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METZ PENDANT LA RÉVOLUTION par M. ZOLTAN-ETIENNE H A R S A N Y CHAPITRE III L'établissement du nouveau régime à Metz (1790-1791) 1. LES NOUVEAUX ORGANES ADMINISTRATIFS. — Avec l'année 1790 s'ouvre une nouvelle période de la Révolution, celle de la partie constructive. Après avoir fait table rase des institutions de l'Ancien Régime, l'Assemblée constituante, en quelques mois, tra- çait les bases de la France contemporaine dans les domaines poli- tiques, sociaux, administratifs et religieux. Disons tout de suite que ces mesures, votées par des bourgeois libéraux et fortunés, ne furent point assez démocratiques, d'où mécontentement d'une masse de pauvres, de déshérités et mécontentement aussi des parti- sans de l'Ancien Régime, victimes de la plupart des opérations. Paris et la province vont connaître à nouveau une vie de troubles qui iront s'accentuant lorsque la Constituante prononcera sa dis- solution le 3 0 septembre 1791. L'Assemblée constituante devait effacer l'ancienne division du royaume en circonscriptions multiples dirigées par des « hom- mes du Roi». La réforme administrative avait pour but la créa- tion d'une administration uniforme et décentralisée. Dès décembre 1 Nous avons éprouvé de nombreuses difficultés pour composer ce chapitre. En effet, les documents précis et détaillés manquent souvent pour éclaircir certains problèmes. Le lecteur ; avisé constatera encore une fois, et à notre grand regret, que les pages qui suivent ne renferment que des renseignements sommaires et souvent incomplets. '

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M E T Z P E N D A N T LA R É V O L U T I O N

par

M. Z O L T A N - E T I E N N E H A R S A N Y

CHAPITRE III

L'établissement du nouveau régime à Metz (1790-1791)

1. LES NOUVEAUX ORGANES ADMINISTRATIFS. — Avec l'année 1 7 9 0 s'ouvre une nouvelle période de la Révolution, celle de la partie constructive. Après avoir fait table rase des institutions de l'Ancien Régime, l'Assemblée constituante, en quelques mois, tra­çait les bases de la France contemporaine dans les domaines poli­tiques, sociaux, administratifs et religieux. Disons tout de suite que ces mesures, votées par des bourgeois libéraux et fortunés, ne furent point assez démocratiques, d'où mécontentement d'une masse de pauvres, de déshérités et mécontentement aussi des parti­sans de l'Ancien Régime, victimes de la plupart des opérations. Paris et la province vont connaître à nouveau une vie de troubles qui iront s'accentuant lorsque la Constituante prononcera sa dis­solution le 3 0 septembre 1 7 9 1 .

L'Assemblée constituante devait effacer l'ancienne division du royaume en circonscriptions multiples dirigées par des « hom­mes du Roi». La réforme administrative avait pour but la créa­tion d'une administration uniforme et décentralisée. Dès décembre

1 Nous avons éprouvé de nombreuses difficultés pour composer ce chapitre. En effet, les documents précis et détaillés manquent souvent pour éclaircir certains problèmes. Le lecteur ; avisé constatera encore une fois, et à notre grand regret, que les pages qui suivent ne renferment que des renseignements sommaires et souvent incomplets. '

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1789 et février 1790, des décrets organisaient la nouvelle division du royaume. La France fut ainsi divisée en quatre-vingt-trois départements, divisés chacun en districts, ceux-ci en cantons, et ces derniers en communes. La gestion des affaires locales fut confiée à des pouvoirs élus. Cette organisation administrative, malgré sa faiblesse — les organes locaux étaient indépendants du gouverne­ment central et la masse des citoyens, issue des classes pauvres, était exclue des différents corps locaux — semblait répondre aux vœux des hommes de 1789.

En ce qui concerne notre région, l'Assemblée constituante adopta, le 15 janvier 1790, les propositions de son comité, en vertu desquelles la Lorraine, le Barrois et les Trois-Evêchés for­meraient quatre circonscriptions nouvelles, quatre départements : la Meurthe, la Meuse, les Vosges et la Moselle. Ce dernier dépar­tement fut divisé en 9 districts, 76 cantons et 898 municipalités. Ces neuf districts étaient ceux de : Metz, Bitche, Boulay, Briey, Longwy, Morhange, Sarreguemines, Sarrelouis et Thionville.

Le district de Metz se subdivisait en 12 cantons comptant au total 140 municipalités. Ces douze cantons comprenaient ceux de : Metz, Moulins, Borny, Argancy, Flanville, Goin, Corny, Augny, Gorze, Mars-la-Tour, Gravelotte et Mézières. Le canton de Metz, divisé en dix sections ou arrondissements, comprenait la ville de Metz, chef-lieu du département, et son territoire.

Dans chaque DÉPARTEMENT étaient créés les nouveaux organes administratifs suivants : un directoire exécutif, composé de huit membres, et un conseil général de trente-six membres, remplacés dans l'intervalle de leurs sessions par un procureur général syndic. L'administration du DISTRICT était constituée, d'une part, d'un directoire de quatre membres et, d'autre part, d'un conseil de dis­trict de douze membres. Les fonctionnaires ou membres des diver­ses administrations furent tous choisis par les « électeurs ». Les CANTONS, simples circonscriptions judiciaires, n'avaient pas d'ad­ministration propre.

L'administration municipale avait été réglée par le décret du 14 décembre 1789, qui prévoyait des municipalités électives. Le chef de la MUNICIPALITÉ devait porter désormais le titre de maire,

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et tous les citoyens actifs (2) pouvaient concourir à son élection et à celle des autres membres de la municipalité. La commune comprenait donc un maire et des officiers municipaux formant, avec le maire, le CORPS MUNICIPAL ; des notables, en nombre double des officiers municipaux et formant avec le corps municipal le CONSEIL GÉNÉRAL de LA COMMUNE6; enfin un procureur de la com­mune. Tous ces personnages devaient être élus par les « citoyens actifs » ; les officiers municipaux et les notables étaient élus pour deux ans et renouvelables par moitié chaque année ; le maire, élu pour deux ans aussi, pouvait être réélu pour deux nou­velles années. Par ces mesures, l'Assemblée avait espéré intéresser les Français au maniement des affaires publiques et rendre impos­sible le retour de l'ancien « despotisme ». La mise en application de cette grande réforme administrative sur le plan local exigeait diverses opérations.

Rappelons que depuis le 25 septembre 1789 la ville de Metz était administrée par un comité municipal de quatre-vingts mem­bres, présidé successivement par Roederer, baron de Poutet, l'abbé de Chambre, Vautrin, Jacquinot, Goussaud d'Antilly, dom Colette et de nouveau le baron de Poutet. Dans sa séance du 18 janvier, le comité municipal rendit un règlement pour le dénombrement de tous les habitants, la liste des citoyens actifs et celle des éligi-bles ; il détermina que la valeur locale de trois journées de tra­vail serait fixée à Metz à 45 sols et que pour être éligible dans

2 Les conditions pour être électeur sont précisées par un. journal local. Elles sont les suivantes : 1° Etre né ou devenu français ; 2° Etre âgé de vingt-cinq ans accom­plis ; 3° Etre domicilié dans l'étendue du district depuis un an ; 4° Payer une contribution directe au moins égale à la valeur de trois journées de travail ; 5° N'être pas dans un état de domesticité, c'est-à-dire de serviteur à gages ; 6° Etre inscrit au rôle des gardes nationales et avoir prêté le serment civique ; 7° En outre, pour les citoyens de Metz, être propriétaire ou usufruitier d'un bien évalué sur les rôles de contribution, à un revenu égal à la valeur locale de deux cents journées de travail qui, d'après la taxe, est de 15 sols ; conséquemment, les deux cents journées feraient un revenu de 150 livres ; ou être locataire d'une habi­tation évaluée sur ces mêmes rôles, à un revenu égal à la valeur de cent cinquante journées de travail, ce qui fait 112 livres 10 sols. (Journal des départements, du 22 décembre 1791.)

On constate tout de suite les inconvénients du Nouveau Régime : exclusion des différents corps locaux de la masse des Français pauvres et nomination des citoyens les plus riches dans les administrations de départements et de districts. Que de divergences d'opinion entre Français, riches ou pauvres, entre administrations locales ou régionales, naîtront de ces mesures fâcheusement incomplètes !

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l'administration municipale il faudrait payer une contribution di­recte de 7 livres et 10 sols (3). Le recensement de la ville fut effectué les 25, 26 et 27 janvier et donna le résultat suivant : 35.818 habitants ; conformément au décret du 14 décembre 1789, la ville de Metz devait être divisée en dix quartiers ou « arrondis­sements » d'environ 4.000 habitants, constituant chacun un bureau de vote. L'assemblée du 1 e r arrondissement devait se tenir à l'abbaye de Saint-Vincent ; celle du 2 e arrondissement à l'abbaye de Saint-Clément ; celle du 3 e arrondissement au Palais du gou­vernement ; celle du 4 e à l'abbaye de Saint-Arnould ; celle du 5 e arrondissement en la grande salle du Parlement ; celle du 6* en l'église des Grands Carmes ; celle du 7 e arrondissement aux Récollets ; celle du 8 e aux Minimes ; celle du 9 e en l'église du séminaire Saint-Simon, et celle du dernier et 10 e arrondissement en l'église de la Visitation (4). Le recensement et la classification des Messins terminés, on évalua qu'en notre ville il y avait 3.260 électeurs et 1.908 personnes éligibles (5). On comptait 20.035 personnes du sexe masculin et 15.783 personnes du sexe féminin, parmi tout ceci 2.223 israélites, mais point de « protestants » notés (6).

Les diverses opérations administratives terminées, les citoyens messins passèrent aux élections. La campagne électorale parut avoir été peu agitée. Le 9 février 1790, le baron de Poutet, déjà prési­dent du comité municipal, élu la veille par 2.022 suffrages sur 2.366 votants, était proclamé premier maire de la Révolution. L'élection de ce grand seigneur de vieille noblesse messine, candi­dat des Patriotes, riche en terres et en titres, et âgé de cinquante-deux ans, donna lieu à des manifestations publiques de sympathie : sonneries de la cloche de Mutte, défilé de la garde nationale avec drapeau blanc dans les rues, illuminations, vivats « Vive la Nation, vive le Roi, vive Poutet » et enfin déposition dans la salle des séances

3 Affiches des Evêchés et Lorraine, numéro du 28 janvier 1790. 4 PAQUET, Bibl. analytique de VHistoire de Metz, t. II, p. 570.!

5 Affiches des Evêchés et Lorraine, numéro du 4 février 1790. 6 Arch. mun. de Metz, série D, n° 1 D 3. — Délibérations du 30 janvier 1790.

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d'un médaillon à l'effigie de Poutet, effigie ornée d'une couronne civique avec cette inscription : « A ses vertus civiques» (7).

Les « électeurs » passèrent ensuite aux élections — plusieurs fois renouvelées — du procureur Claude-François Périn, avocat, précédemment procureur déjà, et de son substitut Nicolas Barthé­lémy, ancien procureur au bailliage. L'élection des officiers muni­cipaux et des notables donna également lieu à plusieurs scrutins successifs ; les quatorze premiers officiers municipaux élus furent Jean-Baptiste-Nicolas de Pacquin de Rupigny, avocat au Parlement; Jean-Baptiste de Juzan de La Tour, avocat au Parlement ; Jacques-Joseph Fontaine, architecte ; Renault l'aîné, huissier au Parlement ; Léopold-Joseph Saget, ingénieur des ponts et chaussées ; Jean-Fran­çois Suby, président des finances ; Gaspard, négociant ; Charles-Michel Guelle, notaire ; Anatole Daviel, négociant ; François Ge-rardin, négociant ; Joseph Vaultrin, avocat ; Jean-Baptiste Chonez, ancien caissier des guerres ; Jean-François Nioche, chanoine de la cathédrale, et Hubert Marchand père, premier médecin de l'hôpi­tal militaire.

Les trente premiers notables élus furent les personnalités sui­vantes : Parnot, procureur au bailliage ; de Colny, conseiller au Parlement ; baron de Guillemin, chevalier de Saint-Louis ; Coin-tin, conseiller au Parlement ; de Lagravière, chevalier de Saint-Louis ; Goussaud de Montigny, conseiller au Parlement ; Collin, substitut du procureur général ; Volmerange, sergent royal ; Dau­phin, procureur au Parlement ; Sequer, bâtonnier de l'ordre des avocats ; Gobert, ancien notaire et maître de poste ; Aubertin, juge consul ; baron de Bock, lieutenant des maréchaux de France ; Chonez, maître-tanneur ; Raux de Tonne les Prés, lieutenant crimi­nel ; Arnould, médecin ; Jacquinot l'aîné, avocat ; Boichegrain, rentier ; Maréchal, charpentier ; Laurent, négociant ; Guelle, no­taire ; Lamart, bijoutier ; Guerrier, conseiller au Parlement ; de

7 Arch. mun. de Mets, série D, n° 1 D 3. — Délibérations du comité municipal des 7 et 9 février 1790. — Un officier du régiment de Picardie a composé et adressé le quatrain suivant à la ville de Metz : « Mets, les dieux immortels veulent te protéger, Tu pourras défier la discorde et la guerre. Bouille, sur tes remparts, combattra Vétranger, Poutet, des citoyens, sera le tendre père. » (Affiches des Evêchés et Lorraine du 18 février 1790.)

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Lançon, procureur général ; Ragnet, contrôleur au Parlement ; Dosquet, secrétaire du Roi ; Michel, maître chandelier ; Le Payen, trésorier de France et directeur des Messageries ; Renault le jeune, huissier au Parlement, et Adam père, huissier.

Que faut-il penser de la composition de la nouvelle adminis­tration municipale ? Notons d'abord que plusieurs personnages nous sont déjà connus comme ayant fait partie de l'ancienne Assemblée des Trois-Ordres ; leur réélection témoigne, à notre avis, de leur honnêteté et patriotisme ; comme il n'y eut plus qu'un représentant du clergé, constatons la réserve et l'effacement de cet ordre dans la conduite des affaires locales ; la noblesse, elle-même, est faible­ment représentée. La disparition des « privilégiés » et surtout des aristocrates sur la scène politique ou tout simplement publique est un phénomène normal en 1790.

Le nombre des hommes de loi reste toujours le plus élevé ; quant aux délégués des diverses corporations, on en trouve à peine. La nouvelle municipalité, dirigée par des « patriotes », hommes sincères et administrateurs souvent éprouvés, représente encore la bourgeoisie cultivée, riche et influente, la fraction modérée qui détient le pouvoir depuis le mois de septembre 1789. Cette nouvelle municipalité fut installée le 14 mars 1790 ; la cérémonie devait comprendre d'abord la lecture des « lois constitutionnelles » ; en­suite un serment des nouveaux élus par lequel ils juraient « d'être fidèles à la Nation, à la Loi et au Roi, et de maintenir de tout leur pouvoir la Constitution décrétée par VAssemblée nationale et sanc­tionnée par le Roi » ; le serment de la garde nationale qui se dérou­la sur la place du Fort ; enfin un Te Deum chanté à la cathédrale avec prières pour le Roi. La nouvelle municipalité était complète­ment constituée le lendemain par l'élection et le serment de son secrétaire-greffier Fenouil, avocat au Parlement ; de son trésorier Emmery, ancien receveur de Metz ; de l'ingénieur de la ville Gar-deur Le Brun ; et du receveur-grainetier de la ville Blondin (8). La municipalité reçut la charge de la répartition et de la levée de l'im-

8 Arch. mun. da Metz, série D, n° 1 D 4. — Délibérations du conseil général de la commune des 14 et 15 mars 1790.

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pot comme de la police, pour laquelle elle disposait encore de la garde nationale et même de l'armée ! Quatre « bureaux » furent or­ganisés : domaines, hôpitaux, police et subsistances ; les jours de réception se limitèrent au lundi et samedi.

Le 4 juin 1790 parut l'ordonnance des commissaires du Roi pour la formation des assemblées primaires et administratives du département de la Moselle. Les élections eurent lieu le 17 juin pour le choix des « électeurs » messins (9) qui, unis le 28 juin aux électeurs des autres assemblées primaires du département de la Moselle, devaient choisir les trente-six membres de VAssemblée du département et les douze membres de VAssemblée du district de Metz. Précisons, en effet, que le département devait être administré par deux assemblées élues ; un directoire exécutif de huit membres et un conseil général de trente-six membres, remplacés dans l'inter­valle de leurs sessions par un procureur général syndic. Nous pré­sentons maintenant la liste des premiers administrateurs élus du département de la Moselle, c'est-à-dire les membres du conseil gé­néral : d'Hunolstein, maréchal de camp, président ; Durbach, culti­vateur, maire de Cattenom, député suppléant à l'Assemblée natio­nale ; Pion, admodiateur de La Grange ; Blouet, lieutenant-général du bailliage de Thionville ; Petit, avocat et commandant de la garde nationale de Thionville ; Aubertin, maire de Pange ; Géant, maire de Pont-à-Chaussy ; Flosse, avocat, député suppléant à l'Assemblée nationale, résidant à Boulay ; de Reitervald, chevalier de Saint-Louis, brigadier des armées du Roi, maire de Bouquenom ; de Fillery, conservateur des hypothèques et contrôleur des actes à Bitche ; Urich, avocat et procureur de la commune de Bitche ; Thirion, avocat résidant à Morhange ; Rolland, avocat, notaire à Vatimont ; Liébault, avocat et prévôt de Faulquemont ; Saget, ingé­nieur en chef des ponts et chaussées, officier municipal à Metz ; Louis père, propriétaire à Augny ; Galland, député suppléant à l'Assemblée nationale et commissaire du Roi, résidant à Novéant ;

9 PAQUET (Bibl. analytique de l'Histoire de Mets, t. II, p. 570-571) reproduit inté­gralement l'affiche qui convoque les citoyens aux élections et précise les limites des dix sections que comprend le canton de Metz. Nous y l isons « le dénombre-mepit des habitants du canton de Mets, fait par les officiers municipaux de cette ville, portant sa population à 36.979 âmes, et ce canton ayant été divisé en dix sections ou arrondissements ».

