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Horizontes Antropológicos, Porto Alegre, ano 20, n. 41, p. 381-403, jan./jun. 2014 REJOUER LES SAVOIRS ANTHROPOLOGIQUES : DE DURKHEIM AUX ABORIGÈNES * Barbara Glowczewski Laboratoire d’Anthropologie sociale (CNRS/EHESS/Collège de France) – France Résumé: Les formes élémentaires de la vie religieuse de Durkheim (2013) s’appuient essentiellement sur les observations et analyses de Spencer et Gillen (1899) des ri- tuels d’Australie centrale. Découlant de 35 ans de recherches en Australie, l’article montre que le paradigme du XXe siècle a empêché Durkheim de voir l’importance du rapport à la terre dans la cosmologie et les pratiques rituelles des Aborigènes. Il a aussi ignoré le dynamisme réticulaire de leurs cartographies totémiques que, depuis la colonisation, ils continuent à réactualiser par l’art et les luttes sociales. La réappropriation indigène par la parole et d’autres expressions de leurs propres systèmes de savoir pose la question de la légitimité contemporaine des interprétations anciennes. Patrimonialisés, Durkheim et d’autres deviennent des mythes fondateurs des sciences sociales qui s’opposent parfois à la reconnaissance des peuples concer- nés. L’anthropologie est ainsi confrontée à un problème à la fois éthique et politique. Mots-clés: Australie, cartographies totémiques, patrimonialisation, réappropriations autochtones. Abstract: The elementary forms of religious life by Durkheim (2013) largely draw on Spencer and Gillen’s observations and analysis of Central Australian rituals. Stemming from 35 years of research across Australia, this article shows that the para- digm of the XXe century has prevented Durkheim to see the importance of the relation to land in the cosmology and ritual practices of Aboriginal people. This paradigm also ignored the reticular dynamism of their totemic cartographies that since colonization * Une version courte de ce texte a été présentée au Colloque « Les formes élémentaires de la vie religieuse de Durkheim. Perspectives pour l’anthropologie », (6-8 juin 2012) célébrant le centenaire du livre, à la session d’ouverture « Ethnographie et théorie », École Normale Supérieure (Ulm), organisé par Perig Pitrou et Frédéric Keck, en collaboration avec le musée du quai Branly et le Collège de France. http://dx.doi.org/10.1590/S0104-71832014000100014

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Glowczewski, Barbara. Língua: Francês

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    REJOUER LES SAVOIRS ANTHROPOLOGIQUES :DE DURKHEIM AUX ABORIGNES*

    Barbara GlowczewskiLaboratoire dAnthropologie sociale (CNRS/EHESS/Collge de France) France

    Rsum: Les formes lmentaires de la vie religieuse de Durkheim (2013) sappuient essentiellement sur les observations et analyses de Spencer et Gillen (1899) des ri-tuels dAustralie centrale. Dcoulant de 35 ans de recherches en Australie, larticle montre que le paradigme du XXe sicle a empch Durkheim de voir limportance du rapport la terre dans la cosmologie et les pratiques rituelles des Aborignes. Il a aussi ignor le dynamisme rticulaire de leurs cartographies totmiques que, depuis la colonisation, ils continuent ractualiser par lart et les luttes sociales. La rappropriation indigne par la parole et dautres expressions de leurs propres systmes de savoir pose la question de la lgitimit contemporaine des interprtations anciennes. Patrimonialiss, Durkheim et dautres deviennent des mythes fondateurs des sciences sociales qui sopposent parfois la reconnaissance des peuples concer-ns. Lanthropologie est ainsi confronte un problme la fois thique et politique.

    Mots-cls: Australie, cartographies totmiques, patrimonialisation, rappropriations autochtones.

    Abstract: The elementary forms of religious life by Durkheim (2013) largely draw on Spencer and Gillens observations and analysis of Central Australian rituals. Stemming from 35 years of research across Australia, this article shows that the para-digm of the XXe century has prevented Durkheim to see the importance of the relation to land in the cosmology and ritual practices of Aboriginal people. This paradigm also ignored the reticular dynamism of their totemic cartographies that since colonization

    * Une version courte de ce texte a t prsente au Colloque Les formes lmentaires de la vie religieuse de Durkheim. Perspectives pour lanthropologie , (6-8 juin 2012) clbrant le centenaire du livre, la session douverture Ethnographie et thorie , cole Normale Suprieure (Ulm), organis par Perig Pitrou et Frdric Keck, en collaboration avec le muse du quai Branly et le Collge de France.

    http://dx.doi.org/10.1590/S0104-71832014000100014

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    Indigenous Australians have been reactualizing through art and social struggles. The Indigenous empowerment through speech and other expressions of their systems of knowledge questions the contemporary legitimacy of ancient interpretations. While Durkheim and others are patrimonialized into Western heritage, they become foun-dation myths of social sciences which are sometimes opposed to the recognition of the people they studied. Consequently anthropology is confronted to an ethical and political problem.

    Keywords: Australia, indigenous empowerment, patrimonialization, totemic cartographies.

    The Elementary Forms was created in an effort to answer Spencer and Gillen, and to glue society and religion together again. In the process, it often misrepresented their account, yet without amounting to a total

    falsifi cation of their ethnography. It is instead an imaginative re-construction, which involved its author in developing a whole new seminal

    theory of his own. The work is both a transfi guration of Spencer and Gillens Australia and a transfi guration of the old Durkheimian Australia.

    (Watts Miller, 2012)

    Durkheim est-il bon penser pour les Aborignes daujourdhui? La question est la fois thorique, pragmatique et politique. En effet, si les Aborignes furent bon penser les sciences sociales depuis leur cration, celles-ci furent secoues ces trente dernires annes par lintroduction de lhis-toire dans la thorie anthropologique, particulirement celle des populations considres jusque l sans histoire , alors que leur histoire est non seulement orale mais aussi constitue dune multitude dar chives visuelles et matrielles prcoloniales. La question interroge ainsi dune part le statut de Durkheim comme un des mythes fondateurs des sciences sociales et dautre part le statut de la prise de parole des populations tudies au regard de lhistoire de lanthropologie et des observations ethnographiques contemporaines.

