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Douleurs Évaluation - Diagnostic - Traitement (2010) 11, 230—236 FAITES LE POINT Sepsis et analgésie locorégionale Regional analgesia and infectious complications Philippe Cuvillon , Joël L’Hermite, Jacques Ripart Pôle anesthésie réanimation urgence douleur, CHU Carémeau, place du Professeur-Debré, 30000 Nîmes, France Disponible sur Internet le 18 juin 2010 MOTS CLÉS Analgésie ; Infection ; Bactérie ; Péridural ; Blocs périphériques Résumé L’analgésie locorégionale postopératoire par cathéter péridural et périnerveux périphérique tend à devenir un standard de soin, respectivement après chirurgie majeure thora- coabdominale et orthopédique. Ces techniques exposent au risque d’infection bactérienne par colonisation des cathéters. L’incidence des colonisations est élevée (1 à 30 % à 48 heures) mais le taux réel d’infection clinique reste faible (< 1 %). Les mécanismes de colonisation des cathé- ters d’analgésie sont similaires à ceux des accès veineux centraux (colonisation extraluminale). Les principaux facteurs de risque incriminés sont : le site (lombaire bas, fémoral, axillaire), la durée d’utilisation (> 48 heures), les modalités d’asepsie (solution non alcoolique) et le terrain (patient fébrile, diabète sucré, hospitalisation en unité de réanimation, etc.). Le Staphylo- coccus coagulase négatif est le germe le plus souvent identifié en cas de colonisation et/ou d’infection. L’incidence des complications infectieuses peut être réduite par l’utilisation d’une solution antiseptique hydroalcoolique, une stricte asepsie lors de la mise en place du cathéter, par le respect des recommandations d’hygiène en anesthésie, une indication argumentée tenant compte du rapport bénéfice—risque, une durée d’utilisation limitée (48—72 heures) et une ablation précoce en cas de signe d’alerte (inflammation locale, fièvre, etc.). © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. KEYWORDS Analgesia; Infections; Bacteria; Epidural; Summary Regional analgesia with epidural or continuous peripheral nerve block catheters produce effective pain relief and continue to be increasingly used after surgery. The frequency of infection associated with those catheters remains poorly defined, but recent studies show that between 1 and 30% of catheters may become colonized, with 1% resulting in localized infection. An exogenous source of contamination is frequently suspected. The most frequently detected microorganism on the skin surface and in colonized catheter is Staphylococcus epider- midis. Risk factors are: patients (diabetes, intensive care unit or trauma patients), catheter site Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (P. Cuvillon). 1624-5687/$ — see front matter © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.douler.2010.05.003

Sepsis et analgésie locorégionale

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Douleurs Évaluation - Diagnostic - Traitement (2010) 11, 230—236

FAITES LE POINT

Sepsis et analgésie locorégionale

Regional analgesia and infectious complications

Philippe Cuvillon ∗, Joël L’Hermite, Jacques Ripart

Pôle anesthésie réanimation urgence douleur, CHU Carémeau, place du Professeur-Debré,30000 Nîmes, France

Disponible sur Internet le 18 juin 2010

MOTS CLÉSAnalgésie ;Infection ;Bactérie ;Péridural ;Blocs périphériques

Résumé L’analgésie locorégionale postopératoire par cathéter péridural et périnerveuxpériphérique tend à devenir un standard de soin, respectivement après chirurgie majeure thora-coabdominale et orthopédique. Ces techniques exposent au risque d’infection bactérienne parcolonisation des cathéters. L’incidence des colonisations est élevée (1 à 30 % à 48 heures) maisle taux réel d’infection clinique reste faible (< 1 %). Les mécanismes de colonisation des cathé-ters d’analgésie sont similaires à ceux des accès veineux centraux (colonisation extraluminale).Les principaux facteurs de risque incriminés sont : le site (lombaire bas, fémoral, axillaire), ladurée d’utilisation (> 48 heures), les modalités d’asepsie (solution non alcoolique) et le terrain(patient fébrile, diabète sucré, hospitalisation en unité de réanimation, etc.). Le Staphylo-coccus coagulase négatif est le germe le plus souvent identifié en cas de colonisation et/oud’infection. L’incidence des complications infectieuses peut être réduite par l’utilisation d’unesolution antiseptique hydroalcoolique, une stricte asepsie lors de la mise en place du cathéter,par le respect des recommandations d’hygiène en anesthésie, une indication argumentéetenant compte du rapport bénéfice—risque, une durée d’utilisation limitée (48—72 heures) etune ablation précoce en cas de signe d’alerte (inflammation locale, fièvre, etc.).© 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

