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Kluwer 2005 – 573 RECHTSLEER DOCTRINE Le droit international privé économique Exposé général du nouveau droit positif belge Benjamin DOCQUIR 1 , Vanessa DE FRANCQUEN 2 , Michèle GRÉGOIRE 3 , Rafaël JAFFERALI 4 , Marie LAMENSCH 5 , Vanessa MARQUETTE 6 et Marc-David WEINBERGER 7 RÉSUMÉ Par la loi du 16 juillet 2004, le législateur a procédé à la codification du droit international privé belge. La présente étude a pour ambition de présenter un exposé général des implications de ce texte dans le domaine du droit économique. Sont ainsi examinées successivement, les matières relevant du droit judiciaire, du droit des biens, des obligations, des personnes morales, de l’insolvabilité, du trust et des droits intellectuels. Cette présentation met en relief les principales nouveautés apportées par le Code de droit international privé et s’efforce de proposer une première analyse des dispositions de celui-ci à la lumière notamment du droit antérieur, des travaux préparatoires et du droit communautaire. SAMENVATTING Door de wet van 16 juli 2004 heeft de wetgever het Belgisch internationaal privaatrecht in een wetboek ondergebracht. Deze bijdrage wil uiteenzetten welke gevolgen die tekst heeft binnen het domein van het economisch recht. Achter- eenvolgens besteden wij dus aandacht aan de onderwerpen die thuishoren onder het gerechtelijk recht, het goederen- recht, het verbintenissenrecht, de rechtspersonen, het onvermogen, de trust en de intellectuele rechten. Die aanpak richt de schijnwerpers op de belangrijkste nieu- wigheden vervat in het Wetboek van Internationaal Privaat- recht. In het licht van onder meer het vroegere recht, de parlementaire besprekingen en het communautaire recht brengen we een eerste analyse van de bepalingen van het wetboek. TABLE DES MATIÈRES I. LE DROIT JUDICIAIRE A. Introduction B. Définitions § 1. Nationalité § 2. Domicile § 3. Résidence principale C. La compétence judiciaire § 1. Principe général § 2. Demande incidente § 3. Prorogation de compétence a. Compétence des juridictions belges b. Compétence des juridictions étrangères § 4. Connexité et litispendance internationale § 5. Attribution exceptionnelle de compétence internationale § 6. Compétence interne D. L’efficacité des décisions judiciaires et des actes authentiques § 1. Généralités § 2. L’autorité de la chose jugée § 3. La force exécutoire § 4. La force probante § 5. Effet de fait E. Observations sur les relations avec les instru- ments européens et internationaux II. CONFLITS DE LOIS – GÉNÉRALITÉS A. Fraude à la loi, lois de police et exception d’ordre public § 1. L’application du droit étranger § 2. La théorie de la fraude à la loi § 3. Les règles spéciales d’applicabilité § 4. Exception d’ordre public B. La théorie du renvoi et la clause d’exception – Innovations remarquables § 1. La théorie du renvoi § 2. La clause d’exception III. LES DROITS RÉELS A. Introduction B. Compétence internationale C. Droit applicable § 1. Généralités § 2. L’article 87 § 1 er § 3. L’article 87 § 2 § 4. L’article 87 § 3 § 5. Les biens en transit § 6. Les moyens de transport § 7. Les biens culturels § 8. Les titres négociables IV. LES OBLIGATIONS A. Les obligations contractuelles 1. Avocat au Barreau de Bruxelles. 2. Avocat au Barreau de Bruxelles, Assistant à l’ULB. 3. Avocat au Barreau de Bruxelles, Professeur à l’ULB, Doyen de la Faculté de droit. 4. Avocat au Barreau de Bruxelles, Assistant à l’ULB. 5. Avocat au Barreau de Bruxelles, Assistant à l’ULB. 6. Avocat au Barreau de Bruxelles, Maître de Conférences à l’ULB. 7. Avocat au Barreau de Bruxelles, Assistant à l’ULB (UMH).

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Kluwer

2005 –

573

RECHTSLEERDOCTRINE

Le droit international privé économiqueExposé général du nouveau droit positif belge

Benjamin D

OCQUIR

1

, Vanessa

DE

F

RANCQUEN

2

,Michèle G

RÉGOIRE

3

, Rafaël J

AFFERALI

4

, MarieL

AMENSCH

5

, Vanessa M

ARQUETTE

6

et Marc-DavidW

EINBERGER

7

R

ÉSUMÉ

Par la loi du 16 juillet 2004, le législateur a procédé à lacodification du droit international privé belge.

La présente étude a pour ambition de présenter un exposégénéral des implications de ce texte dans le domaine dudroit économique. Sont ainsi examinées successivement, lesmatières relevant du droit judiciaire, du droit des biens, desobligations, des personnes morales, de l’insolvabilité, dutrust et des droits intellectuels.

Cette présentation met en relief les principales nouveautésapportées par le Code de droit international privé ets’efforce de proposer une première analyse des dispositionsde celui-ci à la lumière notamment du droit antérieur, destravaux préparatoires et du droit communautaire.

S

AMENVATTING

Door de wet van 16 juli 2004 heeft de wetgever het Belgischinternationaal privaatrecht in een wetboek ondergebracht.

Deze bijdrage wil uiteenzetten welke gevolgen die tekstheeft binnen het domein van het economisch recht. Achter-eenvolgens besteden wij dus aandacht aan de onderwerpendie thuishoren onder het gerechtelijk recht, het goederen-recht, het verbintenissenrecht, de rechtspersonen, hetonvermogen, de trust en de intellectuele rechten.

Die aanpak richt de schijnwerpers op de belangrijkste nieu-wigheden vervat in het Wetboek van Internationaal Privaat-recht. In het licht van onder meer het vroegere recht, deparlementaire besprekingen en het communautaire rechtbrengen we een eerste analyse van de bepalingen van hetwetboek.

TABLE

DES

MATIÈRES

I. L

E

DROIT

JUDICIAIRE

A. IntroductionB. Définitions

§ 1. Nationalité§ 2. Domicile§ 3. Résidence principale

C. La compétence judiciaire

§ 1. Principe général§ 2. Demande incidente§ 3. Prorogation de compétence

a. Compétence des juridictions belgesb. Compétence des juridictions étrangères

§ 4. Connexité et litispendance internationale§ 5. Attribution exceptionnelle de compétence

internationale§ 6. Compétence interne

D. L’efficacité des décisions judiciaires et des actesauthentiques

§ 1. Généralités§ 2. L’autorité de la chose jugée§ 3. La force exécutoire§ 4. La force probante§ 5. Effet de fait

E. Observations sur les relations avec les instru-ments européens et internationaux

II. C

ONFLITS

DE

LOIS

– G

ÉNÉRALITÉS

A. Fraude à la loi, lois de police et exception d’ordrepublic

§ 1. L’application du droit étranger§ 2. La théorie de la fraude à la loi§ 3. Les règles spéciales d’applicabilité§ 4. Exception d’ordre public

B. La théorie du renvoi et la clause d’exception –Innovations remarquables

§ 1. La théorie du renvoi§ 2. La clause d’exception

III. L

ES

DROITS

RÉELS

A. IntroductionB. Compétence internationaleC. Droit applicable

§ 1. Généralités§ 2. L’article 87 § 1

er

§ 3. L’article 87 § 2§ 4. L’article 87 § 3§ 5. Les biens en transit§ 6. Les moyens de transport§ 7. Les biens culturels§ 8. Les titres négociables

IV. L

ES

OBLIGATIONS

A. Les obligations contractuelles

1. Avocat au Barreau de Bruxelles.2. Avocat au Barreau de Bruxelles, Assistant à l’ULB.3. Avocat au Barreau de Bruxelles, Professeur à l’ULB, Doyen de la

Faculté de droit.4. Avocat au Barreau de Bruxelles, Assistant à l’ULB.5. Avocat au Barreau de Bruxelles, Assistant à l’ULB.6. Avocat au Barreau de Bruxelles, Maître de Conférences à l’ULB.7. Avocat au Barreau de Bruxelles, Assistant à l’ULB (UMH).

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REVUE GÉNÉRALE DE DROIT CIVIL BELGE

574

– 2005

Éditions Kluwer

§ 1. Notion§ 2. Compétence§ 3. Droit applicable

B. Les obligations dérivant d’un fait dommageable

§ 1. Notion§ 2. Compétence

C. Les obligations quasi-contractuelles

§ 1. Notion§ 2. Compétence§ 3. Droit applicable

D. Les engagements par déclaration unilatérale devolonté

§ 1. Notion§ 2. Compétence§ 3. Droit applicable

E. Questions connexes intéressant les tiers

§ 1. Action directe envers l’assureur§ 2. Subrogation légale§ 3. Représentation

V. L

ES

PERSONNES

MORALES

A. IntroductionB. CompétenceC. Droit applicable

§ 1. Principe§ 2. Champ d’application§ 3. La question particulière du transfert§ 4. La question particulière de la fusion§ 5. La question particulière de l’émission

publique de titres§ 6. Reconnaissance d’une décision étrangère

rendue en matière de personne morale§ 7. Personnes morales étrangères

VI. L’

INSOLVABILITÉ

A. IntroductionB. Champ d’application

§ 1. Quant aux débiteurs concernés§ 2. Articulation avec les autres dispositions

réglant la matière de l’insolvabilité

C. Compétence

§ 1. Principe§ 2. Procédure principale§ 3. Procédure territoriale§ 4. Contestations dérivant de la faillite et

mesures provisoires

D. Loi applicable

§ 1. Principe§ 2. Exceptions

E. Reconnaissance et exécution

§ 1. Principe§ 2. Motifs de refus

F. Coopération

VII. L

E

TRUST

A. IntroductionB. Le trust, institution inconnue, a-t-il sa place dans

un Code de droit belge?

§ 1. Positon du problème§ 2. Éléments de réponse

C. Le trust dans le Code de droit international privébelge

§ 1. Notion§ 2. Compétence§ 3. Droit applicable

VIII.L

ES

DROITS

DE

PROPRIÉTÉ

INTELLECTUELLE

A. IntroductionB. Compétence

§ 1. Demandes autres que celles concernant lavalidité ou l’inscription des droits de pro-priété intellectuelle

§ 2. Demandes concernant la validité ou l’ins-cription des droits de propriété intellec-tuelle

C. Conflit de lois

§ 1. Principe§ 2. Question particulière de la détermination

du titulaire originaire d’un droit de pro-priété industrielle

D. Le domaine de la loi applicable

§ 1. Article 94§ 2. Critique

1

Adopté par la loi du 16 juillet 2004

8

, le Code de droitinternational privé belge est entré en vigueur le 1

er

octobre2004. Trois objectifs étaient poursuivis par les concepteurset les auteurs de ce texte: rationaliser et systématiser les dif-férentes sources, surtout jurisprudentielles et doctrinales, dudroit international privé belge, privilégier les solutionspragmatiques et souples, favoriser l’ouverture internatio-nale du droit belge.

Ainsi, par exemple, le Code consacre la définition précisedes facteurs de rattachement que sont la nationalité, ledomicile et la résidence habituelle. Ces notions fondamen-tales, combinées aux règles également livrées par le Code,indiquant le moment auquel le facteur de rattachement doitêtre envisagé, permettent la détermination des compétencesjudiciaires et législatives et la résolution aisée d’éventuelsconflits mobiles.

Par ailleurs, la priorité souvent donnée à la résidence habi-tuelle, par rapport à la nationalité, comme facteur de ratta-chement, révèle le choix délibéré pour la proximité et lepragmatisme par opposition aux considérations plus idéolo-giques de souveraineté et d’allégeance parfois recelées parle concept de nationalité.

Enfin, le Code pose le principe de la reconnaissance deplein droit des décisions judiciaires étrangères et rend plusimmédiate celle des actes et institutions valablement créés à

8.

M.B.

27 juillet 2004, p. 57344.

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TIJDSCHRIFT VOOR BELGISCH BURGERLIJK RECHT

Kluwer

2005 –

575

l’étranger, parfois même s’ils ne connaissent pas d’exactetraduction en droit belge (tel le trust), imposant ainsi dansune large mesure l’égalité des situations essentiellementrégies par un droit étranger et de celles qui sont soumises audroit belge.

2

Le Code comprend treize chapitres divisés en sections.

Le chapitre I

er

définit les facteurs de rattachement de natio-nalité, de domicile et de résidence habituelle (artt. 3 et 4).

Il énonce ensuite les dispositions générales relatives à lacompétence internationale (artt. 5 à 14), les conflits de lois(artt. 15 à 21) et l’efficacité des décisions et des actespublics étrangers (artt. 22 à 31).

Les chapitres II à XII comportent les règles particulièresconcernant le droit des personnes physiques (artt. 32 à 41),les relations matrimoniales (artt. 42 à 57), la relation de viecommune (artt. 58 à 60), la filiation (artt. 61 à 72), les obli-gations alimentaires (artt. 73 à 76), les successions (artt. 77à 84), les biens (artt. 85 à 95), les obligations (artt. 96 à108), les personnes morales (artt. 109 à 115), le règlementcollectif de l’insolvabilité (artt. 116 à 121) et le trust(artt. 122 à 125).

Enfin, le treizième et dernier chapitre contient les disposi-tions transitoires (artt. 126 à 127), modificatives (artt. 128 à138), abrogatoires (art. 139) et fixant l’entrée en vigueur duCode (art. 140).

3

Le Code présente un caractère supplétif. Son article 2réserve, en effet,

“l’application des traités internationaux, dudroit de l’Union européenne ou de dispositions contenuespar des lois particulières”

. De la sorte, le Code consacredeux principes fondamentaux: celui de la primauté du droitinternational sur le droit interne et celui de la prévalence dudroit spécifique sur le droit commun exprimé généralementpar l’adage

“lex specialis derogant generalibus”

. En consé-quence, l’application du Code ne pourra intervenir qu’unefois constatée l’absence de texte communautaire ou de con-vention internationale gouvernant la matière.

4

Schématiquement, soulignons, sous réserve de nuancesà apporter dans telle ou telle matière particulière, que lesdispositions du Code régissant la compétence internationaledes juridictions s’appliquent aux demandes introduitesaprès le 1

er

octobre 2004 (art. 126 § 1

er

) et que celles con-cernant l’efficacité des décisions judiciaires étrangères etdes actes authentiques étrangers s’appliquent aux décisionsrendues et aux actes établis après le 1

er

octobre. Conformé-ment aux principes généraux du droit transitoire, les dispo-sitions nouvelles du Code sont appelées à gouverner lesactes ou les faits à venir ainsi que les effets futurs d’actes oude faits antérieurs (art. 127 § 1

er

).

5

La présentation qui suit porte essentiellement sur ledroit économique. Seront examinées successivement, les

matières relevant du droit judiciaire, du droit des biens, desobligations, des personnes morales, de l’insolvabilité, dutrust et des droits intellectuels

9

.

I. L

E

DROIT

JUDICIAIRE

A. Introduction

1 Les deux premières sections du Code définissent lamatière qui y sera traitée. L’on y constate que le Code ras-semble, pour la première fois dans un texte unique, les dis-positions qui, en matière civile et commerciale, fixent lacompétence des autorités belges pour connaître d’une situa-tion privée de caractère international, désignent le droitnational applicable et déterminent les conditions dans les-quelles une décision étrangère ou un acte authentique peutrecevoir effet en Belgique.

À côté des traditionnels codes civils, de commerce, fiscalou autres, la Belgique s’est donc aujourd’hui dotée d’unhuitième Code destiné à appréhender le droit internationalprivé comme une matière à part entière. Cette innovation neva pas sans créer des difficultés d’application lorsque l’ontente une articulation aux textes internationaux en vigueur.

2 En droit international privé, l’on fait traditionnellementappel à divers “facteurs de rattachement”, tels que la natio-nalité ou le domicile afin de déterminer le droit applicable.La pratique nous apprend que la manipulation de ces fac-teurs est un exercice périlleux. En effet, les notions de“domicile” ou “nationalité” reçoivent, à travers le monde,des significations fort différentes. Afin d’éviter toute confu-sion, le législateur a défini aux articles 3 et 4 du Code,l’interprétation que ces concepts doivent recevoir lors deleur application. Précisons que ces définitions sont établiespour la seule application des règles du droit internationalprivé, c’est-à-dire, sans préjudice des définitions légalesque ces concepts reçoivent en droit interne.

B. Définitions

§ 1. Nationalité

3 L’article 3 § 1er du Code dispose que: “La question desavoir si une personne physique a la nationalité d’un Étatest régie par le droit de cet État”.

Cette solution n’est pas nouvelle, elle ne fait que confirmercelle adoptée par la Convention de La Haye de 1930 con-cernant certaines questions relatives aux conflits de lois surla nationalité, ratifiée par la Belgique, par la loi du 20 jan-vier 193910.

9. Pour les matières relevant du droit des personnes, voir les chapitresy consacrés dans l’étude coordonnée par H. BOULARBAH, “Le nou-veau droit international privé belge”, J.T. 2005, pp. 173 et s.

10. M.B. 13 août 1939.

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REVUE GÉNÉRALE DE DROIT CIVIL BELGE

576 – 2005 Éditions Kluwer

Au § 2 du même article 3, le législateur précise que si unjusticiable a deux ou plusieurs nationalités, la nationalitébelge, si elle figure parmi celles-ci, prime. Si tel n’est pas lecas, c’est le critère de proximité avec la nationalité d’unÉtat, au vu de l’ensemble des circonstances, qui devra êtreprise en compte. Cette solution est également similaire àcelle retenue par la Convention précitée du 12 avril 1930.

4 En cas d’apatridie ou de qualité de réfugié en vertu de laloi ou de traités internationaux liant la Belgique, le facteurde rattachement pris en compte est la résidence habituelle.Une solution analogue prévaut lorsqu’il est impossible dedéterminer la nationalité.

§ 2. Domicile

5 Quant aux notions de domicile et de résidence princi-pale, elles sont envisagées à l’article 4 du Code.

Le domicile s’entend du: “1˚ (Le) lieu où une personnephysique est inscrite à titre principal, en Belgique, sur lesregistres de la population, sur le registre des étrangers ousur le registre d’attente.

2˚ Le lieu où une personne morale a son siège statutaire”(art. 4 § 1er ).

6 Cette définition n’est – nous l’avons dit – destinée qu’àrégler les questions de compétence internationale des juri-dictions belges et non à remplacer ou interpréter la défini-tion du domicile de l’article 102 du Code civil. Les deuxnotions restent parfaitement autonomes.

§ 3. Résidence principale

7 La résidence principale, elle, se comprend comme: “1˚Le lieu où une personne physique s’est établie à titre princi-pal, même en l’absence de tout enregistrement et indépen-damment d’une autorisation de séjourner ou de s’établir”(art. 4 § 2). Il sera tenu compte, pour l’application de cettedisposition des relations professionnelles et personnellesqui révèlent l’existence d’un lien durable avec ce lieu.

8 “2˚ Le lieu où une personne morale a son principal éta-blissement. Il sera ici tenu compte du centre de direction,du centre des affaires ou activités”. Ce n’est que subsidiai-rement que le siège statutaire sera pris en compte.

C. La compétence judiciaire

9 Les règles de compétence des tribunaux belges dans lesaffaires internationales sont édictées aux articles 5 à 14 duCode.

Il s’agit de règles générales auxquelles il peut être dérogédans des matières spécifiques.

§ 1. Principe général

10 Traditionnellement, la compétence internationalegénérale y est fondée sur le domicile ou la résidence habi-tuelle du défendeur (art. 5 du Code de droit internationalprivé).

11 Cette solution s’inspire largement de la Convention deBruxelles du 27 septembre 1968 concernant la compétencejudiciaire et l’exécution des décisions en matière civile etcommerciale et du Règlement 44/2001 du 22 décembre2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnais-sance et l’exécution des décisions en matière civile et com-merciale (Règlement Bruxelles I).

§ 2. Demande incidente

12 Les règles de compétence en matière de demande engarantie ou demande reconventionnelle (art. 8), sont égale-ment similaires à celles adoptées dans la convention de1968.

Le juge belge compétent pour connaître d’une demandel’est également pour connaître d’une demande qui y est liéepar un rapport si étroit qu’il y a un intérêt à instruire et àjuger celles-ci en même temps afin d’éviter des solutionsqui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugéesséparément.

13 Selon l’article 10 du Code, les mesures provisoires,conservatoires et d’exécution, relèvent de la compétencedes juridictions belges, même si elles ne sont pas compéten-tes pour connaître du fond, pour autant qu’elles requièrentl’urgence et qu’elles concernent des personnes ou des biensse trouvant en Belgique lors de l’introduction de lademande.

§ 3. Prorogation de compétence

14 Les articles 6 et 7 règlent la question des clauses deprorogation de compétence, particulièrement importantesen droit des affaires.

Ces clauses permettent aux parties, lorsqu’elles se situentdans une matière où l’on peut disposer librement de sesdroits, de déterminer quelle sera la ou les juridiction(s)compétente(s) pour connaître des différends nés ou à naîtreà l’occasion d’un rapport de droit.

a. Compétence des juridictions belges

15 L’article 6 envisage les clauses de prorogation de com-pétences conclues en faveur du juge belge. Le choix opérépar les parties lie celui-ci. Le texte de l’article 6 § 2 précisenéanmoins que “le juge peut toutefois décliner sa compé-tence lorsqu’il résulte de l’ensemble des circonstances quele litige ne présente aucun lien avec la Belgique”. Il s’agit

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TIJDSCHRIFT VOOR BELGISCH BURGERLIJK RECHT

Kluwer 2005 – 577

là d’une importante limite imposée à l’autonomie de lavolonté des parties.

16 Rappelons que le Code contient, à la section 4, diver-ses règles générales, susceptibles d’être écartées si unerègle spécifique existe ou si un instrument européen s’appli-que. Ainsi, le Règlement CE 44/2001 du 22 décembre, con-cernant la compétence judiciaire, la reconnaissance etl’exécution des décisions en matière civile et commerciale(Règlement Bruxelles I) énonce une série de règles de com-pétences exclusives ou impératives, qui primeront le Code,il s’agit des articles 13, 17, 21 et 22 désignant les juridic-tions compétentes en matière de contrats d’assurance, decontrats passés avec les consommateurs, de contrats de tra-vail et de droits réels.

En revanche, le règlement ne prévoit en aucune manièreque le juge pourra en écarter une clause de prorogation decompétence lorsque le litige ne présente aucun lien avecl’État dont les juridictions ont été choisies par les parties. Àcet égard, le Code se montre donc plus restrictif.

b. Compétence des juridictions étrangères

17 L’article 7 concerne, lui, les clauses de prorogation decompétence aux termes desquelles une juridiction étrangèresera compétente. Lorsqu’un tel choix est opéré, le jugebelge devra surseoir à statuer, sauf “s’il est prévisible quela décision étrangère ne pourra pas être reconnue ou exé-cutée en Belgique ou si les juridictions belges sont compé-tentes en vertu de l’article 11 [v. infra] (…)”.

§ 4. Connexité et litispendance internationale

18 Les dispositions les plus remarquables de cette sectionsont sans nul doute les articles 9 et 14, traitant respective-ment de la connexité et de la litispendance internationale.

Le Code judiciaire belge, on le sait, traite de ces questionslorsqu’elles interviennent de façon purement interne afind’éviter les risques de jugements contradictoires. En revan-che, dans le cadre de litiges transfrontaliers, il n’existaitaucune règle; la solution retenue jusqu’alors était la pour-suite des deux procédures de façon strictement parallèle.

Cette lacune est aujourd’hui comblée.

Désormais, “Lorsque les juridictions belges sont compéten-tes pour connaître d’une demande, elles le sont égalementpour connaître d’une demande qui y est liée par un rapportsi étroit qu’il y a intérêt à instruire et à juger celles-ci enmême temps afin d’éviter des solutions qui pourraient êtreinconciliables si les causes étaient jugées séparément”(art. 9 du Code).

De la même façon, si “une demande est pendante devantune juridiction étrangère et qu’il est prévisible que la déci-sion étrangère sera susceptible de reconnaissance ou d’exé-

cution en Belgique (…)”, le juge belge, s’il est saisi ensecond lieu, devra surseoir à statuer, voire même se dessaisir.

Il s’agit là d’une simple adoption des principes qui préva-lent en droit interne mais celle-ci révèle la volonté du légis-lateur belge de prendre davantage en compte l’internationa-lisation du droit.

19 À l’occasion des travaux préparatoires, le professeurVAN HOUTTE a souligné le caractère facultatif de cette der-nière disposition. Il s’agit, en effet, là d’une faculté du jugelorsqu’il l’estime nécessaire à une bonne administration dudroit et non d’une obligation11.

§ 5. Attribution exceptionnelle de compétence interna-tionale

20 Une autre innovation concerne “l ’attribution excep-tionnelle de compétence internationale” introduite parl’article 11 du Code.

En vertu de cet article, les tribunaux belges seront doréna-vant compétents lorsque la cause présente des liens étroitsavec la Belgique et qu’une procédure à l’étranger se révèleimpossible. Il s’agit d’une compétence subsidiaire visant àéviter un déni de justice, qui devra être motivée par des cir-constances exceptionnelles.

§ 6. Compétence interne

21 Concernant la désignation du tribunal compétent dansl’ordre interne, l’article 13 de la loi renvoie aux règles dedroit interne (artt. 624 à 634 du Code judiciaire), suivant encela une jurisprudence constante.

Ce n’est qu’à défaut de dispositions, en droit interne, sus-ceptibles de fonder la compétence territoriale que celle-cisera déterminée par les dispositions du Code de droit inter-national privé relatives à la compétence internationale.

22 Dans l’hypothèse où ces dispositions ne permettentpas davantage de déterminer la compétence territoriale, lademande pourra être portée devant le juge de l’arrondisse-ment de Bruxelles.

D. L’efficacité des décisions judiciaires et des actesauthentiques étrangers

§ 1. Généralités

23 La section VI du Code aborde la question de l’exequa-tur et remplace donc, par une dizaine de dispositions, l’arti-cle 570 du Code judiciaire. Ces dispositions portent sur les

11. Proposition du 20 avril 2004 de la loi du 16 juillet 2004 portant leCode de droit international privé, p. 32 (proposition n˚ 3-27/7, ses-sion 2003/04).

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REVUE GÉNÉRALE DE DROIT CIVIL BELGE

578 – 2005 Éditions Kluwer

jugements et actes publics étrangers et les effets que l’onpeut obtenir de ceux-ci en Belgique.

24 Comme on l’apercevra à la lecture de l’exposé qui suit,la jurisprudence actuelle est à cette occasion largementreprise.

§ 2. L’autorité de chose jugée

25 Toute décision judiciaire étrangère et tout acte authen-tique étranger sont de plein droit reconnus en Belgique.L’“autorité de chose jugée” ou de “chose constatée” quileur est ainsi octroyée permet d’établir de manière incontes-table ce qui a été décidé ou constitué mais aussi d’opposer,le cas échéant, l’exception de chose jugée (art. 22). L’onpourra désormais invoquer directement le jugement étran-ger devant toute autorité publique belge.

