,

aux aménagements et stratégies de gestion des ressources naturelles, aux

actions réalisées ou en cours de réalisation. Ces questions ont été administrées

aux responsables de structures intervenant dans la zone : Environnement

Développement du Tiers-monde / Groupe – Recherche – Appui – Initiatives -

Mutualistes (ENDA/GRAIM), Association pour le Développement des

Technologies et la Gestion de l’Espace et des Ressources des Terroirs (ADT-

GERT), Conseil régional, Direction du Génie Rural/des Bassins de Rétention

et des Lacs Artificiels (DGR/BRLA), Inspection Régionale des Eaux et Forêts

(IREF), Plan international, Direction de l’Hydraulique Rurale (DHR),

Direction de la Gestion et de la Planification des Ressources en Eau

(DGPRE) et personnes ressources des villages cibles.

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Le traitement des données hydrométriques et l’élaboration des

graphiques associés à une approche cartographique pour la spatialisation de

l’information recueillie sur le terrain ont été nécessaires dans la production

des résultats.

3. LES RESULTATS

3.1. Le plateau de Thiès, un milieu éco-géographique stratégique

La fonction du plateau de Thiès dans la recharge des nappes du

Sénégal est essentielle. Le premier repère est le réseau hydrographique dont

la densité importante favorise la mise en place de nombreux cours d’eau et de

mares. Le deuxième repère est la configuration des bassins versants, qui

renseigne sur les directions de l’écoulement. Le réseau hydrographique

apparait particulièrement ramifié en raison des fortes pentes : IG m/km de

Somone 3,82 ; Fandène 2,61 ; Notto Diobass 2,46 (SARR, 2007). Les eaux de

ruissellement qui partent de la crête, la ligne culminante de la zone, coulent

dans différentes directions et définissent par le réseau hydrographique

constitué de cours d’eau temporaires, les différents grands ensembles et les

types d’influence.

Figure 3. Présentation bassin versant de la Somone

Source : KABO, 2004

Les aménagements humains (routes, barrages) freinent les eaux de

ruissellement, contraignant une partie à l’infiltration. L’importance du réseau

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hydrographique, avec la présence de nombreux marigots et mares temporaires

(Diobass, Somone, Thiédane, Wékhé, Némenka), combinée à la situation

géologique de la région, sont à l’origine de l’existence de différents systèmes

d’aquifères : le Quaternaire à 50 m, le Paléocène entre 30 et 120 m, l’Éocène

entre 100 et 140 m, le Maestrichtien à 350 m (figure 4).

Figure 4: Les unités géomorphologiques du plateau de Thiès

Source : KABO, 2012

La nappe superficielle est essentiellement alimentée par ruissellement,

à partir du plateau. Elle est conservée dans les épaisseurs de sable quaternaire

et présente une profondeur variable selon les saisons. Se situant à moins de

5m de la surface pendant la saison des pluies (juillet, août, septembre), elle

baisse considérablement durant la saison sèche (octobre à juillet).

Au plan hydrogéologique, les sources sont rattachées aux couches

profondes du Paléocène et du Maestrichtien, d’une part, et aux couches peu

profondes du Quaternaire et de la nappe détritique à texture poreuse du

Continental terminal, d’autre part. La nappe du Paléocène est formée

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essentiellement de calcaires, d’argiles et de sables calcaires. Elle se localise

au sud de Thiès et dans la presqu'île du Cap-Vert. Elle fournit de l’eau à une

vaste proportion de la région de Thiès. En sus des eaux d’infiltration

verticale, elle alimente latéralement, à partir de la falaise de Thiès, les nappes

de Fadiouth, les arrondissements de Fimela, de Tattaguine, de Niakhar et le

département de Fatick. Les prélèvements sont estimés à 20 millions de m3

avec des pertes constatées dans la Petite Côte, se déversant dans l’océan

Atlantique. L’épaisseur varie de 30 à 120 m (NGOM, 2003).

