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Maqam numéro 01 avril 2015 www.qasantina2015.org Constantine Capitale de la Culture Arabe 2015 Le monde est là, Constantine rayonne UNE FRESQUE LUMINEUSE POUR DIRE L’HISTOIRE COMME À LA PARADE ! LA GRANDE ÉPOPÉE DE CONSTANTINE AU CŒUR DU MONDE ARABE lemqam

Maqam numéro 01 - avril 2015

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Maqam est une revue qui sort à l'occasion de la manifestation Constantine capitale de la culture arabe 2015.

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Maqam numéro 01 avril 2015

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Maqam numéro 01 avril 2015

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Constantine Capitale de la Culture Arabe 2015

Le monde est là, Constantine rayonne

UNE FRESQUE LUMINEUSE POUR DIRE L’HISTOIRE

COMME À LA PARADE !

LA GRANDE éPOPéE DE CONSTANTINE AU CŒUR DU MONDE ARABE

lemqam

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Maqam numéro 01 avril 2015

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DIRECTEUR DE PUBLICATIONSami Bencheikh El Hocine

RÉDACTEUR EN CHEFMohamed Mebarki

RÉDACTEUR EN CHEF-ADJOINTDjamel Belkadi

SECRÉTARIAT DE RÉDACTIONFarida Hamadou

DIRECTION ARTISTIQUEWalid Hamida

RÉDACTION Ikram Ghioua Ilhem TirRanida MerazHafiza Taouret

DESSIN / CARICATUREFerhat Ilies Toufik Derdour

PHOTOGRAPHIEMohamed Lamine HamidaAbdelkader Abdennouri

Contact Maqam [email protected]

La reproduction intégrale ou partielle des articles est soumise à l’accord de la rédaction

Revue publiée par le Commissariat de la manifestation Constantine capitale de la culture arabe 2015

www.advercorp.dz

ADVERCORP119 A lot Eriad Ain Smara

Constantine - Algérie.

T. 031.97.26.54

E. [email protected]

SOUS LE CIEL DE CONSTANTINE

Des moments que l’on pourrait comptabiliser en heures nous séparent du coup d’envoi de la manifestation Constantine, capitale de la culture arabe 2015. Et déjà, l’on ressent cette fébrilité annonciatrice des grands événements s’emparer des lieux et des personnes dans une ambiance où se mélangent les injonctions des responsables, la clameur d’une population qui commence à se prendre au « jeu » et le fracas causé par le démantèlement des échafaudages. Quelques pas seulement nous séparent du jour J et de l’heure H où Constantine pas-sera de la routine citadine à l’effervescence festive à laquelle sont conviés les pays arabes mais aussi d’autres nations qui vont saisir cette opportunité pour transmettre aux Algériens un message de paix et marquer de leur empreinte une scène antique aux arborescences actuelles. Concerts, expositions, projections de films, mise en scène théâtrales et colloques vont s’enchainer tout au long d’une année qui, on l’espère du fond du cœur, va réconcilier une population trop longtemps se-vrée avec les « parfums » de l’esprit. Nul doute que les artistes auront à cœur cette quête de sublimation qui leur permettra de toucher la sensibilité du public en l’entraînant dans une dy-namique créatrice. Et c’est justement vers cette lueur que nos cœurs, bercés par une intempestive joie presque enfantine, bondissent allègrement, en un élan d’espoir scintillant de mille feux dans le ciel bleu de Constantine. « Dieu, donnez-moi du talent pour parler de ma ville », a imploré Malek Haddad dans une complainte monumentale érigée en prière sur l’autel de sa ville qui s’érige en monument. Dieu, prenez mon corps ; re-donnez-le à cette terre mais faites de mon esprit une ovation pour réciter Constantine la Constantinoise qui a fait palpiter les cœurs pétrifiés et ressusciter les âmes rendues. Je veux la contempler et l’admirer en train d’envelopper de sa grandiose générosité Alep Al-shahba, Mossoul, Djerba, Alexandrie et Aden. Je ne suis qu’une âme suspendue au dessus du Rhu-mel, or ma pensée aux ailes déployées est demeurée liée aux prouesses d’une cité où même l’absolu reconnaît ses limites devant une grandeur frappée du sceau divin. C’est pourquoi, j’ai remis mes inquiétudes au rebus, en attendant qu’avril m’an-nonce des retrouvailles plus fortes que les peines et les douleurs.

EDITORIAL

Mohamed Mebarki

Constantine a de tout temps dé-veloppé une sorte de pudeur que l’on ne retrouve nulle part

ailleurs. Pour ceux qui connaissent parfaitement cette ville, ce trait de ca-ractère manifeste qui s’est cristallisé pendant des siècles fait désormais par-tie du mode de vie constantinois. C’est sa marque de fabrique et sa « griffe ». Si sous d’autres cieux, l’allégresse, la liesse et l’euphorie trouvent facilement des affinités avec le foisonnement, à Constantine, elles sont exprimées se-lon un rite qui n’a jamais osé se frôler avec l’exubérance. Constantine produit elle aussi le bonheur, mais elle le fait à sa manière. La joie ne s’y est mais sen-tie en exil, sauf que sur le Vieux Rocher elle préfère le ton mesuré au vertige des hauteurs. Cet état d’esprit intègre la no-tion de partage qu’elle a toujours cultivé à l’endroit de toux ceux qui éprouvent le même souci de communion. En ac-cueillant une manifestation d’envergure

dédiée à la culture arabe, elle ne peut s’empêcher de revendiquer son droit au mérite et à la distinction. Il s’agit d’une attitude légitime eu égard à son passé prestigieux et à son statut historique-ment reconnu qui ne la détourne nulle-ment des souffrances affligées à des millions de personnes à travers de nom-breux pays arabes et même ailleurs. A l’intention de ses invités de marque ; personnalités, artistes, journalistes et ci-toyens du monde, elle promet de leur ré-server l’accueil qui sied à leur rang, tout en faisant appel à leur compréhension. Constantine s’apprête à lever l’encre pour écrire une nouvelle page de son histoire, en jetant les ponts de l’amitié entre les peuples. Elle souhaite en tant que capitale de la Culture arabe 2015 of-frir des motifs de rassemblement et des raisons d’espérer aux Arabes et à ses amis de par le monde. Elle veut rayonner et elle rayonnera sans extravagances, ni ostentation.

M. M.

Le monde est là, Constantine rayonne

Photo Toufik Derdour

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Le Fond et La Forme

UNE FRESQUE LUMINEUSE POUR DIRE L’HISTOIRE

L’HOMME AU BÉRET NOIR

GHADA AL-SAMMANLes larmes d’encre

LE SENS DE L’HOSPITALITÉ A SON TERROIR

En lettres capitales

Malek Haddad

Mythes

Épitaphe

En lettres capitales

AU FIL D’UNE VOCATION

LE CRI DES PIERRES

UNE EXPÉRIENCE FRUCTUEUSE

COMME À LA PARADE !

SALAH BEY, L’HOMME ET L’INTRIGUE DU POUVOIR

UN DESTIN ALGéRIENUNE DIMENSION UNIVERSELLE

« Le sommeil du juste »

p.8

p.28

p.29

p. 6

p.20p.30

p.10

p.25p.14

p.18

p.16

Une clé pour Cirta

Commémoration

Archéocide

ValeursArchéocide

Paroles d’auteur

« YA ALI MOUT WAQEF »

p.22

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LE SENS DE L’HOSPITALITÉ A SON TERROIR

Bienvenue !

Connu pour être un bosseur invétéré qui aurait pu, s’il était footballeur, faire le bonheur de n’importe quelle équipe à la recherche d’un excellent demi-centre, Abdelmalek Sellal, le Premier-ministre, devrait observer une pause à l’occasion du lancement officiel de la manifestation Constantine, capitale de la culture arabe.