§ 3. La force exécutoire

26 Concernant la force exécutoire, c’est-à-dire la possibi-lité d’obtenir, sur la base d’un jugement étranger unemesure d’exécution sur les biens ou les personnes en Belgi-que, le résultat poursuivi n’est pas atteint de manière aussidirecte. Pour cette matière, le législateur s’est largementinspiré de la Convention de Bruxelles et du RèglementBruxelles I.

27 Sans pour autant reconnaître de plein droit leur forceexécutoire, l’objectif du Code est d’admettre, de la façon laplus large, l’efficacité en Belgique des jugements prononcésà l’étranger. Pour ce faire, le législateur se réfère désormaisà la “reconnaissance” ou à la “déclaration” de la forceexécutoire d’un jugement ou d’un acte, et n’exige plus lerecours à la lourde procédure d’exequatur, qui comprenaitnotamment, dans la plupart des cas et dans une mesuresignificative, une révision au fond par le juge belge des élé-ments de fait et de droit tranchés par le jugement étranger.Avant l’entrée en vigueur du Code, l’absence de révisionn’était accordée qu’en matière familiale. La décision dujuge belge accueillant dans l’ordre interne les effets dujugement ou de l’acte étranger revêt donc aujourd’hui unaspect déclaratif et non plus constitutif (art. 23).

28 À cet effet, les articles 24 et 25 décrivent les formalitésà remplir pour obtenir la reconnaissance et les motifs éven-tuels de refus. Parmi ces motifs, l’article 26 prévoit que les“constatations faites par le juge étranger sont écartéesdans la mesure où elles produiraient un effet manifestementincompatible avec l’ordre public”. Cette restriction devraitcouvrir le cas des jugements ou actes provenant d’un paysoù les juges ne sont pas considérés comme étant impartiauxau sens de l’article 6 de la Convention de Sauvegarde desDroits de l’Homme et des Libertés fondamentales.

§ 4. La force probante

29 Une décision judiciaire étrangère et un acte étrangerauthentique font foi en Belgique en ce qui concerne lesconstatations faites par le juge ou l’autorité étrangère, pourautant que ces constatations satisfassent aux conditionsnécessaires à leur authenticité dans le droit de l’État oùelles ont été rendues ou établies (artt. 26 § 1er et 28 § 1er).Dans les deux cas, ces constatations sont également écar-tées dans la mesure où elles produiraient un effet manifeste-ment incompatible avec l’ordre public (artt. 26 § 1er et 28 §1er in fine).

§ 5. Effet de fait

30 L’article 29 prévoit qu’“il peut être tenu compte enBelgique de l’existence d’une décision judiciaire étrangèreou d’un acte authentique étranger, sans vérifications desconditions nécessaires à sa reconnaissance, à la déclara-tion de sa force exécutoire ou à sa force probante”.

Il s’agit là de l’affirmation de la possibilité de simplementprendre en considération la teneur d’une décision ou d’unacte relevant d’un droit étranger, non autrement qualifiée.

31 Soulignons ici la réelle avancée que constitue la codifi-cation des règles de reconnaissance des actes étrangers. Eneffet, jusqu’à l’entrée en vigueur du Code, le droit belgerestait très vague sur ce point.

Le Code précise aujourd’hui de manière claire les condi-tions de reconnaissance des actes.

32 Pour conclure sur ce point, soulignons que la loi neprend pas en considération un quelconque critère de “réci-procité”. En effet, confirmant en cela l’approche libérale dela jurisprudence, la reconnaissance des jugements étrangersest admise en Belgique sans condition de réciprocité, c’est-à-dire que la Belgique n’exige pas que les pays étrangersgarantissent l’exequatur sur leur territoire des jugementsrendus par les juridictions belges.

E. Observations sur les relations avec les instrumentseuropéens et internationaux

33 L’article 2 du Code – nous l’avons relevé – précise quecelui-ci régit, dans une situation internationale, les compé-tences des juridictions belges, la détermination du droitapplicable et les conditions de l’efficacité en Belgique desdécisions judiciaires et actes authentiques étrangers enmatière civile et commerciale, “sous réserve de l’applica-tion des traités internationaux, du droit de l’Union euro-péenne ou de dispositions contenues dans des lois particu-lières”.

34 En matière de droit judiciaire international, l’articula-tion entre le nouveau Code et la législation européenneconstitue l’une des questions les plus délicates soulevées

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par l’entrée en vigueur de cet instrument particulier. Eneffet, nombre de règlements européens concernent cedomaine du droit.

Citons notamment le Règlement CE du Conseil du22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, lareconnaissance et l’exécution des décisions en matièrecivile et commerciale (Règlement “Bruxelles I”), le Règle-ment CE du Conseil du 29 mai 2000 relatif à la reconnais-sance et l’exécution des décisions en matière matrimonialeet en matière de responsabilité parentale des enfants com-muns (Règlement Bruxelles II), le Règlement CE du Con-seil du 29 mai 2000 relatif à la notification dans les Étatsmembres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matièrecivile et commerciale, le Règlement CE 1346/2000 relatifaux procédures d’insolvabilité, ou encore le Règlement duConseil du 28 mai 2001 relatif à la coopération entre lesjuridictions des États membres dans le domaine de l’obten-tion des preuves en matière civile.

35 Le Conseil d’État avait estimé dans son avis rendu enannexe du projet de loi, que si la Belgique s’est engagéedans la codification de règles de droit international, “(…)cela signifie qu’elle s’éloigne fatalement, et de plus en plus,d’un processus d’harmonisation dans lequel sont entréscertains de ses plus proches voisins”. Force est, en effet, deconstater que toute codification nationale entraîne des parti-cularismes freinant le processus de codification internatio-nale. Ainsi, il semble aujourd’hui acquis que la Belgique neratifiera jamais les Conventions de La Haye relatives auxrégimes matrimoniaux et obligations alimentaires qui con-sacrent des règles de procédure différentes de celles adop-tées dans le Code, et ce, sous peine de mettre gravement enpéril la sécurité juridique.

Face à cette critique pertinente du Conseil d’État, l’on nepeut néanmoins ignorer que, si l’œuvre conventionnelle deLa Haye est indiscutable, la Conférence n’est parvenue, enquarante ans qu’à adopter une quarantaine de conventions.L’ensemble du droit international privé n’est donc pas cou-vert par ces instruments12 et une telle lacune risquerait elleaussi, un jour, de poser des problèmes.

L’initiative du législateur belge était donc, de ce point devue, éminemment utile.

36 Toutefois, si le Roi et le pouvoir législatif disposentd’une relative liberté de manœuvre pour ratifier ou non desconventions internationales, il n’en est pas de même pour cequi concerne les instruments juridiques proprement euro-péens, comme les règlements susmentionnés mais égale-ment ceux à venir. La législation européenne s’impose, eneffet, à la Belgique, qu’elle le veuille ou non.

Un examen approfondi du Code nous permet cependant deconstater que l’une des lignes directrices des rédacteurs duCode a consisté à tendre vers plus d’ouverture internatio-nale. Cette tendance se concrétise à plusieurs niveaux, tantpar le choix d’une formulation autonome des catégories derattachement par rapport aux termes du droit belge, quedans le choix des facteurs de rattachement eux-mêmes, quis’inspirent nettement des textes internationaux13. Néan-moins, si, à l’heure actuelle, le droit belge est conforme auxrèglements européens, l’entrée en vigueur de tout nouvelinstrument pourrait modifier cet équilibre. Un problème deconformité aux futures règles édictées au niveau internatio-nal se posera sans doute de manière incontournable.

37 Le professeur FALLON, à l’occasion de sa contributionau rapport relatif à la proposition de loi du 20 avril 2004,portant le Code, tempère l’analyse du Conseil d’État. Selonce dernier, une codification nationale est salutaire en cequ’elle permet, en tous cas, de “régler toutes les situationssubsidiaires de droit international privé impliquant un Étatnon-membre de l’Union européenne”, dans la mesure où lestextes européens se limitent aux conflits de juridictionsvisant des relations entre États membres. En effet, dès lorsque l’élément d’extranéité se situe géographiquement endehors du territoire européen, les États sont laissés à eux-mêmes, ce qui justifie, au moins dans ces situations là, unecodification nationale14.

Par ailleurs, une codification favorise considérablementl’accès aux textes de loi et préserve par là la sécurité juridi-que. Elle garantit, en effet, au citoyen et au praticien uneapproche efficace du droit international privé, jusqu’alorscomplexe, controversé mais surtout épars.

II. CONFLITS DE LOIS – GÉNÉRALITÉS

38 La section V (artt. 15 à 21) du Code traite des modali-tés d’utilisation des règles de conflit de lois.

Lorsque le juge belge est amené, suivant le jeu de la règlede conflit, à appliquer un droit étranger, il doit respecter unensemble de principes d’application.

Ces normes de fonctionnement concernent toutes les matiè-res et revêtent un caractère général.

A. Fraude à la loi, lois de police et exception d’ordrepublic

39 Relatifs à l’application du droit étranger, à la fraude àla loi, aux règles spéciales d’applicabilité (anciennementlois de police) et à l’exception d’ordre public, les

12. G. STUER et C. TUBEUF, “La codification en droit internationalprivé”, in Actualités de la codification, droit belge et européen, Rev.dr. U.L.B. 2003/2, Bruylant.

13. G. STUER et C. TUBEUF, “La codification en droit internationalprivé”, in Actualités de la codification, droit belge et européen, Rev.dr. U.L.B. 2003/2, Bruylant.

14. Voy. G. STUER et C. TUBEUF, o.c., pour une analyse similaire.

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articles 15, 18, 20 et 21 du Code sont largement inspirés dela jurisprudence actuelle.

§ 1. L’application du droit étranger

40 En premier lieu, suivant en cela la jurisprudence de laCour de cassation établie depuis un arrêt du 9 octobre198015, le juge doit interpréter le droit étranger selon la por-tée qu’il reçoit à l’étranger moyennant, le cas échéant, lacollaboration des parties16.

41 Ce ne sera qu’en cas d’impossibilité manifeste dedéterminer l’interprétation que le droit reçoit à l’étrangerque le droit belge s’appliquera par défaut (art. 15 § 2 in finedu Code).

§ 2. La théorie de la fraude à la loi

42 En deuxième lieu, la théorie de la fraude à la loi reçoitune consécration légale.

Par fraude à la loi, il faut entendre l’utilisation volontaired’une règle de conflit de lois dans le but d’échapper àl’application de la loi normalement compétente.

Comme l’écrit Monsieur NUYTS, “dès lors qu’une sociétéinternationale se caractérise par la coexistence de systèmesjuridiques différents, comportant chacun leur propre régle-mentation matérielle des rapports de droit privé, les partiesqui sont confrontées à une loi peuvent être tentées de se pla-cer sous l’empire d’une autre loi qui leur convientmieux”17. Partant, le droit international privé est le domainede prédilection de la théorie de la fraude à la loi.

43 Cette théorie trouve son origine dans un jugement dutribunal civil français: l’affaire “Princesse de Bauffre-mont”18.

La Princesse de Bauffremont était de nationalité française.Elle souhaitait obtenir le divorce, prétention impossible àl’époque en droit français. Elle acquit alors, par naturalisa-tion, la nationalité du Duché de Saxe-Altenbourg, dont ledroit reconnaissait le divorce. Elle mena la procédure à bien.

Son mari saisit le juge français en annulation du jugementde divorce. Celui-ci accéda à sa demande et consacra lathéorie de la fraude à la loi.

44 La Cour de cassation belge a eu l’occasion, avantl’entrée en vigueur du Code, de se prononcer sur la notionde “fraude à la loi”, notamment en matière commercialedans l’arrêt rendu le 28 juin 197919.

La sanction traditionnelle de tels agissements est l’inoppo-sabilité relative. L’acte de détournement du facteur de ratta-chement conserve, certes, sa validité à l’égard de l’Étatétranger qui l’a octroyé (dans l’exemple ci-dessus, l’octroide la nationalité), mais reste sans effet à l’égard du for.

45 Aujourd’hui, le Code consacre expressément cettethéorie en ces termes: “Pour la détermination du droitapplicable, il ne sera pas tenu compte des faits et actesconstitués dans le seul but d’échapper à l’application dudroit désigné par la présente loi” (art. 18).

§ 3. Les règles spéciales d’applicabilité

46 En troisième lieu, certaines règles de droit belge consi-dérées comme régissant impérativement une situation don-née, en vertu de la loi ou en raison de leur but manifeste,primeront le droit étranger applicable, tout comme certainesrègles “impératives” d’un autre État avec lequel le litigeprésente un lien étroit, peuvent recevoir la priorité.

Le caractère nécessaire de leur application est déduit logi-quement du but de la règle, soit à travers la jurisprudence,soit par le législateur lui-même20.

Ces règles, anciennement qualifiées de lois de police, sontaujourd’hui consacrées sous l’appellation de règles spécia-les d’applicabilité (art. 20).

47 L’exemple par excellence de règle de compétenceimpérative du juge belge est celui exprimé à l’article 4 de laloi du 27 juillet 1961 relative à la résiliation unilatérale desconcessions exclusives de vente à durée indéterminée.Celui-ci dispose que “le concessionnaire lésé, lors d’unerésiliation d’une concession de vente produisant ses effetsdans tout ou partie du territoire belge, peut en tout cas assi-gner le concédant en Belgique, soit devant le juge de sonpropre domicile, soit devant le juge du domicile ou du siègedu concédant. Dans le cas où le litige est porté devant untribunal belge, celui-ci appliquera exclusivement la loi

15. Pas. 1981, I, 159 avec les conclusions du ministère public.16. RIGAUX, “La scission du fait et du droit et la distinction entre le

droit interne et le droit étranger”, R.C.J.B. 1982, pp. 38 et s.;LENAERTS, “Le statut du droit étranger en droit international privébelge – vers un nouvel équilibre”, in Mélanges offerts à R. Vande-relst, pp. 529 et s.

17. A. NUYTS, “Forum shopping”, in Mélanges à J. Kirkpatrick, Bruxel-les, Bruylant, 2004, p. 746.

18. Cass. fr. (civ.) 18 mars 1878, GA n˚ 6.

19. Pas. 1979, I, p. 1260.20. R. PRIOUX, “Le juge et l’arbitre face aux lois étrangères d’applica-

tion immédiate dans les contrats internationaux”, R.D.C. 1988, p.251; voy. aussi R. PRIOUX, “L’incidence des lois de police sur lescontrats économiques internationaux”, Rev. dr. U.L.B. 1994, p. 129;A. NUYTS, “Application des lois de police dans l’espace”, Rev. crit.DIP 1999, p. 57.

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belge.”. De nombreuses études ont été dédiées à l’étude deseffets impératifs de cette disposition21.

§ 4. Exception d’ordre public

48 En quatrième lieu, l’exception d’ordre public, connuede la jurisprudence depuis longtemps est aujourd’hui consa-crée par le législateur. Cette notion à contenu variable, tendà écarter le droit étranger normalement applicable ou às’opposer à la reconnaissance d’actes étrangers lorsque cesdispositions ou actes, d’une part, méconnaissent les princi-pes fondamentaux communs aux nations civilisées, – le iuscogens – (par exemple: la légalisation de l’esclavage); ou,d’autre part, portent atteinte à des principes fondamentauxde morale et de politique de l’État du for (par exemple: lapolygamie ou la répudiation)22.

L’on parle ici d’ordre public international belge.

49 L’exception d’ordre public, aujourd’hui consacrée parl’article 21 du Code, permet d’écarter une disposition dedroit étranger “dans la mesure où elle produirait un effetmanifestement incompatible avec l’ordre public”.

Le législateur a pris le soin de définir, au deuxième alinéade l’article 21, ce qu’il y avait lieu d’entendre par “ordrepublic”, précisant qu’il fallait tenir compte de l’intensité durattachement de la situation avec l’ordre juridique belge etde la gravité de l’effet que produirait l’application de cedroit étranger.

Il décrit également, au troisième alinéa, les effets de la miseen œuvre de cette exception: il convient d’appliquer uneautre disposition pertinente du droit dont relève la règleécartée ou, au besoin, une disposition de droit belge.

B. La théorie du renvoi et la clause d’exception – Innova-tions remarquables

§ 1. La théorie du renvoi

50 Selon la théorie du renvoi développée pendant de nom-breuses années par la doctrine et la jurisprudence, lorsque larègle de conflit de lois désigne une loi étrangère, le juge a lapossibilité d’avoir égard à la règle de conflit proposée par laloi étrangère et non au droit matériel étranger23.

La théorie du renvoi trouve son origine dans deux arrêts dela Cour de cassation française en cause d’un sieur Forgo24.

Monsieur Forgo, de nationalité bavaroise résidait en Franceoù il possédait une importante fortune mobilière. À sondécès, s’est posée la question de la loi applicable à sa suc-cession mobilière.

Selon la loi française, la succession mobilière doit être dis-soute par application de la loi du dernier domicile légal dudéfunt. Il s’agissait, en l’espèce, de la loi bavaroise, dans lamesure où l’obtention d’un domicile légal en France néces-sitait, à l’époque, l’accomplissement de démarches admi-nistratives en France, jamais entreprises par MonsieurForgo. Le droit bavarois prévoyait, quant à lui, la soumis-sion de la succession mobilière à la loi du dernier domicilede fait du défunt, c’est-à-dire la loi française.

La détermination de la loi applicable à la succession revê-tait, en l’espèce, une importance considérable: en casd’application de la loi française, l’ensemble de la succes-sion revenait à la République française (par déshérence). Àl’inverse, si la loi bavaroise s’appliquait, de lointains colla-téraux (dont la vocation successorale n’était pas reconnuepar le droit français) avaient prétention à recueillir la tota-lité de l’héritage.

Dans ce contexte, le juge français appliqua la règle de con-flit française, qui désignait la loi bavaroise, dont la règle deconflit désignait la loi française par renvoi. La Républiquefrançaise hérita, en conséquence, de la totalité de la fortunemobilière de Forgo, au détriment de ses collatéraux.

51 Avant l’entrée en vigueur du Code, cette théorie faisaitl’objet de vives critiques, notamment parce qu’elle entraîneune véritable distorsion de la règle de conflit de l’État dufor et parce qu’elle laisse au juge un pouvoir d’appréciationtrop large et non souhaitable quant à la solution à donner aulitige.

Seuls nécessitaient l’application de cette théorie, les cas oùil était difficile de connaître le contenu d’un droit étranger(principalement lorsque l’on sollicitait des mesures urgen-tes, en référé) ou dans lesquels la solution retenue en droit

21. Pour une étude détaillée de cette intéressante question, voy. P. HOL-LANDER, “Aspects de droit international privé et d’arbitrage de ladistribution commerciale”, in La distribution commerciale dans tousses états, Bruxelles, Éd. du Jeune Barreau, 1997, pp. 219 et s.;KILESTE et HOLLANDER, “Chronique de jurisprudence – la loi du 27juillet 1961 sur la résiliation unilatérale des concessions exclusivesde vente à durée indéterminée 1997-2002”, R.D.C. 2003, p. 4; A.NUYTS, “La loi du 27 juillet 1961 relative à la résiliation unilatéraledes conventions de vente à durée indéterminée et les conventionsd’arbitrage”, J.T. 1993, pp. 349 et s.; N. THIRION et A. BENOIT-MOURY, “Les concessions de vente en droit belge”, in Les contratsde distribution commerciale en droit belge et en droit français, Lar-cier, 1996, pp. 210 et s.; VANDEPITTE et SCHOUTHEETE, “Le champd’application territorial de la loi du 27 juillet 1961 sur les conces-sions de vente exclusives”, note sous Bruxelles, 4 janvier 1989, J.T.1990, p. 725; I. VEROUGSTRAETE, “Quelques aspects du contrat deconcession exclusive de vente et du franchisage”, in Les intermé-diaires commerciaux, Bruxelles, Éd. du Jeune Barreau, 1990, p.164; C. VERBRAEKEN, “La loi applicable aux contrats de concessionde vente exclusives comportant un ou plusieurs éléments d’extra-néité”, in Hommage à J. Heenen, Larcier, 1994, p. 557.

22. N. WATTÉ, “Quelques remarques sur la notion de l’ordre public endroit international privé”, R.C.J.B. 1989, pp. 66 et s.

23. N. WATTÉ, Syll. de droit international privé – ULB, édition 2001,vol. I, p. 70.; FRANCESKAKIS, La théorie du renvoi et les conflits desystème en droit international privé, Paris, Sirey, 1958.

24. Cass. fr. 24 juin 1878, Sirey, 1878, I, p. 42 et Cass. fr. 22 février1882, Sirey, 1882, p. 393.

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étranger aurait été particulièrement choquante et éloignéede la culture juridique de l’État du juge saisi, sans pourautant que l’ordre public international pût constituer unebase satisfaisante pour s’y opposer. Elle était d’ailleursexpressément exclue par la Convention de Rome du 19 juin1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles, enson article 15.

Dans la pratique, on constatait que cette théorie permettait àcertains juges d’appliquer le droit belge plutôt que d’êtrecontraints d’analyser un droit étranger, dont le contenu leurétait inconnu.

52 La théorie du renvoi est aujourd’hui expressémentexclue par l’article 16 du Code qui énonce: “Au sens de laprésente loi et sous réserve de dispositions particulières, ledroit d’un État s’entend des règles de droit de cet État àl’exclusion des règles de droit international privé”.

Notons que cette prise de position adoptée par le comité desprofesseurs initiateurs du projet de loi fait échec à la récentejurisprudence de la Cour de cassation belge, qui dans unarrêt du 17 octobre 2002 avait finalement adopté la techni-que du renvoi (N˚ de rôle: C010133F).

Précisons néanmoins que le Code réserve des hypothèsesoù le renvoi est expressément autorisé comme, par exemple,en matière de sociétés et de successions immobilières.

§ 2. La clause d’exception

53 L’article 19, relatif à la clause d’exception, a faitl’objet de longues observations du Conseil d’État25. Cettedisposition est, en effet, radicalement neuve et la détermi-nation de ses conditions d’application peut paraître délicate.

La disposition est libellée de la manière suivante:

“§ 1 Le droit désigné par la présente loi n’estexceptionnellement pas applicable lorsqu’il appa-raît manifestement qu’en raison de l’ensemble descirconstances, la situation n’a qu’un lien très faibleavec l’État dont le droit est désigné, alors qu’elleprésente des liens très étroits avec un autre État.Dans ce cas, il est fait application du droit de cetautre État.Lors de l’application de l’alinéa 1, il est tenucompte notamment: – du besoin de prévisibilité dudroit applicable et, – de la circonstance que larelation en cause a été établie régulièrement selonles règles de droit international privé des Étatsavec lesquels cette relation présentait des liens aumoment de son établissement.§ 2 Le § 1er n’est pas applicable en cas de choix dudroit applicable par les parties conformément aux

dispositions de la présente loi, ou lorsque la dési-gnation du droit applicable repose sur le contenude celui-ci”.

54 Ce type de clause existe déjà dans des législationsétrangères, notamment en droit international privé suisse(art. 15 de la loi fédérale suisse sur le droit internationalprivé du 18 décembre 1987), ou encore en droit canadien(art. 3082 du Code civil québécois).

Par ailleurs, une clause d’exception peut également êtreassociée à une règle de conflit de lois, afin de lui conférerune souplesse plus grande. C’est, par exemple, le cas del’article 4 de la Convention de Rome du 18 juin 1980 sur laloi applicable aux obligations contractuelles. Cet articledéploie le système suivant: (1) – le contrat est régi par la loichoisie par les parties, (2) – à défaut de choix, le contrat estrégi par la loi du pays avec lequel il présente les liens lesplus étroits, (3) – il est présumé que ce pays est celui où lapartie contractante qui doit fournir la prestation caractéristi-que a sa résidence habituelle, (4) – cette présomption estécartée lorsqu’il résulte de l’ensemble des circonstancesque le contrat a des liens plus étroits avec un autre pays.Cette dernière règle constitue, en définitive, une claused’exception.

55 Sur la base d’un tel texte, les juges peuvent déroger audroit désigné, dans des cas particuliers et moyennant unemotivation adéquate.

Il s’agit là d’un instrument qui permet au juge de se livrer àune analyse concrète du cas, nécessairement particulier, quilui est soumis, et à l’examen du critère de rattachement,nécessairement général, qui lui est proposé. S’il ressort decet examen que le facteur de rattachement théoriquementapplicable mène à une solution inadéquate, le juge pourradécider exceptionnellement de ne pas appliquer ces disposi-tions.

Comme exprimé dans l’exposé des motifs de la propositionde loi portant le Code, “cette clause traduit un objectifgénéral inhérent au droit moderne des conflits de lois, àsavoir que les règles de rattachement expriment unevolonté de saisir la situation internationale en fonction dela proximité de celle-ci avec un ordre juridique étatique”.Le Conseil d’État souligne ici la nécessité de trouver unéquilibre entre le besoin de règles rigides, nécessaires dansun État de droit et une certaine liberté d’appréciation dujuge, afin d’assurer une cohérence avec les faits envisagés.

56 Comme l’écrivent encore les auteurs de la propositionde loi dans l’exposé des motifs, “la clause peut aider ànuancer le caractère parfois excessivement rigide de lamise en œuvre d’une règle de rattachement. Elle peut aiderle juge à donner une réponse équitable à des difficultésissues du manque de coordination des systèmes étatiques(…)”.

25. Avis, 2-1225/1-2001-2002, p. 268, pt. 3.

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L’on ne peut néanmoins nier qu’il s’agit d’une dispositiontrès délicate, dans la mesure où elle permet de tenir enéchec le sacro-saint principe de prévisibilité du droit. Eneffet, introduire une certaine souplesse dans le mécanismede détermination de la loi applicable, c’est “rendre la règlede rattachement incertaine, et lui ôter le principal avantageque l’on pouvait en attendre”26.

III. LES DROITS RÉELS

A. Introduction

57 Le Code de droit international privé consacre son cha-pitre VIII (artt. 85 à 95) à l’étude du régime des biens.

Selon les auteurs du texte, ces dispositions n’ont “rien derévolutionnaire”: la lex rei sitae, loi de situation du bien,appliquée depuis de nombreuses années par la doctrine et lajurisprudence par analogie à l’ancien article 3 du Codecivil, abrogé pour l’occasion, régit la matière.

58 Il appert cependant que, loin d’être anodine, l’entréeen vigueur du Code a peut-être bousculé, sur certainesquestions, les règles que nous connaissionsjusqu’aujourd’hui en cette matière.

B. Compétence internationale

59 Outre la règle générale du domicile du débiteur, l’arti-cle 85 pose le principe de la compétence du juge belge pourtoute demande concernant des droits réels sur un bien lors-que celui-ci est, au moment de l’introduction de lademande, situé en Belgique (ou réputé l’être en vertud’autres dispositions du Code).

60 De même, si la demande porte sur des créances et si ledébiteur est domicilié ou a sa résidence habituelle en Belgi-que, au moment de l’introduction de la demande, le jugebelge sera compétent.

61 Rappelons qu’il s’agit ici simplement de déterminer lacompétence des juridictions belges au sens large. La déter-mination du tribunal compétent en Belgique suit les règlesdu Code judiciaire (pour ce principe et son exception, voirle chapitre consacré au droit judiciaire).

