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SOLDAT DU CONTINGENT Chapitre Premier LES TROIS JOURS. Je suis dans le train parti d’Aurillac dans le Cantal, nous sommes en avril 1983, j’ai vingt ans et je pars faire mes “3 jours” à Lyon, pas souvent que je sors de mon trou du Cantal, les occasions sont rares pour un fils d’ouvrier agricole qui a tout juste vu la mer une fois lors d’un voyage scolaire ; alors je suis plutôt heureux d’autant plus que c’est tout frais payés. Je chante dans ma tête de piaf de jeune connard la chanson de Nougaro: "Il parait que c’est chouette d’avoir 20 ans…..oui mais pas derrière des barreaux hooo ho hoooo……" Comme si une caserne , c’était le pénitencier de Sing Sing, pffft , faut dire que suis encore au lycée de la république où les profs socialo- communistes, pacifistes, syndiqués, alcooliques mais encore respectés à l’époque du fait de l’application de la sélection avant entrée dans le second degré , les enseignants gauchistes (pléonasme) contents d’avoir pris le pouvoir politique depuis

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SOLDAT DU CONTINGENT

Chapitre Premier

                                                    LES  TROIS  JOURS.

Je suis dans le train parti d’Aurillac dans le Cantal, nous sommes en avril 1983, j’ai vingt ans et je pars faire mes “3 jours” à Lyon, pas souvent que je sors de mon trou du Cantal, les occasions sont rares pour un fils d’ouvrier  agricole qui a tout juste vu la mer une fois lors d’un voyage scolaire ; alors je suis plutôt heureux d’autant plus que c’est tout frais payés.

Je chante dans ma tête de piaf de jeune connard la chanson de Nougaro: "Il parait que c’est chouette d’avoir 20 ans…..oui mais pas derrière des barreaux  hooo ho hoooo……" Comme si une caserne , c’était le pénitencier de  Sing Sing, pffft , faut dire que suis encore au lycée de la république où les profs socialo-communistes, pacifistes, syndiqués, alcooliques mais encore respectés à l’époque du fait de l’application de la sélection avant entrée dans le second degré , les enseignants gauchistes (pléonasme)  contents d’avoir pris le pouvoir politique depuis l’élection de tonton nous ont bien bourré le mou de la cervelle avec leur logorrhée bolchevique, eux qui en fait n’étaient que des petits bourgeois qui méprisaient les fils de bouseux comme moi et les orientaient vers des filières à bac technique et orientaient les enfants de leur collègues vers des filières générales  de façon à ce que leur caste de merde continue à garder le pouvoir!  Les “3 jours” pour d’éventuels jeunes lecteurs, c’était ce qui s’appelle désormais la JAPD sauf qu’il s’agissait à l’époque de partir effectivement dans une caserne durant trois jours (souvent réduits à un jour et demi) pour y passer toute une batterie de tests physiques, psychotechniques et intellectuels afin de vous affecter dans l’arme et le rôle  qui vous conviendra le mieux, évitons de préciser que tous les pistonnés  iront où ils voudront grâce aux relations de papa. Dans les années 80, le service militaire pour la majorité d’entre les jeunes , c’était à qui arriverait à se faire “réformer” et ce afin d’être bien vu par nos amis déjà tous formatés à l’antimilitarisme de base bien imprégné dans les jeunes cerveaux de ces années post soixante huit ardes où à la télé n’étaient diffusés que des films, spectacles et autres shows qui tournaient en dérision l’armée française et les militaires, alors allez donc dire à vos copains du lycée que vous vous engageriez

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bien dans les paras pour l’aventure……mouarff, ricanement au mieux en réponse! Moi c est plutôt flou dans mon esprit, je suis sur le point d’achever mes études , j’en ai rien à cirer de la politique et me dis que passer un an au frais de l’état avant de me lancer dans la jungle du marché du travail qui commence à déjà sérieusement se rétrécir en ces années Mitterrandiennes,  ça me permettrait de gagner un peu de temps et puis, l’armée, tous mes frères l’avaient faite et m’en ont dit plus de bien que de mal mais sans m’apporter aucun conseil pratique, de plus le pater a fait 39/45 mais ne me causait jamais, n’étant qu’un pauvre ouvrier agricole illettré,  sourd et alcoolique, le grand père aussi avait fait la boucherie de 14/18 mais mort avant ma naissance, alors je vais pas au “3 jours”  dans le but acharné de me faire réformer mais sans préparation, ni sans avoir réfléchit au sujet car je prépare un BTS donc  je vais confier à la divine providence le soin de me guider.

Arrivé à Lyon après un changement au Puy, direction le centre du conseil de révision, accueil par un gradé appelé qui y faisait son service et visiblement agacé par notre arrivée tardive à 23 heures , du coup le gars chaleureux……faut voir! : “Les bleusailles trouvez vous un plumard, on viendra vous réveiller à coup de pieds dans vos fions de pucelles et faudra réagir un peu plus vite, tas de punaises, est ce que c’est clair ? “…..”Oui monsieur”…”c’est pas monsieur, tas de bouseux,  appelez moi caporal, allez bonne nuit les filles! “

Fallait pas nous le dire deux fois, je me suis demandé si en fait , j’étais pas déjà affecté à l’armée dans cette caserne, aurai je mal lu ma convocation?  Trop fatigué,  j’arrive malgré tout à m’endormir au milieu d’une chambrée dortoir de trente grommelant, personne n’osant s’adresser la parole.

Le lendemain après un petit déjeuner pas dégueulasse ce qui nous surprenait déjà, on commence par remplir un questionnaire sur lequel une question me parait judicieuse pour une éventuelle inaptitude à ces douze mois qui me faisaient quand même un peu chier comme perspective non pas que je sois antimilitariste, j’aimais bien jouer avec des petits soldats et aller tirer à la carabine 12mm dans la foret où à cette époque c’était interdit mais  toléré…… « Ha les petits gars, ils vont tirer les merles, on en fera des futurs chasseurs », de plus l’histoire des deux guerres mondiales me passionnait  mais  je ne suis pas non plus issu d’une dynastie de guerriers de la noblesse à cheval, celle qui était censée protéger le vilain en bas du château, mais de paysans qui ne sortaient de leur champ que pour aller à la guerre et dont certains n’étaient pas revenus , la question était du genre :  Avez vous déjà suivi un traitement psychologique ou psychiatrique ?……… J’ai envie de mettre oui car je sais qu’il me vaudra un entretien susceptible d’aller sur la voie de la réforme d’après ce que m’ont raconté pleins de petits malins revenu avec un certificat d’inaptitude.

Allons c’est parti pour un oui qui me vaudra de passer devant un gradé toubib spécialiste des petits malins qui se font passer pour dingue et le gars ne  chômait pas, vous pouvez me croire sur parole , j’ai même eu l’honneur d’en voir plusieurs durant ce séjour qui faisaient exprès de se comporter comme des fêlés , il y a eu un espèce de hippie qui gueulait toutes les 5 minutes: ” Heil Hitler, meine führer! sieg heil! sieg heil! ” et un autre qui durant la visite chez l’infirmier lui a exhibé son service trois pièces en lui disant “Fume c ‘est du belge”, un autre espèce de squelette ambulant qui avait fait exprès de pas manger les 10 jours précédents pour passer pour inapte physique et le pire de tous un qui s’était pointé déguisé en gonzesse avec des talons aiguilles et maquillé comme une vieille pute…..Pas su si ils sont tous arrivés à leur fin ou si ils ont été expédiés dans un régiment disciplinaire ce qui était devenu rare dans cette république française socialiste qui se livrait à l’introduction du laxisme généralisé des corps constitués et surtout dans l’armée et en  même temps à une épuration des cadres  et

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notamment  des derniers dinosaures ayant été plus ou moins proches de l’armée d’Algérie because le putsch de 1961 mais De Gaulle avait déjà fait le plus gros boulot , la récente mort bizarre du colonel Erulin héros de Kolwezi décoré par Giscard semblait confirmer que cette armée allait évoluer vers une armée de technocrates lèche-cul à l’esprit ingérence humanitaire  , une armée d’où il fallait écarter les patriotes qu’on qualifiait désormais de nationalistes dangereux pour la république (pas pour la France, si vous voyez ce que je veux dire)……

Entre temps, ces trois jours s’avèrent durer un jour et demi vu que le matin et l’après midi de la première journée se partagèrent entre tests médicaux et tests de mesure intellectuelle. Physiquement apte malgré une légère scoliose dont on me prédit que dans quelques dizaines d’années elle m’en fera voir des vertes et des pas mures, mais  quoi de plus normal étant donné que ça fait un an que je passe mes semaines d’étudiant pleines de temps libres  à faire des footing, du vélo, du karaté plus le match de foot du dimanche au FC Reilhac mon bled du Cantal. Par contre à la fin des tests d’intelligence qui étaient surtout constitués par des QCM de logique ,  après avoir ramassé les cartons, on nous dit de ne pas bouger et étonnamment rapidement un type en uniforme égrène une liste de nom dont le mien!…..Merde, j’ai déjà fait une connerie??????

Tous ceux que je n’ai pas cités,  pouvez dégager,…… les autres dont votre serviteur, amis lecteurs et lecteuses , comme on dirait dans les années 2000,  vous avez eu plus de 16/20,  donc vous êtes aptes à l’école des EOR!

Les EOR ça veut dire école des officiers de réserve et si vous acceptez, vous ferez quatre mois à Saint Maixent et à l’issue, vous en sortirez aspirant (et si on s’engage on devient sous lieutenant, la voie royale vers une carrière d’officier supérieur)… Qu’est ce que c’est que cette embrouille imprévue, personne dans mon entourage de paysans cantalous pour me préparer à une telle éventualité et apparemment j’étais pas le seul dans la salle vu les regards qu’on s’échangeait hormis quelques têtes d’œufs issus  ( de bonne famille) apparemment préparés à signer  . Après une série de diapositives qui ne m’ont pas laissé un grand souvenir, je bénéficiais de cinq minutes pour me décider car le mec en bel uniforme et képi nous faisait savoir que ceux qui étaient d’accord devaient rester dans la salle et les autres dégager rapidos car il n’avait pas de temps à perdre avec les hésitants. Je sortis sans hésiter me fiant à mon instinct car si j’aimais pas trop être commandé, commander moi-même des semblables, je m’y voyais encore moins et dans le couloir je fis connaissance avec un autre qui avait été aussi hésitant que moi: ” Qu’est ce que tu en penses? Merde, on aurait du rester,  non, on est con,  de toute façon, on va les faire ces douze mois alors on aurait du signer pour être officier, putain de merde!” Officier! On a sa piaule et on n’est pas obligés de coucher dans des chambrées avec 10 connards qui puent du cul et qui sont des ânes car, mon gars, tous les 2e classe des régiments combattants de l’armée de terre, on y met que des bœufs!  Normal, faut être des crétins pour charger sous les pluies de grenades et les rafales de mitrailleuses"

Comment qu’il me casse le moral le dab! Je lui explique ce que m’ont dit mes potes, qu’on sera pas officiers mais que c’est pas pour autant qu’on se retrouvera au milieu de primates car en raison de notre niveau d’étude après les classes, nous pourrons être reversés dans une fonction inhérente: secrétaire, chauffeur du colon, transmission, fourrier, vaguemestre…etc." Te bile pas, t’as pas l’intention de t’engager, lui dis je ?  Bin, non et toi?  Encore moins, t’es de quel bled?  De la banlieue lyonnaise. Moi je suis d’Aurillac. Écoute" qu’il me dit me prenant tout de suite en sympathie,  on va pas se prendre la tête, on a terminé mais ce soir on va aller faire un tour à Lyon, ça te changera de ton bled du cantal où il n’y a que des vaches,

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ici la faune est drôlement plus fournie, plus touffue, si tu vois ce que je veux dire……. Voilà!  A vingt piges, on voit pas plus loin que le bout de sa biroute, on est là , deux petits crétins formatés par l’ambiance des années 70 à n’être à Lyon, 2e ville de France , que pour pouvoir profiter d’une  escapade jouissive et cette seule perspective du soir nous fait oublier derechef que l’on vient de laisser passer l’occasion d’effectuer nos douze mois obligatoires sous l’uniforme mais avec un joli galon qui nous permettrait en sus d’une solde 3 fois plus importante d’être logé dans une chambre individuelle et d’éviter de se coltiner des congénères dont , à cet instant précis, on n’a aucune idée qu’il puisse encore en exister dans la France socialiste de cet fin du 20e siècle .

Après le repas du soir avec mon grand gaillard blondinet on sort tranquillement de la caserne mais on avait oublié qu’il y a un garde à chaque sortie et qui nous demande ou qu’on va comme ça?.……. “Aux putes!” Qu’il répond le grandasse de Lyon. “Bordel! Vous vous croyez où les deux nazes? Retournez moi vous pieuter, vous sortirez demain à la fin de votre conseil de révision, c’est une caserne pas une fac de merde ni un sanatorium! »  Pas démonté mon dab:  “Laisse, y a  un endroit que j’ai repéré où le mur est pas trop haut, on va le sauter !”

Pas trop haut, tu parles , partout autour le mur il n’allait pas en dessous des trois mètres avec partout une présence humaine en treillis en train de nous mater méchamment. Là, blondin, il abandonne. Merde, fait chier, putain, je t’aurai emmené dans des quartiers chauds où tu te serais fais faire un pipe royale pour cinquante balles et une impériale pour dix sacs de plus ……… Ah houai,  dommage lui dis je pour ne  pas contrarier ses belles intentions à mon égard mais je m’en battais les yecous de ne pas aller à Lyon, je n’aime pas les grandes villes, c’est viscéral dans ma famille de péquenots où tous ceux qui s’y sont essayés en sont revenus avec des dépressions nerveuses , allez allons nous pieuter avec les autres bœufs, on fera le chemin du retour jusqu’à la gare ensemble. Quand même, me dit le grand, on va regretter de pas avoir accepter les EOR, tu verras, en vérité je te le dis!

Il ne croyait pas si bien dire, trente ans après, je regrette encore. Au fait, j’allais oublier , avant de partir , un toubib pour les cas psycho me convoqua et me demanda donc qu’est ce que c’était que ces problèmes psychologiques que j’ai bien pu avoir vu que j’avais coché oui à la question. Le toubib, c’est un colosse barbu en uniforme clinquant, le kébour bien vissé sur la tronche avec  des galons de capitaine,  avec un accent corse, je ne m’attendais pas du tout à cette espèce de psychologue simiesque, je croyais même pas que ça puisse exister. Je lui répondis que j’eus quelques problèmes durant ma scolarité vu que mon père buvait ( comme tous les ouvriers agricoles) et que patati patata que c’était pas de la tarte pour moi le milieu familial si bien que ma mère m’avait emmené voir un psychiatre pour enfant quand j’étais en cinquième, ayant compris que nous étions dans une société bien empreinte de l’idéologie de l’excuse, que les sociologues à la Bourdieu avait investi les ministères et que ce n’était jamais la faute au violeur de petite fille de 5 ans s’il en avait assassiné trois et découpé leurs cadavres en morceaux mais à cette société déterministe qui l’aurait  poussé à ne pas être maître de ses pulsions survenus par un atavisme culpabilisant judéo-chrétien, Mr le juge! C’est cette société qui a commis ce crime, pas ce pauvre type. . ………." Qu’est ce qu’il vous a donné comme médicament  ? "……..La question piège, le temps de réfléchir à une réponse plausible de ce que je connaissais comme nom de psychotrope répandu à l’époque qui pouvait m’amener à me faire réformer et que j’avais pu lire sur les étiquettes des médocs que s’enfilaient un de mes cousins devenu quasi dingue après un séjour à Paris  : “Du Valium, monsieur”. A 14 ans! Ton toubib n’y a pas été de main morte! Puis il me fixa dans les yeux durant un temps qui me paru infini: Tu es apte mais restera sous surveillance durant tes classes, l’armée te fera du bien et te sortira de ton milieu familial difficile, tu es classé P3, fais attention!

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P ça veut dire cas psycho, à P4 t’es réformé, P3 tu pars et si tu pètes un plomb pendant tes classes on peut te renvoyer chez toi, mais même ça je l’avais pas compris……Fin des trois jours.

Chapitre 2

   

                                

                                               DERNIÈRE  VIE  CIVILE

C’est pas tout ça mais j’ai un BTS à passer au lycée technique d’Aurillac, ayant fait le calcul vu que je n’aurai pas d’allocation chômage à la sortie, j’ai demandé à intégrer le contingent 08 ce qui veut dire que j’irai à l’armée début août, ça me laissera un mois de vacances avec mes dernières économies pour faire la fiesta en juillet après avoir gagné quelques ronds en faisant les foins, très belle période des fêtes communales dans nôtre Cantal avec des tournois de football, les tournois de sixte où on se marre bien et de pétanques où on se marre moins, des bals à papa dans les dancings avec des orchestres de tous niveaux, ça allait à l’époque des prestigieux Golds (devenus célèbres par la suite) aux vieux  ensembles familiaux avec musettes et accordéons, ce qui comptait surtout c’était la buvette et les rixes inévitables, des bagarres qui n’ont rien à voir avec ce qui se produit actuellement, très rarement les flics intervenaient car la curée était de courte durée et elle s’achevait par des belligérants réconciliés autour d’un pack de  Kronembourg , parfois lorsqu’elles opposaient des Gitans ou Manouches à des Magrébins il arrivait que le sang coulait un peu mais jamais cela n’allait jusqu’à des coups de couteaux mortels . Je me rappelle d’un soir où des Romanichels hargneux avaient été expulsés par les locaux et  étaient revenus ensuite avec des tronçonneuses et avaient commencé à découper le dancing, là nous avions du faire appel aux forces de l’ordre!

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Étant apte je cause donc avec tous mes potes qui ont fait le service afin de voir comment peut se dérouler cette année au service de la république française et il en ressort que pour être souvent en perme,  il faut se faire rapprocher . “Se faire rapprocher?  T’en as de bonnes, à Aurillac il n’ y a plus de régiment et les deux plus proches sont des régiments d’infanterie à Clermont Ferrand le 92e et à Brive le 126e ! Autrement dit ça risque de pas être une sinécure par rapport à l’armée de l’air!”

” Hé du-con, même dans l’infanterie, tu peux être planqué avec ton niveau d’étude, suffit d’éviter les compagnies de combat” Texto qu’il me balance ça en travers ma tronche de déjà bleu bite le pote Rocagel , bien sur, lui il y était à Brive et il m’explique que s’il en a chié c’est parce qu’il a aucun niveau ce qui fait qu’il s’est retrouvé direct en compagnie de combat…… et puis t’es sportif, tu vas pas craindre!

Je m’en vais donc prendre un rendez vous avec le député local à l’époque qui devait être un de droite car chez les bouseux auvergnats, le père Mitterrand il nous inspire pas trop la confiance. C’est son attaché qui me reçoit, m’explique qu’il faut un motif et qu’en réfléchissant bien, ça va être facile d’en trouver un qu’il puisse noter sur son papelard qu’il fourguera à ses connaissances de l’assemblée. Soutien de famille! Je suis le dernier à vivre encore chez ma mère et le pater en retraite est chez ma sœur qui le tient bien à l’œil pour l’empêcher d’aller picoler ce qui lui reste de pension de serf agricole. Le paternel, au passage, ses seules vacances pour lui c’était le stalag de 1940 à 45 , il reconnaît qu’il y trimait moins que dans les fermes  du Cantal  où le salaire d’un ouvrier agricole était le plus bas sur le plan national     ( quelque chose comme 800 nouveaux francs fin des années 70)  , mon père n’a pas eu de veine, il a du faire deux ans de service de 1935 à 37 et en 39,  il a rejoint les alentours de la ligne Maginot indestructible qui va les arrêter ces teutons avec leur führer à moustache, pas de doute : “Nous vaincrons parce que nous sommes les plus forts”   dixit le président du conseil de la 3e république Daladier qui se trimballe avec ses guêtres sur le front pour remonter le moral des troupes avec Maurice Chevalier youp la boum, Fernandel et Joséphine Baker avec ses bananes autour du bide et de toute façon, la ligne Maginot forteresse imprenable , les revues d’alors comme "l’illustration" nous montrent nos bidasses avinés, hilares, ne manquant de rien et surtout pas de pinard qui coule à flot , des saucissons et des jambons qui pendent dans les casemates , même des soldats en train de prendre des bains de soleils artificiels à la lampe halogène sous l’œil goguenard d’un gros capitaine médecin se comportant comme un vrai paternel pour les enfants de la patrie…….Les allemands ne passeront pas par les Ardennes et  la Belgique , l’armée belge les contiendra, on en est sur pour ça qu’on a pas prolongé la ligne jusqu’à Dunkerque, ça aurait vexé nos amis du Benelux ! On connait la suite, on avait pourtant eu deux répétitions exactes en 1870 et 1914, vlan par la ville de  Sedan l’itinéraire traditionnel teuton puis l’encerclement dans la poche de Dunkerque…. mais faut croire qu’on est voué les français à l’optimisme obligatoire et la mémoire courte.

Résultat le 2e classe d’infanterie Eugène Berthou encerclé avec quelques dizaines d’autres régiments a du passer le restant de la guerre en haute Silésie dans un stalag où il s’est caillé les miches sévères mais d’où il s’est fait la malle un peu avant les autres quand les fridolins  voyaient fondre sur eux les hordes asiates du père des peuples Staline  et étaient plus préoccupés à être fait prisonnier par les ricains plutôt que par les russkoffs qui avaient quelques raisons de casser du fritz avec les dégâts et atrocités envers les civils que ceux-ci avaient commis sur le sol de la plus déjà sainte Russie, la garde des pauvres prisonniers français leur devenait donc complètement secondaire et Eugène a pu terminer sa guerre en douce, retour au foyer début 45. Il en parlait jamais de ça, il avait du en voir de drôles, il en

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était revenu sourd à 80% tellement le feld maréchal Guderian, Sepp Dietrich, Rommel, Von Rundstedt, Von Stupnaghel leurs panzers et stukas avaient fait du vacarme en franchissant le Rhin. Pendant l’occupation en Auvergne ma mère avait continué à turbiner pour nourrir ses gosses et encore à la campagne on ne s’en sortait pas trop mal question bouffe , c’était les citadins qui étaient obligés de venir se ravitailler à vélo pour amener 2 ou 3 cotes de porc et un kilo de patates , ils nous regardaient de moins haut là nous les bouseux, subitement devenus  des personnes à moins négliger comme à chaque guerre ou crise d’importance , ce sont ceux qui vivaient déjà en quasi-autarcie qui sont les moins touchés, on risquera de revoir ça si la grande crise économique qui s’annonce pour ce 21 e siècle survient, d’ailleurs quelques “survivalistes” comme on les appelle s’y préparent. Ma mère aussi, la guerre, elle aimait pas trop en causer, peu de souvenirs dans ce coin de France où on a fait que voir passer des réfugiés en 40 venus du nord et des schleus qui battaient en retraite en 44 venus du sud coursés par les chars Shermans du général Patton , tout juste, elle me racontait souvent comment elle a été gavée d’ersatz de toutes sortes, café avec des glands, pain à la sciure de bois, chaussure semelle du même métal et une anecdote : La fois où mon frère aîné Jeannot était devenu bègue, c’est parce qu’il avait été ouvrir la porte que quelqu’un cognait comme un sourd  et qu’était apparu devant lui un gros soldat de la Wermacht et qui gueulait “fur essen, essen…afez fou tes zeu badameu zilfouplait! bite!”  Croyez moi qu’ils ont eu tous les œufs frais tout juste sortis du cul de toutes nos poules et fissa: “Viele danke badame und aufwiederzen”. Le frangin , on l’a retrouvé à la cave prostré tellement il avait eu les jetons et il en resté bègue , faut dire qu’avec l’histoire d’Oradour sur Glanes qui venait de survenir, on savait pas s’ils venaient pour assassiner violer ou demander des œufs à l’époque, cette section là est repartie sans même enculer un canard, zavaient pas le temps , c’était à leur tour le sauve qui peut comme les français en 40 : ”A mon signal, feu, au sprint direction Marseille , avait dit le capitaine de compagnie du père Berthou dès qu’il avait aperçu le 1er panzer à l’horizon “. Là c’était à leur tour aux fritz de faire fissa fissa!

En 1983 la 3e guerre mondiale s’appelait la guerre froide qui était pour les militaires bien moins meurtrière que la guerre chaude qu’avaient connu nos parents et grands parents. Fallait quand même la faire et je reçus mon papier d’affectation en juin au moment où j’étais en train de mater un match de tennis du tournoi de Roland Garros à la télé, John Mac Enroe était sur le point de mettre sa raquette sur le coin de la gueule à l’arbitre lorsque j’ouvris l’enveloppe: le soldat Berthou Guy né le 14 juin 1962 sera incorporé au glorieux 126e régiment d’infanterie de Brive le 2 août 1983 au matin. Question rapprochement, je ne pouvais pas avoir mieux, 100 bornes, 2 heures de micheline et donc la perspective de rentrer un maximum de week-end à Reilhac pour revoir tous mes amis et ma famille. Question planque fallait voir, il y avait rien de précisé à part 11e compagnie d’instruction…..”C’est quoi cette affaire?”….”Compagnie d’instruction?"………….       " C’est là où on mets les futurs planqués, les chauffeurs, les cuistots, les transmissions, les jardiniers, les gros culs….Tu pourras peut être passer tous tes permis ducon, t’es vernis pas croyable, t’as évité compagnie de combat!” qu’il me dit Rocagel l’ancien porteur FM de la 1ere Cie de combat contingent 81/04 . Mais le gars Molinier de me briefer: " Heu..le 126e , c’est un régiment disciplinaire Roca , ils y amassent les crétins , les petits marlous et les traîne-savate , il leur faut des bœufs pour remplir les compagnies de combat, des nazes qui réfléchissent pas , Berthou l’intello, il va pas s’y intégrer avec ses bouquins dont je comprends même pas le titre" et Roca de répondre fort à propos : " Où t’as vu qu’il existait des régiments pas disciplinaires, tu vas à l’armée et c’est la discipline, la base de tout le fonctionnement  " . Roca de renchérir  aussi sec: "T’inquiètes pour Berthou , après l’instruction , il le mettront au secrétariat du colon car à Brive, les Bac+2, y’en a pas des masses , je te l’avais dit Bébert tu seras le roi du pétrole à la compagnie de commandement, le gars de confiance des officiers supérieurs si tu perds ta fâcheuse habitude de trop ouvrir ta

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grande gueule à la moindre remarque sur ta tenue ou ton rasage négligé, tu monteras même en grade sans passer par les pelotons de formation des gradés, allez allons boire un coup au café de la gare, ça t’habitueras  des bidasses , ce vendredi soir, sur qu’on va en choper quelques uns qui reviennent de Brive“….Rien à répondre, toutes ces paroles venues de mes copains me réchauffaient le cœur, ça sert à ça des amis. Au café de la gare, on rencontre le rouquemoute, un de nos potes rouquin , d’où son blase,  adepte de motocross à qui il ne restait plus qu’un mois et qui ne faisait que se marrer de rencontrer quelqu’un qui allait assurer la relève, lui à Limoges il était dans le génie, sergent en raison de son niveau d’étude: "Une crouille (ne pas confondre avec pouille = gradé engagé), voilà ce que tu es !" Lui adresse Roca qui gardait quelques mauvais souvenirs des appelés qui avait pris du galon et qui l’avaient relativement assez fait chier: Plus que les engagés, précise t’il;et même qu’un soir on a chopé un aspirant dans les rues de Brive, à 5 on lui est tombé dessus, le lendemain, l’aspi, il se trimballait dans la compagnie avec des grosses lunettes noires de soleil pour cacher ses cocards, ses yeux pochés , j’te dis pas l’avoinée qu’on lui a mis, mouarfff . Me réconfortant dans mes regrets d’avoir refusé les EOR sur cette affaire le pote Rocagel . Tout juste s’ils ont pas commencé à se mettre sur la gueule, un petit aperçu de l’ambiance qui m’attendait, voilà ce que m’offraient mes potes , l’ambiance bidasse avant l’heure en quelque sorte!

Le mois de juillet se passa dans l’attente entrecoupée des sorties dans les fêtes communales mais avec une sorte d’angoisse constante que je feignais de cacher au maximum et puis tout le monde me disait que j’étais vernis de rester sur le secteur, de ne  pas avoir à partir dans l’est ou en Allemagne d’où je n’aurai pu rentrer en permission que 5 ou 6 fois dans l’année étant donné les distances en train. La veille du départ fut une belle soirée d’été  en compagnie de mes plus fidèles copains à faire une partie de pétanque au cours de laquelle je ratais tous mes tirs et le seul encouragement qu’on me fisse, c ‘était l’espoir de me voir revenir meilleur tireur…….. Nuit blanche à gamberger, attendre le beau-frère qui m’amena à la gare pendant que ma mère s’efforçait de ne pas pleurer sur le pas de la porte  avant que je ne  sois parti comme à son habitude pour chaque départ de chacun de ses enfants.

Chapitre 3

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LES   CLASSES: 1ere PartieDeux heures dans ce train quasi vide à destination de la ville de Brive, j’ai beau regarder à gauche et à droite personne de mon âge susceptible de rejoindre le 126e, je descends du train avec la ferme intention de marcher très  lentement jusqu’à la caserne en pensant à la chanson de Sardou  ("Je suis arrivé, un beau matin du mois de mai! avec à la main, les beignets que ma mère m’avait fait, ils m’ont demandé mon nom, mon métier, alors fiers de moi, j’ai répondu artiste de variété, à ce moment là, juste derrière moi, j’ai entendu rire un type que je connaissais pas, le rire du sergent…la la etc…".) et cela pour profiter des derniers instants de la vie civile mais après 500  mètres, voilà t’y pas qu’un bus de couleur kaki s’arrête à mon niveau: ”tu vas à l’incorpo? ”. Putain comment que les chauffeurs sont habitués à nous reconnaître les bleus avec notre sac et notre gueule de six pieds de long, un peu que j’y vais à la caserne et que j’ai pas osé dire que je préférai y aller à pied alors j’y suis monté dans ce bus déjà plein de type qu’on semblait mener à l’abattoir vu  la tronche qu’ils tiraient. Le groupe est dirigé direction le foyer et là je vois un gars à l’accent du sud habillé civil et cheveux long comme tous ceux de la 83/08 qui arrivent ce beau matin , le dab est là accoudé au comptoir comme si c’était son rade habituel ou il vient boire son café tous les matins si bien que j’ai cru qu’il s’agissait d’une sorte de moniteur destiné à nous accueillir  , il y a des mecs comme ça partout où ils sont, on a l’impression qu’ils y sont des assidus et je m’approche naturellement de lui plutôt que de la majorité qui tirent une gueule de veillée mortuaire . Putting cong enculé que ce matin pour venir je pleurai  et toi  t ‘arrives  d’où ? …….. D’Aurillac, 2 heures de train et vous, vous êtes du sud on dirait? – On est de Toulouse, on s’est connus dans le train, c’est où ça Aurillac? …. à 100 bornes à l’est de Brive ……et des patati patata jusqu’à ce qu’un déguisé en treillis ranger béret vienne interrompre nos remontages de moral inter actifs pour nous diriger et nous driver:  “Aujourd’hui on vous incorpore, on vous donne votre paquetage,on vous coupe vos tifs réglementairement et on vous conduit à vos piaules pour y ranger vos armoires réglementairement, je suis le sergent Bétan, ça se voit à cette barète dorée ( qu’il nous montre scratchée sur le devant du treillis) quand vous voulez vous adresser à un sergent, vous l’appelez sergent et pas monsieur ou autre connerie de dénomination venue du monde civil, est ce que c’est clair? ” . Personne ne moufte y compris les grandes gueules de Toulouse. La queue basse, tout le monde le suit ce chef désigné!

Le coiffeur, pas boule à zéro mais presque qu’il m’a fait, les autres on dirait qu’ils ont fait exprès d’arriver avec la tignasse la plus longue et la plus hirsute possible. Quand on en ressort, on est déjà un peu moins civil, direction l’infirmerie où je rencontre un gars d’Aurillac qui me propose de me mettre G3 afin que je sois dispensé de marche étant donné que j’ai une scoliose qui m’afflige depuis mon enfance, le surpoids des cartables à se trimballer à pince de la 6e à la terminale, je refuse, le surprenant: « T’es un drôle de mec,toi! Si tu as envie de marcher , c’est ton problème! »

Direction le fourrier où il faut faire attention car on dirait que les gars ont décidé de nous filer les fringues qui nous vont le moins possible afin de bien soigner notre apparence de bitard, surtout les chaussures rangers extrêmement important de bien les choisir à sa taille pour les marches qu’on va se taper. On met tout dans le sac marin et on nous dirige vers le bâtiment de la 11e Cie d’instruction, c’est des piaules de 8, je me jette sur un lit situé dans un coin afin de n’avoir qu’un autre soldat à côté mais je commis l’erreur de prendre la plus proche de la porte c’est à dire celle où le caporal de semaine va balancer un grand coup de pompe tous les matins. Cette piaule on va y rester durant les deux mois de classes et j’ai pas été gratiné question congénère, je vais m’en rendre compte rapidement, tout de suite un caporal rentre et

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nous indique comment ranger nos armoires, le treillis de défilé à gauche, le treillis journalier à droite, la boite à cirage à 2 cm du bord, la gourde sur l’étagère du milieu à coté du quart et pas le contraire……pour les ramollis du bulbe , pas évident, faudra leur affecter un soldat débrouillard pour les encadrer.

Le rangement compris , un sergent viens nous expliquer ce qu’est la propreté dans une piaule du 126e RI, pas de poussières nulle part, il nous montre son truc, sa façon de passer le doigt sur les armoires ou de lancer le béret sur le parquet .  “Si la piaule n’est pas impeccable de partout et si il y a une saleté même sous le lit du 2e classe Malvezin lors de la revue précédent le départ en permission, c’est tous les huit qui seront plantés pour la perme du week-end ! Planté! La punition la plus sévère, celle qui dissuade tout récalcitrant de ces belles années 80 dont l’unique objectif est d’aller se trémousser dans les disconight ou pour certain d’aller retrouver leur"copine".

Tout d’un coup, grosses gueulantes dans le bâtiment : RASSEMBLEMENT! Badaboum , tous les bœufs déjà conditionnés à sprinter dans l’escalier quitte à piétiner le malheureux qui se serait viander la gueule dans cet escalier piégeux.

On nous apprend à nous aligner et à former des pelotons de défilé pour marcher au pas “pour aller à l’ordinaire, toujours au pas!”

“Il vous manque pas quelque chose, tas de bœufs?”

“On est encore en civil, mon sergent”

“Bien observé, remontez dans vos piaules, on va vous apprendre à mettre vos treillis”

Putain, il est deux heures et on a rien bouffé depuis 7h du matin, je vous raconte pas l’habillage, moi je connaissais un peu, étant chasseur et pécheur, je mettais les treillis du frangin et il m’avait appris à les mettre, bien serrer le bas du treillis avec la ficelle autour de la ranger et que ça dépasse pas.  Bref après 2 heures, on descend attifés militaire, le béret de traviolle pour la plupart  mais pour nous entendre dire que l’ordinaire a fermé entre-temps: vous boufferez ce soir tas de psycho, d’ici là, on va vous apprendre à marcher au pas!

De 14h à 19h apprentissage de la marche au pas pour la section des conducteurs où je suis affecté, le cirque total, la plupart n’arrivent pas à coordonner jambes et bras mettant en fureur nos jeunes sergents qui sont tous des appelés et qui flippent car il s’agit pour la plupart de leur premier commandement d’instruction de ce fait, ils veulent pas décevoir leur  supérieur. Et ils s’y mettent à quatre à nous gueuler dessus:  Bande de pouilleux , alignez vous, en avant, marche, une, deux, une, deux, le talon gauche martèle le sol en 1er , les psychos (Ceux qui s’emmêlent les pinceaux ont droit à des cours particuliers) .  Le soir on nous accorde le repas, on a 20mn et on doit être présent au garde à vous à 20h30 en bas de la Cie.

Pourquoi faire? : “On va vous apprendre à vous présenter tas de pingouins .Vous allez répéter la phrase suivante les uns après les autres en gueulant le plus fort possible » :

“Soldat Berthou, compagnie Bardin, section Walter, je suis conducteur à l’instruction, à vos ordres mon lieutenant”  Walter c’est l’aspi qu’on appelle mon lieutenant et Bardin c ‘est le capitaine pour cet exercice pédagogique de la plus haute importance,  ça se serait terminé à 22h si le soldat Carival de Bordeaux  n’avait pas répété 15 fois en bafouillant, bégayant rouge

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écarlate : “soldat Carival , compagnie Bardin, je suis…je suis conss..consst…constructeur à l’industrie..”On n’arrivait plus à se marrer à 11h du soir tellement on était crevés, Carival on le haïssait ! Bon allez vous pieuter les bitards !....Minuit fin de la 1ere journée au 126e RI.

En se pieutant peu d’échanges de paroles dans la chambrée et 7 paires d’yeux haineux à l’égard de Carival le bafouilleur qui nous a fait coucher 1 heure plus tard avec ses borborygmes.

Cinq heures :  « Tatata tatata tatatata tata tatam » le clairon au milieu de la cour, ça avait de la gueule, faut reconnaître et en même temps un caporal qui rentre dans la piaule en hurlant:       «  REVEIL! Vous avez une demi heure pour votre toilette et mettre la chambrée réglementairement nickel et que je viendrai l’inspecter et déciderai si vous pourrez aller prendre votre petit déjeuner tas de couilles molles! »

Tu parles si ça a astiqué sévère la piaule, le caporal rentre et fouine partout, bien sur Carival, son lit, il est pas au carré, il serait plutôt au triangle, on sera pas les premiers à prendre le café ce matin mais on y fait carrément son pieu et on y descend le boire ce café au lait avec pain et beurre bienvenu. La matinée, descente de toute la section encadrée par l’aspirant Walter (ce que j’aurai pu être si j’étais resté dans la salle aux 3 jours de Lyon), un balèze de 1m90 à lunette à qui il reste 2 mois d’où un certain dilettantisme dans son instruction. Son 1er discours : « Les gars vous êtes la section des chauffeurs, vous aurez une instruction où vous passerez beaucoup de temps aux leçons de conduite afin d’obtenir votre permis militaire qui sera validé dans le civil si vous faites pas de conneries, mais croyez moi tout le reste du temps sera consacré à l’instruction militaire proprement dite : marches, tir, lancer de grenades, apprendre à marcher au pas en chantant, exercices de combat sur le terrain de nuit comme de jour, vous êtes au 126e RI,un glorieux régiment, comme vos camarades des compagnies de combat, il faudra mériter votre fourragère à l’issue des 2 mois en faisant la marche de 40 km. Vous allez voir, au début, on rechigne mais l’armée, on finit par aimer ça ! ». Je ne vous dis pas les regards sceptiques qu’on s’échangeait.