La nappe du Maestrichtien est la plus profonde des aquifères

répertoriés dans la zone. Sa lithologie est essentiellement constituée de

matériaux argileux et calcaires. Sa perméabilité est en général bonne. Les

réserves de cette nappe sont estimées à 40 milliards de m³, permettant dans

certains endroits, des exploitations à grand débit à de grandes profondeurs

(350 m). Elle se localise sous le « Horst de Ndiass » et fournit de l’eau

potable aux populations de Kirène, Saly, Nguékhokh et Somone, à une partie

de la zone des Niayes et à la vallée du Saloum où sa puissance varie de 150 à

450 m. C’est une nappe de toute première importance à laquelle on associe

des couches peu profondes du Quaternaire et du Continental terminal.

La nappe du Quaternaire est une couche d’un réservoir important ; elle

est à 50 m et son niveau statique se situe entre 1,6 m dans la communauté

rurale de Diender Guedj et 30,66 m dans le secteur de Pout. Elle fournit de

l’eau de consommation à la région de Dakar. La nappe détritique du

Continental terminal est composée de sable et de grès. Ses sédiments, datés

du Miopliocène, ont une épaisseur d’environ 40 m, et un niveau statique à 2,2

m (DIALLO, 2012). Elle fournit de l’eau à tout l’espace du plateau et sa zone

d’influence : le plateau de Thiès constitue un enjeu économique et écologique

pour le Sénégal.

3.2. L’épandage des particules fines et des engrais chimiques dans les

secteurs déprimés

La zone des massifs de Thiès rompt avec la monotonie d’un relief

généralement plat sur la presque totalité de la partie allant du Centre à l’Ouest

du territoire sénégalais. L’histoire géologique et géomorphologique explique

la multiplicité des formations pédologiques sensibles à l’érosion. L’existence

de ce type de relief est favorable au décapage de particules fines sur les

collines affilées du plateau, de la falaise et des buttes témoins du Horst de

Ndiass.

En effet l’évolution des formations géologiques de la zone a été

marquée par la latérisation, qui est une transformation du sol en latérite par un

lessivage de la silice, un processus plus complexe remontant aux phases

humides du Quaternaire, suivi du ravinement des massifs ainsi que le

comblement par les éboulis et l’inondation des bas-fonds. Cela a entraîné une

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diversité de formations pédologiques favorables au développement de

l’agriculture.

Le caractère torrentiel des pluies de début d’hivernage est à l’origine

de l’exportation de particules fines de chaux, de phosphates, de calcaires, de

grès, de latérites et d’argiles transportées par ruissellement au pied de la

falaise de Thiès. Ces particules fines hébergent du phosphate de chaux hérité

des transgressions marines, un engrais chimique naturel, qui est exploité par

les industries minières de la zone. Cette roche améliore l’aptitude culturale

des sols et assure leur diversification.

- Les sols ferrugineux tropicaux peu ou pas lessivés (sols Diors)

proviennent des secteurs du plateau dont les horizons superficiels se

caractérisent par l’affleurement ou le sub-affleurement de la cuirasse et

des blocs de cuirasse. Ces horizons sont soumis à l’érosion hydrique ; ce

qui provoque le transport des particules vers les points bas, l’est et le nord

du plateau, dans le bassin arachidier (BONFILS, 1985 et 1987). Ces sols

ont une teneur en argiles de l’ordre de 2 %. Par contre, le sous-sol est

riche en phosphate et autres minerais, favorisant plus l’infiltration que le

ruissellement. Le pH varie entre 5,11 (pH eau) et 4,08 (pH kcl) pour

l’horizon A à 4,80 (pH eau) et 4,08 (pH kcl) pour l’horizon C. Ce type de

sol est favorable à la culture de l’arachide et du mil Souna1.

- Les sols bruns à engorgement temporaire ou sol Deck (argileux) sont

aussi appelés sols ferrugineux hydromorphes de texture sablo-argileuse.

Ces sols de bas-fonds proviennent du décapement des argiles, des marnes

et des sables du plateau ; ils sont transportés vers les zones de dépressions

où ils subissent un engorgement temporaire et partiel. Cela explique leur

concentration en argile (10 %). Les horizons de surface présentent des

fentes de retrait importantes et nombreuses. La couche de calcaire se situe

à 1,50 m de profondeur. Le pH mesuré varie de 6,09 (pH eau) à 5,35 (pH

kcl) en surface, de 7,65 (pH eau) à 6,13 (pH kcl) en profondeur. Le sol

Deck supporte la culture du maïs, du mil, le maraichage et l’arboriculture.