Portrait Au coeur de l’évènement

ABDELMALEK SELLAL NADIA LABIDI

Plus que par obligation proto-colaire, c’est sa ville natale qui lui demande de « jouer » au maître de céans et à as-surer l’accueil des invités de

marque qui ne manqueront certainement pas de solliciter sa mémoire d’autochtone, truffée d’anecdotes d’enfance « ramas-sées » à Sidi Mabrouk, et de souvenirs de jeunesse « glanés » à Rahbet Essof, Sidi Djeliss et Bab El Kantara. Voyageur infa-tigable « avalant » des kilomètres à une vitesse digne des circuits de Formule 1, Constantine lui offre aujourd’hui une halte ; une sorte de repos du « guerrier » et un moment d’apaisement dont il a vraiment besoin. Il doit bien cette récréation à la ville qui l’a vu grandir et s’épanouir dans un en-vironnement qui s’est certes dissipé depuis des années mais dont l’esprit persiste en-core. Constantine est au cœur d’un événe-ment historique de grande portée régionale et internationale. Et qui mieux que le Pre-mier-ministre pour mesurer l’exceptionnel impact d’une telle manifestation sur une so-ciété qui a besoin d’être « secouée » pour

Depuis l’Antiquité, avec les grands rois numides, Syphax, Massinissa, Ju-gurtha, jusqu’aux temps modernes avec le guide du réformisme musul-

man, Cheikh Benbadis, en passant par ce grand résistant à l’offensive colonialiste que fut Ahmed Bey, et « un grand nombre d’hommes de bien, de savants et d’hommes de lettres et d’artistes » ainsi que l’affirmait ici, en 1999, Son Excellence, Monsieur Abdelaziz Bouteflika, Président de la République, Constantine condense tous les élé-ments constitutifs de notre identité nationale : l’amazighité, l’islamité et l’arabité. Choisie par l’Alecso pour être cette année la ca-pitale de la culture arabe, Constantine a donc de quoi répondre à ce statut prestigieux par son his-toire grandiose, son patrimoine exceptionnel et son potentiel créatif. Dans le monde arabe comme dans les autres ré-gions du monde, un des objectifs essentiels des capitales culturelles annuelles est de promouvoir l’histoire et le patrimoine. Le monde actuel nous donne tant d’exemples réussis d’investissement des héritages au profit de l’épanouissement des individus et du progrès des nations. En décrétant l’année 2015, Année de la Lumière, l’Unesco a d’ailleurs placé cet événement sous l’égide sym-bolique du grand savant Ibn Haythem, précurseur de l’optique contemporaine. Une approche qui établit un lien vivant entre patrimoine et moderni-té. Et c’est cette approche que nous nous efforce-rons de développer aussi bien pour la manifesta-tion présente que pour l’avenir. L’autre objectif de Constantine 2015, capitale de la culture arabe est de donner un aperçu, le plus significatif possible, des productions actuelles dans la littérature et les arts, comme dans les do-maines de la spiritualité et des sciences. Dans ce lien entre héritage et création, Constan-tine prendra la place qui lui sied dans la totalité du champ historique et culturel national. De même,

se libérer de sa torpeur ! D’autant plus qu’il est bien placé pour évaluer la régression qui a frappé la sphère culturelle constanti-noise ; elle qui était à l’avant-garde de tous les mouvements de création. Abdelmalek Sellal est en mesure de procéder à une lecture de fond de ce qu’a été Constantine et de ce qu’elle est aujourd’hui. C’est vrai qu’à force de « courir » les chantiers, le responsable a fini par être happé par les délais et les chiffres. Qu’à cela ne tienne, la sensibilité de l’homme est restée intacte. Ceux qui, autrefois, avaient apprécié son humour avant d’emprunter le sens inverse n’ont absolument fait aucun effort pour le connaître. C’est leur problème. Pour d’autres, Abdelmalek Sellal a réussi un véritable coup de maître en adoptant un nouveau style de communication. C’est leur avis. Pour nous, ses anecdotes et son sens de la dérision ne sont en quelque sorte qu’un « anti-virus » dont il se sert afin d’éloigner les effets indésirables des faux débats de fond.

les programmes accorderont aux pays arabes une visibilité attendue.Enfin, les pays d’Europe, d’Afrique, d’Asie ou des Amériques qui ont sou-haité être présents dans l’antique Cirta, nous gra-tifieront de leurs productions de l’esprit ou de l’art. Ainsi, Constantine, capitale de la culture arabe sera également, en partie, capitale de la véritable culture universelle qui reconnaît l’éminent apport de la civilisation arabo-musulmane à son évolution. C’est donc un beau symbole que cette année débute le 16 avril, Journée nationale du Savoir, décrétée vous le savez, à partir de la date du décès, en 1940, du Cheikh Abdelhamid Benba-dis. La coïncidence de l’événement avec le 60e anniversaire du déclenchement de la guerre de libération nationale et la 70e célébration du 8 Mai 1945, vient conforter la vision algérienne de la culture, fortement liée aux idéaux de liberté et aux exigences de dignité. Des idéaux et des exigences qui ont accompa-gné l’écrivain-martyr Réda Houhou face à ses bourreaux, le 29 mars 1956, à Constantine. Des idéaux et des exigences que l’on retrouve dans l’expression et l’exemple des penseurs, écrivains et artistes algériens qui ont combattu l’oppression coloniale et que les nouvelles générations de créateurs hommes et femmes portent aussi face aux défis actuels. C’est avec cet esprit que nous la mènerons, en cultivant et pratiquant les vertus du dialogue, de la solidarité, de la transparence et de la volonté par-tagée de surmonter les difficultés et de réussir à promouvoir notre patrimoine et notre création, de même que ceux de nos invités du Monde arabe et d’autres régions du monde.

Que vive Constantine, belle et fière ville de notre belle et fière Algérie !

Mohamed Mebarki

Je vous souhaite la bienvenue dans cette cité qui a vu le jour il y a 2515 ans. En tant que l’une des plus anciennes villes de la Méditerranée, elle a traversé l’histoire de l’humanité en s’illustrant à travers des moments forts et des figures illustres qui ont forgé sa renommée.

Photo Lamin Hamida

Photo Abdelkader Abdennouri

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UNE FRESQUE LUMINEUSE POUR DIRE L’HISTOIRE

Le coup d’envoi de la manifestation, Constantine capitale de la culture arabe 2015, constituera incontestablement une référence et un repère qui feront date dans l’histoire de cette ville.

Par Ilhem Tir

A quelques jours de l’ouverture tant attendue, des voix, ren-dues inaudibles par le bruit et la fureur du défaitisme, com-mencent heureusement à se

faire entendre parmi une population de plus en plus sensible aux multiples appels qui lui ont été lancés, pour qu’elle s’approprie un évènement de taille susceptible de marquer un tournant décisif dans sa vie culturelle. Le 15 avril, date du lancement de l’évènement, les citoyens pourront suivre la grande pa-rade, aux couleurs des pays participants. Le 16 avril sera réservé à « La Grande Epopée de Constantine », une immense fresque, annoncée comme grandiose. Elle sera pré-sentée à la grande salle de spectacles, sise sur les hauteurs de Aïn El Bey. L’épopée ou l’Iliade de Constantine, dont les textes ont été écrits par des universitaires es-quali-tés, réalisée et mise en scène par Ali Aïs-saoui, sera présentée durant deux heures, à travers vingt-deux chorégraphies et cinq périodes historiques. Un spectacle fée-rique, tout en lumières, invitant l’assistance à un voyage dans le temps et l’histoire de Constantine. Le public, nous dit-on, assis-tera, pour la première fois, à un spectacle

scénique employant la technique de l’ima-gerie en 3 D, ce qui conférera à l’œuvre une dimension dramatique, à travers laquelle les artistes et le décor se transformeront, au fil des périodes, en scènes vivantes d’une histoire millénaire, allant de celle numide à l’Indépendance, en passant par la percée menée par le 34ème empereur romain, Constantin 1er qui réhabilitera et baptisera l’antique Cirta, Constantine, -qui a été com-plètement détruite par Maxence, et l’arri-vée des Arabes auxquels ont succédé les Ottomans, avant la colonisation française. L’épopée de Constantine dévoilera au pu-blic des pans entiers de l’histoire, tombés

En lettres capitales

LA GRANDE ÉPOPÉE DE CONSTANTINE

I. T.

dans l’oubli, de la présence ottomane, en proposant plus de détails sur la résistance héroïque de Hadj Ahmed Bey et la lutte acharnée qu’il opposa au général Clauzel, poussant ce dernier à battre en retraite. Elle reconstituera aussi, dans un décor appro-prié, l’action d’Ibn Badis, les massacres du mai 1945, à Guelma, Sétif et Kherrata, le déclenchement de la guerre de Libération nationale et ses hauts faits d’armes, jusqu’à l’Indépendance. Il sera consacré à chacune des cinq périodes sa propre scène, avec sa propre chorégraphie, ses chants et ses costumes. « Ce spectacle sera également l’occasion de marquer une nouvelle ère de

la chorégraphie à travers la mise sur pied d’une école spécialisée où sera ensei-gnée cette discipline qui compte déjà de nombreux talents en mesure de réaliser des œuvres de haute teneur esthétique et capables de s’imposer sur la scène artis-tique », a tenu à souligner la ministre de la Culture à propos de ce spectacle annoncé comme une production de dimension na-tionale. Pour sa part, le réalisateur a assu-ré que « le spectacle sera garanti et que le public en aura plein la vue », dans une salle conçue et adaptée à ce genre de ma-nifestations culturelles

Scènes de tournage (ONCI)

Photos Lamine Hamida

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UNE EXPÉRIENCE FRUCTUEUSE

Dès son engagement dans cette grandiose aventure qui devait revisiter des séquences pour en retracer les moments les plus forts et les plus marquantes de l’histoire d’une cité aussi singulière que Constantine, ceux d’une cité qui a toujours été convoitée par les puissants et à toutes les époques, Ali Aissaoui était convaincu qu’il devait rester mobilisé pour perpétuer et enrichir la pratique de l’art cinématographique et l’action scénique théâtrale en leur donnant les trajectoires artistiques les plus appropriées et les mieux adaptées à notre société et à ses spécificités identitaires.