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Grosse, propriétaire et maire de Cheuby ; Collin, substitut du pro­cureur général, député suppléant à l'Assemblée nationale et com­missaire du Roi, résidant à Metz ; Sequerre, avocat et notable à Metz ; Wagner, trésorier de la guerre à Sarrelouis ; Renault, avo­cat et maire de Creutzwald ; Bogars, négociant et maire de Sarre­louis ; Altmayer, conseiller au bailliage de Bouzonville ; Wildt, lieutenant-général du bailliage et commandant de la garde nationa­le de Sarreguemines ; André, négociant et capitaine de la garde nationale de Saint-Avold ; Briam, trésorier de la ville de Forbach ; Thiébault, officier municipal à Sarralbe ; Pierron, avocat du Roi au bailliage de Briey ; Mangin, cultivateur et maire de Ville-au-Pré ; Olry, avocat à Beuvange ; Laurent, garde-marteau de la maîtrise de Briey ; Guillemard, entrepreneur de fortifications à Longwy ; Lhote, avocat et maire de Longuyon ; Petit, propriétaire et maire de Tiercelet ; Blouet, major de la garde nationale de Fon-toy ; Poutet, maire de Metz, procureur général syndic du départe­ment ; Collin, suppléant du procureur général syndic ; Berteaux, secrétaire général, et enfin Le Payen, premier secrétaire de l'Inten­dance, élu trésorier.

Après le conseil général, voici maintenant les membres élus du directoire exécutif du département : d'Hunolstein, président ; Dur-bach, Flosse, Collin, Saget, Wagner, Thiébault, Sequerre et Pier­ron, membres. Le rôle de cette administration ? Le « département » transmettait les instructions, circulaires, décrets et lois du pouvoir central de Paris, soit au district, soit, après sa suppression, à la municipalité et chargeait le procureur général syndic d'assurer leur exécution (10).

Le DISTRICT DE METZ était une subdivision du département, un des neuf districts de la Moselle. Son administration comprenait un directoire de quatre membres, un conseil de douze membres et un procureur syndic. Le district étendait son pouvoir sur le territoire de la ville de Metz et de quelques petites municipalités de sa ban­lieue. Le conseil du district de Metz réunissait les personnalités

10 Almanach des départements de la Meurthe, des Vosges, de la Meuse et de la Moselle, p. 102-103.

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suivantes : Emmery, député à l'Assemblée nationale, président ; Bail, maire de Vaux ; Bertin le jeune, cultivateur à Mars-la-Tour ; député suppléant à l'Assemblée nationale ; Delatte, propriétaire et procureur de la commune de Vrémy ; Gourmaux, propriétaire à Châtel-Saint-Germain ; Purnot, officier municipal de Metz ; Ber­ger, homme de loi à Metz ; Pécheur, homme de loi, procureur au bailliage de Metz ; Munier, procureur de la commune de Jouy ; Martin, officier municipal d'Ars-sur-Moselle ; Urbain, notaire à Onville ; Roger, notaire et procureur de la commune de Norroi-le-Veneur ; Pyrot, substitut au Parlement de Metz, procureur-syndic; Gobert, secrétaire ; Bertin, trésorier ; son directoire comptait les membres suivants : Emmery, président ; Berger, vice-président ; Pécheur, Purnot et Bail (11).

La mise en place de la nouvelle administration entraînait obli­gatoirement la disparition des anciens agents du pouvoir central, agents « du règne du despotisme », comme on disait alors. Le roi et le pouvoir central n'étaient plus représentés par aucun fonction­naire ; bailli, intendant, etc., devaient disparaître. Nous pensons principalement à l'intendant de la généralité de Metz, Jean Depont, haut fonctionnaire très apprécié, et à qui la ville décerna le titre de citoyen de Metz avec l'élogieuse citation suivante : « Le Comité municipal désirant donner à M. Depont, intendant de la Province, un témoignage authentique sur son administration constamment ac­tive, douce, pure et éclairée, bienfaisante dans les temps calamiteux, toujours sage et mesurée dans les circonstances les plus difficiles, voulant aussi conserver avec ce magistrat des rapports qui seront tou­jours chers à cette ville, et que seuls peuvent garantir des regrets quelle éprouverait, si par l'effet d'un nouvel ordre des choses deve­nu nécessaire, M. Depont venant à quitter ses fonctions s'éloignait en même temps de nos murs, a unanimement arrêté de lui décerner des lettres de CITOYEN DE METZ et de lui en donner avis à l'instant. Donné à Metz, le 26 janvier 1790 » (12). Le sieur Depont assura un

1 1 là,., p. 104. — PAQUET publie (t. I L p. 1498 ) la « Liste des administrateurs composant le département de la Moselle, les districts qui en dépendent et leurs directoires. A Metz, chez la veuve Antoine et fils, imprimeur du Roi, 1 7 9 0 » ; 1 vol. in-4°, 1 5 p.

1 2 Affiches des Evêchés e,t Lorraine du 1 1 février 1790 .

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certain temps encore ses fonctions, afin de mettre au courant le nouveau trésorier du département, son ancien premier secrétaire Le Payen (13).

Parisot note avec raison que toutes « ces consultations popu­laires tournèrent au profit des partisans modérés de la Révolution, comme le prouvent et Vélection des procureurs généraux syndics [en Moselle, le baron de Poutet] et la nomination par les assem­blées départementales de leur président ». [en Moselle, le baron d'Hunolstein] (14). La fraction modérée des «patriotes» prend donc en main la destinée de la ville de Metz, de son district et du département de la Moselle.

Ces élections de juin à l'échelon supérieur décapitèrent la municipalité de Metz, puisque son président, le baron de Poutet, maire de Metz, devint procureur général syndic du département de la Moselle. Aussi procéda-t-on à son remplacement le 1 e r août 1790. Ce fut Pacquin de Rupigny (15), déjà premier officier muni­cipal, homme d'expérience et de vertus civiques, qui fut élu par 755 suffrages sur 862 votants.

Le 14 novembre 1790, la municipalité fut partiellement renou­velée conformément au décret de l'Assemblée constituante (16). Le

13 Le Journal des départements de la Moselle, de la Meurthe^ etc., dans son numéro du 5 août 1790, contient la petite annonce suivante : « Il sera, à Vhôtel de M. De-pont, intendant de la généralité de Metz, procédé à la vente par encan de très bons vins étrangers, de) Bourgogne, Champagne, Bordeaux, vins de liqueur en Malaga, Madère, Perpignan, Muscat, Tokay, grec...»

14 PARISOT, op. cit., t. III, p. 39.

15 Pacquin de Rupigny (Jean-Baptiste-Nicolas), né à Metz le 11 novembre 1750, ancien bâtonnier de l'ordre des avocats au Parlement de Metz, officier municipal, fut élu maire de Metz en remplacement du baron de Pontet le 1er août 1790. Il demeura en fonctions jusqu'à la fin de *son mandat.

16 Les sept officiers municipaux nouvellement élus furent : Nioche, aumônier de la garde nationale ; Adam père, huissier ; Bauzin, ci-devant chanoine de Saint-Sau­veur \Medicus, homme de loi; Lajeunesse, procureur du baill iage; Toussaint, ancien procureur du bailliage, et Lamarley bijoutier. — Les seize notables nouvellement élus furent les personnalités suivantes : Garic, aîné, capitaine de la garde nationale ; Le Payen, directeur des messageries ; Pacquin, ancien colonel du génie ; Cointin, ci-devant correcteur de la Chambre des comptes ; Darcy, Rœderer, conseiller au bailliage ; Toussaint, sellier ; Collignon, traiteur ; Périn le jeune, ci-devant procu­reur au Parlement ; Revillont médecin ; Ledante, horloger ; Second, ci-devant procureur au Parlement ; Garic le jeune ; Adam fils, procureur au bailliage ; Juteau, rentier ; Morcourt, chevalier de Saint-Louis. (Arch. mun. de Metz, série D, n° 1 D 7. — Délibérations du 23 novembre 1790.)

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23, la nouvelle assemblée, composée des anciens et nouveaux offi­ciers municipaux et des anciens et nouveaux notables, reprit, sous l'autorité du maire Pacquin, la lourde tâche de gérer les affaires municipales. « Vous ferez goûter à la ville, leur disait-il, les fruits d'une heureuse et paisible Révolution et la postérité, instruite de ce que vous aurez fait pour son bonheur, bénira le temps de votre magistrature» (17).

Les nouveaux organes administratifs furent donc en place à Metz dès le mois de juin 1790. En fait, l'opinion messine accepta dans son immense majorité la Révolution. L'accession des citoyens à tous les échelons de l'administration provoqua un très vif intérêt dans la population au maniement des affaires publiques. Le pays messin formera dès lors une sorte de petite république menant sa vie propre. Et Metz gardera ainsi ce caractère de capitale admi­nistrative d'autrefois (18).

*

Les réformes administratives comprennent encore la réorgani­sation de la justice. Rappelons que tous les cahiers de doléances réclamaient une nouvelle organisation judiciaire avec la diminution des tribunaux (Parlement, présidiaux, tribunaux de bailliage), la suppression de la vénalité et hérédité des offices, etc. Le décret du 16 août 1790 fut donc accueilli avec satisfaction. Aux termes de la nouvelle réglementation, il était prévu que le recrutement de la magistrature se fera par l'élection et la collaboration des citoyens

17 Arch. mun. de Metz, série D, n° 1, D 7. — Délibérations du 23 novembre 1790.

18 Dès 1790, on envisageait même l'agrandissement de la ville par la fusion de quel­ques communes environnantes. Des démarches furent, en effet, tentées auprès de l'administration départementale « pour opérer la réunion des municipalités de Plantières, de Devant-les-Ponts e¡t du Ban-Saint-Martin à la municipalité de Metz » (Arch. mun. de Metz, série D, n° 1 D 4. — Délibérations du 17 juillet 1790.) Au mois de novembre le problème fut de nouveau soulevé — sans être résolu — à savoir que « \esemunicipalités de Devant-les-Ponts, du Ban-Saint-Martin, du Sablón, de Plantiè-res et du ban Saint-Symphorien soient et demeurent supprimées et réunies à la muni­cipalité de Metz pour n'en faire à l'avenir qu'une seule, en conséquence que leurs municipalités fassent dès à présent partie des cantons qui vont être formés dans l'intérieur de la ville pour l'élection des juges de paix » (Arch. mun. de Metz, série D, n« 1 D 4. — Délibérations du 18 novembre 1790.)

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comme jurés (19) ; la justice serait rendue gratuitement. Le décret instituait pour la justice civile et pénale, dans chaque COMMUNE, un tribunal de simple police jugeant les contraventions ; dans chaque CANTON, un juge de paix chargé des délits ; dans chaque DISTRICT,

un tribunal de première instance pour les procès plus importants, et dans chaque DÉPARTEMENT, un tribunal criminel ; à PARIS sié­gerait enfin un tribunal de cassation ayant pour mission d'annuler les jugements entachés de vices de forme (20). Les juges de tous ces tribunaux devaient être élus soit par les citoyens actifs (juges de paix), soit par les électeurs (autres magistrats).

Cette importante réforme fit donc table rase du passé à Metz, où Parlement, présidial, tribunal de bailliage, etc., disparurent automatiquement, cédant la place aux tribunaux nouveaux. C'est le tribunal de district qui parut fonctionner le premier. En effet, le 14 octobre 1790 eut lieu l'élection des juges, et le 6 décembre, le tribunal tint déjà sa première audience. Quels étaient ses membres ? Le sieur Emmery, avocat au ci-devant Parlement, député à l'Assem­blée nationale, président ; Hollande, conseiller au ci-devant Parle­ment, Cunin, avocat au ci-devant Parlement, Raux, lieutenant criminel au ci-devant bailliage, et Guerrier, conseiller au ci-devant Parlement, juges ; Lajeunesse, procureur du Roi au ci-devant bailliage, commissaire du Roi ; Aubertin, homme de loi, accusateur public ; Marly, greffier en chef du ci-devant bailliage, greffier ; Etienne, Gimel, Woirhaye, Barthélémy et Viterne, commis-gref­fiers (21).

Durant l'année 1791, la réorganisation judiciaire prit plus d'ampleur. Le 14 février eurent lieu les élections des juges et de

19 Voici un extrait des délibérations du directoire du district de Metz, en date du 1 e r décembre 1791, concernant le recrutement des jurés. « Le Directoire exhorte les citoyens au nom de leur amour pour la liberté politique, au nom des sacrifices qu'ils ont faits pour l'obtenir, à seconder de tout leur zèle et leur patriotisme, une insti­tution conservatrice de la liberté civile... Il les invite à considérer que cette salu­taire institution garantit à la société que nul crime ne restera jamais impuni, qu'aucun innocent ne sera condamné. » (Journal des départements, numéro du 15 décembre 1791.)

20 Le tribunal de Cassation devait comprendre quatre-vingt-trois juges (un par dé­partement). Le 17 mars 1791, les électeurs du département choisirent le sieur Emmery, député de la Moselle à l'Assembée nationale, juge au tribunal de Cassa­tion. (Journal des départements, numéro du 24 mars 1791.)

21 Almanach du département de la Moselle, pour 1791, p. 128-129.

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leurs assesseurs pour constituer le tribunal de paix du canton de Metz (22). Les personnalités suivantes furent élues : Bertrand, homme de loi, Juzan, homme de loi, Segond, ci-devant procureur au Parlement, Barthélémy, substitut du procureur de la commune, procureur au ci-devant bailliage ; Colchen l'aîné, ci-devant procu­reur au bailliage (23). L'année 1791 vit naître encore deux orga­nismes judiciaires à Metz : le bureau de paix, de conciliation et de jurisprudence charitable, qui devait comprendre six membres choi­sis pour deux ans parmi les « citoyens recommandables » (24), et le tribunal de commerce, créé par décret du 30 décembre 1790 de l'Assemblée nationale, dont les membres furent élus et installés en avril 1791 déjà par le conseil général de la commune (25).

A la création de cette nouvelle organisation judiciaire, il faut encore ajouter que les méthodes de procédure furent adoucies, que les châtiments surannés furent totalement abandonnés et que fut admis le droit pour les simples citoyens, réunis en jurys, de formu­ler un avis dans chaque procès. L'Assemblée nationale accomplit dans ce domaine aussi une réforme heureuse et complète.

Quant à notre cité, elle resta, comme par le passé, le centre d'un imposant appareil judiciaire. Nous verrons plus loin encore comment cette administration se perfectionna et se compléta sur plan local par de nouvelles réformes.

2. LES PROBLÈMES ÉCONOMIQUES ET FINANCIERS. On sait que les pratiques financières de l'Ancien Régime ont été l'une des causes les plus importantes de la Révolution. La mauvaise répar-

22 Journal des départements, numéro du 10 février 1791. 23 Journal des départements, du 24 février et du 3 mars 1791. 24 Le bureau de paix, de, conciliation et de jurisprudence charitable avait pour mem­

bres : Dauphin, procureur à l'ancien Parlement ; Geoffroy, conseiller à l'ancien Parlement ; Roger, ancien lieutenant général à Dieuze ; Guelle, notaire, officier municipal ; Gobert, officier municipal ; et David, ancien officier municipal. Le bureau devait se réunir dans une des salles de la « maison commune » les mardi, jeudi et samedi de chaque semaine. (Journal des départements, numéro du 10 mars 1791.)

25 Voici la l iste des juges << en matière de commerce » : Jean-Nicolas Vemier,. ancien échevin de la ville, président ; François Gerardm, consul de juridiction consulaire ; Luc Marly fils, consul de la juridiction consulaire ; Christophe Georgy l'aîné, marchand tanneur ; Charles Pierron, négociant, juges ; Thiêbault, greffier ; Bri-card et Behaigne, huissiers-audienciers. (Almanach du département de la Moselle pour 1791, p. 146-149. — Arch. mun. de Metz, série D, n° 1 D 7. — Délibéraions du 31 déc. 1791.)

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tition des impôts, les impôts vexatoires, leur perception par les collecteurs ou par les fermiers furent des abus que tous les cahiers de doléances dénoncèrent avec violence. L'Assemblée constituante élabora donc trois réformes : un nouveau système d'impôts répar­tis plus équitablement (26), une nouvelle administration financière plus rationnelle (27 ), et, enfin, une nouvelle monnaie en papier — faute de numéraire — les assignats (28). En attendant que ces réformes permissent à l'Etat de subsister normalement, il fallut faire face aux graves difficultés que connaissaient les municipa­lités depuis un certain temps.

A Metz, la « détresse financière » continuait à régner. Pour trouver de l'argent, la municipalité fit appel aux citoyens fortunés et patriotes ; « 98.466 livres, dont 46.250 sans intérêt » furent recueillies. Les souscripteurs furent nombreux ; des seigneurs (M. le Princier, comte de Blois, M. de Raigecourt, etc.), la communau­té des Juifs, les corps des tapissiers, menuisiers, etc. (29). Comme les impôts ne rentraient pas, on fit un nouvel appel aux habitants. « L'Assemblée nationale, occupée sans relâche de notre bonheur, y lit-on, a déjà fait pour nous beaucoup au-delà de ce que nous en osions espérer. Les droits de l'homme, méconnus ou dégradés, sont vengés ou rétablis. Parmi les impôts, toujours nécessaires dans un Etat, ceux qui étaient oppressifs par leur nature et par leur per-

26 Les nouveaux impôts — appelés « contributions » — furent de deux sortes : les contributions indirectes, limitées aux droits de douanes et aux frais de timbre et d'enregistrement, et les contributions directes, divisées en contribution foncière, perçue sur les propriétés foncières, contribution mobilière, fixée d'après le prix du loyer, et la patente, payée par les personnes exerçant une profession libérale ou un métier.