C. Droit applicable

§ 1. Généralités

62 L’article 94 § 1er du Code délimite le champ d’applica-tion du droit applicable en vertu des dispositions du chapi-tre VIII. Ces dispositions déterminent le caractère mobilierou immobilier d’un bien, l’existence, la nature, le contenu

et l’étendue des droits réels susceptibles d’affecter un bienainsi que des droits intellectuels, les titulaires de ces droits,la disponibilité de ces droits, les modes de constitution, demodification, de transmission et d’extinction de ces droits,l’opposabilité aux tiers d’un droit réel et la hiérarchie entreles sûretés.

63 La disposition la plus délicate de ce chapitre est sansnul doute l’article 87, dont la portée est étudiée ci-dessous.

§ 2. L’article 87 § 1er

64 Cette disposition consacre la règle classique de la lexrei sitae: est d’application la loi du lieu de situation du bienau moment où le droit est invoqué.

65 En cas de conflit mobile, les questions de “l’acquisi-tion et de la perte de ces droits sont régis par le droit del’État sur le territoire duquel le bien est situé au moment dela survenance des actes ou des faits invoqués pour fonderl’acquisition ou la perte de ces droits” (art. 87 § 1er in fine).

Aucune difficulté ne devrait être soulevée lors de l’applica-tion de ces deux dispositions.

§ 3. L’article 87 § 2

66 En revanche, l’article 87 § 2 est d’une interprétationdélicate.

Le texte prévoit que lorsque le bien est “constitué d’unpatrimoine composé d’un ensemble de biens affectés à unedestination particulière, notamment un fonds de commerce,il est réputé être situé sur le territoire de l’État avec lequelle patrimoine présente les liens les plus étroits”.

67 L’on ne peut que regretter l’utilisation malheureuse duterme “patrimoine”. Il ne peut en effet être question d’un“patrimoine”, unique, indivisible au sens du droit commun.La disposition vise, en réalité, nous le supposons, les uni-versalités.

§ 4. L’article 87 § 3

68 Enfin, l’article 87 § 3 est sans doute la disposition quisuscite le plus d’interrogations.

69 Celui-ci dispose que “La constitution de droits réelssur une créance ainsi que les effets de la cession d’unecréance sur de tels droits sont régis par le droit de l’Étatsur le territoire duquel la partie qui a constitué ces droitsou a cédé la créance avait sa résidence habituelle aumoment de la constitution ou de la cession”.

En première analyse, l’on aperçoit que la règle de conflitainsi déterminée emporte un profond changement par rap-port à la situation préexistante. En effet, antérieurement, lesconventions de cessions de créance étaient uniformément

26. L. BARNICH, “La clause d’exception dans la proposition de loi por-tant le code de droit international privé”, in Mélanges à Kirkpatrick,p. 59.

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584 – 2005 Éditions Kluwer

soumises à la loi régissant le contrat ayant engendré lacréance, en conformité avec, d’une part, l’article 12 de laConvention de Rome du 18 juin 1980 relative à la loi appli-cable aux obligations contractuelles (pour ce qui concerneles relations entre cédant et cessionnaire ainsi que l’opposa-bilité au débiteur cédé) et, d’autre part, l’article 145 de laloi du 2 août 2002 relative à la surveillance du secteurfinancier et aux services financiers (pour les relations avecles tiers autres que le débiteur cédé). Une solution analogueétait, par ailleurs retenue en matière de convention de gagesur créances.

En vertu de l’article 87 § 3 du Code, cela n’est désormaisplus le cas. L’article 145 de la loi précitée du 2 août 2002relative à la surveillance du secteur financier et aux servicesfinanciers, qui prévoyait que l’opposabilité du contrat decession de créance à l’égard des tiers autres que le débiteurcédé était déterminée conformément au droit applicable aucontrat de cession, est d’ailleurs abrogé par l’article 139 duCode.

70 Doit-on déduire de l’article 87 § 3 une mise à l’écartde la règle prévue dans la Convention de Rome?

Il n’en est rien, ne fût-ce qu’en raison de la primauté dudroit européen sur le Code. Les solutions à retenir peuventdonc être schématiquement présentées comme suit.

En vertu de l’article 12 de la Convention de Rome, les effetsde la cession de créance, pour ce qui concerne les relationsentre le cédant et le cessionnaire sont gouvernés par la loirégissant le contrat liant le cédant et le cessionnaire (quipeut être autre que la loi appelée à régir le contrat qui seraitla source de la créance cédée puisque le cessionnaire est untiers par rapport à ce contrat source).

En revanche, toujours en vertu de l’article 12 précité, pourles créances cédées nées d’un contrat, c’est la loi gouver-nant celui-ci qui s’applique aussi à l’opposabilité de la ces-sion au débiteur cédé ainsi qu’aux exceptions dont il dis-pose à l’égard du cessionnaire.

En ce qui concerne les effets de la cession d’une créance(née d’un contrat ou non) sur les titulaires éventuels dedroits réels grevant celle-ci (un usufruitier ou un créanciergagiste), ils sont soumis à la loi de l’État sur le territoireduquel le cédant avait sa résidence habituelle au moment dela cession, par application de l’article 87 § 3 du Code.

Pour ce qui concerne l’opposabilité de la cession de créance(contractuelle ou non) aux autres tiers (les cessionnairessubséquents ou les créanciers saisissants – c’est-à-dire ceuxqui ne sont ni le débiteur cédé ni le créancier gagiste nil’usufruitier), le Code ne comporte aucune précision. Il necontient pas davantage d’indication sur la loi applicable àl’opposabilité au débiteur cédé d’une créance d’origine noncontractuelle (et dès lors non visée par l’art. 12 de la Con-vention de Rome).

Faut-il s’en remettre alors à l’enseignement traditionnelselon lequel une créance étant fictivement localisée audomicile de son débiteur, c’est la loi de l’État où est situé cedomicile qui régirait ces champs d’opposabilité, c’est-à-dire opposabilité au débiteur cédé d’une créance non con-tractuelle et aux tiers en général de toute cession decréance. Ou faut-il, au contraire, tenir le Code pour un ins-trument achevé, destiné à comprendre désormais toutes lesrègles de droit international privé belge, devant, en cela êtreinterprété comme un ensemble cohérent afin de rechercheret dégager grâce à l’inspiration de son esprit général, lespistes de solutions propres à combler les lacunes que, parendroits, il aurait malgré tout pu laisser?

Le seconde voie est à favoriser. C’est bien l’objectif, le senset la ratio legis du Code que de proposer le système com-plet, bien que subsidiaire, du droit international privé belge.

Selon quel raisonnement analogique convient-il dès lors detraiter l’opposabilité au débiteur cédé (non couverte parl’art. 12 de la Convention de Rome) et aux cessionnairessubséquents ou créanciers saisissants des effets d’une ces-sion de créance?

Assurément, par une application extensive de l’article 87§ 3 du Code.

Certes, céder une créance n’est pas constituer, mais bientransmettre, un droit réel sur une créance. Certes encore, lasaisie-arrêt n’emporte pas, à proprement parler, l’acquisi-tion d’un droit réel; tout au plus, s’agit-il d’un droit person-nel mis en œuvre ou réalisé sur une créance. Mais néan-moins, l’objectif de l’article 87 § 2 ne réside-t-il pas, toutentier, dans la détermination des effets d’une cession decréance sur le statut réel de celle-ci et sur la configurationdes charges et prétentions réelles qui la grèveraient?

Cela n’implique-t-il pas que l’on soumette à une loi identi-que le sort, en cas de cession, non seulement de l’usufruit etdu gage, mais aussi du droit de propriété ultérieurementacquis ou du droit né d’une saisie-arrêt?

Certes, enfin, le débiteur cédé doit conserver la situation quiest la sienne en vertu de la loi applicable à son obligation,mais la question de l’opposabilité de la cession n’est autre,en définitive, que celle de la détermination du destinatairelégitime du paiement.

Dans ces conditions, régir par une même loi, le sort del’usufruit, du gage, de la saisie-arrêt ou de la titularitémême de la créance semble relever d’une démarche cohé-rente.

En conclusion, c’est selon nous, vers la loi de l’État sur leterritoire duquel le cédant avait sa résidence habituelle aumoment de la cession qu’il faut se tourner pour vérifier lesrègles d’opposabilité de la cession aux tiers en général.

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Kluwer 2005 – 585

C’est d’ailleurs à cette interprétation qu’invite la lecture destravaux préparatoires du Code. En effet, l’article 87 § 3 duCode est né d’un amendement n˚ 70 du gouvernement, votéen vue de “couvrir la détermination du droit applicable àdes droits réels sur des biens incorporels”. Selon le textedudit amendement, la disposition vise à “soumettre à uneloi unique l’ensemble des aspects de droits réels liés à lacession d’une créance ou à l’utilisation d’une créancecomme sûreté”.

L’on pourrait, dès lors, suivre la thèse suivant laquelle seulsles effets “réels” de ces opérations, à l’exception des effets“personnels” sont concernés par la disposition. Sans préju-dice à l’application, quand il est relevant, de l’article 12, ali-néa 2 de la Convention de Rome, l’opposabilité aux tiers dela cession de créance devrait être régie par l’article 87 § 3.

71 Reste alors la délicate question posée par l’article 127§ 1er du Code, concernant le droit transitoire.

L’opposabilité aux tiers de gages sur créances ou cessionsde créance constitués antérieurement à l’entrée en vigueurdu nouveau Code, étant désormais soumise à la loi du cons-tituant du gage ou du cédant, faut-il vérifier le respect decette loi lors de l’exécution du gage ou de la cession, alorsque ces contrats sont nés antérieurement à l’entrée envigueur du Code, moyennant le respect des dispositionsrégissant alors leur opposabilité?

La sécurité juridique la plus élémentaire commanderait quela question de l’opposabilité d’un acte juridique ne puissesubir de modification en cours d’exécution du contrat.L’opposabilité n’est pas un effet futur, gouverné à ce titrepar une loi nouvelle, mais une caractéristique instantanéeobtenue dès que les conditions légales applicables aumoment de l’accomplissement des éventuelles formalitésrequises sont satisfaites.

En toute hypothèse, la clause d’exception de l’article 19 duCode, qui dispose – rappelons le – que “le droit désigné parla présente loi n’est exceptionnellement pas applicablelorsqu’il apparaît manifestement qu’en raison de l’ensem-ble des circonstances, la situation n’a qu’un lien très faibleavec l’État dont le droit est désigné, alors qu’elle présentedes liens plus étroits avec le droit d’un autre État”. Pourl’application de cette disposition, l’alinéa 2 précise que“lors de l’application de l’alinéa 1er, il est tenu comptenotamment: – du besoin de prévisibilité du droit applicable(…)”.

Cette solution aurait le mérite de pallier une situation parti-culièrement délicate, dans laquelle des droits réels consti-tués régulièrement deviendraient irréguliers et inopposablesà la suite de l’entrée en vigueur du Code.

§ 5. Les biens en transit

72 Le Code prévoit très logiquement, que les droits ettitres sur les biens en transit sont réglés par la loi de l’Étatde destination (art. 88).

§ 6. Les moyens de transport

73 Tous les moyens de transport qui font l’objet d’uneinscription dans un registre public sont régis par le droit del’État sur le territoire duquel l’inscription a eu lieu (art. 89).

§ 7. Les biens culturels

74 La revendication par un État d’un bien faisant partie deson patrimoine culturel est régie par le droit dudit État ou,au choix de celui-ci, par le droit de l’État sur le territoireduquel le bien est situé au moment de sa revendication.

Cette première hypothèse vise le cas où le droit de l’Étatqui inclut le bien dans son patrimoine culturel connaît laprotection du possesseur de bonne foi et que le bien a doncquitté le territoire illicitement (art. 90, al. 1er).

75 L’alinéa 2 de l’article 90 envisage l’hypothèse danslaquelle le droit de l’État qui inclut le bien dans son patri-moine culturel ignore toute protection du possesseur debonne foi. Dans ce cas, celui-ci peut invoquer la protectionque lui assure le droit de l’État sur le territoire duquel lebien est situé au moment de sa revendication.

Notons que cette dernière disposition s’inspire des textesdes Conventions Unesco et Unidroit en matière de luttecontre le trafic illicite de biens culturels ainsi que de la Con-vention de La Haye de 1954, sur le vol et la restitution desbiens culturels en cas de conflits armés.

§ 8. Les titres négociables

76 L’article 91 concerne les titres négociables.

Les droits sur un titre dont l’enregistrement est prévu par laloi sont régis par le droit sur le territoire duquel est situé leregistre où figure l’inscription en compte des titulaires dedroits. Pour l’application de cette disposition, il est pré-sumé, sauf preuve contraire, que le registre est situé au lieude l’établissement principal de la personne qui tient lecompte des titulaires.

77 Lorsque ces droits portent sur un titre ne faisant pasl’objet d’une inscription, ils sont régis par le droit de l’Étatsur le territoire duquel le titre est situé au moment de la sur-venance des actes ou faits invoqués pour fonder l’acquisi-tion ou la perte de ces droits. Au dernier alinéa, on précise,en outre, que la qualification de bien ou de valeur mobilièreainsi que le caractère négociable des titres sont régis par laloi de l’État d’émission.

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IV. LES OBLIGATIONS

A. Les obligations contractuelles

§ 1. Notion

78 La notion d’obligation contractuelle n’est pas définiepas le Code. Elle doit donc recevoir la signification ordi-naire d’obligation dérivant d’un accord de volontés destinéà produire des effets juridiques27.

§ 2. Compétence

79 Sur le plan de la compétence, rappelons que l’article96, 1˚ du Code ajoute aux règles figurant dans les disposi-tions générales du Code deux chefs de compétence fondés,l’un sur la naissance de l’obligation en Belgique, l’autre surla circonstance que l’obligation est ou doit être exécutée enBelgique28. Le Code n’indique pas expressément si le lieude la naissance ou d’exécution de l’obligation doit êtredéterminé de manière concrète et directe ou conformémentà la loi applicable à l’obligation29.

80 La compétence doit cependant être déterminée entenant compte des règles particulières protectrices des con-sommateurs et des travailleurs qui figurent à l’article 97 duCode30.

Ainsi, le consommateur ayant sa résidence habituelle enBelgique est autorisé, à certaines conditions, à saisir le jugebelge alors même que celui-ci ne peut fonder sa compé-tence sur une autre disposition du Code31.

Quant au travailleur, l’obligation contractuelle est réputéeêtre exécutée en Belgique lorsque le travailleur accomplithabituellement son travail en Belgique lors du différend32.

Enfin, une convention attributive de compétence internatio-nale ne produit ses effets à l’égard du consommateur ou du

travailleur que si elle est postérieure à la naissance du diffé-rend.

§ 3. Droit applicable

81 Le droit applicable aux obligations contractuelles étaitdéjà, pour une large part, déterminé par la Convention deRome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligationscontractuelles. La question se posait cependant de savoircomment déterminer la loi applicable aux obligations con-tractuelles exclues du champ d’application de la Conven-tion de Rome par son article 1er § 2.

La solution retenue par l’article 98 du Code consiste àappliquer par analogie la Convention de Rome, sauf dansles cas où la loi en dispose autrement33. En définitive, l’uti-lité de cette disposition concerne principalement les clausesd’élection de for34 et les groupements (sociétés et associa-tions) dénués de la personnalité morale35.

27. Voy. DE PAGE, t. II, 3e éd., n˚ 447, p. 409. Comp. avec la jurispru-dence de la Cour de justice des Communautés européennes quirecherche s’il existe un “engagement librement assumé d’une partieenvers une autre” (C.J.C.E. 27 octobre 1998, Réunion européenne,C-51/97, Rec., I, pp. 6511 et s.; C.J.C.E. 17 juin 1992, Handte, C-26/91, Rec., I, pp. 3967 et s.).

28. Cette disposition reprend les termes de l’art. 635, 3˚, CJ, lequel estabrogé par l’art. 139, 8˚ CDIP.

29. En faveur de cette dernière solution, voy. l’intervention du profes-seur ERAUW dans Doc. parl. Sénat, s.o., 2003-04, n˚ 3-27/7, p. 172,et C.J.C.E. 6 octobre 1976, Tessili, 12/76, Rec., pp. 1473 et s. Voy.cependant l’intervention du professeur FALLON dans Doc. parl.Sénat, s.o., 2003-04, n˚ 3-27/7, p. 170, selon qui cette dispositionpermet une interprétation raisonnablement extensive favorable à lacompétence du juge belge. Sur l’interprétation de l’ancien art. 635,3˚, CJ, cons. not. F. RIGAUX et M. FALLON, Droit internationalprivé, t. II, Bruxelles, Larcier, 1993, n˚ 1320, p. 548.

30. En outre, les règles de compétences prévues à l’art. 4 de la loi du 27juillet 1961 relative à la résiliation unilatérale des concessions devente exclusive à durée indéterminée et à l’art. 27 de la loi du 13avril 1995 relative au contrat d’agence commerciale sont mainte-nues en vigueur (Doc. parl. Sénat, s.o., 2003-04, n˚ 3-27/7, p. 355).

31. Plus précisément, le consommateur qui souhaite invoquer à son pro-fit ce chef de compétence devra démontrer la réunion des conditionssuivantes: (1) être une personne physique; (2) avoir agi dans un butétranger à son activité professionnelle; (3) intenter son action contreune personne qui a fourni ou devait fournir un bien ou un servicedans le cadre de ses activités professionnelles; (4) soit (a) avoiraccompli en Belgique les actes nécessaires à la conclusion du con-trat et avoir sa résidence habituelle en Belgique à ce moment, soit(b) démontrer que le bien ou le service a été fourni ou devait l’être àun consommateur qui avait sa résidence habituelle en Belgique aumoment de la commande, si celle-ci a été précédée d’une offre oud’une publicité en Belgique. Ces conditions paraissent assez favora-bles au consommateur puisque même le consommateur “actif”, quia pris l’initiative de contacter le professionnel situé à l’étranger,pourra saisir le juge belge à la condition d’avoir accompli les actesnécessaires à la conclusion du contrat depuis la Belgique. Comp.avec l’art. 5 de la Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loiapplicable aux obligations contractuelles (ci-après la “Conventionde Rome”) et avec l’art. 16 du Règlement (CE) n˚ 44/2001 du Con-seil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, lareconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile etcommerciale (ci-après le “règlement Bruxelles I”).

32. Cette disposition s’inspire directement de l’art. 19 du règlementBruxelles I. Sur la détermination du lieu de l’accomplissement habi-tuel du travail, voy. C.J.C.E. 10 avril 2003, Pugliese, C-437/00,Rec., I, pp. 3573 et s.; C.J.C.E. 27 février 2002, Weber, C-37/00,Rec., I, pp. 2013 et s.; C.J.C.E. 9 janvier 1997, Rutten, C-383/95,Rec., I, pp. 57 et s.; C.J.C.E. 13 juillet 1993, Mulox, C-125/92, Rec.,I, pp. 4075 et s.

33. Ainsi, il est dérogé – en tout ou en partie – à l’application de la Con-vention de Rome en matière de lettre de change et de billet à ordre(Convention de Genève du 7 juin 1930 destinée à régler certains con-flits de lois en matière de lettres de change et de billets à ordre), dechèque (Convention de Genève du 19 mars 1931 destinée à réglercertains conflits de lois en matière de chèques), de convention d’arbi-trage en matière commerciale (Convention de Genève du 21 avril1961 sur l’arbitrage commercial international), de contrat d’assu-rance, de libéralités entre époux (art. 48 § 2, 4˚ CDIP), de contrat demariage (artt. 49, 50 et 52 à 54 CDIP), de l’obligation de conclureune convention préalable au divorce (art. 56, 3˚ CDIP), de contrat desociété lorsque celle-ci est dotée de la personnalité morale (artt. 110et 111 CDIP) et de trust (artt. 124 et 125 CDIP). Cons. à ce proposDoc. parl. Sénat, s.e., 2003, n˚ 3-27/1, pp. 123 et s.

34. Doc. parl. Sénat, s.e., 2003, n˚ 3-27/1, p. 124.35. Doc. parl. Sénat, s.e., 2003, n˚ 3-27/1, p. 129.

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Kluwer 2005 – 587

B. Les obligations dérivant d’un fait dommageable

§ 1. Notion

82 Le texte et les travaux préparatoires du Code fournis-sent quelques indications concernant la notion d’obligationdérivant d’un fait dommageable.

Tout d’abord, il s’agit d’une obligation dérivant de la res-ponsabilité civile du débiteur36.

Ensuite, il a été précisé que les obligations visées sont denature non contractuelle37. La responsabilité contractuellerelève en effet du domaine des obligations contractuelles38.

Par ailleurs, l’expression “fait dommageable”, bien qu’elleait été traduite en néerlandais par les termes “onrechtmatigedaad”, a été choisie afin de viser aussi bien les cas de res-ponsabilité avec faute que les hypothèses de responsabilitéobjective39.

Enfin, d’un point de vue terminologique, le fait dommagea-ble ne s’identifie pas au fait générateur, mais recouvre à lafois le fait générateur de la responsabilité (“l’événementcausal”) et le dommage subi40. Quant au dommage, il doitêtre localisé au lieu où il s’est matérialisé, c’est-à-dire lelieu où il produit ses effets directs à l’égard de la victime,indépendamment d’un préjudice consécutif41.

§ 2. Compétence

83 Quant à la compétence, l’article 96, 2˚ du Code permetau juge belge de connaître des actions relatives à une obli-gation dérivant d’un fait dommageable, outre les cas prévuspar les dispositions générales du Code, soit (1) si le faitgénérateur de l’obligation est survenu ou menace de surve-nir, en tout ou en partie, en Belgique, soit (2) si, et dans la

mesure où, le dommage est survenu ou menace de surveniren Belgique.

En d’autres termes, si le fait générateur est localisé (mêmepour partie) en Belgique, le juge belge aura compétencepour accorder la réparation de l’entièreté du dommage, quecelui-ci soit localisé en Belgique ou à l’étranger. Par contre,si le fait générateur est (entièrement) localisé à l’étranger, lejuge belge ne pourra accorder que la réparation du dom-mage localisé en Belgique42. Le Code vise par ailleurs aussibien l’action en réparation que l’action préventive(“menace de survenir”)43.

84 La question se pose de savoir si le consommateurbénéficie également dans cette matière d’une protectionparticulière. Une interprétation littérale de l’article 97 duCode donne à le penser puisque, alors que le § 2 se réfère à“l’obligation contractuelle” du travailleur, le paragraphe1er envisage de manière générale “l’obligation visée àl’article 96”. Le paragraphe 1er se réfère cependant aux“actes nécessaires à la conclusion d’un contrat” par leconsommateur et les auteurs du texte ne semblent pas avoirenvisagé que l’article 97 puisse être invoqué par le consom-mateur en matière d’obligations dérivant d’un fait domma-geable.

Si on devait toutefois admettre l’application de l’article 97 àcette hypothèse, il conviendrait à notre sens de limiter cechef de compétence dérogatoire au droit commun au cas oùle consommateur a accompli les actes nécessaires à la con-clusion d’un contrat (que celui-ci ait finalement été concluou non). On songe par exemple à l’action en responsabilitéintentée par le consommateur en raison d’une culpa in con-trahendo de son cocontractant, tel qu’un défaut d’informa-tion dans la phase précontractuelle.

85 Sur le plan du droit applicable, l’article 99 § 1er duCode comporte une innovation majeure. Il tire en effet untrait sur la jurisprudence de la Cour de cassation décidantde manière constante depuis l’arrêt Pirlet-Bologne que laresponsabilité civile extracontractuelle est régie par la loidu lieu du fait générateur (lex loci delicti commissi), indé-pendamment du lieu où le dommage est subi44.

Ce facteur de rattachement rigide, que les juges du fonds’étaient efforcés de contourner45, est remplacé par une cas-cade de rattachements censée concrétiser le principe deproximité. Ainsi, l’obligation dérivant d’un fait dommagea-ble est régie (1) par le droit de l’État sur le territoire duquel

36. Voy. le texte de l’art. 99 CDIP, qui se réfère à la “personne respon-sable” et à la “personne lésée”. Voy. aussi Doc. parl. Sénat, s.e.,2003, n˚ 3-27/1, p. 124.

37. Doc. parl. Sénat, s.o., 2003-04, n˚ 3-27/7, p. 361.38. Voy. l’art. 10 § 1er, c) de la Convention de Rome.39. Doc. parl. Sénat, s.o., 2003-04, n˚ 3-27/7, pp. 360 et s. Les termes

“onrechtmatige daad” ont été retenus afin de préserver une unitéterminologique avec le règlement Bruxelles I (ibid., p. 361). Cepen-dant, si les termes “en matière délictuelle ou quasi délictuelle” figu-rant dans l’art. 5, 3) du règlement Bruxelles I ont effectivement ététraduits par “ten aanzien van verbintenissen uit onrechtmatigedaad”, il semble que la traduction exacte de “fait dommageable”soit “schadebrengende feit”.

40. Voy. C.J.C.E. 30 novembre 1976, Mines de Potasse d’Alsace, 21/76,Rec., pp. 1735 et s.

41. Ces précisions découlent de la jurisprudence de la Cour de justicerelative à l’art. 5, 3) de la Convention de Bruxelles (voy. C.J.C.E. 10juin 2004, Kronhofer, C-168/02, non encore paru au Recueil;C.J.C.E. 19 septembre 1995, Marinari, C-364/93, Rec., I, pp. 2719et s.), laquelle est également transposable aux conflits de lois (Doc.parl. Sénat, s.e., 2003, n˚ 3-27/1, p. 125, note n˚ 1). Quant à l’exclu-sion des conséquences indirectes du dommage dans le processus delocalisation de ce dernier, voy. aussi l’art. 3 de la Proposition derèglement du Parlement européen et du Conseil sur la loi applicableaux obligations non contractuelles (“Rome II”), COM (2003) 427final (ci-après la “Proposition de règlement Rome II”).

42. Il s’agit là d’une transposition de la jurisprudence relative à l’art. 5,3) du règlement Bruxelles I. Voy. C.J.C.E. 7 mars 1995, Shevill, C-68/93, Rec., I, pp. 415 et s.

43. Voy., dans le même sens, l’art. 5, 3), du règlement Bruxelles etC.J.C.E. 1er octobre 2002, Henkel, C-167/00, Rec., I, pp. 8111 et s.

44. Voy. Cass. (1ère ch.) 17 mai 1957, Pas. 1957, I, p. 1111, concl. de M.le procureur général HAYOIT DE TERMICOURT.

45. Voy. C. TUBEUF et L. MERTENS, Reponsabilités. Traité théorique etpratique, dos. 4, La loi applicable à la responsabilité, Bruxelles,Kluwer, 2002, n˚ 21, p. 21.

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588 – 2005 Éditions Kluwer

la personne responsable et la personne lésée ont toutes deuxleur résidence habituelle au moment de la survenance dufait dommageable; (2) à défaut de résidence habituelle surle territoire d’un même État, par le droit de l’État sur le ter-ritoire duquel la totalité du fait générateur et du dommagesont survenus ou menacent de survenir46; (3) à défaut, par ledroit de l’État avec lequel l’obligation en cause présente lesliens les plus étroits.