Comment c’est fait votre passage des planches du théâtre à la réalisation cinématographique ?

J’ai été devant la caméra comme comédien et acteur principal dans quatre ou cinq films et un jour alors que je menais mon travail, Sid Ahmed Bejaoui, m’apostrophe pour me dire ceci : « j’ai découvert en vous quelque chose d’important, vous avez beaucoup de choses à exprimer, pourquoi ne pas le faire tout en étant derrière la caméra puisque vous avez de si bonnes idées ».

C’était en quelle année déjà ?C’était en 1981 et à partir de cette année là, l’aventure avait bien commencé et j’ai re-joint la station de télévision de Constantine.Depuis, j’ai réalisé environ mille produc-tions, avec surtout des séries sur le théâtre, le cinéma, la musique, des portraits. Chaque année, je produis des séries, c’est pour cela que je possède une filmothèque assez fournie.

Mais le théâtre est resté une de vos préoccupations principales ?

Oui, effectivement, puisque j’étais déjà comédien dès les années 1970 dans le fameux Groupe d’action culturelle (GAC), avec le grand Abdellah Hamlaoui qui était notre mentor à tous. Il y avait avec nous aussi le défunt Chaâbane Zerrouk et même l’actuel commissaire de la manifes-tation, Sami Bencheikh-El-Hocine. Donc, une fois passé à la télévision, le théâtre est resté ma passion, ce qui m’a amené à filmer des portraits de grands acteurs et dramaturges, des pièces de théâtre, des Melhamate… Je ne pouvais rester loin des planches,

Paroles d’auteur

ALI AISSAOUI. RÉALISATEUR DE L’ÉPOPÉE

Entretien réalisé par : Dj. Belkadi

Scènes de tournage (ONCI)

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Et pour ce qui est de la grande épopée de, Comment avez-vous abordé la grande épopée de Constantine ? Puisque on est dans le Maqam des cou-lisses, d’ailleurs le mot Maqam cadre bien avec une expression très usitée à Constantine et qui renvoie à la musique, aux couleurs chatoyantes et à ce bleu du ciel qui a ému notre grand Malek Had-dad, qui, un jour, a dit qu’« aucune ville au monde ne sait parler comme Constantine, elle ne se présente pas, elle s’affirme au regard et l’éblouit », sachez que je me suis entouré de spécialistes dans l’art de la

scène. J’ai ramené deux jeunes metteurs en scène qui sont encore inconnus, mais qui possèdent la fougue nécessaire pour bien faire. Cette capacité d’aller vers des perspectives nouvelles et l’introduction de changements, puisque nous avons opté dans le cadre de notre approche pour ce projet, non pas d’introduire des nouveau-tés, à ce titre je dirais que nous n’avons rien inventé, mais Plutôt, tenter d’adopter certains choix que chaque artiste juge li-brement comme les plus appropriés pour livrer un message ou en faire sa propre lecture.

Il nous a fallu aussi trouver un documenta-liste pour les costumes, un travail qui exige beaucoup de recherche et le respect des spécificités de chaque étape historique, chose valable pour tous les accessoires.

Parmi vos choix justement, pourquoi avoir opté pour l’introduction de supports virtuels et d’images tridimensionnelles ?Nous avons utilisé des images en relief et de la 3D, non pas comme support tech-nique mais comme élément dramatur-gique, c’est-à-dire que se sont les mêmes comédiens qui vont évoluer sur scène qu’on va retrouver dans l’espace scé-nique virtuel. Donc nous avons assuré une symbiose et une complémentarité entre le travail scénique et celui présenté dans une dimension virtuelle. Cependant, cette démarche n’a concerné que certaines scènes, sinon les coûts d’une telle produc-tion auraient été faramineux.Pour ce qui est des décors, sachez qu’étant un amoureux de Constantine, je dis qu’on ne peut pas monter cette ville sur scène avec un simple décor en bois ou en polystyrène. Nous avons donc opté de ra-mener l’image de Constantine telle qu’elle est, avec des plans, une image animée, mouvementée et des aperçus sur la mo-numentalité du Rocher, ses ravins, le Rhu-mel, ses grottes pour remonter jusqu’à la préhistoire…

N’est-ce pas cette richesse de séquences constitutives de l’histoire de Constantine, qui fait que ce projet de grande épopée se singularise des expériences dramaturgiques passées ?

Effectivement, votre question est très pertinente. Sachez qu’au départ j’ai reçu un texte qui dépassait les 7h de spec-tacle, cela dénote du poids de l’histoire de Constantine et de la monumentalité de son site. Et c’est vrai qu’il nous a été difficile de synthétiser en à peine 2h 15mn toutes ces séquences historiques, en ayant, bien sur, le souci fondamental de rester fidèles au texte et au déroulement de cette histoire foisonnante d’évènements d’importance.

Ne croyez-vous pas qu’une aussi belle acquisition que cette salle de spectacle de 3000 place, devrait être baptisée du nom d’une figure-référence, le défunt Sid Ali Kouiret, un géant du grand écran ?

Oui, baptiser cette salle du nom d’un artiste aussi important que Sid Ali Kouiret, qui jouit d’une renommée internationale et d’une aura incontestée, peut effectivement donner une grande portée artistique et historique à l’acte et à la pratique culturelle dans le pays et cela reste dans le sillage de la trajectoire naturelle de notre histoire récente.

Dj. B.

Photo Lamine Hamida Scènes de tournage

(ONCI)

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COMME À LA PARADE !

« La parade de l’amitié et du partage » est le slogan choisi pour le grand défilé du 15 avril, qui marquera le coup d’envoi de la manifestation Constantine, capitale de la culture arabe 2015. L’ouverture s’inscrit donc sous de bons auspices, avec cette grande cérémonie populaire qui réunira des milliers de citoyens qui partageront un grand moment, dans une joie fraternelle.

Ilhem Tir

Vingt-deux chars défileront au centre-ville, représentant cha-cun un pays arabe. Le dernier attelage sera celui de Constan-tine, charriant tout un symbole

de valeurs citadines et conviviales. Des troupes folkloriques concergeront vers le centre-ville, où des scènes ont été spé-cialement aménagées pour accueillir les différents cortèges, aux couleurs des pays invités. Les citoyens auront droit à des dé-monstrations spécifiques à chaque pays, avec ses couleurs, ses costumes tradition-nels et autres caractéristiques. N’omettons pas non plus de rappeler le tra-vail colossal qui a été entrepris avec l’aide de l’APN. En effet, l’armée s’est impliquée de manière extraordinaire dans l’élabora-tion de ces plateaux artistiques, avec l’aide de plus de 80 artistes issus des différentes écoles des beaux-arts du pays. Ces der-niers ont collaboré à la réalisation du décor pour ce défilé d’ouverture de cet évène-ment tant attendu par l’Algérie, et plus parti-culièrement Constantine. La place du 1er Novembre accueillera des troupes de chant et de danse des diffé-rentes régions du pays.

C’est à Tlemcen que reviendra l’honneur d’ouvrir la parade, suivie par la région kabyle, puis algéroise, pour finir par le Grand Sud. « Il y aura au total six régions du pays qui par-ticiperont aux festivités inaugurales, en plus de Constantine», nous informent les organi-sateurs. La grande parade sera clôturée par un foisonnement de jeux pyrotechnique et d’un grand feu d’artifice qui illuminera le ciel de Constantine de mille couleurs.