KEYWORDSAnalgesia;

Summary Regional analgesia with epidural or continuous peripheral nerve block cathetersproduce effective pain relief and continue to be increasingly used after surgery. The frequency

Infections;Bacteria;Epidural;

of infection associated with those catheters remains poorly defined, but recent studies showthat between 1 and 30% of catheters may become colonized, with 1% resulting in localizedinfection. An exogenous source of contamination is frequently suspected. The most frequentlydetected microorganism on the skin surface and in colonized catheter is Staphylococcus epider-midis. Risk factors are: patients (diabetes, intensive care unit or trauma patients), catheter site

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (P. Cuvillon).

1624-5687/$ — see front matter © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.doi:10.1016/j.douler.2010.05.003

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Sepsis et analgésie locorégionale 231

Peripheral nerveblock

insertion, prophylactic antibiotic use, local anaesthetic solution contamination, and catheterduration. Several recommendations based on recent published studies have been proposed todecrease infectious complication.© 2010 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

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Introduction

Au cours de ces 20 dernières années, l’analgésie par voielocorégionale (ALR) a connu un essor sans précédent en rai-son de la qualité d’analgésie procurée par ces techniques enchirurgie thoracoabdominale (cathéter péridural) et ortho-pédique (cathéter périnerveux périphérique) [1]. Le confortanalgésique apporté par ces techniques a été indéniable-ment valorisé par l’utilisation récente de matériels adaptésà une pratique en hospitalisation classique et ambulatoire(cathéters multiperforés, pompe élastomérique, anesthé-siques locaux [AL] conditionnés en poche, etc.).

Cependant, l’utilisation des cathéters analgésiques (parvoie péridurale ou en périnerveux périphérique) exposeau risque d’infection bactérienne, à l’instar des cathétersveineux centraux [2]. Dans ce cadre infectieux, plusieursétudes multicentriques récentes ont permis de mieuxcomprendre l’incidence et les facteurs de risque infectieuxliés à l’utilisation de ces techniques analgésiques [3—6].Cette revue a pour objectif de rappeler cette incidence,d’analyser les mécanismes incriminés et les mesures de pré-vention recommandées.

Définition et incidence des contaminationsbactériennes

Définition et rappel des méthodes utilisées enbactériologie

La colonisation d’un cathéter est la présence de microor-ganismes à la surface interne ou externe de celui-ci. Letaux de colonisation bactérienne des cathéters d’analgésieest fréquent et peut varier selon les sites de 0,1 à 37 %[3—6]. Cependant, « colonisation » ne signifie pas obliga-toirement « contamination » du cathéter ou « infection »du site d’insertion. Pour affirmer qu’un cathéter présenteune contamination bactérienne, un nombre minimum debactérie doit être quantifié à sa surface. Deux méthodesde quantification bactériologique sont utilisées pour définircette contamination :• méthode de Maki : cette technique ne s’intéresse qu’à

la surface externe du cathéter. Après ablation stérile ducathéter, son extrémité (cinq derniers centimètres) estroulée sur une boîte de gélose de sang et incubée pendant48 heures à 37 ◦C. Le seuil supérieur à 15 unités formantcolonie (UFC) par la technique semi-quantitative (nombre

moyen de bactérie par champ microscopique) est néces-saire pour attester d’une contamination. Cette techniqueest très sensible mais peu spécifique ;

• méthode de « vortexage » : cette technique s’intéresseà la face externe et interne des cathéters. Après abla-

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tion, un rincage endoluminal du cathéter est réalisé avec1 ml de bouillon stérile. Puis, ce bouillon est placé avecl’extrémité du cathéter dans un tube stérile. Dix micro-litres du mélange sont prélevés pour être « vortexés »durant 30 secondes (vortex = écoulement tourbillonnaireoù les particules fluides tournent autour d’un axe), puisensemencés sur gélose au sang. Le seuil de contaminationest fixé à 103 UFC/ml. Cette méthode est plus sensible etspécifique que la méthode de Maki.