86 L’article 99 § 2 du Code déroge cependant à la règlegénérale du § 1er pour une série de délits spéciaux soumis àune loi propre47:

(1) en cas de diffamation ou d’atteinte à la vie privée ouaux droits de personnalité48, la victime a le choix entrela loi du lieu du fait générateur et celle du lieu où ledommage est survenu ou menace de survenir49, sauf,dans ce dernier cas, si la personne responsable établitqu’elle ne pouvait pas prévoir que le dommage sur-viendrait dans cet État50;

(2) en cas de concurrence déloyale ou de pratique com-merciale restrictive51, le droit applicable est celui del’État sur le territoire duquel le dommage est survenuou menace de survenir52;

(3) en cas de dommage aux biens ou aux personnes résul-tant d’une atteinte à l’environnement, le droit applica-ble est celui de l’État sur le territoire duquel le dom-mage est survenu ou menace de survenir53;

(4) en cas de responsabilité du producteur, de l’importa-teur ou du fournisseur du fait d’un produit54, le droitapplicable est celui de l’État sur le territoire duquel lapersonne lésée a sa résidence habituelle au moment dela survenance du dommage;

46. “Ce facteur ne peut pas être pris en compte lorsque les circonstan-ces de l’espèce rendent impossible la détermination du lieu perti-nent (par exemple, un objet a été volé au cours d’un transport inter-national)” (Doc. parl. Sénat, s.e., 2003, n˚ 3-27/1, p. 125).

47. Cette disposition est directement inspirée des travaux de la Commis-sion européenne relatifs à la Proposition de règlement Rome II pré-citée (Doc. parl. Sénat, s.o., 2003-04, n˚ 3-27/7, p. 357), lesquelspeuvent donc être utilisés pour interpréter les dispositions du Code.

48. Cette expression vise à tout le moins le droit à l’image, au nom, àl’honneur et à la réputation (Unité de droit international privé del’Universite Libre de Bruxelles, Observations sur l’avant-projet deproposition de règlement du Conseil sur la loi applicable aux obli-gations non contractuelles, www.dipulb.be, n˚ 29, p. 30). La ques-tion se pose de savoir si elle englobe certains aspects du droitd’auteur (ibid., p. 31), voire même du droit à l’intégrité physique(voy. à ce propos la question d’un parlementaire dans Doc. parl.Sénat, s.e., 2003, n˚ 3-27/1, p. 178, et la réponse apparemment néga-tive qui y est apportée, ibid., p. 180).

49. Le lieu du fait générateur se confondra le plus souvent avec le lieud’édition et le lieu du dommage avec le lieu de la résidence habi-tuelle de la victime (comp. C.J.C.E. 7 mars 1995, Shevill, C-68/93,Rec., I, pp. 415 et s). Lorsque le dommage se localise dans des Étatsdifférents, il y a lieu de faire une application distributive des droitsdes États concernés. Si, cependant, il est impossible de localiseravec précision le dommage, notamment en cas de diffusion mondi-ale d’une information concernant une personne mondialement con-nue, la victime ne peut invoquer que la loi du lieu du fait générateur.Si celui-ci n’est pas localisable avec précision, il est fait applicationdu § 1er de l’art. 99. Sur tout ceci, voy. Doc. parl. Sénat, s.e., 2003,n˚ 3-27/1, pp. 125-126.

50. En ce cas, la victime ne peut invoquer que la loi du lieu du fait géné-rateur. Si celui-ci n’est pas localisable avec précision, il est faitapplication du § 1er de l’art. 99 (Doc. parl. Sénat, s.e., 2003, n˚ 3-27/1, pp. 125-126). En ce qui concerne l’exigence de prévisibilité dudommage causé par une faute commise sur Internet, cons. Doc. parl.Sénat, s.e., 2003, n˚ 3-27/1, p. 180; comp. avec la condition que leprofessionnel “dirige” ses activités vers l’État du consommateurprévue à l’art. 15 § 1er, c) du règlement Bruxelles I et avec la Décla-ration commune du Conseil et de la Commission concernant lesartt. 15 et 73 du règlement (CE) n˚ 44/2001 du Conseil du 22décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnais-sance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale,dit “Bruxelles I”, accessible sur www.dipulb.be.

51. S’il est clair que cette disposition s’applique aux actes contrairesaux usages honnêtes en matière commerciale (voy. la version néer-landaise du texte où figurent les termes “oneerlijke handelsprak-tijk”), on peut s’interroger sur la question de savoir si les actes con-traires au droit de la concurrence (ententes illicites, abus de positiondominante et concentrations d’entreprises) sont visés par cette règlede conflit. Les termes “ongeoorloofde mededinging”, utilisés dansla version néerlandaise du texte, et “pratique commerciale restric-tive” appartiennent en effet au champ lexical de la loi coordonnéedu 1er juillet 1999 sur la protection de la concurrence économique.On observera toutefois que l’art. 5 de la Proposition de règlementRome II, qui constitue le pendant européen de ce texte, se réfèreexclusivement aux actes de concurrence déloyale.

52. Si le dommage s’étend au territoire de plusieurs États, il convient defaire une application distributive des lois en présence (Doc. parl.Sénat, s.e., 2003, n˚ 3-27/1, p. 125). Par ailleurs, la loi applicables’identifiera le plus souvent à la loi du marché affecté par l’acte deconcurrence déloyale (voy. en ce sens Doc. parl. Sénat, s.e., 2003,n˚ 3-27/1, p. 179, où il est indiqué que l’utilisation du dommagecomme facteur de rattachement tend à “la protection du marché surlequel les actes de concurrence sont posés”; voy. aussi J. MEEUSEN,“De toepassing van de Wet Handelspraktijken op grensoverschrij-dende geschillen”, note sous Comm. Bruxelles (prés.), 7 septembre1999, Pratiques du commerce & Concurrence. Annuaire 1999,Anvers, Kluwer, 2000, pp. 841 et s., n˚ 9, p. 849). Toutefois, on peuts’interroger sur la localisation du dommage lorsque l’acte de con-currence déloyale est dirigé contre un concurrent déterminé (débau-chage de salariés, espionnage industriel, boycott, etc.). Dans ce cas,bien que de tels agissements puissent avoir des répercussions négati-ves sur un ou plusieurs marchés, il nous semble que la loi du marchéne s’identifiera pas nécessairement avec la loi du dommage, ce der-nier pouvant notamment se concentrer au lieu de l’établissement dela victime de ces agissements. Sur la spécificité de ces situations“bilatérales”, voy. la proposition de règlement Rome II, p. 17 et s. etR. PRIOUX, “L’application internationale de la loi du 14 juillet 1991sur les pratiques du commerce, l’information et la protection duconsommateur”, Les pratiques du commerce, l’information et laprotection du consommateur. Premier bilan et perspectives d’appli-cation de la loi du 14 juillet 1991, notamment au regard du droiteuropéen, Bruxelles, Bruylant, 1994, pp. 331 et s., n˚ 17, p. 349.

53. Ici encore, si le dommage s’étend au territoire de plusieurs États, ilconvient de faire une application distributive des lois en présence(Doc. parl. Sénat, s.e., 2003, n˚ 3-27/1, p. 125).

54. Cette disposition est directement inspirée de la loi du 25 février1991 relative à la responsabilité des produits défectueux (Doc. parl.Sénat, s.o., 2003-04, n˚ 3-27/7, p. 356), à laquelle on n’hésitera doncpas à se référer pour interpréter les notions de produit, producteur,fournisseur et importateur. On observera cependant que la règle deconflit s’applique indépendamment du caractère défectueux ou nondu produit, ce qui résulte semble-t-il d’un choix délibéré du législa-teur (voy. Doc. parl. Sénat, s.o., 2003-04, n˚ 3-27/7, p. 181, et comp.avec le texte initial dans Doc. parl. Sénat, s.e., 2003, n˚ 3-27/1, p.187).

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TIJDSCHRIFT VOOR BELGISCH BURGERLIJK RECHT

Kluwer 2005 – 589

(5) enfin, en cas d’accident de la circulation routière, ledroit applicable est déterminé par la Convention de LaHaye du 4 mai 1971 sur la loi applicable en matièred’accidents de la circulation routière55.

87 L’article 100 du Code comporte une exception auxrègles de conflit prévue à l’article 99 fondée sur l’idée derattachement accessoire. Ainsi, lorsque l’obligation déri-vant d’un fait dommageable présente un lien étroit avec unrapport juridique préexistant entre parties, l’obligation estrégie par la loi applicable à ce rapport.

En dépit de l’exigence selon laquelle il doit s’agir d’un rap-port juridique “préexistant”, on pourrait songer à faireusage de cette disposition afin de soumettre l’obligationdérivant d’une culpa in contrahendo à la même loi que cellerégissant le contrat56.

88 Quelle que soit la loi normalement applicable, les par-ties se voient reconnaître, en vertu de l’autonomie de lavolonté, la possibilité de choisir la loi applicable à l’obliga-tion dérivant d’un fait dommageable57. L’exercice de cetteliberté est soumise à plusieurs conditions: (1) le choix doitêtre postérieur à la naissance du différend58; (2) il doit êtreexprès; (3) il ne peut porter atteinte aux droits des tiers59.

89 Une fois la loi applicable déterminée, l’article 103 duCode comporte une énumération exemplative des questionsrelevant de son domaine:

(1) les conditions et l’étendue de la responsabilité60. L’ar-ticle 102 du Code précise cependant que, pour la déter-

mination de la responsabilité (et, plus précisément, del’existence d’une faute), il doit être tenu compte desrègles de sécurité et de comportement en vigueur aulieu et au moment du fait dommageable61, quelle quesoit la loi qui lui est applicable;

(2) la responsabilité du fait des personnes, des choses – ycompris des bâtiments62 – et des animaux;

(3) les causes d’exonération, ainsi que toute limitation ettout partage de responsabilité;

(4) l’existence et la nature des dommages susceptibles deréparation63;

(5) les mesures que le juge peut prendre pour assurer laprévention ou la cessation du dommage;

(6) les modalités et l’étendue de la réparation64;(7) les personnes ayant droit à réparation du dommage

qu’elles ont personnellement subi65;(8) la mesure dans laquelle le droit de la victime à répara-

tion peut être exercé par ses héritiers66;(9) les prescriptions et les déchéances fondées sur l’expi-

ration d’un délai, y compris le point de départ, l’inter-ruption et la suspension des délais;

(10) la charge de la preuve et les présomptions légales.

90 L’article 103 du Code comportait à l’origine un § 2 quiréservait la question de la loi applicable à la responsabilitéde l’État ou d’autres personnes morales de droit public,ainsi que celle de leurs organes ou agents, pour les actesaccomplis dans l’exercice de la puissance publique67.

Cette disposition a été supprimée au cours des travaux pré-paratoires. La volonté du législateur semble avoir été que laloi applicable à la responsabilité de l’État soit déterminéeconformément aux règles ordinaires prévues auxarticles 99 à 103 du Code, même s’il s’agit d’un acte

55. L’utilité de ce renvoi au texte d’une convention par ailleurs directe-ment applicable par elle-même est avant tout d’ordre pédagogique.Il a également pour conséquence que même si cette convention perdtout effet dans l’ordre international, elle sera maintenue en vigueur,en droit belge, par l’effet de cette disposition (Doc. parl. Sénat, s.o.,2003-04, n˚ 3-27/7, p. 184).

56. En faveur de cette interprétation, voy. la proposition de règlementRome II, p. 13, où il est exposé que “le texte est suffisamment flexi-ble pour permettre au juge de tenir compte d’une relation contrac-tuelle simplement envisagée, par exemple en cas de rupture de pour-parlers ou en cas d’annulation d’un contrat, ou d’une relation defamille”. On pourrait toutefois objecter que l’art. 104 § 1er, al. 2CDIP prévoit expressément qu’il puisse être tenu compte d’une“relation préexistante ou envisagée entre les parties” et qu’a con-trario l’art. 100 CDIP ne vise que la relation préexistante. Aussi uneautre solution, peut-être plus respectueuse de la lettre du texte,serait-elle de faire usage, le cas échéant, de la clause d’exceptionprévue à l’art. 19 CDIP.

57. Le Code réserve expressément l’application de la Convention de LaHaye du 4 mai 1971 sur la loi applicable en matière d’accidents dela circulation routière. Ceci se comprend dans la mesure où la con-vention ne semble pas reconnaître aux parties le droit de choisir laloi applicable dans cette matière. Celles-ci conservent cependantune certaine marge de manœuvre en raison du principe dispositif.Cons. à ce propos F. RIGAUX et M. FALLON, Droit internationalprivé, t. II, o.c., n˚ 1534, p. 704, et n˚ 1555, p. 719.

58. “Ce moment pourra être postérieur au moment du fait dommagea-ble, puisque la victime peut n’avoir pas eu une connaissance immé-diate de ce fait dès sa survenance” (Doc. parl. Sénat, s.e., 2003, n˚3-27/1, p. 126).

59. On vise principalement ici un choix de loi qui aurait pour consé-quence d’aggraver la responsabilité de l’assureur (voy. la proposi-tion de règlement Rome II, p. 24).

60. Sont notamment visés: la nature de la responsabilité (à base de fauteou objective), la définition de la faute lorsqu’elle est requise, y com-pris la question de savoir si une omission peut constituer une faute,l’exigence d’un lien de causalité (proposition de règlement Rome II,p. 25), ainsi que l’exigence de capacité aquilienne de la personneresponsable (Doc. parl. Sénat, s.e., 2003, n˚ 3-27/1, p. 127), ques-tion qui échappe donc au domaine des artt. 34 et 35 CDIP.

61. Sont notamment visés: le code de la route, les normes sur la compo-sition des produits, en matière de responsabilité du fait des produitsou encore les normes environnementales (Doc. parl. Sénat, s.e.,2003, n˚ 3-27/1, p. 127).

62. Doc. parl. Sénat, s.o., 2003-04, n˚ 3-27/7, p. 362.63. Par exemple, la question de savoir si le dommage moral ou la perte

d’une chance peuvent être indemnisés (proposition de règlementRome II, p. 25).

64. Y compris la question de savoir si la réparation a lieu en nature oupar équivalent (proposition de règlement Rome II, p. 25). Il convienttoutefois de réserver l’hypothèse où la loi normalement compétenteest contraire à l’ordre public. Tel semble, par exemple, être le casdes dommages-intérêts punitifs connus en droit américain (Doc.parl. Sénat, s.o., 2003-04, n˚ 3-27/7, p. 183; voy. aussi l’art. 24 de laproposition de règlement Rome II).

65. Cette formule contournée recouvre la question de savoir si une per-sonne autre que la “victime directe” peut obtenir réparation du dom-mage qui lui est causé “par ricochet” (proposition de règlementRome II, p. 25).

66. En d’autres termes, la transmissibilité à cause de mort de ce droit.La cessibilité entre vifs de ce droit est soumis à la même loi (voy.l’art. 12 § 2 de la Convention de Rome).

67. Doc. parl. Sénat, s.e., 2003, n˚ 3-27/1, p. 188.

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REVUE GÉNÉRALE DE DROIT CIVIL BELGE

590 – 2005 Éditions Kluwer

d’imperium68. La question de l’imputabilité à l’État del’acte d’un de ses organes serait par contre régie par la loide cet État69.

Ainsi, par exemple, la responsabilité de l’État belge70 pourune faute commise par un de ses militaires à l’étrangerpourrait être soumise à la loi locale71.

Si la volonté du législateur de consacrer cette solutionparaît claire, sa traduction dans les textes l’est beaucoupmoins. Le législateur s’est en effet contenté de supprimer le§ 2 de l’article 103 du Code sans rendre les articles 99 à 103expressément applicables à l’État agissant dans l’exercicede la puissance publique. Or, le Code ne s’applique en prin-cipe qu’en matière civile et commerciale (art. 2), ce quiexclut précisément les actes de la puissance publique72.C’est d’ailleurs pour le motif que la responsabilité de l’Étatdans l’exercice de la puissance publique ne relève pas, àproprement parler, de la matière du droit international privé,que l’on tendait jusqu’à présent à faire dépendre cette res-ponsabilité de la loi de l’État en cause, indépendamment dulieu où se localisent le fait générateur et le dommage73.

C. Les obligations quasi-contractuelles

§ 1. Notion

91 Le Code ne fournit aucune indication quant à la notiond’obligation quasi-contractuelle. Cette catégorie de ratta-chement présente un caractère résiduaire par rapport auxobligations contractuelles et aux obligations dérivant d’unfait dommageable74. Il s’agit, de manière générale, d’uneobligation dérivant d’une gestion d’affaire, d’un paiement

indu ou d’un enrichissement sans cause75. Par contre, l’obli-gation de restitution résultant de l’annulation ou de la réso-lution d’un contrat relève du domaine des obligations con-tractuelles76.

§ 2. Compétence

92 Sur le plan de la compétence, l’article 96, 3˚ du Codecomplète les dispositions générales du Code en rendant lejuge belge compétent pour connaître des actions relatives àune obligation quasi-contractuelle lorsque le fait dontrésulte cette obligation est survenu en Belgique77.

§ 3. Droit applicable

Quant au droit applicable, l’article 104 du Code met enplace un système qui n’est pas sans rappeler celui utilisé àl’article 4 de la Convention de Rome.

En effet, l’obligation quasi-contractuelle est en principerégie par le droit de l’État avec lequel elle a les liens lesplus étroits, étant entendu que dans l’appréciation de cesliens, il peut être tenu compte d’une relation préexistante ouenvisagée entre parties78.

Toutefois, afin de faciliter la détermination de cette loi,l’obligation quasi-contractuelle est présumée, sauf preuvecontraire, avoir les liens les plus étroits (1) lorsqu’ellerésulte du paiement de la dette d’autrui, avec l’État dont ledroit régit cette dette et (2) dans les autres cas, avec l’Étatsur le territoire duquel le fait dont résulte cette obligationest survenu79.

68. Voy. Doc. parl. Sénat, s.o., 2003-04, n˚ 3-27/7, pp. 185-190 et 357-359.

69. Voy. l’intervention du professeur ERAUW dans Doc. parl. Sénat, s.o.,2003-04, n˚ 3-27/7, pp. 358-359, qui se réfère à l’art. 111 § 1er, 5˚,en estimant que cette disposition est applicable aux personnes mora-les de droit public. Sur la compatibilité de cette solution avec l’art. 2CDIP, voy. cependant infra, au texte.

70. Contrairement à l’impression qui ressort de la lecture des travauxpréparatoires, il semble que la question ne concerne en pratique quela mise en cause de la responsabilité de l’État belge. En effet, unÉtat étranger agissant dans l’exercice de la puissance publiquejouira en principe de l’immunité de juridiction devant les tribunauxbelges, de sorte que la question de sa responsabilité ne se poserapas.

71. Art. 99 § 1er, 2˚ CDIP (si l’on part de l’hypothèse d’une faute neconstituant pas un délit spécial et sous réserve des conventions inter-nationales applicables).

72. Voy. C.J.C.E. 16 décembre 1980, Reinhold Rüffer, 814/79, Rec., pp.3807 et s.; C.J.C.E. 14 octobre 1976, Eurocontrol, 29/76, Rec., pp.1541 et s. La démarche suivie par la Cour de justice consiste à véri-fier si l’État dispose dans les activités concernées de prérogativesexorbitantes du droit commun (voy. C.J.C.E. 5 février 2004, Fra-huil, C-265/02, non encore publié au Recueil; C.J.C.E. 15 mai 2003,Préservatrice Foncière TIARD, C-266/01, Rec., I, pp. 4867 et s.;C.J.C.E. 14 novembre 2002, Baten, C-271/00, Rec., I, pp. 10489 ets.). Voy. aussi H. BOULARBAH in H. BOULARBAH e.a., “Le nouveaudroit international privé belge”, J.T. 2005, pp. 173 et s., n˚ 4, spéc.note n˚ 14, p. 174.

73. Voy. et comp. F. RIGAUX et M. FALLON, Droit international privé, t.II, o.c., n˚ 1533, pp. 702 et s., spéc. p. 704 où ces auteurs se réfèrentégalement à la notion de “matière civile et commerciale”.

74. Doc. parl. Sénat, s.e., 2003, n˚ 3-27/1, p. 127.

75. Proposition de règlement Rome II, p. 22.76. Doc. parl. Sénat, s.e., 2003, n˚ 3-27/1, p. 127. En droit interne éga-

lement, on tend aujourd’hui à considérer que cette obligation de res-titution a un fondement sui generis et n’est donc pas soumise auxrègles de la répétition de l’indu (voy. P.-H. DELVAUX, “Les effets endroit belge de la résolution des contrats pour inexécution. Rapportbelge”, Les sanctions de l’inexécution des obligations contractuel-les. Études de droit comparé, o.c., pp. 669 et s., n˚ 9, p. 674; DEPAGE, t. II, 3e éd., n˚ 817, p. 789; T. STAROSSELETS, “Effets de ladissolution ex tunc”, La fin du contrat, Liège, Éd. Formation Perma-nente CUP, 2001, pp. 193 et s., n˚ 11, p. 209).

77. Sur le point de savoir si les consommateurs peuvent invoquer lebénéfice de l’art. 97 CDIP en matière d’obligations quasi-contrac-tuelles, voy., mutatis mutandis, supra, n˚ 84.

78. Comp. supra, n˚ 87.79. À notre sens, cette disposition ne suffit pas à résoudre toutes les dif-

ficultés. Certes, il sera souvent aisé de situer un acte de gestiond’affaire. Par ailleurs, bien que le Code ne règle pas expressémentl’hypothèse du paiement à une personne qui n’était pas créancière,on pourrait – par analogie avec la présomption édictée à l’égard dupaiement de la dette d’autrui – présumer que l’obligation de restitu-tion serait soumise à la même loi que celle qui régit la dette. Maiscomment localiser le paiement d’une dette inexistante ou l’enrichis-sement sans cause étranger à toute idée de répétition de l’indu, lors-que l’appauvrissement et l’enrichissement se situent dans deux Étatsdifférents? Renonçant à toute systématisation, un auteur proposed’examiner dans chaque cas d’espèce quel est le rattachement leplus significatif (B. AUDIT, Droit international privé, 3e éd., Paris,Economica, 2000, n˚ 789, p. 673). Prenant modèle sur la loi suisse(art. 128 § 2 de la loi fédérale du 18 décembre 1987 sur le droitinternational privé, R.O. 1988, p. 1776), la proposition de règlementRome II retient par contre le lieu de l’enrichissement (art. 9 § 3, etson commentaire, p. 23).

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Kluwer 2005 – 591

Enfin, les parties peuvent choisir le droit applicable à l’obli-gation quasi-contractuelle aux conditions suivantes: (1) lechoix doit être postérieur à la naissance du différend; (2) ildoit être exprès; (3) il ne peut porter atteinte aux droits destiers80.

Le Code ne précise pas le domaine de la loi applicable àl’obligation quasi-contractuelle. À notre sens, celle-ci cou-vre à tout le moins les conditions de la naissance de l’obli-gation et l’étendue de l’obligation du débiteur.

D. Les engagements par déclaration unilatérale de volonté

§ 1. Notion

93 La notion d’engagement par déclaration unilatérale devolonté n’est pas définie par le Code. Les travaux prépara-toires indiquent qu’il s’agit d’un concept subsidiaire parrapport aux obligations contractuelles, aux obligations déri-vant d’un fait dommageable et aux obligations quasi-con-tractuelles. En outre, lorsqu’il s’agit d’un acte unilatéralrelatif à la conclusion d’un contrat, il relève du champd’application de la Convention de Rome81.

§ 2. Compétence

94 Aucune règle particulière de compétence n’est prévueà l’égard des engagements par déclaration unilatérale devolonté. Seules les dispositions générales du Code peuventdonc fonder la compétence du juge belge.

§ 3. Droit applicable

95 Sur le plan du droit applicable, l’obligation dérivantd’un engagement par déclaration unilatérale de volonté estrégi par le droit choisi par la personne qui s’engage et, àdéfaut de choix, par le droit de l’État sur le territoire duquelcette personne a sa résidence habituelle au moment de sonengagement (art. 105 du Code). Pour la délimitation dudomaine de la loi applicable, la Convention de Rome paraîtconstituer une source d’inspiration appropriée.

E. Questions connexes intéressant les tiers

§ 1. Action directe envers l’assureur

96 L’article 106 du Code détermine le droit applicable àl’admissibilité de l’action directe intentée par la personnelésée contre l’assureur de la responsabilité. Cette questionest réglée par la loi applicable à l’obligation (contractuelle,dérivant d’un fait dommageable, quasi-contractuelle oudérivant d’un engagement unilatéral de volonté) qui pèsesur la personne responsable d’indemniser la personne lésée.Si cette loi n’admet pas l’action directe, celle-ci peut néan-

moins être exercée si ce droit est reconnu par la loi applica-ble au contrat d’assurance.

Les travaux préparatoires précisent les contours de l’admis-sibilité de l’action directe. Celle-ci comprend non seule-ment la question de savoir si une action directe peut êtreintentée, mais également “les règles dont le législateurassortit le droit d’action, comme un délai spécial de pres-cription ou une inopposabilité au tiers des exceptions quel’assureur peut opposer à l’assuré”82. Par contre, le quan-tum de l’obligation de l’assureur sera déterminé par la loiapplicable au contrat d’assurance83.

Il faut encore indiquer que l’article 106 n’envisage quel’action directe formée contre l’assureur de la responsabilitéet ne concerne donc pas l’action directe dans les chaînes decontrat84.

§ 2. Subrogation légale

97 L’article 107 du Code détermine la loi applicable à lasubrogation légale. Il énonce que la subrogation légale dansles droits du créancier au profit d’un tiers qui l’a désinté-ressé est régie par le droit applicable à l’obligation du tiersde désintéresser ce créancier. La même règle s’appliquelorsque plusieurs personnes sont tenues de la même obliga-tion non contractuelle et que le créancier a été désintéressépar l’une d’elles85.

§ 3. Représentation

98 Enfin, l’article 108 du Code concerne le statut de lareprésentation. En vertu de cette disposition, la question de

80. Comp. supra, n˚ 88.81. Doc. parl. Sénat, s.e., 2003, n˚ 3-27/1, p. 128. Voy. l’art. 9 § 4 de la

Convention de Rome.

82. Cette précision fait surgir certaines questions relatives à l’interpréta-tion du second al. de l’art. 106 CDIP. Ainsi, si l’action directe estprescrite aux yeux de la loi visée par le premier alinéa de cet article,faut-il considérer que cette loi “ne connaît pas” l’action directemais que celle-ci peut néanmoins être intentée si, en vertu de la loiapplicable au contrat d’assurance, elle n’est pas encore prescrite?Ou faut-il au contraire décider que la règle prévue au second alinéade l’art. 106 ne peut jouer que lorsque la loi applicable à l’obligationde la personne responsable ignore totalement l’action directe danscette situation?