C’est donc une soirée magique, inoubliable, qui attend les citoyens. Des feux d’artifice seront également lancés sur un écran natu-rel de 400 m de large sur 200 m de hauteur, et dans la même soirée, à partir de 21h, commencera le spectacle féerique « Sons et lumières » tout le long des Gorges du Rhumel, qui enchantera les yeux et offrira du rêve aux spectateurs.

En lettres capitales

AU CŒUR DU MONDE ARABE

I. T.

Ateliers de montage de chars pour la

Parade

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« Le sommeil du juste »

Avant d’être un comédien de haut niveau, le gamin, qui a roulé sa bosse dans les ruelles du Vieux Alger en cultivant une rancœur tenace contre les comédiens, a pénétré dans la révolution algérienne comme on entre dans une salle de cinéma ou de théâtre avec l’âme et l’état d’esprit d’un artiste.

« Ya Ali mout waqef »Par Mohamed Mebarki

Qui ne se souvient pas de cette injonction de bravoure, transcendant les siècles, les races et les religions, lancée

à l’adresse d’Ali, un « fellaga » originaire du village Thala, cette citadelle belle et rebelle, ce monument de la résistance ? Ali, ce personnage clé du film L’opium et le bâton, dont les traits ont été héroïque-ment dessinés par un Sid-Ali Kouiret, au top de l’inspiration, s’est fait une place de choix dans la mémoire cinéphile du peuple algérien. Ce n’était peut-être pas dans les intentions profondes de Mouloud Mamme-ri, l’auteur du chef-d’œuvre, dont le titre a été repris intégralement par le réalisateur du film, ni dans l’esprit d’Ahmed Rachedi qui a voulu faire de L’opium et le bâton une fresque collective d’une portée dra-matique où le héros classique se dissout dans l’ensemble, mais la réalité du tour-nage et des prestations dramaturgiques ont eu le dernier mot. Sid-Ali Kouiret a dominé le sujet et le scénario. Il a été ma-gistral en éclaboussant de sa classe hors-

pair une production qui demeure, malgré quelques imperfections, un des moments les plus fabuleux du cinéma algérien et de la transcription artistique de la lutte d’un peuple fatigué par les discours. Il aurait pu connaître le même destin qu’un autre Ali, Ali la Pointe, si la révolution avait mis sur son chemin un des futurs baroudeurs de la « zone autonome », mais le sort en a décidé autrement en lui pavant la route qui l’a mené jusqu’à Mustapha Kateb, Kateb Yacine, Mohamed Boudia et Mahiedine Bachetarzi. C’était écrit, et la scène finit par accomplir le reste, en « tirant » l’enfant terrible de la Casbah des griffes d’un quo-tidien poinçonné par les scènes de rue et les dérives morales. Sid-Ali Kouiret est né pour marquer l’Histoire. Et c’est parce qu’il fait partie de cette catégorie d’hommes pour lesquels l’Histoire se donne sans ré-serve et avec beaucoup de connivence, qu’il a été hissé au rang des « immortels » en un « coup de théâtre » éclatant.

ÉPITAPHE

SID-ALI LE KID

Sublime !Avec Sid-Ali Kouiret, ce n’est plus le « Ali va à l’école » mais Ali qui fait école ! Lorsque Marie-Josée Nat avait lancé son cri du cœur : « khouya ! », mon frère, dans une des scènes les plus émouvantes du film L’opium et le bâton, celle où Ali, les mains ligotées mais rayonnant de beauté et de liberté, s’est redressé avec fierté en ignorant superbement l’officier français qui lui demandait de se baisser et de ramas-ser le paquet de cigarettes « Gauloises », ce cri a été entendu par toute l’Algérie, non pas comme une simple réplique de ciné-ma, mais la preuve d’un sentiment réel qui aurait pu être exprimé par n’importe quelle Française respectueuse des valeurs hu-maines. Quand Jean-Louis Trintignant, le soldat français ébranlé par la scène de l’hélicoptère, s’est débarrassé des dernières cartouches en sa possession, avant de jeter plus tard la dernière boîte de corned-beef, parce que Ali, l’Algérien, refusait de partager un repas « haram », -non conforme, selon lui, aux préceptes de la religion islamique-, son message a dé-passé les frontières cinématographiques pour aller briser toutes les barrières des malentendus historiques. Sid-Ali Kouiret n’est pas mort. Son départ n’est pas une disparition. Sid-Ali le Kid mérite bien un sommeil: le sommeil du juste.

M. M.

Dessin Ferhat Ilies

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SALAH BEY, L’HOMME ET L’INTRIGUE DU POUVOIR

C’est la première production dramaturgique du théâtre régional de Constantine (TRC), inscrite dans le cadre de Constantine capitale de la culture arabe.

Farida Hamadou

Les planches du TRC accueille-ront donc la générale de la pièce pendant trois jours, à partir du 23 avril. Se basant sur des faits his-toriques, avec un texte support

de Saïd Boulmerka, le metteur en scène, Mohamed-Tayeb Dehimi, a transcendé la chose formelle, pour entrer de plain-pied dans la pure création artistique, celle qui naît des prétextes. Prétexte à extrapoler sur l’un des beys les plus controversés de Constantine : Salah Bey (1725-1792). Un bey ayant tout de même régné sans par-tage durant vint-deux ans. Alors que cer-tains le perçoivent comme un despote san-guinaire, intrigant, qui appliquait le concept machiavélique du « diviser pour régner », qui n’avait pas hésité, selon des historiens, à dresser les tribus les unes contre les autres et qui avait exposé des centaines de têtes sur la place publique... d’autres en font un mythe, un héros de légende, ayant inspiré la fameuse complainte « Ga-lou Laârab galou ». Ce long thrène repris par de nombreuses générations, a large-ment contribué à entretenir cette aura qua-si sacrée autour du personnage. « Salah Bey, l’homme, s’inscrit dans une logique de pouvoir, nous dit Mohamed-Tayeb Dehimi. C’était un dictateur, un mégalomane, alors

pourquoi lui a-t-on voué ce culte ? Il avait, entre autres, mis à mort un saint, Sidi M’ham-med Zouaoui (El Haddad), surnommé Lo-ghrab suite à un fait surnaturel, que la popu-lation avait considéré comme participant du miracle. « Pour moi, a-t-il ajouté, il n’est pas un mythe fondateur de la nation ». Au-delà des « vérités historiques », l’œuvre drama-turgique s’invente un autre personnage, in-contournable dans l’imaginaire populaire : la « chouafa ». Telle la Pythie mythologique, celle-ci rend de mystérieux oracles sur le Bey, qui seront diversement interprétés. Pourtant, une prédiction fatale passera inaperçue.

Cette pièce serait-elle, tout compte fait, une sorte de démystification de ce Turc venu d’Izmir, ayant été cafetier à Alger, puis milicien, pour ensuite accéder à la di-gnité de « bey des beys » de Constantine, et finir étranglé sur ordre du dey d’Alger ?

Mythes

GALOU LAÂRAB GALOU

I. T.

Le directeur du TRC, Mohamed Zetili, nous a précisé, que les répétitions de la pièce Salah Bey ont commencé au mois de février sur la scène du TRC, complètement rénovée. Ce qui a permis de monter d’innombrables actes scéniques et de faire aisément évoluer vingt-cinq personnages.

Texte : Saïd BoulmerkaRéalisation : Mohamed-Tayeb DehimiScénographie : Abdelhamid RahmouniMusique : Mohamed AmirècheNombre de comédiens : 25

Fiche technique de la pièce Salah Bey

Ville de théâtre par excellence, Constan-tine s’apprête à vivre des moments his-toriques grâce à la manifestation cultu-relle qu’elle abritera durant une année, en espérant retrouver sa place de matrice d’idées, et redorer un blason terni par des années de marasme. Une opportunité s’offre, ainsi, aux jeunes générations qui n’ont pas connu la magnificence et la fée-rie des planches, et ce, grâce à l’évène-ment Constantine, Capitale de la culture arabe 2015. Plus de trente nouvelles productions théâtrales sont au menu du programme des activités dédiées à cet évènement, parmi lesquelles sept pièces adaptées ou inspirées d’œuvres célèbres d’auteurs connus, tels Redha Houhou, Abdelkader Alloula, Kateb Yacine, Abdel-hamid Benhadouga, Ould Abderrahmane Kaki, Tahar Ouettar et Malek Haddad. Elles seront interprétées par de jeunes ac-teurs, chapeautés par de grands noms du théâtre algérien. Pour une profonde impli-cation du citoyen dans l’évènement, plus d’une dizaine de conventions de partena-riat ont été signées avec tous les théâtres régionaux. Le processus vise, au-delà des spectacles, à installer durablement toutes les conditions favorables à une renais-sance de la pratique théâtrale, et faire prendre conscience aux jeunes de la ma-gie de l’art de la scène. Selon Mohamed Yahiaoui, le directeur du théâtre national algérien, et chef du département « Théâtre » au commissariat de la manifestation Constantine, capitale de la culture arabe 2015, des coproductions dramaturgiques sont également prévues avec la Pales-tine, la Tunisie, l’Egypte et l’Irak, en sus des jumelages avec les théâtres d’autres pays étrangers. « L’on prévoit également dans le programme, des pièces produites par des handicapés, notamment des non-voyants. Il y aura aussi des spectacles au niveau des espaces publics ; cette fois-ci, ce sont les artistes qui iront vers le citoyen pour le captiver et susciter sa curiosité », nous informe notre interlocu-teur, qui ajoute que toutes les pièces pro-duites « voyageront » à travers plusieurs wilayas, dans l’objectif de promouvoir les cultures spécifiques à chaque région.

