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GEORGES PERROS Une vie ordinaire Avant-propos de Lorand Gaspar GALLIMARD

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Georges Perros une vie ordinaire

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GEORGES PERROS

Une vie ordinaire

Avant-propos de Lorand Gaspar

GALLIMARD

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© Éditions Gallimard, 1967, pour Une vie ordinaire, 1988, pour l'avant-propos.

Ecrire est un acte religieux, hors toute religion. Ecrire, c'est accepter d'être un homme, de le faire, de se le faire savoir, aux frontières de l'absurde et du précaire de notre condition. Ce n'est pas croire, c'est être certain d'une chose indicible, qui fait corps avec notre fragilité essentielle.

Georges Perros (Papiers collés II, p. 113.)

Son éthique commande de mettre ses pouvoirs au service de la vérité du premier venu, fût-il vulgaire. ( ... )Dans la vie quotidienne, rien d'admirable, mais du beau, du tendre, de l'horrible, de l'ennui.

Pierre Pachet (<<Georges Perros, Pa piers collés II »,

Les Cahiers du chemin, n• 19.)

Nombreux sont les pèlerins qui prennent la route de Jérusalem. Dans les années soixante, habitant de la ville Sainte j'avais pris ceUe de Douarnenez pour rencontrer Georges Perros; après la publication des Poèmes bleus une correspondance s'était engagée entre nous. Je n'oublie­rai jamais cette première rencontre après une nuit passée sur l'asphalte dans une 2 CV, moi un peu flottant, comme

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soûlé par l'air vigoureux de l'Atlantique, lui tout carré dans la porte ouverte, pantalon de velours brun, chandail marin, pipe à la main, pipe à la bouche. Des yeux plus bruns que le velours de son pantalon, chaleureux et tendres au premier abord, avec une lueur très noire, tranchante et corrosive tout au fond. Dans ce grenier bourré de livres, en compagnie d'un coq qui voulait bien honorer certains manuscrits - il y en avait dans tous les coins - de sa signaiure, nous avons échangé nos tabacs, nos paysages, écouté France Musique, le vent, rien.

Bien des années plus tard, le destin m'ayant poussé vers d'autres horizons, un peu plus proches de la France, c'est lui qui est venu me rendre visite. Il m'a semblé qu'il portait le même pantalon de velours, un caban bleu a pris la place du chandail, il serrait, mordillait la même pipe. Mais sorti de sa solitude, dont femme, enfants et moto étaient parties intégrantes, loin de ces« riens somptueux» qu'étaient pour lui la mer et le ciel de la Bretagne, il ne tenait plus en place. A peine arrivé il voulait savoir quand et comment il pourrait rentrer. En allant de l'aéroport à la maison, nous proposions de passer par des lieux que nous aimions. «Non, non, je m'en fous, je ne veux rien voir. Les amis, c'est tout. »

* Un soir, quelque part sur le rivage des Syrtes, dans une

petite salle de sous-sol enfumée, pareille aux salles d'attente de troisième classe des gares d'Europe Centrale naguère, Georges Perros s'avança parmi les bancs de bois, s'assit sur le quai, solitaire, dans l'attente d'un train qui ne vint jamais. Les voyageurs épars de la salle d'attente, derniers témoins d'une parole refluée à son silence,

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étaient venus prendre part à un antique rituel de renais­sance.

«La poésie est dans la rue, dans le ruisseau, elle est tout à fait dénuée de hiérarchie, elle ne sait pas. Elle ne sait rien. Elle est le chant de notre ignorance. Elle ne connaît pas son homme, ni ses amours, ni ses idées politiques, ni ses ambitions sociales. Elle est ce qui est toujours là, dans nos jours et nos nuits difficiles 1•• • »

Georges Perros regardait au loin où rien n'était en vue, rien qui pût être une lumière, une révélation. Longtemps il ny eut pas mot. Les voyageurs faisaient craquer leurs bancs, frottaient, un peu mal à l'aise, leurs semelles contre les carreaux usés, toussotaient. Rien. Puis, lentement, à tâtons entre la lumière aveugle d'un projecteur et la pénombre, le don d'une franchise, d'une chaleur inimita-: bles, nous faisaient toucher du doigt la longueur d'onde d'une parole nue, celle d'un amour impossible.

« •.. Je vais toujours, on dirait par vice, au mot le plus usé, le plus clochard, le plus chargé; ce n'est pas l'amour des mots entre eux que je cherche, non, mais plutôt leur aptitude à se refiler la même maladie. Les mots nous ressemblent. Il faut et il ne faut pas s'y jier2• »

Pendant que la voix déroulait avec calme ses longs rubans d'incertitude nocturne, sa pauvreté et sa fragilité face aux nobles et vastes entreprises du marbre, je percevais au loin le bruissement de la mer quotidienne.

«J'écris comme on viole. En cachette. Dans les sous­bois du langage. Vite. Caresse interdite.» «Je n'éprouve qu'une sensation :celle du conflit permanent. Le comble de

. ce conflit me semblant être l'amour 3• »

1. Papiers collés Il, p. 160. 2. Papiers collés Il, p. 10. 3. Correspondance Grenier-Perros, p. 123.

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soûlé par l'air vigoureux de l'Atlantique, lui tout carré dans la porte ouverte, pantalon de velours brun, chandail marin, pipe à la main, pipe à la bouche. Des yeux plus bruns que le velours de son pantalon, chaleureux et tendres au premier abord, avec une lueur très noire, tranchante et corrosive tout au fond. Dans ce grenier bourré de livres, en compagnie d'un coq qui voulait bien honorer certains manuscrits - il y en avait dans tous les coins - de sa signaiure, nous avons échangé nos tabacs, nos paysages, écouté France Musique, le vent, rien.

Bien des années plus tard, le destin m'ayant poussé vers d'autres horizons, un peu plus proches de la France, c'est lui qui est venu me rendre visite. Il m'a semblé qu'il portait le même pantalon de velours, un caban bleu a pris la place du chandail, il serrait, mordillait la même pipe. Mais sorti de sa solitude, dont femme, enfants et moto étaient parties intégrantes, loin de ces« riens somptueux» qu'étaient pour lui la mer et le ciel de la Bretagne, il ne tenait plus en place. A peine arrivé il voulait savoir quand et comment il pourrait rentrer. En allant de l'aéroport à la maison, nous proposions de passer par des lieux que nous aimions. «Non, non, je m'en fous, je ne veux rien voir. Les amis, c'est tout. »

* Un soir, quelque part sur le rivage des Syrtes, dans une

petite salle de sous-sol enfumée, pareille aux salles d'attente de troisième classe des gares d'Europe Centrale naguère, Georges Perros s'avança parmi les bancs de bois, s'assit sur le quai, solitaire, dans l'attente d'un train qui ne vint jamais. Les voyageurs épars de la salle d'attente, derniers témoins d'une parole refluée à son silence,

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étaient venus prendre part à un antique rituel de renais­sance.

«La poésie est dans la rue, dans le ruisseau, elle est tout à fait dénuée de hiérarchie, elle ne sait pas. Elle ne sait rien. Elle est le chant de notre ignorance. Elle ne connaît pas son homme, ni ses amours, ni ses idées politiques, ni ses ambitions sociales. Elle est ce qui est toujours là, dans nos jours et nos nuits difficiles 1•• • »

Georges Perros regardait au loin où rien n'était en vue, rien qui pût être une lumière, une révélation. Longtemps il ny eut pas mot. Les voyageurs faisaient craquer leurs bancs, frottaient, un peu mal à l'aise, leurs semelles contre les carreaux usés, toussotaient. Rien. Puis, lentement, à tâtons entre la lumière aveugle d'un projecteur et la pénombre, le don d'une franchise, d'une chaleur inimita-: bles, nous faisaient toucher du doigt la longueur d'onde d'une parole nue, celle d'un amour impossible.

