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Nutr Clin Mdtabol 1998; 12:13-20 Nutrition pr~op~ratoire en chirurgie visc~rale programm~e de l'adulte : ~valuation des pratiques dans un service de chirurgie d'un h6pital universitaire Jean-Fabien Zazzo ~, Gilles Troch~ ~, Martine Brosseau 2 1. D~partement d'Anesth6sie-R6animation. 2. Technicienne d'~valuation, H6pital Antoine-B~cl6re, Clamart. R(~sumd Les indications de nutrition pr~op~ratoire ont ~t~ pr~cis6es par une Conference de Consensus qui s'est tenue en France en d~cembre 1994. Afin d'~valuer l'impact de ces recommandations, nous avons men~ une enqu~te dans un service de chirurgie d'un hfipital universitaire chez 100 patients admis cons~cutivement pour une chirurgie digestive programm~e. Le but de cette ~tude a ~t~ d'~valuer de fagon prospective la prise en charge nutritionnelle pr~op~ratoire. Vingt patients souffraient d'une d~nutrition fi l'admission (perte de poids moyenne de 13,8 kg). Les 80 patients sans d~nutrition n'ont pas regu de nutrition pr~op~ra- toire. Parmi les 20 patients d~nutris, 5 seulement ont b~n~fici~ d'une renutrition pr~op~ratoire dont 4 d'une dur~e conforme aux recommandations. Ces r~sultats sont semblables aux audits publi~s t~moignant d'un mauvais impact. Mots cl6s : Audit, ~valuation de 1'6tat nutritionnel, malnutrition hospitaliere, nutrition pr#op#ratoire. Correspondance • Dr J.-F. Zazzo, DAR, H6pital Antoine-B6cl6re, BP 405, 157, rue de la Porte-de-Trivaux, 92141 Clamart cedex. Regu le 21 juillet 1997, accept6 pour publication apres r6vision le 26 septembre 1997. 13

Nutrition préopératoire en chirurgie viscérale programmée de l'adulte : évaluation des pratiques dans un service de chirurgie d'un hôpital universitaire

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Nutr Clin Mdtabol 1998; 12:13-20

Nutrition pr~op~ratoire en chirurgie visc~rale programm~e de l'adulte : ~valuation des pratiques dans un service de chirurgie d'un h6pital universitaire

J e a n - F a b i e n Zazzo ~, Gilles Troch~ ~, Martine Brosseau 2

1. D~partement d'Anesth6sie-R6animation. 2. Technicienne d'~valuation, H6pital Antoine-B~cl6re, Clamart.

R(~sumd

Les indications de nutrition pr~op~ratoire ont ~t~ pr~cis6es par une Conference de Consensus qui s'est tenue en France en d~cembre 1994. Afin d'~valuer l 'impact de ces recommandations, nous avons men~ une enqu~te dans un service de chirurgie d'un hfipital universitaire chez 100 patients admis cons~cutivement pour une chirurgie digestive programm~e. Le but de cette ~tude a ~t~ d'~valuer de fagon prospective la prise en charge nutritionnelle pr~op~ratoire. Vingt patients souffraient d'une d~nutrition fi l'admission (perte de poids moyenne de 13,8 kg). Les 80 patients sans d~nutrition n'ont pas regu de nutrition pr~op~ra- toire. Parmi les 20 patients d~nutris, 5 seulement ont b~n~fici~ d'une renutrition pr~op~ratoire dont 4 d'une dur~e conforme aux recommandations. Ces r~sultats sont semblables aux audits publi~s t~moignant d'un mauvais impact.

Mots cl6s : Audit, ~valuation de 1'6tat nutritionnel, malnutrition hospitaliere, nutrition pr#op#ratoire.

Correspondance • Dr J.-F. Zazzo, DAR, H6pital Antoine-B6cl6re, BP 405, 157, rue de la Porte-de-Trivaux, 92141 Clamart cedex. Regu le 21 juillet 1997, accept6 pour publication apres r6vision le 26 septembre 1997.

