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UNIVERSITÉ PANTHÉON-ASSAS (PARIS II)
Année universitaire 2017-2018
TRAVAUX DIRIGÉS - 2ème année de Licence en Droit
DROIT CIVIL
Cours de Monsieur le Professeur Nicolas MOLFESSIS
_______________________________________________
Distribution : du 19 au 23 février 2018
ONZIÈME SÉANCE
LA RÉFORME DE LA RESPONSABILITÉ CIVILE
--------------------------------------------------------------------------------------------------
I. - Vers une réforme de la responsabilité civile. - Après l’ordonnance n° 2016-131 du 10
février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des
obligations, l’évolution de notre Code civil pourrait prochainement procéder de la réforme du
droit de la responsabilité extracontractuelle, dont l’étude occupera le semestre.
Pour l’essentiel, les rares dispositions relatives à la responsabilité civile sont en effet
demeurées inchangées depuis 1804, de sorte que le droit de la responsabilité civile apparaît
comme un droit presqu’entièrement prétorien, « un droit qui est né à coups de conflits » selon
l’expression du doyen Carbonnier. Or, depuis plus de deux siècles, les évolutions de la
matière ont été considérables, face à l’industrialisation de la société, aux progrès techniques et
scientifiques, à l’émergence de nouveaux risques sanitaires et environnementaux ainsi qu’à
l’apparition de nouvelles catégories de préjudices réparables. Du reste, au-delà des
changements mentionnés, ce sont les fonctions de la responsabilité civile qui évoluent.
Classiquement destinée à réparer des dommages, c’est vers la prévention de leur apparition
que la responsabilité civile s’oriente désormais.
Aussi, ainsi que le souligne la présentation de l’avant projet de réforme présenté le 13 mars
2017, « si la jurisprudence a su faire preuve d’une remarquable capacité d’adaptation, il est
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temps de moderniser notre Code civil ». En ce sens, le Garde des sceaux, Jean-Jacques
Urvoas, a souligné la nécessité impérieuse de réformer enfin ce pan du droit des obligations,
d’une part pour pouvoir compter sur un droit lisible, transparent et porteur de sécurité
juridique, d’autre part pour adapter nos règles aux enjeux économiques et sociaux du XXIème
siècle.
Durant tout le semestre, il s’agira par conséquent de confronter le droit positif à ce projet :
http://www.justice.gouv.fr/publication/Projet_de_reforme_de_la_responsabilite_civile_13032
017.pdf
Document 1 : G. Viney, « L’espoir d’une recodification du droit de la responsabilité civile »,
D. 2016.1378.
Document 2 : Discours de M. Jean-Jacques Urvoas, Garde des sceaux, ministre de la justice :
Présentation du projet de réforme du droit de la responsabilité civile, Académie des sciences
morales et politiques, 13 mars 2017.
II. - Exercice :
Les étudiants prépareront un argumentaire rédigé et ordonné sur les justifications de la
réforme de la responsabilité civile.
Le Code civil et le projet de réforme sont obligatoires pour chaque séance de TD.
III. - Bibliographie.
- J.-L. AUBERT, J. FLOUR, E. SAVAUX, Droit civil, Les obligations, Le fait juridique, t. 2, Sirey, 14e éd.,
2011
- L. AYNÈS, Ph. MALAURIE, Ph. STOFFEL-MUNCK, Droit des obligations, LGDJ, 9e éd., 2017
- M. BACACHE-GIBEILI, Traité de droit civil, Les obligations, la responsabilité civile extracontractuelle, t. 5,
3e éd., 2016
- A. BÉNABENT, Droit des obligations, LGDJ, coll. Précis Domat, 16e éd., 2017
- P. BRUN, Responsabilité civile extracontractuelle, LexisNexis, 4e éd., 2016
- Y. BUFFELAN-LANORE, V. LARRIBAU-TERNEYRE, Droit civil: les obligations, Sirey, 15e éd., 2016
- R. CABRILLAC, Droit des obligations, Dalloz, coll. Cours, 12e éd., 2016
- H. CAPITANT, F. CHÉNEDÉ, Y. LEQUETTE, F. TERRÉ, Les grands arrêts de la jurisprudence civile, t. 2,
Dalloz, 13e éd., 2015
- J. CARBONNIER, Droit civil, Les biens, les obligations, t. 2, Puf, Quadrige, rééd. 2017
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- M. FABRE-MAGNAN, Droit des obligations, Responsabilité civile et quasi-contrats, t. 2, Puf, thémis, 3e éd.,
2013
- B. FAGES, Droit des obligations, LGDJ, coll. Manuels, 7e éd., 2017
- D. FENOUILLET, Ph. MALINVAUD, M. MEKKI, Droit des obligations, Lexisnexis, 14e éd., 2017
- F. TERRÉ, Ph. SIMLER, Y. LEQUETTE, Droit civil, Les obligations, Dalloz, coll. Précis, 11e éd., 2013
- G. VINEY, Introduction à la responsabilité, LGDJ, 3e éd., 2008
- J. GHESTIN, P. JOURDAIN, G. VINEY, Les conditions de la responsabilité, LGDJ, 4e éd., 2013
- S. CARVAL, P. JOURDAIN, G. VINEY, Les effets de la responsabilité, LGDJ, 4e éd., 2017
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Document 1 : G. Viney, « L’espoir d’une recodification du droit de la responsabilité civile », D.
2016. 1378.
L'initiative prise par le garde des Sceaux de soumettre à une consultation publique un avant-projet de loi
intitulé « Réforme de la responsabilité civile » destiné à refondre les dispositions du code civil consacrées à
la responsabilité était nécessaire pour différentes raisons.
Elle s'imposait, d'abord, pour compléter la réforme du droit des obligations réalisée par l'ordonnance n°
2016-131 du 10 février 2016, celle-ci ayant laissé en suspens beaucoup de questions concernant la réparation
des conséquences de l'inexécution du contrat (1), mais elle était également attendue par ceux qui souhaitent
depuis longtemps la clarification et la modernisation du droit de la responsabilité civile (2). À partir des
quelques textes très elliptiques qui figurent dans le code de 1804 (art. 1382 à 1386 et 1146 à 1155), la
jurisprudence a, en effet, édifié une construction très élaborée destinée à répondre aux besoins de la pratique,
notamment à l'explosion des demandes d'indemnisation provoquée par la multiplication des accidents dus,
depuis le début de l'ère industrielle, à l'utilisation de produits et d'appareils présentant certains risques. Or,
pour remarquables qu'aient été ces efforts d'adaptation à la réalité, le fait que beaucoup d'évolutions soient
restées du seul ressort des tribunaux a provoqué un décalage complet entre le droit écrit et le droit appliqué,
ce qui compromet la lisibilité de celui-ci par les justiciables et laisse subsister des imprécisions imputables
aux hésitations, bien légitimes, des juges qui sont ainsi confrontés, sans filet législatif, aux questions
nouvelles que suscite l'évolution de la société. Un effort de clarification s'impose donc aujourd'hui.
En outre, l'ampleur des changements qui ont affecté, depuis 1804, tant le contexte économique que les
structures sociales et familiales exige, de façon tout aussi pressante, un effort de modernisation.
D'ailleurs, cette tentative de rénovation était réclamée, depuis une vingtaine d'années, par une partie de la
doctrine, et elle a été préparée par différents groupes de juristes qui ont travaillé, les uns dans la perspective
de la mise au point d'un code civil européen (3), les autres avec l'intention plus modeste de réécrire et de
compléter les dispositions, devenues insuffisantes, que le code civil a consacrées à cette matière au début du
XIXe siècle (4).
En revanche, elle risque de susciter un certain scepticisme de la part des magistrats qui peuvent craindre
qu'une codification trop explicite et pointilleuse fige le droit positif et stérilise la jurisprudence qui a été
jusqu'ici le fer de lance des évolutions considérables et, dans l'ensemble, bienvenues, qui ont affecté la
responsabilité civile.
Il est donc important de déterminer si le texte proposé est susceptible de répondre aux attentes de ceux qui
souhaitent la recodification, tout en évitant les écueils auxquels elle peut se heurter.
C'est d'ailleurs le but de la consultation publique que le ministre a eu la sagesse de lancer en s'inspirant de
celle qui a rencontré un réel succès pour la réforme des contrats et des obligations.
Toutefois, cette précaution ne garantit pas le succès final, car la procédure législative, qui suivra son cours
normal, le recours à une ordonnance ayant été écarté, ainsi que l'impact d'un éventuel changement de
majorité avant l'aboutissement de ce processus pouvant encore faire échouer le projet. Néanmoins, on peut
espérer que, n'étant pas marqué politiquement, celui-ci ira à son terme. C'est pourquoi il importe de
l'examiner attentivement en recherchant s'il est réellement de nature à clarifier (I) et à moderniser (II) le droit
de la responsabilité civile.