« •.. Je vais toujours, on dirait par vice, au mot le plus usé, le plus clochard, le plus chargé; ce n'est pas l'amour des mots entre eux que je cherche, non, mais plutôt leur aptitude à se refiler la même maladie. Les mots nous ressemblent. Il faut et il ne faut pas s'y jier2• »

Pendant que la voix déroulait avec calme ses longs rubans d'incertitude nocturne, sa pauvreté et sa fragilité face aux nobles et vastes entreprises du marbre, je percevais au loin le bruissement de la mer quotidienne.

«J'écris comme on viole. En cachette. Dans les sous­bois du langage. Vite. Caresse interdite.» «Je n'éprouve qu'une sensation :celle du conflit permanent. Le comble de

. ce conflit me semblant être l'amour 3• »

1. Papiers collés Il, p. 160. 2. Papiers collés Il, p. 10. 3. Correspondance Grenier-Perros, p. 123.

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Mots, moments de notre vie, jugés par la plupart comme étant sans importance. Perros nous montre qu'ils sont capables de nous dévoiler des vérités essentielles pour notre métier de vivants.

Sa poésie n'est pas un travail sur la langue; j'ai le sentiment que sa langue lui colle à la peau, mieux, elle est ce courant qui à la fois innerve tous les tissus de son corps et en recueille la tension variable, les rétractions et les dilatations.

« L'écriture a cette vertu de nous faire exister quand nous n'existons plus pour personne 1• >>

Ses poèmes, ses notes, sont la conscience à chaque instant de ce qu'il vivait, repères d'une attention suraiguë, garants d'une conversation ininterrompue avec lui-même, les autres.

« . • . C'est l'homme que j'aurais voulu apprendre par cœur, le poème de l'homme sans poème, mais gorgé de poésie, et s'ils m'ont trouvé agressif, ou désarmé, ou je ne sais quoi qu'ils savent, j'espère, eux, les hommes que j'ai connus, que j'ai aimés ( ... ), sans doute était-ce par cela même que je leur demandais de me donner, par-delà l'indifférence générale, par-delà l'indifférence des sexes et des situations 2• »

Dans la loterie de l'enfance, cet être de grande sensibilité a accumulé les rencontres qui laissent des blessures diffi­ciles, parfois impossibles à guérir. Comment faire confiance, comment s'aimer, faire confuznce à l'amour des autres, les aimer par-delà le jeu ambigu des passions humaines (au sens du XVIIe siècle), quand nous avons été toujours jugés insuffisants, indignes par ceux qui nous ont

1. Papiers collés/, p. 128. 2. Papiers collés//, p. 99.

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accueillis dans l'existence ? Quand leur amour s'adressait toujours à ce que nous n'étions pas, ne pouvions pas être?

et ne supporte que l'on m'aime qu'à ce degré du rien Sinon je ne peux que vous décevoir hommes qui attendez de moi ce que je ne peux vous offrir étant si pauvre me sentant si peu de chose 1

•••

Que faire de ces trésors de sensibilité, de dons de toute sorte, sinon les affirmer sur le terrain même du rejet, de l'indifférence ressentis, sur celui du malaise, du mal être qui s'ensuivent? «C'est intolérable, mais c'est ma seule chance de vie 2• »

Grâce à ces organes de détection incomparables que peut développer en nous une certaine souffrance, il est donné a quelques-uns d'accéder à des régions de l'être que la plupart côtoient dans un demi-sommeil.

Il me semble que ce qui donne à cette écriture -prose et poésie-, bien au-delà de sa fo:-ce corrosive, de son mouve­ment de constante remise en question des valeurs, du penser facile, son cœur tragique protégé par la rapidité, les sar­casmes ou le ton familier c'est la lutte de l'enfant toujours présent, pour le droit d'être ce qu'il est, c'est-à-dire vivant.

Chacun d'entre nous n'a pouvoir que de parler son seul langage A quoi bon vouloir être un autre qui nous fascina par ses mots 3

1. Une vie ordinaire, p. llO. 2. Papiers collés/, p. 56. · 3. Une vie ordinaire, p. 91.

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Mots, moments de notre vie, jugés par la plupart comme étant sans importance. Perros nous montre qu'ils sont capables de nous dévoiler des vérités essentielles pour notre métier de vivants.

Sa poésie n'est pas un travail sur la langue; j'ai le sentiment que sa langue lui colle à la peau, mieux, elle est ce courant qui à la fois innerve tous les tissus de son corps et en recueille la tension variable, les rétractions et les dilatations.

« L'écriture a cette vertu de nous faire exister quand nous n'existons plus pour personne 1• >>

Ses poèmes, ses notes, sont la conscience à chaque instant de ce qu'il vivait, repères d'une attention suraiguë, garants d'une conversation ininterrompue avec lui-même, les autres.

« . • . C'est l'homme que j'aurais voulu apprendre par cœur, le poème de l'homme sans poème, mais gorgé de poésie, et s'ils m'ont trouvé agressif, ou désarmé, ou je ne sais quoi qu'ils savent, j'espère, eux, les hommes que j'ai connus, que j'ai aimés ( ... ), sans doute était-ce par cela même que je leur demandais de me donner, par-delà l'indifférence générale, par-delà l'indifférence des sexes et des situations 2• »

Dans la loterie de l'enfance, cet être de grande sensibilité a accumulé les rencontres qui laissent des blessures diffi­ciles, parfois impossibles à guérir. Comment faire confiance, comment s'aimer, faire confuznce à l'amour des autres, les aimer par-delà le jeu ambigu des passions humaines (au sens du XVIIe siècle), quand nous avons été toujours jugés insuffisants, indignes par ceux qui nous ont

1. Papiers collés/, p. 128. 2. Papiers collés//, p. 99.

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accueillis dans l'existence ? Quand leur amour s'adressait toujours à ce que nous n'étions pas, ne pouvions pas être?

et ne supporte que l'on m'aime qu'à ce degré du rien Sinon je ne peux que vous décevoir hommes qui attendez de moi ce que je ne peux vous offrir étant si pauvre me sentant si peu de chose 1

•••

Que faire de ces trésors de sensibilité, de dons de toute sorte, sinon les affirmer sur le terrain même du rejet, de l'indifférence ressentis, sur celui du malaise, du mal être qui s'ensuivent? «C'est intolérable, mais c'est ma seule chance de vie 2• »

Grâce à ces organes de détection incomparables que peut développer en nous une certaine souffrance, il est donné a quelques-uns d'accéder à des régions de l'être que la plupart côtoient dans un demi-sommeil.

Il me semble que ce qui donne à cette écriture -prose et poésie-, bien au-delà de sa fo:-ce corrosive, de son mouve­ment de constante remise en question des valeurs, du penser facile, son cœur tragique protégé par la rapidité, les sar­casmes ou le ton familier c'est la lutte de l'enfant toujours présent, pour le droit d'être ce qu'il est, c'est-à-dire vivant.

Chacun d'entre nous n'a pouvoir que de parler son seul langage A quoi bon vouloir être un autre qui nous fascina par ses mots 3

1. Une vie ordinaire, p. llO. 2. Papiers collés/, p. 56. · 3. Une vie ordinaire, p. 91.

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Or, déplier ce qui en nous, dans le monde, a été jugé négligeable, inintéressant, méprisable, ·ne peut se faire que dans les marges, dans les coulisses. « Il faut se cacher pour écrire, parce qu'écrire met à poil. A nu 1• »

Dans sa solitude intérieure il affronte sans cesse ces moments décisifs qu'il évoque si souvent, où« s'interrompt l'aventure sociale, sentimentale, intellectuelle 2 ».Il fait là des constats imprescriptibles qui vérifient le territoire de notre finitude, explorent nos rapports dans ce monde clos, sans recours. Que s'endorme cette part aiguë de la conscience humaine et c'est la porte ouverte à l'indifférence, à l'orgueil, au mépris. Et nous savons combien pour échapper à cette première vérité de notre condition nous avons inventé d'étourdissements et de sauvageries. Pour­tant, « les hommes se peuvent faire du bien les uns les autres, c'est ce que j'ai appris dans la solitude 3 ».