    Les donnes sur les peuples premiers dAustralie ont contribu aux fon-dements des sciences sociales, depuis Durkheim et Mauss Lvi-Strauss, en passant par Freud (1975). Or la prise de parole et les activits aborignes des dernires dcennies telles les innovations rituelles, les luttes pour la recon-naissance de leurs sites sacrs et les peintures totmiques sur toile remettent

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    en question certains des paradigmes fonds sur les anciennes interprtations du totmisme. Face la colonisation, les Aborignes se sont battus pour ac-qurir des droits la citoyennet australienne, mais, quils vivent dans des communauts recules du dsert, des rivires et des ctes du nord, ou bien en ville, la majorit continue de rsister aux nouvelles formes dassimilation force, ou de rejet stigmatisant, en insistant sur leurs particularits culturelles et ontologiques, mme si beaucoup sont mtisss depuis des gnrations. Lhistoire particulire de lAustralie qui, sous prtexte de mtissage et de po-litique de blanchiment , a spar entre 1905 et les annes 1970 un enfant sur cinq de leurs parents, pour les loigner de leur milieu aborigne, a cr ce paradoxe : la souffrance du dni colonial des origines a suscit un mouvement de revendication de telles origines et un refus de reconnaissance du mtis-sage. Nommer les degrs de mtissage est considr comme une dmarche coloniale dnigrante de lintgrit des personnes qui choisissent de sidenti-fi er comme Aborignes et Black, noires , quelle que soit leur couleur de peau. LAboriginalit concerne tous les descendants : en ce sens elle nest pas essentialiste mais construite par diverses expriences dhritage tant culturel quhistorique, qui impliquent souvent un partage de souffrance, de rejet, de rsistance et de crativit.

    Nous allons voir que les lments aborignes qui insistent sur leur spcifi cit et persistent dans leurs modes dexistence actuels comme traits de leur singularit ne semblent pas correspondre aux formes lmentaires dgages par Durkheim. A ce titre, je ne pense pas que ses interprtations des Aborignes puissent nous aider comprendre leur singularit ou les questions que les religions posent aujourdhui; je doute mme quelles clairent le sys-tme spirituel et la socit aborigne de la fi n du XIXe sicle. En revanche, jai pour hypothse que certains agencements qui caractrisent la spiritualit abo-rigne contemporaine y compris la manire dont ils rejettent ou absorbent la christianisme nous aident comprendre quelque chose de leur perception que jappelle rticulaire et qui, malgr les alas de la colonisation, conti-nue mettre en lien toutes les dimensions de la vie. Des formes transversales lhumanit se dgagent de bien des tudes des peuples autochtones dAus-tralie mais aussi dailleurs, qui dplacent les questions de Durkheim, en sor-tant lhumanit de ses catgories exclusives culture/nature, individu/socit, corps/esprit, imaginaire/rel pour apprhender lhumain dans un projet cosophique, o se nouent, au sens de Flix Guattari, ce quil appelait trois

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    cologies : environnementale ( la fois nature et technique), sociale et men-tale, un nouveau paradigme la fois esthtique, thique et politique (Guattari, 1989; Guattari; Rolnik, 1986).

    Totmisme ou Dreamings : des classifications aux rseaux

    La rinterprtation des cultures traditionnelles par elles-mmes nest pas nou-velle : pour beaucoup de peuples vivant de chasse et de cueillette, elle a t le propre mme de la survie, consistant, par exemple, toujours redonner du sens aux pratiques quotidiennes et aux vnements ponctuant les vies individuelles et collectives. La nouveaut vient de la confrontation souvent violente avec lOccident qui, ayant voulu les assimiler en dtruisant leur spcifi cit, produit maintenant un discours qui cherche assimiler leurs productions artistiques et musicales dans lhistoire de lart universel tout en leur dniant lauthenticit de leur tre social.Les voix des peuples autochtones sont dites ici et l [] Mais le discours des autochtones sur eux-mmes na pas droit de cit partout. (Glowczewski, 2004, p. 22).

    Les Aborignes se sont adapts aux moyens de leur poque les radios, les journaux, lart, la vido, le cinma, linternet, et la politique afi n de mettre en scne leurs valeurs et aussi diffuser leurs critiques pistmologiques de la manire dont ils sont strotyps et souvent discrimins. Ces strotypes, qui sappuient sur des archtypes volutionnistes au fondement de nos disci-plines, ne relvent pas que du pass colonial : ils guident encore les gouver-nements, les mdias et certains de nos collgues. Malgr le scepticisme des nostalgiques de lauthenticit suppose perdue des sauvages, bien des com-munauts aborignes en crant des coopratives dart dans les annes 1970 et 1980 ont russi faire reconnatre la singularit culturelle de mouvements artistiques locaux qui, depuis trente ans, renouvellent rgulirement le march mondial de lart contemporain avec des uvres qui ne fi nissent pas dtonner. Initi par des artistes de Papunya (Myers, 2002), lart des peintures dites points (dot paintings) ralises sur des toiles avec des couleurs lacrylique, dmontre la manire cartographique dont les Aborignes du dsert vivent encore ce que les anthropologues ont appel le totmisme et que le monde de lart appelle Dreamings , Rves, ou plutt comme lindique la forme progressive en anglais : ce qui est en train de rver .

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    Le terme Dreaming est une traduction, qui fut propose par Spencer et Gillen, de concepts cosmologiques des Arrernte (Aranda, Arunta) et de leur voisins qui dsignent par ce terme la fois des tres totmiques, les rcits my-thiques qui racontent leurs voyages et les itinraires gographiques qui relient les sites sacrs quils ont marqus sur leur passage. Dreaming dsigne aussi le temps de rfrence de ces actions ancestrales que jai propos de traduire par espace-temps du Rve plutt que temps du Rve , afi n dinsister sur le lien des totems non seulement avec un temps suppos mythique mais aussi un espace la fois physique et virtuel, en devenir dans toutes ses mani-festations dexistence, y compris les hommes (Glowczewski, 1991). Lusage de Dreaming a rencontr un succs mondial qui a cr autant de malentendus que le terme totem emprunt aux Algonkins dAmrique. Mais il reste que laspect totmique des Dreamings aborignes le plus revendiqu aujourdhui celui de liens spirituels avec des sites sacrs , bien quvoqu par Spencer et Gillen, fut peine comment par Durkheim. Il remarqua dans une note que les totems pouvaient tre des lieux mais sans mesurer limportance de ces processus didentifi cation entre des lieux diffrents et des personnes, hommes ou femmes, qui sont reconnus come les manifestations en devenir de plusieurs sites totmiques relis par des itinraires, et ce titre dots la fois de respon-sabilits rituelles et de droits fonciers qui les lient dautre dans des rseaux complexes et non pas des clans ferms.