- Les sols hydromorphes du type Deck-Diors (argilo-sableux) sont

appelés ainsi car initialement ce sont des sols Deck (argileux) dont la

composition granulométrique a été modifiée par des apports sablo-

limoneux (échanges sédimentaires). Ces formations se retrouvent aussi

dans les bas-fonds, particulièrement le long des bordures du plateau de

Thiès, les Talwegs de Bandia, de Kissane, de Palam rock. Le pH mesuré

varie en moyenne de 6,20 (pH eau) à 5,12 (pH kcl) dans les horizons de

surface, de 6,30 (pH eau) à 5,08 (pH kcl) dans l’horizon C, qui se

1 ISRA = Institut de Recherche Agricole et CNRA = Centre National de Recherche

Agronomique (1990)

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caractérise par du sable de couleur rose pâle. Ils sont aussi utilisés pour le

maraîchage.

- Les sols sur cuirasse latéritique gréseuse ou calcaire démantelé se

caractérisent par la présence d’une cuirasse latéritique à faible

profondeur. Ils sont très sensibles à l’érosion en nappe et au ravinement

notamment dans les zones dénudées et à pentes fortes. Ils sont surtout

représentés sur le massif de Ndiass et la « falaise » de Thiès. Ce sont des

sols pauvres à stériles lorsque la cuirasse affleure.

3.3. Dynamique marquée par la diminution des ressources hydriques et

végétales

La diminution des ressources hydrologiques et hydrogéologiques dans

la zone est consécutive aux épisodes de sécheresse persistante depuis les

années 1970-1980 sur le plateau de Thiès. Les cycles de sécheresse entrainent

une baisse sensible des écoulements et du stockage des eaux de surface, une

diminution du couvert végétal (ruissellement important et infiltration faible)

et la dégradation de l’ensemble du réseau hydrographique exposé à

l’ensablement progressif par l’érosion hydrique (figure 5).

Figure 5: Évolution des moyennes pluviométriques de 1980 à 2010

Source : ANAMS2 (2012)

L’évolution pluviométrique observée de 1980 à 2010 laisse apparaître

une courbe en dents de scie. Elle traduit la fréquence des séquences sèches

depuis le début des années 1970, perdurant jusque dans les années 1990, pour

laisser la place à une série d’années pluvieuses à partir de 2000 où il apparaît

des déficits prononcés. Cette dégradation des conditions climatiques explique

en partie l’insuffisance des ressources en eau du plateau de Thiès, accentuée

par les multiples usages et par la dynamique de l’occupation du sol.

2Agence Nationale de la Météorologie du Sénégal (ANAMS)

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La baisse des totaux annuels a atteint un niveau qui ne permet plus

une recharge satisfaisante de la nappe : nappe des sables du littoral nord,

nappe du continental terminal, nappe de l’Éocène y compris celle du

Paléocène de Pout et du Maestrichtien qui affleure dans la zone de Ndiass. Il

s’y ajoute la surexploitation des nappes pour l’approvisionnement en eau

potable et industrielle (usine de concassage des roches calcaires des

cimenteries, usine d’extraction). La situation se traduit par un abaissement

rapide du plan d’eau et l’inaccessibilité des eaux souterraines. L’essentiel des

mares temporaires, points bas de la zone et lieu de convergence des eaux de

ruissellement, ont vu leur période de concentration des eaux diminuer,

passant de 6 mois à moins de 3 mois. La diminution de la période de

concentration des eaux étant due à une évaporation très forte des eaux de

surface libres, causée par une augmentation des températures notables sur tout

le Sahel (33,4°C de moyenne maximale de mars à novembre).

Les enquêtes révèlent que la plupart des mares temporaires du bassin

de Kissane, qui jouent le rôle de véritable réceptacle et favorisent l’infiltration

des eaux de ruissellement, se sont asséchées. Dans le bassin versant de Mont-

Rolland, le lac Tamna en tant qu’exutoire naturel de plusieurs bas-fonds s’est

asséché. Le lac Wangal, qui participe à la recharge des nappes des Niayes, ne

reçoit plus suffisamment d’eau pour la recharge de la nappe phréatique.

