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S’ajuster, interpr´ eter et qualifier une pratique culturelle : Approche communicationnelle de la visite mus´ eale Camille Jutant To cite this version: Camille Jutant. S’ajuster, interpr´ eter et qualifier une pratique culturelle : Approche communi- cationnelle de la visite mus´ eale. Sciences de l’information et de la communication. Universit´ e d’Avignon, 2011. Fran¸ cais. . HAL Id: tel-00819239 https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00819239 Submitted on 30 Apr 2013 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destin´ ee au d´ epˆ ot et ` a la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publi´ es ou non, ´ emanant des ´ etablissements d’enseignement et de recherche fran¸cais ou ´ etrangers, des laboratoires publics ou priv´ es.

S'ajuster, interpréter et qualifier une pratique culturelle : Approche

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  • Sajuster, interpreter et qualifier une pratique culturelle

    : Approche communicationnelle de la visite museale

    Camille Jutant

    To cite this version:

    Camille Jutant. Sajuster, interpreter et qualifier une pratique culturelle : Approche communi-cationnelle de la visite museale. Sciences de linformation et de la communication. UniversitedAvignon, 2011. Francais. .

    HAL Id: tel-00819239

    https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00819239

    Submitted on 30 Apr 2013

    HAL is a multi-disciplinary open accessarchive for the deposit and dissemination of sci-entific research documents, whether they are pub-lished or not. The documents may come fromteaching and research institutions in France orabroad, or from public or private research centers.

    Larchive ouverte pluridisciplinaire HAL, estdestinee au depot et a la diffusion de documentsscientifiques de niveau recherche, publies ou non,emanant des etablissements denseignement et derecherche francais ou etrangers, des laboratoirespublics ou prives.

    https://hal.archives-ouvertes.frhttps://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00819239

  • UNIVERSIT DAVIGNON ET DES PAYS DE VAUCLUSE COLE DOCTORALE

    537 Culture et Patrimoine

    UNIVERSIT DU QUBEC MONTRAL

    PROGRAMME INTERNATIONAL DE DOCTORAT CONJOINT

    EN MUSEOLOGIE, MEDIATION ET PATRIMOINE

    Thse de doctorat conduite en vue de lobtention des grades de :

    DOCTEUR EN SCIENCES DE LINFORMATION ET DE LA COMMUNICATION

    &

    PHILOSOPHI DOCTOR, Ph. D

    CAMILLE JUTANT

    SAJUSTER, INTERPRTER ET QUALIFIER UNE PRATIQUE CULTURELLE

    Approche communicationnelle de la visite musale

    Sous la direction de Messieurs des Professeurs Yves Jeanneret et Bernard Schiele

    Soutenue le 18 novembre 2011

    Jury :

    Monsieur YVES JEANNERET, Professeur lUniversit Paris IV CELSA

    Monsieur BERNARD SCHIELE, Professeur lUniversit du Qubec Montral

    Madame JOLLE LE MAREC, Professeur lUniversit Paris VII Denis Diderot

    Madame ANIK MEUNIER, Professeur lUniversit du Qubec Montral

    Monsieur JEAN DAVALLON, Professeur lUniversit dAvignon et des Pays de Vaucluse

    Madame ANNIE GENTS, Matre de confrences, Habilite diriger les recherches

    Tlcom ParisTech

    Madame ANNE KREBS, chef du service tudes et Recherche du Muse du Louvre

  • 2

  • 3

    Remerciements :

    Mes remerciements vont, en premier lieu, mes deux directeurs de thse. Cest une grande

    chance que davoir appris auprs deux deux lexercice de la recherche. Monsieur le

    professeur Yves Jeanneret, pour sa grande confiance, pour son coute toujours gnreuse et

    pour avoir insuffl tant de profondeur nos changes. Monsieur le professeur Bernard

    Schiele, pour mavoir accueillie Montral, notamment dans ce sminaire sur les

    reprsentations sociales , quil avait donn lUQAM et qui a chang ma faon de voir les

    interactions.

    Je remercie les membres du jury, Madame le Professeur Jolle Le Marec, Madame le

    Professeur Annik Meunier, Madame le Matre de confrence habilite diriger les recherches,

    Annie Gents, Madame Anne Krebs, Chef du service Etudes et Recherches du Muse du

    Louvre, Monsieur le Professeur Jean Davallon.

    Cest eux, trs prcisment, que je dois mon engagement dans cette thse.

    Je remercie les membres de lquipe Culture et Communication de lUniversit dAvignon et

    des pays de Vaucluse, auprs de qui laventure de la thse a pris le chemin chaleureux de

    lapprentissage du mtier denseignant-chercheur, Emilie Flon, pour sa grande amiti, Ccile

    Tardy, Daniel Jacobi, Emmanuel Ethis, Marie-Hlne Poggi, Genevive Landier, Agns de

    Victor et Pascale Di Domenico.

    Je remercie tous les membres du Programme international de doctorat en Musologie,

    Mdiation et Patrimoine conjoint de lUniversit dAvignon et des pays de Vaucluse et de

    lUniversit du Qubec Montral, monsieur le professeur Yves Bergeron, monsieur le

    professeur Raymond Montpetit, madame le professeur Catherine Saouter, madame Lise Jarry

    et mes amis dun bout lautre de latlantique, Anne Watremez, Amlie Gigure, Marie

    Lavorel, Marie-Elisabeth Laberge, Caroline Buffoni, Cline Schall, Johanne Tremblay,

    Mylne Coste, Emilie Pamart, Julie Pasquer, Camille Moulinier, Cheikhouna Beye, Perrine

    Boutin, Cline Calif, Jessica Cendoya, Tanguy Cornu, Fanchon Deflaux, Anneliese Depoux,

    Bessem el Fellah, Pierre Lagrange, Olivier Lefalher, Pierric Lehmann, Aude Seurrat, Virginie

    Soulier, Mathieur Dormaels, Stphane Belin.

    Je remercie les membres du dpartement Sciences conomiques et sociales de lcole

    nationale suprieure Tlcom ParisTech, auprs de qui jai eu la chance de travailler pendant

    deux ans et demi. Maya Bacache, Grard Pogorel, Nicolas Auray, Jrome Denis, Valrie

    Beaudoin, Christian Liccope et Marie Baquero.

    Je remercie lquipe du projet de recherche PLUG, avec qui jai appris regarder un jeu

    informatis dans un muse. Coline Aunis, Isabelle Astic, Areti Damala, Michel Simatic, Eric

    Gressier-Soudan, Emmanuel Zaza.

    Je remercie aussi les membres du service Etudes et Recherche du muse du Louvre pour

    mavoir aide, pendant mon enqute sur lexposition Sainte Russie , et pour mavoir

    accueillie, il y a peu. Florence Caro, Caterina Renzi, Marieke Quillou, Aline Lorenzini,

    Thomas Besanon.

  • 4

    Je remercie les enquts de mes deux terrains de recherche, qui ont bien voulu se plier

    lexercice de lenqute, porter des micros, parler haute voix dans les salles, courir, rflchir,

    rler, rire et me raconter tant de choses si prcieuses qui nappartiennent qu eux, mais que

    jespre avoir compris et analys la hauteur de la confiance quils mont accorde.

    Je veux remercier, enfin, ceux qui ont port cette thse, depuis le dbut, avec douceur,

    humour et indulgence.

    Hcate Vergopoulos, pour sa fulgurance rieuse et sa bienveillance, Galle Lesaffre, pour sa

    ptillance et son intelligence de chat, et Michal Bourgatte, pour sa sagesse humoristique et sa

    tendresse si profonde, mes surs et frre dont lamiti inestimable est la trouvaille la plus

    prcieuse de cette thse. Cinq ans dj quon se connat.

    Vanessa Desclaux, pilier incontestable depuis toujours, qui ne renoncera jamais, Julia Decas

    princesse et coach, lintelligence redoutable.

    Sylvain Arnautou, dans les montagnes ou sur leau depuis 20 ans. Laura Manzano, si chre et

    trop loin. Alice Mouly et Thophane Cotte, pour les bonheurs quils dispensent, jour aprs

    jour. Aude Guyot, complice des dispositifs pervasifs et perle sur deux continents. David

    Chauvet, colocataire pour la vie. Franois Huguet, toile attache plusieurs patries.

    Cline Lantrade, Camille Escorneboueu, Olivier Tamagnon, Milia, qui me font respirer

    chaque t, entre mes livres et mon ordinateur.

    Laura Cortes, son cocido de lamiti. Eduardo Navarro, Javier Laporta, Bernardo Rodriguez,

    Chlo Salmona, Ana Reed, Ana et Antonio Lopez-Meseguer, Olga et Javi Lopez, Rocio

    Misfut, Diego Blanca, Ludovic Assemat.

    Laure Montcel, Olivia Frederick, Elisabeth Jamot, et Rachid Hamouda, profonde amiti

    scelle depuis les cours de smiotique.

    Cline France, sur jumelle. Aurore Duprey, Marc Bienaim, Landre et Zlie, qui ont abrit

    tant de joies avignonnaises.

    Clmentine Brun, Pierre Monteil, Lula et Billie Rose, qui ont russi ce que peu arrivent

    faire. Solveig Tavernier, Hortense Marin-Calenge et Fredrique Calenge, Elsa Janssen et

    Martin Bourboulon, Axel de Julien, Jrome Guernaouti, Antoine Thibault, Jean Ledoux,

    Vassili Vergopoulos et Eleni, Sylvain et Lo, Matthieu et Diane, Marie Cambone, Axelle

    Beth et Virginie dAllens.

    Ma famille si prcieuse. Dominique Bessone et Catherine Maine, mes balises. Lala, soeur

    ane relectrice de bibliographie, Carten, Clara et Lucia Sorensen-Saenz-Diez. Batrice, ma

    chre marraine et son coute tendre, Rob, Ben et Sophie Cooper. Josette, Alain, Fabrice,

    Margaux Jutant, Marie-Pierre, Franois et Coline Vallat. Annette et Fernand Chaussebourg,

    Nicole Charras, Genevire et Yves Suzor, Chantal et Marc Sorkine, Nolle Chikri et Didier.

