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ECOLE PRATIQUE DES HAUTES ETUDES Sciences historiques et philologiques V HAUTES ETUDES MEDIEVALES ET MODERNES 84 LIBER LARGITORIUS ETUDES D'HISTOIRE MEDIEVALE OFFERTES A PIERRE TOUBERT PAR SES ELEVES Reunies par DOMINIQUE BARTHELEMY ET JEAN-MARIE MARTIN Ouvrage publie avec le contours du Collegede France LIBRAIRIE DROZ S. A. 11, rue Massot GENEVE 2003 A la librairie Champion, 7 quai Malaquais - Paris cýýý6 W

LIBER LARGITORIUS - MGH-Bibliothek · 2010. 2. 18. · concorder avec le Diktat de chancellerie, Ottenthal enfin et surtout qui argumenta la presomption de sincerite2. Editeur, tres

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ECOLE PRATIQUE DES HAUTES ETUDES

Sciences historiques et philologiques

V

HAUTES ETUDES MEDIEVALES ET MODERNES

84

LIBER LARGITORIUS ETUDES D'HISTOIRE MEDIEVALE

OFFERTES A PIERRE TOUBERT

PAR SES ELEVES

Reunies par

DOMINIQUE BARTHELEMY

ET

JEAN-MARIE MARTIN

Ouvrage publie avec le contours du College de France

LIBRAIRIE DROZ S. A. 11, rue Massot

GENEVE 2003

A la librairie Champion, 7 quai Malaquais - Paris

cýýý6 W

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ý LES POUVOIRS PUBLICS DE L'EVEQUE DE

ý PARME AU MIROIR DES DIPLOMES ROYAUX

ET IMPERIAUX (FIN IXe-DEBUT XIe SIECLE)

A qui considere la detention de droits de la puissance publique, jusqu'ä 1'entiere disposition des droits comtaux, par les eveques d'Italie centro- septentrionale, les cites de Parme, Reggio d'Emilie et Modene offrent l'un des ensembles les plus vastes et varies d'actes de souverains, meme si, de tres loin, le Piemont leur vole la premiere place par la densite des etudes qui lui ont ete consacrees 1. Et, au sein du groupe emilien, Parme 1'emporte par la masse documentaire - malheureusement, pour cette

1. La presente contribution reprend les Brandes lignes d'un expose presence au semi- naire de Pierre Toubert, Bans le cadre de la preparation d'une journee d'etudes sur les eveques et les pouvoirs comtaux en Italic. Position generale du probleme par P. Toubert, aI poteri pubblici dei vescovi del Regno d'Italia nei secoli x-xi u, dans Chiesa e societä in Sicilia, I secoli all-xvl, atti del 11 Convegno internazionale organizzato dall'arcidiocesi di Catania, 25-27 novetttbre 1993, a cura di Gaetano Zito, Turin, s. d.,

p. 3-20.11 cst impossible de fournir ici le detail de la bibliographic utile, a la foil nom- breuse et desequilibree. Pour Parme, la premiere etude d'ampleur a etc donnee par Reinhold Schumann, Authority and the Conunune, Parma 833-1133/Intpero e Contune, Parma 833-1133, Parme, 1973 (Societä di storia patria per le province parmensi, Fond e studi, serie seconda, 8). Nombre de donnees sont conunodement regroupees Bans Roland Pauler, Das "Regnuut Italiae" in ottonischer Zeit : 3Iarkgrafen, Grafen told Bischöfe als politische IGäfte, Tübingen, 1982 (Biblitothek des Deustchen historischen Instituts in Rom, 54). Pour le reste, routes les references stiles sont offertes dans les

recentes syntheses de Francois Bougard, La justice dato le royaume d'Italie de la fin du

VIII` au debut du xf siede, Rome, 1995 (Bibliotheque des Ecoles fiangaises d'Athenes

et de Rome, 291); Paolo Camntarosano, Nobili e re : l'Italia politica dell'alto ntedioevo, Rome-Bari, 1998 (Quadrante, 96), et Storia dcll'Italia medievale, dal vi all'XI secolo, Rome-Bari, 2001. - Les diplömes royaux et imperiaux seront cites d'apres le mode de reference usuel en Allemagne et en Italic, dans leur version adaptee par Bougard, La justice..., op. cit., p. 55, n. 1.

. Lbn Jmgiwiut .. ttrlu d'hiýfaia midýnak cyýma J PimeTaubm pa so j fnrs, rcunier pu Q Buthelemy et j. -M. Mutin, Geneve, 2003.

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16 OLIVIER CUYOTJEANNIN

epoque, mal rclayce par les actes" prives º ou nteme par les actes episco-

paux qui se creent precisement alors, par communion de formes avec la diplomatique souveraine, plus que par « usurpation 3,. En un siecle at demi, de 879 ä 1036, c'est une quarantaine d'actes qui sont on auraient ete adresses ä 1'evcque at ä sa cathedrale, dont la moitie environ abordent, exclusivement ou en partic, la question dc la detention de droits de la

puissance publique. Vue dans ses grands traits, la documentation parmesane a tres vite

contribue a faire de la cite un cas typique de progression lineaire, dans la

substance des pouvoirs, de 1'immunite au comte - pour reprendre une formulation ancienne, dont PierreToubert a nagucre critique la distinc-

tion qu'elle faisait mettre entre imnwnite «passive * et inmiunite a ac- tive » -, comme dans son aire geographique, du pouvoir sur la ville au pouvoir sur la ville et sa banlieue, du pouvoir sur des noyaux castrattx au pouvoir sur tout le comte. Vues conunodes mais schematiques, qui ap- pellent correction : s'il y a, laute de conue, un * eveque-comte u, et en- core le titre est-il intermittent, 4 protecteur . du peuple parmesan, fedc-

rateur dynamique, un temps, de la societe, eveque d'Empire a eclipse, il

n'y aura guere finalement de . comte episcopal . que par commodite de langage et interet exterieur, celui des elites citadines qui y trouveront l'echafaudage temporaire de leur domination, celui plus temporaire en- core d'un empereur en mal de maitrise du territoire : at encore bien sou- vent le diocese assurera-t-il mieux cette fonction. De ce brouillage, ä

nouveau, le meilleur temoignage vient des actes souverains eux-menes.