Le pouvoir évaporant de l’air est très marqué dans le secteur, du fait

de l’exposition des eaux de surface, soit 4,9 en m/m évaporation Piche de

moyenne annuelle (ANAMS, 2012). Cette perturbation affecte fortement les

nappes du Paléocène, de l’Éocène et du Maestrichtien, donc le potentiel

exploitable. La supplantation des puits par les forages est aussi un facteur

explicatif. Les études sur l’évolution piézométrique du Horst de Ndiass

révèlent nettement les effets de l’exploitation incontrôlée des nappes et de

l’évapotranspiration sur la baisse du niveau piézométrique. Ces études

permettent de faire une simulation sur le niveau piézométrique du Horst

(compartiment soulevé) sur 20 ans et sur 80 ans depuis 1971 (Tableau I).

Les simulations faites à partir du modèle MODFLOW3 ont permis à

NDIAYE (2006) d’estimer la diminution progressive de la nappe

Maestrichtienne à la verticale du dôme piézométrique du Horst de Ndiass. Le

profil piézométrique fait à la latitude 1 630 000 m UTM révèle qu’en 20 ans,

les sorties dues à l’évapotranspiration et aux pompages ont causé des

dommages très significatifs à la nappe et continueront jusqu’en 2051. La

baisse de la nappe a atteint 40 m ; les prévisions sont de l’ordre de 80 m d’ici

2051. Cette évolution est due à la recharge insuffisante et aux prélèvements

intensifs sur la ressource (figure 6).

3MODFLOW est un programme de simulation d’écoulement souterrain développé en Fortran

par Mc Donald et Harbaugh de l’US Geological Survey Service (USGS) en 1988

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Tableau 1 : Bilan de la nappe en transitoire après 20 ans et 82 ans

Termes du bilan 20 ans 82 ans

Entrées Sorties Entrées Sorties

Stockage (m3/j) + 636 707 + 144 797

Flux au niveau des limites

du système (m3/j) +2 605 341 + 2 877 774

Pompages (m3/j) - 156 220 - 156 220

Recharge (m3/j) + 26 073 + 26 073

Évapotranspiration (m3/j) -3 113 376 - 2 895 804

Total (m3/j) + 3 268 121 -3 269 596 + 3 048 644 - 3 052 024

Bilan (m3/j) - 1 475 -3 380

Source : NDIAYE, 2006

Figure 6 : L'origine de la baisse du niveau statique de la nappe phréatique

L’essentiel des personnes interrogées affirment que la baisse des eaux

de puits s’explique par la dégradation des conditions climatiques. La

sécheresse des années 1980 a causé des déficits hydriques très remarqués. Au

total, les déficits pluviométriques persistants et la surexploitation des

ressources à des fins industrielles ont entrainé des dommages considérables

aux nappes du Paléocène et du Maestrichtien.

3.3.1. La diminution du couvert végétal

La diminution du couvert végétal est consécutive à la sécheresse

climatique qui entraîne une dégradation des bilans hydriques et une

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évapotranspiration très prononcée ; les effets de stress hydrique sont

prononcés (PIÉRI, 1989, rapporté par GUÈYE, 2002) : les pressions

physiques et anthropiques renforcent les déséquilibres environnementaux sur

le plateau.

L’intense occupation des sols, suite à la croissance démographique et

à la recherche de terres arables conduit à l’adoption de pratiques aggravantes

(labour dans le sens de la pente, défrichements, feux de brousse,

surexploitation des produits forestiers ligneux, surpâturage, émondage abusif,

exploitation incontrôlée des mines et carrières) qui continuent de prévaloir

dans les terroirs villageois. La pratique continue d’une agriculture extensive

dans la zone qui correspond au bassin arachidier contribue considérablement

à la destruction des formations végétales forestières. Le processus de mise en

culture des sols remet en cause le processus d’utilisation rationnelle des terres

par la disparition de la jachère et du grenier de sécurité. Les effets combinés

du défrichement irrationnel des formations naturelles, des feux de brousse et

du surpâturage contribuent à la dégradation profonde d’un écosystème déjà

fragilisé par les cycles de sécheresse. Cette situation a des conséquences sur

la dynamique des ressources forestières et sur les ressources en sols

(DIATTA et MATTY, 1998), (photo 1).