À ce jour, aucune étude ne permet de recommander l’unees deux méthodes dans le cadre spécifique de l’ALR. Dansa littérature, les deux méthodes coexistent. Le principaliais de ces techniques survient à l’ablation du cathéter.rop souvent, par défaut d’asepsie, l’opérateur en charge de’ablation du cathéter peut souiller l’extrémité du cathéteru’il retire. Cette souillure dépose des bactéries à la facextraluminale. Dès lors, ces bactéries sont comptabiliséesn plus de celles ayant déjà colonisé, ce qui surestime laaleur de la quantification : « faux-positif ».

De facon générale, et qu’elle que soit la technique deuantification bactériologique, on estime qu’à partir de la8e heure, entre 1 et 35 % des cathéters sont colonisés para flore cutanée commensale [2]. Nous verrons que cettencidence peut varier en fonction de nombreux paramètres.

ncidence des infections des cathétersériduraux

onnées généralesomme pour tous les cathéters placés par voie transcuta-ée, l’incidence des colonisations des cathéters péridurauxst fréquente et varie de 1 à 20 % selon les études. Mais leaux réel d’infections est faible : inférieur à 0,1 % [5—7].eux complications infectieuses sont principalement ren-ontrées pour la péridurale : méningite et abcès épidural.a méningite a une révélation précoce et doit être considé-ée comme une urgence thérapeutique vitale. À l’inverse,’abcès a une révélation tardive (une à trois semaines)t nécessitera un diagnostic documenté (imagerie). Plusarement, des cas d’épidurite et d’ostéomyélite ont été rap-ortés. Dans une étude récente monocentrique portant sur4 223 cathéters placés entre 1998 et 2006, Pöpping et al.e rapportaient qu’un cas d’abcès épidural sur l’ensemblees patients étudiés [5]. Dans cette même étude, la duréeoyenne d’utilisation des cathéters périduraux était deuatre jours après l’intervention chirurgicale. Avec un plusaible collectif de 8210 patients (analyse monocentrique,

étrospective de 1990 à 2005), Cameron et al. notaient unencidence plus élevée de méningite : 1 sur 1200 [6]. Mais,ur une large série multicentrique francaise (de type décla-ative) portant sur 35 000 péridurales, le taux d’infectionlinique (abcès, méningite) n’était que de 1 pour 10 000 [7].
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acteurs de risquesndépendamment des conditions d’asepsie utilisée lors dea pose, les taux de colonisation et d’infection des cathé-ers périduraux varient selon le site d’insertion et la durée’utilisation (Tableau 1). À l’étage thoracique et lom-aire haut, le taux d’infection péridurale est extrêmementaible (< 0,01 %) [5]. En revanche, à l’étage lombaire bast caudal, le taux d’infection est plus élevé (< 0,1 %).ela est probablement lié à la proximité de l’aire péria-ale, riche en flore bactérienne cutanée. En pédiatrie, unencidence d’infection plus faible (versus adulte) est clas-iquement rapportée : 1/50 000. En obstétrique, la duréeimitée d’utilisation du cathéter (souvent < 12 heures) tend àxpliquer la très faible incidence des complications cliniques1/100 000).

La durée d’utilisation du cathéter est un facteur de risqueajeur d’infection [8]. Ainsi, plus longtemps le cathéter est

aissé en place, plus le risque d’infection tend à augmenter.ans leur étude, Cameron et al. estiment que le risque deontamination des cathéters s’accroît de 40 % par jour, avecn risque par jour estimé par Odds Ratio (OR) à 1,4 (inter-alle de confiance 95 %, 1,2—1,6 ; p : 0,001). Cet OR avaitté estimé à 3,3 par d’autres auteurs [9]. D’autres facteurse risque, tels que le sexe masculin et la présence d’uneransfusion en périopératoire, sont aussi rapportés [4].