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J.-F. ZAZZO

Introduction

La malnutrition est un facteur d~terminant et ind6- pendant du pronostic chez les patients m6dicaux et chirurgicaux. En chirurgie, les complications infec- tieuses, le retard de cicatrisation, les complications respiratoires, l 'allongement de la dur~e de s6jour hospitalier [1], la d6t~rioration de la qualit6 de vie [2] et, partant, l 'augmentation des cofits sont li6s en partie fi l'6tat nutritionnel [3, 4]. La malnutrition est elle-m~me source d'une aggravation de l'6tat nutri- tionnel par l'anorexie qu'elle induit et le retard fi la r6cup~ration d'une autonomie alimentaire [5]. Des conf@ences de consensus ou des avis d'experts ont conclu au b6n~fice de la r~alisation d'une renu- trition pr~op6ratoire chez les patients s6v6rement d~nutris et, fi l'inverse, fi l'inutilit6 voire aux conse- quences n6fastes chez les patients non ou mod~r6- ment d6nutris [6-16]. L'impact de ces recommandations a eu peu d'effets, comme cela a d~jfi 6t6 relev~ pour d'autres sujets [17]. Pour juger de l ' impact de la conf6rence de consensus frangaise, l'~quipe de P. Boul~treau a r6alis6 une 6tude descriptive des pratiques en France avant la conference de consensus [18] puis une ~tude d'impact des recommandations dans l'ann6e qui a suivi la large diffusion de ces recommandations [19]. I1 apparaft, au travers de ces deux 6tudes, que la nutrition pr6op6ratoire chez les patients d6nutris n'~tait r6alis~e que chez 40 % des patients avant la conf6rence et 26 % apr6s (p = 0,18). Le but de notre 6tude a 6tO d'~valuer de fagon prospective la prise en charge nutritionnelle pr6op~- ratoire des adultes admis dans un service de chirur- gie g~n6rale pour une chirurgie programm6e et de v~rifier si les recommandations de la conf6rence de consensus frangaise 6taient suivies.

Patients et mdthodes

Tousles patients de plus de 18 ans, admis cons6cuti- vement entre le 1 er avril et le 30 septembre 1996 pour chirurgie digestive, ont ~t~ inclus dans l'6tude. N'ont pas ~t~ inclus : les patients admis pour chirurgie d'urgence, chirurgie pari~tale (hernies, ~ventrations), chirurgie orthop6dique, biopsies chirurgicales, chi- rurgie vasculaire. L 'organisat ion de l'enqu~te a ~t6 la suivante (Figure 1) : une fiche r6dig6e pour cette enqu~te 6tait/t la disposition des anesth6sistes-r~animateurs dans les sites off sont effectu~es les consultations d'anesth6sie des patients externes et au secr6tariat du d~partement pour les consultations qui 6taient r6alis6es dans les services de m6decine ou de chirur- gie pour les patients d6jfi hospitalis~s (Figure 2). La m6thodologie de l'~tude a 6t~ expliqu~e/t l'ensemble

fo rma t ion J- 15

fo rmat ion J-8

m ¢D

conference de consensus d~cembre 1994

publication - diffusion mars 1995

avril 1997

septembre 1997

Figure 1 ." Organisat&n de l'enqu~te. Audit organization.

de l'6quipe A deux reprises, lors des r6unions hebdo- madaires du service, 15 jours et 8 jours avant le d6but de l'enqu~te. Cependant, les recommandations de la conf6rence de consensus n'ont volontairement

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NUTRITION PRI~OPI~RATOIRE • AUDIT

Commission d'l valuation l~valuation du risque << nutritionnel >> en pr~op~ratoire

Chirurgie visc~rale r~gl~e de l'adulte

/~ REMPLIR A LA CONSULTATION D'ANESTHI~SIE

N o m P r 6 n o m :

Sexe : A g e :

Pa tho log ie : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Te r ra in : [] c i r rhose sans ascite c i r rhose avec ascite

[] insuff isance ca rd i aque [] insuff isance respi ra to i re ch ron ique

insuff isance r6nale ch ron ique [] diabbte i n su l inod6pendan t

V I H cor t i co th6rap ie au long cours (~> 8 jours)

D a t e de consu l t a t ion : . . . . . . . . . . . . . . . D a t e d 'hosp i ta l i sa t ion : . . . . . . . . . . . . . . . .