Photo 1 : Exploitation des ressources du plateau

Source : KABO R., 2012

Les images indiquent une vue partielle de l’exploitation des ressources

ligneuses et/ou une agriculture peu maîtrisée le long des secteurs de pente,

accentuant la double pression physique et anthropique. Cette tendance

dégrade le couvert végétal, participe fortement à la réduction de l’infiltration

des eaux pluviales rechargeant la nappe phréatique du plateau. Les plantes

jouent le rôle d’éponge dans le processus de captage et d’infiltration des eaux

de pluie, faut-il le rappeler. Cette situation cause d’énormes conséquences

dont la plus remarquée est la baisse du niveau statique des puits. Ce qui

bouleverse complètement l’approvisionnement en eau des populations. Des

sources qui se trouvaient à la base de la falaise, depuis 1970, ont tari. La

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diminution du couvert végétal a accentué la vitesse de ruissellement des eaux

venant de la crête, aggravant le phénomène de l’érosion (ENDA, 2002;

ENDA GRAF, 1992 et 2005).

3.3.2. L’érosion hydrique et éolienne

L’érosion mécanique est le principal mécanisme de dégradation des

paysages du plateau. La destruction du couvert végétal est synonyme

d’élimination progressive des forces de frottement, exposant les sols à la

dégradation : érosion en nappe, effet splash et ruissellement accentué sur les

versants abrupts. Cela se traduit par un effet érosif maximal sur le sommet

des versants et une accumulation aux bas des versants.

Photos 2 : Glacis colluvial au pied du plateau de Thiès

Source : SY B. A., 2011

Au fur et à mesure qu’on descend du plateau (photos 3), la

granulométrie s’affine (image de droite, photo 2). L’image de gauche traduit

nettement une alternance de couches tantôt argileuses, tantôt lardées de galets

aux coins arrondis à sub-ovoïdes. Cela traduit des indicateurs de l’intensité

saisonnière des écoulements de surface ; les couches d’argiles sont

indicatrices de déficits hydriques avec de faibles intensités dans le transport

des débits solides, permettant des dépôts fins. Par contre, la présence

significative des galets dans les niveaux traduit des écoulements torrentiels,

n’autorisant pas le dépôt des fractions fines : l’observation fine de la coupe

révèle quatre épisodes secs. L’estimation de la quantité de sol érodé par

année, s’appuie sur les études de ROOSE (1967) reprises par NDOUR

(2001), (tableau 2).

Tableau 2 : Indicateurs d'érosion dans le bassin arachidier Pente Érosion moyenne (t/ha/an) Ruissellement moyen annuel

1,25 % 5 16 %

1,5 % 8,6 22 %

2 % 12 30 %

Source : ROOSE, 1967

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L’érosion mesurée sous simulateur de pluie dans le bassin arachidier a

permis de calibrer un modèle à titre indicatif (tableau 2). L’érosion s’accentue

en fonction de la valeur des pentes : Fandène (pente évaluée à 8,07 %),

Somone (pente évaluée à 4,36 %), Diobass (pente évaluée à 6,24 %), (SARR,

2007). Ces valeurs ont permis d’estimer la quantité de terres érodées dans le

plateau, soit de 50 à 200 tonnes/ha/an (FAYE, 2012).

Les particules érodées sont en transit en direction des Niayes et de la

Petite Côte, contribuant considérablement à l’entretien du potentiel de fertilité

des espaces maraîchers et horticoles de la communauté rurale de Sangalkam,

qui dispose de quelques 13 650 hectares de terres cultivables, soit 70 % de la

superficie totale de la collectivité locale. Ces terres sont riches, variées,

faciles à travailler ; elles supportent plusieurs spéculations : cultures

céréalières à horticoles notamment (figure 7).

Le secteur de Sangalkam se situe à l’ouest, en position déprimée par

rapport au plateau de Thiès, espace assimilable à la dépression de la cuesta

que forme le même plateau; il reçoit les débits solides mobilisés sur le front

du relief d’érosion à corniche ; la dynamique est accumulative. Les

caractéristiques physico-chimiques des sols sont héritées de la roche mère : la

cuirasse latéritoЇde phosphatée du revers et du front de la cuesta. Les

quelques reliques de biomasse sont souvent emportées par la force des

torrents qui déracinent les arbres. Les faibles taux de couverture végétale et

l’effet cinétique de la pente accentuent l’efficacité de l’érosion.