Dans une de ses dernières lettres il m'écrivait: «Je voudrais que ce soit la bonté la poésie. J'ai bonne mine. »

Lorand Gaspar

1. Papiers collés Ill, p. 59. 2. Papiers collés Ill, p. 63. 3. Papiers collés Il, p. 25.

Une vie ordinaire

roman poème

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Or, déplier ce qui en nous, dans le monde, a été jugé négligeable, inintéressant, méprisable, ·ne peut se faire que dans les marges, dans les coulisses. « Il faut se cacher pour écrire, parce qu'écrire met à poil. A nu 1• »

Dans sa solitude intérieure il affronte sans cesse ces moments décisifs qu'il évoque si souvent, où« s'interrompt l'aventure sociale, sentimentale, intellectuelle 2 ».Il fait là des constats imprescriptibles qui vérifient le territoire de notre finitude, explorent nos rapports dans ce monde clos, sans recours. Que s'endorme cette part aiguë de la conscience humaine et c'est la porte ouverte à l'indifférence, à l'orgueil, au mépris. Et nous savons combien pour échapper à cette première vérité de notre condition nous avons inventé d'étourdissements et de sauvageries. Pour­tant, « les hommes se peuvent faire du bien les uns les autres, c'est ce que j'ai appris dans la solitude 3 ».

Dans une de ses dernières lettres il m'écrivait: «Je voudrais que ce soit la bonté la poésie. J'ai bonne mine. »

Lorand Gaspar

1. Papiers collés Ill, p. 59. 2. Papiers collés Ill, p. 63. 3. Papiers collés Il, p. 25.

Une vie ordinaire

roman poème

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On naît avec les hommes. On meurt inconsolé parmi les dieux.

René Char.

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La préface est à l'intérieur.

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UNE VIE ORDINAIRE

On m'a bien dit que j'étais né mais de si drôle de façon je me méfie des gens qui m'aiment sans trop pouvoir faire autrement bref j'attends confumation de cet événement suspect rien ne m'ayant encor donné l'enviable sensation d'être tout à fait là sur terre plutôt que dépendant d'un ciel qui change souvent de chemise bien plus que moi.

N'importe allons Je suis pour le discours humain Je suis pour la moitié de pain Le désespoir c'est de se taire Et si mon langage vous pèse quoique si léger si fuyant rien de plus facile à votre aise que de jeter ce livre au vent.

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De cet étonné d'être là il avait sept mois et demi

(Ah ce mois et demi me manque Je suis l'homme d'un courant d'air qui aurait trouvé sa fenêtre un peu trop vite se lâchant dans la nature sans avoir pris nécessaire rendez-vous Ne cherchez donc pas trop ailleurs ce qui mutile ma parole elle est dans le vent et ne tire qu'un pauvre diable par la queue)

qui se noyait dans la cuvette il pesait moins de trois kilos il était condamné à mort au reste l'est-il pas toujours comme mort son frère jumeau avant même d'avoir vécu

(mais c'est plutôt sœur que j'aurais aimé sentir en même temps

20

que moi vivant sur cette terre et j'en aurais été jaloux supportant mal qu'elle préfère me faire cadeau d'un beau-frère) ·

il m'étonne encor d'éprouver le taciturne goût de vivre Je l'entends qui se parle en moi comme dans un habit trop grand se débattent la chair et l'os d'un qui aurait poussé trop vite.

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De cet étonné d'être là il avait sept mois et demi

(Ah ce mois et demi me manque Je suis l'homme d'un courant d'air qui aurait trouvé sa fenêtre un peu trop vite se lâchant dans la nature sans avoir pris nécessaire rendez-vous Ne cherchez donc pas trop ailleurs ce qui mutile ma parole elle est dans le vent et ne tire qu'un pauvre diable par la queue)

qui se noyait dans la cuvette il pesait moins de trois kilos il était condamné à mort au reste l'est-il pas toujours comme mort son frère jumeau avant même d'avoir vécu

(mais c'est plutôt sœur que j'aurais aimé sentir en même temps

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que moi vivant sur cette terre et j'en aurais été jaloux supportant mal qu'elle préfère me faire cadeau d'un beau-frère) ·

il m'étonne encor d'éprouver le taciturne goût de vivre Je l'entends qui se parle en moi comme dans un habit trop grand se débattent la chair et l'os d'un qui aurait poussé trop vite.

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Je suis un homme maintenant et pourrais être militaire et quand on me dit de pacler je sais pourquoi je dois me taire Quoique me sentant peu au monde je dis bonjour ça va bonsoir à mes semblables que je croise et qui me le rendent pàrfois Certes je sais que mon royaume est bien de ce monde Voilà ce qui m'embarasse plutôt Je récupère malle temps que j'ai passé à faire l'âne en laissant ma pauvre maman s'occuper à torcher mon cul à me donner le sein si tant il est vrai qu'elle fit ce geste de laiteuse et pâle tendresse.

22

Où je suis né on me l'a dit mais je l'oublie souvent de même l'âge que j'ai et qu'on me donne quand il me va comme ces gants qu'on dit aller aux mains ou doigts esthétiquement adéquats Je suis né ça me va très bien dans une rue sans envergure elle est dans Paris cherchez-la entre le parc Monceau

(J'allais y jouer au défunt cerceau entre deux très graves rangées de nourrices cosmopolites) et la place de Clichy

Si petite cette rue cachée que l'autre jour par grand hasard j'ai rencontré dans un bistrot de Châteaulin en Finistère un homme qui y était né lui aussi, revenant à peine

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Je suis un homme maintenant et pourrais être militaire et quand on me dit de pacler je sais pourquoi je dois me taire Quoique me sentant peu au monde je dis bonjour ça va bonsoir à mes semblables que je croise et qui me le rendent pàrfois Certes je sais que mon royaume est bien de ce monde Voilà ce qui m'embarasse plutôt Je récupère malle temps que j'ai passé à faire l'âne en laissant ma pauvre maman s'occuper à torcher mon cul à me donner le sein si tant il est vrai qu'elle fit ce geste de laiteuse et pâle tendresse.

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Où je suis né on me l'a dit mais je l'oublie souvent de même l'âge que j'ai et qu'on me donne quand il me va comme ces gants qu'on dit aller aux mains ou doigts esthétiquement adéquats Je suis né ça me va très bien dans une rue sans envergure elle est dans Paris cherchez-la entre le parc Monceau

(J'allais y jouer au défunt cerceau entre deux très graves rangées de nourrices cosmopolites) et la place de Clichy

Si petite cette rue cachée que l'autre jour par grand hasard j'ai rencontré dans un bistrot de Châteaulin en Finistère un homme qui y était né lui aussi, revenant à peine

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de tomber sur un phénomène issu de presque même adresse J'ai dû le forcer à me dire qu'il avait vu là comme moi le premier matin de sa vie Il ne la trouvait pas assez comment dirai-je relevée Il s'appelle Baker d'Isy journaliste de son métier semblant fort priser le bon vin et très sympathique à connaître. (Mais allez donc faire savoir qu'il faut naître avenue Mozart) Les Batignolles ont un accent qui peut déplaire je le sais pour avoir voulu être acteur du côté du Palais-Royal Au Conservatoire on m'a dit qu'il serait bon pour l'avenir de perdre ce ton faubourien ou presque Alors entre les dents je me fourrai de gros crayons pour saisir la bonne diction que requièrent nos grands auteurs. (Conservatoire professeurs à l'avant-garde du Grand Siècle mais à la remorque du nôtre Ils nous expliquaient longuement le bien-parler de nos ancêtres sans entendre le moindre son du langage actuel)

Hélas il m'en reste encor quelque chose

24

de cet accent qui me fit tort Dès qu'en province j'apparus mes petits amis du moment me suivaient dans la rue chantant

Parisien foutu Allumette au cul

ce qui me paraissait bizarre Je n'ai pris feu que bien plus tard Puis je ne suis pas rancunier Je trouve normal qu'on me fasse plutôt le mal que l'amitié car je ne mérite aucun bien et n'en méritais davantage à l'âge où se passa la chose que je relate en ce moment Elle eut lieu à Mandeure près Pont-de-Roide sur le Doubs Beau pays que je vous conseille d'aller voir mais sans trop d'accent Dieu sait s'il en a l'habitant.