L’asepsie au moment de la pose du cathéter péridural estn facteur déterminant, comme pour la pose des accès vei-eux centraux. Dans ce cadre, l’utilisation de solution à baselcoolique a démontré sa supériorité et elle est recomman-ée [9,10]. Dans une étude prospective randomisée, Kinironst al. ont comparé une solution alcoolique (chlorhexidine,5 %) versus povidone iodé 10 % [10]. Sur 52 cathéters, leroupe chlorhexidine présentait une colonisation significa-ive (1,8 %) versus cinq (5,6 %) dans le groupe povidone (RR :,2 ; 95 % intervalle de confiance 95 % : 0,2—1 ; p = 0,02).ans cette étude, le taux de contamination augmentait avec

a durée d’utilisation de facon significativement plus impor-ante dans le groupe povidone iodé. De ce fait, ces études

ncitent à une plus large utilisation des solutions hydroalcoo-iques pour limiter le taux de colonisation. Il faut rappelerue la chlorhexidine est particulièrement neurotoxique, ceui oblige les praticiens à utiliser ces solutions avec la plus

Tableau 1 Contamination des cathéters périduraux etfacteurs de risque.

Facteurs derisque

Élevé Faible

Site Lombaire et caudal ThoraciqueSexe Masculin FémininDuréed’utilisation

> 48—72 h < 24 h

Chirurgie Digestive Orthopédique etvasculaire

Acte chirurgical Septique Non contaminéeTerrain Patient fébrile,

transfusionApyrexiepréopératoire

Solutionantiseptique

Non alcoolique Hydroalcoolique

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P. Cuvillon et al.

rande vigilance afin d’éviter toute injection accidentellepidurale aux conséquences dramatiques.

nfections des cathéters périnerveuxériphériques

onnées généralesomme pour les cathéters épiduraux, le taux de coloni-ation des cathéters périnerveux périphériques est élevét varie dans la littérature de 0,5 à 37 % mais le taux’infection clinique est rare (< 0,1 %) [3,4,11,12]. Les infec-ions peuvent être des abcès localisés au point de ponctionu à l’extrémité du cathéter, des bactériémies ou septicé-ies. Un cas de médiastinite a été rapporté avec un cathéter

nterscalénique. Dans ce cas, la contamination était liée àa solution d’AL qui avait été souillée lors de sa préparationn poche [13].

acteurs de risquesn tronculaire, trois sites sont particulièrement exposés àne colonisation : le pli inguinal pour le nerf fémoral, lereux axillaire et l’espace interscalénique pour le plexusrachial [3,4] (Tableau 2). Sur un collectif de 1422 patients,apdevila et al. mettaient en évidence un taux de colo-isation de 30 % en fémoral, 35 % en axillaire et 25 % ennterscalénique, contre seulement 18 % aux creux poplités4]. De même, Compère et al. notaient 20 à 25 % des cathé-ers colonisés pour les sites supraclaviculaires et inguinaux,ontre seulement 1 % en poplité [11].

Si le critère de jugement est l’apparition deignes cliniques locaux d’inflammation ou d’infection,es sites fémoral, axillaire et interscalénique appa-aissent comme des facteurs de risques infectieux.ur un collectif de 3491 cathéters (600 axillaires,03 interscaléniques, 92 infraclaviculaires, 65 lombairesostérieurs, 574 fémoraux, 296 sciatiques subglutéaux et55 poplités), Neuburger et al. montrent un taux d’infection

ocal (site d’insertion) de 4,2 % [12]. Dans cette étude, leite le plus fréquemment infecté était le site interscalé-ique (4,3 %) ; le moins fréquemment infecté était le siteoplité (0,5 %). Un faible taux d’infection en poplité est

Tableau 2 Contamination des cathéters périnerveux etfacteurs de risque.

Facteurs de risque Élevé Faible

Site Fémoral,axillaire,interscalénique

Poplité,infraclaviculaire

Durée d’utilisation > 48 h < 48 hChirurgie Septique Non contaminéeTerrain Patient fébrile,

diabète sucréApyrexiepréopératoire

Solutionantiseptique

Non alcoolique Hydroalcoolique

Hospitalisation Service deréanimation

Service classique

Antibioprophylaxie Absence Présence

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Sepsis et analgésie locorégionale

aussi rapporté par Compère et al. (0,5 % sur 400 cathéterspoplités) [11]. À l’inverse, sur un collectif de 3111 cathétersen analyse rétrospective, Pöpping et al. ne rapportentpas d’infection en interscalénique ou fémoral [5]. Cettedernière étude souligne les limites des analyses des colo-nisations des cathéters dont les résultats varient selonla méthode d’analyse bactériologique et les précautionsutilisées au retrait du cathéter.