D a t e d ' in te rven t ion : . . . . . . . . . . . . . . . .

Type d ' in te rven t ion : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Poids actuel • kg Taille • c m

Per te de poids de t> 10 % au cours des 6 dern ie rs mois •

n o n [] oui []

Per te de poids de > 5 kg en < 3 mois •

n o n [] oui []

A l b u m i n 6 m i e (si disponible) •

> 35g/1 [] ~ 35g/1 []

c o m b i e n •

[] n o n faite

/t rempl i r au bloc

,.- .~

Le pa t ien t a-t-il b6n6fici6 d ' une nu t r i t i on pr6op6ra to i re ?

n o n [] dur6e (j)

oui [] si oui : [] suppl6ments o raux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

[] nu t r i t i on ent6rale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

[] nu t r i t i on paren t6ra le . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ,. J

Rbcup~ration de cette feuille dans le dossier d'anesth6sie le jour de l 'intervention (en salle de r6veil)

Figure 2: Questionnaire

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J.-F. ZAZZO

pas 6t6 rappel6es. Celles-ci avaient 6t6 pr6sent6es et comment6es /t deux reprises lors de la publication des conclusions du jury diffus6es en mars 1995. Pendant l'enqu&e, tousles 15 jours, un rappel a 6t6 effectu6 aupr6s des anesthbsistes de l'6quipe visant fi optimiser la compliance au projet. En fonction des informations recueillies lors de la consultation d'anesth6sie (pathologies chroniques, pathologie actuelle et type de chirurgie s'y rappor- tant, poids actuel, taille, amaigrissement et 6ventuel- lement valeur de l'albumin6mie pr6opbratoire), le m6decin anesth6siste btait libre de proposer ou non une nutrition prbop6ratoire et d'en discuter l'indica- tion avec le chirurgien. La fiche plac6e dans le dossier d'anesth6sie 6tait r6cup6r6e en salle de r6veil, apr~s l 'intervention, pour exploiter les informations disponibles. L'ex- haustivit6 des informations a 6t6 not6e et lorsque cela 6tait n6cessaire, un retour au dossier m6dical du patient ou un interrogatoire de ce dernier apr6s l ' intervention a permis de compl6ter les donn6es manquantes. Les auteurs de cet article n'ont pas particip6 aux consultations d'anesth6sie. Les patients ont 6t6 class6s en normonutris et en moyennement ou s6v6rement d6nutris selon les cri- t6res cliniques de la conf6rence de consensus et, lorsque la donn6e 6tait disponible, l'albumin6mie. Les crit6res d'une d6nutrition moyenne ou s6v6re 6talent : - u n e perte de poids d'au moins 10% du poids de forme au eours des 6 derniers mois et/ou - une perte de poids de 5 kg au cours des 3 derniers mois et/ou - une albumin6mie inf6rieure/t 35 g/L. La mesure de l'albumin6mie n'&ant pas syst6ma- tiquement requise, l'index de Buzby [20] n'a pas 6t6 calcul& Lorsqu'une nutrition a 6t6 institu6e en pr6op6ra- toire, sa vole d'administration, sa nature et sa dur6e ont 6t6 relev6es et compar6es aux recommandations. ~< Une dur6e moyenne de 10 jours (7 jours au mini- mum) permettrait une am61ioration de l'6tat nutri- tionnel objectiv6e par une prise de poids (2 kg en moyenne, hors oed~mes)... ~> [16]. Les valeurs sont exprim6es en moyenne + d6viation standard (m + ds). Cette 6tude a 6t6 propos6e /t la Commission d '6valuation de l 'H6pital Antoine- B6cl6re qui a valid6 sa m6thodologie.