Allez , la section formée en plusieurs lignes bien rangées , chaque homme séparé par une longueur de bras, en avant marche .et allez que ça part dans tous les sens, l’aspirant aidé de deux sergents, il a l’habitude et au bout d’une demi heure,ça commence à marcher plus harmonieusement.. «  Quand je répète gauche…. Gauche…., vous heurtez votre talon gauche sur le sol, et puis une, deux, une, deux, à mon signal pour s’arrêter, vous vous préparez et stoppez jambes jointes. »…….Ces singeries vont nous prendre des jours avant de faire marcher harmonieusement notre section.

Et il y a les chants, une fois qu’on sait marcher au pas, la 1ere au 126e RI, c’est Eugénie.

Eugénie, les larmes aux yeux,Nous venons te dire adieu;Nous partons de bon matinPar un ciel des plus sereins.Refrain:Nous partons pour le Mexique,Nous partons la voile au vent;Adieu donc, belle Eugénie,Nous reviendrons dans un an.

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2. Ce n’est pas drôle du toutQue de penser à l’amour,Surtout quand il fait grand ventPar dessus le gaillard d’avant.Refrain:

Voilà, cette chanson avait un rapport avec l’histoire du régiment qui au 19e siècle avait envoyé des hommes pour se battre au Mexique comme les légionnaires qui avaient écrit là bas la glorieuse page de la bataille de Camerone.

Au passage, pour les jeunes n’ayant pas connu « la chance » d’effectuer l’armée, voici dans le tableau ci-dessous la distribution des rôles à la caserne du plus bas au big-boss :

Militaires du rang : soldat de 2e classe et de 1ere classe, caporal, caporal/chef

Sous officiers : sergent, sergent/chef, adjudant, adjudant/chef, major.

Officiers : Aspirant, sous lieutenant, lieutenant, capitaine, commandant, lieutenant/colonel, colonel.

Et puis tout en haut les généraux de deux à cinq étoiles.

Ce tableau des grades en vigueur dans l’infanterie va des MDR (militaires du rang) soldats de 2e classe, de 1ere classe, caporal, caporal chef qui eux mangent à l’ordinaire. A partir de sergent on mange au mess et on a sa piaule. Ces galons sont constitués d’un bout de tissu carré qui est scratché devant la poitrine afin qu’on le voie tout de suite (Sur des épaulettes, c’est pour les tenues d’apparat) . A l’époque de l’armée des appelés les gradés appelés étaient distingués des gradés engagés, ces derniers avaient en plus un petit liseron doré.

Mais il existait un autre grade officieux mais qui avait du poids, c’était entre les appelés le nombre de jour qu’il vous restait à tirer, je fus ainsi surpris au bout de 10 jours de voir dans la cour un caporal/chef qui avait mis de corvée un 2e classe et comme celui-ci refusait de le faire le capo/chef lui rappela qu’il était gradé et pas lui et l’autre de répondre :«  48 dans ta gueule et je t’emmerde » ce qui suffit à faire repartir le 3 galons sa bite sous le bras.

Moi, j’en étais donc à ce moment là à un score de 350 déprimant. Inutile de vous préciser que le 1er week-end on le passe à la caserne, ils ne vont pas nous lâcher tout de suite quand même, j’ai pas compté le nombre de vaccins que j’ai subi et qui nous ont occasionnés un mal dans tous le dos pas croyable. Pas suffisant pour nous empêcher de marcher au pas :« Eugénie les larmes aux yeux……. ».

Le dimanche après midi , ils nous laissent dans nos piaules ce qui nous permet de commencer à faire vraiment connaissance, il s’avérait que tous les autres gars étaient du sud ouest , étaient plus âgés que moi et avaient tous commencé à travailler dans le civil et l’armée, ils l’avaient repoussée un maximum sans avoir pu se faire réformer,en sus de Carival plâtrier peintre à Bordeaux, il y avait Portos carreleur à Bayonne, Bléro menuisier à Toulouse, Degoul employé à Millau, Natié chômeur à Castres, Timbrolo manutentionnaire à  Albi et Cavignac vendeur dans un magasin de fringues à Bègles. Tous ces gars avaient des économies, une fiancée d’après ce qu’ils disaient et faire le service venait tout interrompre brutalement. J’avais bien vu que je les intriguais du  seul fait que j’ouvrais un bouquin le soir avant de m’endormir si

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bien que Portos qui m’appelait l’écrivain  m’apostropha : « Dis donc, toi l’écrivain, qu’est ce que tu fous ici parmi les bœufs comme nous, t’as l’air instruit……. t’aurai pas du être dans l’armée de l’air ou à l’école d’officier? Pourquoi ils t’ont mis avec la section des chauffeurs d’un régiment de truffions».

« Je voulais rester proche d’Aurillac et j’ai refusé les EOR afin de faire comme mes frangins et mon père et être avec les fils du peuple dont je suis issu, les gars, je suis un fils de bouseux, faut  pas croire ! »

Scotchés, les rombiers de la piaule: « T’es vachement con, t’aurai été sergent minimum et t’aurai bouffé au mess, faut être un étudiant  ou un fils de bourges pour raisonner comme ça » dit Portos et Carival de me pointer du doigt en se marrant de toutes ses ganaches jaunies par les deux paquets de gitanes mais sans filtre quotidiennes qu’il bombardait : « Hé, il croyait partir en croisade  l’écrivain, mouarfff , le con! ».

Dur ça va être de s’intégrer après ce début d’autant plus que les gaziers ont du fric et que dès qu’on aura la permission d’aller traîner dans Brive le soir, ils ont l’intention d’aller écluser sévère dans les rades et que moi j’ai pas un radis pour remettre la tournée, va leur expliquer ça !

Le lendemain y a Carival qui remonte tout blanc et qui nous dit : » Le lieutenant Walter a affiché un programme de la semaine pour la section, tous les matins on a les leçons de conduite et les après midi que des conneries comme tir, combat ou marche, putain on va en chier ! On va en chiiiier , quelle connerie la guerre ! »

Les leçons de conduite, ce sont d’autres appelés les moniteurs qui nous les donnent, ils nous traitent nous les bleusailles pire que les sergents, à croire que dans ce régiment chacun maltraite son plus bas que lui à plaisir et c’est ce que je vais découvrir à mon age , la nature humaine est ainsi faite , mon moniteur qui s’appelle Nasri  essaye de m’épater en poussant des accélérations de malade dans les rue de Brive avec la méhari en me disant que quand je saurai conduire comme ça je pourrai causer. Nullement impressionné et répondant un minimum à ses vannes, je vois bien que je l’énerve déjà en ne lui léchant pas le cul comme font tous les autres mais de plus, un jour que j’avais foiré un créneau, le voilà t’y pas qu’il essaye de me taper sur la tête comme n’oserait plus le faire un instituteur à un élève de cp . Sa main rencontre mon avant bras qui avait par réflexe paré son coup ce qui le mit en rage et le voilà qu’il essaye de me retaper dessus et que sa 2e main rencontre encore mon avant bras, je vous avais précisé que je pratiquais assidûment le karaté Shotokan avant de rentrer dans cette caserne,  j’étais même déjà ceinture bleue, alors qu’il armait une 3e tentative, il rencontra mon regard et entendit ceci : «  Tu es mon moniteur , je sais pas si les autres acceptent de recevoir des coups mais le prochain que t’envoies, non seulement je le pare mais je t’en retourne deux dans ta sale gueule de con et je t’éclate tes lunettes de ta fioles, c est pas parce que tu mesures 1m85 que tu me fais peur, si tu veux, on se retrouve dehors en civil dès qu’on a une autorisation de sortie et ça sera où et quand tu veux, étant donné que je suis l’offensé, j’ai le choix des armes mais je te laisse décider: couteau ou à mains nues! »

«  Beuheu… t’énerve pas mais tu comprends, c’est dangereux de rater un créneau, le jour du permis, ils ne te feront pas de cadeaux » qu’il bredouille le Nasri « J’en rien à branler de ton permis connard, s’ils veulent pas me le filer, qu’ils se le carrent dans leur slip kaki je le passerai dans le civil, t’es qu’une lope , une glaire, un étron , tu refuses de t’expliquer

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d’homme à homme donc tu écrases jusqu’à la fin de mon instruction et tu ne m’adresses plus la parole sauf pour m’apprendre à conduire cette poubelle!»

« Bon, okay, allez pas la peine de s’énerver, rentrons à la caserne, leçon finie pour aujourd’hui » Plus un mot sorti de sa gueule d’enfoiré et une paix royale qu’il m’a foutue jusqu’à la fin des leçons ce taré au nez crochu, j’ai appris par la suite qu’il se comportait idem avec tous les pauvres gars qui avaient pas de répondant ou qui étaient pas impressionnant physiquement, il faisait parti de toute cette espèce de salopards qui abusent d’une situation, d’une fonction pour martyriser les plus faibles et j’avais pas fini d’en rencontrer tout au long de ma vie.

L’après midi, la section va à l’armurerie percevoir, comme on dit à l’armée, les FSA pour marcher avec jusqu’au pas de tir situé à une dizaine de kilomètres. Le FSA ça veut dire fusil semi automatique fait de bois et de métal, c’était le successeur du MAS 36/45 utilisé en Algérie et on s’en servait encore au 126e, les FAMAS ne devaient pas tarder à arriver. Toujours est il qu’il pesait lourd ce flingue avec toutes les autres conneries qu’ils nous obligeaient à porter, gourde pleine, pelle US, chargeurs, masque à gaz, presque 20 kg à trimballer vingt bornes aller retour, une petite marche qu’on va faire quasi quotidiennement en ce mois d’août où on crève de chaud, ça rechigne dur dans cette section de conducteur que ça leur parait le bout du monde 2 fois 10 km avec un fusil , moi ça me délasse car je me rends compte qu’on m’a mis dans une section de geignard mais ça m’intéresse quand même de ressortir d’ici avec mon permis que c’est pas donné dans le civil alors plutôt que de demander audience au capitaine pour qu’il me mute en compagnie de combat ou au PEG ( peloton d’élève gradé pour être caporal ) , je me la boucle et vais continuer à subir les pleurnicheries de Carival, les conneries de Timbrolo et les branlettes bruyantes de Natié dans la piaule.

Le lendemain matin, test de Cooper, ça consiste à nous faire tous courir pendant 12 mn pour savoir quelle distance on est capable de parcourir pendant ce temps. A la fin, compte rendu des performances, sans me défoncer je termine 2e  de la section en effectuant trois Km ce qui me vaut citation par l’aspirant Walter et au retour dans la piaule, les jérémiades : « Hé l’écrivain, je croyais que tu voulais pas être sergent, t’as besoin de galoper comme ça ! » dixit Portos et Carival de bafouiller : «  Tu pouvais pas faire comme nous plutôt que de te te ffaire remma- remarquer, non ! »

« Pour faire comme vous, il aurait fallu que je marche, vous poussez un peu les gars, vous dites ça à un type qui a refusé d’être gradé, faudrait que je fasse semblant d’être paraplégique en plus. »

Voilà l’ambiance dans cette jeunesse française qui ne connaissait de l’armée que le film des charlots : les bidasses en folie , maintenant, amis lectrices et lecteurs , je suis à même d’analyser et de trouver des raisons au comportement de mes semblables car  toute cette doxa antimilitariste,  j’étais pas encore en mesure de comprendre qu’elle faisait partie du grand basculement mis en œuvre par le système , basculement de mai 68 certes mais commencé déjà bien plus tôt, basculement conduisant à l’inversion des valeurs qui ont construit notre civilisation occidentale, celle qui a envoyé un homme sur la lune, basculement des valeurs d’honneur, de patriarcat, de famille, de religion,  de respect des  ancêtres, de la nation vers des non-valeurs d’individualisme, de dissolution de la famille, d’hédonisme, d’athéisme forcené, d’internationalisme d’essence cryptocommuniste, disparition progressive du principe de non contradiction qui constitue un des fondements de notre avancée ( en gros si vous écoutez deux ou trois conversation de vos contemporains ou écoutez nos journalistes vous vous apercevez

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qu’ils sont capables de dire dans la même phrase tout et son contraire) , c’est-à-dire tout ce qui fait qu’au 21e siècle l’amour de la  tradition  et tout ce qui va avec vous fait passer pour le dernier des ringards.

Chapitre 4

                                   

                           LES CLASSES partie   2

En 1983 nous sommes bien loin de nous douter quel est notre véritable ennemi, celui qu’on nous désigne depuis 1945, ce sont les rouges. Le lieutenant Walter avec ses grosses binocles et son mètre 90 nous tient régulièrement un discours qu’il a appris aux E.O.R : «  Un jour, il faudra se battre contre les russes quand ils vont décider de passer à l’action et de nous envahir, tas de bites molles et ce jour là ; il faudra être prêt, voilà pourquoi vous êtes là, bande de nazes. »

Les russes, waouh ! C’est pas des tapettes ! Je me retapissais la tronche de tous ces documentaires visionnés sur nos deux chaînes des années soixante dix concernant la seconde guerre mondiale et que vous pouvez continuer à regarder sur la chaîne histoire , jamais une guerre n’aura été autant filmée et l’image de l’armée rouge fonçant sur des skis de fond et repoussant Hitler et ses Waffen SS jusqu’à Berlin m’était restée bien gravée , ma génération en a été abreuvée , ça m’avait toujours fasciné et d’autant que j’étais un fils d’un ancien combattant qui avait été en 1ere ligne , sa photo en guêtre lors de sa permission pendant la drôle de guerre  m’avait vraiment touché, j’avais l’impression que ça avait été découpé dans un livre d’histoire, mais non, c’était bien Eugène Berthou fait prisonnier avec 1 million et demi d’autres français en 40, les boches en étaient surpassés, tellement ils n’avaient pas prévu d’avancer aussi vite , ils disaient aux prisonniers de se garder entre eux ! Très peu ont pris l’initiative de se barrer, pire que ça, ils couraient dénoncer vite fait le fuyard qui allait leur causer des emmerdes mais ils savaient pas à qui vu qu’ils étaient tous seuls, véridique la lâcheté restera une constante universelle.

Donc, notre ennemi viendra de l’est et l’instruction, les grandes manœuvres, l’hyper structure de l’armée française ( l’effectif du contingent dépassait 800 000 hommes alors que de nos jours nous ne dépassons pas les 200 000 ! ) était construite en fonction de cela, je serai d’ailleurs tout surpris de rencontrer d’autres militaires des armées de l’OTAN durant les manœuvres, notamment des américains qui se foutront de notre gueule de nous voir équipés encore avec des véhicules qu’ils avaient laissés en 45 et à cette époque en délivrant la France 

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déjà ils avaient l’impression de débarquer chez des sous développés qui n’avaient même pas de chewing-gum , de cigarettes blondes et de coca cola . Vers la fin de mon service en manœuvre en RFA,  une armoire à glace us marines chauffeur aussi qui un soir , viendra me voir alors que je restai à me les geler à attendre un capitaine que je trimballai avec ma jeep modèle hotchkiss : «  Hey, french soldier , come on , come ! ha hahaha ». Et le ricain de me montrer son véhicule tout confort deux fois plus haut et plus gros que mon antiquité :  «  Hey,see….. Chauffage ! ». Putain, les boules qu’il m’avait mis, moi qui me les gelais dans une jeep  qui n’avait même pas de porte, pour le fun, elle était chouette, d’ailleurs quand je montre mes photos aux jeunes qui sont pas très structurés dans le temps historique , ils en sont ébahis : «  Lol, le père Berthou , il a fait la guerre , celle qu’on voit à la télé, celle où on entassait des juifs dans des chambres à gaz , la guerre des  allemands où ça pétait que c’était une guerre mondiale dans le monde…… ».

Je comprenais le phénomène de collapsus neuronal dans les cervelles de ces gosses nés dans les années 90, le rapprochement qu’ils faisaient en me voyant en train de poser à coté de ma jeep en tenue de troufion en photographie noir et blanc avec dans le fond nos vieux baraquements du camp de la courtine qui ressemblaient à ceux de Buchenwald, vu les libertés qu’on leur donne sur les dates avec les nouveaux cours d’histoire géographie où l’élève doit découvrir tout lui-même et où on doit surtout pas leur apprendre les capitales des pays, leur population et leur production de pétrole mais plutôt à mettre des flèches de toutes les couleurs sur une carte d’un continent sans frontière , ça allait vite pour eux : jeep+tenue treillis+photo noir et blanc = 2e guerre mondiale vue à la TV !

Bon, revenons à ma période des classes, les deux premiers mois d’instruction, celles où vous êtes un moins que rien et où on vous appelle dans le langage imagé militaire bitard.

Le bitard se tape avant tout des corvées, il passe plus de temps avec un balai, une éponge et une brosse à chiottes  qu’avec une arme. Moi qui avais passé une enfance plutôt tranquille de ce côté, je me trouvais au réveil à récurer les pissotières et à devoir attraper jusqu’au moindre poil de cul que le sergent, il ne supportait pas qu’on en laisse traîner un : «  Nickel, la faïence des pissotières, soldat Berthou, nickel où tu resteras ce week-end à les astiquer plutôt que d’aller revoir ta Marie Jeanne du Cantal et c’est ta bite que tu feras reluire à la caserne, hahahaaaaa ! »

Ma première perme arriva au bout de quatre  semaines, les potes étaient venus me chercher à la gare et tout ce qu’ils trouvaient à me dire pour me remonter le moral, c’était du genre : «  Qu’est que t’as loupé, on s’est trouvé de la chatte, y a même Catano le menuisier qui s’est farci une femme de 35 ans chez qui il venait installer un meuble. » Ma mère en voyant la tronche que je tirai avait tout de suite  compris que c’était pas la peine de me bombarder de questions et qu’il valait mieux me laisser aller traîner en compagnie de mes acolytes. Pas vu passer ces deux jours de perme étant donné que les deux seules activités avaient été constituées de vidage de demi de bière et de cuvage  de ceux-ci.

Retour à Brive, je rentre le dimanche soir dans une piaule vide étant le premier loin de me douter que tous les autres allaient venir se pieuter les uns après les autres jusqu’à six heures du matin en s’évertuant à faire le plus de bruits possibles et allumer tous les néons, y a même Bléro qui me réveille pour me serrer la main à trois heures du matin toutes ses ganaches dehors croyant accomplir un geste de camaraderie indispensable et ce durant le seul instant où j’avais réussi à m’endormir……. La vie en collectivité exaltante dont on m’avait parlé c’était donc ça !

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Le clairon du lundi matin, après les corvées, tous en tenue, on monte dans les camions car le colonel passe en revue tout le régiment à l’autre caserne. Montée des couleurs puis ce colon , un type assez vieux, couperosé, pas bien grand que je vois passer pour la 1ere fois d’aussi près et qui défile devant toutes les compagnies rassemblées sans rien dire en mettant sa main droite au salut militaire qui va bien.

Retour à la compagnie, on nous laisse buller une bonne heure, la radio ou un lecteur de cassette toujours à fond, pas moyen de reposer ses oreilles, la dernière fois où j’avais entrevu un capharnaüm pareil c’était quand j’avais rendu visite à mon père qui était dans un sanatorium  , dortoir de trente, un bordel parmi les tubards alcooliques qui mettaient tous à fond leur radio particulière  avec leur chat sur le lit «  Ici, jean Pierre Foucault avec Zappy Max toujours à la rencontre des français et voici le dernier tube de C Jérome….Ouhaou !….  Qu’est ce que je t’aime sur la plageu heu ….maaaa   chériiiiie d’amour cet été hié hié hié…… ».

En cet été 83, le tube, un peu que je m’en rappelle, pas besoin d’aller consulter mon encyclopédie historique de la connerie française pour vous remettre en mémoire ce fait historique capital, Portos toujours à le réclamer à son pote Timbrolo : «  Hè Timbro, comme il l’appelait , passe moi Billy Jean de Michael Jackson . » Et c’est reparti : ” Billy Jean, out my love!!!!… Hiep  hiep , ouapeuheu douapeu, grouik grouik …..gna gna ….” Pas moyen d’obtenir deux minutes de pause afin de pouvoir s’adresser la parole sans hurler alors je faisais exprès de gueuler le plus possible pour demander n’importe quoi : «  Natié tu peux me prêter  ton savon !!!!! . »  « Tiens et pourquoi tu cries comme ça ? » « Quoi qu’est ce que tu dis je t’entends pas du tout  mon pote !  »  Fissa fissa vers les toilettes où il y avait encore plus de Billy Jean out my love , à croire que c’en était devenu une question de survie que si les mecs, ils entendaient pas les orgasmes de Jackson pendant plus de cinq minutes, il en faisaient une attaque, alors vous plaigniez pas car de nos jours les jeunes mettent des écouteurs avec leur mp3, ils ont perdu l’habitude de se trimballer avec une sono ambulante disco night.

Le sergent Aimare qui vient nous dire que cet après midi, on va faire du combat contre une autre section. « Putain, les amis, cette fois on va en chier, c’est sur ! »  Qu’il bredouille le Carivainc qui était en train de faire des bises baveuses sur la photo de sa fiancée.

Tu parles, déjà on nous y emmène en camion et sur place, quelle marrade !

Le lieutenant Walter nous accompagne avec ses deux sergents pour nous encadrer , on a perçu des cartouches à blanc et des grenades au plâtre, on nous dispose en binômes de deux et pas de trois que sinon ça serait des trinômes qu’il nous explique le sergent.  La surprise qu’ils nous font sur place, c’est que l’on dormira pas à la caserne, d’ailleurs on dormira pas du tout ni on ne mangera car le capitaine au bout du récepteur lui du fond de son logement de fonction qu’il quitte pas souvent ce gros lard qui doit peser cent cinquante kilos, il a dit que ça nous fera un peu les pieds à cette section de crapauds de faire de  l’exercice de nuit, moi je me retrouve avec Boudard un autre auvergnat avec qui je m’entends au poil vu qu’on a vite compris comment qu’ils étaient dépassés les gradés , je propose au sergent qu’il nous mette sur une butte vu que j’avais senti la pluie venir et que plus on est haut avec la mitrailleuse lourde douze sept  , mieux c’est. Résultat, toute la section a passé le temps  à se chercher dans cette nuit sans lune sous la flotte. Moi et Boudard , on a creusé un trou à la pelle US suffisamment grand pour y carrer nos miches et planter la mitrailleuse sous nos ponchos: « Comment on sait s’il faut tirer où pas ? » se demande Boudard . «  T’inquiètes, on attend un max, on dort à tour de rôle et dès qu’on entend les premières pétarades , on tire tout ce qu’on

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a et on balance nos grenades n’importe où, de toute façon, on est pas à la guerre pour de vrai, une fois qu’on aura plus rien, ils nous ficheront la paix jusqu’au matin et ils nous ramèneront à la caserne et même que ce sera pas nous les plus crotteux  « .Le Boudard en gars du Cantal aussi bouseux que moi ça lui parait tenir la route, mon plan , «  Au poil, je me décrasse les oreilles à la rivière en bas , une gauloise et puis je dors en premier si ça te dérange pas , aussi sec . »

Comme prévu que ça se déroule, en haut de la colline, à l’écart où on s’est mis je savais que Walter avec son gros cul à deux mois de la fin, il viendrait pas nous faire chier et qu’on a eu droit à des félicitations au moment de tirer le bilan de l’opération. L’état des autres cacateux qui s’étaient entre tirés dessus dans le noir et certains s’y étaient pris au sérieux en voulant même continuer au corps à corps vu qu’ils n’avaient pas pu tuer l’ennemi avec leurs cartouches à blanc, ils avaient beau pu leur tirer tout le chargeur dans le bide, pas pour ça qu’ils étaient morts, juste légèrement ensourdés par le vacarme ou tout blancs par l’éclat d’une grenade au plâtre.

Le lieutenant Walter de nous dire qu’on s’était bien battu et que c’est dommage qu’on perde notre temps tous les matins à ces leçons de conduite sinon il aurait eu le temps de réveiller en nous le guerrier qui sommeille : «  Nescafé pour tous, n’espérez pas les croissants et la pipe de la Marie Jeanne, rompez les rangs ! “……« Gers ! ». …..« L’armée, c’est la vie de château ! »…….. « Pourvu que ça dure ! »

Le 126e était typique d’un régiment d’appelés, les engagés étaient tous des gradés, je crois y avoir croisé un ou deux soldats engagés mais c’est parce qu’ils avaient été dégradés pour de très grosses conneries innommables , comme on m’avait prévenu, c’était pas loin s’en faut les engagés qui se comportaient les pires mais plutôt des sergents et aspirants petits pête sec qui ne se sentaient plus avec leur carré de scratch devant la poitrine, des mecs qui contrairement à Dugland votre serviteur avaient dit oui à l’école EOR car ils avaient au moins compris qu’ils auraient une piaule à eux ce qui leur éviterait la promiscuité de sept crétins amateurs de Billijineu ou de branlettes  faisant couiner les ressorts du lit en lames métalliques. Il y avait aussi le moyen d’accéder d’entrée au grade de caporal si on était intégré au PEG (Peloton d’Elèves Gradés) durant les deux premiers mois de classe ce qui pouvait aussi permettre d’aller au PSO (Peloton de Sous Officiers) et de sortir sergent, là aussi, ça voulait dire avoir une piaule et manger au mess. Mon problème comme disait Brassens c’était que si je n’aimais pas être commandé, je me voyais encore moins capable de commander des semblables. Donc pour en revenir à la constitution d’un régiment d’infanterie du temps de la conscription, il fallait du monde pour le remplir, le 126e RI occupait deux casernes à l’époque, actuellement, il n’en occupe plus qu’une. Dans les années 80, en sus de la compagnie d’instruction, il y avait une compagnie de commandement et de service où on voulait tous aller, quatre compagnies de combat et une compagnie d’éclairage et d’appui et celles là on voulait à tout prix les éviter, c’était notre hantise à la 11e : pourvu qu’on soit affecté à la CCS car les chauffeurs qui vont en Cie de combat, s’ils crapahutent pas autant que les biffins, ils suivent et ils dorment souvent dehors avec leurs camarades et dans l’infanterie , l’ obsession des hauts gradés, c’est que les soldats soient toujours le plus souvent possible sur le terrain pour des durées variables pouvant aller jusqu’à un mois ou deux et c’est pas les camps de manœuvres qui manquaient à l’époque aux alentours de Brive, à l’autre bout de la France ou même en RFA où l’armée française avait encore quelques régiments : La Courtine, Caylus, Canjuers, Les Rousses, Mourmelon, Valdahon, Baden Baden en RFA et même certains privilégiés allaient monter des gardes à Berlin Ouest !

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Parmi les engagés, on avait une vedette , un harki qui avait donc combattu avec l’armée française durant la guerre d’Algérie, c’était un petit caporal/chef qui avait plus de quarante ans et qui continuait la vie militaire car il ne voulait pas entendre parler de retour à la vie civile, le 126e RI le conservait donc comme une relique le capo/chef  Ben Zaham avec sa légende que l’aspirant Pillon me balança comme ça direct : « 2e classe Berthou, fait pas le malin avec ton karaté parce que quand t’auras attaqué un nid de mitrailleuse dans le djebel avec une pelle US comme Ben Zaham ;  là tu pourras l’ouvrir ». Pillon avait entendu parler des quelques altercations que j’avais déjà eues avec d’autres et que j’avais du faire usage de mon art martial pour en fait, ne faire que me défendre, mais dans cette ruche, votre réputation est vite faite. Effectivement, attaquer un nid de mitrailleuse avec une pelle US…..mouarfff !………………. Mais il s’agissait même pas de demander des détails et poser des questions du style de savoir si les mitrailleuses étaient en fait dans un réduit où on avait déjà explosé les occupants à la grenade offensive quadrillée et que Ben Zaham  était simplement parti aller compter les cadavres et les achever à coup de pelle US, à l’armée, on détruit pas les légendes, elles servent à remonter le moral des troupes.

Elles  se tirent ces deux mois de classe tout doucement  et voilà qu’au deuxième mois, la 11e Cie est de semaine, cela signifie pour vous, bande de bleu bites n’ayant pas servi honnête et fidèle dans la glorieuse armée française qui vient de se taper trois défaites consécutives qu’on oublie de vous apprendre à l’école que toute la compagnie va s’occuper de monter les gardes et de faire toutes les corvées : la semaine. Mais voilà que  je viens d’aborder un point historique et je me dois de faire de l’écrit de journaliste déontologue, vous connaissez la devise du bon journaliste : Victor Hugo, poète français en clair tout le monde sait que Hugo est un poète français sauf ceux qui ne le savent pas et il faut donc le leur rappeler. Donc les trois défaites consécutives sont la dérouillée de 1940, la défaite contre le Vietminh après Dien Bien Phu  en 1954 et même la victoire militaire obtenue en Algérie qui devra être transformée en défaite pour des raisons disons de sens de l’histoire.

Cette semaine faisait gémir toute la chambrée car nous avions bénéficié de tous nos week-end en un mois et ça pleurnichait dur : « Ha, putain, toi l’écrivain, tu t’en branles et tu te branles, t’as pas de femme ! » .No comment à cette assertion de Portos le mélancolique. Donc j’étais de garde à l’entrée de la caserne, les gardes se faisaient par groupe, individuellement pendant 24 heures, nous alternions, deux heures de faction, quatre heures de sommeil. Nous étions en septembre, il faisait un bel été indien dans cette belle région du Limousin, la meilleure période pour aller ramasser les cèpes et le vendredi soir je me retrouvais à ce moment crucial au meilleur endroit qui puisse être : à la barrière de sortie, là où je voyais partir en perme tout le régiment, défilé de gugusses hilares pas encore titubants mais ça n’allait pas tarder, le spleen se lisait sur ma figure et c’est pas les trois cartouches à balles réelles dans le chargeur du FSA qui me transformaient  en redoutable cerbère de la porte, et à chaque passage fallait remonter à la main cette barrière et ne pas oublier de saluer les quelques types qui sortaient en tenue militaire, dans les années 80, ça se faisait plus de partir en perme en tenue de sortie, dès cinq heures le vendredi on se ruait dans les chambrées pour enlever nos déguisement kaki pour remettre nos frusques de civils , pourtant ça avait un avantage la tenue militaire pour faire du stop ou pour se faire payer un coup à boire. Quoi qu’il en soit, notre crâne rasé, le fait que le bidasse en perme se déplace toujours en groupe de trois ou quatre braillards souvent ivres nous faisait reconnaître à cent mètres à la ronde. Pour l’instant je monte la garde et là je me vois arpentant la caserne de nuit entre deux et quatre heures du matin, il ne se passe rien, on nous avait appris les sommations d’usage : «  Halte là ! », « Halte là, qui va là ? ». «  Halte là ou je fais feu ! »……PAN !…………… On racontait des histoires bizarres, parait que le soldat Mogné avait explosé le chat du colonel et s’était retrouvé au trou bien qu’il avait argué

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de bien avoir fait les sommations d’usage, peut être que le colon aurait pas du laisser traîner son matou dans cette caserne ou alors au moins lui apprendre à répondre aux sommations, en fait on nous faisait bien comprendre que ces trois balles réelles, il fallait jamais les percuter, pour ça que moi je ne les engageais jamais dans la chambre, quel abruti pourrait donc s’attaquer à la caserne de Brive?

Elle passe vite cette semaine, entre les gardes et les corvées harassantes plus la participation à la brigade d’intervention rapide, cette dernière consistait à nous faire passer 24 heures en tenue de combat car on nous appelait à chaque instant et on devait être tous en bas alignés au garde à vous et l’adjudant venait vérifier si on avait rien oublié jusqu’à l’eau dans la gourde. Là on dormait en tenue avec les rangers, le casque, le flingue et à la moindre alerte déclenchée par les gradés de préférence en pleine nuit, on devait se ruer au point de rassemblement prévu prêt à intervenir, on savait pas quelle intervention au juste, mais prêts à intervenir point final qu’il a dit, l’adjudant . Bien sur l’autre lourdaud de Carival qui faisait partie de cette glorieuse section prétendument rapide, il trouve le moyen de descendre en tenue impeccable mais sans son fusil que Timbrolo avait eu la bonne idée de lui planquer sous le matelas. L’adjudant Ballard : «  Désormais, à chaque fois que le soldat à l’instruction Carival fera une connerie, c’est toute la section qui sera punie car vous ne m’aidez pas  et pour tout le monde : face à terre et faites m’en 20, tas de psycho !   Et une pour le colonel, et deux pour le capitaine, et trois pour l’adjudant, et quatre pour notre régiment…………….et vingt pour le pape ! » 

«  Soldat Berthou ramène tes miches de paysan et garde à vous ! » « Présent mon adjudant ! » «  Tu seras l’instructeur attitré du 2e classe Carival, tu lui apprendras à ranger son placard, à faire son lit au carré, à cirer ses rangers, à faire péter un garde à vous correct, tu lui apprendra même à pisser et pas à se branler car c’est le seul truc qu’il sait faire !  Exécution ! » « Affirmatif, mon lieutenant ! »

Putaing cong, comme ils disaient mes camarades du sud ouest, c’est pas un cadeau qu’il t’a refilé l’adjudant qu’il me dit le sergent Culé mais que j’avais pas le choix, l’armée, c’est comme à l’école primaire, déjà au CP l’institutrice, elle me mettait au tableau pour la seconder quand elle en pouvait plus. Carival, il m’appréciait pas trop mais tout d’un coup le voilà qu’il se comporte avec moi comme un inférieur envers son supérieur. Je me sens obligé de lui dire que quand il aura envie d’aller aux gogues, il aura pas besoin de me demander la permission et là ; toute la chambrée de se marrer car ce con avait déjà posé la question aux autres que s’il faudra demander à Berthou vraiment pour apprendre à pisser comme qu’il a dit l’adjudant. Et Portos de renchérir : « Hé Berthou  en échange, Carival, il t’apprendra à te secouer le colosse comme ça, tu lâcheras un peu ton bouquin de temps en temps et t’arrêteras de te masturber les neurones, ça va finir par te rendre fou, à la caserne on est pas là pour réfléchir à dit le juteux, et à la guerre on est là pour agir et mourir  ! »  Qu’est ce qu’on se marre à la caserne m’avaient dit tous mes frangins.

La semaine de garde et corvée s’achève avec une mission simple, il s’agit d’aller chercher avec un chauffeur la brandade de morue à servir au mess des officiers, je suis avec Timbrolo et le cuisinier nous la refile en faisant semblant de cracher dedans, la chose à pas faire devant Timbrolo qui lui dit : «  T’as pas de couilles, la branlade moi je vais y envoyer ma purée dedans comme ça, ça leur donnera de l’énergie à ces connards d’officiers». Je sais pas s’il faut le retenir mais d’un côté, je trouve que les occases de pisser, voire de déféquer et ici même de juter sur l’alimentaire des supérieurs  doivent pas être fréquentes alors je laisse faire, là le cuisinier, il fait dans son froc en expliquant à Timbrolo qui possède le physique de son

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patronyme que ça craint quand même! Le cuistot, il nous refile la plat et nous suit même jusqu’au camion pour vérifier que Timbrolo, il sort pas son engin pour le faire cracher sur cette brandade de morue qui aurait été ainsi transformée en branlette de bleu-bite taré à faire ingurgiter aux officiers. Dans le camion, Timbrolo : «  T’as vu ces psycho, deux mois qu’il lui reste à ce cuistot et il continue à faire dans son slip, attend, je vais quand même leur laisser un peu de mon ADN . » Et le voilà qui soulève la serviette et qui envoie un gros mollard bien jaune glaireux qui ne dépareille pas avec la couleur du menu. Au mess, on refile vite fait le plat à un serveur et on se barre vite fait.

Ouf, c’est la permission, je décide de partir avec un gars de la CCS motorisé qui habite à 50 bornes de chez moi , j’aurai qu’à faire le reste en stop, me voilà au bord d’une route de rase campagne le vendredi soir vers sept heures et les voitures se font rares, j’aurai du louer une tenue de sortie me dis je à force de poireauter et puis voilà une mini Austin qui s’arrête et le conducteur, un gras du bide assez âgé m’invite à bord , je monte tout content vu qu’en plus, il va jusqu’à Aurillac. Conversation banale, échange d’information sur nos activités   «  L’armée, je l’ai pas faite cette connerie, ils vous font pas trop chier à Brive, paraît que c’est pas un régiment hyper cool, de mon temps, ils y mettaient plutôt les fortes têtes. » Je lui répond dans son sens pour éviter un débat qu’on n’aura pas le temps d’approfondir mais je constate qu’il passe souvent ses vitesses et qu’à chaque fois sa main touche mon genou de façon de plus en plus insistante et pour se caller vers la portière dans sa mini, ça sera jamais suffisant pour rester hors de rayon de portée de sa paluche baladeuse. D’autant plus que sa conversation tourne vers le graveleux  « Vous les jeunes militaires, ça doit vous manquer de pas voir de filles pendant si longtemps que moi je ne pourrai jamais tenir sans relation sexuelle. » Voilà ce qui me parvient à mes oreilles au milieu des effluves de tabac et d’alcool et toujours sa paluche insistante. Comprenant que ça va mal tourner, je m’adresse à lui fermement : «  Écoutez monsieur, laissez moi ici, vous m’avez bien rapproché et je crois que ça vaudra mieux ! ». Le dab de pas se démonter et de me dire qu il va faire nuit et que ça pourrait être dangereux pour un jeune homme comme moi de se trouver dans un coin de campagne où il n’y a pas un hameau. «  Laisse tomber vieux, je ferai construire s’il faut, arrête ta chignole avant que je t’en plante une dans ta gueule de gros pédé, tu croix que j’ai pas compris ton cirque ! ». Il n’a pas fallut lui dire deux fois. Vrraoummm, qu’il est reparti, j’avais attrapé mon opinel numéro 9 au cas où et les vingt derniers Km je me les suis fait à pied bien content d’avoir préservé mon intégralité anale.