    Jai pour hypothse que le contexte de pense de lpoque ne lui permettait pas comme beaucoup dautres de percevoir limportance sociale, poli-tique et existentielle de ces liens fonciers ni mme de visualiser le modle rticulaire dans lequel ils sexpriment. En effet, cest lenjeu politique de la lutte pour leur autodtermination qui a permis aux Aborignes de surligner limportance de leurs liens la terre en tant quautochtones et donc propri-taires lgitimes de terres dont ils avaient t spolis par la colonisation. Mais cest aussi un changement de paradigme occidental qui nous a permis de voir et symboliser lethnographie australienne autrement, ds lors que la rticula-rit de la projection des totems dans lespace est devenue intuitivement plus perceptible, notamment parce que depuis linternet, nous avons une pratique quotidienne des rseaux (Glowczewski, 2004, 2005, 2007).

    La lecture faite par Durkheim, et dautres aprs lui, des donnes abo-rignes disponibles, rduisit les descriptions minutieuses de Spencer et Gillen, ainsi que de quelques autres observateurs de terrain, des questions

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    de classifi cation et de religion, qui relevaient du paradigme classifi catoire et dualiste de leur poque, opposant individu et socit, nature et culture, corps et me, etc. En tmoigne notamment les dbats sur les esprits-enfants abori-gnes (totems dits de conception) dont linterprtation tait biaise par la tho-logie de limmacule conception : le dualisme du corps et de lesprit semblaient empcher des thoriciens de lpoque (et mme encore certains aujourdhui) de concevoir que les Aborignes puissent reconnatre le rle de lacte sexuel dans la reproduction tout en affi rmant que la conception dun enfant ncessite quun esprit-enfant se choisisse une mre et un pre, et annonce sa conception dans un rve que font soit les parents, soit des membres de la parentle. La psychanalyse nous a habitus relativiser ce dualisme du corps et de lesprit : de multiples facteurs peuvent entrer en jeu pour faire un enfant, le rapport sexuel ne suffi t pas. Un des enjeux des rves dannonciation de conception qui snoncent en termes de dsirs et parfois de confl it comme une pulsion de rve- est de reconnatre une autonomie lenfant, exprime par son totem dit de conception, la fois un nom totmique, un prnom (vers de chant condens) et un lieu. Ce totem de conception (ou Dreaming de conception, les Walrpiri disent kurruwalpa) entre dans une constellation dautres identifi cations tot-miques (images forces kuruwarri) qui constituent le territoire existentiel par-ticulier dune personne dont les agencements cartographiques se recomposent au cours de sa vie et de ses interactions avec dautres : processus exemplaire de la microsociologie de Tarde, soulign par Deleuze (1986) :

    Tarde disait ceci : un courant dimitation ou de propagation ne va pas dun indi-vidu un autre individu. Il va do o? Il va dun tat de croyance un tat de croyance ou dun tat de dsir un tat de dsir. [] a devient une trs grande ide qui na rien voir avec de la psychologie, mais qui a bien voir avec de la microsociologie. Les croyances et les dsirs sont les corpuscules sociaux. Vous voyez la force de la critique contre Durkheim : Durkheim en reste aux repr-sentations, il ne voit pas ce quil y a sous la reprsentation. Ce quil y a sous la reprsentation La reprsentation est un grand ensemble, cest une instance molaire. Sous les reprsentations, il y a les corpuscules de croyance et de dsir et les corpuscules de croyance et de dsir sont insparables dondes de propa-gation et londe de propagation de la croyance et du dsir, cest limitation [] limitation et linvention chez Tarde correspondent tout fait vous ne pouvez comprendre ce que je veux dire que un peu plus tard correspondent tout fait ce que Foucault appelle des rapports de force.

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    Deleuze (1986) ajoute quil y eu un dbat similaire entre Claude Lvi-Strauss et Edmund Leach, le premier fabriquant une macrosociologie des changes avec des structures molaires et le second, lui opposant des pratiques effectives, un rseau latral, transversal, en perptuel instabilit. Le dbat qui opposa en 1903 Durkheim Tarde tmoigne de larbitraire classifi catoire et du primat du symbolique (reprsentations collectives) qui sest impos en France dans une certaine fi liation dominante des thories en sciences sociales. En coutant sur le net leur dbat rejou mot pour mot par les philosophes Bruno Karsenti et Bruno Latour dans un sminaire aux USA,1 on peut ston-ner que les tudiants du dbut du XX sicle devaient tudier et discuter leurs arguments opposs cette poque, alors que lhistoire de nos disciplines a en-suite, pendant des dcennies, prfr enterrer Tarde. Or les travaux de Gilbert Simondon (1964), Deleuze et Guattari (1980), puis Bruno Latour (2002) ou Maurizio Lazaratto (1999, 2002) ont montr quel point la vision en fl ux de Tarde permet de mieux apprhender les phnomnes sociaux et conomiques de notre temps, en sortant notamment de lopposition entre individu et socit. Selon Tarde, lors de ce dbat qui lopposa Durkheim en 1903, des varits individuelles, des innovations et des lois de linvention se dgage une rsul-tante collective presque constante qui donne lieu lillusion ontologique de Monsieur Durkheim du fait social qui substitue milieu fantme aux relations toujours fl uctuantes.

    Bien que Durkheim ait gagn contre Tarde dans lhistoire patrimoniali-se de la sociologie, Tarde revient en force, comme le montre les travaux de Latour (2012, p. 13), critiquant Durkheim :

    Chose surprenante dans un livre qui annonce le passage des formes lmen-taires voluant, du moins le suppose-t-on, vers des formes plus volues, aucune transformation historique ne vient marquer la position faite lindividu : les Aborignes sont supposs bnfi cier exactement du mme appareillage psycho-logique que le rvolutionnaire en bonnet phrygien de 1789 ou le sujet contem-porain. Cette absence dhistoricit prouve quel point louvrage est anim par un problme que les donnes ethnographiques ne sauraient aucunement clairer.