Le point de depart le plus commode de cette courte revue de la do-

cumentation est constitue par le diplöme delivre par Otton 1°r le 13 mars 962 (DO 1239), premier d'un ensemble de cinq diplömes du souverain octroyant des droits de la puissance publique a des eveques Italiens (Parme, Reggio d'Emilie et Asti en 962, Novare et Cremone une dizaine d'annees plus tard). L'acte emis en faveur de 1'eveque de Parme a lui-

meme une longue histoire chez les historiens et diplomatistes : long-

temps connu par une tradition defectueuse, il vit les editeurs des Monn-

rnenta Gernraniae Historica combler d'assez graves lacunes par comparaison

avec le diplöme confirmatif delivre par Henri II en 1004 (DH 1171).

D'abord suspecte par des historiens reticents devant l'importance des

droits « abandonnes » par le nouvel empereur, il fut sauve par les grands

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LES POUVOIRS PUBLICS DE L'EVEQUE DE PARME 17

diplomatistes, Fick-er qui ne vit rien d'etonnant an fond, Sickel qui le vit concorder avec le Diktat de chancellerie, Ottenthal enfin et surtout qui argumenta la presomption de sincerite2. Editeur, tres largement, et di-

plomatistes, en tout, virent leurs conjectures confirmees quand 1'original du diplöme refit surface a Parme3.

L'acte, d'elivre en faveur de 1'eveque Hubert, ancien chancelier et ar- chichancelier des rois Berenger II etAdalbert, l'un des principaux sou- tiens du nouvel empereur aupres duquel il exerce alors un long sejour et dont il deviendra en 965 archichancelier pour 1'Italie, est remarquable pour la maitrise de sa redaction, en phase avec les evenements (le pream- bule et 1'expose se situent tres precisement dans le fil du couronnement imperial a Rome d'oü le souverain est en train de remonter vets le

nord), precise sur le fond, d"etaillee dans ses implications : pas d'improvi-

sation, donc, pas davantage de longue attente qui guetterait le moment favorable. C'est aussi le resultat d'une maturation, qui fait tres precise- ment viser un probleme specifique : 1'acte est exclusivement centre sur 1'exercice des droits publics; il ne les englobe dans aucune confirmation du patrimoine, meme generique, dans aucune allusion a d'autres biens. Reponse precise, donc, a une situation locale, conflictuelle, oü 1'acte dresse le bilan d'un echec de la politique carolingienne de collaboration harmonieuse entre eveque et comte, prenant en deux passages des ac- cents inusuellement äpres (ejusderii ecclesia lacerabatur ex parte scilicet couii- tatus, tit peuitus lis et schimia evelleretur... lit... parifce viveret). C'est encore, au plan du vocabulaire, un acte qui fait du neuf avec de 1'ancien : des

mots-clefs du fond, publica fiuutio, districtus, teloueum, procurator, ou du dis-

cours, trausfiýadereants, sont tout droit sortis des actes des rois carolingiens et « nationaux u. Pourtant, autre trait capital, cette inscription dans une lignee d'actes ne s'assortit ni de la mention ni de la reprise textuelle d'aucun d'entre eux : tout juste les predecesseurs sont-ils invoques de faqon generique; l'action est presentee comme un don pieux, pris sur ce qui est dü ä la regia potestas et a la publica fimctio.

2. E. von Ottenthal, contribution ät Excurse zu ottonische Diplomen a, dann Mit- tei1un, en des I, tstituts fr österreichischen Geschid, tsfursch u, g, Ergänzungsband, t. 1,1885,

p. 143-155. 3. Une nouvelle edition est donnee, sur cette base, par Giovanni Drei, Le carte degli ar-

chivi panne, ui dei seculi x-xt, Parme, 1924-1928,2 vol., n° 63 du x` siecle.

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18 OLIVIER CUYOTJF-ANNIN

L'expose qui reprend la demande de l'eveque est tout aussi tradition-

nel quant au fond : le pouvoir episcopal (ins, doinininun, districtns) dolt

pouvoir s'exercer sur les personnes, les biens et les families de tous les

clercs de 1'episcopinm, oii qu'ils se trouvent, et sur ceux des habitants de la

cite. Cc pouvoir est tres nettement et explicitement etendu du champ fiscal, oü les actes precedents avaient risque de le cantonner, au champ judiciaire : si Von peut avoir plus d'un doute sur le contenu eflectif des districta vel telonea des acres anterieurs, le « detroit " ici vise ne soufl're plus aucune ambiguite, il est deliberandi, dyudicandi, distringendi potestas, exer- cee par 1'eveque comme en presence du comte du palais. Cc droit fon- damentalementjudiciaire est non moms explicitement complete de I'ap-

pareil des autres pouvoirs et revenus publics : mur, tonlieu, functio publica. Plus nouveau encore, ce pouvoir est aussi explicitement etendu a

1'exterieur de 1'enceinte de la cite, projete sur trois miles. La nouveaute n'est certes pas dans la reference ä la definition spatiale precise, ä la dis-

tance de « rayonnement v d'un pouvoir ou d'un droit, dejä presente en plusieurs actes des rois « italiens ., mais dann son emploi pour un pouvoir lui-meme entendu comme integral et absolu. On salt que, meme avec des distances differentes, l'idee sera reprise Bans les autres concessions ot- toniennes. 11 reste pourtant, en consonance avec les traits precedents, que le diplöme parmesan se Signale ici encore, dans ]a serie des actes otto- niens, par 1'extraordinaire precision, voire obsession, qu'il met a tirer et ecrire les consequences de la mesure, puisque, aussitöt aprts, il egrene le

nom des localites qui marqueront les bornes de texte « banlicue u sans le

nom (carte no 1). La reconstitution precise de ce territoire a dejä ete falte

par Reinhold Schumann, et l'on ne peut que tonfirmer l'impossibilite d'identifier Fun des lieux cites, Terabianuin, comme la vraisemblance de

sa position, tant l'ordre et la regularite sont au rendez-vous de la des-

cription qui, dann le sens des aiguilles d'une montre, cite trois lieux pour chacun des quartiers correspondant a l'un des points cardinaux. Encore faut-il remarquer que cette maitrise de 1'espace, assez commune aux administrateurs carolingiens, plus certainement encore proche, dans les

modalites du decoupage, du systeme des « portes n de ]a cite', ne peut

4. Sans grande originalfite, les quatre portes principales de Parme servent ä nontmer ct d'ecouper quatre circonscriptions interieures, qui se projettent ensuite de la %tille vers le plat-pays. 11 est possible de reconstituer ces circonscriptions du contado par

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LES POUVOIRS PUBLICS DE L'EVEQUE DE PARME 19

naturellement s'appuyer que sur les donnees fournies, jusqu'en plein cur du dispositif, par le solliciteur. Et encore et surtout que, pour titre belle, elle n'a eu aucune posterite, ä tout le moins dans notre documen- tation, bien pauvre il est vrai du c&e de la commune au xuie siecle, oü ja-

mais plus ne transparait une allusion a une « banlieue » ainsi delimitee5, a la difference par exemple de la « banlieue » d'Asti, plus d'une fois rencontree sous les appellations de ((posse vents)) on ((posse antignuttt » de la ville : elle a sans doute ete victime des succes ulterieurs qui ont repousse ses bornes.