I - L'effort de clarification
L'effort de clarification emprunte différentes méthodes (A), dont il importe d'apprécier l'efficacité (B).
A - Les manifestations de la volonté de clarification
Les manifestations de la volonté de clarification des auteurs de l'avant-projet sont diverses.
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Elle résulte, d'abord, du titre choisi : « La responsabilité civile ». Cette expression a supplanté depuis
longtemps celles de « délits et quasi-délits » et de « dommages et intérêts résultant de l'inexécution de la
convention » employées par les rédacteurs du code de 1804. Or elle est placée en tête d'un texte qui traite
explicitement tant des conséquences de l'inexécution du contrat que de celles des fautes et autres faits
dommageables entraînant une obligation de réparation hors du champ contractuel. Cette présentation met
donc un terme à la malencontreuse controverse relative à la soi-disant «inexistence» de la responsabilité
contractuelle (5).
Concourt également à l'effort de clarification le plan adopté. Sont, en effet, exposées, d'abord, de façon
méthodique, les règles générales applicables en principe aux responsabilités qui ne relèvent pas d'un régime
spécial (chap. I à IV), quelques-uns de ces régimes spéciaux étant ensuite décrits (chap. V). Sur ce point, la
clarification serait encore plus nette si l'expression « droit commun » était utilisée. Un article initial disposant
que « les chapitres I à IV du présent sous-titre forment le droit commun de la responsabilité civile » serait
donc utile afin d'indiquer que, dans la mesure où ils ne dérogent pas à ce « droit commun », les régimes
spéciaux y restent soumis.
Mais ce qui contribuera surtout à clarifier la matière, c'est l'inscription dans le code civil de nombreuses
solutions qui ont été admises par la jurisprudence sans avoir été explicitées jusqu'à présent dans ce code.
1 - L'explication des solutions déjà acquises
Certaines d'entre elles sont reproduites pratiquement à l'identique, l'avant-projet reprenant parfois les termes
mêmes des arrêts qui les ont admises. C'est le cas pour « le préjudice futur » que l'article 1236 déclare
réparable « lorsqu'il est la suite certaine et directe d'un état de chose actuel », ainsi que de « la perte de
chance » définie par l'article 1238 comme « la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable » et
présentée comme « un préjudice distinct de l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée ».
Il en va de même pour les « faits justificatifs » que l'article 1257 désigne par l'expression « causes
d'exclusion de la responsabilité », ainsi que pour la plus grande partie du régime des dommages et intérêts.
En effet, la règle de l'évaluation au jour où le juge rend sa décision sur le fond (art. 1262), ainsi que la liberté
pour la victime de disposer des sommes reçues (art. 1264) et la plupart des règles particulières à la réparation
des préjudices résultant d'un dommage corporel ou d'un dommage matériel (art. 1267 à 1279) explicitent des
solutions généralement bien acquises.
L'avant-projet confirme également, sans changement majeur, la réparation des troubles anormaux de
voisinage (art. 1244), qui est une pure création jurisprudentielle, ainsi que la responsabilité de plein droit du
fait des choses et des animaux (art. 1243) que la jurisprudence a édifiée en s'inspirant très librement des
articles 1384, alinéa 1er, et 1385 du code civil.
2 - Les précisions apportées aux solutions d'origine jurisprudentielle
Mais l'avant-projet assortit souvent les solutions d'origine jurisprudentielle de précisions qui sont destinées à
mettre fin aux hésitations des tribunaux sur certaines questions importantes et débattues.
C'est le cas pour la réparation en nature qui est clairement admise en matière contractuelle alors que cette
solution a été parfois contestée (6). L'avant-projet ajoute qu'elle ne peut être imposée à la victime (art. 1261,
al. 1er), ce qui est nouveau, et qu'elle doit être écartée, non seulement en cas d'impossibilité, ce qui est admis
depuis longtemps, mais aussi lorsqu'elle entraînerait pour le responsable un coût manifestement
déraisonnable au regard de son intérêt pour la victime (art. 1261, al. 2), ce qui constitue une précision utile.
En ce qui concerne les clauses exclusives ou limitatives de réparation, un infléchissement notable est admis
puisqu'elles pourront désormais affecter la réparation des dommages soumis au régime extracontractuel (art.
1281, al. 1er), du moins s'il s'agit d'une responsabilité sans faute (art. 1282). Il est, par ailleurs, précisé qu'elles
ne peuvent restreindre la réparation du dommage corporel (art. 1281, al. 2), alors que cette solution,
généralement souhaitée par la doctrine, n'a jusqu'à présent pas été affirmée formellement par la Cour de
cassation (7). Enfin, il est clairement indiqué qu'en matière contractuelle, ces clauses n'ont d'effet que si la
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partie à laquelle elles sont opposées a pu en prendre connaissance avant la formation du contrat (art. 1283, al.
2), alors que, sur ce point, on a pu constater des hésitations en jurisprudence (8).
Est également utile la disposition qui limite la responsabilité personnelle du préposé aux cas de « faute
intentionnelle » et d'« abus de fonctions » (art. 1249, al. 4), alors que la question suscite encore des
hésitations (9).
Quant à la force majeure, elle fait l'objet d'une définition propre à la responsabilité extracontractuelle (art.
1253, al. 2), distincte de celle qu'a formulée l'ordonnance du 10 février 2016 en matière contractuelle (art.
1218). Or ces définitions sont évidemment destinées à mettre fin aux discussions qu'a suscitées cette notion
et qui ont alimenté, ces dernières années, un contentieux important (10).
On se félicitera, par ailleurs, des simplifications dont a fait l'objet le statut des clauses pénales, débarrassé de
dispositions devenues inutiles et peu appliquées (11).
Toutes ces dispositions concourent donc à rendre plus lisible le droit de la responsabilité.
B - Cet effort de clarification est-il pour autant suffisant ?
La lecture du texte suscite, à cet égard, quelques interrogations.
1 - La définition des notions clés est-elle suffisante ?
La première interrogation concerne la brièveté de la définition de certaines notions clés ou même son
absence.
Ainsi, le préjudice réparable reçoit une définition très large, dans la plus pure tradition du code civil et de la
jurisprudence qui s'est élaborée sur la base des textes de 1804. L'article 1235 dispose, en effet : « Est
réparable tout préjudice certain résultant d'un dommage et consistant en la lésion d'un intérêt licite,
patrimonial ou extrapatrimonial, individuel ou collectif ».
Or on peut se demander s'il ne serait pas souhaitable de concrétiser davantage ce concept en énumérant les
principales catégories de préjudices indemnisables, mais le risque d'une telle tentative, qui paraît a priori aller dans le sens d'une plus grande sécurité juridique, serait que le texte ainsi établi devienne bientôt
obsolète. Quant à une liste purement indicative, elle ne présenterait pas un réel intérêt.
Une partie de la doctrine a, par ailleurs, évoqué la possibilité de recourir à la notion d'« intérêt protégé » pour
limiter la catégorie des préjudices indemnisables (12), mais cette solution ne serait efficace que si, comme
c'est le cas dans le code civil allemand, la liste des intérêts protégés figurait dans la loi. Or une telle
énumération n'est guère compatible avec la clause générale de responsabilité pour faute. La notion d'« intérêt
protégé » ne paraît donc utile en droit français que pour justifier des règles de réparation différentes selon que
le préjudice porte atteinte à un intérêt plus ou moins essentiel de la victime, la réparation du préjudice
corporel étant privilégiée par rapport à celle des autres préjudices. Or l'avant-projet va effectivement en ce
sens.
Une autre notion clé, celle de causalité, n'est pas définie par l'avant-projet, ce que certains critiqueront
probablement, mais sur ce point, le texte proposé nous paraît faire preuve de réalisme, car les efforts
considérables déployés par la doctrine, tant en France qu'à l'étranger, pour définir cette notion (13) n'ont
abouti qu'à des formulations très générales qui ne sont guère respectées par les tribunaux.
Quant à la faute, elle fait l'objet, à l'article 1242, d'une définition très large tout à fait dans la tradition
française puisqu'elle englobe « toute violation d'une règle de conduite imposée par la loi », ainsi que « le
manquement au devoir général de prudence et de diligence ». On remarquera que cette définition écarte l'idée
de « relativité » qui existe aussi bien en droit anglais qu'en droit allemand où un acte dommageable n'est jugé
fautif que s'il atteint une personne que la prescription méconnue avait pour objet de protéger. Cette notion n'a
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jamais vraiment prospéré en droit français (14).