    Enfin, mes chers parents, formidables artisans de la confiance, qui mont appris lajustement

    jour aprs jour et qui ont accompagn ce travail avec une bienveillance infinie et de

    nombreuses questions.

  • 5

    SOMMAIRE

    INTRODUCTION ............................................................................................. 11

    PREMIRE PARTIE

    Un cadre pour lanalyse de lajustement ........................................................ 31

    CHAPITRE PREMIER

    Introduction thorique : Les thories de lajustement ............................................... 37

    1. LES METHODES DU SENS COMMUN DE LETHNOMETHODOLOGIE .......................... 39 1.1 La structure formelle des activits courantes .................................................... 39 1.2 Rflexivit et indexicalit ................................................................................. 42

    1.3 Le fondement communicationnel des pratiques de sens commun .................... 46

    1.4 Analyse critique du modle communicationnel du breaching experiment ....... 47

    2. LA REPRESENTATION SOCIALE CHEZ SERGE MOSCOVICI ET LANALYSE DE LEFFICACE DU SENS COMMUN ...................................................................................... 50

    2.1 Les reprsentations sociales chez Serge Moscovici : la circulation sociale du savoir scientifique ...................................................................................................... 51

    2.2 Lanalyse communicationnelle des reprsentations sociales ............................ 57 2.3 Vers une thorie des composites : le rle des reprsentations dans la recherche .................................................................................................................... 64

    3. DISPOSITIFS, USAGES ET INTERACTION MEDIATISEE ............................................. 70 3.1 Lusage face lobjet technique ....................................................................... 71

    3.2 Usages et reprsentations sociales .................................................................... 73 3.3 Ostension, implication et prdilection .............................................................. 75

    CHAPITRE DEUXIME Description de lexposition Sainte Russie et du jeu PLUG Les secrets du

    muse ............................................................................................................................ 79

    1. UNE EXPOSITION TEMPORAIRE DANS LE HALL NAPOLEON DU MUSEE DU LOUVRE : SAINTE RUSSIE LART RUSSE DES ORIGINES A PIERRE LE GRAND ........................ 84

    1.1 Prsentation de lexposition .............................................................................. 84

    1.2 Quel statut donner lexposition Sainte Russie ? ...................................... 89 2. LE JEU PEDAGOGIQUE PLUG AU MUSEE DES ARTS ET METIERS ..................... 96

    2.1 Le projet de recherche sur les technologies pervasives .................................... 97 2.2 Considrer le jeu PLUG comme un dispositif de mdiation .................... 107

    CHAPITRE TROISIME Description des enqutes .............................................................................................. 115

    1. LES ENQUETES MUSEALES .................................................................................. 117 1.1 Exposition, visiteur, communication .............................................................. 117

    1.2 Brve introduction lhistoire de lvaluation ............................................... 119 1.3 Mthodologies croises : le parcours au muse .............................................. 127

    2. ANALYSER LE ROLE DU CORPS DANS UNE SITUATION DE COMMUNICATION ....... 132

    2.1 Corps et postures............................................................................................. 132

  • 6

    2.2 Le corps mdiateur, la comptence esthsique ......................................... 135

    3. DEUX DISPOSITIFS DENQUETE ........................................................................... 141 3.1 Un dispositif technique et ludique de mdiation dans le muse des Arts et Mtiers...................................................................................................................... 141

    3.2 Une exposition dart religieux dans le Muse du Louvre ............................... 146

    DEUXIME PARTIE

    Observer lajustement entre le visiteur et lexposition par lentre du texte

    et de la lecture .................................................................................................. 157

    CHAPITRE QUATRIME

    Introduction thorique : Texte, activit de lecture et construction de la visite ...... 167

    1. CONTEXTE ET ACTIVITE(S) DE LECTURE ............................................................. 168

    1.1 criture et figure de lecteur ............................................................................ 168 1.2 Activits de lecture, usage du texte, usage dans le texte ................................ 171 1.3 Investissement prophtique du texte et de la lecture ...................................... 173

    2. LES TEXTES DANS LEXPOSITION SAINTE RUSSIE ET DANS LE JEU PLUG 176

    2.1 Prgnance du texte .......................................................................................... 176 2.2 Lanalyse des objets du corpus ....................................................................... 178

    CHAPITRE CINQUIME

    Les modalits de captation de lattention - Relation du texte son contexte ......... 183

    1. LORGANISATION DU SIGNE PAR LA SURFACE .................................................... 187

    1.1 Et le panneau devient texte ............................................................................. 190 1.2 cran et organisation smiotique .................................................................... 195

    2. COMPOSITIONS ET RYTHMES SEMIOTIQUES ........................................................ 198

    2.1 La ressemblance et la rptition comme oprateurs de lattention ................. 198

    2.2 La diffrence comme oprateur de la distinction des registres de lattention 205 3. DES SYSTEMES HETEROCENTRIQUES .................................................................. 209

    3.1 Renvois et dlgation dictique ...................................................................... 209

    3.2 La focalisation interne et la ngation de la coupure smiotique ..................... 216

    CHAPITRE SIXIME

    Activit (s) de lecture .................................................................................................... 221

    1. ANTICIPER ET CONSTRUIRE LACTIVITE DE LECTURE ......................................... 234 1.1 Engager un comportement de lecture ............................................................. 234 1.2 Engager un parcours de lecture....................................................................... 249

    1.3 Lecture fixe et lecture mobile : reprsentations et implication....................... 255 2. LE SIGNE ECRIT COMME INTERMEDIAIRE DANS UN PROGRAMME DACTIVITES DE

    VISITE . .261 2.1 Anticiper lactivit dans le texte ..................................................................... 262

    2.2 Dployer un programme dactivit par le texte .............................................. 267

  • 7

    TROISIME PARTIE

    Identifier et vivre lexposition en tant quinteraction mdiatise .............. 275

    CHAPITRE SEPTIEME

    Introduction thorique : Visite, dispositif et confiance ............................................. 285

    1. LE DISPOSITIF ET LANTICIPATION DE LA COMMUNICATION ............................... 287

    1.1 La notion de dispositif .................................................................................... 287 1.2 Dispositif et rflexivit ................................................................................... 290

    2. DISPOSITIF ET CONFIANCE .................................................................................. 293 2.1 Espaces transitionnels et exprience culturelle............................................... 293 2.2 Logique dispositive ................................................................................... 296

    CHAPITRE HUITIME

    La visite : Vivre une interaction mdiatise ............................................................... 301

    1. LINTERACTION : LA FIGURE DU FACE-A-FACE ? ................................................ 303 1.1 La mtaphore du dialogue .............................................................................. 303 1.2 Le travail interprtatif requis des visiteurs ..................................................... 307

    2. LINTERACTION MEDIATISEE : LE GESTE EXPOGRAPHIQUE ................................. 311 2.1 Lpaisseur du dispositif lapprhension de lespace ................................ 314

    2.2 Identifier un geste expographique .................................................................. 315 3. LEXPOSITION : UN CONTEXTE DE RECEPTION SPECIFIQUE ................................. 323

    3.1 Lindit et la culture mdiatique ..................................................................... 324 3.2 Une suspension volontaire de lincrdulit..................................................... 329

    CHAPITRE NEUVIEME Lanalyse dun fonctionnement mdiatique .............................................................. 333

    1. UN ENSEMBLE DE TENSIONS ENTRE PROMESSE ET REALITE ................................ 335

    1.1 Un dcalage entre le lu et le vu dans lexposition .......................................... 336

    1.2 Visiter et jouer ................................................................................................ 342 2. OPPOSITION ENTRE SENS ET PARCOURS .............................................................. 353

    2.1 Configuration de lespace et parcours ............................................................ 354 2.2 Parcours chaotique contre sens traditionnel ................................................... 357

    CHAPITRE DIXIEME Formes de lajustement la situation de communication ........................................ 361

    1. MOBILISER DES FIGURES DE LA VISITE ............................................................... 363 1.1 La notion de figure.......................................................................................... 363 1.2 La circulation des figures................................................................................ 368

    1.3 Produire des figures de circulation dans Sainte Russie ............................ 377 1.4 Produire des figures du visiteur ...................................................................... 383

    2. ENTRER EN PERFORMANCE ET PRISE DE ROLE .................................................... 393 2.1 Gestes exploratoires et gestes autoriss .......................................................... 394

    2.2 La plasticit des prises de rle ........................................................................ 396 3. DIRE ET VIVRE SES ACTIONS ............................................................................... 407

    3.1 Figurations de laction .................................................................................... 407 3.2 Drouler lajustement ..................................................................................... 410

  • 8

    CONCLUSION ................................................................................................ 417

    RFRENCES BIBLIOGRAPHIQUES ...................................................... 427

    ANNEXES ........................................................................................................ 441

    Annexe n 1 Illustrations de lexposition Sainte Russie , Muse du Louvre ......... 445 Annexes n 2 Illustrations Projet PLUG Muse des arts et mtiers ......................... 455 Annexe n 3 Analyse des usages du terme pervasif et illustrations de projets et de

    jeux pervasifs .................................................................................................................. 461 Annexe n 4 Outils mthodologiques grilles dentretien et dobservation .............. 468 Annexe n 5 Modalits dengagement des visiteurs dans lenqute ........................... 475 Annexe n 6 Textes et contexte ................................................................................... 479 Annexe n7 Analyse des panneaux dans lexposition Sainte Russie .......................... 495 Annexe n 8 Outils danalyse pour le corpus de rcits itinrants et dentretiens mens

    dans lexposition Sainte Russie ................................................................................ 500 Annexe n9 Exemples dentretiens mens pour lexposition Sainte Russie et pour le jeu

    Plug les secrets du muse .................................................................................... 551

  • 9

  • 10

  • 11

    INTRODUCTION

  • 12

  • 13

    Que fait-on lorsquon visite un muse ? Lorsquon utilise un guide multimdia dans les salles

    dune exposition ? Lorsquon se penche pour lire un cartel pos prs dune vitrine ?

    Lorsquon cherche le sens du parcours de visite ? En somme, lorsquon fait lexprience

    dune activit culturelle organise et prsente comme telle ? Autrement dit, quelles sont les

    relations entre la pratique culturelle et lexprience que constitue la visite musale ?