    1 http://www.bruno-latour.fr/fr/node/435 : daprs des recherches originales dEduardo Vlana Varga et de Louise Salmon, mise en scne de F. Ait-Touati, fi lm de Martin Pavloff; http://anthem-group.net/tag/bruno-karsenti/.

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    Les donnes ethnographiques anciennes tordues par les dbats du XIXe sicle et du XXe- rsonnent autrement avec lethnographie plus rcente et le monde daujourdhui qui, notamment depuis lavnement dinternet, se pense en fl ux et rseaux dynamiques. Mais il reste que si Tarde mettait en avant linvention morale et la sociabilit, sans partager la vision quasi messianique dune suppose amlioration du monde par la science comme recherche de preuves pour prouver des faits selon Durkheim , il tait un homme de son poque model par la tendance quasi gnrale des humanistes navoir gure de recul sur la colonisation qui invoquait la ncessit de dpasser la suppose arriration des peuples coloniss au nom du progrs. Ds 1885, Clemenceau stait lui lev contre Le discours sur les droits et devoirs des races suprieures civiliser les races infrieures de Jules Ferry.2

    Le dernier sicle, et particulirement le tournant de ce millnaire, a d-montr lchec partiel de la course en avant du progrs, les limites supposes civilisatrices de lOccident, et la redcouverte de certains savoirs et pratiques des cultures anciennes comme valeurs contemporaines, non seulement pr-server au nom du patrimoine mondial, mais aussi exploiter pour rsoudre des problmes contemporains. En tmoigne, par exemple, les savoirs sur les plantes mdicinales et certaines techniques chamaniques popularises par les thrapeutes contemporains. Dune manire gnrale, cette reconnaissance de perspectives non occidentales nous invite dcoloniser la pense et nos disci-plines (Glowczewski, 2012).3

    2 Je rpte quil y a pour les races suprieures un droit, parce quil y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races infrieures. dit Jules Ferry en 1885 : Je ne comprends pas que nous nayons pas t unanimes ici nous lever dun seul bond pour protester violemment contre vos paroles. Non, il ny a pas de droit des nations dites suprieures contre les nations infrieures , lui rpondit alors le dput Clmenceau.

    3 Voir ce propos un change fi lm avec Eduardo Viveiros de Castro : Glowczewski B. (12 juillet 2011) : Dcoloniser lanthropologie : agencements et rseaux existentiels des peuples autochto-nes. , Dcolonisations de la pense. Anthropologie, philosophie et politique. (2) leons deleuzo-gua-tariennes , Journes Erraphis-Europhilosophie, Universit de Toulouse : http://choplair.com.free.fr/Europhilosophie/FIPS_videos/player.php?id=2011_12juil_glowczewski&auto=1. Voir aussi, deux au-tres confrences fi lmes de Glowczewski B. (26 avril 2013) : Dcoloniser lanthropologie : exemples australiens et franais (traduction en portugais par Claudia Fonseca), Porto Alegre, PPGAS/UFRGS Department seminar : https://vimeo.com/65924766; (12 aot 2013), Ethics of anthropological archi-ves : academic heritage and Indigenous priorities , Canberra, AIATSIS : http://vimeo.com/73112943.

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    Terrains et cartographies aborignes

    Je suis partie sur le terrain australien en 1979 nourrie dune approche poststructuraliste telle quenseigne au dpartement dethnologie de Robert Jaulin, avec Michel De Certeau ou Jean-Toussaint Desanti Paris 7-Jussieu, et par Deleuze, les cinastes exprimentaux ou encore les fministes Paris 8-Vincennes. La participation quasi quotidienne pendant cinq mois de danses, chants et peintures corporelles mis en uvre dans des rituels souvent spars pour les femmes et les hommes mais qui clbraient les mmes hros tot-miques-, me permit de dcouvrir une manire dtre collective en constante performativit. Le totmisme ntait pas une simple affaire de classifi cation mais un processus en devenir dans son actualisation rituelle sans cesse rejoue travers un jeu de rles o chacun tait matre (boss) de certains totems/Rves et assistant (worker/manager) dautres : matre (kirda) de totems/Rves quil ou elle appelait la fois pre et frre/soeur et assistant (kurdungurlu) de totems/rves appeles soit mre soit conjoint .

    Ces rles rituels taient dtermins par la parent dite de classes ou 8 sous-sections appeles noms de peau (skin names) par les Warlpiri et leurs voisins du dsert, tels les Aranda (Arrernte). De multiples quivalences et torsions taient sans cesse en jeu afi n de permettre aux gens de se situer les uns par rapport aux autres mme sils ntaient pas de la mme famille ou allis : toutes les relations se traduisaient en rgles idales de parent que, bien sur, on transgressait souvent mais dont la logique systmique (port par un cube ou groupe didrique) assurait une certaine codifi cation des rles au regard des diffrentes choses nommes dans la nature et la culture qui cou-vraient lensemble du rseau totmique et du territoire tribal. Ce systme tait dynamique et semblait se substituer lmergence de chefs. Les boss rituels changeaient selon les totems clbrs. Les matres dun totem donn ne pouvaient rien faire sans des assistants rituels qui dtenaient la loi et certains savoirs. Cette relation sinversait selon les totems et terres associs clbres. Les matres dune crmonie devenaient les assistants des matres dautres totems et terres lorsque ceux-ci clbraient leur rituel.

    Il en allait de mme entre les hommes et les femmes : les secrets et rituels des uns taient complmentaires des secrets et rituels des autres. Lexclusion rituelle de chaque genre travaillait produire une androgynie symbolique :

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    Barbara Glowczewski

    ce que jai appel des hyperfemmes et des hyperhommes , le modle didentifi cation des femmes aux diverses femmes-hommes mythiques ntant pas la mme chose que celui des hommes aux hommes-femmes mythiques (Glowczewski, 1991). Les modles mythiques tant ici ces tres totmiques de rve , pistes en devenir rejoues chaque rituel.