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de tomber sur un phénomène issu de presque même adresse J'ai dû le forcer à me dire qu'il avait vu là comme moi le premier matin de sa vie Il ne la trouvait pas assez comment dirai-je relevée Il s'appelle Baker d'Isy journaliste de son métier semblant fort priser le bon vin et très sympathique à connaître. (Mais allez donc faire savoir qu'il faut naître avenue Mozart) Les Batignolles ont un accent qui peut déplaire je le sais pour avoir voulu être acteur du côté du Palais-Royal Au Conservatoire on m'a dit qu'il serait bon pour l'avenir de perdre ce ton faubourien ou presque Alors entre les dents je me fourrai de gros crayons pour saisir la bonne diction que requièrent nos grands auteurs. (Conservatoire professeurs à l'avant-garde du Grand Siècle mais à la remorque du nôtre Ils nous expliquaient longuement le bien-parler de nos ancêtres sans entendre le moindre son du langage actuel)

Hélas il m'en reste encor quelque chose

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de cet accent qui me fit tort Dès qu'en province j'apparus mes petits amis du moment me suivaient dans la rue chantant

Parisien foutu Allumette au cul

ce qui me paraissait bizarre Je n'ai pris feu que bien plus tard Puis je ne suis pas rancunier Je trouve normal qu'on me fasse plutôt le mal que l'amitié car je ne mérite aucun bien et n'en méritais davantage à l'âge où se passa la chose que je relate en ce moment Elle eut lieu à Mandeure près Pont-de-Roide sur le Doubs Beau pays que je vous conseille d'aller voir mais sans trop d'accent Dieu sait s'il en a l'habitant.

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Je suis né rue Claude-Pouillet Je ne sais pas qui fut cet homme mais il est courant que l'on donne un nom obscur aux rues Ainsi suffit-il d'habiter village ou d'être maire châtelain magistrat héros sous-marin pour qu'après la vie on devienne par correspondance quelqu'un. (Ce doit être bien émouvant de recevoir paquets et lettres quand on est veuve d'un mari qui fut célèbre de son temps Ainsi Madame Valéry reçoit des enveloppes qui s'adressent rue Paul-Valéry et si elle prend l'autobus peu probable vu son grand âge elle monte à la station Paul Valéry

Que devient-on?) En Amérique on numérote

26

et j'ai souvent rêvé de loin aux grands chiffres illuminés que le néon de Broadway passe en revue Ce n'est qu'un rêve car je ne suis pas près de voir les hommes voués à la statue. Au bout de l'Ouest européen j'en devine la multitude mais c'est plutôt vers l'est disons vers Moscou que mon œil chemine ou vers la Chine et ce n'est point idéologique on dit bien idéologique à propos de cette triste vérité qui nous veut prendre par la main pour nous donner plus d'existence sous prétexte qu'on meurt au loin mais on meurt partout Et je sais pour les avoir vus en privé à quel point se bichonnent ceux que le sort invisible d'un dont ils se foutent c'est peu dire met dans tous leurs états L'Empire d'Alexandre ou Napoléon serait trop petit pour sécher leurs larmes un rien crocodiles.

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Je suis né rue Claude-Pouillet Je ne sais pas qui fut cet homme mais il est courant que l'on donne un nom obscur aux rues Ainsi suffit-il d'habiter village ou d'être maire châtelain magistrat héros sous-marin pour qu'après la vie on devienne par correspondance quelqu'un. (Ce doit être bien émouvant de recevoir paquets et lettres quand on est veuve d'un mari qui fut célèbre de son temps Ainsi Madame Valéry reçoit des enveloppes qui s'adressent rue Paul-Valéry et si elle prend l'autobus peu probable vu son grand âge elle monte à la station Paul Valéry

Que devient-on?) En Amérique on numérote

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et j'ai souvent rêvé de loin aux grands chiffres illuminés que le néon de Broadway passe en revue Ce n'est qu'un rêve car je ne suis pas près de voir les hommes voués à la statue. Au bout de l'Ouest européen j'en devine la multitude mais c'est plutôt vers l'est disons vers Moscou que mon œil chemine ou vers la Chine et ce n'est point idéologique on dit bien idéologique à propos de cette triste vérité qui nous veut prendre par la main pour nous donner plus d'existence sous prétexte qu'on meurt au loin mais on meurt partout Et je sais pour les avoir vus en privé à quel point se bichonnent ceux que le sort invisible d'un dont ils se foutent c'est peu dire met dans tous leurs états L'Empire d'Alexandre ou Napoléon serait trop petit pour sécher leurs larmes un rien crocodiles.

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Je suis né dans une mansarde d'où l'on entendait le matin des laitiers qui drelin drelin réveillaient les biberonneuses.

Ici naquit Georges Machin qui pendant sa vie ne fut rien et qui continue Il aura su tromper son monde en donnant quelques fugitives promesses mais il lui manquait c'est certain de quoi faire qu'on le conserve en boîte d'immortalité.

Prendre l'air était son métier.

28

Je devais mais beaucoup plus tard faire la connaissance émue des parents qui m'étaient échus Ainsi apprendre que mon père travaillait dans les assurances du côté de la rue Taitbout J'ignorais alors que ma mère était fille de paysan du Pas-de-Calais patoisant mon p'tit fieu et la del ducasse

(Elle boit toujours son café à la mode ch'timi le sucre dans la bouche pas dans la tasse C'est tout ce qui lui est resté de son enfance dans le Nord car elle a trop aimé Paris celui des Printemps Bon Marché Galeries Lafayette Louvre 0 ces magasins m'y serai-je assez ennuyé Je te monte au premier rayon lingerie au second meubles literie au troisième pour la cuisine

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Je suis né dans une mansarde d'où l'on entendait le matin des laitiers qui drelin drelin réveillaient les biberonneuses.

Ici naquit Georges Machin qui pendant sa vie ne fut rien et qui continue Il aura su tromper son monde en donnant quelques fugitives promesses mais il lui manquait c'est certain de quoi faire qu'on le conserve en boîte d'immortalité.

Prendre l'air était son métier.

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Je devais mais beaucoup plus tard faire la connaissance émue des parents qui m'étaient échus Ainsi apprendre que mon père travaillait dans les assurances du côté de la rue Taitbout J'ignorais alors que ma mère était fille de paysan du Pas-de-Calais patoisant mon p'tit fieu et la del ducasse

(Elle boit toujours son café à la mode ch'timi le sucre dans la bouche pas dans la tasse C'est tout ce qui lui est resté de son enfance dans le Nord car elle a trop aimé Paris celui des Printemps Bon Marché Galeries Lafayette Louvre 0 ces magasins m'y serai-je assez ennuyé Je te monte au premier rayon lingerie au second meubles literie au troisième pour la cuisine

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quatrième sports et jouets et je te redescends fourbu pour s'engouffrer dans le métro à l'heure où l'on s'y congratule à chaque arrêt tonitruant)

Comme elle travaillait aussi elle me laissait le matin chez la concierge qui souvent oubliait de me changer tant que ma mère un jour se fâcha bien à tort je lui aurais dit si j'avais eu quelque parole et quitta sa place appointée pour se consacrer à l'enfant faisant pipi dans sa culotte Moi je l'aimais bien la concierge elle vient juste de mourir et son mari qui m'emmena plus tard bien sûr dans les tribunes d'où l'on voit jouer au ballon J'attrapai même une bronchite un dimanche d'hiver vibrant en collectivité sportive grâce aux exploits de ces garçons dont le mystère fascina plutôt mes jambes que mon crâne et je rejoignis leur vestiaire dès que l'âge me le permit C'est l'odeur qui m'en est restée d'embrocation dit-on je crois On se fait reluire les muscles dans un silence électrisé.