    En reprenant lexpression de Jean-Claude Passeron, on pourra dire que les pratiques

    culturelles, dont la visite de muse fait partie, font lobjet dinjonctions politiques,

    conomiques et sociales. force de prcher le devoir de pratiquer culturellement, il est

    invitable quon multiplie dabord les pratiques distraites. 1 Cette thse voudrait dfendre

    lide que lattention des acteurs sociaux, si elle est en effet sollicite, est certainement plus

    oblique que distraite, mais plus aigu aussi.

    Lobjectif gnral de la recherche consiste en une analyse des pratiques de visite dexposition,

    dans les muses, en tant quelles rendent compte, dune certaine faon, du processus

    communicationnel qui sopre entre les acteurs sociaux, les objets culturels et les lieux

    institus comme lieux culturels. De faon plus prcise, la thse souhaite contribuer

    comprendre comment le visiteur interprte et vit la situation de visite, comment il reconstruit

    la situation de communication que lexposition engage et comment il joue le rle du

    visiteur .

    Cest la piste de lajustement qui est propose dans la thse et qui a articul les diffrentes

    analyses autour de la spcificit de cette exprience qui met des individus au contact dobjets

    culturels, selon les modalits particulires de la mdiation expositionnelle et musale. Cette

    proposition de lajustement dsigne un rgime dinteraction au cours duquel, lacteur

    sengage dans un corps--corps avec un dispositif de communication et interprte la situation

    (c'est--dire quil la com-prend et la juge) en mobilisant des reprsentations de cette situation

    et en dployant un travail rflexif sur sa posture de visiteur.

    Cette introduction gnrale veut prsenter la dmarche mise en uvre pour cette recherche.

    Elle dveloppe tout dabord la rflexion mene sur le choix du terme dajustement et prsente

    le cadre problmatique gnral de la thse. Elle revient, ensuite, sur les trois ples qui forment

    1 Passeron, J. C., 2006, Le raisonnement sociologique : un espace non popperien de largumentation, Paris, Albon Michel, p.429.

  • 14

    le cur de notre objet de recherche : exposition, visiteur et visite. Enfin, elle dcrit les terrains

    de recherche choisis pour la thse. Dans un dernier temps, elle requalifie la dmarche adopte

    vis--vis de ces terrains partir de deux grandes pistes danalyse formules pendant le travail,

    puis elle prsente les dix chapitres du mmoire de thse.

    Lajustement

    Prcisons cette proposition. Pourquoi avoir choisi le terme dajustement ?

    Le terme est issu, selon le dictionnaire historique de la langue franaise, du mot juste et sest

    form partir du verbe ajuster , qui sest dvelopp selon deux acceptions, technique et

    figure. Lemploi technique du terme permet de penser lajustement comme laction de rendre

    une chose propre sa destination. On retrouve ce sens dans le vocabulaire du travail sur les

    pices de monnaie auxquelles on donne les bonnes dimensions et dans le vocabulaire de la

    mcanique. Lajustement implique ainsi deux lments qui sont en relation dextriorit, en

    loccurrence une pice extrieure contenante et une pice intrieure contenue. Ds lors, cest

    le jeu et les relations de serrage, de blocage, de glissement qui sont observs afin de

    dterminer la variation possible dans les dimensions dune mme pice. Lajustement est donc

    un systme de tolrance ; il postule la possibilit dune adquation imparfaite entre des

    lments et il permet cette imperfection. Si lon se rfre au sens figur du terme, on observe

    finalement quil rabat la notion sur une logique de ladaptation. Quon pense la faon dont

    Marcel Detienne et Jean-Pierre Vernant dcrivent la mtis grecque2. Il sagit de mettre en

    accord, dadapter convenablement une chose une autre, arranger, et viser juste, c'est--dire

    viser laccord.

    Parler dajustement, dans cette thse, est une proposition pour qualifier la relation du visiteur

    lexposition. Si lon suit les dfinitions qui viennent dtre donnes, cette proposition

    implique donc de considrer le visiteur et lexposition en situation dextriorit lun vis--vis

    de lautre. Si cette remarque semble vidente, le fait de considrer la relation entre le visiteur

    et lexposition comme une interaction lest peut-tre moins. Qui interagit ? Qui ragit ?

    Lexposition est-elle, au mme titre que le visiteur, un actant de la situation de

    communication ? Peut-on dire que lexposition agit ? Ces questions ne semblent pas si

    banales lorsquon se rend compte que les visiteurs mobilisent fortement le registre de

    linteraction, dans leur discours, et lorsquon ne cesse dentendre que les dispositifs

    2 Detienne, M., Vernant, J. P., 1974, Les ruses de lintelligence : la mtis chez les Grecs, Paris, Flammarion.

  • 15

    techniques ragissent nos interventions. Le recours la notion dinteraction mdiatise

    permet dapporter au moins un lment de rponse.

    Parler dajustement est aussi une faon de mettre en lumire le rapport physique entre le

    visiteur et lexposition. En dautres termes, le corps du visiteur, tout comme la matrialit des

    objets, doivent devenir une unit dobservation fondamentale. La question du corps pour les

    dispositifs numriques de mdiation est particulirement intressante considrer, tant les

    mtaphores de limmersion, de la dmatrialisation et de lintuitif sont toujours prsentes dans

    les discours circulants. La notion dintuitif, par exemple, a un succs particulier dans le

    monde des nouvelles technologies et du design. Or dire quun outil est intuitif ne revient-il

    pas nier la capacit dinterprtation de lindividu, nier le statut dobjet intellectuel au

    mdia, tant limmdiatet suppose de lutilisation fait limpasse sur lapprhension de loutil,

    la comprhension de son fonctionnement et linterprtation de ses signes, fussent-ils

    exclusivement plastiques ?

    Aussi, ces questions permettront dajouter que si le terme dajustement a t choisi, dans cette

    thse, cest prcisment parce quil donne une grande place au processus dinterprtation ; il

    porte en lui lanticipation de lactivit de rencontre entre deux lments extrieurs, mais

    surtout il implique lanalyse et linterprtation de llment extrieur. Lajustement, la

    diffrence de linteraction, est sens unique, sinon on parlerait dajustement mutuel. Dans le

    cas de lexposition, il concerne le travail que fait lacteur dans le cours de son activit de

    visite, mais qui se caractrise par le choix de laisser lexposition une place quasiment

    actorielle. En cela, la notion dajustement est proche de celle dengagement dfinie par

    Laurent Thvenot. Lengagement met laccent sur une dpendance au monde dont la

    personne se soucie et cherche sassurer des bienfaits en disposant de gages appropris. En

    cela, lengagement vise une matrise, un pouvoir entendu dans un sens plus ouvert que

    lacception courante du terme pouvoir par les sciences sociales et politiques. Lengagement

    vise faire dune dpendance un pouvoir 3.

    3 Thvenot, L., 2006, Laction au pluriel, Sociologie des rgimes dengagement, Paris, La Dcouverte, p.238.

  • 16

    Le cadre problmatique

    La construction du cadre problmatique gnral de la thse sest opre partir de la mise au

    jour de trois niveaux de questionnement, distincts, mis en jeu par le choix de ce terme

    dajustement.

    Un premier niveau de questions concerne le rapport qui peut stablir entre exprience

    spcifique de la culture et relation la culture. En dautres termes comment slabore la

    relation entre le hic & nunc de lexprience et la construction dune reprsentation de la

    culture ? La thse fait, ainsi, lhypothse quil existe bien une relation entre lici et maintenant

    de lexprience et un rapport plus gnral, parce que le dispositif engage une mmoire sociale

    et anticipe un pouvoir dire et un pouvoir faire qui devraient, en toute logique, mettre les

    individus face une charge idologique et non pas seulement pratique de leurs usages des

    dispositifs. Le parti-pris initial qui dirige cette hypothse est que la question de savoir ce qui

    fait culture pour un acteur social est dterminante de ses expriences.

    Le rapport gnral la culture peut tre abord de deux faons : en convoquant lhorizon

    dune thorie de lidentit (comment le rle de visiteur rvle une identit culturelle ?

    Comment la mobilisation de reprsentations rvle lintriorisation de normes de

    comportement ? etc.) qui nest pas lobjectif de la thse ; ou en mobilisant lhorizon dune

    thorie de linterprtation (comment la culture comme catgorie spcifique de certains

    objets, comme tre culturel, comme valeur lorsquelle est mdiatise, fait lobjet dun

    ajustement entre pratiques, reprsentations, production despace de comprhension et offre

    ainsi un espace de rflexivit ?) qui est bien lobjectif de la thse. Rappelons avec Guillaume

    Soulez, que faire lexprience dun mdia est aussi une activit par laquelle on sexpose au

    moment mme o lon veut faire partie dun ensemble, et non pas seulement un moment o

    lon ramne des programmes vers soi, ou vers sa communaut. Il y a en ce sens avec la

    tlvision une publicit plus motive et morale quidentitaire ou politique stricto sensu, qui

    comporte une exposition, cest--dire un risque 4.

    On interroge donc ici le rapport qui stablit entre la teneur des savoirs dans les

    reprsentations sociales de la culture et les diffrentes modalits de la communication.

    4 Soulez, G., 2004, Nous sommes le public. Apports de la rhtorique { lanalyse des publics , Rseaux, 126, p.140.

  • 17

    Un deuxime niveau de questionnement concerne la nature du lien entre dispositifs qui

    engagent la visite et individus-visiteurs. Dans la prsentation de louvrage collectif sur la

    rception des objets mdiatiques5, Quentin Deluermoz rappelle que lintrt pour la question

    de la rception et des usages sest formalis partir des annes soixante. Au cours des

    dernires dcennies, le cheminement de cette dernire (la recherche en matire de rception

    mdiatique) a t domin par le dbat qui oppose ceux qui sont convaincus de la force

    dimposition des messages ceux qui soulignent la libert dont jouissent les rcepteurs.