Le lundi de retour à la 11e Cie , ça sera pour nous la semaine de fin des classes avec passage du permis militaire et la grande marche de 25 KM pour l’obtention de la fourragère , vous savez ou ne savez pas, la fourragère symbole du régiment c’est un cordon tressé que l’on passe par-dessus l’épaule avec le treillis de défilé ou de garde, il faut la mériter et les chauffeurs comme les autres bien que moins préparés que les soldats des Cie de combat qui eux marchent, courent, crapahutent tous les jours. La marche, je la fais tranquille mon fond sportif en endurance me permettant de savoir gérer l’effort, notre chargement est beaucoup moins lourd que celui des soldats affectés directement dans les Cie de combat ou ceux qui sont au peloton des élèves gradés, en plus du FSA devant on a un sac à dos qui pèse aux alentours de 15 kg, à titre comparatif la marche pour le képi blanc des légionnaires s’étale sur 48 heures d’une longueur de  60 km et chargés comme des mulets avec environ plus de 50 kg. D’autant que nos camarades dispensés de marche pour raison médicale auront aussi automatiquement la fourragère. La cérémonie se fait expéditivement car les gradés estiment que cette nouvelle façon de nous attribuer la fourragère en dénature la valeur ce en quoi il n’ont pas tout à fait tord : la section au garde à vous en tenue treillis de défilé, le foulard, la pucelle épinglée et la fourragère sur l’épaule, un petit discours du gros capitaine nous faisant

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comprendre que nous sommes pour les dix mois qui nous restent des hommes, mieux des soldats désormais digne de porter la tenue du régiment. De retour dans la piaule , le Carival de gueuler : soldat Carival,, les poteaux, moi qui suis plâtrier peintre et pointeur à la pétanque, ça va me rester ça, soldat Carival, quelle connerie l’armée, leur fourragère quand j’aurai fini ce cirque, je la jetterai dans la Garonne, bande d’enculés ! D’un coté, je le comprenais lui qui bossait avec son père et qui devait se marier, il perdait du temps ici pour construire son ménage, pour ça que j’avais décidé de partir tout de suite à la fin de mes études, j’avais remarqué que ceux qui avaient le plus les boules étaient ceux qui avaient reporté au maximum l’échéance et qui s’étaient établi dans le monde professionnel et marital mais les gars comme moi qui partaient tout de suite, on encaissait mieux la situation.

Le soir quartier libre pour la section, c’est à dire autorisation d’aller faire un tour en ville habillé en civil à condition d’être rentré avant 4 heures du matin, toute la chambrée s’excite tout content de mettre leur chemisette à fleur et leur bloujinne , s’ils avaient une moumoute pour cacher leur boule à zéro ils la mettraient, on me fait comprendre que s’il y en a un seul de la piaule qui vient pas ils sera bannis du clan donc je les suis. Tu parles d’une popularité pour les bidasses, il semblerait que toutes les filles évitent de trainer dans cette ville où elles trouvent qu’on y rencontre trop de militaires pleins de mauvaises manières. On trouve un rade pour poser nos huit paires de fesses et chacun se doit de payer sa tournée ce qui me met à sec car contrairement aux autres qui disposent d’économies de travailleurs je n’ai que ma solde d’environ 300 francs mensuels. C’est pas la grande foule dans cette ville d’environ 50 000 habitants et les seuls qu’on voit déambuler sont d’autres biffins, les filles qu’on pourrait voir passer afin de les siffler de notre terrasse depuis une heure qu’on y est sont au nombre de une que Portos a apostrophé:" Et la pétasse là!tu veux pas qu’on te paye un verre, on est des pauvres bidasses et c’est notre première sortie de la caserne, allez fait nous plaisir " la fille comment qu’elle a tracé, c’est comme ça qu’ils branchent les mecs de Bordeaux que je me dis……. déjà avec nos dégaines loqueteuses crânes rasés chemises à fleurs on a un sérieux handicap et on est encore en été, ensuite juste un torgadu qui nous aborde pour nous demander des sous et à qui Natié fait comprendre gentiment qu’il a sonné à la mauvaise porte: Putaingue, il craint celui là,sans déconner il voit pas qu’on est des fauchedus de bidasses! Je vois sur la gueule des mes compagnons une grosse déception, leur testostérone les avait fait sortir de la caserne dans l’espoir ne serait ce que d’apercevoir que deux ou trois paires de fesses , objectif non atteint et loin de se démonter Timbrolo propose pour qu’on pousse une sortie en boite: Il y a la Chunga et le Macoumba Night qui sont ouverts non stop, parait qu’il y a des filles pas farouches, c’est le sergent qui m’en a parlé et dit s’être farci deux ou trois canons! Tu parles , ce serpate fort en gueule se fait fort de s’être même levé la fille du colonel alors la fiabilité du tuyau percé d’avance, mais l’effet de groupe je suis mes sept compères de galère avec qui j’aurai accompli mes classes; je vous raconte pas le disconight type des  années 80 où le ratio fille/militaire devait être de de une pour 20 et quant à la qualité des pouliches c’était pas des  prix de diane, on a continué à y écluser des demis puis je me rappelle plus trop après avoir essayé de baratiner une blonde "canon "qui m’étonnait ne serait ce que d’accepter  d’échanger des banalités avec moi, je ne fus même pas en état de l’inviter à danser  étant donné qu’ils ont passé le 1er slow à 2 heures du matin et que je me suis assoupi, exténué à 1 heure. Les poteaux venus me réveiller juste à l’heure pour qu’on soit à la caserne à temps, heureusement que rien de physique n’était prévu pour la journée suivante avec 1 heure de sommeil.

Le lendemain au réveil, j’essuie les sarcasmes de la chambré: Putaing cong enculé qu’est ce que t’as pas assuré, dans ton cantal aussi tu t’endors avant de tirer un coup?  T’avais réussi à brancher une blonde canon? Y’a Portos qui l’a invité mais c’est avec toi qu’elle voulait

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danser, quand on lui a montré comment tu pionçais ferme à coté d’une baffle de 500 décibels,  elle a préféré se casser ! Toujours les actes manqués comme dans la chanson!

Le permis s’avère une formalité car ils ont besoin de chauffeurs dans ce régiment à la veille du départ à la grande manœuvre qui aura lieu au camp de la courtine sur le plateau de Millevaches avec tous les régiments composants la 15e Division d’infanterie : le 15e RCS, le 5e RCh, le 57e RI, le 22e Rima et le 20e RA et ce durant tout le mois d’octobre. Cette grande manœuvre ça en fait flipper un maximum de mes camarades car ça veut dire pas de permissions pendant un mois et de plus coucher dehors et crapahuter sans cesse, le départ sera conditionné en partie par l’affectation que nous aurons. Là les gradés nous ont à l’œil car ils sont habitués à détecter tous les stratagèmes de ceux qui veulent éviter la guerre aux cartouches à blanc.

Il y a même des tentatives de suicides, je dis tentatives car j’en ai pas vu une qui ait aboutit mais quand même le soldat Kokoleski n’a pas hésité à se taillader les veines avec une lame de rasoir et il était moins une qu’il y reste, trouvé dans la salle d’eau gisant dans une marre de sang,  il sera gardé à l’hôpital militaire de Bordeaux puis libéré, le conducteur Touré lui aura passé trois heures à se taper la cheville avec une grosse cuillère jusqu’à ce que ça enfle pour faire croire à une entorse, hôpital militaire pour lui aussi mais retour ensuite à la caserne pour faire son temps.

Il y avait aussi de drôles de gusses en civil, cheveux long qui faisaient du jardinage et qui couchaient au trou durant tout leur service, c’était des témoins de Jéhovah, ceux là obtenaient facilement le statut d’objecteur de conscience mais n’étaient pas exemptés pour autant, ils devaient passer un an à la caserne en accomplissant des activités de corvéables, de plus ils n’avaient même pas de quartiers libres , à choisir valait mieux effectuer ce service sous l’uniforme car je voyais pas l’intérêt de passer un an enfermé dans une caserne à dormir en taule car le trou c’était du sommaire, des cellules identiques à celles des taulards de n’importe quelle prison avec des lits de camps très inconfortables et dont ils ne sortaient que pour accomplir des corvées, histoire de leur faire prendre l’air, on les voyait de plus près quand on était de semaine et on les surveillait comme des gardiens de prisons surveillaient des détenus de droit commun.

Rassemblement de la section par l’aspirant Walter pour nous annoncer nos affectations, presque tous les chauffeurs vers les Cie de combat : «  Carival : 2e Cie de Combat, Degoul :1ere Cie de combat, Portos :1ere Cie de combat, Malvezin : chauffeur du colonel ha celui là nous avait bien caché son jeu mais je l’envie pas, Natié affecté à Limoges où il te préciseront ton rôle…….etc etc….Soldat Berthou, Cie de commandement et de service aide fourrier en base arrière durant le départ du régiment à La Courtine. Mais c’est du provisoire Berthou , crois pas que tu vas te gratter les hémorroïdes jusqu’à la fin de ton service me précise le lieutenant. »

Aide fourrier en base arrière, les regards envieux des autres, la plus grosse planque, aide fourrier ça veut dire que je vais faire le magasinier treillis, rangers et sacs de couchage, en base arrière ça veut dire que je vais rester à la caserne et obtenir une ou deux permes pendant que les autres iront respirer l’air frais du haut limousin.

FIN du chapitre consacré aux classes.

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Chapitre 5

    UN  MOIS DE PLANQUE.

J’arrive avec mon sac marin et mes effets à la CCS où il n’y a pas grand monde car la plupart sont partis en manœuvre, c’est le grand bâtiment central où sont tous les haut gradés du régiment avec leur secrétaire et chauffeur, un sergent me confie direct au responsable fourrier, le 2e classe Cabane à qui il reste 6 mois à tirer, il m’installe dans la piaule où j’y crois pas !!!!! Une chambrée de six où on est que trois, moi, Cabane et un autre dénommé Pierson, un barbu intello qui l’ouvre jamais pour rien dire, secrétaire particulier du colon. Le silence, le calme plat, je ne croyais pas que ça puisse exister dans cette caserne. Cabane, il est du Cantal, il habite à la « frontière entre les deux départements » et il vient avec sa moto, une 125 cm3 Honda, tout ce qui compte pour lui, se barrer en perme tous les week-ends retrouver sa fiancée qu’il aime éperdument, il me précise quand même qu’il trouve bizarre qu’on lui affecte un aide et que je devrai pas me faire d’illuse et que dès que tout le 126e sera de retour dans la caserne, un chauffeur comme moi, ils lui trouveront vite un véhicule et une affectation autrement moins sédentaire.

Sur le coup, je profite de mon job , avec Cabane, on est dans les combles et on gère les frusques, celles à changer, à faire recoudre, comptabiliser les pertes, prêter les tenues de sortie à ceux qui en veulent, vous dire si on est débordé…….Cabane en ancien qu’il est me drive dans ce bâtiment pour pas que je me fasse repérer : «  Le capitaine Atershan c’est une crevure que si tu le croises, t’as intérêt à faire péter un  de :  «  Mes respects, mon capitaine !  »  Et te fais pas repérer avec des cheveux qui dépasseraient trop derrière le béret. Là tu le verras pas trop car il fait des allers retour entre Brive et La Courtine, c’est son adjoint qui commande la CCS, un déplumé plutôt sympa mais que s’il te voit trop à rien foutre, il risque de te faire envoyer en Cie de combat où ils ont toujours besoin de chauffeurs. »

Je repars en perme avec un moral au beau fixe et me dis que les dix mois qu’il me restent si je pouvais les faire là où ils m’ont mis, ce serait pain béni. D’ailleurs je constate au retour à la caserne que je fais par une belle nuit d’octobre, je suis pour la première fois presque heureux de retrouver mes compagnons de chambrée. D’autant plus heureux qu’elle est vide et que personne ne me réveillera en pleine nuit pour me dire qu’il est arrivé. Le matin, rien à voir avec les classes, on est quasi autonomes car on n’a pas à se mettre en section et se déplacer en marchant au pas pour aller n’importe où, juste on doit être à sept heures en bas derrière la compagnie où le capitaine  nous fait péter un garde à vous que j’ai du tendre l’oreille pour l’entendre, repos, pouvez disposer ! Je fais fissa direction les combles rejoindre notre stock de chemise à repasser et de treillis à accrocher. Le Cabane sans arrêt qu’il me dit qu’au rythme où je turbine à dix heures il me restera plus rien à foutre de la semaine et qu’on a le temps d’aller au foyer pour s’en jeter une et d’en griller plusieurs de ces gauloises qu’on nous fourgue grattos, ces clopes, moi qui fumais pas je me suis mis à les bombarder comme les autres. C’est incroyable ce poste de fourrier où l’on voit défiler des tas de cas psycho dont le

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packo avait été déposé le plus souvent parce qu’ils avaient été soit hospitalisés, soit emprisonnés, soit avaient déserté et là je me rends compte que dans la France des années 80 il y avait encore beaucoup de jeunes illettrés où qui vivaient dans un total dénuement, l’armée servait aussi à ça , mettre ensemble des gars de toutes conditions sociales sous le même treillis, à Brive la population rassemblait essentiellement le sud ouest, l’Auvergne et le Limousin, quelques originaires des DOM-TOM néo calédoniens et réunionnais. Pour ces derniers, voir tomber la neige était l’évènement de leur service sauf s’il fallait aller coucher dehors ce jour là.

« Soldat Berthou, l’adjudant Jeureu désire te voir, séance tenante, tu es prêt ». « Affirmatif, sergent »

«  Berthou, le chauffeur du vaguemestre est de perme longue durée, tu vas le remplacer, prends la méhari et rejoint l’adjudant vaguemestre Mosamed »

Mazette, le Mosamed , c’est un berbère vétéran de 45 piges qui a fait l’Algérie au sein d’une Harka , c’est pas celui qui a attaqué un nid de mitrailleuse à la pelle US mais il a bien fait la guerre contre le FLN au sein d’une Harka, c’est-à-dire une section de Harkis ( Algériens volontaires pour se battre au sein de l’armée française, on les appelait au début les supplétifs) commandée par un jeune lieutenant français et épaulé par un vieux juteux comme c’était souvent le cas ce qui est très bien montré dans le film de Pierre Schoendorfer la 317e section sauf que là il s’agissait de Viets.

Le boulot consistait à l’emmener à la poste de Brive tous les matins et après midi pour chercher le courrier, le ramener et trier tout ça dans les compagnies afférentes. Assez rébarbatif, d’autant que Mosamed se montrait pas très chaleureux et qu’il suivait pas les préceptes coraniques concernant la consommation d’alcool, à huit du matin, il avait déjà du s’écluser cinq ou six ricards et avant la poste je devais poireauter devant le bistrot où il s’envoyait sept ou huit bières , sortant du troquet beaucoup plus hilare et titubant,  il rentra chez les PTT en oubliant d’enlever son pistolet de sous/off et en ressortant s’étale de tout son long sur le trottoir, je vous raconte pas le cirque pour recharger tout ça dans la méhari, le courrier, le juteux imbibé et son flingue . Et c’est pendant les dix jours que je me suis tapé cette sinécure car une fois revenu au poste, le travail de classement du courrier et la distribution , c’était pour bibi vu que Mosamed ; il avait besoin d’une bonne sieste avant d’aller retourner se désaltérer. Entre les deux siestes Mosamed me racontait comment nombre de ses frères harkis ont été abandonnés par l’armée française et qu’il avait vu depuis le bateau où il se tirait les fellagas massacrer ses frères d’arme : «  Et il y a eu aussi plein de français que ton général De Gaulle a laissé tuer , le massacre de la rue d’Isly où les tirailleurs ont tiré sur une foule pacifique de pieds noirs (presque 100 morts), les égorgements d’européens par le FLN à Oran car ils étaient pas parti assez vite, il nous a trahi ton général alors qu’on avait confiance en lui, la guerre, on l’avait gagnée sur le plan militaire, on aurait pu tenir une portion de territoire et évacuer tranquillement les pieds noirs et les harkis . Je vous ai compris, qu’il avait dit, mon cul : Je vous hais !….. Compris ! …..Plutôt que ça voulait dire.Ma famille restée en Algérie a presque été entièrement massacrée et le FLN m’a fait envoyé les photos de mes parents et de ma petite sœur, des photos de leurs cadavres mutilés, le nez coupé, le ventre rempli de pierres! Mon pauvre Birtoul , l’adjudant Mosamed que tu as devant toi, c’est un homme mort et c’est pour ça que je bois."

Mon général…De Gaulle….. Il en a de bonne de dire ça à un fils d’ancien prisonnier en Allemagne, je lui dis qu’en 62 je venais de voir le jour et qu’à l’école de la république

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française libre et démocratique, on nous cachait bien des aspects peu glorieux de notre histoire, des massacres de Vendée durant la révolution à la collaboration en passant par cette guerre d’Algérie gagnée militairement et perdue de par l’élan historique inévitable des mouvements d’indépendance. Mosamed là ; il appréciait d’entendre un jeune prêt à écouter les anciens que ça se perdait et que : c’est ça qui va vous foutre en l’air vous les jeunes français qui n’avez aucun respect des traditions,   «  Vous verrez, vous allez vous faire bouffer par les arabes, je les connais, j’en suis un, c’est pas le drapeau rouge avec une étoile qui va flotter en France, c’est le croissant ! Boumédienne, il l’a dit à l’ONU, c’est par le ventre de nos femmes autant celles qui sont chez nous que celles qui sont chez vous que nous musulmans allons conquérir le monde occidental »

Je me dis à ce moment précis, on est en 1983, qu’il débloque le juteux Mosamed  car moi qui suis pas encore trop sorti de mon Cantal, j’en vois pas des masses des magrébins, certes lors d’un séjour à Paris et dans l’Essonne où habitait la frangine, ils commençaient à être en nombre mais ils s’écrasaient à l’époque. Toutefois son discours me rappelait celui d’un vieux professeur d’histoire qui nous passionnait en nous racontant sa campagne d’Indochine et qui nous prédisait aussi le danger venu du tiers monde , je crois bien avec le recul qu’il avait du lire « Le camp des saints » de Jean Raspail qui avait écrit en 1973 un livre prophétique prédisant le déferlement pacifique sur le monde occidental des hordes faméliques venues d’Indes et du Pakistan et surtout Raspail avait prédit l’absence de réactions de nos dirigeants complètement vitrifiés par le politiquement correct imprégné dans les cervelles occidentales par les journalistes, l’éducation nationale, le socioculturel, les trotskistes, les écolos khmers verts dehors, rouge dedans comme les pastèques, le monde du showbiz……Tous ces relais investis par la gauche soixante huit arde et qui allaient dans un 1er temps conduire à l’élection d’un président socialo-communiste en 1981 . Ils investiront le camp des saints car ils sont plus nombreux que les grains de sable de cette plage, apocalypse selon saint Jean

«  J’ai failli y participer au putsh en 1961 avec le 1er REP mais ce sont les soldats appelés du contingent qui ont tout saboté en ne transmettant pas les ordres…..enfin, se ravise t-il, pas exactement, ce sont les officiers qui étaient hésitant et qui argumentaient que leur régiment ne suivrait pas à cause de la formation de comité de soldats…..comité de soldats appelés ! Mon cul !....., mon lieutenant aussi c’était un appelé, une bite molle toujours en train d’hésiter, je l’avais convaincu de foncer sur Alger avec la section cette nuit où le commandant Hélie de Saint Marc avec son 1er REP avait fait le plus gros du travail, ha pitain de melde , si on avait gagné, on partait sauter sur Paris et c’était l’armée qui aurait pris le pouvoir, tu te rends compte Berthou, on serait pas dans cette merde avec cette jeunesse de beatniks crasseux qui se croient tout permis . »

Je ne trouvais pas trop qu’on était dans la merde en 1983 mais effectivement, je pige avec le recul le raisonnement de l’adjudant, dont la famille restée en Algérie a été massacrée. Ce n’est pas pour rien si nos gouvernements UMPS qui se sont succédés depuis ne font que parler de la république, mot dont ils ont plein la bouche, la France, ils l’ont faite passer par pertes et profits  car ils savent que nous avons atteint démographiquement le point de non retour, la république, elle subsistera fusse t-elle islamique, la France c’est autre chose…….

Après ce court séjour au service vaguemestre chez le juteux Mosamed , je retourne au fourrier où on a pas mal de boulot avec le retour du régiment du camp de la Courtine car il s’agit de nettoyer et ranger tout ce qu’ils ont dégueulassé en se roulant dans la boue sombre ces troufions . Là Cabane , il me présente celui qui aurait pu être mon chef si j’étais resté, c’est l’adjudant/chef  Kowalski tout content de rentrer de ces 25 jours en dehors de sa caserne et

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pour fêter ça il nous sort une bouteille de vodka qu’il fait tourner , on est quatre car il y a en plus le sergent Douille son acolyte alcoolique et je comprends tout de suite que cette bouteille il va falloir se la vider en rasade à 4 et que j’ai pas intérêt à ne pas vider mon quart et encore à éviter de faire la grimace après . Et de faire fissa car Kowalski de ses ascendances polak il a hérité l’alcoolisme et la susceptibilité : « Qu’est ce tu fous là, soldat……..il s’approche de ma bande patronymique….Berthon, hé Cabane, au fourrier, j’en ai pas assez d’un putain  de feignasse comme toi ! »  Et Cabane de répondre : «  Berthou , il est chauffeur, ça pourra nous servir pour aller chercher les treillis à l’autre caserne ! »

« Mon cul, j’ai rien contre toi, ptit gars mais demain, je vais voir le pitaine et t’inquiètes, on va te trouver un boulot à la CCS . »

L’angoisse, je ne vous dis pas, la planque idéale sans responsabilité, je n’en trouverai pas une autre comme ça. Toutefois, l’armée étant au niveau des Cie de service un des summum de la bureaucracratie française, je vais rester encore une bonne semaine à buller jusqu’à mon départ en permission.

De retour, après la revue générale du régiment du lundi matin, convocation chez le capitaine adjoint déplumé qui me signale ma nouvelle affectation : «  Vous êtes affecté à la SREM à la caserne Laporte, ils ont besoin d’un chauffeur VL, vous aurez une jeep. »

SREM = service de ravitaillement essence et munition, toujours à la CCS mais c’est un boulot qui signifie que je passerai 75% du temps à l’extérieur de la caserne à servir de conducteur à des gradés des autres compagnies et que je risque d’avoir beaucoup de week-end bloqués.

Chapitre 6

                      

               Trois mois au service ravitaillement essence et munitions

De plus, je me retrouve à l’autre caserne, la neuve mais celle qui est loin du centre-ville donc pour les quartiers libres du soir , beaucoup moins de balade dans la belle ville de Brive mais des chambrées plus confortable par six et avec une salle de bain.

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Arrivé à Laporte, le soir au foyer je tombe sur Carival affecté chauffeur poids lourd à la 4e Cie de combat : C’est long un accouchement qu’il me demande. « Ta copine est enceinte, bravo ! » « Mais non 2e classe Dugland, un accouchement, ça dure neuf mois et c’est ce qu’il nous reste à tirer ». Carival avait fait des progrès et c’était la 1ere fois qu’il me remontait le moral, neuf mois à tirer, trois de fait, pour l’instant j’avais tendance à comptabiliser ce que j’avais fait, pas ce qu’il me restait.

La chambrée était constituée d un chauffeur de car , de quatre chauffeurs poids lourds et de votre serviteur , nous faisions partie d’une section chargée de transporter essence et munitions donc on nous refilait sans arrêt tout un tas de missions diverses qui faisaient que nous roulions beaucoup dans le secteur de la région militaire , secteur couvrant à peu près le sud ouest de la France , nous avions deux gradés engagés pour nous commander le sergent Oustachu et l’Adjudant Solex qui il faut bien le dire étaient surtout préoccupés de conserver la planque qu’ils avaient dégottée par rapport à leurs alter ego des compagnies de combat car ils n’avaient pas à crapahuter et à souffrir physiquement, j’en profite pour informer mes jeunes lecteurs qu’il ne faut pas être forcément admiratif devant une vieille baderne de militaire à la retraite qui se vante d’avoir servi trente ans  à l’armée, il peut très bien avoir passé vingt neuf ans et six mois à rien foutre dans divers services administratifs et monter en grade ainsi en léchant moult anus du moment qu’il arrivait à plier la colonne vertébrale pour mettre sa langue à la bonne hauteur. Sortant directement de l’école et n’ayant jamais travaillé dans le public ou le privé, j’étais encore bien naïf dans le domaine du lècheculisme  et ne savait pas qu’il constituait un des piliers de notre société soi disant civilisée, je croyais que seule la compétence permettait d’avancer et de monter en grade où même de gagner plus d’argent, c’est vous dire ! A la SREM ce critère était d’ailleurs le seul mis en exergue et j’allais le découvrir très rapidement.

Comme j’arrivais dans une section où les gars étaient tous des anciens à qui il restait un ou trois mois, je me retrouvais donc le plus bas dans tous les grades officiels comme officieux mais je me rappelais d’un passage de l’évangile ou Jésus rappelait à un riche qui souffrait de tous les tourments en enfer tandis que Lazare le miséreux sur terre était au paradis que  les premiers seront les derniers et les derniers seront les premiers.

Je n’avais toutefois pas l’intention d’attendre aussi longtemps pour sortir des tréfonds et je me doutais que je ne pourrais pas  me contenter de tendre l’autre joue indéfiniment, la caserne n’est pas la prison où les derniers eux se doivent d’offrir le plus profond de leur intimité à leur compagnons de misère en rut.

La première explication de texte se déroula au garage, le soutier, c’est-à-dire celui qui gère la citerne et conduit le camion de ravitaillement en essence m’avait dégonflé le pneu de secours de la roue arrière pour me faire chier sans raison apparente ce qui m’avait valu une engueulade de première par le sergent alors qu’il effectuait une revue des véhicules. Le chauffeur de bus Frinque qui m’avait à la bonne me rapporta la chose le jour même de sa libération, et comme il n’aimait pas ce type ça ne  lui coûtait rien et il avait compris comment Berthou le paysan bovin arriéré du Cantal règlerait ça de façon virile. Effectivement, le bon dieu m’offrit un moment propice pour que je puisse empoigner ce gros crétin scrofuleux par le colback et le secouer comme un prunier en lui faisant répéter   «  Je ne toucherai plus la jeep de Berthou sinon je vais prendre un coup de manivelle en travers de ma sale gueule  de macaque, répète  moi cette phrase 3 fois connard et dis je le jure».

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Je continuais malgré tout à être surpris par la lâcheté, la veulerie et l’absence d’honneur de ceux qui malgré tout ne sont rien d’autres que des français de base comme moi engagés dans la même galère et puis je ne vais pas pouvoir secouer tous les connards  du régiment qui me font des sales coups en lousdé soit parce qu’ils sont trop nombreux, soit que je risque de tomber sur un plus teigneux et bagarreur que moi.

Donc on était là tous dans la même galère et j’avais quand même beaucoup entendu parler de l’esprit de camaraderie, de solidarité…etc. de l’armée et au bout de presque quatre mois j’en étais à des années lumières n’ayant pas encore compris que cela était beaucoup plus vrai dans les unités combattantes, celles où on en chie ! L’armée en cela constitue un très bon apprentissage pour un jeune car cette situation se retrouvera forcément dans la vie professionnelle, en effet le même état d’esprit se retrouvera selon qu’il deviendra fonctionnaire de l’éducation nationale planqué syndiqué à 15h par semaine dans un établissement de campagne ou commercial exploité dans une PME à 60h/hebdomadaire, le premier se comportera en privilégié peureux grincheux désireux de conserver sa situation et pour cela n’aura qu’à se comporter comme un véritable enfant gâté  lâche et délateur ci-devant le mammouth qui le surpaye à rien branler tandis que le second devra se battre tous les jours que dieu fait, rester dans la compétition , sera débordé par son travail et n’aura pas de temps à perdre dans des querelles intestines avec ses collègues.

Un épisode comique survint alors que l’adjudant Solex nous avait réuni à l’armurerie de SREM où étaient entassés toutes nos mitrailleuses 12/7 que nous devions vérifier et nettoyer pour les confier à la 2e Cie de combat qui partait en stage-co , entre-temps nous était arrivé un caporal engagé au passé douteux, tu parles , un engagé au 126e qui n’était que caporal , c’est qu’il en avait fait, on avait jamais pu savoir quoi exactement et au reste on s’en foutait car ce dernier dénommé Nalpazian Serguey était un sacré boute en train, il se comportait comme un appelé et arborait les anneaux, 5 anneaux qui voulait dire qu’il ne lui restait plus que 5 mois à tirer sur un engagement de 5 ans qu’il avait pris, il avait été forcément dégradé de la fonction de sous/off, bref le peu qui lui restait à faire, on l’avait mis dans un service adéquat mais voilà, il ne supportait pas qu’on l’envoie sur le terrain, il voulait bien terminer son contrat sans retourner au trou qu’il connaissait parfaitement mais de la caserne point ne voulait en sortir car il créchait dans un appart à Brive avec une gonzesse dont il arrêtait pas de nous parler. Donc en plein nettoyage des flingues voilà que Nalpazian vacille, grommelle, hurle, s’effondre de tout son long sur la table des armes démontées et fait tout valdinguer par terre, la plupart d’entre nous de se porter à son secours: Mon adjudant le caporal a un malaise!……Aucune réaction de Solex qui continue à astiquer les flingues et demande à toute la section de ramasser ce bordel et s’adresse juste à moi: 2e classe Berthou, va chercher ta jeep et amène ce loquedu à l’infirmerie, ça fait 10 fois qu’il me fait le coup avant chaque départ et vu qu’il devait accompagner la 2e Cie, il se livre à son théâtre habituel et dit leur qu’il se le garde , je veux plus le voir!

Effectivement, une fois dans la jeep , Nalpazian se sent tout de suite beaucoup mieux: Tu vois comment il faut faire! Qu’ils croient pas qu’ils vont m’envoyer me cailler les miches à Barèges pendant 3 semaines, s’il faut, je ferai le louftingue à l’infirmerie pour y rester mais tout vaudra mieux, l’armée j’en ai plus rien à cirer, juste je termine en douceur pour percevoir ma pension, j’ai quand même effectué 5 ans dans leur cloaque,  merde! Je reste sans un mot me demandant si j’ai pas affaire à un vrai cinglé et vu comment il est taillé armoire, j’ai pas l’intention de le contrarier, d’ailleurs à l’infirmerie, dès qu’ils l’aperçoivent, ils ne me posent aucune question, sa chambre est déjà prête, juste ils me font signer un papier à remettre au juteux confirmant qu’il est pris en charge par le toubib commandant en chef.

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La fin de l’année civile approchant, la période des fêtes aussi et le sergent Oustachu me convoque pour me signifier que la 1ere Cie de combat part pour 15 jours surveiller le dépôt de munition du camp de la courtine, un endroit situé sur le plateau de Mille vaches et où les hivers sont terribles, je serai chargé de trimballer le capitaine avec ma jeep et de rouler nuit et jour afin de quadriller le terrain, c’était pas de la rigolade cette mission car peu de temps auparavant il y avait eu l’histoire d’un dépôt de munition situé vers Foix qui avait été  cambriolé  par on ne sait toujours pas qui à l’heure actuelle, on soupçonnait des gitans aidés par des truands qui avaient fait leur service sur place et connaissaient le terrain. Cette mission signifierait que je passerai le Noël 1983 loin de ma famille, j’acceptais car de toute façon, c’était un ordre et que ça me libérait pour le réveillon du jour de l’an 1984 en contrepartie.

Le capitaine entre Brive et le baraquement qui nous servira de base arrière n’a fait que fouetter : «  Attention, freine, c’est une jeep, ça tient pas la route sur ce verglas, freine merde  je te dis…… » Il a pas arrêté de tout le trajet que j’ai du faire à trente à l’heure de moyenne. J’avais appris par la suite qu’il avait fait trois tonneaux dans une jeep avec un chauffeur qui avait voulu passer un virage sec sans freiner avant l’entrée.

On nous entasse dans un espèce de dortoir cradingue où on est bien quarante là dedans. Je n’en connais aucun des gars de la 1ere Cie mais je sens tout de suite une bonne camaraderie entre biffins qui en chient depuis six mois, il y a deux sergents en fait, un engagé très sympa qui nous a emmené sa propre télé qu’il mettra un jour à brancher et devant laquelle on regardera Karen Cheryl le soir du réveillon de Noël dont le visage et la robe échancrée nous fera passer une nuit difficile. Le commandant du camp nous a même fait une surprise en nous apportant un gâteau      «  A vos rang, fixe ! » Puis le petit discours compatissant qui va bien envers des jeunes appelés loin de leur foyer en ce soir de Noël. Les journées et même les nuits, je trimballe un des trois gradés, on patrouille dans le secteur dès fois qu’un groupe de terroristes en manque de munitions décide de venir se servir pendant notre faction. Le secteur est bien surveillé entouré de miradors et de champs de mines. Le capitaine lui a une obsession quand on roule de nuit, il veut se faire un lapin, en effet il vient souvent ici et un jour un lapin a traversé la route au moment où il arrivait à fond en jeep, il me raconte que dans ce cas il faut accélérer un max plein phare  et avec un peu de chance le lapin passe sous la jeep et se prend dans le crâne un des deux ponts ce qui l’assomme et il n’y a plus qu’à le ramasser. A force d’insister, on finit par en voir un, le pitaine se met à hurler   «  Fonce plein phare, fonce  merde, à fond, allez Berthou , je te fais nommer première classe si on le transforme en civet ! » Le stress qu’il me met, j’appuie à fond sur le champignon, je pense passer sur l’animal et même qu’on entend un schtonk prometteur : «  Arrête toi, on l’a eu ! »

On descend et on va scruter le bitume avec nos lampes, que dalle…….. Il n’est pas resté accroché sous la caisse non plus, tu parles qu’il devait avoir le crâne solide celui là. Le capitaine déçu  pire que si on avait attaqué le dépôt, les reproches :….. que j’ai pas du accélérer assez et que j’ai trop traîné sur l’objectif alors qu’il m’avait obligé à rouler à trente à l’heure sur la route nationale depuis Brive.

Le lendemain le capitaine m’ordonne d’accompagner les patrouilleurs de nuit, la mission ingrate: une groupe de quatre grenadiers voltigeurs de pointe commandés par un caporal doit patrouiller de nuit le long de "la frontière sensible "du camp autour du dépôt de munition, marcher sans relâche toute la nuit du coucher au lever du soleil, nous sommes en décembre pour mémoire, sur le plateau de Millevaches en cette saison la nuit c’est du en dessous de zéro, beaucoup de degrés en dessous du zéro. Avec ma jeep j’assure la liaison radio et sers de relais entre notre "poste de commandement" et notre valeureux groupes de francs-tireurs au

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cas où nous serions pris à parti par d’éventuels terroristes, on pense à Jacques Mesrines  ou d’éventuels groupes islamistes désireux de s’emparer de munitions et d’ailleurs on nous confie nos Famas chargé à plein avec trois chargeurs en sus, grenades et explosifs. Les nuits sont atroces, le froid est à son comble et transperce nos parkas, c’est du moins quinze, tellement je suis crevé durant une halte j’en arrive à m’étonner à pouvoir dormir une heure sur du béton dans mon sac de couchage, ces duvets militaires sont ce qu’il y a de mieux, les nuits sont d’une noirceur effroyable avec de la brume à couper au couteau et pas de lune, parfois de la neige. Chaque matin au lever du jour nous pouvons nous pieuter au baraquement mais sans pouvoir guère dormir à cause du bruit et toujours de ces foutues radios qui insupportent, j’en arrive à m’engueuler avec le 2e classe Linares sang chaud lui aussi qui a sorti sa baïonnette et du coup moi mon opinel, on s’empoigne, roulons au sol sans que personne ne nous sépare, au contraire, ils ont fermé la porte et pris des paris, j’arrive à faire valdinguer sa baïonnette et au sol, sur lui le maîtrise en lui mettant mon couteau  à la gorge façon clause combat et même en lui plantant légèrement de façon à lui laisser une marque: fais pas chier sale con, on n’a pas dormi nous, on est resté dehors, t’arrive à piger ça enculé! Ma réputation va davantage encore se consolider après cet évènement et ma présence devenir de plus en plus indésirable au sein de la CCS. J’accomplis cette mission de patrouille et quand je retourne au baraquement, personne pour me lancer des vannes comme au début, juste le soldat Lacrampe qui me connaissait déjà pour me spécifier que mon pieu est intact et que personne a touché à rien de mes affaires: Tu démarres toujours au quart de tour Berthou, ça a des avantages mais aussi des inconvénients , fait gaffe à l’avenir, le gars que tu a lardé a conservé une entaille et l’a mauvaise car il se fait chambrer duraille, tu fais pas partie de notre Cie mec, t’es un étranger, keep cool man! Je lui répond que j’ai une grand mère gitane et qu’il y a du sang de romanichel maniaque du couteau qui circule dans mes veines ce qui est la plus stricte vérité, j’y peux rien, non content d’hériter d’un atavisme paysan d’une longue lignée de serfs, je suis voué malgré la bonne éducation républicaine que j’ai reçu à ne pas pouvoir être totalement maître de pulsions ataviques diverses.

Dans ce dortoir au moins on couche pas dehors, faut supporter toutes sortes d’effluves pestilentielles  mais on peut pioncer ferme. Bien sur, je reçois toutes sortes de propositions des soldats pour que je puisse les emmener, normalement je ne peux rouler qu’avec un ordre de mission mais là, on se retrouve avec un capitaine plutôt cool du moment que chacun est à son poste. J’attends donc  le moment propice, un après midi profitant de l’absence des gradés je cède à la proposition du 1ere classe Lacrampe qui me dit connaître le coin et qu’on pourrait aller s’en jeter un dans un bar avoisinant en pleine cambrousse de la Creuse, on rentre dans ce rade occupé uniquement par les paysans du coin, les chasseurs et les militaires en vadrouille comme nous, on s’assoit et on commande deux demis à une serveuse le cul serré dans un jean hyper moulant. Lacrampe de plus se sentir : «  T’as vu le moule, ho putain, le moule, quand on va raconter ça aux autres qui ont pas débandé depuis 10 jours, ils vont en être malade, con ! »

Lacrampe, il voulait plus décoller du rade et il a fallu que je le menace de plus le ressortir s’il suivait pas. N’ayant pas pensé à lui dire de pas rien raconter aux autres, Lacrampe pas plutôt rentrée dans la chambrée : « Berthou, il m’a emmené voir le moule les gars ! » Ca a été l’escapade jouissive que tous les autres étaient prêt à me payer pour que je les emmène voir ce fameux moule car à la 1ere il y en avait de sévères, des bandeurs qui tiraient sur tout ce qui bougeait ou ne bougeait pas, une chienne, une truie, un trou dans le mur ! Je me retrouvais le type le plus important de la situation avec ma jeep, le père Noël d’une quarantaine de braves gars mais qui n’avait pas assez de jouets dans sa hotte.

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Je ne pus qu’en ramener 3 ou 4 autres jusqu’au retour à la caserne avec à la clé une perme de 3 jours pour passer le réveillon de la saint sylvestre. Un beau réveillon avec une baston générale au restaurant et une casquette de plomb pour le 1er jour de l’année 1984. Une sortie à la neige à la station du Lioran et une idée à la con qui nous survint avec mon pote Biniewki qui lui aussi était bidasse. Biniewki , il était à Apte dans le Vaucluse là où étaient les silos des missiles nucléaires du plateau d’Albion et quand on le questionnait, tout ce qu’il nous répondait, c’était qu’il n’avait pas le droit de parler, TOP SECRET ! Les gars, il en va de notre sécurité. C’était bien du Biniewki  tout craché ça, toujours à se donner de l’importance,   mégalomaniaque qu’on pourrait le qualifier, il nous donnait l’impression que c’est à lui que Mitterrand devait demander le code secret avant d’appuyer sur le bouton rouge.