27 Le soin d'établir le rôle des contributions fut dévolu aux municipalités ; des percep­teurs dans chaque commune devaient recueillir l'argent, des receveurs de district centralisaient les fonds, un payeur général acquittait dans chaque département les dépenses de l'Etat.

28 L'Assemblée nationale, pour éviter la banqueroute, avait décidé, le 2 novembre 1789, de mettre à la disposition de l'Etat les biens du clergé. Elle en profita pour émettre, en décembre 1789, des « assignats », c'est-à-dire des bons, portant intérêt et remboursables en terres d'Eglise. Comme l'opération ne réussit pas, l'Assem­blée, pressée par le besoin d'argent, transforma, en avril 1790, ces assignats en un véritable papier monnaie, ne portant plus d'intérêt, ayant cours obligatoire et garanti par la valeur des biens du clergé. Pour faire face aux dépenses nouvelles, l'Etat multiplia malheureusement les assignats : 1.200 millions en septembre 1790, 600 millions en mai 1791. L'assignat fut ainsi discrédité. Quant à l'ancienne monnaie de métal, elle se faisait de plus en plus rare, parce que ses détenteurs la gardaient jalousement pour des temps meilleurs.

29 Arch. mun. de Metz, série D, n° 1 D 3, et série F, n° 4 F 35.

METZ P E N D A N T LA RÉVOLUTION 35

ception, ceux qui étaient une entrave à la liberté du commerce, tels que la gabelle, la marque des fers, les droits sur les cuirs, les huiles, les poudres et l'amidon, tous ces droits sont anéantis. Dégagés, af­franchis de tous impôts désastreux, soumettons-nous à ceux qui n'at­taquent ni nos premiers besoins, ni notre liberté » (30).

Cet appel au bon sens, au devoir élémentaire des citoyens, fut-il suivi d'heureux résultats ? Nous en doutons, puisque le tréso­rier de la ville, n'ayant plus d'argent pour acquitter du prix du blé, fut obligé d'offrir des «billets de caisse d'escompte » (31). Le 15 avril, la municipalité ouvrit un emprunt de 140 mille livres, portant intérêt de 5 %, pour procurer quelque argent, nécessaire « aux besoins urgents de la cité ». L'emprunt ne rapporta, hélas, que 60 mille livres, somme nettement insuffisante pour assurer mê­me la subsistance des nécessiteux de la ville (32). En effet, à la détresse financière s'ajoutait une grave crise de subsistance. Les denrées disparaissaient, stockées par des gens trop prévoyants, ou accaparées par des spéculateurs qui les revendaient clandestinement plus chères (33). Malgré une meilleure récolte en 1789, le pain et les légumes demeurèrent rares et fort chers. Le prix de la viande de bœuf passa à 8 sols la livre, le pain à 3 sols 6 deniers, le sel à 4 sols.

Pourtant, la municipalité devait trouver à tout prix du blé, denrée convoitée à cette époque par tant de villes. « Réduits à l'impossibilité d'avoir des blés de l'étranger autrement que par la

30 Affiches des Evêchés et Lorraine, du 8 avril 1790. 31 Arch. тип. de Metz, série D, n° 1 D 4. — Délibérations du 30 mars 1790. 32 Arch. тип. de Metz, série D, n° 1 D 4. — La municipalité continue à distribuer

tous les jours, aux « pauvres nécessiteux », des pains de 3 livres au prix de faveur de 5 sols 9 deniers.

33 « Plusieurs particuliers se plaignent, raconte-t-on au comité municipal, que Von fait passer des porcs au Luxembourg. On prie M. de Bouille de donner de,s ordres aux troupes afin qu'ils ne laissent aller à l'étranger les porcs dont la cherté aug­mente tous les jours dans le pays. » (Arch. тип., de Metz, série D, n° 1 D 3.) Cette accusation de laisser passer des porcs au Luxembourg nous paraît sans fondement ; en effet, dans une lettre, datée du 8 janvier 1790, le ministre de La Tour du Pin écrit ceci au marquis de Bouille : «Je ne{ puis qu'applaudir au parti que vous avez pris de renforcer le cordon de troupes établi sur la frontière des Evêchés; l'ordre que vous avez donné aux commandants des places de cette fron­tière de* ne laisser entrer sur le territoire de France aucune troupe étrangère n'est pas moins sage ». (Arch. тип. de Metz, série D, ri° 4, D 1.)

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contrebande et à un prix excessif sans aucune sûreté, écrit le 26 mai 1790 le procureur de la commune Perrin au député Emmery, nous avons accepté avec empressement l'offre qui nous a été faite de nous en faire parvenir du Soissonnais et de la Picardie ; nous avons trai­té pour 2.000 sacs, une partie de ces achats nous est parvenue, mais un envoi assez considérable ayant pris route pour Sainte-Menehould, le peuple s'est émeute, il s'est opposé au passage de nos grains qui sont déposés dans cette ville. La municipalité de Metz doit la tranquillité, dont elle jouit, à la distribution journalière de pain qu'elle fait avec perte considérable. Il y a lieu d'espérer que l'Assem­blée nationale fera justice sévère de la conduite tenue à Sainte-Me­nehould. » (34). Une deuxième lettre fut adressée directement au président de l'Assemblée nationale sollicitant un secours urgent de 60.000 livres. On y invoque le chômage, la rareté du numéraire, la hausse des prix et « surtout la méchanceté des ennemis de la Cons­titution qui concentrent les grandes fortunes et jouissent de la misè­re du peuple ; ils veulent le captiver en le persuadant que c'est à vos sages décrets que la classe indigente doit la triste position dans laquelle elle se trouve » (35).

Ce cri de détresse, cette dénonciation vise-t-elle quelqu'un ? Y a-t-il tant d'ennemis de la Constitution à Metz ? Nous n'avons pu éclaircir ce mystère. Toujours est-il que depuis quelques semaines une certaine agitation a gagné la population déshéritée. L'oisiveté et la rareté des denrées ont poussé les ouvriers à s'armer de «fusils ou de pistolets » dérobés et à inquiéter les paisibles citoyens. La municipalité, exaspérée, dut réagir violemment. Une ordonnance interdit « à toutes personnes de paraître dans les rues armées » (36) ; une autre prévit la surveillance des marchés par deux officiers municipaux « chargés de maintenir la police, de faire jouir les pro­priétaires et cultivateurs de la plus entière liberté de vendre, de fixer les prix de leurs denrées » (37) ; une dernière mesure voulut assai­nir l'atmosphère de la ville en expulsant les « filles étrangères qui, sans attestation de leur bonne conduite, excitent continuellement des querelles parmi ceux qui les fréquentent et répandent parmi eux une

34 Arch. mun. de Metz, serie F, n° 4 F 33. 35 Arch. mun. de Metz, serie D, n° 2 D 9. 36 Arch. mun. de Metz, serie I, n° 1 I 1. 37 Arch. mun. de Metz, serie F, n° 4 F 66.

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contagion dont les cruels et souvent incurables effets sont de causer la mort à ceux qui en sont infectés » (38).

Hélas, d'autres problèmes économiques s'aggravaient de jour en jour. L'industrie et le commerce subissaient les effets de la sé­paration du pays messin de l'étranger, son principal client et four­nisseur. La rareté des matières premières augmentait le prix des objets fabriqués. La laine commençait à manquer pour les manu­factures de draps et de flanelles, le suif pour les fabricants de chandelles et le blé pour les brasseurs, distillateurs et amidonniers. Voilà les charpentiers qui se plaignent que « depuis plus d'un an leur profession ne leur procure aucune ressource ; dénués de tra­vail, accablés par la cherté excessive des denrées de première néces­sité, surchargés encore d'impositions... » (39).

La municipalité ne reste pas pourtant inactive devant tant de difficultés. Elle réglemente le marché, fixe le prix des denrées, des articles textiles ou autres objets indispensables (40), punit enfû sévèrement les contrevenants (41). Elle favorise aussi le maintien des deux foires traditionnelles, celles dite de Mai et de Saint-Louis, où commerçants, industriels, artistes de tous genres se donnaient rendez-vous pendant quinze jours « sans autre interruption que celle du service divin des jours de dimanche et fêtes », sur la « Place des Spectacles, le Quinconce y attenant et sur celle de l'Intendan­ce» (42).

L'Etat lui-même éprouvait des difficultés financières exception­nelles. Un emprunt de trente millions, lancé en août 1789, échoua ;

38 Arch. mun. de Mets, série I, n° 1 I 37. 39 Arch. mun. de Mets, série F, n° 2 F 8. 40 Le prix du pain blanc est fixé à 2 sols 3 deniers la livre en août 1790 ; le beurre

à 14 sols la livre ; le miel à 10 sols ; Vhuile à 2 livres 8 sols le pot (faisant deux pintes de Paris) ; le vin à 12 livres la hotte (faisant 44 pintes de Paris) ; la bierre à 4 livres 10 sols la hotte ; la douzaine de bas de laine pour homme à 72 livres les superfins et 48 livres les fins ; 48 livres pour les bas superfins pour dames ; le pantalon à 12 livres ; le chapeau à 15 livres, la paire de bottes avec éperons à 50 livres ; la paire de chaussures pour hommes ou pour dames à 4 livres. (Archives mun. de Mets, série F, n° 6 F 8.)

41 On punissait donc sévèrement les contrevenants : « Le sieur Maguin, amidon-nier, condamné à 1.000 livres d'amende ; le> sieur Watrin, meunier, condamné à 300 livres d'amende, pour avoir fait moudre et moulu du blé de bonne qualité destiné à être converti en amidon. » Extrait des registres du greffe de la police de Metz, du 16 septembre 1790. (PAQUET, op. cit., p. 534, ou Archives mun. de Mets, série F, n° 2 F 9.)

42 Archives mun. de Mets, série F, n° 4 F 28 et 32.

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une seconde émission de quatre-vingts millions, proposée peu après au public, réussit à peine. Les dons « volontaires » ont peu donné. Par les décrets du 6 octobre 1789 et du 27 mars 1790, on institua la « contribution patriotique » d'un quart du revenu ; cette mesure énergique ne donna pas plus de résultats que les précédentes es­comptées (43). Or, les dépenses indispensables se faisaient chaque jour plus nombreuses et plus pressantes ; secours aux chômeurs, achats de blé, indemnités à verser aux propriétaires d'offices sup­primés, remboursements de cautionnements, dettes du clergé tom­bant à la charge de l'Etat par la suppression de la dîme, etc. Aux 1.200 millions d'assignats primitifs s'ajoutèrent 600 nouveaux mil­lions en mai 1791, émission qui provoquera sa dépréciation et, finalement, l'inflation... On cherchait alors à faire pression sur les municipalités pour la répartition et l'encaissement des impôts. Le 28 octobre 1790, le conseil général de la commune de Metz lance, à son tour, un appel urgent aux contribuables pour le paiement des impôts. « S'il avait été en son pouvoir de soulager le fardeau des citoyens, y précise-t-on, avec quelle satisfaction ne leur aurait-il pas fait goûter les premiers fruits qu'ils sont en droit d'attendre de la Révolution !» Or, le «fardeau des citoyens» représentait pour 1789, à titre de « capitation et ses accessoires » plus de 86.000 livres ; il est porté, pour 1790, à 125.256 livres et doit être payé « sur les maisons et les fonds situés dans cette ville et sur l'industrie des pro­priétaires et citoyens qui y résident» (44). Mais pourquoi avait-on

4 3 PAQUET publie 1' « Avis du comité municipal » et les listes des contribuables par paroisse (op. cit., t. I, p. 4 0 - 8 7 ) . Les Archives départementales possèdent un exemplaire du « Tableau des déclarations pour la contribution patriotique dex la ville de Metz », imprimé à Metz, chez la Veuve Antoine et fils, 1 vol., in-8°. Ce « tableau » précieux contient les déclarations de « ceux qui les auront faites et les dates auxquelles elles auront été reçues ». Le « tableau » est arrêté à la date du 1 2 novembre 1790. (Il existe un autre exemplaire à Paris : Bibliothèque nationale, Collection Bégin, L. K . n° 7 2 7 . 1 9 1 ; cité par PAQUET, op. cit., t. I, p. 8 8 . )

44 Nous apprenons dans l'appel du conseil général de la commune de la ville de Metz sur la répartition de l'impôt, du 2 8 octobre 1790, que « le total de la capita­tion et ses accessoires était fixé, Vannée dernière à 7 4 . 9 5 5 livres 1 0 sols 2 deniers. Joignant à cette masse environ 1 1 . 4 6 5 livres 1 8 sols pour la contribution des privi­légiés autres que les magistrats du Parlement, les officiers de la chancellerie et du bureau des finances, dont la capitation était retenue sur leurs gages, ces deux objets s'élevaient à la somme de 8 6 . 4 2 1 livres 8 sols 2 deniers... Cette année, l'imposition se trouve fixée à 1 2 5 . 2 5 6 livres 4 sols, cette somme doit être répartie uniquement sur les maisons et les fonds situés dans cette ville et sur l'industrie des propriétaires et citoyens qui y résident... Avec moins d'objets à imposer que les années précédentes, le corps municipal de Metz a donc eu une somme plus forte à répartir... Il se persuade que chaque contribuable, se hâtera d'acquitter la portion du subside à laquelle il est taxé... » (PAQUET, op. cit., t. I, p. 2 4 8 - 2 4 9 . )

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besoin de prévoir de si lourds impôts ? Les procès-verbaux des déli­bérations du 8 décembre 1790 nous apprennent les difficultés aux­quelles la ville devait faire face depuis deux ans. « // était notoire, y lit-on, que : 1° la Révolution et ses suites avaient jette la ville dans des dépenses imprévues, notamment pour les différentes fédérations ; le 14 juillet dernier avait coûté seul plus de 20.000 livres ; 2° que deux années de disette avaient obligé le corps municipal à de forts emprunts pour acquitter le prix d'une quantité de grains qu'il reven­dait au peuple bien au-dessous de ce qu'il avait payé ; 3° que la récolte des blés dans le pays ayant été retardée de plus d'un mois par les pluies abondantes survenues en juin et juillet, et les cris des pau­vres devenant tous les jours plus vifs et plus pressants, le corps muni­cipal s'était décidé à établir un atelier de charité hors de la ville et sur la rive de la Moselle, que le paiement des ouvriers et des répara­tions indispensables faites à la digue qui est destinée à faire entrer les eaux de cette rivière dans l'intérieur de la ville avait été un objet de plus de 30.000 livres ; 4° que lorsqu'il s'agit d'armer et envoyer à Nancy 450 volontaires de la garde nationale pour exécuter le décret de l'Assemblée du 16 août, il a fallu leur fournir les armes, muni­tions, et toutes les facilités qui pouvaient rendre supportable les fati­gues d'une marche forcée de 10 lieues dans le même jour. Que toutes ces causes et une infinité d'autres devaient faire sentir que la caisse de la ville est épuisée» (45). Par ces dépenses indispensables, la municipalité justifiait aux yeux des citoyens l'augmentation des im­pôts. Mais où trouver de l'argent quand il y a crise économique ? Tout se tient dans ce domaine ! L'année 1791 n'est pas meilleure que les précédentes ; la sécheresse de l'été provoqua la disette d'eau,

45 Archives mun. de Metz, série D n° 1 D 5. — Nous avons retrouvé le projet de budget de la ville pour 1790, présenté par Louis-Maximin Emmery, trésorier muni­cipal. Notons brièvement les recettes : la maltôte des bêtes, du poisson, de la mercerie, de la bonneterie, de la draperie, de la boulangerie, etc., les droits sur maisons et héritages, loyers de maisons et de boutiques, loyers de pièces de terre, vigne et pâturage ; loyers des places à laver ; droit de bullette des acquisitions d'immeubles ; droits d'entrée et de sortie aux portes et grilles de la ville ; droits de pêche dans la Moselle, canons des usines (papeterie, chamoiserie), droits de péage sur le pont de la Moselle, vente des marcs de raisin du pays messin et de la terre de Gorze ; location des chaises sur les promenades, location des baraques de la foire, etc. Les dépenses comprenaient les gages et pensions, logements et gratifications du personnel ; les dépenses secrètes de la police ; achats de blé ; entretien des pavés, des fontaines publiques, des lanternes, des pompes aux incen­dies, etc. Les recettes devaient s'élever à 667.412 livres 8 sols et 4 deniers ; les dépenses étaient évaluées à la somme de 629.158 livres, 13 sols et 11 deniers. (Arch. mun. de Metz, série L, n° 1 L 1-4. — Comptes de gestion.)

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l'absence de légumes verts et une récolte médiocre. Les « murmu­res » contre les agissements des « ennemis de la Constitution » ou des « accapareurs de denrées » deviennent plus fréquents et vio­lents. On assiste, impuissant, aux réclamations des employés de la ville qui, en mai 1791, n'ont pas encore touché leurs salaires de 1790 ! (46). On envisage, sur les propositions de l'ingénieur de la ville Lebrun, la transformation de la citadelle par son rattache­ment à la ville (47) ; cet « atelier de charité », ouvert dès le début de mars pour le « soulagement des malheureux, Vagrément des citoyens et la facilité du commerce », fut vite déserté par les quel­que centaines d'ouvriers rarement payés (48).