    Initialement a prim la certitude de la force persuasive des mdias et de la vulnrabilit des

    rcepteurs ; attitude lie la reprsentation dun public en quelque sorte rifi, dont tait

    postul le caractre monolithique. () Face au tableau dune emprise davantage postule que

    prouve, un autre courant a conduit labandon de la croyance nave en lautomaticit des

    effets produits. Lide de la soumission passive, de limpact direct a, ds les lendemains de la

    Seconde Guerre mondiale, laisse, peu peu, la place la certitude de la capacit pour

    lindividu dchapper aux contraintes, de transgresser les normes, et de rsister aux

    reprsentations que lon tentait de lui imposer. 6

    Comment se dmarquer la fois des approches de la contrainte et de celles de lindividu-

    crateur ? Si lon reprend lanalyse de lexposition en tant quespace de mdiation, on peut

    penser lactivit dinterprtation des visiteurs dans un rapport dajustement la proposition de

    lexposition, en dehors dun modle dopposition contrainte/libert. Ce type danalyse rcuse

    aussi la sparation des catgories de rception et de production au profit dune rflexion sur

    lespace de mdiation construit par lcriture des discours, lanticipation des rapports

    communicationnels et linterprtation acte. Elle interroge donc les catgories de la

    rception et de lusage des dispositifs . Le lien entre figures et pratiques, discours et

    interprtation, production et reconnaissance, est au cur du questionnement sur la nature du

    processus de communication depuis longtemps. Le travail sur la notion de figure de lecteur,

    par exemple, ou les tudes sur linscription dune anticipation des rapports possibles de

    communication, dans les dispositifs et les textes, tmoignent de la spcificit de lexprience

    mdiatique7. Ils impliquent aussi quil existerait des comptences communicationnelles.

    5 Cet ouvrage naborde pas les formes culturelles telles que lexposition ou le muse. 6 Deluermoz, Q., 2010, "Lattention qui se concentre et se disperse". La question de la rception en sciences sociales : enjeux et perspectives , in Goetschel, P., Jost, F., Tsikounas, M., (dir.), 2010, Lire, voir, entendre, la rception des objets mdiatiques, Paris, Publications de la Sorbonne, p.17. 7 Vron, E., 1983, Quand lire cest faire : lnonciation dans le discours de la presse crite , in Veron, E. (dir.), 1983, Smiotique II, Paris, IREP, pp.33-56. Jost, F., 1997, La promesse des genres , Rseaux, 81, pp. 11-31.

  • 18

    Un auteur comme Landoswki propose de dire que, dans les interactions qui relvent de

    lajustement, cest au contraire dans linteraction mme, en fonction de ce chacun des

    participants rencontre, et plus prcisment () sent dans la manire dagir de son partenaire,

    ou de son adversaire, que les principes mmes de linteraction mergent peu peu 8.

    Dplacer cette analyse au profit du questionnement sur la relation qui se noue entre exposition

    et visiteur permet de renouveler le terme de rception au profit dune situation

    dinterprtation toujours en suspens de ce qui est en train de se drouler et de se dcouvrir. Le

    visiteur apparat comme un tre tourn vers le dispositif, qui offre des prises, et comme un

    tre qui se saisit de ces prises pour en tirer parti.

    De nombreux observateurs notent que dans le domaine des tudes de publics, au muse les

    univers de pratiques sont constamment rapports une analyse des situations de visite,

    dmarche qui atteste dun pragmatisme des acteurs, de prises de risques calcules, bien plus

    que dune inertie face au monde de la culture et de ses institutions emblmatiques 9. Dans

    cette perspective, le dernier niveau de questionnement concerne donc le statut de la

    pratique dfinie par les individus eux-mmes. En somme, dans la mesure o la thse souhaite

    sappuyer sur lexprience de visiteurs, il devient crucial de se demander par quoi passe

    lanalyse que font les visiteurs de leur propre pratique de visite.

    Nous voulons dfendre que, dans le cadre dexpriences comme la visite dune exposition, ou

    dun jeu informatis de mdiation, les acteurs sont conscients que ce qui compte, ce nest pas

    uniquement ce quon leur dit, mais surtout la faon dont ils sont impliqus dans le dispositif.

    Nous croyons que lexprience de communication engage llaboration et le faonnage dune

    rflexivit particulire de la part des acteurs. Et dans le cas de lexposition ou du dispositif de

    mdiation, cest lensemble de la relation avec la communication et la culture comme valeur

    qui est construit, interrog.

    Au regard de ces trois questionnements, deux hypothses principales de recherche ont t

    poses :

    Eco, U., 1985, Lector in fabula, le rle du lecteur ou la coopration interprtative dans les textes narratifs , Paris, Grasset. 8 Landowski, E., 2005, Les interactions risques, Nouveaux Actes Smiotiques, Limoges, PULIM, p.41. 9 Eidelman, J., Cordier, J. P., Letrait M., 2003, Catgories musales et identits de visiteurs , in Donnat, O., (dir.), 2003, Regards croiss sur les pratiques culturelles, Paris, La documentation franaise, p.189.

  • 19

    La premire hypothse pose que lexprience de visite est lexprience dune implication10

    particulire de communication engage par le dispositif, c'est--dire quelle se dploie partir

    de la faon dont le dispositif et les diffrents registres mdiatiques, anticipent la double

    activit du visiteur (usage du mdia spcifique et usage du dispositif dexposition tout entier).

    La seconde hypothse pose que lanalyse des pratiques de visite permet de mettre au jour

    llaboration dune rflexivit dans les expriences communicationnelles.

    Exposition, visiteur, visite

    Prcisons maintenant lespace de pratiques spcifique dans lequel se loge cette problmatique.

    Les objets qui la composent doivent tre prsents : exposition, visiteur, visite.

    Lexposition, en tant que forme et situation particulire, va tre analyse longuement au cours

    des chapitres du mmoire de thse. Pour guider nanmoins la lecture, on posera ici les bases

    dune rflexion sur la relation entre exposition et mdia.

    En effet, les recherches en musologie ont montr que lexposition, dans son fonctionnement

    communicationnel, pouvait tre compare un mdia. Eliseo Veron et Martine Levasseur, par

    exemple, la prsentent comme un mass-mdia11

    et ils rajoutent que les mdias produisent du

    sens par une combinatoire de trois ordres (linguistique, analogique et mtonymique), le

    niveau mtonymique tant celui du contact, et il sarticule par consquent toujours la

    corporit du sujet destinataire 12

    . Cet ordre mtonymique est selon les auteurs le registre

    privilgi du mdia exposition, il renvoie un talement spatial qui embraye sur le corps

    signifiant 13

    . Le comportement physique du visiteur devient le lieu dune analyse, pour les

    chercheurs, des dcalages entre les grammaires de production et les grammaires de

    reconnaissance des discours sociaux qui constituent lexposition. Or ce qui se joue dans

    lexposition est la construction de discours sur des objets particuliers (objets de patrimoine,

    objets scientifiques, etc.) ainsi que de discours sur la faon de comprendre et regarder ces

    10 Le terme est employ Yves Jeanneret. Il dsigne le fait que le dispositif engage, en plus dune proposition de communication, un espace de pratiques possibles qui fait ressource et contrainte pour le dploiement de lactivit communicationnelle elle-mme Jeanneret, Y., 2008, Penser la trivialit, volume 1, La vie triviale des tres culturels, Paris, Herms Lavoisier, p.167 11 la notion de mdia dsigne un support de sens, un lieu de production (et donc de manifestation) du sens. sur le plan du fonctionnement social, bien entendu, ces supports sont toujours le rsultat de dispositifs technologiques matrialiss dans des supports de sens socialement disponibles, accessibles lutilisation { un moment donn Vron, E., Levasseur, M., 1983, Ethnographie dune exposition Lespace,

    le corps et le sens, BPI - Centre Georges Pompidou, p.27 12 Ibid., p30. 13 Ibid., p.31.

  • 20

    objets. Si une activit communicative est prsente, rpondant une intention dinformer sur

    linformation donne, elle porte sur cet ensemble [lespace de lexposition] c'est--dire sur

    lexposition en totalit, entendue comme le rsultat des gestes de mise en exposition.

    Lexposition est dj en soi, comme geste de monstration, un acte de communication

    ostensive. Tout lexpos est bon voir et mrite attention ; () la dimension communicative

    est en quelque sorte plus importance que la dimension informative. 14

    Lanalyse de ces phnomnes renvoie la question trs complexe de ce quest loprativit

    symbolique des mdias. En quoi un dispositif nest pas seulement une machine organiser

    une pragmatique des changes, mais participe linstitution de rles, valeurs, attitudes sur la

    culture, dfinit des perspectives, implique lusager pour donner corps un partage de ces rles

    et valeurs ? Tous les dispositifs mdiatisant la communication partagent cette proprit

    dtablir un lien dans la discontinuit. 15

    La thse interroge, ainsi, le rapport entre mdiatisation et mdiation engages par lexposition

    et surtout prise en charge par le visiteur. Comment pour lui, lune et lautre sont effectivement

    articules ?

    La relation entre le visiteur et lexposition-objet culturel (et au-del, linstance

    productrice), dune part, ainsi que la relation entre le visiteur et lexpos (et au-del, le

    monde scientifique expos), dautre part, priment sur la production des effets de sens.

    Lorganisation formelle de lexposition est la mdiatisation de cette double relation ; c'est--

    dire quelle la matrialise selon les rgles du genre exposition, selon une technologie de la

    mise en exposition. Et cette mdiatisation introduit ainsi une mdiation entre le monde du

    visiteur et celui de la science [il sagit dune analyse de lexposition scientifique]. La

    mdiatisation est un phnomne mdiatique, la mdiation est un phnomne symbolique,

    anthropologique. 16

    On aura compris que cest bien le travail luvre des visiteurs qui compte dans ce travail.

    14 Davallon, J., 1999, Lexposition { luvre, Paris, LHarmattan, p.124 15 Jeanneret, Y., 2009, Linsaisissable oprativit des mdias informatiss : ingnierie mdiatique, prtention smiotique et industrie de la trivialit , in Pignier, N., (dir), 2009, De lexprience multimdia usages et pratiques culturelles, Paris, Herms Lavoisier, p.54. 16 Davallon, J., 1999, op. cit., note 52 de la p.76, pp.317-318.