On remarquera également que l'avant-projet ne se prononce pas explicitement sur la fameuse controverse
entre les partisans de la conception subjective ou morale de la faute, qui exigent en particulier le
discernement, et ceux de la conception objective, qui écartent cette condition (15). Mais la question nous
paraît tranchée, au moins implicitement, par un texte qui figure dans une autre partie du code civil : il s'agit
de l'article 414-3, aux termes duquel « celui qui a causé un dommage à autrui alors qu'il était sous l'empire
d'un trouble mental n'en est pas moins obligé à réparation ».
En revanche, on constate que la définition retenue par l'avant-projet comporte une lacune importante, car elle
ne signale pas le particularisme de la faute commise par une personne morale. Il nous semblerait donc
nécessaire d'ajouter que « la faute de la personne morale s'entend non seulement de celle qui est commise par
son représentant, mais aussi d'un défaut d'organisation ou de fonctionnement ».
2 - Les lacunes concernant certains apports jurisprudentiels importants
Ce qui interroge également, à la lecture du texte, c'est son silence sur certains apports essentiels de la
jurisprudence.
Ainsi, on n'y trouve aucune allusion à la spécificité des responsabilités professionnelles, notamment aux
devoirs de sécurité, d'information, de mise en garde et de conseil qui sont la source principale du contentieux
actuel de la responsabilité civile. Or cette lacune nous paraît regrettable, ce qui nous conduit à souhaiter
l'insertion d'un article supplémentaire qui disposerait : « Le professionnel est tenu, à l'égard de son client, de
respecter non seulement les devoirs et obligations imposées par le contrat ou par les dispositions législatives
ou réglementaires qui s'imposent à lui, mais aussi toutes les suites que l'équité ou l'usage attache à ces
prescriptions. Il doit notamment assurer la sécurité physique de son client, s'il le prend en charge pendant
l'exécution de sa prestation, et lui donner les informations ainsi qu'éventuellement les conseils et mises en
garde nécessaires à la bonne exécution de celle-ci ».
On ne trouve pas davantage d'indication concernant, pour le calcul des dommages et intérêts contractuels, le choix entre la référence à « l'intérêt positif » à l'exécution du contrat, ou « l'intérêt négatif » à la non-
conclusion. Or, dans la tradition française, c'est l'intérêt positif qui est pris en compte dès lors que le contrat
inexécuté a été valablement conclu. Il conviendrait donc d'y faire allusion en prévoyant qu'« en matière
contractuelle les dommages et intérêts doivent être calculés de manière à donner au créancier tous les
avantages qu'il aurait retirés de l'exécution » et de préciser qu'« ils doivent comprendre tant les pertes faites
que les gains manqués ».
Mais la principale lacune concerne, à notre avis, la distinction entre obligations de moyens et obligations de
résultat qui joue actuellement un rôle essentiel pour départager les domaines respectifs de la responsabilité
pour faute et de la responsabilité sans faute en matière contractuelle et à laquelle l'avant-projet ne fait
aucunement allusion. Si ce silence est interprété par la jurisprudence comme une abolition de cette
distinction, un problème redoutable se posera alors, car il faudra déterminer si l'on doit généraliser l'exigence
d'une faute pour engager la responsabilité contractuelle (régime des obligations de moyens) ou admettre que
la responsabilité contractuelle est toujours engagée de plein droit dès lors que le résultat envisagé n'est pas
obtenu et qu'elle ne peut être écartée que par la preuve d'une cause étrangère présentant les caractères de la
force majeure (régime des obligations de résultat). Comme le texte ne fournit aucune indication permettant
de trancher dans un sens ou dans l'autre, les juges seront confrontés à une grave ambiguïté.
La clarification à laquelle contribue l'avant-projet, si elle est réelle, n'est donc pas totale. Qu'en est-il alors de
l'autre objectif de ce texte qui vise également à moderniser le droit de la responsabilité civile en l'adaptant
mieux aux évolutions qu'a connues la société française au cours de ces deux derniers siècles ?
II - L'effort de modernisation
Que l'avant-projet contribue à moderniser le droit de la responsabilité civile paraît incontestable (A), ce qui
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n'empêche pas cependant de se demander s'il ne pourrait pas aller plus loin dans cette voie (B).
A - La volonté de modernisation
1 - L'abandon des solutions obsolètes
Elle résulte, d'abord, de l'abandon de plusieurs dispositions du code civil actuel devenues obsolètes. C'est le
cas de l'article 1386 qui soumet le propriétaire d'un bâtiment à un régime particulier de responsabilité pour
les dommages causés par le défaut d'entretien ou le vice de construction. En effet, l'expansion du régime
général de responsabilité du fait des choses a rendu ce texte inutile et favorisé sa marginalisation par la
jurisprudence (16). Il en va de même des dispositions de l'article 1384 concernant la responsabilité
de l'artisan du fait de ses apprentis, aujourd'hui pratiquement absorbée par celle du commettant pour le fait
de ses préposés (17), et la responsabilité de l'instituteur pour le fait de ses élèves qui, pour les membres de
l'enseignement privé, a été assimilée à la responsabilité du fait personnel et, pour les membres de
l'enseignement public, est désormais garantie par l'État (18).
2 - Les solutions nouvelles
Mais c'est surtout par l'adoption de solutions nouvelles, dont la plupart ont été réclamées par la doctrine et
certaines inspirées d'expériences étrangères, que se manifeste ce souci de modernisation. On en signalera
quelques-unes qui paraissent importantes.
C'est le cas de la relativisation et de la réorganisation de la distinction entre responsabilité contractuelle et responsabilité extracontractuelle. En reconnaissant que la très grande majorité des règles sont communes
aux deux branches de la responsabilité, les rédacteurs de l'avant-projet atténuent, en effet, de facto la portée
de cette distinction. En outre, ils proposent d'écarter la règle du « non-cumul » en cas de dommage corporel
en soumettant la réparation de ce dommage au régime extracontractuel, ce qui provoquera inévitablement
une extension considérable du domaine de ce régime.
Les rédacteurs de l'avant-projet ont également innové en affirmant officiellement que la responsabilité civile
n'a pas seulement une fonction de réparation, mais qu'elle tend également à faire cesser l'illicite (art. 1232),
à prévenir le dommage (art. 1232 et 1237) et à punir les auteurs de fautes lourdes (art. 1266). Or cet
élargissement des fonctions de la responsabilité répond aux voeux d'une partie de la doctrine (19).
L'avant-projet fait en outre place, à l'exemple d'autres droits européens, à la possibilité de réduire l'indemnisation pour tenir compte de l'attitude de la victime qui n'a pas cherché à éviter l'aggravation de son
préjudice, alors qu'elle pouvait le faire en prenant des mesures « sûres et raisonnables » (art. 1263). Or cette
solution, qui a notamment été consacrée par la Convention de Vienne sur la vente internationale de
marchandises, est aujourd'hui considérée comme souhaitable par d'assez nombreux auteurs (20), alors que la
jurisprudence se montre réticente à son égard.
Une série d'innovations, parmi les plus notables, concernent la responsabilité du fait des personnes soumises
à une surveillance. Alors que le code civil actuel prévoit seulement la responsabilité des pères et mères pour
le fait de leurs enfants mineurs, l'avant-projet, tenant compte de l'évolution des structures familiales et des
méthodes de surveillance appliquées aux personnes vulnérables, propose, en effet, des réformes importantes.
En ce qui concerne spécialement la responsabilité du fait des mineurs, il ne retient comme condition de la
responsabilité des pères et mères que l'exercice de l'autorité parentale, écartant la « cohabitation » qui n'est
plus en cohérence avec le régime de responsabilité de plein droit admis depuis 1997 (21), et il impute la
même responsabilité de plein droit au tuteur « en tant qu'il est chargé de la personne du mineur ».
En outre, il affirme l'existence d'une responsabilité de plein droit pesant sur les personnes qui ont été
chargées, par décision administrative ou judiciaire, d'organiser et de contrôler à titre permanent le mode de
vie des mineurs ou des majeurs qui leur ont été confiés, ce qui est une consécration de l'avancée réalisée par
le fameux arrêt Consorts Blieck rendu par la Cour de cassation en assemblée plénière le 29 mars 1991 (22).
Mais l'avant-projet va plus loin, car il ajoute à cette responsabilité objective une responsabilité pour faute
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présumée à la charge des autres personnes qui assument par contrat, à titre professionnel, une mission de
surveillance d'autrui (art. 1248). Or il s'agit là d'une solution qui n'est pas admise par la jurisprudence
actuelle.
