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Faculteit Letteren en Wijsbegeerte Academiejaar 2009-2010 L'expression du pronom sujet : entre diatopie et diachronie. La situation dans les dialectes de la Suisse romande et dans le Voyage de Saint Brandan Masterproef ingediend tot het behalen van de graad van Master in de Historische Taal- en letterkunde: Frans - Spaans Céline Dubois Promotor : Dr. M. Van Acker Co-promotor : Prof. Dr. Philippe Verelst Leescommissaris : Prof. Dr. Marleen Van Peteghem

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Faculteit Letteren en Wijsbegeerte

Academiejaar 2009-2010

L'expression du pronom sujet : entre diatopie et diachronie.

La situation dans les dialectes de la Suisse romande

et dans le Voyage de Saint Brandan

Masterproef ingediend tot het behalen van de graad van

Master in de Historische Taal- en letterkunde: Frans - Spaans

Céline Dubois Promotor : Dr. M. Van Acker

Co-promotor : Prof. Dr. Philippe Verelst

Leescommissaris : Prof. Dr. Marleen Van Peteghem

I

Avant-propos

Le travail que vous avez sous les mains, est le résultat d’un long parcours de recherche, de

lectures et de rédaction. La composition de ce mémoire a été un défi personnel afin de

maîtriser ces nouveaux champs de recherches que sont la diachronie et la diatopie. Avant

d’entamer ce travail, je voudrais remercier quelques personnes qui m’ont aidée tout au long de

ce parcours. Tout d’abord, je tiens à remercier le Dr. Marieke Van Acker, mon promoteur qui

a toujours été prête à m’aider. C’est grâce à ses bons conseils et son enthousiasme que j’ai pu

élaborer ce travail. Je voudrais également remercier deux autres professeurs de mon

université, à savoir le Prof. Dr. Rika Van Deyck, qui était la première à m’encourager à me

lancer dans ce sujet de recherche, et le Prof. Dr. Philippe Verelst, qui m’a transmis par ses

cours son amour pour l’ancien français.

Ensuite, je tiens à remercier tous ceux qui étaient autour de moi tout au long de ce travail :

mes amis, ma famille et mes parents. Sans l’aide et le soutien de toutes ces personnes, il aurait

été difficile d’écrire ce mémoire, voir impossible. C’est grâce à elles que je peux remettre ce

travail de fin d’études avec fierté.

II

Table des matières

Avant-propos ………………………………………………………………... I

Table des matières ………………………………………………………….. II

1. Présentation du sujet de recherche ………………………………………… 1

2. Encadrement théorique …………………………………………………….. 4

2.1.Contexte scientifique ……………………………………………………... 4

2.1.1. L’émergence de l’approche interdisciplinaire ……………………. 4

2.1.2. La fluctuation langagière …………………………………………. 6

2.1.3. Intérêt de l’approche interdisciplinaire …………………………… 8

2.1.4. La notion de latin vulgaire ………………………………………... 10

2.1.5. La valorisation du système linguistique ………………………….. 11

2.1.6. La notion de diasystème et théorie de la continuité ………………. 12

2.2.Le pronom personnel sujet …………………………………………………. 13

2.3.Méthodologie ………………………………………………………………. 17

2.3.1. Les données en diachronie …………………………………………. 17

a) Présentation du corpus

b) Manière de procéder

2.3.2. Les données en diatopie …………………………………………… 19

a) Présentation du corpus

b) Manière de procéder

2.3.3. Questions à poser ………………………………………………….. 21

2.4.Conclusion intermédiaire ………………………………………………….. 22

3. L’expression du pronom sujet en ancien français ………………………… 23

3.1.Introduction ………………………………………………………………. 23

3.2.Observations théoriques ………………………………………………….. 24

3.2.1. La quantification interne et externe ………………………………. 24

3.2.2. Le changement de l’accent ……………………………………….. 25

III

3.3.Analyse des grammaires ………………………………………………….. 27

3.3.1. Choix des grammaires ……………………………………………. 27

3.3.2. Informations recueillies …………………………………………… 28

a) Pronoms déictiques et anaphoriques

b) Formes morphologiques

c) Les conditions d’expression et de non expression

d) Le phénomène de l’enclise

3.3.3. Grille d’interprétation …………………………………………….. 34

3.4.Analyse du corpus ………………………………………………………… 35

3.4.1. Difficulté des sources …………………………………………….. 35

3.4.2. Statistiques ………………………………………………………... 37

a) Cas d’expression

b) Cas de non expression

3.4.3. Les pronoms déictiques …………………………………………… 39

a) 1e personne singulier – je

b) 1e personne pluriel – nous

c) 2e personne singulier – tu

d) 2e personne pluriel – vous

3.4.4. Les pronoms anaphoriques ……………………………………….. 49

a) 3e personne singulier masculin – il

b) 3e personne pluriel masculin – ils

c) 3e personne singulier féminin – elle

d) 3e personne pluriel féminin – elles

3.4.5. Pronom en développement : on …………………………………... 59

3.5.Conclusion intermédiaire ………………………………………………… 60

4. L’expression du pronom sujet en francoprovençal ……………………….. 62

4.1.Observations théoriques ………………………………………………….. 62

4.1.1. Caractéristiques du francoprovençal ……………………………… 62

4.1.2. Caractéristiques du pronom sujet en francoprovençal ……………. 63

4.2.Analyse du corpus ………………………………………………………… 64

4.2.1. Différences frappantes selon les localités ………………………… 64

4.2.2. Les formes morphologiques ……………………………………… 65

4.2.3. Les conditions d’expression et de non expression ……………….. 66

a) 3e personne singulier masculin – il

b) 3e personne pluriel masculin – ils

c) 3e personne singulier féminin – elle

d) 3e personne pluriel féminin – elles

4.3.Conclusion intermédiaire ………………………………………………… 69

IV

5. Comparaison des deux corpus ……………………………………………… 71

5.1.Introduction ………………………………………………………………. 71

5.2.Convergences et divergences entre les corpus …………………………… 71

a) En général

b) La variation morphologique

c) Les conditions d’expression et de non expression

d) Les différences entre les personnes grammaticales

e) L’influence de la position du pronom dans la phrase sur son expression

5.3.Conclusion intermédiaire ………………………………………………… 76

6. Conclusion générale ………………………………………………………… 78

Bibliographie ………………………………………………………………… 82

1

1. Présentation du sujet de recherche

Depuis longtemps, les linguistes se sont intéressés à l’évolution des langues, à leur histoire, et

aux facteurs responsables de leurs mutations. Les nombreux livres et articles publiés sur ce

sujet sont la preuve concrète de l'intérêt incessant pour cette évolution. Pourtant, ces

nombreuses études n'ont pas permis de trouver des réponses à toutes les questions. Marieke

Van Acker formule cette opposition parfois frustrante entre intérêt incessant d’une part, et un

grand nombre de défis à confronter d’autre part1 : « Que d’études n’a-t-on pas déjà publiées

au sujet de la transition latin-langues romanes ? Et pourtant, ce domaine de recherche n’arrête

pas de soulever des questions, de provoquer des dissensions et surtout d’aviver la curiosité

afin de comprendre comment un système linguistique a pu en supplanter un autre ».

Plus récemment2, les linguistes ont commencé à s’intéresser à un autre champ de recherche

linguistique, à savoir la dialectologie. Cette discipline recouvre l’étude de la variation

géographique ou diatopique d’une langue. Vu que la grande majorité des dialectes se situent

en dehors des variantes standardisées, longtemps privilégiées par la linguistique, ces parlers

ont pendant une longue période été négligés par les linguistes. Les dialectes ne méritaient –

selon beaucoup de chercheurs – simplement pas les mêmes recherches linguistiques que

l’évolution diachronique. Aujourd’hui, nous savons que la réalité langagière est différente.

Les dialectes forment des systèmes linguistiques à valeur pleine, avec des divergences

considérables dans les différents champs linguistiques. De plus, « […] il n’y a pas d’histoire

de la langue sans une dialectologie et surtout sans une géographie linguistique complète et

bien établie »3.

Ces deux champs de recherche que sont la diachronie et la diatopie, connaissent encore

aujourd’hui un grand nombre de questions qui restent sans réponse. Certaines évolutions sont

tellement particulières que les linguistes n’arrivent pas à les expliquer complètement. De

possibles réponses peuvent être fournies par une démarche assez récente, à savoir

l’interdisciplinarité. Une telle approche interdisciplinaire, soutenue par entre autre Michel

1 Van Acker, Marieke, « Le fonctionnement de la communication verticale à l’époque mérovingienne », 2005, p.

343. 2 L’intérêt pour la discipline de la dialectologie n’est pas tellement récent, mais il est plus récent que celui pour

l’origine et l’évolution de la langue (cf. la diachronie). 3 Meillet, Antoine, Bull. de la Soc. Ling. de Paris, t. XXX, 1929, p. 200, cité dans : Pop, Sever, La dialectologie

– aperçu historique et méthodes d’enquêtes linguistiques, 1950, p. IX.

2

Banniard, permet d’interpréter les données sous un nouveau point de vue. En projetant des

connaissances d’un champ de recherche sur l’autre, l’interdisciplinarité est capable de clarifier

les problématiques respectives. L’approche interdisciplinaire est donc apte à enrichir les

recherches en diachronie et en diatopie, comme l’indique également Marieke Van Acker4 :

« L’interdisciplinarité, on le sait, est un bienfait pour les sciences auxquelles elle apporte une

plus-value indéniable : elle permet de se construire une image plus complète et plus nuancée.

Elle se destine surtout à éviter les œillères de traditions bien établies et à apprendre à poser les

bonnes questions ».

Pour ce travail, nous nous sommes intéressée à un élément linguistique spécifique, à savoir

l’expression du pronom personnel sujet en ancien français d’une part, et en francoprovençal

d’autre part. Afin de pouvoir illustrer le fonctionnement et les conditions d’expression du

pronom sujet, nous avons travaillé avec deux corpus qui représentent des microsystèmes, tant

de l’ancien français que du francoprovençal. Nonobstant, cet exposé ne peut pas prétendre de

pouvoir clarifier tous les problèmes liés à l’évolution langagière du pronom personnel sujet5.

L’objectif de ce travail est plutôt d’essayer de voir si les situations observées dans ces deux

corpus parallèles peuvent s'éclairer mutuellement par des logiques similaires. De cette

manière, nous voulons contribuer, modestement, à établir des rapports analogiques entre ces

différents microsystèmes langagiers.

En premier lieu, nous présentons notre sujet dans un cadre théorique, qui permet de justifier

les choix que nous avons faits tout au long de ce travail, et qui permet également de situer

notre sujet dans un ensemble plus général. Cet encadrement théorique est le point de départ de

l’analyse de nos deux corpus, dans lesquels nous examinons le fonctionnement du pronom

personnel sujet. Nous avons travaillé sur un corpus comprenant un texte en ancien français du

XIIe siècle (Le Voyage de Saint Brendan), et un ensemble de phrases issues d’une banque de

données des patois francoprovençaux du Valais central.

Établir un lien entre les deux matières que nous allons traiter, relève certainement du défi. Vu

qu’il s’agit d’une approche originale et peu pratiquée, surtout en application pratique, nous

4 Van Acker, Marieke, UT QUIQUE RUSTICI ET INLITTERATI HEC AUDIERINT INTELLEGANT.

Hagiographie et communication verticale au temps des Mérovingiens (VIIe-VIII

e siècles), 2007, p. 9.

5 Prétendre de pouvoir atteindre un tel objectif, à savoir l’explication complète de l’évolution du pronom

personnel sujet, est selon nous un point de vue non scientifique. Nous devons tenir compte des limites de notre

travail, et être réaliste quand nous en indiquons les objectifs.

3

devons faire très attention à notre manière de procéder. Le but principal de ce travail est de

trouver des convergences et des divergences entre les différents microsystèmes présents dans

nos corpus, qui sont tous les deux des systèmes vacillants vu l’absence d’une standardisation.

Notre travail cherche à comparer deux sous-systèmes linguistiques, dans l’espoir de

découvrir, éventuellement, des logiques communes sous-jacentes en ce qui concerne le

fonctionnement du pronom personnel sujet. Car, finalement, nous ne pouvons pas oublier que

« c’est souvent la confrontation et la comparaison qui nous amènent à jeter de nouvelles

lumières sur des réalités qu’on croit connaître »6.

6 Van Acker, Marieke, « Introduction », (introduction au livre Latin écrit - roman oral ? : de la dichotomisation

à la continuité, 2008), p. 5.

4

2. Encadrement théorique

2.1.Contexte scientifique

2.1.1. L’émergence de l'approche interdisciplinaire

Dans un article publié en 19807, Michel Banniard nous explique l’intérêt d’une nouvelle

approche interdisciplinaire, entre la diachronie d’une part, et la diatopie d’autre part. C’est le

début d’une nouvelle approche analytique pour l’évolution langagière. Banniard commence

par indiquer que la méthode d’analyse la plus utilisée était pendant longtemps une analyse

purement linguistique8. Cette approche, sans aucun doute capable d’enrichir les connaissances

de ce champ de recherche, connaît néanmoins le désavantage de différencier fortement

« selon les écoles, selon les points de vue, selon la personnalité même des chercheurs »9. De

plus, l’approche purement linguistique ne permet pas de « reconstituer l’état réel de la langue

parlée par le peuple en un endroit et à une date donnés »10. Tenant compte de ces

considérations, Banniard propose une autre façon d’examiner l’évolution langagière. Il prend

la notion d’analogie comme concept de base, et soutient que « c’est à la dialectologie romane,

et plus particulièrement à la géographie linguistique, que nous demanderons des références

analogiques »11.

Banniard souligne les ressemblances entre l’analyse diachronique d’une part, et l’analyse

synchronique et sociologique d’autre part. Les acquis de celles-ci peuvent aider à résoudre les

problèmes que nous rencontrons lors de l’analyse diachronique. Banniard illustre ce point de

vue à l’aide d’un exemple concret, à savoir les frontières linguistiques. Les recherches en

géographie linguistique ont démontré clairement qu’il n’existe pas de frontière linguistique

pure entre différents dialectes12. Il y a toujours des bandes de transition interférentielles où les

caractéristiques des deux zones frontalières se chevauchent. L’existence de ces zones

s’explique tout simplement par la nécessité de communication13. Ces zones frontières

conduisent « à supposer la possibilité d’existence de zones de transition assez étroites d’un

7 Banniard, Michel, « Géographie linguistique et linguistique diachronique : essai d’analyse analogique en occitano-

roman et en latin tardif », 1980. 8 Banniard, Michel, « Géographie linguistique et linguistique diachronique », p. 9.

9 Banniard, Michel, Op. Cit., p. 9.

10 Ibid., p. 10.

11 Ibid., p. 10.

12 Ibid., p. 12.

13 Ibid., p. 17.

5

état de langue à l’autre en diachronie »14. Le lien entre diatopie et diachronie devient plus clair

de cette manière.

L’auteur conclut, par analogie, que la situation en diachronie entre certaines phases d’une

langue a dû être similaire : il n’y a pas eu « de seuil brusque entre le latin vulgaire tardif et le

parler protoroman »15. L’évolution d’une phase langagière vers une autre, a toujours eu besoin

d’une certaine période pour s’effectuer. La vitesse de cette évolution dépend, exactement

comme dans les bandes interférentielles des dialectes, de la nécessité d’intercompréhension

entre les locuteurs. Banniard résume ainsi ces affirmations pour l’évolution diachronique de la

langue16 :

[…] on peut considérer sans grand risque d’erreur que, dans le cas d’une période restreinte qui nous

mène du latin vulgaire tardif au roman archaïque (soit trois ou quatre siècles au plus), on est en présence

d’un ensemble diachronique qui offre analogiquement la même résistance au classement et à l’analyse

que l’ensemble synchronique précédemment considéré.

Et plus loin17 :

[…] même si nous acceptons l’idée que la langue parlée populaire a tendu à se réorganiser le plus

rapidement possible en système linguistique neuf, elle n’a pu accepter ce changement qu’avec une

vitesse qui fût directement limitée par les besoins de l’intercompréhension entre locuteurs d’un âge

différent. […] Cette règle dirimante oblige à supposer que la mutation linguistique s’est étendue sur

quelques décennies, de manière à exclure toute perturbation excessive de la communication.

Dans son article, Banniard insiste également sur l’élaboration de typologies contrastives afin

de pouvoir analyser correctement le passage du latin mérovingien au français prélittéraire18.

Selon lui, il ne faut pas uniquement énumérer les divergences entre les deux stades langagiers,

mais également les hiérarchiser selon leur importance dans l’évolution. L’approche

interdisciplinaire peut aussi être utile dans cette matière : les acquis de la géographie

linguistique peuvent faciliter la compréhension de l’évolution langagière. L’intention de

Banniard est la suivante19 :

La géographie linguistique devrait servir de guide et de garantie. […] c’est donc en utilisant des

instruments et des méthodes d’analyse semblables à ceux forgés en un siècle par la géographie

linguistique, et proches de ceux en cours d’élaboration par la linguistique contrastive, que l’on pourra

peut-être définir une frontière chronologique décisive dans l’évolution du latin au roman.

14

Banniard, Michel, « Sur la notion de fluctuation langagière en diachronie longue à la lumière des enquêtes

dialectologiques contemporaines », 2002, p. 8. 15

Banniard, Michel, « Géographie linguistique et linguistique diachronique », p. 12. 16

Banniard, Michel, Op. Cit., p. 13. 17

Ibid., p. 17. 18

Ibid., p. 12. 19

Ibid., p. 15.

6

Dans un autre chapitre de son article (cf. chapitre IV), Banniard traite de la perception du

changement linguistique. L’auteur insiste sur le fait que les locuteurs sont la plupart du temps

inconscients du changement linguistique dans lequel ils se retrouvent. Tout comme pour les

frontières linguistiques et les typologies contrastives, la théorie de la perception du

changement linguistique peut être clarifiée à l’aide de la géographie linguistique. Lors des

enquêtes en dialectologie, les chercheurs ont observé que de nombreux locuteurs prononcent

les mots d’une façon différente (comparé à quelques décennies avant), sans se rendre compte

de la différence en prononciation. Un tel changement inconscient a également dû se produire

lors de l’évolution langagière du latin parlé tardif vers l’ancien français. Banniard a donc

prouvé, une fois de plus, que la géographie linguistique peut aider, « toujours par analogie, à

comprendre la réalité vivante dans laquelle s’établissait la communication verticale au VIIe

siècle en Gaule »20.

2.1.2. La fluctuation langagière

Après avoir présenté les informations principales de l’article de Banniard de 1980, nous

voulons faire la même chose pour un de ses articles écrit en 2002, intitulé « Sur la notion de

fluctuation langagière en diachronie longue (IIIe-VIII

e s.) à la lumière des enquêtes

dialectologiques contemporaines »21, qui est en quelque sorte une mise à jour de la thématique

traitée en 1980. Cet article recouvre entièrement le cadre scientifique dans lequel notre travail

se trouve22.

Cette notion de fluctuation langagière est intéressante : vu qu’une langue vivante est parlée

par de nombreux locuteurs, elle est en permanente évolution, c’est un système linguistique en

vacillation. L’objectif de l’article de Banniard est le suivant23 :

Cette modélisation, implicite ou explicite, qui informe la manière traditionnelle de décrire en France

l’évolution du latin vers le français sera ici interrogée en prenant pour centre d’intérêt la notion de

fluctuation langagière telle qu’elle émerge des enquêtes dialectologiques contemporaines. Il me paraît

en effet que toutes les cartes (cf. des atlas linguistiques) établies […] invitent à modifier sensiblement la

chronologie proposée, et par voie de conséquence les modélisations qui les sous-tendent.

20

Banniard, Michel, « Géographie linguistique et linguistique diachronique », p. 23. 21

Banniard, Michel, « Sur la notion de fluctuation langagière en diachronie longue ». 22

Nos propres objectifs sont plus modestes : tenant compte de ce cadre scientifique et des apports et acquis

généraux de l’approche interdisciplinaire, nous considérons notre travail comme une modeste contribution à ce

champ de recherche. Notre travail consiste à rapprocher deux microsystèmes qui représentent des

caractéristiques similaires aux diasystèmes de l’ancien français et du francoprovençal. Ce travail est donc avant

tout documentaire, et ne peux pas prétendre d’être exhaustivement explicatif. 23

Banniard, Michel, « Sur la notion de fluctuation langagière en diachronie longue », pp. 1-2.

7

L’auteur affirme que les modélisations de la linguistique « classique » ont beaucoup apporté

à la problématique de la variation langagière en diachronie longue, mais que ces

modélisations sont pas tout à fait capables de montrer la totalité des variations dans les

systèmes des différents stades de l’évolution langagière. Les apports de la recherche en

dialectologie par contre, sont selon Banniard bien capables de présenter l’évolution dans tous

ses aspects24.

La fluctuation langagière que nous observons dans les dialectes d’aujourd’hui, a dû être

pareille en latin. Les informations que nous apportent les atlas linguistiques montrent fort bien

cette corrélation ; elles « permettent d’entrer en contact direct avec le déploiement d’une

parole dialectale comme l’a été le latin »25. De plus, si l’accès direct à la parole est par

définition impossible pour l’ancien français26, il est par contre bien possible pour les dialectes

modernes. Banniard insiste également sur la corrélation entre les zones frontalières

transitionnelles des dialectes d’une part, et les périodes de transition de l’évolution langagière

d’autre part : « cette zone frontière (cf. celle des dialectes) représente un processus de

cristallisation finale (en accélération exponentielle) de tendances évolutives inscrites depuis

longtemps dans l’histoire de la latinophonie »27.

Autre point en commun entre la diatopie et la diachronie : les problèmes posés par

l’intercompréhension entre des aires dialectales différentes28. Les obstacles que rencontrent

deux locuteurs de dialectes différents, doivent être semblables à ceux rencontrés lors de la

période de transition entre latin et langues romanes. Évidemment, ces raisonnements par

analogie ne sont pas des « solutions magiques » – ils ont également leurs limites29 et doivent

être estimés à leur juste valeur.

En guise de conclusion de ces deux articles, il faut que nous mentionnions encore l’approche

méthodologique la plus proche de la façon de procéder de Banniard, à savoir la

sociolinguistique diachronique30. Cette nouvelle voie d’approche, construite à partir de la

sociolinguistique synchronique, « a conduit un certain nombre de chercheurs européens à

modifier assez nettement la chronologie reçue communément, surtout chez les romanistes, du

24

Banniard, Michel, « Sur la notion de fluctuation langagière », pp. 1-2. 25

Banniard, Michel, Op. Cit., p. 2. 26

Banniard, Michel, « La variation en diachronie longue (3e-11

e siècle) entre sociolinguistique et formalisme »,

2005, p. 27. 27

Banniard, Michel, « Sur la notion de fluctuation langagière », p. 8. 28

Banniard, Michel, Op. Cit., p. 11. 29

Ibid., p. 11. 30

Ibid., p. 2.

8

passage du latin aux langues romanes »31. Michel Banniard en décrit les caractéristiques de la

façon suivante32 :

[…] elle (cf. la sociolinguistique diachronique) s’est efforcée d’historiciser la transformation du latin en

roman, c'est-à-dire d’établir une chronologie à la fois plus solide, plus fine et plus lisible de ce processus

langagier. Elle s’appuie sur la dialectologie et sur la sociolinguistique synchronique pour établir des

corrélations entre les variations de la parole et les modifications de la conscience langagières in situ.

Elle a dégagé progressivement une méthode d’enquête diachronique en se fondant essentiellement sur le

critère de la communication, tant horizontale que verticale.

Les méthodes de la sociolinguistique diachronique font appel aux procédures de l’histoire

culturelle, de l’histoire religieuse et de l’histoire littéraire, mais également aux acquis de la

dialectologie, de la dialectologie sociale et de l’ethnographie33. La variabilité continue du

langage, la fluctuation langagière, la conscience linguistique et l’action créatrice de la

communauté des locuteurs sont des paramètres dont nous devons tenir compte dans notre

travail34.

2.1.3. Intérêt de l’approche interdisciplinaire

L’intérêt de cette approche interdisciplinaire que nous venons d’introduire, consiste dans le

fait qu’elle est capable de fournir des outils qui nous permettent de mieux comprendre

l’évolution langagière. Les informations obtenues grâce à l’interdisciplinarité nous aident à

mieux modéliser le changement de la langue dans la continuité, notion vitale pour une bonne

compréhension de l’évolution langagière. Cette évolution, qui a longtemps pâti d’une

approche plutôt rigide et dichotomisante, devient plus logique grâce à l’apport de

l’interdisciplinarité. La rigidité de l’évolution est remplacée par un système avec de nombreux

(micro)systèmes intermédiaires entre "le latin" et "les langues romanes". Bref, cette approche

donne des instruments pour aborder des textes anciens comme des entités vivantes, des

supports d'une communication. Grâce aux apports mutuels entre diachronie et diatopie, nous

pouvons faire des rétroprojections, tout en restant consciente du fait qu'il ne s'agit que

d'hypothèses.

31

Banniard, Michel, « Sur la notion de fluctuation langagière », p. 2. 32

Banniard, Michel, « La variation en diachronie longue (3e-11

e siècle) entre sociolinguistique et formalisme »,

p. 27. 33

Banniard, Michel, « Géographie linguistique et linguistique diachronique », p. 32. 34

Van Acker, Marieke, « Le fonctionnement de la communication verticale à l’époque mérovingienne », p. 344.

9

Grâce à l’approche interdisciplinaire, l’image que nous nous faisons d’une langue est devenue

plus réaliste. Nous avons longtemps associé l’image d’une langue avec un système structuré,

selon les conceptions théoriques de Ferdinand de Saussure. Actuellement, nous savons qu’une

langue est en fait plutôt un diasystème, notion sur laquelle nous insisterons plus loin (cf.

infra), avec de nombreux sous-systèmes. L’approche interdisciplinaire nous a également

fourni des informations à propos des fluctuations langagières, et à propos de l’extrême

variabilité de la langue35 :

Ce concept (cf. le diasystème) […] a permis de créer une typologie synchronique qui concilie la

variation endémique des parlers naturels et la structuration sur des aires vastes des langues qui sont

construites d’eux. Appliqué au domaine latin, ce modèle permet de construire une représentation de la

latinophonie qui s’équilibre entre une uniformité impossible et une dispersion destructurante : fluctuer

n’est pas mourir, pas plus pour le latin parlé que pour les dialectes romans.

Jószef Herman nous renseigne également à propos de cette variabilité de la langue36 :

La langue, en effet, est non seulement nécessairement systématique mais elle est aussi, inévitablement,

en changement perpétuel : elle doit constamment s’adapter aux besoins de la société qui l’emploie, elle

doit suivre – en premier lieu sur le plan fonctionnel – l’enrichissement et les modifications des

expériences collectives de la société, elle est sans cesse soumise à des influences modificatrices d’ordre

externe.

Selon Edgar Radtke, la linguistique diachronique « naît pour expliquer le fait universel que

chaque langue historique change dans le temps »37. Il appert que le changement des langues

est une notion à ne pas négliger. Un autre auteur qui a dédié un article à cette notion de

variation est Peter Wunderli38, qui insiste sur l’importance que nous devons accorder à

l’hétérogénéité des données.

Revenons à l’intérêt de l’approche interdisciplinaire. Après ces explications théoriques, nous

pouvons nous poser la question en quelle mesure les dialectes peuvent aider dans la recherche

diachronique. Prenons les données des corpus et des atlas linguistiques comme exemple.

Depuis longtemps, des travaux à propos de la datation de phénomènes linguistiques en ancien

et moyen français ont été écrits sans véritable base théorique. Quelques linguistes se

prétendent capables d’attacher une date assez précise à un changement phonétique par

exemple. Pourtant, « tant l’expérience sur le terrain que la lecture des cartes montrent qu’à

l’intérieur d’un même dialecte, clairement caractérisé, les prononciations fluctuent de manière

35

Banniard, Michel, « Sur la notion de fluctuation langagière», p. 6. 36

Herman, Jószef, Du latin aux langues romanes – études de linguistique historique, 1990, p. 342. 37

Radtke, Edgar, « Les problèmes liés à la pragmalinguistique historique du français », 2004, p. 131. 38

Wunderli, Peter, « Les implications stylistiques des modèles de la linguistique variationnelle », 2005.

10

parfois importante »39. Une telle fluctuation a certainement existé en ancien ou en moyen

français, et de cette manière il nous semble inutile de vouloir coller une date précise sur un

changement phonétique. Vu que la reconstruction d’un phénomène linguistique à un moment

et lieu précis est presque impossible, « on éviterait d’attribuer à un point et à un instant précis

une étape déterminée d’une évolution. »40. Une datation absolue d’un phénomène linguistique,

tant en diachronie qu’en diatopie, n’est guère faisable, vu l’obstacle de la distance temporelle

qui restera toujours présente.

Une autre manière d’expliquer l’utilité de cette approche interdisciplinaire, est de représenter

l’évolution diachronique du latin au français comme des étapes de dialectes. Michel Banniard

l’explique de la manière suivante41 :

[…] ce serait une erreur de considérer que le passage d’une langue à l’autre s’est accompli comme un

tremblement de terre. Cette zone frontière représente un processus de cristallisation finale (en

accélération exponentielle) de tendances évolutives inscrites depuis longtemps dans l’histoire de la

latinophonie. A son tour, ce temps antérieur peut être historicisé en étapes qui sont autant de dialectes

diachroniques.

Selon Banniard, « l’histoire du latin, langue vivante », et donc l’histoire des langues romanes

émergées du latin, « a tout à gagner à être lue comme une vaste histoire de dialectologie

diachronique »42. Grâce aux apports et acquis généraux de l’approche interdisciplinaire et de

la notion de diasystème, les linguistes ont pu mettre la dichotomie classique entre « latin

classique » et « latin vulgaire » de côté, pour aboutir à des définitions de notions plus

réalistes.

2.1.4. La notion de latin vulgaire

Dans maints traités à propos de l’évolution langagière, nous rencontrons encore le concept de

« latin vulgaire », notion très controversée qui demande quelques explications

supplémentaires. Le latin vulgaire serait la variante « basse » du latin classique, parlé par les

couches illettrées de la population. Dès le siècle dernier, un certain nombre de linguistes ont

soutenu la thèse que les langues romanes sont uniquement issues du latin vulgaire. Pourtant,

cette thèse est difficile à défendre, vu qu’en premier lieu, il n’existe pas de définition

satisfaisante pour ce latin vulgaire. De plus, c’est une notion vague ; nous n’avons pas

39

Banniard, Michel, « Sur la notion de fluctuation langagière en diachronie longue », pp. 3-4. 40

Banniard, Michel, Op. Cit., p. 5. 41

Ibid., p. 8. 42

Ibid., p. 12.

11

d’attestations véritables de la langue parlée à cette époque. Il est vrai que les premières

évolutions langagières prennent lieu dans la langue parlée, mais nous ne pouvons pas

classifier toutes les évolutions linguistiques sous le terme général de « latin vulgaire ». Le

concept de « latin vulgaire », ensemble avec la notion de « protoroman », nous a permis de

mieux définir les bases scientifiques de l’évolution langagière. Toutefois, et nous citons

Marieke Van Acker43: « Ils (cf. les deux notions) sont […] inadéquats pour aborder le chapitre

de la transition puisqu’ils relèvent du désir de visualiser les racines du roman comme un

ensemble distinct à l’intérieur d’un autre ensemble ».

La dénomination « latin vulgaire » nous semble problématique : elle donne l’impression

d’être une espèce de langue à part des autres variations du latin, tandis qu’elle appartient

complètement à la langue latine en soi. Nous devons tenir compte du fait que le latin, comme

les autres langues, est une langue historique, de sorte qu’elle « est un ensemble complexe de

langues fonctionnelles historiquement reliées entre elles »44. La notion de « latin vulgaire »

dissimule le fait que ce « type de latin » n’était qu’une variation parmi les autres. Banniard

nous apprend qu’une langue se compose de la totalité de ces variations45, et que nous ne

pouvons pas considérer ce « latin vulgaire » comme un système langagier à part. En

choisissant au contraire la notion de « latin parlé », cela nous permet de46 :

[…] considérer le latin comme un latin différencié non seulement diachroniquement, mais aussi du

point de vue diatopique, diastratique et diaphasique et de considérer, par conséquent, le ‘latin vulgaire’

non pas comme un ‘autre latin’, mais comme un registre d’un même latin qui présente toute la diversité

que l’on constate, de façon générale, dans les langues. Et ceci, bien entendu, pourvu qu’on ne fasse pas,

par rapport au ‘latin parlé’, les mêmes erreurs qu’on avait commises par rapport au ‘latin vulgaire’.

2.1.5. La valorisation du système linguistique

Une autre idée que nous voulons clarifier ici, vu son importance pour notre sujet, est la valeur

du système linguistique, tant celui de l’ancien français que celui des dialectes de la Suisse

romande. En analysant ces systèmes, qui sont vacillants à cause de l’absence d’une grammaire

fixe, nous pouvons être tentée de les considérer comme des systèmes de moindre valeur en

comparaison avec, par exemple, le système du français moderne. Pourtant, cette manière de

43

Van Acker, Marieke, Hagiographie et communication verticale au temps des Mérovingiens, p. 54. 44

Van Acker, Marieke, Op. Cit., p 55. 45

Banniard, Michel, « La variation en diachronie longue (3e-11

e siècle) entre sociolinguistique et formalisme »,

p. 27. & Banniard, Michel, « Sur la notion de fluctuation langagière », pp. 8-9 (note en bas de page). 46

Coseriu, Eugenio, « Le latin vulgaire des romanistes », 2005, pp. 19-20.

12

penser n’est pas du tout correcte. Il est vrai que certaines théories linguistiques et même

philosophiques partent de l’idée que toute évolution aboutira à un état meilleur que celui

d’avant, mais il n’en est rien pour l’évolution langagière latin-langues romanes. Michel

Banniard nous avertit contre cette mauvaise façon de penser : « Evoluer n’est pas simplifier.

La transformation d’une parole vive ne saurait être décrite comme une dégradation par

rapport à un modèle idéal »47. Ceci dit, il faut en conclure que nous devons nous méfier des

jugements de valeur en travaillant avec ces systèmes de langue.

2.1.6. La notion de diasystème et théorie de la continuité

Nous avons déjà mentionné la notion de diasystème, mais comment devons-nous l’entendre ?

Afin de faciliter la compréhension de cette notion, expliquons-la dans le cadre de l’évolution

langagière du latin aux langues romanes. Si nous comparons un texte latin avec sa traduction

française, nous constatons qu’il s’agit de deux langues complètement différentes. Et pourtant,

il y a toujours eu continuité. La conscience que la langue parlée n’était plus le latin, mais une

autre langue, est née progressivement auprès des locuteurs, et non pas d’un jour à l’autre : « la

disparition du latin et la naissance des langues romanes ne se succèdent pas dans le temps de

manière discontinue : le latin et le roman sont entrelacés l’un à l’autre le long de l’axe

temporel »48. La théorie linguistique apte à décrire l’évolution langagière doit absolument être

une théorie de la continuité et non pas une théorie de la rupture. Cette notion de continuité,

une approche neuve qui est en opposition aux approches traditionnelles, occupera une place

primordiale dans notre travail.

Mais retournons d’abord à ces « étapes transitionnelles plus ou moins stables »49 que sont les

diasystèmes. Un point sur lequel les linguistes ont énormément discuté, c’est le facteur

diastratique du latin, à savoir la dichotomie entre le latin des lettrés et des illettrés et par

conséquent également la différence entre le latin classique (également appelé high level ou

langue savante) et le latin vulgaire (ou low level, langue populaire, cf. Banniard50). Ces

notions sont capables de mieux structurer la matière, mais nous devons nous méfier de

classifications trop simplifiées, trop rectilignes. Michel Banniard le mentionne aussi : « […] la

47

Banniard, Michel, « La variation en diachronie longue (3e-11

e siècle) entre sociolinguistique et formalisme »,

p. 29. 48

Banniard, Michel, Du latin aux langues romanes, 1997, p. 17. 49

Van Acker, Marieke, « Le fonctionnement de la communication verticale à l’époque mérovingienne », p. 344. 50

Banniard, Michel, Du latin aux langues romanes, p. 19.

13

linguistique s’était enferrée en traçant des frontières au couteau entre le « latin vulgaire » et le

« latin », puis entre l’époque latine et l’époque romane, et en clivant dès que possible la

culture cléricale et la culture folklorique »51.