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Figure 7 : Occupation des sols du secteur de Sangalkam

Source : KABO, 2012

En plus de l’effet splash, l’érosion linéaire et le ravinement sont

observés : érosion régressive. Pendant la saison des pluies, le ruissellement se

manifeste par son caractère spectaculaire vu l’ampleur des déplacements qu’il

occasionne à travers le glissement, la solifluxion, le ravinement. Il se forme

d’abord des « griffes » sur le sol, puis des rigoles qui peuvent évoluer

rapidement en ravines suivant la résistance des horizons superficiels face à

l’action de l’eau (sols argileux) ou selon la sensibilité topologique

(prolongement d’une piste, dépression dans le sens de la pente), (photo 3).

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Photo 3 : Vue partielle du réseau de ravins sur le front de la cuesta de Thiès

Source : SY B. A., 2011

Ce réseau témoigne de la puissance cinétique des eaux de

ruissellement qui ne rencontrent aucun obstacle naturel en particulier la

végétation. Les rigoles se transforment très rapidement en ravines

susceptibles de mettre au jour des niveaux stratigraphiques ; les images

montrent une couche sommitale dure de cuirasses ferrugineuses reposant sur

une argile feuilletée à attapulgite. Le réseau de ravins est observé au sein des

formations pédologiques plus élaborées, constituant ainsi des obstacles

physiques à l’exploitation des champs. En l’absence d’obstacles, l’eau y

gagne en énergie ; elle arrache plus facilement le sol en augmentant la taille

de la ravine, transportant de grandes quantités de terres avec une vitesse

importante. Le réseau hydrographique se transforme rapidement en réseau de

ravines ; certaines atteignent 10 m de large et 3 m de profondeur.

La force de progression de l’eau peut ainsi causer de graves dégâts

aux habitations (souvent construits en banco dans le milieu rural) et aux

routes en terre qui deviennent impraticables. Ce mécanisme est à l’origine du

décapage et du transport de matières solides provenant des collines de

Kissane et de Mont-Rolland vers les zones basses : le lit de la Somone, du lac

Tamna et du Diobass. Cela pose le problème du comblement progressif du lit

des cours d’eau principaux, véritables zones agricoles du plateau. D’ailleurs

en 1990, des mesures ont montré un relèvement du sol de 30 cm dans les bas-

fonds. Cela peut constituer un handicap majeur aux techniques culturales. Il

apparait alors que cette dynamique a une fonction contradictoire : transport et

accumulation de particules fines, décapage et création de réseaux de ravins

souvent contraignant.

Les effets de la morphodynamique éolienne sont moins perceptibles

sur les paysages. Pourtant la diminution des forces de frottement, notamment

le taux du couvert végétal se traduit par la recrudescence des vents sur la

structure des sols latéritiques déjà fragilisés par l’effet des pluies à caractère

torrentiel des épisodes pluvieux. Le seuil critique des vents compétents est de

5 à 7 m/s ; ces intensités sont susceptibles d’occasionner des mouvements

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sédimentaires colmatant les bas-fonds. Sur le terrain, cette dégradation

mécanique est responsable en partie de la très faible aptitude agricole des sols

du plateau, subissant un appauvrissement en matières organiques et en

fractions fines, éléments structurant le potentiel de fertilité des sols.

3.3.3. Quel aménagement pour une utilisation durable des ressources

Pour faire face à la recharge insuffisante des nappes et de la

dégradation des terres, de nombreuses techniques de gestion des ressources

naturelles ont été testées : techniques de collecte des eaux de ruissellement

utilisées pour la réhabilitation de terres encroûtées et fortement dégradées.

Ces procédés sont plus connus sous le vocable de techniques de conservation

des eaux et des sols et de défense restauration de sol (CES/DRS) ou de

CES/AGF quand l’agroforesterie y est associée.

L’ensemble des projets orientés sur la CES et la DRS visent

l’amélioration des productions agricoles et la recharge des nappes pour

rétablir l’autosuffisance alimentaire des populations rurales par la restauration

des conditions biophysiques de production. Ces techniques ont permis la

maîtrise du ruissellement des eaux de surface ; elles assurent l’infiltration

d’une grande partie des eaux de pluie et la collecte de sédiments en transit. En

sus de diminuer la force cinétique des eaux de ruissellement, ces systèmes de

retenue d’eau collinaire favorisent la revitalisation des nappes souterraines

par l’infiltration et la lutte contre le ravinement4.