La durée d’utilisation du cathéter est aussi un facteurde risque prépondérant. Comme en péridural, lorsque lescathéters sont analysés le premier et deuxième jour, letaux de colonisation est insignifiant par rapport aux jourssuivants. Dès le troisième jour d’utilisation, le taux decolonisation augmente de facon exponentielle (exemple enpoplité : 0 % à j0 contre 13 % à j3). Pour contourner ceproblème de colonisation et surtout améliorer la fixation,certaines équipes ont proposé de « tunnéliser » les cathé-ters. La « tunnélisation » consiste à faire émerger le cathéterdans une zone où il est facile de le fixer, d’éviter ses mou-vements et de réaliser facilement un pansement occlusif.Par ailleurs, elle permet d’obtenir un point de sortie cuta-née à distance d’une zone plus fortement colonisée par desagents infectieux. Faut-il « tunnéliser » les cathéters en ALRpour limiter le risque infectieux ? Probablement pas pour lescourtes durées (trois à quatre jours). En effet, il n’a pasété démontré, pour les voies centrales, de bénéfice à latunnélisation lorsque la durée de cathétérisme était infé-rieure à cinq à sept jours [14]. Compère et al. montrentune incidence de 6 % de colonisation (402 cathéters tun-nélisés) [15]. Ce chiffre est faible mais passe à 13 % à72 heures.

Comme pour les cathéters épiduraux, la solution anti-septique utilisée influence les résultats microbiologiques etl’incidence des infections. Pour l’ALR par voie tronculaire,aucune étude n’a comparé à ce jour les deux solutions(chlorhexidine vs povidone iodé). Cependant, l’analyse desprotocoles de désinfection montre une incidence plus éle-vée de contamination et d’infection lorsque la povidone estutilisée [16,17].

Cathéter et bactérie

Mécanisme de contamination des cathéterspériduraux et périphériques

Trois mécanismes de contamination des cathéters sont habi-tuellement rapportés :• contamination extraluminale. Cette modalité de contami-

nation est la plus fréquente. Dans ce cas, la colonisationbactérienne s’effectue à la face externe du cathéter selondeux mécanismes :

◦ souillure du cathéter lors de sa mise en place. Les bacté-ries ainsi déposées à la face externe du cathéter trouventun milieu sous-cutané favorable à leur multiplication,

◦ migration cutanée des bactéries présentes à la surface dela peau (colonisation cutanée). Ce deuxième mécanisme

est prépondérant, ce qui explique le fort taux de bacté-ries de type Staplylococcus coagulase négatif retrouvéesà l’analyse bactériologique ;

• contamination endoluminale : contamination par infusionde liquide contaminé (exceptionnel mais déjà décrit dans

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233

un cas où les poches d’AL avaient été souillées lors de leurconditionnement) [13] ;rarement, par voie hématogène (mécanisme commun àtous les cathéters).

actéries incriminées

’analyse bactériologique des cathéters périduraux et péri-erveux périphériques met en évidence une prépondéranceour le Staphylococcus coagulase négatif. Ces données sontimilaires aux données bactériologiques rapportées pour lesathéters veineux centraux. Tous les agents pathogènes sontusceptibles d’être retrouvés, même si le Staphylococcusuivi par les Bacilles Gram négatif sont les plus souventdentifiés (Tableau 3).

L’élément constant à toutes les études est la grande dis-roportion entre le taux de cathéters colonisés et le taux’infection réellement constaté. Il est, d’une part, probableu’une partie des cathéters soit contaminée lors de leuretrait et, d’autre part, que ces cathéters soient parfoisolonisés par des bactéries commensales, sans réel pouvoirathogène. La prépondérance de Staphylococcus epider-idis parmi les germes identifiés dans ces études est un

rgument qui plaide indirectement en faveur de ce méca-isme [3,4,15]. Pour les cathéters périduraux, l’incidenceu Staphylococcus coagulase négatif semble plus prépondé-ante qu’en périphérique [17].