La conception que le latin classique et le latin vulgaire étaient deux langues tout à fait à part a

été longtemps maintenue, mais elle est de plus en plus contestée. Voici qu’entre dans notre

exposé la notion de diasystème. Les linguistes contemporains préfèrent parler d’un

diasystème, où les différentes variétés de la langue vivent l’une à côté de l’autre en

s’influençant mutuellement. Le concept de diasystème a été très utile pour la linguistique, vu

que le diasystème « a permis de créer une typologie synchronique qui concilie la variation

endémique des parlers naturels et la structuration sur des aires vastes des langues qui sont

construites d’eux »52. La notion est importante dans la théorie de l’évolution langagière, vu

qu’elle change la conception de base de l’émergence des langues. Dans un de ses articles,

Michel Banniard donne une autre définition semblable pour cette notion53 :

Ce terme (cf. le diasystème), relativement neuf dans l’histoire de la linguistique sert à désigner un

ensemble dialectal (géographique, mais aussi social) qui présente à la fois une armature stable commune

et des variables diverses qui demeurent subordonnées à la structure d’ensemble, autrement dit qui ne la

déboîtent pas. Ce diasystème varie dans l’espace dialectal ; il peut osciller selon les milieux sociaux et

les niveaux culturels ; enfin, il est modulé en fonction des contextes énonciatifs.

« Qui ne la déboîtent pas » : ce sont des systèmes linguistiques qui proviennent de la même

langue, qui fonctionnent l’un à côté de l’autre sans empêcher leur fonctionnement mutuel. Vu

l’insistance que nous avons faite sur les concepts de la variabilité et de la continuité, la notion

de diasystème est la seule notion capable de servir comme base théorique de notre travail.

2.2.Le pronom personnel sujet

Tenant compte du cadre théorique que nous venons d’esquisser, nous avons choisi d’examiner

dans ce travail un élément spécifique de la linguistique d’une langue : le pronom personnel

sujet. Maints linguistes ont longtemps postulé « qu’une langue humaine normalement

constituée « doit » posséder des pronoms sujets, dans une structure profonde imaginaire »54,

affirmation qui provient de la théorie du « pro-drop ». Cette théorie, introduite par Chomsky

51

Banniard, Michel, « Sur la notion de fluctuation langagière », p. 11. 52

Banniard, Michel, Op. Cit.,p. 6. 53

Banniard Michel, Du latin aux langues romanes, p. 23. 54

Kristol, Andres, « Atlas linguistique audio-visuel du francoprovençal valaisan ALAVAL - La morphosyntaxe

du clitique sujet et le problème de la notion "pro-drop" », 2007, p. 4.

14

en 198155, est actuellement fort contestée vu qu’elle ne serait pas capable d’une analyse

précise et complète des faits réellement observables56. Kristol souligne le fait qu’une langue

qui n’exprime pas toujours son pronom personnel sujet, ne doit pour cela pas être considérée

comme une langue inférieure. L’unique preuve de cette affirmation peut être fournie, selon

nous, par une analyse minutieuse de la matière. C’est une des raisons principales qui justifient

le choix de notre thème.

De plus, le pronom personnel sujet est un trait syntaxique qui oppose le latin et le français en

ce qui concerne l’expression et la non expression. Van Acker nous explique : « l’expression

du pronom sujet n’est obligatoire ni en latin ni en ancien français, comme c’est encore le cas

aujourd’hui en italien ou en espagnol. Pourtant, le passage du latin à l’ancien français marque

un progrès dans son emploi, sans que celui-ci ne devienne toutefois obligatoire avant

longtemps »57. De plus, au départ de son emploi, le pronom personnel sujet était tonique et

autonome, afin de pouvoir indiquer la différence entre les personnes en cas d’ambigüité58. Au

fur et à mesure de l’évolution langagière, les désinences verbales s’amuïssaient, de sorte

qu’elles n’étaient plus capables d’indiquer la personne sujet. De cette manière, le pronom a

commencé à faire partie de la zone verbale, pour finir comme pronom atone fortement attaché

au verbe. Nous observons donc un « déplacement général des marques morphosyntaxiques de

la position de suffixe à celle de préfixe (les pré-positions remplacent de plus en plus les

désinences en un millénaire, IIIe-XIII

e siècle) »59. Pourtant, d’autres linguistes affirment que

nous ne pouvons pas utiliser l’amuïssement des désinences verbales comme seule explication

pour la tendance à exprimer le pronom personnel sujet. Jószef Herman, par exemple, nous

apporte une autre explication60 :

A plus forte raison serait-il exagéré d’attribuer l’extension de leur emploi à la décomposition des

désinences verbales – bien vivantes, à notre avis, au XIIe siècle. Le fait que la place normale du pronom

sujet paraît être en tête de proposition, le fait que son emploi ne semble pas être régi par un besoin de

clarté dans la distinction des personnes, le fait enfin qu’on le trouve qu’exceptionnellement précédé

d’un mot à accent propre – tout cela nous semble démontrer que la fonction primordiale du pronom

sujet consistait à « remplir » la première place de la proposition, à servir d’une sorte d’ « introducteur »

accentué à la proposition et à éloigner, par là même, le verbe de la première place.

55

Chomsky, Noam, Lectures on Government and Binding: The Pisa Lectures, 1993. 56

Kristol, Andres, « Atlas linguistique audio-visuel du francoprovençal valaisan ALAVAL - La morphosyntaxe

du clitique sujet et le problème de la notion "pro-drop" », p. 4. 57

Van Acker, Marieke, Hagiographie et communication verticale au temps des Mérovingiens, p. 104. 58

Franzén, Torsten, Étude sur la syntaxe des pronoms personnels sujets en ancien français, 1939. Cf. chapitre I

– L’accent et l’évolution phonétique des pronoms sujets en ancien français. 59

Banniard, Michel, Du latin aux langues romanes, p. 83. 60

Herman, Jószef, Du latin aux langues romanes – études de linguistique historique, pp. 253-254.

15

Le pronom personnel sujet était en effet un mot accentué mais également un mot incolore ou

neutre61, ce qui fait qu’il était le mot introducteur par excellence de la phrase.

Le système des pronoms personnels sujets est en vacillation permanente, il glisse de façon

presque imperceptible de la non expression en latin vers l’expression obligatoire en français

moderne. Cette évolution lente mais progressive est un bel exemple qui peut être intégré dans

la théorie des formes marquées / non marquées de Michel Banniard. Van Acker résume d’une

manière claire cette conception théorique de Banniard62 :

Dans un premier stade, la forme appartenant au système latin fonctionne seule. Arrive un moment où

peut apparaître dans les mêmes fonctions la forme « romane ». Au début, cette forme concurrente est

marquée (+) par rapport à la forme première non marquée (-) ; son emploi ne caractérise pas le langage

neutre mais se caractérise en général par une plus grande force expressive. Avec le temps cependant, les

deux formes concurrentes deviennent parfaitement équivalentes et constituent de pures variantes

langagières. Ce stade de polymorphisme généralisé, contraire aux lois d’économie de la langue, mènera

ensuite à une inversion du marquage suite à laquelle la valeur de la forme plus récente devient neutre.

Enfin, la forme initiale latine finit par s’évincer au profit de sa concurrente romane.

Le système du pronom personnel sujet en ancien français se trouve dans « ce stade de

polymorphisme généralisé », où le locuteur se voit assez libre de choisir entre l’utilisation ou

l’omission d’un pronom. Suite aux principes d’économie de la langue, le système langagier

éliminera une des deux options. De plus, et cela est important pour notre sujet, un système de

pronoms personnels qui est beaucoup plus complexe qu’en latin est mis au point en ancien

français. L’emploi du pronom sujet antéposé n’est pas encore obligatoire – cela prendra

encore plusieurs siècles – mais les raisons d’emploi sont déjà fort différentes qu’en latin

tardif. En moyen français, l’utilisation obligatoire du pronom sujet s’effectue, due à la

« neutralisation ou effacement phonétique de plusieurs désinences verbales qui distinguaient

les personnes »63. Une généralisation de l’emploi du pronom personnel sujet en est le résultat,

et il y aura une « cliticisation des pronoms sujets devenus désormais les seules marques de

personnes distinctes à l’oral »64. La différence principale dans ce système de pronoms

personnels est que l’ancien français développe tout un système pour la troisième personne (la

personne anaphorique) à partir du démonstratif latin ille. Le latin par contre ne connaissait pas

ces formes spécifiques pour la troisième personne. Autre point remarquable en ancien français

est l’utilisation d’un pronom sujet devant un impératif (p.ex. Vous soyez le très bien venu65).

61

Herman, Jószef, Du latin aux langues romanes – études de linguistique historique, p. 255. 62

Van Acker, Marieke, Hagiographie et communication verticale au temps des Mérovingiens, pp. 81-82. 63

Marchello-Nizia, Christiane et Picoche, Jacqueline, Histoire de la langue française, 1991, p. 226. 64

Marchello-Nizia, Christiane et Picoche, Jacqueline, Op. Cit., p. 226. 65

Ibid., p. 227.

16

Le pronom personnel sujet a donc connu une longue évolution avec beaucoup de

changements, pour aboutir actuellement à un emploi obligatoire en français moderne. Il n’en

va pas de même pour les patois de la Suisse romande. Le système du pronom personnel sujet

dans ces dialectes montre quelques caractéristiques semblables à celui en ancien français.

L’expression et la non expression dépendent du type d’énoncé, mais également du locuteur et

du point d’enquête. Vu l’absence de standardisation dans ces parlers, il n’y a pas de règles

grammaticales fixes. L’emploi d’un pronom personnel sujet n’est pas stable, comme Federica

Diémoz l’explique dans son article : « […] en ce qui concerne la syntaxe des pronoms

personnels sujets, ces derniers peuvent être obligatoires, facultatifs ou complètement absents

dans les parlers valaisans individuels »66 (cf. à ce sujet, voir également Kristol67). Plus loin,

nous pouvons lire68 :

Dans les parlers francoprovençaux valaisans, la morphosyntaxique de la troisième personne

grammaticale ne peut pas être catégorisée par une simple opposition binaire d’emploi ou de non-emploi

pronominal. Certains idiolectes emploient régulièrement le pronom sujet de la troisième personne,

d’autres le font de manière facultative, avec des taux qui varient beaucoup d’un parler à l’autre. Enfin,

dans certains parlers, on constate l’absence complète du pronom.

C’est exactement la ressemblance entre les deux systèmes linguistiques, tant en ancien

français qu’en francoprovençal qui rend l’étude du pronom personnel sujet intéressante. Nous

sommes d’avis que l’approche interdisciplinaire entre diachronie et diatopie peut mener à une

compréhension meilleure de chaque champ de recherche. Évidemment, notre travail ne peut

pas mener à une compréhension interdisciplinaire totale, nous voulons surtout illustrer et

documenter les convergences et les divergences entre deux microsystèmes représentatifs de

chaque discipline. Terminons cette partie à propos du pronom personnel sujet69 avec une

citation de Jules Jeanjaquet, qui explique dans son article les possibilités d’interférences entre

ces deux champs de recherche70 :

En dehors du traitement de l’A et des finales atones, l’évolution du franco-provençal concorde presque

entièrement avec celle du français à ses origines. […] Les patois valaisans sont, à certains égards, un

musée d’antiquités. Ils renferment des reliques vénérables et nous y voyons s’accomplir sous nos

yeux des transformations qui nous reportent à des centaines d’années en arrière dans l’histoire du

français.

66

Diémoz, Federica, « Le pronom personnel sujet de la 3e personne du singulier et le sujet neutre en

francoprovençal valaisan : étude morphosyntaxique », 2009, p. 1. 67

Kristol, Andres, « Atlas linguistique audio-visuel du francoprovençal valaisan ALAVAL - La morphosyntaxe

du clitique sujet et le problème de la notion "pro-drop" », p. 6. 68

Diémoz, Federica, « Le pronom personnel sujet de la 3e personne du singulier et le sujet neutre en

francoprovençal valaisan : étude morphosyntaxique », p. 11. 69

Nous insisterons encore sur les caractéristiques des pronoms personnels sujets dans les chapitres suivants, vu

leur grande importance pour notre sujet de recherche. 70

Jeanjaquet, Jules, « Les patois valaisans. Caractères généraux et particularités », 1931, pp. 27-28.

17

2.3.Méthodologie

2.3.1. Les données en diachronie

a) Présentation du corpus

Pour ce corpus, nous nous sommes basée sur « Le voyage de Saint Brendan », un texte en

dialecte anglo-normand datant du début du XIIe siècle. Nous savons très peu à propos de

l’auteur de ce texte – un certain Benedeit71 – mais cela n’ôte rien à la qualité littéraire de ce

texte. L’édition bilingue d’Ian Short et de Brian Merrilees72, publiée en 2006, a pu nous

fournir une bonne introduction et édition de ce texte. La traduction que nous avons consultée

est celle proposée par Philippe Verelst73, notre professeur de littérature en ancien français.

Nous savons que cette traduction-ci n’est pas tout à fait scientifique, mais nous avons deux

arguments qui justifient son choix. D’une part, cette traduction est plus littérale que celle de

Short et Merrilees, ce qui a facilité notre travail. D’autre part, vu que la traduction n’est

qu’une aide pour l’analyse du corpus et que nous ne travaillons pas vraiment sur traduction,

nous nous sommes prise la liberté d’utiliser la traduction de notre professeur.

Le texte de base, écrit en latin, remonte au moins au IXe siècle, et est connu sous le nom de

« Navigatio sancti Brendani abbatis »74. Grâce à cette première version en latin, l’histoire de

Brendan a pu voyager en Europe : nous trouvons des versions dans maintes langues

européennes. En grandes lignes, ce poème nous raconte « toute une longue série d’aventures

fabuleuses que vécurent pendant un voyage de sept ans un abbé irlandais, saint Brendan, et

son équipage de moines, partis de la côte ouest de l’Irlande à la recherche de la Terra

Repromissionis Sanctorum (Terre Promise des Saints) »75. Short et Merrilees définissent la

71

Short, Ian et Merrilees, Brian, Le Voyage de Saint Brendan, 2006:

« Le voyage de saint Brendan est l’œuvre d’un poète anglo-normand connu sous le nom de Benedeit,

c’est-à-dire Benoît, qui vivait en Angleterre au début du XIIe siècle et qui utilisait le dialecte français

établi dans ce pays à la suite de la victoire de Guillaume le Conquérant. Il est possible que Benedeit vînt

de la Normandie ou de l’ouest de la France, mais on n’arrivera sans doute jamais à identifier de façon

précise le lieu d’origine de ce poète remarquable » (p. 17). 72

Short, Ian et Merrilees, Brian, Op. Cit. 73

Verelst, Philippe, « Le voyage de Saint Brendan », traduction faite pour le cours « Oudfranse taal- en

letterkunde 12e-13

e eeuw », donné à l’Université de Gand, lors du premier semestre de l’année académique

2009-2010. 74

Short, Ian et Merrilees, Brian, Le Voyage de Saint Brendan, p. 9. 75

Ibid., p. 9.

18

structure du livre ainsi: « la structure adoptée est celle de l’immram où, à l’instar de l’odyssée,

le voyage sert de cadre pour une série d’aventures fantastiques »76.

La version française, écrite en dialecte anglo-normand, est probablement la mieux réussie de

toutes les adaptations77 : « le lexique de Benedeit est riche et innovateur, et le statut clérical du

poète y trouve son reflet. Les octosyllabes de notre poème sont les premiers en date de la

littérature française, et ne diffèrent guère de ceux qui allaient devenir, dans la deuxième

moitié du XIIe

siècle, le véhicule préféré des romans et des récits en langue vulgaire »78. Le

poème en ancien français contient 1834 vers, dont nous avons examiné en détail un peu plus

que deux tiers (c.-à-d. 1248 vers) dans notre propre corpus. La quantité des données est

importante, comme l’indique Claire Blanche Benveniste dans un de ses articles79, et nous

sommes d'avis que la représentativité du corpus est assurée par ces deux tiers. En ce qui

concerne les différences entre le français standard et le dialecte anglo-normand, Torsten

Franzén nous apprend dans son livre qu’elles sont négligeables : « Le français continental ne

se distinguait pas de l’anglo-normand en ce qui concerne l’emploi des pronoms sujets. Si, au

XIIe siècle, les pronoms sujets étaient devenus atones dans le dialecte anglo-normand, il en

était assurément de même dans la langue de continent »80. Nous pouvons conclure que la

langue de ce texte ne devait pas être en rupture avec le système langagier de l’ancien français.

b) Manière de procéder

En intégrant ce corpus dans notre travail, nous voulons proposer un complément concret à la

théorie parfois abstraite du système linguistique propre à l’ancien français. Avant d’aborder le

microsystème linguistique du « Voyage de Saint-Brendan », nous avons parcouru plusieurs

sources qui peuvent nous guider dans l’élaboration d’un cadre théorique représentatif du

système du pronom personnel sujet en ancien français. Les sources que nous avons consultées

pour l’encadrement théorique recouvrent un bon bout de temps : elles parlent tant de la

situation langagière en latin, que de la situation en ancien et en moyen français. Elles parlent

même du système linguistique en français moderne, vu qu’il est nécessaire de cadrer notre

sujet de recherche dans l’ensemble plus large de l’évolution langagière du français. Van

76

Short, Ian et Merrilees, Brian, Le Voyage de Saint Brendan, p. 14. 77

Ibid., p. 17. 78

Ibid., p. 22. 79

Blanche Benveniste, Claire, « De la spécificité de l’oral », 2005, p. 45. 80

Franzén, Torsten, Étude sur la syntaxe des pronoms personnels sujets en ancien français, p. 34.

19

Acker le formule ainsi : « pour pouvoir parler de la transition latin / langues romanes, il est

primordial de clairement délimiter, du point de vue linguistique, les deux bouts de la

chaîne »81.

Afin d’examiner le microsystème linguistique de notre texte, nous avons élaboré une grille

d’analyse, capable d’analyser en détail les données du corpus. Les sources que nous avons le

plus utilisées pour l’élaboration d’une telle grille sont les grammaires historiques. Nous

justifierons notre choix de procéder d’une telle façon dans le chapitre suivant. En utilisant

cette grille d’interprétation, c’est-à-dire une liste avec des configurations sensées être

favorables à l’expression, et d’autres à la non expression du pronom personnel sujet, nous

serons capable de projeter correctement la théorie sur le corpus. Cette projection sert à

vérifier en quelle mesure notre corpus correspond à cette base théorique, pour ensuite arriver à

une conclusion à propos du microsystème propre au « Voyage de Saint Brendan ».

2.3.2. Les données en diatopie

a) Présentation du corpus

Notre initiation en matière de la dialectologie date d’un séjour à Neuchâtel, Suisse, où nous

avons fait connaissance avec les patois du Valais central. Ces dialectes, appartenant à la

langue francoprovençale, constituent un cas unique dans le domaine des langues romanes.

Entre autre à cause de leur emplacement géographique spécifique dans un domaine

montagneux, les patois valaisans ont été isolés pendant longtemps, ce qui explique

l’archaïsme de leur système langagier. Jules Jeanjaquet explique ce caractère archaïque d’une

façon claire à la fin de son article82 :

L’isolement résultant de la configuration géographique du pays, l’absence de contact linguistique roman

à l’est, par suite de la germanisation du Haut-Valais, la continuité du pouvoir des évêques et la stabilité

des institutions, le manque d’industrie et de commerce important, l’indépendance économique d’une

population pastorale sédentaire, vivant de ses propres ressources, sont tout autant de facteurs qui font

comprendre le remarquable conservatisme du langage de cette région et son évolution fortement

ralentie.

81

Van Acker, Marieke, Hagiographie et communication verticale au temps des Mérovingiens, p. 73. 82

Jeanjaquet, Jules, « Les patois valaisans. Caractères généraux et particularités », pp. 49-50.

20

C’est exactement ce « remarquable conservatisme du langage de cette région » qui rend

l’étude de ces patois si intéressante : vu que les dialectes suisses offrent l'opportunité de

présenter un système linguistique plus archaïque que celui qu'on trouve en français standard,

ils valent la peine d’être examinés dans le cadre de notre travail.

b) Manière de procéder

Dans le cadre d’un travail de bachelier83 pendant l’année académique 2008-2009, nous avons

élaboré un corpus à partir d’une banque de données construite par les collaborateurs du centre

de dialectologie à Neuchâtel. Cette banque de données, nommée « Atlas linguistique et

audiovisuel du Valais » (ALAVAL), se concentre surtout sur les problèmes de la

morphosyntaxe francoprovençale. Andres Kristol, initiateur de ce projet, décrit les

caractéristiques de l’atlas de la manière suivante84 :

Le corpus de l’ALAVAL se compose d’environ 17'500 énoncés de longueur très variable, enregistrés par

caméra vidéo dans 25 points d’enquête (2 informatrices-informateurs par lieu d’enquête, environ 350

énoncés par témoin). Ce corpus a été suscité au moyen d’un questionnaire semi-ouvert, dans le cadre

d’entretiens dirigés, ce qui nous a permis d’obtenir d’une part une base commune d’énoncés

comparables pour chacun de nos 25 points d’enquête, et d’autre part des énoncés libres, qui permettent

d’approfondir l’information disponible.

Parmi ces 25 points d’enquête, nous en avons choisi 5, à savoir Arbaz, Evolène, Isérables, St-

Jean et Troistorrents. Notre corpus, qui a été effectué dans les limites d’un travail de

bachelier, n’examine que les pronoms personnels sujets de la 3e personne du singulier et du

pluriel. Le fait que le corpus de la diatopie soit moins approfondi que celui de la diachronie

est dû à plusieurs raisons. Tout d’abord, les données de l’ALAVAL ne sont plus à notre

disposition. La banque de données n’est accessible qu’à partir du centre de dialectologie à

Neuchâtel, et nous n’étions pas dans la mesure de nous déplacer jusque là. Ensuite, les limites

de temps dans lesquelles ce travail doit être effectué nous ont fait prendre la décision de

mettre l’accent sur la diachronie, et l’approche interdisciplinaire du point de vue théorique. De

plus, le corpus élaboré l’année passée85 est capable de nous fournir des données limitées, mais

pourtant explicatives à propos des patois du Valais.

83

Dubois, Céline, L’expression du pronom sujet dans les dialectes de la Suisse romande, étude effectuée dans le

cadre du travail de bachelier (année académique 2008-2009), Université de Gand. 84

Kristol, Andres, « Atlas linguistique audio-visuel du francoprovençal valaisan ALAVAL - La morphosyntaxe

du clitique sujet et le problème de la notion "pro-drop" », p. 1. 85

Dubois, Céline, L’expression du pronom sujet dans les dialectes de la Suisse romande.

21

Afin de compléter les informations recueillies à partir du corpus, nous nous sommes basée sur

quelques autres publications (cf. Olszyna-Marzys, 1964, Martin, 1974, Kristol, 2007, Diémoz,

2009). Dans la partie à propos de la diatopie (cf. infra), nous avons rassemblé toutes ces

informations afin de pouvoir élaborer une sorte de grille d’interprétation pour les données

dialectales. En procédant d’une telle manière, similaire à celle utilisée pour la partie à propos

de la diachronie, nous avons pu analyser de façon correcte notre corpus. Néanmoins, nous

voulons bien insister sur le fait que nous avons décidé, tenant compte des limites de ce travail,

de nous concentrer avant tout sur le corpus d’ancien français, et que les informations

diatopiques fonctionnent surtout comme contrepoids théorique dans l’ensemble de cette étude

comparative entre diachronie et diatopie. Il importe donc plutôt de donner priorité à la

confrontation avec le corpus diachronique – en analysant et en illustrant les convergences et

les divergences entre les deux –, que d’analyser en détails le corpus diatopique.

2.3.3. Questions à poser

Après cet encadrement théorique, nous sommes prête pour aborder les parties plutôt

« pratiques » de notre travail, à savoir l’analyse des deux corpus. Vu la quantité de matériaux

à aborder, nous voulons être bien préparée pour l’analyse systématique des données. Pour

cette raison, voici quelques questions qui nous guideront tout au long de cette analyse et qui –

à la fin de ce travail (cf. infra – chapitre 5 : comparaison des deux corpus) – recevront une

réponse. Ces questions insistent surtout sur la comparaison: quelles convergences et quelles

divergences pouvons-nous repérer des deux corpus, et quelles sont les raisons d’être de ces

différences entre les matériaux de travail. Voici les cinq questions :

a) Quelles sont les convergences et les divergences entre les deux corpus en général ?

b) Quelles sont les convergences et les divergences entre les deux corpus en ce qui

concerne la variation morphologique ?

c) Quelles sont les convergences et les divergences entre les deux corpus en ce qui

concerne les conditions d’expression et de non expression ?

d) Quelles sont les convergences et les divergences entre les deux corpus en ce qui

concerne les différences entre les personnes grammaticales (pronoms déictiques versus

pronoms anaphoriques) ?

22

e) Quelles sont les convergences et les divergences entre les deux corpus en ce qui

concerne l’influence de la position du pronom dans la phrase sur l’expression de ce

pronom ?

2.4. Conclusion intermédiaire

En guise de conclusion intermédiaire nous allons brièvement parcourir les concepts théoriques

apportés dans ce premier chapitre. Nous avons dédié la plus grande partie de ce chapitre aux

explications concernant la présentation du sujet de la recherche, à savoir une étude du

fonctionnement de pronom personnel sujet, par le biais d’une approche interdisciplinaire entre

la diachronie d’une part, et la diatopie d’autre part. Nous avons parlé de son émergence

comme théorie linguistique, de ses défenseurs (avec Michel Banniard comme protagoniste) et

de l’intérêt de son application. Nous nous sommes également efforcée de rendre quelques

concepts plus clairs pour nos lecteurs. Entre autre les notions de diasystème, de continuité, de

« latin vulgaire », de sociolinguistique diachronique et de valorisation du système

linguistiques ont été passées en revue. En analysant deux articles de Michel Banniard, nous

avons également pu faire mention des notions de la géographie linguistique et de la

fluctuation langagière. Cette esquisse de concepts théoriques est un pas nécessaire afin de

pouvoir aborder les chapitres suivants concernant la diachronie et la diatopie. Concluons cette

partie-ci avec un dernier résumé du but de l’approche interdisciplinaire :

Le but de l’approche interdisciplinaire est de contribuer à faire émerger les diasystèmes complexes qui

se trouvent entre le latin et le roman, en montrant les convergences et les divergences avec des réalités

actuelles. L’analyse des deux types de microsystèmes non stabilisés situés dans le continuum langagier

entre le latin et les langues romanes nous apportera des informations utiles afin de mieux comprendre le

fonctionnement du pronom personnel sujet dans chacun des champs de recherche.

23

3. L’expression du pronom sujet en ancien français

3.1.Introduction

Tout au long du chapitre théorique, nous avons insisté sur plusieurs notions importantes qui

concernent l’évolution langagière du latin aux langues romanes. Surtout la notion de

continuité est apparue comme cruciale. En effet, « il faut comprendre qu’une langue romane a

cessé d’être latine, mais que son identité originelle se laisse génétiquement reconnaître »86. En

appliquant cette affirmation au fonctionnement du pronom personnel sujet, nous voyons que

la notion de continuité s’y attache facilement. Vu d’une façon simplifiée, le système

linguistique a évolué d’une non expression du pronom personnel sujet en latin classique vers

une expression obligatoire en français moderne. L’ancien français est un système vacillant

entre ces deux états de langue : nous observons parfois des cas d’expression du pronom,

parfois des absences. Il ne s’agit pas de l’apparition du pronom personnel sujet en ancien

français, mais d’une mutation du système linguistique : « […] il n’y a pas de perte, mais

réorganisation et spécialisation d’entités produites par des prosodies nouvelles »87. Tenant

compte de ceci, comment expliquer alors l’évolution du pronom personnel sujet ?

Évidemment, notre objectif n’est pas de trouver une réponse complète à cette question, ce qui

serait trop ambitieux dans les limites de notre travail. Nous allons d’abord nous intéresser

brièvement aux éléments qui peuvent expliquer cette évolution d’un point de vue linguistique.

Ensuite, nous essayons de décrire et de comprendre le fonctionnement du pronom sujet dans

un microsystème de l’ancien français. Ce microsystème est une partie représentative de la

situation langagière en ancien français, mais nous ne pouvons pas oublier qu’il ne reste

qu’une partie du diasystème plus large. En confrontant ce microsystème à celui de quelques

dialectes francoprovençaux (cf. infra – chapitre 5), nous examinerons les cas de continuité et

de discontinuité entre ces étapes intermédiaires de chaque champ de recherche.

Ce chapitre contient trois grandes parties. En premier lieu, un cadre théorique nous fournira

quelques informations afin de comprendre en grandes lignes les raisons d’être de l’évolution

du fonctionnement du pronom personnel sujet. En deuxième lieu, nous avons élaboré une

grille d’analyse à partir de quelques grammaires historiques. Finalement, nous nous lancerons

86

Michel Banniard, Du latin aux langues romanes, p. 7. 87

Van Deyck, Rika, « Le moyen français en général et l’expression du pronom sujet dans la langue de François

Villon en particulier », 2003, p. 1.

24

dans l’analyse de notre corpus : un texte en ancien français du XIIe siècle, le Voyage de Saint

Brendan.

3.2. Observations théoriques

3.2.1. La quantification interne et externe

L’ancien français est, nous le savons, un système linguistique en vacillation, quelque part

entre le latin et le français. Rika Van Deyck affirmait, en parlant plus particulièrement du

moyen français, que celui-ci constitue « un vrai laboratoire pour l’observation du

changement »88. Elle appliquait ce constat à l’évolution du pronom personnel et au

développement de l’article défini. Le système linguistique du latin classique est surtout

caractérisé par la quantification interne 89: les désinences nominales et verbales fournissent

l’information nécessaire afin de comprendre la phrase. Le système linguistique du français

moderne, par contre, repose essentiellement sur la quantification externe. Prenons deux

phrases simples pour illustrer ces deux notions. Dans la phrase latine « Agrum arat » (90)

, la

désinence verbale nous indique que le sujet est une troisième personne du singulier. Si nous

ne voulons pas insister sur le sujet, l’expression d’un pronom personnel sujet n’est pas

nécessaire. Par contre, la traduction française de cette phrase, « Il travaille le champ » (90)

,

demande obligatoirement l’utilisation du pronom personnel sujet, car la forme verbale

« travaille » peut désigner tant la première que la troisième personne du singulier (à l’écrit).

Le changement du système des désinences verbales ou nominales n’implique pas forcément

un brouillage de tout le système linguistique d’une langue91, mais favorise quand même une

évolution et une période de transition entre deux systèmes de quantification. Le choix entre

expression et non expression en ancien français est corrélé au fait de l’appartenance

progressive du pronom sujet à la zone verbale : « l’expression du pronom sujet est

conditionnée (en ancien français) essentiellement par des facteurs d’ordre syntaxique, dont au

premier chef le mode d’ouverture de la proposition et le détachement du verbe »92.

88

Van Deyck, Rika, « La syntaxe pronominale dans la longue durée illustrée par des exemples de François

Villon », 2004, p. 232. 89

Voir : Van Deyck, Rika, « La détermination nominale en ancien français », 1998, p. 125. 90

Nous avons utilisé les mêmes exemples dans l’introduction de notre travail de bachelier, cf. Dubois, Céline,

L’expression du pronom sujet dans les dialectes de la Suisse romande. 91

Banniard, Michel, « Latin tardif et français prélittéraire : observations de méthode et de chronologie », 1993, p.

154. 92

Buridant, Claude, Grammaire nouvelle de l’ancien français, 2000, p. 424.

25

3.2.2. Le changement de l’accent

Un des éléments les plus importants qui distingue l’ancien français du stade linguistique

précédent, est sans doute l’accent. L’intonation, un système arbitraire et microsystème de la

langue93, a toujours joué un rôle crucial dans l’évolution langagière. Les bouleversements

prosodiques qu’a connus l’ancien français sont à la base des grands changements linguistiques

que nous observons à cette époque. Le passage d’un accent à faible tonicité à un accent

tonique fort a changé tant la phonétique (les aspects formels de la langue) que la syntaxe (les

aspects positionnels)94. De plus, « l’amplification de la composante ‘intensité’ au détriment de

la hauteur musicale au sein de l’accent fait que celui-ci acquiert une fonction culminative ; il

devient accent de groupe »95. Rika Van Deyck insiste dans plusieurs de ses articles96 sur

l’importance capitale de ce bouleversement prosodique, selon elle « la vraie révolution est là ;

elle contient […] toutes les mutations intervenues dans l’architecture de la langue, du

phonème au texte »97.

Ces observations sont importantes pour le sujet de notre travail, vu que la distinction que nous

observons en roman entre les « clitiques » et les « pronoms libres » est due à des différences

de traitement prosodique des pronoms personnels en latin classique98. L’accent d’intensité qui

s’impose petit à petit lors de l’évolution langagière a eu tellement d’impact qu’il est à la base

de la réduction du nombre des syllabes, ce qui a provoqué une ambiguïté formelle

inopérante99. À cause de cette ambiguïté, le système linguistique subit une réinterprétation des

affixes désinentiels et la marque de quantification (cf. supra) deviendra plutôt externe. Van

Deyck le souligne également dans son article : « Une réorganisation des modèles flexionnels

du latin était devenue incontournable dès le moment où l’accent d’intensité avait entraîné, par

93

Schultz, Rikke, « Orientations de recherche pour l’étude évolutive de structure intonatives », 2008, p. 191. 94

Banniard, Michel, « Paramètres imaginaires et paramètres réels en diachronie longue : entre typologie et

probabilisme du latin au roman », 2008, p. 19. 95

Van Deyck, Rika, « La détermination nominale en ancien français », p. 127. 96

Entre autres (cf. bibliographie) Van Deyck : 1998, Van Deyck : 2003 (1), Van Deyck : 2003 (2), Van Deyck,

2004. 97

Van Deyck, Rika, « La détermination nominale en ancien français », p. 127. 98

Banniard, Michel, « Paramètres imaginaires et paramètres réels en diachronie longue : entre typologie et

probabilisme du latin au roman », p. 24. 99

Van Deyck, Rika, « Le moyen français en général et l’expression du pronom sujet dans la langue de François

Villon en particulier », p. 2.

26

réduction syllabique, une ambiguïté formelle insoutenable »100. Nous ne pouvons donc pas

négliger l’importance de l’accent dans l’évolution du pronom personnel sujet101.

Résumons les points essentiels du changement de l’accent : le bouleversement prosodique qui

affecte le système linguistique dès la latinité tardive a entraîné l’abandon du rythme

quantificatif et descendant du latin. Au lieu de cela, la langue a adopté un rythme syllabique

ascendant. Cette nouvelle structure accentuelle est capable de changer l’ordre des mots de la

phrase, avec pour conséquence marquante la prédomination de la proclise sur l’enclise. Alors

que la fixation d’entités sans autonomie accentuelle et syntaxique, entraînée par le

bouleversement prosodique, privilégie l’utilisation de syntagmes, une détermination nominale

ou verbale fait son apparition ; la quantification externe l’emporte sur la quantification interne

(cf. supra), et permet ainsi un taux d’expression plus élevé du pronom personnel sujet102.

En ce qui concerne l’évolution du pronom personnel sujet, nous devons tenir compte de deux

phénomènes. Il ne s’agit pas uniquement d’une tendance à l’expression du pronom sujet, mais

également d’un recul du phénomène de l’enclise. La possibilité de choix entre l’expression

romane et l’omission latine du pronom personnel sujet en ancien français constitue la plus

grande différence avec le pronom sujet clitique du français contemporain. En plus, n’oublions

pas que le pronom sujet en ancien français pouvait se disjoindre du verbe – chose impossible

en français moderne –, et que son grade d’autonomie était plus élevé qu’aujourd’hui. Ces

deux phénomènes, l’expression et l’enclise, sont reliés, et un changement dans l’un provoque

un changement dans l’autre. Presque tous les changements dans le système linguistique en

entraînent d'autres, tant au niveau du segmental qu’au niveau du suprasegmental. Pour

terminer ces considérations théoriques, nous citons Rika Van Deyck, dans son article à propos

du pronom personnel103 :

100

Van Deyck, Rika, « La détermination nominale en ancien français », p. 128. 101

Pourtant, il faut aussi tenir compte des faiblesses de cette théorie : comment pouvons-nous examiner

l’évolution d’une intonation si nous ne possédons que des textes écrits ? Nous renvoyons à un article de Rikke

Schultz pour plus d’informations concernant les problématiques de la théorie de l’intonation :

Schultz, Rikke, « Orientations de recherche pour l’étude évolutive de structure intonatives », pp. 188-189. Voir

également p. 197 (Ibid.) : « […] l’histoire de l’évolution accentuelle du latin au roman et du roman aux langues

actuelles s’écrit avec beaucoup d’incertitudes et de suppositions. L’accent d’une langue, comme l’intonation,

n’est pas directement déductible à partir de l’écrit ». 102

Toutes les informations de ce paragraphe proviennent de l’article de : Van Deyck, Rika, « La détermination

nominale en ancien français », pp. 127-128. 103

Van Deyck, Rika, « Le ‘pronom personnel’ dans la tradition grammaticale », 2003, p. 8.