Le diplöme ne s'arrete pas en aussi bon chemin. Apres une nouvelle liste d'elements livres au pouvoir episcopal, plus classiques (voies de com- munication, eaux, terres publiques), il developpe avec une maniere d'obs-

tination langagiere toutes les consequences de la « donation »: immunite

personnelle de tous les habitants de la cite et de la banlieue, oü que soient leurs biens (c'est bien stir 1'eveque (( protecteur » qui etend alors sa solicitude aux taxes et aux plaids), aussitöt elargie a ceux qui resident sur des terres de 1'Eglise de Parme (sive libellarionnn live precarionnn sett cas- tellanontttt); investiture episcopale aux notaires, sans opposition possible du comte; d"el"egation au vidame episcopal du jugement des litiges por- tant sur 1'application des nouveaux droits.

L'acte pourtant est coule dans le moule des actes des siecles prece- dents. Marque tout du long par un net clivage entre le fits publicunt et la

res pttblica d'une part, le fits d'une eglise locale, de l'autre, il n'est jamais,

avec insistance, largesse et precision, certes, que donation pieuse et re- ponse ponctuelle a une demande locale. Cela seul suffirait a montrer, si la preuve n'avait dejä ete vigoureusement assenee, que l'horizon du Reicltshircltensystettt est encore bien loin en 962. Ce qui, on le sait aussi, n'empeche pas 1'acte, sinon de faire tache d'huile, du moins de susciter

approximation, pour le debut du xut° siecle, en cartographiant les interventions de juges communaux, a commencer par les ingrossatores : comme dans le diplöme de 962, la division de 1'espace en quartiers semble s'appuyer sur les quatre routes secon- daires qui s'eloignent de la ville et recoupent, en croix, l'axe de la Via Emilia : vers Brescello-Guastalla au N. E., vers Traversetolo an S. E., vers Fornovo au S. W., vers Cremone au N. W.

5. La documentation communale montre, daps les textes statutaires, tantöt une reference possible a l'espace de la cite romaine antique (encore present au xtv° siecle dans le

. Sta in pace "), tantöt une banlieue plus large qu'ici, dite . des quatre plebes)) d'apres les quatre . pievi s entourant is cite.

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20 OLIVIER CüYOTJr-Altitit\

les envies de deux confrcre3 d'Hubcrt : 1'cveque dc Reggio d'Emilie &s

le 20 avril suivant, l'evcquc d'Asu Ic 25 scptentbre - le premier au mains voisin, le second vicillc connaissanec do cclui do Parme. Sans entrer dams

un detail ici trop long, it faut avant tout retirer dc la conrparaison entre les actes pour Parme et pour Rcggio la constatation de tres profondes dif1Lrences de redaction et dc prescntation : le second, reposant sur un pesant dossier do Vonrrkundeu, garde du premier 1'explicitation detaillee des droits, mais se revele autrement touffu, pour avoir vise une defense de tout Ic patrimoinc episcopal, plus que la claire delimitation d'un droit

public exclusif.

Si magistralement compose, le diplöme de 962 pour 1'eveque de Parme incite ä poursuivrc 1'examen en empruntant deux voids pour ten- ter de mieux le mettre en perspective : les autres diplönics royaux et im-

periaux delivres ä 1'evcque et ä sa cathedrale, cc clue l'on peut apercevoir du sort des comtes et du comte, Pun et 1'autre aspect menant essentiel- lementjusqu'au regne de Conrad It.

Relire les autres actes souverains, e'cst aussitöt buter sur un %pineux dossier de falsifications, rendu plus encore epineux par le premier exa- men d'ensemble, meticuleux, brillant et fougueux, que publia en 1944 - la date n'est pas innocente non plus - Cesare Manarcsi6. Produit d'une reflexion diplornatique italienne qui await ete 3 trop bonne ecole pour ne pas integrer le double enseignement do Sickel et do Ficker, Inais aussi pour ne pas emprunter un temps le chemin de l'hypercritique, le long

article de Manaresi proposait, avec des conclusions historiqucs de grande importance, la deconstruction totale et, i vrai dire, assez aisec, de la these defendue une decennie plus tbt par Mathilde Uhlirz : it Ctait impossible de deceler une ligne politique claire et ferme dans la r politique eccle- siastique » d'Otton I°f, en I'occurrence une pensce geo-strategique dis- tribuant des eveques-comtes cosine autant de relais sur les voles mili- taires permettant de tenir le Royaume. Micux, I'ctudc des diplönies

montrait le Saxon berne par les astuces d'un episcopat italien passe maitre dans fart du faux. Emporte par sa demonstration, qui dit bien, presque a son insu, la fertilite de I'approche de 1'ecole allemande, Manaresi,

6. C. Manaresi, . Alle origini del potere dci vacovi sul territorio cstcrno della eittä ., dans Bullettino dell'Istituto storiro italiano, t. 58 (1944), p. 221-328.

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commencant normalement son examen par le cas de Parme, fit fond sur les caracteres aberrants et la tradition souvent piteuse des actes parmesans : tous les actes mentionnant des droits publics avant le diplöme de 962 se- raient des faux, et c'est meme 1'eveque Hubert qui les aurait fait forger

ou retoucher pour abuser Otton It1 sur la realite de ses droits effectifs. Un

peu forte, evidemment, la these est un veritable cas d'ecole sur les me- faits d'une hypercritique qui, sur ce point, oublie les Brands enseigne- ments de Fick-er, ne remet pas en contexte les contradictions mais les enge automatiquement en indices de faussete et n'entend jamais un mot (ici le districtus) que dans une acception unique.