La municipalité dut enfin entreprendre une sérieuse lutte contre les agioteurs. En effet, devant la rareté du numéraire et l'absence d'assignats au-dessous de 5 livres, l'agiotage se faisait facilement au détriment des consommateurs malheureux. Pour le combattre, il fut créé à Metz, le 26 juillet 1791, une « caisse patriotique et de confiance ». Formée d'actionnaires bénévoles — prix d'une action fixé à 500 livres, payable en assignats (450) et en numéraire (50) — et placée sous la surveillance du conseil général de la commune, cette caisse offrit à chaque porteur d'assignats des « billets de confiance », divisés jusqu'à la somme de 30 sols. Le total des billets en émission était toujours égal à la somme des assignats en caisse. On fit ensuite appel au public, particulièrement aux commerçants, boulangers et bouchers, afin

4 6 Arch. mun. de Mets, série D, n° 1 D 5. — Délibérations du 1 8 mai 1791 . 4 7 La municipalité se montra, d'après Abel, très méfiante vis-à-vis du marquis de

Bouille et, profitant de sa tournée d'inspection dans les autres places fortes, elle donna l'ordre de combler les fossés de la citadelle du côté de la ville pour y aménager une place qu'on eût appelée « Place Royale ». C. ABEL, Souvenus de Louis XVI à Mets, Australie, 1860 , p. 2 7 7 - 2 7 8 . ) — Viville affirme qu'on « entreprit de démolir la citadelle sur l'avis que Louis XVI avait eu le dessin de s'y réfugier » (VIVILLE, op. cit., t. I, p. 4 5 3 . ) — Les travaux de démolition — deux fronts de la citadelle qui la séparèrent de la ville — ne commencèrent, avec l'autorisation du Roi (le choix de son refuge s'est reporté sur Besançon ?), que le 1 E R janvier 1791 .

4 8 A ce sujet, nous avons trouvé les deux brefs renseignements suivants : « Le trésorier de la ville n'a pas de fonds dans sa caisse pour acquitter des dépenses très urgentes relatives aux travaux de la citadelle, M. Guelle a offert de verser dans la caisse du trésorier la somme de 9 . 0 0 0 livres, à condition que cette somme, lui serait incessamment remise. » (Arch. mun. de Mets, série D, n° 1 D 5. — Délibérations du 1 4 mars 1 7 9 1 . ) — Un nouveau chantier de « travaux de charité » fut ouvert en faveur de l'emploi des chômeurs. Il s'agissait cette fois de « l'écure-ment au-dessus de plusieurs moulins de la Moselle^ ». (Arch. mun. de Mets, série D, n° 1 D 4. — Délibérations du 1 7 août 1 7 9 0 . )

METZ P E N D A N T LA RÉVOLUTION 41

d'accepter ces billets pour garantir « Vavantage et la facilité des ouvriers » (49).

Deux sujets intéressent encore le chapitre concernant les affaires économiques pour la période de 1790-1791 ; c'est d'abord la suppression des corporations, maîtrises et jurandes, réforme datée du 2 mars 1791, qui permettait à chacun d'exercer son métier sans aucune restriction. Il fallait alors vérifier les comptes de gestion des « ci-devant corps et communautés d'arts et métiers » et obliger les gens à se pourvoir de patentes avant le 15 août 1791 ; « passé ce terme, toute personne qui sans être pourvue de patente fera le négoce ou exercera une profession, art ou métier quelconque, sera poursuivie aux termes de la loi...» (50). Signa­lons enfin une pressante démarche des négociants de Metz à Paris pour obtenir l'autorisation d'ouvrir un entrepôt de marchandises. Leur « mémoire » contient tous les arguments en faveur de cette décision : « Metz offre les plus vastes emplacements, Metz réunit à une garnison toujours nombreuse une population considérable ; Fon a dans cette ville nombre de négociants instruits et solvables et d'ailleurs connus depuis longtemps dans la Suisse, l'Allemagne, la Hollande et l'Angleterre ; Metz se trouve placée sur une grande rivière, c'est le centre où viennent respectivement se réunir toutes les routes principales de ces différents pays et celles du Royau­me ; Metz serait le centre de grands mouvements ; beaucoup de voitures, de bateaux, arrivant et repartant journellement, feraient gagner l'artisan, l'aubergiste, le journalier et faciliteraient le débit des productions territoriales et industrielles» (51). Malgré l'in­tervention des députés de Metz, Emmery, Rœderer et Mathieu de Rondeville, aucune décision ne fut prise en haut lieu, contraire­ment à la promesse de l'Assemblée, du 7 juillet 1791, en vertu de laquelle « le transit sera libre par les départements de la Mo­selle et de la Meuse et qu'ils auront, à l'instar de Strasbourg, la faculté de faire entrepôt...» (52).

49 PAQUET publie (op. cit., t. I , p. 249-250) le « Règlement d'administration pour la Caisse patriotique de Mets, arrêté dans l'assemblée générale des actionnaires de cette caisse les 2 et S août 1791. A Metz, de l'imprimerie de Claude Lamort, 1791 », in-4°, 8 pages. (Bibliothèque nationale, collection Bégin, L. K. 7-27. 188. — Journal des départements, numéro du 4 août 1791 ; Archives mun. de Mets, série S, n° 1 S 128.)

5 0 Archives mun. de Mets, série D , n° 1 D 5 et n° 2 F 8. 5 1 Arch. mun. de Mets, série F , n° 2 F 3. 5 2 Arch. mun. de Mets, série F , n° 2 F 3.

42 METZ P E N D A N T LA REVOLUTION

3. LES PROBLÈMES RELIGIEUX. — Les problèmes religieux allaient passer au premier rang des préoccupations des consti­tuants. On sait que, dans la nuit du 4 août, les représentants du clergé avaient accepté, à Versailles, le rachat des dîmes, puis la suppression sans rachat de cet important revenu (11 août 1789), enfin l'abandon de l'argenterie des églises (26 septembre) ; le 11 octobre, Talleyrand allait proposer la confiscation des biens du clergé.

Le 2 novembre 1789, l'Assemblée décréta que les biens d'Eglise seraient mis « à la disposition de la nation », celle-ci prenant à sa charge, par contre, les frais du culte comme de l'assistance publique et de l'enseignement. Destinés à être vendus au profit de l'Etat, ces biens, appelés biens nationaux, devaient servir de garantie à l'émission d'assignats. L'Eglise dépossédée de ses richesses, voilà un premier coup porté à l'ancienne organisa­tion religieuse de la France. Mais les constituants — sous l'in­fluence de nombreux libres-penseurs et gallicans — n'hésitèrent pas à empiéter sur le domaine ecclésiastique, sans toutefois tou­cher au dogme. Rappelons brièvement qu'en février 1790 l'Assem­blée décida la suppression des ordres religieux contemplatifs ; en juillet 1790, elle vota la Constitution civile du clergé qui réorga­nisait le clergé séculier sur des bases plus strictement nationales. N'oublions pas que les cahiers de doléances des Messins expri­maient dès le mois de mars 1789 quelques-unes de ces réformes, mais l'ampleur de ces changements dépassa les prévisions. Disons tout de suite que c'est par cette nouvelle organisation religieuse que l'Assemblée s'attira l'hostilité du clergé — son plus ferme soutien au début (53) et perdit la confiance d'une grande partie de l'opinion.

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Il est étonnant de constater la surprise et la réaction des membres du clergé de Metz dès les premières réformes ! Com­ment ont-ils manifesté leur mécontentement ? Par la convocation

5ft J . E I C H affirme que « le clergé régulier, à quelques exceptions près, accueillit avec faveur les débuts de la Révolution ». (Les prêtres mosellans pendant la Révolution ; Revue ecclésiastique du diocèse de Metz, n° 2, février 1959, p. 43).

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d'une assemblée restreinte du clergé diocésain pour le 5 novem­bre 1789 par le suffragant, Mgr de Chambre d'Urgons, et la rédaction d'un mémoire de protestations, intitulé « Mémoire du chapitre de la cathédrale de Metz au Roi» (54). Les auteurs de ce mémoire y insistaient surtout sur l'injustice et les funestes conséquences de la spoliation des biens du clergé (55). Ce Mé­moire fut longuement discuté dans les milieux messins ; approuvé par les uns, critiqué par d'autres, il fut sévèrement jugé par la municipalité dans sa séance du 4 décembre 1789 (56). En avril 1790, une nouvelle réunion du clergé fut organisée sous la prési­dence même de l'évêque, le cardinal de Montmorency, et une adresse fut rédigée à l'Assemblée nationale où l'on protestait contre « tous les écrits impies, incendiaires et séditieux qui se répandent dans les villes et les campagnes avec profusion» (57). Le clergé de Metz, n'ayant donc pas voulu rester inactif, avait manifesté ouvertement son hostilité à l'égard des premières réfor­mes.

Depuis le mois de février 1790, les congrégations étaient officiellement supprimées. Aussi, la municipalité décida-t-elle, dans sa séance du 9 mai, de la répartition des différentes maisons reli­gieuses entre des commissaires désignés pour y faire lecture des décrets de l'Assemblée, dresser les inventaires et recevoir les décla-

5 4 Imprimerie de J.-B. Collignon, Metz, 1 vol. in-8°, 34 pages. 55 LESPRAND reproduit les principaux passages de ce long mémoire adressé au Roi

et à l'Assemblée nationale (t. I , p. 48-51) et prétend que ce mémoire n'a pas dû quitter Metz (p. 54). Le point le plus important semble en être qu'on y réfute les droits de la Nation aux biens du clergé de Metz : « Que Von soutienne que la Nation française) a doté le clergé de France peu nous importe. Ce qui est incontestable, c'est que jamais cette nation n'a doté le clergé de Metz. Avant notre réunion à la couronne, nous lui étions absolument étrangers. Les titres les plus importants de VEvêchê, de> la cathédrale, des collégiales et des monastères de la province prouvent que plusieurs siècles avant notre réunion à la couronne, nous étions propriétaires de tous les biens dont nous sommes aujourd'hui en possession et qu'une grande partie nous vie,nt des libéralités des empereurs et des princes d'Allemagne ». Devant ce langage, on comprend mieux la réaction des patriotes do Metz.

5 6 « Le comité municipal, considérant qu'une telle, assemblée, inusitée dans sa forme et illégale dans sa convocation, peut être regardée comme dangereuse dans les circonstances présentes ; que les objets qui y se ont traités paraissent donner atteinte à l'autorité et aux décrets de l'Assemblée nationale, aux intérêts de la Nation et à ceux de la province, a arrêté par ces motifs de protester, comme il proteste en effet, contre la convocation et la tenue de la dite assemblée et contre les délibéraions qui pourraient y être proposées et prises... » (Arch. mun. de Metz, série D, n° 1 D 2 , et LESPRAND., Le clergé de la Moselle pendant la Révolution, t. I , p. 4 3 . )

5 7 Affiches des Evêchés et Lorraine, numéro du 2 0 mai 1790 .

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rations de ceux ou de celles qui voudraient renoncer à leurs vœux et sortir de leurs maisons (58). Ces opérations se déroulèrent sans difficultés. Les procès-verbaux et les inventaires authentiques n'existent malheureusement plus, ils disparurent lors de la libéra­tion de Metz en 1944 (59). Deux questions se posent maintenant : quel accueil réservèrent religieux et religieuses à l'application de la loi sur la suppression des congrégations et que devinrent les revenus et les biens de ces congrégations ? Il est permis de penser, avec Lesprand, que la municipalité cherchait à tirer le plus gros bénéfice de cette opération. Ajoutons aussi que l'Etat n'avait pas l'intention de laisser sans ressources les victimes de l'application de la loi (60).

Examinons d'abord le sort des religieux et religieuses. Nous avons constaté avec étonnement que dans les sept maisons des « religieux rentes », c'est-à-dire au collège Saint-Louis-du-Fort, abbaye Saint-Vincent, abbaye Saint-Clément, abbaye et collège Saint-Symphorien, couvent des Trinitaires, abbaye Saint-Arnould, prieuré de Sainte-Barbe, les prêtres — pour la plupart des béné­dictins — renoncèrent, souvent avec empressement, à la vie reli­gieuse, prêtant le serment civique et se dispersant à Metz ou dans la région ; leurs biens furent vendus plus tard ou acquis par l'armée (61).

Quant aux renonciations des « religieux mendiants », elles furent plus rares et se firent plus tardivement sous la pression des

5 8 Les commissaires Guelle et Daviel devaient visiter les chanoines réguliers, les Grands Carmes, la congrégation et Sainte-Claire ; les commissaires Gaspard et Renaut : Saint-Arnould, les Jacobins et les Prêcheresses ; Pacquin et Saget : Saint-Vincent, Saint-Clément et les Ursulines ; Vaultrin et Chonez : les Récollets, les Trinitaires, la Visitation et les Sœurs Collettes ; La Tour et Fontaine : le collège, les Minimes et les Madeleines ; Suby et Girardin : Les Capucins, les Carmé­lites et les Augustins ; Nioche et Marchand : le Refuge, Sainte-Glossinde et les Petits-Carmes. (Arch. mun. de Mets, série D, n° 1 D 4 . — Délibérations du 9 mai 1790 . )

5 9 Ces inventaires se trouvaient aux Archives départementales de la Moselle, série Q, et, lors de la Libération de Metz en 1944 , ils furent malheureusement détruits par les Allemands. Le chanoine Lesprand, qui a eu le bonheur de les voir, nous les présente dans son ouvrage sur Le clergé de la Moselle pendant la Révolution, t. I , p. 9 1 .

6 0 Les religieux des ordres mendiants devaient recevoir 7 0 0 livres jusqu'à l'âge de cinquante ans, 8 0 0 livres jusqu'à soixante-dix ans et 1 .000 livres au-delà de cet âge. Les non-mendiants devaient obtenir 900, 1 .000 et 1 .200 livres. (LAVISSE, Histoire de France contemporaine, t. I , p. 1 8 7 . )

6 1 LESPRAND donne des détails précis sur les « visites des couvents » (op. cit., t. I, p. 9 1 - 1 3 7 ) .

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événements. Nombre de ces religieux, étrangers à Metz, retournè­rent dans leur pays d'origine dès 1790 ; d'autres demeurèrent, comme les capucins et les récollets, prêtant serment et conti­nuant leur ministère ; ceux qui refusèrent ce serment, ou parti­rent pour l'étranger, ou se cachèrent, exerçant leur ministère clandestinement. Précisons que ces « ordres mendiants » étaient, à Metz, les petits carmes, les minimes, les augustins, les grands carmes, les capucins, les récollets, les cordeliers et les domini­cains (62).

Examinons maintenant le sort des couvents de femmes à Metz.

Les décrets du 28 octobre 1789 et du 13 février 1790 avaient interdit aux religieuses toute déclaration ultérieure de vœux, puis supprimé tous les ordres et congrégations. Les religieuses qui le désirèrent purent quitter leur couvent, à l'exception des maisons d'enseignement et de charité. Le décret du 8 octobre 1790 réglait la pension de chaque religieuse selon le revenu net de la maison et le nombre des sœurs qui la composaient ; cette pension variait entre 150 et 700 livres. La municipalité de Metz, plus pressée, arrêtait, dès le 11 mai 1790, qu'elle donnerait provisoirement 600 livres à toutes celles qui voudraient quitter la vie commune ; dès qu'elle apprenait qu'une sœur en manifestait le désir, elle lui dépêchait deux officiers municipaux pour lui en faciliter la sortie.

La législation, dans l'ensemble, semble avoir été plus douce pour les religieuses que pour les religieux : aux moines fidèles, on ne laissa que des maisons de réunion ; aux religieuses fidèles, on toléra qu'elles restassent jusqu'à extinction dans leurs mai­sons respectives. Elles eurent donc peu de raisons de quitter leur état avec précipitation et restèrent en majorité fidèles à leur voca­tion jusqu'à leur expulsion (63).

62 Le chanoine LESPRAND, dans son ouvrage : Le clergé de la Moselle pendant la Révolution, t. I, p. 163-169, étudie avec précision le personnel, les biens et le sort de toutes ces maisons religieuses.

63 Les documents sont rares sur les sorties de couvent. En voilà un pourtant, nous le trouvons dans les petites annonces du journal Affiches des Evêchés de Lorraine, numéro du 8 juillet 1790 : « Une personne âgée de 24 ans sortant du couvent désire, se placer pour élever des enfants. »

6

4 6 METZ P E N D A N T LA REVOLUTION

La municipalité eut alors à s'occuper du sort des religieuses bénédictines de Yabbaye Sainte-Glossinde, des chanoinesses régu­lières de la congrégation de Notre-Dame, des Clarisses (64), des chanoinesses régulières de Saint-Augustin au prieuré de la Made­leine, des sœurs Colettes, des Prêcheresses (ou dominicaines), des carmélites, des religieuses de la Doctrine chrétienne, des sœurs de la Visitation, les religieuses du séminaire de la Propagation de la Foi, du couvent du Refuge et du monastère des Ursulines (65).

Comme ces religieuses s'occupaient d'hôpitaux, d'hospices et d'écoles, la loi les autorisa à rester à leur poste ; si, plus tard, elles en furent chassées, c'est en raison de leur opposition à la nouvelle Eglise constitutionnelle et de leur refus du serment obligatoire.

D'une façon générale, concluons, avec Lesprand, que la voca­tion et l'attachement à l'ordre furent plus fort chez les religieuses que chez les hommes. Ceux-ci, affirme Lesprand, « imbus de prin­cipes gallicans et jansénistes, étaient en contact avec les idées philosophiques de Vépoque par leurs lectures, leurs fréquenta­tions, les académies, les sociétés savantes et autres, même les loges maçonniques auxquelles ils appartenaient » (66).

La municipalité messine n'eut pas seulement à s'occuper de la suppression des congrégations, il lui restait encore à régler le sort des chapitres et des collégiales ; chapitre de la cathédrale, collégiales de Saint-Sauveur et de Saint-Thiébault. Le 20 février 1790, le chapitre de la cathédrale tenait déjà prête la déclaration des biens et charges du chapitre, de la bibliothèque et de ses archives, déclaration qui devait être remise à la municipalité pour le 1 e r mars. Le contrôle ne fut effectué qu'en juin par les com­missaires Vaultrin, Chonez et Marchand. Ce n'est qu'en janvier

64 On lit à la séance de l'Assemblée municipale du 16 mars 1790 la déclaration d'une religieuse du couvent des Clarisses, Madeleine Oudin, qui « entend profiter de l'avantage accordé par le décret de l'Assemblée nationale du 13 février dernier pour se retirer dans sa famille ». La municipalité dépêcha deux commissaires au couvent pour recevoir sa « déclaration » et faciliter sa sortie en raison « des obstacles » qu'elle rencontrait de la part de ses supérieures. (Arch. mun. de Mets, série D, n° 1 D 4.)