D'autres dispositions sont destinées à répondre aux critiques qui ont été adressées à l'effet partiellement
exonératoire de la faute de la victime lorsque celui-ci ampute la réparation d'un dommage corporel ou frappe
une personne dépourvue de discernement (23). Dans le premier cas, l'avant-projet subordonne l'exonération à
la preuve d'une faute lourde (art. 1254) et, dans le second, il l'écarte complètement (art. 1255).
Un pas important est également accompli en faveur de l'égalité entre les victimes et entre les débiteurs
d'indemnité grâce aux dispositions qui confient à l'autorité réglementaire le soin d'élaborer « un barème
médical unique et indicatif » pour mesurer le déficit fonctionnel (art. 1270), ainsi qu'un « référentiel indicatif
d'indemnisation » pour évaluer les préjudices extrapatrimoniaux (art. 1271) et une table unique de conversion
ou de capitalisation des rentes (art. 1272).
On signalera encore que les modifications apportées au régime spécial d'indemnisation des victimes
d'accidents de la circulation, à savoir l'extension du domaine d'application de ce régime aux accidents de
chemin de fer et de tramway et surtout l'assimilation du sort des victimes conductrices et de leurs proches,
victimes par ricochet, à celui des autres victimes, vont dans le sens d'une plus grande cohérence, car le risque
de la circulation, qui justifie ce régime particulier, existe quel que soit le type de véhicule terrestre à moteur
impliqué et quel que soit le rôle de la victime dans la conduite du véhicule.
Enfin, la mention d'une sous-section consacrée aux « règles particulières à la réparation des préjudices
résultant d'un dommage environnemental », sous-section dont le contenu n'a pas été explicité dans la version
actuelle de l'avant-projet, mais le sera vraisemblablement lorsque le projet de loi sur la biodiversité
aujourd'hui en discussion au Parlement aura abouti, témoigne d'une volonté de tenir compte des exigences de
plus en plus affirmées du public et d'une partie de la doctrine en faveur d'une protection plus complète de la
nature, notamment par le droit de la responsabilité civile.
Les auteurs de l'avant-projet ont donc fait la preuve de leur volonté de moderniser et d'améliorer le droit de la
responsabilité civile.
B - Les regrets
Toutefois, on peut se demander si, sur certains points, il ne serait pas possible d'aller plus loin et si certaines
des innovations proposées vont réellement dans le sens d'une meilleure adaptation à l'évolution de la
société.
1 - L'obligation de vigilance des sociétés mères ou donneuses d'ordre
On est, en effet, frappé notamment par le fait que l'avant-projet ne se préoccupe nullement des nouveaux
risques créés par les transformations qui ont affecté la structure des grandes entreprises, en particulier
l'extension de la sous-traitance et l'apparition des groupes de sociétés. Or il est évident que ces évolutions
favorisent le transfert de tâches confiées en principe à l'entreprise dominante à des entités moins importantes
dont la surface financière est plus réduite, ce qui peut compromettre, en cas d'accident, l'indemnisation des
victimes (24). En outre, l'autonomie dont jouissent les sociétés filiales ou sous-traitantes, du fait qu'elles sont
dotées de la personnalité morale, conduit souvent à exonérer de facto les sociétés mères ou donneuses d'ordre
en cas de dommages causés aux salariés des entreprises dépendantes par de mauvaises conditions de travail,
alors même que ces pratiques défectueuses sont dues à des contraintes imposées par la société dominante.
Certaines catastrophes récentes ont illustré de façon tragique l'ampleur de ces risques (25), et c'est d'ailleurs
pour tenter d'y remédier qu'une proposition de loi, actuellement en discussion devant le Parlement, envisage
d'imposer aux sociétés mères ou donneuses d'ordre une obligation de vigilance à l'égard de leurs filiales et
sous-traitants (26), obligation dont l'inobservation serait sanctionnée par la responsabilité civile. Or ces
risques ne sont nullement pris en compte par l'avant-projet, ce qui est regrettable. On souhaiterait au moins
que le dispositif de la proposition de loi n° 2278, qui doit figurer dans le code de commerce, trouve un écho
dans le code civil grâce à un texte qui affirmerait que « le professionnel qui organise, encadre ou contrôle
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10
l'activité économique d'autres professionnels en situation de dépendance, comme, par exemple, des filiales ou
des sous-traitants, est tenu d'une obligation de vigilance impliquant qu'il vérifie que la sécurité et le respect
des droits de l'homme et des libertés fondamentales sont assurés dans l'ensemble des entreprises qu'il
contrôle », et que « le manquement à cette obligation de vigilance entraîne sa responsabilité pour les
dommages qui sont en relation de causalité avec ce manquement ».
2 - L'aménagement de la distinction entre responsabilité contractuelle et extracontractuelle
Sur un autre plan, celui de la distinction entre responsabilité contractuelle et responsabilité
extracontractuelle, les solutions proposées par l'avant-projet ne nous paraissent pas non plus pleinement
satisfaisantes. En effet, l'article 1233, après avoir, dans son alinéa 1er, confirmé la règle dite du « non-cumul
entre responsabilité contractuelle et responsabilité extracontractuelle », qui est en réalité un refus de l'option
entre les deux branches de la responsabilité, interdit, dans son alinéa 2, aux victimes de dommages corporels
de se placer sur le terrain contractuel, alors même que ce dommage aurait été causé à l'occasion de
l'exécution d'un contrat. Or, si l'on admet sans difficulté que le dommage corporel puisse toujours être réparé
sur le terrain extracontractuel, car la sécurité est due à toute personne indépendamment de sa qualité de
contractant ou de tiers, il paraît, en revanche, excessif d'interdire à la victime, titulaire d'un contrat auquel elle
est partie et qui lui profite légitimement, de se prévaloir de celui-ci lorsqu'elle y a intérêt. La solution juste
consisterait donc, selon nous, à reconnaître à la victime d'un dommage corporel titulaire d'un contrat une
option entre la voie contractuelle et la voie extracontractuelle. L'alinéa 2 de l'article 1233 disposerait alors : «
Toutefois, en cas de dommage corporel, la victime peut choisir le régime de la responsabilité
extracontractuelle alors même que ce dommage aurait été causé à l'occasion de l'exécution d'un contrat ».
Quant à l'article 1234, il condamne la position adoptée par l'assemblée plénière de la Cour de cassation dans
la fameuse affaire Mir'Ho (27), selon laquelle « le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la
responsabilité délictuelle, un manquement contractuel, dès lors que ce manquement lui a causé un dommage
». L'avant-projet exige, pour condamner le débiteur à indemniser le tiers, que soit apportée la preuve de l'un
des faits générateurs de la responsabilité extracontractuelle. Il s'agit donc là d'un retour en arrière par rapport
à une évolution longuement mûrie. En effet, les chambres de la Cour de cassation s'étaient, à partir des
années 1990, divisées entre celles qui exigeaient, pour admettre la responsabilité du débiteur vis-à-vis du
tiers, la preuve d'une « faute délictuelle envisagée en elle-même indépendamment de tout point de vue
contractuel » et celles qui se contentaient de relever une inexécution contractuelle ayant causé un dommage
au tiers. Mais elles se sont peu à peu, à l'exception de la chambre commerciale, ralliées à la seconde position
qu'a finalement confirmée l'assemblée plénière en 2006 (28). Or cette jurisprudence a été maintes fois
confirmée depuis 2006, sans qu'elle soulève d'objection de la part des praticiens, les critiques émanant
exclusivement des auteurs qui lui opposent le principe de relativité de la faute contractuelle alors que ce
principe est, par ailleurs, largement tenu en échec, notamment dans le cadre des chaînes de contrats.
À vrai dire, dès lors qu'un manquement contractuel est la cause directe d'un dommage subi par un tiers, les
conditions de la responsabilité nous semblent réunies, le manquement contractuel étant en soi un fait illicite.
Admettre la responsabilité de celui qui, par ce manquement, a causé un dommage à un tiers n'a donc rien de
choquant en droit, ni en équité. En revanche, ce qui paraît plus contestable, c'est de soumettre cette
responsabilité au régime extracontractuel au risque de déstabiliser le contrat en permettant notamment au
tiers d'échapper aux limitations de responsabilité que ce contrat impose éventuellement au créancier. C'est
pourquoi nous estimons souhaitable de modifier la rédaction de l'article 1234 en affirmant que : « Lorsque
l'inexécution est la cause directe d'un dommage subi par un tiers qui avait intérêt à l'exécution de ce contrat,
ce tiers peut en demander réparation au débiteur sur le terrain contractuel. Il doit alors subir toutes les
limitations du droit à réparation qui sont opposables au créancier ». Un second alinéa ajouterait qu'« il peut
également obtenir réparation sur le fondement de la responsabilité extracontractuelle, mais à charge pour lui
d'apporter la preuve de l'un des faits générateurs de cette responsabilité ».