Hafiza T.

LA VILLE RENOUE AVEC LES PLANCHES

Photo Walid Hamida

Séance de répétition avec Mohamed-Tayeb Dehimi et Antar Hellal

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AU FIL D’UNE VOCATION

Une jeune comédienne qui voue une véritable passion pour la scène. Il s’agit de Sabrina Boukeria, cette personne douce et timide, et qui semble si fragile, mais qui se transforme dès qu’elle met le pied sur les planches. Sa présence s’impose et séduit. Elle attire un large public, mais encore plus les enfants, la frange la plus difficile à conquérir.

R-Y. M.

Sabrina n’a pas de réponse toute prête sur les raisons de son intérêt pour les arts dra-matiques. « Je ne vais pas vous dire que je suis une grande amoureuse de l’imitation ou que

je fais du théâtre depuis mon jeune âge…mais j’ai toujours été complètement subju-guée dès qu’une pièce de théâtre était jouée ou diffusée ; je m’intéressais au moindre dé-tail», nous confie-t-elle. Tout ce qu’elle sait, c’est qu’elle a pris conscience de sa pas-sion pour le théâtre vers l’âge de 20 ans, contrairement à beaucoup d’artistes qui commencent dès l’enfance. En entamant ses études à l’université de Constantine en 1999, filière sociologie de la communi-cation, elle découvre les premiers ateliers de cinéma qui étaient, à l’époque, organi-sés et assistés par la troupe théâtrale El Beliri, au niveau de sa faculté. Ces ateliers n’ont duré qu’une année, mais ils ont suffi à lui insuffler l’amour des planches. Sabri-na n’hésite pas à rallier le théâtre régional de Constantine (TRC) et d’autres théâtres régionaux et associations culturelles.

Valeurs

SABRINA BOUKERIA

Chaque rôle est un véritable défi pour elle Sabrina enchaîne des rôles de composi-tion. Les personnages qu’elle interprète sont rarement typiquement féminins. Son tout premier rôle sur la scène a été pantomime. « Rares sont les comé-diennes, notamment algériennes, à avoir joué ce style », affirme Sabrina, car ce genre dramaturgique est assez risqué, surtout qu’à l’époque, elle n’était qu’une débutante. Mais, contrairement à ses craintes, la pantomime sera une véritable réussite. Ce qui encourage la jeune comé-dienne, qui va à la quête d’autres succès avec les autres théâtres régionaux. Elle relève le défi haut la main, et se surpas-sé devant divers publics, plus exigeants les uns que les autres. Et ses efforts sont récompensés, notamment pour la meilleure interprétation féminine dans « Jabal Al Ama-ni », au théâtre de Skikda, meilleur artiste prometteur avec le théâtre national, dans « Houlm Al ab », elle sera également invitée d’honneur à la première édition des journées nationales du monologue et du one man show. Elle se produit également, en 2000, dans une pantomime pour enfants intitulée : « Chez le dentiste »

Plaire au jeune publicMalgré ses nombreuses participations dans des pièces pour adultes, son plus grand plaisir demeure dans les pièces destinées aux enfants. Le théâtre pour enfants est généralement considéré comme un genre des plus difficiles, par rapport aux sujets choisis, à l’impact qu’ils peuvent avoir sur le jeune public. Sabrina nous avoue que sa passion pour le théâtre pour enfants est née de « la noblesse des messages qu’il véhicule. Pour elle, le théâtre a, indéniablement, un rôle éducateur.

« Je fêterai la capitale de la culture arabe de 2015 à ma manière…, sur scène », nous dit-elle. Et comment ! Elle campe le rôle de F’taïma, dans la production drama-turgique « Salah Bey », mise en scène par Mohamed-Tayeb Dehimi

Par Ranida-Yasmine Meraz

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Une clé pour CirtaOn ne présente pas Constantine. Elle se présente et on l’on salue. Elle se découvre et nous nous découvrons. Elle éclate comme un regard à l’aurore et court sur l’horizon qu’elle étonne et soulève. Puis, satisfaite de son effet, elle se fige dans sa gravité, se regroupe dans sa légende, se renferme dans son éternité. Les ponts et les rochers ne sont que des prétextes, les signes extérieurs d’une virtuosité qui se plaît à surprendre, le talent d’un destin de génie qui se sait d’autre raison de gloire et de respect. Cette prouesse est d’abord de la pudeur. A tout jamais ma ville s’est réfugiée derrière l’image qu’on s’en fait. Concédant une attitude et tolérant une silhouette, jalon entre deux infinis, elle veille sur le passé et relais du soleil, elle monte droite au pied des espérances.

Par Malek Haddad

Elle est une présence. Elle est un rêve qui continue. A ses genoux les mots sont pauvres courtisans. Le doigt de Dieu s’est posé par ici et la main

de l’homme ne peut que s’élever pour cette ovation qui, à son paroxysme, avoue déjà son impuissance. Vous étiez venus nous voir par un matin d’automne. Nous vous at-tendions depuis longtemps, nous vous at-tendions depuis toujours. L’été nous avait quittés depuis peu et les cigognes s’ap-prêtaient à le suivre. Sur la grande place, les hirondelles dessinaient des valses ; les enfants qui le pouvaient reprenaient le chemin de l’école, ce chemin de l’école qui par ces jours rabougris ne différait guère du triste chemin des écoliers. Une clé pour ma ville, une clé pour mon cœur, des mots qui s’aventurent dans la phrase bousculée des ruelles séculaires, dans le désordre parfumé des mots brûlants comme l’ac-tualité et suaves comme une chanson de geste, affluence, confluence, l’Afrique, le Maghreb, le Monde arabe, la vie patiente, la vie prudente, rageuse, rongeuse, la cou-leur qui n’en peut plus, la Méditerranée, la plaine et par là-bas cette autre place.

Matin de mon village suspendu au bout du temps, maisons penchées, maisons pen-sives, Dieu donnez-moi du talent pour par-ler de ma ville. Je me souviens : le matin se réchauffe encore aux rêves de la nuit.

Mémoire

SI CONSTANTINE M’ÉTAIT CONTÉE

Ma ville, mon enfanceViens. Nous prendrons par les rochers qui cloutent le versant de Sidi M’cid. Les es-cargots de mon enfance sont à leur place. Les chardons laissent encore couler la glu que nous récoltions pour la chasse aux oiseaux. Dans l’herbe rare un petit lézard contemple une idée fixe. Dans le bas, c’est elle, c’est la ville, c’est Constantine.

Un triangle violacé sur lequel nagent des fumées qui s’adossent à l’horizon. Tout comme les escargots, ma ville a choisi la sécurité du roc. Les aigles aussi. Aussi les monuments. Par temps clair, çà et là, un minaret apporte son audace à l’audace des cimes et l’on peut voir celui de la mosquée de Sidi Rached se profiler sous la grande arche du pont comme un rayon céleste, une tour fragile qui soutiendrait pourtant d’autre fondation. La route maintenant délaisse les rochers pour devenir une rue, pour devenir un boulevard. Poignant symbole, l’hôpital contemple la ville, au bord du danger, au bord de l’accident, au bord de la rupture. La mort et la maladie ne sont-elles rien d’autre qu’un accident, qu’une rupture ? Le Pont Suspendu, je n’en parlerai pas. Je com-prends son utilité, j’admire sa grâce, je res-pecte sa témérité et je regrette sa présence. Il y’a dans certaines victoires de l’homme

sur la nature, quelque chose qui m’émeut et qui me gène à la fois. Elles me semblent un affront à la nature qu’on humilie en la domptant. J’éprouve le même sentiment en voyant au cirque des animaux sauvages, fiers et puissants, obéir docilement à la maigre personne d’un dompteur. La dis-proportion fait mal au cœur. J’y vois une atteinte grave à la dignité et à la majesté de ce qui est grand et beau. Je me console à la pensée que les oiseaux n’empruntent pas de passerelle pour se rire des gnômes.