Là dans l’immédiat, tous les deux, on avait décidé de louer une luge et de faire les descentes des pistes noires et de se prendre un arbre avec dans le but de se faire une fracture afin de ne pas avoir à rejoindre nos unités respectives. Les autres loin de nous retenir prenaient des paris et on les a pas déçus , on s’est fait plein de descentes de pistes noires, on a cassé la luge en 10  morceaux , on s’est fait des bosses, des bleus, hématomes divers mais pas de fractures seules blessures suffisantes pour ne pas aller à la caserne , blessures qui auraient étés validées par un toubib militaire et nous auraient permis de rester chez nous, toutefois nous étions assez amochés et nous décidâmes de prendre notre train, nous nous porterions consultants le lundi matin à la caserne.

Chapitre 7

                                             

                                         La mutation d’office

Consultant, tu restes en survêtement et on se regroupe le matin à part, bon le sergent nous en met plein la gueule : «  Allez les filles maladives, pas la peine d’en rajouter, vous vous rassemblez devant la semaine de la 4e compagnie et un camion va vous emmener à l’infirmerie de la caserne Brune, rompez les rangs ! »  Nous voilà à sept ou huit en direction du service médical où je vais être agréablement surpris par la qualité des soins. Effectivement, les toubibs sont des aspirants qui ont souvent déjà leur doctorat en médecine, l’équipement à leur disposition rivalise avec celui d’un service des urgences de n’importe quel hôpital et il y a aussi des infirmiers qualifiés. Quand arrive mon tour, le toubib,  il voit tout de suite mes multiples bleus et hématomes et me demande comment j’ai fait ça, je lui répond que j’ai fait une chute à ski car ça fait plus fun qu’avec une luge, ils me font passer toute une série de

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radiographies  et constatent qu’il n’y a rien de cassé, me gardent l’après midi à  l’hôpital  et me renvoient le soir en me filant un papelard qui m’autorisera à rester dans la piaule le lendemain pour attendre que diminuent mes contusions, résultat : 2 journées de ronflette à la caserne , j’y retournerai sûrement à la consultation.

Retour au garage de la SREM pour la révision hebdomadaire des véhicules, qu’est ce qu’on les entretient ces vieilles guimbardes, pour ça qu’elles durent longtemps ces antiquités mécaniques qui n’ont aucune électronique comparé à nos soi-disant automobiles avancées du 21e siècle qu’on ne peut même pas ni faire une vidange, ni changer une bougie sans aller chez un garagiste, j’y aurai appris la mécanique de base, sur ces vieux moteurs, tout est accessible, de l’huile partout, dans le moteur, dans chacun des ponts, dans la boite de vitesse, dans  le système de changement en 4 roues motrices, des graissages partout apparents avec un point jaune…..Vous dire si on nous renifle de loin les mécanos à l’ordinaire, on pue l’essence , l’huile, on a du cambouis sur la gueule, l’après midi si on n’a rien à foutre,  j’ai toujours un livre que je mets dans la grande poche du pantalon de treillis, on dirait qu’elle est prévue pour ça.

De temps en temps, le juteux nous fait nettoyer les mitrailleuses, les fusils mitrailleurs légers et les douze/sept et les A52 , je deviens un artiste du montage et remontage rapide de ces deux terribles armes à feu d’une puissance terrifiante. C’est un des seuls instants où j’éprouve de l’application, le montage, démontage, huilage, graissage de ses instruments de morts me donne un plaisir morbide sûrement du au fait qu’en tant que chasseur braconnier  ;  j’ai l’habitude de manipuler les armes à feu de petit calibre depuis l’âge de 10 ans, effectivement jeunes gens du 21e siècle lobotomisés par l’idéologie écologiste verdâtre dehors et rouge dedans , les pastèques de chez EELV , les sinistres Mamere Noel, Duflot Eva pas Jolie, vous êtes loin d’imaginer que des gamins de la campagne française du Cantal dans les années 70 possédaient depuis leur enfance des armes à feu que nous allions acheter chez Manufrance accompagnée par notre mère, nous pouvions repartir avec des carabines qui tiraient des petites cartouches à grenailles de plomb 9mm, 12mm ou 14 mm voire des 22 long rifle qui tirent des cartouches à balles à une portée de plus de 2 km et ce sans permis de chasse , il faut dire qu’à l’époque nous les petits adolescents  n’étions pas des délinquants. Nous nous servions de ces carabines que  pour aller tirer des merles dans les bois et jamais il nous serait venu à l’idée de tirer sur notre prochain, la tradition, on nous considérait comme de futurs chasseurs, de même nous péchions le plus souvent sans permis le goujon, le vairon, la truite et de temps en temps allions taquiner la carpe, le sandre et le brochet dans les lacs. Une époque révolue où nous étions libres de vraie liberté , pouvoir se promener dans les champs, les forets à 10 ans en toute sécurité , laisser sa mobylette devant le bistrot sans antivol, se déplacer à vélo sans casque et rouler dans Aurillac en brûlant les feu rouges sans que la maréchaussée vous arrête car à l’époque ils s’occupaient encore des vrais délinquants pas de l’automobiliste qui rentre chez lui le vendredi soir énervé et qui a roulé à 52 km/h au lieu de 50 afin de le racketter pour remplir des caisses de l’état avec de l’argent qu’on reversera à des assistés qui eux peuvent tout casser en toute impunité sans risquer d’être poursuivis étant donné qu’ils occupent des quartiers où les “forces de l’ordre” ne mettent pas les pieds. Ma famille n’était pas assistée du tout, le père turbinait plus de dix heures par jour sans compter le trajet aller retour à vélo pour rejoindre la ferme où il faisait office de valet de ferme, les derniers esclaves des temps modernes avec les salaires les plus bas, pour vous situer en 1975, il devait percevoir 800 francs par mois. Le pater avec l’âge , il avait de plus en plus de mal à regagner son domicile, fallait aller le chercher avec la brouette quand il se faisait tard et qu’il était pas rentré car il turbinait au jinjin 12 degrés, ma mère faisait la boniche chez des employés de banque où des profs, vous savez ceux dont leurs héritiers quand on les questionne de nos jours sur leur

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origine sociale et qui prétendent provenir de milieu modeste, hé bien leur milieu modeste mes parents allaient turbiner chez eux pour  gagner que dalle et ils s’y faisaient  maltraiter bien pire que chez des châtelains où parfois ma mère allait aussi aider à faire des extras, la cuisine et que dalle les aides scolaires et médicales de toutes sortes distribuées gratuitement pour les descendants de bouseux comme nous qui ont pourtant construit ce pays, bien au contraire, il fallait faire la tournée des magasins de fringues et des papeteries qui accepteraient qu’on les paye à crédit pour chaque rentrée scolaire. Les aides, l’assistante sociale les réservait aux 2 familles d’immigrés qui habitaient le village en priorité car comment pouvaient ils occuper une maison alors qu’aucun ne travaillaient?

De l’exercice, on en fait presque plus, parfois le sergent nous fait faire un footing le matin et là on demanderait  à mes camarades de section d’aller sur la lune en pédalo, ils rechigneraient moins. En définitive je ne me sens pas bien du tout dans cette compagnie de commandement et de service où l’objectif de chacun est d’en faire le moins possible et surtout sur le plan physique tout en léchant le cul un maximum, le pire c’est cette expression que mes collègues s’envoyaient constamment à la figure et que je comprenais pas : «  Berthou si tu t’écrases pas, on va te baiser la gueule », entre eux ça arrêtait pas : lui je vais lui baiser la gueule. En fait ça consistait à se venger ou à accomplir gratuitement un acte envers son semblable appelé du contingent de manière sournoise afin que cela le conduise à le faire punir par son supérieur  , par exemple à un chauffeur poids lourd qui partait en mission, lui enlever de sa trousse de dépannage au dernier moment la manivelle de démarrage, un truc dont on avait toujours besoin avec ces vieux pièges , le pauvre gars en manœuvre dont le gros Simca ne démarrait plus et qui avait besoin de sa manivelle et qui découvrait qu’elle n’était pas dans la trousse de secours se faisait planter une permission  par un gradé derechef. Je ne concevais pas les choses comme ça, je vous ai déjà conté plus avant, je pensais qu’il suffisait de choper le saboteur en seul à seul et de le secouer, lui en mettre une si nécessaire, mais non ! Cette philosophie restait minoritaire chez les planqués et dans un certain contexte les humains se comportent comme des judas rien que pour conserver un statut de privilégié, un peu ce qui se passe dans la fonction publique française pléthorique où chacun est conscient d’être privilégié ne serait ce que par la sécurité d’emploi dans un contexte où un cadre du privé qui se retrouve au chômage à 50 ans n’a plus qu’à se tirer une balle dans la tête, le fonctionnaire bien conscient de son privilège ne peut que faire semblant de se plaindre et se permettre par des gréves fréquentes de continuer à faire jouer avec ses syndicats sa capacité de nuisance en emmerdant par le blocage du pays le reste de la population, celle qui travaille, produit des richesses et non des paperasses et des règlements.

La situation empirait crescendo pour mon matricule dans cette section : «  Le bouseux du Cantal, il est pas fin, il se plie pas à notre règlement du baisage de gueule, parait qu’il a voulu casser la gueule au soutier rien que parce qu’il lui avait dégonflé son pneu de secours », et que les oreilles me sifflaient depuis cette mise au point avec ce jocrisse.

Alors que nous nous trouvions tous au camp de Caylus, un très grand camp de manœuvre situé dans le sud ouest de la France près de Montauban, lors d’une nuit de janvier à tous nous les geler et que nous devions monter la garde à tour de rôle pour surveiller les véhicules et que j’avais fini mes deux heures bien éveillé, je réveillais le 1ere classe Uilé pour qu’il prenne son tour. Durant la garde on était censé garder l’œil ouvert et si l’ennemi (d’une autre compagnie qui jouait ce rôle) s’approchait, le gars de faction devait déclencher les pièges fait avec des grenades au plâtre  ce qui allait foutre un bordel d’enfer et nous mettre tous en état d’alerte maxi. Ce naze de Uilé pionçait ferme et bien sur c’est à ce moment que les autres nous tombaient dessus et nous encerclaient sans coup férir.

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Le capitaine qui comme par hasard était là, venait demander à l’adjudant pourquoi le gars de garde n’avait pas tout fait péter, l’adjudant alla s’en enquérir auprès des baiseurs de gueule de cette section qui tous unanimement lui dire que c’était le paysan du Cantal Berthou qui s’était endormi pendant son tour couvrant ainsi leur ami Uilé, vous avez compris amis lecteurs le baisage de gueule, le coupable désigné le capitaine se dirigea direct sur moi pour m’engueuler comme un putois et me sanctionna en me plantant pour ma prochaine perme, ne pouvant supporter cette injustice et comprenant qu’il était inutile de chercher à rétablir la vérité je lui tint ces propos :  « Mon capitaine, cette compagnie de commandement et de service remplis de faux cul, j’en veux plus , je demande ma mutation en compagnie de combat et comme simple soldat de base s’il le faut »

«  S’il n’y a que ça pour te faire plaisir, je vais te faire envoyer à la 3e dés le retour à la caserne et avec eux tu auras pas intérêt à t’endormir pendant les gardes  ! »

Cela surpris beaucoup tous les gars de la SREM qui n’avaient jamais vu un gars à qui il restait 6 mois demander sa mutation vers une compagnie de combat mais j’en avais trop marre de supporter cette ambiance totalement contraire à tout ce que j’avais pu imaginer sur le soi disant esprit de camaraderie entre les soldats appelés du contingent dans un régiment d’infanterie.

Dans la piaule, les persiflages allaient bon train : «  Berthou, t’es encore plus dingue que ce qu’on pensait, la 3e Cie, c’est la pire, ils sont jamais à la caserne et cette compagnie où les gars signent pour 6 mois de plus pour aller au Liban ou au Tchad, on y a mis les plus fêlés et les gradés c’est tous des engagés, il y a même d’anciens légionnaires parmi eux ».

«  Peut être qu’ils chercheront pas à me baiser la gueule ceux là tellement ils sont occupés à crapahuter et à se les geler ! ». Plus un mot, j’avoue que j’ai gambergé toute la nuit…..

Donc , j’étais affecté à la 3e , le pitou il a fait des pieds et des mains pour que la mute se fasse le plus vite possible mais l’armée c’est comme toute les bureaucracraties françaises ainsi je pus bénéficier d’une durée d’une dizaine de jours où j’étais nulle part, je continuais à me pieuter avec la SREM mais les gradés considéraient que je n’étais plus de la CCS, il m’avaient même demandé d’enlever mon passant blanc sur l’épaulette droite, ma consigne donnée par le sergent Oustachu :  «  Tu fais ton packo, tu restes dans la compagnie CCS où tu n’es plus rien, un parasite en stand by et t’attends qu’on te fasse passer ton papelard de mutation en tant que simple 2e classe grenadier voltigeur à la 3e Cie de combat où t’auras l’occasion de faire du sport, parait que tu trouvais que t’en faisais pas assez, tu vas être servi . »

Je bullais entre-temps entre la piaule et le foyer, toute la CCS me regardait avec de grands yeux : c’est le mec qui a osé répondre au capitaine Atershan et l’autre s’est pas fait prier, pfft, direction la 3e, la compagnie des rambos , ça va le calmer et lui faire fermer sa grande gueule. J’étais devenu malgré moi une certaine vedette et plus personne pour me faire chier durant cet intermède mais une anecdote cocasse allait survenir, un vendredi soir alors qu’on commençait à se mettre en civil pour partir en perme, le capitaine décida de se livrer à une revue de véhicule de tout le service SREM avec l’intention de planter tous les chauffeurs dont le véhicule  ne serait pas nickel. Le sergent : «  C’est valable pour toi Berthou, tu présenteras ta jeep, t’es pas encore à la 3e ! » « Sergent, vous m’avez fait enlever mon passant blanc de la CCS ça veut dire que j’en fais plus partie non plus, non ? » « Remet le et présente ta jeep

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sinon c’est moi qui te plante ta perme, la 3e a pas reçu ton affectation encore, elle l’aura à ton retour. »

Voilà qu’on est toute la section service ravitaillement essence et munition à 17 heures le vendredi soir au garde à vous chacun devant son véhicule et ça en fait : 3 bus, 1 camion citerne, 5 poids lourds Simca et moi au bout avec ma jeep à attendre le capitaine Atershan , ça fait sur une longue file de 300 m. Atershan qui arrive en pétard visiblement ourdé à zéro titubant mais commence par l’autre bout : «  Qu’est ce c’est que ce bus dégueulasse soldat , vous me le représenterez demain, exécution ! » On est là à se regarder avec le chauffeur Maillosnob , un rombier du Cantal fraîchement arrivé comme moi et on entend le pitaine qui plante tout le monde mais on voit qu’il est visiblement pété à la clé , on se concerte ultra rapidos : « Maillo, tirons nous, tu vois bien qu’il est bourré, il demandera même pas à qui sont les véhicules, tout ce qu’il vient faire c’est planter tous les chauffeurs de la SREM qui seront dans  son champs visuel rétréci, il regarde pas les camions, il voit que les chauffeurs de la SREM et il a décidé de les planter tous un après l’autre après cette histoire de garde sabotée  » .

Dans la vie, il est des instants T où la décision doit se faire instantanée à l’instinct, on s’échange un dernier regard approbateur avant qu’on soit dans la ligne de visée du champ diminué par l’alcool de Atershan et on pique un sprint à la Carl Lewis (le sprinteur de l’époque, jeunes gens fans de Usain Bolt ) direction notre bâtiment, on se frusque civil, nos sacs prêts et fissa direction la gare. On verra bien au retour et même que je vais me prendre une 96 heures avec mon statut en stand by, je joue sur l’incompétence bureaucratique, après tout je dois juste attendre mon affectation et je peux prendre quelques vacances avant d’aller crapahuter velu à la glorieuse 3e Cie de combat.

De retour le mercredi : «  Berthou et Maillo , vous avez un pot de cocu, Atershan n’a même pas été au bout, il a fait 4 véhicules , a gueulé au sergent de planter tous les chauffeurs présents et nous qui sommes restés comme des cons, ils ont relevé nos noms et on a du nettoyer tout le soir les camions et bus et les représenter à Atershan samedi matin, qu’il est même pas venu , que c’est le sergent qui a fait la revue sans nous faire chier et sans vérifier qui était là ou pas, il nous a lâché à 11h. Toi   Berthou , le sergent de semaine te cherche pour te remettre ton affectation, fais ton packo et adieu la CCS, les gars vous avez du bol que personne ne vous ait cafté . »

«  Pour une fois, ça vous change un peu, vous voulez qu’on vous remercie pour ça ? »….No comment.

Je descends à la semaine, c’est le caporal qui me refile un papier sur lequel il y a écrit : le soldat Berthou de la CCS devra se présenter au bureau du capitaine de la 3e Cie jeudi à 13h avec son packo complet. Si j’avais su, j’aurai pris 24 heures de plus.

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Chapitre 8

                                                                    A  la 3e Cie de combat

J’ai juste la place d’arme à traverser, je pénètre dedans le bâtiment de la 3e Cie et je présente mon papelard au caporal qui me dit : «  C’est toi le crapaud de  la CCS qui s’est fait virer, attends le capitaine et je te conseille de te rappeler comment on fait péter un garde à vous et à te présenter ! ».

Je poiraute une bonne heure et un adjudant m’appelle : « Soldat Berthou, le capitaine te reçoit ! »

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Je rentre dans son bureau, fait péter un garde à vous comme j’ai appris pendant mes classes et me présente sommairement et sans que je termine ma phrase le capitaine se met à vociférer : «  D’où tu sors, t’es plus à la Cie des gratteurs de cul, tu es à la 3e Cie de combat, ressors d’ici et présente toi comme il faut en montrant que tu en as une paire, tes parents ont eu des enfants viables ? » «Heu… oui, mon capitaine ». « Cela m’étonnerait, t’as l’air si tocard que tu serais bon pour une expo de chefs d’œuvres de l’art moderne, travaille moi ça ! »…….Une heure que ça a duré à rentrer et sortir en faisant péter des gardes à vous qui n’étaient jamais assez secs, des demi-tours qui n’étaient jamais assez corrects et des présentations où je gueulais jamais assez fort, je compris que mon service durant ces six premiers mois était celui d’un autre monde comparé à l’instruction et la formation physique que l’on recevait dans les unités combattantes. Pouvant disposer et aller m’installer mon bizutage chez les velus était loin d’être terminé, on me mit dans une piaule avec des gars du même contingent, il y avait le cuistot Bonome, le caporal infirmier Bidal, les deux chauffeurs poids lourd Meyer et Bayon qui avaient aussi fait les classes avec moi à la 11e Cie d’instruction de chauffeurs et qui étaient content de me retrouver.

Après avoir installé mon armoire et fait mon plumard à neuf heures du soir je vis débarquer cinq gaillards venus pour me bizuter, comme j’avais déjà été prévenu de cet usage coutumier, je les pris d’avance en foutant en l’air mon armoire, mon lit devant eux et en leur disant : «  Je crois que vous êtes venus pour ça alors je préfère vous épargner votre peine en le faisant moi-même. »

Les rombiers surpris par ma  « cool attitude » se fendirent la poire et m’acceptèrent d’emblée voyant qu’ils n’avaient pas affaire à un pisse froid. Je réussis donc mes premiers examens d’entrée chez les guerriers de cette Cie de combat à la réputation de légionnaires du 126e régiment d’infanterie.

Réveil comme pendant mes classes à coup de pied au cul, lit au carré et inspection des piaules comme à des bitards : «  C’est tous les jours comme ça dans votre compagnie de cinglés ? ». Les autres me font comprendre que c’est parce qu’il y a un arrivage de bleusailles à l’instruction et que même nous les anciens, on se doit d’être en bas à l’heure avec eux pour la revue comme durant les classes.

Une fois en bas devant la compagnie, on est passé en revue par le sergent Wilsdorf, une armoire à glace, un engagé qui se trimballe avec une décapotable Peugeot V6 qui inspire le respect autant que sa carrure.

Au moment du garde à vous, il y a un bleu-bite qui se barre en courant, on sait pas où, cela met en pétard le serpate qui engueule le caporal Bidal : «  Qu’est ce que tu lui a appris à ce psycho au bout d’une semaine pour qu’il reste pas dans l’alignement le matin, rattrape moi le et ramène moi cette tâche dans mon bureau, exécution ! ».

Moi aussi , l’adjudant veut me voir séance tenante : «  Si Atershan vous a fait virer de la CCS , c’est que vous devez être une sacré tête brùlée car il lui en faut, perso, j’en ai rien à foutre de ce que vous avez pu faire ou dire avant de franchir le perron de ce bâtiment , on a besoin d’un chauffeur radio pour nous trimballer moi et le capitaine durant l’instruction de nos nouveaux arrivés du contingent 84/02, vous devrez être dispo 24h/24h pour ça, on va vous envoyer à l’autre caserne une semaine pour le stage radio et au retour mettez vous dans le crâne que vous n’êtes plus un crapaud mais un guerrier, est ce que c’est clair ? ». «  Affirmatif, mon adjudant ! ».

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Chaque matin avant de partir à ma formation radio, l’adjudant tient à ce que je fasse le footing de 5 km avec la section d’encadrement et je les surprends par mon rythme bien soutenu qui étonne car nombreux sont les biffins des Cie de combat à croire qu’à la CCS ils ne mettent que des quasi handicapés physiques où des scrofuleux crétins congénitaux, c’est ainsi qu’on les motive :  « N’enviez pas les planqués, les gratteurs de cul, les crapauds de la Cie de commandement et de service qui font les malins avec leur passant blanc, vous voyez bien qu’ils passent leur journée à se palucher leur minuscule biroute car ils sont incapables de devenir de vrais combattants comme vous, ce sont ou des psycho ou des torgadus qu’on a mis à la CCS parce qu’ils sont trop nazes pour marcher et se servir d’une arme comme vous . ».

Après direction la piaule, douche et petit dej et direction la caserne du centre ville où je dois aller effectuer cette formation qualifiante pour devenir radio de liaison, à l’époque notre matos ressemblait à celui que vous avez pu voir dans les films sur la 2e guerre mondiale ou celle du Vietnam : de gros postes qu’on accrochait au cul de la jeep où qu’on trimballait comme un sac à dos et des talkies walkies énormes, la formation consistait donc à savoir les utiliser, voire les réparer et surtout à apprendre le langage de communication radio international et en premier lieu l’alphabet :

Alpha, Bravo, Charlie, Delta, Echo, Fox trot, Golf, Hotel, India, Juliet, Kilo, Lima, Mike, November, Oscar, Papa, Quebec, Roméo, Sierra, Tango, Uniform, Victor, Whiskies, X-ray, Yankee, Zoulou.

Cette formation s’effectue au centre de transmission où sont affectés les joueurs de rugby de l’équipe du régiment, essentiellement des gars du CA Brive et du stade aurillacois, ils sont là à rien branler et ne bougent que pour aller faire du sport. Le soir retour à la 3e Cie vers 16h et croyez pas qu’ils avaient l’intention de me laisser buller une seconde, pas plus tôt rentré dans la piaule : « Tiens Berthou prépare ton sac, tu dois accompagner le sergent qui emmène marcher les bleus jusqu’au pas de tir et tu y vas à pince, vas percevoir un Famas à l’armurerie, avec un peu de chance, tu seras rentré pour te pieuter avant minuit ». Le capitaine avait décidé de me mettre à l’épreuve physiquement, en quelque sorte de me faire refaire 3 ou 4 semaines de classes considérant que je n’avais pas été éprouvé lors de mon instruction à la 11e et encore moins à la CCS. Depuis 6 mois j’avais perdu de ma condition physique, gagné du bide  mais je conservais un bon fond d’endurance ce qui fit que je suivais le rythme allègrement, au pas de tir, je groupais assez bien mes balles dans la cible et le sergent s’adressa à moi en ces termes : «  Tu marches bien et tires bien, tu n’avais rien à foutre dans des compagnies de psychotiques, tu vas te refaire une santé avec nous ! »

De plus, je me sentais beaucoup mieux en compagnie de camarades qui, contrairement à ceux des compagnies de service, étaient beaucoup plus solidaires et je n’entendais plus l’expression : je vais te baiser la gueule car ici nous étions dans le même bateau. Tous les velus de la 3e passaient 70% du temps de leur service sur le terrain, personne n’y réchappait et cette Cie était considérée comme la meilleure car on y avait regroupé les plus solides physiquement. Je constatais que le niveau intellectuel y était très bas  de même que le niveau social : il y avait Meyer fils de prisonnier de droit commun enfermé à Toulouse, le caporal Bidal orphelin de la DDASS, le cuistot Bonome fils d’un serveur de café, le 2e classe Kanaki arrivé de Nlle Calédonie qui vivait à l’age de pierre dans une tribu Kanak, le réunionnais Hoareau fils d’un coupeur de cannes à sucre, le porteur FM Nowak fils d’un des derniers mineurs de Brassac et tant d’autres…..Quand nous nous trouvions tous ensembles après une marche harassante où on nous faisait trimballer notre flingue ,des grenades, des cartouchières avec notre sac rempli un max et qu’on nous faisait passer plusieurs jours et plusieurs nuits

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entières en dormant presque pas (2 ou 3 h sur 24 en moyenne) dans les divers camps de manœuvres de la région du limousin voire à l’autre bout de la France ou de la RFA, je réfléchissais évasif et j’avais écrit sur le terrain  une lettre à ma sœur en lui tenant à peu prés ces propos après lui avoir décrit mes compagnons de crapahute : Tu vois soeurette, tous ces braves gars, tout le monde s’en foutra une fois qu’il seront retournés dans le civil mais si il y avait une guerre, ils seraient tous là pour défendre la France, ils sont merveilleux finalement car ils sont l’âme de notre pays. Ma sœur à la lecture de cette missive avait du se demander si j’étais pas en train de devenir zinzin car lors de mes premières permes devenues beaucoup plus rares depuis que j’étais à la 3e Cie de combat tous mon entourage avait remarqué que j’avais plus la même allure abattue mais au contraire j’affichais avec ma boule à zéro un air très martial, je ne parlais plus normalement, je gueulais tout le temps comme à la caserne et surtout je ne repartais pas le dimanche soir avec une tête de six pieds de long mais l’air ferme et décidé.

Le capitaine et l’adjudant après ces premières semaines probatoires m’avaient confié la jeep de la compagnie ce qui fait que j’allais me trouver quasi tout le temps en leur compagnie pour les aider à encadrer les bleusailles à l’instruction, une fois descendu de jeep je devais continuer à les suivre sur le terrain étant devenu leur liaison radio officiel. Cette jeep, je lui avais rendu un meilleur aspect car j’avais retenu de la SREM la devise du juteux « Peinture sur merde = propreté » en nettoyant bien le moteur, repeint en jaune les points de graissage, mis un peu de kaki là où c’était caca, le capitaine dès qu’il l’avait vue m’avait donné un premier bon point.

Le jour de la fourragère pour le contingent 84/02, nous étions fin mars j’avais du suivre 24h durant avec la radio sur le dos le capitaine  pour qu’il puisse recevoir et transmettre ses directives, jusqu’à présent, il n’avait  guère été très causant à mon égard , à la fin de cette journée éprouvante où les nouveaux avaient tous effectué leur marche sans qu’un seul d’entre eux ne défaillent et moi je ne devais pas le lâcher d’une semelle étant donné que je trimballais ce foutu instrument de communication. Une fois dans la jeep et alors qu’on approchait de la caserne, Kriegblitz me dit de but en blanc : « Tu dois avoir soif, fils, tourne à gauche là, je vais te faire payer l’apéro par ma femme » « Avec plaisir, mon capitaine ! »

Il me fit rentrer dans son domicile, une maison louée par l’état où il créchait avec sa femme et ses gosses, je découvris au mur tout un tas de photos de sa carrière militaire qui m’intriguaient un max vu qu’on le voyait avec un béret vert, en tenue de para et en action en afrique. Après s’en être jeté 3 ou 4 , il devenait volubile : «  Avant, j’étais au 2e REP, j’ai sauté sur Kolwezi au Zaïre en 1978 , quel merdier, si on était pas intervenu à temps, les katangais qui avaient franchi la frontière du Mozambique allaient massacrer tous les blancs, une opé extérieure nickel, on avait un colon , Philippe Erulin, formidable , heureusement que Giscard n’a pas tergiversé à l’époque car ces connards de l’opposition socialiste avec Mitterrand à leur tête s’opposaient à l’intervention sous couvert de toujours leur même chansonnette anticolonialiste à la noix, tu vois fils, tous ces pédés de hippies gauchistes vous ont bourré le mou à vous les jeunes français car là bas quand on est arrivé, tous les français qui étaient la plupart des coopérants avec des grandes idées gauchistes humanistes et antimilitaristes, quand ils ont vu qu’on était la légion française venu les sauver du carnage, ils pleuraient comme des gosses et nous ont sauté au cou ! Alors que pour eux les légionnaires c’était des gros cons, des bœufs et l’armée française, ils passaient leur temps à lui déféquer dessus, putain, quelle ingratitude , on y a perdu quelques hommes mais en face ils ont morflé, tu vois 2e classe, l’armée française , elle possède un savoir faire qui remonte à des siècles et ça se perdra jamais si on se donne la peine de le conserver, de l’entretenir, mais il y a ce connard de Mitterrand et sa cohorte de

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socialo-communistes qui depuis deux ans ont déjà commencé à sérieusement saboter le travail de rénovation entrepris par De Gaulle , il paraît même qu’ils parlent de supprimer la légion, tu comprends, ça leur fait peur les militaires car ils savent bien qu’on vote pas à gauche. »

Je lui répondis que je n’avais jamais été pris au piège de la doxa ambiante mais qu’il était impossible d’en réchapper pour un jeune de la période post soixante huit arde de par l’esprit grégaire de l’adolescence et le matraquage permanent de l’éduquenaze et des mass médias qui à l’heure où je vous écris ces lignes étaient bien moindres et moins permanents qu’il ne l’est au 21e siècle , le gauchisme n’avait pas seulement pris le pouvoir politique en 1981 car il avait déjà investi, infecté tous les relais culturels depuis 1968, les associations, les maisons de l’éducation nationale, les universités, le monde du showbiz et du journalisme. Tous ces outils de propagande, la gauche les détient, allez donc dire que vous êtes de droite dans l’éducation nationale, mieux vaut affirmer que vous débarquez de Jupiter, on vous regardera pas pire. C’est à partir de là que la droite s’est gauchisée car elle souffre depuis d’un complexe de gauche, pour ça que depuis il n’existe plus de véritable alternance, on est un coup à gauche, un autre coup à gauche un peu plus libérale avec l’ump, l’expression umps résume bien notre système politique français, mais cela brave gens, il y a bien des auteurs qui l’écrivent bien mieux que moi et peu de français les comprennent.

Kriegblitz dégageait une aura, on avait l’impression que quelle que soit la guerre où on l’enverrait, il s’en sortirait sans une égratignure, il me rappelait l’acteur du film Apocalypse Now qui interprétait le colonel Kilgore , Robert Duvall, la même allure et la même assurance, le genre de type qu’on suivrait en enfer sous le feu de l’ennemi, normal il venait du 2e REP qu’on peut considérer comme notre meilleure unité encore d’active et il n’était au 126e RI que pour 1 an ou 2 pour faire de cette 3e Cie de combat une unité prête à envoyer partout sur les théâtres d’opération.

«  J’ai regardé ton dossier avant qu’on t’envoie à la 3e, tu as refusé les EOR , résultat on t’a affecté chez les planqués avec ton bagage d’étudiant où tu n’as rien à faire vu tes performances physiques, pour les quatre mois qu’il te reste , si tu es d’accord, je t’envoie  à la formation rapide des caporaux, tu aideras à l’instruction du contingent 83/04 qui vient la semaine prochaine finir de compléter notre compagnie, je veux ta réponse demain matin à 8 heures, est ce que c’est clair 2e classe Berthou et à la tienne, cul sec ! » « Heu …affirmatif mon capitaine, burps ! heu, pardon mon capitaine » « Arrête un peu avec tes mon capitaine quand tu es chez moi, chérie ! Ressers moi ce jeune, à présent le 2e classe conducteur Berthou gratteur de burnes à la CCS est mort, le caporal Berthou instructeur à la glorieuse 3e Cie de combat du 126e RI est ressuscité, à la notre, on va te les former au poil et on va en trouver là dedans des volontaires pour la FINUL ». C’était donc son objectif à Kriegblitz , les ordres du colon à chaque pitou des 4 Cie de combat , sortir des recrues des volontaires service long pour aller sur les quelques théâtres d’opération de l’armée française actuelles à savoir le Liban et le Tchad où il y avait du grabuge en 1984.

Je ne vous raconte pas la nuit blanche que j’ai passé, je n’ai pas osé en parler aux autres dans la piaule. Après tout il ne me reste plus que quatre mois, caporal c’est pas très considéré comme grade, c’est même le rôle le plus ingrat à endosser, mais pour l’instruction des nouveaux, je me disais qu’avec moi ils n’auraient pas affaire à un enculé et que l’avantage de ce grade c’est que j’aurai plus à faire les corvées ni monter les gardes le truc que j’aimais le moins, le caporal ne fait qu’accompagner les relèves, il reste pas des heures à se les geler immobile, j’irai voir Kriegblitz pour lui donner mon accord. Le capitaine me reçoit comme à son habitude sans me dispenser du garde à vous et de la présentation qui va bien : « Repos,

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j’ai le papelard devant moi Berthou, je le transmets à la 11e oui ou merde » «  Affirmatif mon capitaine pour le oui ! » « Très bien, vous commencez lundi matin à la 11e Cie, présentez vous avec votre packo et revenez nous la semaine suivante avec vos deux barrettes rouges sinon je vous casse la gueule car ils les donnent pas d’office, faudra être en forme, vous êtes prêt ? » « Absolument, mon capitaine ! »

                                

                                                          CHAPITRE 9

Formation accélérée d’élève caporal

Une dernière perme de 72 heures avant cette formation qu’il m’a accordé le pitaine et même qu’il m’a conseillé de pas picoler et d’aller courir que je sois fin prêt. J’en parle pas à mes frères tous restés 2e classes et fiers de ça car dans l’antimilitarisme ambiant, le gars qui revenait de l’armée avec des galons quelqu’ils soient, on l’affublait du doux surnom de crouille. Lundi direction la 11e , c’est le juteux Ballard qui n’en revient pas de me retrouver dans cette formation accélérée : «  Berthou, le danger public en jeep, depuis que t’es à la 3e avec l’ancien béret vert Blietzkrig , t’es devenu un couillu il paraît, je vais t’en faire cracher du parcours en t’en faire péter les durites, vieux crapaud de footeux manchot et que tu me fasses pas honte auprès de Kriegblitz  ( il intervertissait souvent les deux syllabes) sinon ça va chier pour ton matricule , vous êtes 15 candidats, on va vous montrer vos piaules et dans 15 mn, vous redescendez en survêt, exécution ! »

Une fois en bas, c’est parti pour une course,  un footing de 10 km, je tiens encore bien la distance et termine 6e, Ballard prend nos pouls pour constater notre tonus : «  Faudra m’améliorer ça, allez vous mettre en tenue, treillis rangers, 10 minutes, exécution tas de couilles ramollies ! »

Une fois en bas, Ballard avec le sergent nous passe en revue comme de vulgaires bitards en regardant de très près l’arrière de nos nuques avec ses gros yeux globuleux, là juste sous le béret bleu marine de l’infanterie  : «  Vos coupes ne sont pas fraîches, direction le coiffeur, boule à zéro , vous êtes des futurs caporaux dont certains encadreront nos bleus du prochain contingent qui arriveront d’ici 10 jours, je vais vous réapprendre à marcher au pas cadencé et à chanter afin que vous puissiez apprendre à des jeunes pour qui vous devrez être des exemples, vous devez donner l’impression de faire envie, pas de faire pitié, tas de punaises, est ce que c’est clair ! », «  Mon adjudant, oui mon adjudant ! »

Putain, le coiftif, jamais depuis huit mois j’avais eu droit à la boule à zéro, mais ça m’avantageait car ça laissait apparaître une cicatrice de 5 cm que j’avais derrière le crâne, une blessure héritée  durant ma scolarité où j’avais reçu en cours d’atelier au lycée technique  une manivelle de tour à usiner qui m’avait défoncé l’arrière de la tête et même qu’on m’avait posé quelques points de sutures, je pouvais toujours raconter n’importe quoi à ce sujet aux futurs bleubites pour que ça en jette, je sais pas , une balle de FAMAS qui m’a effleuré le dessus du crâne alors que je sautais sur Kolwezi , un éclat d’obus pris à Beyrouth……… les autres gradés s’en privaient pas d’en rajouter, surtout les aspirants , ceux là dans l’ensemble des frimeurs que les vieux sous-off pouvaient pas sacquer, ils ne les saluaient pas la plupart du temps, si vous voulez une référence cinématographique, pensez au sergent Barnes  dans le film Platoon quand il s’adresse à son jeune lieut embarrassé car c’est lui qui devrait donner les ordres hiérarchiquement, d’ailleurs voilà un très bon film qui retrace aussi très bien le travail

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des biffins en section et la façon dont les bleus sont traités par les anciens, ça se voit qu’Oliver Stone a réellement fait le Vietnam.

Trèves de plaisanterie le juteux rugbyman pleine bourre nous emmena faire une marche commando de vingt kilomètres avec un sac chargé de cailloux de trente kilos, deux arrêts pour boire et il prit en grippe un gros de la CCS que le capitaine avait envoyé dans cette formation on ne sait trop pourquoi vu qu’il lui restait deux mois à tirer, l’obèse incapable de porter sa charge, Ballard hurlait et m’appelait pour que je l’aide  à avancer ,  le juteux courait aux côté du 1ere classe secrétaire du commandant comme un putois : «  Mais c’est qu’il va tomber dans les pommes le secrétaire , allez  évanouis toi, gros tas de merde, non, tu continues, mais c’est qu’il bande le gros cachalot, allez tombe dans les pommes, tu tombes dans les pommes ? Ne fais pas ça, ça me crèverait le cœur ! » Et l’autre gros de finir tintinnabulant alors qu’on est obligé de se farcir son packo et son flingue mais qui termine quand même, il a la courtoisie de s’évanouir après comme lorsque Frédéric 2 de Prusse lorsqu’il demanda à un de ses cavaliers d’avoir l’obligeance de mourir convenablement sans gueuler comme un putois.

Tout juste si on a le temps de  s’alimenter à l’ordinaire, à 12h30 devant la 11e Cie, Ballard à nous ranger et deux heures durant au pas avec de nouveaux chants dont le fameux « J’avais un camarade »

La plupart d’entre nous avions soit six mois, soit huit, mais avec Ballard défiler au pas autour de la compagnie en chantant, c’était quelque chose :

J’avais un camarade,De meilleur il n’en est pas;Dans la paix et dans la guerreNous allions comme des frères|: Marchant d’un même pas.