    Le territoire tribal dont hommes et femmes avaient le gardiennage rituel se dployait comme un rseau de lignes qui sentrecroisaient en distribuant tous des droits et des obligations rituelles spcifi ques sur des sries de lieux relis en fonction des identifi cations multiples de chacun collectives et indi-viduelles, tel lesprit totmique de conception ou les totems hrits du groupe paternel, par adoption ou dautres occasions. Un Warlpiri disait par exemple quil ou elle EST la fois Opossum, Prune et Graine dacacia, et aussi quil EST tel ou tel lieu, source ou rocher, o les tres Opossum, Prune ou Graine ont laiss soit leur empreinte soit une partie ou une excrtion mtamorphose de leur corps. Chaque naissance appelait de nouvelles interprtations des liens anciens alors que les tabous funraires obligeaient ne plus noncer certaines associations totmiques entre les lieux. Si certains rituels devenaient tabous le temps du deuil, de nouveaux mergeaient avec la rvlation onirique de chants et peintures corporelles penss comme des remmorations. Ces rves ractua-lisaient dans les rituels les liens entre les Dreamings/totems et les sites, crant ainsi une cartographie dynamique : les squences de rcits chants qui relient en ligne des centaines de lieux totmiques nomms se sont ainsi renouveles au cours du temps au rythme des morts, des naissances et de linterprtation des rves.

    Lorsque Flix Guattari lut ma thse de 3e cycle soutenue en 1982 aprs deux sjours de 5 mois en Australie, il remarqua que mes donnes et lanalyse que jen proposais lui voquaient Tarde plutt que Durkheim, et il trouva l un exemple dagencements collectifs et de production de territoires existentiels, et daffects a-signifi ants sarticulant dans les cartographies schizoanalytiques quil laborait lpoque (Glowczewski, 2011b ; Guattari, 1992 ; Guattari ; Glowczewski, 1987). Jtais partie en Australie, aprs une matrise sur les cinq sens et des fi lms exprimentaux la recherche dune perception senso-rielle qui ne passe pas par la reprsentation. Javais lu que les veuves abori-gnes (endeuilles ds le plus jeune ge en raison du mariage des petites fi lles des hommes jusque trente ans plus ges quelles) taient soumises un

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    tabou de silence pendant au moins deux ans en vivant ensemble dans un camp qui leur tait rserv, et javais postul quelles devaient avoir dvelopp une forme de communication et des pratiques propres leur genre. Je ne fus pas due en arrivant Lajamanu : les femmes taient en pleine activit rituelle pour un cycle initiatique sacr Kajirri dcrit vingt ans plus tt comme rserv aux hommes (Meggitt, 1966) : en fait les deux sexes travaillaient rituelle-ment de manire spare mais explicitement complmentaire en se concertant rgulirement sur les rituels faire. Dans un autre rituel intertribal et secret, que jai dcrit comme manifestation symbolique dune transition cono-mique ou encore culte du cargo ou culte historique (Glowczewski, 2002, 2004), les femmes avaient les mmes rles que les hommes : et les deux sexes taient initis ensemble. En 1984, je retrouvais la mme effervescence rituelle des femmes et des hommes. Lapprentissage de la langue warlpiri me permit denregistrer prs de 90 heures de rcits mythiques et de chants rituels correspondants et de rvlations oniriques, tout en photographiant les pein-tures et danses associes ces mmes parcours mythiques de site en site tot-mique. Lanalyse des chants et des peintures me rvla la spcifi cit de chaque univers totmique et leur logique de liens dans une cosmologie extrmement complexe et dynamique faite de singularits entrecroises.

    Pour comprendre ce que javais partag avec les Warlpiri sur le terrain, jai dabord cherch modliser avec une fi gure topologique lhypercube leur manire de se situer dans un rseau classifi catoire huit ples. Les 8 sous-sections des noms dits de peau (skin names) qui sont noncs comme un modle de lorganisation sociale et de la vie rituelle sont dmulti-plies en une multitude dagencements, que les Warlpiri (et leurs voisins du dsert) cartographient eux-mmes dans la gographie physique du dsert et de ses sites sacrs. A cette gographie correspond une gographie spirituelle des rcits mythiques des tres totmiques et des chants rituels qui relient ces sites comme des balises. Ces balises toponymes fonctionnent comme des empreintes, engrammes dune mmoire vivante, la fois pass idalis et virtualit en potentiel de nouveaux vnements (naissances, morts, alliances, confl its, phnomnes climatiques, etc.), notamment par linterprtation de cer-tains rves, rvls tant aux femmes quaux hommes, pour continuer relier les sites par des rcits, des chants et des peintures rituelles correspondantes et localiser les rfrents totmiques de chaque nouveau-n.

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    Dans cette approche cartographique dexpriences matrielles et immat-rielles, actuelles et virtuelles, les explications aborignes des rites, des mythes et des rites taient indispensables : il sagissait pour moi de montrer com-ment les Aborignes du dsert fabriquent du lien social et spirituel entre les hommes, avec les sites et les hros totmiques de ce rseau. Leurs explications et la traque systmatique dans la littrature australienne, alors trs abondante, des divers tabous rencontrs me permirent de dresser une sorte de matrice croise sur les contextes et les domaines de leur applications : dune part les tabous taient langagiers, spatiaux, sexuels ou relatifs aux biens, notamment alimentaires : dautre part ils sappliquaient presque toujours loccasion de quatre types de rituels diffrents : totmiques, de deuil, dinitiation ou de r-glement de confl it entre allis.

    Autrement dit, si quelque chose de normatif tabous et prescriptions totmiques des noms de peau permettait la reproduction du systme , ce que les Aborignes du dsert appellent la Loi, ce ntait qu la condition que tous les hommes et femmes du groupe linguistique continuent de faire des rituels en les rinterprtant , cest--dire en rvant des rvlations qui nourrissent cette reproduction. Ces rvlations perues comme des virtuali-ts de lespace-temps du rve remmorises par le rveur, se prsentaient sous forme dinnovations individuelles transposes dans des formes pour nous ar-tistiques (peintures, chants, danses) dans lesquelles le groupe se reconnat . Durkheim aurait peut-tre trouv l une confi rmation de sa thse sur lidal collectif et le statut du groupe mais Tarde aussi sur limitation et linnovation comme ondes de propagation qui traversent les individus, crant des terri-toires existentiels dont les agencements se recomposent sans cesse (Guattari, 1992 ; Guattari ; Glowczewski, 1987). Deleuze (1993, p. 83 citant en note Glowczewski, 1991) a reconnu ce processus de gestion collective des rves ancrs dans les parcours gographiques qui fabriquent des cartes la fois ima-ginaires et relles :

    Cest pourquoi limaginaire et le rel doivent tre plutt comme deux parties juxtaposables ou superposables dune mme trajectoire, deux faces qui ne cessent de schanger, miroir mobile. Ainsi les aborignes dAustralie joignent des itinraires nomades et des voyages en rve qui composent ensemble un en-tremaillage de parcours dans une immense dcoupe de lespace et du temps quil faut lire comme une carte .