3 - Les responsabilités alternatives
La rédaction de l'article 1240 concernant les responsabilités alternatives, c'est-à-dire l'hypothèse d'un acte
dommageable dont on sait qu'il ne peut avoir été commis que par l'une des personnes mises en cause, suscite également le doute. En effet, ce texte n'aurait pas permis en l'état d'admettre la responsabilité des laboratoires
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11
dans la fameuse affaire du DES(Distilbène) (29), car ces laboratoires n'avaient pas agi « de concert ou pour
des motifs similaires » et n'ont jamais formé un « groupe ». Or il aurait été profondément injuste que la
victime soit privée de toute réparation sous prétexte que le médicament avait été commercialisé
simultanément par deux laboratoires sans que l'on puisse déterminer lequel avait fabriqué les cachets
absorbés par la demanderesse. Il paraît donc nécessaire de modifier cette rédaction.
Par ailleurs, cet article 1240 ne donne aucune indication quant à la répartition des responsabilités alors que
les règles applicables aux coauteurs sont hors de cause dans l'hypothèse visée, car il ne s'agit pas de coaction,
mais de causalité alternative (il n'y a qu'un auteur parmi les défendeurs, mais on ignore lequel). Le seul
critère envisageable est alors la part de risque prise par chacun, part qui sera souvent identique pour tous,
entraînant un partage égal, mais qui peut être différente, comme c'était le cas pour les laboratoires dont l'un
avait commercialisé plus de 90 % du produit incriminé pendant la période durant laquelle la victime a été
traitée.
On pourrait donc envisager la formule suivante : « Lorsqu'il est établi que le dommage est nécessairement dû
au fait de l'une des personnes qui sont assignées en responsabilité, sans que l'on puisse déterminer laquelle,
chacune est réputée l'avoir causé à charge pour elle de prouver qu'elle n'en est pas l'auteur. Les
responsabilités se répartissent alors entre les défendeurs en fonction des risques créés par chacun ».
4 - La sanction des fautes lucratives
L'une des critiques souvent adressées ces dernières années au droit de la responsabilité civile concerne le peu
de cas qu'il fait de la « faute lucrative », c'est-à-dire de celle qui est commise avec l'intention de procurer à
son auteur un profit supérieur à la somme que représenterait la réparation du dommage subi par la victime et
qui a effectivement engendré ce profit (30). Pour réagir contre ce type de faute, qui est fréquente en matière
de contrefaçon, de concurrence illicite ou déloyale, de délit de presse, etc., il paraît nécessaire d'ordonner la
restitution du profit illicite, mais il s'agit alors d'une sanction qui risque de donner à la victime un avantage
incompatible avec la conception actuelle du principe de « la réparation intégrale ». C'est pourquoi on peut
approuver la position prise par les auteurs de l'avant-projet qui, à l'article 1266, ont proposé, dans ce cas, le
prononcé d'une « amende civile » qui n'est pas soumise à ce principe. Toutefois, si, parmi les critères de
calcul du montant de l'amende, l'alinéa 2 de cet article fait allusion aux « profits que l'auteur aura retirés » de
sa faute, il ne précise pas que ces profits doivent être restitués intégralement. Or la restitution intégrale
semble nécessaire pour dissuader ceux qui sont tentés de commettre des fautes lucratives. Il conviendrait
donc de modifier quelque peu l'alinéa 2 de l'article 1266 afin d'ajouter, après la proposition selon laquelle «
cette amende est proportionnée à la gravité de la faute et aux facultés contributives de l'auteur », la phrase
suivante : « En cas de faute lucrative, elle ne peut être inférieure au profit que celui-ci en aura retiré ».
5 - La réparation des dommages environnementaux
Enfin, il paraît souhaitable d'expliciter, dans l'avant-projet, les principes applicables à la réparation des dommages environnementaux qui, aujourd'hui, sont au centre des préoccupations de nombreux acteurs
économiques et auxquels la population est de plus en plus sensible. Ces principes, qui devraient figurer au
chapitre V parmi les régimes spéciaux, pourraient être explicités en quelques articles, quitte à renvoyer, pour
plus de détails, au code de l'environnement.
Un premier article définirait les préjudices indemnisables. Il pourrait être rédigé en ces termes : « En cas de
dommage environnemental, doivent être réparés non seulement les préjudices personnels, qu'ils soient de
nature économique ou morale, qu'ils aient atteint des personnes physiques ou des personnes morales, mais
aussi ceux qui affectent les ressources naturelles (les eaux, les sols, les habitats et espèces naturelles
protégées, la biodiversité) et les services écologiques qu'elles rendent ».
Un second article désignerait les personnes et organismes chargés d'agir pour demander réparation des
atteintes aux ressources naturelles. Il disposerait : « La réparation des atteintes aux ressources naturelles peut
être demandée par les associations agréées pour la défense de l'environnement ainsi que par les organismes
publics chargés de la défense de l'environnement qui sont visés par les articles L. 132-1 et L. 142-4 du code de l'environnement, chacun n'étant habilité à agir que dans son domaine de compétence ».
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« Est irrecevable l'action en réparation de l'atteinte aux ressources naturelles qui a déjà été réparée dans le
cadre d'une précédente action dirigée contre le même défendeur à l'occasion du même événement ».
Deux autres articles seraient consacrés, l'un à la réparation en nature, l'autre aux dommages et intérêts. On
se hasardera à proposer la rédaction suivante : « Les atteintes aux ressources naturelles sont réparées par
priorité en nature. Cette réparation doit tendre à recréer un milieu naturel présentant des avantages
équivalents ou comparables, du point de vue écologique, à ceux que la pollution a anéantis ».
« Si la réparation en nature des atteintes aux ressources naturelles est impossible ou d'un coût
disproportionné, les dommages et intérêts doivent compenser les frais exposés pour lutter contre la pollution
ainsi que ceux qui sont engagés pour protéger l'environnement. Les dommages et intérêts doivent être
affectés à la remise en état de l'environnement et versés à un fonds destiné à financer celle-ci ».
Le processus de recodification du droit de la responsabilité civile est donc engagé. Espérons qu'il sera mené à
bien et que les nouveaux textes permettront de rendre ce droit plus accessible et de faire émerger des
solutions permettant son adaptation aux exigences de notre temps.
(1) V. J.-S. Borghetti, Une réforme, un regret, RDC 2016. 1.
(2) V. nos art., Les difficultés de la recodification du droit de la responsabilité civile, in Le code civil 1804-2004. Livre
du bicentenaire, Dalloz-Litec, p. 255 ; Après la réforme du contrat, la nécessaire réforme des textes du code civil relatifs
à la responsabilité, JCP 2016. 99.
(3) En particulier, l'Académie de droit européen de Trèves a publié, en 2003, un document intitulé « Principles of
european tort law ».
(4) Le groupe dirigé par le professeur P. Catala a mis au point, en 2005, un avant-projet de réforme du droit des
obligations et de la prescription qui englobe la responsabilité civile : V. P. Catala (dir.), Avant-projet de réforme du droit
des obligations et de la prescription, Doc. fr., 2005, p. 161 s. Celui qu'a animé le professeur F. Terré a produit, en 2010,
un texte intitulé « Des délits » qui ne concerne que la responsabilité extracontractuelle, V. F. Terré (dir.), Pour une
réforme du droit de la responsabilité civile, Dalloz, coll. Thèmes et commentaires, 2011.
(5) Les principaux responsables de cette controverse sont P. le Tourneau, qui a défendu la thèse de l'inexistence de la
responsabilité contractuelle dans les éditions successives de son grand traité Droit de la responsabilité et des contrats.
Régimes d'indemnisation, Dalloz Action, 2014-2015, et P. Remy qui a développé ce point de vue notamment dans son
art., La « responsabilité contractuelle » : histoire d'un faux concept, RTD civ. 1997. 323.
(6) V., sur ces hésitations doctrinales, G. Viney et P. Jourdain, Les effets de la responsabilité, in J. Ghestin (dir.), Traité
de droit civil, 3e éd., LGDJ, 2011, n° 26.
(7) V. G. Viney et P. Jourdain, préc., nos 194 à 196.