65 LESPRAND relate en détail le sort de ces religieuses et de leurs maisons (op. cit., t. II, p. 95 à 252).

66 LESPRAND., op. cit., t. II, p. 257.

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1791 que le chapitre fut définitivement supprimé et la pension de ses membres fixée. Notons que les bénéficiers séculiers devaient recevoir une pension annuelle variable selon le montant de leurs revenus nets ; elle variait entre 1.000 et 6.000 livres (67).

En vertu du décret des 14 et 20 avril 1790 qui ordonnait l'inventaire de tous les bénéfices, le 16 juin 1790, la municipa­lité envoya les commissaires Gaspard et Renault pour dresser l'inventaire complet de la collégiale Saint-Sauveur. Enfin, à la collégiale Saint-Thiébault, l'inventaire avait été dressé le 14 juin 1790 par les mêmes commissaires Gaspard et Renault ; ce n'est qu'en octobre que l'administration signifia aux chanoines la sup­pression de leur ordre ; ils obtinrent pourtant, comme les autres, outre leur traitement d'au moins 1.000 livres par an, de continuer l'office jusqu'en janvier 1791.

Pour le chapitre de Saint-Pierre-le-Grand, l'inventaire fut fait le 12 juillet 1790 par les officiers municipaux Marchant et Chonez; en octobre, le district fit signifier au chapitre sa suppression.

Les prébendes de la chapelle Sainte-Reinette devaient à leur tour connaître le contrôle des commissaires de la municipalité pour inventaire, et celui des commissaires du district en octobre 1790 pour notification de suppression (68), Que devinrent les chanoines de ces diverses maisons ? Les uns vécurent à Metz, obscurément, en des maisons canoniales qu'ils eurent le droit de racheter, et les autres se dispersèrent, ou émigrant bien que Français, ou retournant dans leur pays d'origine.

Il nous reste encore à rappeler la suppression du chapitre noble des dames de Vabbaye Saint-Louis de Metz. Dès le 1er mars 1790, l'inventaire du chapitre était prêt pour vérifications, chose que la municipalité ne fit que le 14 juin suivant. En octobre 1790, les commissaires du district vinrent annoncer à l'abbesse la sup­pression du chapitre en vertu de la constitution civile du clergé. Jusqu'en 1791, les chanoinesses de l'abbaye Saint-Louis jouirent

67 LESPRANDJ op. cit., t. II, p. 307 à 353. 68 LESPRAND, op. cit, t. II, p. 355-393.

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d'une grande liberté et touchèrent même des traitements relative­ment élevés. A partir de 1792, elles prirent, presque toutes, le chemin de l'émigration (69).

Nous venons de passer en revue la disparition de tous les bénéfices ecclésiastiques, à l'exception de ceux à charge d'âmes, et la suppression des ordres religieux à Metz. Que devinrent main­tenant leurs biens ? « La municipalité de Metz, écrit le maire à l'Assemblée nationale le 17 juin 1790, a pris en main l'adminis­tration des biens appartenant aux maisons religieuses jusqu'à la. formation des assemblées de district et de département. Elle a fait aux vignerons des avances ; elle a veillé à ce que les terres fus­sent cultivées, les dixmes recueillies, les maisons habitées ou répa­rées ; elle a remis aux religieuses qui ont témoigné le désir de sortir du cloître les avances nécessaires...» (70). De sages pré­cautions furent donc prises pour assurer le bon état et la rentabi­lité des biens. En ce qui concerne le clergé paroissial, la muni­cipalité s'en occupa plus tard ; le projet de la constitution civile du clergé ne fut discuté que du 29 mai au 12 juillet ; il ne fut sanctionné par le Roi que le 24 août 1790 ; comme la loi ne fixait pas de délai d'exécution, les administrations locales ne se hâtèrent point, de sorte que l'année 1790 ne vit pratiquement à Metz que la suppression des ordres religieux et la sécularisation des biens du clergé.

Ces problèmes religieux mettaient à dure épreuve la muni­cipalité messine, qui, contrairement à ce qu'a cru le chanoine Lesprand, n'était nullement anticléricale (71). Sa position était délicate du fait qu'étant organe officiel, elle avait à appliquer les lois votées par l'Assemblée constituante et que par ailleurs ses convictions religieuses, ses attaches au clergé messin lui dic-

69 LESPRAND, op. cit, t. II, p. 417-446. 70 Arch. тип. de Mets, série D, n° 2 D 9. 71 Les témoignages des sentiments religieux de la municipalité sont très nombreux ;

prenons au hasard les faits suivants : le 10 janvier, messe de Vahbé Nioche à la cathédrale devant la municipalité ; le 12 mars, messe à la cathédrale en l'honneur de la garde nationale ; le 14 mars, Te Deum à la cathédrale organisé par la municipalité avec « prières pour le Roi » ; le 24 avril, arrêté de la municipalité concernant sa participation à la procession de Saint-Marc ; le 8 mai, désignation par la municipalité de quatre de ses membres qui assisteront « aux processions des Rogations suivant Vusage », etc. (Arch. тип. de Mets, série D, n° 1 D 4.)

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taient la prudence et l'indulgence, d'où, d'une part, recherche du compromis et de l'apaisement, et, d'autre part, lors des nombreu­ses dénonciations qui lui parvinrent au sujet des menées ecclé­siastiques contre son autorité et celle de l'Assemblée constituante, ses réactions de simple rappel à l'ordre et à l'observance de la loi (72).

Une question se pose maintenant : quelle fut la part envi­sagée par la municipalité dans l'acquisition des biens nationaux ? A la séance du 12 avril, on fit lecture devant le conseil municipal d'une lettre de l'intendant concernant le décret de l'Assemblée nationale du 17 mars 1790 au sujet de « l'aliénation à la munici­palité de Paris et à celles du royaume de 400 millions de biens nationaux et ecclésiastiques» (73). Nous apprenons qu'en mai 1790 (séance du 19 mai), la ville envisageait l'achat des biens nationaux jusqu'à concurrence de 15 millions (74). Il était prévu, en outre, que les « maisons situées dans la ville » seraient trans­formées en des « établissements publics » ou utilisées à « des ou­vertures de rues, à des agrandissements de places, à des construc­tions de quai» (75), bref, à l'emploi de la salubrité et des com­modités de la cité. Tels furent donc les projets de nos édiles en 1790 ; nous verrons plus loin ce qu'ils ont pu réaliser.

72 II fut rapporté à la municipalité, le 3 avril 1790, que « M. Bauzon, [Charles Beausonj, chanoine de Saint-Sauveur et prédicateur de la cathédrale, s'était flatté de prêcher des principes contraires à la Constitution » ; le maire promit de l'appeler à la barre de l'Assemblée pour lui dire « de se borner à prêcher les préceptes de l'Evangile ». A la séance du 7 avril, « l'abbé Bauzon, prédicateur du carême à la cathédrale, s'était excusé des imputations qui lui étaient faites en les attribuant à de fausses interprétations et à des allusions malignes qui pouvaient d'autant moins être supposées dans son intention qu'il prêchait des sermons composés il y a plus dej vingt ans ». (Arch. тип. de Metz, série D, n° 1 D 3.) — Le 25 mai 1790, le vicaire de Saint-Livier fut dénoncé pour avoir tenu des propos au prône contre « le décref du corps municipal qui autorise la tenue de la foire pendant les jours fériés ». — Le 27 mai, l'abbé de Fiquelmont, chanoine de la cathédrale, fut dénoncé « pour avoir tenu au bureau du contrôle des propos injurieux contre l'Assemblée nationale » ; le même jour, c'est le curé de Sainte-Croix qui fut dénoncé « pour avoir, le jour de la Pentecôte, prêché des principes contraAres à la Constitution ». (Arch. тип. de Metz, série D, n° 1 D 4.)

73 Archives тип. de Metz, série D, n° 1 D 4. 74 Archives тип, de Metz, série D, n° 2 D 9. — Les ventes ne commencèrent en

général qu'au début de l'année 1791. La première eut lieu à Metz le 18 décembre 1790 ; l'abbé Bauzin, chanoine du ci-devant chapitre de Saint-Sauveur, acheta ce jour et au prix de 1.3)16 livres 6 sols et 8 deniers le 6 e de la maison canoniale du chapitre de Saint-Sauveur de Metz. (PAQUET, op. cit., t. II, p. 1264.) — Le numéro du 30 décembre 1790 du « Journal » porte cette annonce : « Biens natio­naux à vendre : 4 janvier, dans la salle du ci-devant Hôtel de l'Intendance, par devant le directoire du district de Metz : maisons, vignes,... ».

75 Arch. тип. de Metz, série D, n° 1 D 4. — Délibérations du 19 novembre 1790.

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Il est facile d'imaginer devant ces diverses mesures l'oppo­sition parfois discrète, souvent bruyante, ou franchement hostile, d'une grande partie du clergé messin (76). C'est le moment où dit-on au conseil municipal, «plusieurs évêques, membres de Vcmcien clergé, apportent la plus vive résistance à l'exécution des décrets sur la constitution ecclésiastique... du fol espoir d'une contre-révolution... dans leurs chaires des discours souvent très incendiaires...» (77). Effectivement, les preuves de ces discours « incendiaires » ne manquent pas. On rapportait encore au conseil municipal que « les prédicateurs de cette ville, même ceux de la campagne, et particulièrement le vicaire de Longeville, prêchaient les maximes les plus contraires à la Constitution, que ces discours prononcés avec véhémence faisaient impression sur le peuple et que l'on pouvait attribuer à cette cause le dégoût que montraient quelques individus de la garde nationale pour le service» (78). Quelques jours plus tard, des plaintes furent déposées à la muni­cipalité contre le prêtre Bauson, prédicateur de l'Avent dans la paroisse de Saint-Simplice, qui « sortait souvent de l'objet de son ministère pour s'élever contre la Révolution» (79). Des incidents de ce genre se renouvelèrent malheureusement assez fré­quemment, ne simplifiant pas la tâche de la municipalité que nous considérons comme une municipalité modérée et nullement anticlé­ricale (80), et qui pourtant devait scrupuleusement défendre et appliquer les lois votées par l'Assemblée nationale.

Quelle fut l'attitude, en tout cela, du chef de l'Eglise de Metz, Mgr de Montmorency ? Poutet, devenu procureur général syndic du département, l'invitait déjà, le 21 septembre, à opter entre

76 L'abbé E I C H nous apprend que les prêtres ont encore célébré la fête de la Fédération ( 1 4 juillet 1 7 9 0 ) avec ferveur et ont prêté « en même temps que leurs ouailles, le serment civique ». (Les prêtres mosellans pendant la Révolution ; Revue ecclé­siastique du diocèse de Mets, n° 2 , février 1959, p. 4 3 . )

7 7 Archives тип. de Mets, série D, n° 1 D 4. — Délibérations du 1 1 novembre 1790. 78 Archives тип. de. Mets, série D, n° 1 D 5. — Délibérations du 1 E R décembre 1790. 79 Archives тип. de Mets, série D, n° 1 D 5. — Délibérations du 1 0 décembre 1790. 8 0 La municipalité était au complet le 1 5 août à la cathédrale pour assister à la

procession de l'Assomption. (Arch. тип. de Mets, série D, n° 1 D 4. — Délibé­rations du 1 5 août 1790 . ) — Le programme d'enseignement du nouveau collège ne prévoyait-il pas de « faire publiquement les dimanches et fêtes dans Vêglise du collège tous les exercices de la religion, messe matinale à 4 heures en été et 6 heures en hiver... Outre la messe des écoliers, qui se dira tous les jours le principal e,t les professeurs en diront une autre pour le public... ». (Arch. тип. de Mets, série D, n° 1 D 4. — Délibérations du 1 3 août 1790 . )

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ces deux dignités incompatibles d'évêque de Metz et de Grand aumônier de France, le rappelant aussi à la résidence à laquelle il était tenu comme évêque. Mgr de Montmorency sortit alors de sa réserve pour prendre parti nettement contre l'œuvre de la Cons­tituante. Il fit imprimer et distribuer secrètement dans son diocèse, en fin décembre, une brochure intitulée « L'instruction de Pévê-que de Boulogne », précédée de son « petit mandement » où il précisait son refus de reconnaître la réduction du diocèse au terri­toire du département de la Moselle. Sa réponse à Poutet portait également son opposition formelle au choix proposé par le pro­cureur (81). Son hostilité devint ainsi évidente, fâcheuse et nui­sible surtout à la paix qui semblait régner jusqu'ici entre les citoyens de Metz. L'attitude intransigeante de l'évêque déclencha encore le mécontentement des patriotes qui, exaspérés et peut-être se sentant menacés, cherchèrent à se regrouper et à réagir (82).

Ni l'opposition de la municipalité, ni l'hostilité de la société laïque ne découragèrent l'évêque de Metz dans son opposition à l'œuvre de la Constituante. Profitant des fêtes de Noël et du Nouvel An 1791, il fit distribuer dans son diocèse un « petit mandement » que le procureur de la commune et président de la Société des amis de la Constitution, Claude-François Périn, qualifie d ' « œuvre scan­daleuse contre les décrets sur la constitution civile du clergé... Mgr l9évêque de Metz annonce hautement la révolte, il y appelle tous les citoyens... il se refuse donc à Vexécution des décrets concer­nant la constitution du clergé » (83). Dénoncé à l'Assemblée natio­nale, au Roi, à l'administration du département et du district, comme ennemi de la Révolution, l'évêque de Metz n'avait plus le choix qu'entre deux solutions : ou la soumission aux lois, ou l'émi-

81 LESPRAND, op. cit., t. I I I , p. 32-33. 82 Journal des départements, numéro du 25 novembre 1790. — La Société des amis

de la Constitution, fondée dès avril 1790, tenait d'abord ses séances à la biblio­thèque des Récollets, puis dans l'église Saint-Louis, endroit plus spacieux, pour recevoir de nombreux membres et spectateurs. Elle eut pour présidents les sieurs Périn et Bauzin, et pour secrétaires Adam, Boyer et Lamare. La devise de la société ? « Vivre libre ou mourir ». Le programme ? Rallier les esprits autour de la Constitution, exhorter le3 militaires à respecter les lois et la tranquillité publique, obtenir les réformes indispensables, etc. Très modérée encore à cette époque — ralliée à l'origine au club des Feuillants de Paris — la société deviendra, avec l'évolution tragique des événements, l'élément combatif de la Révolution. ( L . BULTINGAIRE, Le club des Jacobms de Metz, p. 10 et suiv.)

8 3 Archives mun. de Metz, série D , n° 1 D 5, et LESPRAND, op. cit., t. I I I , p. 32.

52 METZ P E N D A N T LA REVOLUTION

gration, ce qu'il fit en se réfugiant de Paris directement à Trêves, où, le 10 mai 1791, de concert avec les évêques émigrés de Nancy et de Verdun, il publia le bref Caritas, acte par lequel le pape Pie VI condamnait la constitution civile du clergé (84).

L'attitude intransigeante du chef de l'Eglise de Metz et l'in­tervention du pape jetèrent le trouble dans l'âme des pasteurs et des fidèles et provoquèrent une scission dans le clergé. Ce n'est qu' « une minorité de prêtres, imbue des doctrines jansénistes et gallicanes», écrit l'abbé Eich (85) qui approuva les réformes et accepta les exigences du décret du 4 janvier 1791 en vertu des­quelles il fallait « jurer d'être fidèles à la Nation, à la Loi, et au Roi et maintenir de tout leur pouvoir la Constitution décrétée par l'Assemblée et acceptée par le Roi » (86).

Mais pourquoi tant d'opposition, de critiques et d'hostilité contre la constitution civile du clergé ? Notons simplement que rien n'avait été changé dans la doctrine, les sacrements et les rites. Cer­tes, les évêques et les curés seraient dorénavant élus par leurs fidè­les, les bénéfices allaient être supprimés, mais tous devaient rece­voir un traitement, de 1.200 livres au minimum, ce qui leur permet­tait de vivre décemment, et prêter le serment civique. Ces derniers points suscitèrent de la part de la majorité du clergé une opposition ouverte contre l'œuvre de l'Assemblée. Les écrits commencèrent à circuler secrètement ; quelques curés ou vicaires courageux publiè­rent même en chaire le bref du pape (87). Les partisans de la constitution et du serment obligatoire, moins nombreux, ne restè­rent pas inactifs. Epaulés par la municipalité, ils propagèrent écrits

84 Mgr Louis-Joseph de Montmorency-Laval mourut le 17 juin 1808 à Altona, où il fut enterré. C'est en 1900 que ses ossements furent ramenés à Metz et déposés dans la crypte de la cathédrale.

85 J. E I C H , op. cit. p. 43. 86 La constitution fut votée le 12 juillet 1790 et sanctionnée par Louis XVI le

24 août. 87 L'abbé E I C H affirme que « La grande majorité des curés et vicaires se montra

résolument hostile à ces innovations. Ils dénoncèrent dans leurs écrits ou leurs sermons le caractère schismatique de la nouvelle constitution imposée à VEglise de France ». Il signale enfin que l'abbé Martin Thiébault, curé de Sainte-Croix de Metz, déploya au cours des derniers mois de 1790 « une activité prodigieuse pour former la conscience de ses confrères et des fidèles» (op. cit., p. 44). (TRIBOUT DE MOREMBERT, Un adversaire de la constitution civile du clergé, Martin-François Thiébault, curé de Sainte-Croix de Metz, député aux Etats généraux ; Extrait des « A c t e s du 80« Congrès des Sociétés savantes», Lille 1955.)