27

Le parcours indique aussi que la réflexion grammaticale diffère par la prise en considération de divers

types d’arguments : au niveau suprasegmental, les phénomènes de l’accent et du rythme ; au niveau

segmental les phénomènes de l’accord en genre et en nombre, des fonctions syntaxiques, de la syntaxe

de l’ordre, du système de la personne grammaticale et de la locution et de la prédicativité. […] il semble

impossible d’écarter l’un des niveaux : le suprasegmental s’avère aussi incontournable que le segmental.

Et plus loin :

Le bouleversement du suprasegmental entraîne celui du segmental ; il se trouve au départ de l’évolution

qui crée la situation romane. Quand un accent dynamique remplace le musical, les oppositions de

qualité remplacent celles de quantité et le caractère de tonicité devient pertinent ; dès lors le choix du

tonique et de l’atone aura une valeur distinctive ; mais de plus, quand un accent cumulatif, de groupe

remplace l’accent analytique, de mot en accord avec un rythme ascendant qui remplace le descendant,

une gradation de la tonicité fait apparaître des séries de formes plus ou moins lourdes, avec à l’issue,

spécialisation grammaticale de ces séries dans de nouveaux contours prosodiques, que ce soit dans la

syntaxe du nom ou dans celle du verbe.

3.3.Analyse des grammaires

Ce chapitre vise à recueillir les informations pertinentes de quelques grammaires d’ancien

français, afin que ces informations puissent nous guider dans l’analyse de notre corpus. Vu

que l’ancien français est un stade intermédiaire de l’évolution langagière et en raison de

l’absence d’une langue standard, ces grammaires incluent une pluralité d’informations. Les

différents éléments que nous mentionnerons ici, nous serviront d’instruments d’analyse. Il ne

s’agit pas de comparer ces grammaires, mais plutôt d’en extraire les données utiles, de sorte

qu’elles puissent former une grille d’analyse pour notre recherche sur corpus.

3.3.1. Choix des grammaires

Afin d’obtenir des instruments d’analyse pour notre corpus, nous avons consulté cinq

grammaires104. La plus ancienne, celle de Schwan-Berens105, date de 1913, et est une

traduction de l’allemand. La plus récente, celle de Claude Buridant106, date de 2000. Nous

104

Afin de compléter les informations à propos du pronom personnel sujet en ancien français, nous avons

également consulté la thèse de doctorat de Torsten Franzén.

Cf. Franzén, Torsten, Étude sur la syntaxe des pronoms personnels sujets en ancien français.

L’auteur a surtout eu l’intention d’éclairer quelques caractéristiques du pronom personnel sujet jusqu’alors peu

traitées et de revoir deux conceptions généralement acceptées à propos de ce pronom. En ce qui concerne ces

« conceptions acceptées », il essaie d’une part de démontrer la fausseté de l’opinion commune selon laquelle

« les pronoms personnels auraient été accentués dans toutes les positions » (cf. p. V) et d’autre part, il indique

que l’évolution vers une expression obligatoire du pronom sujet n’est pas uniquement due à l’amuïssement des

désinences verbales. Vu que nous voulons surtout nous concentrer sur l’analyse de notre corpus, nous n’entrons

pas en détail ici, mais nous incitons nos lecteurs à consulter ce livre pour obtenir plus d’informations sur ce sujet. 105

Schwan, Eduard et Berens, Dietrich, Grammaire de l’ancien français, 1932. 106

Buridant, Claude, Grammaire nouvelle de l’ancien français.

28

avons également consulté les grammaires de Lucien Foulet107, de Philippe Ménard108 et de

Gérard Moignet109. La grammaire la plus complète pour notre sujet est celle de Claude

Buridant, mais les autres apportent tout aussi des informations pertinentes. Dans ce qui suit,

nous voulons aligner les informations recueillies afin de donner une image complète de la

situation du pronom personnel sujet en ancien français.

3.3.2. Informations recueillies

a) Pronoms déictiques et anaphoriques

Une chose qui ressort de l’analyse de ces grammaires, est la distinction faite sur le plan

pragmatique entre les pronoms déictiques (1e et 2

e personne) d’une part, et les pronoms

anaphoriques (3e personne) d’autre part. Les déictiques font référence aux personnes présentes

pendant la communication, c'est-à-dire le locuteur et l’interlocuteur ; les anaphoriques réfèrent

à des personnes à l’écart de la conversation, disons les « délocutés »110, notion utilisée par

Buridant.

La grammaire de Lucien Foulet111 distingue, comme les autres grammaires prises en

considération dans ce chapitre, les pronoms de la première et deuxième personne d’une part et

les pronoms de la troisième personne d’autre part. La distinction faite par Foulet ne se base

pas tellement sur la différence entre déictiques et anaphoriques, mais plutôt sur le fait que la

troisième personne distingue une forme féminine et une forme masculine, ce qui n’est pas le

cas pour la première et la deuxième personne. Sans mentionner littéralement les notions de

déictiques et d’anaphoriques, sa distinction les implique pourtant : il nous semble logique

qu’un pronom anaphorique doit connaître une distinction entre masculin et féminin, vu qu’il

s’agit d’une personne hors de la conversation (le(s) délocuté(s), cf. Buridant).

La grammaire de Schwan-Berens112, qui nous apporte une perspective différente des autres

manuels consultés, fait également la distinction entre les pronoms personnels de la première et

de la deuxième personne d’une part, et le pronom personnel de la troisième personne d’autre

part, pourtant sans éclaircissement explicite qui justifie ce choix.

107

Foulet, Lucien, Petite syntaxe de l’ancien français, 1966. 108

Ménard, Philippe, Manuel d’ancien français, 1968. 109

Moignet, Gérard, Grammaire de l’ancien français, 1976. 110

Buridant, Claude, Grammaire nouvelle de l’ancien français, p. 407. 111

Foulet, Lucien, Petite syntaxe de l’ancien français. 112

Schwan, Eduard et Berens, Dietrich, Grammaire de l’ancien français.

29

Dans l’introduction de la grammaire de Gérard Moignet113, l’auteur insiste sur le fait qu’il est

impossible de donner une syntaxe fixe de l’ancien français car « on peut dire sans paradoxe

qu’il y a autant de syntaxes que de textes »114. Le but de son livre est de montrer la cohérence

et la stabilité en ancien français, sans oublier que ce stade de la langue en est un en

permanente vacillation. En ce qui concerne le pronom personnel, Moignet fait la même

distinction que les autres manuels, mais il utilise d’autres définitions. Il parle d’une part de

« personnels purs », lesquels « n’évoquent les êtres que par leur rang dans l’ordre personnel

dans la situation du discours » – c’est-à-dire les déictiques, et d’autre part de « pronoms

représentants », lesquels « rappellent des êtres déjà évoqués dans le discours »115 – c’est-à-dire

les anaphoriques.

b) Formes morphologiques

Toutes les grammaires parlent des différentes formes morphologiques que les pronoms sujets

peuvent présenter. Vu que cette variation morphologique est un élément important, mais pas

l’objectif principal de notre travail, nous nous limiterons à donner un cadre récapitulatif des

formes qui figurent dans ces cinq grammaires.

Pronoms déictiques (1re

– 2e personne)

SINGULIER PLURIEL

1re

personne je, jou (pic.), ju (wallon), jo nos, nus, nous

gie/gié/gé – éo

2e personne tu, te (pic.) vos, vus, vous

113

Moignet, Gérard, Grammaire de l’ancien français. 114

Moignet, Gérard, Op. Cit., p. 7. 115

Ibid., p. 36.

30

Pronoms anaphoriques (3e personne)

SINGULIER PLURIEL

3e personne ♂ il, i il, i

(élli) (élli)

3e personne ♀ ele ; il, el (Ouest), ille (Nord-Est) eles ; els, eus (Ouest)

ale (Ouest, Est), (élla) ales (Ouest, Est)

3e personne Ø il, el (Ouest), (éllu) /

À ce schéma, il faut encore ajouter le pronom personnel sujet qui exprime la personne

indéterminée, à savoir on (autres variantes graphiques : en, an). Ce pronom sujet provient du

cas sujet du substantif ome (lat. > homo, hominem)116. Petit à petit, suite à un processus de

grammaticalisation, son utilisation comme pronom personnel sujet s’est répandue en ancien

français, pour devenir aujourd’hui un pronom populaire.

Dans le manuel de Schwan-Berens il y a, comparé aux autres manuels, plus d’attention pour

l’étymologie des formes des pronoms personnels. L’auteur explique aussi clairement le

changement (pour la troisième personne) d’un pronom tonique vers un pronom atone comme

sujet du verbe : « il, ele, el, il, eles sont des formes primitivement toniques. Elles ont, comme

sujets du verbe, subordonné peu à peu leur accent à celui du verbe par suite du lien

syntaxique, qui devint plus étroit, et elles se sont conservées jusqu’aujourd’hui dans cet

emploi atone, à l’exception du neutre el » (p. 189). L’apport que nous pouvons le plus

apprécier de ce manuel est certainement celui de l’évolution phonétique des formes, tandis

que des conditions d’expression ou de non expression du pronom sujet restent absentes.

c) Les conditions d’expression et de non expression

Dans sa grammaire, Claude Buridant nous fournit cinq conditions favorables à la non-

expression du pronom personnel sujet117. En premier lieu, le pronom sujet peut être omis dans

des propositions juxtaposées ou coordonnées, où le sujet est identique dans une suite de

verbes (cf. exemple a). En deuxième lieu, le pronom sujet ne doit pas figurer en tête de

proposition indépendante quand nous y retrouvons un emploi négatif d’un noyau de verbes

116

Buridant, Claude, Grammaire nouvelle de l’ancien français, p. 409. 117

Buridant, Claude, Op. Cit., pp. 424-428.

31

auxiliaires et modaux (comme estre, avoir, devoir, pooir, valoir, estovoir, laissier et savoir)

(cf. exemple b). En troisième lieu, Buridant fait mention de la raison la plus connue de la non

expression du pronom sujet, à savoir quand un autre élément qui montre un lien thématique

avec le contexte précédent, occupe la place préverbale. Cet élément peut être un adverbe de

liaison, un régime nominal, un régime objet, ... (cf. exemple c). Comme quatrième condition,

l’auteur mentionne la grande fréquence de non expression dans le cas des verbes

impersonnels ; vu l’indétermination de la personne, les auteurs n’ont pas tendance à utiliser un

pronom (cf. exemple d). Finalement, nous apprenons que la non expression du pronom sujet

est assez fréquente dans des énoncés interrogatifs où le pronom se trouverait en postposition

(cf. exemple e).

(a) RenartR, X, 10704-05 Il ne harpoit ne ne chantoit, ainz ploroit…

(b) Ami 2734 Et dist Amis : Ne sai qu’en tient a vous

(c) Roland 648 Si li ad dit : Mult par ies ber e sage

(d) Roland 132 Tant i avrat de besanz esmerez

(e) TristPr, I, 181, 8-9 Que vous plaist, sire chevalier ? Que volés dire ?

À la page 427 de sa grammaire, Buridant fait une remarque particulièrement intéressante pour

nous, à savoir « non expression / expression selon les exigences de la versification ». Même

s’il s’agit d’une petite remarque dans la totalité des observations, elle est selon nous d’une

importance majeure. Pour un auteur, désireux de bien versifier son texte, l’expression ou

l’omission d’un pronom personnel pouvait être l’outil parfait afin d’aboutir à un certain

nombre de syllabes. Dans l’analyse de notre corpus (cf. infra), nous reviendrons à ce sujet.

Buridant parcourt également quelques conditions favorables à l’expression (semi-obligatoire)

du pronom sujet118. La première des quatre conditions concerne l’expression du pronom sujet

en postposition dans les incises du discours direct. Surtout après un vocatif, un mot exclamatif

ou un impératif, il y a une forte tendance à exprimer le pronom sujet (cf. exemple f). Ensuite,

quand le pronom occupe la position initiale comme élément tonique nous observons un taux

élevé d’expression (cf. exemple g). En troisième lieu, le pronom sujet sera exprimé quand

l’auteur veut souligner le détachement verbal. Nous pouvons dire dans de tels contextes que le

pronom sujet prend un relief particulier (cf. exemple h). En quatrième et dernier lieu, Buridant

nous renseigne sur le fait que « le pronom personnel sujet est exprimé beaucoup plus

118

Buridant, Claude, Grammaire nouvelle de l’ancien français, pp. 428-433.

32

fréquemment dans les subordonnées de toute nature que dans les principales, où la position

initiale est souvent tenue par un élément tonique »119.

(f) Alexis 59 E ! Deus, dist il, cum fort pecét m’apresset !

(g) TristPr, I, 26-31 Quant il ont lour hiaumes ostés et il se sont entrebaisié et

entreconmandé a nostre Seigneur, ensi com cevalier errant doivent

faire et faisoient a celui tans acoustumeement, il relacent lour

hiaumes et Lanselos se met adont droit en la voie ki aloit au castel.

(h) Piramus 732 Lions, tu qui la devoras.

En comparaison avec les indications de Buridant, le manuel de Foulet ne nous donne pas

tellement d’explications à propos de l’expression et de la non expression du pronom sujet.

Selon Foulet, le pronom sujet en ancien français pouvait occuper n’importe quelle place dans

la phrase s’il précédait le verbe ; en postposition par contre, le sujet devait suivre

immédiatement le verbe120. À part ces indications à propos de la position du pronom sujet

dans la phrase, ce manuel ne nous renseigne pas vraiment sur les conditions d’expression et

de non expression du pronom personnel sujet.

Passons alors au manuel de Philippe Ménard121, publié quelques années après la grammaire de

Foulet. Dans le chapitre sur le pronom personnel, nous trouvons peu d’informations à propos

des conditions d’expression du pronom personnel sujet, vu que la plus grande partie du

chapitre parle du pronom personnel régime. Nous pouvons lire que les pronoms sujets ne sont

pas indispensables, attendu que les désinences verbales indiquent clairement la personne122.

Ménard insiste surtout sur le fait que l’omission était de règle, tant avec des verbes personnels

qu’avec des impersonnels (cf. exemple i). L’expression du pronom sujet dépendait selon

Ménard surtout de raisons d’insistance et de mise en relief (cf. exemple j). Dans trois

remarques supplémentaires, nous apprenons que le pronom sujet accentué peut se trouver

éloigné du verbe (cf. exemple k), que le pronom sujet peut se trouver devant l’impératif (cf.

exemple l) et que le pronom sujet est souvent utilisé pour remplir la première position de la

proposition (et non pas le verbe) (cf. exemple m).

119

Buridant, Claude, Grammaire nouvelle de l’ancien français, p. 432. 120

Foulet, Lucien, Petite syntaxe de l’ancien français, p. 107.

Observation : Foulet donne beaucoup de phrases exemples pour les pronoms régimes, mais pas pour le pronom

personnel sujet. Il semble que l’auteur considère la non expression du pronom sujet comme étant la règle

générale, de sorte qu’il le trouve contingent de nous fournir des exemples. 121

Ménard, Philippe, Manuel d’ancien français. 122

Ménard, Philippe, Op. Cit., p. 71.

33

(i) Alexis 82a Blanc ai le chief.

Segretain moine 131 Bien a quatre anz que ge vos aim.

(j) Alexis 87d E jo, dolente, cum par fui avoglie !

(k) Thomas Becket 1365 E il e lur lignage erent desherité.

(l) Roland 508 E vos l’i ameneiz !

(m) Roland 860 Li niés Marsilie, il est venuz avant.

Ménard mentionne encore que, dès le XIIe siècle, le pronom sujet peut être employé sans

valeur expressive123. Finalement, Gérard Moignet donne plusieurs raisons qui expliquent

l’autonomie du pronom sujet, entre autre sa possibilité d’occuper la première place de la

phrase (cf. exemple n), d’avoir valeur d’insistance dans une opposition (cf. exemple o), d’être

séparé par le verbe (cf. exemple p), de pouvoir être antécédent d’un relatif (cf. exemple q) et

de pouvoir figurer sans verbe en proposition elliptique (cf. exemple r)124.

(n) Rol., 1700 Dist Oliver : « Jo nel sai cument quere. »

(o) Auc., xxiv, 42 Os ! fait cil, por le cuer que cil Sires eut en sen ventre ! que vos plorastes por

un cien puant ! … Mais je doi plorer et dol faire

(p) Rol. 1697 E ! reis, amis, que vos ici nen estes !

(q) Narcisus, 673 Je qui ensi paroil a toi sui fille ton seignor le roi.

(r) Auc., x, 51 Et ce voil je que vos me tenés. – Jo ? fait li peres.

Néanmoins, après avoir énuméré toutes ces possibilités, Moignet relativise cette autonomie

par une explication très claire de l’évolution du pronom personnel sujet125 :

Mais la diversité des tours où elle (l’autonomie du pronom sujet) se manifeste ne doit pas dissimuler le

fait capital que le pronom personnel sujet, d’emploi très largement facultatif aux origines, devient de

plus en plus fréquent en position conjointe, soit avant, soit après le verbe, dont il ne peut plus guère être

séparé que par quelques mots grammaticaux atones : les pronoms personnels régimes, les adverbes en et

i, la négation ne, l’adverbe intensif par. […]

Si, en très ancien français, l’emploi du pronom reste rare et généralement expressif, répondant à une

intention d’insistance ou d’opposition, il devient par la suite plus fréquent, puis courant et normal, sans

qu’aucune nuance d’insistance stylistique se laisse percevoir.

En grandes lignes, nous pouvons dire que le pronom sujet est prédicatif et autonome au début,

mais qu’il devient au cours des siècles un mot satellite autour du verbe, obligatoire et atone.

d) Le phénomène de l’enclise

Nous parlons d’enclise lorsqu’un pronom atone s’abrège et prend appui sur le mot qui le

précède126. Ce pronom atone, appelé également le pronom enclitique, peut s’appuyer sur « la

négation ne, l’adverbe si, la conjonction se, les pronoms je, tu, ele, les relatifs-interrogatifs qui

123

Ménard, Philippe, Manuel d’ancien français, p. 72. 124

Moignet, Gérard, Grammaire de l’ancien français, pp. 127-128. 125

Moignet, Gérard, Op. Cit., p. 128. 126

Ménard, Philippe, Manuel d’ancien français, p 65.

34

et que »127. Cette affirmation de Philippe Ménard indique que les pronoms personnels sujets à

l’époque avaient un accent tonique, vu qu’un pronom atone pouvait s’appuyer dessus. Le

phénomène de l’enclise est donc une preuve du fait que les formes du cas sujet sont à l’origine

toniques, mais elles évolueront plus tard vers des pronoms atones128. À l’époque qui nous

concerne, l’enclise était beaucoup plus fréquente que la proclise, mais cette tendance diminue

lors de l’évolution langagière129. Vu que les pronoms personnels sujets en ancien français

peuvent être affectés par le phénomène de l’enclise, leur dépendance prosodique est moins

grande qu’en français moderne. Les pronoms sujets ne se liaient pas toujours à un mot

adjacent : ils ne formaient pas obligatoirement une unité phonétique complexe avec ce mot

adjacent. Ils n’avaient pas encore le même statut que les pronoms clitiques comme nous les

connaissons actuellement.

Le phénomène de l’enclise n’est pas obligatoire en ancien français, « en chaque cas, il dépend

de la volonté de l’écrivain de l’employer ou de l’éviter »130. En plus, « l’enclise peut être

pratiquée ou non selon les impératifs métriques »131.

3.3.3. Grille d’interprétation

En guise de conclusion, voici un résumé des contextes propices à l’expression et à la non

expression du pronom personnel sujet. Ces points principaux nous aideront à composer une

grille d’analyse pour notre corpus d’ancien français.

- Conditions favorables à l’expression

Le pronom personnel sujet est souvent exprimé …

1) en postposition dans les incises du discours direct. Surtout après un vocatif, un mot

exclamatif ou un impératif, il y a une forte tendance à exprimer le pronom sujet.

2) quand le pronom occupe la position initiale comme seul élément tonique, nous

observons un taux élevé d’expression.

3) quand l’auteur veut souligner le détachement verbal. Nous pouvons dire dans de tels

contextes que le pronom sujet prend alors un relief particulier.

4) plus fréquemment dans les subordonnées de toute nature que dans les principales, où

la position initiale est souvent tenue par un élément tonique.

5) quand il est accentué et se trouve éloigné du verbe (raison d’insistance).

127

Ménard, Philippe, Manuel d’ancien français, p 65. Voir également : Foulet, Lucien, Petite syntaxe de l’ancien

français, p. 158. 128

Moignet, Gérard, Grammaire de l’ancien français, p. 37. 129

Foulet, Lucien, Petite syntaxe de l’ancien français, p. 161. 130

Foulet, Lucien, Op. Cit., p. 159. 131

Buridant, Claude, Grammaire nouvelle de l’ancien français, p. 416.

35

6) quand il se trouve devant un impératif (raison d’insistance).

7) pour remplir la première position de la proposition, au lieu du verbe (raison

d’insistance).

8) quand il figure sans verbe en proposition elliptique.

9) en raison des exigences de la versification.

- Conditions favorables à la non expression

Le pronom personnel sujet est souvent omis …

1) dans des propositions juxtaposées ou coordonnées, où le sujet est identique dans une

suite de verbes.

2) en tête de proposition indépendante quand nous y retrouvons un emploi négatif d’un

noyau de verbes auxiliaires et modaux (comme estre, avoir, devoir, pooir, valoir,

estovoir, laissier et savoir).

3) quand un autre élément qui montre un lien thématique avec le contexte précédent,

occupe la place préverbale. Cet élément peut être un adverbe de liaison, un régime

nominal, un régime objet, ...

4) dans le cas des verbes impersonnels ; vu l’indétermination de la personne, les auteurs

n’ont pas tendance à utiliser ce pronom neutre.

5) dans des énoncés interrogatifs où le pronom se trouverait en postposition.

6) en raison des exigences de la versification.

Le défi qui se présente maintenant est d'analyser les vers du « Voyage de Saint Brendan » en

fonction de cette grille d’interprétation. Nous analyserons le fonctionnement du pronom

personnel sujet dans le microsystème constitué par ce texte littéraire. Nous devons donc

vérifier si les caractéristiques générales du fonctionnement sont conformes à la réalité

langagière observée dans notre corpus.

3.4.Analyse du corpus

3.4.1. Difficultés des sources

Avant de nous lancer dans l’analyse de notre corpus, il faut encore mentionner que

l’illustration du microsystème de l’ancien français qui nous intéresse, s’avère difficile à cause

de certains obstacles. « La difficulté majeure dans cette recherche est d’étudier de façon

détaillée comment une langue ancienne évolue alors qu’on n’a pour témoins que des textes

écrits »132. Cette affirmation montre le caractère double de nos sources : d’une part nous

devons tenir compte du fait qu’il n’y a aucune preuve de la représentativité de la situation

132

Van Acker, Marieke & Van Deyck, Rika, “Comment la morpho-syntaxe romane a-t-elle remplacé la flexion

casuelle du Latin ? Le cas du neutre », 2008, p. 254.

36

linguistique réelle dans ces documents ; d’autre part, ces sources sont les seules manières

d’accès à ces époques. Bref, « […] l’écrit est un témoin incontournable pour rendre compte

des modalités de l’évolution langagière ; l’écarter tronque et fausse la réalité. Il faut toutefois

le manier avec précaution en étant conscient de ce qu’il peut et de ce qu’il ne peut pas

révéler »133. En analysant notre corpus, nous devons donc tenir compte qu’il s’agit d’une

reconstruction partielle d’un état de la langue, et que de tels documents auront toujours un

caractère fragmentaire134.

Cette analyse, qui se base sur la grille d’analyse mentionnée ci-dessus et sur quelques

informations recueillies du livre de Franzén135, parcourra d’abord les quatre formes des

pronoms déictiques (c.-à-d. je, nous, tu, vous) et ensuite les quatre formes des pronoms

anaphoriques (c.-à-d. il, ils, elle, elles). Une conclusion intermédiaire terminera ce chapitre.

133

Van Acker, Marieke & Van Deyck, Rika, “Comment la morpho-syntaxe romane a-t-elle remplacé la flexion

casuelle du Latin ? Le cas du neutre », p. 255. 134

Radtke, Edgar, « Les problèmes liés à la pragmalinguistique historique du français », p. 132. Voir également :

Buridant, Claude, Grammaire nouvelle de l’ancien français, p. 34. & Schultz, Rikke, « Orientations de recherche

pour l’étude évolutive de structure intonatives », pp. 188-189. 135

Franzén, Torsten, Étude sur la syntaxe des pronoms personnels sujets en ancien français.

37

3.4.2. Statistiques

a) Cas d’expression

38

b) Cas de non expression

39

3.4.3. Les pronoms déictiques

a) 1e personne singulier – je

- Variantes morphologiques

Les six formes attestées dans notre corpus sont identiques : dans

toutes les constructions, nous retrouvons la forme jo.

- Analyse de cas d’expression

Dans notre grille d’analyse, nous trouvons une condition d’expression qui doit être examinée

avant les autres : « le pronom personnel sujet est exprimé plus fréquemment dans les

subordonnées de toute nature que dans les principales, où la position initiale est souvent tenue

par un élément tonique ». Pour le pronom personnel je, nous observons trois cas d’expression

dans une subordonnée (à savoir dans une subordonnée complément circonstanciel de temps,

dans une subordonnée complément circonstanciel de condition et dans une subordonnée

relative).

p.ex. Vers (117)-118-119-(120)

ço dist Brandan : «Pur cel (x) vos di Brendan dit : « Je vous le dis

Que de vos (x) voil ainz estre fi parce que je veux être sûr de vous

que jo d’ici vos en meinge avant que je ne vous emmène d’ici

Al repentir puis m’en prenge. » plutôt que de m’en repentir par après ».

Dans les trois autres cas d’expression, le pronom sujet se trouve dans une principale136. Pour

ces trois attestations, nous devons invoquer l’élément d’une mise en relief du pronom sujet.

En exprimant le pronom sujet, l’auteur peut choisir de mettre son sujet en relief, pour des

raisons d’insistance ou des raisons de clarté. Dans notre corpus, il n’est pas toujours facile de

distinguer les cas d’insistance de ceux de clarté. Quand un pronom sujet introduit un nouveau

sujet (p.ex. les vers 583-584), il peut être exprimé pour des raisons d’insistance, afin

d’accentuer que c’est ce sujet, et non pas un autre, qui accomplit l’action. En même temps, le

pronom sujet peut aussi être exprimé pour des raisons de clarté, afin que le lecteur comprenne

bien le changement de sujet. Ces pronoms sujets se trouvent au début du discours direct137,

136

Lors de l’analyse des structures phrastiques de notre corpus, nous avons fait la distinction entre le pronom

personnel sujet qui se trouve dans une principale et celui qui se trouve dans une proposition indépendante. Vu

que, par la suite, nous avons observé que la différence entre ces deux constructions est négligeable en ce qui

concerne leur influence sur le comportement du pronom, nous n’insisterons plus sur cette distinction. 137

Le discours direct, également appelé le discours rapporté selon :

Grevisse, Maurice & Goosse, André, Nouvelle grammaire française, Bruxelles, De Boeck & Larcier, 1995.

40

c’est-à-dire que le narrateur rapporte les paroles d’un personnage. L’emploi de cette figure de

style provoque un changement de sujet dans la même phrase : d’abord (normalement) la

troisième personne du singulier (il, le narrateur), ensuite une autre personne. Dans les phrases

que nous avons observées, il s’agit de la même situation : d’abord la troisième personne du

narrateur, ensuite la première personne de Saint Brendan. L’exemple suivant montre une

construction pareille :

p.ex. Vers (583)-584-(585)-(586)

E il lur a dist : «De vïande Il leur dit : « Je vous procurerai

Jo vus truverai plentét grande ; des vivres en grande abondance ;

Asez averez e sanz custe vous en aurez largement et sans peine

As uitaves de Pentecuste. Jusqu’à l’octave de la Pentecôte.

Un élément remarquable est la position que le pronom sujet occupe par rapport au verbe :

nous n’avons trouvé aucun cas où le pronom sujet jo se trouve directement auprès du verbe.

Les deux sont toujours séparés l’un de l’autre par un autre élément, qui est la plupart du temps

un autre pronom.

- Analyse de cas de non expression

Dans la majorité des 18 cas où le pronom sujet n’est pas exprimé, il s’agit de principales.

Nous avons observé 3 subordonnées (une subordonnée complément circonstanciel de cause

et deux subordonnées relatives) et 15 principales. En ce qui concerne les subordonnées, les

raisons de non expression sont diverses. Au vers 1244, nous trouvons un énoncé interrogatif

où le pronom se trouverait normalement en postposition, condition que nous avons évoquée

dans notre grille d’analyse. Les deux autres subordonnées sont introduites par un élément qui

montre clairement le lien avec le vers précédent (p.ex. vers 772). Cet élément occupe la

position préverbale, ce qui favorise la non expression du pronom.

p. ex. Vers (771) – 772

Dunc dist Brandans : « N’est liu si chers Alors Brendan répondit : « Il n’y a pas de lieu plus agréable

U (x) mansisse si volunters où j’aurais voulu rester plus volontiers. »

p.ex. Vers (1241)-(1242)-1243)-1244

Jesu, chi moz tut le trone Jésus, toi qui fais bouger tout le firmament,

Ja est ta mercit itant bone. Ta pitié est si précieuse.

Jesu, tant es misericors ; Jésus, tu es si miséricoridieux :

Ert nul’ hure que (x) seie fors ? serai-je jamais délivré de mes souffrances ?

41

Pour les principales, nous pouvons observer d’autres contextes qui favorisent l’absence du

pronom. L’emploi négatif du verbe semble en premier lieu une condition importante. La grille

d’analyse nous indique qu’en tête de proposition indépendante, cette négation a beaucoup

d’influence. Dans notre corpus, nous avons observé que la négation peut également avoir son

influence dans d’autres positions dans la phrase. Le mot négatif ne occupe alors la place

préverbale et semble avoir assez d’autonomie, de sorte que le pronom sujet ne s’exprime pas.

p.ex. Vers (1245)-1246-1247-(1248)

Jesu, li nez de Marie Jésus, fils de Marie,

(x) Ne sai si jo mercit crie : je ne sais si je devrais implorer ton pardon :

(x) Ne puis ne n’os, quar tant (x) forfis je ne puis ni n’ose le faire, car j’ai commis

un si grand crime

Que jugemenz de mei est pris. que ma condamnation a déjà été prononcée.

p.ex. Vers 863-864

Ne dutez rien ; ne (x) demurai : N’ayez pas peur ; je ne tarderai pas à revenir.

Quant mesters ert, (x) vus succurrai. Je viendrai vous aider quand il le faudra.

Ensuite, nous avons observé un autre élément qui semble favoriser la non expression du

pronom sujet, à savoir la présence d’un autre pronom. Quand un pronom personnel COD ou

COI occupe la position préverbale, le pronom personnel sujet ne sera probablement pas

exprimé. Nous avons trouvé quelques exemples dans notre corpus de cette construction : sur

les 15 vers où le verbe se trouve dans une principale, nous avons repéré 6 vers dont le verbe

était précédé par un pronom (qui n’est pas le pronom sujet).

p.ex. Vers (431)-(432)-433-434

U puis irez en altre liu Et ensuite vous irez en un autre lieu

U jo en vois e la vus siu. Où je m’en vais moi-même et où je vous suis.

Mult pres d’ici, la (x) vus truverai Tout près d’ici, là je vous [re]trouverai

Asez cunrei (x) vus porterai [et] je vous apporterai des provisions en grande quantité.

Finalement, nous avons encore observé quelques cas où le verbe est précédé par le pronom

démonstratif ço (p.ex. vers 171), ou bien par un adverbe (p.ex. vers 766). L’influence du

pronom démonstratif consiste en l’instauration d’un lien thématique avec le(s) vers

précédent(s). L’adverbe ne semble pas établir un lien pareil, il sert principalement à saturer la

position préverbale.

p.ex. Vers (169)-(170)-171-(172)

Mais petiz ert e mult estreits ; mais ce cours d’eau était petit et très étroit

Del derube veneit tut dreiz. Il venait tout droit de la falaise.

Altres, (x) ço crei, avant cestui Avant Brendan, je crois que personne d’autre

Ne descendit aval cel pui. N’était descendu en bas de ce rocher.

42

p.ex. Vers (765)-766

Il le dublat plus que ne solt ; Il augmenta la quantité au-delà de ce qu’Il avait l’habitude

Bien (x) sai que vus receivre volt je sais (/vois) bien qu’Il désirait vous recevoir

Tenant compte de l’affirmation de Van Deyck, à savoir que la condition la plus importante à

satisfaire dans la proposition est que la zone préverbale comporte un élément (tonique ou

non)138

, nous pouvons en tirer des conclusions claires : si le verbe est précédé par un élément,

l’ancien français tend dans la grande majorité des cas vers la non expression du pronom

personnel sujet.

b) 1e personne pluriel – nous

- Variantes morphologiques

Nous avons trouvé maintes attestations de ce pronom dans notre corpus,

toutes de la même forme morphologique : nus. Sur un total de 46

possibilités d’attestation, la forme nus apparaît 12 fois.

- Analyse de cas d’expression

Avant de commencer la véritable analyse, il faut remarquer que nous devons faire attention à

cette première personne du pluriel139. Le danger repose dans le fait que le pronom personnel

sujet est morphologiquement identique au pronom réfléchi d’un verbe pronominal. Comme

nous ne pouvons pas toujours savoir si un verbe en ancien français était pronominal ou pas,

l’analyse du pronom s’avère difficile. Pour cette raison nous ne classifierons, dans notre

corpus, les verbes comme pronominaux que quand leur correspondant en français moderne est

également pronominal.

En ce qui concerne les cas d’expression, nous avons observé une faible tendance à exprimer

davantage le pronom sujet quand il se trouve dans une subordonnée : sept attestations versus

cinq attestations dans une principale. Une première chose qui nous frappe en regardant les

vers, c’est que le pronom nus se trouve surtout dans des constructions avec des verbes

auxiliaires ou modaux, comme être, avoir, faire, savoir ou devoir. Deuxième chose

138

Van Deyck, Rika, « Le moyen français en général et l’expression du pronom sujet dans la langue de François

Villon en particulier », p. 2.

Remarque : Il en va de même pour la zone prénominale : il y faut un élément qui peut saturer la

position dans ces contours intonatifs stabilisés. 139

C’est également le cas pour la deuxième personne du pluriel, vous.

43

remarquable, c’est le taux élevé d’expression au milieu d’un vers, surtout dans les principales,

quand la particule ne de la négation est exprimée. Pourtant, lors de l’analyse du pronom je,

nous avons observé le cas opposé.

p.ex. Vers (646)-(647)-(648)-649-650

Dist lur l’abes : ‘Retenez vus ! l’abbé leur dit : « Retenez-vous !

Prendre si tost jo vus defent Je vous défends de boire de cette eau pour le moment,

D’ici que (x) avum parlé od gent. avant que nous ayons parlé avec les gens [du pays].

Quel nature nus ne savum Nous ne savons pas quelle est la nature

Aient li duit que (x) trovét avum. » des ruisseaux que nous avons trouvés. »

Il s’avère difficile d’indiquer des règles grammaticales pour l’expression du pronom nous /

nus. Dans les principales, nous avons des pronoms en tête de phrase (ou plutôt, en « tête de

vers »), directement antéposés au verbe (p.ex. vers 717), ou séparés par un autre élément

(p.ex. vers 743). Nous y trouvons également des pronoms au milieu de la phrase, après un

élément qui aurait pu occuper la position préverbale (p.ex. vers 649). En ce qui concerne les

subordonnées, nous observons une variation comparable : des pronoms sujets qui se trouvent

ou bien directement après la conjonction que ou le pronom relatif (p.ex. vers 52), ou bien

séparé par un autre élément (p.ex. vers 746).