30

J'allais en vacances à Courrières près Hénin-Liétard Les corons me faisaient grosse impression Vésuves d'une triste terre et les pavés que les cyclistes empruntent pour mieux savourer la victoire au bout de la piste Mon grand-père alors me hissait sur son cheval A petit trot nous allions jusque dans les champs tartine de pain cassonade J'aimais me sentir dans le vent dans le blé bleu qui pique aux jambes le blé n'est pas bleu je le sais mais un mot en amène un autre et tout a la couleur du ciel quand notre œil est en nouveauté.

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quatrième sports et jouets et je te redescends fourbu pour s'engouffrer dans le métro à l'heure où l'on s'y congratule à chaque arrêt tonitruant)

Comme elle travaillait aussi elle me laissait le matin chez la concierge qui souvent oubliait de me changer tant que ma mère un jour se fâcha bien à tort je lui aurais dit si j'avais eu quelque parole et quitta sa place appointée pour se consacrer à l'enfant faisant pipi dans sa culotte Moi je l'aimais bien la concierge elle vient juste de mourir et son mari qui m'emmena plus tard bien sûr dans les tribunes d'où l'on voit jouer au ballon J'attrapai même une bronchite un dimanche d'hiver vibrant en collectivité sportive grâce aux exploits de ces garçons dont le mystère fascina plutôt mes jambes que mon crâne et je rejoignis leur vestiaire dès que l'âge me le permit C'est l'odeur qui m'en est restée d'embrocation dit-on je crois On se fait reluire les muscles dans un silence électrisé.

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J'allais en vacances à Courrières près Hénin-Liétard Les corons me faisaient grosse impression Vésuves d'une triste terre et les pavés que les cyclistes empruntent pour mieux savourer la victoire au bout de la piste Mon grand-père alors me hissait sur son cheval A petit trot nous allions jusque dans les champs tartine de pain cassonade J'aimais me sentir dans le vent dans le blé bleu qui pique aux jambes le blé n'est pas bleu je le sais mais un mot en amène un autre et tout a la couleur du ciel quand notre œil est en nouveauté.

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A Belleville mon grand-père l'autre du côté paternel avait un atelier donnant sur le Paris d'alors fumant pas loin de la rue des Envierges. de la rue Piat Vous connaissez ? C'était un quartier à bougnats à petits bistrots à gavroches on y parlait haut J'y,retoume chaque fois que vais à Paris mais ce n'est plus la même chose Il travaillait sur porcelaine et ce fut un beau branle-bas quand il mourut pour l'héritage entre mon père et ses deux sœurs qui ne s'aimaient guère Pourtant il eut droit à quelques babioles que l'on mit derrière vitrine et qui ne sont ni mal ni bien Mais c'était un bel artisan que je revois en blouse blanche il me caressait le menton

32

(Sa femme en toute vraisemblance ma grand-mère aimait paraît-il jouer à décoller mes oreilles On est espiègle à tous les âges.)

Il est mort trop vite je pense que nous nous serions bien compris grâce à ce goüt de la bohème qui saute une génération si j'en crois l'horreur qu'en avait mon père Cela fit beaucoup dans nos démêlés Je soutiens qu'on peut très bien vivre sans rien pourvu que le matin nous trouve prêt à reprendre l'aventure C'est quand on respire en arrière que le malheur creuse son trou.

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Une vie ordinaire. 2.

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A Belleville mon grand-père l'autre du côté paternel avait un atelier donnant sur le Paris d'alors fumant pas loin de la rue des Envierges. de la rue Piat Vous connaissez ? C'était un quartier à bougnats à petits bistrots à gavroches on y parlait haut J'y,retoume chaque fois que vais à Paris mais ce n'est plus la même chose Il travaillait sur porcelaine et ce fut un beau branle-bas quand il mourut pour l'héritage entre mon père et ses deux sœurs qui ne s'aimaient guère Pourtant il eut droit à quelques babioles que l'on mit derrière vitrine et qui ne sont ni mal ni bien Mais c'était un bel artisan que je revois en blouse blanche il me caressait le menton

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(Sa femme en toute vraisemblance ma grand-mère aimait paraît-il jouer à décoller mes oreilles On est espiègle à tous les âges.)

Il est mort trop vite je pense que nous nous serions bien compris grâce à ce goüt de la bohème qui saute une génération si j'en crois l'horreur qu'en avait mon père Cela fit beaucoup dans nos démêlés Je soutiens qu'on peut très bien vivre sans rien pourvu que le matin nous trouve prêt à reprendre l'aventure C'est quand on respire en arrière que le malheur creuse son trou.

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Une vie ordinaire. 2.

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Très pauvres encor mes parents se privèrent pour m'acheter un piano droit meuble encombrant notre chambre était si petite sous prétexte que je fonçais doigts en avant dès qu'un clavier se présentait à ma ferveur Mon père me donnait un sou quand je remontais bien la gamme

(Et moi je donne maintenant cours de piano aux jeunes filles dans la ville où suis retiré retiré de quoi de personne Allons-y du Gai Laboureur des sonates de Clementi des exercices dur labeur Je les traque pour qu'elles passent leur pouce par-dessous l'index leur expliquant pour m'excuser que je n'y croyais pas non plus à ces chinoiseries tactiles

34

quand j'étais aussi jeune qu'elles mais qu'enfm très obéissant je connais les vertus cachées . de ces chiffres pris dans les dmgts)

Plus tard j'eus de graves messieurs qui me faisaient pleurer tapant sur les mêmes doigts quand la note était fausse J'en retirai le dégoût de l'éducation par l'autorité Mais depuis à moi seul me trouve réduit et ce n'est guère profitable Étrange ce besoin qu'on a d'un tiers même s'il ne dit rien pour nous forcer à faire bien ce qui seul nous laisse en dérive Nous avons besoin d'une oreille pour faire mieux ce que l'on fait ou d'une intelligence qui nous demande de passer outre à la nôtre quand elle croit se trop suffire à elle-même et nous n'aimons ce que l'on aime qu'avec l'assentiment d'autrui Cela condamne nos amours.

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Très pauvres encor mes parents se privèrent pour m'acheter un piano droit meuble encombrant notre chambre était si petite sous prétexte que je fonçais doigts en avant dès qu'un clavier se présentait à ma ferveur Mon père me donnait un sou quand je remontais bien la gamme

(Et moi je donne maintenant cours de piano aux jeunes filles dans la ville où suis retiré retiré de quoi de personne Allons-y du Gai Laboureur des sonates de Clementi des exercices dur labeur Je les traque pour qu'elles passent leur pouce par-dessous l'index leur expliquant pour m'excuser que je n'y croyais pas non plus à ces chinoiseries tactiles

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quand j'étais aussi jeune qu'elles mais qu'enfm très obéissant je connais les vertus cachées . de ces chiffres pris dans les dmgts)

Plus tard j'eus de graves messieurs qui me faisaient pleurer tapant sur les mêmes doigts quand la note était fausse J'en retirai le dégoût de l'éducation par l'autorité Mais depuis à moi seul me trouve réduit et ce n'est guère profitable Étrange ce besoin qu'on a d'un tiers même s'il ne dit rien pour nous forcer à faire bien ce qui seul nous laisse en dérive Nous avons besoin d'une oreille pour faire mieux ce que l'on fait ou d'une intelligence qui nous demande de passer outre à la nôtre quand elle croit se trop suffire à elle-même et nous n'aimons ce que l'on aime qu'avec l'assentiment d'autrui Cela condamne nos amours.

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L'amitié ce fut difficile J'étais attiré par les grands qui m'entraînaient dans des endroits où leur manière d'être ensemble me surprenait un peu Un jour l'un d'entre eux tout seul avec moi me déboutonna la braguette et flanqua ma main dans la sienne où je rencontrai raide ainsi que la justice comme on dit cette chose qui fait le monde Je suis d'un naturel aidant et je lui donnai par la main de quoi jouir n'y comprenant goutte Il se tordit et je le crus malade mais non ce n'était qu'un liquide qui lui sortait un peu huileux par ce tuyau que je ne croyais bon misère qu'à pisser en toute innocence.