(8) V. G. Viney et P. Jourdain, préc., nos 221 à 222-1.
(9) V. G. Viney, P. Jourdain et S. Carval, Les conditions de la responsabilité, in J. Ghestin (dir.), Traité de droit civil,
4e éd., LGDJ, 2013, n° 812-1.
(10) V. G. Viney, P. Jourdain et S. Carval, préc., nos 395 à 399.
(11) Il s'agit des art. 1227 à 1230, 1232 et 1233 c. civ. actuel.
(12) V. J.-S. Borghetti, Les intérêts protégés et l'étendue des préjudices réparables en droit de la responsabilité civile
extracontractuelle, in Études offertes à Geneviève Viney, Lextenso, 2008, p. 145. La même idée a été reprise et
développée par M. Dugué, L'intérêt protégé en droit de la responsabilité civile, th. dactyl., Paris I Panthéon-Sorbonne,
2015.
(13) V. G. Viney, P. Jourdain et S. Carval, préc., nos 334 à 347.
(14) V. H. Slim, Approche comparative de la faute dans la responsabilité civile extracontractuelle, RCA 2003. Chron. 18
; M. Puech, L'illicite dans la responsabilité civile extracontractuelle, LGDJ, 1973, nos 435 s. ; J. Liimpens et A.
Meintzerhagen-Limpens, International comparative Law, vol. Torts, chap. 2, nos 133 à 149 ; G. Viney, P. Jourdain et S.
Carval, préc., n° 444.
(15) V. G. Viney, P. Jourdain et S. Carval, préc., n° 444.
(16) Ibid., n° 739-1.
(17) Ibid., n° 896.
(18) Ibid., nos 897 à 919.
(19) Pour la fonction de cessation de l'illicite, V. not., C. Bloch, La cessation de l'illicite, recherche sur une fonction
méconnue de la responsabilité civile extracontractuelle, préf. R. Bout, avant-propos P. le Tourneau, Dalloz, 2008. Pour
la fonction de prévention, V. not., C. Sintez, La sanction préventive en droit de la responsabilité, th. dactyl., Orléans,
2009 ; C. Thibierge, Libres propos sur l'évolution de la responsabilité civile. Vers un élargissement de la fonction
préventive de la responsabilité civile, RTD civ. 1999. 561. Pour la fonction de punition, V. not., S. Carval, La
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responsabilité civile dans sa fonction de peine privée, LGDJ, 1995, Bibl. droit privé, t. 250, préf. G. Viney ; Z.
Jacquemin, Payer, réparer, punir. Étude des fonctions de la responsabilité contractuelle en droit français, anglais et
allemand, th. dactyl., Panthéon-Assas, 2015, 2e partie, nos 254 s.
(20) V. not., A. Laude, L'obligation de minimiser son dommage existe-t-elle en droit français ?, LPA 20 nov. 2002, p. 55
; S. Reifegerste, Pour une obligation de minimiser son dommage, th. dactyl., Panthéon-Sorbonne, 1999.
(21) Civ. 2e, 19 févr. 1997, n° 94-21.111, Bertrand, D. 1997. 265, note P. Jourdain, 279, chron. C. Radé, 290, obs. D.
Mazeaud, et 1998. 49, obs. C.-J. Berr ; RDSS 1997. 660, note A. Dorsner-Dolivet ; RTD civ. 1997. 648, obs. J. Hauser,
et 668, obs. P. Jourdain ; JCP 1997. II. 22848, concl. R. Kessous, note G. Viney ; F. Leduc, La responsabilité des pères
et mères, changement de nature, RCA 1997. Chron. 9.
(22) Cass., ass. plén., 29 mars 1991, n° 89-15.231, D. 1991. 324, note C. Larroumet, et 157, chron. G. Viney, obs. J.-L.
Aubert ; RFDA 1991. 991, note P. Bon ; RDSS 1991. 401, étude F. Monéger ; RTD civ. 1991. 312, obs. J. Hauser, et
541, obs. P. Jourdain ; RTD com. 1991. 258, obs. E. Alfandari et M. Jeantin ; JCP 1991. II. 21673, concl. D. H.
Dontemwille, note J. Ghestin.
(23) V. notre étude, La faute de la victime d'un accident corporel ; le présent et l'avenir, JCP 1984. I. 3155.
(24) Cet inconvénient s'est manifesté de façon très évidente en particulier à l'occasion de la pollution des côtes bretonnes
provoquée par le naufrage de l'Amoco Cadiz survenu en mars 1978, le transport des matières polluantes ayant été confié
par Standard Oil à l'une de ses filiales, la société Amoco transport, qui s'est révélée tout à fait incapable d'assumer la
réparation des préjudices causés par cette catastrophe.
(25) La plus emblématique est celle qui s'est produite en Inde au Rana Plaza le 24 avr. 2016 et a fait 1 135 morts.
(26) Prop. de loi n° 2278 votée en première lecture par l'Assemblée nationale le 30 mars 2015, puis, après rejet du Sénat,
en deuxième lecture, le 23 mars 2016.
(27) Cass., ass. plén., 6 oct. 2006, n° 05-13.255, Bull. ass. plén., n° 9 ; D. 2006. 2484, obs. I. Gallmeister, 2825, note G.
Viney, 2007. 1827, obs. L. Rozès, 2897, obs. P. Jourdain, et 2966, obs. B. Fauvarque-Cosson ; AJDI 2007. 295, obs. N.
Damas ; RDI 2006. 504, obs. P. Malinvaud ; RTD civ. 2007. 61, obs. P. Deumier, 115, obs. J. Mestre et B. Fages, et
123, obs. P. Jourdain ; JCP 2006. II. 10181, avis A. Garazzio, note M. Billiau ; RCA 2006. Étude 17, obs. L. Bloch ;
RDC 2007. 279, note S. Carval.
(28) V. notre ouvrage, Introduction à la responsabilité, in J. Ghestin (dir.), op. cit., nos 215-2 et 215-3.
(29) Civ. 1re, 24 sept. 2009, n° 08-16.305, D. 2009. 2342, obs. I. Gallmeister, 2010. 49, obs. P. Brun, 1162, chron. C.
Quézel-Ambrunaz, et 2671, obs. I. Gelbard-Le Dauphin ; RDSS 2009. 1161, obs. J. Peigné ; RTD civ. 2010. 111, obs. P.
Jourdain ; RTD com. 2010. 415, obs. B. Bouloc ; JCP 2009. 381, 2e esp., note S. Hoquet-Berg et 304, obs. P. Mistretta ;
RCA 2009. Étude 13, obs. C. Radé.
(30) V. D. Fasquelle, L'existence de fautes lucratives en droit français, LPA 20 nov. 2002, p. 27 ; N. Fournier de Crouy,
La faute lucrative, th. dactyl., Paris V, 2015.
Document 2 : Discours de M. Jean-Jacques Urvoas, Garde des sceaux, ministre de la justice :
Présentation du projet de réforme du droit de la responsabilité civile, Académie des sciences
morales et politiques, 13 mars 2017.
Monsieur le Secrétaire perpétuel, Mesdames, Messieurs,
En matière de droit civil, le calendrier ministériel de l’année 2016 fut singulier :
- J’ai été nommé en janvier juste avant la promulgation de l’ordonnance portant réforme du droit
des contrats le 10 février, travail considérable qui permet à l’un des trois piliers de l’ordre juridique de
renouer avec sa tradition civiliste d’accessibilité aisée, de prévisibilité garantie et d’attractivité naturelle.
- J’ai été contraint de mettre en œuvre une vaste loi voulue par l’un des collègues que toutes les
professions règlementées avaient vécu comme une hostilité à leur égard, alors même que ce n’était ni la
volonté du Premier ministre, ni celle du législateur.
Et enfin je prépare une réforme qui sera de facto portée par mon – éventuel – successeur !
Je ne sais pas si le destin est joueur, mais de fait, il m’a évité l’ivresse de l’autosatisfaction ministérielle
dans ces domaines !
C’est donc avec la conscience du rythme d’écoulement du temps que je viens vous entretenir d’une réforme
historique.
Ainsi que je vous l’avais indiqué à certains d’entre vous le 29 avril dernier place Vendôme, l’ordonnance
de février ne marquait nullement la fin du chantier de modernisation du droit des obligations...
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Comme vous le savez, le droit de la responsabilité civile a volontairement été exclu de son champ de
l’habilitation.
- Compte-tenu de la sensibilité particulière des enjeux propres à cette matière.
- La pleine appropriation par le Parlement avait été jugée nécessaire.