  • 21

    Jean Davallon a montr justement que la construction de ce discours sur les objets, par

    lexposition, engageait la construction dun monde utopique. Il ne sagit pas du monde

    dorigine des objets, mais bien le monde possible vers lequel renvoie une exposition

    spcifique en tant quarticulation et documentation dun certain nombre dobjets. Ce monde

    est engag par lexposition, mais il est construit par le visiteur. Le monde utopique ne sera

    donc en aucun cas le texte dorigine [qui prside la construction de lexposition], ou sa copie

    conforme, mais la rsultante de la rencontre du visiteur et de lespace synthtique. Trs

    exactement, la rsultante de la rencontre de la logique qui organise le savoir amen par le

    spectateur avec la mise en forme de lespace synthtique. 17

    Les thories de lexposition en

    tant que mdia ont pour avantage de placer lexprience de visite au centre du fonctionnement

    de lexposition. La construction de lespace synthtique () concrtise, travers la mise en

    scne, linterprtation ou, si lon veut, la lecture du thme de lexposition et des objets faite

    par le concepteur. La visite revient la lecture de cette concrtisation. () ceci prs que la

    lecture faite par le visiteur nest pas un texte littraire crit, mais une srie dactions et de

    reprsentations : par ses dplacements, ses regards, ses actes, ses commentaires, il joue et

    interprte, au sens thtral du terme, lexposition 18

    .

    Pourquoi parler ici de visiteur et non pas dusager, dutilisateur, dacteur social ? quoi cette

    mention est-elle lie ? Sagit-il dune catgorie dacteurs ? Sagit-il dune comptence ? Dun

    rle ? Parler de visiteur dans lexposition engage parler de leur activit de visite, en tant

    quelle est une somme daction, mais aussi une pratique culturelle, connue et faisant lobjet de

    discours. La notion de visiteur prend ici des dimensions de gnralit, un peu comme la

    notion de public qui semble tre devenue une catgorie parmi celles qui instituent la situation

    thorique de communication.

    Ce qui fait que la visite est une situation passionnante tudier cest quelle renvoie vers une

    pratique et en mme temps, quelle est toujours, une situation indite. Pour reprendre

    lexpression dHana Gottesdiener, le visiteur ne sait pas ce quil va trouver dans lexposition

    et son exprience sapparente une promenade exploratoire 19

    et en mme temps, il se

    trouve pris dans une situation avec une charge symbolique trs forte, attache de

    17 Ibid., p.176. Lespace synthtique correspond { lespace organis de lexposition et cre par les concepteurs-ralisateurs partir des deux gestes fondamentaux selon Davallon, le geste de prlvement et de sparation des objets davec leur monde quotidien et le geste de mise en scne de ces objets, leur articulation entre eux et aux outils daide { la visite. 18 Ibid., p.188. 19 Gottesdiener, H., 1992, La lecture de textes dans les muses dart , Publics et Muses, 1, p.75.

  • 22

    nombreuses reprsentations, des normes, des conventions, des discours circulants politiques et

    idologiques, comme en tmoignent, par exemple, les dbats toujours vifs sur la

    dmocratisation de la culture.

    Cette remarque permet de dire que le point de vue dans la thse sera celui de la visite en tant

    quactivit communicationnelle, et non pas en tant quactivit sociale. En ce sens, lunit

    dobservation que nous avons privilgie nest pas le binme de visiteurs, le groupe ou mme

    le visiteur pris dans son appartenance sociale, mais le visiteur en tant quil interprte la

    situation, en tant quil est acteur de la situation de la communication et point de repre dune

    situation dnonciation. Cette position nimplique pas le fait de postuler un individu

    dsincarn et sans histoire sociale, au contraire, on mettra laccent sur ses comptences

    acquises et sur sa capacit mobiliser des reprsentations construites dans le temps. Aussi, on

    verra que le visiteur mobilise des reprsentations de la visite en tant que situation sociale et

    quelles sont fondamentales dans linterprtation quil fait de son rapport la culture.

    Une dernire remarque peut tre faite sur le statut qui est donn cette situation de visite. Est-

    elle une situation de sens commun, une situation quotidienne ? Si nous avons la prtention de

    tenter de comprendre la visite en tant quelle est une pratique, cest que nous imaginons avoir

    une prise avec nos terrains qui soit de lordre de la reproduction dune exprience ordinaire.

    Or ce nest pas le cas, les visiteurs interrogs sont dans des situations dextrme attention ce

    quils produisent. Donc lanalyse ne donne pas aux comportements observs le statut de

    comportements ordinaires, mais didaux types, dune certaine manire, dans la mesure o le

    visiteur slectionne et produit les caractres du visiter quils souhaitent voir mis en

    exergue, mais il le fait tout en interprtant une situation de communication et en mobilisant

    tout ce quil connat de ce type de situation.

    Deux terrains de recherche

    Lanalyse de deux terrains particuliers a permis de confronter ces diffrents questionnements.

    Lobjectif nest pas de comparer strictement ces deux terrains, mais plutt dexploiter un

    aller-retour entre deux situations spcifiques qui permettent de saisir la situation de visite. Ces

    deux terrains sont prsents dans la premire partie du mmoire de thse. Il sagit de

    lexposition temporaire Sainte Russie lArt russe des origines Pierre le Grand qui a eu

    lieu au Muse du Louvre, du 5 mars au 24 mai 2010 ; et du parcours ludique PLUG Les

    secrets du muse , qui a t organis dans les salles des collections permanentes du muse

  • 23

    des arts et mtiers. Le point commun de ces deux dispositifs est quils construisent un

    discours sur des objets, cheval entre un statut duvre dart et dobjets patrimoniaux et un

    statut dobjets du quotidien (inventions techniques et objets religieux). Ces deux terrains ont

    t mis en regard car ils permettent daborder diffremment la question des attentes associes

    lexprience de visite. Dans le premier cas, les visiteurs se retrouvent dans une situation qui

    correspond aux attentes quils peuvent se faire dune visite dun lieu patrimonial. Dans le

    second cas, les visiteurs sont invits jouer dans le muse et ainsi interroger leurs attentes

    vis--vis de cette situation particulire de visite, dont ils ne savent pas trs bien ce quelle

    engage.

    Ces deux terrains dploient donc deux situations de communication diffrente, qui renvoient

    vers une histoire spcifique des rapports entre objets, individus et dispositifs.

    ce titre, une remarque doit tre faite sur le statut accord au multimdia dans la thse. En

    effet, le jeu PLUG est un jeu sur tlphone portable dvelopp grce au financement dune

    recherche sur les jeux dits pervasifs , c'est--dire utilisant des technologies de rseaux

    distribus.

    Le fait de travailler sur lusage dun outil technique de mdiation, dans les salles du muse,

    impose un questionnement pralable sur les relations entre culture et multimdia. Leffort des

    institutions culturelles pour sengager sur le terrain de la mdiation numrique , mais aussi

    tout simplement lactualit conomique et politique des usages des technologies

    informatises20

    , impliquent une rflexion sur le statut de ce type dobjets.

    Les dispositifs informatiss peuvent tre dcrits dans leur spcificit, commencer par la co-

    prsence de deux logiques htrognes : une logique du sens et une logique du calcul. Xavier

    Sense dfinit lcriture informatise ainsi : Dire dun document quil est cod

    numriquement, cest dire quil peut tre dcrit mathmatiquement et quil est programmable.

    Le numrique est ainsi la premire technique de mmoire inscrire dans sa matrialit

    leffectivit dun calcul. Cest, en effet, par la mdiation dun calcul, consistant en une

    transcription des 0 et des 1, que nous accdons notamment, un document et que nous le

    20 Au premier trimestre 2011, 9 foyers sur 10 sont quips dun tlphone portable et 3 foyers sur 4 sont quips dun micro-ordinateur. Sources : http://www.mediametrie.fr/comportements/communiques/reference-des-equipements-multimedias-plus-de-la-moitie-des-equipements-numeriques-sont-des-ecrans.php?id=458.

  • 24

    visualisons lcran sous une forme sensible et intelligible pour nous. La prsence dun texte

    lcran nest possible que par le dcodage de ce mme texte par la machine. Il y a donc

    rencontre entre le faire sens des formes visibles et lisibles lcran, et le calcul qui en a

    permis laccs et la visualisation. 21

    Ces objets superposent ainsi une logique du programme et une logique de linterprtation. Ils

    sont caractriss dobjets culturels ds lors quils deviennent des faits de langage, c'est--dire

    quils ont pour consquence de faire circuler entre les acteurs sociaux des messages, de

    rendre possibles des changes dinformations, des interprtations, des productions de

    connaissances et de savoirs dans la socit 22

    .

    La thse ne rpond pas la question de savoir si les mdiations informatises sont plus

    pertinentes, dautant plus lorsquon sait que plusieurs enqutes rcentes sur lutilisation du

    multimdia au muse montrent quil ny a pas vritablement de concurrence entre les

    expriences multimdias et les expriences in situ23

    . Il ne sagira donc pas de rpondre un

    dbat politique sur le bien-fond de la prolifration des objets ou de la technicisation de la

    socit ; mais ces questions constituent lhorizon normatif de la thse et il faut se prononcer

    sur le sujet, dautant plus que les choix des terrains ne sont jamais innocents.

    La thse veut montrer que les enjeux que remuent les dispositifs numriques sont anciens, et

    ne naissent pas tous avec la technologie mergente. Y a-t-il une spcificit de lexprience

    multimdia ? nest pas la question que lon posera. Nanmoins, les analyses du jeu PLUG

    laisseront une grande place aux gestes qui caractrisent lagir multimdia et aux

    reprsentations associes lutilisation dun dispositif technique, car elles nourrissent

    pleinement les usages que les acteurs sociaux font des dispositifs de mdiation la culture.

    Toutes les enqutes menes depuis le dbut de la thse, mais aussi la majorit des rapports

    consacrs aux relations entre multimdia et publics des muses, montrent quil existe une

    disposition tout fait favorable aux dispositifs techniques qui renseigne en ralit sur la

    21Sense, X., 2007, De lespace du document numrique { lespace dinternet , tudes de communication, 30, p.99. 22 Jeanneret, Y., 2007 [2000], Y-a-t-il (vraiment) des technologies de linformation ?, Villeneuve dAscq, Septentrion, p.82. 23 Digital audiences: engagement with arts and culture online, 24 November 2011, Arts Council England part of the digital research program, disponible en ligne http://www.artscouncil.org.uk/media/uploads/doc/Digital_audiences_final.pdf.