36

L'école était rue Libergier qui mène vers la cathédrale J'habitais rue des Capucins et n'avais que cent mètres à faire pour aller apprendre de quoi passer outre au certificat d'études vrai le seul diplôme qui me fût universitaire Après pour m'excuser on dit que je changeais bien trop souvent de lycée

(C'est à Condorcet que je terminai ma carrière d'élève avec ses professeurs Je partais de la rue Lepic d'un garni mes parents avaient laissé leurs meubles en Alsace ou presque il s'agit de Belfort Nous habitions pièce commune à pavés rouges me souviens A côté on faisait musique avec Louis Armstrong et les reins

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L'amitié ce fut difficile J'étais attiré par les grands qui m'entraînaient dans des endroits où leur manière d'être ensemble me surprenait un peu Un jour l'un d'entre eux tout seul avec moi me déboutonna la braguette et flanqua ma main dans la sienne où je rencontrai raide ainsi que la justice comme on dit cette chose qui fait le monde Je suis d'un naturel aidant et je lui donnai par la main de quoi jouir n'y comprenant goutte Il se tordit et je le crus malade mais non ce n'était qu'un liquide qui lui sortait un peu huileux par ce tuyau que je ne croyais bon misère qu'à pisser en toute innocence.

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L'école était rue Libergier qui mène vers la cathédrale J'habitais rue des Capucins et n'avais que cent mètres à faire pour aller apprendre de quoi passer outre au certificat d'études vrai le seul diplôme qui me fût universitaire Après pour m'excuser on dit que je changeais bien trop souvent de lycée

(C'est à Condorcet que je terminai ma carrière d'élève avec ses professeurs Je partais de la rue Lepic d'un garni mes parents avaient laissé leurs meubles en Alsace ou presque il s'agit de Belfort Nous habitions pièce commune à pavés rouges me souviens A côté on faisait musique avec Louis Armstrong et les reins

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sous la lune glorifiaient le très éternel féminin J'aimais être là Je regrette d'avoir été si jeune alors J'aurais pu rencontrer Breton et ses amis place Pigalle Au fait non ils étaient partis puisque c'était le temps de guerre Mais je n'avais chats à fouetter que ceux de dernière gouttière et la nuit j'entendais mon père parler doucement à ma mère J'avais déjà de l'insomnie) Mais pour en revenir à Reims car c'est de Reims qu'il fut question pour mon certificat d'études pendant la récréation deux ou trois amis redoutables qui ne me trouvaient à leur goût m'entraînaient au fond du préau et me tenant l'un par le cou l'autre par la taille par terre me retiraient culotte et slip pour me prendre et tirer dessus mon malheureux petit jésus C'est un de mes bons souvenirs Je rentrais chez moi en chialant et sur les genoux de ma mère je me suicidais doucement me plaignant déjà mais pourquoi du sort cruel que l'on réserve à plus vulnérable que soi sans que le geste téméraire

38

vînt sur le tapis de mes larmes _ Maman les hommes sont méchants _ Qu'est-ce qu'ils t'ont fait mon chéri Je te dis toujours de .rentrer . tout de suite Bien frut pour toi-On ne peut rien dire à personne de notre profonde souffrance Si vous voulez de tous les noms vous faire traiter allez-y Nous ne sommes que les amis d'amis mais l'ami seul nous manque et la jalousie a long nez J'en sais trop long sur la question pour faire plus qu'on me demande

Quand je rentrais tard du lycée les chaussures pleines de craie à jouer au ballon derrière la très sublime cathédrale ma mère me disait toujours toi tu n'arriveras à rien Elle avait raison quoique tort comme c'est si souvent le cas J'y suis arrivé à ce rien pour elle le plus mauvais sort

(C'est moins facile qu'on le pense Il faut faire très attention à n'avoir considération que pour ce rien qui nous démange et fait passer grave examen aux candidats souvent malins ou un peu trop spectaculaires

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sous la lune glorifiaient le très éternel féminin J'aimais être là Je regrette d'avoir été si jeune alors J'aurais pu rencontrer Breton et ses amis place Pigalle Au fait non ils étaient partis puisque c'était le temps de guerre Mais je n'avais chats à fouetter que ceux de dernière gouttière et la nuit j'entendais mon père parler doucement à ma mère J'avais déjà de l'insomnie) Mais pour en revenir à Reims car c'est de Reims qu'il fut question pour mon certificat d'études pendant la récréation deux ou trois amis redoutables qui ne me trouvaient à leur goût m'entraînaient au fond du préau et me tenant l'un par le cou l'autre par la taille par terre me retiraient culotte et slip pour me prendre et tirer dessus mon malheureux petit jésus C'est un de mes bons souvenirs Je rentrais chez moi en chialant et sur les genoux de ma mère je me suicidais doucement me plaignant déjà mais pourquoi du sort cruel que l'on réserve à plus vulnérable que soi sans que le geste téméraire

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vînt sur le tapis de mes larmes _ Maman les hommes sont méchants _ Qu'est-ce qu'ils t'ont fait mon chéri Je te dis toujours de .rentrer . tout de suite Bien frut pour toi-On ne peut rien dire à personne de notre profonde souffrance Si vous voulez de tous les noms vous faire traiter allez-y Nous ne sommes que les amis d'amis mais l'ami seul nous manque et la jalousie a long nez J'en sais trop long sur la question pour faire plus qu'on me demande

Quand je rentrais tard du lycée les chaussures pleines de craie à jouer au ballon derrière la très sublime cathédrale ma mère me disait toujours toi tu n'arriveras à rien Elle avait raison quoique tort comme c'est si souvent le cas J'y suis arrivé à ce rien pour elle le plus mauvais sort

(C'est moins facile qu'on le pense Il faut faire très attention à n'avoir considération que pour ce rien qui nous démange et fait passer grave examen aux candidats souvent malins ou un peu trop spectaculaires

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Mais le plaisir a dure dent quand on veut le mettre en sa poche Si ton bonheur est dans le vent donne au vent toute ta nature Mais ne joue avec Il t'aura la peau plus encor que les hommes assez inoffensifs au fond Nous nous donnons gants très cruels sans trop en avoir les moyens et du catch à la guerre en somme il n'y a que très court chemin Quand les dieux nous manquent et souvent ils font acte d'absence on est d'une susceptibilité à faire pleurer les moineaux)

Elle me disait sans cravate on ne te recevra pas là si tu ne t'habilles pas bien on te renverra sans délai (Quelle chance entre nous soit dit) J'aurais tant aimé voir mon fùs rester comme encor tout petit Il avait tout l'air d'une fille tant il était coquet Je lui mettais dans les cheveux barrettes et mignons costumes velours On nous arrêtait dans la rue Qu'elle est donc charmante madame cette demoiselle un amour Mais non voyons c'est un garçon Oui j'aurais tant aimé te voir réussir dans la vie Voilà

40

que nous avons fait un clocha~d Ton père est malheureux auss1 il me le disait l'autre jour Mais quand tu es là il se tait Ah ce que les hommes sont lâches Et moi j'en pleure ce n'est pas ce qu'on avait ton père et moi espéré pour toi si mignon quand tu n'avais pas la parole et maintenant tu nous désoles à n'en faire qu'à ton idée.