R6sultats

Cent patients ont 6t6 inclus dans l'6tude en 6 mois, 48 bommes et 52 femmes. L'fige moyen 6tait de 55 + 18 ans (extr6mes, 16 fi 89 ans). I1 n'y avait pas de diff6rence entre les deux sexes. La r6partition des pathologies est repr6sent6e dans le tableau I.

Tableau I ." R@artition des pathologies dont souffraient Ies patients inclus dans l~tude.

Diseases of the population studied.

nombre de pathologies patients (%)

Lithiase v6siculaire simple ou compliqu6e 26 (26 %) Pathologies coliques b6nignes ou malignes 22 (22 %) Tumeurs bbnignes ou malignes du foie Hernie hiatale Pathologies pancr6atiques Sub-occlusions Cancers cesogastriques Autres

19 (19 %) 9 (9 %) 6 (6 %) 6 (6 %) 5 (5 %) 7 (7 %)

II existait une perte de poids d'au moins 10% du poids de forme au cours des 6 derniers mois chez 18/100 patients. La perte de poids moyenne 6tait de 13,8 + 10,2 kg (extremes, 3 fi 40 kg). I1 existait une perte de poids r6cente (moins de 3 mois) d'au moins 5 kg chez 2 patients. Le r6sultat d'un dosage r6cent de l'albumin6mie n'6tait disponible dans le dossier que 12 fois sur 100. I1 6tait 6 fois infbrieur fi 35 g/L. Dans aucun des cas, cet examen n'a 6t6 demandb dans le cadre d'un bilan de l'~tat nutritionnel. Selon les recommandations de la conf6rence de consensus, 20 patients auraient dfi b6n6ficier d'une nutrition pr6op6ratoire. Dans notre s6rie, seuls 5 patients (25 %) ont b6n6fici6 de cette th6rapeutique. Les pa- thologies dont souffraient les 20 patients sont indi- qu6es dans le tableau II. Chez les patients d~nutris, le d61ai moyen entre la consultation d'anesth6sie et l 'intervention chirurgicale est indiqu~ dans le ta- bleau III. Pour les 15 patients d6nutris, l 'indication d'une nu- trition pr6op6ratoire n'a 6t~ propos6e ni par l'anes- th6siste ni par l'6quipe chirurgicale. Ces patients ont tous consultb en premi6re ligne l'un des chirurgiens du service sur les conseils de leur m6decin traitant ; aucun n'a 6t6 prbalablement hospitalis6 dans un des services de m6decine de l'6tablissement off l'6tat nu- tritionnel aurait pu &re 6valu6 et une indication de renutrition pos6e. Pour les 5 patients d6nutris et ayant bbn6fici6 d'une nutrition pr6op6ratoire, le type de nutrition, la dur6e et le lieu de l'indication sont mentionn6s dans le tableau IV. Les complications de la chirurgie n'ont pas 6t6 relev6es en raison du petit effectif de patients qui n'aurait pas permis de rap- porter ces complications fi l'6tat nutritionnel. Pour les 80 patients non d6nutris, aucune nutrition pr6op6ratoire n'a 6t~ prescrite. Enfin, la compliance de l'6quipe d'anesth6sie pen- dant l'enqu&e n'a pas 6t6 totale puisque 55 % des

16

N U T R I T I O N PRI~OPI~RATOIRE : AUDIT

Tableau H ." Pathologies et types d'intervention des patients d4nutris selon Ia prise en charge nutritionnelle. Diseases and surgery procedures of undernourished patients with or without preoperative nutrition.

patients d~nutris

pathologies

Cancer primitif du foie Cancer secondaire du foie Sigmoidite Cancer de l'cesophage Cancer de l'estomac Cancer du pancreas Pancr6atite chronique Cancer du c61on ou rectum Carcinose p~riton6ale Lithiase v~siculaire Lithiase et plaie de la VBP M I T D

type de ehirurgie

H6patectomie H~patectomie Colectomie gauche (Esophagectomie / gastroplastie Gastrectomie totale Duod~nopancr6atectomie c6phalique Anastomose bilio-pancr~atique Colectomie/amputat ion D6rivations digestives Chol~cystectomie Anastomose bilio-digestive R~section digestive

sans nutrition pr6op6ratoire (n)

1

4 4 1 1 2

avec nutrition pr~op~ratoire (n)

VBP = voie biliaire principale, MITD = maladies inflammatoires du tube digestif.