Vu la variabilité des possibilités, nous en concluons que l’expression est due ou bien à des

conditions d’insistance (mais certainement pas à cause de l’éloignement du verbe), ou bien à

des exigences de la versification. Le vers 730 est un bel exemple de cette dernière possibilité.

L’adverbe mult peut sans aucun problème saturer la position préverbale. De plus, le pronom

réfléchi au vers 129 indique également de quelle personne il s’agit. Néanmoins, vu que les

vers sont, selon les règles de la versification, des octosyllabes, le pronom sujet est nécessaire

pour atteindre ce nombre de 8 syllabes. Ce vers est, selon nous, une preuve du fait que nous

ne pouvons pas oublier que notre source est un poème, obéissant à certaines règles.

p.ex. Vers (727)-(728)-(729)-730

Quant oïmes en plusurs leus Quand nous entendîmes dire en plusieurs lieux

Que ci maneit Albeus li pius, que le pieux Ailbe demeurait dans cette île,

Par Deu ci (x) nus asemblames nous nous réunîmes ici avec l’aide de Dieu

Pur lui que nus mult amames. pour l’amour de lui, que nous aimions tant.

- Analyse de cas de non expression

Nous avons observé beaucoup plus de cas de non expression dans des principales (22 vers

sans pronom) que dans les subordonnées (11 vers). Une condition favorable à la non-

expression que nous avons mentionnée dans notre grille d’analyse, est affirmée par quelques

44

attestations, à savoir quand nous retrouvons un emploi négatif d’un noyau de verbes

auxiliaires ou modaux, en tête d’une proposition indépendante.

p.ex. Vers (759)-760

Par lui emprent, par lui esteint, la flamme s’allume d’elle-même, et d’elle-même elle

s’éteint

(x) N’avum frere de ço se paint. nous n’avons aucun moine qui s’en occupe.

Dans maints autres cas, le verbe de la proposition indépendante se trouve dans une suite de

verbes, c’est-à-dire que les vers qui le précèdent ou le suivent, ont le même sujet et

l’expriment souvent. Il nous semble qu’une fois le sujet connu, l’auteur ne ressentait plus le

besoin d’exprimer à nouveau un pronom sujet, sauf pour des raisons de versification.

p.ex. Vers 743-(744)-(745)-746

Nus n’i avum nul loreür, Nous n’avons personne qui travaille pour nous,

ne n’i (x) veduns aporteür, nous ne voyons personne apporter quoi que ce soit,

Mais chescun jurn tut prest (x) trovum, mais chaque jour nous trouvons tout prêt,

Sanz ço qu’ailur nus nel ruvum, sans que nous ayons à le demander ailleurs,

Pour les onze subordonnées, il n’y a que trois vers où le verbe conjugué se trouve directement

après la conjonction de subordination ou le pronom relatif (cf. les vers 533, 648 et 727). Dans

tous les autres cas un autre élément s’interpose : parfois une forme verbale, comme le

participe passé (cf. vers 127), parfois un objet ou un pronom. Dans ces cas-ci, l’expression du

pronom sujet est défavorisée, vu que la position préverbale est saturée.

p.ex. Vers 762 – 763

Ainz que vostre venir (x) sousum, Avant [même] que nous apprenions votre arrivée,

Volt Deus qu’a vus (x) cunrei ousum. Dieu a voulu nous fournir des provisions à votre intention.

Avant d’entamer l’analyse d’un autre pronom sujet, arrêtons-nous un instant sur deux vers

parallèles, qui connaissent une autre modalité d’expression. Il s’agit du vers 743 et du vers

760 (cf. voir supra), qui ont la même structure de phrase, à savoir « n’avum » ou « n’i avum »

en tête de la proposition indépendante. Pourtant, le vers 743 exprime son pronom sujet, tandis

que le vers 760 n’a pas de pronom sujet exprimé. De plus, les deux vers se trouvent dans un

monologue (vers 717 jusqu’au vers 770), où le locuteur s’exprime à la première personne du

pluriel. Le sujet est donc connu dans l’énumération des vers. Que devons-nous conclure de

cela ? Nous ne pouvons pas invoquer des raisons d’insistance ou de clarté, vu que le lecteur

connaît le sujet. Il nous semble que c’est à cause des exigences de la versification que l’auteur

exprime ou n’exprime pas le pronom sujet dans ces deux contextes.

45

c) 2e personne singulier – tu

- Variantes morphologiques

La forme morphologique est identique dans les huit attestations, à savoir tu. Au

vers 14, nous rencontrons la forme tul, qui est la jonction du pronom personnel

sujet et du pronom personnel objet direct.

- Analyse de cas d’expression

Pour la deuxième personne du singulier, les cas d’expression dans une subordonnée sont

beaucoup plus nombreux que ceux dans une principale. La condition formulée dans notre

grille d’analyse se voit confirmée par ces constatations : parmi les 7 cas d’attestation, nous

comptons 6 expressions dans une subordonnée. L’expression dans la principale est due à des

raisons d’insistance : le pronom sujet se trouve devant un impératif (cf. vers 14). La plupart

des expressions dans une subordonnée semblent se produire à cause d’une nécessité de

prendre un certain relief par rapport au contexte précédent. Le vers 423 en est un bel

exemple : les vers précédents décrivent une certaine situation et le pronom sujet aide à mieux

comprendre le début d’une nouvelle action, avec un nouvel actant.

p.ex. Vers 14-(15)-(16)

Mais tul defent ne seit gabéth Et certes, (x) protège-le afin qu’on n’aille pas

se moquer de lui

Quant dit que set et fait que peot : quand il dit ce qu’il sait et qu’il fait ce qu’il peut :

Itel servant blasmer n’esteot il ne faut pas blâmer un tel serviteur.

p.ex. Vers (419)-(420)-(421)-(422)-423-424

Respunt lui cil : « N’est merveille : L’autre lui répond : « Ce n’est pas étonnant :

Ja ci n’ert traite öeile ; on ne traira jamais une [seule] brebis ici ;

L’ivers n’en fait raëncune, en hiver il ne fait jamais mauvais,

Ne d’enfertét n’i mort une. et aucune ne meurt de maladie.

A cel isle que tu veis la, Monte à bord de ton bateau, Brendan, et va

Entre en ta nef Brandan, e va. dans cette île que tu vois là-bas.

Nous avons déjà mentionné que le pronom sujet ne s’exprime parfois pas, vu qu’un autre

élément occupe la place préverbale. Évidemment, le cas contraire peut tout aussi bien se

produire : si le verbe se trouve seul après la conjonction de subordination, nous observons une

tendance à exprimer le sujet, afin que cette place préverbale soit saturée.

46

p.ex. Vers (512)-(513)-(514)-515-516-(517)-(518)

Brandan parlat bel e süef : Brendan parla courtoisement et gentiment :

« Si tu es de Deu creature, « Si tu es une créature de Dieu,

De mes diz dunc prenges cure ! sois attentif à mes paroles (/écoute ce que je vais te dire) !

Primes me di que tu seies, Tout d’abord, dis-moi qui tu es,

En cest liu que tu deies, ce que signifie ta présence en ce lieu,

E tu e tuit li altre oisel, la tienne et celle de tous les autres oiseaux,

Pur ço que a mei semblez mult bel. » car vous me semblez si beaux. »

- Analyse de cas de non expression

Pour les cas de non expression, nous devons tenir compte de la valeur expressive du pronom

tu. La deuxième personne du singulier est utilisée pour diriger la parole à l’allocutaire, qui est

la plupart du temps connu dans la conversation. Dans les 10 exemples que nous avons repérés

dans notre corpus, la personne à qui le locuteur s’adresse, est toujours connue, ce qui favorise

selon nous l’omission du pronom sujet. De plus, dans la majorité des cas, le pronom sujet est

exprimé dans les vers qui précèdent ou suivent immédiatement le vers. Dans tous les

exemples, il y a toujours un élément qui précède le verbe, surtout des adverbes de temps ou de

lieu. La présence d’un pronom sujet dans les environs immédiats du vers laisse une liberté

assez grande à l’auteur d’exprimer ou d’omettre le pronom.

p.ex. Vers 774 – 775 – 776 (2x) – 777

Pur quei (x) moüs de ta terre, pourquoi tu as quitté ton pays,

Puis (x) revendras en tun païs, puis tu reviendras chez toi,

Ileoc (x) muras u tu nasquis. [et] tu mourras là où tu es né.

(x) Muveras d’ici la semaine Tu partiras d’ici dans une semaine,

d) 2e personne pluriel – vous

- Variantes morphologiques

Comparé à l’autre pronom déictique au pluriel nous, la 2e personne

s’exprime moins fréquemment. Sur un total de 42 contextes où le

pronom aurait pu apparaître, nous l’avons trouvé exprimé 3 fois. La variation morphologique

est minime : dans les 7 attestations, nous retrouvons à chaque fois la forme vus.

47

- Analyse de cas d’expression

L’unique attestation du pronom sujet qui remplit la première position dans la proposition

indépendante, semble s’expliquer par des raisons de mise en relief, vu que le pronom se

trouve au début du discours direct. Cette figure de style provoque un changement de sujet

dans la même phrase : d’abord (normalement) la troisième personne du singulier (il, le

narrateur), ensuite une autre personne. Le changement de sujet favorise l’expression du

pronom, afin d’indiquer clairement le nouveau sujet.

Vers (339)-340

Dist lu rabes : « Prïez pur lui ; L’abbé dit aux moines : « Priez pour lui

Vus le verrez murrir encui » [car] aujourd’hui même vous le verrez mourir ».

Dans les deux autres cas d’expression du pronom, il s’agit de subordonnées. D’une part, nous

avons trouvé une subordonnée relative, où le pronom occupe la position préverbale, et où il

semble donc exprimé afin de saturer cette place. Les exigences de la versification peuvent

aussi avoir influencé ce choix. D’autre part, nous avons observé une subordonnée qui

fonctionne comme complément d’objet direct. L’explication pour l’expression du pronom

nous semble être une raison d’insistance, vu qu’il y a trois autres éléments qui occupent la

position préverbale. Le détachement verbal paraît favoriser la mise en relief du pronom.

Vers (359)-360

Puis lu rat dist : ‘Soür sëez, Ensuite il leur dit : « Ayez confiance,

Quelque peril que vus veiez quel que soit le péril que vous voyiez.

Vers (365)-366-(367)-(368)

E de cunrei nen esmaëz Quant aux provisions, ne craignez pas

Que vus ici asez n’en aiez : d’en manquer ici :

Ne frat faile desqu’en vendrez elles ne viendront pas à manquer jusqu’à ce que vous

arriverez

En tel leu u plus prendrez. » en un lieu tel où vous en prendrez d’autres ».

- Analyse de cas de non expression

Comme nous l’avons déjà mentionné, le taux de non expression du pronom est beaucoup plus

élevé que celui d’expression. Dans 27 principales, nous avons constaté l’absence du pronom,

de même que dans 15 subordonnées. Commençons par l’analyse des principales. Les pronoms

se trouvent tous dans le discours direct, dans un monologue d’un certain personnage. La

probabilité d’expression du pronom paraît dépendre de la présence d’un autre pronom sujet

dans les alentours du vers concerné, ou même d’un élément qui peut indiquer de quelle

personne il s’agit dans le discours. Un discours direct qui est introduit par « il dist »

48

comportera plus fréquemment un pronom sujet qu’un discours introduit par « il lur dist », vu

que ce dernier comporte plus d’informations à propos du sujet. Ceci explique l’attestation de

deux vers où le verbe conjugué se trouve en tête de la proposition, sans qu’aucun élément ne

le précède.

p.ex. Vers (873)-(874)-(875)-876-(877)-(878)

« Seignurs », ço dist, « a cest sujurn « Seignurs », dit l’oiseau, « vous reviendrez sur cette île

Tuz cez set anz freiz vostre turn. chaque année durant sept ans,

Chascun an al Naël Deu et chaque année à Noël

(x) Sujurnerez en l’isle Albeu ; vous irez séjourner sur l’île d’Ailbe.

La ceine freiz e le mandét Vous célébrerez la communion de Pâques et le lavement

des pieds

U vostre hoste l’at cumandét. là où votre hôte l’a prescrit.

p.ex. Vers (987)-(988)-(989)-990

Dunc dist Brandans : « Veiez, frere, « Voyez, seigneurs », dit Brandan,

Ki enemis ainz vos ere « celui qui vous a attaqués naguère

Or nus succurt par Deu grace : nous porte maintenant secours par la grâce de Dieu :

(x) Mangerez en grant espace. Vous aurez à manger pour longtemps.

Pour les autres exemples, nous trouvons partout des éléments qui saturent la position

préverbale, de nature différente : des pronoms démonstratifs (p.ex. vers 363), des adverbes de

temps (p.ex. vers 588), des adverbes de manière (p.ex. vers 428), des pronoms indéfinis de

quantité (p.ex. vers 549), etcétéra. Nous avons également un bel exemple de la deuxième

condition mentionnée dans notre grille d’analyse : quand nous avons un verbe auxiliaire ou

modal dans une négation en tête de proposition, la non expression du pronom est favorisée :

Vers (1115)-(1116)-1117-(1118)

E dist lur : « Bien sachez et leur dit : « Sachez bien

Que a enfern (x) estes cachez. que vous êtes propulsés vers l’enfer.

(x) N’oustes mester unc mais si grant Jamais vous n’avez eu si grand besoin

Cum or avez de Deu guarant. » de la protection de Dieu qu’en ce moment. »

Vu la grande quantité de verbes conjugués à la deuxième personne du pluriel, nous avons

également des cas où il y a des propositions juxtaposées ou coordonnées (comme nous

l’indique la grille d’analyse), où le sujet est identique dans une suite de verbes. Dans ces cas-

là, nous pensons que l’auteur préfère ne pas exprimer le pronom sujet quand le contexte

fournit assez d’informations. À nouveau, il faut faire la remarque que des exigences de la

versification peuvent changer cette règle.

49

p.ex. Vers (473)-(474)-475-476

Pur ço vus volt Deus ci mener Dieu voulait vous amener ici pour

Que il vus voleit plus asener : vous donner encore une leçon :

Ses merveilles cum plus (x) verrez, plus vous verrez de ses merveilles,

En lui puis mult mielz (x) crerrez. plus vous croirez plus fermement en Lui par la suite.

En ce qui concerne les subordonnées, nous avons observé en grandes lignes les mêmes

conditions que pour les principales, à savoir l’absence du pronom dans une suite de verbes.

Quand dans un ensemble de vers qui forment un tout, le pronom se trouve déjà exprimé, les

autres vers ne contiennent la plupart du temps pas de pronom sujet. De plus, si un autre

élément occupe la position préverbale, il semble que la probabilité d’expression du pronom

sujet diminue davantage.

p.ex. Vers (563)-(564)-(565)-566

Dunc dist le abes : « Avez oïd Alors l’abbé parla : « Avez-vous entendu

Cum cist angele nus unt goïd ? la belle façon dont ces anges nous ont accueillis ?

Loëz Deu e gracïez, Louez Dieu et rendez-Lui grâces,

Plus vus aimet que (x) ne quïez ! » [car] Il vous aime plus que vous ne le pensez ! »

Dans cet exemple-ci, nous observons les deux conditions qui semblent favoriser la non

expression du pronom sujet : d’une part, le pronom complément objet direct qui est exprimé

dans la première partie du vers indique déjà de quelle personne il s’agit dans la deuxième

partie, et d’autre part, la particule ne de la négation occupe la position préverbale.

Nous pouvons faire les mêmes constatations : dans un enchaînement de vers, le pronom ne

sera probablement pas exprimé s’il est déjà exprimé quelque part d’autre ou s’il y a assez

d’information dans le contexte qui permet de récupérer le sujet. Si le pronom est quand même

exprimé deux fois de suite (p.ex. le vers 361 et 366), cela est dû, selon nous, ou bien à des

raisons d’insistance, ou bien à cause d’exigences de la versification.

3.4.4. Les pronoms anaphoriques

a) 3e personne singulier masculin – il

- Variantes morphologiques

Pour cette personne, nous retrouvons surtout la forme la plus fréquente, à

savoir il. Dans 22 des 25 attestations, l’auteur a utilisé cette forme. Dans les

trois autres cas, l’auteur se sert d’autres pronoms. Vu qu’il s’agit ici de

50

pronoms anaphoriques, l’emploi de pronoms démonstratifs ne surprend pas140. Évidemment, il

est difficile de dire si ces formes sont des pronoms sujets avec une valeur d’expression

renforcée grâce à l’emploi du démonstratif, ou si ce sont tout simplement des pronoms

démonstratifs. Néanmoins, nous avons observé une forte tendance à utiliser d’une part un

pronom démonstratif au début du vers (vu son début consonantique), et à utiliser un pronom

personnel sujet au milieu de la phrase (vu son début vocalique) d’autre part. En ce qui

concerne les pronoms démonstratifs utilisés dans notre corpus, nous avons observé 2

variantes : cil et chil.

- Analyse de cas d’expression

Le fait que nous ayons beaucoup plus d’attestations de pronoms anaphoriques, en

comparaison avec les pronoms déictiques, s’explique facilement par la nature de notre corpus.

Vu que la grande majorité de ce texte littéraire se compose de descriptions d’aventures,

l’attestation élevée de pronoms anaphoriques ne nous étonne pas.

Comme pour les autres pronoms, l’attestation du pronom il est plus fréquente dans une

subordonnée que dans une principale (14 attestations versus 11 attestations). Pour les

principales, nous avons repéré quelques caractéristiques remarquables. En premier lieu, nous

observons une tendance à exprimer le pronom sujet dans une introduction à un monologue (de

type il dist, il lur a dist, etc.), mais à deux conditions : ni la partie qui précède cette

introduction, ni la partie qui suit, ne peuvent contenir de références claires au pronom sujet il.

Le vers 545 en est un bel exemple : le vers introduit un monologue, et suit une partie où le

sujet est d’abord nous et ensuite tu :

p.ex. Vers (539)-(540)-(541)-(542)-(543)-(544)-545-(546)-(547)-(548)

Mal nen avum fors su litant : Nous n’avons pas d’autre punition que celle-ci :

La majestéd sumes perdant, nous sommes privés de la majesté [de Dieu],

La presence de la glorie, de la présence de Sa gloire

E devant Deu la baldorie. Et de la joie d’être devant Lui.

Le num del leu que tu quesis Cet endroit, dont tu demandais le nom,

C’est as Oiseus li Paraïs. » c’est le paradis des Oiseaux. »

E il lur dist : « Or ad un an Et il leur dit : « Il y a maintenant un an

Que avez suffert de mer le han ; que vous souffrez les épreuves de la mer

Arere sunt uncore sis il vous reste encore six ans [de voyage]

Ainz que vengez en paraïs avant que vous arriviez au paradis.

140

« Comme sujet, le démonstratif ce paraît plus fréquent que il ». Cf. Moignet, Gérard, Grammaire de l’ancien

français, p. 145.

51

Dans ces cas, nous pouvons également dire que le pronom sujet prend un relief particulier, et

que l’auteur voulait probablement exprimer le pronom pour des raisons de clarté : c’est une

forme de structuration du texte, afin que le lecteur comprenne le changement de sujets.

Ensuite, un autre élément qui nous frappe dans les principales, est le nombre de pronoms

sujets qui se trouve en tête de la phrase, en position préverbale ou séparé du verbe par un autre

pronom. Dans 7 des 11 attestations, nous trouvons une telle construction, les pronoms

démonstratifs (cf. supra) inclus. En regardant ces constructions de plus près, il nous semble

que les pronoms sujets y sont exprimés par une certaine nécessité : ou bien le sujet dans les

vers précédents était différent (p.ex. vers 195, les vers précédents ont le pronom nous comme

sujet), ou bien l’auteur introduit une nouvelle information qui demande la répétition du

pronom sujet (p.ex. vers 395, insistance sur Jésus-Christ). Ce dernier argument est difficile à

défendre, mais vu que nous avons observé une tendance à exprimer le pronom sujet s’il réfère

à Dieu ou à Jésus-Christ (p.ex. vers 473-474, vers 962), nous pensons que cela pourrait

justifier l’expression d’un pronom personnel sujet dans ce contexte-ci.

p.ex. Vers (191)-(192)-(193)-(194)-195

« De ton muster sumes meüd « Nous sommes partis de ton monastère

E desque ci t’avum seüd ; et nous t’avons suivi jusqu’ici ;

Lai nus, abes, a tei entrer permets-nous, abbé, de nous embarquer avec toi

E od tei, donz, par mer errer. » e de parcourir, seigneur, la mer avec toi. »

Il les cunut e sis receit. Brendan les reconnut et les accueillit.

p.ex. Vers (391)-(392)-(393)-(394)-395-(396)-(397)

Dist lur l’abes : « Seignurs, d’ici L’abbé lur dit : « Seigneurs, nous ne

Ne nus muverum devant terz di. repartirons d’ici avant trois jours.

Jusdi est oi de la ceine, C’est aujourd’hui le jeudi de la Cène,

Cum li Filz Deu suffrit peine ; où nous commémorons les souffrances du Fils de Dieu ;

Il nus est douz e prest amis Il est pour nous un ami doux et empressé

Qui prestement nus ad tramis qui nous a promptement envoyé

Dunt poüm la feste faire. de quoi célébrer la fête.

Pour les subordonnées, d’autres éléments sautent aux yeux. Nous avons, par exemple, certains

cas (à savoir dans 6 des 14 attestations) où le pronom sujet occupe la position préverbale, dans

un contexte où le sujet est déjà connu. Dans une situation pareille, il nous semble que le

pronom sujet est exprimé afin de saturer cette place préverbale.

p.ex. Vers (309)-(310)-311-312

Cum endormit furent trestuit, Lorsqu’ils furent tous endormis,

Ast vos Sathan qui l’un seduit : voilà que Satan se mit à tenter l’un [d’eux] :

(x) Mist l’en talent prendre an emblét il lui inspira l’envie de prendre en secret

De l’or qu’il vit la ensemblét. une partie de l’or qu’il voyait accumulé là.

52

En guise de conclusion de cette partie à propos de l’expression, nous devons encore faire une

remarque importante : le fait que, dans les subordonnées, nous ayons observé tant des formes

« qu’il » que des formes « que il », nous fait comprendre que l’auteur est conscient de son

choix d’expression de pronom. Vu que cela ne cause pas de différences pour les règles de la

versification, ce choix entre les deux formes nous semble la preuve que l’auteur est au courant

que certaines constructions syntaxiques favorisent ou défavorisent l’expression du pronom

sujet.

- Analyse de cas de non expression

La première chose que nous apercevons pour la non expression du pronom sujet il, c’est

l’énorme quantité de principales où le pronom est absent, en comparaison avec les

subordonnées. Plus de trois quarts de tous les vers où le pronom manque, sont des principales.

La condition insérée dans notre grille d’analyse à propos de la favorisation d’expression du

pronom sujet dans les subordonnées, se trouve donc confirmée dans notre corpus.

Pour les principales, nous avons observé trois caractéristiques qui semblent favoriser

l’absence du pronom sujet. Il s’agit en premier lieu de propositions juxtaposées ou

coordonnées, où le sujet est identique dans une suite de verbes. Si le contexte permet de

repérer les informations nécessaires à propos du sujet, le pronom sujet ne sera normalement

pas exprimé.

p.ex. Vers (14)-15-(16)

Mais tul defent ne seit gabéth Et certes, protège-le afin qu’on n’aille pas se

moquer de lui.

quant (x) dit que (x) set e (x) fait que (x) peot : quand il dit ce qu’il sait et qu’il fait ce qu’il peut :

Itel servant blasmer n’esteot. il ne faut pas blâmer un tel serviteur.

p.ex. Vers (1119)-1120-(1121)-1122)

Brandans ad fait sur eals la cruz. Brendan fit sur eux le signe de la croix.

Bien (x) set, pres (x) est d’enfern li puz : Il sait bien qu’il est [tout] près du puits de l’enfer :

Cum plus pres sunt, plus veient mal, Plus ils se rapprochent, plus ils voient le mal

Plus tenebrus trovent le val. plus la vallée leur apparaît plongée dans

l’obscurité.

En deuxième lieu, nous observons la tendance à ne pas exprimer le pronom dans une incise,

ou dans une principale introductive à un monologue. Nous avons mentionné plus haut que le

pronom était exprimé sous deux conditions dans de telles constructions. Si ces deux

conditions ne sont pas respectées, à savoir que le contexte autour du vers concerné contient

53

quand même de l’information claire à propos du sujet, le pronom ne sera probablement pas

exprimé.

p.ex. Vers (857)-858-859

Ast lur hostre chi tent un tref : Voici leur hôte qui dresse un pavillon :

Cunreid (x) portet pleine sa nef. il leur avait amené un plein bateau de provisions.

(x) Dist lur : ‘Ci streiz del tens un poi. Il leur dit : « Vous resterez ici quelques temps.

En dernier lieu, il s’agit d’une caractéristique que nous avons déjà mentionnée pour tous les

pronoms. Si un autre élément que le pronom sujet sature la position préverbale, nous avons

observé une tendance à ne pas exprimer le pronom sujet. Ces « autres éléments » sont de

nature diverse : des adverbes de manière (p.ex. vers 1095), des objets directs (p.ex. vers 59),

des pronoms objets directs (p.ex. vers 177) ou indirects (p.ex. vers 359), des pronoms

démonstratifs (p.ex. vers 412), etcétéra. Maints exemples dans notre corpus confirment cette

tendance :

p.ex. Vers (1093)-(1094)-1095-1096

Un chaliz mult festival L’abbé emporte un magnifique calice

Prent l’abes tut de cristal ; tout en cristal.

Bien (x) set de Deu ne resortet, Il est certain de ne pas se détourner de Dieu en le prenant,

Pur servir l’en quant (x) le portet. puisqu’il le destine à l’office divin.

p.ex. Vers (409)-(410)-(411)-412-(413)

Pain lur portet de sun païs : Il leur apporte du pain sans levain de son pays,

Grant e mult blanz guasteus alis ; en forme de grosses miches très blanches ;

E si lur falt nule rien, et s’il leur manque quelque chose,

Tut (x) lur truverat, ço (x) promet bien. il leur trouvera tout : cela il le promet bien.

L’este d’iloc l’abes anquist. L’abbé se renseigna sur la nature du lieu.

Finalement, il faut tenir compte de la versification qui peut aussi avoir son influence : le

pronom sujet peut être utilisé afin d’aboutir au total de huit syllabes par vers.

Les caractéristiques de la non expression dans les subordonnées peuvent être résumées, selon

nous, en deux grandes lignes. D’une part, il faut tenir compte de la structure de la principale à

laquelle le verbe se trouve subordonné. Si la principale, ou le contexte autour de cette

principale, contient assez d’information à propos du sujet, il semble que le pronom ne sera pas

exprimé dans la subordonnée. Afin d’analyser les conditions d’expression ou de non

expression d’un pronom sujet, il faut donc absolument aussi analyser le contexte, à savoir les

vers qui se trouvent autour du pronom sujet.

54

p.ex. Vers (763)-(764)-765-766

Ainz que vostre venir sousum, Avant [même] que nous apprenions votre arrivée,

Volt Deus qu’a vus cunrei ousum. Dieu a voulu nous fournir des provisions à votre intention.

Il le dublat plus que (x) ne solt ; Il augmenta la quantité au-delà de ce qu’Il avait l’habitude ;

Bien sai que (x) vus receivre volt. je sais bien qu’Il désirait vous recevoir.

D’autre part, les éléments qui se trouvent entre la conjonction de subordination (ou le pronom

relatif) et le verbe conjugué, peuvent aussi influencer le choix d’expression. Nous avons

l’impression que cet élément de saturation de la place préverbale revient dans tous les

contextes syntaxiques – tant dans les principales que dans les subordonnées. Nous avons déjà

énuméré à plusieurs reprises (cf. supra) la nature des différents éléments qui peuvent occuper

cette position préverbale. Nous ne les répéterons plus, mais voici quelques exemples qui

peuvent illustrer cette caractéristique :

p.ex. Vers (47)-48-49 :

Mais de une rien (x) li prist talent Mais il lui prit le désir d’une chose

dunt Deu prïer (x) prent plus suvent pour laquelle il se mit à prier Dieu plus souvent

Que (x) lui mustrast cel paraïs [à savoir] qu’Il lui montre le paradis

p.ex. Vers (1095)-1096

Bien (x) set de Deu ne resortet, Il est certain de ne pas se détourner de Dieu en le prenant,

Pur servir l’en quant (x) le portet. puisqu’il le destine à l’office divin.

En guise de conclusion de ce chapitre à propos du pronom sujet il, nous pouvons dire qu’il

paraît que les pronoms anaphoriques se comportent de manière légèrement différente des

déictiques. Ils sont surtout utilisés pour des raisons d’insistance ou de clarté, afin d’indiquer la

mise en relief du sujet dans le texte. En plus, nous ne pouvons pas oublier que le caractère du

texte peut également influencer cette tendance.

b) 3e personne pluriel masculin – ils

- Variantes morphologiques

Comme nous l’avons déjà mentionné, vu le sujet et l’histoire de notre corpus, il

n’est pas étonnant que notre corpus contienne beaucoup plus de pronoms

anaphoriques que de pronoms déictiques, tant au singulier qu’au pluriel.

Pour la troisième personne du pluriel, le pronom aurait pu être exprimé en 191 cas. Sur ce

total, nous ne l’avons rencontré que 19 fois, sous trois variantes morphologiques : il, cil et icil.

Vu que nous avons déjà parlé de l’apparition de pronoms démonstratifs lors de l’analyse de la

troisième personne du singulier, nous n’insisterons plus ici.

55

- Analyse de cas d’expression

Pour ce pronom, la quatrième condition de notre grille d’analyse est à nouveau affirmée : le

pronom sujet est plus souvent exprimé dans une subordonnée (15 attestations) que dans une

principale (4 attestations). De plus, sur ces quatre attestations, il n’y a que deux attestations

« classiques », vu que les deux autres ont des pronoms démonstratifs comme pronom sujet.

Dans les deux « véritables attestations », il nous semble que le pronom sujet est exprimé pour

des raisons de versification. Vu que le contexte qui précède les deux vers donne assez

d’informations, une mise en relief du sujet paraît illogique. L’éloignement du verbe ne peut

pas être un argument, vu qu’il n’y a qu’un élément qui sépare le pronom sujet du verbe

conjugué. Tenant compte de ces facteurs, nous pensons que l’expression de ces pronoms est

due aux exigences de la versification.

p.ex. Vers (807)-(808)-(809)-810

Tant em pristrent puis a celét en cachette ils en absorbèrent tant

Pur quei furent fol apelét, qu’ils méritèrent d’être traités d’insensés,

Quar li sumnes lur cureit sus car le sommeil les gagna,

Dum il dormant giseient jus. et ils s’étendirent sur le sol.

p.ex. Vers 1194-1195-1196

Tel (x) nen out en tut lur eire. durant tout leur voyage, ils n’avaient jamais

rien vu de pareil.

Pur quel chose il ne sourent, Sans qu’ils ne sachent pourquoi,

Salt en l’uns fors ; puis (x) ne l’ourent. un des moines sauta par-dessus bord,

ensuite ils ne le retrouvèrent plus.

Quand nous passons à l’analyse des subordonnées, nous voyons apparaître d’autres

caractéristiques. Les pronoms sujets dans les subordonnées se trouvent tous en position

préverbale, directement antéposés au verbe, à l’exception de deux phrases, où le pronom

conjoint y / i s’interpose. Nous sommes d’avis que ce pronom conjoint n’est pas capable de

saturer la position préverbale, de sorte que nous pouvons dire que tous les pronoms sujets

attestés dans des subordonnées, sont directement antéposés au verbe. La condition principale

de l’expression de ces pronoms nous semble donc la saturation de la position préverbale.

p.ex. Vers (445)-(446)-447-448-449-(450)

Puis que unt tut fait lur servise Après avoir célébré tout leur office

En la nef cum en eglise, sur le bateau comme dans une église,

Charn de la nef qu’il i mistrent, ils débarquèrent alors de la viande

Pur quire la dunc (x) la pristrent qu’ils avaient chargée à bord, pour la faire cuire.

De la busche (x) en vunt quere Ils s’en vont chercher du bois

Dunt le manger funt a terre. et préparent le repas sur la terre ferme.

56

Évidemment, il y a également des cas où le pronom sujet est exprimé pour des raisons

d’insistance ou de clarté. Mais vu que nous ne connaissons pas toujours l’intention initiale de

l’auteur (qui mettait à l’époque peut-être d’autres accents que nous aujourd’hui), il est

difficile d’expliquer en détail cette condition. L’élément qui nous a convaincue d’opter pour

la condition de la saturation de la place préverbale, est sans doute la comparaison avec les cas

de non expression : les différences sont frappantes.

- Analyse de cas de non expression

Quand nous comparons les cas d’expression avec les cas de non expression, deux choses nous

sautent immédiatement aux yeux. En premier lieu, nous observons beaucoup plus de

principales où le pronom manque, que de subordonnées : sur un total de 172 cas de non

expression, nous avons repéré 155 principales. La condition que nous avons déjà mentionnée

plus haut, se voit à nouveau confirmée. Deuxième élément que nous avons remarqué en

analysant en détail notre corpus, c’est l’annulation partielle de la condition de saturation de la

place préverbale par un pronom sujet. En termes plus concrets, nous avons observé que dans

les cas de non expression, il y a presque toujours un autre élément (qui n’est pas le pronom

sujet) qui occupe la position préverbale.

p.ex. Vers (301)-(302)-(303)-(304)-305-306

Cil aportent asez cunrei, Les moines apportent assez de provisions,

E n’en prestrent a nul desrei ; sans en prendre à l’excès (/trop) ;

Tant mangerent cum lur plout, ils mangèrent tant qu’il leur plut (/à leur faim),

E cum idunc lur en estout. Juste ce qu’il leur fallait dans cette circonstance.

De Deu loër (x) ne se ublïent Ils n’oublient pas de louer Dieu

Mais sa merci mult (x) la crïent. mais [au contraire] ils implorent sa grâce avec ferveur.

p.ex. Vers 599-(600)-601-602

Asez (x) en unt a remüers Ils en ont suffisamment en réserve

Que estre puisset lur baz enters. pour que leur bateau puisse être mis en état

de prendre la mer.

E bien de tut (x) se guarnissent Ils se ravitaillent bien de tout

Pur defalte (x) ne perisent. afin de ne pas périr par manque de provisions.

Dans les cas où un élément préverbal manque, nous devons recourir à une autre explication.

Dans la plupart de ces cas, il s’agit d’un ensemble de vers, où le sujet est identique dans une

suite de verbes.

p.ex. Vers 209-210

(x) Drechent le mast, (x) tendent le veil Ils dressent le mât, tendent la voile

(x) Vunt s’en a plain li Deu fetheil. les fidèles de Dieu s’en vont sans tarder.

57

p.ex. Vers 265-266

(x) Ferment la nef, eisent s’en tuit Ils attachent le bateau et descendent tous à terre

(x)Vunt la veie qui bien les duit. [puis] (x) suivent le chemin qui les conduit où il faut.

Ce que nous avons déjà mentionné pour d’autres pronoms, semble également être valable

pour le ils anaphorique : si l’auteur est d’avis que le lecteur a reçu ou recevra assez

d’informations à propos du sujet dans le contexte (c.-à-d. dans les vers précédents ou

suivants), il optera probablement pour la non expression du sujet. Vu que le pronom sujet

n’est pas encore obligatoire dans la syntaxe, il nous semble que l’auteur juge une expression

d’un pronom – sans qu’il apporte quelque chose à l’information de la proposition – comme

superflue et contingente.

c) 3e personne singulier féminin – elle

- Variantes morphologiques

Les pronoms féminins de la troisième personne

connaissent un taux très bas d’apparition dans notre

corpus, mais cela s’explique facilement. Vu que les

personnages du texte sont tous des hommes, les seules attestations de formes féminines se

font par référence à des choses inhumaines, comme « la bête » ou « la tempête » par exemple.