  • 25

    confiance que les visiteurs font au muse, malgr des utilisations parfois trs difficiles24

    . Cette

    disposition rside prcisment en la conviction que ces dispositifs apportent une rupture avec

    les modalits traditionnelles de rencontre avec les uvres et que cette rupture, orchestre par

    le muse lui-mme, ne peut tre une mauvaise exprience. On ne peut pas ne pas accepter ce

    type de dispositif, car ce serait renoncer un progrs que les institutions tentent de mettre en

    place. Les visiteurs accompagnent ainsi une institution qui fait la preuve, leurs yeux, de sa

    perfectibilit et de son attention aux logiques sociales dadoption de modles de

    l innovation .

    On ne peut pas imaginer autre chose que a dans les muses. On peut imaginer des guides, mais jai

    limpression que voil, on ne peut pas y chapper. (Homme, 30 ans, Paris, PLUG, entretien)

    Figures et chelles

    La dmarche adopte pour la thse a donc t danalyser, dans le dtail, les dispositifs en jeu

    dans chacune des expriences de visite, exposition et jeu, en tentant de comprendre

    prcisment ce qui dfinit ces dispositifs comme symboliques et signifiants, et ce qui leur

    permet de configurer les situations de communication. Elle a aussi t de faire produire un

    discours des enquts aux prises avec la dfinition de leur statut de visiteur. Elle sest

    construite partir des deux hypothses sur limplication des visiteurs dans la situation de

    communication et sur la rflexivit de leur pratique de visite. Mais plus prcisment, elle sest

    organise autour de deux axes.

    Le premier axe concerne la relation entre implication et figure. La question de limplication a

    vite fait place un questionnement sur la question de la figure, inscrite dans le dispositif et

    mobilise par le visiteur dans le cours de son ajustement au dispositif. En dautres termes, la

    figure est, en quelque sorte, la prise qui nous a permis danalyser le phnomne dimplication.

    Dans le cas de la description de lexposition, par exemple, ces figures peuvent tre

    nombreuses. Dans les textes par exemple, on peut identifier les diffrents rles nonciatifs, on

    peut observer la place rserve au discours savant sur les objets et reprer comment sorganise

    lespace de distribution de la parole lgitime. Dans le choix des meubles, de leur emplacement

    ainsi que des zones de circulation, on peut observer le rle attendu pour le corps et pour le

    scnario de gestes qui est propos par rapport aux objets. Le dispositif de jeu convoque trs

    24 Davallon, J., Gottesdiener, H., Le Marec, J., 1997, Approche de la construction des usages de CD-ROM culturels lis aux muses , Rapport dtude Paris, ministre de la culture (DMF et RMN) Saint Etienne CEREM-Universit Jean Monnet. Le Marec, J, 2007, Publics et muses, la confiance prouve, Paris, LHarmattan.

  • 26

    explicitement, par ailleurs, une figure de linteractivit et la figure communicationnelle du

    visiteur-joueur en porte--faux avec celle du visiteur classique.

    La notion de figure a permis de cristalliser lanalyse de ce qui dans le dispositif et dans le

    discours des visiteurs, correspond une certaine forme de rquisition de la pratique, c'est--

    dire une anticipation de la pratique de visite, ainsi qu la mobilisation de reprsentations sur

    les pratiques idales de visite. Les figures construites par le visiteur le sont partir du

    dispositif et elles sont aussi convoques partir des discours circulants. Mais plutt que de

    les traiter comme de simples erreurs, nous les avons considres comme des faons de

    sapproprier les mdias informatiss, de rguler une relation difficile construire avec eux,

    dadopter des modles comportementaux. () Si lhgmonie de certains discours se retrouve

    dans les propos et les attitudes des lecteurs observs et rencontrs, les terminologies et les

    faons de raconter lusage ne prennent pas ncessairement le mme sens chez eux que chez

    les idologues actifs de la socit de linformation. 25

    Le deuxime axe concerne la relation entre rflexivit et chelles dinterprtation. La question

    de la rflexivit de la pratique de visite a permis de focaliser le regard sur le dploiement du

    projet de visite au cours de la visite. On sest rendu compte quon ne pouvait pas se

    reprsenter laction comme le droulement dune intention. Cest plutt un jeu dchelles dans

    les reprsentations qui structure lexprience du visiteur. La mise en gnralisation de

    lexprience et la mobilisation de cadres diffrents dinterprtation sont des processus que

    nous avons observs dans chacune des enqutes. Aussi, ce jeu dchelle traverse toutes les

    analyses.

    Organisation des chapitres

    Le mmoire de thse est compos de dix chapitres rpartis en trois grandes parties : le cadre

    gnrale de lanalyse, lanalyse de lajustement entre les visiteurs et lexposition au travers de

    ltude spcifique du rapport entre visiteurs et textes de mdiation, et enfin, lanalyse de la

    situation de visite vcue comme une interaction mdiatise.

    25 Jeanneret, Y., Bguin, A., Cotte, D., Labelle, S., Perrier, V., Quinton P., Souchier, E., 2003, Formes observables, reprsentations et appropriation du texte de rseau , in Souchier, E., Jeanneret, Y., Le Marec, J., (dir.,), 2003, Lire, crire, rcrire : objets, signes et pratiques des mdias informatiss, Paris, BPI - Centre George Pompidou, p.106.

  • 27

    Chaque partie commence avec un premier chapitre qui pose, chaque fois, les jalons

    thoriques pour les analyses qui composent les chapitres suivants. Il a sembl essentiel de

    prsenter ces balises thoriques en prambule des analyses.

    La premire partie de la thse se compose des chapitres I, II et III. Elle prsente le cadre

    thorique et mthodologique gnral de la thse. Le premier chapitre propose une lecture de

    trois ensembles de textes qui permettent de construire le regard sur la pratique des visiteurs en

    train de se dployer. Les Recherches en ethnomthodologie, dHarold Garfinkel, dabord,

    offrent une analyse prcieuse de la faon dont la situation de lchange sociale peut tre

    comprise comme la situation dun ajustement permanent entre un contexte communicationnel,

    une recherche de la cohrence et lexercice dune rflexivit sur sa pratique. La thorie des

    reprsentations sociales dveloppe par Serge Moscovici et analyse par Jolle Le Marec dans

    une perspective communicationnelle, permet, dans la perspective de lide

    d accomplissement de la ralit sociale, de montrer que les acteurs sociaux manipulent et

    laborent des reprsentations en tant quelles sont des oprateurs des situations de

    communication. Elles permettent de rendre compte du fait que la situation de communication

    (entre enqut et enquteur, entre enqut et dispositif de mdiation) est un lieu de

    construction de reprsentations sur la pratique. Enfin, quelques textes sur la sociologie des

    usages, en contrepoint du travail sur la spcificit de linteraction mdiatise, mettent en

    vidence le fait que ds quon sintresse une relation de communication qui repose ou

    sappuie sur un dispositif mdiatique (lexposition, le tlphone, le jeu vido), on gagne

    observer lespace dinteraction comme une tension entre anticipation de la communication par

    le dispositif et appropriation ou prdilection de la part des usagers.

    A ce cadrage thorique rpondent la description des deux terrains de la recherche et la

    prsentation de la dmarche mthodologique utilise, dans les chapitres II et III. Cette

    dmarche est articule autour de deux axes danalyse : le rle smiotique du corps dans les

    situations dobservation, mais aussi son rle de corps-interprtant de ces situations ; et

    lattention lemboitement des situations de communication en jeu dans lenqute.

    La deuxime partie du mmoire de thse prsente un premier pan de lanalyse de lajustement

    entre visiteur et exposition. Elle prend le parti de sattacher lune des dimensions de

    lexposition, ses textes, en tant quils sont un des lments qui sarticulent pour produire le

    parcours et le propos gnral de lexposition, et en tant quils sont des oprateurs de

  • 28

    mdiation privilgis dans la construction de la relation entre les visiteurs et les objets

    exposs. Nanmoins, la recherche ne revendique pas un point de vue texto-centrique et vise

    bien au contraire considrer tout ce qui dborde le texte compris comme une proposition

    verbale mais aussi objet matriel. Cette partie commence avec le chapitre IV qui resitue la

    proposition thorique de Roy Harris sur lcriture. Sa recherche met en avant la spcificit du

    signe crit convoquer un travail pragmatique de linterprtation. Ainsi le texte anticipe-t-il

    dune certaine faon lactivit du lecteur, en ce sens quelle est une activit dintgration du

    signe dans son contexte. Les balises thoriques sont ici pointes : texte, contexte et figure du

    lecteur. On voit comment lanalyse de lajustement peut commencer par une analyse du

    travail danticipation par le texte de mdiation, dans le muse, ou dans le jeu, de lactivit de

    lecture, mais aussi de visite. Les chapitres V et VI lucident alors les modalits de

    lappropriation, par le visiteur, des logiques communicationnelles et des prfigurations

    communicationnelles en jeu dans les dispositifs. La question de la captation de lattention est

    traite pour montrer comment le texte, en tant quobjet matriel, sollicite et implique le

    visiteur dans la lecture. Or on se rend compte que ce nest pas une seule activit de lecture,

    mais plusieurs, que le texte mobilise, et quil implique, par ailleurs, une articulation entre

    usage du texte pour la lecture et usage du texte pour la visite. Lobjectif du chapitre est de

    montrer que le visiteur sengage dans ce travail de lecture(s) et quil reformule ces

    propositions tout en construisant un projet de visite. Lanalyse de lexprience de visite toute

    entire devient alors ncessaire.

    La dernire partie qui se compose de quatre chapitres, ouvre le regard sur le rapport entre

    visiteur et exposition. Le chapitre VII, qui inaugure la partie, propose deux nouvelles balises

    thoriques, la notion de dispositif et la notion de confiance. Ces deux balises permettent

    dinterroger toujours le rapport entre lexposition et le visiteur, mais en requalifiant

    linteraction mdiatise du point de vue de la tension qui sy joue entre technique et

    symbolique par le dispositif, et du point de vue de lexistence dun facteur dterminant de

    lexprience de cette interaction mdiatise : la confiance. A partir des textes de Donald

    Winnicott et dEmmanuel Belin, on comprend que le dispositif peut tre pens comme cet

    espace potentiel o lindividu exprimente son rapport la ralit extrieure de faon

    privilgie car protge. Il peut sy demander : Que faut-il croire ? Comment croire ?