83. Doc. parl. Sénat, s.e., 2003, n˚ 3-27/1, p. 128.84. Doc. parl. Sénat, s.o., 2003-04, n˚ 3-27/7, pp. 190-191. Cons. à ce

propos J. BAUERREIS, “Le rôle de l’action directe contractuelle dansles chaînes internationales de contrats”, Rev. crit. dr. int. priv. 2000,pp. 331 et s.; J.-L. BISMUTH, “Le contrat international de sous-traitance (Étude de quelques règles juridiques applicables)”,R.D.A.I. 1986, pp. 535 et s., n˚s 33 et s., pp. 552 et s.; V. HEUZÉ, “Laloi applicable aux actions directes dans les groupes de contrats:l’exemple de la sous-traitance internationale”, Rev. crit. dr. int. priv.1996, pp. 243 et s.; F. LECLERC, “Les chaînes de contrats en droitinternational privé”, J.D.I. 1995, pp. 267 et s.; C. TUBEUF et L.MERTENS, o.c., Responsabilité. Traité théorique et pratique, dos. 4,n˚ 45, p. 32; H. VAN HOUTTE, “Onderaanneming in een internatio-nale context”, Entr. et dr. 1991, pp. 92 et s., n˚ 16, p. 102; V. VANHOUTTE, R. VERMEERSCH et P. WAUTELET, “La sous-traitanceinternationale: questions choisies”, La sous-traitance, Bruxelles,Bruylant, 2003, pp. 269 et s., n˚s 46 et s., pp. 319 et s.

85. Des solutions identiques sont prévues par l’art. 13 de la Conventionde Rome en matière d’obligations contractuelles. Lorsqu’il n’existeaucune obligation pour le tiers de désintéresser le créancier, on sesitue plutôt dans le domaine des obligations quasi-contractuelles(Doc. parl. Sénat, s.o., 2003-04, n˚ 3-27/7, p. 193).

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savoir si un intermédiaire peut représenter envers les tiers lapersonne pour le compte de laquelle il prétend agir est régiepar le droit de l’État sur le territoire duquel l’intermédiaireagit. Il est présumé, sauf preuve contraire, que cet État estcelui sur le territoire duquel il a sa résidence habituelle.

La portée de cette règle, directement inspirée de la Conven-tion de La Haye du 14 mars 1978 sur la loi applicable auxcontrats d’intermédiaire et de représentation (non ratifiéepar la Belgique), ne doit pas être exagérée.

Premièrement, elle ne concerne ni les relations entre lereprésentant et le représenté86, ni les relations entre le repré-sentant et le tiers contractant. Seules les relations entre cedernier et le représenté sont donc visées.

Deuxièmement, cette disposition ne concerne à notre sensque le pouvoir de représentation dérivant d’un contrat87. Onadmet en effet classiquement que la représentation faculta-tive doit être distinguée de la représentation nécessaire88. Larègle consacrée par l’article 108 du Code ne concerne quela première de ces deux formes de représentation, à savoirprincipalement l’hypothèse du mandat. Par contre, dans lecas d’une représentation nécessaire, les relations entre lereprésenté et le tiers contractant sont soumises à la mêmeloi que celle applicable aux relations entre le représentant etle représenté. C’est ainsi, par exemple, que la loi applicableà la personne morale détermine “dans quelle mesure la per-sonne morale est tenue à l’égard des tiers des dettes con-tractées par ses organes” (art. 111 § 1er, 10˚ du Code) etque le pouvoir de représentation des parents d’un mineurest déterminé par le droit désigné par l’article 35 du Code89.

V. LES PERSONNES MORALES

A. Introduction

99 Le chapitre X du Code est consacré aux personnesmorales. Pour l’essentiel, le Code confirme les solutionsexistantes en la matière pour les sociétés commerciales etles étend aux sociétés civiles.

Le terme “personne morale” a précisément été choisi pourcouvrir, outre les sociétés commerciales, les associationssans but lucratif et, d’une façon générale, toutes les person-nes morales dotées de la personnalité juridique90. Les grou-pements non pourvus de la personnalité morale devront être

analysés sous l’angle des règles de rattachement propresaux obligations contractuelles91.

100 Les articles 109 à 115 du Code, qui composent lechapitre analysé, sont à lire en parallèle avec l’article 4 dumême Code, qui définit, d’une part, le “domicile” d’unepersonne morale92 comme étant le lieu où la personnemorale a, en Belgique, son siège statutaire et, d’autre part,sa “résidence” comme étant le lieu de son établissementprincipal, ce dernier concept devant, quant à lui, se détermi-ner en fonction du centre de direction93, du centre des affai-res (pour les sociétés commerciales94) ou des activités (pourles sociétés civiles95) et, subsidiairement, du siège statu-taire96.

101 L’on peut regretter que le législateur ne se soit pasdavantage attaché, malgré le souhait exprimé par certains, àpourvoir le Code d’une définition précise de l’établissementprincipal. Bien que ce critère ait été préféré à celui du siègeréel97 (critère retenu, quant à lui, par l’art. 197 des ancien-nes lois coordonnées sur les sociétés commerciales et reprisensuite à l’art. 56 du Code des sociétés, lui-même abrogépar le Code en son art. 139) pour des raisons de simplifica-tion98, l’on peut douter que celui-ci mette un terme aux dif-ficultés découlant du caractère essentiellement factuel duconcept. Ainsi, d’une part, la détermination même de l’éta-blissement principal selon le système consacré par le Code

86. Lesquelles sont soumises aux règles applicables aux obligationscontractuelles (Doc. parl. Sénat, s.e., 2003, n˚ 3-27/1, p. 129).

87. La Convention de La Haye dont elle s’inspire ne s’applique en effet,selon son intitulé, qu’aux contrats d’intermédiaire et de représenta-tion. La portée limitée de l’art. 108 est du reste confirmée par laplace qu’il occupe dans le Code, dans le chapitre IX “Obligations”et non parmi les dispositions générales.

88. Voy. F. RIGAUX et M. FALLON, Droit international privé, t. II, o.c.,n˚ 932, p. 278; R. VANDER ELST, Rép. not., t. XVIII, Le droit inter-national privé, l. I, Règles générales des conflits de lois, Bruxelles,Larcier, 1989, n˚ 64.1, p. 121.

89. Doc. parl. Sénat, s.e., 2003, n˚ 3-27/1, p. 66.

90. Rapport fait au nom de la Commission de la justice par MadameNyssens et Monsieur Willems, le 20 avril 2004, Doc. Sénat 2003-04,3-27/7, p. 206.

91. Proposition de loi portant le Code de droit international privé (déve-loppements), Doc. Sénat, s.e., 2003, 3-27/1, p. 129.

92. Dans le système du Code, le domicile sert uniquement à déterminerla compétence internationale et non le droit applicable, ce qui expli-que que la définition du domicile n’est pas analogue à celle du Codecivil. Le Code se référera donc uniquement au domicile en Belgi-que. V. Proposition de loi portant le Code de droit international privé(développements), Doc. Sénat, s.e., 2003, 3-27/1, p. 28.

93. Le centre de direction est généralement compris comme le lieu où seréunissent les organes dirigeants de la personne morale. Selon lestravaux préparatoires, ce critère peut correspondre à celui de l’admi-nistration centrale au sens de la Convention de Rome du 19 juin1980, voy. Proposition de loi portant le Code de droit internationalprivé (développements), Doc. Sénat, s.e., 2003, 3-27/1, p. 31.

94. Voy. la note de bas de page suivante.95. Voy. la note de bas de page suivante.96. “Le Code introduit (…) des critères d’appréciation constitutifs

d’indices, et ceux-ci sont placés dans un ordre de priorité décrois-sant. Le centre de direction – qui peut correspondre à l’administra-tion centrale dans la terminologie de la Convention de Rome du 19juin 1980 – paraît devoir être le critère le plus important. Le centredes affaires – ou, pour les sociétés civiles, le centre des activités –peut, avec d’autres éléments, aider à localiser le centre de direction.Le siège statutaire, aussi, peut exercer un certain rôle, dans lamesure où il peut aider à exprimer la volonté des fondateurs delocaliser la personne morale en un lieu significatif. Ce critère nesuffit cependant pas à lui seul, même si, pour être valablement cons-tituée selon le droit belge, une société doit pratiquement posséder enBelgique son siège statutaire”. Voy. Proposition de loi portant leCode de droit international privé (développements), Doc. Sénat, s.e.,2003, 3-27/1, pp. 31 et 32.

97. Sur l’interprétation du concept de siège réel, voy. R. JAFFERALI,“L’application du droit belge aux sociétés de droit étranger. Uneesquisse des contours de la lex societatis”, R.D.C. 2004, pp. 764 etsp. 766 à 768.

98. Proposition de loi portant le Code de droit international privé (déve-loppements), Doc. Sénat, s.e., 2003, 3-27/1, p. 130.

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repose sur la mise en évidence de critères constitutifsd’indices99. D’autre part, selon les instruments légaux aux-quels l’on a recours, l’on se trouve confronté à d’autres fac-teurs de rattachement tels que le centre des intérêts princi-paux100, le siège101, ou encore le siège statutaire, cesdifférents concepts s’identifiant parfois les uns grâce auxautres.

B. Compétence

102 Les dispositions générales du Code en matière decompétence judiciaire ainsi que celles relatives aux conflitsde lois sont applicables à la matière des personnes morales,sauf disposition contraire. L’on relèvera particulièrement àce sujet que l’exclusion générale du renvoi, prévue à l’arti-cle 16 du Code pourra être écartée par l’effet de l’article110 du Code, lorsque le droit de l’État sur le territoireduquel se trouve l’établissement principal de la personnemorale dès sa constitution désigne le droit de l’État en vertuduquel la personne morale a été constituée.

103 Et l’article 109 d’aborder la matière, en outre, par unedérogation importante aux dispositions générales duCode102 en matière de compétence internationale puisqueles juridictions belges ne sont, désormais, habilitées à con-naître des demandes concernant la validité, le fonctionne-ment, la dissolution ou la liquidation103 d’une personnemorale que dans l’hypothèse où celle-ci a son siège statu-taire (son “domicile”) ou son établissement principal (sa“résidence”) en Belgique lors de l’introduction de lademande.

104 Si, en revanche, la demande concerne l’exploitationde l’établissement secondaire d’une personne morale quin’a, en Belgique, ni domicile, ni résidence habituelle, lesjuridictions belges se verront, néanmoins, compétentes pour

connaître de la demande si cet établissement secondaire estlui-même situé en Belgique (art. 5 § 2 du Code).

105 Les discussions menées lors de l’élaboration de la loin’ont pas manqué de souligner la portée limitée de l’article109 du Code104. En effet, la matière de la reconnaissance etde la compétence judiciaires est déjà largement couvertepar le Règlement dit “Bruxelles I105” qui, en tant qu’actecommunautaire, conserve la primauté sur le droit national,ainsi que le rappelle d’ailleurs l’article 2 du Code106. Lacombinaison des dispositions du Code avec celles duRèglement de Bruxelles I (qui confère notamment une com-pétence exclusive aux tribunaux de l’État membre del’Union européenne sur le territoire duquel se trouve lesiège de la personne morale en matière de litiges portant surla validité, la nullité, la dissolution ou la validité des déci-sions prises par les organes de la personne morale) en res-treint effectivement la portée107.

C. Droit applicable

§ 1. Principe

106 L’article 110 du Code prévoit que la personne moralese voit régie par le droit de l’État sur le territoire duquel sonétablissement principal est situé dès sa constitution. Pour ladétermination du droit applicable, seule compte doncl’identification du principal établissement.

L’expression “dès sa constitution” a été maintenue, en dépitde la remarque faite lors des discussions parlementaires parMonsieur ZENNER selon laquelle au moment précis de saconstitution, une société ne disposera pas nécessairementd’un établissement principal108. À cela, il a été répondu queles fondateurs de la personne morale auront vraisemblable-ment, au moment de sa constitution, déjà posé des actes“préparatoires” (tels un bail, des contacts avec des fournis-seurs, etc.), démontrant leur intention de développer uneactivité économique, de sorte que – l’on suppose que telleest l’opinion des auteurs du Code – il est déjà possible delocaliser le lieu de l’établissement principal à ce moment.99. Ibid.

100. Règlement (CE) nº 1346/2000 du Conseil du 29 mai 2000 relatif auxprocédures d’insolvabilité, J.O., n˚ L 160, pp. 1 à 18.

101. Règlement (CE) n˚ 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 con-cernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécutiondes décisions en matière civile et commerciale, J.O., L 012, pp. 1 à23. L’art. 22, 2˚ du règlement commande au juge d’appliquer sondroit national pour déterminer le siège.

102. Il s’agit, en particulier, des dispositions des artt. 6 § 1er, 7 – qu’ilfaut combiner avec la règle spéciale de reconnaissance des décisionsétrangères prévue à l’art. 115 – et 11 du Code.

103. L’énumération de l’objet des demandes pouvant être portées à laconnaissance des juridictions belges en application de l’art. 109 duCode paraît, a priori, plus restreinte que celle des matières régléespar le droit désigné comme étant applicable à la personne morale envertu des artt. 110 et 111 du Code. Cette différence n’est apparem-ment que formelle car les auteurs de la loi n’ont pas distingué entreles champs d’application respectifs des artt. 110 et 111 du Code:“La règle de rattachement de l’article 110 régit l’ensemble desquestions qui intéressent la validité, la dissolution ou le fonctionne-ment de la personne morale”, voy. Proposition de loi portant leCode de droit international privé (développements), Doc. Sénat, s.e.,2003, 3-27/1, p. 131. Il est vrai, également, que le ‘fonctionnement’de la personne morale a vocation à s’entendre d’une façon large.Voy. T. TILQUIN, “L’incorporation comme facteur de rattachementde la lex societatis”, R.P.S. 1998.

104. Rapport de la Commission de la justice, o.c., pp. 194 et 195.105. Règlement 44/2001/CE ayant remplacé la Convention de Bruxelles

du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exé-cution des décisions en matière civile et commerciale. Le Danemarkn’est pas lié par le Règlement.

106. Il en est de même pour les traités internationaux. Pour les conven-tions internationales de type “universaliste”, le rappel formel quefait le Code de leur primauté implique que les dispositions de celles-ci survivraient à leur dénonciation ou non-reconduction dans notredroit positif par le truchement du Code. À l’inverse, la ratificationultérieure d’une convention universaliste dans une matière couvertepar la codification pourra entraîner l’abrogation ou la modificationdes dispositions correspondantes du Code. Voy. Proposition de loiportant le Code de droit international privé (développements), Doc.Sénat, s.e., 2003, 3-27/1, pp. 10 et 11. Voy. aussi J. ERAUW, “Hetvernieuwde internationaal privaatrecht van België wordt vankracht”, R.W. 2004, p. 123.

107. Sur une façon d’articuler ces principes, voy. R. JAFFERALI, com-mentaire à paraître au J.T.

108. Rapport de la Commission de la justice, o.c., p. 203.

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Cette idée amène à conclure une fois encore au caractèreessentiellement factuel du critère de l’établissement princi-pal. Par ailleurs, il semble que l’établissement principal viséà l’article 110 du Code sera le premier qui suivra la consti-tution de la personne morale109. Une telle position ne paraîttoutefois pouvoir garantir une sécurité juridique optimale.

107 Si le droit de l’État du principal établissement dési-gne, à son tour, le droit en vertu duquel la personne moralea été constituée110, c’est ce dernier droit qui sera d’applica-tion conformément au second alinéa de l’article 110. Lerenvoi reste donc possible dans cette hypothèse, mais nonde façon inconditionnelle puisqu’il faut toujours que larègle de rattachement étrangère ait un contenu déterminé111.

§ 2. Champ d’application

108 Une fois identifié le droit applicable à la personnemorale, celui-ci a vocation à régir (i) l’existence et la naturejuridique de la personne morale, (ii) son nom ou sa raisonsociale, (iii) sa constitution, sa dissolution et sa liquidation,(iv) sa capacité, (v) la composition, les pouvoirs et le fonc-tionnement de ses organes, (vi) les rapports internes entreassociés112 ou membres ainsi que les rapports entre la per-sonne morale et les associés ou les membres, (vii) les règlesrelatives à l’acquisition et à la perte de la qualité d’associéou de membre, (viii) les droits et obligations liés aux partsou actions de la personne morale, (ix) les règles régissant laresponsabilité pour violation du droit des sociétés ou desstatuts et (x) la mesure des obligations de la personnemorale à l’égard des tiers pour les dettes contractées par sesorganes (art. 111 § 1er du Code)113.

109 Si le droit applicable à la personne morale prévoit descas de restriction du pouvoir de représentation, la personnemorale ne pourra pas invoquer, à l’encontre d’une partie,une incapacité fondée sur ce motif si cette incapacité estinconnue du droit de l’État sur le territoire duquel l’acte aété passé et si la partie en question n’a pas connu ou n’a pasdû connaître cette incapacité à ce moment (art. 111 § 2 duCode).

§ 3. La question particulière du transfert

110 Confirmant les solutions jurisprudentielles antérieu-res114, l’article 112 du Code prévoit qu’en cas de transfert

de l’établissement principal d’une personne morale d’unÉtat à un autre, la continuité de la personnalité n’a lieuqu’aux conditions permises par le droit des États concernés.

L’entrave au maintien de la personnalité, qui résulterait del’application cumulative des deux droits nationaux, doits’apprécier selon une triple distinction. En matière de trans-ferts intracommunautaires, la perte de la personnalitémorale résultant du droit national de l’État de départ neserait pas contraire au traité instituant la Communauté euro-péenne115. En revanche, dans une même situation intracom-munautaire, l’obstacle posé par l’État d’accueil à la conti-nuité de la personnalité morale serait contraire au traité116.Si l’un des deux États concernés ne fait pas partie del’Union européenne, l’on appliquera alors les dispositionsnationales respectives d’une façon cumulative et limitative.

111 À partir du moment où le transfert est effectif, le droitde l’État sur le territoire duquel l’établissement principal esttransféré prend le relais pour l’application de l’article 110,alinéa 1er. Cette solution ne diffère pas de celle qui étaitantérieurement appliquée.

§ 4. La question particulière de la fusion

112 En matière de fusions, le système distributif d’appli-cation à chacune des entités concernées du droit dont ellerelève est maintenu, l’article 113 du Code restant ainsi dansla lignée des travaux menés au sein de l’Union euro-péenne117.

§ 5. La question particulière de l’émission publique detitres

113 Nouveauté dans notre droit international privé, l’arti-cle 114 du Code introduit un choix quant à la loi applicableaux “droits dérivant d’une émission publique de titres”.Désormais, le porteur des titres peut choisir entre le droitapplicable à la personne morale et le droit de l’État sur leterritoire duquel l’émission publique a eu lieu.

La ratio legis de cette disposition doit être analysée à lalumière du commentaire qu’en ont fait ses auteurs:“L’objectif est d’assurer à l’investisseur une assurancecomplémentaire que les obligations souscrites par une per-sonne morale qui s’est adressée au marché des capitauxpar des prospectus ou d’autres formes de publication,

109. Rapport de la Commission de la justice, o.c., p. 204.110. L’on entend ici le droit de l’État sur le territoire duquel la personne

morale a fait l’objet d’une formalité d’enregistrement. Voy. Proposi-tion de loi portant le Code de droit international privé (développe-ments), Doc. Sénat, s.e., 2003, 3-27/1, pp. 130 et 131.

111. Voy. Proposition de loi portant le Code de droit international privé(développements), Doc. Sénat, s.e., 2003, 3-27/1, p 131.

112. L’admissibilité et les effets à l’égard de la société des conventionsd’actionnaires ont été précisément visés par les travaux préparatoires.

113. Pour une synthèse du domaine de la lex societatis, antérieurementau Code, voy. R. JAFFERALI, o.c., pp. 773 à 790.

114. Cass. 12 novembre 1965 (arrêt Lamot), R.P.S. 1966, p. 136; pourune synthèse de la situation antérieure à l’adoption du Code, voy. R.JAFFERALI, o.c., pp. 771 à 773.

115. C.J.C.E. 27 septembre 1988, Daily Mail, Rec. Jur. 1988, p. 5483.116. C.J.C.E. 5 novembre 2002, Überseering BV, Rec. Jur. 2002, p. 9919.117. Proposition de dixième directive du Conseil concernant les fusions

transfrontalières des sociétés anonymes, J.O. 1985, C 23 – cette pro-position a été retirée par la Commission comme ne revêtant plus uncaractère d’actualité, J.O. 9 janvier 2004, C 5; Règlement 2157/2001/CE, 8 octobre 2001, J.O. 2001, L 294. L’on renverra ici égale-ment aux textes plus anciens tendant à coordonner, dans les Étatsmembres, les garanties que doivent offrir les législations nationalespour protéger les intérêts des associés et des tiers en cas de fusionsde sociétés anonymes, comme la troisième directive 78/855/CEE duConseil, du 9 octobre 1978, J.O. L 295 du 20 octobre 1978.

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seront respectées. Cet article explicite donc l’applicabilitéde la réglementation belge relative aux émissions publiquesréalisées en Belgique – comme les articles 88 et 107 duCode des sociétés – indépendamment de la nationalité de lasociété. Il assure aussi l’applicabilité, par une juridictionbelge, des règles impératives étrangères correspondantesen matière d’activité de bourse. Il constitue en quelquesorte une illustration du prescrit général de l’article 20118

du Code”119.

114 Le principe est simple: la protection conférée àl’investisseur consiste à ajouter à l’application de la loi del’émetteur des titres, déjà prévue par l’article 111 § 1er, 8˚celle des règles impératives du pays d’acquisition ou desouscription, c’est-à-dire la loi du lieu où les titres ont étéofferts à l’acquisition ou à la souscription.

Mais l’on peut s’interroger sur la portée exacte de la dispo-sition, dont la terminologie – tout comme celle utilisée dansle commentaire cité plus haut – paraît quelque peu impré-cise.

115 Au sens strict, les émissions publiques de titres res-sortissent au fonctionnement du marché primaire, tandisque “l’activité de bourse” renvoie davantage au fonctionne-ment du marché secondaire120. L’arrêté royal du 7 juillet1999 relatif au caractère public des opérations financiè-res121 définit les émissions ou les opérations d’émissioncomme les opérations visées au titre II de l’arrêté royal n˚185 du 9 juillet 1935 sur le contrôle des banques et lerégime des émissions de titres et valeurs, dont les disposi-tions sont aujourd’hui remplacées par celles de la loi du 22avril 2003 relative aux offres publiques de titres122. Cette loidéfinit, quant à elle, les “offres publiques” comme touteoffre publique en vente, toute vente publique, ou toute offrepublique en souscription, ainsi que toute proposition faitepubliquement à des investisseurs de procéder à une offred’acquisition ou de souscription révocable ou non, touteoffre publique d’acquisition, l’admission à la négociationsur un marché organisé belge qui est accessible au public et,sous certaines conditions, toute proposition publique ten-dant à offrir des renseignements ou conseils ou à susciter lademande de renseignements ou conseils relatifs à des titrescréés ou non encore créés qui font ou feront l’objet d’uneoffre, publique ou non, sauf si ces renseignements ou con-seils portent sur des titres qui font ou qui ont fait l’objetd’une offre publique régulière en Belgique.

Une référence à “l’émission d’actions en bourse” (c’est-à-dire à l’admission à la négociation sur un marché organisé

belge) est faite dans les travaux préparatoires123, mais cetteréférence n’évoque, étrangement, que les dispositions duCode des sociétés. En réalité, il ne devrait y avoir aucune rai-son d’exclure les admissions de titres en bourses, avec ousans offre publique préalable, du champ d’application del’article 114 du Code. La solution est moins évidente en cequi concerne les propositions publiques tendant à offrir desrenseignements ou des conseils ou à susciter la demande derenseignements ou conseils, qui sont assimilées à des offrespubliques mais qui ne sont nullement des émissions au sensstrict. Elle l’est encore moins en ce qui concerne les offrespubliques d’achat ou d’échange. Dans cette hypothèse, eneffet, la personne morale ne s’adresse pas au marché descapitaux par des prospectus ou autres formes de publication.

L’article 3 de la loi du 22 avril 2003, qui définit la notiond’offre publique, n’est donc pas transposable en tant que telà la notion d’émission publique utilisée par l’article 114 duCode. En revanche, le caractère publique de l’émissiondécoulera de l’application des critères utilisés dans la légis-lation précitée.

116 Par ailleurs, que faut-il entendre par l’expression “lesdroits qui dérivent de l’émission publique”? S’agit-il desavantages patrimoniaux que le souscripteur espère tirer del’opération, des droits de participer à une assemblée que letitre peut reconnaître à son titulaire, le droit à la réceptiond’informations financières, le droit à un traitement égali-taire? S’agit-il plutôt des droits relatifs à la qualité del’information qui doit figurer dans le prospectus, dans lesdocuments liés ou dans les autres documents pouvant, danscertaines conditions, remplacer un prospectus complet et,donc, à l’ensemble des obligations d’ordre notamment tech-nique auxquelles un émetteur – mais pas lui uniquement –doit satisfaire pour obtenir l’approbation de l’autorité decontrôle et qui dérivent, certes, mais précèdent surtout uneémission publique?

En évoquant les droits qui dérivent d’une émission publiquede titres et, parallèlement, les porteurs de ces titres, l’article114 du Code semble se situer à un moment où l’émission adéjà eu lieu et où des droits de propriété sur les titres ontdéjà été transférés aux souscripteurs, c’est-à-dire lorsque lasouscription ou l’acquisition sont achevées. Par conséquent,le public des souscripteurs potentiels ne serait pas visé parla disposition, seuls en bénéficieraient ceux qui ont acceptél’offre et payé le prix.

117 Quant aux droits qui dérivent, pour ces porteurs, del’émission, l’on pourrait déduire, a priori, de la volonté dulégislateur d’assurer que “les obligations souscrites par lapersonne morale seront respectées” que ces droits sont tousceux qui sont promis dans les documents concernantl’offre. Mais cette hypothèse ne laisse guère de place àl’application de la lex contractus, qui n’est pas présentée

118. C’est-à-dire l’application des lois de police, qu’il convient désor-mais d’appeler “règles spéciales d’applicabilité”.

119. Voy. Proposition de loi portant le Code de droit international privé(développements), Doc. Sénat, s.e., 2003, 3-27/1, p 132.

120. Sur la distinction, voy. notamment L. DABIN, Régime juridique desmarchés financiers et des valeurs mobilières, Larcier, 2004, p. 45.

121. M.B. 17 août 1999.122. M.B. 27 mai 2003. 123. Rapport de la Commission de la justice, o.c., p. 207.

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comme une branche de l’alternative instaurée par l’article114 du Code, bien qu’elle intéresse normalement les droitsissus de la relation offre-souscription. Cette hypothèse estencore moins soutenable en ce qui concerne les droits queconfère le titre lui-même et qui sont, quant à eux, inhérentsà la qualité de porteur du titre, indépendamment du con-texte – public ou non – dans lequel le titre est acquis. Ceux-ci sont régis par la lex societatis et les articles 111, 8˚ et 114du Code conservent des domaines d’application distincts124.Il ne reste, à vrai dire, que peu de place pour identifier lesdroits visés par l’article 114 du Code. Il s’agirait essentiel-lement des droits conférés à l’investisseur en rapport avecl’information et la documentation, y compris publicitaire,utilisées dans les émissions publiques et la responsabilitécorrélative de la personne morale.