Pourtant, nous ne pouvons pas être certaine du genre des mots en ancien français. La seule

attestation dans tout notre corpus se fait sous la forme il, référant à « une bête » ou « un

serpent marin ». Nous nous abstenons de formuler des conclusions à propos de cette

problématique, vu que notre corpus ne nous le permet pas. Les analyses suivantes se font dans

la conception que le référent est féminin. Si nous nous sommes trompée, et cela à cause des

restrictions que notre corpus nous impose, ces analyses valent quand même pour le pronom

masculin il.

- Analyse de cas d’expression

Dans tout notre corpus nous n’avons trouvé qu’une attestation de ce pronom, dans une

subordonnée relative. Vu que le pronom se trouve entre la conjonction de subordination et le

verbe conjugué, nous supposons que le pronom est exprimé pour saturer la position

préverbale.

58

Vers (913)-(914)-915-916

Peril n’i oust fors sul de denz, Même si la bête n’avait été redoutable que par ses dents,

Sil fuïssent mil e cinc cenz. [rien qu’à les voir] quinze cent hommes auraient pris la

fuite.

Sur les undes que il muveit, Pour obtenir une grande tempête, il ne fallait pas plus

Pur grant turment plus n’estuveit. que les vagues qu’elle soulevait.

- Analyse de cas de non expression

Dans la totalité des vers où le pronom est absent, les principales (13 cas) sont plus

nombreuses que les subordonnées (2 cas). Pour ces dernières, nous avons d’une part une

subordonnée complément circonstanciel de conséquence, où la position préverbale est

occupée par un pronom d’objet direct (cf. 950), et d’autre part une subordonnée de lieu sans

élément préverbal (cf. vers 1157). Mais vu que ce dernier vers se trouve dans une énumération

de caractéristiques du sujet (une « bête de la mer »), nous pensons que l’auteur a jugé

l’expression du pronom sujet comme superflue. Pour les principales, deux vers nous

surprennent :

p.ex. Vers 931-932

Ceste cunuit sa guarrere ; La première bête reconnaît son ennemie,

(x) Guerpit la nef, (x) traist s’arere. elle se détourne du bateau et recule.

p.ex. Vers (951)-952

E puis que fist la venjance, Ayant ainsi accompli sa vengeance,

(x) Realat a sa remanance. elle regagna son repaire.

L’élément qui nous surprend, c’est que le verbe se trouve en position initiale du vers, et

qu’une telle construction est rare dans notre corpus du pronom elle. Les autres principales ont

toutes un élément qui occupe la position préverbale, qui peut être de nature différente : un

adverbe de manière ou de lieu, un objet (direct ou indirect), un pronom, etcétéra.

d) 3e personne pluriel féminin – elles

- Variantes morphologiques

Pour le féminin pluriel de cette 3e personne, nous avons

rencontré les mêmes problèmes qu’au singulier : vu l’absence de

personnages féminins dans Le voyage de Saint Brendan, les référents qui pourraient être

exprimés par le pronom elles sont tous inhumains. Nous n’avons donc pas la possibilité, à

cause des restrictions imposées par notre corpus, d’analyser ce pronom comme il faut.

59

- Analyse de cas d’expression

Dans la totalité de vers examinés, nous n’avons trouvé nulle part un pronom qui pourrait être

l’équivalent de elles.

- Analyse de cas de non expression

Les six vers où le pronom elles aurait pu être exprimé, sont tous des principales. À l’exception

du vers 934, tous les vers ont un élément qui occupe la position préverbale, qui peut être de

nature diverse. Nous avons donc une situation comparable à celle du pronom féminin

singulier elle. Les vers se trouvent dans une suite de verbes, à savoir dans une description.

Comme nous l’avons déjà mentionné, nous pensons que l’auteur évitait d’exprimer le pronom

sujet si les informations fournies par le contexte suffisaient pour comprendre de quelle

personne il s’agissait.

3.4.5. Pronom en développement : on

Ce pronom ne figure pas dans notre schéma de récapitulation, et n’est presque pas traité dans

les grammaires historiques. Pourtant, nous avons observé quelques cas dans notre corpus où

l’utilisation du substantif l’homme s’approche de l’emploi comme pronom personnel sujet.

Les trois variantes que nous avons rencontrées dans notre corpus sont hoem, hom et (l’)um.

Vu qu’il s’agit d’un pronom sujet en développement – il s’approche davantage du substantif

que du pronom – il s’avère difficile de dire s’il y a des cas de non expression. Dans les cas où

le pronom aurait pu être exprimé, le contexte fournit normalement assez d’informations afin

que le lecteur puisse comprendre de quelle personne il s’agit. Il nous semble utile de

mentionner cette tendance, mais vu que les grammaires ne nous fournissent pas vraiment de

base théorique pour ce pronom141, nous n’insisterons plus.

p.ex. Vers (241)-(242)-243

Cum lur avient li granz busuinz, Quand ils sont dans le [plus] grand besoin,

A ses fetheilz Deus n’est luinz : Dieu n’est pas loin de ses fidèles :

Puroc ne deit hoem mescreire. c’est la raison pour laquelle on ne doit pas

manquer de foi.

141

Nous retrouvons quelques informations sommaires chez Moignet :

« Le pronom on, l’on (l’en) est, à l’origine, le cas sujet du substantif signifiant « homme ». Il devient assez tôt –

vers le XIe siècle – le pronom de la personne sujet indéterminée ». Cf. Moignet, Gérard, Grammaire de l’ancien

français, p. 146.

60

p.ex. Vers 953-(954)-(955)-(956)-(957)-(958)

Ne deit hom mais desesperer, Quand on voit Dieu si prompt

Ainz deit sa fait plus averer à fournir nourriture et vêtement,

Quant veit que Deus si prestement à porter secours à ceux qui sont en grand danger,

Vivere trovet e vestement, et à les arracher aux griffes de la mort,

E tanz succurs en perilz forz on ne doit jamais désespérer,

E estorses de tantes morz. mais plutôt raffermir sa foi.

3.5.Conclusion intermédiaire

En analysant le fonctionnement des différents pronoms personnels sujets dans notre corpus,

nous avons pu repérer quelques caractéristiques représentatives pour le microsystème du texte

littéraire que nous avons examiné. Même si nous inclinons à penser qu’elles représentent le

système du pronom personnel sujet en ancien français, il est dangereux de faire de telles

conclusions. Nous ne pouvons pas oublier que nous n’avons examiné qu’un segment du

diasystème de l’ancien français, et que, par conséquent, une généralisation globale ne se

justifie pas.

En premier lieu, nous avons constaté un taux d’expression plus élevé dans les subordonnées

que dans les principales. Cette constatation, que la grille d’analyse nous a également indiquée,

est valable pour tous nos pronoms sujets. En deuxième lieu, il semble que la saturation de la

position préverbale est la raison la plus importante de l’expression du pronom sujet. Nous

avons observé à plusieurs reprises que la non expression du pronom sujet est favorisée quand

un autre élément occupe cette position préverbale.

Ensuite, l’auteur peut également choisir d’exprimer le pronom sujet pour des raisons de mise

en relief. Cette mise en relief fonctionne de deux manières. D’une part, il peut s’agir de

raisons d’insistance, afin que le lecteur soit conscient que c’est bien ce sujet-là qui accomplit

l’action. D’autre part, l’auteur peut invoquer des raisons de clarté, afin que le lecteur puisse

suivre sans problèmes les changements de sujets. Cette troisième caractéristique devient

particulièrement claire lors d’un discours direct (p.ex. Il dist : « Jo…), vu le changement

presque obligatoire de sujet.

Une quatrième caractéristique concerne la non expression du pronom sujet dans une suite de

verbes. Lors d’une énumération d’actions par différents verbes, le pronom sujet est presque

toujours omis. Si le contexte autour de cette énumération donne assez d’informations à propos

61

du sujet, l’auteur sera enclin à ne pas exprimer le pronom sujet. Cette information peut être

apportée par un autre pronom sujet, mais également par un pronom complément d’objet

direct, par un vocatif, etcétéra. Si le lecteur a reçu assez d’informations, l’expression du

pronom sujet sera probablement considérée comme superflue.

Comme cinquième et dernière caractéristique, nous voulons insister sur les exigences que peut

imposer la versification. Tentant compte du genre littéraire de notre texte, nous avons souvent

eu l’impression que le pronom sujet n’était pas exprimé pour une raison syntaxique, mais

simplement afin d’obtenir un octosyllabe. Cette caractéristique, qui n’est pas représentative du

diasystème du pronom personnel sujet en ancien français, est sans doute très importante dans

notre corpus.

En guise de conclusion, nous pouvons dire que nous avons observé quelques caractéristiques

dans ce microsystème de notre corpus, qui semblent être représentatives pour le diasystème

plus général de l’ancien français. Nous pensons surtout à la saturation de la position

préverbale et aux raisons de mise en relief du sujet.

62

4. L’expression du pronom sujet en francoprovençal

4.1.Observations théoriques

4.1.1. Caractéristiques du francoprovençal

Les dialectes qui nous intéressent dans ce chapitre sont ceux qui appartiennent au

francoprovençal. Cette langue qui, à cause d’une absence de standardisation, est constituée

d’un ensemble de différents parlers, est un laboratoire merveilleux pour les dialectologues142.

L’isolement géographique est à l'origine des particularités tant linguistiques que

socioculturelles de ces dialectes143. Et pourtant, ce n’est que depuis ± 140 ans que les

linguistes considèrent cet ensemble de parlers comme une langue romane à part144. Un des

acquis de la recherche en dialectologie est donc la « découverte » du francoprovençal. Le

linguiste italien Ascoli était le premier à désigner cet ensemble de parlers comme une langue

vers 1870145. Avant cette date et pendant très longtemps, ces parlers étaient considérés comme

une sorte de mélange entre le français et le provençal. De là vient la dénomination fautive

franco-provençal, avec trait d’union, qui donne l’impression que ces parlers sont le résultat

d’une fusion de deux autres systèmes linguistiques. Le francoprovençal est plutôt un

diasystème serré dans l’espace entre deux autres systèmes linguistiques. Néanmoins,

l’acceptation du francoprovençal comme une langue à part connaît un grand obstacle :

l’absence d’une standardisation. Vu que les locuteurs du francoprovençal n’ont jamais

constitué un groupe assez grand ni homogène dans la région où ils habitent, ils n’ont jamais

pu imposer leur langue146. Le groupe n’est pas « une couche […] suffisamment compacte et

continue sur le plan géographique »147 : vu la condition géographique (la dispersion dans la

région alpine pour les dialectes suisses), l’élaboration d’une langue fixe est difficile.

Par conséquent, cette langue est composée aujourd’hui d’une collection de parlers locaux, qui

ont des points en commun, mais qui diffèrent aussi l’un de l’autre. Le francoprovençal est un

domaine unique dans l’ensemble des langues romanes ; la variation linguistique dans une

même langue n’est nulle part aussi grande. Federica Diémoz reformule la spécificité de cette

142

Diémoz, Federica, « Le pronom personnel sujet de la 3e personne du singulier et le sujet neutre en

francoprovençal valaisan : étude morphosyntaxique », p. 177. 143

Jeanjaquet, Jules, « Les patois valaisans. Caractères généraux et particularités », pp. 43-44. 144

Knecht, Pierre, « La Suisse Romande », 1985, p. 128. 145

Marchello-Nizia, Christiane et Picoche, Jacqueline, Histoire de la langue française, p. 15. 146

Knecht, Pierre, « La Suisse Romande », pp. 143-146. 147

Herman, József, Du latin aux langues romanes – études de linguistique historique, p. 47.

63

langue de la manière suivante : « L’aire francoprovençale, située à la charnière des domaines

gallo-roman et gallo-italien est, par sa position géolinguistique et par l’absence d’une koinè,

un excellent laboratoire pour l’observation des évolutions linguistiques spontanées qui sont en

cours »148. Bref, c’est une langue « particulièrement propice pour étudier ces phénomènes si

complexes de fluctuations »149.

4.1.2. Caractéristiques du pronom sujet en francoprovençal

Pour toutes les grandes langues romanes, officielles et standardisées, nous connaissons la

situation linguistique du pronom personnel sujet. En espagnol par exemple, les désinences

verbales suffisent pour indiquer la personne, de sorte que les pronoms personnels sujets ne

sont pas obligatoires. C’est une langue à sujet nul, où « le pronom sujet n’est utilisé que pour

la mise en relief ou la désambiguïsation »150. En français par contre, l’expression du pronom

sujet est obligatoire, vu l’incapacité des désinences de nous fournir l’information nécessaire à

propos de la personne.

Le système du pronom personnel sujet en francoprovençal vacille entre ces deux extrémités.

C’est un diasystème instable serré dans l’espace entre d’une part, le français, qui connaît une

expression obligatoire du pronom sujet, et d’autre part le provençal, qui connaît une absence

générale du pronom sujet. Nous avons déjà mentionné l’absence de standardisation et les

différences entre les différents parlers des villages151 en francoprovençal, il ne nous surprend

donc pas de trouver un système instable pour les pronoms sujets. Le francoprovençal est une

langue « split pro-drop »152, où l’expression du pronom sujet dépend de plusieurs facteurs :

« la personne grammaticale, le verbe (le choix du verbe, la présence d’une consonne initiale),

la construction, etcétéra »153. De plus, « les différentes personnes de la deixis verbale ne

fonctionnent pas de la même façon »154, facteur qui complique d’avantage l’analyse des

données dialectologiques. La grande quantité de formes morphologiques et de conditions

148

Diémoz, Federica, « Le pronom personnel sujet de la 3e personne du singulier et le sujet neutre en

francoprovençal valaisan : étude morphosyntaxique », p. 177. 149

Jeanjaquet, Jules, « Les patois valaisans. Caractères généraux et particularités », p. 51. 150

Hinzelin, Marc-Olivier et Kaiser, Georg, « Le paramètre du sujet nul dans les variétés dialectales de l’occitan

et du francoprovençal », 2007, p. 1. 151

Voir à ce propos également : Jochnowitz, George, Dialect boundaries and the question of franco-provençal,

1973. 152

Hinzelin, Marc-Olivier et Kaiser, Georg, Op. Cit., p. 2.

Remarque : la théorie de la notion « pro-drop » a surtout été élaborée par Noam Chomsky :

Chomsky, Noam, Lectures on Government and Binding: The Pisa Lectures. 153

Hinzelin, Marc-Olivier et Kaiser, Georg, Op. Cit., p. 7. 154

Diémoz, Federica, « Le pronom personnel sujet de la 3e personne du singulier et le sujet neutre en

francoprovençal valaisan : étude morphosyntaxe », p. 177.

64

d’emploi nous fait conclure « qu’on ne peut pas dégager un diasystème, une réalité virtuelle à

laquelle pourraient s’identifier tous les locuteurs »155.

Cependant, s’il s’avère difficile de dégager un diasystème pour ces parlers, les linguistes ont

quand même pu repérer quelques caractéristiques générales. Les parlers de la zone orientale,

sur la rive droite du Rhône, favorisent le non-emploi du pronom sujet, comme par exemple le

dialecte parlé dans la localité d’Arbaz. Le corpus de l’ALAVAL confirme avec les données

recueillies dans cette zone orientale les théories d’Olszyna-Marzys156. Les parlers de la zone

occidentale, sur la rive gauche, privilégient plutôt l’expression du pronom, ce que nous

observons clairement dans les localités d’Évolène et de St-Jean. Les autres parlers, plutôt dans

le sud et le sud-ouest, comme Isérables et Troistorrents, emploient facultativement le

pronom157. Dans les dialectes qui expriment facultativement le pronom sujet, les linguistes ont

observé que le pronom de la 2e personne du singulier est exprimé avec une fréquence plus

élevée que dans les autres parlers. Les pronoms anaphoriques sont le plus souvent omis, en

comparaison avec les pronoms déictiques158.

Une autre caractéristique générale par rapport à laquelle les linguistes sont d’accord, c’est la

tendance à ne pas exprimer le pronom sujet lorsqu’un autre élément se trouve devant le verbe.

La condition de la saturation de la position préverbale, sur laquelle nous avons tant insisté

dans le chapitre précédent, vaut également pour les patois francoprovençaux : « […] nous

avons constaté que la présence d’un élément de négation peut entraîner le non-emploi du sujet

pronominal […] la présence d’un pronom régime peut également inhiber l’apparition du

pronom sujet »159.

4.2.Analyse du corpus160

4.2.1. Différences frappantes selon les localités

Lorsqu'on prend en considération l'ensemble des localités, la grande variabilité est frappante.

Nous pouvons mettre cette variabilité en rapport avec la situation géographique161. Les

155

Diémoz, Federica, Morphologie et syntaxe des pronoms personnels sujets dans les parlers francoprovençaux

de la Vallée d’Aoste, 2007, p. 325. 156

Diémoz, Federica, « Le pronom personnel sujet de la 3e personne du singulier et le sujet neutre en

francoprovençal valaisan : étude morphosyntaxe », p. 182. 157

Diémoz, Federica, Op. Cit., p. 180. 158

Ibid., p. 177. 159

Ibid., p. 180. 160

Pour cette partie, nous nous sommes basée sur les analyses que nous avons faites dans le cadre de notre

travail de bachelier l’année passée :

cf. Dubois, Céline, L’expression du pronom sujet dans les dialectes de la Suisse romande.

65

barrières naturelles entre les communautés, à savoir les massifs montagneux, les ravins, les

différences d’altitude, etcétéra, provoquent l’isolement des points d’enquête. Cet isolement ne

provoque pas seulement la conservation de formes archaïques, mais favorise également

l’innovation locale162, de sorte que nous sommes confrontée à un ensemble de différents

microsystèmes. Olszyna-Marzys l’indique clairement : « le caractère fermé des communautés

favorisa aussi bien le conservatisme linguistique que l’émiettement des parlers locaux »163.

Ensuite, nous remarquons directement une fréquence élevée de non expression du pronom

personnel sujet dans les parlers d’Arbaz, tant chez le témoin féminin que chez le témoin

masculin. L’argument morphosyntaxique du nombre semble jouer un rôle important, vu que

les témoins n’utilisent le pronom sujet que dans certaines constructions avec un verbe au

singulier. Évolène constitue l’exemple tout à fait opposé. Dans cette localité, le pronom est

presque toujours présent ; chez le témoin féminin nous retrouvons toujours un pronom, chez

le témoin masculin, nous n’observons que deux fois – sur l’ensemble de treize cas – des

exemples de non expression. Dans les autres localités, ni la présence ni l’absence ne sont

majoritaires : l’expression du pronom dépend d’autres facteurs, ou paraît même parfois

arbitraire – comme si le choix de l’expression du pronom dépendait du sentiment du locuteur.

L’expression du pronom sujet ne dépend toutefois pas de règles grammaticales fixes.

p.ex. Arbaz (non expression généralisée) Evolène (expression généralisée)

Ø vˈ jʏ vaː ɛ ẓ

Il va à la forêt. Il va à la forêt

Ø ʃɛ ʃˈɔpɛ ɛ ʒ xrˈɛ lʏ ʃœ ʃˈɔpœ lœ ʒ oɡrˈœʎɛ

Elle se bouche les oreilles. Elle se bouche les oreilles.

Ø ẽŋyə jɪ vˈan eɪ vˈɛ ɛ

Ils vont aux vendanges. Ils vont aux vendanges.

4.2.2. Les formes morphologiques

Les dialectes du Valais central sont caractérisés par un polymorphisme extraordinaire. Les

tableaux récapitulatifs que nous avons composés164, montrent la grande variation de

possibilités en ce qui concerne les formes morphologiques. Pour la 3e personne masculin du

singulier, nous avons observé 7 formes différents : [ɪ], [jë], [jʏ], [i], [l], [e] et [j]. Pour le

161

Olszyna-Marzys, Zygmunt, Les pronoms dans les patois du Valais central – étude syntaxique, 1964, pp. 7-11. 162

Knecht, Pierre, « La Suisse romande », p. 148. 163

Olszyna-Marzys, Zygmunt, Les pronoms dans les patois du Valais central – étude syntaxique, p. 8. 164

Pour les tableaux récapitulatifs, voir le volume 2 "corpus".

66

féminin, la variation est encore plus grande, avec 13 formes différentes : [lʏ], [φ] [lɑ], [l],

[jɛː l], [ɪl], [ʏ], [ɪ], [h], [l], [ɛl], [ʏ] et [lʏ].

La variation morphologique semble aussi grande au pluriel qu’au singulier, mais cela peut

être dû aux dimensions de notre corpus165. Pour la troisième personne masculin du pluriel, le

corpus montre 7 formes différentes : [lɛ], [ɪ], [jʏ], [jɪ], [i], [ ] et [y]. La troisième personne

féminin est également présente sous 7 formes différentes : [lœ], [ ], [lɛ], [ɪ], [e], [ɛlɛ] et [l].

Nous sommes d’avis qu’il est inutile de vouloir chercher une explication pour ce

polymorphisme extraordinaire. Si un témoin est capable de donner plusieurs variantes

morphologiques pour le même pronom sujet à cause de sa position dans la phrase166

, nous ne

croyons pas qu’il soit possible de repérer des règles fixes pour le choix de la forme

morphologique du pronom personnel sujet. Évidemment, il faut insister sur le fait que ce

corpus est un corpus de la langue parlée, et que les attestations des pronoms sujets sont écrites

en alphabet phonétique. C’est grâce aux transcriptions précises des chercheurs de l’ALAVAL

que nous pouvons observer ce polymorphisme en détail.

4.2.3. Les conditions d’expression et de non expression

a) 3e personne singulier masculin – il

Tenant compte des variations entre les localités et même entre les témoins, nous pouvons

discerner deux grandes tendances qui favorisent l’expression du pronom sujet il. D’une part,

le pronom sujet semble surtout être exprimé en position initiale (c.-à-d. en tête de la phrase),

ce qui confirme les observations d’Olszyna-Marzys167. D’autre part, la présence d’une attaque

vocalique au début de la phrase (p.ex. quand le verbe qui suit le pronom sujet commence par

une voyelle) favorise davantage l’expression du pronom sujet. Dans tous les points d’enquête,

les locuteurs utilisent le pronom personnel sujet devant une attaque vocalique.

165

Nous voulons insister sur le fait qu’une recherche plus approfondie de cette matière augmentera sans aucun

doute la représentativité de ce travail. Comme nous étions limitée dans le temps, notre corpus est également

limité. 166

La variation morphologique est particulièrement frappante à Évolène : les locuteurs utilisent des formes

morphologiquement différentes dans presque chaque construction différente. Les tableaux récapitulatifs

montrent les différentes possibilités. 167

Olszyna-Marzys, Zygmunt, Les pronoms dans les patois du Valais central – étude syntaxique, p. 120 :

« La place normale du pronom sujet est en tête de phrase et immédiatement devant le verbe »

67

p.ex. Arbaz : pronom sujet en tête de phrase, devant une attaque consonantique :

Témoin féminin Témoin masculin

Ø vˈ Ø vˈɑː ɑ yˈøʏ

Il va à la forêt. Il va à la forêt.

p.ex. Arbaz : pronom sujet en tête de phrase, devant une attaque vocalique :

Témoin féminin Témoin masculin

l ɑ mˈo ɑ tˈiːhɑ l ɑ mˈo ɑ tˈiːhɑ

Il a mal à la tête. Il a mal à la tête.

Le corpus nous montre également des tendances qui favorisent la non expression du pronom

personnel sujet. Il est frappant comme le taux d’expression diminue dans les constructions

pronominales. Il nous semble que la présence du pronom réfléchi dans de telles constructions

est capable de saturer la position préverbale, éliminant ainsi l’expression du pronom sujet.

Même dans des localités où le pronom s’exprime presque toujours, comme par exemple à

Évolène, il y a une forte tendance à omettre le pronom sujet.

p.ex. Évolène (témoin masculin) – pronom sujet en tête de phrase

jʏ va n la zow

Il va à la forêt.

p.ex. Evolène (témoin masculin) – construction pronominale

Ø ʃœ ʀˈɔzɛ lɛ ʒ ʎe

Il se ronge les ongles.

b) 3e personne pluriel masculin – ils

Les deux structures de phrases examinées au pluriel indiquent la différence entre un pronom

en tête de phrase, ou un pronom au milieu de la phrase. En ce qui concerne les observations

générales, la non expression du pronom à Arbaz se généralise pour toutes les structures de

phrase, et l’expression du pronom à Évolène se prolonge également dans ces structures.

D’après les données du corpus, nous pouvons dire que le pronom sujet ils s’exprime plus

souvent en tête de phrase qu’au milieu de la phrase. En tête de phrase, sept attestations sur dix

connaissent une expression du pronom sujet (70%). Au milieu de la phrase, par contre, il n’y a

que trois attestations sur neuf (± 33%). Quand le pronom ne se trouve pas en tête de phrase,

l’expression devient donc moins fréquente vu que la position préverbale est saturée par

d’autres éléments. Prenons l’expression du pronom sujet à St-Jean comme exemple. Les

témoins expriment le pronom sujet en tête de phrase (même s’il y a une attaque consonantique

qui suit), mais ne l’expriment plus au milieu de la phrase :

68

p.ex. St-Jean – pronom sujet en tête de la phrase

Témoin féminin Témoin masculin

lɛ pˈɔ ə ɪ vˈan ɪ vˈɛ ə

Ils portent un veston noir. Ils vont aux vendanges

St-Jean – pronom sujet au milieu de la phrase

Témoin féminin Témoin masculin

də ʃˈɑ Ø ʃɔn də ə paɕˈa Ø ʃ ʎˈɛʒə

Dimanche passé, ils sont allés à l’église. Dimanche passé ils sont allés à l’église

Il nous semble que le pronom s’exprime plus fréquemment en tête de la phrase, vu qu’il sature

alors la position préverbale. Nous observons également que les formes morphologiques

utilisées en tête de la phrase sont plus fortes que celles utilisées au milieu de la phrase.

p.ex. Evolène – témoin féminin Evolène – témoin féminin

jʏ ẽᵑsᵄ dʏ ʃˈa ʃ ʒuk øː a l iˈøʒə

Ils vont à la vendange. Dimanche passé, ils sont eu (=ont été) euh.. à

l’église.

c) 3e personne singulier féminin – elle

Le pronom féminin singulier se caractérise par un taux d’expression plus élevé que le pronom

masculin singulier. Tandis que pour le pronom masculin, nous observons 27 cas d’expression

sur l’ensemble de 37 réponses, nous comptons 26 cas d’expression sur l’ensemble de 32

réponses pour le pronom féminin (± 73% versus ± 81%, en tenant compte que la construction

pronominale non composée ne pouvait pas être examinée pour elle). L’aspect conservatif ne

se vérifie pas dans cette construction, vu que nous retrouvons par exemple des cas

d’expression de ce pronom à Arbaz, localité normalement caractérisée par l’absence du

pronom.

En ce qui concerne les conditions d’expression, nous observons en grandes lignes les mêmes

tendances que pour le pronom masculin : une tendance à exprimer le pronom personnel sujet

en tête de phrase, surtout devant une attaque vocalique. De plus, la forme morphologique

utilisée devant une voyelle est souvent plus forte que lorsqu’elle se trouve devant une

consonne :

p.ex. Isérables (témoin masculin) – devant une attaque consonnantique

Ø ͥ ɛtˈɛ œ mɛjnˈɑ

Elle donne le sein au petit.

69

p.ex. Isérables (témoin masculin) – devant une attaque vocalique

ɪl ɐtsˈɛta ɔ pˈɛɪvrɛ e a sˈɔ o maɡɛʑˈɛn dœɛ vjˈɑːdɛ

Elle achète le poivre et le sel au magasin du village.

La tendance à ne pas exprimer le pronom sujet dans une construction pronominale revient

aussi pour le pronom elle. La saturation de la position préverbale par le pronom réfléchi est

sans doute une des raisons les plus importantes qui expliquent la non expression du pronom

sujet.

d) 3e personne pluriel féminin – elles

Pour le pronom sujet elles en tête de phrase, les résultats sont identiques à ceux du pronom

sujet masculin ils : une non expression généralisée à Arbaz, et une expression généralisée à

Évolène. En ce qui concerne les conditions d’expression, nous observons une tendance à

plutôt exprimer le pronom sujet en tête de phrase, vu qu’il sature alors la position préverbale.

Tant à St-Jean qu’à Troistorrents, il y a des exemples d’un témoin qui exprime son pronom

sujet en tête de la phrase, et qui ne l’exprime pas au milieu de la phrase.

p.ex. Troistorrents (témoin féminin) – en tête de la phrase

e vˈã - - ɪmtjˈɛːʁ

Elles vont aon.. arroser lui les fleurs .. ben au cimetière.

p.ex. Troistorrents (témoin féminin) – au milieu de la phrase

də ə pasˈo Ø ãː itˈʊ oː ʏlˈayə

Dimanche passé ils ont été au village.

En ce qui concerne les différences avec le pronom sujet masculin ils, le corpus ne nous

montre pas de divergences significatives. Nous sommes d’avis que l’absence de réponses

auprès de quelques témoins est capable d’influencer les interprétations. Vu que notre corpus

ne permet pas d’analyser plus d’attestations, nous n’insisterons plus.

4.3.Conclusion intermédiaire

Dans le cadre restreint de notre corpus, nous avons pu distinguer quelques caractéristiques

intéressantes. Ces considérations ne comptent que pour des phrases principales, vu que notre

corpus ne contient pas de phrases subordonnées. Tout d’abord, les différences selon les

localités sont remarquables, ce qui nous fait conclure que les dialectes du Valais suisse sont

un ensemble de microsystèmes. Ils appartiennent tous à la même base commune168, à savoir le

168

Jeanjaquet, Jules, « Les patois valaisans. Caractères généraux et particularités », p. 41.

70

francoprovençal, mais dû à de nombreuses causes, chaque parler connaît ses propres

caractéristiques.

Ensuite, dans l’ensemble des dialectes, nous observons une tendance à saturer la position

préverbale par un pronom sujet ou par un autre élément. Dans les cas où le verbe occupe

quand même la première place, il s’agit surtout de phrases attestées à Arbaz ou à Troistorrents

(où nous avons observé une tendance à ne pas exprimer le pronom). La tendance à saturer la

position préverbale devient particulièrement claire dans les phrases contenant des structures

pronominales avec un pronom réfléchi. Pour Évolène, localité caractérisée par une expression

généralisée, le pronom sujet ne s’exprime pas dans ces structures pronominales. La seule

explication valable est que le pronom réfléchi sature la position préverbale, de sorte que le

pronom sujet ne s’exprime pas.

Finalement, nous sommes d’avis que le contexte dans lequel ces phrases sont recueillies est

capable d’influencer l’expression du pronom sujet. Comme chaque phrase est le résultat d’une

traduction minutieuse à partir d’un énoncé en français standard, ces phrases ne s’imbriquent

pas dans un contexte plus large. Il est probable que le pronom est attesté pour des raisons

d’insistance, vu que chaque phrase se cadre dans un nouveau contexte. Dans les limites de ce

travail, il n’était pas possible d'approfondir cette question.

71

5. Comparaison des deux corpus

5.1.Introduction

Nous venons d’analyser le fonctionnement du pronom personnel sujet dans un microsystème

de l’ancien français d’une part, et dans un ensemble de microsystèmes du francoprovençal

d’autre part. Si nous revenons maintenant aux affirmations de Michel Banniard (cf. supra –

encadrement théorique), à savoir que les recherches en géographie linguistique peuvent

faciliter la compréhension de l’évolution langagière169, pouvons-nous appliquer cette approche

interdisciplinaire à nos deux corpus ? Évidemment, nous ne prétendons pas pouvoir expliquer

toute l’évolution langagière par le biais de cette confrontation de corpus. Notre objectif est

plutôt d’illustrer le fonctionnement du pronom personnel sujet dans ces systèmes linguistiques

spécifiques qui vacillent entre l’expression et la non expression, et d’examiner les

convergences et les divergences entre les deux. La comparaison et la confrontation de ces

deux systèmes non standardisés aident à démontrer que l’approche interdisciplinaire est

possible et utile, sans prétendre de pouvoir fournir une explication complète à propos de

l’évolution du pronom personnel sujet. Ce chapitre-ci donnera les réponses aux questions

posées à la fin de l’encadrement théorique (cf. supra – 2.3.3. questions à poser).

5.2.Convergences et divergences entre les corpus

a) En général

La convergence la plus importante entre les deux corpus est, nous le savons, l’état de

vacillation dans lequel les deux systèmes langagiers se trouvent. En ce qui concerne la nature

des deux corpus, nous pouvons également repérer quelques divergences significatives, comme

par exemple la dimension diamésique, le nombre de microsystèmes traités, ou l’influence de

la variation diaphasique170. En ce qui concerne les données chiffrées, il s’avère difficile de

comparer les deux corpus, vu les différences en dimension entre les deux171.

169

Banniard, Michel, « Géographie linguistique et linguistique diachronique ». 170

Voir à ce propos également les descriptions des corpus, dans la partie "méthodologie", cf. supra § 2.3. 171

Pour l’analyse détaillée des données chiffrées, nous référons aux tableaux récapitulatifs au début de chaque

corpus (cf. volume 2 – partie documentaire).

72

Évidemment, une comparaison des corpus en termes de caractéristiques générales de chacun,

n’est pas très utile. Ils sont composés dans des contextes complètement différents, qui ne

permettent pas d’être comparés. Les points intéressants à confronter, à savoir les données

linguistiques des corpus, seront discutés dans ce qui suit.

b) La variation morphologique

Si les deux langues connaissent une situation de polymorphisme comparable, cela n’implique

pas qu’il y ait des similitudes en ce qui concerne la variation morphologique. De plus, notre

corpus de dialectes est constitué de transcriptions phonétiques qui reformulent la

prononciation exacte des pronoms personnels sujets. Notre corpus d’ancien français par

contre, ne nous permet pas de récupérer la prononciation des pronoms sujets à cette époque,

vu qu’il s’agit d’un corpus de la langue écrite. La dimension diamésique de chaque corpus ne

nous permet pas de repérer des convergences entre les deux corpus en ce qui concerne la

variation morphologique.

c) Les conditions d’expression et de non expression

Vu que le corpus des dialectes se compose de traductions de phrases exemples, nous ne

pouvons pas examiner les différentes causes ou conditions d’expression comme nous l’avons

fait pour notre corpus en ancien français. Cependant, une condition a été révélatrice : la

saturation de la position préverbale. Lors de l’analyse du corpus d’ancien français, nous avons

insisté maintes fois sur l’importance de cette condition, et il en va de même pour le corpus du

francoprovençal. La construction phrastique qui nous permet de faire de telles conclusions

pour les deux corpus, est la construction pronominale. Quand un pronom réfléchi précède le

verbe, il est capable de saturer la position préverbale, favorisant ainsi la non expression du

pronom personnel sujet. Nous avons retrouvé ce phénomène dans les deux corpus :

Evolène – témoin masculin Vers 337

Ø ʃœ ʀˈɔzɛ lɛ ʒ ʎe Cunui ; a tuz confés (x) se rent,

Il se ronge les ongles. découvert ; il se confesse devant tout le monde

Arbaz – témoin masculin Vers 1227

Ø ʃe l tˈɑpo dx pjˈɑ kˈuntre kɑke tsˈuːʒɑ wɑ Fort (x) se teneit a la pere

Il s’est tapé du pied contre quelque chose là. De toutes ses forces il se tenait à la pierre

73

Un autre élément capable de justifier la condition de la saturation, est l’effet de la présence de

l’adverbe de négation ne. Dans le corpus d’ancien français, nous avons souvent indiqué cette

présence comme explication possible de la non expression du pronom personnel sujet. Nous

n’avons pas de tels exemples dans notre corpus de dialectes, mais Andres Kristol en parle

dans son article : « dans d’autres dialectes, leur emploi est conditionné par la présence ou non

d’un clitique régime préverbal ou d’un ne de négation »172.