2. Mais une balle siffle.Qui de nous sera frappé?Le voilà qui tombe à terre,Il est là dans la poussière;|: Mon cœur est déchiré.

3. La main il veut me tendreMais je charge mon fusil;Adieu donc, adieu mon frèreDans le ciel et sur la terre|: Restons toujours unis.

Jusqu’à 15h : Une deux,une deux…ach chavai zun kamarate….. ach !.....ensuite direction le pas de tir avec nos Famas, dix bornes à se taper et il y avait intérêt à grouper ses tirs dans la cible, le Famas nouvelle arme était moins évident pour nous les anciens par rapport au FSA, canon moins long, prise en main nouvelle d’une arme moderne combinant fusil long comme le FSA et tir répétitif comme le vieux PM plus sélection par rafale de trois. Certains se démerdaient mieux que d’autres, moi j’étais habitué depuis tout petit aux armes à canon long (22LR surtout) et avais du mal à grouper mes balles dans la cible ce qui me valu des engueulades du juteux : «  Berthou, si tu jouais au rugby plutôt qu’à ce sport de tapettes manchots que le foutchebolle tu  t’en tirerais mieux ! ». Ballard, c’était un dingue du rugby, il

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aurait sa place au CA Brive mais le 126e RI le tenait trop souvent éloigné avec toutes ces manœuvres de un mois dans les camps et il ne pouvait pas suivre l’entraînement régulier.

Retour à la caserne mais pas pour dormir, nettoyage des armes et inspection par Ballard en personne, j’aime autant vous dire qu’il fallait qu’elles soient nickel chrome.

Ballard nous surprend : «  Pieutez vous bandes de bites molles psychotiques incapables de devenir des caporaux, exécution ! »

Cela sentait la mansuétude inopportune, dans l’immédiat, personne ne se faisait prier, on avait même pas eu le temps de faire connaissance entre nous, on pionçait sévère le peu de temps dont on se doutait qu’on avait »

Trois heures du mat, un vacarme épouvantable car l’adjudant en plus de hurler tambourine sur une poubelle en zinc : «  Debout, réveil, tas de nazes, futur gradés de mes couilles, tout le monde en bas dans cinq minutes, le dernier sera éjecté de la formation ! Exécution, tas de crotteux ou vous aurez le cul qui va saigner! »

Nous sommes tous en bas sauf le secrétaire issu de la CCS qui a mis du temps à se raser, inspection générale au garde à vous, rasage, tenue et tout le toutim, le juteux se ramène avec un morceau de coton hydrophile qu’il nous passe sur les joues et le menton afin de vérifier si on s’est rasé de près , moi avec ma barbe dure de méditerranéen , ça accroche un peu : Berthou, t’appelles ça un rasage frais, caporal tu devras être un exemple pour tes hommes, je te conseille de t’acheter des doubles lames efficaces vu ta barbe de truand mafioso hirsute, retournes y ! On est trois à être obligé de repasser nos lames usagées sur les quelques poils qu’on a laissé traîner, heureusement on est à la caserne et l’eau est chaude car j’avais déjà connu le même problème pendant les classes et le hic c’est qu’on était dehors et que j’avais du me raser à l’eau froide et au rétroviseur d’une jeep par une température en dessous du zéro. Re rassemblement et c’est parti pour un footing de cinq kilomètres, celui qui le fera en plus de vint cinq minutes, je le fais renvoyer dans sa compagnie, est ce que c’est clair, tas de psychotiques !  « A vos ordres mon adjudant ! » Tout le monde le fait en 20 minutes avec le juteux qui nous vocifère des gentillesses dans les oreilles mais il est content de la perf générale, nous fait remonter dans les piaules qu’on va récurer de fond en comble, poil de cul après poil de bite dans chaque pissotière à retirer avec délicatesse avec les doigts et après son inspection, on ira prendre le petit dej à l’ordinaire.

Je sympathise tout de suite avec le 1ere classe Marcel Flaireau de l’Aveyron, lui aussi contingent 83/08 , son capitaine de la 1ere Cie l’a envoyé en formation de caporaux mais lui c’est depuis le début qu’il est parmi les boeufs des Cie de combat et il a l’intention de faire un service long, c’est-à-dire de rajouter six mois pour partir au Liban, en effet à cette époque la France avait envoyé le 2e REP ( 2e régiment étranger de parachutiste basé à Calvi ) et un autre régiment de paras pour faire la police entre Hezbollah, milices chrétiennes maronites commandée par le général Aoun et Samir Jagea , les Druzes, l’armé Syrienne, l’armée israélienne, bref la salade libanaise inextricable, sachez jeunes gens que la France a encore environ 1500 hommes sous mandat de la FINUL (les bérets bleus) au moment où j’écris ces lignes.

En 1984 la France était en train de retirer ses régiments qui avaient fait un énorme boulot, l’attentat à la bombe nommé attentat du Drakkar lieu où dormaient des soldats français nous avait coûté la vie de plusieurs dizaines de nos soldats. La France retirait ses troupes officielles

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mais c’est l’ONU qui prenait le relais et les remplaçait  par les désormais célèbres casques bleus. On nous proposait donc à nous appelés du contingent d’être volontaire pour ça, il suffisait de signer pour six mois de plus ce qui fait que nous n’étions plus considérés comme des appelés, pas vraiment non plus comme des engagés professionnels et on nous payait une solde d’environ 1000 francs ou plus suivant le grade, somme qu’on nous versait globalement au retour, étant donné que durant ces six mois , on dépensait rien, si on revenait sans ramener du plomb dans la tête, nous pouvions disposer d’un petit pactole pas inintéressant pour l’époque.

Flaireau : «  Pourquoi tu te portes pas volontaire, il n’y a plus grand risque maintenant, en tant que casque bleu , la population nous respecte , on monte des gardes, on fait quelques patrouilles, y a pas de danger . » Marcel Flaireau , il me récitait le discours de son sergent chargé de recruter des volontaires en sachant qu’il était pas du genre à se documenter sur la géopolitique.  « Ouaip mon gars la semaine dernière un gars du Cantal   est revenu dans un sac en plastique noir, t’en as pas entendu parler, un gars de Saint Cernin qui était au 92e RI de Clermont-ferrand , une balle pas si perdue que ça qui venait de la frontière syrienne . » Flaireau , ça le refroidit pas, il me dit que  le dab a pas du faire preuve de prudence et qu’il a entendu parler des cigarettes libanaises au hash qu’il a l’intention d’en ramener pour se faire du blé, dans sa tête , il y est déjà au Liban et il se voit fumer au narguilé dans des boui boui , loin de moi l’idée de l’empêcher d’ y aller mais de là à l’accompagner….. ……..J’ai déjà demandé à mon pote menuisier de mon bled de me tailler une quille que j’ai l’intention de commencer à décorer afin qu’elle soit fin prête pour fin juillet, vernie avec les écussons, la fourragère et les galons de caporal que je sais même pas si je vais oser les y coller.

Tout le monde en bas, une série de garde à vous repos, Ballard nous fait passer chacun à tour de rôle au commandement des garde à vous repos, jamais on gueule assez fort à son goût mais personne ne dispose de son coffre d’ours des cavernes. Ensuite une heure à faire le tour de la caserne au pas en chantant en alternant avec le pas rapide, le trot comme dans les marines      «  J’avais un camaraaaade eu….. » Je recommence d’autres classes en fait mais avec des gars motivés et pour apprendre à former les futures recrues affectées à la 3e Cie de combat, Ballard nous préviens que parmi eux il y en aura de gratinés sévères, des cas sociaux, des illettrés,  certains avec un casier judiciaire car comme les bataillons d’Afrique n’existent plus on a tendance à les affecter dans les sections de combat de l’infanterie les estimant trop cons pour servir dans les paras ou les chasseurs alpins et je m’en vais vous conter ça par la suite. Direction le parcours du combattant que j’ai pas fait depuis les classes, chronomètre en main, Ballard nous fait une démonstration impressionnante, on se demande si ensuite il va pas nous le faire faire en nous arrosant au FAMAS par-dessus nos têtes mais non, il se contente de nous chronométrer et de nous montrer à chacun nos points faibles afin qu’on améliore notre temps, mon handicap à moi c’est pour sortir de la fosse, je suis obligé de m’y reprendre à plusieurs fois en raison de mon petit mètre 70, retour à la caserne au pas de course.

L’après midi , pédagogie de montage, démontage et entretient de ce putain de FAMAS moitié métal, moitié plastique, j’arrive pas à m’y faire à ce flingue, je préfère celles de bois et d’acier  car je trouve qu’elles ont un bruit plus harmonieux quand les pièces s’entrechoquent à la percussion. Mais le FAMAS c’est quelque chose avec ses cartouches calibre 5,56 OTAN, une arme qui ne craint pas la flotte et on va nous le faire éprouver. Départ pour une marche co 15 km avec sac à dos de 20 kilos plus l’arme, au programme  plusieurs franchissements dont certains où on n’aura pas pied et on devra nager, moi qui ne nage que la brasse je m’en sors pas trop mal, nous sommes en avril, l’eau caille bien, nous sommes obligés d’aider les plus mauvais nageurs dont certains sont à la limite de couler. A la sortie de notre dernier

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franchissement, l’adjudant nous fait mettre en slip pour nous essorer et essuyer nos flingues, on a du soleil par chance, l’adjudant nous fait simuler un assaut avec tir à blanc et nous constatons que cette arme fabuleuse , c’est la même qu’ont nos successeurs en Afghanistan en 2012,  tire à merveille après avoir été plusieurs fois immergée totalement dans l’eau, retour à la caserne au pas de course, certains n’en peuvent plus et ceux qui sont le plus au top doivent les aider, voire porter leur sac, quand on rentre, il est 11 heures, on a pas vu la journée passer, direction les piaules pour nettoyage, graissage de notre arme. Déchaussage et je vous dis pas l’état des panards remplis d’ampoules, Ballard vient lui-même examiner leur état, il nous explique la médecine, planter une aiguille avec un fil et laisse couler toute la nuit pour qu’elles se vident et puis mettre un peu de mercure au chrome. Pieutage immédiat, endormissement aussi, le juteux bien naze  lui aussi ne va pas nous réveiller en pleine nuit qu’on se demande……….

N’empêche je vais trahir la tradition de la famille dont tous les hommes ont servi mais ont toujours refusé les galons même les plus bas, le paternel était 1ere classe au moment de l’offensive de 40, les grand pères et oncles (dont certains y sont restés ) tous des biffins en 14/18, mes frères tous soldats , l’aîné qui avait échappé de peu à la guerre d’Algérie grâce à un asthme chronique et tous les autres dans l’infanterie, le train, les chasseurs alpins, certes aucun n’a failli à sa mission mais tacitement on se disait que des descendants de serfs agricoles comme nous se devaient d’être avec le peuple dont nous sommes issus, j’entends encore mon frère cadet me dire après que je lui ai conté mon aptitude aux EOR lors du conseil de révision : Tu as bien fait de refuser, tu vas pas faire chier tes semblables, les écoles d’officier c’est pour les aristos , ceux qui descendent de la noblesse à cheval, nous , nous sommes des paysans les pieds crotteux dans la terre et on doit en être fier , ce sont nos ancêtres qui ont trimé dur pour construire ce pays, va faire ton armée, tu rigoleras car t’as l’esprit bon vivant mais ne te coupe pas de la base dont tu es issu même si tu as fais bac plus deux. Putain, ça me trottait dans la tête, fait chier le capitaine ex légionnaire de m’envoyer me faire coller deux barrettes rouges pour commander des pauvres bougres des sections de combat, et puis merde, je décide de rien dire à personne dans le Cantal famille et amis car même simple caporal , le frangin ouvrier à l’usine si je lui dis, il va me casser complètement, faut peut être dormir , demain on a une marche de préparation pour répéter la grosse marche de clôture de cette formation au mini peloton d’élèves gradés accéléré.

C’est Ballard en personne qui nous réveille : « Paquetage, pelle US, masque à gaz, gourde, perception  des FAMAS avec cartouchières et brelage. » Cela va nous faire une charge dans les vingt, vingt cinq kilos ça reste raisonnable pour une marche de 30 kilomètres au mois d’avril où il fait ni trop chaud, ni trop froid.

Le groupe est bien soudé, physiquement, on est tous au même niveau, Ballard nous apprend plein de chants, il s’est mis en tête de nous apprendre le chant des africains :

Nous étions au fond de l’AfriqueGardiens jaloux de nos couleursQuand, sous un soleil magnifique,Retentissait ce cri vainqueur :En avant ! En avant ! En avant ! ! !

Refrain

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C’est nous les AfricainsQui arrivons de loinNous venons des coloniesPour sauver le paysNous avons quitté parents, gourbis, foyersEt nous gardons au cœur.Une invincible ardeur,Car nous voulons porter haut et fierLe beau drapeau de notre France entièreEt si quelqu’un voulait nous séparerNous saurions tous mourir jusqu’au dernier

Battez tambourA nos amoursPour le paysPour la patrieMourir bien loinC’est nous les Africains !

IIMais le salut de notre empireNous combattons tous les vautours,La faim, la mort nous font sourireQuand-nous luttons pour nos amoursEn .avant ! En avant ! En avant ! ! !

IIIDe tous les horizons de FranceGroupés sur le sol AfricainNous venons pour là délivranceQui, par Nous, se fera demain.En avant ! En avant ! En avant !

Un chant mal vu, trop colonialiste pour la ripoublique socialo-communiste Mitterrandienne, pour ça que Ballard en dehors de la caserne, il nous les apprenait ces vieilles chansons héritées de la légion.

A 15 km, nous faisons la 1ere pause pour examiner nos panards endoloris mais bien endurcis désormais, Ballard pour nous remonter il nous cause à tous comme à ses gosses, sa question favorite : tu joue au rugby ? Que des footeux et des joueurs de pétanque dans ce peloton que ça le rend fou, surtout à moi qu’il s’adresse : Berthou d’Aurillac, il joue au foot, pas croyable, qu’est ce que vous y trouvez à ce sport de pédés ? On a beau lui expliquer qu’on habite tous dans des petits villages d’Auvergne, du Limousin ou du Périgord où chaque bled a son équipe de foot et pas de rugby, il veut rien savoir, pour lui le sud ouest de la France on peut pas y jouer à autre chose qu’au rugby. Sentant que je peux exploiter le terrain pour faire rallonger cette pause, je le branche sur sa carrière : Mon adjudant, vous jouez avec le pack ou en trois quart ?……… Je suis arrière , numéro 15, si j’avais le temps de participer aux entraînements et si j’avais pas constamment à former des couilles molles comme vous à la 11e, j’aurai ma place en équipe 1 au CA Brive, de temps en temps je suis sur la liste mais dans cette putain d’infanterie, ils ont tout le temps la bougeotte à partir aux quatre coins de ce foutu pays, tiens

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dans un mois ,je dois partir à Berlin Ouest avec une section pour monter la garde dans le secteur français, tiens Berthou tu pourrai m’y accompagner vu que tu seras caporal et que t’as le permis, tu pourrai me trimballer, ça te sortira un peu de ton Cantal….

Oups, que ça ne m’enchante pas son voyage, que c’est un coup de 3 semaines sans permes et à si peu de la fin dont on n’a jamais été aussi prêt, j’espère qu’il m’aura oublié le juteux d’ici là. Situation paradoxale, les six premiers mois les gradés soit m’ignoraient, soit  me regardaient d’un mauvais œil et voilà que depuis que je suis chez Kriegblitz qui a du me faire une bonne pub, me voilà bombardé comme le biffin sur qui on peut compter, c’est pas toujours un avantage.

Allez, on reprend pour les quinze derniers km cap sur la caserne sur un rythme bien plus lent car l’arrêt prolongé nous a bien cassé le rythme, il faut même que je me trimballe le sac de Flaireau qui tient plus sur ses guibolles. On a beau être quasi raide ça en empêche pas certains de siffler les gonzesses au passage, à ce propos notre côte est très moyenne, voire très basse, d’ailleurs j’ai arrêté quasi de sortir de la caserne le soir vu comment le bidasse appelé est mal vu, prestige de l’uniforme, mon cul, c’est valable si t’es colonel minimum ! Nous les appelés dans les boites de Brive, les filles du coin, elles ont plutôt tendance à nous fuir et ça c’est une autre conséquence des années 70, le militaire n’a pas une cote excessive.

Le retour à la caserne, on est raide, fourbus, plus bon à nib et Ballard le dernier kilomètre il nous le fait faire au pas de course pour l’image en rentrant à la caserne dès fois que le colon soit à sa fenêtre : « Au pas de course, quand on en peut plus, on en peut encore, le dernier aura mon pied au cul ! » Superbe rentrée du peloton des futurs caporaux dans l’indifférence générale, il faut quand même qu’il nous aligne et nous fasse péter plusieurs garde à vous : l’armée, c’est la vie de château !-pourvu que ça dure !-rompez les rangs !-gers !

Dans les chambrées, douche et soins des pieds et ronflette immédiate, on espère avoir une journée plus cool demain, avant dernier jour de la formation qui sera consacrée à l’exercice du commandement pour chacun d’entre nous. Tellement on est crevé, on a pas le temps de penser à baiser la gueule à qui que ce soi, au contraire, il se crée une vraie camaraderie, une solidarité de groupe et de plus nous comptons tous entre 6 et 8 mois de service, on connait la musique, Flaireau, il nous propose d’aller faire un tour en ville et il n’y a que moi qui suis assez con pour le suivre aussi tardivement, on est samedi soir et il veut qu’on aille s’écluser quelques bières . En civil avec nos crânes rasés on reste des militaires donc mis  à l’écart par cette jeunesse qui cherche pas à comprendre que nous ne sommes pas des engagés volontaires, on va se jeter des demis au central bar et il faut quand même marcher 4 km , au retour , Flaireau bien ivre sursaute : « La V6 du sergent Wilsdorf ! », qu’est ce qu’il a à s’exciter le Marcel : «  Cette vieille pute de Wilsdorf lorsqu’on était au camp des Rousses m’a humilié en me déchirant mon tee-shirt de AC/DC que j’avais mis sous mon treillis, il me l’a arraché devant toute la compagnie, quelle humiliation ! » . Quelle idée de ne pas mettre ta chemise F1 dessous Marcel ? J’avais pas eu le temps, on venait de se changer et ce connard nous avait fait descendre à une heure du matin, attends je vais lui faire une piqûre de rappel. Et l’autre de s’emparer de sa plus grosse clef de cadenas et de passer à coté de la caisse en y laissant une rayure tout du long sur cette belle peinture grise métallisée, putain fissa qu’on a fait, au sprint jusqu’à la caserne. «  T’es barges, Flaireau, tu t’en branles toi, Wilsdorf, il est pas dans ta compagnie, demain matin, c’est pas toi qui va te farcir son irascibilité d’autres part, ton acte, c’est des façons de faire de cagnards, une voiture, ça se touche pas, tu comprendras quand t’en auras une gros naze ! »  T’inquiètes, il saura jamais qui c’est, t’es en train de chier dans ton froc ou quoi ? …..no comment.

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Sur ce, je préfère aller me pieuter, ce mec, il n’est pas fin, la dernière fois que je sortirai avec lui. Au réveil, comme par hasard, c’est Wilsdorf qui nous passe en revue en nous regardant dans le tréfond des yeux comme jamais je l’avais vu faire, heureusement que par l’intermédiaire de ma pratique du karaté j’ai appris à me relâcher totalement ce qui m’a permit de ne pas me chier dessus quand j’ai croisé le regard de cet orang-outan, il ne s’est pas plus arrêté devant moi que les autres ce qui prouve que même s’il a questionné pour savoir qui était sorti hier soir , personne n’a moufté, solidarité parfaite entre biffins appelés à la 3e Cie. Par contre on s’est farci un nombre impressionnant de garde à vous repos, Wilsdorf n’a pas insisté plus que ça, les engagés à cette époque très largement minoritaires au 126e savaient à quoi ils s’exposaient, sa décapotable, il a qu’à se la garer à portée de vue ou la laisser dans son garage.

Le dimanche à la caserne , il n’y a pas grand monde, je file rejoindre ma formation pour une journée d’apprentissage du commandement, essentiellement de la très haute pédagogie mais qui vaut largement toutes celles qu’on peut apprendre actuellement à nos pauvres futurs professeurs des écoles dans leurs IUFM . Chacun d’entre nous doit prendre à tour de rôle la section ainsi constituée, la faire marcher au pas, facile avec des anciens qui savent déjà, ça sera une autre paire de manches avec les bleubites qui vont débarquer de leur cambrousse d’ici peu qu’il nous rappelle l’adjudant : Pour l’ensemble garde à vous, repos, garde à vous, repos ! Demi tour, droite, Flaireau le ton ! J’avais un camaraaade……Gauche, gauche….de meilleur, il n’en est pas, gauche, gauche !

Cela roule impeccable, cette section pourrait défiler pour le 14 juillet sans problème, autant apprendre à un vieux pécheur à la mouche à pécher au vers de terre, ce sera totalement différent avec la bleusaille, vous aurez l’occasion de le lire par la suite, là en fait, Ballard insiste sur l’allure du chef de section, sa tenue martiale, son regard serein et dur à la fois et surtout sa voix forte et sure sans avoir à gueuler comme un putois. Nous passons à tour de rôle à commander la section, la faire marcher au pas cadencé en chantant, bien faire stopper tout le monde en même temps et que ça claque sec, repartir, demi-tour droite : Gauche, gauche, les commandos partent pour la bataille, gauche, gauche …….Quand vient mon tour cela me fait tout drôle mais j’assure bien car je sens derrière ma nuque le regard à la fois transperçant et globuleux du juteux qui après nous avoir vu tous à l’œuvre nous déclare sa satisfaction pour la prestation de chacun d’entre nous mais nous refroidit en nous tenant le discours suivant :

« Vous croyez que vous savez commander désormais tas de crapauds, vous pouvez vous la mettre dans l’oigne, ce que vous venez de faire c’est la même chose  qu’un instituteur qui ferait recopier une dictée à des bacheliers (je précise que dans les années 80 pour avoir le bac, il fallait encore savoir lire et écrire) , vous aurez la même tache qu’un instituteur qui a des élèves qui ne savent ni lire ni écrire et qui devront à la fin de l’instruction rédiger une dictée sans fautes, vous pigez la nuance?  Mais comme vous êtes en formation accélérée et que vous avez été choisi pour votre forte personnalité, on compte sur vous pour vos facultés d’adaptation envers un public disparate devant qui vous devrez vous adapter, on est pas à la légion et vos recrues ne vous seront pas dévouées corps et âmes, rappelez vous votre état d’esprit quand vous êtes arrivés ici , vos élèves , il y en aura de très rétifs, d’autres moins, certains qui apprendront vite et c’est sur ceux là qu’il faudra s’appuyer, est ce que c’est clair ! »  Affirmatif, mon adjudant…… J’en suis pas très sur , on verra ça et si j’ai des mauvais retours de vos commandants de compagnie, je me ferai un malin plaisir de régler son compte au caporal dont on aura insinué que ma formation a été mauvaise, même à des anciens, c’est un mois qu’il faut minimum, bon vous pouvez disposer, en fin d’après midi ,

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vous passez au bureau du capitaine de la 11e où on verra chacun d’entre vous individuellement pour lui remettre ou non ses deux sardines, exécution !

On s’attendait pas à ce qu’il nous lâche la grappe aussi vite, c’est fissa direction le foyer d’où on va attendre cet instant fatidique, là entre nous, nous faisons le point, je suis quasiment le seul parmi ce peloton à ne pas vouloir rempiler pour six mois de plus et les autres sont étonnés mais quand je leur raconte mon parcours atypique depuis l’arrivée dans ce régiment où je suis passé par trois compagnies en y remplissant des rôles aussi divers que conducteur vl, vaguemestre, fourrier, radio pour terminer dans l’unité la plus stricte, ils devinent que partout j’ai du ronchonner un peu trop eux qui sont biffins de bases en Cie de combat habitués à écraser depuis le début et maintenant qu’ils y ont pris goût désireux d’aller respirer l’air de Beyrouth ou du Tchad . On n’écluse pas trop sur la kro, faut qu’on soit frais devant le gros capitaine obèse qui va nous coller ou pas les deux barrettes rouges , une curiosité ce pitaine, on se demandait tous comment un pachyderme comme lui avait sous ses ordres une Cie d’infanterie, fusse t elle d’instruction, son amas de lard relevait limite du handicap, Kriegblitz me disait qu’ hormis la légion , les paras et certains régiments ( rpima,chasseurs alpins,certains RI…) l’armée française était en train de devenir une armée de gros culs depuis qu’on avait plus de théâtres d’opération comme l’Algérie et l’Indochine il n’y avait que certaines unités comme la légion et les paras qui se faisaient régulièrement la main en Afrique essentiellement, là effectivement on en avait une image du guerrier qui a été remplacée peu à peu par celle du technicien du nucléaire, la dissuasion avec la guerre froide a un peu tué cette ancienne image qui faisaient rêver les gosses jusque dans les années 50/60.

On passe par ordre alphabétique et je suis donc le 1er : Soldat Berthou, 3e Cie de combat du capitaine Kriegblitz, je suis élève gradé à l’instruction, à vos ordres, mon capitaine !  Il y a Ballard debout à côté du gros lard : Berthou , vous avez obtenu une note globale de 13,5/20 ce qui vous classe 5e , vous êtes  admis. Il se lève et me colle ces galons tout neuf sur mon treillis un peu de trabiolle et me serre la main. Au suivant !

Direction le foyer tous avec nos deux sardines rouges devant, chacun sa tournée, la tradition veut que l’on vide le demi avec les insignes au fond du verre cul sec, de plus on y rencontre d’autres caporaux qui nous expliquent qu’un galon doit pas paraître trop neuf et pour ce faire, ils s’acharnent dessus à les piétiner de leurs rangers cradingues, le résultat est qu’au bout d’une heure je me retrouve avec mon scratch tellement en lambeau que j’arrive même plus à le faire tenir sur le treillis et ça m’énerve car je me suis quand même cassé le cul à l’obtenir, je vais pas me repointer devant kriegblitz sans sinon il a bien dit qu’il m’en collerait deux ou trois en travers la gueule. Étant bien éméché je me dirige au fourrier de la 11e pour lui en demander un autre et voilà que ce bleu-bite  binoclard me fait tout un cirque alors que je sais qu’ils en ont plein les tiroirs mais qu’ils les piquent pour frimer dans le civil et s’en faire des collections , ce gugusse me met en rogne et avec les quinze bières que je me suis enfilées tout de suite je l’attrape par le col , lui fait une clé au bras de clause combat : il est où ton tiroir à galon, 2e classe du-con, magne toi si tu tiens à ton poignet car je dois me présenter à la 3e Cie séance tenante !…… Si tu relâches un peu la pression, je t’y amène mais pour l’amour du ciel, cool mec !

Le fourrier m’ouvre sa cassette et j’en profite pour me prendre des scratches de lieutenant, adjudant, sergent qui y traînent pour mes souvenirs, un appelé démerdard se ramenait toujours une tenue complète, les stocks ne manquaient pas et puis les gradés eux se servaient amplement de tout jusqu’à des jerricans d’essence pour leur propres voitures, des bidons de peintures pour repeindre leur maisons, de l’outillage, des parpaings et allaient jusqu’à utiliser

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les bidasses comme main d’œuvre , c’est pas ce qui manquait à la caserne, les maçons, jardiniers, serruriers, métallos, plombiers, peintres qui préféraient continuer d’exercer leur art plutôt que d’aller crapahuter, pour ça que quand un sous-off me demandait ce que je faisais dans le civil, je répondais étudiant, la pire des musiques à l’oreille d’un engagé.

J’arrive un peu tard à la compagnie et me dit que le capitaine s’est peut être barré ce que j’espère avec ce que j’ai ingurgité mais alors que j’essaye de rentrer titubant en catimini jusqu’à ma piaule, j’entends un hurlement : Berthou dans mon bureau, exécution !

Tu croyais aller te pieuter comme ça sans passer voir ton commandant de compagnie, caporal, j’ai bossé toute la journée à préparer l’incorporation de la bleusaille, désormais tu seras affecté à l’instruction de la 2e section sous les ordres du sergent Wilsdorf , c’est lui-même qui m’a demandé à t’avoir comme capo, il a l’air de t’apprécier, tache de pas le décevoir, tu sais qu’il a appartenu au 1er REC ( Régiment Etranger de Cavalerie), un ancien de la légion comme moi, faut croire que t’es voué mon vieux, je désespère pas de te voir rempiler six mois de plus si tu donnes satisfaction ce dont je ne doute pas un seul instant, tu peux rester dans la piaule avec les libérables, demain à cinq heures Wilsdorf t’attend à la semaine avec les autres caporaux pour le 1er briefing de prépa à l’instruction, je te propose pas un verre car je renifle d’ici que tu t’es copieusement imbibé au foyer de la caserne Brune, vas te coucher et pointe toi en tenue de treillis de défilé repassé impeccable caporal de mes couilles.

Hou lala, Wilsdorf m’a demandé spécialement………Même bourré comme un geai j’ai du mal à m’endormir, aurait il des doutes quant à la rayure sur sa décapotable de l’autre con de Flaireau et en conséquence me prendrait il pour m’en faire voir des vertes et des pas mures ? Si c’est le cas pourquoi s’encombrer d’un caporal retors ? Vrai que j’avais remarqué que cette armoire à glace à la John Wayne m’avait à la bonne, il avait aimé que je redonne une belle apparence à la jeep de la 3e Cie lui qui passait ses quartiers libres à briquer sa caisse  . Pas le temps de gamberger, je repasse impec ma tenue pour essayer de me détendre avec les trois plis qui vont bien avant de me recoucher parce que là, ça y est je tombe schlass, kaput, ich hat einen kameraden, ach……

                                                           CHAPITRE   10

 

L’instruction  des  bleus

Au briefing, le sergent Wilsdorf  réunit donc l’encadrement de la 2e section, il n’est que sergent mais engagé, venant du 1er étranger de cavalerie on lui a donné le commandement de la 2e section, un sergent engagé ancien légionnaire  vaut plus qu’un aspirant sorti des EOR pour des raisons évidentes que vous pouvez comprendre même si vous n’avez pas fait votre service, il a pour second un autre sergent, l’appelé Augusta, un qui se la joue dur de dur qui a fait le PEG en arrivant et le PSO au bout de 6 mois, le caporal/chef engagé Ortega , un ex sergent dégradé pour avoir mis son poing dans la gueule d’un jeune aspirant pistonné et dont il ne supportait pas la lâcheté, 2 autres caporaux appelés comme moi mais qui sont à ce grade car ayant été incorporé au PEG à leur arrivée au régiment, tous deux volontaires service long pour partir au Liban ou au Tchad. Je suis le seul nouveau gradé au sein de cet encadrement, le capitaine en m’y mettant me fait preuve d’une grande confiance.

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Bon,je peux vous affirmer que les gaziers de la 2e section que l’on nous envoie ne sont pas  sortis de polytechnique, aucun n’a un niveau scolaire dépassant le brevet, quelques uns ont des CAP, certains travaillent mais la majorité sont des glandeurs de premières dont la plupart ont un casier judiciaire mais pas pour des crimes de sang ni de deal de drogues, essentiellement des petits voleurs de radiocassettes à la roulottes ou des bagarreurs de bal du samedi soir , il y a 3 ou 4 manouches, une dizaines de néo-calédoniens et le reste sont des gars du sud ouest dont des basques pas commodes du tout, au total la section sera composée de 30 soldats grenadiers voltigeurs à l’instruction. Nous avons deux mois pour en faire des biffins, ils ont tous un bon potentiel physique, c’est pour ça qu’on les a mis à la 3e Cie. Je veux que notre section soit la meilleure de la 3e et donc la meilleure du régiment, à nous les chefs de savoir tirer de ces éléments disparates le meilleur de ce qu’ils ont en eux et dont la plupart ne se sont jamais servi sinon pour faire des conneries dans le civil, il suffit pour cela de leur faire découvrir leur potentialité, chose que le monde civil a été incapable de leur faire savoir. Berthou, c’est ton 1er commandement, tu resteras dans ma roue dans un 1er temps et tu peux faire une croix sur tes permes durant le 1er mois d’instruction, de toute façon le capitaine compte sur toi pour nous accompagner au Proche-Orient , t’as juste à signer tes six mois de rallonges. Et là qu’il est à se marrer, je pense qu’ils ont du avoir une conversation sur mon compte les deux guerriers mais qu’ils se fassent pas trop d’illuses si je compte bien remplir ma mission d’instruction avant la quille, c’est d’une part pour le défi physique et mental à relever et de deux pour justement que les bleubites n’aient pas affaire à une peau de vache supplémentaire quant à signer pour partir guerroyer, c’est une autre paire de manches.

Au final Wilsdorf lâche tous les autres mais me demande de le suivre : t’es conducteur caporal, va chercher la jeep et emmène moi à Brune (l’autre caserne) on va aller récupérer le capitaine.

Cet excité trouve que je lambine trop et me demande sans cesse d’appuyer sur l’accélérateur, si bien que j’ai failli m’encadrer la barrière en rentrant , on se gare derrière la semaine de la 11e Cie et Wilsdorf me rappelle de "rester dans sa roue". Là je me retrouve au bureau de semaine rempli de gradés essentiellement des aspis que Wilsdorf adore faire chier en leur rappelant qu’ils ne doivent leur barrette qu’à leur admission aux EOR et que lui il a des années de services débutées comme simple légionnaire, qu’il a été en opex au Tchad dans les années 70 où il a vu pas mal de ses camarades restés au tapis, que ça lui donne le droit d’ouvrir sa gueule ce qu’aucun de ces jeunes officiers n’ose contester d’ailleurs.

"Tirons nous d’ici caporal, ça pue trop la femmelette, Kriegblitz doit être au mess à nous attendre". Un peu emprunté d’avoir à pénétrer dans le saint des saints pour un simple appelé, je fais comme si de rien n’était et suis Wilsdorf, dans sa roue, jusqu’au mess où effectivement nous trouvons le capitaine en compagnie d’un drôle de type assez âgé attifé en civil mais avec un béret vert sur la tête.

On salue le capitaine qui nous répond légèrement éméché dés le matin, c’est pas dans ses habitudes: caporal , je te présente une légende du 2e REP, l’adjudant/chef  Apstein qui a pris sa retraite à Brive et qui a demandé l’asile politique au mess du 126e .

Mazette, on m’avait parlé de ce type survivant de l’Indochine et de l’Algérie qui habite les environs de la ville et qui ne supportant pas le retour à la vie civile passe son temps habillé en tenue camouflée en scrutant à la jumelle la caserne du 126e , dès qu’il est au courant d’un départ du régiment pour des manœuvres ou d’une partie du 126e en opex, il rapplique aussi sec, il vient juste de commettre un esclandre lorsqu’une section de volontaires service long

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sont partis de nuit toute sirène hurlante pour Beyrouth, il s’est pointé à la barriere en tenue , packo complet et ourdé à zéro mais surtout avec une AK47 chargée, balle engagée dans le magasin à menacer les gardes car il voulait accompagner les volontaires ce qui ne manquait pas de panache mais était impossible vu qu’il avait été rayé des cadres. Il avait fallu l’intervention de la police militaire qui avait mis une heure à le maitriser puis à le ramener chez lui ( on règle ça entre militaires, on ne mène pas une gloire de la légion au commissariat comme un simple délinquant). Plus tard j’apprendrai que Apstein se suicidera d’une balle dans la tête n’arrivant pas à s’intégrer à la vie civile, il ne sera pas le seul de ces anciens qui ont guerroyé trop d’années peut être et qui "péteront un plomb" au retour à la vie ordinaire.

Là, les tournées se succèdent à un rythme  effréné, je n’ai pas à payer mais j’ai intérêt à suivre le rythme, pour ça aussi que ces redoutables guerriers m’apprécient, je fais pas de chichis et pose pas de questions, on écoute le vétéran qui à plus de 59 piges a encore fière allure  et une gueule pas croyable, une cicatrice sur le front et une autre sous le menton, le regard bleu intense, c’est un allemand , un de ceux qui restés sur le territoire français en 45 et qui rejoindront les rangs de la légion étrangère pour l’Indo, à ce moment là, la légion comprenait plus de 30 ou 40% de teutons ancien de la Wermacht voire des Waffen SS, Kriegblitz me raconte qu’Apstein qui habitait à Calvi avant  Brive pour rester près de son régiment avait déjà commis le même ramdam alors qu’il était déjà démobilisé, il s’était pointé au REP la nuit du départ pour Kolwési et ne comprenait pas qu’on le refuse. On l’avait obligé à déménager de la Corse et on pensait pas qu’il recommencerait ses frasques avec un régiment de la régulière vu qu’il avait toujours considéré les militaires hors légion comme des tapettes.

C’est à Calvi où est basé le 2e REP qu’ils se sont connus, Kriegblitz y était encore que sous lieutenant et il avait eu l’honneur sortant de St Cyr parmi les premiers de choisir LE régiment d’élite de l’armée française, un régiment qui fait l’objet d’une grande curiosité car des tas d’experts de toutes les armées du monde y viennent en observation ou en stage afin d’essayer de comprendre comment en sélectionnant des candidats venus du monde entier on arrive à former une unité aussi soudée, je vais en apprendre des choses en côtoyant ces guerriers notamment qu’au 2e REP chaque légionnaire parachutiste passe par les 4 Cie de combat qui ont chacune une spécialité (montagne,combat urbain, nageur de combat, tireur d’élite..etc)  formant ainsi des guerriers redoutables et ultra-complets . Le capitaine me présente auprès de l’ancien comme étant un jeune appelé qui aurait du s’engager s’il n’avait pas été abruti par la propagande des années 70 et que c’est ainsi que cette société de hippies est en train de foutre en l’air ce qui reste de valable en occident ce qui met en rogne Apstein qui se met à gueuler dans le mess: zaloperie de téléfizion qui fout lobotomise la cerfelle,enculés de hippies drogués,zalopards de communistes, pédés de franc-maçons et de youtres qui ont pris le pouvoir, ach schnaps schnaps fite barman, che creve de soif! Après les décalitres de bière qu’il a englouti, il est toujours pas désaltéré, je remarque que dès qu’il a commencé à beugler le commandant Tâcheron, quasi le numéro trois du 126e s’est éclipsé en douce, devise de nos supérieurs : ne pas se trouver sur les lieux du grabuge et bien mise en application depuis juin 40 celle là. Apstein siffle cul sec les kronembourg et les balance par dessus l’épaule sans regarder où elles atterrissent , les bidasses serveurs du mess se gardent bien de venir lui faire une quelconque remarque depuis la dernière fois où un aspirant venu lui dire de se calmer s’est retrouvé en vol orbital atterrissant sur le billard et se réveillant à l’infirmerie avec deux cotes cassées.

Wilsdorf voyant venir le scandale propose aux deux autres de monter dans la jeep afin que je les conduise au central bar, je n’ai rien à y opposer vu mon grade et précise au capitaine que ça sera lui le chef de bord ce qui a pour effet de lui faire se fendre la pipe.