Le peuple de ma villeUne caserne, un vieux lycée. Le lycée por-tait le nom d’un guerrier, le duc d’Aumale et il a fallut notre guerre de libération pour qu’il s’appelle d’un nom civil : Ahmed Re-dha Houhou. Un homme de pensée pai-sible et doux. Je le vois encore dans les rues de Constantine, visage maigre ca-chant sa méditation derrière des lunettes foncées. Ils l’ont tué un jour de mars 1956. Ou bien encore promenant ses élèves sur les hauts de la ville. C’était un disciple de Cheikh Abdelhamid Benbadis. Abdelha-mid Benbadis… Bien ici comme ailleurs et plus ici qu’ailleurs, point n’est besoin de temps pour entrer dans l’histoire. Quand s’ouvrent les prisons et quand s’ouvrent les livres, l’histoire se saupoudre de légende.

Dessin Toufik Derdour

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Le peuple a bonne mémoire et sa mémoire disait Mohamed Dib, est la bibliothèque Nationale de l’Algérie. Dans les petites bou-tiques de la vieille ville, dans les minuscules échoppes qui baignent dans le passé, le portrait du Cheikh contemple la misère qu’il refuse. Souvent il illustre un calendrier. Son regard s’en va au bout d’on ne sait quelle nostalgie. Rien de plus émouvant, de plus tragique même, que ce portrait pieusement confié à la garde des gens qui n’ont jamais lu une ligne du philosophe et qui pour la plupart n’ont d’autre culture que leur amour du pays. Du pays réel, du pays restauré. Du pays conservé. Cette photo du Cheikh n’est pas un simple hommage. Dans son ins-tinct d’amour et de conservation, le peuple de ma ville a semé ses espoirs et ses re-grets sur le chemin qui va au plus loin de nos âmes, dans ces recoins tranquilles des valeurs retrouvées. C’est dans ces rues de la vieille ville- Oh ! Que les mots ne vous trompent pas- c’est dans ces rues de la ville de toujours, c’est dans ces rues d’abord, dans ces rues surtout que se promène une âme, que rôde un souvenir, que s’allume un sourire. Et que rêve une chanson que le cri des corneilles et le soupir des tourterelles transportent, une chanson qui raconte Salah Bey, chanson qui s’élève et s’étale à la recherche des belles altitudes et va jusqu’aux Aurès saluer cet autre piédestal, cette autre citadelle de l’amour et de l’hon-neur du mont Chelia.

Ma ville, un matin de novembreBaptiser une rue, une place n’est qu’une simple commodité. Place des Galettes, rue des Cigognes, voûtes centenaires qui soutiennent une émotion permanente, ombres bleues des midis qui patientent, pénombre rousse des soleils épuisés et lumière lyrique qui écrase la plaine et lueur de tendresse quand la lune feutrée caresse le Chettaba. Une clé pour Constantine, une clé pour mon cœur, pour cet itinéraire qui s’en va et revient dans le merveilleux désordre des refrains décousus. Un fellah est venu apporter des fleurs et du lait. Des enfants jouent. Un minaret appelle. Le Rhumel persiste dans son audace. Un mendiant sur un pont rappelle, lui, les problèmes qui se posent. Vous étiez venue nous voir un matin d’automne, un matin tout pareil à celui-ci. Un matin de novembre qui préfaçait le jour du siècle. Le temps n’était plus à la visite, le temps n’était plus à la promenade. C’était le temps d’un rendez-vous.

Le Rhumel s’en souvient, les corneilles s’en souviennent, les tourterelles s’en souviennent. Et les cigognes qui nichent sur les toits du Quartier des Tanneurs, quand elles nous quittaient aux premiers froids s’en allaient raconter aux quatre coins de l’Afrique et du Monde arabe que le jour se levait sur la terre algérienne.

Vous êtes ici chez vous. Dans le ciel de Constantine, aujourd’hui, notre drapeau tient compagnie aux cigognes et aux hirondelles. On pouvait croire que rien n’a changé et pourtant… Constantine qui s’avance dans l’espace comme un promontoire traverse le temps, massive, énorme, déconcertante, identique à elle-même et toujours renouvelée. Immobile et vivante. A tout jamais elle a pris la mesure exacte des choses et se rassure dans sa permanence. Elle s’offre et se refuse ; terriblement attentive et puissamment indifférente. Pour mieux se mériter, et dans un orgueil refusant ses limites afin de plus encore s’honorer, elle s’érige elle-même en monument.

M. H.

Les sous-titres sont de la rédactionArticle paru dans le journal Annasr le 4 janvier 1966

UN DESTIN ALGÉRIEN,UNE DIMENSION UNIVERSELLE

ABDELHAMID BENBADIS

« Nous aimons l’humanité que nous considérons comme un tout et nous aimons notre patrie comme une partie de ce tout. Et nous aimons ceux qui aiment l’humanité et sont à son service et nous détestons ceux qui la détestent et lui portent tort. »

Lycée Redha HouhouConstantine

Photo Walid Hamida

Dessin Toufik Derdour

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SUR LES TRACES D’UN PÉDAGOGUE ÉMÉRITE

Théologien et exégète musulman de génie, immense penseur avant-gardiste (selon lui, la science et la religion ne sont pas antinomiques, car participant toutes les deux de la raison), poète, père de la renaissance algérienne, fondateur de l’Association des oulémas, réformateur audacieux, militant infatigable et courageux pour l’identité nationale et culturelle…Cheikh Benbadis est probablement l’une des figures les plus marquantes de son temps, et au-delà.

Par Farida Hamadou

L’on peut affirmer aujourd’hui, que l’empreinte de sa réflexion est, tant aux plans religieux qu’intellectuel, indélébile. Plus encore : par sa vision profondé-

ment progressiste, son génie autant rationnel qu’intuitif, qui a su dépasser le confort stérile dans lequel se complaisent les convictions éculées, il est permis de dire que Benbadis a su retrouver l’esprit de l’islam de Cordoue, celui du pur rayonnement intellectuel. Loin donc de constituer pour lui un frein, la religion a été le moteur du renouveau salvateur que la société était en mesure d’espérer. Ce qui frappe, d’autre part chez lui, c’est, -à notre sens-, sa rapide et fulgurante conscience de l’urgence absolue, de mener une action réformatrice, immédiate, dans l’espace et dans le temps, au sein de sa société. C’est précisément cet aspect pratique et rigoureux du travail sur terrain de Benbadis, dans sa mission éducatrice, -aspect totalement in-novateur pour l’époque (1913-1925)-, que nous voulons relever, succinctement, dans cet article. Pourquoi Benbadis a-t-il réussi dans cette entreprise quasi impossible, a fortiori dans la conjoncture sociale désastreuse que l’on

sait ? Fusionnant théorie et pratique, il a, en premier lieu, procédé à l’identification claire des causes essentielles de cette dé-chéance qui allait crescendo, à plus forte raison que l’élite de l’époque brillait par son inertie, voire sa complaisance avec le régime colonial, -pour certains- face à la misère morale et physique et à l’ignorance funeste dans lesquelles croupissait l’en-semble de la communauté musulmane. Méthodique et précis, Benbadis a d’emblée dirigé son action vers la masse.