METZ P E N D A N T LA RÉVOLUTION 53

et discours justifiant leur attitude et leur serment. La bataille se cristallisa autour du serment obligatoire, institué par la loi du 27 novembre 1790, et prévu pour le dimanche 16 janvier 1791 à la cathédrale de Metz.

Lesprand affirme que le clergé séculier ne paraissait pas dis­posé à jurer, le clergé régulier, par contre, manifesta plus d'en­thousiasme. Enfin, le jour de la cérémonie, dix-huit prêtres eurent seulement le courage de prêter seraient d'obéissance à la loi (88). La cérémonie, qui avait été précédée d'une messe solennelle et agrémentée de deux sermons prononcés par le chanoine Nioche et le curé Dupleit, eut lieu en présence du conseil général de la com­mune, de la garde nationale, d'une foule de patriotes et de curieux (89).

Cette première épreuve fut humiliante pour les officiels. Aussi, sur l'intervention du procureur de la commune, le conseil général de la commune arrêta que « les machinations, menaces, voies de fait et coalitions, employées pour éloigner les ecclésiastiques fonction­naires publics de la soumission à la loi, pour exciter le peuple à la révolte, seront dénoncées à l'accusateur public...» (90). On fit effectivement appel au peuple pour « faire part à la municipalité des discours séditieux tendant à soulever le peuple contre la loi sur la constitution civile du clergé et contre les autres opérations de l'Assemblée nationale qui pourraient être prononcés dans les parois-

8 8 Voici la liste de ces prêtres assermentés : Jean-François Nioche, officier municipal; Etienne Bauzm, officier municipal ; Henri-Joseph Colette, principal du collège ; André Pierron, sous-principal ; Jean-Pierre Bertrand, professeur ; Jean-Baptiste Bricet, professeur ; Guillaume Bergnier, professeur ; Sébastien Stentz, profes­seur ; Jacques Kalmar, professeur ; Louis-Paul Leblanc, professeur ; Guillaume, Gilles, prêtre séculier ; Alexandre-Michel Thiéry, prêtre pensionnaire ; Pierre-François Louis, Jean Ihler, Jean Dietrich et Nicolas-Charles Chippel, prêtres, anciens chanoines de Saint-Louis-du-Fort ; Jean-Baptiste Bizet, prêtre de la maison de Domèvre ; Jean-François de Lamarre, prêtre de la maison des Minimes. (PAQUET, op. cit., t. I , p. 387 . )

8 9 Voilà comment le chanoine Nioche justifia l'obligation de la prestation du ser­ment. « Nous sommes convaincus que ce serment n'est point contraire à la foi. Mais en quoi consiste ce sermenf? Vous le savez, c'est de jurer de la part des évêques et des curés de veiller avec soin sur les fidèles du diocèse ou de la paroisse qui leur est confiée ; de la part des autres fonctionnaires publics de remplir leurs fonctions avec exactitude ; et par tous d'être fidèles à la Nation, à la Loi et au Roi, et de\ maintenir de tout leur pouvoir la Constitution décrétée par l'Assemblée nationale et acceptée par le Roi. Or, très certainement, il n'y a rien là qui puisse blesser la foi. » (Arch. mun. de Metz, série D, no 1 D 6.)

9 0 Journal, du 2 7 janvier 1791 .

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ses de cette ville par les curés et vicaires» (91). Le danger de dénonciation et la menace de la municipalité ne désarmèrent point le clergé récalcitrant. Bien au contraire, le 25 janvier, par une déclaration, il fit connaître aux fidèles sa nouvelle position à l'égard du serment obligatoire ; ce n'était pas par opposition systématique qu'il refusait de prêter le serment, mais par l'absence d'une clause dans la formule qui en assurerait l'orthodoxie (92). L'administra­tion municipale refusa naturellement d'accepter cette requête dégui­sée. Elle ordonna même la lecture dans les églises d'une « instruc­tion sur la constitution civile du clergé », où l'Assemblée consti­tuante affirmait son attachement à l'Eglise, son respect de la foi, son intention d'entretien du culte et son assurance du versement du traitement de ses ministres. Nouvelle résistance du clergé à l'exé­cution de cet ordre, ce qui provoqua d'inévitables malentendus et — pour la première fois — de regrettables désordres dans la rue. En effet, l'abbé Sar, curé de Saint-Georges, fut maltraité en pleine rue (93) et Mgr d'Orope, hostile à son tour à l'œuvre de la Consti­tuante (94), fut poursuivi jusqu'à son logis par « une foule de gens

91 Arch. mun. de Metz, série D, n° 1 D 5. — Parmi les différents « écrits incen­diaires » qui circulaient en ville, les suivants ont été communiqués au service municipal : « II est encore temps », « Les adieux de Daphnis à la France », « Instruction familière sur l'Eglise en forme de cathéchisme » et « Lettre de M. l'évêque de Toulon à MM. les curés et vicaires de son diocèse ».

92 Le 25 janvier, le clergé paroissial de la ville — les jureurs exclus — rédigea la Déclaration suivante : « Les curés et vicaires de la ville de Metz soussignés, jaloux de mériter l'estime de leurs concitoyens et de dissiper tout soupçon que l'on pourrait for^mer sur leur parfaite soumission à l'autorité des lois, ont cru devoir rendre public, comme témoignage de leur attachement à la religion et de leur fidélité à la patrie et au Roi, le serment qu'ils ont présenté à la munici­palité de cette ville dans la formule suivante, lequel n'a pas été accepté : Je jure (pour les curés) de veiller avec soin sur les fidèles de la paroisse qui m'est confiée, (pour les vicaires) det remplir mes fonctions avec exactitude, d'être fidèle à la nation, à la loi et au Roi, et de maintenir de tout mon pouvoir la Consti­tution décrétée par l'Assemblée nationale et acceptée par le Roi, en tout ce{ qui n'est pas contraire à la doctrine apostolique et romaine. » (LESPRAND, Le clergé de la Moselle pendant la Révolution, t. III, p. 90.)

93 II fut accusé, puis condamné à 50 livres d'amende pour avoir arraché une affiche de la municipalité ; l'accusé se défendit en disant que l'affiche, mal collée, s'était détachée seule ; il mourut huit jours après des mauvais traitements reçus de la populace. (LESPRAND., op. cit., t. III, p. 79-80, et Arch. mun. de Metz, série I, n° 2 120.)

94 Pour connaître la nouvelle position de Mgr d'Orope, voici un extrait du journal le « Courrier de Paris » dans les quatre-vingt-trois départements ; numéro du 15 février 1791, p. 222-223 : « Moselle. — On nous mande de ce département que l'évêque d'Orope, suffragant de Metz, a retiré les pouvoirs à un vicaire de la paroisse Saint-Eucaire, qui a prêté son serment. Peu de jours après, ce même suffragant a été dans les séminaires rassurer les jeunes gens qui y sont et promettre à ceux qui attendent la prêtrise qu'il les ordonnerait, quoi qu'il en puisse arriver et que si cela ne pouvait être à Metz, ce serait ailleurs. La ville de Metz est fort agitée. La municipalité veut faire exécuter les décrets ; le dépar­tement s'en moque et s'y oppose... » (PAQUET, op. cit., t. I, p. 192.)

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malintentionnés qui en voulaient à sa vie» (95). Ni le danger de la rue, ni la pression des partisans de la Constitution, ni l'ambition de devenir titulaires d'une cure vacante n'ébranlèrent point la réso­lution de la majorité des ecclésiastiques de prêter serment. Lesprand fait le bilan de cette lutte; il y avait, affirme-t-il, soixante-sept prêtres à Metz comme fonctionnaires publics soumis au serment, et il n'y eut parmi eux que quinze jureurs. C'était évidemmlent peu (96).

Parallèlement au problème du personnel, l'administration mu­nicipale dut régler, conformément à la loi du 24 novembre 1790, la question concernant la nouvelle circonscription des paroisses. Les quatorze paroisses furent réduites à cinq ; voici leur nouvelle déno­mination : la paroisse du Centre, autour de la cathédrale ; la pa­roisse d'outre-Moselle, avec l'église Saint-Vincent ; la paroisse de la Moselle, avec l'église Sainte-Ségolène ; la paroisse de la Seille, avec l'église Saint-Maximin; et enfin la paroisse d'outre-Seille, avec l'église Saint-Martin. Il était en outre décidé aue les églises du col­lège Saint-Simon, de Saint-Georges et de Saint-Eucaire seraient conservées comme oratoires des paroisses sont elles dépen­daient (97).

Que sont devenues les autres églises ? Sur l'ordre de la muni­cipalité, on les ferma pour éviter que les prêtres réfractaires y célé-

95 Ne se sentant plus en sécurité et évincé du siège episcopal par Mgr Francin, Mgr d'Orope prit, lui aussi, le chemin de l'exil, en avril 1791, en direction de Trêves. (LESPRAND. op cit., t. I I I , p. 99.)

96 PAQUET publie la liste des quarante-quatre prêtres qui refusèrent catégoriquement de prêter serment : Henri de Chambre d'Urgons, suffragant du diocèse ; Louis Le Bègue de Majainville, vicaire général ; de Montholon de Thémines, trésorier du chapitre de la cathédrale ; Nouffert et Gaittier, secrétaires de l'évêché ; Anstette, sous-secrétaire de l'évêché ; Hénard, Hanon, Pariset. François et Will-may, professeurs au séminaire Saint-Simon ; Sar, suüérieur ; Humber, procureur ; Lhermite et Beaudoin, professeurs au séminaire Sainte-Anne ; Ravault, Bertin et de Chambre l'aîné, vicaires généraux ; Thiva, curé ; Pétry et Bovard, vicaires de Saint-Simplice ; Marchai, curé de Saint-Jean ; Barbé, curé de Saint-Eucaire ; Martin Thiébault, curé ; Nilus, vicaire de Sainte-Croix ; Faucheur, curé ; Fau­cheur, vicaire de Sainte-Ségolène ; Muel, curé de Saint-Etienne ; Lhuillier, curé ; Thoman et Godfrin, vicaires de Saint-Livier ; Pierre, curé ; Simon et Gô. vicaires de Saint-Martin ; Gaudré, curé ; Bonnelier, vicaire de Saint-Martin ; Brussaux, curé ; Simon, vicaire de Saint-Maximin ; Sar, curé ; Mathieu, vicaire du Saint-Victor ; Margot et Démange, desservants à l'hôpital Saint-Nicolas ; Boucher, desservant à l'hôpital Bon-Secours ; Marcel, desservant à l'hôpital Saint-Georges. Leur nom fut communiqué au procureur-syndic du district. (PAQUET,, op. cit., t. I , p. 188). — Paquet signale (op. cit., t. I . p. 193-194) encore que Nicolas Nouf-fert, secrétaire de l'évêché, rétractait le 17 avril, en l'église Saint-Victor, le serment constitutionnel prêté le 15 avril 1791 à la cathédrale.

97 Journal des départements, daté du 12 mai 1791, donne la circonscription exacte des paroisses de la ville. PAQUET publie (t. I , p. 192-193) la « Loi relative à la circons­cription des paroisses de la ville de Mets. Donnée à Paris, le 17 avril 1791. »

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brassent la messe ou que des éléments incontrôlables y créassent des troubles (98). La lutte continua maintenant autour du titulaire de l'évêché. Dans sa séance du 15 février 1791, la municipalité de Metz, constatant que Mgr de Montmorency-Laval n'avait pas fait de choix entre son office d'évêque et son emploi de Grand aumô­nier du Roi, n'avait pas rejoint son diocèse et n'avait point non plus prêté le serment obligatoire, pria le procureur général syndic du département, Poutet, de déclarer vacant le siège episcopal de Metz et de « pourvoir incessamment au remplacement tant dudit évêque que des autres fonctionnaires publics du département qui ont refusé de prêter serment» (99). L'élection du nouvel évêque de Metz fut fixée au dimanche 13 mars. « Faute de candidats volon­taires, écrit l'abbé Eich, force fut aux principaux électeurs de re­chercher eux-mêmes des candidats. Chaque district voulait avoir Fhonneur de fournir au département son évêque constitution­nel » (100). Aussi, fallut-il trois tours de scrutin et ce n'est que dans l'après-midi du 14 mars 1791 que Nicolas Francin, curé de Kœnigs-macker, fut élu évêque de Metz avec 223 voix sur 361 suffrages exprimés (101). Le jeune prélat, âgé de cinquante-cinq ans seule­ment, beau et vigoureux, sut, dès les premiers jours, gagner la sym-

98 Lesprand donne de nombreux détails sur la lutte que mena la municipalité pour empêcher les prêtres insermentés de dire la messe ou dans les églises passées aux constitutionnels ou dans les églises des paroisses supprimées. « Si toutes les églises fussent restées ouvertes, a-t-on écrit officiellement au ministre de l'Intérieur le 29 novembre 1791, celles où officieraient les prêtres non assermentés seraient les plus fréquentées. » (LESPRAND, op. cit., t. III., p. 105-108. — Arch. mun. de Metz, série D, n° 1 D 5 — Délibérations du 1|3 mai 1791.)

99 Archives mun. de Metz, série D, n° 1 D 5. 100 J. E I C H , Election de Vévêque constitutionnel de la Moselle, Mém. Académie de Metz,

1954-1955, p. 197. —• Pierre-Louis Roederer, député à l'Assemblée nationale, ne songeait-il pas à l'abbé Nioche, en le flattant dans une lettre, datée du 13 juillet 1790, « mon très cher grand aumônier et futur évêque de Metz » (MICHEL, Biogra­phie du Parlement de Metz, p. 389.)

101 Nicolas Francin est né le 20 septembre 1735 à Kcenigsmacker, où son père, Fran­çois, occupait les fonctions honorables de greffier de la justice foncière. Elève au séminaire Sainte-Anne puis au séminaire Saint-Simon, il avait été ordonné prêtre en mars 1761. Vicaire à Œutrange et à Kanfen, il fut promu curé de Kœnigs-macker en 1768. Curé donc depuis vingt-trois ans d'une importante paroisse, Francin se montra un pasteur charitable, influençable et de caractère faible. Il avait déjà prêté, le 30 janvier dernier, le serment constitutionnel avec des réserves formelles. (BÉGIN, Biographie de la Moselle, t. IV, p. 210 ; J . EICH., Nicolas Francin, évêque constitutionnel de la Moselle, avant son élection. Revue ecclésiastique de Metz, 1948, p. 54-61 et 81-87) et Nicolas Francin, évêque consti­tutionnel de la Moselle, Annuaire de la Soc. d'hist. et d'archéologie de la Lorraine, t. LXII, p. 43-128.)

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pathie de presque tous les Messins (102). « Le nouvel élu a fait son entrée aujourd'hui en cette ville, relate le 16 mars le Journal la garde nationale, sous les armes, et précédée de la musique, bordait la haie depuis la porte de Thionville jusqu'à celle du Pontiffroy. Le conseil général de la commune est allé à sa rencontre jusqu'à cette porte, où il a été harangué par M. le Maire, et à l'entrée de l'église épiscopale par M. Saget, président de l'Assemblée électo­rale du département» (103). Après cette cérémonie accueillante, Mgr Francin prêta le serment civique obligatoire le 17 mars (104) et prit le chemin de Paris où il fut sacré, le 3 avril, des mains de Mgr Gobel, évêque de la Seine.

Une tâche ardue attendait le nouvel évêque à son retour de Paris (105). Dans le cadre de l'organisation de l'Eglise constitu­tionnelle, il fallait d'abord mettre au point le service cultuel dans les nouvelles paroisses et désigner ensuite les officiants. Le corps municipal, dans sa séance du 31 mai 1791, précisa la nouvelle

102 II avait certes trouvé des adversaires ou des critiques. « Le sieur Potancier, de la maison des Récollets de Metz, s'étant permis dex tenir des propos indécents relativement à M. Francm, nouvel évêque de Metz, entre autres de dire que Von 1в\ sacrerait avec une patte de chien et la plainte en ayant été portée à la municipalité... » (Arch. тип. de Metz, série D, n° 1 IT5. — Délibérations du 24 mars 1791.)

103 Journal des départements... du 17 mars 1791 ; ou Arch. тип. de Metz, série D , n° 2 D 9. — La cathédrale devait être aménagée pour sa nouvelle destination « d'église paroissiale et épiscopale avec un chœur circulaire environné d'une grille gothique en fer qui remplacera le jubé actuel ; plan adopté, copie trans­mise aux directoires du district et du département pour obtenir l'autorisation de le, faire exécuter en observant à ces deux corps que le prix à provenir des déco­rations, ornements et vases superflus dans le trésor et qu'il est nécessaire de vendre le plus tôt possible pour subvenir aux dépenses de construction ». (Arch. тип, de Metz, série D, n° 1 D 5. — Délibérations du 10 mars 1791.) — La démolition du jubé de la cathédrale et des murs séparatifs du chœur d'avec les chapelles collatérales nécessitait le déplacement de plusieurs épitaphes en cuivre rouge et jaune qui s'y trouvaient placées. La commune décida, le 2 août 1791, que les épitaphes en cuivre rouge seraient détruites et converties en espèces qui seraient ensuite versées dans la caisse de confiance et celles en cuivre jaune seraient ven­dues, le produit en servirait à payer les ouvriers employés à la démolition du jubé. (Arch. тип. de Metz, série D, n° 1 D 5.)

104 D'après une déclaration de Mgr Francin, « les décrets de l'Assemblée nationale ne respirent que le bonheur de la France, la pureté de notre sainte religion, et qui maintiennent la doctrine de l'Eglise catholique, apostolique et romaine». (Journal des départ, du 5 mai 1791.)