Une divergence entre les deux corpus que nous voulons mentionner ici, est l’influence de

l’attaque vocalique ou consonantique du mot qui suit le pronom personnel sujet. Dans le

corpus dialectal, nous avons observé une tendance à exprimer davantage le pronom sujet

devant une voyelle que devant une consonne. Dans le corpus de Saint Brendan par contre,

cette attaque ne semble pas influencer l’expression ou la non expression du pronom sujet : le

corpus montre les deux possibilités.

p.ex. Arbaz – attaque consonantique Arbaz – attaque vocalique

Ø vˈ l ɑ mˈo ɑ tˈiːhɑ

Il va à la forêt. Il a mal à la tête

p.ex. Vers 395 – attaque consonantique Vers 146 – attaque vocalique

Il nus est douz e prest amis As quels il ert mult dulz peres

Il est pour nous un ami doux et empressé pour lesquels il était un très doux père

Vu les limites imposées par nos corpus, il nous semble fautif de vouloir tirer des conclusions à

partir de données qui ne sont pas exhaustives. Néanmoins, nous sommes d’avis que nous

pouvons formuler des présuppositions à propos des conditions favorables à l’expression du

pronom personnel sujet, comme par exemple la saturation de la position préverbale.

d) Les différences entre les personnes grammaticales

Le caractère restreint du corpus dialectal ne nous permet pas de proposer une comparaison

détaillée en ce qui concerne les différences entre les personnes grammaticales. Vu que nous

n’avons examiné que les pronoms anaphoriques, nous ne sommes pas capables d’indiquer les

différences avec les pronoms déictiques à partir des données du corpus.

172

Kristol, Andres, «Atlas linguistique audio-visuel du francoprovençal valaisan ALAVAL - La morphosyntaxe

du clitique sujet et le problème de la notion "pro-drop" », p. 8.

74

Les approches théoriques par contre, peuvent nous aider à faire quelques présuppositions.

Dans le chapitre à propos de la diatopie, nous l’avons déjà mentionné : dans les dialectes qui

expriment facultativement le pronom sujet, les linguistes ont observé que le pronom de la 2e

personne du singulier est exprimé avec une fréquence plus élevée comparé aux autres

pronoms173. Si nous appliquons cette affirmation à notre corpus en ancien français, nous

observons un résultat comparable. De toutes les personnes, la deuxième personne du singulier

connaît les pourcentages les plus élevés en ce qui concerne l’expression, à savoir 41

pourcent174. Une autre affirmation, à savoir que les pronoms anaphoriques sont le plus souvent

omis en comparaison avec les pronoms déictiques175, se confirme également en analysant les

statistiques. Les pourcentages élevés de non expression pour les pronoms anaphoriques

démontrent une tendance à omettre plus le pronom anaphorique que le pronom déictique. Il

nous semble qu’il y a une possibilité que ces affirmations faites à propos des dialectes

francoprovençaux peuvent également s’appliquer à l’ancien français. Une étude plus

approfondie de cette matière peut, selon nous, certainement apporter plus de certitude en ce

qui concerne ces affirmations.

e) L’influence de la position du pronom dans la phrase sur son expression

Pour les deux corpus, il semble que la position du pronom dans la proposition influence sa

modalité d’expression. Pour le corpus en francoprovençal, les résultats sont les plus clairs

pour les pronoms anaphoriques au pluriel. Dans quelques localités, le pronom s’exprime en

tête de la proposition, tandis qu’il ne s’exprime pas au milieu de la phrase. Pour cette raison,

nous pensons que Olszyna-Marzys176 a eu raison de donner la priorité à la place du pronom

dans l’énoncé pour déterminer sa présence ou son absence.

173

Diémoz, Federica, « Le pronom personnel sujet de la 3e personne du singulier et le sujet neutre en

francoprovençal valaisan : étude morphosyntaxe », p. 181. 174

Pour les autres pronoms personnels sujets, le pourcentage de non expression semble plus élevé que celui du

pronom sujet « tu ». Voici en guise d’illustration les autres pourcentages :

je 25% expression 75% non expression

tu 41% expression 59% non expression

il 12% expression 88% non expression

elle 6% expression 94% non expression

nous 28% expression 72% non expression

vous 7% expression 93% non expression

ils 9% expression 91% non expression

elles 0 % expression 100% non expression 175

Diémoz, Federica, « Le pronom personnel sujet de la 3e personne du singulier et le sujet neutre en

francoprovençal valaisan : étude morphosyntaxe », p. 177. 176

Olszyna-Marzys, Zygmunt, Les pronoms dans les patois du Valais central – étude syntaxique.

75

p.ex. St-Jean – pronom sujet en tête de la phrase

Témoin féminin Témoin masculin

lɛ pˈɔ ə ɪ vˈan ɪ vˈɛ ə

Ils portent un veston noir. Ils vont aux vendanges

St-Jean – pronom sujet au milieu de la phrase

Témoin féminin Témoin masculin

də ʃˈɑ Ø ʃɔn də ə paɕˈa Ø ʃ ʎˈɛʒə

Dimanche passé, ils sont allés à l’église. Dimanche passé ils sont allés à l’église

Néanmoins, vu l’influence que l’attaque vocalique ou consonantique peut avoir en

francoprovençal, nous ne voulons pas généraliser ces constats. En ce qui concerne le corpus

en ancien français, nous pouvons également dire que la position du pronom sujet peut avoir

son influence. Cependant, nous devons tenir compte de plusieurs autres facteurs. Il faut, par

exemple, voir le pronom sujet dans un contexte plus large, c’est-à-dire l’ensemble de vers

dans lequel il se trouve. Nous avons souvent observé dans notre corpus que l’expression d’un

pronom sujet peut favoriser la non expression du même pronom dans les vers environnants.

Vu que les caractères des deux corpus diffèrent, ils ne nous permettent pas de comparaison

complète à propos de l’effet de la position du pronom dans l’énoncé. Dans le corpus en ancien

français, l’auteur ou le scribe peut jouer avec l’ordre des mots afin d’obtenir une structure

rimée d’octosyllabes. Ainsi, le pronom personnel sujet n’est pas le seul élément capable

d’occuper la position préverbale. Dans le corpus du Valais central par contre, il s’agit de

témoins contemporains qui ne connaissent pas cette liberté d’ordre des mots. L’expression du

pronom personnel sujet, qui dépend de sa position dans la proposition et de la présence

d’autres éléments, est forcément différente dans nos deux corpus.

De plus, le type de proposition dans laquelle le pronom personnel sujet trouve, est à l'origine

d’une des divergences les plus significatives entre les deux corpus. Les grammaires

historiques nous ont indiqué que le pronom sujet est plus fréquemment exprimé dans une

subordonnée que dans une principale ; nos statistiques signalent la même chose.

76

Par contre, Andres Kristol affirme dans son article que quelques parlers francoprovençaux

attestent la tendance opposée177. En francoprovençal, l’expression est plus fréquente dans une

principale que dans une subordonnée178 :

L’emploi du clitique sujet est nettement plus fréquent dans les principales. Face à ce résultat,

spontanément, on est tenté de penser que l’absence du clitique dans les subordonnées pourrait

s’expliquer par le fait qu’il n’est pas nécessaire d’exprimer le sujet dans la subordonnée si celui-ci est

nommé dans la principale. En réalité, il n’est est rien : […] le non-emploi du clitique est parfaitement

courant même lorsque le sujet change.

En grandes lignes, nous pouvons dire que la position du pronom personnel sujet dans la

proposition est certainement capable de conditionner son expression, mais nous ne sommes

pas en mesure de déduire des convergences sur ce sujet entre les deux corpus.

5.3.Conclusion intermédiaire

Que pouvons-nous conclure de cette énumération de convergences et de divergences entre nos

deux corpus ? Tenant compte des points similaires entre les deux179

, nous pensons qu’une

comparaison entre les deux corpus peut s’effectuer. Même si nous avons repéré des

divergences significatives, la confrontation des deux corpus nous a apporté des convergences

qui semblent prouver qu’une approche interdisciplinaire est possible.

Néanmoins, afin de pouvoir dire avec certitude que notre étude apporte un nouveau point de

vue dans le domaine de l’interdisciplinarité, nous sommes d’avis qu’il faut élargir ce travail.

D’une part, la représentativité du corpus sera augmentée en ajoutant plus de sources, d’autre

part, il nous faut plus de temps afin de pouvoir analyser tous les documents en détail. En

revanche, nous ne voulons certainement pas dire que ce travail-ci n’apporte rien au champ de

recherche de l’interdisciplinarité. Même si nos deux corpus sont limités en dimension, ils ont

clairement pu montrer les possibilités d’interférence entre deux disciplines distinctes, à savoir

177

Il faut mentionner qu’Andres Kristol (cf. «Atlas linguistique audio-visuel du francoprovençal valaisan

ALAVAL - La morphosyntaxe du clitique sujet et le problème de la notion "pro-drop" ») indique lui-même que

ses collaborateurs et lui ont observé cette tendance, mais qu’ils ne sont, à ce moment-là, pas encore capables de

donner une explication pour ce comportement. Kristol le formule ainsi : « Les éventuelles raisons qui favorisent

l’emploi du clitique sujet dans la principale, et qui la défavorisent, relativement, dans la subordonnée, restent

encore à déterminer » (p. 10). Pourtant, le fait qu’ils définissent cette tendance comme déviante et étrange, laisse

sous-entendre qu’ils considèrent la situation telle que nous la trouvons en ancien français, comme la situation

standard. 178

Kristol, Andres, «Atlas linguistique audio-visuel du francoprovençal valaisan ALAVAL - La morphosyntaxe

du clitique sujet et le problème de la notion "pro-drop" », p. 10. 179

Nous pensons surtout à la condition de la saturation de la position préverbale et l’expression favorisée des

pronoms déictiques en comparaison avec les anaphoriques.

77

la diachronie d’une part, et la diatopie d’autre part. Les convergences que nous venons

d’énumérer (cf. supra), montrent qu’il y a des caractéristiques comparables dans chacun des

corpus. Nous sommes donc d’avis que notre travail peut fonctionner comme une sorte de

documentation de l’approche interdisciplinaire.

78

6. Conclusion générale

En guise de conclusion de ce travail, nous aimerions résumer les constats principaux de nos

recherches. Tant sur le plan théorique que sur le plan pratique, nous avons pu enrichir la

matière de notre sujet de recherche, à savoir le fonctionnement du pronom personnel sujet en

ancien français d’une part, et en francoprovençal d’autre part. Dans l’encadrement théorique

de ce travail, nous avons essayé d’esquisser le cadre scientifique dans lequel notre travail se

situe, à savoir l’interdisciplinarité et son apport à l’étude du pronom sujet. Dans l’introduction

de ce travail, nous avons mentionné que la diachronie et la diatopie, les deux champs de

recherche qui nous concernent, connaissent encore un grand nombre de questions qui restent

sans réponse. Un des objectifs de l’approche interdisciplinaire est précisément d’examiner les

possibilités de trouver des réponses à ces questions. Lors de nos observations théoriques de

chaque chapitre, il est devenu clair que les deux microsystèmes étudiés ont des

caractéristiques en commun et qu’ils se recouvrent sur un certain nombre de points. Ces

constatations nous font comprendre qu’une approche interdisciplinaire entre ces sous-

systèmes est possible et qu’elle pourrait même jeter de nouvelles lumières sur la matière

qu’on croit connaître180. L’approche pratique de ce travail, lors de l’analyse de nos corpus, a

également pu montrer dans une certaine mesure des convergences entre ces différents

microsystèmes en ce qui concerne le fonctionnement du pronom personnel sujet. Le chapitre

de comparaison comporte une énumération des convergences et des divergences observées

lors de nos analyses.

Dans l’encadrement théorique, nous avons mentionné une observation à propos du pronom

personnel sujet de la part d’Andres Kristol, à savoir qu’une langue qui n’exprime pas toujours

ses pronoms sujets ne doit pas forcément être considérée comme une langue inférieure181. Une

bonne preuve de cette affirmation pouvait être fournie, selon nous, par une analyse minutieuse

de données. Nos analyses ont montré que ces microsystèmes ne font pas partie de langues

inférieures. Au contraire, elles nous ont montré une énorme richesse, tant au niveau de la

variation morphologique qu’au niveau des possibilités d’expression et de non expression du

180

Van Acker, Marieke, « Introduction », (introduction au livre Latin écrit - roman oral ? : de la

dichotomisation à la continuité, 2008), p. 5 : « c’est souvent la confrontation et la comparaison qui nous amènent

à jeter de nouvelles lumières sur des réalités qu’on croit connaître ». 181

Nous l’avons déjà mentionné dans la partie 2.2. Le pronom personnel sujet.

79

pronom personnel sujet. En dépit d’un fonctionnement différent des langues standardisées, ces

états de langue instables fonctionnement sans problèmes selon leurs propres logiques

linguistiques.

Nonobstant les avantages de notre façon de procéder, nous devons reconnaître que notre

travail n’est qu’une illustration des avantages possibles que l’interdisciplinarité peut nous

apporter. Vu les délimitations de nos corpus, la représentativité de nos données n’est pas

toujours optimale, ce qui pourrait dévaloriser la scientificité de notre étude. Un

approfondissement des matériaux d’analyse augmentera sans doute la valeur de ce travail.

Nous ne pouvons pas prétendre non plus d’avoir démontré que l’approche interdisciplinaire

est capable d’éclairer l’évolution du pronom sujet. Cependant, nous voulons quand même

souligner les points forts de nos réflexions théoriques et de nos analyses de corpus qui

justifient en quelque sorte notre façon de travailler.

En premier lieu, l’analyse de nos corpus a pu nous montrer l’état de vacillation dans lequel

ces différents microsystèmes se trouvent, caractéristique que nous avons mentionnée lors des

observations théoriques. Le polymorphisme, l’instabilité syntaxique et les différentes

conditions d’expression et de non expression ne sont que quelques éléments qui démontrent

l’appartenance de nos corpus à des diasystèmes linguistiques instables. Cependant, nous

devons insister sur le fait que ces systèmes vacillants n’impliquent pas forcément une absence

complète de règles grammaticales. Le système langagier obéit à certaines règles syntaxiques,

mêmes si celles-ci ne sont pas fixées par une grammaire standard. Nous avons par exemple

observé dans nos corpus une tendance à saturer la position préverbale, avec un pronom sujet

ou avec un autre élément grammatical. Cette tendance ne dépend pas d’une règle syntaxique

fixe – aucune grammaire ne la prescrit –, mais elle est néanmoins suivie.

En deuxième lieu, nous avons pu repérer des ressemblances significatives entre les deux

corpus grâce aux raisonnements par analogie, concept-clé chez Michel Banniard182. Beaucoup

de caractéristiques des microsystèmes présents dans nos corpus se recouvrent. De plus, la

combinaison d’observations théoriques et d’analyse de corpus nous a permis de mieux définir

les caractéristiques du pronom personnel sujet dans chaque microsystème.

En ce qui concerne le microsystème en ancien français (cf. supra – chapitre 3), nous avons

constaté plusieurs choses. Grâce à la grille d’analyse, établie à partir du dépouillement de

182

Banniard, Michel, « Géographie linguistique et linguistique diachronique : essai d’analyse analogique en

occitano-roman et en latin tardif », p. 10.

80

grammaires historiques et de quelques manuels, nous étions dans la mesure d’examiner

correctement le fonctionnement des pronoms sujets. Suite à ces analyses, nous avons tout

d’abord constaté un taux d’expression plus élevé dans les subordonnées que dans les

principales. Ensuite, il nous semble que la saturation de la position préverbale est la raison la

plus importante de l’expression du pronom sujet. Le pronom est également employé pour des

raisons de mise en relief – pour l’insistance ou pour la clarté. Une autre caractéristique qui

peut favoriser l’expression du pronom sujet est seulement représentative pour ce

microsystème-ci ; il s’agit des exigences de la versification. La non expression est surtout

fréquente lors d’une suite de verbes ou dans un contexte connu, où l’expression du pronom

serait jugée comme superflue.

Lors de l’analyse des microsystèmes en francoprovençal (cf. supra – chapitre 4), nous avons

également pu faire quelques remarques intéressantes. Mis à part les différences frappantes

entre les localités à cause de l’isolement géographique des villages, nous avons pu observer

que l’expression du pronom sujet dépend surtout de sa position dans la phrase. Un pronom

sujet en tête de phrase, surtout devant une attaque vocalique, est plus fréquemment exprimé

qu’un pronom au milieu d’une proposition. Tout comme dans le microsystème de l’ancien

français, le francoprovençal est caractérisé par une tendance à saturer la position préverbale.

L’absence presque généralisée de pronoms sujets dans des constructions pronominales – où le

pronom réfléchi sature la place préverbale – est une preuve de cette constatation.

Le chapitre de la comparaison des deux corpus (cf. supra – chapitre 5) boucle en quelque sorte

toutes nos analyses, vu qu’il montre les convergences et les divergences entre les

microsystèmes. De cette comparaison, nous pouvons surtout conclure que les deux

microsystèmes se recouvrent en deux grands aspects. D’une part, le pronom sujet est

davantage exprimé lorsqu’il doit saturer la position préverbale. Il s’ensuit que le pronom sujet

s’exprime moins lorsqu’un autre élément occupe cette position. D’autre part, l’expression est

favorisée dans certaines structures grammaticales, pensons surtout aux subordonnées. Nous

avons également remarqué que les pronoms déictiques s’expriment plus que les pronoms

anaphoriques.

81

En grandes lignes, nous pouvons dire que le point de vue de notre travail n’est pas nouveau183,

mais que la confrontation et la comparaison de nos deux corpus n’avaient pas encore été

faites. Pour cette raison, nous pensons que notre travail, même s’il connaît quelques points

faibles, peut contribuer à établir des passerelles entre le fonctionnement de réalités langagières

actuelles et révolues.

183

Nous pensons surtout à l’œuvre de Michel Banniard, qui a apporté énormément au champ de recherche de

l’interdisciplinarité. Nous voulons également mentionner ici l’article d’Anthony Lodge, qui utilise les données

présentes dans les cartes de l’ALF (Atlas Linguistique Français) afin de faciliter la compréhension des processus

de standardisation de la langue française :

Lodge, Anthony, « The sources of standardisation in French – Written or spoken ? », 2008, , pp.74-79.

82

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Van Acker, Marieke et Van Uytfanghe, Marc (éds.), Latin écrit - roman oral ? : de la

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Verelst, Philippe, « Le voyage de Saint Brendan », traduction faite pour le cours « Oudfranse

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Faculteit Letteren en Wijsbegeerte

Academiejaar 2009-2010

L'expression du pronom sujet : entre diatopie et diachronie.

La situation dans les dialectes de la Suisse romande

et dans le Voyage de Saint Brandan

Corpus

Masterproef ingediend tot het behalen van de graad van

Master in de Historische Taal- en letterkunde: Frans - Spaans

Céline Dubois Promotor : Dr. M. Van Acker

Co-promotor : Prof. Dr. Philippe Verelst

Leescommissaris : Prof. Dr. Marleen Van Peteghem

Faculteit Letteren en Wijsbegeerte

Academiejaar 2009-2010

Partie documentaire

Corpus illustratif du chapitre 3 :

L’expression du pronom sujet en ancien français

1

Table des matières

1. Statistiques ………………………………………………………………… 2

2. Expression du pronom personnel sujet

a) je ………………………………………………………………………… 4

b) tu …………………………………………………………………………. 5

c) il …………………………………………………………………………. 6

d) elle ……………………………………………………………………….. 9

e) on ………………………………………………………………………… 10

f) nous ………………………………………………………………………. 11

g) vous ………………………………………………………………………. 14

h) ils …………………………………………………………………………. 15

i) elles ………………………………………………………………………. 18

3. Non-expression du pronom personnel sujet

a) je …………………………………………………………………………. 19

b) tu …………………………………………………………………………. 21

c) il …………………………………………………………………………. 22

d) elle………………………………………………………………………… 35

e) on ………………………………………………………………………… 37

f) nous……………………………………………………………………….. 38

g) vous……………………………………………………………………….. 40

h) ils ………………………………………………………………………… 44

i) elles……………………………………………………………………….. 57

2

1. Statistiques

Les cas d’expression

3

Les cas de non expression

4

2. Expression du pronom personnel sujet

a) Expression du pronom personnel sujet JE

Vers 117-118-119

ço dist Brandan : «Pur cel (x) vos di

Que de vos (x) voil ainz estre fi

que jo d’ici vos en meinge

Brendan dit : « Je vous le dis

parce que je veux être sûr de vous

avant que je ne vous emmène d’ici

Vers 432 – 433 – 434

U jo en vois e la (x) vus siu

Mult pres d’ici, la (x) vus truverai

Asez cunrei (x) vus porterai

où je m’en vais moi-même et où je vous suis.

Tout près d’ici, là je vous [re]trouverai

[et] je vous apporterai des provisions en grande quantité.

Vers 583 – 584

E il lur a dist : «De vïande

Jo vus truverai plentét grande ;

Il leur dit : « Je vous procurerai

des vivres en grande abondance ;

Vers 647

Prendre si tost jo vus defent

Je vous défends de boire de cette eau pour le moment

Vers 860

A voz cungez jo m’en revoi

Moi, avec votre permission, je repars.

Vers 1246 (2x) – 1247 (2x)

(x) Ne sai si jo mercit crie :

(x) Ne puis ne n’os, quar tant (x) forfis

je ne sais si je devrais implorer ton pardon :

je ne puis ni n’ose le faire, car j’ai commis un si grand crime

5

b) Expression du pronom personnel sujet TU

Vers 14

Mais tul defent ne seit gabéth

Et certes, (x) protège-le afin qu’on n’aille pas se moquer de lui

Vers 423 – 424 – 425 – 426

A cel isle que tu veis la,

Entre en ta nef Brandan, e va.

En cel isle anuit (x) entras

E ta feste demain (x) i fras

Monte à bord de ton bateau, Brendan, et va

dans cette île que tu vois là-bas.

Tu arriveras dans cette île cette nuit

et demain tu y célébreras ta fête [de Pâques]

Vers 513 – (514) – 515 – 516 – 517

« Si tu es de Deu creature,

de me diz dunc prenges cure !

Primes me di que tu seies,

En cest liu que tu deies,

E tu et tuit le altre oisel,

« Si tu es une créature de Dieu,

sois attentif à mes paroles !

Tout d’abord, dis-moi qui tu es,

ce que signifie ta présence en ce lieu,

la tienne et celle de tous les autres oiseaux,

Remarque : reformulation au vers 516

Vers 543

Le num del leu que tu quesis

Cet endroit, dont tu demandais le nom,

Vers 774 – 775 – 776 (2x) – 777 – (778)

Pur quei (x) moüs de ta terre,

Puis (x) revendras en tun païs,

Ileoc (x) muras u tu nasquis.

(x) Muveras d’ici la semaine

As uitaves de Thepaine

pourquoi tu as quitté ton pays,

puis tu reviendras chez toi,

[et] tu mourras là où tu est né.

Tu partiras d’ici dans une semaine,

à l’octave de l’Épiphanie. »

6

c) Expression du pronom personnel sujet IL

Vers 56

U il devreit par dreit setheir

[le lieu] où il aurait dû légitimement demeurer

Vers 58

pur quei e sei e nus fors mist

Si bien qu’il se fit bannir et nous avec lui

Vers 61

Ainz qu’il murget (x) voldreit vetheir

Avant qu’il meure il voudrait voir

Vers 83

Qu’il vit en mer e en terre

ce qu’il vit en mer et sur terre

Vers 108

Tuz les meilurs qu’il i vit

les tout meilleurs qu’il vit là

Vers 136

De ço faire qu’il lur charget

de faire ce qu’il leur ordonne

Vers 141

De tut l’eire cum il irat

tout au long du voyage, tel qu’il se déroulera

Vers 146

As quels il ert mult dulz peres

pour lesquels il était un très doux père

Vers 195

Il les cunut e sis receit

Brendan les reconnut et les accueillit.

Vers 311 – 312

(x) Mist l’en talent prendre an emblét

De l’or qu’il vit la ensemblét

il lui inspira l’envie de prendre en secret

une partie de l’or qu’il voyait accumulé là

Vers 336 – 337

Del larecin, cument il l’out

Cunuit ; a tuz confés (x) se rent

7

du vol, [et comprit] comment il l’avait

découvert ; il se confesse devant tout le monde

Vers 345

Dist al frere ço que il volt

L’abbé dit au moine les paroles qu’il souhaitait lui faire entendre

Vers 395

Il nus est douz e prest amis

Il est pour nous un ami doux et empressé

Vers 436 (2x) – 437 – 438

(x) Vait a l’sile que il bien vit

Vent out par Deu e tost (x) i fud

Mais bien grant mer (x) out trescurud

il navigue vers l’île qu’il distingue clairement

Dieu lui envoya un vent [propice] et il fut bientôt arrivé,

malgré qu’il eût parcouru un long parcours de mer

Vers (473) – 474

Pur ço vus vult Deus ci mener

Que il vus voleit plus asener :

Dieu voulait vous amener ici pour

vous donner encore une leçon :

Vers 525 – (526) – 527 – (528) – 529 – (530) – 531

Cil fut sur nus mis a meistre,

De vertuz Deu nus dut paistre ;

Puroc que (x) fu de grant saveir,

Sil nus estout a meistre aveir.

Cil fud mult fels par superbe,

En desdein prist la Deu verbe.

Puis que (x) out ço fait, lui servimes

Il avait été désigné comme notre maître,

et chargé de nous nourrir de la puissance divine ;

comme il était de grande science,

il nous fallait l’accepter comme maître.

Par orgueil il est devenu un méchant traître,

[et] s’est montré dédaigneux de la parole de Dieu.

Après qu’il eût fait cela, nous [avons continué] à le servir.

Vers 545

E il lur dist : « Or ad un an

Et il leur dit : « Il y a maintenant un an

8

Vers 583

E il lur a dist : «De vïande

Il leur dit : « je vous procurerai

Vers 592 – 593

Cil revisdout la cumpaine

Cum (x) lur ad dist, eissil firent,

il rendait visite à la compagnie

Ils firent tout ce qu’il leur disait,

Vers 765 (2x) – 766

Il le dublat plus que (x) ne solt ;

Bien sai que (x) vus receivre volt.

Il augmenta la quantité au-delà de ce qu’Il avait l’habitude [de donner]

je sais (/vois) bien qu’Il désirait vous recevoir.

Vers 885

Chil de venir ne s’est targét :

Il ne tarde par à se présenter,

Vers 962

‘Quar bien savum qu’il nus ad chers.’

« Nous avons la certitude qu’il nous aime. »

Vers 991 – 992

Ne dutez rien, il nus ert past,

Quelque semblant qu’il nus mustrast.

N’ayez pas peur ; il nous servira de nourriture,

tout hostile qu’il fût envers nous.

Vers 1139 (2x) – 1140

E (x) veit iceals, a tart li est

Que sun turment tut i ait prest.

il vit les moines, il fut impatient

de préparer le supplice qu’il leur destinait.

Vers 1197

Tuit unt oïd qu’il lur ad dit,

Tous avaient entendu ce qu’il leur avait dit,

9

d) Expression du pronom personnel sujet ELLE

Vers 915 – 916

Sur les undes que il muveit,

Pur grant turment plus n’estuveit.

Pour obtenir une grande tempête, il ne fallait pas plus

que les vagues qu’elle soulevait.

10

e) Expression du pronom personnel sujet ON

Vers 243

Puroc ne deit hoem mescreire

c’est la raison pour laquelle on ne doit pas manquer de foi

Vers 953

Ne deit hom mais desesperer,

on ne doit jamais désepérer,

Vers 960

Seignur servir bien deit l’um tel.’

un tel seigneur mérite bien qu’on le serve. »

11

f) Expression du pronom personnel sujet NOUS

Vers 52

Dun nus fumes deseritét

dont nous fûmes dépossédés

Vers 58

Pur quei e sei e nus fors mist

si bien qu’il s’en fit bannir, et nous avec lui.

Vers 127-128

‘Seignurs, ço que (x) penséd avum

Cum cel est gref nus nel savum

« Seigneurs, nous ne connaissons pas

la difficulté de ce que nous avons envisagé

Vers 391 – 392

Dist lur l’abes : « Seignurs, d’ici

ne nus muverum devant terz di

L’abbé leur dit : « Seigneurs, nous ne

repartirons pas d’ici avant trois jours.

Vers 402

altre quant nus or n’i truvum

puisque nous ne trouvons ici personne d’autre [à qui la demander]

Vers 470

U nus feïmes nostre feste

que nous avons célébré notre fête

Vers 531 – (532) – 533 – (534) – 535 – (536) – 537 – (538) – 539 – 540

Puis que out ço fait, (x) lui servimes

E cum anceis obedimes ;

Pur ço (x) sumes deseritét

De cel regne de veritét.

Mais quant iço par nus ne fud,

Tant en avum par Deu vertud :

(x) N’avum peine si cum cil

Qui menerent orguil cum il.

Mal (x) nen avum fors su litant :

La majestéd (x) sumes perdant,

Après qu’il eût fait cela, nous [avons continué] à le servir.

et à lui obéir comme auparavant ;

c’est pour cela que nous avons été déshérités

[et chassés] du royaume de la vérité.

Mais comme nous n’étions pas [nous-mêmes] coupables de ce méfait,

12

voici ce que nous a réservé la puissance de Dieu :

nous ne subissons pas les mêmes châtiments comme ceux

qui manifestèrent de l’orgueil comme lui.

Nous n’avons pas d’autre punition que celle-ci :

nous sommes privés de la majesté [de Dieu].

Vers 648 – 649 – 650

D’ici que (x) avum parlé od gent.

Quel nature nus ne savum

Aient li duit que (x) trovét avum. »

avant que nous ayons parlé avec les gens [du pays].

Nous ne savons pas quelle est la nature

des ruisseaux que nous avons trouvés. »

Vers 717

« Nus sumes ci vint e .iii. ;

« Nous sommes vingt-quatre ici,

Vers 727 – (728) – 729 – 730 – 731

Quant (x) oïmes en plusurs leus

Que ci maneit Albeus li pius,

Par Deu ci nus asemblames

Pur lui que nus mult amames.

Tant cum vesquit, (x) lui servimes

Quand nous entendîmes dire en plusieurs lieux

que le pieux Ailbe demeurait dans cette île,

nous nous réunîmes ici avec l’aide de Dieu

pour l’amour de lui, que nous aimions tant.

Sa vie durant nous le servîmes

Vers 741 – 742 – 743 – 744 – 745 – 746

De deus nus veint, el ne (x) savum,

La vïande que nus avum.

Nus n’i avum nul loreür,

ne n’i (x) veduns aporteür,

Mais chescun jurn tut prest (x) trovum,

Sanz ço qu’ailur nus nel ruvum,

La nourriture que nous mangeons

vient de Dieu, nous ne savons rien d’autre.

Nous n’avons personne qui travaille pour nous,

nous ne voyons personne apporter quoi que ce soit,

mais chaque jour nous trouvons tout prêt,

sans que nous ayons à le demander ailleurs,

13

Vers 753 – 754 – 755

Li clers est freiz que al beivre (x) avum,

Li trubles calz dun nus lavum.

E as hures que nus devum

[l’un], le clair, donne de l’eau fraîche que nous buvons,

[l’autre], le trouble, de l’eau chaude avec laquelle nous nous lavons.

à l’heure voulue,

Vers (1041) – (1042) – 1043 – (1044)

Quar tant cler’ est chascun’ unde

U la mer est parfunde

Que nus veüm desque en terre,

E peissuns tante guerre.

L’eau est si limpide

partout dans les profondeurs

que nous voyons jusqu’au fond de la mer

qui grouille de poissons ;

14

g) Expression du pronom personnel sujet VOUS

Vers 225

Metez vus en Deu maneie

Mettez-vous sous la protection de dieu

Vers 340

Vus le verrez murrir encui

[car] aujourd’hui même vous le verrez mourir

Vers 360 – 361

Quelque peril que vus veiez

que que veiez, (x) n’aëz poür

quel que soit le péril que vous voyiez.

Quoi que vous voyiez, n’ayez pas peur

Vers (365) – 366 – 367 – 368

E de cunrei nen esmaëz

Que vus ici asez n’en aiez :

Ne frat faile desqu’en (x) vendrez

En tel leu u plus (x) prendrez

Quant aux provisions, ne craignez pas

d’en manquer ici :

elles ne viendront pas à manquer jusqu’à ce que vous arriverez

en un lieu tel où vous en prendrez d’autres

Vers 457

Dist li abes : « Ne vus tamez,

L’abbé dit : « N’ayez pas peur,

Vers 646

Dist lur l’abes : « Retenez vus !

[mais] l’abbé leur dit : « Retenez-vous !

Vers 767 – (768) – 769 – 770

Des Thephanie al uitime di

Dunc a primes (x) muverez d’ici ;

Desque dunches (x) sujurnerez,

Puis a primes vus an irez.

Vous ne repartirez d’ici

que le huitième jour (/qu’une semaine) après l’Épiphanie ;

jursqu’alors vous resterez [ici],

ensuite, le jour venu, vous vous en irez. »

15

h) Expression du pronom personnel sujet ILS

Vers 64

Quel merite il recevrunt

[et] quelle punition ils recevront

Vers 182

Que il aveient portét iloec

Qu’ils avaient apportées

Vers 187

Entrerent tuit e il après

Ils embarquèrent tous, et lui ensuite

Vers 241

Cum lur avient li granz busuinz

Quand ils sont dans le [plus] grand besoin

Remarque : reformulation

Vers 372 – 373 – 374 – 375

que il eirent par Deu cumant,

e (x) unt pruvét tut a soüt

par miracles que (x) unt voüt

e bien (x) veient que Deus les paist

qu’ils voyagent sous les ordres du Seigneurs,

et ils en ont la preuve certaine

par les miracles dont ils ont été témoins

Et ils voient bien que c’est Dieu qui les nourrit

Vers 447 – 448 – 449

Charn de la nef qu’il i mistrent,

Pur quire la dunc (x) la pristrent

De la busche (x) en vunt quere

ils débarquèrent alors de la viande

qu’ils avaient chargée à bord, pour la faire cuire.

Ils s’en vont chercher du bois

Vers 465 – 466

E de dis liuues bien (x) choisirent

Le fou sur lui qu’il i firent

et ils distinguaient bien à dix lieues

le feu qu’ils avaient allumé dessus.

Vers 604

Cum il voldrent plus receivre.

autant qu’ils voulurent en accepter.

16

Vers 669 – 670

Tant (x) unt alét que ore (x) veient

Le leu u il aller deient :

Ils marchèrent tant qu’ils virent bientôt

le lieu où ils devaient se rendre :

Vers 800

E cil em prenent plus que cenz.

dont ils pêchent plus d’une centaine.

Vers 807 – 808 – (809) – 810

Tant (x) em pristrent puis a celét

Pur quei (x) furent fol apelét,

Quar li sumnes lur cureit sus

Dum il dormant giseient jus.

en cachette ils en absorbèrent tant

qu’ils méritèrent d’être traités d’insensés,

car le sommeil les gagna,

et ils s’étendirent sur le sol.

Vers 815 – 816

Desqu’en lur sens cil revindrent,

Pur fols forment tuit (x) se tindrent.

Dès qu’ils reprirent connaissance,

ils se rendirent tous compte de leur conduite insensée.

Vers 831 – 832 – 833 – (834) – 835 – 836

E (x) sunt ileoc desque al .iii. di.

(x) Turnerent s’en al samadi

E vunt siglant sur le peisun.

L’abes lur dist : ‘Fors eisum !’

Lur caldere qu’il peridrent

En l’an devant, or la virent ;

et ils restent sur l’île jusqu’au troisième jour.

Le samedi, ils repartent en bateau

et arrivent sur la baleine.

« Accoston », leur dit l’abbé,

et les moines de retrouver leur marmite

qu’ils avaient perdu l’année précédente.

Vers 903 – 904

Puis lur veint el dun (x) s’esmaient

Plus que pur nul mal qu’il traient :

Puis il leur arrive autre chose, dont ils ont plus peur

que de tous les [autres] périls qu’ils ont endurés :

17

Vers 914

Sil fuïssent mil e cinc cenz

[rien qu’à les voir], quinze cents hommes auraient pris la fuite.

Remarque : reformulation

Vers 976

Quelque peril que il traient.

Quel que soit le danger qu’ils courent.

Vers 995 – (996)

Al sun cumant cil le firent :

A tant de tens se (x) guarnirent.

Ils s’approvisionnèrent, suivant les ordres de l’abbé,

pour la période prescrite.

Remarque : reformulation

Vers 1005 – 1006

Mais (x) ne crement pur le purpens

Qu’il unt de Deu, e le defens.

Mais ils n’ont aucune crainte grâce à la résolution

que Dieu leur inspire et à la protection qu’il leur fournit.

Remarque : reformulation

Vers 1029 – 1030

Vunt s’en icil d’iloec avant ;

Par l’espirit Deu mult (x) sunt savant.

Ils repartent et continuent leur voyage ;

ils sont sûrs d’être conduits par l’Esprit de Dieu.