Tableau III: D~lai entre la consultation d'anesthdsie et l'intervention chirurgicale dans le groupe sans nutrition prdopdratoire et le groupe avec nutrition prdop4ratoire.

Delay between anesthesiologist visit and day of surgery in the two groups.

d~lai (jours) moyenne ~cart type 6carts

consultation-intervention hospitalisation-intervention

consultation-intervention hospitalisation-intervention

patients sans nutrition pr~op6ratoire (n = 15)

7,33 6,25 0 - 25 5,33 6,60 1 - 24

patients avec nutrit ion pr~op6ratoire (n : 5)

10,60 6,99 3 - 18 18,60 12,90 1 - 34

Tableau IV: Caract4ristiques de la nutrition pr4opdratoire. Preoperative nutritional intervention.

patient n ° lieu de l'indication dur~e type

1 m6decine 26 jours NPT 2 m6decine 20 jours suppl, oraux 3 m6decine 27 jours NEDC + suppl, oraux 4 chirurgie (anesth~siste) 13 jours N ED C 5 chirurgie (chirurgien) 3 jours NPP

NPT = nutrition parent~rale totale, NEDC = nutrition ent~rale A d~bit continu, NPP = nutrition parent6rale p6riph~rique.

17

J.-F. ZAZZO

fiches ~taient soit manquantes, soit incompl~tement remplies et ont dfi faire l'objet d'un contr61e par les auteurs /t partir du dossier m+dical ou de l'interro- gatoire du patient lui-m~me, apr~s l'intervention.

Discussion

Le but de cette 6tude 6tait de v6rifier, dans notre 6tablissement, l'application de la premiere recom- mandation de la Conference de Consensus frangaise sur les conditions de nutrition pr~op~ratoire. Cette indication, valid6e pour les patients s6v~rement d6- nutris et en dehors de l'urgence, concernait 20 % des patients de l'btude. Cette d6nutrition n'est pas mar- ginale puisque la perte moyenne de poids ~tait de 13,7 kg essentiellement chez des patients porteurs d'une pathologie n6oplasique et pour une proc6dure chirurgicale majeure (14/20). Cette pr+valence se situe plut6t ~ la limite inf6rieure des donn~es pu- bli6es dans la litt6rature (10 fi 55%) [21-23]. Dans l'enqu~te r6alis~e avant la conf6rence de consensus sur les pratiques de la nutrition p6riop6ratoire en France, par Lanoir et al. [18], 13% des patients avaient une perte de poids d'au moins 10 % de leur poids habituel depuis les 6 derniers mois. Comme cela a 6t6 clairement d~montr6, des alt6rations fonc- tionnelles progressives apparaissent d~s que la perte de poids d~passe 10% du poids habituel et sont corr616es ~i la fr6quence de survenue des complica- tions postop6ratoires [24-28]. La premiere d6marche consiste /t identifier clairement les patients s6v6re- ment d6nutris par un interrogatoire et un examen clinique. Dans notre 6tude, cette information n'6tait disponible que dans 55 % des cas bien qu'il s'agissait d'une enqu~te prospective ayant fait l'objet d'une mise en place acad~mique et de relances r~p~t6es. L'absence de sensibilisation sur ce point a d6jfi ~t6 rapport6e par de nombreux auteurs. Dans l'6tude de McWhirter et al. [29], les dossiers de 200 patients d6nutris fi l'admission fi l'h6pital ne comportaient que 96 fois une information sur l'~tat nutritionnel. Dans l'6tude de Lennard-Jones et al. [30], 450 infir- mitres et 319 m6decins juniors ont ~t~ consult6s dans 70 ~tablissements hospitaliers pour connaitre les informations recueillies aupr~s de leur dernier consultant. Le poids habituel n'a 6t6 demand+ que dans 39% des cas et transcrit sur le dossier dans 59% des cas seulement ; la taille n'a 6t6 recueillie que dans 5 % des cas ; la notion de perte de poids inform6e dans 73 % des cas. La prescription d'une pes6e n'a ~t6 formul6e que dans 34 % des cas et le r6sultat transcrit que dans 78 % des cas. Aux ques- tions << pour quelles raisons vous n'avez pas pos~ de questions concernant l'+tat nutritionnel >> les r~pon- ses ont 6t6 respectivement ~< manque d'instruction >> dans 18% des cas, << manque de temps >> dans 22%