La réalisation de ces ouvrages est facilitée par l’existence in situ de

matériaux de construction : cuirasses latéritiques notamment, argiles,

granulats. Les sites antiérosifs favorisent un environnement justifiant

l’installation de la végétation naturelle, ce qui contribue au blocage des

particules arrachées de la crête (colmatage), en amont des diguettes ; cela

inverse la tendance érosive des rigoles. Les aménagements antiérosifs sont

aussi associés à des aménagements agro-forestiers, les plus connus sont la

mise en défens, la régénération naturelle assistée et la mise en bocage (sur

une surface de 48 ha/village) qui permettent eux aussi de rétablir et de

conserver la végétation dégradée (photos 4).

4 Ces stations servent de points temporaires importants à l’élevage du petit bétail

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Photo 4 : Vue partielle des ouvrages antiérosifs et rétention des eaux de

ruissellement à Mbissao

Source : ADT/GERT à Mbissao, Communauté rurale de Mont Rolland, 2012

La technique de maîtrise de la dynamique érosive consiste à détourner

les eaux de ruissellement vers la nappe et à contrôler le mouvement des

fractions fines en tant qu’éléments structurant la fertilité des terres agricoles.

Le plateau fonctionne alors comme un point de recherche, de production et de

diffusion de particules fines. Cette fonction est capitale pour le Sénégal en

général (santé du potentiel hydrogéologique), pour l’espace rural polarisé par

le plateau dans le domaine agricole et d’élevage de petits ruminants

notamment. Le tableau 3 résume l’état des ouvrages réalisés sur divers sites

de l’espace cible.

Tableau 3. Situation des ouvrages sur le plateau de Thiès5

Sites principaux BVKissane- Somone BV de Mont-Rolland

Kissane Birbirane Dakhar

Mbaye Ndeuye Fouloum

Système mécanique

Nombre de

cordons

286 - - - 120

Longueur en m 42 673 1000 m 1000 m 10 000 15 094

Nombre de ravins

traités

2 - - 10 -

Longueur en m 500 - - - -

Nombre de

croissants lunaires

23 60 50 40 5

Nombre de fosses 36 - - 50 17

5 Source ADT/GERT: Association pour le Développement des Technologies et la

Gestion de l’espace et des ressources des Terroirs. Document d’information de base

du projet de gestion des Écosystèmes Naturels et d’Aménagement des espaces

Dégradés (GENAED de Kissane)

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Sites principaux BVKissane- Somone BV de Mont-Rolland

Kissane Birbirane Dakhar

Mbaye Ndeuye Fouloum

Nombre de

tranchées à ciel

ouvert

6 - - - -

Longueur en m 160 - - 500 -

Nombre de seuils

ou micro barrages 33 - - - -

Nombre de Zaï 2 250 - - -

Système biologique

-Nombre de plants

plantés/

renforcement

-Longueur

renforcée en m

12 347 1200 1200 5 000 7 520

7 990 - - - 14 640

-Nombre plants

plantés sur bandes

boisées en

alignement

-Longueur en m

500 - - 1 000 -

1 000 - - - -

-Nombre de

fascines

-Longueur en m

7 - - - -

130 - - - -

Les innovations techniques et technologiques introduites dans le

plateau sont faciles à comprendre et à enseigner ; elles sont adaptées aux

réalités locales, applicables à grande échelle et à moyen terme : mise en place

de cordons pierreux, de pépinières forestières villageoises, de plantations, de

traitement des ravins, de confection de croissants lunaires, de fosses de

rétention ou d’infiltration des eaux, de mise en place de tranchées à ciel

ouvert, épousant le profil des courbes de niveau. L’essentiel des travaux de

DRS-CES sont logés sur le revers du plateau, le front, la dépression et sur le

massif de Ndiass où les altitudes dépassent parfois 100 m. Ces ensembles

géomorphologiques sont les plus touchés par l’érosion hydrique

CONCLUSION

Le plateau de Thiès est l’une des zones éco-géographiques les plus

riches en ressources naturelles au Sénégal. L’importance des écosystèmes et

des activités qui en dépendent explique l’intérêt que lui accordent les acteurs

de la société civile. L’influence hydrogéologique et agronomique qu’il exerce

sur les zones périphériques par la recharge de nappes et l’épandage des

particules fines de chaux, de phosphates et des calcaires (engrais naturel), lui

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Revue de Géographie de l’Université de Ouagadougou, N°002 – Septembre 2013 97