La mise en culture des cathéters à leur ablation ne doitas être systématique, en raison principalement du tauxlevé de faux-positif. Mais, en cas d’infection, la rechercheystématique du germe au niveau du cathéter s’imposeour pouvoir l’identifier, car le S. epidermidis n’est pas tou-ours en cause. En cas d’infection patente (signe local ouénéral), le germe n’est pas toujours identifié, car les pré-èvements locaux ou généraux peuvent rester stériles. Leaux d’infection locale varie de 0,5 à 4 % selon les procédures’asepsie et durée d’utilisation. Sur un collectif de pluse 3491 patients, Neuburger et al. notent 4 % d’infectionocale pour les cathéters périphériques [12]. Dans ce cadre,a culture des cathéters montre 42 % de S. epidermidis et8 % de Staphylococcus aureus. Dans le cas d’hémoculturesositives, S. aureus est prépondérant. Par voie péridurale,e taux d’infection locale varie de 0,1 à 0,5 %.

révention et contamination des cathéters’analgésie

ans une revue récente, la Société américaine d’anesthésieocorégionale (Asra) a émis des recommandations pour laise en place et l’utilisation des cathéters d’analgésie

18]. Ces recommandations reprennent pour partie lesecommandations déjà éditées d’hygiène en anesthé-ie et actualisées en 2002 (http://www.sfar.org/article/ecommandations-concernant-l-hygiene).

révention et asepsie cutanée

a qualité de la désinfection cutanée avant la réalisa-ion du cathétérisme et durant les soins ultérieurs est uneesure préventive reconnue des infections liées aux cathé-

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P. Cuvillon et al.

ers (Tableau 4). Un fort consensus professionnel plaiden faveur d’une mise en place des cathéters avec la plusrande rigueur d’asepsie et le port de gant, masque etlouse. Ce dernier point est souvent remis en question maisa gestuelle complexe de la pose d’un cathéter favorise leisque de souillure par inadvertance. L’identification de Sta-hylococcus salivans sur certains cathéters témoigne d’uneontamination aéroportée, dont l’incidence peut être limi-ée par le port d’un masque. Comme nous l’avons déjàouligné, l’apport des solutions hydroalcooliques est incon-estable. Pour les cathéters centraux, une méta-analyse desuit études, ayant comparé l’efficacité des solutions anti-eptiques à base de chlorhexidine à celle de la povidoneodée en solution aqueuse à 10 %, a montré que l’utilisationes premières permettait de réduire de moitié le risquee colonisation et d’infection bactériémique des cathéters.our l’ALR par voie péridurale, plusieurs études ont démon-ré la réduction du risque d’infection et de colonisationvec l’emploi de chlorhexidine par rapport à la povidoneodée. Ces résultats ont fait l’objet d’une méta-analyseui tend à montrer une réduction de l’incidence des infec-ions en faveur de la chlorhexidine versus povidone iodée :,6 versus 35 %, OR 0,07, 95 % CI : 0,02—0,31, p = 0,0005.lusieurs modalités d’application de la chlorhexidine sontossibles. Dans une étude prospective randomisée au course la mise en place d’une analgésie péridurale obstétricale,’utilisation d’un spray de chlorhexidine (trois pulvérisations

10 cm de la peau) était aussi efficace que l’applicationlassique (sachet) du produit. Cette modalité d’applicationéduisait le coût total des solutés utilisés. Pour l’ALR paroie tronculaire, aucune étude n’a comparé à ce joures deux solutions (chlorhexidine vs povidone iodée) [17].ependant, l’analyse des protocoles de désinfection montrene incidence plus élevée de contamination et d’infectionorsque la povidone est utilisée. Dans une publiée aprèshirurgie thoracoabdominale (849 patients répartis en deuxroupes, prospectif et randomisé), le taux d’infection dearoi était réduit après préparation à la chlorhexidine ver-us la povidone iodée : (9,5 vs 16,1 % ; p = 0,004 ; risqueelatif, 0,59 ; 95 % intervalle de confiance : 0,41 à 0,85)16].