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Mais le plaisir a dure dent quand on veut le mettre en sa poche Si ton bonheur est dans le vent donne au vent toute ta nature Mais ne joue avec Il t'aura la peau plus encor que les hommes assez inoffensifs au fond Nous nous donnons gants très cruels sans trop en avoir les moyens et du catch à la guerre en somme il n'y a que très court chemin Quand les dieux nous manquent et souvent ils font acte d'absence on est d'une susceptibilité à faire pleurer les moineaux)

Elle me disait sans cravate on ne te recevra pas là si tu ne t'habilles pas bien on te renverra sans délai (Quelle chance entre nous soit dit) J'aurais tant aimé voir mon fùs rester comme encor tout petit Il avait tout l'air d'une fille tant il était coquet Je lui mettais dans les cheveux barrettes et mignons costumes velours On nous arrêtait dans la rue Qu'elle est donc charmante madame cette demoiselle un amour Mais non voyons c'est un garçon Oui j'aurais tant aimé te voir réussir dans la vie Voilà

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que nous avons fait un clocha~d Ton père est malheureux auss1 il me le disait l'autre jour Mais quand tu es là il se tait Ah ce que les hommes sont lâches Et moi j'en pleure ce n'est pas ce qu'on avait ton père et moi espéré pour toi si mignon quand tu n'avais pas la parole et maintenant tu nous désoles à n'en faire qu'à ton idée.

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Mon père parfois un peu tard retour des hauteurs d'Épernay et trop chauffé par le champagne comment faisait-il pour conduire était on ne peut mieux reçu Je l'avais pourtant suppliée ma mère de laisser tranquille cet homme rouge qui diSait dès que porte ouverte Je suis saoul je suis n'est-ce pas madame va dire encor que je suis saoul Et c'était alors la bataille des cris des gestes des fureurs Je séparais les combattants du haut de mes douze ou treize ans.

Étincelait dans le couloir un poignard que mon oncle avait ramené du Cameroun où il se faisait pas mal d'argent nous racontant - j'entendais tout quoique jeune - qu'il baisait bien

42

les négresses et tapait de même les hommes de sombre couleur Mais nous sommes fâchés depuis · Il est vieillard dans un asile à Montreuil-sur-Mer près Boulogne.

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Mon père parfois un peu tard retour des hauteurs d'Épernay et trop chauffé par le champagne comment faisait-il pour conduire était on ne peut mieux reçu Je l'avais pourtant suppliée ma mère de laisser tranquille cet homme rouge qui diSait dès que porte ouverte Je suis saoul je suis n'est-ce pas madame va dire encor que je suis saoul Et c'était alors la bataille des cris des gestes des fureurs Je séparais les combattants du haut de mes douze ou treize ans.

Étincelait dans le couloir un poignard que mon oncle avait ramené du Cameroun où il se faisait pas mal d'argent nous racontant - j'entendais tout quoique jeune - qu'il baisait bien

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les négresses et tapait de même les hommes de sombre couleur Mais nous sommes fâchés depuis · Il est vieillard dans un asile à Montreuil-sur-Mer près Boulogne.

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A Rennes je vécus un an Mes parents m'avaient envoyé dans le pays breton craignant que Belfort ne fût bombardé En fait c'est cirant mes souliers geste rarissime et jamais depuis ne l'ai recommencé qu'à Rennes les premières bombes en France tombées échouèrent Ainsi va le destin ma chère Nous descendîmes au galop plus déshaQillés que vêtus dans la cave le cœur battant Je devais connaître bien mieux près de Boulogne-BillancoUrt. C'est à Bécherel près Dinan où nous nous étions réfugiés par crainte des gros avions que je vis les fiers Allemands pour la première fois La peur nous avait mis dans les armoires Nous logions alors les deux filles

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et la mère de la famille qui m'avait pris en charge chez un brave marchand de tissu Un quart d'heure avant l'arrivée de ces messieurs en vert -de-gris il avait vêtu de quoi faire fuir un soldat velléitaire dont les vieux habits dans la cour avaient été jetés C'est pour cela que nous avions la frousse quand les Allemands vinrent ~oir si nous étions de bons Françrus capables d'aller vers le diable en déclamant l'hymne à la joie Les deux filles dont je parlais m'en firent voir et je m'étonne d'avoir après tout si discret fait fi de leur virginité qui s'ennuyait dans leur culotte Mais non je lisais Nicomède dans le grenier Une bougie rendait ma crainte moins terrible de voir surgir une souris Combien de temps restâmes-nous dans ce petit village trou d'où le sang coule en ma mémoire Après quoi retrouvant Paris je fus commis de librairie chez ma tante qui vendait livres avenue de Suffren J'allais à bicyclette dans des lieux depuis moins sacrés à mes yeux Chez les éditeurs en tous genres.

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A Rennes je vécus un an Mes parents m'avaient envoyé dans le pays breton craignant que Belfort ne fût bombardé En fait c'est cirant mes souliers geste rarissime et jamais depuis ne l'ai recommencé qu'à Rennes les premières bombes en France tombées échouèrent Ainsi va le destin ma chère Nous descendîmes au galop plus déshaQillés que vêtus dans la cave le cœur battant Je devais connaître bien mieux près de Boulogne-BillancoUrt. C'est à Bécherel près Dinan où nous nous étions réfugiés par crainte des gros avions que je vis les fiers Allemands pour la première fois La peur nous avait mis dans les armoires Nous logions alors les deux filles

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et la mère de la famille qui m'avait pris en charge chez un brave marchand de tissu Un quart d'heure avant l'arrivée de ces messieurs en vert -de-gris il avait vêtu de quoi faire fuir un soldat velléitaire dont les vieux habits dans la cour avaient été jetés C'est pour cela que nous avions la frousse quand les Allemands vinrent ~oir si nous étions de bons Françrus capables d'aller vers le diable en déclamant l'hymne à la joie Les deux filles dont je parlais m'en firent voir et je m'étonne d'avoir après tout si discret fait fi de leur virginité qui s'ennuyait dans leur culotte Mais non je lisais Nicomède dans le grenier Une bougie rendait ma crainte moins terrible de voir surgir une souris Combien de temps restâmes-nous dans ce petit village trou d'où le sang coule en ma mémoire Après quoi retrouvant Paris je fus commis de librairie chez ma tante qui vendait livres avenue de Suffren J'allais à bicyclette dans des lieux depuis moins sacrés à mes yeux Chez les éditeurs en tous genres.

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J'allais alors tous les dimanches au Théâtre municipal tout seul et j'étais fasciné par les divettes et chanteurs d'opérettes franco-viennoises

(Je vis un jour jouant dans Ia rue passer Ie baryton la goutte au nez en civil pas possible Qu'est-il devenu Lorenzo Il chantait si bien le dimanche les airs de Princesse Czardas ou de Coups de roulis Bon Dieu je n'en revenais pas de voir passer cet homme comme moi habillé souffrant de l'hiver De même quand je vis Werther venir saluer à la fm ~ela chose du petit Julés Etait-il mort ou non? De quoi perdre la tête C'est ainsi je me Ie dis souvent depuis

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que j'ai voulu mieux vous connaître gens de théâtre fascinants quand on est dans la salle Si décevants mais à qui la faute quand on vous fréquente en coulisses déguisé comme vous pour mieux percer votre pâle mystère)

Certes il n'est pas recommandé de fréquenter les comédiens ou les artistes en tous genres plus de temps qu'en supporte leur fragile sensibilité Le moindre courant d'air l'enrhume D'eux tous je garde un souvenir coupé en deux Je fus des leurs ni plus médiocre ni meilleur que la plupart Quand je revois quelques-uns de mes vieux collègues de spectacle toujours en train d'achardiser d'anouilhiser salacrouter létraziser tant bien que mal pour faire rire ou pleurer ou terroriser du côté de la Michodière ou de la rue de la Gaîté je me trouve un rien soulagé d'avoir rompu cette aventure au risque de casser les reins de ma sociale insignifiance.