des cas et << parce que cela n'a pas d'importance >> dans 60 % des cas. Aucun des patients non ou mod6r~ment d6nutris n'ont b6n~fici6 d'une nutrition pr~op+ratoire. Pour cette cat6gorie, l'attitude 6tait conforme aux recom- mandations. Dans l'enqu~te << avant la conf@ence >> de Lanoir et al . , 12°/,, des patients non d6nutris avaient regu de fagon n~s~ justifi6e une nutrition pr6- op6ratoire ; dans l'enqu5te << apr6s la conf6rence >>, seulement 7 % des patients non d6nutris recevaient une telle nutrition ; cette diminution est certes signi- ficative (p --- 0,01) mais particuli~rement modeste [19]. Dans cette m~me 6tude, au sein d'un groupe contr61e aveugle aux recommandations frangaises (h6pitaux anglais), la pratique d'une nutrition pr6o- p~ratoire non justifi~e ~tait observ~e dans 2% des c a s .

Dans notre 4tude, seuls 25 % des patients d4nutris (5/20) avaient b6n6fici6 d'une nutrition Pr6op6ra - toire. Dans les deux 6tudes cit6es ci-dessus, la nutri- tion pr6op6ratoire justifi6e n'6tait prescrite que dans 40 % des cas avant la conf6rence et 26 % des cas apr6s la conf6rence, en France, et respectivement dans 24 % et 37 % des cas en Angleterre. Ces r6sul- tats sont donc similaires aux nbtres en ce qui concerne la nutrition des patients qui pourraient en b6n6ficier. Les d61ais moyens observ6s entre la date de la consultation d'anesth6sie et la date d'interven- tion, pour les 15 patients non trait6s, auraient permis d'organiser une nutrition pr6op6ratoire sans retarder l'intervention. La non-application des recomman- dations n'est donc pas le fait de l'organisation du circuit des patients dans ce service. I1 s'agissait dans tous les cas de patients qui avaient ~t6 recrut~s directement par le service de chirurgie. A l'oppos6, parmi les 5 patients qui ont b6n6fici~ d'une nutrition pr6op6ratoire, 3 avaient 6t6 adress6s par un service de m6decine au sein duquel l'6quipe m6dicale avait pos~ l'indication d'une nutrition ind6pendamment du circuit anesth6sie-chirurgie. Le quatri6me patient avait b6n6fici6 d'une nutrition sur l 'indication de l'anesth6siste et le cinqui6me sur l ' indication du chirurgien. Dans 4/5 cas, la dur~e, la voie d'adminis- tration et la composition de la nutri t ion 6taient conformes aux recommandat ions ; pour le cin- qui6me patient, la dur6e de la nutrition ~tait de 3 jours seulement pour une dur~e minimum recom- mand6e de 7 jours. Au regard des r6sultats de notre 6tude, la sensibilisa- tion du corps m~dical reste /t faire en mati6re de prise de conscience et de prise en charge de l'6tat nutritionnel des patients hospitalis6s. En l'absence d'enqu~te nationale sur un grand 6chantillon, il n'est pas possible de consid~rer nos r6sultats comme repr6sentatifs du comportement du corps m6dical dans notre pays. L'enqu~te << avant/apr~s >> de Lanoir et al. incite fi 6tre pessimiste.