Vers 1194 – 1195 – 1196

Tel (x) nen out en tut lur eire.

Pur quel chose il ne sourent,

Salt en l’uns fors ; puis (x) ne l’ourent.

durant tout leur voyage, ils n’avaient jamais rien vu de pareil.

Sans qu’ils ne sachent pourquoi,

un des moines sauta par-dessus bord, ensuite ils ne le retrouvèrent plus.

18

i) Expression du pronom personnel ELLES

Nous n’avons pas trouvé d’attestations du pronom elles dans notre corpus.

19

3. Non expression du pronom personnel sujet

a) Non expression du pronom personnel sujet JE

Vers 171

Altres, (x) ço crei, avant cestui

Avant Brendan, je crois que personne d’autre

Vers 296

N’en prengez trop, ço (x) vus defent

[Mais] n’en prenez pas trop : cela, je vous le défends

Vers 329

Brandans lur dist : « Seignurs, (x) vus pri,

Brendan leur dit : « Seigneurs, je vous en supplie

Vers 414

(x) Ne sai s’osat, mais poi l’en dist

Je ne sais pas s’il était très causeur, mais le messager lui en dit très peu :

Vers 418

Unc en nul leu tant grant (x) ne vi

jamais en aucun lieu je n’en vis de si grandes. »

Vers 749

A di festal (x) ai tut le men

[et] les jours de fête j’en ai un pour moi tout seul

Vers 766

Bien (x) sai que vus receivre volt

je sais (/vois) bien qu’Il désirait vous recevoir

Vers 772

U (x) mansisse si volunters

[de lieu] où j’aurais voulu rester plus volontiers. »

Vers 863 – 864

Ne dutez rien ; ne (x) demurai :

Quant mesters ert, (x) vus succurrai.

N’ayez pas peur ; je ne tarderai pas à revenir.

Je viendrai vous aider quand il le faudra.

20

Vers 1091 – 1092

Dist as muines : ‘Creés mun sen :

Toluns d’ici, alum nus en ! »

Il dit aux moines : « Faites-moi confiance ;

je suis d’avis que nous partions d’ici ; allons-nous-en ! »

Remarque : reformulation

Vers 1199

« Seignur, or de vus (x) sui preiez

« Seigneurs, à présent je suis arraché à vous

Vers 1240

Faldrat ma morz n’ivern ne estét ?

la mort que je souffre prendra-t-elle fin en hiver ou en été ?

Remarque : reformulation

Vers 1244

Ert nul’ hure que (x) seie fors ?

serai-je jamais délivré de mes souffrances ?

21

b) Non expression du pronom personnel sujet TU

Vers 9

que (x) comandas ço (x) ad enpris

ce que tu as commandé il l’a entrepris.

Vers 344

(x) Gettes mei fors de ma maisun ?

m’expulses-tu de ma demeure ?

Vers 1040

U si ço nun, murir (x) nus fras ;

autrement tu nous feras mourir.

Vers 1243

Jesu, tant (x) es misericors ;

Jésus, tu es si miséricordieux :

22

c) Non expression du pronom personnel sujet IL

Vers 9

que (x) comandas ço (x) ad enpris

ce que tu as commandé il l’a entrepris.

Vers 11

en letre (x) mis e en romanz

[il] l’a mis par écrit et en langue française

Vers 15

quant (x) dit que (x) set e (x) fait que (x) peot

quand il dit ce qu’il sait et qu’il fait ce qu’il peut

Vers 20

de naisance (x) fud des Ireis

il était d’ascendance irlandaise

Vers 21

pur ço que (x) fud de regal lin

parce qu’il appartenait à un lignage royal

Vers 22

puroc (x) entent a noble fin

il tendait vers un noble but

Vers 23

bens (x) out que l’escripture dit

il savait bien ce que dit l’Écriture

Vers 26

que plus demander ne (x) savrat

qu’il ne pourra pas en demander plus

Vers 30-31

en cest secle cum en eisil

(x) prist e l’ordre e les habiz

[où l’on est] comme en exil, il prit l’habit de moine

et [avec] l’habit [il adopta] également la règle monastique

Vers 32

puis (x) fud abes par force esliz

ensuite il fut élu abbé à son corps défendant

Vers 43

de Deu prïer (x) ne fereit fin

qu’il ne cersserait pas de prier dieu

23

Vers 46

quer a trestuz (x) ert amis

car il était l’ami de tous

Vers 47

mais de une rien (x) li prist talent

mais il lui prit le désir d’une chose

Vers 48

dunt Deu prïer (x) prent plus suvent

pour laquelle il se mit à prier Dieu plus souvent

Vers 49

Que (x) lui mustrast cel paraïs

[à savoir] qu’Il lui montre le paradis

Vers 53

bien (x) creit qu’ileoc ad grant glorie

il croyait bien qu’il régnait là une grande gloire céleste

Vers 59

Deu (x) en prïet tenablement

Il prie Dieu constamment

Vers 60

(x) cel lui mustret veablement

pour qu’Il lui fasse clairement vois ce lieu

Vers 65

Enfern (x) prïed vetheir oveoc

[Car] il prie pour pouvoir également voir l’enfer

Vers 73

Od sei primes cunseil (x) en prent

D’abord il décide en lui-même

Vers 76

Murs (x) out bons e sainte vitte

il avait de bonnes mœurs et menait une sainte vie

Vers 80

De lui (x) voldrat aveir ados

auprès de lui il cherchera un soutien

Vers 84

Quant son filiol alat (x) querre

quand il alla chercher son filleul

24

Vers 87

Mais de ço (x) fud mult voluntif

mais il avait été fort désireux

Vers 90

En mer (x) se mist e nun en vain

il prit la mer, et ce ne fut pas en vain

Vers 91

Quer puis (x) devint en itel liu

car par la suite il arriva en un lieu tel

Vers 95

U (x) fud poüz de cel odur

[et] où il fut nourri par l’odeur

Vers 99

De paraïs (x) out le vie

qu’il mena [là] la vie du paradis

Vers 100

E des angeles (x) out l’oïde

Et qu’il [y] perçut le chant des anges.

Vers 102

U (x) vit iço qu’a Brandan (x) dist

où il vit ce qu’il venait de décrire à Brendan

Vers 105

De meilz (x) en creit le soen conseil

il n’en suit que d’autant mieux ses conseils

Vers 107

De ses munies quatorze (x) eslist

Parmi ses moines il en choisit quatorze

Vers 109

E (x) dit lur ad le soen purpens ;

et il leur a révélé son projet

Vers 110

(x) Savrat par eols si ço ert sens

par eux il saura s’il s’agit d’une entreprise sensée

Vers 114

Que ço (x) enprist vassalment

qu’il avait conçu ce projet courageusement

25

Vers 123

Dunc prent le abec iceols (x) esliz

Alors l’abbé prend avec lui ceux qu’il a choisis

Vers 126

Iloec (x) lur dist cum hoem senez

là il leur parla comme un sage

Vers 129

Mes prïum Deu que (x) nus enseint

mais prions Dieu qu’Il nous enseigne

Vers 132

Juine faimes que (x) la nus guit

observons le jeûne afin qu’Il nous guide [jusque] là

Vers 142

Enz en sun quer si (x) l’aspirat

il l’inspira tant dans son cœur

Vers 144

Cum Deus voldrat (x) le seon alment

comment Dieu voulait qu’il entreprenne le voyage

Remarque : reformulation

Vers 145

Dunc (x) prent congé a ses freres

Alors il prit congé de ses moines

Vers 147

E (x) dist lur ad de seon eire

et il leur a dit à propos de son voyage

Vers 148

Cument a Deu le (x) voleit creire

comment il voulait le confier à Dieu

Vers 149

A sun prïur tuz (x) les concreit

il les confie tous à son prieur

Vers 150

Dist lui cument (x) guarder les deit

et lui dit comment il doit s’occuper d’eux

26

Vers 151

(x) Cumandet eals lui obeïr

il leur ordonne de lui obéir

Vers 152

(x) Cum lur abét mult bien servir

[et] de très bien le servir comme s’il était leur abbé

Remarque : reformulation

Vers 158

U (x) sout par Deu que (x) dout entrer

[là] où il savait, par [une révélation de] Dieu, qu’il devait embarquer

Vers 159

Unc (x) ne turnat vers sun parent

Il n’alla pas voir son père

Vers 160

En plus cher leu (x) aller entent

[car] il comptait se rendre en un lieu plus digne d’estime

Vers 161

(x) Alat tant quant terre dure

Il marcha aussi loin que la terre s’étendait

Vers 163

(x) Vint al roceit que li vilain

Il vint au rocher que les gens de la région

Vers 173

Ci aloeces (x) fist atraire

À cet endroit même il fit apporter

Vers 174

Mairen dunt sa nef (x) fist faire

des matériaux avec lesquels il fit construire son navire

Vers 177

Uindre la (x) fist qu’ (x) esculante

Il le fit calfater pour qu’il (le bateau) glissât

Vers179

Ustilz (x) i mist tant cum estout

Il y installa tout l’équipement nécessaire

Vers 181

La guarisun (x) i mist odveoc

Il y mit également les provisions

27

Vers 196

Qu’ (x) en avendrat bien (x) le purveit

Il prévoit bien ce qu’il en adviendra

Vers 198

(x) Ne lur celet, ainz (x) lur ad dist

il ne le leur cacha pas, au contraire il leur a dit

Vers 202

Mais par Deu (x) ert bien sustentez

mais il sera bien soutenu par Dieu

Vers 204

Dunc (x) drechet sus ambes les mains

il leva les deux mains au ciel

Vers 207

E puis (x) levet sus la destre

puis il lève la main droite

Vers 245

Tant en face cum faire (x) pout

fasse tout ce qu’il peut

Vers 246

Deus li truverat ço que lui (x) estout

[pour le reste,] Dieu trouvera pour lui tout ce dont il a besoin

Vers 267

Dreit (x) les meinet a un castel

il les mène tout droit à un château

Vers 283

Fors sul les soens altres (x) n’i vit

Là, il ne vit personne d’autre que les siens

Vers 284

(x) Prent a parler si lur ad dist

il se met à parler, et leur dit :

Vers 300

Quer bien (x) purvit que ert a venir

parce qu’il prévoyait bien ce qui allait arriver

28

Vers 315

Cume (x) lui tendeit un hanap d’or

[et] comment il lui tendait un calice en or

Vers 319 – 320 – 321

E puis que (x) out fait le larecin

(x) Revint dormir en sun reclin

Tut vit l’abes u (x) reposout

Et après qu’il eût commis ce vol,

il revint dormir dans son lit

De l’endroit où il était couché, l’abbé vit fort bien

Vers 324

Sans candeile tut (x) le vetheit

il vit tout cela sans chandelle

Vers 333

Forment plurant (x) dist a freres

Le visage inondé de larmes, il dit aux moines :

Vers 357

Pain (x) lur portet e le beivre

il leur apporte du pain et de quoi boire

Vers 359

Puis (x) lur at dist : « Soür sëez,

Ensuite il leur dit : «Ayez confiance,

Vers 369 – 370

Parfunt clinant, (x) saisit les en

plus (x) ne lur dist, mais alat s’en

S’inclinant très bas, il les leur remet.

il ne leur dit rien de plus, mais s’en va [aussitôt après]

Vers 407 – 408 – 409

Peil (x) out chanut, oilz juvenilz

Mult (x) out vescut sans tuz perilz

Pain (x) lur portet de sun païs

Il avait les cheveux blancs, [mais] les yeux jeunes :

il avait vécu longtemps à l’abri de tout danger

Il leur apporte du pain sans levain de son pays

Vers 412

Tut (x) lur truverat, ço (x) promet bien

il leur trouvera tout : cela il le promet bien

29

Vers 414 – 415

Na s’ai s’osat, mais poi (x) l’en dist

ço (x) respundit : « Asez avum

Je ne sais pas s’il était très causeur, mais le messager lui en dit très peu

il répondit ceci : « nous avons en abondance

Vers 461

(x) Jetet lur fuz e bien luncs raps

Il leur lança des perches et de très longues cordes

Vers 480

Bien (x) ad curut de mer un grant pan

Il parcourut une grande distance en mer

Vers 496

La brancheie mult la serre

il était recouvert d’un branchage si épais

Remarque : reformulation

Vers 498

(x) Umbraiet luin e tolt le clair

qu’il projetait son ombre au loin et masquait la lumière du jour.

Vers 505

Quel leu ço seit u (x) est venuz

[et] quel est ce lieu où il est arrivé

Vers 553 – 554

Puis que (x) out ço dist, si s’en alat

En sun arbre dun (x) devalat.

Après qu’il eût prononcé ces paroles, l’oiseau s’en retourna

au sommet de l’arbre d’où il était descendu.

Vers 566

Plus (x) vus aimet que ne quïez ! »

[car] Il vous aime plus que vous ne le pensez ! »

Vers 589

Dunc (x) prent cungé e s’en alat

Alors il prit congé et s’en alla

Vers 605

Tut (x) ad cunté e pleins uit meis ;

Il avait tout calculé pour huit mois entiers :

30

Vers 612 – 613 – 614 – 615

(x) Dist a Brandan que s’en alast.

Granz curs (x) li dist qu’ (x) ad a faire,

E mult ennois (x) ad a traire :

Uit meis enters (x) estreit baïs

il ordonne à Brendan de s’en aller.

Il dit qu’il lui restait un grand parcours à faire,

et qu’il avait [encore] à endurer beaucoup de souffrances :

il serait dans l’attente pendant huis mois encore.

Vers 656 – 657

Quar moines ert ; mais (x) rien ne dit.

(x) Vient enchaër as pez Brandan.

car le nouveau venu était moine [lui aussi], mais il ne dit rien.

Il vient se jeter aux pieds de Brendan,

Vers 659

(x) Clinet parfunt e humlement ;

Il s’incline profondément et avec humilité

Vers 661

Puis (x) prent Brandan par la destre

Après cela il prend Brendan par la main droite

Vers 663

As altres (x) dist par sun seigne

Par un signe, il invite les autres

Vers 668

Goït les (x) fort od mult dulz hait

il leur fit [pourtant] un accueil chaleureux et très joyeux.

Vers 714

D’els e del leu (x) lur enseignet :

[À présent] il les renseigne sur sa communauté et sur l’endroit où ils se trouvent :

Vers 722 – 723 – (724) – 725

Mais tut (x) guerpit pur cest leu.

Quant (x) alat en tapinage,

Apparut lui Deu message

Qui l’amenat ; (x) trovat leu prest :

mais il abandonna tout pour [venir vivre en] cet endroit.

Quand il se retira du monde,

un messager de Dieu lui apparut

Qui l’amena [ici] ; il trouva un lieu tout prêt

31

Vers 733 – 734 – (735) – 736

Puis que le ordre (x) nus out apris

E fermement (x) nus out asis,

Dunc lui prist Deus de sei pres ;

Uitante anz ad que (x) prist decés.

Lorsqu’il nous eut initié à son ordre

et qu’il nous eut fermement établis,

Dieu le rappela à lui ;

voici quatre-vingts ans qu’il est mort.

Vers 824

En la terre u (x) fud l’altre an.

qu’il avait visitée l’année précédente.

Vers 827

(x) Bainéd i ad les travailez,

Il invita ceux qui étaient fatigués à prendre un bain,

Vers 858 – 859

Cunreid (x) portet pleine sa nef.

(x) Dist lur : ‘Ci streiz del tens un poi.

il leur avait amené un plein bateau de provisions.

Il leur dit : « Vous resterez ici quelques temps.

Vers 869

Sun vol ad fait tut a cerne

Il décrivit un large cercle

Remarque : reformulation

Vers 871

Parler (x) voldrat ; Brandan le veit,

Voyant qu’il désire parler,

Vers 881 – 882 – 883

Quant ou ço dist, si s’en alat

En sun arbre dum (x) devolat.

La nef en mer parfunt (x) flotet.

Ayant ainsi parlé, il rejoignit le sommet de l’arbre

d’où il était descendu.

Le bateau gagne le grand large où il danse sur l’eau.

32

Vers 887 – (888) – 889

E de sa nef (x) charget la lur

Od bon cunrei de grant valur.

Puis (x) apelet Filz Marie.

et il fait transborder sur le vaisseau des frères

une quantité de ravitaillement précieux.

Puis il invoque le Fils de la Vierge

Vers 912

Plus halt (x) braiet que quinze tors.

il hurle plus fort que quinze taureaux.

Vers 925

Puis que out dist, a Deu (x) urat ;

Après avoir parlé ainsi, il adressa une prière à Dieu,

Vers 984

Que ariver (x) lur fait a terre

qu’il est rejeté près d’eux sur le rivage.

Vers 986

Pur ço que a cez aise (x) facet.

afin qu’il soulage la faim des pèlerins.

Vers 1004

Icist perilz, enz fust graindres.

autrement il eût été plus grand.

Remarque : reformulation

Vers 1012 – 1013

Sul od l’ungle que (x) ne l’en port ;

Pur sul l’aïr e le sun vent

qu’il ne puisse l’arracher d’un seul coup de griffe.

La violence de son attaque et le vent qu’il soulève suffissent

Remarque : reformulation au vers 1013

Vers 1018

Vers le gripun (x) drechet sun vol

il dirige son vol sur le griffon.

Vers 1034

A saint Perrunt l’apostorie.

vu qu’il était le premier pape.

Remarque : reformulation

33

Vers 1050

E pur mult fols (x) les aësmat :

il estime qu’ils perdent la raison

Vers 1057

(x) Chantat plus halt e forment cler.

Il se mit à chanter encore plus fort, à tue-tête.

Vers 1076 – 1077 – 1078 – 1079 – (1080)

Ainz que (x) venget semblet lui tart.

Sigle levét (x) entret en tref

Od ses muines e od sa nef.

D’esmaragde (x) veit un alter

U li pilers descent en mer ;

et il a hâte d’y parvenir.

Sans amener la voile, il arrive sous l’auvent

avec son bateau et ses moines.

Là où le pilier s’enfonce dans la mer,

il voit un autel d’émeraude

Remarque : reformulation aux vers 1077-1078

Vers 1091

(x) Dist as muines : ‘Creés mun sen :

Il dit aux moines : « Faites-moi confiance ;

Vers 1095 – 1096

Bien (x) set de D'une resortet,

Pur servir l’en quant (x) le portet.

Il est certain de ne pas se détourner de Dieu en le prenant,

puisqu’il le destine à l’office divin.

Vers 1120

Bien (x) set, pres (x) est d’enfern li puz :

Il sait bien qu’il est [tout] près du puits de l’enfer :

Vers 1134 – 1135 – 1136

D’enfern (x) eisit tuz eschalfez ;

Un mail de fer en puin (x) portout :

A un piler asez (x) i out.

[et] tout brûlant il sortait de l’enfer ;

dans sa main il portait un marteau de fer :

il était assez gros pour pouvoir servir de pilier.

34

Vers 1142 – 1143

A granz salz (x) curt en sa forge.

(x) Revint mult tost od sa lamme

il courut dans sa forge à grands pas.

Bien vite il en ressortit avec sa lame

Vers 1145

Es tenailes dun (x) la teneit

Des les tenailles avec lesquelles il la portait

Vers 1147

(x) Halcet le sus vers la nue

Il la soulèva vers le ciel

Vers 1223

Mult (x) ert periz e detirez,

Il était dans un état lamentable ;

Vers 1225

D’un drap liéd sun vis (x) aveit,

Il avait enveloppé son visage dans un morceau d’étoffe

Vers 1227

Fort (x) se teneit a la pere

De toutes ses forces il se tenait à la pierre

Vers 1231

Le une le fert, pur poi (x) ne funt ;

Une vague le frappe, si bien qu’il s’en faut de peu qu’il ne périsse ;

Vers 1238

Mult lassement (x) fait ses pleintes :

il se lamente péniblement :

35

d) Non expression du pronom personnel sujet ELLE

Vers 382

cum de plus luin (x) lur pout pareir

dès qu’elle fut visible à l’horizon

Remarque : reformulation

Vers 932

(x) Guerpit la nef, traist s’arere.

elle se détourne du bateau et recule.

Vers 948 – 949 – 950 – (951) – 952

(x) Morte rent la primereine :

A denz tant fort (x) la detirat

Que en tres meitez (x) le descirat.

E puis que fist la venjance,

(x) Realat a sa remanance.

elle mit à mort la première :

elle la lacéra si fort avec ses dents

qu’elle la déchira en trois morceaux.

Ayant ainsi accompli sa vengeance,

elle regagna son repaire.

Vers 1105

De flaistre fum (x) ert fumante,

Elle dégageait une fumée malodorante

Vers 1107

De grant nerçun (x) ert enclose.

elle était obscurcie par une brume noire qui l’environnait.

Vers 1153 – 1154 – 1155

Cum plus (x) halcet e plus (x) enprent,

En alant forces (x) reprent. -> reformulation : en alant – plus elle s’élève

Primes (x) depart, puis (x) amasset ;

plus elle s’élève, plus elle s’embrase,

[et] elle augmente de force à mesure qu’elle vole.

D’abord elle tombe en morceaux, puis elle se reforme ;

Vers 1157

U (x) cheit en mer, ileoc (x) art

Là où elle tombe dans la mer, elle brûle

Vers 1183

Ne (x) demurat fors al matin

À peine l’aube parut-elle le lendemain

36

Vers 1240

Faldrat ma morz n’ivern ne estét ?

la mort que je souffre prendra-t-elle fin en hiver ou en été ?

Remarque : reformulation

37

e) Non expression du pronom personnel sujet ON

Vers 14

mais tul defent ne (x) seit gabéth

et certes, (x) protège-le afin qu’on n’aille pas se moquer de lui

Vers 30-31

en cest secle (x) cum en eisil

(x) prist e l’ordre e les habiz

[où l’on est] comme en exil, il prit l’habit de moine

et [avec] l’habit [il adopta] également la règle monastique

Vers 183

Ne plus que a quarante dis

De vïande (x) n’i out enz mis

On n’embarqua des vivres

que pour quarante jours, pas plus.

Vers 955

Quant (x) veit que Deux si prestement

Quant on voit Dieu si prompt (à fournir)

38

f) Non expression du pronom personnel sujet NOUS

Vers 191

De ton muster (x) sumes meüd

« Nous sommes partis de ton monastère

Vers 192

E desque si (x) t’avum seüd

et nous t’avons suivi jusqu’ici

Vers 286

Si rien i at dun (x) est mesters

s’il y a de quoi qu ce soit dont nous avons besoin

Remarque : reformulation

Vers 394

Cumli Filz Deu suffrit peine

où nous commémorons les souffrances du Fils de Dieu

Remarque : reformulation

Vers 415 – 416

ço respundit : « Asez (x) avum

Quanque des quers penser (x) savum.’

il répondit ceci : « nous avons en abondance

tout ce à quoi nous pouvons penser dans nos coeurs

Vers 519 – 520 – 521

L’oisel respunt : « Angele (x) sumes,

e enz en ceil jadis (x) fumes ;

E (x) chaïmes de halt si bas

L’oiseau répond : « Nous sommes des anges,

et nous demeurions autrefois au ciel ;

de si haut nous sommes tombés si bas

Vers 760 – 761 – 762 – 763

(x) N’avum frere de ço se paint.

Ici (x) vivum e sanz cure,

Nule vie (x) n’avum dure.

Ainz que vostre venir (x) sousum,

nous n’avons aucun moine qui s’en occupe.

Ici nous vivons sans souci,

nous ne rencontrons aucune difficulté

Avant [même] que nous apprenions votre arrivée,

39

Vers 962

‘Quar bien (x) savum qu’il nus ad chers.’

« Nous avons la certitude qu’il nous aime. »

Vers 1046

Unc (x) n’oïmes parler de tels.

dont nous n’avons jamais entendu parler.

Vers 1048

Sachez, murir nus estout.’

nous sommes condamnés à mourir, sache-le bien. »

Remarque : reformulation

Vers 1092

(x) Toluns d’ici, alum nus en !’

je suis d’avis que nous partions d’ici ; allons-nous-en ! »

Vers 1218

Sachum que seit, si i (x) curum. »

dépêchons-nous d’aller voir ce que c’est. »

40

g) Non expression du pronom personnel sujet VOUS

Vers 227

Quant (x) averez vent, siglez sulunc

Quand vous aurez du vient, faites voile en vous servant de lui

Vers 363

E ço (x) verrez que (x) alez querant

et vous verrez ce que vous êtes en train de chercher

Vers 427 – 428 – 429

Demain enz nuit (x) en turnerez

Pur quei si tost, bien (x) le verrez !

Puis (x) revendrez e sans peril

Demain vous repartirez de là avant la fin de la journée

pourquoi [revenir] si vite, vous le verrez bien !

Puis vous reviendrez, et sans courir de danger

Vers 431

E puis (x) irez en altre liu

et ensuite vous irez en un autre lieu

Vers 452

Dist le bailis : « Or (x) asëez ! »

l’intendant annonça : « Maintenant, asseyez-vous ! »

Vers 467 – 468

Brandan lur dist : « Freres, (x) savez

pur quei poür (x) oüt avez ?

Brendan leur dit : « Mes frères, savez-vous

pourquoi vous avez eu [tant] peur ?

Vers 472

Ne (x) merveillés de ço, seignurs !

Ne vous étonnez pas de cela, seigneurs !

Vers 475 – 476

Ses merveilles cum plus (x) verrez,

En lui puis mult mielz (x) crerrez

plus vous verrez de ses merveilles,

plus vous croirez plus fermement en Lui par la suite

Vers 518

Pur ço que a mei (x) semblez mult bel. »

car vous me semblez si beaux. »

41

Vers 546 – (547) – 548 – 549 – (550) – 551

Que (x) avez suffert de mer le han ;

Arere sunt uncore sis

Ainz que (x) vengez en paraïs.

Mult (x) suffreiz e peines e mal

Par occean, amunt aval,

E chescun an (x) i frez la feste.

que vous souffrez les épreuves de la mer ;

il vous reste encore six ans [de voyage]

avant que vous arriviez au paradis.

Vous souffrirez beaucoup de peines et de souffrances

en parcourant l’océan en tous sens,

et chaque année vous célébrerez la fête

Vers 563

Dunc dist le abes : « Avez (x) oïd

Alors l’abbé parla : « Avez-vous entendu

Vers 566

Plus vus aimet que (x) ne quïez ! »

[car] Il vous aime plus que vous ne le pensez ! »

Vers 585

Asez (x) averez e sans custe

vous en aurez largement et sans peine

Vers 588

Dous meis (x) estrez si enturn. »

vous passerz deux mois ici. »

Vers 751 – 752

E des dous duiz que (x) veïstes,

Dunt pur un poi (x) ne preïstes,

En ce qui concerne les deux ruisselets que vous avez vus,

[et] dont vous avez failli boire,

Vers 818

Que ne (x) chaiez meis en ubli

de peur que vous ne manquiez à votre devoir à nouveau.

42

Vers 859 – (860) – 861

Dist lur : ‘Ci (x) streiz del tens un poi.

A voz cungez jo m’en revoi.

Ici (x) mandrez e sanz custe

Il leur dit: “Vous resterez ici quelques temps.

Moi, avec votre permission, je repars.

Vous demeurerez ici sans rencontrer de difficulté

Vers 873 – 874

‘Seignurs’, ço dist, ‘a cest sujurn

Tuz cez set anz (x) freiz vostre turn.

« Seigneurs », dit l’oiseau, « vous reviendrez sur cette île

tous les sept ans

Remarque : reformulation du verbe

Vers 876 – 877 – (878) – 879 – (880)

(x) Sujurnerez en l’isle Albeu ;

La ceine (x) freiz e le mandét

U vostre hoste l’at cumandét.

E chescun an (x) freiz la feste

De la Pasche sur la beste.’

vous irez séjourner sur l’île d’Ailbe.

Vous célébrerez la communion de Pâques et le lavement des pieds

là où votre hôte l’a prescrit.

Et chaque année vous célébrerez la fête de Pâques

sur la baleine. »

Vers 922

D'une (x) perdez ne bon oür,

vous ne perdiez par [l’amour de] Dieu, ni le bonheur [qu’Il vous réserve],

Vers 990

(x) Mangerez en grant espace.

Vous aurez à manger pour longtemps.

Vers 993

Tant en pernez as voz suspeis

Prenez-en autant que vous jugez bon

Remarque : reformulation

43

Vers (1051) – 1052 – 1053

‘Seignurs, de rien pur quei dutez ?

Voz crëances cum (x) debutez !’

Perilz (x) avez suffert plus granz ;

« Seigneurs, pourquoi avoir peut de quoi que ce soit ?

Voilà que vous abandonnez votre foi !

Vous avez couru des dangers plus grands que celui-ci,

Remarque : reformulation au vers 1052

Vers 1116 – 1117

Que a enfern (x) estes cachez.

(x) N’oustes mester unc mais si grant

que vous êtes propulsés vers l’enfer.

Jamais vous n’avez eu si grand besoin

44

h) Non expression du pronom personnel sujet ILS

Vers 33

par art de lui mult (x) i vindrent

grâce à son habileté ils furent nombreux à venir

Vers 70

Ne entre eols nen (x) unt amur ne fai

et ils n’ont parmi eux ni amour ni foi

Vers 111-112-113

Quant (x) oïrent iço de lui,

Dunc (x) en parlerent dui e dui

(x) Respundent lui comunalment

Quand ils entendirent cela de lui,

ils en parlèrent alors deux à deux.

Ils lui répondirent tous ensemble

Vers 154

Plurent trestuit par grant dehait

Tous pleurent à sauce du grand chagrin qu’ils éprouvent

Remarque : reformulation

Vers 209

(x) Drechent le mast, tendent le veil

Ils dressent le mât, tendent la voile

Vers 213

Tutes (x) perdent les veüthes

Ils ne voient plus rien

Vers 215

Pur le bon vent (x) ne s’en feignent

Ils ne ralentissent pas leurs efforts parce que le vent est favorable

Vers 216

Mais de nager mult (x) se peinent

mais [au contraire] ils se donnent beaucoup de peine pour [continuer à] ramer

Vers 217

E (x) desirent pener lur cors

et ils s’imposent beaucoup de peine

Vers 218

A ço vetheir pur quei (x) vunt fors

pour voir ce pourquoi ils se sont mis en route

45

Vers 219

Si (x) cururent par quinze jurs

Ils firent voile ainsi pendant quinze jours

Vers 229

As aviruns dunc (x) se metent

Sur ce ils se mettent aux avirons

Vers 230

La grace Deu mult (x) regrettent

Ils implorent avec ferveur la grâce de Dieu

Vers 231

Quer (x) ne sevent quel part aller

Car ils ne savent pas de quel côté aller

Vers 234

Ne u (x) devrunt lur curs prendre

ni sur quel point ils devront mettre le cap

Vers 238

Pener (x) pourent sanz defaile

ils se donnent beaucoup de mal sans faible

Vers 239

Force (x) perdent e vïande

[mais] ils perdent leurs forces en même temps que la nourriture s’épuise

Vers 251

Mais (x) n’i truvent nul’ entrethe

Mais ils ne trouvent aucun mouillage

Vers 259

Amunt aval port (x) i quistrent

En allant et en venant ils se mirent en quête d’un port

Vers 260

E al querre treis jurs (x) mistrent

et ils mirent trois jours à chercher

Vers 261 - 262

Un port (x) truvent, la (x) se sunt mis

Qui fud trenchéd al liois bis

Ils en trouvèrent un, qui était creusé

à même la roche de calcaire gris : là ils abordèrent

46

Vers 263

Mais (x) n’i unt leu fors de une nef

mais ils n’y trouvèrent de place que pour un seul bateau

Vers 265

(x) Ferment la nef, eisent s’en tuit

Ils attachent le bateau et descendent tous à terre

Vers 273

Paleiz (x) veient tuz a marbre

Ils découvrent un palais tout en marbre

Vers 279

Dunc (x) esgardent l’alçur palais

Alors ils lèvent les yeux sur l’imposant palais

Vers 288

ço que plus dunc (x) desirerent

ce qu’à ce moment-là ils désiraient par-dessus tout

Vers 293 – 294

Quanque (x) voldrent tut a plentét

(x) Trovent iloec u (x) sunt entrét

Là où ils sont entrés, ils trouvent

tout ce qu’ils veulent en abondance

Vers 303

Tant (x) mangerent cum lur plout

Ils mangèrent tant qu’il leur plut

Vers 305 – 306 – 307 – 308

De Deu loër (x) ne se ublïent

Mais sa merci mult (x) la crïent

Del herberger (x) pregnent oser

Quant fud l’ure, (x) vunt reposer

Ils n’oublient pas de louer Dieu

mais [au contraire] ils implorent sa grâce avec ferveur.

Ils se risquent à passer la nuit [dans le palais],

[et] quand l’heure fut venue, ils allèrent se reposer.

Vers 309

Cum (x) endormit furent trestuit

Lorsqu’ils furent tous endormis

Vers 328

E puis al quart (x) s’en turnerent

et puis, le quatrième jour ils repartirent

47

Vers 377

Siglent al vent, (x) vunt s’en adés

Ils repartant aussitôt, poussés par le vent

Vers 379

(x) Curent par mer grant part de l’an

Ils parcourent la mer une grande partie de l’année

Vers 381

Terre (x) veient a lur espeir

Ainsi qu’ils l’éspéraient, ils virent une terre

Vers 383

(x) Rechent lur nef icele part

Ils dirigent leur bateau dans cette direction

Vers 385

(x) Lascent cordes, metent veil jus

Ils larguent les cordages et amènent la voile

Vers 387

(x) Veient brebiz a grant fuisun

Ils voient un immense troupeau de brebis

Vers 404

E par tres dis ileoc (x) estunt

et ils y demeurèrent trois jours.

Vers 440

Terre (x) prennent e sanz peine

Ils accostent sans difficulté

Vers 443 – 444

Beal servise e mult entrin

(x) Firent la nuit e la matin.

Toute la nuit jusqu’au matin, ils célèbrent

un bel office très solennel.

Remarque : autre structure de la phrase

Vers 463

Enz en la nef entré (x) sunt tuit

Ils réussirent tous à regagner le bateau

48

Vers 483 – 484

(x) Venent i tost e arivent

Ne de l’eisir (x) ne s’eschivent

ils l’atteignent sans délai et accostent ;

ils n’ont pas peur de débarquer

Vers 486 – 487

Mais a terre le nef (x) butent

Amunt un duit (x) s’en vunt süef

ils tirent le bateau sur le rivage

Ils remontent lentement le long d’un cours d’eau

Vers 557 – 558 – 559

Od dulces voices mult halt (x) crïent

E enz en le cant Deu (x) mercïent.

Or (x) unt veüd en lur eisil

De leurs voix mélodieuses ils chantent bien haut,

et dans leur chant ils rendent grâces à Dieu.

À présent ils ont vu, dans leur exil,

Vers 567 – (568) – 569 – (570) – 571 – (572) – 573

Le nef (x) leisent en l’ewage

E mangerent al rivage ;

E puis (x) chantent la cumplie

Od mult grant psalmodie.

Puis enz as liz tuit (x) s’espandent

E a Jesu se cumandent.

(x) Dorment cum cil qui sunt lassét

Ils laissent le bateau dans le lit du cours d’eau

et vont manger sur le rivage ;

Puis ils chantent complies

sur une psalmodie très solennelle.

Après quoi ils se couchent tous dans leur lit

et se recommandent à Jésus.

Ils s’endorment, comme des gens qui sont épuisés

Vers 576

Matines (x) dïent ainzjurnals

ils récitent les matines, qui doivent se dire avant l’aube,

Vers 581 – 582

Par qui (x) asen unt cest avei,

e par sun dun (x) unt le cunrei.

par les avis de qui ils sont guidés,

et par l’intermédiaire de qui ils reçoivent des provisions.

49

Vers 593

Cum lur ad dist, eissil (x) firent,

Ils firent tout ce qu’il leur disait

Vers 599

Asez (x) en unt a remüers

Ils en ont suffisamment en réserve

Vers 601

E bien de tut (x) se guarnissent

Ils se ravitaillent bien de tout

Vers 608

(x) Prengnent cungét e puis s’en vunt.

ils prennent congé [de lui] et puis s’en vont.

Vers 610

Quel part (x) dourent tendre lur curs.

dans quelle direction ils devaient faire voile.

Vers 618

U (x) estreient al Naël Deu.

où ils seraient pour Noël.