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J'allais alors tous les dimanches au Théâtre municipal tout seul et j'étais fasciné par les divettes et chanteurs d'opérettes franco-viennoises

(Je vis un jour jouant dans Ia rue passer Ie baryton la goutte au nez en civil pas possible Qu'est-il devenu Lorenzo Il chantait si bien le dimanche les airs de Princesse Czardas ou de Coups de roulis Bon Dieu je n'en revenais pas de voir passer cet homme comme moi habillé souffrant de l'hiver De même quand je vis Werther venir saluer à la fm ~ela chose du petit Julés Etait-il mort ou non? De quoi perdre la tête C'est ainsi je me Ie dis souvent depuis

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que j'ai voulu mieux vous connaître gens de théâtre fascinants quand on est dans la salle Si décevants mais à qui la faute quand on vous fréquente en coulisses déguisé comme vous pour mieux percer votre pâle mystère)

Certes il n'est pas recommandé de fréquenter les comédiens ou les artistes en tous genres plus de temps qu'en supporte leur fragile sensibilité Le moindre courant d'air l'enrhume D'eux tous je garde un souvenir coupé en deux Je fus des leurs ni plus médiocre ni meilleur que la plupart Quand je revois quelques-uns de mes vieux collègues de spectacle toujours en train d'achardiser d'anouilhiser salacrouter létraziser tant bien que mal pour faire rire ou pleurer ou terroriser du côté de la Michodière ou de la rue de la Gaîté je me trouve un rien soulagé d'avoir rompu cette aventure au risque de casser les reins de ma sociale insignifiance.

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Je suis un homme de coulisses J'aime me trouver entre deux Quand j'ai voulu faire métier d'acteur c'est pour connaître mieux je m'en aperçus un peu vite ce qui se passe par-derrière machinistes jouant aux cartes aux aguets des métamorphoses que par les cintres et jeux d'orgue exige la chose en question Titus fumant la cigarette Bérénice sur les genoux Mais quel ennui dès que sur scène il fallait aller débiter texte qui m'était étranger loin de mémoire naturelle avec Denis d'Inès Seigner Yonnel Annie Ducaux j'en passe Fût-ce pour leur dire deux mots car j'étais peu distribué Me reste cependant au cœur le dialogue que j'échangeais

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dans le Cantique des Cantiques de Giraudoux le bien-disant avec Debucourt dont la tête ressemblait tant à celle ailleurs de Baudelaire li est possible que le goût que j'avais pour lui vînt de là Mais il avait don de rendre la scène vivante Un autre aussi Aimé Clariond tzigane à la voix enrouée avait du charme Le pourquoi de leur présence en la Maison de Molière me fut mystère à présent ceux qui la fréquentent montrant telle insipidité.

Leur corps a perdu l'équilibre qui permet du haut d'un trapèze de se sentir très mal à l'aise quoique n'aimant que ce métier que ce métier qui est la vie.

Je jouais sans aucun génie tout incapable d'aller mordre la queue des dieux ainsi que font ceux qui brûlent dit-on les planches li doit en rester quelques-uns j'espère comment le saurais-je moi qui vis si loin de ces jeux à tel point que si je rencontre un de mes amis d'autrefois je dois revenir en arrière plus de cent ans avant cela

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Je suis un homme de coulisses J'aime me trouver entre deux Quand j'ai voulu faire métier d'acteur c'est pour connaître mieux je m'en aperçus un peu vite ce qui se passe par-derrière machinistes jouant aux cartes aux aguets des métamorphoses que par les cintres et jeux d'orgue exige la chose en question Titus fumant la cigarette Bérénice sur les genoux Mais quel ennui dès que sur scène il fallait aller débiter texte qui m'était étranger loin de mémoire naturelle avec Denis d'Inès Seigner Yonnel Annie Ducaux j'en passe Fût-ce pour leur dire deux mots car j'étais peu distribué Me reste cependant au cœur le dialogue que j'échangeais

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dans le Cantique des Cantiques de Giraudoux le bien-disant avec Debucourt dont la tête ressemblait tant à celle ailleurs de Baudelaire li est possible que le goût que j'avais pour lui vînt de là Mais il avait don de rendre la scène vivante Un autre aussi Aimé Clariond tzigane à la voix enrouée avait du charme Le pourquoi de leur présence en la Maison de Molière me fut mystère à présent ceux qui la fréquentent montrant telle insipidité.

Leur corps a perdu l'équilibre qui permet du haut d'un trapèze de se sentir très mal à l'aise quoique n'aimant que ce métier que ce métier qui est la vie.

Je jouais sans aucun génie tout incapable d'aller mordre la queue des dieux ainsi que font ceux qui brûlent dit-on les planches li doit en rester quelques-uns j'espère comment le saurais-je moi qui vis si loin de ces jeux à tel point que si je rencontre un de mes amis d'autrefois je dois revenir en arrière plus de cent ans avant cela

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r

qui me fit aimer le théâtre plus que tout au monde Voilà comme on change du tout au tout.

Je parlais juste ça fait rire dans un monde où pas mal de gens parlent faux rien que par plaisir On me disait vous seriez mieux chez Dullin que dans ce théâtre où tout ne tend qu'à bien mourir C'était vrai mais déjà le mal qui me fut le plus grand des biens d'une liberté sans décor ou seul celui qui rend la mort moins sordide décor humain décor forestier ou marin déjà le mal me travaillait et je m'en fus chercher le vent sans nul regret ni de ce monde ni de ces jeux sans intérêt pour qui trouve la comédie aux moindres moments de sa vie pour en combattre le poison.

50

Nous avions tous deux le même âge seize ou dix-sept ans ne sais plus et notre amour dura trois ans Nous couchions ensemble souvent rue des Acacias la cousine de ma belle toujours absente y ayant un appartement Nous en profitions nous tenant l'un sur l'autre nus sans rien faire attendant que l'ange trépasse qui nous regardait en riant Mais j'avais peur de la brusquer Le jour où par pure méprise je la pénétrai plus avant elle se rendit compte à peine de mon geste C'était vexant Nous faisions beaucoup de projets Mes parents la trouvaient mignonne elle l'était certes Depuis elle s'est trouvé un mari plus entreprenant je l'espère Je lui lisais du Valéry

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qui me fit aimer le théâtre plus que tout au monde Voilà comme on change du tout au tout.

Je parlais juste ça fait rire dans un monde où pas mal de gens parlent faux rien que par plaisir On me disait vous seriez mieux chez Dullin que dans ce théâtre où tout ne tend qu'à bien mourir C'était vrai mais déjà le mal qui me fut le plus grand des biens d'une liberté sans décor ou seul celui qui rend la mort moins sordide décor humain décor forestier ou marin déjà le mal me travaillait et je m'en fus chercher le vent sans nul regret ni de ce monde ni de ces jeux sans intérêt pour qui trouve la comédie aux moindres moments de sa vie pour en combattre le poison.

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Nous avions tous deux le même âge seize ou dix-sept ans ne sais plus et notre amour dura trois ans Nous couchions ensemble souvent rue des Acacias la cousine de ma belle toujours absente y ayant un appartement Nous en profitions nous tenant l'un sur l'autre nus sans rien faire attendant que l'ange trépasse qui nous regardait en riant Mais j'avais peur de la brusquer Le jour où par pure méprise je la pénétrai plus avant elle se rendit compte à peine de mon geste C'était vexant Nous faisions beaucoup de projets Mes parents la trouvaient mignonne elle l'était certes Depuis elle s'est trouvé un mari plus entreprenant je l'espère Je lui lisais du Valéry

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Peut-être que je l'ennuyais avec mes poètes C'est vrai tout le monde n'en est pas fou Jusques au Père Sertillanges que je lui faisais écouter rue d'Assas C'est très loin tout ça Maintenant je sais mieux garder secret de mes amours mentaux quoique sentis excusez-moi.

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VALÉRY (COLLÈGE DE FRANCE)

Il avait l'air de s'ennuyer Tu lui manquais ô cigarette que peut-être chez Mallarmé il avait appris à rouler Nous étions là comme robots écoutant sans très bien comprendre Il parlait très vite et souvent s'égarait en des régions qui nous paraissaient sans issue Sa femme ronflotait ainsi que sa belle-sœur Pius Servien un jour vint s'asseoir invité près du maître pour nous parler de la poésie hermétique on disait pure en ce temps-là Il y avait très peu de monde Une vingtaine vieilles belles trois ou quatre étudiants et moi Je lis parfois dans les revues que ceux que je ne vis jamais à ce cours et je n'en manquai pas un durant ce temps de guerre

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