vaut d’être considéré comme un enjeu économique stratégique pour le

Sénégal. Pour cette raison, l’espace du plateau doit être classé afin de lui faire

jouer pleinement son rôle de régulateur des ressources.

Cependant, les multiples cycles de sécheresse ont perturbé la stabilité

des ressources naturelles du plateau dont certaines sont vitales pour la

croissance économique et démographique : l’eau et la terre. Les conditions

climatiques défavorables des années 1970, 1980 et 1990 ont réduit les

ressources hydrogéologiques du plateau. Cette contrainte est perceptible par

les populations rurales. Les ressources édaphiques sont soumises aux effets de

l’érosion hydrique et éolienne mais aussi à la salinisation et au comblement

de l’essentiel des bas-fonds qui jouent le rôle de véritables support de

l’activité agricole. Cela traduit une perte significative de terres arables,

perturbant le développement agricole.

Beaucoup d’études soutiennent que la sécheresse et sa récurrence au

Sahel est le principal facteur de dégradation des paysages du plateau. Mais il

est aussi prouvé que le système d’exploitation de ses ressources n’est pas

optimal. Ces ressources sont sérieusement entamées par endroits et leur

exploitation a atteint le seuil critique. L’ampleur de la dégradation explique

les nombreuses interventions des ONG, des projets de développement, des

structures étatiques et des instituts de recherche, qui portent souvent leurs

actions sur la protection des milieux naturels et l’amélioration de la

productivité des terres.

Les phénomènes observés dans les différentes localités du plateau ont

leur source dans la crête. Les actions à mener dans les bassins versants ont

peu d’efficacité sans la prise en compte des phénomènes en amont et d’une

manière générale de l’ensemble de l’écosystème du plateau. Ceci pousse à

privilégier une intervention sur l’ensemble du plateau pour une multiplication

et une synergie des dynamiques de lutte contre la dégradation du plateau et de

sa zone d’influence.

Mais la plupart des actions entreprises se heurtent à un manque de

coordination et d’études poussées qui conduisent à des échecs répétitifs de

nombreux projets de gestion des ressources naturelles dans la zone. Avec la

décentralisation, la démultiplication du pouvoir devient effectif et la gestion

de l’environnement transférée aux communautés rurales. Le changement

d’échelle brusque dans la gestion des ressources perturbe leur gestion

collective. Il en a résulté une fragmentation de l’espace et un foisonnement

des initiatives de gestion des ressources naturelles (GRN), conduisant à une

concurrence entre ONG et partenaires sur le plateau. Chacun voulant montrer

son empreinte et son savoir-faire. Ce qui conduit aux manques de pertinence

dans les logiques d’intervention et traduit l’accélération de la détérioration de

l’environnement rural.

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Revue de Géographie de l’Université de Ouagadougou, N°002 – Septembre 2013 98

D’où la nécessité de mobiliser les différents acteurs concernés afin de

mettre en place un cadre de concertation en vue de l’harmonisation et la

coordination des interventions sur le plateau de Thiès et sa zone d’influence.

Ce cadre de concertation doit jeter les bases d’une approche participative. Par

ailleurs, la prise de conscience collective d’une commune appartenance à un

même milieu et la ferme volonté de rester dans ce milieu et d’œuvrer à son

épanouissement sont des motifs d’implication de tous les acteurs et de

consolidation des acquis dans le secteur.

Au terme de cette analyse, on peut dire que le plateau de Thiès dispose

d’un potentiel énorme en ressources naturelles (hydrographique,

hydrogéologique et édaphique). L’importance de ce potentiel explique les

nombreuses interventions de GRN, pour lutter contre la dégradation : érosion

hydrique et éolienne, baisse du niveau piézométrique, réduction du couvert

végétal, etc.

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