La bombe peut etre desamorcee sans que l'intuition fondamentale de Manaresi soit evacuee : on peut eviter de voir dans le diplöme ottonien la creation deliberee d'un comte episcopal, lui restituer sa part de

conjoncture et de compromis avec des demandes insistantes, lui Oter

meme de sa nouveaute, sans etre pour autant contraint de rejeter toute la documentation anterieure. Pour faire bref, car le detail serait fastidieux, 1'erreur initiale de Manaresi a ete de considerer en bloc tous les actes de- livres ä« 1'Eglise de Parme » et evoquant, en principal ou en accessoire, les droits de la puissance publique. Or it ne s'agit pas d'un ensemble homogene, non seulement pour ce qui est des droits de la puissance publique, mais encore pour ce qui est des beneficiaires exacts, puisque Fon doit ici associer une simple consideration archivistique aux elements diplomatiques. En effet, independamment des actes explicitement deli-

vres au seul benefice de la mense canoniale de la cathedrale de Parme - eux-memes renouveles, soigneusement remis a jour, a 1'epoque otto- nienne, en 980,996 et 1000 -, on peut distinguer, au moins a titre d'hy-

pothese de travail, deux sous-ensembles : (a) des actes explicitement destines ä l'eveque et conserves aux archives

episcopales, affectes d'une tradition detestable, de Hugues a Conrad II,

souvent uniquement connus par des compilations du xvue siecle, mais ne soulevant guere d'eux-memes le doute de falsification, au moins pour ceux qui regardent les droits de la puissance publique;

(b) des actes adresses a 1'eveque et ä son Eglise, transmis pour une part au moins par les archives capitulaires de Parme. Or c'est ici que se concentrent ces copies figurees scellees, ces actes etablis hors chancelle- rie et ne portant pas forcement de signe de validation, mais parfois des

ajouts, qui font toute la complexite du dossier parmesan.

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22 OLiV1ER CLf1fOTJEAIti\iN

Cette simple observation archivistiquc - qui West d'ailleurs pas un

critcre systenlatique mais pose au passage, unc fois encore, le problemc: de la repartition des actcs entre cvcquc et chapitre, comme de la nais-

sance d'archivcs cpiscopalcs autononres, au grc dc 1'aptitude ou de la vo- lonte du chapitre 3 personnifier 1'4ise dc la eitO -a ete curieusement negligee, rant lc priniar a ctc jusqu'ici donne aux textes sculs, efTet per- vers de la tres b&n&fiquc constitution dc corpus par auteurs d'actes. Or,

sans avoir de valcur absolut, elk offre un nouveau biais pour tenter de

reordonner le tresor d'obsemations accunlulc par les cditeurs et les conl- mentateurs, jusqu'ä Manaresi, tout en revoyant certainrs de leurs conclu- sions. De 1'observation arcllivistique se degagc d'ailleurs aussitöt un trait diplomatique nlininlc, pas plus absolu, mais fonctionnant lui aussi comme un marqueur : c'est dans le second groupe, disons " canonial » pour aller un peu vite, d'actcs que se trouve un curleux realllellagelllent de la clause penale, qui fait afTecter la nnoitic de 1'amende non a 1'eveque

et a ses successeurs (ou aux chanoines, dann les acres relatifs a la nlense canoniale), mais a cpiscopo ad partein eclesic sue ".

Les exemples les plus clain du trat-ail dc ccs faussaires, qui semblent aeuvrer aux premieres dccennies du xt° siecle, et qui s'eloigilcraiellt tin peu du type de 1'u honorable faussaire a, plaisamment nonune par Carl-

richard ßrühl, les exemples aussi les plus faciles a critiquer, sont offerts par les actes les plus anciens. Ds remontent precisement a 1'epoquc fon- datrice et gloricuse de 1'cvcque Guibod, laquelle, en outre, leur offrait une large gamme d'actes a iniiter.

Leur plus ancienne production, sous le regard de la date pretendue, est en effet un diplöme de Carlonlan (D. Karlin. 24), deja tenu pour falsi- fie par Kehr, et qu'il est aussi inutile de promouvoir, avec Manaresi, a la

qualite de fleuron du dossier presente a Otton I`c que de tenter dc rellabi- literg. Tout, au contraire, s'explique si Pon rapporte 1'acte, pleine forgerie,

7. On repete que les arguments ici asznces ne valent que pour les diplöntes relatifs i la detention de droits publics aux x` et xt` siccla : lc complcxe dossier parmesan offrr par ailleurs soit des falsifications plus tardivcs (p. cx. D. K. 111175). soit d'autres grou- pes de faux. L'argument archivistiquc n72 etc qu'un indicc permettant dc rclire la do-

cumentation, et il fonctionnc d'autant moms sy, stcmatiqucmcnt que, au xvu° conmic au xx` siccle, les deux d'epöts ont ete permeablcs; il raterait, cc que je n'ai pas cu en- core I'occasion de faire, i tester 1'ensemble du dossier i is lumicrc d'evcntuellcs notes dorsales medievalcs.

8. C'est le seul des actes connus de Carloman i cider le distrirnurt tivitatis.

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a l'atelier canonial, soucieux de plaquer une realite contemporaine (la detention de la pleine justice sur la cite par une « Eglise » de Parme, glis- sant de 1'eveque a la cathedrale) sur un cadre redactionnel fourni par un autre diplöme de Carloman (D. Karo)j. 23), qui entry plus tard aux archives de la cathedrale (il notifie un don du souverain a un particulier, chapelain episcopal), avant d'ailleurs de rejoindre celles de l'eveche au xxe siecle9. Le formulaire en est tres largement demarque, jusqu'ä la formule de date

qui entraine faussaire... et editeur en de redoutables complications : le diplöme-source (conserve en original) etait date d'Öttingen en Baviere, Pan 871, ce qui, d'apres l'itineraire du roi, ne peut etre qu'un lapses

calanti pour 879 (en bref, le ((X » final de DCCCLXXIX orris) ; le faus-

saire garda la date de lieu et ajouta une unite, pour faire bonne mesure, an millesime, datant donc sa production de 872, une donnee encore plus incoherente dans l'itineraire du roi. Mais le fond est entierement nou- veau, puisque la pretendue largesse du roi fait transferer a 1'Eglise de Parme 1'abbaye de Berceto et confirmer des dons anterieurs, regardant tons la cite : une cortis regia et onme jus publicum et toloneum atque districtum

ejusdent civitatis et ambitum umronun in circuitu necnon et pratum regium non longe ab ipso eadem civitate. Portant la clause penale « ad partem ecclesie », le faux diplöme est retie par quelques emprunts textuels et par la meme fin a une autre production de l'officine, plus importante encore au fond, le

