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formation | thérapeutique 14 OptionBio | Lundi 23 février 2009 | n° 413 L es biothérapies utilisant des anticorps monoclonaux dirigés contre des cytokines ou des récepteurs à la surface des cel- lules ont révolutionné le traitement des maladies systémi- ques, de certaines hémopathies et de la sclérose en plaques. Leur mode d’action consiste en une inhibition des réponses immunes cellulaires ou humorales ou en l’inhibition directe de cytokines impliquées dans la physiopathologie de ces maladies. La classification actuelle de ces biothérapies distingue les anti- corps monoclonaux et les protéines analogues ou antagonistes des récepteurs (tableau I). Les anti-tumor necrosis factor α Les anti-tumor necrosis factor α (anti-TNFα) ont la capacité de bloquer le TNFα. Trois molécules sont commercialisées, qui sont soit des anticorps monoclonaux : infliximab (Remicade ® ), adali- mumab (Humira ® ) ; soit un récepteur soluble couplé à une partie constante d’immunoglobuline : étanercept (Enbrel ® ). Les données de tolérance de ces molécules sont plutôt bonnes, avec toutefois une augmentation modérée du risque d’infections bactériennes sévères et un risque accru de tuberculose, en par- ticulier de réactivation d’une tuberculose latente (risque relatif de l’ordre de 7 à 17 par rapport à la population générale). Ce risque est plus élevé avec les anticorps monoclonaux qu’avec l’étanercept. Des recommandations sur la prophylaxie antituberculeuse et l’utilisation de ces molécules ont été réévaluées par l’Assaps en France en 2005 (figure 1). Un registre national regroupant tous les cas d’infections oppor- tunistes, d’infections bactériennes graves et de lymphomes a été établi (registre RATIO). Ce registre, dont les objectifs sont de décrire les infections opportunistes survenant chez les patients sous anti-TNFα, d’étudier les facteurs de risque et d’estimer l’incidence des infections opportunistes, regroupe tous les patients entre février 2004 et février 2007 (tableau II). Pendant la période 2005-2007, 57 711 patients-année ont été traités en France par anti-TNFα (49 % étanercept, 33 % infliximab, 18 % adalimumab) ; 276 cas d’événements liés au traitement ont été notifiés (169 infections opportunistes, 70 infections bactériennes graves, 37 lymphomes) (tableau III). Risques infectieux et anticorps monoclonaux utilisés pour le traitement des maladies systémiques ou hématologiques Les nouvelles molécules issues des biothérapies (anticorps monoclonaux ou récepteurs à la surface de cellules) ont révolutionné le traitement des maladies systémiques, de certaines hémopathies et de la sclérose en plaques. Toutefois, ces molécules s’accompagnent d’un risque élevé d’infections opportunistes, majoré pour l’anti-TNF alpha, et justifient d’un dépistage précoce des infections latentes et la mise en place de traitements prophylactiques pour en limiter la morbidité. Tableau I. Classification des nouvelles biothérapies Anticorps monoclonaux Anticorps anti-TNFα (Remicade ® , Humira ® ) Anticorps anti-CD20 (Mabthera ® ) Anticorps LFA (Raptiva ® ) Anti-CD52 (MabCampath ® ) Anti-intégrine α 4 (Tysabri ® ) Protéines analogues ou antagonistes de récepteurs Récepteur soluble du TNF (Enbrel ® ) Analogue de l’IL-1 RA (Kineret ® ) Protéine de l’antigène CTLA4 des lymphocytes (Orencia ® ) Tableau II. Affections déclarées dans le cadre du RATIO Infection opportuniste Tuberculose ou mycobactériose atypique Mycose systémique Listériose Légionellose Salmonellose Parasitose opportuniste Virose opportuniste Toute autre infection opportuniste Infection bactérienne grave nécessitant une hospitalisation Septicémie Arthrite septique Fasciite nécrosante Méningite Lymphome Figure 1. Recommandations de prophylaxie antituberculeuse, Afssaps 2002 | (actualisées en 2005) IDR : intradermoréaction – RIF : rifampicine – INH : isoniazide

Risques infectieux et anticorps monoclonaux utilisés pour le traitement des maladies systémiques ou hématologiques

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14 OptionBio | Lundi 23 février 2009 | n° 413

Les biothérapies utilisant des anticorps monoclonaux dirigés contre des cytokines ou des récepteurs à la surface des cel-lules ont révolutionné le traitement des maladies systémi-

ques, de certaines hémopathies et de la sclérose en plaques. Leur mode d’action consiste en une inhibition des réponses immunes cellulaires ou humorales ou en l’inhibition directe de cytokines impliquées dans la physiopathologie de ces maladies.La classification actuelle de ces biothérapies distingue les anti-corps monoclonaux et les protéines analogues ou antagonistes des récepteurs (tableau I).