Mais ne nous y trompons pas. Bien que dissociées dans le temps, la réforme du droit des contrats et de
celle du droit de la responsabilité ne sont pas dissociables sur le fond. La deuxième est d’autant plus
nécessaire qu’elle viendra parachever la première. Et cela donnera naissance à un véritable régime de
responsabilité contractuelle.
L’ambition est donc de bâtir un projet :
- Qui fixe les règles communes aux responsabilités contractuelle et extracontractuelle,
- Et qui organise l’articulation de ces deux régimes.
La tâche est immense !
En effet, le droit commun de la responsabilité civile repose sur cinq articles (parmi les 2 281 articles que
comportait à l’origine le code civil) et qui sont demeurés pratiquement inchangés depuis 1804.
Cette concision est à l’image de la faible importance accordée à l’époque à ce mécanisme juridique, qui
trouvait alors peu d’occasions d’être mis en œuvre. Mais depuis, comme a pu l’écrire le doyen
CARBONNIER : « Cette partie du code civil s’est hypertrophiée […]. Les dommages se sont multipliés :
la vie urbaine nous jette les uns sur les autres, les machines explosent, l’inflation des lois fait foisonner les manquements à la loi. Et en face les victimes sont devenues plus exigeantes». Le constat est lucide et
pourtant, lorsque ces lignes ont été écrites en 1996, la révolution numérique n’avait pas eu lieu, les
véhicules autonomes et bien d’autres robots relevaient encore de la science fiction... Ces cinq articles ont –
néanmoins – résisté au temps, grâce à l’impressionnante œuvre de construction jurisprudentielle de la Cour
de cassation qui a su les adapter à l’évolution des mœurs, de la société et de la langue française. Reste que
celui qui procède à la seule lecture des articles 1382 à 1386 du code civil n’aura qu’une vision parcellaire,
pour ne pas dire erronée, du droit français de la responsabilité. Car seule une connaissance de la riche et
subtile jurisprudence de la Cour de cassation permet à ce jour d’en appréhender la technicité.
La réforme de la responsabilité civile est donc une nécessité impérieuse :
- Pour pouvoir compter sur un droit lisible, transparent et porteur de sécurité juridique utile aux
citoyens comme aux acteurs économiques,
- Pour adapter nos règles de responsabilité aux enjeux économiques et sociaux du XXIème
siècle.
Dans ce but, le législateur de 2017 devra aller plus loin que la seule codification de la jurisprudence. Mais il
devra garder le souci constant du juste équilibre entre :
- L’efficacité attendue par les acteurs économiques,
- Et la protection que sont en droit d’attendre les victimes.
La tâche est immense, mais heureusement la Chancellerie a choisi de ne pas l’affronter seule mais en
s’appuyant :
- Dans les remarquables travaux du professeur Geneviève VINEY et du regretté Pierre
CATALA,
- Dans ceux du professeur François TERRÉ, menés pour ces derniers sous l’égide de cette
Académie des sciences morales et politiques,
- Ainsi que dans le rapport de juillet 2009 des sénateurs Alain ANZIANI et Laurent BÉTEILLE,
- Ou encore celui du député Guy LEFRAND en septembre 2010.
De surcroît, j’ai souhaité que l’avant-projet élaboré par mes services soit soumis à une large consultation
publique. Cette dernière s’est ouverte le 29 avril 2016 et a pris fin le 31 juillet 2016.
L’importance des contributions reçues témoigne à la fois :
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- Du vif intérêt que suscite cette réforme, attendue de longue date, Nous avons, en effet,
enregistré plus de mille pages !
- Et du consensus qu’il est possible de dégager sur bien des points.
Ce dont témoignent les échanges intervenus entre la DACS (Direction des affaires civiles et du sceau) et les
principaux contributeurs. Nous avons pris en compte bien des points de vue :
- Celles de nos concitoyens, car le droit de la responsabilité civile concerne chacun d’entre nous.
- Celles des professionnels du droit qui auront à appliquer ces textes,
- Celles des associations de victimes,
- Mais aussi les impératifs économiques rappelés par les représentants des milieux économiques.
Ainsi, c’est grâce à vous, magistrats, universitaires, professions du droit, acteurs de la vie économique, que
l’avant-projet de la Chancellerie a pu être – notablement –amélioré. Je veux vous en remercier
chaleureusement tout comme Carole CHAMPALAUNE, qui a su piloter avec finesse et érudition les
équipes de la DACS ces premières étapes de ce vaste chantier. Et en l’état, l’avant-projet modifié reste
profondément fidèle à cette « Constitution civile » chère à Jean Carbonnier qui, à la suite de ce prince de
l’exégèse qu’était Charles DEMOLOMBE, résumait ainsi le code civil. « En lui» écrivait CARBONNIER
« sont récapitulées les idées, autour desquelles la société française s’est constituée au sortir de la Révolution, et continue de se constituer de nos jours encore, développant ces idées, les transformant peut-
être, sans avoir jamais dit les renier ».
Ces idées fondatrices sont encore le cœur de la réforme que je vous présente, Et je pense en particulier à
l’objectif d’égalité de traitement des victimes. Evidemment, nous n’avons pas la prétention, fort dangereuse
du reste, de régler toutes les hypothèses de mise en jeu de la responsabilité civile.
Notre ambition est :
- De moderniser,
- De clarifier notre droit positif,
- De l’enrichir de deux siècles de jurisprudence et de doctrine.
Ainsi, nous aurons élaboré un droit adapté aux problématiques de notre société contemporaine et qui
pourra, à son tour, traverser le temps. Chacun sait en effet que la solidité de cette « constitution civile » a
grandement aidé la société française à traverser une histoire mouvementée, longtemps caractérisée par
l’instabilité des constitutions politiques.
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De même, ce projet poursuit un objectif de lisibilité du droit.
Cela suppose, tout d’abord, de retenir un plan structuré et un langage simplifié. Sans pour autant oser se
rattacher au mot de Stendhal qui affirmait en 1840 « composant «La Chartreuse », pour prendre le ton, je
lisais chaque matin deux ou trois pages du code civil. »
Le plan retenu est simple, didactique car largement inspiré des travaux universitaires, et en particulier ceux
du groupe de travail du professeur CATALA. Il s’articule autour de six chapitres :
- Dispositions préliminaires,
- Conditions de la responsabilité,
- Causes d’exonération ou d’exclusion de la responsabilité,
- Effets de la responsabilité,
- Conventions sur la responsabilité,
- Et enfin principaux régimes spéciaux de responsabilité.
S’agissant de la structure du projet, la consécration dans une section dédiée d’un ensemble de règles
communes aux responsabilités contractuelle et extracontractuelle mettra fin à nombre de controverses
doctrinales. Cela limitera aussi les risques de contentieux. En effet, la détermination du préjudice réparable
et du lien de causalité exigés sont des facteurs communs à ces deux régimes de responsabilité. Ces derniers
doivent recevoir les mêmes définitions et être soumis aux mêmes conditions. Une telle conception
n’interdit évidemment pas de consacrer des exceptions, justifiées par la spécificité du fait générateur en
- -
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matière contractuelle. Je pense par exemple à la force majeure ou à la limitation du dommage réparable à
celui qui était raisonnablement prévisible au jour de la conclusion du contrat.
Au-delà de cette clarification conceptuelle, le projet consolide les grands principes du droit de la
responsabilité civile énoncés par les rares textes actuels, ainsi que de multiples apports jurisprudentiels.
Dans la tradition du code civil de 1804, un principe général est maintenu : celui selon lequel « on est
responsable du dommage causé par sa faute ». Avant de devenir un principe juridique cardinal, ce précepte
philosophique est consubstantiel à la condition de l’homme moderne, dont la responsabilité est le corollaire
de la liberté.
Ainsi le principe de la responsabilité pour faute traduit une exigence morale plus que jamais d’actualité.
Conformément à une tradition juridique française bien établie, un autre principe : celui de la réparation
intégrale du dommage, est aussi affirmé.
En l’espèce, le projet sanctuarise des principes dégagés par la jurisprudence. C’est notamment le cas du
principe:
- De libre affectation des dommages et intérêts,
- Et de l’évaluation du montant des dommages et intérêts par poste de préjudice.
Cela permet une juste indemnisation de la victime tout en respectant sa liberté dans l’usage qu’elle en fait.
Dans le prolongement des articles 1384 à 1386, et s’inspirant de la jurisprudence, nous proposons aussi de
clarifier les différents régimes de responsabilité du fait d’autrui et du fait des choses. La jurisprudence,
aussi élaborée soit-elle, suscite, en effet, parfois des interprétations divergentes. Or, en ce domaine, la
prévisibilité du droit est d’autant plus importante que tout système de responsabilité civile est aujourd’hui
indissociable du mécanisme de l’assurance.