((faux testament » de 1'eveque Guibod to De ce dernier en effet, on connait un vrai testament, de 892, texte

captivant dont deux exemplaires sont connus, aux archives capitulaires de Parme eta celles de Plaisancett. Il servit de base pour produire un autre acte, le ((faux testament)), date de 877, et dont le cur regardait la fon- dation-dotation du chapitre, on plus exactement de la mense canoniale. Le faux repond bien a une realite attestee par ailleurs : le chapitre a ete

effectivement dote d'une organisation plus ferme sous Guibod, qui a ete

un aussi grand bienfaiteur qu'un habile politique. Mais it ne s'agit pas seulement d'une pieuse refection visant a donner une legende de fonda- tion au chapitre. Le style detonne, a commencer par un preambule qui

9.11 estjuste d'ajouter que le plus ancien temoin du faux diplönte est une copie nota- riale de is fin du xttt` siecle (actuellement aux archives episcopales).

10. Ed. U. Benassi, Codim diplaructuo pvnnauc, t. I [seul paru], Saolo VIIII, Parme, 1910, n° 13. 11. Ibid., n° 25.

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24 OLIVIER CüYOTJEA1ti\Ih

dit la crainte du dctourncmcnt des largcsscs ropalesl2. Le faussaire await evidemment latitude pour enjolivcr le fond, renvo}unt d'ailleurs, au pas-

sage, en un entrecroisenlent t}piquc de pseudo-citations, ä un autre acte de Carloman, egalenlcm cite clans le faux n is au nom du lnellle roe.

Le faux testament do Guibod va en fait beaucoup plus loin que le faux de Carloman : les largesses royales, semblablement definics, sons confiees ä la cathcdrale, et 1'eß eque Guibod a transfers an chapitre le fills

publia:, dont les revenus sont meticulcusenlcnt divises en trois parts : a l'autel Notre-Dame, aux luminaires, et, pourquoi les oublier, aux sti- pcudia canonironnn13... On voit au passage que 1'hqplothirsc de Manaresi denlontre ici dejä sa principale faiblesse logique : de tels actes, clans le

dossier )> do 962, eussent etc dc biers faible poids pour argumenter les droits episcopaux, sauf ä le s montrer dc trix loin i l'empereur...

Cc dossier de forgeries est complete dune troisienle piece, un di-

plöme prctendu de Charles III (D. K. 111115), date de Pavie, le 16 avril 885, dont le seul but est do confirtller lc faux de Carlonlan 14. L'exanlen de cette premiere partie du dossier autorise aussi une conclusion qui re- garde de plus pros 1'eveque : aucun acre s6r d'un roi carolingien ne lui a cede quelque droit public que cc soft sur ]a cite, quelque nonlbreuses qu'aient etc les largesses des dernicrs Carolingiens ä Guibod, quelque in-

tense qu'ait etc l'activite des chanoines pour obtenir des rois « natio- naux n d'entrer et de demeurer clans 1'heritage du prelates

On est plus trouble de voir le prolongenient direct de cc groupe de faux dans deux acres, l'un d'Otton II, I'autre de Conrad II, qui pouvaient n'etre que des confirmations-actualisation du diplönle d'Ottoli Ir'. Or l'acte d'Otton II, date du 13 aoilt 981 (D. O. 11 257), se relic, inlplicite-

ment et explicitement, non pas ä I'acte paternel mais aux deux faux de

12. « ldcirco nos qui tenemus ofTicium sacerdotale, in Dci ministcriunt transferre debc-

mus quod ob aninte rcmedium inpertitur ius regale ". 13. Seul contrepoint bien atteste : lc ehapitre scra detentcur du tiers du tonlicu dc la cite. 14. II est possible que le faussaire se soit appuyc, cntrc autres, sur Ic fortttulairc dc l'ttn

des nombreux actes du roi destines i Parate, en particulicr unc donation i 1'evcque Guibod (D. K. 111126), passee etuuitc au chapitrc. La forgcrie a la meine tradition que le faux de Carloman.

15. Voir en particulier, pour le premier aspect, D. K. 11115,36,126,171, D. Gui 19, et encore D. Ara. 125; pour les confirmations au ehapitre (compl"ctecs de plusicurs auto- risations de refaire des actcs d'etruits par incendie), D. Lamb. 9, D. Btr. 1134, D. Rod. 3.

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LES POUVOIRS PUBLICS DE L'EVEQUE DE PARME 25

Carloman et de Charles 111. On en concoit du coup des soupcons plus forts encore que ceux de l'editeur ä 1'encontre de ce document, conserve aux archives du chapitre, qui porte a nouveau la clause penale « pro parte ecrlesie site)), et modifie a peine la formulation des droits publics offerte par les deux faux, sauf tout de meme, par une allusion a la banlieue, a

tirer les consequences de la donation d'Otton I", comme si le dossier etait actualise tout en ignorant le diplöme de 96216. L'incitation est donc forte de rapporter 1'acte d'Otton II plus a l'activite des faussaires parmesans qu'aux nouveaux developpements de la politique locale. Et ce d'autant

que le dernier chainon du dossier est constitue d'un acte de Conrad 11, de 1027, qui amplifie un peu le ressort de la puissance episcopale en re- prenant les memes voies (D. Conrad 1198) ".

Quoi qu'il en soit de ces deux derniers diplömes, vraies ou fausses

confirmations de faux, produites de toutes facons hors chancellerie, on n'a guere fait jusqu'ici que conforter le sentiment de Manaresi sur 1'exis-

tence d'un vaste complot de falsificateurs, meme avec quelques serieuses nuances Bans les motivations supposees. On va se separer beaucoup plus nettement du grand editeur des plaids en abordant les actes des annees 920.