118 Les porteurs des titres bénéficient donc de la protec-tion. La notion de titres est très large et doit s’entendrecomme telle dans le contexte de l’article 114 du Code, indé-pendamment des restrictions ou exceptions pouvant existerdans telle ou telle loi financière. L’article 114 du Code évo-que, par ailleurs, les titres en général sans distinguer selonqu’ils sont représentatifs du capital ou de purs instrumentsde financement. La mise en parallèle de l’article 114 duCode avec l’article 111, 8˚ du même Code, telle que faitedans les travaux préparatoires125, impliquerait que seules lesémissions publiques d’actions et parts sont visées par la dis-position. Si tel devait effectivement être le cas, l’émissionpublique de titres d’emprunt ne placerait pas pour autantl’acquéreur ou le souscripteur de ceux-ci dans une positiondésavantageuse puisqu’une protection analogue à celle ins-taurée par l’article 114 du Code existe, mais par l’applica-tion, cette fois, des règles relatives aux obligations contrac-tuelles. En effet, l’investisseur pourra invoquer les règlesspéciales d’application ou les lois de police au sens de laConvention de Rome du 19 juin 1980 qui intéressent les“activités de bourse” en vigueur dans l’État d’émission126.

119 Quant aux porteurs, entend-on ici tous les titulairesde titres quelconques ou seulement ceux qui possèdent destitres au porteur? Il est à supposer que le Code n’a pasentendu faire de distinction entre les différentes formes detitres et l’on remarquera, en outre, qu’il soumet au statutréel divers aspects intéressant les titres négociables engénéral, en y incluant clairement les titres devant fairel’objet d’une inscription dans un registre (art. 91 du Code).

120 L’on relèvera encore que l’expression “personnemorale qui s’est adressée au marché des capitaux” peutcertes, dans le droit financier belge, viser l’émetteur destitres lui-même, mais aussi l’offrant de ces titres sur le mar-ché ou encore l’intermédiaire agissant pour le compte de

l’émetteur ou de l’offrant127. L’article 114 du Code trouve-t-il à s’appliquer uniquement aux rapports entre les porteursde titres et l’émetteur ou également aux rapports que lesporteurs entretiennent à l’égard de ces deux derniers possi-bles intervenants? La question n’est pas dénuée d’intérêtpuisque la législation financière belge organise un régimede responsabilité solidaire, d’une part, entre les personnesmentionnées dans le prospectus comme étant responsablesde son contenu et, d’autre part, entre l’offrant, l’émetteur oules intermédiaires désignés par eux. Ces personnes sonttenues ensemble, nonobstant toute stipulation contraire, dela réparation du préjudice qui est une suite immédiate etdirecte de l’inexactitude ou de la fausseté des renseigne-ments donnés dans les avis, la publicité ou d’autres docu-ments qui se rapportent à l’émission et qui sont publiés àleur initiative, ou de la non-conformité de ces documentsavec les dispositions de la loi128. Là où un intermédiaireétranger serait tenté d’exclure contractuellement toute res-ponsabilité en relation avec son intervention dans le place-ment d’une offre publique, l’investisseur belge puiseraitnéanmoins un recours. Il est vrai, cependant, que cettefaculté découle moins de l’article 114 du Code que ducaractère de “règle spéciale”, revêtu par la législation surles offres publiques.

D’une façon générale, les discussions autour du champd’application de l’article 114 et de la portée de ses termesse révéleront en grande partie académiques, étant donnéque toute émission publique de titres en Belgique entraî-nera, dans un premier temps, l’application de la réglementa-tion belge en la matière.

§ 6. Reconnaissance d’une décision étrangère rendue enmatière de personne morale

121 La dernière disposition figurant au chapitre des per-sonnes morales, l’article 115 du Code, introduit une règlespéciale en matière de reconnaissance des décisions judi-ciaires étrangères. En sus des motifs de refus de reconnais-sance prévus à l’article 25 du Code, une décision étrangèreconcernant la validité, le fonctionnement ou la dissolutiond’une personne morale ne sera pas reconnue en Belgique si,lors de l’introduction de la demande à l’étranger, l’établis-sement principal de la personne morale était situé en Belgi-que. En quelque sorte, cette disposition confirme, d’unefaçon négative, la compétence exclusive des juridictionsbelges lorsqu’une personne morale a son établissementprincipal en Belgique.

§ 7. Personnes morales étrangères

122 Si le Code abroge l’article 56 du Code des sociétés,les personnes morales étrangères qui relèvent de ce dernier

124. Doc. Sénat, s.e., 2003, 3-27/1, p 118.125. Voy. Proposition de loi portant le Code de droit international privé

(développements), Doc. Sénat, s.e., 2003, 3-27/1, p 132.126. Voy. Proposition de loi portant le Code de droit international privé

(développements), Doc. Sénat, s.e., 2003, 3-27/1, pp. 132 et 133.

127. Loi du 22 avril 2003 relative aux offres publiques de titres, artt. 3§ 3, 5 et 12.

128. Loi du 22 avril 2003, art. 17.

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Code continueront à être régies par ses articles 57 à 59, sesarticles 81 à 89 et son article 91.

VI. L’INSOLVABILITÉ

A. Introduction

123 Les articles 116 à 121 du Code (chapitre XI) contien-nent les dispositions relatives au Règlement collectif del’insolvabilité qui concernent la compétence internationale,la loi applicable, la coopération judiciaire et l’efficacité enBelgique des décisions étrangères. Ces dispositions large-ment inspirées du Règlement européen en matière d’insol-vabilité (le “Règlement”) modifient de manière significa-tive le droit international privé belge en matièred’insolvabilité129. Il était tout à fait opportun d’adopter dansle Code des dispositions similaires à celles consacrées parle Règlement afin d’organiser un régime cohérent des règlesde droit international privé applicables aux procéduresd’insolvabilité relatives aux procédures communautaires etnon-communautaires.

124 La notion de procédure d’insolvabilité consacrée parle Code est très large. Il s’agit de toutes les procédures col-lectives fondées sur l’insolvabilité du débiteur. Sont dès lorsconcernées les procédures de droit belge qui répondent àcette définition (à savoir la faillite, le concordat et le règle-ment collectif de dettes, la liquidation déficitaire volontaireou forcée)130, mais aussi les procédures étrangères fondéessur l’insolvabilité collective du débiteur (art. 116).

125 Ces procédures peuvent être principales ou territoria-les. La procédure principale est une procédure universelledont les effets s’étendent à l’ensemble des biens du débi-teur, même situés à l’étranger (art. 117, 2˚). La procédureterritoriale quant à elle est une procédure dont les effetssont limités aux biens du débiteur situés sur le territoire del’État d’ouverture (art. 117, 3˚). La consécration à l’article118 du Code d’un système où l’universalité de la procédureprincipale ouverte à l’égard d’un débiteur est contrebalan-cée par la possibilité d’ouvrir une ou plusieurs procéduresterritoriales d’insolvabilité à l’égard de ce même débiteurconstitue une nouveauté remarquable puisque jusqu’à pré-sent la Belgique avait appliqué strictement la théorie del’universalité absolue de la faillite (qui par définitionn’envisage que l’ouverture d’une procédure unique et uni-verselle à l’égard d’un débiteur).

B. Champ d’application

§ 1. Quant aux débiteurs concernés

126 Le chapitre XI du Code s’applique indistinctement àtous les débiteurs personnes physiques ou morales. En cela,le Code se distingue du Règlement dont l’article 1-2˚ exclutcertaines personnes morales particulières en vue de les sou-mettre à des règles spéciales (il s’agit des entreprisesd’assurances, des établissements de crédit, des entreprisesd’investissement qui fournissent des services impliquant ladétention de fonds ou de valeurs mobilières et des organis-mes de placement collectif). Les entreprises d’assurances etles établissements de crédit sont visés par des directiveseuropéennes transposées en droit belge par la loi du 6décembre 2004131. En revanche, les entreprises d’investis-sement mentionnées ci-dessus et les organismes de place-ment collectif échappent à l’application du Règlement etdes deux directives transposées en droit belge.

127 Il est regrettable que le Code n’ait pas prévu uneexception à l’égard de ces débiteurs. En effet, l’article 118consacre la compétence des juridictions belges, non seule-ment pour l’ouverture d’une procédure principale mais éga-lement pour l’ouverture d’une procédure territoriale lorsquele débiteur dispose d’un établissement en Belgique. Cettecompétence nous semble inappropriée en ce qui concerneles entreprises réglementées telles que les entreprisesd’investissement visées ci-dessus ou les organismes de pla-cement collectif. En effet, il existe une étroite relation entrele contrôle prudentiel à exercer sur ces entités et les mesu-res d’assainissement à adopter en cas d’insolvabilité dans lamesure où ce contrôle prudentiel constitue un mécanismede prévention des défaillances, destiné à éviter le risque defaillite systémique, c’est-à-dire d’un véritable jeu de domi-

129. Règlement (CE) n˚ 1346/2000 du Conseil du 29 mai 2000, J.O.C.E.L 160 du 30 juin 2000.

130. Doc. parl. Sénat 2003-04, Rapport, n˚ 3-27/7, p. 367. Cette réfé-rence à la liquidation déficitaire ne sera pas sans soulever de nom-breuses questions. Quels sont les critères précis à prendre en consi-dération pour déterminer si une procédure de liquidation est ou nondéficitaire? À quel moment de la procédure faut-il se situer pourdéterminer si elle est déficitaire?

131. Directive 2001/17/CE du Parlement européen et du Conseil du 19mars 2001 concernant l’assainissement et la liquidation des entre-prises d’assurances, J.O.C.E. L 110 du 20 avril 2004 (ci-après la“Directive Assurances”) et Directive 2001/24/CE du Parlementeuropéen et du Conseil concernant l’assainissement et la liquidationdes établissements de crédit (J.O.C.E. L 125 du 5 mai 2001, p. 15(ci-après la “Directive Établissements de Crédit”). Ces directivesont été transposées en droit belge par la loi du 6 décembre 2004modifiant notamment, en matière de procédure d’insolvabilité, la loidu 22 mars 1993 relative au statut et au contrôle des établissementsde crédit et la loi du 9 juillet 1971 relative au contrôle des entrepri-ses d’assurances, M.B. 28 décembre 2004, 85856. Sur ces directivesvoy. J.P. DEGUÉE, “La directive 2001/24/CE sur l’assainissement etla liquidation des établissements de crédit: une solution au défaillan-ces bancaires internationales?”, Euredia 2001-02, pp. 241 et s.; “Ladirective 2001/24/CE sur l’assainissement et la liquidation des éta-blissements de crédit: enfin un droit international privé uniforme desprocédures d’insolvabilité en matière bancaire”, Cahiers AEDBF/EBVR, n˚ 15, Bruylant, 2004, pp. 185 à 226; “The Winding UpDirective Finally Establishes Uniform Private International Law forBanking Insolvency Proceedings”, EBLR 2004, vol. 15, pp. 99 et s.;R. CERONE, “European Community Directive on Reorganisationand Winding-Up of Credit Institutions”, EBLR 2004, pp. 685 et s.Sur la Directive Assurances, voy. J.-P. DEGUÉE, “Aspects juridiquesde la liquidation des entreprises d’assurances”, Euredia 2003/4, pp.613 et s.; J. BANNISTER et R. SPENCER, “Insurer Insolvency: BraveNew World?”, in Butterworths Journal of International Banking andFinancial Law, septembre 2003, p. 308. Sur la loi du 6 décembre2004, voy. V. MARQUETTE, “Actualités du droit international privéen matière de droit bancaire, financier et des assurances: aperçu glo-bal et questions choisies”, in Bancassurfinance, Bruylant, 2005, pp.291 et s.

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nos au terme duquel la faillite d’une entité gérant les biensde tiers entraîne celle de ses contreparties et ainsi desuite132. C’est la raison pour laquelle il a été décidé de sous-traire les établissements de crédit et les entreprises d’assu-rances du champ d’application du Règlement afin de lessoumettre à des règles particulières. Ainsi, la Directive Éta-blissements de Crédit et la Directive Assurances transpo-sées en droit belge par la loi du 6 décembre 2004, contraire-ment au Règlement, consacrent la théorie de l’unité et del’universalité de la faillite. Il en résulte que seules les auto-rités de l’État membre d’origine sont compétentes pourdécider des mesures d’assainissement et de liquidation pré-vues par leur droit national (y compris en ce qui concerneles établissements de ces entreprises situés dans un autreÉtat membre)133. Aucune procédure d’insolvabilité, niaucune mesure d’assainissement ne peut donc être pronon-cée par les juridictions des autres États membres dans les-quels l’établissement de crédit ou l’entreprise d’assuranceoffre des services par l’intermédiaire d’une succursale, ousous le régime de la libre prestation de services134.

128 Une directive concernant les sociétés d’investisse-ment et les organismes de placement collectif est attendue.Si elle aboutit, cette directive et sa loi de transposition pré-vaudront sur les dispositions du Code.

§ 2. Articulation avec les autres dispositions réglant lamatière de l’insolvabilité

129 Les aspects de droit international privé des procédu-res d’insolvabilité sont régis par les instruments suivants:(i) le Règlement (qui vise uniquement les procédures intra-communautaires)135, (ii) la loi du 6 décembre 2004 assurantla transposition en droit belge de la Directive Assurances etde la Directive Établissements de Crédit, (iii) des conven-tions bilatérales conclues entre la Belgique et la France, lesPays-Bas, le Royaume-Uni et l’Autriche136 et (iv) le Code.

130 Ainsi que nous l’avons déjà souligné à plusieursreprises, en application de l’article 2 du Code (qui confirmele principe de la primauté des instruments internationauxsur les dispositions de droit national et l’adage lex specia-lis), le chapitre XI du Code ne s’applique qu’à défaut

d’application du Règlement, de la loi du 6 décembre 2004ou d’une des conventions bilatérales conclues par la Belgi-que.

131 Les articles 116 à 121 du Code s’appliquent doncprincipalement: (i) aux procédures d’insolvabilité non-com-munautaires, c’est-à-dire celles relatives à un débiteur dontle principal établissement n’est pas situé dans un État mem-bre, mais qui dispose en Belgique d’un établissement ou deson siège statutaire, et (ii) aux procédures communautaireset non-communautaires qui concernent un débiteur exclu duchamp d’application du Règlement et non visé par la loi du6 décembre 2004; il s’agit des entreprises d’investissementqui fournissent des services impliquant la détention defonds ou de valeurs mobilières de tiers et des organismes deplacement collectif.

C. Compétence

§ 1. Principe

132 Le Code s’inspire fortement du Règlement à cetégard. Il confirme tout d’abord la compétence des juridic-tions belges pour ouvrir une procédure d’insolvabilité dansles cas prévus à l’article 3 du Règlement (art. 118 § 1er). Ilest évident que le Code ne pourrait aboutir à supprimer lacompétence des juridictions belges pour ouvrir une procé-dure d’insolvabilité lorsque celle-ci découle d’une conven-tion internationale, bilatérale ou d’un autre instrument pri-mant sur le droit interne belge. Ainsi, la formulation del’article 118 § 1er selon laquelle “les juridictions belges nesont compétentes pour ouvrir une procédure d’insolvabilitéque dans les cas prévus à l’article 3 du Règlement” n’estpas exacte. Les juridictions belges peuvent également fon-der leur compétence pour ouvrir une procédure d’insolvabi-lité sur la loi du 6 décembre 2004 ainsi que, le cas échéant,sur une convention bilatérale, notamment lorsque le débi-teur est une personne morale exclue du champ d’applicationdu Règlement et de la loi du 6 décembre 2004 et pourlaquelle les conventions bilatérales conclues par la Belgique

132. J.-P. DEGUÉE, “La directive 2001/24/CE sur l’assainissement et laliquidation des établissements de crédit: une solution aux défaillan-ces bancaires internationales?”, Euredia 2001-02/2, pp. 247 et s.,spéc. n˚ 4.

133. Art. 3 de la Directive Établissements de Crédit et art. 4 de la Direc-tive Assurances.

134. Art. 9 § 1 de la Directive Établissements de Crédit et art. 8 § 1 de laDirective Assurances.

135. C’est-à-dire celles qui concernent un débiteur dont le centre desintérêts principaux est situé dans un État membre, en ce compris lesdix nouveaux États membres puisque le Règlement fait partie del’acquis communautaire qui leur est directement applicable (voy.art. 2 de l’Acte d’Adhésion) mais à l’exception du Danemark quin’est pas lié par le Règlement. Sur le Règlement voy. not. N. WATTÉet V. MARQUETTE, “Le Règlement communautaire du 29 mai 2000,relatif aux procédures d’insolvabilité”, R.D.C. 2001, pp. 565-579; E.DIRIX et V. SAGAERT, “De Europese Insolventieverordening”, inGerechtelijk akkoord en Faillissement, Kluwer, 2002, pp. 20-26.

136. Convention du 8 juillet 1899 entre la Belgique et la France sur lacompétence judiciaire, sur l’autorité et l’exécution des décisionsjudiciaires, des sentences arbitrales et des actes authentiques, loi du31 mars 1900 (M.B. 30-31 juillet 1900); Convention du 16 juillet1969 entre la Belgique et l’Autriche sur la faillite, le concordat et lesursis de paiement (avec le protocole additionnel du 13 juin 1973),loi du 15 avril 1975 (M.B. 24 juillet 1975); Convention du 28 mars1925 entre la Belgique et les Pays-Bas sur la compétence judiciaireterritoriale, sur la faillite, ainsi que sur l’autorité et l’exécution desdécisions judiciaires, des sentences arbitrales et des actes authenti-ques, loi du 16 août 1926 (M.B. 27 juillet 1929); Convention du 2mai 1934 entre le Royaume-Uni et la Belgique sur l’exécution réci-proque des jugements en matière civile et commerciale, loi du 4 mai1936 (M.B. 27 novembre 1936). Ces conventions n’ont pas été abro-gées suite à l’entrée en vigueur du Règlement. Son art. 44 précisetoutefois que ces dispositions remplacent les différentes conventionsbilatérales conclues entre États liés pour les matières auxquelles ilse réfère. La portée de ces conventions est donc en pratique fortréduite, sauf en ce qui concerne notamment les catégories de débi-teurs exclues à l’art. 1-2˚ du Règlement. Sur l’application de cesconventions, voy. V. MARQUETTE, Bancassurfinance, o.c., n˚s 38 et39, p. 324.

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trouveraient dès lors toujours à s’appliquer. La formulationde l’article 118 § 1er pourrait également perdre de sa perti-nence si la Belgique venait à conclure dans le futur de nou-velles conventions internationales ou bilatérales avec desÉtats tiers, ou si un nouvel instrument communautaire étaitadopté en ce qui concerne les organismes de placement col-lectif et certaines entreprises d’investissement.

133 Le Code consacre ensuite les critères de compétencepermettant aux juridictions belges d’ouvrir une procédured’insolvabilité en Belgique lorsque le Règlement n’est pasapplicable (c’est-à-dire notamment lorsque le centre desintérêts principaux du débiteur n’est pas situé dans un desÉtats liés ou lorsque le débiteur relève d’une des catégoriesexclues du champ d’application du Règlement).

§ 2. Procédure principale

134 Les juridictions belges ont compétence pour ouvrirune procédure principale d’insolvabilité, s’il s’agit d’undébiteur personne physique, lorsque le débiteur est domici-lié en Belgique et, s’il s’agit d’un débiteur personne morale,si celle-ci possède en Belgique son établissement principalou son siège statutaire (art. 118 § 1er, al. 2, 1˚).

§ 3. Procédure territoriale

135 L’article 118 consacre la compétence des juridictionsbelges pour ouvrir une procédure territoriale lorsque ledébiteur possède un établissement en Belgique, et que parhypothèse le centre de ses intérêts principaux est situé horsde l’Union (art. 118 § 1er, al. 2, 2˚)137.

136 Bien que les règles de compétence consacrées par leCode soient fortement inspirées du Règlement, le Code s’enécarte à plusieurs égards. Premièrement, il est resté fidèleau critère de l’établissement principal (puisque ce critère telque défini à l’art. 4 § 2, 2˚ du Code s’assimile au critère dusiège réel traditionnellement consacré en droit belgecomme règle de compétence pour l’ouverture d’une procé-dure d’insolvabilité transfrontalière, par opposition à celuidu siège statutaire) plutôt que d’adopter le critère, fort pro-che, de centre des intérêts principaux consacré à l’article 3-1˚ du Règlement. Ce choix d’une notion différente de celle

consacrée par le Règlement permettra aux juridictions bel-ges d’en assurer une interprétation autonome indépendam-ment de l’évolution de la notion de “centre des intérêts prin-cipaux” consacrée par les États membres ou par la Cour dejustice des Communautés européennes. En effet, la notionde centre des intérêts principaux consacrée par le Règle-ment et son absence de définition soulèvent de nombreusesquestions et controverses plus particulièrement en ce quiconcerne les groupes de sociétés, notamment en raison dufait que la présomption réfragable prévue à l’article 3-1˚ auterme de laquelle “le centre des intérêts principaux est pré-sumé, jusqu’à preuve contraire, être le lieu du siège statu-taire” est aisément renversée par les juridictions nationalesdésireuses d’établir leur compétence138. La coexistence denotions qui ne sont pas totalement identiques dans le Règle-ment et dans le Code ne devrait pas selon nous aboutir à unconflit négatif de compétence préjudiciable. En effet, dansl’hypothèse où le débiteur ne possède ni le centre de sesintérêts principaux dans un État membre, au sens du Règle-ment, ni son principal établissement ou son siège statutaireen Belgique, il faut en déduire qu’il n’existe à l’évidencepas de lien suffisant avec la Belgique pour fonder la compé-tence des juridictions belges.

137 En outre, le Code, au contraire du Règlement, ne pré-voit pas de définition de la notion d’établissement. Les tra-vaux préparatoires indiquent toutefois que des notions simi-laires à celles du Règlement ont été utilisées sciemmentdans le Code afin d’assurer une interprétation uniforme desdispositions du Code et de celles du Règlement. La notiond’établissement devrait donc s’interpréter conformément àla définition prévue à l’article 2 (h) du Règlement, soit “lelieu d’opérations où le débiteur exerce de façon non transi-toire une activité économique avec des moyens humains etdes biens”139.

138 Ensuite, le Code innove en consacrant un critèrealternatif de compétence lorsque le débiteur est une per-sonne morale: la présence en Belgique soit de l’établisse-ment principal, soit du siège statutaire de ce débiteur. Cecritère alternatif s’écarte non seulement des dispositions duRèglement140 mais également des règles de droit internatio-nal privé en vigueur en droit belge avant le Code et qui neretenaient que le critère du siège réel, par opposition à celuidu siège statutaire, pour fonder la compétence des juridic-tions belges.

137. À cet égard, soulignons que l’art. 135 du Code qui modifie l’art. 631du Code judiciaire relatif à la compétence territoriale des tribunauxbelges en matière de faillite ne précise pas la compétence territorialedu juge belge lorsqu’une faillite territoriale est ouverte en Belgiquesur la base du Code, alors qu’il modifie l’art. 631 pour viser notam-ment les hypothèses où une faillite secondaire est ouverte en Belgi-que sur la base du Règlement. Il convient de faire application del’art. 13, al. 2 du Code qui précise qu’à défaut de disposition dedroit interne (dans le Code judiciaire ou dans une loi particulière), lacompétence interne du juge belge est déterminée par les dispositionsdu Code (et subsidiairement la demande peut être portée devant lejuge de l’arrondissement de Bruxelles). En l’espèce, la compétenceinterne du juge belge en cas d’ouverture d’une procédure d’insolva-bilité territoriale à l’égard d’un débiteur dont le centre des intérêtsprincipaux n’est pas situé dans l’Union peut être fondée sur le cri-tère de l’art. 118 § 1, 2˚. C’est donc le juge du lieu où ce débiteurpossède un établissement en Belgique qui est compétent.

138. Sur les difficultés d’interprétations de la notion de centre des intérêtsprincipaux, notamment en cas d’insolvabilité de groupe de sociétés,voy. C. BARBÉ, “Note sous High Court of Justice Leeds DistrictRegistry, 16 mai 2003, Cour d’appel de Versailles 4 septembre 2003et Tribunal de commerce de Charleroi, 16 juillet 2002”, R.D.C. 2004,pp. 813 et s; V. MARQUETTE et C. BARBÉ, “Council Regulation (EC)n˚ 1346/2000 Insolvency Proceedings in Europe and Third Coun-tries. Status and Prospects”, in International Civil Litigation inEurope and Relations with Third States, Bruylant, 2005, pp. 419 et s.

139. Doc. parl. Sénat 2003-04, n˚ 3-27/6, p. 39.140. Qui ne consacre pas le siège statutaire comme critère de compétence

autonome, mais dont l’art. 3 dispose que le centre des intérêts prin-cipaux du débiteur est présumé être situé au lieu du siège statutaire,sauf preuve contraire.

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Eu égard aux dérives constatées en ce qui concerne l’inter-prétation de la notion de centre des intérêts principaux, lechoix d’un critère alternatif nous paraît judicieux afin degarantir aux juridictions belges la compétence pour ouvrirune procédure principale relative à une filiale belge d’ungroupe international et éviter les interprétations selon les-quelles le principal établissement d’une filiale est situé àl’étranger lorsque celle-ci ne bénéficie pas d’une véritableautonomie de gestion. Il nous semble souhaitable de sou-mettre le débiteur qui a fait le choix de se constituer sous laforme d’une société de droit belge à l’ouverture à son égardd’une faillite principale en Belgique. Un tel critère offre parailleurs une assez grande sécurité juridique puisqu’il estaisément déterminable par les tiers qui se sont fiés, en outre,au siège statutaire du débiteur. Bien entendu un critèrealternatif accroît le risque que la compétence des juridic-tions belges soit confrontée avec celle de juridictions étran-gères. Le législateur belge a été soucieux de prendre encompte la protection des tiers dans le cadre de la globalisa-tion croissante et de l’évolution de la jurisprudence des dif-férents États membres en matière de groupes de sociétéslorsqu’il a opté pour un rattachement alternatif fondé sur lelieu du siège statutaire du débiteur.

§ 4. Contestations dérivant de la faillite et mesures pro-visoires

139 Les juridictions belges compétentes pour ouvrir uneprocédure principale ou territoriale d’insolvabilité sur labase du Règlement ou de l’article 118 § 1er du Code le sontégalement pour connaître des contestations qui dériventdirectement de la procédure d’insolvabilité (art. 118 § 2). Ilfaut en déduire selon nous qu’elles sont notamment compé-tentes pour prononcer des mesures provisoires et conserva-toires dès l’ouverture de la procédure d’insolvabilité.