Religion n’est pas synonyme de résignationL’objectif crucial est de faire prendre conscience à la masse que l’Islam est une religion qui prône l’action, le changement positif par l’effort et le mouvement, a contrario du fatalisme et de l’abandon de soi aux mains du destin, que préconisaient certains « marabouts » de l’époque. Il faut dire que, par cette attitude, ces derniers contribuaient à concrétiser les desseins perfides du

Commémoration

ABDELHAMID BENBADIS

régime colonial, à savoir la déculturation et la désintégration totale de l’identité d’un peuple, à seule fin de s’approprier ses richesses. En conséquence, le Cheikh comprend rapidement que le salut ne pourrait advenir que par l’instruction, et plus pragmatiquement, par l’alphabétisation des adultes. Voici, à ce propos, ce que relève, avec respect et admiration, Malek Bennabi « A vrai dire, cette œuvre d’enseignement est un miracle. Arriver à un tel résultat, dans un pays où la pauvreté n’a d’égale que l’alphabétisme, n’est pas chose ordinaire. » (1). L’enseignement, d’abord limité aux sciences religieuses, s’étend donc (en 1917) aux autres disciplines (littérature, langues,-arabe et français-, histoire et géographie), le but étant de dispenser l’outil de réflexion qui permettrait à la population de prendre son destin en main. C’est ainsi qu’il ouvre un cours public, à Constantine, au sein de la mosquée Sidi Qammouch. Au chauvinisme étriqué et à la frilosité intellectuelle des conservateurs, il oppose un esprit original, éclairé, rayonnant de génie, réellement en avance sur son temps. En décidant d’introduire, par exemple, l’enseignement du français à côté de l’arabe, il était dans une démarche absolument rationnelle : le peuple se devait de comprendre et maîtriser la langue de son oppresseur, mais également de ne pas être en rupture avec le reste du monde. D’où la nécessité absolue pour les « indigènes » d’accéder à la culture universelle. Cette entreprise audacieuse, émanant d’un esprit d’initiative hors du commun, résolument novateur, livre bientôt ses fruits. Des disciples bien formés enseignent à leur tour, étayant ainsi la mission éducative que s’était fixé le

leader du mouvement réformiste, qui puise en lui encore assez d’énergie pour lancer des cours du soir au profit des adultes. Le secret de sa réussite auprès d’une masse récalcitrante aux idées modernistes, souvent perçues comme dangereuses, voire hérétiques, réside dans le choix habile d’une pédagogie spécifique, attentive à persuader par la tolérance et la douceur, et non par le prêche virulent et fanatique. « Benbadis pratique une méthode rationnelle de persuasion à l’égard de ceux qui ne partagent pas son point de vue ou dont la conduite s’écarte de la voie droite. Il n’use ni de polémique ni de diffamation. Il discute sereinement, en présentant des arguments clairs, susceptibles de faire réfléchir ses interlocuteurs et peut-être les convaincre », note Dr Bouamrane Chikh. (2).

Droit à l’instruction pour les fillesComment Benbadis aurait-il alors réussi à persuader ses ouailles de la nécessité d’instruire les filles, si ce n’est grâce à ce cheminement savamment gradué ? Il a consciencieusement évité de brûler les étapes afin de ne pas réduire à néant ce travail de titans. Toujours avec sa pédagogie de pointe, il explique que sans l’instruction de la femme, toute action visant à promouvoir la société, est de facto caduque. Deux ans après ce programme, en 1919, il ouvre une première école pour les filles, à Sidi Boumaza, et y enseigne avec Cheikh Moubarak El-Mili. Le succès est immédiat et retentissant. Les élèves arrivent en masse de toutes les régions du pays, obligeant l’école à se doter d’un internat. Des écoles similaires voient le jour dans les principales villes du pays, -en parallèle avec l’ouverture de centres culturels animés par les désormais jeunes lettrés-, et bien d’autres initiatives dans le même esprit d’éveil et d’émancipation du peuple.

Pour conclure, il ne serait pas inintéressant de noter que, en dépit de tous les moyens matériels dont l’Algérie d’aujourd’hui s’est dotée en matière d’éducation, les résultats ne sont en rien comparables à ceux obtenus, au début du siècle dernier, et en plein marasme colonial, par Benbadis, qui plus est, avec les moyens dérisoires dont il disposait

(1)- Malek Bennabi, in Colonisabilité. Problèmes de la civilisation.

(2)- Dr Chikh Bouamrane. Article paru en juin 2003 dans la revue algérienne Les études islamiques.

F. H.

Dessin Toufik Derdour

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L’HOMME AU BÉRET NOIR

Tahar Ouettar est classé parmi les nombreux romanciers algériens et étrangers qui ont établi une relation littéraire étroite, privilégiée, avec Constantine. Il est parmi ceux qui ont été profondément inspirés par la beauté mystérieuse et fascinante de cette cité millénaire.

L’homme au béret noir a, en effet, planté le décor de son roman Ez-zilzel (le séisme), sur le Vieux Rocher, un choix qui a renforcé la touche de

réalisme apportée à une œuvre décrivant magistralement une société algérienne s’initiant laborieusement à l’épreuve de l’Indépendance. Edité une première fois à Beyrouth en 1974 puis à Alger en 1981 et en 2005, traduit dans plusieurs langues, ce roman a non seulement séduit un lectorat spécifique, mais suscité une grande curiosité chez de nombreux étrangers, écrivains et lecteurs avertis, les poussant à venir mesurer la dimension de Constantine, cette ville où la citadinité et la ruralité n’ont pas toujours fait « bon ménage », et à découvrir la complexité du personnage du roman, Boularouah, un homme à l’âme ébranlée par les vicissitudes d’un passé colonial pénible et d’une indépendance à construire. Le personnage, par sa force romanesque, suscite l’envie de sillonner, comme lui, les ruelles de la vieille ville, et de ressentir les mêmes émotions, merveilleusement rendues par l’auteur. Le choix de la ville de Constantine, pour en faire une sorte de

laboratoire d’analyse sociale romancée, n’est ni fortuit ni purement subjectif. Ouettar a choisi l’espace urbain qui se détermine dans le texte romanesque comme une architecture et un ensemble de signes spatiaux qui confortent le titre et reflètent une situation historique créée par la révolution agraire. A partir de ces lieux urbains, naît la dualité en tant que conflit psychologique intérieur du personnage Boularouah, le représentant d’une certaine classe sociale, celle des grands propriétaires terriens dont la révolution agraire projette de nationaliser les biens. Ainsi, le conflit qui n’a pas pris la dimension de la confrontation, a été transposé dans un cadre urbain, précisément celui d’une ville qui a beaucoup changé, selon le point de vue du personnage. Ouettar a structuré son roman conformément au type architectural des sept ponts que compte Constantine, donnant à chaque partie le nom d’un pont. Dans Ez-zilzel, Tahar Ouettar tout en mettant en avant la grandeur de la cité du savoir et des savants, dévoile le « chamboulement » social et mental d’une société en reconstruction.

Ilhem Tir

Hommage

TAHAR OUETTAR

LES LARMES D’ENCRE

Tu me demandes : « Bon ! Après tout ça, pourquoi ne rentres-tu pas demain ? » Je ne rentre pas car, dans le royaume de l’amour, je suis lâche. Je ne rentre pas car j’ai peur. C’est vrai qu’il n’y a que le premier amour qui compte : la patrie, mais j’ai peur. Face au grand amour, je suis la reine des lâches. Je ne suppor-terai pas de perdre Damas deux fois ! A croire que je veux rester loin d’elle pour qu’elle continue de m’aimer, comme une femme amoureuse qui n’ose pas rencontrer son amant pour ne pas le décevoir. Je suis une femme qui n’est bonne à rien d’autre qu’à écrire et j’ai peur de toucher mon amour ailleurs que sur le pont de mes écrits… Je laisse à Gibran Khalil Gibran le soin d’exprimer ce qu’il ressent et ce que je ressens… « Tu me demandes, Mansour, si j’aime-rais revenir au Liban ? Ecrivait Gibran à un de ses amis. Naturellement, je

voudrais revenir dans la patrie de ma modernité, là où j’ai trouvé l’inspiration, sur les versants de la vallée où mon es-prit s’est nourri. Oui, je voudrais revenir au Liban, à Bcharré, mais si je reviens au Liban, cher Mansour, à Bcharré, les gens continueront-ils à me respecter ? Ou bien, peu de temps après mon re-tour parmi eux, mes plus proches amis vont-ils commencer à se moquer de moi ? Voilà pourquoi Mansour, je pré-fère rester loin de lui. J’aime le Liban et le Liban m’aime… ». Comme Gibran est lâche devant son grand amour, le Li-ban ! Et comme il est sincère ! Je suis donc fière de rejoindre le cercle des amoureux lâches et je tremble de peur comme un petit chat devant mon grand amour : Damas… Oserai-je revenir ?

Traduction : E-Gautier in Damas dans le mi-

roir des écrivains et des poètes arabes

GHADA AL-SAMMAN

LE CRI DES PIERRES

SITES HISTORIQUES SYRIENS

Dessin Ferhat Ilies

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Maqam numéro 01 avril 2015

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UN PATRIMOINE EN DANGERTerre d’une des plus anciennes civilisations, pays d’Adonis, poète moderniste et auteur d’une œuvre magistrale en arabe et en français, de Ghada Essamane, pionnière d’un mouvement de libération littéraire dédié à la femme arabe et de Hanna Mineh, romancier engagé et grand admirateur de Maxime Gorki, la Syrie est en train de vivre les moments les plus pénibles de son histoire séculaire.