A ce moment en effet, plus precisement entre 926 et 930, un nou- veau palier Bans la puissance episcopale est atteint, prepare par une exten- sion nette du patrimoine, aussi bien an nord, outre-Pö, avec Sabbioneta

16. La seule difl`erence tient en effet a cc que la formule . ambitum murorum in cir- cuitu . des trois faux de la fin du tx` siecle devient g ambitum murorum cum inte-

gro suburbio civitatis v, une expression qui n'etait pas Bans le diplöme de 962, mais correspond parfaitement a son esprit. Les chanoines avaient dans leurs archives une confirmation de leurs biens par Otton II (D. 0.11238, du 28 decembre 980, confir- mec par D. 0.111210, de 996).

17. Toutes les caracteristiques de cc queje pense etre les faux de Carloman, Charles III, Guibod et Otton 11 se retrouvent dans cet acte aujourd'hui conserve, it est vrai, aux archives episcopales, la airtis regia en moms, ]'extension au his pitliaun amnion rastro- nan Pannenuis cpiscopii en sus, donc ici encore avec une actualisation sinon averee, du

moms probable. En l'etat actuel de la recherche, je ne peux trancher entre deux hypotheses : preparation par un clerc de l'Eglise de Parme, ä partir des faux dejä

confectionnes, d'un acte ensuite presence au souverain (mail alors au benefice de 1'eveque); hypothese (h)percritique? ) d'un nouveau faux, bouclant le dossier (j'y suis incite par ]e dessin tout de meme bien etrange du monogramme). Dans le premier cas, l'hypothese de faux manifestant une certaine " vigilance r canoniale a 1'encontre de 1'eveque se transformerait en celle d'une collaboration...

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26 OLIVIER CI; YOTjE, '11titiUti

(donnee en 924) qu'au sud avec I3crccto (confirmce en 922). Palter au

reste assez tardif puisquc, aillcurs. Ids premieres grandes concessions :t des

t veques remontent a Bcrcngcr I". L'hypothc'Sc dc travail dc la Separattoll

entre deux groupes d'actes, l'un pour un cvcquc ä la figure nettement circonscrite, l'autre pour un cvcquc indistinct, 5 efacant derriere` une Eglise tres canoniale, continue ä clarifier la situation. Elie pcrmet de dc-

gager un ensemble coherent de trois diplömes du mi Hugues, dClivri s etl faveur des cvequcs Hercardus (D U. 3, du 4 juin 926) puis Sigefredo [11 (D. U. 15, du 12 mai 928; D. U. 25, du 16 septembre 930, a Parse

mcme) : groupe d'actes oii n'apparait aucun argument diploniatique po- sitif contre la sincerite, formant au contraire un ensemble articule de textes traduisant bien une politique cpiscopale (mais aussi ro)-ale) coherente, tout en etant caracterises par une redaction relativement floue, qui, eile, contraste vivement avec la formation siclaire du diplöme ottonien.

Le diplöme D. U. 3 forme la piece premiere ct centrale de cc dispo-

sitif. 11 se rapproche du diplöme ottonien par Ic fait qu'il sc presente comme une donation ä 1'Eglise et i son cvcquc, inais cette fois nette- ment appuyCc sur la tradition (une tradition tres vicille, qui atnCne a

confirmer toutes les acquisitions mcnecs depuis le temps du mi Ratchis,

cc qui en l'occurrence ne vise quc I'abbayc de Berceto), mais it n'en a pas la fermete : l'exposc et deux parties successives du dispositif repetcnt les elements « confirmes , avec quelques variantes. Au fond, et outre Ber-

ceto, tout ne porte quc sur la cite : civitatis districtuun ac ouune jns putlictnn vel toloneum, ajoutant en coup le route deux autres pieces patrimoniales, la Corte regia et le Prato regio. Le diplöme mete donc, sans les ordonner, la detention dejä effective, mais manifestement aussi precaire qu'esscntieile, de l'abbaye de montagne, le don de pieces importantes du fisc, au nonl bien caracteristique, et, peu misc en relief, la concession do droits publics - sans que cette maladroite redaction soil une preuve suflisante de faus-

sete (et lä encore Hubert s'y serait bien mal prin... ). L'interpretation de la ponce de l'acte en est d'autant plus delicate. La

question des ensembles fonciers est la moins ardue : la Corte regin ne se laisse pas identifier au travers de la documentation ulterieure, archivis- tique ou toponymique, en une epoque d'ailleurs oü le groupe episcopal

est encore dans la cite (la premiere attestation explicite de son deplace-

ment hors de l'ancienne enceinte est de 1055). Par contre, le Prato regio a plusieurs siecles survecu sous le nom de « Pra rezo lieu d'une foire

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LES POUVOIRS PUBLICS DE L'EVEQUE DE PARME 27

instituee par 1'eveque a la Saint-Herculien, it etait situe au nord-est de la

ville, dans le prolongement d'ailleurs du futur groupe episcopal. Le dis- trictus si allusivement mentionne pose, lui, de reels problemes, d'autant

que les dossiers de diplömes pour Reggio d'Emilie et Modene montrent des modalites tout autres de progression de la puissance episcopale, beau-

coup plus explicitement economiques et materielles qu'ä Parme (ce ne sont que tonlieux, murs, moulins, taxes... et it faut attendre respective- ment 980 et 1026 pour voir evoquer un district us episcopal sur la ville). La

mise en perspective avec le diplöme ottonien suggere que 1'acte de 926 a pu apres tout moins chercher a clarifier la situation locale qu'ä offrir une arme adaptable a des configurations diverses, non prevues et non previsi- bles. Insistant sur une dotation en revenus, sur l'immunite attachee aux possessions episcopales (aux implications tres longuement decrites), im-

munite sur le theme de laquelle il offne en fin de compte une nouvelle va- riation, l'acte ne fait pas que par contrecoup de 1'eveque le juge de la cite.

Cherchant ä le prolonger, l'eveque Sigefredo et/ou le redacteur royal n'auront pas de ligne redactionnelle ferme : en 928, on donne a l'Eglise de Parme la publica fiuutio des terres acquises (a 1'evidence une exemp- tion fiscale, mais dont le profit passe inevitablement aux mains de 1'eveque); en 930, une confirmation suit presque a la lettre 1'acte de 926,

mais en abandonnant un long passage sur la defense de l'immunite. Des soupcons severes portent par contre sur deux autres diplömes, ä

la tradition et aux enjeux des plus complexes (D. U. 24 et D. U. 26). Au

chapitre des pouvoirs publics, its ajoutent d'ailleurs peu au fond de la do-

nation de 926 : une precision sur la detention de 1'enceinte (atubit un tnu- ronntt in dreuitu), autrement dit de quoi faire le Pont avec les faux de Car- loman et de Charles III; l'autre interpolation, qui suit immediatement,

vise la paisible detention d'une localite de montagne, Lugolo, contestee en 935 a 1'eveque. Les indices archivistiques dirigent une foil encore les

soupcons vers le chapitre cathedral18.