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    Histoire et anthropologie : patrimonialisation vs rappropriations autochtones

    En 1991, un nouveau terrain sur la cte nord-ouest de lAustralie, me fi t dcouvrir des groupes en recomposition constante entre descendants dAbori-gnes reconnus gardiens des lieux et dautres exils de leurs terres dorigine. Il devaient sans cesse prouver leur lgitimit face aux injonctions gouverne-mentales qui, aprs des dcennies de dplacements forcs de leurs parents ou grands-parents dans les missions et rserves, exigeaient pour la reconnaissance de leurs droits quils dmontrent une continuit culturelle comme si ces al-as de lhistoire navaient pas exist. Les Aborignes semblaient eux ne tenir que par lalternance dalliances et de confl its qui les opposaient dans le cadre mme de lEtat australien. Il ny avait plus de socit aborigne palpable et pourtant, si ceux qui se disaient aborignes, mtis compris, vivaient en ap-parence comme les Blancs, ils valorisaient aussi leurs diffrences comme un systme qui aurait sa place souveraine au sein de la nation australienne alors mme quils taient rejets pour dautres diffrences interprtes comme un systme inconciliable avec les impratifs universalistes noncs par lEtat.

    Depuis la fi n des colonisations offi cielles, la plante ne semble plus auto-riser lexistence de socits coupes du reste du monde, mais les cultures is-sues de ces socits cherchent se mmorialiser dans des formes cratives de patrimonialisation. Les Etats occidentaux encouragent ce processus condi-tion que la culture sen tienne la reprsentation de son pass et dun espace clos restreint la famille, au voisinage (si pas trop communautariste) ou au spectacle. Or pour les acteurs concerns, la culture na de sens que si elle devient le socle mme des changes sociaux et politiques. Les Aborignes du dsert ont pens russir cet change avec leur mouvement de peintures lacrylique sur toile (transposant leurs rseaux territorialiss de mythes et itinraires totmiques) qui sont entrs en force sur le march de lart contem-porain. Trente ans plus tard, les collections de leurs oeuvres ont acquis une grande valeur en bourse, mais la souverainet aborigne sur leurs terres est crase au jour le jour et les rsistants aux injustices sociales souvent musels (Glowczewski, 2012). Partout en Australie des courants de peinture ont mer-g avec quelques artistes qui ont atteint une renomme mondiale : la plupart de ceux qui proviennent des communauts appuient leur art sur des rfrences totmiques et territoriales comme une affi rmation existentielle, une ontologie qui relie les humains tout ce quils ont nomms.

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    Il reste donc quen labsence de socits aborignes bien des indivi-dus ou collectifs aborignes sattachent certaines formes autrefois dcrites comme du totmisme (esprit-enfant, lien spirituel une terre, etc.) : sagit-il de formes lmentaires de la vie religieuse? Pour beaucoup cette spiritualit se marie avec lune ou lautre des glises chrtiennes, et pour dautres, elle se conjugue avec leurs convictions laques ou musulmanes. En ce sens, ces singularits existentielles aborignes plutt que de fonder des prmisses reli-gieux apparaissent comme des formes lmentaires de ce que Guattari (1989, 1992) a appel lcosophie (nouage de trois cologies : mentale, sociale et environnementale), un paradigme esthtique qui est la fois thique et poli-tique, un ancrage nomade de survie.

    Un rcent colloque consacr 1913. La recomposition de la science de lhomme rendait compte dun projet ANR de patrimonialisation des sa-voirs ethnographiques . Lors dune discussion, alors que javais questionn la pertinence dinterprter les dbats anciens sur le totmisme sans prendre en compte la parole des Aborignes qui se sont exprims depuis, lun des inter-venants me rpondit que les Aborignes daujourdhui nont (je cite) rien dire sur ce qui se disait deux lpoque car ce ne sont plus les mmes . Vieille rengaine de lauthenticit et de la lgitimit du lieu dnonciation dun savoir. Je racontais alors quen 2001, le muse du Victoria Melbourne a intgr aux cts dobjets dAustralie centrale collects par Gillen et prsen-ts dans lexposition permanente, une installation sur deux crans intitule The dialogue : dun ct un acteur joue le rle de lanthropologue Baldwin Spencer (Spencer; Gillen, 1899) qui, avec les arguments et prjugs de son poque, dialogue avec un acteur aborigne qui, sur lautre cran, interprte Irrapmwe, son principal informateur arrernte. Mais ce dernier remet en ques-tion ou prcise un certain nombre daffi rmations de Spencer en utilisant des arguments thiques de ces dernires dcennies, fonds sur la prise de parole et les droits autochtones de proprit collective et inalinable de leurs terres et de la proprit intellectuelle de leur savoirs traditionnels (Morton, 2004). Frdrico Rosa (2012) me rpondit alors vraiment ces Australiens sont trop politiquement corrects! .

    Ce court-circuitage dun sicle utilis des fi ns pdagogiques dans un muse peut apparatre comme un effet de style facile mais il pointe une ques-tion essentielle : le rapport politique lhistoire des ides. En effet lpoque de Durkheim qui utilisa les crits quasi contemporains de Spencer et Gillen

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    pour rdiger Les formes lmentaires de la vie religieuse certains faits ethno-graphiques quils ont relevs sont rests sans commentaire car le paradigme occidental dalors ne permettait pas de les comprendre. Il a fallu que nous changions de perception et de paradigme pour voir et comprendre autrement les donnes : particulirement, en ce qui concerne le rapport spirituel la terre pens comme un rseau de lieux inter-relis, en devenirs mouvants dans un espace-temps qui se rapproche plus des thories de la physique quantique et du cyberespace que des spculations religieuses lorigine de nos disciplines carteles dans les oppositions entre individu et socit ou nature et culture (Descola, 2005).