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Me voilà au volant conduisant un capitaine et un sergent d’active plus un ancien héros de la légion, nous sommes tous déjà au dessus de 2 grammes mais j’ai l’habitude de conduire bourré et fatigué surtout depuis que je suis au 126e, il m’arrivait même d’être en tête de convoi avec 30 camions derrière avec un chef de bord qui ronflait conduisant parfois 20 heures d’affilées, il m’arrivait même  de fermer les yeux dans les lignes droites afin de reposer la vue ce que nous faisions aussi lors de marches harassantes où on se tenait en colonne par la main, si bien que l’un de nous parfois valdinguait dans une fosse endormi . Là nous traversons la ville de Brive et l’avantage c’est qu’on risque pas de se faire arrêter par les flics avec nos uniformes. Arrivé au central bar, Apstein insiste auprès du barman pour qu’il lui serve du schnaps que ce dernier sait même pas de quoi il s’agit: je vais te montrer sors de la bière brune et de la gnôle ça fera pareil!

Heureusement que je suis plus en état de mesurer la situation, la seule chose que je mesure , c’est que je suis couvert par la présence d’un officier et d’un sous off. Débarqué au central bar Apstein entonne le chant "Contre les viets, contre l’ennemi, partout où le combat fait signe, soldats de France, soldats du pays, nous remonterons vers les lignes!"…….puis nous raconte son Dien Bien Phu, il a eu la chance d’être parmi les premiers blessés et ainsi à pu être évacué par air tant que les Dakotas pouvaient encore atterrir et repartir, en Algérie il faisait partie des sections commandos qui se déguisaient en fellagas et s’introduisaient derrière les lignes ennemies pour y ramener du renseignement, voire des prisonniers à cuisiner ensuite, les mauvaises langues racontent que comme il excellait dans cet art, il a été affecté au renseignement durant la bataille d’Alger. Pour mémoire ou plutôt ré-information historique je rappellerai que c’est l’armée française qui a gagné la guerre d’Algérie et que cela a été essentiellement du au travail des paras lorsqu’ils ont investit Alger et pris les commandes à la place de la préfecture et des services de polices qui étaient complétement vérolés, d’ailleurs l’efficacité et les techniques "inventées"pour démonter les filières terroristes ont ensuite été réutilisées dans pleins d’armées étrangères, sud américaines surtout et même des officiers français ont été recrutés par les USA à fort Bragg (dont le célèbre général Aussaresse) .

Durant le putsh il était en opération au Sahara et a pu échapper aux représailles car s’il avait été à Alger, il aurait été le 1er à suivre le commandant Hélie de St Marc qui avait pris la tête du 1er REP, il a fait partie des pionniers du 2e REP restés en Algérie après l’indépendance et que le gouvernement Gaulliste en représailles a installé à Bou Sfer en plein oranais sous des toiles de tente de 1962 à 1967 avant de les baser à Calvi, c’était une dure période pour la légion car après ce putsch De Gaulle avait envie de la supprimer , il ne l’a pas fait sous l’influence de Pierre Messmer (ancien officier de légion) mais a dissout le 1er REP ainsi que d’autres unités . Apstein durant les années 70 a guerroyé au Tchad où il a bien cassé du rebelle , jamais il ne s’arrête de raconter………. La suite, c’est une série de toast en l’honneur des 1er et 2e  REP et de ses vieilles gloires  et d’un écroulement complet de ma part dans les chiottes du central bar, parti y pisser au bout d’une demi heure, je me suis endormi sur la cuvette et y suis resté durant deux heures réveillé par le sergent qui tambourinait sur la porte en train de hurler: Réveil caporal, réveil!

Ce dernier me traine jusqu’à la jeep et me demande si je suis en état de les ramener car je découvre Apstein et Kriegblietz en train de pioncer ferme sur la banquette arrière de la jeep, les deux heures à ronfler et à dégueuler dans les gogues m’ont remis d’aplomb, le sergent bien défoncé mais encore lucide me guide afin qu’on dépose les deux guerriers à leur domicile ce qui fut fait sans accrocs vu leur état , juste la femme au pitaine qui en a profité pour traiter l’armée française de régiments de pochtron s’adressant particulièrement à mon matricule: Ne vous engagez pas vous le jeune appelé ou alors ne vous mariez pas si vous le faites, c’est pas

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une vie pour une femme d’être avec un militaire jamais à la maison ou seulement pour aller se saouler avec des vieux pochtrons comme Apstein qui nous cause que des emmerdes…..Texto mais je remarque qu’elle hurle pas trop et fait bien attention que son mari pionce ferme. Deuxième point, ramener le légionnaire en retraite, le sergent sait où il crèche,  une vieille baraque isolée sur une butte tel un fort érigé, on le rentre chez lui où on découvre un arsenal incroyable, des fusils d’assaut et des munitions à foison, des placards pleins de tenues, des trophées de toutes sortes et surtout des portraits de Mussolini et du vieil Adolf, un immense drapeau nazi, ffuit l’antre du bergtsgaden en miniature, en posant le corps du pochtroné y a un luger qui tombe de sa poche, Wilsdorf l’attrape et vérifie qu’il est chargé, à plein bien sur, sécurité même pas engagé, finalement la descente au central bar se sera bien déroulée à coté de ce qui aurait pu se passer si un quidam avait provoqué Apstein.

Le lendemain nous accueillons donc les bleus, des soldats de compagnie de combat, deux mois de classe assez durs les attendent, deux mois où nous alternerons instruction de base, sport, parcours du combattant, tir au FAMAS, lancer de grenades, maniement et entretien des armes et surtout marches sur marches. Les gars tirent de sacrés tronches, ils sont passés à l’autre caserne où on les a rasés boule à zéro, auscultés et donnés leur attirail. Notre section est déposée en camion devant la compagnie, discours du capitaine qui va bien et semble les mettre plus en confiance ne serait ce que par son charisme, sa classe, nous les regroupons par paquet de 8 pour leur attribuer une chambrée, Wilsdorf  me désigne un groupe à faire monter afin que je leur apprenne à ranger leur bordel et surtout à les faire enfiler leur treillis, tenue d’été, nous sommes en juin.

Je monte avec mes huit soldats qui la veille étaient encore manœuvre, carreleur, chômeur ou délinquant: je m’appelle Guy Berthou, je suis votre caporal pour ces deux mois d’instruction, vous vous adresserez à moi en disant oui caporal et non pas mon caporal comme c’est le cas pour un adjudant, lieutenant ou capitaine! Aucune réponse et voilà que je me surprends à beugler automatiquement : Surtout répondez pas , tas de bœufs, quand un gradé vous interpelle, vous devez répondre et toujours par l’affirmative, est ce que c’est clair? Oui caporal! J’ai rien entendu! oui caporal! Là c’est mieux, on verra ça!

Je leur fait vider leur sac marin et leur montre le rangement de l’armoire, je suis surpris de voir comment ils sont tétanisés et limite terrorisés, désireux d’accomplir les ordres afin de pas me contrarier , il est vrai que les rombiers affectés en Cie de combat sont choisis particulièrement pour leur aptitude de"bœufs" , en clair bêtes et disciplinés mais toujours avec des fortes têtes gratinées que Wilsdorf m’a chargé de repérer; là j’en vois pas tout de suite. Une fois le rangement effectué je m’empresse de leur apprendre à s’habiller, le slip ils savent le mettre, je leur dit qu’après on enfile la chemise F1, le pantalon de treillis attaché avec la ceinture à boucle de métal, les grosses chaussettes puis les rangers, le plus dur, je dois vérifier qu’ils ont des pointures à leur taille puis leur montrer le laçage et comment on attache le bas du pantalon avec la ficelle autour de la boucle de la"rangeo". La veste de treillis à bien boutonner et faire dépasser le col de la chemise, la fixer avec le beau ceinturon FAMAS et pour finir en beauté le béret qu’on doit porter de manière la plus martiale possible. Bon, ils n’ont pas l’air trop torgadus mes 8 gars prêts à descendre avec les autres recrues.

En bas Wilsdorf aboie comme un pitbull jusqu’à ce qu’on arrive à un alignement correct par ordre de taille: voilà, ce sera comme ça que vous serez en place à chaque rassemblement, repérez votre place et les gars qui sont autour de vous, est ce que c’est clair , tas de bouseux!

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Apprentissage de la marche au pas, un deux, un deux, on leur fait marteler le sol avec le pied gauche: "Gauche…….gauche"…..putain, le bazar, je suis obligé de prendre à part ceux qui"psychotent" c’est à dire bloqués dans leur cerveau par le maintien de la cadence; ils en viennent à ne plus savoir marcher normalement mais au contraire leurs bras droit suit leur jambe droite et idem de l’autre côté, c’est classique à l’armée au début, la marche s’apprend naturellement chez un humain et à 20 ans vous devez réapprendre à marcher! Quelle bizarrerie! Alors parallèlement à l’apprentissage en section les caporaux comme moi donnons un cours particulier. Je prends avec moi un vrai québlo impossible de le faire marcher au pas, j’ai beau lui montrer, lui dire: Naturel, soldat Patoulachi, naturel, oublie que t’es à la caserne, marche à mes côtés jusqu’au mur là bas sans regarder tes membres, regarde l’objectif où tu veux aller……. Ouf, finalement après trois heures on arrive à faire se déplacer cette section convenablement.

Apprentissage de la présentation très simple: soldat Troudeb, 3e compagnie de combat, section Wilsdorf, je suis grenadier voltigeur à l’instruction, à vos ordres sergent! Voilà ce que chacun va répéter à tour de rôle devant le bâtiment de la 3e et là je me rends compte que l’instruction est autrement plus "péchue" que celle que je vous ai contée en début de récit à la 11e Cie d’instruction, Wilsdorf trouve qu’ils ne gueulent jamais assez fort et que leur garde à vous n’est jamais assez sec, aussi dès qu’il y en a un qui bafouille, il applique la méthode légion, la punition collective, tout le monde pompe y compris nous et les sous off: En haut! en bas, au milieu…et des séries de 10 pour débuter qui vont monter chaque jour à 20 voire 30. Discours de Wilsdorf:" Voilà, chaque fois que vous ne comprendrez pas, on va pomper collectivement comme les shadocks et nous avec vous tas de psycho, bande de mongols, ça devrait vous aider à faire rentrer dans vos cervelles à deux neurones que vous n’êtes pas tout seuls ici, on est à la caserne, la caserne, c’est votre maison, elle devra être aussi propre et mettez vous vous au diapason parce que quand vos camarades qui font vite et bien sont obligés de pomper pour  attendre les "finis à la pisse" qui bâclent le boulot, c’est toute la section qui prend un handycap, pas la peine de se branler le mammouth, j’espère que ce sera mieux demain, sinon on va changer de méthode!….pour l’ensemble Hahu! Repos! Hahu! Repos!…….etc etc.

Après l’ordinaire, préparation pour départ au pas de tir, je me charge d’aider mes 8 à préparer leur tenue, vérifier le rangement et la propreté de la piaule, pour cela chacun dispose d’un papier sur lequel est inscrit ce qu’il doit prendre seulement, j’en ai 2 qui savent pas lire et un qui est même incapable d’oser l’avouer, il se contente de me faire des signes, me montrant son armoire, le papier et son désarroi, c’est un autre, le soldat Shinowski qui m’explique qu’il est comme ça depuis le début, bloqué, renfermé et ultra-complexé, j’applique la méthode classique confiant à Shinowski le tutorat de ce cas"social"dont j’apprendrai qu’il était dans le civil romanichel et que son casier judiciaire comprenait nombre de vols à la roulotte.

Wilsdorf, il trouve que je suis trop sympa avec mes gars, il aime bien mon côté humain mais il m’ordonne de ne pas tomber dans le piège des causeries du soir, une fois la journée finie, il y a beaucoup de bleubites qui essayent de nous causer, de nous faire causer en fait plus ou moins de"casser"le rapport hiérarchique et même si c’est pas toujours insidieux de la part des gars, le sergent me rappelle que le fait que j’ai deux barrettes sur le devant du treillis m’oblige à garder la distance, ne pas raconter ma vie surtout, me cantonner sur l’aspect militaire, en fait il me demande de me comporter comme un engagé, à ce moment rentre dans son bureau le capitaine qui questionne donc le sergent à mon propos, Kriegblitz me rappelle qu’il aimerait que je prolonge pour 6 mois afin que je les accompagne au Liban, il tient à m’avoir pour chauffeur radio et de plus me promet de me faire accéder immédiatement au grade de

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caporal/chef  et pourquoi pas au retour prolonger 6 mois de plus encore afin que je fasse le peloton de sous off: C’est ton destin, fils, tu le regretteras toute ta vie , ton grand-père a fait 14/18, ton père a fait la campagne de France, l’armée française a besoin de gars comme toi car depuis que les socialos sont au pouvoir, on dirait que leur obsession c’est de noyauter l’armée, de l’infester de feignasses qui en ont rien à foutre du drapeau car la plupart ne sont plus issus de familles françaises traditionnelles et je parle autant des aristos que des bouseux comme toi, surtout des bouseux comme toi car c’est avec une armée de paysans durs à la tache qu’on a pu repousser les teutons du kaiser à Verdun; on y serait pas arrivé avec une armée de fonctionnaires et d’employés de bureau, bordel de merde.

Là, il me fait gamberger, toute la nuit j’entends le refrain: "tu le regretteras toute ta vie, tu le regretteras toute ta vie………"En fait Wilsdorf va me causer en particulier et me faire comprendre que le capitaine m’a pris en affection, le sergent me raconte comment Kriegblitz a perdu son fils unique dans un accident de voiture alors qu’il devait intégrer lui aussi l’école de St cyr et que je le lui rappelle ce fiston promit à prolonger la dynastie des guerriers: il est comme ça le pitou depuis ce drame tout s’est enchainé si bien qu’il s’est trop mis à picoler et a du être reversé dans la régulière ce qui est un peu honteux pour un légionnaire, le soir avec sa bonne femme , c’est pas la joie, jamais il réintègrera la légion, pour ça qu’il veut repartir au feu pour montrer qu’il est plus bon à nib, même chez les paras, ils ont pas voulu de lui, je sais pas qu’est ce que tu as fais pour qu’il s’attache à toi comme ça mais il passe jamais une journée à se demander comment tu t’en sors dans ton commandement.

                                           

                                             CHAPITRE  11:

L’instruction des bleus:2

C’est parti pour dix jours sur le terrain, packo complet, toile de tente modèle 14/18 sous une pluie torrentielle, tout le monde à pied, 2 camions pour le ravitaillement, on marche tous les jours et on ne pose le cul que pour crever les ampoules, boire un coup et chanter pour se réchauffer le moral. Nos gars sont vraiment biens, physiquement très solides , j’apprends en causant avec mes gars qu’en fait tous les rombiers affectés à la 3e Cie l’ont été en priorité parce qu’ils avaient répondu être prêt à partir en mission outre-mer et donc effectuer un service long de 18 mois minimum. Étant depuis presque un ans déjà un militaire je m’étais coupé des infos quotidiennes où Roger Gicquel, Jean Pierre Pernaud ou PPDA montraient quasi quotidiennement des reportages aux 13h et aux 20h sur les opérations de notre encore glorieuse armée française, les théâtres d’opération, c’était le Liban, le Tchad et encore quelques interventions en Afrique, les reportages montraient encore une certaine réalité, nous y voyons bien sur nos unités d’élite: la légion et son fameux 2e REP, les paras surtout ceux du 8e RPIMA et auxquels les journalistes nous affirmaient que pouvaient s’intégrer des unités non professionnelles composées d’engagés volontaires, des appelés qui acceptaient de prolonger leur service pour six mois au moins et qui seraient intégrés pour travailler avec ces unités d’élite qui auraient déjà fait le plus dur du boulot , les engagés volontaires n’auraient pas vraiment"à faire la guerre" qu’on nous disait, leur mission seront constituées de gardes à monter, d’opérations de police, de protection des civils, de forces d’interpositions entre les différents belligérants. De plus,  les volontaires seraient coiffés du casque bleu de l’ONU, on n’a pas le droit de tirer sur les soldats de la paix, voyons, un peu comme à Omaha Beach quand les allemands cartonnaient en priorité les infirmiers avec leur casque avec une belle

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croix rouge cerclée de blanc que je me remémorai. Nous étions en 1984 et c’était écrit dans les journaux, entendu à la radio et vu à la télé, ça me rappelait les images de propagande  qu’on nous diffusait à propos du départ à la guerre de 14/18 où l’on voit des millions de pantalons rouges partir rigolards dans les trains, images de propagande, la guerre ne fut pas courte et joyeuse mais bien longue et massacrante, pour revenir sur ces pantalons rouges, il fallait bien que ça sorte des cerveaux malades de nos chefs d’état major atteint de sénilité précoce, attifer nos pauvres poilus de pantalons rouge garance afin qu’ils soient le mieux visible au milieu des champs bien verts pour les mitrailleuses du kaiser, ça relevait de la démence sénile alors qu’en face les schleus avaient adopté le kaki qui va si bien sur les terrains de combat. Et les bleus gavaient toute cette préparation psychologique, la buvaient comme du petit lait, ils se voyaient déjà tous à Beyrouth acclamés par les fatmas et le Hezbollah qui viendrait leur servir leur thé à la menthe, il y avait quand même l’annonce hebdomadaire de casque bleus tués , des balles perdues qu’ils nous disaient le colonel quand on a rendu hommage au 1ere classe Fernand Raoux du Cantal qui se trouvait malencontreusement en train de fumer sa clope au moment de la retombée d’un obus de mortier parti d’un putain d’ immeuble en plein Beyrouth soi disant en période de pacification, les deux jambes tranchées net, l’hôpital de campagne à 20 m mais tellement l’hémorragie a été abondante qu’on a pas pu le sauver…..mort pour la France, nous lui avons rendu les honneurs avec toutes les compagnies du 126e sur la place d’arme.

L’entrainement durant les classes porte en priorité sur le combat urbain, nous disposons de camp bien fournis en bâtiment et nos gradés dont certains ont connus le combat pour de vrai savent comment nous y préparer, on a même sorti du placard le caporal/chef Ben Hassim qui a participé à la bataille d’Alger de 57 à 62 . Nous effectuons du vrai travail de section d’infanterie pour simuler la prise d’immeuble à la grenade au plâtre et à la cartouche à blanc, Wilsdorf prend même l’initiative avec l’accord du capitaine mais en se passant de celui du colon de nous faire prendre d’assaut une ferme  sous un déluge de feu de 12/7 à balle réelle heureusement en gardant le feu suffisamment haut, là c’est la 1ere fois que j’éprouve une sensation morbide de montée d’adrénaline en entendant siffler ces gros projectiles 3 ou 4 m au dessus de nos têtes: frououu, frououou, badabang, la mort nous survole. Discours des deux ex légionnaires: Voilà comment ça va chantonner la mitraille bande de pucelles, vous verrez quand vous aurez vécu ça pour de vrai et que des camarades tomberont autour de vous, il y aura un avant et un après, votre regard changera, celui qui a vu le merdier a ça, le regard au loin! Vous aussi vous aurez ça, Shinowski aussi aura ça, le regard au loin!

Jusqu’à ce qu’on ait plus de munition ce cirque a duré: Caporal de liaison radio Berthou , contacte Charlie Tango Xray qu’on nous envoie un stock pour demain , munition et ration K avec 5 pack de kro, vous allez vous pieuter à même le sol, inutile de planter les toiles de tente, on a un beau clair de lune, je veux deux hommes de garde relayés toutes les deux heures, Caporal Berthou, tu assumeras les relèves! Chaque garde mettez 3 balles réelles dans votre chargeur , je vous préviens qu’avec les sergents on va tourner et le 1er surpris en train de pioncer sera de corvée de semaine.

C’est l’été dans ce limousin et les nuits sont agréables, au même moment, on joue le championnat d’Europe en France avec l’équipe de Platini dont je suis un fan, pourra t on voir quelques matchs? Quand on sera à la caserne surement je brancherai le capitaine à ce sujet, je me servirai de sa fibre patriotique, à cette époque, jeunes gens, notre équipe de foot représentait un véritable étendard pas comme celle des années 2010, tout français de base était concerné, les joueurs de foot étaient encore des représentants du peuple de France, nous nous identifions à ces joueurs Platini, Tigana, Giresse, Fernandez le carré magique du milieu du

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terrain, les arrières Janvion, Lopez, Trésor, Bossis, les attaquants Rocheteau et Six, toute la France vibrait pour cette équipe qu’on pouvait qualifier d’identitaire.

Après une semaine de terrain éprouvante nous rentrons à la caserne nous décrotter , nettoyer nos flingues  et nous gradés avons pour consigne de continuer à ne pas laisser de répit à nos soldats , ce soir c’est France/Danemark le match d’ouverture et je rentre dans le bureau du capitaine pour lui expliquer qu’il s’agit d’un grand moment de patriotisme et que nos gars vont apprécier, il reste dubitatif un instant mais me confie l’organisation de la soirée: Je veux que toute la compagnie hors ceux qui sont de service soient dans la salle de 20h à 22h15 et se pieutent aussitôt ,pas plus de 2 bières par hommes, pas de débordement, j’enverrai Wilsdorf faire un speech et c’est à toi que sera confié cette histoire, si j’apprends qu’il y a eu 1 bagarre ou autre chose , ça te retombera dessus, est ce que c’est clair caporal! Oui mon capitaine! Rompez!

Ouf, je vais passer dans toutes les piaules relever les noms des gars désireux de voir le match et éliminer par la même occase ceux qui sont susceptibles de foutre le souq à commencer par les gitans et kanaks qui en ont rien à battre du foot et accessoirement du drapeau…….. Petit match de l’équipe de France qui débute contractée mais on a le meilleur joueur du monde du moment, meilleur buteur du calcio, Platini nous marque ce but d’un tir à l’entrée de la surface de réparation déviée par un danois , c’est bien parti pour sortir de groupe qui comprend aussi la Yougoslavie et la Belgique, voilà ceci vous remet en place le contexte historique de la France des années 80 bien éloigné de celui des années 2010 si l’on compare les contextes footballistiques révélateurs sur le plan sociétal, l’équipe de France de handball ayant remplacé désormais celle de foot dans le cœur des français patriotes (s’il en reste).

Pas pu voir tous les matches , évidemment je suis d’instruction, j’avais qu’à pas accepter mais ce sacré capitaine possède un pouvoir de dissuasion énorme, tout dans le regard, il vous transperce et devine tout de suite à qui il a affaire, les tarlouzes et les lâches comment qu’il arrive à les éjecter des sections de combat, il est pas dans la légion et il est obligé quand même d’en accepter certains mais il les met dans la petite section de service. Alors que j’étais en train d’expliquer le démontage, nettoyage et remontage du fusil mitrailleur léger aux homme de ma chambrée, le voilà qu’il vient faire une inspection surprise et qu’à l’issue il me demande de passer dans son bureau, j’y vais tranquille après tout en tant que libérable j’ai plus grand chose à craindre mais je suis persuadé que c’est encore pour me bourrer le mou afin que je signe une rallonge de six mois agrémenté d’un séjour de quatre entre Beyrouth est et Beyrouth ouest afin de l’accompagner avec ma jeep: " Caporal, tu as fait du bon boulot , Wilsdorf trouve que tu es un bon instructeur et même tes soldats t’apprécient, c’est pas donné à tout le monde de pouvoir réunir ces deux paramètres, je t’invite demain soir chez moi pour voir la finale, il y aura Apstein et Wilsdorf, interdiction de refuser car je sais que tu avais l’intention de rester le regarder au foyer avec tous les militaires du rang, tu peux disposer!"

Ouch, ça c’était du Kriegblitz, putain comment que je vais expliquer ça aux autres, pas fini d’en entendre: le caporal Berthou est invité chez les huiles, parait même qu’il s’envoie la fille du colonel qui est loin d’être un prix de Diane, pfft quel arriviste à si peu de la fin lui qui a osé envoyé chier un officier en pleine revue, le voilà qu’il achève en beauté…… C’est un coup à me retrouver tout seul pour arroser la quille, le piège se referme sur moi, de plus avec l’autre fêlé d’Apstein, la femme au capitaine sur qu’elle va pas rester pour lui servir son schnaps mais pour rien au monde je raterai ce matche, la première fois de l’histoire que l’équipe de France de football joue une finale, contre l’Espagne et à domicile de plus , j’ai déjà raté la demi-finale contre le Portugal ( 3/2 après prolongation) parce que ce samedi soir j’étais sur le

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terrain dans la campagne Limousine à terminer une marche, nous avions le résultat en demandant aux gens quand on passait devant des maisons et on a compris quand on a vu les voitures défiler en klaxonnant pendant que nous partions en bivouac pour la nuit, une de ces soirées où j’avais le cafard en pensant à mes copains du Cantal qui devaient se faire une fiesta d’enfer pour arroser ça.

J’avoue que j’ai eu envie de déserter mais c’est Wilsdorf lui même connaisseur d’homme sans même posséder une licence de psychologie qui m’a pas lâché la grappe durant tout ce mercredi consacré au tir et au lancer de grenades offensives réelles: Fin de l’exercice , sergent Augusta ramène tout ça à pied à la caserne , qu’ils aillent nettoyer leurs armes , se décrotter ensuite ils pourront aller au foyer, caporal tu prends la jeep, je suis ton chef de bord!

Impossible d’y réchapper, ces deux vieux singes, on va pas leur apprendre à faire la grimace, direction chez le capitaine sans avoir le temps de se changer, on a même gardé nos famas avec nous pour donner l’impression qu’on retournait à la caserne. Kriegblitz est là en survêtement et Apstein dans son vieux costard avec ses décorations et son béret vert, ils sont encore à jeun mais devant la télé on a un super apéro avec tout plein d’amuse gueule  et sur le buffet une grosse bouteille de champagne dont l’hôte nous précise qu’il ne la débouchera qu’en cas de victoire car il n’y a qu’elle qui est belle.

J’aurai bien aimé entendre les commentaires de Thierry Roland mais j’ai du me contenter de ceux d’Apstein qui était barré sur la bataille d’Alger, au moment du but de Platini sur coup franc tellement brossé que le gardien espagnol n’a pu empêcher ce ballon satellisé de franchir la ligne juste avant la mi-temps. Apstein qui s’en tamponne du match nous raconte comment il a travaillé au renseignement sous les ordres d’un certain capitaine Aussaresses lui même subordonné de Bigeard . Apstein nous explique comment la légion et les paras après avoir tout pris en main et foutu le préfet de police au placard ont mis en place un système d’investigation, de remontée des filières en partant du moindre colleur d’affiche jusqu’au poseur de bombes qui décimaient des civils, femmes et enfants compris, en faisant marcher la gégène  puis en faisant disparaitre ceux qui avaient parlé comme ceux qui n’avaient pas parlé (les cadavres dans du béton et jetés à la mer depuis des hélicoptères), la guerre subversive, une méthode française calquée sur la doctrine de la guerre révolutionnaire de Mao utilisée par le vietmin mais améliorée techniquement par l’ingéniosité française et qui a fait école car nombreux de ces officiers ou  sous officiers ont été engagés par les dictateurs sud américains comme Pinochet au Chili ou Vidéla en Argentine et même les USA puisque le fameux général Aussaresses a été engagé à Fort Bragg, oui le creusé des bérets verts US qui ne savaient plus comment s’y prendre au Vietnam où ils commençaient à s’embourber sérieusement face à un ennemi qui lui ne s’en cantonnait pas aux méthodes de la bonne vieille guerre classique. Les français avaient retenu la leçon de la guerre d’Indochine: l’armée envoyée au départ étaient composée de légionnaires volontaires dont la majorité de l’effectif était allemand,des anciens de la Wermacht ou des Waffen SS qui avaient le choix entre rester en taule ou repartir au combat contre le communisme (comme ils le faisaient avant contre Staline…..), il se trouve que bon nombre de ces légionnaires allemands fait prisonniers par le vietmin étaient réutilisés par celui-ci afin qu’ils leur apprennent tout ce qu’ils savaient sur l’ennemi, voilà encore de la guerre subversive, en réalité la guerre tout court car il n’existe plus de guerre propre cantonnée au monde des militaires style "Messieurs les anglais , tirez les premiers" depuis que la technologie avec son pouvoir de destruction immense prévaut, en tant de guerre, toutes les règles, toutes les valeurs du temps de paix ne sont plus de mises.

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La deuxième mi-temps est tendue et les schnaps fait maison sont débités à bonne cadence, avec la fatigue et l’exaltation d’Apstein je suis à 50% de mes moyens et au moment ou Bruno Bellonne marque le 2e but qui donne le titre de champion d’Europe à l’équipe de France Kriegblitz me relance sur le Liban: Toi aussi Berthou va marquer ton but pour ta patrie, suis nous , j’ai besoin d’un chauffeur radio fiable et à la compagnie j’en vois pas d’autre que toi, le colonel m’a proposé un de ses pistonnés que j’ai vu et qui ne m’inspire pas du tout, je lui ai parlé de toi et dès ta signature tu restes le mois d’aout à la caserne avec une petite formation au combat urbain au camp de la Courtine que tu connais bien, tu es bombardé capo/chef et tu partiras en avion avec moi et Wilsdorf, ce qui est un privilège car tu n’auras pas à te taper la traversée en bateau, début septembre on est à Beyrouth pour quatre mois, tu sera revenu pour Noel ! Alors tu réponds , ou tu viens! Ou tu vaux rien!Je veux ta réponse d’honneur sur le drapeau du régiment là celui qui est sur la cheminée après la remise de la coupe à Platini."

Comment qu’il me prend par les sentiments et au moment où j’allais me préparer à lui répondre par la négative, il y a quelqu’un qui tambourine à la porte, Apstein en profite pour me resservir un schnaps que je dois descendre avec lui bien sur alors que je tiens déjà plus sur mes cannes. Le capitaine me présente ce nouveau visiteur surprise que les autres connaissaient déjà: Colonel Dominique Erulin commandant le 5e régiment de Paras à Asunción, Paraguay.

Tout ce que j’entrevois à travers mes yeux vitreux et ma cervelle imbibée c’est un brutus en costard cravate dont on peut être sur qu’il a un luger parabellum à la ceinture. Wilsdorf me susurre qu’il s’agit du frère au célèbre colonel Erulin qui a sauté sur Kolwési , j’apprendrai tout de ce type par la suite car là on vient de faire péter le champs. Cette armoire, c’est une légende , ancien d’Algérie qui faisait partie du putsch et a continué longtemps l’action dans la clandestinité OAS, viré de l’armée française alors qu’il était simple lieutenant, activiste dans des groupuscules d’extrême droite, ami de Jean Marie Lepen  dont je me demandais à ce moment là s’il n’allait pas débarquer lui aussi, il avait du fuir la France et après toutes sortes de mercenariat divers, il se trouvait au Paraguay où le général Strosner chef du gouvernement  l’avait bombardé colonel. Kriegblitz est obligé de lui expliquer ce que je fous là car il avait vu sur mon treillis les galons de caporal appelé et il se méfiait de tout le monde car le gouvernement socialo-communiste de Mitterrand le recherchait et des amis à lui travaillant dans les services secrets lui avaient fait comprendre que s’ils pouvaient le coincer cela pourrait se faire avec bavure.

Nous portons un toast à la victoire de l’équipe de France et le capitaine rajoute" à l’entrée en guerre du caporal Berthou" Tchin Tchin! au moment où mon verre est en l’air et les voilà qu’ils chantent à l’unisson le chant des képis blancs: Puisqu’il nous faut vivre éduquer dans la souffrance, le jour est venu où nous imposerons au front! La force de nos âmes, la force de nos cœurs et de nos bras! Roulant la boue sombre dans les képis blancs!…..

Le caporal Berthou en état quasi orbital , rien de plus simple pour les 4 légionnaires que de le traiter de pédé s’il laisse ses chefs adorés partir sans lui et donc de lui demander de prêter serment devant le drapeau , ce que je vais faire titubant la main droite jusqu’à l’emplacement : Je jure de suivre mes chefs ci-présents  et de servir le régiment avec honneur et fidélité pour notre opération extérieure au Liban .

Voilà c’est tout , et le capitaine dans la foulée me fait signer l’engagement qu’il avait préparé d’avance, quel traquenard, toujours je me suis demandé pourquoi il tenait à ma présence et

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pourquoi il avait préparé un tel stratagème, la suite répondra à mon questionnement en cet instant précis.

Le lendemain je bénéficie d’une journée quartier libre en raison de ma gueule de bois et de l’acceptation de mon engagement mais à condition de rester à la caserne et de répondre aux multiples convocs du capitaine afin de me briefer sur notre future mission: caporal tu termines l’instruction des bleus jusqu’à fin juillet, peut être tu iras défiler sur les champs le 14 juillet et au mois d’aout tu viendras avec moi et Wilsdorf  peaufiner une formation en combat urbain et accroche toi , mon gars, avec une compagnie du 2e REP à la courtine , des légionnaires qui ont passé deux ans à Beyrouth et qui sont à même de nous mettre au parfum sur le job qui nous attend sur le terrain, bon, nous serons coiffés du casque bleu et n’aurons pas la même latitude d’intervention que ce qu’ils auront eu à faire en tant qu’armée française, on sera chapeauté par des trouducs de l’ONU avec des officiers supérieurs de nationalités diverses genre mentalité humanitaire mais crois pas que je vais nous laisser servir de cible  par des pruneaux venus du Hezbollah ou des syriens, on sera armés comme à Kolwési , on aura même des gilets pare balle peu efficace face à du gros calibre mais bon, ton boulot à toi sera surtout de m’accompagner et de servir de liaison radio, de temps en temps, tu auras des gardes de postes à relayer et des évacuations à protéger, d’après ce que je sais nous serons affectés sur la ligne séparant Beyrouth ouest occupé par les musulmans et Beyrouth est tenu par les chrétiens et la ligne est farcie de snipers embusqués dans les immeubles, il y a même récemment des troupes onusiennes qui ont été bombardées par des mortiers. Bon, je te signe une permission exceptionnelle de 72 heures car j’imagine que ça va pas être facile pour toi d’annoncer à ta famille que tu pars à la guerre alors que tu devais être libéré dans moins d’un mois.

"Mon capitaine, j’ai même pas envie de leur dire car je sais que ma mère va en faire une attaque, je suis le derniers de ses fils, elle vient d’en perdre un dans un accident de la route, mon père lui va rien dire et va même penser que ce que je vais faire c’est un camp de vacances à coté de sa campagne de 40 et ses 5 ans de stalag " Tout de suite, il me coupe: Tu es obligé de leur dire trouduc, si par malheur tu revenais dans un sac à viande, comment qu’on leur expliquerait ta mort? De plus si ça t’arrivait, tu seras inhumé avec les honneurs militaire car nous n’avons plus que très peu de mort et ça serait fortement médiatisé, tiens je vais te faire remettre une lettre officielle que tu montreras, c’est comme ça qu’il faut faire, tu arrives normalement, tu dis à ta mère que t’as une nouvelle à lui annoncer et tu lui mets ce beau papiers à en tête sous les yeux, ta mère fait partie de la génération de la guerre, elle sera abattue mais fière, j’en suis sur!  Autre chose, vas en perme en tenue de sortie, képi sur la tête, fourragère et galon, déjà ça la préparera psychologiquement, rompez caporal!

Tu parles, le soir même quand je monte dans le train, les autres pigent pas qu’est ce que je fous attifé en tenue pour la 1ere fois et alors qu’il me reste un mois, ils m’ont pas trop chambré et de toute manière j’étais imperméable à leurs sarcasmes car je m’étais imbibé au café de la gare, j’avais même continué à descendre des kronembourg dans le train et j"avais dormi durant tout le trajet. Les potes qui étaient venus me chercher ont pensé que j’avais mis la tenue pour faire des photos pour la fin de mon service et je leur ai dit affirmatif, par contre ma mère qui était seule à la maison , d’instinct maternel, avait compris car j’avais complétement changé depuis ma mute à la 3e et elle s’attendait à tout, alors que j’étais triste à mourir à chaque retour à la caserne durant les 6 premiers mois, je m’étais de plus en plus durci après ma mutation en compagnie de combat et ne parlais de mes officiers et sous officiers que comme s’ils étaient des demi-dieux , moi le rebelle éternel et d’ailleurs ce sera le 1ere et dernière fois que je dirai du bien  de mes supérieurs durant toute mon existence, voilà

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que j’avais trouvé des maitres respectables et qui me respectaient et ce ne pouvait être que des légionnaires dans cette société de lèche-cutage technocracratique qui m’attendait je n’en retrouverai plus guère, moi qui marchais plutôt vouté, je m’étais redressé, moi qui à 21 ans me foutais de tout, voilà que j’avais souvent à la bouche des mots jamais prononcés dans mon milieu d’ouvriers et paysans: la patrie, la nation, le religion,l’histoire de notre armée et surtout des idées réactionnaires comme le rétablissement d’un régime autoritaire fort fondé sur la puissance militaire, le retour de la religion d’état, je citais Franco, Pinochet et je n’arrêtais pas de conchier la république, la démocratie, la franc-maçonnerie ( Apstein, Wilsdorf, Kriegblitz avaient fini par me convaincre) si bien que ma mère me dit que tout ça elle avait entendu dans les années 30 quand les ligues de droites étaient au bord de prendre le pouvoir mais avaient échoué le 6 février 1934 , elle me dit simplement que c’était les cagoulards qui parlaient comme ça et que nous pauvres paysans du Cantal, on a rien à voir avec ces gens là qui voulaient la dictature pour nous faire avancer à coups de pieds au cul. L’idée du papier officiel qui en jetait avait quand même fait son effet : " Tu vas partir chez les arabes pendant 4 mois , tes frères Jeannot (réformé asthmatique)  et Elie ( juste à la limite, parti début 62) avaient été tout content d’échapper à l’Algérie et toi qui n’es pas obligé de faire la guerre , tu veux y aller quand même alors que tu es celui qui a le niveau de diplôme le plus élevé…….Je vous raconte pas le débat, beau essayer de lui expliquer que c’était pas vraiment la guerre, que le terrain était quasiment pacifié depuis peu et que les casques bleus tenaient bien la région avec l’aide des israéliens, tout ce qu’elle savait , c’est ce qu’elle apprenait des infos et que de temps en temps un de ces soldats de la paix revenait entre 4 planches et que même récemment un gars du Cantal était mort. Elle pique ensuite une crise et demande à mon frère François de venir me faire changer d’avis et celui-ci rapplique en moto aussitôt: Dialogue de sourd car le frangin qui a pourtant bien effectué son service dans les chasseurs alpins était imprégné d’idées gauchiste antimilitariste et était persuadé que je m’étais laissé bourré le mou par des gradés qui avaient le don pour ça sur des esprits faibles, peut être avait il raison mais je leur dis que c’était trop tard et que 6 mois c’était vite passé et que je reviendrai avec une belle somme d’argent qui me permettra avec l’allocation chômage à laquelle j’aurai droit de rester à la maison quelques temps, j’osai pas leur parler que de fait je serai devenu un ancien combattant qui fera la fierté du village lors des défilés du 11 novembre car là ils auraient pensé que j’étais devenu dingue.