    Pourquoi croire ? Quest qui existe en dehors de mon interprtation ? O sont les partenaires

    de lchange ? Quest-ce que je produis ? Comment cette ralit extrieure est mon

    exprience ?

  • 29

    Le chapitre VIII veut analyser comment le visiteur caractrise la situation quil est en train de

    vivre et comment il qualifie cette ralit extrieure . Il semble quil fasse lexprience

    dune interaction mdiatise, comme en tmoignent le fait quil accorde lexposition le

    pouvoir de lui parler, de sadresser lui et, en mme temps, le fait quil la dsigne comme

    tant fondamentalement un montage, une mise en scne. On se rend compte que ce qui

    caractrise la visite de lexposition est quelle est une exprience toujours dj-connue et

    toujours indite dune part, et dautre part quelle est une exprience de suspension volontaire

    de lincrdulit26

    .

    Le chapitre IX, poursuit cette analyse en montrant que les visiteurs ne cessent danalyser les

    dcalages entre la promesse engage par les dispositifs, la faon dont ils dploient

    effectivement la proposition de communication et les prtentions mdiatiques qui les

    dfinissent selon eux. On verra, par exemple, comme lexprience du jeu PLUG est vcue

    dans la mise en avant, par les visiteurs, dun discours sur la confrontation entre logique

    ludique et logique pdagogique.

    Le dernier chapitre de cette partie, le chapitre X, prsente enfin dans le dtail, trois formes

    dajustement, prsentes dans tous les chapitres du mmoire de thse. Ce chapitre a pour

    objectif de les mettre en exergue. La prise de rle, le recours la figure et le changement

    dchelle sont trois oprations menes par les visiteurs pour valuer la situation de

    communication quils sont en train de vivre, pour prendre acte de ce que les dispositifs de

    mdiation les engagent vivre et pour construire une relation plus gnrale aux objets

    culturels, aux situations de rencontre de ces objets, et donc finalement la culture elle-mme,

    en tant quelle est produite par lunivers des pratiques qui la porte.

    Pour conclure cette introduction, quelques observations concernant lcriture du mmoire de

    thse permettront de guider la lecture.

    Dun point de vue ditorial , les chapitres proposent un ensemble coordonn dlments

    danalyse dont le statut est diffrent. Des planches dillustrations ont t, par exemple, places

    dans le corps du texte, en dpit du fait que les annexes prsentent aussi de nombreuses

    26 Le terme est repris de Samuel Coleridge in 1985 [1817], Biographia Literaria, Princeton University Press.

  • 30

    illustrations commentes. Il a sembl, la lecture des analyses, que la prsence de certaines

    photographies, plans, schmas pouvaient accompagner utilement la description des tudes.

    Par ailleurs, des petits encarts ont t insrs dans le corps du texte au moment o des

    complments dinformations pouvaient paratre pertinents sur les thmes abords, ou alors au

    moment o lanalyse prsente une srie de donnes ne pouvant tre formule autrement que

    par le listage des lments.

    Toujours dans le corps du texte, nous avons fait le choix dintroduire trs souvent des

    verbatims extraits de nos corpus dentretiens ou de rcits itinrants. Ils sont mis en vidence,

    notamment, par lutilisation de litalique. Ces verbatims ont deux fonctions dans le mmoire

    de thse. Dune part, ils illustrent le plus souvent les paragraphes danalyse qui les prcdent,

    en tmoignant des diffrentes modalits dexpression des phnomnes dcrits, lorsquils sont

    plusieurs. Dautre part, ils rendent sensible la teneur des discours des enquts qui sont des

    ensembles homognes construits sur le temps long de lenqute. Dire que ces discours sont

    homognes ne veut pas dire quils se ressemblent, ni quils sont toujours cohrents. Bien au

    contraire leur disparit ainsi que leurs contradictions internes sont tout fait essentielles. Mais

    ce sur quoi lon veut insister cest limportance du parcours du discours, son droulement

    dans le temps de la visite et de lentretien. Il faut ajouter que deux types de commentaires se

    logent dans les passages consacrs aux verbatims. Certains mots sont parfois souligns pour

    attirer lattention du lecteur sur le fragment de la phrase qui illustre lanalyse en cours. En

    plus du soulignement, des phrases de commentaires, insres dans les verbatims, insistent

    parfois sur la spcificit de lextrait par rapport ceux aux cts desquels il se situe. Ces

    phrases sont reconnaissables, car elles ne sont pas en italique.

    Deux derniers lments doivent tre signals. Les notes de bas de page sont nombreuses dans

    le mmoire de thse. Elles dploient un second discours qui se situe en marge du discours

    principal, dans le corps de texte, les planches dillustrations et les encarts. Leur fonction est

    dallger parfois le texte en donnant des exemples. Elles ont donc une valeur

    dexemplification. Mais leur fonction est aussi dtre des commentaires du discours principal.

    Les annexes, pour terminer, prsentent des illustrations commentes des deux terrains. Ces

    annexes proposent aussi la description des grilles danalyse utilises, notamment pour traiter

    les rcits itinrants, ainsi que des documents danalyse qui correspondent aux diffrents

    chapitres du mmoire de thse.

  • 31

    PREMIRE PARTIE

    Un cadre pour lanalyse de lajustement

  • 32

  • 33

    Introduction la premire partie

    Dans les Figures de lamateur, Antoine Hennion exhorte regarder comment se droule et se

    dcrit la pratique de lamateur de musique pour comprendre comment un individu construit sa

    relation un objet culturel. Redonner sa place lamateur suppose dabord de ne pas se

    centrer sur lobjet de son amour, la musique elle-mme [], mais plutt de se focaliser sur la

    pratique elle-mme (quelle soit jeu ou coute), avec ses moments, ses outils, ses dispositions

    et ses effets affectifs, ses manies et ses lassitudes, sa faon propre de se raconter pour se

    raliser. [] Non pas tant partir du sujet rcepteur pour lopposer lobjet peru, donc, que

    partir du jeu et de lcoute ordinaires et en refaire un rapport. 27

    Cest donc en regardant

    comment se tisse, dans le moment de la pratique, un rapport entre un acteur social et un

    ensemble dobjets qui concourent offrir une exprience culturelle que lon pourrait initier

    une tude sur la relation qui se construit, plus gnralement, la culture.

    Or les sciences de linformation et de la communication apportent un lment de plus dans

    cette rflexion. Si cette exprience culturelle, celle que propose une salle de concert, un site

    Internet, une exposition, etc., est comprise en tant que situation de communication, alors tous

    les objets qui concourent former cette exprience peuvent tre autant de dispositifs qui

    engagent une interaction avec lobjet culturel dont il sagit de faire lexprience. Observer la

    pratique revient alors observer de nombreux rapports entre un acteur et des dispositifs de

    communication, c'est--dire observer des interactions fortes dinterprtation. Et cette

    interprtation se construit dans un jeu de miroir. Elle se loge dj, en effet, dans chacun des

    objets qui participent, ventuellement, dune mme exprience culturelle. En dautres termes,

    ces objets proposent toujours une faon de voir les choses, de les interprter. Il suffit, par

    exemple, de penser aux textes qui accompagnent ces manifestations ; mais aussi la faon

    dont sont disposs les siges dune salle de concert, les vitrines dune exposition, le plateau

    dune mission de tlvision.

    Ce mmoire de thse veut dfendre lide que sengager dans la pratique de ces objets revient

    interprter, de quelque faon que ce soit, ces propositions dinterprtation et les associer

    dans sa propre exprience ; exprience faite de mots et de gestes que nous nommons

    27 Hennion, A., Maisonneuve S., Gomart, E., 2000, Figures de lamateur formes, objets, pratiques de lamour de la musique aujourdhui, Paris, La documentation franaise, pp.38-39.

  • 34

    ajustement, mais, surtout, exprience incertaine et toujours dans le jeu dinterprtations

    changeantes qui tmoigne du lien discontinu de la communication 28

    .

    Lobjectif de cette premire partie est de camper le dcor de lanalyse de cet ajustement, c'est-

    -dire de poser un cadre qui parie sur limportance de la rencontre entre dispositifs de

    communication et acteurs sociaux. En dautres termes, elle veut rpondre la question

    suivante : comment construire une analyse qui articule la pratique des individus lpaisseur

    des mdiations dont la communication fait lobjet ?

    Le premier chapitre de ce mmoire de thse se prsente comme une introduction thorique. Il

    rpond la question : Comment peut-on analyser la pratique des individus partir de

    lobservation de leurs expriences, de leurs interactions avec des objets et de la description

    quils en font ?

    Un des pralables ce questionnement consiste, alors, se demander dans quelle mesure

    lexprience dun individu renvoie la pratique. Pour Pierre Bourdieu, par exemple, la

    pratique ne peut se comprendre que dans son rapport lhabitus : il distingue ainsi

    lexprience de la pratique. Il explique que la pratique est la fois ncessaire et relativement

    autonome par rapport la situation considre dans son immdiatet ponctuelle parce quelle

    est le produit de la relation dialectique entre une situation et un habitus, entendu comme

    systme de dispositions durables et transposables qui, intgrant toutes les expriences passes,

    fonctionne chaque moment comme une matrice de perceptions, dapprciations et dactions,

    et rend possible laccomplissement de tches infiniment diffrencies 29

    . On peut retenir de

    la proposition de Bourdieu que la pratique peut tre pense comme quelque chose qui

    seffectue la fois dans le hic et nunc et, en mme temps, dans le temps long. Elle est ainsi

    lie au fait que lindividu construit, dans le temps, un ensemble de comptences, mais aussi

    choisit ses modalits daction, les qualifie dune certaine faon et les effectue en fonction des

    expriences dans lesquelles il sengage30

    . Aussi, la pratique rassemble les motivations des

    28 Davallon, J., Jeanneret, Y., 2006, Le lien discontinu de la communication , texte publi dans le cadre du XIXth Congress International Association of Empirical Aesthetics Culture and communication, Avignon, IAEA, pp. 9-16. 29 Bourdieu, P., 2000, [1972], Esquisse dune thorie de la pratique, Paris, Le Seuil, p.262. 30 Nous pensons quil serait intressant dutiliser le concept dhabitus dans ce sens, non pas comme le rsultat des caractres figs de lindividu (restreindre les conditions sociales de production de lhabitus au talon sociologique), mais le rsultat de la capacit des individus se saisir des objets et des situations sociales en fonction de leurs comptences et de leurs intrts.