140 L’article 118 § 2 du Code consacre une compétenceélargie par rapport aux dispositions du Règlement et per-mettra d’en combler les lacunes, si besoin est. En effet, leRèglement ne précise pas, lui, si les juridictions compéten-tes pour ouvrir la procédure d’insolvabilité le sont égale-ment pour connaître des actions qui en dérivent, alors quecelles-ci sont expressément visées quand il s’agit de leurreconnaissance141. Le Règlement n’organise pas non plusun traitement particulier des mesures provisoires et conser-vatoires; seul le préambule reconnaît expressément aux juri-dictions compétentes pour ouvrir une procédure principalela compétence pour prendre de telles mesures dès lemoment de la demande d’ouverture et avant même le débutde la procédure142. En revanche, l’article 118 § 2 fonde lacompétence des juridictions belges pour connaître desactions dérivées de la procédure d’insolvabilité même dansl’hypothèse où les juridictions belges sont compétentes uni-

quement pour prononcer une faillite territoriale. Ainsi, si lesjuges belges sont compétents pour connaître de la faillited’une société de droit polonais en vertu de l’article 3-2˚ duRèglement car cette société dispose d’un établissement enBelgique, ils le seront également, en vertu de l’article 118§ 2 du Code, pour connaître des actions qui dérivent decette procédure et, selon nous, pour prononcer des mesuresprovisoires ou conservatoires. Il est regrettable que le Coden’ait pas adopté une rédaction plus large qui aurait égale-ment couvert les hypothèses dans lesquelles les juridictionsbelges ont fondé leur compétence sur un autre instrumentque le Règlement, comme par exemple la loi précitée du6 décembre 2004.

D. Loi applicable

§ 1. Principe

141 Le Code n’innove pas en prévoyant que c’est la lexconcursus, (c’est-à-dire la loi de l’État d’ouverture de laprocédure d’insolvabilité) qui en régit l’ouverture, le dérou-lement et la clôture (art. 119 § 1er). Toute procédure d’insol-vabilité principale ou territoriale ouverte en Belgique estdonc soumise au droit belge. Le domaine de la lex concur-sus est déterminé à l’article 119 § 1er, alinéa 2 du Code parréférence à l’article 4-2˚ (a) à (m) du Règlement qui reprendune liste non exhaustive des questions régies par la loi de lafaillite143.

142 De la même manière que cette liste est purementexemplative, la référence à l’article 4-2˚ du Règlement insé-rée dans le Code l’a été afin de faciliter l’interprétation de

141. Voy. N. WATTÉ et V. MARQUETTE, “Le Règlement communau-taire…”, o.c., n˚ 17, p. 570.

142. Considérant 16; N. WATTÉ et V. MARQUETTE, “Le Règlement com-munautaire…”, o.c., n˚ 18.

143. L’art. 4-2˚ du Règlement énonce que:“2. La loi de l’État d’ouverture détermine les conditions d’ouver-ture, le déroulement et la clôture de la procédure d’insolvabilité.Elle détermine notammenta) les débiteurs susceptibles de faire l’objet d’une procédure

d’insolvabilité du fait de leur qualité; b) les biens qui font l’objet du dessaisissement et le sort des biens

acquis par le débiteur après l’ouverture de la procédure d’insol-vabilité;

c) les pouvoirs respectifs du débiteur et du syndic;d) les conditions d’opposabilité d’une compensation;e) les effets de la procédure d’insolvabilité sur les contrats en cours

auxquels le débiteur est partie; f) les effets de la procédure d’insolvabilité sur les poursuites indivi-

duelles, à l’exception des instances en cours; g) les créances à produire au passif du débiteur et le sort des créan-

ces nées après l’ouverture de la procédure d’insolvabilité;h) les règles concernant la production, la vérification et l’admission

des créances;i) les règles de distribution du produit de la réalisation des biens, le

rang des créances et les droits des créanciers qui ont été partiel-lement désintéressés après l’ouverture de la procédure d’insolva-bilité en vertu d’un droit réel ou par l’effet d’une compensation;

j) les conditions et les effets de la clôture de la procédure d’insolva-bilité, notamment par concordat;

k) les droits des créanciers après la clôture de la procédure d’insol-vabilité;

l) la charge des frais et des dépenses de la procédure d’insolvabi-lité;

m) les règles relatives à la nullité, à l’annulation ou à l’inopposabi-lité des actes préjudiciables à l’ensemble des créanciers.”.

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l’article 119 § 1er, rien n’empêchant les juridictions belgesd’étendre le domaine de la lex concursus au-delà.

§ 2. Exceptions

143 Pour protéger la confiance légitime et la sécurité destransactions, le Code prévoit en son article 119 §§ 2 et 3,des exceptions au domaine de la lex concursus analogues àcelles consacrées aux articles 5 à 13 du Règlement (sousréserve de la matière des brevets et des marques commu-nautaires visée à l’art. 12 du Règlement et non reprise dansle Code puisqu’il n’a pas vocation à viser les procédurescommunautaires)144. Les dispositions de l’article 119 §§ 2et 3 constituent de véritables règles de conflit de lois. Ellesont, en effet, pour objet de soumettre certains effets de laprocédure d’insolvabilité non pas à la loi de la faillite (la loibelge) mais à la loi d’un autre État. Les exceptions les plusimportantes en pratique portent sur les droits réels et lacompensation.

144 L’article 119 § 2, 1˚ prévoit une exception en faveurdes droits réels des tiers portant sur les biens du débiteurqui sont situés sur le territoire d’un autre État (sans que cesoit limité à un État membre) au moment de l’ouverture dela procédure d’insolvabilité en prévoyant que, par déroga-tion à la règle générale de l’article 119 § 1er, l’effet del’ouverture d’une procédure d’insolvabilité en Belgique surces droits réels est régi par le droit qui leur est applicable etnon par le droit belge. L’article 119 § 2, 1˚ renvoie donc auxarticles 87 et suivants du Code relatif à la loi applicable auxbiens145. En principe, les exceptions prévues à l’article 119§§ 2 et 3 s’appliquent tant en cas d’ouverture d’une procé-dure principale que territoriale. Cependant, l’exceptionrelative aux droits réels ne trouvera à s’appliquer que dansl’hypothèse où les juridictions belges ouvrent une procé-dure principale; en effet, si elles ouvrent une procédure ter-ritoriale, celle-ci n’a vocation qu’à régir les biens situés surle territoire belge et donc la condition de localisation desbiens dans un autre État ne sera jamais remplie. Prenons unexemple: un débiteur américain dispose d’une succursale enBelgique et a consenti à une banque belge une hypothèquesur un immeuble situé au Canada. En cas d’insolvabilité dudébiteur, les juridictions belges sont compétentes pourouvrir une procédure territoriale. Celle-ci n’a cependant pasvocation à englober l’immeuble situé au Canada. Par con-tre, si un organisme de placement collectif de droit belge estdéclaré en faillite en Belgique, le créancier américain quis’est vu consentir par ce débiteur une hypothèque sur unimmeuble situé en Turquie pourra invoquer l’article 119§ 2, 1˚ puisqu’il dispose d’un droit réel sur un immeublesitué dans un autre État que la Belgique.

145 Si l’exception consacrée à l’article 119 § 2, 1˚ duCode est largement inspirée de l’article 5-1˚ du Règlement,sa rédaction n’est pas similaire. En effet, l’article 5-1˚ duRèglement dispose que: “l’ouverture d’une procédured’insolvabilité n’affecte pas le droit réel d’un créancier oud’un tiers sur des biens […] appartenant au débiteur, et quise trouvent, au moment de l’ouverture de la procédure, surle territoire d’un autre État membre”. Il est admis quel’article 5-1˚ ne prévoit pas une véritable règle de conflitsde lois, mais une règle de conflit négative dont l’objet n’estpas de désigner la loi applicable aux effets de l’ouvertured’une procédure d’insolvabilité sur les droits réels consti-tués sur les biens du débiteur, mais d’écarter l’applicationde la lex concursus à de tels droits. Au contraire, l’article119 § 2, 1˚ du Code prévoit une véritable règle de conflit delois qui désigne la loi applicable aux effets de la procédured’insolvabilité sur ces droits (c’est-à-dire celle désignéeconformément aux artt. 87 et s. du Code), à l’exclusion dela lex concursus. Le but du législateur belge, qui a délibéré-ment opté pour une rédaction différente de celle consacrée àl’article 5-1˚ du Règlement, était d’éviter les controversesqui divisent la doctrine à propos de la portée de l’article 5-1˚ du Règlement146. En effet, l’article 5-1˚ ne précise pas cequ’il faut entendre par les termes “n’affecte pas”. La doc-trine s’est alors interrogée quant à savoir si l’article 5-1˚ apour effet d’immuniser les droits réels concernés contre lafaillite du débiteur. En d’autres termes, si le droit réel tombedans le champ d’application de l’article 5, faut-il écarter lesdispositions restrictives du droit de la faillite de la lex reisitae qui peuvent affecter ce droit ou le rendre inopposable?

Certains auteurs considèrent que les droits du titulaire de lasûreté doivent être limités par les dispositions de la lex reisitae relative à la faillite. Ces auteurs justifient leur positionpar l’argument selon lequel il serait anormal que le titulairede la sûreté réelle voit sa situation améliorée du seul fait quela procédure d’insolvabilité est ouverte dans un État autreque celui où est situé le bien. Cette argumentation est peucohérente avec l’esprit du Règlement puisque justementcelui-ci cherche à protéger les créanciers qui disposent d’unesûreté sur un bien situé dans un autre État membre que celuioù est poursuivie l’insolvabilité du débiteur en raison deleurs attentes légitimes de voir dans ces circonstances leursûreté échapper à l’application de la lex concursus.

Un autre courant, principalement aux Pays-Bas, défendl’idée selon laquelle les règles restrictives de la lex rei sitaene peuvent s’appliquer que lorsque les mêmes limitationsexistent dans la lex concursus147.

Enfin, d’autres auteurs, majoritaires en Belgique, estimentau contraire que les titulaires de la sûreté peuvent exercer

144. En ce qui concerne plus particulièrement les artt. 5 et 6 du Règle-ment, voy. V. MARQUETTE, “L’incidence du Règlement…”, o.c.

145. Bien entendu les aspects contractuels des droits concernés restentsoumis à la lex contractus.

146. N. WATTÉ, o.c., n˚s 29 et s.; E. DIRIX et V. SAGAERT, o.c., R.D.C.,n˚ 23 et les références citées; KORTMANN et VEDER, “De EuropeseInsolventieverordening”, W.P.N.R. 2000, 769 et 770.

147. KORTMANN et VEDER, l.c.; B. WESSELS, “The secured creditor incross-border finance transactions under the EU Insolvency Regula-tion” J.I.B.L.R. 2003, 135 et s.

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leurs droits sans aucune limitation, en sorte que les droitsréels sont immunisés contre l’effet d’une insolvabilité dudébiteur, sous réserve bien entendu de l’ouverture d’uneprocédure d’insolvabilité secondaire dans cet État. Cetteopinion qui correspond à la volonté des rédacteurs du Rap-port nous semble la plus correcte dans le cadre du Règle-ment148.

146 L’article 119 § 2 du Code ne précise pas s’il fautprendre en compte, dans le droit qu’il désigne (la lex reisitae), les seules règles du droit commercial général, àl’exclusion du droit de l’insolvabilité, ou si les limitationsdu droit de la faillite consacrées par la lex rei sitae s’appli-quent. La question qui existe au niveau de l’effet de l’article5 du Règlement se pose également en ce qui concerne l’arti-cle 119 § 2. La conclusion à laquelle nous souscrivons en cequi concerne l’article 5-1˚ ne peut pas être appliquée auto-matiquement aux dispositions de l’article 119 § 2, 1˚ en rai-son du fait que l’article 5-1˚ du Règlement constitue unerègle de conflit négative alors que l’article 119 § 2, 1˚ estune règle de conflit de lois.

Les travaux préparatoires indiquent la volonté du législateurbelge d’assurer une interprétation uniforme de l’article 119§§ 2, 3 et 4 et des articles 5 à 11 et 13 à 15 du Règlement149.

En ce sens, il peut être soutenu que l’article 119 § 2, 1˚ duCode a également pour effet d’immuniser les droits réelscontre l’insolvabilité du débiteur. Si l’on reprend l’exemplecité ci-dessus, le créancier américain qui s’est vu consentirune hypothèque par l’organisme de placement collectif dedroit belge déclaré en faillite sur un immeuble situé en Tur-quie pourrait exercer son hypothèque sans aucune restric-tion et donc notamment sans que les dispositions du droitturc relatives à l’insolvabilité ne puissent limiter ses droits.Cet avis est toutefois controversé150.

147 En matière de compensation le Code prévoit quel’effet d’une procédure d’insolvabilité sur le droit pour lecréancier d’invoquer la compensation avec la créance dudébiteur est régi par le droit applicable à la créance du débi-teur insolvable (art. 119 § 2, 2˚).

148 Les exceptions prévues en matière de réserve de pro-priété, contrats portant sur un bien immobilier, droits desparticipants à un système de paiement, de Règlement ou àun marché financier, contrats de travail et effets sur lesdroits du débiteur sur un bien immobilier, un navire ou unaéronef soumis à l’enregistrement sont largement similairesaux dispositions du Règlement (art. 119 § 2, 3˚ et § 3).

149 Enfin, les exceptions visées à l’article 119 §§ 2 à 4s’appliquent sans préjudice de l’application de la lex con-

cursus aux actions en nullité, en annulation ou en inopposa-bilité des actes préjudiciables à l’ensemble des créanciers(art. 119 § 2). En droit belge, ces dispositions renvoient auxrègles des articles 17 à 20 de la loi du 8 août 1997 sur lesfaillites. Serait ainsi visée l’annulation (en réalité, la décla-ration d’inopposabilité à la masse) d’une sûreté constituéepar un débiteur durant la période suspecte. Néanmoins, sicelui qui a bénéficié de l’acte préjudiciable peut prouverque cet acte est soumis au droit d’un autre État et qu’envertu de ce droit cet acte ne peut pas faire, en l’espèce,l’objet d’une nullité, annulation ou inopposabilité. Cet acteest régi par la loi de cet État et non par la lex concursus(art. 119 § 4 du Code). Ces dispositions sont similaires àcelles de l’article 13 du Règlement.

E. Reconnaissance et exécution

§ 1. Principe

150 Les conditions de la reconnaissance et de l’exécutiondes décisions d’insolvabilité étrangères (non visées par leRèglement ou par un autre instrument) sont celles quis’appliquent généralement à toute décision judiciaire pro-noncée dans un État avec lequel il n’existe pas de conven-tion, ni de traité et qui sont visées aux articles 22 et suivantsdu Code.

151 Le Code confirme le système de reconnaissance auto-matique des décisions étrangères d’insolvabilité, c’est-à-dire sans qu’il soit besoin d’un exequatur (artt. 121 § 1er et22 § 1er, al. 2).

152 Il est précisé que la reconnaissance en Belgiqued’une décision étrangère d’insolvabilité n’affecte pas lapossibilité pour les juridictions belges d’ouvrir une procé-dure secondaire territoriale (art. 118, al. 3), ce qui constituele pendant de l’article 16, 2˚ du Règlement.

153 L’exécution des décisions étrangères d’insolvabilitérequiert un exequatur conformément à la procédure prévueà l’article 23 du Code (artt. 121 § 1er et 22 § 1er, al. 1er).L’exécution des décisions étrangères d’insolvabilitérequiert par contre un exequatur conformément à la procé-dure prévue à l’article 23 du Code (artt. 121, § 1er et 22 §1er, al. 1er). Par dérogation à l’article 23, c’est le tribunal decommerce qui est compétent pour connaître de toutedemande concernant la reconnaissance ou la déclaration deforce exécutoire d’une procédure étrangère d’insolvabilité(qu’elle soit fondée sur le Code ou sur le Règlement) et nonle tribunal de première instance sauf en ce qui concerne leRèglement collectif de dettes (art. 121 § 4).

§ 2. Motifs de refus

154 Outre les motifs de refus prévus à l’article 25 duCode qui s’appliquent bien entendu à la reconnaissance etl’exécution des décisions d’insolvabilité étrangères, ilexiste à leur égard des motifs spéciaux de refus. Ainsi, la

148. Rapport, o.c., Considérant n˚ 25.149. Doc. parl. Sénat 2003-04, Amendements, n˚ 3-2716, p. 37.150. Contra P. WAUTELET, “Le nouveau droit international privé belge”,

R.B.F. 2005/II, note 175.

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procédure principale étrangère ne doit être reconnue oudéclarée exécutoire que lorsque l’établissement principal dudébiteur était situé dans cet État au moment de l’introduc-tion de la demande (art. 121 § 1er, 1˚). La procédure territo-riale ne peut l’être que lorsque le débiteur possédait un éta-blissement autre qu’un établissement principal dans cet Étatau moment de l’introduction de la demande et uniquementen ce qui concerne les biens du débiteur situés sur le terri-toire de l’État d’ouverture (art. 121 § 1er, 2˚).

155 Il est à cet égard paradoxal que les juridictions belgesdevront refuser la reconnaissance ou l’exécution en Belgi-que d’une procédure principale étrangère au motif quel’établissement principal du débiteur n’était pas situé dansl’État où la procédure principale a été ouverte, alors que lesjuridictions belges elles-mêmes peuvent fonder leur compé-tence pour ouvrir une procédure principale sur la présenceen Belgique du siège statutaire du débiteur, et ce même sison établissement principal est situé à l’étranger (art. 118§ 1er).

156 Il est par ailleurs également prévu que la décisionjudiciaire étrangère ne peut sortir d’effets en Belgique quiseraient contraires aux droits des parties conformément àl’article 119 §§ 2 à 4 (c’est-à-dire aux dispositions qui pré-voient des dérogations au champ d’application de la lexconcursus). Nous comprenons qu’il ne s’agit pas ici d’unmotif de refus de reconnaissance de la décision dans sonentièreté mais plutôt des seuls effets découlant de la procé-dure étrangère qui seraient contraires aux droits des tiersprotégés par ces exceptions à la lex concursus. Ce derniermotif de refus risque d’être invoqué largement puisqu’ilsuffit que le droit de l’État d’ouverture contienne des règlesde conflits de lois différentes de celles consacrées par leCode.

F. Coopération

157 Le Code impose une obligation générale de coopéra-tion au curateur de la procédure principale ou territorialeouverte en Belgique sur la base des dispositions du Codeavec l’administrateur de la procédure étrangère. Cette obli-gation ne s’applique que sous réserve de réciprocité du droitétranger et uniquement si les frais engendrés par cette coo-pération ne sont pas déraisonnables compte tenu de l’actifdu débiteur (art. 120).

VII. LE TRUST

A. Introduction

158 Avec l’entrée en vigueur du Code, le droit belgeappréhende aujourd’hui le trust et c’est une grande pre-mière. En effet, cette institution de droit anglo-saxon n’ajamais, malgré une demande en ce sens par une partie, cer-tes minime, de la doctrine, été reconnue par le législateur nipar la Cour de cassation. L’une des causes principales de cerefus étant que la reconnaissance du trust implique, selon la

Cour, la création d’un droit réel (proche du droit de pro-priété classique) d’un type nouveau faisant une distinctionentre propriété juridique et économique.

159 Le débat sur la pertinence de cette critique n’est pasclos mais le Code ne tend pas à l’éteindre. Il règle, en qua-tre dispositions, certains aspects du trust, et n’augure cepen-dant pas la reconnaissance sensu lato de l’institution endroit belge. Le législateur s’est, au contraire, cantonné àl’étude des effets d’un trust constitué valablement selon undroit étranger et exclut toute constitution en droit belge.L’exercice est cependant loin d’être aisé. En effet, commentle législateur peut-il traiter d’une figure juridique et de seseffets alors même que celle-ci n’est précisément pas recon-nue en droit belge?

160 Nous nous attacherons à exposer la portée exacte del’introduction de la notion du trust dans notre arsenal juridi-que, nous examinerons ensuite plus en détail chacun desarticles que notre législateur lui a consacrés, pour enfin con-clure.

B. Le trust, institution inconnue, a-t-il sa place dans unCode de droit belge?

§ 1. Position du problème

161 L’on sait que le trust est une institution de commonlaw aux termes de laquelle une personne, appelée le fonda-teur (“settlor”) confie la gestion de tout ou partie de sonpatrimoine à une autre personne, le trustee, en vue d’enretirer des bénéfices au profit d’un bénéficiaire (qui, éven-tuellement, peut être le settlor lui-même), à charge pour letrustee de restituer à terme les biens qui lui ont été con-fiés151.

162 Cette institution est inconnue en droit interne mais a,de tous temps, fait l’objet de tentatives d’appréhension.

À l’origine, on a tenté de la rattacher au mandat, à la ges-tion d’affaires ou encore à la stipulation pour autrui. Cetteassimilation ne résiste cependant pas longtemps à l’analysedans la mesure où ces figures juridiques, contrairement autrust, n’entraînent aucun transfert de propriété.

163 L’on a ensuite abandonné l’idée d’un quelconque rat-tachement à une institution existante. C’est ainsi que dansune espèce où le settlor et le trustee étaient américains et oùles biens confiés étaient des valeurs mobilières situées auxÉtats-Unis, la Cour d’appel de Paris152 a estimé que le sett-lor n’avait pu concevoir l’opération qu’en droit américain.La Cour de Paris se référait ainsi à la loi de l’autonomie de

151. Dans le même sens, S. DE RAEDT et M TRAEST, “Le trust reconsi-déré grâce au code DIP?”, Fiscologue 2004, n˚ 947, p. 1.

152. Paris 10 janvier 1970, Rev. Crit. 1971, p. 525 et note G. GROZ; D.1972, p. 122 et note Ph. MALAURIE, cité par M. GORÉ, “Le trust endroit international privé”, in Le trust et la fiducie – implications pra-tiques, Bruxelles, Bruylant, 1997, p. 85.

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la volonté sous l’empire de laquelle les parties avaientvoulu se placer.

164 La Convention de La Haye du 1er juillet 1985 relativeà la loi applicable au trust et à sa reconnaissance, non rati-fiée par la Belgique, a d’ailleurs consacré cette solution. Eneffet, aux termes des articles 6 et 7, la loi applicable estcelle choisie par le constituant et, à défaut, le trust est régipar la loi avec laquelle il présente les liens les plus étroits.

Le trust reste – on le voit – une notion particulièrementfloue.

165 Alors que le nouveau Code lui consacre aujourd’huison dernier chapitre, il est cependant essentiel de se poser laquestion de la qualification de cette technique étrangère auregard du droit belge ainsi que de sa reconnaissance et deson admissibilité en Belgique.

En effet, déjà lors de l’élaboration du projet de Code dedroit international privé, le Sénat n’a pas manqué de rappe-ler que, suivant l’enseignement de la Cour de cassation, unnumerus clausus des droits réels existe, et ce afin d’assurerla protection des créanciers; et qu’en conséquence, le trustest une forme d’administration de droits réels que le droitbelge ne connaît pas (Rapport Sénat 2003-04153).

166 Interrogé sur le sujet, le professeur FALLON, l’un desrédacteurs du projet, confirme que les règles du Code nepeuvent avoir pour effet d’introduire cette institution dansnotre droit matériel, que pour ce faire, il faudrait une modi-fication de notre droit civil, ce qui n’est pas l’objet du Code.À cet effet, le commentaire relatif à l’article 124 (art. 119du projet) précise que le Code “n’a pas pour ambitiond’introduire l’institution du trust dans le droit matérielbelge”. Cette précision est évidemment d’une importancecapitale puisqu’elle signifie qu’aucune loi ou règle incon-nue en droit belge à ce jour ne doit par le fait de l’entrée envigueur du Code venir s’ajouter aux règles de droit privébelge et en particulier à celles qui régissent l’emprise queles personnes peuvent exercer sur les biens situés en Belgi-que, en l’occurrence, au premier chef, celles qui définissentet gouvernent les droits réels, à savoir le droit de propriétéet les autres droits réels principaux et accessoires, mais éga-lement les règles qui gouvernent la composition active dupatrimoine des personnes physiques ou morales (Avis CE2001-02154).

167 Dans quelle mesure le chapitre XII du Code respecte-t-il cette exigence? L’on est, en effet, en droit de se poser laquestion dans la mesure où le chapitre XII du Code est telqu’il permet d’appliquer la figure juridique du trust en Bel-gique. Or, selon la Cour de cassation, le numerus claususdes droits réels est un principe d’ordre public.

§ 2. Éléments de réponse

168 L’articulation particulière du chapitre XII du Code,consacré au trust, témoigne de la particularité de l’exerciceconsistant à aborder cette notion dans un Code de droitbelge, mais aussi de la volonté certaine de ne pas abordercette institution de façon classique.

En effet, le chapitre XII du Code se compose de quatre arti-cles, dont le premier est intitulé “caractéristiques du trust”et tente de définir la notion. Aucun autre chapitre de ceCode n’est introduit de la sorte, le législateur n’ayant pasjugé nécessaire de préciser ce qu’il y a lieu d’entendre parles mots utilisés aux fins de désigner les grandes institutionstelles que le mariage, les successions, les obligations con-tractuelles. Seul le trust bénéficie de cet effort de définition.

169 Ainsi circonscrite, cette institution reste inconnue dusystème juridique belge de droit privé. Par conséquent,aucun mot, aucune expression du lexique juridique en usagedans le droit substantiel belge n’est propre à la désigner(Avis CE 2001-02155). On le voit ici, le législateur belgereste frileux à l’égard du trust, et n’entend, sous aucun pré-texte l’introduire, tel quel, en droit positif.

170 Toutefois, le professeur FALLON signale que l’Italieet les Pays-Bas ont ratifié la convention de La Haye sur letrust alors que leur droit matériel ne connaît pas une telleinstitution. Voilà la preuve qu’il est possible d’avoir desrègles de droit international privé visant une institution quele droit matériel du pays concerné ne connaît pas.

171 Par ailleurs, le texte du Code prévoit expressémentque le droit applicable au trust ne peut pas affecter les droitsréels tels qu’ils sont organisés par le droit belge. L’on endéduit que l’utilisation du trust n’est pas envisagée pour desbiens situés en Belgique et que son application par le droitbelge n’est, dès lors, que très partielle. L’intérêt du chapitreXII se limiterait, dès lors, à donner la possibilité à des opé-rateurs belges d’être nommés gérants d’un trust portant surdes biens situés à l’étranger.

C. Le trust dans le Code de droit international privé belge

§ 1. Notion

172 Les règles du chapitre XII du Code sont largementinspirées du texte de la Convention de La Haye du 1er juillet1985, relative à la loi applicable au trust. La convention n’apas, en son temps, rencontré le succès escompté car ses dis-positions manquaient de précision. Le Code reprendaujourd’hui les principes de cette convention mais proposedes règles plus précises.

153. Doc. parl. Sénat, s.e., 2003, n˚ 3-27/7.154. Doc. parl. Sénat, s.o., 2001-02, n˚ 2/1225, pp. 291 et s. 155. Doc. parl. Sénat, s.o., 2001-02, n˚ 2/1225, pp. 291 et s.