Normalement j’aurai eu droit à une autre permission juste avant le départ pour Beyrouth au mois d’aout mais je décide de ne plus revenir étant donné ce cirque auquel toute ma famille et même beaucoup de copains se livrent, ils sont tous là à défiler et pensent vraiment que je suis devenu fou, évidemment j’avais tout caché de cette métamorphose du cloporte qui s’était perpétré dans tout mon être. Il y en a un qui est content dans le village c’est Larbi Ouzine, un métissé franco-tunisien ancien sous-off installé au village pour sa retraite et qui n’arrétait pas de m’engueuler parce que j’avais refusé l’école d’officier: Birtoul tu te rattrapes mais c’est comme lieutenant que t’aurai du partir et qu’est ce que tu vas y faire au retour? Tout juste on va t’intégrer au PSO pour faire sergent , il te va falloir des années pour monter en grade connard , allez viens boire un ouiski et tu me ramèneras des photos hein, tu vois quand j’étais à l’armée, tout le temps je rigolais avec des jeunes et maintenant! Maintenant y a ma femme qu’arrête pas de me faire chier tous les jours que dieu fait  et j’ai mon ulcère qui me travaille et j’en ai marre, ha si je pouvais je te suivrai mais à cinquante ans on veut plus de moi. T’inquiète pas, les arabes, ils tirent n’importe où, n’importe comment , t’as qu’as toujours bien te planquer. Ha pitain di melde caporal avec ton niveau, quels connards vous êtes les jeunes, tu vas te taper des missions au feu , j’irai parler à ta mère pour la rassurer et j’irai voir le maire aussi pour qu’on fasse un article sur toi dans le journal "La montagne":le

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caporal Birtoul part au Liban , le village de Reilhac tout entier est derrière lui pour lui souhaiter de nous revenir en un seul morceau.

Il m’avait remonté le moral Larbi mais qu’est ce qu’il me tardait de repartir, jamais j’avais trouvé une perme aussi longue , je dis à ma mère que je reviendrai dans 3 semaines mais je vis dans son regard qu’elle se doutait que non, les mères , les vraies, on ne les trompe pas. J’avais été à l’église faire bruler un cierge, réciter deux notre père et lui demander de me laisser revenir vivant pas pour moi mais pour ma mère qui avait déjà assez souffert dans sa vie, elle avait déjà 66 ans.

                                                      Chapitre 12:

Préparation du départ à Beyrouth.

Dés mon retour de perme , le sergent de semaine me dit que je dois être présent au briéfing organisé par le colonel en personne pour tous les volontaires du 126e. J’y pars avec Kriegblitz et Wilsdorf que j’emmène en jeep , je leur trouve un air plus grave qu’à l’accoutumée. Putain, une vraie salle d’état major avec une carte immense du théâtre d’opération projetée au mur, le colon avec le capitaine à ses côtés vu que c’est lui qui est chargé de commander ce détachement étant donné que le plus gros effectif provient de la 3e Cie, rapidement le colonel nous félicite pour notre volontariat, énonce quelques généralités et rappels sur la situation au Liban en insistant bien sur le fait qu’elle n’est en rien comparable à ce qu’elle était précédemment et ce grâce au travail énorme accompli par l’armée française et nous rassure un maximum avec les statistiques récentes, quasiment plus de morts désormais du côté des casques bleus qui, si on le croit, sont accueillis à bras ouvert par une population locale qui n’en peut plus depuis 1975  à survivre sous les tirs de AK 47, d’attentats à l’explosif, d’action de kamikazes et voire de bombardements , il insiste lourdement sur le fait que nous sommes des soldats de la paix (ce qui provoque un rictus désapprobateur chez le capitaine car pour lui c’est un oxymore) puis passe la parole à celui qui sera le commandant de ce détachement d’une cinquantaine de biffins de nôtre régiment.

Tout de suite la salle frémit, Kriegblitz me rappelle John Wayne dans  "le jour le plus long" lorsqu’il s’adresse aux paras qui vont sauter sur Sainte Mère l’Église les premiers et de nuit, sa prestance, sa classe et j’ai remarqué ce jour son treillis d’apparat avec ses décorations. Tout de suite il rappelle à tout le monde qu’il en est pas à sa première opération extérieure, le Tchad et Kolwési et avec le 2e REP de plus, la légion, ça rassure tout le monde je vois autour de moi que les gars avaient besoin de se sentir "encadré " par un vrai chef qui y a déjà été au carton, de plus il présente le sergent Wilsdorf dont la carrière est également rassurante. Les autres sous off , les caporaux chef et caporaux, nous sommes au 1er rang, j’ai l’impression de vivre une situation irréelle, je vis une scène que j’ai seulement vu dans les films et j’en suis un des acteurs, j’aurai payé cher pour ça et d’un coup là je n’entends plus rien, je suis plus les consignes qui de toute façon me seront données de vive voix direct par le big-boss dont je suis le chauffeur et opérateur radio, je regarde tous ces visages un par un et ce qui me frappe c’est le contraste entre les 5 engagés et nous, les bidasses à service long , on a beau être attifés avec des beaux treillis taillés sur mesure, quelque part on reste des bidasses, des biffins de casernes qui partent dans une guerre dont on leur a dit que c’en était plus une, des jeunes de vingt ans dont la plupart ont signé cette rallonge parce que dans le civil il n’y a rien qui les attend: pas de boulot puisque pas de diplôme, pas de fiancée, pas de famille. Une sacrée bande de parias qui n’étaient jamais sorti de leur campagne du sud-ouest  sauf pour aller dans cette caserne, on voit sur leur gueule, on lit à cet instant précis alors que des diapos défilent nous montrant des

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cartes de la région une grosse inquiétude. Bien sur, on nous montre pas des diapos de Beyrouth dévastée et des images des soldats français les tripes à l’air après l’attentat du Drakkar, que des cartes, du matériel, des chiffres et les paroles chaleureuse du capitaine qui a la fin demande s’il y a des questions alors que le caporal Flaireau était en train de me balancer une vanne, sa vanne habituelle "Berthou, tu sais comment on appelle le bout de gras qui est autour du vagin"…"?????"….."La femme, ducon! " Kriegblitz l’apostrophe: Une remarque caporal Flaireau ? Non , mon capitaine, je suis pressé qu’on aille botter le cul des terroristes, c’est tout!……Vous en aurez l’occasion caporal, vous en aurez TOUS l’occasion! Rompez!

   Comment qu’il a coupé la chique à tout le monde par cette dernière phrase le capitaine et qu’il me fait signe de rappliquer aussi sec, ça y est je ne suis plus l’appelé du contingent mais l’engagé volontaire qui se doit d’une disponibilité de tous les instants envers l’armée française et plus particulièrement son officier, autrement dit plus le temps de gamberger et il me le rappelle aussitôt: Caporal, je vois sur ta trogne que tu réfléchis trop, tu te renfrognes, arrête de réfléchir, ça rend fou , est ce que c’est clair?Puis il me présente mon programme pour un mois c’est à dire jusqu’au  jour J du départ au proche orient: Dés à présent j’arrête l’instruction des bleus, je pars à la Courtine avec les quelques autres qui sommes les moins formés en terrain pour un stage de trois semaines de formation en combat urbain et : tiens toi bien bleu-bite je te confies là bas à mon pote, l’adjudant/chef  Guttierez du 8e RPIMA qui va t’intégrer à ses gars, c’est un honneur qu’il accepte des biffins du 126e qu’il prend pour des quasi grabataires à côté de ses fameux paras, Gutierez était avec moi au Tchad, tu verras à son âge comment il en a dans le ventre à 49 ans, lui aussi est un pote de Apstein avec qui il a fait la bataille d’Alger, t’as intérêt à bouger ton gros cul au parcours du combattant et surtout pour ton point faible, les traversées de cours d’eau mais je suis convaincu qu’il saura te mettre au point tel que quand tu reviendras tu seras prêt à bouffer tes tripes et à en redemander, allez va faire ton packo, le fourrier t’a préparé spécial un équipement complet stage commando à percevoir, l’armurier a aussi un pack à ton nom, départ demain en camion avec les autres gaziers, bien sur il vous faut un sous/off et j’ai choisi ton copain Wilsdorf, HAHAHA! Allez dégage, gros cul!

Je dispose de trois jours à la caserne avant de partir au stage-co, trois jours en compagnie du sergent qui me demande de réviser la jeep et installer la radio, il s’occupe du reste. Durant ce temps, j’ai quartier libre tous les soirs et suis relativement peinard et j’en profite pour faire quelques escapades dans Brive avec Flaireau qui est dispensé de la formation étant lui en Cie de combat depuis le début. On décide de prendre le risque de descendre jusqu’à Rocamadour en prenant un jerrican d’essence un après midi et sans rien dire à personne, après tout on va pas faire chier des volontaires avant leur départ en OPEX pense t-on et puis je suis apte à signer moi même le carnet de bord, ce ne sont pas les bleusailles de la CCS qui montent la garde qui vont faire des histoires à des caporaux engagés vu qu’on nous a modifié nos 2 sardines rouges en y rajoutant le fin liseré doré des engagés mais Flaireau qui éprouve toujours le besoin d’en rajouter, voilà t’y pas qu’il se colle deux barrettes de lieutenant et qu’au moment où le factionnaire allait relever la barrière descend de la jeep pour engueuler le pauvre bitard de garde et qu’il l’oblige à faire péter toute une série de " garde à vous,présenter arme, repos…." à n’en plus finir, tellement il s’arrête plus que je suis obligé de descendre de la jeep et de le rejoindre en lui disant devant le bleu: "mon lieutenant, sauf votre respect, le colonel nous attend d’urgence au bureau de commandement!" et de lui faire un signe lui désignant au loin quelques gradés qui commençait à se demander quel était ce cirque à l’entrée de la caserne. Fissa il rapplique et on démarre en trombe, heureusement qu’on avait enlevé nos bandes patronymiques: Flaireau, t’es vraiment le naze! tu peux pas t’empêcher d’en rajouter, on prend déjà un risque en filant à des dizaines de bornes de Brive en tenue, en

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jeep et sans ordre de mission et il faut aussi que tu fasses tout pour que ça se sache blaireau, de plus c’est moi qui prend le plus de risque car c’est moi qui ai pris la jeep du capitaine, si au retour, on se fait prendre du trou à cause de ton esclandre je te crève le bide à la baïonnette ! Et enlève moi ce scratch de lieut , t’es loin d’y être et tu le seras jamais ducon!

Avec la trogne que je tirai, il a plus moufté et a passé le voyage tout sympa à me causer comme il sait le faire pour me remonter le moral car je lui avais raconté ma perme et il voyait bien que depuis je gambergeais sévère , lui n’avait pas ce problème , enfant de l’assistance publique, aucune famille, aucune attache, y’aura personne pour pleurer le jour de son départ d’ailleurs il commence à projeter de s’engager définitivement au retour: T’as qu’a signer 6 mois de plus au retour, Kriegblitz t’a à la bonne, il t’enverra faire le peloton de sous/off et pourquoi pas ensuite tu demanderais pas les paras ou l’infanterie de marine où tu pourrais te faire de beaux séjours outre-mer, Djibouti, la Guyane, la Côte d’Ivoire, le Gabon, La nouvelle Calédonie, Mayotte ou la Réunion autant de pays farcis de gonzesses qui sautent sur les militaires pas comme ici où elles se permettent de nous snober pour nous préférer à des beatniks chevelus, des loosers cradingues drogués à l’héroïne, des qui puent en sandales et bermudas à fleurs. Tu sais que si tu t’engages après avoir fait 18 mois de service long avec une opex à la clé , si tu t’es bien comporté à l’épreuve du feu , comme , parait-il Kriegblitz va te faire bombarder capo/chef rapidement, tu auras devant toi une carrière de sous/off dans l’armée de terre, tu pourras choisir un super régiment mec, l’aventure ne fait que commencer.

 T’as des infos de sources sures Marcel, pourquoi tant que tu y es Kriegblitz m’enverrait pas la légion  à Aubagne afin que je réintègre avec lui le 2e REP dont il ne pense qu’à y retourner à l’issue de cette mission? Et qu’ensuite , on parte là où les flingues aboient dru, au Tchad! Non , mon gars, tu le sais pas mais j’ai signé la feuille alors que j’étais ourdé à zéro chez le capitaine le soir de la finale de foot, non pas que je regrette mais sans vouloir te vexer, j’ai un cursus estudiantin correct et après avoir vécu le merdier pour y acquérir le regard au loin et quelque chose à raconter d’autre, j’ai bien l’intention de me trouver un job où je pourrai me faire du blé, me marier avant l’âge de 25 ou 26 ans et de fonder une famille qui verra le père rentrer tous les soirs et non juste recevoir un coup de téléphone mensuel du fin fond de Tatahouine et voir sa femme et ses gosses 2 ou 3 fois l’an, voire de revenir entre 4 planches avec un drapeau BBR et une légion d’honneur dessus dans la cour de l’Élisée .

   Ha, le soir de France/Espagne t’étais chez le capitaine, hé bé mon    poteau , il t’a vraiment à la bonne, jamais depuis qu’il est au 126e il a fréquenté un simple appelé, qu’est ce que tu lui as raconté pour l’amadouer? Putain, t’es le bras droit du héros du 126e, un bouseux comme toi, j’en reviens pas!

Si tu veux, c’est politique, il se trouve que je connais assez bien l’histoire de l’armée française, les guerres d’Indo et d’Algérie, que je suis capable de lui citer les noms des putschistes et que de plus je suis issu d’une lignée de paysans qui ont tous servi la France durant les deux guerres mondiales, il sait par expérience que c’est cette espèce d’individu qui sont les plus fiables et de plus comme lui j’ai lu des auteurs qu’on qualifie d’ultra-réac comme Maurras, Joseph De Maistre plus les grands penseurs de la révolution conservatrice allemande: Oswald Spengler, Karl Schmidt, Ernst Yunger, Martin Heideger, tous des artisans d’un état fort à base de dictature militaire et qui haïssent la démocratie, le marxisme, le communisme,la révolution de 1789, nôtre république actuelle responsable de la décadence du monde occidental qui depuis n’a fait que remplacer le pouvoir royal par les réseaux maçonniques et bourgeois de l’époque……Et là je m’arrête car je vois le Flaireau se

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rallumer des gauloises troupes sans arrêt et commencer à déboucher les canettes de KRO, 3 packs qu’on a pris.

C’est ce qu’on dit à la caserne, depuis le début Berthou, il croit partir en croisade, mon gars, j’ai pas fais des études comme toi et à part avoir lu Zembla, Bleck le rock et Akim color je sais pas grand chose en géopolitique mais tout ce que j’ai appris , c’est que depuis que dieu a fait ce monde, le possédant, il enculera toujours le pauvre et sans vaseline, alors tous tes auteurs là et leurs théories à la con , ils changeront rien, ça sera toujours nous les descendants des vilains qui iront au carton pour défendre les intérêts des riches pendant que eux ils continueront à se goinfrer à l’arrière.

Sur ce, Marcel commence à me déboucher des KRO alors qu’il reste encore une dizaine de bornes à parcourir en ce chaud après midi de juillet , je m’en empare d’une que je siffle car il n’y avait rien à rajouter à ce que venait de dire mon désormais compagnon de combat. Arrivés à Rocamadour en ce mois de juillet, c’est bourré de touristes qui viennent visiter les grottes et c’était pour ça qu’on était venus, l’effet qu’on donnait sur cette jeunesse venue de toute l’Europe avec nos tenues treillis camouflés et casquette Bigeard alors que dans ce secteur il n’y a jamais aucun militaire à part les gendarmes. Justement, il y a une pleine fourgonnette qui sont là à faire la circulation, manquerait plus qu’ils nous contrôlent et téléphonent à la caserne pour vérifier notre "mission", à ce moment je susurre à Marcel de pas se recoller ses galons de lieut, tu parles autant pas lui donner des idées car avec les dix bières et la chaleur qui tape, pas plus tôt descendu de la jeep, le voilà qui va les brancher, toujours au flan qu’il s’en est sorti jusqu’au jour où? Mais la ça a l’air de marcher: Caporal Flaireau du 126e régiment d’infanterie, salut les gendarmes ça chauffe, hein, vous devez avoir du boulot avec ces touristes, je vous présente le caporal Berthou, velu de la 3e Cie de combat, tous les deux on va partir au feu au Liban alors avant on est venus ici avec la permission du colonel mais tellement on est en alerte maxi vu que ça sent la purée et qu’on doit être prêt à tout moment qu’on nous laisse même pas nous mettre en civil même pas pour aller pisser, pour vous dire , on sait même pas quand on va partir!

Tellement il est d’aplomb que le gendarme répond par un salut militaire et nous pose aucune question, moi tout ce que je vois c’est que eux ont leur pistolet et que nous on a même pas un lance pierre alors si dés fois leur radio venait à cracher un avis que le 126e serait à la recherche de deux biffins en vadrouille partis de la caserne en véhicule et tenue officielle sans permission et que les gendarmeries avoisinantes seraient priées de les ramener séance tenante au bureau du colonel, je vous dis pas l’avoinée qu’on prendrait, toujours est il que ces gendarmes là sont des à l’ancienne pas trop à cheval et moins coincés que les actuels, ceux qui s’acharnent sur une grand-mère qui n’a pas sa ceinture en banlieue alors que vingt mètres plus loin les dealers de cannabis font leurs affaires tranquilos, non au contraire , il y a même le major qui vient nous féliciter d’avoir le courage de partir et qui nous demande quand même, comme ça, l’air de rien, si c’est toujours le colonel Langlois qui commande le 126e, vu qu’on confirme , il pousse pas plus loin l’interrogatoire. Pas à dire, je suis là devant ces flics en tenue militaire également mais j’éprouve toujours le même sentiment de répulsion à leur égard, faut dire qu’à chaque fois que j’ai eu affaire aux perdreaux depuis mon adolescence, c’était pour des histoires de braconnage ou des conneries avec les copains du genre grivèlerie ou embarqués pour des bagarres générales dans les baluches du samedi soir contre les manouches ou les gars du bled rival après le match de foot. Là ces connards voient deux autres connards comme eux en treillis se trimballant en jeep et ils se disent qu’on a pas pu tout voler  mais tout juste s’il faut pas que je traine Marcel qui est déjà bien allumé : cassons

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nous , c’est bon, on a juste le temps d’aller s’en jeter un ou deux au bar la-bas , vaudrait mieux être retourné à la caserne avant six heures du soir.

L’effet qu’on fait sur le public mélange de ploucs locaux et de touristes style papa maman fifille et chienchien, deux baroudeurs sortis direct du djebel sans leur PM ce qui a l’air des les rassurer, qu’on vient pas pour les passer à la gégène afin de savoir où pépé a planqué la cassette, non, du tout on veut juste deux ricards avec de l’eau fraiche et des glaçons et on a même 7 ou 8 francs pour payer. Le patron pas antimilitariste entame la conversation et nous demande de quel régiment on est, comme on a pas les insignes ni le béret d’infanterie, l’autre con de Flaireau commence à raconter un wagon de salamalecs: légionnaires caporaux Schmiduber et Heinrich du 2e régiment étranger de parachutistes, on est en mission avant de retourner à Djibouti, on arrive du Tchad où on a été blessés tous les deux, ha les civils vous avez la belle vie mais heureusement qu’on est là pour veiller sur la France sinon vous pourriez pas rester tous à siroter votre pinard.

A ce moment précis un vioque qui jouait au carte se lève et commence à gueuler: j’ai fait la campagne de 40 et je me suis évadé pour prendre le maquis, les merdeux alors c’est pas vos guéguerres contre les bougnoules qui savent même pas se servir d’un fusil qui vont m’impressionner, nous en face, on avait les allemands, c’était autre chose que vos africains!

Le patron qui intervient: Laisse tomber Gaston, à chaque époque sa guerre, allez j’offre une tournée générale à la santé de l’armée française, tchin!

C’est comme ça que ça se passait à l’époque, les gens n’étaient pas si compliqués, le Marcel y va même trinquer avec le vieux et on aurait pu y rester dans ce rade jusqu’à plus soif mais il s’agissait de rentrer dans les temps avec ce que j’avais descendu et sans rien manger, le retour en jeep jusqu’à Brive s’est fait un peu ziguezagant , mais il s’est fait. Quand même Wilsdorf qui me demande où j’étais de tout l’après midi qu’il commençait à s’inquiéter qu’avec ces jeeps qui tenaient pas la route fallait faire gaffe quand on avait bu une bière de trop, autrement dit qu’il avait tout compris mais qu’il avait pas l’intention de me faire chier pour ça et que c’était bien normal qu’un soldat aille un peu respirer l’air civil avant de partir au front: Allez va à l’ordinaire et pieute toi à partir de demain, récupération, préparation du packo et perception de l’armement avant le départ à La Courtine, on ira tous les deux en jeep que tu conduiras et le camion avec les autres derrière.

Il fait très chaud en cet été 1984 , les deux véhicules partent vers le vaste camp de la Courtine encore en service de nos jours car il est drôlement bien structuré, avec de nombreux bâtiments et une variété d’environnement très bien conçu pour les exercices militaires divers, situé dans le massif central sur le plateau de millevaches , un endroit où il peut faire très chaud l’été et très froid l’hiver. La jeep que je pilote avec le sergent Wilsdorf comme chef de bord est suivi d’un camion Simca avec le sergent appelé Trinquier et une vingtaine de 2e classe tout ce monde est volontaire et ces trois semaines de stage commando chapeauté par l’adjudant/chef Guttiérez aidé de quelques autres légionnaires du 1er REI s’annonce pour moi l’épreuve la plus dure de ce que j’ai déjà enduré sur tous les plans : physique, psychique et morale. Wilsdorf me prépare et me dit que je pourrai compter sur lui mais que mon pire ennemi celui que j’aurai à combattre (et ce sera valable pour tout le restant de ma vie)  , ce sera moi même!

Bien que n’ayant que 22 ans il me semblait bien l’avoir compris et surtout par la pratique du karaté et de la vie de fils de serf agricole que j’avais mené depuis ma naissance et qui m’avait valu de subir les pires avanies à l"école soi-disante égalitaire de la république, notre plus

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grand ennemi, nous même et notre reflet constamment rappelé par les autres surtout qui se montraient impitoyables devant la réussite scolaire d’issus du peuple, nous arrivions au camp où on nous indique notre baraquement qui n’est rien d’autre qu’une vieille grange sans eau courante où nous dormirions sur nos lits de camps les rares de nuits où on sera pas dehors. Guttierez apparait tel que je l’avais imaginé, c’est un espagnol dont le père était capitaine dans la légion espagnole sous le caudillo Francisco Franco, il avait préféré partir et s’enrôler dans la légion française en repartant de zéro comme simple appelé, Wilsdorf lui transmet les amitiés de Kriegblitz et me présente, d’entrée Gutiérez et nous informe que notre stage-co se fera mode légion, les sous/ off feront les mêmes exercices que les militaires du rang, boufferont la même merde et effectueront les punitions collectives avec eux, il n’y aura jamais de temps mort comme dans notre 126e, il n’est pas borné et ne nous prendra pas comme si nous étions des engagés volontaires à la légion venus sans acquis pour être sélectionnés képi blanc mais presque: Boldel di mierda, vous avez tous minimum 1 an de formation militaire, vous les avez pas passées à vous palucher, ce soir après le rata,  sergent Wilsdorf, désigne des hommes de garde, réveil à 4 h 45, à 5h toute ta section en survêtement, footing de 15 kilométres avant un ptit dej sommaire ensuite je prends les choses en main!

Wilsdorf me demande de désigner des soldats de garde de confiance qui se relaieront eux mêmes toutes les deux heures, il me fait une faveur en ne me demandant pas d’effectuer moi même les relèves, je pourrai donc dormir et récupérer du voyage.

Le réveil, c’est l’adjudant Gutiérez qui vient à 4h45 pétantes, déjà sapé tenue sport et rasé de frais, à coup de pieds dans les lits de camp, gueulante non stop, tous en survet en 3 ou 4 mn au garde à vous devant le juteux, c’est parti pour 15 bornes, d’habitude au 126e , on nous laisse le 1er KM pour nous échauffer mais là d’entrée quasi au sprint qu’il part alors qu’on était en train de se dire entre nous que le moniteur , il a quand même 49 piges sonnées et qu’il doit les sentir, mais sur cette terre, il existe des machines de guerre qui ne s’arrêtent que le jour où elles n’ont plus de combat à livrer, Gutierez est de cette race d’Espagnols descendant des Cortez qui ont conquit le monde  après le moyen âge. Et il y a intérêt à suivre, Guttiérez et Wilsdorf nous encadrent tout du long, heureusement le parcours est plutôt plat et les gars en veulent, la sélection a été bien faite , nous bouclons le tout en moins d’une heure mais vannés, le juteux prend le soin de nous examiner tous en nous adressant des conseils car il reconnait tout de suite les hommes en super condition et ceux qui le sont moins, je fais partie de la 2e catégorie et il me balance un flot d’injures estimant et il a raison qu’un caporal doit être au dessus, inutile de lui expliquer mon parcours différent de mes compagnons en Cie de combat depuis un an et ayant effectué tous 3 grandes manœuvres, 1 ou 2 stages commando et même à la caserne ils étaient sur le terrain quasi toutes les semaines, ils en comptent tous le double par rapport à moi. pour l’exemple Guttiérez me fait exécuter 30 pompes et les fait avec moi, je les assume et il nous balance texto: Le premier qui m’appelle pépé en raison de mes 49 ans je lui éclate sa gueule, regardez bien ce qu’il peut faire le vieux après ce qu’on vient de se taper !

Et voilà que devant nous il nous fait 15 pompes sur un bras ce qui nous scie d’autorité , il nous laisse chrono en main 20 minutes pour allez  s’alimenter, ranger notre "coin" et nous mettre en tenue , bas de treillis-ranger ceinture, chemise camouflée avec casquette Bigeard, charge Wilsdorf de nous ramener ensuite.

Rassemblement et alignement au millimètre de la section, au pas cadencé direction le parcours du combattant spécialement réaménagé avec de superbes obstacles et un palier de 25 m de hauteur au moins, une fosse de 2m50 de profondeur avec 50 cm de flotte, un parcours rampant  hérissé de barbelés hyper long où Guttiérez va s’amuser à nous allumer à blanc pour

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commencer qu’il nous dit et au bout des tractions à la barre fixe, le topo est simple, chrono en main , il note tous nos défauts et chaque jour nous nous devrons d’améliorer nos temps personnels, certes le classement global compte mais le combat c’est surtout par rapport à soi même et il nous demande à chacun de réduire notre temps d’au moins 10% et si possible 20 à la fin du stage, faut dire que ses gueulantes et ses jurons ont tendance à nous doper sans chercher à nous humilier Guttiérez dispose d’un chapelet assez "motivant " : Espèce de sac à foutre, mais c’est que tu me ferai presque pitié, tu l’as veux pas ta validation de départ en OPEX parce que si tu l’as voulais tu ferai grimper tes grosses miches là haut bien plus vite ou alors c’est une belle chatte velue qu’il faudrait qu’il y ait en haut de ce palier, un joli petit minou pour que tu le grimpes normalement! Caporal comment qu’on te les a donné tes sardines, à la légion tu serai indigne de cirer mes bottes, tu tractes aussi rapidement que des vieux qui baisent, allez face à terre et fais m’en vingt!

A la fin, punition collective au motif que trop d’engagés volontaires n’ont pas été capables de faire les vingt tractions nécessaires à l’issue du parcours et même Wilsdorf a craqué à 17, comment que Guttiérez l’a abaissé en lui faisant comprendre qu’il était devenu  un gros cul et que c’est pour ça qu’on a été obligé de le reverser dans la régulière chez les biffins crapoteurs : Face à terre ! des pompes à n’en plus finir mais c’est tous le monde qui les fait et l’adjudant le premier, quelle bête, tout juste s’il transpire et de nous faire son discours théorique bien à lui: Moi j’ai remarqué une chose chez vous les jeunes issus du service appelé, il y a toutes ces saloperies sucrées que vous avalez au foyer, à savoir les barres de chocolat, le nutella, le coca-colà et toutes ces boissons gazeuzes et tout ce tralala, ça c’est pas bon parce qu’après vous êtes complètement lobotomisés là, le légionnaire chaque matin, c’est 2 ou 3 cafés bien noirs, ça donne la niaque, est ce que c’est clair! Oui mon adjudant! Mouhai , j’en suis pas certain, on verra ça, j’ai pas dit le soir, vous pouvez, non vous devez boire de la bière, c’est plein de calories et ça fait pisser! Bon retour en petite foulée à la base, ration K et départ en reconnaissance terrain de notre zone urbaine de combat , cet après midi mélange de cours théoriques d’investigation d’immeubles avec application qui sera suivi d’un cours sur la détection des explosifs et autres pièges qui vous seront destinés par vos potes Syriens ou des milices muzzs.

On y part au lieu de simulation en combat urbain et au pas de courses, sac à dos et famas, des grenades partout accrochées à tout le brelage, Guttiérez nous fait chanter tout du long , il veut nous apprendre "les képis blancs": Puisqu’il nous faut vivre, éduquer dans la souffrance, le jour est venu où nous imposerons au front! la force de nos âmes, la force de nos cœurs et de nos bras, roulant la boue sombre dans les képis blancs….

Le"lieu" est drôlement bien pour s’entrainer au combat urbain, des ruines mais aussi des bâtiments à plusieurs étages , et c’est là dessus que va porter que l’instruction , des fenêtres, on pourra installer des snipers et former des commandos chargés d’aller les dénicher, Guttiérez en vient de Beyrouth , il y était avec le 2e REP et nous explique comment  ils faisaient pour aller les débusquer, il suffit d’une bonne section complète et si possible mais c’est rarement le cas un appui aérien qui arrosera le secteur auparavant à coup de missiles, d’une progression au sol avec encerclement de l’immeuble, en arrosant abondamment au fm et à la 12/7, s’approcher suffisamment près pour pouvoir balancer des grenades offensives suivi de fumigènes afin de pouvoir progresser dans un brouillard qui va nous masquer jusqu’à ce qu’on soit arrivés en bas de l’immeuble occupé par le tireur, et ensuite progression style GIGN par les escaliers jusqu’à la planque afin de faire prisonnier l’ennemi si on l’aura pas buté avant. Rien que ce travail en intervertissant les rôles nous aura occupé jusqu’à la nuit tombante c’est à dire à cette période de l’année 21h. Retour à la base au pas de course et je

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vous dis pas nôtre état que Guttiérez il comprend même pas pourquoi on est fatigué: Autorisation de se pieuter, réveil : 4h45 et footing de 10 km avec j’espère une amélioration du temps, je vous donnerai le programme au retour de la course, bon pour des gros culs de biffins, ça pourrait être pire mais je suis persuadé que vous allez m’améliorer ça, de toutes façon , vous n’avez pas le choix si vous voulez revenir entier du pays du cèdre , rompez les rangs!

On s’est pas fait prier pour aller se coucher en espérant dormir chacun au moins 6 heures ce qui est relativement suffisant pour bien récupérer, nous savons que nous aurons des séries de plusieurs journées sans dormir au cours de ce stage faites pour nous casser le moral alors à demain!

En cette nuit précise, si j’avais pas prolongé de 6 mois, je serai à la caserne, au foyer ou en quartier libre avec les autres du contingent 83/08 et je pèterai un chiffre autour de 10 , il faut savoir que les 15 derniers jours on fout une paix royale aux libérables qui sont quasiment torchés à la bière non stop , pour ça que ce stage à la Courtine m’arrange, quand je retournerai à la caserne vers le 10 aout, tous mes camarades de contingent seront retournés à la vie civile, ça me "fout les boules "de pas les revoir avant le départ quand même mais ça aurait été encore pire pour moi de me les coltiner car bien que n’étant plus avec eux, je les entends :  Berthou, t’es barge à sucer des bites par paquet de 12, nous on se tire et toi tu vas jouer aux cowboys et aux indiens pour 1000 francs par mois, tout ça parce que tu t’es fais bourrer le mou par ces cinglés d’engagés, crois pas qu’on va te regarder comme un héros à la caserne et encore moins au retour, si tu reviens.….. Vrai que les gars à l’époque , les simples appelés partis au Liban et qui revenaient dans leur bled, il étaient traités comme Rambo dans son 1er film, surtout fallait attendre que les cheveux aient repoussé avant de sortir et s’habiller cool, les civils, les autres jeunes surtout les exemptés les traitaient comme des nazes où des simples d’esprit et surtout pas comme des héros alors je m’efforce de pas penser au retour et même commence à germer l’idée de prolonger encore 6 mois supplémentaires avec pourquoi pas l’intégration à la formation d’élève sous/off.

Dans la turne, ce soir on est tous à causer dans le noir et même à gamberger sérieux pour certains. Le 1ere classe Fernandez de Toulouse, porteur FM en raison de ses 90 kg et de son mètre 85,  lui est de ceux qui veulent en découdre, il est des rares à avoir son bac et même 2 années de fac de socio qui l’ont profondément révulsé et nous avons tous les 2 des échanges très enrichissants, il m’envoie des explications de bon sens sur mon engagement présent: Berthou , je vais te dire pourquoi tu es là, tu crois que c’est du aux aléas et à ta rencontre fortuite avec le capitaine suite à ta mutation d’office , non mon gars, notre destinée à tous est écrite, si moi j’ai comme toi refusé les EOR  et décidé de faire mon service avec le peuple c’est parce que tous deux on est voués, on est issus de générations de guerriers du prolétariat haineux, mon père a fait l’Algérie , mon grand père s’est battu du coté républicain durant la guerre civile espagnole et a ensuite émigré en France, toi c’est idem, ton vieux père a passé 8 ans de sa vie sous l’uniforme depuis ses 2 ans de service jusqu’à la campagne de France pour passer 5 ans en stalag et ton grand-père a fait tout 14/18 dans les tranchées, si tu pars pas au feu, tu n’auras pas eu ta guerre et tu n’auras rien à raconter à tes fils, pas de photos en tenue avec un gros flingue à leur montrer et tu te sentiras minable, tu crèveras dans la solitude et le déshonneur et surtout , caporal, tu seras aigri et t’auras la nausée par rapport à ton propre corps, bon ce qu’on va faire c’est de la rigolade comparé à nos ancêtres mais on reviendra la conscience tranquille, quand on va rempiler dans le civil tout ça nous manquera, les gars, vous verrez! Nous serons au proche orient les géant verts aux casques bleus parcourant la terre avec nos flingues pour rétablir l’ordre et la justice!

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Putain, lui rétorque le 2e classe Payet de l’ile de la Réunion, voilà qu’on a deux philosophes dans nos rangs, moi de toutes ma lignée je suis le 1er à aller au feu, mes ancêtres sont des mélangés entre blancs français et noirs africains dont aucun n’est jamais parti à aucune de vos guerres européennes car ils sont restés à trimer dans les champs de cannes à sucre, je suis là car je compte revenir entier dans mon ile avec toute ma prime qui me permettra de passer un an ou deux à rien foutre sous mes cocotiers et votre histoire de revenir avec le regard au loin, pffff foutaise que tout ça! d’ailleurs la majorité d’entre nous , on sait même pas où c’est le Liban sur une carte et si on va la bas c’est dans l’espoir de revenir entier , en un seul morceau vivant avec nos 6000 pépettes !

Fernandez lui répond que forcément en remontant plus loin dans son arbre généalogique il y a forcément des marins français, des corsaires ou des pirates et que du coté des africains encore plus de guerriers des tribus qu’ils devaient être avant de devenir des esclaves, Fernandez, sa théorie: tout homme digne sur cette terre est un guerrier en puissance, ça fait partie de la nature humaine et le discours dominant moderne qui veux nous faire croire le contraire, c’est de la daube vendue par les pédés 68tards et le mouvement hippie afin de détruire le monde occidental à court terme par la dévirilisation de ses jeunes mâles : J’ai entendu que ça à la fac, que des fils de bourges à ressasser le "faites l’amour, pas la guerre", connerie! Nous sommes fait pour faire les deux et c’est comme ça sur terre depuis la nuit des temps, je peux vous dire que le discours de Kriegblitz il me fait vachement plus bander que toutes les fumisteries des vieux torgadus qui nous servaient de profs à la fac de socio, quand je regarde le capitaine, je vois un homme, un chef et je suis prêt à le suivre, c’est tout! Et toi Payet putain d’ultra-marin, t’as accepté comme nous d’endosser l’uniforme et de te tenir au garde à vous devant le bleu blanc rouge et la marseillaise , rien ne t’y obligeait, tu pouvais te contenter d’effectuer 10 mois planqués à la Réunion, je sais que t’as signé volontaire en Cie de combat et voulait partir en France alors arrête de nous faire chier avec ton discours limite anti militariste.

Payet n’a rien a rétorquer sinon qu’il estime être un français à part entière comme nous et qu’il espère retirer de cette formation militaire poussée une place en tant que pompier dans son ile natale, c’est tout, mais voilà qui nous prouve qu’il faut toujours que les non "français de souche" éprouvent toujours le besoin de se justifier lorsqu’ils se retrouvent "embringués" dans des aventures guerrières sous le drapeau du pays qui les a "colonisés".

Étant responsable de la chambrée, je conseille à tout le monde de dormir à présent vu la journée qui nous attend demain et que rares seront les nuits où nous pourrons dormir tout en affirmant qu’on aura l’occasion de poursuivre cette discussion et je m’entends répondre que ça serait bien si je pouvais ronfler moins bruyamment, ça aussi ça constitue pour moi un handicap ces ronflements bruyants que je ne peux contrôler, Fernandez me dit même que je pourrai faire repérer toute une patrouille embusquée de nuit en foret par ces grognements vu qu’il n’y a pas d’ours au Liban……..

4h45, Guttiérez à l’appel nous fait rassembler au garde à vous et montée des couleurs, il passe dans les rangs et nous regarde de la tête au pieds en envoyer quelques un se re raser , il décide de nous faire marcher au pas en chantant durant une bonne demi-heure. Ensuite il nous briefe sur le programme: Retournez dans le baraquement, faites le packo à partir de la feuille que je vous distribue et habillez vous dans la tenue de combat décrite dessus, nous partons pour 5 jours de marche avec exercices de combat en alternance, durant cette période, personne ne pourra dormir plus de 2 ou 3 heures par jour, je vais vous mettre en situation telle que je l’ai aies vécues en Algérie et au Tchad lorsque nous patrouillions dans les djebels ou le désert

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africain, il faudra se démerder, dermerdieren comme à la légion avec des rations et de l’eau que vous emporterez soit inférieures de 50 % à vos besoins caloriques, il fait très chaud en cette saison ici, ça tombe bien, de plus c’est la sècheresse, mes louloutes, vous êtes vernis , des conditions idéales pour s’entrainer à souffrir ! Rompez les rang, je vous donne une heure pour bien vous préparer, le sergent vérifiera quand même chacun d’entre vous! Caporal Berthou , tu seras mon radio, parait que t’es un spécialiste et vérifie bien tes batteries et ta mécanique.