18. Le D. U. 24 se presente sous is forme d'un pseudo-original conserve aux archives ca- pitulaires; il a cte manifestement compose d'apres le D. U. 25, dont il detourne une fois encore Is date (16 cal. oct. 930 devient 15 cal. oct. 929). Mais il se pourrait que le faussaire se soit d'abord fait la main sur le D. U. 26, qui reprend la date du D. U. 25,

mail presente un texte extremement proche du D. U. 24, sauf retouches stylistiques.

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28 OLIVIER CUYOTJEütiN1N

Si 1'on accepte eette eotutruction, on restitue donc au diplöme d'Ot-

ton I" une precision absolut (insistancc sur la justice ct son exercice) et

une nouveautc relative : eclle d'avoir mis autour dc la cite uric banlieuc,

celle aussi de parler du mur d'cnccintc, qui ri etait pas davanta5e citý darts

la donation de 926. Le discrcdit jete sur celle-ei par lvlanaresi est d'autant moins justifii:

que les quelques actes royaux ici tenus pour sinccres pen vent concorder

avec le jeu local des pouvoirs, tel qu'il est docuntetue par des acres allu- sifs mais aussi par unc belle scric de plaids, jusqu'ä ]'intervention d'Ot-

ton I", qui reactive chez les cvequcs la dentande d'actes souverains met- tant un peu plus de chances dc kur cötc. On Wen rappellera que les

points saillants. En 921, est attestc un comte du comte de Parme, qui prononce unjugement a une dizaine de kilometres au sud dc la cite, en- toure de tout l'appareil judiciairc traditionnel (un vicomtc, trois cchevins du comtc, deux vassaux du comte... ) 19. En 935, un plaid tents par le roi Hugues a Parme, dans la tour nouvellement edifice par 1'cvequc, montxe dix vassaux episcopaux, un comte Hubert et cinq de ses vassaux20. Cc

comte Hubert apparait aussi dans un dossier analysc parVito Fumagalli

comme detenteur en alternance avec Hugues, marquis de Toscanc, de

trois localites-clefs, Nirone, Lugolo, Vallisnera, qui dominent les hautes

La tradition du D. U. 26 est eminemment curicuse : il est dit avoir cte itucrc, ä la de-

mande de 1'cvcque et ä la suite d'un plaid dc 906 (C. Manuresi, Iplariti dcl « Rcgnruu Italiae u, Rome, 1955-1960,5 vol. [Fond per la scoria d'ltalia, 92,96 ct 971; desor-

mais : Manaresi, n° 118), dans un autrc plaid, tcnu cn 935 par lc mi (Manatcsi 136). Or cc plaid West plus connu quc par unc copie du xr° siccle conservice aux archives capitulaires, alors que I'ev"equc cst aaeur. Tout Sc eonnprend si Pon relic Ic plaid dc 935 en mettant üctivcment, ä la place du diplöme royal qui y cst aujourd'hui inscre (i. e. le D. U. 26, intcrpole), ]c texte du D. U. 25. La suite du plaid le d'cclare cxplrci- tement, les pieccs fournics par 1'evcque, plaid et diplöme, out parfaitemcnt prouvi: que 1'eveque etait lcgitimement d"etenteur dc Lugolo et dc Üerceto. Or ßerceto fi-

gure bien dans le D. U. 25, comme Lugolo fait l'objct du plaid dc 906.11 rcstc, cc quc je suis incapable dc faire, ä comprendre pourquoi le falsificaccur, apres 935, a rema- nie, en deux versions, et sur dcux points (muraillcs ec Lugolo) l'actc royal (sans, no- tons-le, mettre la clause penale . pro pane culesic... "). t1 notcr au passage que, sur un

autre point (detention dc 1'abbaye dc Mezzano Scocti), c'est encore 5 I'evidettcc Ic

chapitre qui a forge ou intcrpole un acte dc Hugucs et Lothairc (D. U. Lotlr. 29); on

y retrouve cette fois la clause pcnale . ad parterrr... etclesie .. 19. Manaresi 131. 20. Manaresi 135.

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vallees de 1'Enza et de la Secchia, alors que les montagnes plus a l'ouest

sont tenues par 1'eveque de Parme. On peut donc reinserer la serie des

actes sinceres du roi Hugues Bans une tentative d'affirmation du pouvoir royal, menageant localement des reequilibrages entre eveque et comte, le

premier favorise, le second tendant naturellement, mail sans que le pro- cessus soit encore acheve, loin de lä, a la posture de « comte du contado comme on le voit aussi clairement a Reggio ou encore a Plaisance.

La releve est prise a la generation suivante - et Bans une obscurite des

titulatures qui en dit long sur le melange de puissance locale et de defi-

cit institutionnel - par le comte Maginfred. Mort avant 967 et a cette oc- casion seulement dit, en une expression complexe qui pourrait renvoyer aussi bien ä 1'un de ses fill, comte de Parme, Maginfred a ete le benefi-

ciaire d'un exceptionnel document, un diplöme royal de 948 (D. Loth. Ital. 8) faisant le point sur son patrimoine, dont la partie parmesane com- prend, avec toute la publica fiuutio et 1'autorisation de fortifier, une serie de possessions egrenees tout au long du pays et encore un double et tres solide point d'ancrage urbain (Sant'Alessandro et San Bartolomeo avec leurs marches), venant trouer le detroit episcopal (carte no 2). L'un de ses petits-fils, Bernard en 998, recueille l'heritage du comte de Parme et, non moires fidele aux Ottoniens que 1'eveque de la cite recueillant en 1015 Nirone etVallisnera, constitue une piece non negligeable, mais a l'evi- dence maintenant rejetee dans le « contado », du nouveau jeu consacre par le diplöme de 962. La situation se compliquera simplement de 1'in-

terference causee par 1'exTansion d'Adalberto-Atto, qui depasse le propos. Or, pendant une quarantaine d'annees, en aval cette fois du diplöme