C’est pourquoi le projet :
- Précise les multiples apports jurisprudentiels en matière de responsabilité pour troubles
anormaux de voisinage,
- Et consacre l’essentiel de la jurisprudence en matière de responsabilité du fait d’autrui.
Là où ce régime de responsabilité n’était jusqu’à présent régi que par l’article 1384 du code civil, chaque
hypothèse de responsabilité de plein droit est désormais l’objet d’un article spécifique :
- Responsabilité des parents du fait de leur enfant mineur,
- Responsabilité du commettant du fait de son préposé,
- Et responsabilité du fait de celui dont le mode de vie est organisé et contrôlé à titre permanent.
Sur quelques points néanmoins, il est proposé de remettre en question certaines évolutions
jurisprudentielles.
Tout d’abord, une condition commune à tous ces cas de responsabilité du fait d’autrui, est introduite. Il y
aurait ainsi une rupture avec la jurisprudence de la Cour de cassation sur la responsabilité des parents du
fait de leur enfant mineur. Le projet consacre alors le principe selon lequel toute responsabilité du fait
d’autrui suppose l’existence d’un fait de nature à engager la responsabilité de l'auteur direct du dommage.
Surtout, le projet propose de prendre le contre-pied de la jurisprudence sur la délicate question de
l’articulation des responsabilités contractuelle et extracontractuelle. Celle-ci donne lieu depuis plus de 30
ans à une jurisprudence complexe, source d’interprétations divergentes et donc d’insécurité juridique. Il a
été choisi de faire relever la réparation du préjudice corporel de la responsabilité civile extracontractuelle,
même si le dommage a été causé à l’occasion de l’exécution d’un contrat. Cela permet ainsi une égale et
juste indemnisation entre toutes les victimes d’un tel préjudice. Suite à la consultation, nous avons toutefois
ajouté que la victime pourrait invoquer les stipulations expresses du contrat qui lui sont plus favorables que
l’application des règles de la responsabilité extracontractuelle. Ainsi, la situation des victimes ne peut pas
être plus défavorable que dans le droit positif actuel, sans néanmoins que son principal inconvénient, le
forçage du contrat par la découverte d’obligations de sécurité, ne demeure.
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La protection renforcée des victimes de dommages corporels constitue l’une des autres innovations
majeures du projet. Dans le droit fil des différents avant-projets de réforme du droit de la responsabilité
civile, nous avons fait le choix de placer l’intégrité de la personne au sommet de la hiérarchie des intérêts
protégés. Sont ainsi proposées un ensemble de règles destinées à améliorer et harmoniser l’indemnisation
des victimes de dommages corporels.
Cette détermination se traduit par l’introduction de quelques exceptions en faveur des victimes.
- Ainsi, seule la faute lourde de la victime d’un dommage corporel peut réduire son droit à
indemnisation;
- De même, aucune obligation de minimiser son dommage ne saurait peser sur la victime d’un
dommage corporel.
- Enfin, les clauses qui excluraient ou limiteraient la réparation de ce type de dommage sont
prohibées. Fidèles à notre souci constant d’amélioration de l’indemnisation des victimes, le
projet propose, en outre, de consacrer un ensemble complet et cohérent de règles propres à la
réparation du dommage corporel.
Il est prévu que ces règles seront applicables :
- Aux décisions des juridictions judiciaires,
- Mais aussi administratives,
- Ainsi qu’aux transactions conclues entre la victime et le responsable.
Qui peut admettre aujourd’hui que la victime d’une erreur médicale soit indemnisée différemment, selon
qu’elle a reçu des soins à l’hôpital public ou dans le secteur privé ? L’uniformisation des modalités de
réparation du dommage corporel passe par la consécration de plusieurs instruments méthodologiques.
Ceux-ci sont indispensables, non seulement, pour les praticiens et régleurs, mais aussi pour les victimes.
- L’adoption d’une nomenclature non limitative des postes de préjudices, à partir de la
nomenclature Dintilhac, bien connue des acteurs, est ainsi prévue,
- De même qu’un barème médical d’invalidité unique et d’un barème de capitalisation des
rentes.
Surtout - et j’ose dire « enfin » - il est prévu de créer :
- Une base de données jurisprudentielles permettant de situer l’évaluation de chaque victime
dans son contexte précis,
- Ainsi qu’un référentiel d’indemnisation, purement indicatif, adossé à cette base de données et
réévalué régulièrement.
Dans le même esprit, le projet propose de résoudre la divergence de jurisprudence opposant le Conseil
d’Etat et la Cour de cassation sur le recours des tiers payeurs. Il s’agit d’une source d’inégalité injustifiable
entre les victimes. Sera ainsi supprimée la possibilité pour ces tiers payeurs de récupérer auprès du
responsable, les prestations versées à la victime au titre de ses préjudices personnels. En effet, ce recours
diminue aujourd’hui d’autant les indemnités perçues par la victime.
En matière d’accidents de la circulation, le projet fait entrer dans le code civil, où elles trouveront leur
place naturelle, les dispositions de la loi du 5 juillet 1985 bien connue sous le nom d’un de mes illustres
prédécesseurs. Mais notre ambition ne se limite pas à donner plus de visibilité à la loi Badinter. Le projet
reprend, en effet, des améliorations suggérées par l’ensemble des travaux universitaires et parlementaires
que j’ai cités. L’objectif étant de remédier aux iniquités qu’a pu engendrer la mise en œuvre de ces
dispositions âgées maintenant de 30 ans déjà. Le champ d’application de la loi est ainsi étendu aux
tramways et aux chemins de fer, comme l’avait proposé le député Guy LEFRAND dans sa proposition
adoptée à l'unanimité lors de son examen à l'Assemblée nationale le 16 février 2010. Le sort des
conducteurs victimes, jusque-là exclus de la protection offerte par la loi Badinter, est amélioré: Seule sa
faute inexcusable lui sera dorénavant opposable, sans toutefois exiger qu’elle soit la cause exclusive de
l’accident.
La seconde innovation notable du projet est d’inscrire dans le marbre du code la fonction préventive de la
responsabilité civile, jusqu’alors trop méconnue de notre droit positif. Fortement inspiré des travaux du
professeur TERRÉ, le projet consacre tout d’abord la cessation de l’illicite, comme fonction autonome de la
responsabilité civile en matière extracontractuelle. En confiant au juge la possibilité de prescrire toute
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sanction ayant pour objet ou pour effet de prévenir le dommage ou de faire cesser un trouble illicite, il ne
s’agit plus seulement de réparer le dommage, mais d’agir sur sa source.
De même, l’introduction dans notre droit commun de l’amende civile vient conforter cette fonction
préventive. L’idée consiste à ouvrir une voie intermédiaire entre :
- La voie civile classique (centrée sur la réparation des dommages),
- Et la voie pénale (axée sur la sanction des comportements).
Ce chemin intermédiaire est destiné à s’appliquer, lorsque le responsable aura délibérément commis une
faute lucrative (recherche d’un gain ou d’une économie), sans nécessairement avoir recherché le dommage.
L’objectif, pour reprendre les mots d’un éminent auteur, est de prévenir la commission de fautes. Des
fautes, qui, malgré l’octroi de dommages et intérêts à la victime à hauteur de son préjudice, « laissent à leur auteur une marge bénéficiaire suffisante pour qu’il n’ait aucune raison de ne pas les commettre. ».
Contrairement aux dommages et intérêts punitifs, le montant de l’amende ne sera pas versé à la victime de
la faute, mais à l’Etat ou à des fonds d’indemnisation. Il n’y a donc nulle crainte de voir poindre devant nos
tribunaux les dérives que l’on connaît outre- Atlantique. L’amende civile à la française sera respectueuse de
notre tradition juridique attachée au principe de la réparation intégrale, tout en remplissant la fonction de
moralisation des comportements qui lui est assignée.
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« Quand un galet ne se trouve pas bien dans un mur, le mur ne se trouve pas bien debout », a écrit Pierre-
Jakez HÉLIAS, que je vous avais déjà cité lorsque j’ai lancé la consultation publique en avril 2016. Vos
contributions décisives ont permis de faire du projet de réforme un édifice, constitué de galets subtilement
équilibrés. Et elles lui ont donné une solidité suffisante, j’en suis convaincu, pour résister à la période
électorale qui s’annonce.
Je ne doute pas que ce projet, qui transcende les clivages, trouvera très bientôt, et grâce à vous tous sa place
naturelle aux articles 1240 et suivants du code civil.
Je vous remercie.
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