Les anti-tumor necrosis factor αLes anti-tumor necrosis factor α (anti-TNFα) ont la capacité de bloquer le TNFα. Trois molécules sont commercialisées, qui sont soit des anticorps monoclonaux : infliximab (Remicade®), adali-mumab (Humira®) ; soit un récepteur soluble couplé à une partie constante d’immunoglobuline : étanercept (Enbrel®).

Les données de tolérance de ces molécules sont plutôt bonnes, avec toutefois une augmentation modérée du risque d’infections bactériennes sévères et un risque accru de tuberculose, en par-ticulier de réactivation d’une tuberculose latente (risque relatif de l’ordre de 7 à 17 par rapport à la population générale). Ce risque est plus élevé avec les anticorps monoclonaux qu’avec l’étanercept.Des recommandations sur la prophylaxie antituberculeuse et l’utilisation de ces molécules ont été réévaluées par l’Assaps en France en 2005 (figure 1).Un registre national regroupant tous les cas d’infections oppor-tunistes, d’infections bactériennes graves et de lymphomes a été établi (registre RATIO). Ce registre, dont les objectifs sont de décrire les infections opportunistes survenant chez les patients sous anti-TNFα, d’étudier les facteurs de risque et d’estimer l’incidence des infections opportunistes, regroupe tous les patients entre février 2004 et février 2007 (tableau II).Pendant la période 2005-2007, 57 711 patients-année ont été traités en France par anti-TNFα (49 % étanercept, 33 % infliximab, 18 % adalimumab) ; 276 cas d’événements liés au traitement ont été notifiés (169 infections opportunistes, 70 infections bactériennes graves, 37 lymphomes) (tableau III).

Risques infectieux et anticorps monoclonaux utilisés pour le traitement des maladies systémiques ou hématologiques

Les nouvelles molécules issues des biothérapies (anticorps monoclonaux ou récepteurs à la surface de cellules) ont révolutionné le traitement des maladies systémiques, de certaines hémopathies et de la sclérose en plaques. Toutefois, ces molécules s’accompagnent d’un risque élevé d’infections opportunistes, majoré pour l’anti-TNF alpha, et justifient d’un dépistage précoce des infections latentes et la mise en place de traitements prophylactiques pour en limiter la morbidité.

Tableau I. Classification des nouvelles biothérapies

Anticorps monoclonaux

Anticorps anti-TNFα (Remicade®, Humira®)

Anticorps anti-CD20 (Mabthera®)

Anticorps LFA (Raptiva®)

Anti-CD52 (MabCampath®)

Anti-intégrine α 4 (Tysabri®)

Protéines analogues ou antagonistes de récepteurs

Récepteur soluble du TNF (Enbrel®)

Analogue de l’IL-1 RA (Kineret®)

Protéine de l’antigène CTLA4 des lymphocytes (Orencia®)

Tableau II. Affections déclarées dans le cadre du RATIO

Infection opportuniste Tuberculose ou mycobactériose atypique

Mycose systémique

Listériose

Légionellose

Salmonellose

Parasitose opportuniste

Virose opportuniste

Toute autre infection opportuniste

Infection bactérienne grave nécessitant une hospitalisation

Septicémie

Arthrite septique

Fasciite nécrosante

Méningite

Lymphome

Figure 1. Recommandations de prophylaxie antituberculeuse, Afssaps 2002 |(actualisées en 2005) IDR : intradermoréaction – RIF : rifampicine – INH : isoniazide

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L’âge moyen était de 54 ans ; 63 % des patients étaient des femmes. Le délai entre le début du traitement et l’apparition des symptômes des infections opportunistes était en moyenne de 53 semaines (2-192).Dix-huit pour cent des cas ont justifié une hospitalisation en réanimation et 5 % de décès ont été enregistrés.Malgré la prophylaxie, le risque de tuberculose persiste (69 cas en 3 ans) avec une atteinte extrapulmonaire dans 55 % des cas. L’incidence de la tuberculose chez les patients traités par anti-TNFα est estimée à 39,2/100 000 (6,0/100 000 sous éta-nercept, 71,5/100 000 sous adalimumab et infliximab).Des infections à germes à multiplication intracellulaire sont également décrites, en particulier la légionellose (26 cas sur-venus en 3 ans, tous d’origine communautaire).L’incidence de la légionellose dans la population générale est de 2/100 000. Elle est nettement plus élevée chez les patients sous anti-TNFα, avec un risque relatif compris entre 16,5 et 21/100 000.Il semblerait que la prise en compte de ce risque justifie d’em-blée chez les patients sous anti-TNFα et développant une pneu-monie un traitement par les fluoroquinolones.Concernant les autres biothérapies disponibles et également utilisées dans les maladies systémiques et hématologiques, très peu d’études ont été effectuées.