Au total, l’utilisation des solutions alcooliques de chlo-hexidine doit être privilégiée, ce d’autant que leur coût eteur tolérance locale sont comparables à ceux de la solu-ion alcoolique de povidone iodée. Si la povidone iodée esthoisie, seule la formulation alcoolique doit être utilisée.

ropriétés bactériostatiques desnesthésiques locaux

’hypothèse d’une inhibition de prolifération des bactériesar les AL a été énoncée au début des années 1970. Deuxxpériences ont conforté cette hypothèse. La première aonsisté à mettre en culture des bactéries sur milieu liquidet a constaté une inhibition de prolifération des culturesar l’ajout de solutions d’AL (effet bactériostatique). La

euxième démontre une inhibition du métabolisme deseucocytes en présence d’AL. Quelques années plus tard,edman et al. démontrent que la mise en culture surilieu d’agar de souche Staphylococcus coagulase négatif

t S. aureus est significativement réduite avec la lidocaïne

Page 6: Sepsis et analgésie locorégionale

Sepsis et analgésie locorégionale 235

Tableau 4 Propositions de recommandation (majeur, mineur) pour limiter le risque infectieux dans la gestion descathéters périphériques d’après Asra [18] et SFAR [1].

Majeur Mineur

Opérateur Retrait bagues, bijoux, montres Interposition d’un filtreantibactérien

Lavage chirurgical des mains (solutionhydroalcoolique)

Limiter les manipulations itératives(robinets) et réinjections

Port gants, blouse, masque Tunnélisation des cathéters ?

Patient Préparation cutanée (type chirurgical)Antiseptique (alcoolique, chlorhexidine)

Environnement Technique stérile de « Drapage »Respect des conditions d’asepsie

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R

Matériel stérile à usage unique

1 à 2 % et bupivacaïne 0,5 %. Cependant, tous les AL n’ontpas la même efficacité bactériostatique. Cette efficacitévarie avec le type de bactérie et la concentration d’AL utili-sée. La ropivacaïne semble être l’AL le moins efficace. Celaexplique que certaines études, utilisant des concentrationsfaibles de ropivacaïne, ne montrent pas d’effet bactério-statique. Cette absence d’effet est aussi retrouvée souscertaines conditions car la croissance bactérienne peut êtreinfluencée par les types d’AL mais aussi par les conditions demise en culture des préparations (milieux de culture utili-sés, température de mise en culture des préparations). Desétudes récentes soulignent que ces mécanismes d’inhibitionbactérienne s’expriment, soit au niveau de la membranebactérienne, soit au niveau des chaînes métaboliques oxy-datives. Par exemple, la lidocaïne 2 % inhibe les chaînesrespiratoires de Streptococcus pneumonia, Moraxella catar-rhalis et Haemophilus influenzae.

Au total, l’effet antibactérien des AL semble exister maisdépend du type et de la concentration d’AL, et du type debactéries testées.

Effet de l’antibioprophylaxie

L’antibioprophylaxie pour l’acte chirurgical atténue lerisque d’infection du site chirurgical et influence les méca-nismes de contamination des cathéters. Les cathéterspérinerveux, le plus souvent placés pour geste orthopédiquemajeur, bénéficient de l’antibioprophylaxie chirurgicale. Àce titre, la colonisation bactérienne des cathéters pour-rait être limitée par cette thérapeutique. Cependant, lesdonnées sont encore insuffisantes dans ce domaine pourpréconiser toute recommandation.

Conclusion

L’intérêt suscité par les cathéters d’analgésie est en cons-tante augmentation et s’explique en raison d’un bénéfice

majeur analgésique au service d’une réhabilitation post-opératoire accélérée. Cependant, le risque de complicationinfectieuse reste incompressible. Pour conserver les béné-fices de ces techniques, tout en limitant les risquesinfectieux, des mesures strictes d’asepsie et de surveillance

’imposent. Le respect de bonnes pratiques de mise en placet de critères d’utilisation raisonnée (indication, durée)evraient permettre de limiter les risques infectieux.

onflit d’intérêt

ucun.

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