de 962, qui a precise, durci et elargi territorialement le vague districtus donne par le roi Hugues, l'eveque n'eprouve pas le besoin de renouveler son arsenal documentaire; si tout permet de voir en 1'eveque Sige- fredo [II] (980-vers 1014) un formidable organisateur de la puissance episcopale, les nouvelles confirmations souveraines sont reiteratives (a tel point que, on 1'a vu, elles ont permis avec une fiabilite rare de restituer les lacunes du diplöme de 962 avant la redecouverte de l'original) : ni un acte d'Otton III (n° 54, ensuite grossierement interpole au xfe siecle) ni un autre d'Henri II en 1004 (n° 71) ne depassent l'horizon de l'acte d'Ot-

ton I`r, sauf ä omettre en 1004 les noms des lieux bornant la « banlieue ». Cette stabilisation (tres apparente) est de fait dementie sous le regne

de Conrad II, durant lequel les donnees comme les termes changent, et

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30 OLIVIER CUYOTJE-ANKI`

s'uniformisent. Cettc crape nc marque pourtant pas Cant I'acquisition cpiscopale du comtt extra-urbain, avec integration du tourte pique a la fidelite cpiscopale, que cello d'unc partic de cc eotnte, induisant un re- centrage territorial de grande eonscqucncc, qui ami nc ä fain: coincides evcchc et comte.

Ici encore, mais l'on ira tüte, le dossier des diplöntes de Conrad 11 se rcvele passionnant, par le nombre des acres cc surtout par les cas d'ecole

qu'il offre ä la diplomatique. Mcnageant un accord avec le comte Ber-

nard et sa fille Imilda, son soul succcsseur, l'eveque se fait ainsi successi- vement tonfirmer par le souverain, le 12 juin 1029, l'acquisicion de Ni-

rone et Vallisnera (D. Conrad 11 142), puls le 31 decembre 1029 1'eventualite d'une acquisition dc , tout le cotntc + (D. Conrad 11 143), qui devient effective en 1036 (D. Conrad 11226). La rupture avec los di-

plömes anterieurs est patente, qui avec plus on nioins de science (ou de

volontc) de la clartc terminologique cc syntaxique multipliaient les ma- noeuvres d'approche pour decrire une accumulation dc droits absolus sur des territoires delimits (et dans les faits i kur tour troues d'autres aims de puissance). Encore cc " come º, ä la definition susceptible de multi- ples acceptions, West-il jamais qu'un ensemble disparate=t.

Mais la piece la plus exceptionnelle du dossier viert d'un acte pre- pare l'annee preccdente (D. Conrad 11218), ctabli ft la demande du be- neficiaire, sur pourpre, mail non valide en chancelleric :, vision maxima- liste qui, sans souffler mot de l'arrangement avec Bernard, concedait ä 1'eveque un comtc, bien entendu ici comme un territoire homogene, elargi, vers 1'est, ä ses anciennes limites, depassant done los limires dioce- saines, pour mordre tres largement sur la montagne, jusqu'au sud de Reggio (carte n° 3). Mais cette extension rcvec du comte episcopal, tres vite contrebutee par I'expansion de Boniface « dc Canossa A, fut aussi Tune des zones d'implantation d'unc nouvelle brauche de . comtes du contado » de Parme, presque uniquement enracines au contado de Reg- gio, actifs des annees 1050 ä 1090 sur trois generations (Arduinus q. Attonis

21. n Totum comitatum parnrensem tam infra urbern quam extra per eircuitunt secun- dum priscos fines illius et descriptionis terminos, prout actenus eonsuetudinalicer et localiter habebatur... tam intra urbem quam extra ubicumque locorum ad distric-

turn ejusdem comitatus pertinentium r (dans la formulation dc 1036), cc qui ne peut s'appliquer ä la seule banlieue d"cGnie par Otton In (dont l'actc est ignore) mais sug- gere aussi que Bernard avait encore un peu de champ en ville.

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LES POUVOIRS PUBLICS DE L'EVEQUE DE PARME 31

puis deux Hubert), alors qu'un temps, a la faýon germanique, 1'eveque de Parme avait en ville son propre comte ou vicomte (Ubaldus, famille Guiberti... ).

En recueillant, enfin, le comte, l'eveque n'a recueilli que les lambeaux d'un pouvoir laique dejä tres marginal. Quand, en 1069 et en 1081, son successeur se dira a la fois eveque et comte (episcopatees et preses ipsius Par-

uceeesis episcopii et comitatus), il emploiera tout de meme plus qu'une titu- lature « de prestige » ou « honorifique », mais s'inscrira dans la lignee di-

recte de la detention d'un pouvoir judiciaire dont cette titulature accompagne precisement 1'exercice; de meme, aux annees 1170 puis 1220, la reactivation partielle du titre double se fera-t-elle seulement en liaison avec 1'exercice du droit de nommer tuteurs ou notaires. Simulta-

nement, pourtant, et sans contradiction, une faiblesse structurelle an- nonce le moment oü HenriVI reconnaitra a 1'eveque, en 1195, la « juri- diction de la cite » et le « comte de la cite », comme la juridiction des

plaids et bans sur une serie bien d'elimitee de noyaux seigneuriaux : ce n'etait au fond que confirmer la situation instauree par les diplömes de Hugues et Otton Ier, compromis fragiles et majestueux entre l'image

projetee du pouvoir souverain et les demandes des postulants.

Olivier GUYOTJEANNIN

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32 OLII'IEIt CUYOTJE'ýtilN

Carte n° 1. - L'extension de la juridiction episcopate ä trois milles de Parme d'opres le d: plbme de 962.

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Carte n° 2. - Implantation des « comtes du comte » Maginfred et Bernard.

ý Maginfred 948

p Bernard 101 S

A Imilda 1041 Ferraria ?

[Non identifie Trevuntium]

Fraore "

iO Sacca

" Frassin ara

Beduzzo"

Cane

Vlianum ? 0

Nirone / 0

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34 OLIVIGR CUYOTJEüNNII`

Carte n° 3. - Dominations episcopates effectives et rzvees, nouvelle generation de -, comtes du comte -6 compter des annees 1030.

* Conrad 11(1035)

Seigneuries ipiscolpales

" Arduin/Hubert 0 Atto q. Attonis A Guiberti

Castrum Piciculi *

I. Magrignana