L’anti-CD20L’anti-CD20, rituximab (Mabthera®), est un anticorps monoclonal chimérique recombinant qui cible les lymphocytes B. Il entraîne une lymphopénie B sanguine profonde et prolongée et, à plus long terme, une hypogammaglobulinémie qui peut être sévère.Cette molécule est indiquée dans le traitement des lymphomes non hodgkiniens en association à une chimiothérapie, dans le traitement de la polyarthrite rhumatoïde sévère ou réfractaire et hors AMM (autorisation de mise sur le marché) au cours de certaines maladies systémiques (vascularites ou lupus érythé-mateux disséminé, LED).La prise de rituximab majore le risque d’infection. Des infec-tions sévères à germes pyogènes ont été décrites ainsi que de très rares cas de leucoencéphalopathie multifocale progressive (LEMP) (<1/10 000).

L’alemtuzumabL’alemtuzumab (MabCampath®) est un anticorps monoclonal huma-nisé anti-CD52 spécifique d’une glycoprotéine CD52 exprimée à la surface des lymphocytes périphériques. Il induit une déplétion lymphocytaire importante et prolongée, s’accompagnant d’un ris-que élevé d’infections opportunistes. L’utilisation de cette molécule impose chez les patients une prophylaxie de la pneumocytose.

Le natalizumabLe natalizumab (Tysabri®) est un anticorps monoclonal anti-intégrine α1-4.Cette molécule est indiquée en monothérapie dans le traitement des formes très actives de sclérose en plaques.Depuis la commercialisation de ce médicament, 5 cas de LEMP ont été déclarés chez 17 000 patients traités. Bien qu’il soit difficile d’établir des chiffres précis sur l’incidence, la survenue de ces cas montre que même si elle est très rare, les prescrip-teurs doivent être alertés afin de dépister tôt cette infection très grave.À côté des anticorps monoclonaux, d’autres agents synthétisés par génie génétique sont disponibles.

L’anakinraL’anakinra (Kineret®) est un antagoniste de LEMP sous natalizu-mab compétitif de l’IL-1 utilisé dans la polyarthrite rhumatoïde. Son efficacité paraît aussi bonne que celle de l’anti-TNFα, mais cette molécule semble augmenter le risque de pneumonie.

L’abataceptL’abatacept (Orencia®) agit sur la costimulation entre les lympho-cytes T et les cellules présentatrices d’antigène (module de façon sélective la costimulation et bloque l’activation des lymphocytes T). Cette molécule est utilisée dans la polyarthrite rhumatoïde, en cas d’échec des anti-TNFα. D’après les premières études de phase 2 et de phase 3, la prise de cette molécule ne semble pas augmenter le risque d’infections pulmonaires.

En conclusionCes nouvelles molécules issues des biothérapies ont toutes un rapport bénéfice/risque positif.Elles sont amenées à se développer dans les années à venir.Le risque infectieux n’est pas négligeable pour certaines d’entres elles (risque plus élevé avec les anticorps monoclonaux qu’avec les récepteurs solubles et clairement majoré sous anti-TNFα).Des mesures simples, visant à dépister et à traiter toute infec-tion latente avant de débuter le traitement, et à évoquer une infection opportuniste devant tout syndrome infectieux chez un patient traité, permettent le plus souvent d’éviter une morbidité importante par ces infections. |

CHANTAL BERTHOLOM

professeur de microbiologie

École nationale de physique-chimie-biologie, Paris (75)

[email protected]

Tableau III. Infections bactériennes sous anti-TNFαAnti-TNFα Méthotrexate

Incidence d’infection bactérienne 2,7 % 2 %

Pneumopathie/sinusite 25 23

Cellulite/tissus mous 23 17

Bactériémie /sepsis 7 8

Infection urinaire 8 10

Infection postopératoire 7 5

Infection sur cathéter 6 4

Arthrite septique 4 4

Infection abdominale 2 8

Sinusite 3 0

Ostéomyélite 13Étude rétrospective sur 2 933 patients. Suivi médian : 17 mois. Curtis JR et al. Risk of serious bacterial infections among rheumatoid arthritis patients exposed to tumor necrosis factor alpha antagonists. Arthritis Rheum. 2007 ; 56 (4) : 1125-33.

SourceCommunication de D. Salmon-Céron, 9e Colloque Maurice Rapin, Infections chez l’immu-nodéprimé, 17 octobre 2008, Paris.