Vers 621

(x) Vunt s’en mult tost en mer siglant,

Ils prennent la mer et font la voile à bonne allure,

Vers 625 – 626 – (627) – 628 – 629 – (630) – 631

Puis quatre meis (x) veient terre,

Mais fort lur est a cunquerre.

E nepurtant a la parfin

Al siste meis (x) virent la fin.

(x) Prengent terre, mais nepuroec

Nul’ entree truvent iloec.

Virun (x) en vunt .xl. dis

Au bout de quatre mois ils voient une terre,

mais ils ont beaucoup de peine à l’atteindre.

Et pourtant, en fin de compte,

le sixième mois ils virent leurs efforts aboutir.

Ils sont sur le point d’accoster, mais

ne trouvent aucun endroit pour débarquer.

Ils cherchent tout autour pendant quarante jours.

Remarque : reformulation au vers 626

50

Vers 635 – 636 – (637) – 638

Puis mult a tart (x) truvent un cros

Que fait uns duiz, qui lur ad os.

Qui cundüent lur nef amunt

Reposent sei quar (x) lassét sunt.

Puis, longtemps après, ils trouvent un chenal

creusé pas un cours d’eau dont ils savent tirer parti.

[Les moines], qui halent leur bateau en amont

s’arrêtent pour se reposer, car ils sont fatigués.

Remarque : reformulation au vers 636

Vers 643

E funtaine (x) trovent duble,

ils trouvent une source d’où naissent deux ruisselets

Vers 645

(x) Vunt i curant cum sedeillus.

Ils s’y précipitent comme des assoiffés,

Vers 655

Poür oussent ne fust l’abit

Les moines auraient eu peur s’ils n’avaient pas reconnu l’habit,

Remarque : reformulation

Vers 666

Quels leus ço seit u (x) se sunt mis.

du lieu où ils étaient arrivés

Vers 693 – (694) – 695 – 696 – 697

(x) Meinent les en lur abeïe,

Brandan e sa cumpainie.

Servise (x) funt bel e leger ;

Nel (x) voleient trop agreger.

Puis (x) vunt manger en refraitur

et ils les conduisent, Brendan et ses compagnons,

à l’intérieur de leur abbaye.

Ils célèbrent un bel office très simple :

ils ne voulaient pas le rendre trop solennel.

Ensuite ils vont manger au réfectoire,

Vers 701

Racines (x) unt en lu de mes,

Au lieu de plats cuisinés ils ont des racines [comestibles],

51

Vers 703

Puis (x) unt beivre mult savurét :

La boisson qu’ils prennent ensuite est délicieuse :

Vers 705

Quant sunt refait, levét (x) s’en sunt

Restaurés, ils se lèvent de table

Vers 714 – 715

D’els e del leu lur enseignet :

Qui (x) sunt, cument, des quant (x) i sunt,

[à présent] il les renseigne sur sa communauté et sur l’endroit où ils se trouvent :

[il explique] qui ils sont, comment [ils sont venus], depuis quand ils sont là,

Vers 783

(x) Entrent en mer, vent unt par Deu

Ils gagnent le large, poussés par un vent que Dieu leur envoie

Vers 785 – 786

(x) Curent en mer par mult lunc tens,

Mais de terre (x) unt nul asens.

Ils ciglent très longtemps

sans savoir de quel côté ils vont voir la terre.

Vers 790

Pur quei (x) unt le curs mult peinible

par conséquent ils n’avancèrent qu’avec beaucoup de peine.

Vers 794

Terre (x) veient e rivage,

Ils aperçoivent la terre et le rivage,

Vers 797

(x) Trovent tel lur entree

Ils trouvent un endroit à débarquer

Vers 821

Par mer d’ileoc (x) se sunt tolud,

Ils se remirent en route

Vers 825

Ast lur hoste, le veil chanud :

Voilà qu’ils retrouvèrent leur hôte,

Remarque : reformulation

52

V ers 829

(x) Funt la ceine e lur mandét

Ils commémorèrent la Cène et le lavement des pieds

Vers 838 – 839

Or (x) l’unt sur lui retruvee.

Plus asoür sur lui (x) estunt,

et ils la récupérèrent.

Cette fois-ci, ils s’aventurent sur son dos avec plus d’assurance.

Vers 843 – (844) – 845

Le di paschur (x) celebrïent ;

De lur hure ne s’ublïent :

Plus de midi (x) ne targerent,

Ils célèbrent le jour de Pâques,

mais n’oublient pas l’heure qui avait été fixée pour leur départ :

ils ne s’attardent pas au-delà de midi,

Vers (847) – 848 – 849 – (850) – 851

Alat s’en tost e curt li sainz

Vers les oiseus u (x) furent ainz.

Bien (x) unt choisit le arbre blanche

E les oiseals sur la branche.

De luin en mer bien (x) oïrent

Le saint repartit aussitôt et fit voile

en direction de l’Île aux Oiseaux où ils avaient abordé auparavant.

Ils ne manquèrent pas de reconnaître l’arbre blanc

et les oiseaux perchés sur les branches.

De loin sur la mer ils entendirent l’accueil

Vers 853

De lur canter (x) ne firent fin

ils ne cessèrent de chanter

Vers 855 – 856

(x) Traient lur nef amunt le gort

La u devant (x) ourent lur port.

Ceux-ci remontent leur bateau le long du cours d’eau

où ils avaient trouvé un port lors de leur première visite.

Vers 891

Del revenir (x) metent termes.

Ils fixent un terme pour le retour.

53

Vers 893

Trestout (x) curent al portant vent

Ils filent à bonne allure, poussés par un vent

Vers 895

Dormante mer (x) unt e morte

[Puis] ils rencontrent une mer calme, sans le moindre mouvement,

Remarque : reformulation

Vers 963

Puis al demain terre (x) veient,

Le lendemain ils aperçoivent la terre

Vers 965

(x) Vunt mult tost e sailent fors

Ils s’empressnet d’accoster et de débarquer

Vers 967

Sur l’erbeie (x) tendent lur tref,

Ils dressent leur tente dans les prés

Vers 969

Cum a terre (x) ariverent,

Au moment où ils touchèrent terre,

Vers (977) – 978

L’abes lur ad tant sermunét,

E Deus par tut asez dunét,

Grâce aux exhortations de leur abbé

et aux bienfaits qu’ils reçoivent partout de Dieu,

Remarque : reformulation

Vers 998

(x) Funt lur tunes tutes pleines,

Ils remplirent leurs tonneaux

Vers 1000

Puis (x) q’unt l’uré, (x) s’en issirent.

Dès qu’ils eurent un vent favorable, ils s’embarquèrent.

Vers 1050

E pur mult fols les aësmat :

il estime qu’ils perdent la raison

Remarque : reformulation

54

Vers 1060

Goïsant la feste del jurn.

Ils se réjouirent de la fête du jour

Remarque : reformulation

Vers 1098 – 1099 – 1100 – 1101 – 1102

Mais uncore (x) ne sevent fin.

E nepurtant (x) ne s’en feignent :

Mais cum plus (x) vunt, plus (x) se peinent,

ne de peiner (x) ne recrerrunt

De ci que lur desir (x) verrunt.

mais ils ne sont pas encore au bout de leurs peines.

Pourtant ils ne faiblissent pas,

mais plus ils avancent, plus ils se mettent en peine,

et ils ne cesseront pas de se dépenser

tant qu’ils verront l’objet de leurs désirs.

Vers 1109 – 1110 – 1111

E de mult luign unt or (x) oït

Que la (x) ne erent guairs goït.

Mult (x) s’esforcent de ailurs tendre,

et de très loin ils entendirent

que là ils n’étaient guère les bienvenus.

Ils font de grands efforts pour changer de cap,

Remarque : reformulation au vers 1111

Vers 1121

Cum plus pres (x) sunt, plus (x) veient mal,

Plus ils se rapprochent, plus ils voient le mal

Vers 1130

Le cler del jun que (x) lur tolent.

qu’ils leur cachent la lumière du jour.

Vers 1131 – 1132

Cum (x) alouent endreit un munt,

Virent un féd dunt (x) poür unt.

Comme ils se dirigeaient vers un monticule

les moines virent un démon dont ils eurent [fort] peur.

Vers 1163

Al vent portant (x) s’en alerent,

Ils s’éloignèrent grâce à un vent favorable,

55

Vers 1165

L’isle (x) virent aluminé

Ils virent l’île en flammes

Vers 1167

Malsfeiz (x) veient millers plusurs ;

Ils virent plusieurs milliers de diables

Vers 1171

(x) Endurerent cum mez (x) pourent ;

Ils la supportèrent du mieux qu’ils purent

Vers 1177

Eisi est d’els puis qu’ (x) unt voüd

Il en va ainsi de Brendan et de ses compagnons depuis qu’ils ont vu

Vers 1180 – 1181 – 1182 – (1183) – 1184

(x) N’i aturnent mescreance.

(x) Vunt s’en avant, n’i dutent rien ;

Par ço (x) sevent que (x) espleitent bien.

Ne demurat fors al matin

(x) Virent un lu pres lur veisin : -> reformulation : un lu pres lur veisin – un lieu tout près de

là où ils étaient

[et] ils ne se permettent plus de manquer de foi.

Ils poursuivent leur route sans crainte,

parce qu’ils savent qu’ils agissent bien.

À peine l’aube parut-elle le lendemain

qu’ils virent un lieu tout près de là où ils étaient :

Vers 1187

(x) Vindrent i tost al rivage,

Ils atteignirent sans tarder le rivage,

Vers 1204

(x) Reguardent sei quar poür (x) unt.

Ils regardent derrière eux car ils ont peur.

Vers 1206

Enfern (x) veient tut aüverz.

ils voient l’enfer tout ouvert.

Vers 1213

(x) Veient en mer une boche

Dans la mer ils virent une bosse

56

Vers 1216

Mail nel (x) quïent crëablement.

mais ils avaient de la peine à croire ce qu’ils voyaient

Remarque : reformulation

Vers 1219 – 1220 – 1221 – 1222

(x) Vindrent ila, si truverent,

Iço que poi (x) espeirerent :

Sur la roche u (x) sunt venud

(x) Trovent seant homme nud.

Ils y arrivèrent, et trouvèrent

une chose à laquelle ils ne s’attendaient guère :

Sur la roche près de laquelle ils étaient venus,

Ils trouvèrent un homme assis, tout nu.

57

i) Non expression du pronom personnel sujet ELLES

Vers 367

(x) Ne frat faile desqu’en vendrez

elles ne viendront pas à manquer jusqu’à ce que vous arriverez

Vers 389

Tutes (x) erent itant grandes

Toutes, elles étaient aussi grandes

Vers 934

(x) Drechent forment halt les testes ;

elles dressent leurs têtes haut dans les airs ;

Vers 937

Colps (x) se dunent de lur noës,

Elles échangent des coups avec leurs nageoires,

Vers 939

A denz mordanz (x) se nafrerent

Elles s’entre-déchirent en se mordant avec leurs dents,

Vers (1021) – 1022

Colps e flammes e morz e buz

(x) se entredunent veiant eals tuz.

Devant les yeux de tous les moines,

elles échangent coups, jets de flammes, morsures et chocs.

Faculteit Letteren en Wijsbegeerte

Academiejaar 2009-2010

Partie documentaire

Corpus illustratif du chapitre 4 :

L’expression du pronom sujet en francoprovençal

1

Corpus de travail

Issu de l’ALAVAL (atlas linguistique audiovisuel du Valais romand),

élaboré au centre de dialectologie de Neuchâtel (CH)

Les 5 localités examinées: a. Arbaz : dans le nord du Valais, entre Savièse et Montana, village situé dans le Valais

épiscopal

b. Evolène : plutôt dans le Sud-Est du Valais, près de la frontière italienne. A l’est

d’Hérémence

c. Isérables : à peu près dans le centre du Valais, juste en dessous du Rhône

d. St-Jean : village dans l’est du Valais, dans le Val d’Anniviers

e. Troistorrents : dans le Nord-Ouest du Valais – village un peu à part, dans le bas Valais

Les témoins

Arbaz : Isabelle Francey & Joseph Bovin

Evolène : Lucie Chevrier & Henri Mauris

Isérables : Lilly Monet & Henri Monet

Saint-Jean : Jeanne Zufferey & Jean-Baptiste Crettaz

Troistorrents : Madeleine Barman & Maurice Udressy

2

Table des matières

1. Singulier ………………………………………………………………………………. 3

3e personne masculin – il

a) En tête de phrase, devant un verbe commençant par une consonne

b) En tête de phrase, devant un verbe commençant par une voyelle

c) Pas en tête de phrase

d) Dans une construction pronominale (forme composée)

e) Dans une construction pronominale (forme non composée)

3e personne féminin – elle

f) En tête de phrase, devant un verbe commençant par une consonne

g) En tête de phrase, devant un verbe commençant par une voyelle

h) Pas en tête de phrase

i) Dans une construction pronominale (forme non composée)

2. Pluriel ……………………………………………………………………………….. 12

3e personne masculin – ils

a) En tête de phrase

b) Pas en tête de phrase

3e personne féminin – elles

c) En tête de phrase

d) Pas en tête de phrase

Tableaux récapitulatifs (+ explications supplémentaires) ……………………………… 16

3

SI�GULIER

a) Pronom personnel sujet masculin, en tête de phrase

devant un verbe commençant par une consonne

Il va à la forêt _AllerPrés3m

Il suce son pouce _Pouce

Il marche avec des béquilles _Béquilles

1. Arbaz – témoin féminin

Ø vˈ� � zˈø/ Il va à la forêt.

Arbaz – témoin masculin

Ø vˈ�ː � zˈø Il va à la forêt.

2. Evolène – témoin féminin

jjjj vaː ɛ l ẓˈ Il va à la forêt.

Evolène – témoin masculin

jjjj va �n la zow Il va à la forêt.

3. Isérables – témoin féminin

iiii va ãn dzˈœɛ Il va à la forêt.

Isérables – témoin masculin

iiii sɔȓ ɔː pˈyd (ae) Il suce le (=son) pouce.

4. St-Jean – témoin féminin

ɪ va � la z# Il va à la forêt.

St-Jean – témoin masculin

jë va - � lǩ z Il va à la forêt.

4

5. Troistorrents – témoin féminin

eeee mˈ�ʁtsː ː �vɥ, de bekˈiː Il marche avec des béquilles.

Troistorrents – témoin masculin

Ø vˈ� � l� dȡɥˈø Il va à la forêt.

b) Pronom personnel sujet masculin, en tête de phrase

devant un verbe commençant par une voyelle

Il a mal à la tête _Tête

Il hausse / Il a haussé les épaules _EpaulesHausser

Il a les sourcils épais / touffus _Sourcils

Ses mains tremblent / Il a la tremblotte avec les mains _Mains

1. Arbaz – témoin féminin

llll � mˈo � tˈiːh� Il a mal à la tête.

Arbaz – témoin masculin

llll � mˈo � tˈiːh� Il a mal à la tête.

2. Evolène – témoin féminin jjjj a criȓˈa lʒ øʒˈbl Il a haussé les épaules.

Evolène – témoin masculin

jjjj a lɛ ȓs ɛfˈø Il a les sourcils épais.

3. Isérables – témoin féminin llll a eː s - sys - s6rsˈ,lːǩ - ɛpˈɛː - epˈe {e} pwi tofˈøç Il a les s.. suis.. sourcils .. épais .. épais et puis touffus.

4. St-Jean – témoin féminin

llll � lɛ ȓɥs ɛfˈɛ Il a les sourcils épais.

5

5. Troistorrents – témoin féminin ::::llll a la ℊʁylˈɛt �we leː m Il a la tremblotte avec les mains.

Troistorrents – témoin masculin llll ɐ lu ɕi epˈe Il a les sourcils épais.

c) Pronom personnel sujet masculin, PAS en tête de phrase

Avant-hier soir, il est allé au café (la pinte) _AllerPComp3m

1. Arbaz – témoin féminin

dȡ? jˈɛɹ - ǩ n� dȡn astˈe,/astˈe llll e/6 ʒy y kˈ�ːfɛ Avant-hier .. euh non avant-hier soir il est eu (=a été, est allé) au café.

Arbaz – témoin masculin

œː dȡ�n astˈe, llll e ʒy y k�ːfˈeː Euh avant-hier soir il est eu (=a été) au café.

2. Evolène – témoin féminin

dɛʋˈan aȓˈeː jjjj ø ʒuk ː kafˈe Avant hier soir il est eu (=a été) au .. au café.

Evolène – témoin masculin

dɛv? jɛr ow nɛt jjjj ɛθ al� beℊr ỹ veːr a la pỹnta Avant-hier, au soir, il est allé boire un verre à la pinte.

3. Isérables – témoin féminin

dva anˈ pɐsˈa llll ɛ ,taː bistrˈo EF Avant-hier soir il est été au bistro.

Isérables – témoin masculin

dʋ� ɐnˈe pasˈa llll ɛ ,tˈø bistrˈo Avant-hier soir passé il est été au bistro.

4. St-Jean – témoin féminin

dɛvˈ?n aȓˈij llll ɛh alˈa a la pˈĩnta Avant-hier soir, il est allé à la pinte.

St-Jean – témoin masculin

dvˈan aȓˈi llll ɛǶ alˈa u kafˈɛt Avant-hier soir il est allé au café.

6

5. Troistorrents – témoin masculin

dǩʋˈ jɛ nɥˈe - llll ɛ ɐlø ø kafˈe Avant-hier soir .. il est allé au café.

d) Pronom personnel sujet masculin, dans une construction pronominale (forme

composée)

Il s’est cogné/ Il s’est tapé le pied _Pied

Il s’est planté une épine dans la plante du pied _PiedPlante

1. Arbaz – témoin masculin Ø ȓe l tˈ�po dy pjˈ� kˈuntre k�ke tsˈuːʒ� w� Il s’est tapé du pied contre quelque chose là.

2. Evolène – témoin féminin

,,,, ȓ tapˈa l pjˈa Il s’est cogné le pied.

Evolène – témoin masculin

iiii ȓ œ - tˈapˈ� lɔ pja Il s’est tapé le pied.

3. Isérables – témoin féminin (reformulation, la forme réflechi a disparu)

llll a k - kˈoɲo o pjˈa Il/Elle a c.. cogné le pied.

4. St-Jean – témoin féminin

Ø ȓ ɛ pł?ntˈ� un ɛfˈna dɛʒˈɔ lɔ pja Il s’est planté une épine sous le pied.

5. Troistorrents – témoin masculin

Ø s bˈuȓ� l pjˈ� Il s'est cogné le pied.

e) Pronom personnel sujet masculin, dans une construction pronominale

Il se ronge les ongles _Ongles

1. Arbaz – témoin féminin

Ø ȓe OˈuP - ʒ ˈ#ŋℊlɐ Il se ronge .. les ongles.

7

2. Evolène – témoin masculin

Ø ȓœ Oˈɔzɛ lɛ ʒ ˈ#ŋʎe Il se ronge les ongles.

3. Isérables – témoin féminin

Ø sɛ rˈoːdze e z ˈɔmːlɛ Il se ronge les ongles.

f) Pronom personnel sujet féminin, en tête de phrase

devant un verbe commençant par une consonne

Elle va au pré _AllerPrés3f

Elle donne le sein à son bébé _Sein

Elle ferme la bouche _Bouche

1. Arbaz – témoin féminin llll va y pro Elle <elle> va au pré.

Arbaz – témoin masculin (avec interjection)

œː Ø vˈ� y prˈoː Euh <elle> va au pré.

Arbaz – témoin masculin (sans interjection)

Ø φˈɛrmɛ �ː - ℊˈuːrzǩ Elle ferme la .. bouche.

2. Evolène – témoin féminin

llll vaː prˈa Elle va au pré.

Evolène – témoin masculin

llll va ej pr�ːs Elle va aux prés.

3. Isérables – témoin féminin

iiii va prˈa Elle va au pré.

Isérables – témoin masculin

Ø bal tɛtˈɛ œ mɛjnˈ� Elle donne le sein au petit.

8

4. St-Jean – témoin féminin

llllɛɛɛɛ va o pra Elle va au pré.

5. Troistorrents – témoin féminin

eeee fˈɛʁmø laː ℊˈ�ʁdzɐ Elle ferme la bouche.

Troistorrents – témoin masculin

Ø vˈ� - œ pʁˈɔ6 Elle va .. au pré.

g) Pronom personnel sujet féminin, en tête de phrase

devant un verbe commençant par une voyelle

Elle achète le poivre et le sel au magasin du village _AcheterPrés3f

Elle a le visage rond _ Visage

Elle est enceinte _Enceinte

1. Arbaz – témoin féminin

Ø atsˈǩt ɔ pˈe,vɹœ ɛ a ȓˈo y maℊazˈĩn d vœɔˈ�ːzɔ Elle achète le poivre et le sel au magasin du village.

Arbaz – témoin masculin (avec une reformulation par le locuteur)

ɛː mˈũndo d ˈ�rb� �tsˈtɔ ɔ pˈe,brɔ ɛ ˈɔ - a ȓˈo y mˈɐℊɐzˈiŋ Les gens d’Arbaz achètent le poivre et le .. et le sel au magasin.

Arbaz – témoin masculin (sans reformulation, mais avec avoir)

llll���� ɔː - � fˈ�ȓǩ rjˈ#nd� Elle a le .. la face ronde.

2. Evolène – témoin féminin

jjjjɛɛɛɛː lː lː lː l atsˈɛtɛ l pˈëvr ɛ la ȓa 6 maℊæzˈĩn d6 vlˈaẓ Elle elle achète le poivre et le sel au magasin du village.

Evolène – témoin masculin

llll atsˈɛtɛ lɔ - la ȓ� ɛ lɛ lɔ pˈejvrɔ ?fˈɛĩŋ tɔt ɛȓkri lɔ ɔ pti maℊazˈĩŋ do vlˈ�zɔ Elle achète le sel et le poivre enfin tout -(?)- au petit magasin du village.

9

3. Isérables – témoin féminin (avec une reformulation de elle par celui-ci)

ssssˈi lˈi lˈi lˈi l ɐtsˈɛt (rire) ɔ pˈɛeʋr , pw, a sˈoː ø maɣazˈn dœ ʎˈaːdɔ (rire) Celui-ci achète le poivre et puis le sel au magasin du village.

Isérables – témoin féminin (sans reformulation, mais avec être)

llll ɛ dzˈëɹba Elle est enceinte

Isérables – témoin masculin

,,,,llll ɐtsˈɛta ɔ pˈɛ,vrɛ e a sˈɔ o maℊɛȡˈɛn dœɛ vjˈ�ːdɛ Elle achète le poivre et le sel au magasin du village.

4. St-Jean – témoin féminin

l � la fˈ�sǩ rjˈ#nda Elle a la face ronde.

5. Troistorrents – témoin féminin

Ø �tsˈetje l6 pˈ�ːʋʁ l sːa la sː - œː m�ℊɐẓˈaZ dǩ vlˈaːzɔ Elle achète le poivre le sel le sel .. au magasin du village.

Troistorrents – témoin masculin

llll atsˈete la sˈöo ǩ m�ℊ�zˈZ dɛ v\lˈ�dzoː Elle achète le sel au magasin du village.

h) Pronom personnel sujet féminin, PAS en tête de phrase

Ce matin, elle est allée au galetas _AllerPComp3f

Quand une poule a fait son œuf, elle caquette _Poule

1. Arbaz – témoin féminin

we m�tˈĩŋ ʒˈyȓɐ ℊ�ɔtˈ� Ce matin elle est eue (=a été) au galetas.

Arbaz – témoin masculin

wˈe m�tˈĩŋ ,,,, yʒ enˈø ℊˈ�ːhtˈ� Ce matin elle est eue (=a été) en haut au galetas.

2. Evolène – témoin féminin

wɛj mætˈiŋ llll ʒuȓ aː grɲˈ, Aujourd’hui matin elle est eue (=été, allée) à.. au grenier (galetas).

10

Evolène – témoin masculin

wɛj matˈĩŋ llll ɛ ʒuk ow ℊrˈenˈi Ce matin elle est eu (=été, allé) au grenier.

3. Isérables – témoin féminin

w matˈeŋ llll æ eta anˈu s sˈ? Ce matin elle est allée en haut sur le galetas.

4. St-Jean – témoin féminin

wej matˈĩŋ hhhh alˈ�j o ℊˈalatˈa Ce matin, elle est allée au galetas.

St-Jean – témoin masculin

kɔmǩ l - l zelˈn� jjjj a fe l usː , tsˈantɐ Quand la .. la poule elle a fait l’oeuf elle chante.

5. Troistorrents – témoin masculin

tɕ m�tˈa� ɛɛɛɛllll ɐ lˈajǩ - lˈisːˈy Ce matin elle est allée .. au galetas.

i) Pronom personnel sujet féminin, en construction pronominale

Elle se bouche les oreilles _Oreilles

Elle se brosse les dents _Dents

1. Arbaz – témoin féminin

Ø ȓe ȓˈɔp e ʒ yrˈɛlǩ <Elle> se bouche les oreilles.

Arbaz – témoin masculin

Ø ȓɛ ȓˈɔpɛ ɛ ʒ yrˈɛlː Elle se bouche les oreilles.

2. Evolène – témoin masculin llll ȓœ ȓˈɔpœ lœ ʒ oℊrˈœʎɛ Elle se bouche les oreilles.

3. Isérables – témoin féminin (avec une reformulation, féminin est devenu masculin)

,,,, sɛ bˈuːts e z orˈelːɛ Il se bouche les oreilles.

11

Isérables – témoin masculin

Ø sǩ brˈoːse e dˈn Elle se brosse les dents.

4. St-Jean – témoin féminin

ȓ ȓˈp le ʒ 6rˈɛłɛ Elle se bouche les oreilles.

St-Jean – témoin masculin Ø ȓ brˈɔȓǩ lɛ dɛn <Elle> se brosse les dents.

5. Troistorrents – témoin masculin

Ø sǩ bˈuːtse le z ɔhˈ Elle se bouche les oreilles.

12

PLURIEL

a) Pronom personnel sujet masculin, en tête de phrase

Ils vont aux vendanges _AllerPrés6m

Ils portent un veston noir _Veston

1. Arbaz – témoin féminin

Ø v?ŋ y venˈ`ŋzǩ Ils vont aux vendanges.

Arbaz – témoin masculin

Ø vˈ? y venˈ`ŋze Ils vont aux vendanges.

2. Evolène – témoin féminin

jjjj van a la vn`ᵑsᵄ Ils vont à la vendange.

Evolène – témoin masculin

jjjj,,,, vˈan e, vˈɛnˈ�ĩŋzɛ Ils vont aux vendanges.

3. Isérables – témoin féminin

iiii ʋˈã � ʋǩnˈɛnzǩ Ils vont en vendanges.

Isérables – témoin masculin

iiii ʋˈ ` ʋǩnˈ�nzǩ Ils vont en vendanges.

4. St-Jean – témoin féminin

llllɛɛɛɛ pˈɔrt#n una zˈypa nˈiːrǩ Ils portent un veston noir.

St-Jean – témoin masculin

,,,, vˈan , vˈɛnˈ�ŋzǩ Ils vont aux vendanges.

5. Troistorrents – témoin féminin

vˈã? vc - v?dcnʒˈi Ils vont ven .. vendanger.

13

Troistorrents – témoin masculin

Ø v vˈɛlɛȡ - vc ˈ le velˈ�ːdzɛ Ils vont vendan.. ils vont aux vendanges.

b) Pronom personnel sujet masculin, PAS en tête de phrase

Dimanche passé, ils sont allés à l’église _AllerPComp6m

1. Arbaz – témoin féminin demˈ`ʒ p�ȓˈo Ø ȓ# ʒy # elˈiʒɐ Dimanche passé, ils sont eu (=ont été) à l’église.

Arbaz – témoin masculin

dmˈ`ŋzǩ p�ȓˈo Ø ȓ# ʒ y # welˈiːʒɐ Dimanche passé, ils sont eu (=ont été, sont allés) à l’église.

2. Evolène – témoin féminin

dmˈs paȓˈa ȓ# ʒuk øː a l iˈøʒǩ Dimanche passé, ils sont eu (=ont été) euh.. à l’église.

Evolène – témoin masculin

dmˈ�jŋzǩ paȓˈ� Ø ȓ#n ʒuk � l ˈʎˈœʒǩ Dimanche passé, ils sont (=eu, allés) à l’église.

3. Isérables – témoin féminin

dǩmˈ�ndz: pasˈaː llll ã tˈa a mɛs: Dimanche passé ils ont été à la messe.

4. St-Jean – témoin féminin

dǩmˈ�jŋz paȓˈ� Ø ȓɔn �lˈ� �j l ˈijœʒ Dimanche passé, ils sont allés à l’église.

St-Jean – témoin masculin

dǩmˈ�dzǩ paɕˈa Ø ȓ# alˈa � l eʎˈɛʒǩ Dimanche passé ils sont allés à l’église.

5. Troistorrents – témoin féminin

dǩmˈ�dzǩ pasˈo yyyy ãː itˈ6 oː lˈazǩ Dimanche passé ils ont été au village.

Troistorrents – témoin masculin

dǩmˈdz p�sˈoː Ø s# �lˈo ðˈ�zǩ Dimanche passé ils sont allés à l'église.

14

c) Pronom personnel sujet féminin, en tête de phrase

Elles vont porter des fleurs au cimetière _AllerPrés6f

1. Arbaz – témoin féminin

Ø v?ŋ ǩɹzˈ, ɛ Ƕlˈɹ ȓmeh,ˈeɹɔ Elles vont arroser les fleurs au cimetière.

Arbaz – témoin masculin

Ø v?ŋ ɛrȡ,ˈe hlˈur ȓœmehjˈro Elles vont arroser les fleurs au cimetière.

2. Evolène – témoin féminin

llll van ɛrʒjˈ lǩ flufȓ ȓœmːȓˈr Elles vont arroser les fleurs au cimetière.

Evolène – témoin masculin

llllɛɛɛɛ van ˈɛrʒjǩ l flˈ6kȓ oː ȓˈœmȓjˈørɔ Elles vont arroser les fleurs au cimetière.

3. Isérables – témoin féminin

,,,, vãŋ ˈeːrːdʒjˈ e bɔcjˈɛt s:mtȓˈɛːrɔ Elles vont arroser les fleurs au cimetière.

4. St-Jean – témoin féminin

lœlœlœlœ ʋan ˈɛrzjˈɛ la Ƕłow wǩ ȓˈimiǶjˈɛrɔ Elles vont arroser la fleur au cimetière.

5. Troistorrents – témoin féminin

eeee vˈã �ː#ː - �ʁoza l\, le fjˈø - bc ø s,mtjˈɛːʁ Elles vont aon.. arroser lui les fleurs .. ben au cimetière.

Troistorrents – témoin masculin

Ø vˈã - �ʁɔza l, ɕjˈø - s,ntjˈɛːʁo Elles vont .. arroser les fleurs .. au cimetière.

15

d) Pronom personnel sujet féminin, PAS en tête de phrase

Hier soir, elles sont allées à la messe _AllerPComp6f

1. Arbaz – témoin féminin

astˈe ȓ# ʒʒʒʒˈ̍̍̍yyyy ɐ mˈɛȓa Hier soir, elles sont eu (=ont été) à la messe.

Arbaz – témoin masculin

astˈe ȓ# ʒʒʒʒˈ̍̍̍yyyy � mˈȓ� Hier soir, elles sont eu (=ont été) à la messe.

2. Evolène – témoin féminin

aȓˈe lː Ø ȓ# ʒufȓ a la mˈɛȓᵄ Hier soir elles sont eues (=ont été) à la messe.

Evolène – témoin masculin

aȓej ow neːt ɛɛɛɛllllɛɛɛɛ ȓ# ʒukȓ a la mˈɛȓǩ Hier soir, elles sont eues (=été, allées) à la messe.

3. Isérables – témoin féminin

ɐnˈ, pɐsˈa llll ã tˈaː F lˈiːzǩ Hier soir elles ont été à l'église.

4. St-Jean – témoin féminin

aȓˈiiii ȓɔn alˈej a la mˈɛȓa Hier soir, elles sont allées à la messe.

St-Jean – témoin masculin

aȓˈi l l l l ɛɛɛɛ ȓ# alˈejǩ a la mˈɛȓa Hier soir elles sont allées à la messe.

5. Troistorrents – témoin féminin

ni pasˈo Ø s#ː alˈo ɐ la mˈɛsa Le soir passé elles sont allées à la messe.

Troistorrents – témoin masculin

�nˈ, p�sˈo Ø s# lˈaj � l� mˈesː� Hier soir elles sont allées à la messe.

TOTAL

Pronom personnel sujet, masc. sing. (il)

73%

Arbaz F

Arbaz M

St-Jean FSt-Jean M

Evolène F

Evolène M

Isérables F

Isérables M

Troistorrents F

Troistorrents M

en tête de phrase

--

++

++

++

+-

7 exp. / 10

+ V.C.

�jë

j�j�

ii

e70%

en tête de phrase

++

+/

++

+/

++

8 exp. / 8

+ V.V.

ll

lj

jl

�ll

100%

pas en tête de phrase

++

++

++

++

++

10 exp. / 10

devant voyelle

ll

ll

jj

ll

ll

100%

en constr. pronom.

/?

--

++

//

/-

2 exp. / 6

form

e composée

�i

33,3%

en constr. pronom.

-/

//

/-

-/

//

0 exp. / 3

pas composée

0%

Pronom personnel sujet, fém. sing. (elle)

73,50%

en tête de phrase

++

+/

++

++

+-

8 exp. / 9

+ V.C.

l�φ

lɛl�

l�

i

ie

88,8%

en tête de phrase

-+

+/

++

++

+-

+7 exp. / 9

+ V.V.

l�

ljɛ

ː l

ll

�ll

77,7%

pas en tête de phrase

++

++

++

+/

/+

8 exp. / 8

devant voyelle

��

h�

ll

lɛl

100%

en constr. pronom.

--

+-

/+

+-

/-

3 exp. / 8

pas composée

�l�

� (r

eform

. Il

)37,5%

Pronom personnel sujet, masc. plur. (ils)

53%

Arbaz FArbaz M

St-Jean FSt-Jean MEvolène F

Evolène M

Isérables FIsérables MTroistorrents FTroistorrents M

en tête de phrase

--

++

++

++

+-

7 exp. / 10

lɛ�

j�j�

ii

70%

pas en tête de

--

--

+-

+/

+-

3 exp. / 9

phrase

l

y33,3%

Pronom personnel sujet, fém. plur. (elles)

53%

en tête de phrase

--

+/

++

+/

+-

5 exp. / 8

lœl

lɛ�

e62,5%

pas en tête de

--

-+

+++

+/

--

4 exp. / 9

phrase

l ɛ

ɛlɛ

l44,4%

Annexe tableaux récapitulatifs

explications supplémentaires

Choix de l’ordre des localités :

Nous avons choisi de présenter tout d’abord les 3 localités qui se trouvent dans le Valais

épiscopal, selon la subdivision faite par Jules Jeanjaquet dans son article1, dans le sens des

aiguilles d’une montre: Arbaz, Saint-Jean et Evolène. Les deux villages du bas Valais suivent,

à savoir Isérables et Troistorrents.

Les abréviations :

Arbaz F : le témoin féminin d’Arbaz

Arbaz M : le témoin masculin d’Arbaz

En tête de phrase : le pronom personnel sujet se trouve en début de la phrase, sans qu’il y ait

aucune interjection avant.

+ V.C. : le verbe qui suit le pronom personnel sujet commence avec une consonne (C)

+ V.V. : le verbe qui suit le pronom personnel sujet commence avec une voyelle (V)

pas en tête de phrase : le pronom personnel sujet ne se trouve pas au début de la phrase, un ou

plusieurs éléments le précèdent.

En constr. pronom. : le pronom personnel sujet se trouve dans une construction pronominale

Forme composée : la construction pronominale se compose avec le verbe être, p.ex. Il

s’est cogné, il s’est tapé etc.

Pas composée : la construction pronominale se compose sans le verbe être, seulement

avec un pronom réfléchi, p.ex. Il se ronge les ongles, elle se brosse les dents etc.

Les signes d’expression et de non-expression :

+ expression

S’il y a expression, la transcription phonétique est également mentionnée

- non-expression

/ pas d’attestation, à cause du corpus (reformulation, absence de réponse etc.)

1 Jules Jeanjaquet, Les patois valaisans. Caractères généraux et particularités, 1931.

Annexe 1 : API – Alphabet Phonétique International