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173 L’article 122 du Code définit la notion de trustcomme visant “une relation juridique créée par un actefondateur ou par une décision judiciaire, par lequel desbiens sont placés sous le contrôle d’un trustee afin de lesadministrer dans l’intérêt d’un bénéficiaire ou dans un butdéterminé”.

S’ensuit une énumération des éléments caractéristiques decette relation juridique, à savoir:

– les biens du trust constituent une masse distincte et nefont pas partie du patrimoine du trustee,

– le titre relatif aux biens du trust est établi au nom dutrustee ou d’une autre personne pour le compte dutrustee.

174 Le trustee est investi du pouvoir et chargé de l’obli-gation, dont il doit rendre compte, d’administrer, de gérerou de disposer des biens selon les termes du trust et lesrègles particulières imposées au trustee par la loi.

Cette description est très largement inspirée de l’article 2 dela Convention de La Haye qui articule sa description del’institution du trust autour de l’absence de confusion desmasses (entre les biens du trustee et les biens confiés autrustee), de l’existence d’un transfert de propriété, et del’obligation du trustee de rendre des comptes.

§ 2. Compétence

175 Outre les cas prévus par les dispositions générales dunouveau Code, les juridictions belges sont, en vertu del’article 123 du Code, compétentes pour connaître de toutedemande concernant les relations entre le fondateur, le trus-tee ou le bénéficiaire d’un trust si le trust est administré enBelgique ou si, lors de son introduction, la demande con-cerne des biens situés en Belgique.

176 En son paragraphe 2, l’article 123 du Code préciseque lorsque l’acte constitutif d’un trust attribue compétenceaux juridictions belges ou aux juridictions d’un État étran-ger, les articles 6 et 7 du même Code sont applicables paranalogie.

§ 3. Droit applicable

177 L’article 124 § 1er désigne quant à lui le droit applica-ble au trust comme étant celui choisi par le fondateur. Cechoix est soit exprès, soit résulte des dispositions de l’acteconstitutif du trust ou de l’acte en apportant la preuve ouencore des circonstances de la cause. Le droit applicableainsi désigné gouvernera, selon le choix du fondateur,l’intégralité ou une partie seulement du trust.

Cela étant, le second alinéa du § 1er de l’article 124 apporteune restriction importante au choix qui serait ainsi effectuépar le fondateur en précisant que “Lorsque tous les élé-ments significatifs du trust, à l’exception du choix du droit

applicable, sont localisés dans un État dont le droit ne con-naît pas l’institution du trust, ce choix est sans effet”.

Si, en revanche, aucun choix n’a été fait quant au droitapplicable ou si ce choix devait s’avérer ne pas être valide,le trust sera régi par le droit de l’État sur le territoire duquelle trustee a sa résidence habituelle au moment de sa consti-tution (art. 124 § 2).

178 Le dernier paragraphe de l’article 124 précise enfinque l’application du droit qui régit le trust ne peut porteratteinte au droit à la réserve d’un héritier que lui assureraitle droit applicable à la succession.

179 Le domaine du droit applicable au trust s’étendnotamment à la constitution et aux modalités du trust, à soninterprétation, à son administration ainsi qu’aux droits etobligations qui en découlent de même qu’aux effets du trustet à sa cessation (art. 125 § 1er). Il ne s’étend cependant pasà la détermination de la légalité des actes d’acquisition ouaux transferts de droits réels portant sur des biens qui fontl’objet d’un trust, ou à la protection des tiers qui acquièrentde tels biens. En effet, le droit applicable au trust ne peutporter atteinte au statut des biens (art. 125 § 2), ce domainedemeurant régi par le chapitre VIII du nouveau Code dedroit international privé relatif aux biens. Les droits et obli-gations des tiers qui détiennent un bien placé en trust res-tent, dès lors, soumis au chapitre VIII du Code de droitinternational privé (statut réel), chapitre qui renvoie le plussouvent à la loi du lieu de situation des biens.

Dès lors, dans la mesure où le trust, et plus particulièrementla distinction opérée entre le titre de propriété du settlor etl’interest of ownerwhip du trustee, est inconnu parmi lesdroits réels belges, si un trust porte sur des biens situés enBelgique, la division de la “propriété” qu’il implique nepeut être reconnue, dans la mesure où le droit belge ne peutaccorder sa reconnaissance qu’à un titre de propriété entieret exclusif, qui serait détenu soit par le settlor (le trusteen’étant, dans ce cas, qu’un agent), soit par le trustee (le sett-lor n’étant alors pas à l’abri d’une éventuelle procédured’insolvabilité ou de recours exercés par les créanciers dutrustee).

180 En revanche, si le seul lien avec la Belgique est lanationalité du trustee, et que tous les autres éléments dutrust sont situés hors du territoire belge, aucun problème dereconnaissance ne se pose, pour autant que le trust ait étévalablement constitué à l’étranger.

VIII. LES DROITS DE PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE

A. Introduction

181 C’est dans le chapitre VIII, consacré aux biens, quefigurent les dispositions du Code relatives aux droits de pro-priété intellectuelle: les articles 86, 93 et 95.

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Les dispositions en projet n’ont suscité pratiquement aucundébat lors des travaux parlementaires, de sorte que l’essen-tiel des considérations pertinentes figurent dans les déve-loppements de la proposition de loi156. Le caractère parfoissuccinct de ces maigres commentaires ne permet pas tou-jours de mesurer l’exacte ampleur des nouvelles disposi-tions. Cela dit, le Code n’introduit pas de règle véritable-ment nouvelle en matière de droits de propriétéintellectuelle. Il paraît aussi – à juste titre, selon nous – seconformer strictement au principe de territorialité des droitsintellectuels157.

182 Ainsi qu’on le sait, le contentieux des droits intellec-tuels débouche presque nécessairement sur un débat relatifà la responsabilité de l’auteur de la contrefaçon, atteinteportée aux droits exclusifs. Dès lors, d’autres dispositionsdu Code devraient également être prises en compte, notam-ment les articles 96 (compétence internationale en matièred’obligations contractuelles et non contractuelles), 99 (droitapplicable aux obligations dérivant d’un fait dommageable)et 103 (domaine du droit applicable aux obligations déri-vant d’un fait dommageable).

Par ailleurs, dans la pratique, la protection des droits de pro-priété intellectuelle est largement tributaire de l’applicationde traités internationaux, lesquels priment le Code en vertude son article 2. L’application des dispositions du Coderelatives aux droits de propriété intellectuelle revêtira doncle plus souvent un caractère subsidiaire. Il n’en est pasmoins utile de disposer, à cet égard, de règles claires.

183 Dans les lignes qui suivent, nous commenterons briè-vement les articles 86, 93, 94 et 95 du Code. Nous aborde-rons ainsi la question de la compétence internationale (B),puis l’étude des règles de conflit de lois (C) et le domainede la loi applicable (D).

184 La volonté du législateur a été d’interpréter demanière large les termes “propriété intellectuelle”158. LeCode vise donc indistinctement les droits de propriétéindustrielle (brevets, marques, dessins et modèles, etc.) etles droits de propriété littéraire et artistique (droit d’auteuret droits voisins, droits sur les programmes d’ordinateur,droit sui generis sur les bases de données, etc.). Cependant,les rédacteurs du Code ont attaché à cette distinction certai-nes conséquences en ce qui concerne la détermination dutitulaire originaire du droit (voy. infra, à propos de l’art. 93,al. second).

Les dispositions commentées ci-après sont donc applicablesà tous les droits de propriété intellectuelle, sans exception.Les développements de la proposition de loi le confirment,et se référent à cet égard à l’article 2 de la Convention de

Stockholm du 14 juillet 1967, instituant l’OrganisationMondiale de la Propriété Intellectuelle159. Selon cette der-nière disposition, il faut entendre par “propriété intellec-tuelle” les droits relatifs, entre autres, à “l’activité intellec-tuelle dans les domaines industriel, scientifique, littéraire etartistique”. Comme le relève M. PERTEGAS SENDER, lamatière de la concurrence déloyale, bien qu’elle soit, elleaussi, énumérée à l’article 2 de la Convention de Stock-holm, est cependant régie, de son côté, par le chapitre IX duCode160. Cela ne nous semble toutefois pas créer de diffi-culté d’interprétation du champ d’application des articles86, 93 et 95 du Code.

B. Compétence

185 Une distinction est introduite par l’article 86 duCode, entre les demandes portant sur la validité ou l’ins-cription des droits de propriété intellectuelle, d’une part, ettoutes les autres demandes, d’autre part.

§ 1. Demandes autres que celles concernant la validitéou l’inscription des droits de propriété intellectuelle

186 Pour ces dernières, le Code ajoute aux chefs de com-pétence prévus par ses dispositions générales (artt. 5 à 11)un chef de compétence spécifique à la matière: le deman-deur peut agir en Belgique lorsque sa demande vise uneprotection limitée au territoire belge. Il a été précisé par lesauteurs du Code que la compétence du juge belge en vertude l’article 86 “ne vaut que pour la protection revendiquéepour le territoire belge. Elle ne permet pas de saisir lesjuridictions belges en vue de revendiquer une protectionpour des territoires étrangers”161.

En revanche, toujours d’après les auteurs du Code, lorsquela compétence du juge belge est fondée non sur l’article 86,mais sur l’une des dispositions générales, la protection peutêtre revendiquée pour des territoires étrangers, sans que lejuge belge ne doive se déclarer incompétent à cet égard(ibid.). Dans un tel cas, c’est bien évidemment au regard dudroit étranger que le juge belge devra se prononcer surl’éventuelle contrefaçon commise à l’étranger (voy. infra,art. 93 du Code).

§ 2. Demandes concernant la validité ou l’inscriptiondes droits de propriété intellectuelle

187 Les demandes concernant la validité ou l’inscriptiond’un droit de propriété intellectuelle sont, quant à elles,soumises à la règle spéciale de l’article 86, alinéa second.

156. Doc. parl. Sénat, 3-27/1, spéc. pp. 113-121.157. Voy. à ce sujet F. DE VISSCHER et B. MICHAUX, Précis du droit

d’auteur et des droits voisins, Bruxelles, Bruylant, 2000, pp. 550 et s.158. Développements, o.c., p. 119.

159. Développements de la proposition de loi, Doc. parl. Sénat, 3-27/1,p. 119.

160. Voy. H. BOULARBAH (dir.), “Le nouveau droit international privébelge”, J.T. 2005, p. 201, n˚ 224.

161. Développements de la proposition de loi, Doc. parl. Sénat, 3-27/1,p. 113.

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En vertu de cette disposition, le juge belge devra se déclarerincompétent, nonobstant les dispositions générales duCode, lorsque la demande porte sur l’inscription ou la vali-dité d’un droit de propriété intellectuelle dont le dépôt oul’enregistrement a été effectué à l’étranger. Ce n’est doncque si le dépôt ou l’enregistrement a été effectué en Belgi-que, que le juge belge pourra connaître d’une demande con-cernant son inscription ou sa validité, et ce même si ledéfendeur est domicilié en Belgique ou y a sa résidencehabituelle. De même, en matière de marques ou de brevetsdits “internationaux”, par exemple, le juge belge sera com-pétent pour connaître de l’inscription ou de la validité dudépôt ou de l’enregistrement “international”, mais en tantqu’il concerne la Belgique.

La règle est conforme à celle stipulée aux articles 16, 4˚ dela Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 et 22, 4˚du Règlement européen n˚ 44/2001 dit “Bruxelles I”.

188 Elle suscite d’ailleurs les mêmes difficultés, dans lescas (fort nombreux, au demeurant) où l’action en justice n’apas exclusivement pour objet l’inscription ou la validitéd’un dépôt ou d’un enregistrement: il en va notammentainsi lorsque l’invalidité (la nullité) du titre de propriétéintellectuelle est soulevée à titre d’exception ou par la voied’une demande reconventionnelle, ou dans le cadre d’uneaction en déclaration de non-contrefaçon. De telles hypo-thèses sont très fréquentes en pratique, la meilleure défenseface à un reproche de contrefaçon consistant à contesterl’existence même du droit exclusif prétendument violé162.

Les développements de la proposition de loi précisent à cetégard que si l’existence du droit de propriété intellectuelleest mise en cause “à l’occasion d’une action en responsabi-lité civile (…) l’examen de la compétence se fera en ayantégard aux règles concernant cette matière”163. Selon nous,cette précision implique que le juge devra alors examiner sacompétence internationale au regard des dispositions géné-rales du Code (artt. 5 à 11, voire art. 86, premier al.) et del’article 96 (compétence internationale en matière d’obliga-tions contractuelles et non contractuelles).

Les auteurs du Code semblent donc retenir une conceptionrestrictive de l’article 86, second alinéa. À toutes fins utiles,l’on soulignera que dans ses conclusions précédant l’arrêtGAT/LuK, l’avocat-général GEELHOED préconise, quant àlui, de retenir une conception plus large de la dispositionidentique figurant à l’article 16, 4˚, de la Convention deBruxelles précitée164. Les praticiens ne manqueront pasd’être attentifs aux développements ultérieurs que cettequestion est appelée à connaître, et qui seront susceptibles

d’influencer indirectement l’interprétation de l’article 86,deuxième alinéa165.

189 Dans la mesure où le texte vise exclusivement le ter-ritoire belge, l’on pourrait s’interroger sur son articulationavec les dispositions de la loi uniforme Benelux sur lesmarques ou les dessins et modèles. Au regard de ces con-ventions internationales, en effet, le territoire des trois Étatscomposant le Benelux est réputé ne constituer qu’un terri-toire unique. Le juge belge peut donc être amené à se pro-noncer sur la validité d’un enregistrement effectué auxPays-Bas ou au Luxembourg (un raisonnement identiques’applique en matière de marques communautaires). Lesdispositions du Code sont sans préjudice des conventionsinternationales (art. 2 du Code), de telle sorte que ses dispo-sitions céderont nécessairement le pas aux instrumentsinternationaux. Peut-être eût-il néanmoins été utile de pré-ciser dans le texte de l’article 86, dans un souci de clarté, ets’agissant d’une matière qui donne souvent du fil à retordreaux praticiens, que la disposition ne déroge pas aux disposi-tions de droit international relatives à des titres unitaires depropriété intellectuelle, couvrant le territoire de plusieursÉtats.

190 Enfin, signalons qu’en écho à la disposition de l’arti-cle 86, l’article 95 du Code ajoute à la liste visée à l’article25 un motif de refus de reconnaissance d’une décision por-tant sur l’inscription ou la validité d’un droit de propriétéintellectuelle: lorsque le dépôt ou l’enregistrement a étédemandé ou effectué en Belgique, la décision du juge étran-ger sur son inscription ou sa validité n’est pas reconnue enBelgique. Il s’agit là d’une application de la méthode ditede “compétence indirecte”.

C. Conflit de lois

§ 1. Principe

191 En matière de conflit de lois, la volonté des auteursdu Code de s’en tenir à la règle classique de la protectiondite “territoriale” est explicite166. Le Code consacre donc, àl’article 93, alinéa premier, la lex loci protectionis: lesdroits de propriété intellectuelle sont régis par le droit del’État pour le territoire duquel la protection est demandée.

192 Ainsi qu’on le sait, l’application de ce critère peutposer problème lorsque la contrefaçon est commise dansplusieurs pays ou “au moyen de supports qui transcendentle phénomène de frontière” (c’est-à-dire, notamment surInternet). Les auteurs du Code ont cependant estimé qu’ilétait préférable de régler cette question dans le cadre de lacoopération internationale. Songeons ainsi à la propositionde règlement européen sur la loi applicable aux obligations

162. Voy. notamment M. PERTEGAS SENDER et B. STROWEL, “Grens-overschrijdende octrooigeschillen: spannend afwachten op de arres-ten van het Europees Hof van Justitie”, R.D.C. 2004, pp. 755 et s.

163. Développements, o.c., p. 114.164. C-4/03, conclusions présentées à la Cour le 16 septembre 2004, dis-

ponible sur le site www.curia.eu.int.

165. Voy. aussi à ce sujet M. PERTEGAS SENDER et B. STROWEL, o.c., etles commentaires de M. PERTEGAS SENDER in H. BOULARBAH, “Lenouveau droit international privé belge”, J.T. 2005, p. 202 et n˚ 227.

166. Développements, o.c., p. 118.

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non contractuelles (“Rome II”), dont l’article 8 contient desrègles en matière d’atteinte aux droits de propriété intellec-tuelle167. Cette question suscite cependant encore de trèsvifs débats168.

L’on ne peut qu’approuver cette référence générale et deprincipe à la lex loci protectionis, qui est conforme notam-ment à l’article 5, alinéa 2, deuxième phrase, de la Conven-tion de Berne pour la protection des œuvres littéraires etartistiques, ainsi qu’à la doctrine majoritaire et à un courantjurisprudentiel dominant en Belgique169. Ainsi que le préci-sent les auteurs du Code, la clause d’exception visée àl’article 19 pourra, dans certains cas, corriger les effetséventuellement néfastes d’une application trop rigide duprincipe de territorialité170.

§ 2. Question particulière de la détermination du titu-laire originaire d’un droit de propriété industrielle

193 La lex loci protectionis n’est cependant pas applica-ble à la détermination du titulaire originaire d’un droit depropriété industrielle. Le deuxième alinéa de l’article 93consacre en effet à cette question une règle de conflit de loisspécifique, applicable aux seuls droits de propriété indus-trielle visés par la Convention de Paris du 20 mars 1883,avec ses révisions successives. En revanche, la détermina-tion du titulaire originaire est bien régie par la loi du payspour lequel la protection est réclamée, pour ce qui estnotamment du droit d’auteur et des droits voisins. Les déve-loppements de la proposition de loi ne laissent aucun douteà cet égard171.

194 En matière de titularité originaire de droits de pro-priété industrielle, le Code désigne le droit de l’État aveclequel l’activité intellectuelle présente les liens les plusétroits. Par ailleurs, lorsque cette activité intellectuelle estexercée dans le cadre de relations contractuelles, l’État dontle droit est applicable à ces relations sera, sauf preuve con-traire, présumé être celui qui présente les liens les plusétroits avec ladite activité intellectuelle. Autrement dit, ledroit applicable au contrat de travail ou au contrat de presta-tion de services détermine également la question de la titu-larité originaire des droits de propriété industrielle nés dansle cadre de l’exécution de ce contrat.

195 Selon les auteurs du Code, cette solution devraitfavoriser la protection du titulaire, c’est-à-dire de l’inven-

teur, y compris dans l’hypothèse d’un contrat de travail. Eneffet, les dispositions de la Convention de Rome sur la loiapplicable aux obligations contractuelles tendraient à dési-gner le droit du pays de la résidence habituelle de l’inven-teur: soit en vertu de l’article 4, l’inventeur devant être con-sidéré comme le débiteur de la prestation caractéristique ducontrat, soit en vertu des articles 7 ou 6 de ladite conven-tion172. La solution est assez similaire à celle organisée parl’article 60 de la Convention sur le brevet européen du 5octobre 1973 (dite Convention de Munich) qui retient, àtitre principal, le droit de l’État sur lequel l’inventeuremployé exerce son activité habituelle et, à titre subsidiaire,le droit de l’État sur lequel est établi l’employeur.

D. Le domaine de la loi applicable

§ 1. Article 94

196 Pour ce qui concerne les droits de propriété intellec-tuelle en tout cas, c’est une analyse plus critique et réservéequ’appelle l’article 94 du Code. Celui-ci définit de façongénérale le domaine du droit applicable au régime desbiens, droits réels et droits de propriété intellectuelle con-fondus. Il semble que le législateur ait été pris au piège decette confusion entre les droits réels et les droits intellec-tuels, faute d’avoir choisi de traiter de façon distincte cesdeux catégories juridiques. L’on sait pourtant que les ques-tions qui se posent dans ces deux matières sont assez diffé-rentes et répondent à des préoccupations fort éloignées.

À la lecture de l’article 94, en effet, il apparaît que le droitdésigné en vertu du Code détermine “l’existence, la nature,le contenu et l’étendue des droits (…) de propriété intellec-tuelle” ainsi que “les titulaires de ces droits”, “la disponi-bilité de ces droits” et “les modes de constitution, de modi-fication, de transmission et d’extinction de ces droits”(art. 94 § 1er, 2˚ à 5˚).

§ 2. Critique

197 La référence aux “modes de transmission” viseincontestablement, pour ce qui est des droits réels, lesrègles particulières organisant le transfert de propriété desbiens meubles et immeubles. Mais faut-il considérer,s’agissant des droits de propriété intellectuelle, que la loidésignée par le Code s’applique également, et sans distinc-tion, à toutes les règles régissant la cession de ces droits?Outre les règles régissant l’opposabilité aux tiers de ces-sions ou de licences de droits de propriété industrielle, exis-tent en effet d’autres règles imposant un formalisme rigou-reux, en vue de protéger le titulaire d’un droit d’auteur(entre autres, l’art. 3 de la loi du 30 juin 1994 relative audroit d’auteur et aux droits voisins). Ces règles protectricesde l’auteur doivent-elles être considérées comme applica-bles au titre de “modes de transmission” des droits de pro-

167. Proposition du 22 juillet 2003, COM (2003) 427 final.168. Voy. la synthèse faite par A. CRUQUENAIRE, “La loi applicable au

droit d’auteur. État de la question et perspectives”, AM 2000, pp.210 et s., et les nombreuses références citées.

169. F. RIGAUX et M. FALLON, Droit international privé, t. II. Droit posi-tif belge, Bruxelles, Larcier, 1993, pp. 466-478; F. DE VISSCHER etB. MICHAUX, o.c., pp. 631-651; G. VANHECKE, Internationaal pri-vaatrecht, Gand, Story-Scientia, 1989, p. 312; pour la jurisprudence,assez rare, voy. Civ. Bruxelles 6 octobre 1995, Ing.-Cons. 1996, pp.124-137; Bruxelles 8 octobre 2001, R.W. 2002-03, pp. 1147-1149.

170. Développements, o.c., p. 118.171. Développements, o.c., p. 119. 172. Développements, o.c., pp. 119-120.

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priété intellectuelle, nonobstant le choix par les parties desoumettre leur contrat à une loi autre que la loi belge?

Si tel était le cas, le Code introduirait alors une règle vérita-blement nouvelle, par le biais d’un aménagement desdomaines d’application respectifs de la loi applicable audroit intellectuel et de la loi applicable au contrat de licenceou de cession d’un tel droit. Les règles protectrices del’auteur seraient en effet nécessairement soumises à la lexloci protectionis, ce qui paraît contraire au souci de sécuritéjuridique qui anime les parties à un contrat de licence ou decession, souvent conclu pour le monde entier ou, à tout lemoins, pour de nombreux territoires. Une telle solutionserait contraire à la situation antérieure. Ainsi, selon d’émi-nents auteurs, rien n’indique que le législateur ait entendu,en adoptant la loi du 30 juin 1994 relative au droit d’auteuret aux droits voisins, rendre les règles protectrices del’auteur applicables, quelle que soit la loi applicable au con-trat173.

198 La distinction proposée par ces mêmes auteurs entreles formalités d’opposabilité des droits cédés et les formali-tés protectrices de l’auteur paraît pertinente et devraitdemeurer d’application nonobstant le texte de l’article 94du Code174. Un autre auteur propose, lui, de contournercette difficulté par le recours à l’article 19 du Code, maiscette solution ne semble pas rencontrer l’impératif de sécu-rité juridique175.

199 À dire vrai, la question ne semble pas avoir été per-çue dans sa véritable dimension par les auteurs du Code. Laconfusion s’accroît d’ailleurs, quand on constate que l’arti-cle 94, 6˚, ne vise que l’opposabilité aux tiers d’un droitréel, et non d’un droit de propriété intellectuelle. Or, enmatière de droits de propriété industrielle, l’opposabilitéaux tiers est un enjeu important, qu’il semble légitime desoumettre à la loi du pays de protection. De plus, si l’article94 contient une énumération limitative (voy. l’emploi duterme “notamment”), par ailleurs, l’article 10 de la Conven-tion de Rome relatif au domaine de la loi applicable au con-trat reçoit, lui aussi, une interprétation extensive et est doncégalement susceptible de couvrir les règles protectrices del’auteur176.

200 Il nous paraît donc douteux que le législateur ait véri-tablement eu l’intention de modifier les règles de droitinternational privé existantes en matière de contrats delicence et de cession de droits d’auteur. Le doute estd’autant plus permis en l’espèce, que le procédé qui con-

siste à modifier les règles de conflit de lois par le biais d’unaménagement du domaine de la loi applicable n’est guèretransparent. C’est sans doute dans l’assimilation des droitsde propriété intellectuelle au régime des biens, sans opérerles distinctions qui s’imposent, que gît l’explication prati-que de cette difficulté d’interprétation. La notion classiquede “régime des biens” paraît en effet mal adaptée à lamatière des droits de propriété intellectuelle, dans laquellele droit et son objet ne se confondent pas.

201 Traditionnellement, le régime des biens recouvre ladéfinition des droits réels dont un bien peut faire l’objet,ainsi que les conditions auxquelles ces droits s’acquièrent,se conservent et se transmettent, et leur opposabilité auxtiers177.

À l’analyse, toutes les règles protectrices de l’auteur figu-rant à l’article 3 de la loi du 30 juin 1994 ont pour objet decirconscrire l’autonomie de la volonté des parties, afin deprotéger la partie réputée la plus faible. La même observa-tion s’impose à propos des dispositions relatives aux autrescontrats d’exploitation (artt. 17 à 20 et 25 à 32 de la loi du30 juin 1994). En outre, ces règles ne sont applicables qu’àla cession consentie par la personne physique qui a créél’œuvre, et pas aux cessions ultérieures conclues entreayants droit ou cessionnaires. Ces deux raisons nous parais-sent suffire à exclure de la notion de régime des biens, lesrègles protectrices de l’auteur contenues dans la loi du 30juin 1994. A fortiori, les règles relatives à l’inaliénabilité dudroit moral ne font évidemment pas non plus partie durégime des biens.

202 Nous reconnaissons toutefois que la question est déli-cate et mériterait un examen plus approfondi. En conclu-sion, nous ne pouvons qu’appeler de nos vœux une pro-chaine clarification de cette question si délicate qu’est lesort des règles protectrices de l’auteur personne physique,dans le cadre de contrats de licence ou de cession de droitsà l’échelle internationale.

173. F. DE VISSCHER et B. MICHAUX, o.c., p. 647 et n˚ 803.174. Voy. F. DE VISSCHER et B. MICHAUX, o.c., p. 644 et note 52.175. Voy. H. HAOUIDEG, “Logiciels libres et droit international privé”, in

Y. COOL, F. DE PATOUL, D. DE ROY, H. HAOUIDEG, P. LAURENT etE. MONTERO (éd.), Les logiciels libres face au droit, Cahiers duCentre de Recherches Informatique et Droit, n˚ 25, Bruxelles, Bruy-lant, 2005, pp. 229 et s., spéc. nos 425 et s. et nos 438 et s.

176. M. FALLON et S. FRANCQ, “Les conflits de lois en matière d’obliga-tions contractuelles et non contractuelles (1986-1997)”, J.T. 1998,pp. 683 et s. 177. F. RIGAUX et M. FALLON, o.c., p. 453, n˚ 1191.