105 Mgr Francin devait être logé provisoirement dans l'un des appartements de l'Intendance en attendant l'achèvement de la construction de l'évêché ; la municipalité suggéra dans sa séance du 8 avril 1791 que les « maisons abbatiale et conventionnelle de Saint-Arnould... seront vendues à la com­mune qui en payera le flux à la Nation ». (Arch. тип. de Metz, série D, n° 1 D 7.) —L'abbé J . E I C H consacre une étude détaillée à la carrière de Nicolas Francin (Annuaire de la Soc. d'histoire et d'archéologie de la Lorraine, t. L X I T )

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organisation des cinq paroisses de la ville. Ce long et curieux texte, rédigé par une commission municipale, fixait le nombre, l'heure, le lieu et la nature des cérémonies religieuses, prévoyait le nombre des vicaires dans les paroisses, organisait un concours pour les char­ges de chantres, organistes, enfants de chœur, sacristins, vergers, sonneurs de cloches et fossoyeurs. La municipalité se réservait enfin le droit d'établir dans chaque paroisse, d'une part, un préposé laïc pour la garde de l'église et pour « Vexécution des lois relatives au service divin » et, d'autre part, un receveur qui assurerait le fonc­tionnement financier de la paroisse à la place des « échevins, fabri-ciens et receveurs » (106). Cette grave question réglée, on s'attaqua à un problème plus délicat, celui du remplacement des prêtres qui avaient refusé le serment obligatoire. Il est vrai que, pour éviter l'interruption du culte, l'Assemblée constituante permit aux « ré-fractaires » de conserver leurs fonctions jusqu'à leur remplacement par des « jureurs ». Les électeurs du district de Metz, conviés pour le 8 mai, désignèrent les titulaires des cures maintenues : Nioche, ci-devant chanoine à la cathédrale, fut élu curé de la paroisse d'Ou­tre-Moselle ; Thiriet, curé de Saint-Gengoulf, devint curé de la pa­roisse de Moselle (107); Huin, vicaire à Saint-Eucaire, élu curé à la paroisse de Seille (108); et Dupleit, curé à Lessy, désigné à la paroisse d'Outre-Seille (109). Notons enfin que le nouveau sémi­naire ouvrit ses portes, le 1 e r juin 1791, dans les bâtiments de Saint-Arnould. « On ne recevra, précisa Mgr Francin, que les élè­ves qui, après une année de logique, se présenteront pour Vétude de la théologie» (110).

106 Arch. mun. de Metz, série D, n° 1 D 5. — Délibérations du 31 mai 1791. 107 Antoine Thiriet, né le 22 novembre 1738, devint prêtre le 29 mars 1763, curé de

Saint-Gengoulf le 19 décembre 1787 et, après avoir prêté le serment constitu­tionnel dans son église le 27 janvier 1971, curé de la paroisse de Moselle (Sainte-Ségolène) le 8 mai 1791.

108 Jean-François Huin, né à Metz le 28 mai 1766, ordonné prêtre le 19 septembre 1789, fut vicaire à Bazoncourt puis à Saint-Eucaire de Metz ; après avoir prêté le serment constitutionnel le 23 janvier 1791, il fut élu curé de la paroisse d'Outre-Seille (Saint-Maximin) le 8 mai 1791, puis installé le 15 par la municipalité.

109 Journal des départements du 12 mai 1791. 110 Journal des départements du 19 mai 1791. — Nous ne connaissons malheureusement

pas la liste des nouveaux professeurs ; les anciens avaient refusé le serment civique et s'étaient dispersés. (Arch. mun. de Metz, série D, n° 1 D 5. — Délibé­rations du 16 mai 1791 ; et J. GIRARD, Saint-Vincent de Paul, ses œuvres et son influence en Lorraine ; Annales de la Congrégation de la Mission, t. 118, p. 465 et suiv. — E I C H , Nicolas Francin, Annuaire de la Soc. d'hist. et d'arch. de la Lorraine, t. LXII, p. 79-81.)

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D'après ces renseignements, il nous semble que vers le milieu de l'année 1791, 1' « Eglise constitutionnelle » était déjà en place à Metz et fonctionnait sans doute normalement. Pourtant, on peut s'interroger sur le sort des prêtres réfractaires ; sur la destinée des églises paroissiales déchues ; sur l'accueil réservé par la population messine au clergé assermenté ? Il est difficile de trouver à chacune de ces questions une réponse précise.

Les prêtres réfractaires avaient d'abord suivi le « règlement pro­visoire » donné à Trêves, en mars 1791, par Mgr de Montmorency. Le prélat messin leur recommandait de ne quitter leurs paroisses que dans le cas d'une persécution « personnelle ». Quoique le dé­cret du 7 mai 1791 permît généreusement aux insermentés de dire la messe dans les églises réservées aux constitutionnels, très peu d'entre les premiers cherchèrent un contact, selon Lesprand, avec les « instrus ». Il est prouvé aussi que des manifestations hostiles à l'égard des uns ou des autres furent rares et sans gravité (111). Nous pensons que les fidèles devaient fréquenter l'édifice qui conve­nait à leurs opinions.

La situation, cependant, s'aggrava bientôt ; la municipalité — malgré sa fidélité aux traditionnelles pratiques religieuses, et nous en avons la preuve (112) — dut appliquer la loi concernant les

111 A l'hôpital Saint-Nicolas, Mgr Francin fut acclamé, le 1<3 avril 1791, dans les salles des enfants, des infirmes et des vieillards malades aux cris de « Vive, Vévêque du département de la Moselle » ; par contre, le 16 mai 1791, on entendit, pendant le service religieux célébré par le vicaire assermenté Bizot, de « grands bruits du côté des files et cris : A bas l'apostat, à bas le prédicateur ! » (Arch. mun. de Metz, série D, n° 1 D 5). — L'abbé E I C H nous parle de « troubles pro­fonds » dans de nombreuses paroisses (op. cit., p. 49).

112 Le 15 février, le corps municipal invita M. Lemoine, ci-devant bénédictin, à prêcher le carême dans l'église paroissiale épiscopale. Aux cérémonies religieuses assista tout le conseil général de la commune (Journal ses départements, numéro du 17 février 1791.) — Le 25 mars, on chanta le Te Deum dans l'église épisco­pale en présence de tous les corps administratifs, judiciaires et militaires pour la guérison du Roi. « Il fallait aujourd'hui que tous s'empressent à rendre solen­nellement à l'Etre suprême des actions de grâces pour la conservation d'un Prince dont le patriotisme, l'attachement à la Constitution ont fait rentrer le peuple français dans tous ses droits ». (Journal des départements, numéro du 31 mars 1791 ; Arch. mun. de Metz, série D, n° 1 D 7.) — Le 8 avril 1791, la municipalité fit célébrer un service religieux et prit « le deuil » pour huit jours à l'occasion du décès du marquis de Mirabeau. Le 15 avril, Mgr Francin ne flatta-t-il pas le corps municipal en lui adressant ces paroles élogieuses : « Votre patriotisme bien connu, votre zèle pour la religion sainte que vous professez et votre entier dévouement aux préceptes de l'Eglise fondent mon espoir pour le succès des travaux que je vais entreprendre ». (Arch. mun. de Metz, série D, n° 1 D 7. ) — Le 15 août 1791, jour de l'Assomption, la municipalité assista à la procession tra-tionnelle, défilant avec le peuple dans les rues de Metz. (Arch. mun. de Metz, série D, n° 1 D 5.)

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églises « déchues » et les prêtres réfractaires. Que devinrent les anciennes églises paroissiales ou lieux de culte ? Tout ce que leur intérieur contenait, boiserie, orgue, autels, etc., fut presque partout vendu au profit de l'Etat ou déposé (vases sacrés notamment) « dans la maison de la ci-devant Intendance » (113). En ce qui concerne les cloches, « inutiles à la décence du culte », conformément au décret de l'Assemblée constituante, il fut décidé par la municipalité, le 10 août 1791, qu'il serait dressé un inventaire de toutes les cloches des différents lieux de culte (114) et qu'il en serait fabriqué « une menue monnaie» dans l'hôtel de la monnaie de Metz (115). Les bibliothèques, par contre, furent sauvées de la dispersion par vente et transportées à « la maison ci-devant de VIntendance pour en com­poser une seule à Vusage de la ville » (116). Vidés de leur mobilier et privés de leur décoration, les bâtiments et églises désaffectées fu­rent loués aux particuliers, vendus comme biens nationaux ou utili­sés par l'administration (117).

Que devinrent les prêtres « réfractaires » ? Privés de leur chef spirituel — Mgr d'Orope prit à son tour, en avril 1791, la route de Trêves —, chassés des maisons curiales ou vicariales — attribuées aux fonctionnaires constitutionnels —, les prêtres réfrac­taires durent ou se cacher chez des particuliers et y célébrer les offices religieux, ou se retirer tout simplement des fonctions ecclé­siastiques et vivre des 500 livres que la loi mettait à leur disposition sous forme de « pension de secours », ou bien partir pour l'étran­ger... Un arrêté du 17 juin 1791 de l'administration départementale avait bien prévu que « tous les religieux non mendiants du départe­

nt Délibérations du 7 mai 1791. (Arch. mun. de Mets, série D, n° 1 D 5.) 114 Délibérations du corps municipal du 20 septembre 1791 (Arch. mun. de Mets,

série D, n° 1 D 5 . ) — R . - S . BOUR publie dans son ouvrage le nombre et le poids de toutes les cloches se trouvant à Metz. « Pour 50 églises et chapelles, on compte 187 cloches, cloches du poids approximatif de 168.438 livres, en plus la Mutte estimée à 22.500 livres et 11 sonnettes de 1.250 livres ; en tout environ 192.000 livres4; environ 115 cloches et clochettes furent prises et livrées à la monnaie de la ville]. » (Etudes campanaires mosellanes, t. I , p. 17.)

115 VIVILLE, Dictionnaire du département de la Moselle, t. I , p. 481. — L'hôtel de la monnaie, dirigé par M. Le Clerc et situé dans la rue de ce nom, a subsisté jus­qu'en 1793.

116 Délibérations du 1er mars 1791. (Arch. mun. de\ Mets, série D, n° 1 D 5.) 117 L'église Saint-Sauveur était destinée au marché de la viande ; l'église des

Grands-Carmes était transformée en dépôt de munitions pour l'armée. (LESPRAND, op. cit., t. I I I , p. 117-122.)

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ment se retireront dans la maison de Justemont» (118), un grand nombre préféra cependant la vie cachée à la campagne ou l'émigra­tion. Et ceux qui restèrent, les «jureurs», qui avaient fait confiance à la Révolution, furent-ils sans soucis ? Certainement pas. Ils eurent une existence pénible, quelquefois dangereuse. L'opinion de la masse n'était point encore favorable, indulgente ou compréhensive à l'égard de leur choix ou de leur drame de conscience. N'ont-ils désobéi même au pape Pie VI qui, en mars 1791, avait interdit aux ecclésiastiques de prêter serment ? Ils connurent par ailleurs les difficultés matérielles et financières des débuts de la Révolution. On sait que les caisses de l'Etat étaient presque vides en 1791 ; la vente des biens ecclésiastiques — devenus biens nationaux — ne rapportait pas encore les revenus escomptés. Les plaintes affluè­rent donc de tous côtés concernant le non-paiement des prêtres asser­mentés et des fonctionnaires subalternes des églises paroissia­les (119). C'est dans cette atmosphère lourde et confuse que s'acheva cette période de l'histoire de l'Eglise de Metz. Avec quelques bon­nes volontés, un travail positif fut accompli ; le culte fut partout assuré et les fidèles n'eurent pas à déplorer l'isolement dans ce monde en fermentation à la fin de 1791. Notons enfin que la muni­cipalité messine sut appliquer la loi avec ménagement et circons­pection en toutes occasions ; elle put ainsi éviter troubles ou hostilités qui pointaient déjà à l'horizon.

Les constituants, disciples des philosophes, voulurent appli­quer leurs théories sur la tolérance en faisant bénéficier les « dissi­dents » de la liberté politique et religieuse. Les PROTESTANTS obtin-

118 Journal des départements, numéro du 23 juin 1791. 119 Nous apprenons que, le 19 août 1791, les quatre-vingt-trois officiers subalternes

des églises paroissiales n'ont encore rien perçu comme traitement ; « la munici­palité n'ayant aucun fonds à sa disposition, il est arrêté que le département serait prié d'accorder à la municipalité une somme de 6.000 livres pour le paie­ment de ces subalternes ». (Arch. mun. de Mets, série D, n° 1 D 5.) — Dans une lettre datée du 15 mai 1793 et adressée aux « administrateurs du district de Metz », le curé d'Outre-Moselle, Nioche, expose que « depuis DEUX ANS qu'il acquitte les fondations des quatre paroisses supprimées qui y sont réunies, il n'en a reçu aucune rétribution ». (PAQUET, op. cit., t. II, p. 1052). — Le curé de la paroisse de Moselle, Thiriet, signale au directoire du district de Metz que « le culte est sur le point de cesser dans son église à défaut de paiement que l'on refuse, aux sujets qui y sont attachés ». (PAQUET* op. cit., t. I I , p. 1052.)

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rent ainsi, dès la fin de 1789, des droits politiques et l'accès aux emplois civils et militaires ; la Déclaration des Droits de l'Homme ne précisait-elle pas déjà que « nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses » ? Les protestants de Metz bénéficièrent donc de ces mesures libérales. Pour éviter de conti­nuer à se rendre à Courcelles, comme ils en avaient l'habitude, ils présentèrent, le 20 septembre 1791, une pétition au corps municipal demandant une des églises supprimées « pour exercice de religion aux offres d'en payer un loyer » ; la municipalité leur désigna alors l'église de l'ancienne paroisse de Sainte-Croix. La Société populaire s'en étant emparée comme lieu de réunion, ils obtinrent en échange la chapelle de la Propagation (120).

Les JUIFS de Metz continuèrent à assurer par des dons «patrio­tiques » substantiels et fréquents leur adhésion à la Révolution. Ils avaient délégué, le 31 août 1789, leur coreligionnaire Berr Isaac à la barre de l'Assemblée constituante, demandant des droits identi­ques octroyés aux autres citoyens : liberté et droits de citoyen, abo­lition des taxes arbitraires, libre exercice de leur culte, conserva­tion des synagogues, etc. (121). L'Assemblée, peu favorable aux Juifs d'Alsace et de Lorraine, n'accorda, le 28 janvier 1790, la qua­lité de citoyens qu'aux seuls Juifs bordelais, portugais, espagnols et avignonnais. Pourtant, par décret du 18 avril 1791, l'Assemblée constituante « les mit sous la sauvegarde de la loi ; défendit à tou­tes personnes d'attenter à leur sûreté ». Un nouveau décret, daté du 7 août 1791, supprima « la redevance annuelle de 20.000 livres, levée sur les Juifs de Metz et du pays messin, sous la dénomination de droit d'habitation, protection et tolérance ». Cette mesure fut accueillie avec satisfaction à Metz. « En rendant à la société les membres de cette nation, dit un contemporain, nos législateurs phi­losophes vivifieront en même temps les arts, le commerce et l'agri­culture ; on pourrait encore ajouter que ce fera augmenter le nom­bre des acquéreurs des biens nationaux ». Ce n'est que par décret du

1 2 0 Arch. тип. de Metz, série D, n° 1 D 5. — Délibérations du 2 0 septembre 1791 . 1 2 1 Roger CLÉMENT, op. cit., p. 2 2 9 - 2 3 0 .

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27 septembre 1791 que les Juifs de France obtinrent les droits de citoyens actifs ; tous les « individus juifs » durent, par contre, prê­ter le serment civique. Signalons enfin que le poste de grand rabbin n'eut pas toujours de titulaire ; les syndics furent les personnes sui­vantes : Cerf Goudechaud, Mayer-Goudechaud-Cahen ; Cerf Alexan­dre Cahen, Moïse Hayem Bing, Joseph Gougenheim, Louis-Michel Wolf et Nathan Oulhef ; 1' « honoraire » fut Cerf-Beer, et le secré­taire de la communauté, Joseph Lévi (122).

4. LE PROBLÈME SCOLAIRE, LA VIE INTELLECTUELLE ET LES

RÉJOUISSANCES POPULAIRES. — On sait que l'Assemblée consti­tuante avait déclaré, dans sa séance du 13 octobre 1790, « qu'elle ne s'occuperait, quant à présent, d'aucune partie de l'instruction pu­blique ; cependant qu'afin que le cours de l'instruction ne soit pas arrêté, le Roi serait prié d'ordonner que les rentrées dans les collè­ges publics, à l'exception des séminaires, se feraient cette année à l'ordinaire » (123).

Absorbée par de multiples tâches, l'Assemblée préféra donc garder le statu quo ; elle décréta seulement, en tête de la Constitu­tion du 3 septembre 1791, qu'il SERAIT créé « une instruction publi­que commune à tous les citoyens, gratuite à l'égard des parties d'en­seignement indispensables pour tous les hommes » (124).

Des mesures proprement scolaires n'ayant donc point été prises en haut lieu, les changements, améliorations, mutations ou suppres­sions dans ce domaine revinrent aux municipalités. Celle de Metz se pencha immédiatement sur le sort de nos écoliers, de sorte que l'année scolaire 1789-90 se déroula normalement et la distribution des prix au collège se fit par exemple avec l'éclat habituel le 28 août 1790. « Le corps municipal s'était réuni à la maison com­mune, en est parti accompagné d'un détachement de la garde natio­nale et s'est rendu au collège de Saint-Symphorien où il a assisté à la distribution des prix» (125).

122 Almanach du département de la Moselle pour 1791, p. 261-263. 123 Almanach du département de la Moselle pour 1791, p. 187. 124 LAVISSE, Histoire de\ France contemporaine, t. I, p. 195. 125 Arch. mun. de Mets, série D, n° 1 D 4. — La municipalité accorde une somme de

|%7 livres à dom Colette, principal du collège Saint-Symphorien, pour achat de livres en vue de la distribution des prix. (Arch. mun. de Mets, série D, n° 1 D 4. — Délibérations du 6 juillet 1790.)