    Certes du point de vue de lpistmologie des sciences, les savoirs ethnographiques sont prserver mais il serait trange de patrimonialiser lanthropologie mme franaise sans prendre en compte les savoirs tels quexprims par les populations concernes par ces tudes depuis la fondation de la discipline et particulirement avec lindpendance et les revendications territoriales et de souverainet de ces peuples qui furent coloniss et abon-damment ethnologiss (Langton, 2011; Toussaint, 2006). En loccurrence le fait que Durkheim a projet la notion de moitis totmiques dans une fausse division de lespace territorial en deux est-il encore un savoir ? Pris dans le dualisme de son poque, il ne pouvait sans doute visualiser la territoria-lit aborigne dans un espace rticulaire.4 Or, les Aborignes ont labor leur totmisme rhizomique limage des rhizomes dignames qui parcourent le dsert; soit un de leur modle penser qui comme je lai soulign ailleurs nest devenu un savoir visible pour lOccident qu partir du moment o nous nous sommes familiariss avec des thories de fl ux et de rhizomes telles celles dveloppes par Tarde, puis Simondon, Deleuze et Guattari, et qui ont trouv cho dans le dveloppement rticulaire de linternet des annes 1990 (Glowczewski, 2007).

    Penser le totmisme australien comme une cartographie rhizomique ou rticulaire dintersubjectivation des humains et de tout ce qui est nomm

    4 Dans une note des Formes lmentaires, Durkheim signale que les totems peuvent parfois tre des lieux, sans mesurer le sens des descriptions totmiques de Spencer et Gillen (1899) qui eux-mmes nont pas mesur limportance du fait que chez les peuples du dsert et du nord tous les totems animaux, plantes, vent, pluie, mais aussi lance, objets, etc. sont dans un certain rapport didentifi cation avec plusieurs lieux relis par leurs mythes respectifs.

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    dplace la discussion telle que pose dans le texte co-crit par Durkheim et Mauss (1903) De quelques formes primitives de classifi cation . Ce texte, qui prfi gurait Les formes lmentaires de la vie religieuse, interrogeait les-sence et la hirarchie entre les diffrents totems auxquels une personne dit sidentifi er. Or plutt que de classer et sous-classer, il sagit de comprendre les formes de devenir (en warlpiri exprim par le postfi xe jarri) qui lient les humains (hommes et femmes) aux diffrents totems dont ils portent le nom, en interaction avec les responsabilits rituelles et leurs rles de gardiens fonciers qui varient selon les contextes. Les formes de devenir totmiques sont ainsi fl uctuantes, la fois spirituelles dans les rites et tangibles dans les corps, les animaux, les plantes, la terre, leau, le vent, etc. sous forme de traces, dem-preintes, de forces vitales. Empreintes comme des gnes disent certains Aborignes aujourdhui (en Warlpiri kuruwarri ) sans entendre la transmis-sion des gnes au sens dune fi liation exclusive, endogame ou raciale. Au contraire, quand un Aborigne dit je suis Opossum, Prune et Graine mais aussi tel ou tel site, la qualit commune nest pas tant une essence quune empreinte, combinable avec dautres empreintes, et qui porte une virtualit de devenir commun nouant le possible des humains avec tout le reste. Par dfi nition, on reproduit un totem en se mariant avec quelquun qui incarne une constellation de totems autres que les siens. Lexogamie totmique pose ainsi laltrit comme condition de la fi liation qui reproduit un systme dynamique dalliances.

    Javais commenc ma communication orale au colloque du centenaire Durkheim en retraant au feutre le dessin ralis dans le sable par Wanta Steven Patrick Jampijinpa, ancien instituteur warlpiri Lajamanu, concepteur du festival Milpirri, qui est depuis 2012 chercheur honoraire dans un pro-gramme de recherche sur les chants warlpiri Canberra. Jinvite les lecteurs voir par eux-mmes sur YouTube (Jampijinpa, 2006), le clip de Wanta qui commente son dessin tout en le traant avec un bton sur le sable, puis repre-nant dans une classe dcole, en montrant sur une peinture colore un autre rseau correspondant au dcoupage en quatre ensembles totmiques.

    Le dessin de Wanta est une manire warlpiri de rpondre la divergence entre Durkheim et Spencer et Gillen tel quanalys par William Watts Miller (2012) au colloque parisien du centenaire des Formes : ces derniers sparaient totmisme et organisation sociale alors que Durkheim les rassociait mais en sparant sacr et profane. Wanta, le Warlpiri, ne se situe pas dans le dualisme

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    ou la dualit de telles catgories. Son cadre de rfrence est un rseau qui relie entre eux ce quil dsigne en anglais comme cinq pillars, piliers : 1) ngur-ra la terre comme camp, site, chez soi , 2) kurruwari, le dreaming qui est et fait la Loi de tous les devenirs, 3) jardiwanpa, etc. toutes les diffrentes crmonies dont les rituels, chants, danses, peintures ractualisent les liens,; 4) la langue warlpiri; 5) walja, les relations de parent, qui associent les gens deux deux dans un jeu de relations correspondant un groupe didrique (le cube : modle logique du fameux systme dit classes qui a fait couler tant dencre chez les anthropologues comme chez les mathmaticiens.

    Les relations de ce cube ont rig les Aborignes comme le modle exemplaire du structures lmentaires de la parent, mais les recherches de Fred Myers auprs des Pintupi qui ne pratiquaient pas ce systme classifi catoire jusquaux annes 1930, lui a fait dire que les Pintupi seraient phnomnologiques, l o les Warlpiri seraient structuralistes. Certes, il y a des aspects fort diffrents dans lorganisation des modes dexistence des Warlpiri et des Pintupi, mais aussi diverses formes dinteractions (ladop-tion du systme des sous-sections par le Pintupi dans les annes 30 et divers changes rituels, intermariage, etc.) qui ractualisent leurs singula-rits respectives au-del de lopposition phnomnologique/structurale. Lavnement des peintures sur toile sur le march de lart contemporain initi par les Pintupi, les opposa dans un dbat dexperts rituels avec les Warlpiri. Le confl it sest dune certaine manire rsolu en faisant changer de pratique les uns et les autres : Les Warlpiri sopposaient ce que soient peints pour le publics le motifs totmiques sacrs dont les Pintupi, Warlpiri et autres groupes du dsert partagent les itinraires des Dreamings. Pour tous, ces motifs relvent dun processus dinitiation interne (bien que commun et ob-jet dchange entre la plupart des groupes du dsert et au-del entre initis, hommes ou femmes). Les Pintupi ont accept de changer la manire dont ils avaient commenc peindre afi n de rendre les motifs moins explicitement rituels, en systmatisant sur les fonds des toiles des textures de points (qui renvoient par ailleurs aux kuruwarri, et duvet ou coton sauvage des peintures corporelles masculines) et en supprimant les rfrences fi guratives aux objets sacrs et aux personnes (Myers, 2002). Les Warlpiri, qui avaient t choqus par lexposition des premires peinture sur toile pintupi quils avaient vu Paris en 1983, se sentirent ainsi encourags peindre leur tour sans ris-quer un sacrilge (Glowczewski, 2004).