Par Ikram Ghioua

Des vieux quartiers d’Alep à Damas en passant par Palmyre et les villes mortes du nord, arrivent jusqu’à nous les cris de détresse

d’une patrie déchirée en mille morceaux et jetée en pâture à une folie meurtrière dévastant tout sur son passage. Les anciennes villes de Damas, Bosra et Alep, l’oasis de Palmyre, le Krak des chevaliers et Qal’at Salah-Eddine, ainsi que les villages antiques du nord de la Syrie où se trouvent des sites classés au patrimoine mondial sont, depuis quatre ans, en situation d’extrême péril ; une situation créée par les destructeurs de la mémoire et falsificateurs du passé. En avril 2013, le minaret de la mosquée des Omeyyades, joyau architectural d’une grande valeur esthétique et historique, s’était effondré, alors que la mosquée elle-même, construite au VIIIème siècle et réhabilitée au XIIIème siècle, avait été déjà partiellement défigurée et endommagée. En septembre 2012, le vieux souk d’Alep, véritable mémoire vivante et vivifiante d’une cité, où la distinction est une marque déposée, avait été partiellement endommagé. La citadelle de cette ville, bâtie par Ali Sayf Adawla en 1230, avait subi des dommages. Alep, oh Alep, c’est ici qu’aurait séjourné le Prophète Ibrahim

Al Khalil alors qu’il remontait le cours de l’Euphrate pour se diriger vers l’Egypte. Et c’est en ces lieux que le patriarche des prophètes aurait trait une vache appelée Al-shahba, la grise ou la blanche nuancée. D’où, selon de nombreux historiens, est tiré le nom de cette ville qui a vu naître l’inégalable Al-Mutanabbî : « Halab Al-shahba », littéralement : il a trait la blanche. Alep, la cité aux sept portes dont Bâb Al-Maqam, la porte du sanctuaire par référence au séjour du Prophète Ibrahim, est aujourd’hui meurtrie. Elle porte le deuil comme elle l’a porté du temps de la barbarie des Croisades et des invasions mongoles. Ses joyaux les plus précieux volent en éclats. Ses vestiges se disloquent et ses trésors millénaires sont acheminés clandestinement sous la garde des fusils-mitrailleurs dans le cadre d’un odieux trafic d’objets d’art.

Archéocide

SITES HISTORIQUES SYRIENS

Alep la « sainte »Ô mon Dieu, une partie de la mémoire de l’humanité risque de disparaitre emportée par la folie meurtrière d’une barbarie sans nom, armée et financée par une secte oligarchique déterminée, selon un processus géostratégique derrière lequel elle dissimule ses véritables intentions, à remplacer Dieu, et à enlever à l’humanité toute notion d’appartenance, qu’elle soit religieuse, culturelle ou native. Alep Al-shahba vit son deuil dans une indifférence quasi-générale, ponctuée certes par des alertes émises par l’Unesco et quelques personnalités ; elle ne comprend plus ce vent de haine venu d’ailleurs peupler les plaines et les monts de la Syrie la Mésopotamienne, l’Egyptienne, la Hittite, la Phénicienne, la Grecque, la Romaine, la Byzantine, l’Omeyyade et l’Abbasside.

Les pierres, les arbres et même les herbes sauvages longeant les chemins menant vers Maâloula, se souviendront très longtemps des chagrins étouffés, des larmes versées et des drames signés dans le sang et la destruction par des zombies. Apamée, la grande cité hellénistique sur l’Orante, se rappellera de ses agresseurs. Daraâ et Homs n’oublieront pas de sitôt la cruauté des incendiaires. Alep la sainte, blessée dans sa chair, racontera sa tragédie à Abou Firas Al-Hamdani, à Jean-Pierre Hutin et à Mayada El Hennawy, ses illustres enfants. Agressée et trahie par une conspiration conçue dans des

salons cossus d’Orient et d’Occident, la Syrie n’a nullement besoin d’exposer sa douleur, car toute la planète crie pour elle. Terre des prophètes, de l’harmonie confessionnelle et de l’amour, Al-Sham n’a jamais su haïr à force d’aimer. Et c’est pour cette raison qu’elle surpassera ses peines et ses chagrins. Et c’est aussi pour cette raison que Ghada Al-Samane laisse parler son cœur écorché vif pour clamer haut : « Je parle de Damas en sous-entendant la Syrie, comme si dans mon cœur Damas, c’est Lattaquié, la ville de ma mère, Al-Fourallaq, Kassab, Safita, Jableh, Baniyas, Tartous, Homs, Wadi-l-Uyun, Dreikiche, Bloudan, Alep, Raqqa, Hassaké, Palmire, Soueida et bien d’autres lieux qui appartiennent à mon enfance et à ma jeunesse.

Nombre de noms inoubliables que je répète comme les clés musicales d’un chant secret… Ce n’est pas rien d’avoir comme mère la reine Zénobie, comme père Saladin l’Ayyoubide, et comme tante la reine Marie. C’est peut-être pour cette raison que j’ai pris de nombreux trains et que je me suis trompée en imaginant que je trouverais un chemin ne menant pas à toi. Tous les chemins mènent à toi, ma patrie… Crois-tu que je retournerai à la ville de mon premier baiser pour y vivre mon dernier amour ?»

I. G.

Citoyens syriens prenant en charge la protection des monu-ments historiques

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Maqam numéro 01 avril 2015

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Des non(s) et des lieux

Que les conflits armés récents mettent en évidence les menaces croissantes et irréversibles que subit le patrimoine culturel universel, que ce soit en Syrie, en Irak, au Yémen, au Mali, en Palestine, en Egypte, en Afghanistan en Tunisie

ou ailleurs, il reste un fait, incessible pour toute l’humanité : ce patrimoine est constitutif de séquences fondamentales de l’Histoire de l’humanité et de ses origines, il est une source indéniable d’affirmation identitaire et de cohésion pour tous les peuples.

Aujourd’hui, la matrice de ce capital irremplaçable est pernicieusement ébranlée par les conflits et les guerres, l’accélération des régressions et l’instabilité économique due à la globalisation, le trafic illicite des objets d’art, les pillages et le saccage des sites archéologiques, en autant de lieux et de méfaits qui nous interpellent tous, pour réagir avec détermination et asséner énergiquement des non(s).

Si ce patrimoine culturel reflète la vie des peuples, leur histoire et leur identité, le pré-server, c’est aider au recouvrement de parcelles entières de l’Histoire de l’humanité et à la reconstitution probable d’une archéologie véritable de cette mémoire oubliée, chahutée, mutilée, falsifiée ou escamotée pour être confisquée.

Le nettoyage culturel en règle qui se déroule sous nos yeux, est la cause de fractures incommensurables pour toute l’humanité, tant il impose des ruptures fatales entre pas-sé, présent et avenir. Et à ce moment là, les origines ne seront plus devant nous, contrairement à ce que nous l’on toujours fait accroire certains grands philosophes, puisque, tout simplement, ils ne seront même plus là derrière nous. Rien, aucune trace n’en subsistera plus pour que les sciences modernes ou les nou-velles intelligences technologiques puissent trouver matière à fouiller !Si ce patrimoine est particulièrement menacé, c’est justement en raison de sa vulné-rabilité inhérente et de l’importante valeur symbolique qu’il représente pour le devenir des peuples et de l’humanité toute entière.

Il reste donc à ce que tous les citoyens du monde et particulièrement les acteurs lo-caux, témoins directs de ce nettoyage culturel dans ces lieux de non-droit, de doubler d’effort et de travailler pour la protection et la sauvegarde de ce patrimoine.

Cette réactivité citoyenne salutaire, plus que souhaitée, arrivera en renfort des stratégies politiques instaurées par la communauté internationale, les Etats et les organismes in-ternationaux, Unesco, Alesco…, selon des cadres juridiques clairs, permettant au travail sur le terrain, de s’organiser en réseau pour alerter en temps réel sur la nature et les proportions des menaces, et ainsi, assurer à temps, une préservation véritable de cet héritage universel.

Ne l’oublions pas, puisque même le déluge n’a pu laver l’Homme de ses souillures, des civilisations entières ont été englouties, des pages importantes de l’histoire de l’huma-nité ont disparu des mémoires, ont été effacées ou ont été réécrites pour être falsifiées, non sans les arrière-pensées d’individus qui cherchent à écourter les mémoires pour régner d’une main de fer sur une humanité qu’ils veulent soumise…, et sans histoire !

Djamel Belkadi

Repères

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lemqamConstantine Capitale de la Culture Arabe 2015