  • 35

    acteurs, leurs reprsentations, leurs comportements et lanticipation des consquences socio-

    symboliques et socio-politiques de leurs usages ou actions.

    Je souhaiterais ici dfinir la pratique en tant quelle est un fait de communication, en tant

    quelle est un mcanisme qui rvle la mobilisation et la construction de reprsentations et de

    savoirs. la diffrence de nombreuses enqutes sur les pratiques culturelles, la lecture

    desquelles on voit que la pratique est souvent rduite une activit humaine dfinie comme

    un geste dappropriation des objets culturels alors quelle renvoie tout autant un geste de

    constitution (de la valeur) des objets eux-mmes 31

    , je voudrais tenter pour cette thse de

    penser la pratique pour elle-mme, en tant quexprience, ou plutt en tant quopration

    communicationnelle, en interrogeant profondment le lien et les allers-retours entre pratique

    et objet, entre pratique et dispositif, et, bien sr, entre pratique et construction dune relation

    la culture.

    Trois espaces thoriques ont t choisis pour construire ce premier chapitre et pour poser des

    jalons face la question de lobservation de la pratique par lenquteur et par lacteur de la

    pratique. On parle despace, et non pas de champ, dans la mesure o le point de vue ne

    cherche pas insister sur lhomognit de chaque groupe de textes, mais plutt sur le fait que

    ces textes runis crent ensemble des espaces de tensions problmatiques, au sein desquels on

    peut interroger les objets qui forment le cur de lanalyse : pratique, sens commun,

    rflexivit, reprsentations, circulation et dispositif de communication.

    Ces trois espaces parlent dajustement sans pour autant mettre toujours en exergue le

    fonctionnement de cet ajustement. Lethnomthodologie dHarold Garfinkel, la thorie des

    reprsentations de Serge Moscovici et la lecture quen a faite Jolle Le Marec, les textes de

    Josiane Jout et Jacques Perriault, en sociologie des usages, et lanalyse de l interaction

    mdiatise par Yves Jeanneret permettent de construire un premier cadre pour lanalyse du

    travail dajustement des visiteurs engags dans lexprience de dispositifs souvent techniques

    et dans la mobilisation de cadres dinterprtation diffrents et changeants.

    31 Bourgatte, M., 2008, Ce que fait la pratique au spectateur. Enqutes dans les salles de cinma Art et Essai de la rgion Provence-Alpes-Cte dAzur , thse en sciences de linformation et de la communication, Universit dAvignon et des pays de Vaucluse, Ethis E. (dir.), p.20.

  • 36

    Le deuxime chapitre vient se loger dans la suite de ces analyses, car il prsente deux objets

    qui ont t construits comme les deux terrains de la thse partir dune description en tant que

    situations de communication. Lexposition temporaire Sainte Russie : lArt russe des

    origines Pierre le Grand et le jeu PLUG Les secrets du muse se dploient en deux

    situations observables mais sont, aussi, deux dispositifs mdiatiques particuliers. Pour que la

    lecture soit plus facile, on utilisera dornavant les expressions raccourcies suivantes : Sainte

    Russie et PLUG pour se rfrer lexposition et au jeu.

    Le premier terrain se prsente comme une exposition dart religieux, au sein du Muse du

    Louvre, il convoque a priori un univers de pratiques bien spcifique, celui de la visite. Le

    cadre institutionnel de lexprience est le muse. Le second se prsente comme une

    exprience en rupture la fois avec lunivers des pratiques de visite et avec un cadre

    institutionnel et communicationnel qui serait unique. En effet, lexprience du jeu PLUG

    est lexercice dune mise en abyme des situations de communication, de la situation

    exprimentale de test technique lexprience alternative de mdiation. Ces deux terrains

    doivent ainsi permettre dobserver comment le visiteur interprte et sajuste des dispositifs

    qui anticipent diffremment lactivit de visite.

    Le troisime chapitre prsente, enfin, la mthode qui a t choisie pour interroger le rapport

    entre les acteurs sociaux et ces deux dispositifs. Il sappuie sur un rappel historique des

    mthodes utilises dans le champ de lvaluation musale. Ce rappel sarticule une rflexion

    sur les modles communicationnels qui sont en jeu dans lvaluation et qui renseignent

    notamment sur le statut qui est donn lexposition et au muse. Le chapitre se poursuit avec

    une rflexion thorique autour de lun des enjeux mthodologiques pour lanalyse de

    lajustement : la place du corps dans lanalyse. Enfin, il sachve avec la description des

    diffrents protocoles denqutes menes pour lexposition temporaire Sainte Russie et le

    jeu PLUG .

    Cette partie veut construire les bases mthodologiques pour une analyse de la situation de

    pratique qui est toujours la fois une situation de rencontre entre un individu et un dispositif

    de communication qui a une histoire et renvoie vers cette histoire, et en mme temps un jeu

    danticipation et de rflexivit des postures en jeu dans cette situation.

  • 37

    CHAPITRE PREMIER

    Introduction thorique :

    Les thories de lajustement

    Introduction

    Ce chapitre prsente trois groupes de textes qui seront analyss partir du questionnement

    gnral sur les pratiques des individus, dans des situations considres comme des situations

    de communication. Lobjectif de ce chapitre est damorcer une rflexion thorique sur la

    nature des pratiques de communication, mais aussi sur les conditions de saisie de cette

    pratique par le chercheur et par lacteur de la pratique lui-mme.

    Lethnomthodologie dHarold Garfinkel est la premire rfrence cite : elle permet de

    montrer comment lanalyse peut se pencher sur la faon dont les acteurs sociaux rendent

    cohrentes leurs propres pratiques en dployant des mthodes dajustement permanent entre

    les situations de communication, la faon de considrer sa propre pratique et

    laccomplissement dune ralit sociale. Elle permet surtout damorcer la rflexion sur le type

    de rapport qui peut se tisser entre le hic et nunc de lexprience dun individu et la

    construction de relations plus gnrales la culture. Cette rflexion est au fondement de la

    dmarche danalyse qui est mene pour cette thse.

    Dans un deuxime temps, cest la thorie des reprsentations sociales de Serge Moscovici et

    lanalyse quen propose Jolle Le Marec qui permettra de poser une deuxime balise, celle de

    la relation entre situations de communication et circulation des savoirs, qui consiste prendre

    acte du caractre potique des transformations que connaissent les objets dans la

    communication et [du] lien qui rattache ces laborations aux interactions qui les

    autorisent 32

    .

    Enfin, la troisime section sera consacre plusieurs textes clefs qui appartiennent la

    sociologie des usages et la thorie de linteraction mdiatise. Ces textes permettent de

    revenir, aprs lincursion auprs des analyses du sens commun, la situation de mdiation

    ainsi qu la notion de mdia, pour interroger le rapport entre un dispositif de communication

    32 Jeanneret, Y., 2008, Penser la trivialit, la vie triviale des tres culturels, Paris, Herms - Lavoisier, p.103.

  • 38

    et un acteur qui souhaite vivre une exprience dun type particulier (on sengage toujours

    dune faon particulire lorsquon sintroduit dans une situation de communication, quil

    sagisse dun coup de tlphone, ou de la visite dun muse).

  • 39

    1. LES MTHODES DU SENS COMMUN DE LETHNOMTHODOLOGIE

    Cette section prsente la dmarche thorique de lethnomthodologie dHarold Garfinkel. Le

    choix a t fait de ne pas se rfrer aux textes de vulgarisation ni aux textes des

    ethnomthodologues contemporains pour se centrer, surtout, sur le travail pionnier de

    Garfinkel, pour deux raisons : dabord, les textes dorigine offrent dj les outils ncessaires

    pour lanalyse des mthodes dajustement dans les interactions sociales ; ensuite,

    lethnomthodologie est relativement peu aborde par les auteurs en sciences de linformation

    et de la communication et le travail dexgse ou celui de constitution du champ de

    lethnomthodologie en sociologie a trac des problmatiques diffrentes de celle qui est

    explore ici.

    Dans un premier temps, on prsentera le programme gnral de lethnomthodologie,

    formalise par Garfinkel, qui est articul la reconnaissance des proprits rationnelles des

    activits courantes. Ensuite, deux axes thoriques particuliers, celui de la rflexivit et de

    lindexicalit des expressions ordinaires, seront dtaills, car ils apportent des rponses aux

    questionnements sur le rapport entre lindividu et sa propre pratique et, plus encore, sur le

    rapport entre lindividu et son usage de la situation de communication. Dans un troisime

    temps, on tentera de pointer le caractre communicationnel de lanalyse de Garfinkel. Son

    analyse permet, en effet, de mettre en lumire lattention trs grande des acteurs sociaux

    envers la cohrence de la situation de communication. Enfin, pour terminer, on reviendra sur

    la notion de breaching experiment 33

    , car elle est la fois trs proche et trs loigne de la

    dmarche mise en uvre pour lun des deux terrains de la thse : dun ct, elle met en avant

    la capacit de lindividu mobiliser des savoirs et des reprsentations sur la situation de

    communication, mais de lautre elle ne permet pas de saisir le rapport de mdiation pratique

    que joue le dispositif de communication dans lexprience.

    1.1 La structure formelle des activits courantes

    Lethnomthodologie apparat dans les annes soixante, aux tats-Unis, autour des travaux

    dHarold Garfinkel34

    . Elle engage un postulat qui nest pas nouveau, celui de lexamen en

    33 Elle est une exprience de rupture, qui permet de rvler les attentes darrire-plan 34 Garfinkel soutient sa thse avec Talcott Parsons en 1952 il fait nanmoins davantage rfrence luvre dAlfred Schtz dans son travail que celui de Parsons - et publie son ouvrage majeur Studies in ethnomethodology en 1967.

  • 40

    situation