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    Lorsquen 2005 YouTube a permis de poster des images sur le WEB gratuitement, les Aborignes se sont lancs avec enthousiasme; Wanta a alors aussi conu un festival, Milpirri, o les enfants dansent du hip hop ct des anciens qui chantent et dansent les voyages mythiques des hros totmiques, les images-forces kuruwarri : ctait sa rponse au suicide des jeunes.5 Les adultes et les enfants portent des vtements soient jaune, soit bleu, soit rouge soit vert, codes de couleur servant rpartir les diffrents kuruwarri, les to-tems avec leurs lieux et rituels associs, selon les quatre paires de classes (sous-sections) que tous les Aborignes du dsert et du nord appellent en an-glais des skin names, noms de peau . Le rseau des quatre couleurs et cinq piliers de Wanta nest ni structuraliste, ni phnomnologique, il est plutt une invention au sens tardien, traduisant une micropolitique devenue coso-phique (Guattari 1989, 1992) : celle dun Aborigne qui, de colonis par nais-sance, sest singularis dans une ligne de fuite, en fabriquant une innovation collective, en cristallisant les diverses transformations et diffi cults que son peuple a subies depuis la sdentarisation force en rserve dans les annes 1950 jusqu lintervention en 2007 de lEtat qui a interrompu le principe dautogestion instaur par les Warlpiri qui avaient gagn en 1978 leur reven-dication territoriale sur leurs terres spolies.

    Les savoirs des socits dOrient rudits dont les paroles ont t fi xes par crit se sont fait une place dans le champ universel des sciences, mais il encore de bon ton dans certains milieux de rejeter les savoirs dautres peuples sous prtexte quayant t sans criture avant leur colonisation, ils auraient t jusque l sans histoire et seraient condamns ne pas changer ni sautoriser interprter leur histoire et la cosmologie de leurs socits - sauf perdre non seulement leur authenticit, mais leur simple droit dexister comme diffrent et singulier. Or, les manires actuelles dont des membres de ces peuples sexpriment et interprtent leurs savoirs sont en train de d-fi er la fois le sens de lanthropologie et la lgitimit suppose des savoirs occidentaux.

    5 http://www.documentaryaustralia.com.au/fi lms/details/1551/milpirri-winds-of-change.

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    Devenirs

    Durkheim (2013, p. 3) crivait dans Les formes lmentaires de la vie religieuse :

    Les rites les plus barbares ou les plus bizarres, les mythes les plus tranges tra-duisent quelque besoin humain, quelque aspect de la vie soit individuelle soit sociale. Les raisons que le fi dle se donne lui-mme pour les justifi er peuvent tre, et sont mme le plus souvent, errones; les raisons vraies ne laissent pas dexister; cest affaire la science de les dcouvrir.

    Lenjeu pour Durkheim tant de trouver des lois qui puissent sappliquer toutes les socits au-del des spcifi cits locales, mais est-ce dire que les producteurs de ces rites et mythes ne peuvent pas aussi contribuer cette qute suppose rserve la science?

    Depuis une trentaine dannes, la prise de parole des peuples autochtones et la valorisation plus rcente des systmes de savoir indignes (notamment avec la promotion du patrimoine immatriel lONU) semblent rendre inac-tuelle la question de lerron et du vrai telle que pose par Durkheim son poque. En effet, lenjeu contemporain des sciences sociales je dirais mme leur priorit plutt que de dcouvrir les raisons vraies des rites et des mythes est plutt de comprendre la cohrence de ce qui, selon les autoch-tones fait systme de savoir . Systme nest pas entendu ici au sens dune reproductibilit atemporelle, mais, de ce qui, tout en se rfrant des savoirs hrits dune tradition (y compris la scientifi que), rsiste comme agencement dynamique permettant aux acteurs collectifs de tenir une singularit.

    Celle-ci peut souvent ne tenir qu se reconstruire rgulirement, ou selon les contextes, par-del les contingences historiques et la violence des transformations sociales (conomiques, politiques, environnementales, et aussi psychiques, religieuses) que les groupes concerns (ethniques ou chercheurs de telle ou telle cole) ont subi avec la colonisation jusquaux fl ux constants de la globalisation actuelle. Face cet impratif, ethnographier les rponses les plus singulires ne nous voue pas au relativisme culturel mais au contraire tenter de comprendre des formes transversales lespace et au temps luvre dans ce qui non seulement maintient ces singularits culturelles mais encore en fait merger de nouvelles.

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    Les sciences sociales et particulirement lanthropologie sont face une impasse si elles continuent se patrimonialiser par la seule voix de ceux qui se lgitiment de la fi liation de lhistoire de nos disciplines en intgrant les transformations de la pense occidentale dans une continuit fi ctive qui ne reconnat pas lapport de la performativit des tudis et les changements de paradigme quils ont induits (Glowczewski, 2012). Je laisse le dernier mot un jeune artiste aborigne du sud de lAustralie mondialement acclam, Brook Andrew (2013, p. 246) :

    Arguably, evolutionary theory is a backward invention fraught with confusion made into an absolute rule on how the other is seen. Therefore this means nothing to me or my family apart from the fact that we still cannot own our grandmothers traditional lands due to invasion/colonization. The idea of the pri-mitive is no more than a European fantasy my ancestors were mere uncivi-lized creatures who had no real human meaning in life. This objectifi cation is an insult to all humanity. This type of theory is redundant and never had any real truth other than a Western European ego and power over those who were not a mirror image of Emile Durkheim.

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    Recebido em: 31/08/2013Aprovado em: 17/12/2013