18

N U T R I T I O N PRI~OPI~RATOIRE : A U D I T

L ' impact des Conf6rences de Consensus ou des avis d 'experts, bien que la rgement diffus6s, est faible comme l 'on montr~ les 6tudes d ' impact sur la nutri- tion [31] ou d'autres sujets comme la pratique de la c6sarienne au Canada [17]. A l'oppos6, l ' impact de la Conf6rence de Consensus sur les pratiques de prescr ipt ion d 'a lbumine semble meilleur mais au prix d'audits r~p~t~s et en raison d 'un sujet plus << sensible >> que celui de la d~nutrition et d 'une organisat ion plus standardis6e des modes de pre- scription de ce produit [32]. L'enseignement de la nutri t ion est encore sous-d6velopp~ en France au cours des 6tudes m6dicales et son champ d'interven- tion transversal rend cette tfiche encore plus difficile. La structuration de l 'enseignement de la nutrition clinique a fait la preuve de son efficacit6 dans certains pays. La prise en charge intra-hospitali+re de la malnutrit ion a, en effet,,permis d 'observer une diminut ion de celle-ci aux Etats-Unis entre 1976 (62%) et 1988 (46%) [33]. Des co r r e spondan t s motiv6s dans chaque service ou unit6, v~ritables << leader d'opinion >> devraient permettre d 'obtenir une meilleur diffusion des recommandat ions dans ce domaine. Des mesures d ' impact de la malnutr i t ion hospita- li~re, no tamment en milieu chirurgical, manquent encore en France. Si une nutr i t ion pr6op6ratoire non justifi6e est une source de d6pense facilement identifiable et d~nonc6e, elle sert souvent de pr6texte /t l 'opposition de cette pratique dans la population hospitali6re en g6n~ral. L ' impact de la malnutri t ion a pour tant ~t~ mesur6 ailleurs et sa pr6vention de- vrait constituer un objectif dans nos h6pitaux [1, 3, 4, 34].

Conclusion

L ' impac t de la Conf6rence de Consensus sur la nutri t ion p6riop~ratoire de l 'adulte en chirurgie di- gestive programm~e est faible comme en t6moignent les r6sultats de notre btude por tan t sur 100 patients hospitalis6s cons6cutivement. Vingt pour cent des patients avaient une d~nutrition s6v~re et seulement 25 % d'entre eux ont b6n6fici~ d'une nutrit ion pr6- op6ratoire dont la dur6e 6tait conforme 4 fois sur 5. I1 serait du devoir de tout m6decin de mettre en oeuvre des moyens cliniques simples pour d6pister la malnutr i t ion/ t l 'admission/t l 'hgpital tant en chirur- gie qu'en m~decine. Cette d6marche pr61iminaire ne n6cessite pas une formation acad6mique mais une sensibilisation de tous les instants. Un am6nagement de la feuille de consultation d'anesth6sie a ~t6 sug- g6r6 fi la suite des r6sultats de cet te enqu~te, compor tan t outre le poids et la taille du patient, les variat ions de poids depuis les 6 derniers mois et l 'orientation optionnelle vers une assistance nutri-

tionnelle pr6op6ratoire e t /ou postop6ratoire. Une fois le diagnostic de malnutri t ion ~tabli, l 'appel / t un r6f6rent, si possible par service, devrait permett re une prise en charge rationnelle et conforme aux der- ni6res donn6es de la science. Apr~s quelques mois d'utilisation, une nouvelle enqu~te sera r~alis~e pour 6valuer l'efficacit~ de cette proposition en chirurgie.

Remerciements

Les auteurs remerc ien t l 'ensemble des m6decins anesth~sistes-r~animateurs qui ont accept6 de parti- ciper/t cette 6valuation.

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