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Comme le problème religieux était intimement lié au problème scolaire, toutes les difficultés provinrent de l'application de la cons­titution civile du clergé. Jusqu'à cette date, en effet, le personnel et les bâtiments scolaires ne dépendaient que des autorités religieuses. L'Assemblée nationale voulut d'ailleurs parer au danger en décré­tant, le 1 3 février 1 7 9 0 , que rien ne serait changé à l'égard des maisons religieuses chargées de l'éducation publique, ceci pour empêcher les religieux, profitant de la liberté de sortir du cloître, d'abandonner au milieu de l'année scolaire leurs fonctions d'ensei­gnant.

Pour assurer la rentrée scolaire 1 7 9 0 - 9 1 , la municipalité de Metz, sous la direction du vigilant Pacquin (en fonction depuis le 1E R août 1 7 9 0 ) , fit des efforts désespérés pour garantir le maintien des cadres et des bâtiments indispensables. La municipalité précé­dente avait déjà décidé, dans sa séance du 2 3 juin 1 7 9 0 , que « Vad­ministration du collège lui appartenait exclusivement» ( 1 2 6 ) . On s'adressa, le 1 3 août 1 7 9 0 , au principal du COLLÈGE SAINT-SYMPHO-

RIEN, dom Colette, qui «réunissait à des talents éprouvés un civisme non moins connu» ( 1 2 7 ) , pour le prier d'engager ses anciens col­lègues bénédictins à enseigner au nouveau collège municipal sous l'état d'ecclésiastique séculier et en compagnie de laïcs. Ceci fut assez facilement réalisé, l'amour du métier ayant retenu presque tous les anciens professeurs, huit bénédictins sur dix, auxquels s'a­joutèrent six laïcs ( 1 2 8 ) . La ville assura leur traitement en puisant dans les revenus de l'ancien collège ; par contre, l'enseignement y fut rendu payant ( 1 2 9 ) .

1 2 6 Arch. шип. de Metz, série D, n° 1 D 4. 1 2 7 Arch. шип. de Metz, série D, n° 1 D 4. — Délibérations du 1 3 août 1790. 1 2 8 La liste des professeurs, établie par dom Colette, était la suivante : Principal :

Henry-Joseph Colette ; sous-principal : André Pierron (ancien prieur de Saint-Clément) ; professeur de physique : Jean-Baptiste Enard ; prof, de logique : Joseph Amiot ; prof, de rhétorique : Louis-Paul Le Blanc ; prof, de seconde : Jean-Pierre Bertrand ; prof, de troisième : Jacques Kalmar ; prof, de quatrième : Jean-Baptiste B4cef ; prof, de cinquième : Jean-Louis Reibell ; prof, de sixième : Jean-François Lombal ; prof, de géométrie : Guillaume Bernier l'aîné (de Saint-Arnould) ; prof, d'allemand : Sébastien Stentz (de l'abbaye d'Altroff) ; prof, d'an­glais : Hodson ; préfet des pensionnaires : François Bernier cadet (de Saint -Arnould). (Arch. шип. de Metz, série D, n° 1 D 4. — Délibérations du 1 3 août 1 7 9 0 ; ou P. LESPRAND, op. cit., t. I , p. 1 1 3 . )

1 2 9 Les traitements étaient bien modestes : le principal devait toucher 1 .200 livres par an ; le sous-principal, 6 0 0 livres ; le professeur de philosophie, 8 0 0 livres ; le prof, de mathématiques, 7 0 0 livres ; le prof, de langue, 6 0 0 livres, etc., avec tous les frais du personnel, le budget du collège fut fixé à 1 1 1 . 0 0 0 livres par an. (Arch. шип. de Metz, série D, n° 1 D 4. — Délibérations du 1 3 août 1 7 9 0 . )

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Le règlement du collège, préparé par une commission munici­pale, prévit un programme assez chargé : enseignement de la reli­gion, des mathématiques, de la physique, de la géographie, de la philosophie, du latin, de l'allemand et de l'anglais, et de deux nou­veautés : « les Droits de l'Homme et la Constitution de l'Empire français », et « les nouvelles divisions civiles et ecclésiastiques du royaume ». La rentrée des classes était fixée au I e r novembre ; deux heures de classe furent prévues matin et soir et congé mercredi et samedi après-midi. Les autres congés furent les suivants : deux jours pour la Pentecôte, la Trinité, la Fête-Dieu, l'Assomption et Noël, huit jours de vacances pour Pâques ; enfin, les grandes vacan­ces devaient commencer, pour les philosophes, à la fête de l'Assomp­tion, c'est-à-dire au 15 août, et pour les autres écoliers, au 1 e r sep­tembre (130).

Telles furent donc pour l'année scolaire 1790-1791 les prin­cipales décisions de la municipalité messine en ce qui concerne son « collège ». Que sont devenus les trois autres établissements, à sa­voir le collège royal Saint-Louis (131), le collège Saint-Clément et le collège Saint-Arnoult ? Ils durent fermer leurs portes, de même que les deux séminaires (132).

Pour l'enseignement primaire, aucune mesure ne fut prise par la municipalité. Sous la dénomination « d'écoles chrétiennes », les classes primaires continuèrent à fonctionner. Elles furent toujours dirigées par des religieuses ou par des prêtres assermentés ou non.

Tout semblait donc fonctionner normalement, quand la loi du 17 avril 1791, votée par l'Assemblée constituante, et prévoyant l'o­bligation formelle du serment civique de tous les enseignants, pro­voqua une crise de conscience de plusieurs d'entre eux et leur démis­sion à leurs fonctions. Pour ceux du collège, les places furent immé-

130 Arch. mun. de Metz, série D, n° 1 D 4, — Délibérations du 13 août 1790. 131 Le collège royal de Saint-Louis, à la « Maison du Fort », devait être évacué

pour- le mois d'août. Les élèves pensionnaires furent recueillis par le « collège de la ville pour y continuer leurs cours d'éducation ». Les bâtiments vides devaient être réservés au logement des militaires. (Arch. mun. de Metz, série D, n° 1 D 4. — Délibérations du 10 août 1790.)

132 LESPRAND donne de nombreux détails sur le sort du personnel et des biens des deux séminaires (op. cit., t. I I I , p. 69-75).

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diatement mises en concours. Les candidats, futurs professeurs, de­vaient produire un certificat de bonne vie et mœurs et savoir tra­duire plusieurs phrases de français en latin et de latin en français. Ce concours, ouvert aux laïcs et ecclésiastiques, se déroulerait à la mairie, devant un jury local et compétent. Les candidats reçus, géné­ralement hommes de lois, étaient tenus de prêter serment immédia­tement. C'est ainsi qu'entrèrent dans le cadre des professeurs du collège les personnalités suivantes : Didier Thirion, homme de loi de Thionville, devenu professeur d'histoire et de législation, futur député de la Moselle à la Convention nationale ; un des Roederer, professeur de commerce ; Jean-Louis-Claude Emmery, professeur de morale et de droit public, ancien député du bailliage de Metz aux Etats généraux, et beaucoup d'autres encore... (133).

La mesure sembla toucher l'enseignement primaire également, car les défections se firent plus nombreuses.

Par ailleurs, les deux séminaires de Metz cessèrent de fonc­tionner, leurs administrateurs et professeurs ayant refusé le serment civique (134).

Telle était donc la situation assez confuse de l'enseignement vers la fin du siège de l'Assemblée constituante ; mais, pour calmer les esprits, l'Assemblée décréta, avant de se séparer, le 26 septem­bre 1791, que « tous les corps et établissements d'instruction et d'é­ducation publique continueraient provisoirement d'exister sous leur régime actuel et suivant les mêmes lois, statuts et règlements qui les gouvernent» (135). Théoriquement, il est vrai qu'aucun change­ment important n'eut lieu avant 1793, mais, pratiquement, l'ensei-

133 Pour la rentrée de septembre 1791, le personnel du collège comprenait les ensei­gnants suivants : Colette, principal et professeur de philosophie ; Schmitz, profes­seur de latin ; Stemtz, professeur de français et latin ; Bricet et Du Teunetar, professeurs de latin ; Stentz, professeur d'allemand ; Bernier, professeur de mathématiques ; Casbois, professeur de physique ; Didier Thirion, professeur d'histoire et de géographie ; Rœderer, professeur de commerce ; Emmery, pro­fesseur de droit public ; Boyer, professeur d'histoire naturelle. — Nous cons­tatons quil ne reste que cinq professeurs de l'ancien personnel et que l'enseigne­ment de la langue anglaise fut supprimé. (Arch. mun. de Metz, série D, n° 1 D 5. — Délibérations du 27 août et du 1 e r septembre 1791.)

1^4 Arch. mun. de Metz, série D, n° 1 D 5. — Délibérations du 16 mai 1791. 135 Arch. mun, de Metz, série R.

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gnement devin! officiel, plus laïc, adapté aux nouvelles orienta­tions politiques et administratives. On voit s'ouvrir des cours de com­merce au tribunal de commerce, des cours de droit à l'ancienne intendance (136) et des cours de dessin dans la maison des Trini-taires (137). On constate aussi une évolution dans l'esprit des gens vis-à-vis des enseignants. Ces derniers sont maintenant surveillés, dénoncés même s'ils « professent des sentiments exagérés » ou bien « contraires au respect dû à VAssemblée nationale, au Roi et aux autorités constituées» (138). Et les élèves ? Ils sont devenus plus turbulents... s'il faut en croire les documents de l'époque. « Pendant le cours de Vannée scholastique qui vient de finir, relate un docu­ment, le désordre et la licence ont régné dans Vintérieur du collège ; les professeurs ont été insultés ; leur autorité a été méprisée et leurs talents pour Véducation sont devenus entièrement inutiles ; ils ne trouvaient dans ceux qu'ils avaient à former ni application ni goût pour Vétude » (139).

* **

La vie intellectuelle avait alors pour pôles d'attraction le théâ­tre et l'Académie de Metz. Les années 1790 et 1791 furent riches en fêtes et cérémonies, en un nombre incalculable de défilés, para­des, bals et réjouissances populaires. Si la rue était l'endroit pré­destiné pour ces spectacles, le théâtre n'accueillait, lui, qu'un nom­bre limité de festivants. Malheureusement, nous ne possédons pas pour cette période de renseignements sur les activités du groupe de comédiens de Metz. Deux nouveautés, pourtant ; le théâtre passe d'abord sous la dépendance directe de la municipalité. « L'Ancien Régime avait introduit, dit un document, sa verge de fer jusque dans ce temple du plaisir, enfant de la Liberté, mais VAssemblée natio­nale vient de rendre la police et l'inspection des spectacles aux offi­ciers municipaux ». Une autre nouveauté ensuite, la liberté de parole et de jeu est accordée aux acteurs. En effet, l'Assemblée consti­tuante, par son décret du 24 décembre 1789, «accueillit l'Adresse

136 Arch. mun. de Metz, série D, n° 1 D 5. — Délibérations du 1 e r septembre 1791. 137 On y enseigna « aux ouvriers et aux enfants sans fortune, les principes élémen­

taires de la géométrie pratique, de l'architecture et des différentes parties de dessin relatives aux arts mécaniques ». (Arch. mun. de Metz, série R., n° 1.)

138 Arch. mun. de Metz, série D, n° 1 D 6. — Délibérations du 25 juillet 1792. 139 Arch. mun. de Metz, série R, n° 1 R.

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intéressante d'un acteur de Metz en déclarant qu'il ne pourra être opposé à Véligibilité d'aucun citoyen d'autre motif d'exclusion que ceux qui résultent des décrets constitutionnels» (140). Il y avait donc évolution vers une institution du théâtre « municipal » et des « acteurs citoyens libres ».

Notons enfin un certain changement aussi dans l'esprit et dans le but des activités de la distinguée Société royale des sciences et des arts de Metz. Le 25 août 1790, jour de la Saint-Louis, elle tint sa séance publique traditionnelle et solennelle avec l'habituelle distri­bution des prix. Son président, Poutet (141), souligna dans son dis­cours que « la Société royale, qui a toujours fait son objet essentiel de l'utilité publique, a non seulement dirigé les travaux particuliers vers ce but de son institution, mais elle a cru devoir encore y rame­ner ceux des savants qui concourraient à ces prix... Aujourd'hui favorisée par Vadministration, secondée, secourue par les magis­trats à qui elle appartient plus particulièrement et qui remplaceront une protection privée par une protection publique dont elle s'hono­rera, l'Académie de Metz doit se régénérer, fleurir et prospérer ». Le président Poutet termina son allocution par un appel de respect et d'attachement au Roi, « restaurateur de la Liberté, qui a préféré son peuple à lui-même, et qui va nous donner une nouvelle exis­tence ». On passa ensuite à la distribution des prix. Comme nous l'avons vu, deux sujets furent proposés pour l'année 1790 ; le pre­mier avait pour titre : « Quels sont les moyens d'assurer la subsis­tance du peuple, de manière qu'en évitant les inconvénients de la disette, on ne porte pas de préjudice à l'agriculture ? » Les mémoi­res que l'Académie reçut sur cette étude ne méritèrent pas de récom­penses ; aussi, remit-elle de nouveau cette question à l'étude. Le deuxième sujet, pour 1790, eut pour titre : « Quels sont les moyens conciliables avec la législation française d'animer et d'étendre le patriotisme dans le Tiers-Etat ? » Le mémoire retenu et récompensé provenait du sieur Villaume, professeur de philosophie à Berlin ! Pour 1791, le deuxième sujet proposé avait été libellé comme suit :

140 Almanach du département de la Moselle pour 1791, p. 210-211. 141 Le « bureau » de l'Académie comprenait les personnalités suivantes : Le Payen,

secrétaire perpétuel ; Tennetar docteur en médecine, professeur de chimie, bibliothécaire ; Poutet, procureur général-syndic du département, directeur. (Almanach du département de la Moselle pour 1791, p. 188-190.)

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« Déterminer les différentes branches de culture de chaque canton du département de la Moselle, les rapports de commerce entre eux et de chacun d'eux avec l'étranger » (142). Le prix pour chacun des deux sujets proposés devait être une médaille d'or — de la valeur de 400 livres — distribué le jour de Saint-Louis, le 25 août 1791. Les mémoires pourraient être écrits en français ou latin et devraient être adressés au secrétaire avant le 1 e r juillet. Le 25 août 1791, l'Académie se réunit à l'accoutumée et constata avec regret que les mémoires présentés ne répondaient point à ses desseins ; néan­moins, elle distingua celui qui avait pour épigraphe : « Le gouver­nement ne fait pas les droits ». Pour le concours de l'année 1792, à la place du sujet définitivement retiré {Quels étaient les moyens d'assurer la subsistance...), l'Académie proposa le suivant : « Re­chercher quelle sera l'influence du reculement des barrières sur le commerce du département de la Moselle et indiquer les moyens d'en faciliter les relations avec les autres départements » (143).

Nous avons déjà dit que ces deux années, 1790 et 1791, avaient été marquées à Metz par de nombreuses réjouissances populaires. La Constitution n'avait-elle pas prévu qu' « il serait établi des fêtes nationales pour conserver le souvenir de la Révolution française, entretenir la fraternité entre les citoyens et les attacher à la Cons­titution, à la Patrie et aux Lois » ? Parmi les traditionnelles réjouis­sances populaires — et coûteuses — notons le « feu de la Saint-Jean », allumé d'ailleurs pour la dernière fois en 1790, sur la place de la Comédie (144) ; le « serment de la Garde nationale », ou sur la place de la Comédie ou sur la place du Fort, avec discours des autorités et défilé des gardes ; la fête de la « Fédération des gardes nationales », en mai 1790, au champ de Mars, avec la participation des gardes de la Moselle et des départements voisins (Meuse, Meur­trie, Vosges, Bas-Rhin), la réception de la Bannière du département de la Moselle le 28 juillet 1790 (145) ; ajoutons encore les nom-

1 4 2 Journal des dépassements, numéros du 2 septembre et du 9 septembre 1790 . 1 4 3 PAQUET, op. cit., t. I, p. 4 0 5 . 1 4 4 Arch. mun. de Mets, Délibérations des 2 3 , 2 5 et 2 6 juin 1 7 9 0 ; Pays lorrain, 1909,

p. 970 ; J . - J . BARBÉ, Les feux de la Saint-Jean. — La municipalité a supprimé en 1 7 9 1 cette réjouissance traditionnelle « ne servant qu'à entretenir Vesprit de fanatisme et de] superstition». (Délibérations du 2 1 juin 1 7 9 1 . )

1 4 5 Archives municipales de Mets. — Délibérations des 2 8 juillet ; 15 , 16, 17, 2 1 , 2 7 et 2 8 novembre ; 7 décembre 1790.

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breuses cérémonies religieuses, comme les processions des Roga­tions, de la Fête-Dieu, de l'Assomption, de saint Marc, de la châsse de saint Etienne, de sainte Sereine (pour obtenir le temps sec) ; comme les Te Deum chantés à différentes reprises (pour le rétablis­sement de la santé du roi en mars 1791, à l'occasion de l'accepta­tion de la Constitution en septembre 1791, etc.) ; il y avait aussi des cérémonies funèbres (à l'occasion de la mort de Franklin en juin 1790, de Mirabeau en avril 1791); des proclamations (celle de la Constitution de 1791) ; la fête du 14 juillet (la loi du 28 fé­vrier 1790 prévit pour ce jour le serment obligatoire de tous les militaires) et bien d'autres manifestations publiques avec partici­pation des autorités, discours des principaux personnages, défilé des troupes, illuminations des places de la ville, salves d'artillerie des remparts, distribution du pain aux pauvres, etc. ; tout fut savam­ment orchestré pour que le peuple oubliât ses soucis et adhérât de cœur et d'esprit à la Révolution.

{A suivre.)