Une charge supplémentaire pour ma scoliose dont l’infirmier d’incorporation disait qu’elle pouvait me faire dispenser de marche, sinon nous devons prendre un sac pas trop chargé mais nous sommes bardés de partout avec les gourdes, pelle us, chargeurs, grenades, lampe, le casque lourd avec la salade et le FAMAS. On ressemble vraiment à des militaires en opération avec de plus le maquillage sur la gueule pour casser les traits du visage. Notre section est équipée comme une section opérant à la guerre, nous avons trois porteurs FM, 2 équipés de lance-roquettes, 3 lance grenades et 4 gars qui constituent une mini CEA avec leur mortier de 81 qu’ils se trimballent pièce par pièce, le reste sont équipés grenadiers voltigeurs (famas et grenades). Il nous manque juste un ou deux lanceurs de missile anti-char style milan mais là où on sera on n’aura pas de blindés en face, que des tireurs embusqués, des pièges à bombes, des explosifs placés un peu partout et aussi des attaques de groupes à la kamikaze, on risquera de prendre des obus de mortier et de RPG7.

Guttiérez nous fait avancer en plusieurs  colonnes dispersées jusqu’à un objectif situé dans un ensemble de bâtiments qui simulera très bien ce qui nous attend, juste ce qui le fait bander , c’est qu’on aura un franchissement de voie d’eau à effectuer, une belle rivière bien boueuse et où nous serons obliger de nager avec tout l’attirail en raison de sa profondeur , faudra quand même utiliser notre canot pneumatique pour préserver certains matériels comme la radio. La chaleur pesante convient bien à ce qui nous attend mais surtout elle nous permet de nous sécher rapidement après être sorti du mélange de boues et d’eau , les kilomètres à travers un paysage mi rocailleux mi forestiers nous semblent très longs et nous sentons les ampoules se former sous nos panards cradingues puants , le rythme est soutenu, nous avons tout juste effectué un arrêt pour le point cartographique et essayer la radio, nous avons ordre de faire silence total et d’échanger uniquement que par le langage des signes militaires, fomec bt. Je ne m’étais pas rendu compte à quel point ce camp militaire pouvait être aussi vaste les autres fois où j’y étais venu, ce n’est qu’à la tombée de la nuit que nous apercevons l’objectif, idéal selon Gutiérez qui va rassembler le peloton afin de distribuer les rôles.

L’adjudant demande au sergent Wilsdorf de former un groupe de snipers qui se posteront stratégiquement en hauteur comme cela se fait à Beyrouth, les reste du peloton devra s’emparer du quartier ainsi tenu par les "rebelles du hezbollah". Pour une fois Wilsdorf ne me prend pas car il estime que c’est d’une formation au sol avec Guttiérez dont j’ai besoin, le cas de figure que j’aurai à affronter la bas. Les règles sont simples le sergent a toute latitude d’appliquer des règles de guérilla qu’il connait sur le bout des doigts et nous devons nous établir embusqués, silence radio total avec permission de passer à l’offensive à partir de minuit mais nous pouvons très bien attendre le lever du soleil. Guttiérez nous dispose à distance par groupe de 4 séparés de quelques mètres , il me confie le commandement d’un de ces groupes : un FM et trois grenadiers voltigeurs.

Bon, maintenant que vous êtes à couvert, interdiction de fumer, de causer, vous restez immobiles, interdiction de dormir, vous attendez que les tireurs ouvrent le feu ce que nous leur obligerons à faire en les leurrant, en situation, c’est toujours au lever du soleil que ça les

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démange, Fernandez prend avec toi Kokoleski et allez me piéger dans une heure précise avec grenades à fil tout le périmètre, Wilsdorf est bien capable de nous envoyer un velu en sabotage ou espionnage , à partir de maintenant silence total , fermez vos claque-merde! Tas de crapauds de biffins!

Putain, une de mes nuits les plus longues mais chacun de nous bien que chargés à blanc prend cet exercice très au sérieux car c’est de cohésion dont nous aurons besoin quand nous serons dans le merdier, le véritable. Guttiérez ne ferme même pas un œil et passe et repasse sans arrêt vérifier qu’on résiste à l’endormissement, quand il en chope un en train de somnoler, il lui susurre à l’oreille des mots doux, autorisation de s’enfiler des quarts de café froid mais à l’aube on est fin prêt. Dès que la lumière est suffisante , nous devons essayer de repérer les tireurs, tu parles, Wilsdorf a su les planquer au poil, rien de rien qui bouge, qui fume, qui respire, que le bruit des corbeaux qui volent sur le dos pour pas voir la misère, Wilsdorf n’a apparemment envoyé personne , il s’est contenté de bien embusquer ses hommes, on devra donc comme à la guerre envoyer des volontaires pour les faire se manifester, j’en suis avec Fernandez et son FM , il allumera à tout va si on se fait mitrailler. Nous avons un découvert de 50 mètres à galoper jusqu’au bas du pâté de maisons et nous les effectuons au sprint sans déclencher de réaction de la part de "l’ennemi", Guttierez envoie un autre binôme, idem…à croire que Wilsdorf a décidé d’en laisser sortir un max afin de nous tomber dessus à l’improviste, tactique classique et très efficace, Guttiérez me fait signe de loin d’investir la maison à 2 étages, de la fouiller et de s’installer aux fenêtres pour nous y poster ce que l’on accomplit en moins de deux vu que la maison est vide, là on se rend compte que nous avons bien fait de nous porter volontaire pour la 1ere vague car ce sera aux autres de faire le plus dur, nous on n’aura de nos positions qu’à les couvrir, Wilsdorf utilise une tactique guérilla vieille comme le monde, étant en infériorité numérique , il veut faire sortir un max de biffins à découvert afin de déclencher un feu nourri en un instant T, l’autre option aurait été de se servir de tireurs d’élite isolés qui nous aurait allumés lors de notre progression en"zone urbaine".

Chers lecteurs je vais pas par le menu vous décrypter toute l’action qui aura duré 24 h de plus, tout ce que je vais vous conter c’est que lorsque le 1er tireur a ouvert le feu , les deux ennemis se sont retrouvés sur un périmètre d’une dizaine de mètres tellement les approches et les embusqués auront été accomplies au poil et donc après moult arrosages à blanc , Guttiérez arrêta les frais et nous rassembla pour le compte rendu: Vous êtes tous des gros nazes de biffins, dans la réalité, chacun des 2 camps auraient eu un maximum de pertes, il va s’agir durant ce stage de pousser sur le tactique au détriment de votre physique qui je le reconnais n’est pas trop mal pour des appelés de l’infanterie, ça se voit que votre compagnie a bénéficié de la formation d’un ancien de la légion . Pause casse croute et bière et retour au baraquement en marchant immédiatement, la bas je vous autoriserai sur place, décrassage et sommeil et on recommence cette opération dés que vos gros culs seront prêts à repartir, allez retour au pas cadencé mi course, peloton à ma suite, en avant, exécution!

Le soir tellement on est fourbu qu’on a du mal à s’endormir alors on s’échange à la lueur de la bougies quelques paroles: Berthou t’es de la 83/08 , tu te rends compte que tes potes sont à ce moment même en train de passer leur dernière soirée à la caserne.

Je sais, ils doivent descendre pour la plupart se faire un restau et vont écluser sévère, je vais te dire, j’ai les boules mais bon, j’ai signé comme tout le monde ici dans cette turne.

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Justement, avec ton bagage à bac+2, tu aurai trouvé du boulot facilement dans le civil, pourquoi, t’as voulu partir en OPEX et comme simple caporal de plus?

 Longue histoire les gars, disons que je voulais acquérir "le regard au loin, mouarf!"

Arrete ton char! On sait que t’as sympathisé avec le capitaine, tu as surement l’intention de faire carrière au retour, le PSO t’attend et une durée de 5 ans surement.

J’en sais foutrement rien, les gars , tout ce qui me travaille là tout de suite , c’est d’apprendre pour être prêt pour le merdier afin de revenir entier, on sait pas vraiment ce qu’on va voir la bas et comment on va revenir, j’ai causé avec certains qui sont revenus quand même bien atteints par cette expérience! Les gars on ferait mieux de pioncer car Guttiérez demain , il va nous refaire partir sur l’objectif en marche commando et on va pas revenir au bout de trois jours si vous voulez mon avis, c’est notre dernière nuit complète avant une semaine.

  Chapitre 13:  La tuile

4 heures du matin, Guttiérez qui fait sonner un clairon qu’il a apporté lui même et dont il sait jouer avec quelques couac : " Debout, en tenue complète pour un nouveau départ avec sac à dos et tous le bardas pour 5 jours , café serré, 2 ou 3 café bien noirs et départ immédiat direction la zone urbaine G6, c’est pas la même, elle est située à 7 km d’ici, je vous expliquerai le topo tout en marchant, je veux les sous /off et caporaux dans ma roue"

Nous y allons à bonne allure mais pas à fond la caisse,  Guttiérez veut nous ménager afin qu’on en aie sous la pédale quand on abordera l’objectif. Il s’agit des restes d’un petit hameau composé de deux ou trois vieilles baraques en pierre de taille délabrées et d’une énorme grange. Wilsdorf cette fois ci me demande de prendre le commandement d’un groupe de 5 snipers à embusquer, il me donne exactement 1 demi-heure pour effectuer l’embuscade , passé ce délai le reste de la section passera à l’assaut.

Les conditions météos sont exécrables, un mélange de brouillard et de crachin très fréquent sur ce plateau de Mille-vaches , visibilité très mauvaise pour les assaillants mais qui va nous favoriser nous les gars chargés de jouer le rôle du genre de rombiers que l’on aura en face à Beyrouth. Pas le temps de tergiverser, je mets 1 tireur dans chaque bâtiment et prends avec moi le 1ere classe Knout tireur d’élite armé d’un FRF1, tous les deux on va se mettre dans la grange à l’étage, pour se hisser en haut on doit accomplir un exploit et utiliser un grappin et ainsi se retrouver sur des planches complétement pourries , le plancher est plein de trous, il faut vachement faire gaffe de pas passer au travers. Quand Wilsdorf va passer à l’offensive, nous sommes censés être capables de prouver (exercice à blanc) avoir descendu un maximum des ennemis et si possible pouvoir décrocher au moins un ou deux hommes, ce serait moi le caporal chargé de coordonner mes hommes en communiquant par signes de baraques à baraques qui devrait au moment de l’assaut pouvoir me carapater à fond la caisse afin d’atteindre un bosquet situé à 200 m où seraient censés être planqués d’autres membres de ma faction. Pour la fuite , je devrai faire fissa et sauter d’une hauteur de plusieurs mètres en essayant de bien retomber afin de pouvoir courir vers ma planque.

L’attente de l’assaut est interminable mais au bout de 3 heures, ça y est , on est bombardé de fumigènes rouges bruns, on y voit plus rien et ça pétarade de partout, ils ont réussi une approche au poil, on a rien entendu ni vu, je passe donc à la dernière étape du plan où je suis censé pouvoir me tirer de ce merdier en sautant de la grange déjà remplie d’une fumée qui

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nous suffoque, en courant sur le plancher vermoulu alors que j’allais atteindre l’ouverture par un "fenestrou" que j’avais repéré, je pose le pied sur une planche pourrie qui craque sous mon poids et patatras , je me viande en passant au travers du plafond direct sur le sol à un endroit ou c’est tout pavé, j’ai même pas le temps de soigner mon rouler boulé, il a fallu que j’aie le mauvais réflexe de laisser une jambe raide à l’impact: schcrack ! J’arrive quand même à me relever et malgré une douleur intense, insupportable, je cours sur une jambe jusqu’au bosquet que j’arrive à atteindre, arrivé la bas, je plonge et me mets en position du tireur couché tout content d’avoir réussi à atteindre le soi-disant lieu sécurisé. J’ai plus qu’à attendre que Guttiérez vienne constater et tirer le bilan mais la douleur que j’avais oubliée sous l’effet de la poussée d’adrénaline revient plus forte que jamais, elle se situe au niveau de la cheville, putain pourvu que ce soit pas une fracture mais une simple entorse sinon, c’en est fini pour moi du départ à la guerre!

Wilsdorf vient me débusquer: "Relève toi , t’as un problème?….." – "Sergent, je sens plus ma cheville droite tellement, j’ai mal, j’ai du me faire une entorse en chutant du haut de la grange" Wilsdorf n’y va pas par 4 chemins, découpe ma rangers, enlève ma chaussette et on s’aperçoit que mon pied a doublé de volume et est tout bleu. Mmmm, ça sent pas bon ça caporal, t’as du te péter un os, bordel, comment tu l’as pas assuré ton roulé-boulé, même sur du pavé si tu avais bien retenu la réception, tu ne te serai rien cassé, car crois moi, fils et j’en ai vu d’autres ça c’est pas une simple entorse, j’appelle le camion ambulance avec le toubib de la Courtine, terminé pour toi la prépa!

Deux heures à jouir en attendant ce putain de camion, dès qu’il arrive, le toubib lieutenant me file des anti douleurs efficaces qui me calment mais d’un air maussade m’assène son diagnostic: On va t’emmener à l’hôpital militaire de Bordeaux, tu as assurément une fracture quelque part dans un de ces multiples os qui composent ta cheville, une fracture dans cette articulation, tu peux être sur d’en avoir pour minimum deux mois d’hosto, tu peux faire une croix pour le départ de septembre et donc pour le Liban mais quand tu seras rétabli , il te restera encore trois ou quatre mois selon et si tu tiens à partir en OPEX rien ne t’empêchera de signer pour 6 mois de plus afin de partir en janvier relever les potes avec qui tu devais aller mon garçon!

Hôpital militaire de Bordeaux, je me retrouve dans une chambre de 6 , que des acharnés volontaires pour se faire réformer tous bien contents d’être hospitalisés plutôt que d’être à la caserne alors je vais pas dévoiler mon statut de volontaire service long synonyme pour eux de barge militariste. Après une série de radio, on me rend le verdict, fracture légère  de la malléole interne égale à un mois et demi d’immobilisation dans un plâtre botte suivi de deux semaines de rééducation, je ne pars plus à la guerre! C’est Wilsdorf qui me fait l’honneur de  me téléphoner avant leur départ et de m’engueuler de nouveau: Bordel caporal, le capitaine est fou furieux, il t’avait formé au poil et s’était habitué à toi, ça le fait chier de se retrouver avec un autre chauffeur radio inconnu mais il croit en la destinée et pense que s’il t’est arrivé cette tuile c’est que la divine providence est intervenue en ta faveur car il devait surement t’arriver quelque chose de grave la bas , quoi qu’il en soit après tes deux mois d’hosto tu réintégreras la 3e disons début octobre et tu seras sous les ordres du nouveau capitaine auprès duquel Kriegblitz t’as recommandé, tu feras sous ses ordres le boulot de base arrière  et tu t’occuperas d’encadrer la seule section de la 3e qui reste à la caserne, autre chose Kriegblitz souhaite te revoir à son retour fin décembre et vas te bourrer le mou pour que tu re signes six mois de plus afin de partir avec la relève, t’auras le temps de réfléchir à ça fils, souhaite nous bonne chance, on t’enverra des cartes postales et des photos. Pas le temps d’en placer une , il raccroche visiblement assez déçu de mon geste maladroit lors de la chute, d’un

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coup je me sens orphelin sans mes deux grands escogriffes et dans cet hôpital sinistre infesté de tire au cul qui ont atterri  là dans l’unique objectif de se faire réformer ou tout simplement d’y passer leur douze mois ,je m’attends à passer deux longs mois à me faire très chier.

De plus je dois rester immobilisé dans ce foutu plumard au début et dans cette turne y a même pas de télé et chacun a son radio cassette qui égrène à longueur de journée les hits du top 50, parmi mes congénères réformiste enragés il y en a quand même d’assez comique, un loubard de Toulouse dénommé Ginalhac qui a été envoyé ici car il a fait une tentative de suicide dés la 1ere semaine de son affectation au 126e où on l’avait mit à la 1ere Cie de combat, il avait sauté par la fenêtre située au 2e étage et était retombé sans trop de bobos vu qu’il est taillé armoire à glace, tout de suite il me branche le premier: Putaing de cong, au 3 jours ce connard de psycho a pas voulu me réformer et ce sont les flics qui m’ont emmené de force à la caserne, quand j’ai vu le troupeau de bovidés dans lequel je me suis retrouvé, j’ai pété un cable alors  je me suis torché discrètement la gueule  à la gnôle dans les chiottes  et en pleine corvée de chambre j’ai dit aux autres bœufs qu’ils me faisaient tous chier et je leur ai parié 100 tickets que je sautais par la fenêtre et je l’ai fait, tas de lopettes! S’ils me renvoient dans cette caserne de nazes je recommencerai jusqu’à ce qu’ils me renvoient chez moi, j’en ai rien à foutre de leur armée, moi ma vie, c’est la rue et je veux être rocker comme Elvis! Oh yeaaah!

Elvis il a fait l’armée, mec, t’as pas lu sa biographie et même que ça lui a servi pour sa renommée, il s’est bien exhibé devant les caméras où on l’a vu sans sa banane tout fier, bon il a pas du être affecté chez les marines mais comme Johnny il a exploité cette image du rocker mais qui reste bon citoyen fier de son pays à servir pour le drapeau que je lui réponds.

Peut être mais c’était une autre époque, nous les nouveaux rockers, on a une autre culture, on est des peace and love, faites l’amour, pas la guerre, faut évoluer mec, il y a eu mais 68 entre temps.

Pas con le Ginalhac, je vais pas me le mettre à dos car il ne me semble pas le mauvais cheval, il est effectivement le fruit de toute cette contre culture beatnik qui s’est imposée progressivement et même si j’ai envie de lui rétorquer à sa maxime vaseuse sur l’amour pas la guerre qu’on peut très bien faire les deux et pas plus mal s’en porter je me retiens car il m’a l’air d’un compagnon de chambrée plus agréable et joyeux drille que les quatre autres bien mornes et éteints  par les neuroleptiques qu’ils ingurgitent depuis des mois.

Parmi ceux ci , un espèce grand escogriffe qui desserre jamais les dents, lui il a gardé le crane rasé car il était punk à chien  et ne veut pas se battre pour l’armée française pour des motifs qui semblent bien embrouillés dans ce qui lui reste de sa cervelle de drogué à l’héroïne et au LSD : il est petit fils d’une lignée de russes blancs émigrés après  la révolution rouge de 1917, ses parents et grand parents on t voulu lui inculquer l’amour de la patrie d’accueil mais les études de sociologie en fac semblent l’avoir lobotomisé si bien qu’il a adhéré aux mouvements estudiantins trotskistes et a été de ce fait banni par sa famille, n’ayant pu obtenir le statut d’objecteur de conscience il a été affecté pourtant dans l’armée de l’air à Francazal à Toulouse avec une bonne planque de mécanicien mais a été surpris en train de saboter un Transall , acte politique pour lui car cet avion devait partir emmener des paras du 2e REP au Tchad, il estimait de son devoir d’aider ses frères africains (soutenu par les communistes ) opprimés par la puissance coloniale française, envoyé au trou qu’il ne supportait pas, il s’est tailladé les veines au rasoir, bien vidé de son sang, il était moins une qu’il y reste,  il est en attente d’être renvoyé dans ses foyers où il sera suivi de près par la police. Un soir, le voilà

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qu’il se lève sans mots dire , notre Taras Bulba car c’est ainsi qu’on l’appelait , qu’il fait 5 ou 6 pas en direction de la porte en chemise de nuit mais sans slip et vroufff , il  se met à déféquer abondamment en se marrant juste devant la porte !

T’es un rien dégueulasse Taras, tu peux pas te retenir jusqu’aux gogues, salopio!

Nos remarques le font se marrer en coin , l’infection dans la chambre, intenable, Tchernobyl qu’il nous a fait le russkof  ! Et le personnel à cette heure tardive , il met une bonne heure avant de nous désinfecter cette montagne de merde avec force eau de javel, cet étron de 20 cm de haut, jamais vu de pareil!!!!!!…… Le pire c’est qu’il va recommencer plusieurs soirs même qu’on aura voulu anticiper en voulant s’emparer d’un haricot afin de choper l’étron avant que ça n’atteigne le sol mais pas moyen tellement ses intestins sont généreux et ses gaz propulsifs puissants. Heureusement, on aura eu à supporter ce spécimen du Caucase que 2 semaines avant qu’ils se décident à l’envoyer dans une unité spécialisée.

Un autre phénomène, Félonian Arménien d’origine affecté au 22e RIMA, régiment d’infanterie marine en Cie de nageur combat , un cas bizarre, motivé au départ puisqu’il avait fait une préparation militaire et avait été intégré directement au peloton de formation des caporaux, il voulait en découdre mais le film qu’il s’était fait de l’armée ne correspondait en rien avec ce qu’il avait découvert, il s’accrochait continuellement envers ses supérieurs qu’il trouvait trop laxistes, il avait quand même réussi à sortir de ses classes gradé mais dès qu’il s’était retrouvé en position de caporal à l’instruction, il prenait un malin plaisir à humilier les pauvres bleus qu’on lui confiait si bien qu’au bout de 3 semaines il s’était fait chopper en ville en quartier libre par une dizaine de polynésiens qu’il avait sous ses ordres et qui l’avait littéralement lynché, résultat un traumatisme crânien qui semblait s’ajouter à un traumatisme psychologique qui faisait qu’il ne voulait plus retourner à la caserne ni même plus à aucune autre caserne, tout ce qu’il désirait c’est retourner chez ses parents qui tenaient une boutique d’instruments de musique à La Rochelle .

Restaient deux Basques qui  se séparaient jamais et ne causaient que dans leur jargon incompréhensible, on n’arrivait pas à savoir si leur psychoterie était d’ordre politique ou pathologique, voire les deux, ils refusaient de nous adresser la parole. J’avais déjà connu quelques basques au 126e, la plupart formait une coterie qui tournait souvent à l’arrogance, ils nous tenaient des propos du genre: Vous les français n’avaient pas comme nous l’esprit de corps, l’esprit d’appartenance à une tribu, un clan, nous les basques, on est comme les corses, de plus nous avons une langue millénaire héritée d’une civilisation supérieure, on se comprend sans se parler, on se reconnait au 1er regard……..patati patata . Bref tout juste s’ils ne s’estimaient pas être des descendants d’un peuple élu comme un certain autre "sur de lui et dominateur".

Le 1er mois j’ai tellement mal sur ce lit que j’en sors jamais, je me remets à fumer comme un pompier et suis bien obligé de composer avec mes compagnons de misère, nous sommes en aout et il fait  très chaud, les autres s’occupent de faire rentrer des packs de bières , les journées se tirent entre des parties de cartes (belote et tarot essentiellement), j’écris à ma mère et mes frères et sœurs qui me répondent en m’engueulant: Quelle idée de t’engager pour 6 mois de plus là tu devrai être à la maison et commencer à chercher du travail, ça te servira de leçon, au moins tu partiras pas , essaye d’obtenir une libération anticipée!

Libération anticipée, ça risque pas, les 1er résultats au bout de 3 semaines sont encourageant, on devrait me retirer la botte plâtrée et les toubibs pensent que je pourrai rejoindre mon unité

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mi septembre, il me restera encore 4 mois et demi où d’après les quelques coups de fil que je passe à la caserne je serai occupé à plein temps à l’encadrement d’une section de combat avec des réjouissances pour octobre: un départ en grande manœuvre à Baden Baden en RFA (République Fédérale Allemande) à défaut du Liban et ça sera que pour ton accueil après tu accompagneras la 1ere Cie à Mourmelon, ils t’ont préparé de quoi t’occuper afin que tu disposes d’un nombre de jours de terrain suffisant pour que tu repartes avec la médaille de la défense nationale , tu vois, à l’armée à chaque fois qu’un gazier se blesse avant un départ en OPEX, faut toujours qu’il trouvent ça louche même si dans ton cas ça parait impossible que ta blessure soit pas accidentelle, tu n’es plus un appelé caporal pour ce qu’il te reste à faire et ça se verra sur ton scratch que tu me feras le plaisir de modifier car tu dois désormais en porter un avec un liseré doré à côté des 2 barrettes rouges, on te considère comme un engagé volontaire, oublie pas ça!…… me disserte l’adjudant N’guyen qui remplace Wilsdorf.

Après un mois d’aout où on crève de chaleur dans cet hôpital on m’enlève la botte de plâtre et ça commençait à me démanger à l’intérieur  ,  j’avais trouvé une astuce je passais mes journées à me gratter l’intérieur du plâtre avec une aiguille à tricoter pour me soulager, putain la sensation de bien être d’avoir son panard et la partie de la cheville jusqu’au genou à l’air libre malgré la douleur encore bien persistante, le toubib lieutenant après quelques examens m’annonce qu’il me garde encore 10 jours dans ce cloaque et qu’après je bénéficierai d’une perme de 10 jours durant laquelle je pourrai partir dans mon cantal sur des béquilles et en tenue de sortie exigée.

Chapitre 14 : La perme de l’engagé volontaire.

Nous sommes début septembre et la micheline se traine jusqu’à Aurillac, dans ma tenue de sortie impeccable avec les galons de caporal engagé , personne ne me regarde de la même façon et je ne connais pas les gars qui sont pour la plupart des bleus fraichement arrivés et dont c’est la 1ere permission. J’ai été ramené en ambulance à la caserne où le nouveau capitaine m’a convoqué derechef , lui c’est pas un baroudeur style Kriegblitz mais c’est quand même un velu venu d’un RIMA , il est assez jeune mais le gars a de l’allure, du gabarit et a l’air d’en vouloir, il parle de K avec beaucoup de respect ce qui me rassure sur le personnage, effectivement ce dernier m’a passé la brosse et il ne lui en faut pas plus: Caporal , allez donc profiter de vos dix jours de PLD et revenez nous avec vos deux guibolles en parfait état de marche car j’aurai besoin de vous , si je vous amènerai pas au carton Libanais, le programme s’annonce chargé: Grande manœuvre exceptionnelle pour les 3e  et 4e Cie à Baden Baden en octobre avec peut être une garde à monter à Berlin Ouest ce qui serait un honneur pour la compagnie, un nouveau stage commando à encadrer soit à Mourmelon, soit  à Canjuers ça nous changera des habituels Courtine et Caylus, une clope Caporal Berthou? K (C’est comme ça qu’il appelle Kriegblitz) vous recommande pour une sardine supplémentaire de capo/chef au retour des grandes manœuvres en RFA si vous êtes à la hauteur ce dont je ne doute pas une seule seconde  .Ce capitaine, je l’apprendrai par la suite est issu d’une longue lignée de militaire à tendance aristocratique ; le père  colonel, le grand père itou et je suppose des ancêtres de la noblesse à cheval vu son blaze , ce sont des De Lamollardiere ; il est très service/service désireux de faire carrière et de se montrer digne de ses ascendants , il me laisse sur une poignée de main chaleureuse qui en dit long……..

C’est le frère qui est venu me chercher: Guy, heureusement que tu t’es pété ta guibole, la mère vivait plus avec ce départ au Liban, qu’est ce qu’ils vont faire ? une libération anticipée où te garder les 4 mois qu’il te reste?

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J’explique au frérot que j’ai signé les 6 mois supplémentaires à 1085F de solde et que je les ferai, j’aurai quand même ma paye de soldat d’OPEX et serait considéré comme étant parti mais resté en base arrière, je lui précise pas que durant ce qu’il me reste, ce sera nib de perme vu le programme qu’ils m’ont concocté mais il faudra bien la justifier cette prime d’engagé volontaire, les autres, eux, y sont dans le merdier, je lui ajoute pas non plus que je suis hésitant à re-signer encore 6 mois de plus pour y aller dans ce putain de proche orient où mes potes sont en train d’écouter les balles siffler au ras des oreilles dans le meilleur des cas si ce n’est entre les 2 pour les plus malchanceux.

Au café de la gare, une surprise m’attend, tous mes potes de Reilhac sont là et en me voyant en tenue de sortie impeccable , aucun ne va m’attaquer car ce sont mes amis et on savait encore ce que ça voulait dire dans nos cambrousses à cette époque et leurs paroles me mets à deux doigts de me mettre à pleurer car ils me racontent que mon départ prévu au Liban a fait l’effet d’une bombe dans ce village: Le fils Berthou a signé et s’en va à Beyrouth, ouhai le petit ronchonneur toujours prêt à en faire une, le braconnier qu’a jamais pris ni permis de pêche , ni de chasse,  celui qui n’hésitait pas à insulter les supporters au foot qui le critiquaient même qu’un dimanche il a montré son cul à tout le monde sur le terrain après avoir marqué un but, il n’avait même pas 17 ans , le provocateur du samedi soir qui avait été se fritter avec des manouches pour défendre son père …..etc…etc. A Reilhac on t’attend au bistrot chez la Mado, allez viens , y aura du monde ceux qui t’aiment bien et même les autres, pointe tes miches dans ta tenue, tu vas en jeter, de plus , t’as pris des muscles et du gabarit pas croyable , on te reconnait plus, c’est le paysan du Cantal qui est parti et c’est un guerrier qui est revenu! Qu’il me balance texto Rocagel bien sur .

Cela me fout le trac d’être attendu au troquet alors je suis pas contre de m’en jeter quelques uns à la gare afin de me désinhiber , le patron qui a fait la guerre d’Algérie parti en tant  qu’appelé a décidé de me rincer à l’œil car il a pas trop pigé l’embrouille et a cru en me voyant en tenue et dans la confusion générale que j’en revenais du Liban : Votre guéguerre c’est de la rigolade à coté de la notre mais puisque tu as eu les couilles d’ y aller je paye la tournée générale , l’essentiel c’est qu’un p’tit gars du pays nous fasse honneur.

Toujours est il que j’arrive au bled assez éméché , le béret de trabiolle et qu’il n’y a pas tant de monde que ça au bistrot où je suis pas tant attendu non plus, comme d’hab, ils en ont rajouté un max les poteaux. D’ailleurs la plupart des gars présents sont là autour d’une table à préparer l’équipe de foot pour dimanche, ça consiste à remplir une affiche des joueurs sélectionnés, une histoire de copinage la plupart du temps et ce qui m’avait valu pas mal d’inimitié quand j’avais voulu dénoncer le peu de cas qu’on faisait de nos jeunes en maintenant en équipe  1 des vieux croulants qui n’arrivaient même pas à courir mais qui avaient leur place parce qu’ils faisaient partie de la mafia locale qui faisait la pluie et le beau temps et voilà que justement , d’entrée le "fustier" (menuisier en patois auvergnat) local qui était en train d’écrire m’apostrophe: Ta licence a été renouvelée automatiquement, si tu veux je te mets en 13e homme , ça nous fera une belle image que d’avoir sur l’affiche un soldat volontaire casque bleu!

Tu peux te mettre ton stylo dans ton cul, jamais plus je jouerai à Reilhac tant que ça sera votre clan qui continuera à sélectionner les joueurs et au nom de l’armée française je vous emmerde!Je sors cette assertion, comme ça, sans réfléchir, l’alcool y étant pour beaucoup et surtout le spectacle de toutes cette clique réunie autour de la même table qui tient le village, la chasse, la pêche, la pétanque, le foot, le conseil municipal; ils sont 3 ou 4 familles à tout détenir depuis

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des décennies, tout ça parce qu’ils possèdent la plus grosse ferme, la menuiserie, la casse de ferraille, l’épicerie……et ce ne sont même pas des juifs ni des franc-maçons alors en définitive partout dans notre république il y a des réseaux , rien de nouveau sous le soleil , c’est écrit dans l’ecclésiaste.

Qu"est ce que j’avais pas dit car la plupart de ces sycophantes étaient eux aussi bien imbibés à l’apéro , pas le temps d’entendre la réponse qu’un verre de ricard atterri sur la tête de Gandilon mon copain pas fin mais tout en muscle et qui justement venait d’être rétrogradé en équipe 2 , lui question dialogue c’était un direct du droit en réponse à l’attaque, toujours frapper le 1er qu’il me disait et c’était le sélectionneur qui se retrouvait à valdinguer entre les tables et les chaises, le pif en sang …..La suite…….. une curée entre les deux camps ainsi constitués et plus de casse matérielle qu’humaine mais sous le nombre on se retrouve tous dehors l’engagé volontaire et ses acolytes:

Bande de petits cons, vous vous croyez tout permis parce que vous vous faites accompagner d’un trouffion de carnaval en tenue , allez vous faire mettre sinon on va décrocher les fusils et nous on a des cartouches gros sel pour vos miches, Berthou la prochaine fois si tu veux revenir foutre la merde avec ta bande , reviens avec ton famas et tes grenades!…….

Nous voilà malin et surtout moi, la gueule de ma tenue de sortie tachée de sang , la chemise déchirée, pas intérêt à me pointer chez ma mère comme ça, obligé d’aller enfiler des frusques civiles fissa , au retour, je m’arrangerai avec le fourrier mais au risque de me faire retenir les frais de couture sur ma solde, je ne reproche rien à mes copains car j’en ai rien à foutre des honneurs et depuis toujours mon vieux père m’a appris à ne jamais rien attendre de personne y compris des miens, ils ont cru me faire plaisir et finalement ils y sont arrivés car ça faisait longtemps que je voulais mettre sur la gueule de cette petite mafia du village natal, à la libération j’irai signer dans un autre club au niveau moins élevé mais à l’ambiance moins mafieuse.

L’accueil familial est nettement plus chaleureux et ma pauvre mère qui se faisait un sang d’encre ainsi que ma sœur me serrent très fort dans leur bras sans me poser de questions sur les drôles de fringues dépareillées que m’ont prêtées les amis: Alors c’est sur maintenant t’y pars plus à la guerre, de temps en temps aux infos télévisées on voit des images et il y a quelques jeunes français qui se font tuer, tu es au courant que le fils Rebatet de Jussac est mort, tu le connaissais, non, il était au lycée technique d’Aurillac avec toi!

Là, je pose mon cul sur une chaise effondré, dessoulé aussi sec, Serge Rebatet était dans ma classe en seconde, il était parti en même temps que moi, 83/08, mais au 92e RI de Clermont-Ferrand, j’apprends qu’on aurait été ensemble à Beyrouth au sein du même détachement de volontaires commandé par K, il a été tué net par une balle en pleine gorge tiré par un sniper embusqué lors d’une patrouille, je sais pas s’il faut que je bénisse ma fracture de la malléole. Tu devrai aller voir la famille , ils viennent de l’enterrer la semaine dernière avec les honneurs. Je sais pas si c’est la meilleure chose à faire car n’étant pas parti et ayant encore envie de rejoindre le prochain départ prévu pour mars 1985 ça risque de me fusiller les quelques velléités qui me restent. Ce que je vais faire c’est aller fleurir sa tombe et y apposer une plaque d’un vieux camarade de lycée lui aussi biffin d’infanterie, les destinées ça se commande pas me dit le vieux Larbi venu me voir: Birtoul, faut pas que ça te fasse reculer pour ta carrière militaire , comme on disait en Algérie parfois et c’était dur mais vaut mieux lui que moi, y a ceux qui reviennent et ceux qui reviennent pas, ton père est revenu, ton grand père aussi, même tes frères ont échappé au départ en Algérie , toi le dernier , ton destin c’est

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de partir et de revenir entier! Si tu re-signes pas toute ta vie tu le regretteras, il t’aura manqué ta guerre car sur cette terre il n’y a que deux races d’hommes, ceux qui l’ont faite et ceux qui l’ont pas faite, toi je te connais, tu es de la 1ere espèce . Pour mettre ma mère en rage , il pouvait pas trouver un meilleur laïus l’ancien adjudant de la coloniale, tout juste si elle va pas le jeter à coup de balai mais celui-ci va pas s’éterniser après son discours et regagner ses pénates et sa femme acariâtre qui lui fait tant regretter la vie de caserne.

Toute la nuit, j’entends ce refrain: il te manquera une guerre, il te manquera une guerre…….

Bah, peut être aurai je droit à la 3e guerre mondiale, en cette année 1984, la guerre froide bat son plein et le président US Reagan y met le paquet pour intimider l’URSS avec son programme de guerre des étoiles , ces derniers sont le dos au mur en train de s’embourber en Afghanistan où les ricains sans s’en rendre compte soutiennent activement leur futur ennemi, les moudjahidines islamisés par l’intermédiaire du Pakistan , une bombe à retardement pour le monde occidental dont les russes font également partie désormais mais à cette époque nous sommes loin du 21 septembre 2001.

Ces 10 jours de perme , je les passe tranquille sans trop bouger me rendant compte que ma pauvre mère avait pris un énième coup de vieux, elle sait ce que c’est que de perdre un fils et d’avoir un mari à la guerre alors je la rassure en lui disant que ce qui me reste à tirer se fera sans risque seulement je n’aurai pas souvent l’occasion de revenir en permission mais une fois terminé mon service rallongé je ramènerai des ronds plus le permis de conduire  ce qui me facilitera la tache pour trouver un employeur. Là , je suis loin de me douter combien sera difficile la réadaptation à la vie civile et le temps que je vais passer à rien glander voire à tourner limite délinquant avec mes mauvaises fréquentations, toujours je les ai préférés aux fils de bonne famille, j’y peux rien pour ça d’ailleurs que je me plais en Cie de combat , j’aime les individus simples et qui ne font pas de chichis , ceux qui vous disent merde ou vous mettent leur poing dans la gueule plutôt que d’aller vous dénoncer à l’autorité et ceux là généralement, on les trouve pas chez les fils de bonnes familles.

Je suis allé sur la tombe du 1ere classe Rebatet, une beau caveau avec une inscription : Tombé au champ d’honneur en mission au proche-orient en tant que soldat de la paix, mort pour la France. Je l’avais connu au lycée , pas du tout branché par l’armée, un fouteux du dimanche habillé plutôt hippie qui était ressortit avec un bac technique d’électrotechnique , un joyeux drille qui avait du comme moi trouvé son service militaire pas si désagréable avec son coté sportif d’ailleurs son club de Jussac organisera chaque année un tournoi en son honneur, voilà c’est tout ……

Je suis content de reprendre ce train destination la caserne où m’attend toute une batterie de contrôle médicaux avant de reprendre mes fonctions à la 3e Cie car ces dix jours de vie civile à part le fait d’avoir revu ma famille et quelques amis m’ont littéralement très vite emmerdé, sentiment nouveau , j’ai envie de retourner enfiler mon treillis et d’en chier physiquement, peut être suis je devenu barge? ………………Toujours est il que ce dimanche soir je retrouve ma place dans une nouvelle piaule où on a rassemblé les autres caporaux, la plupart tout juste sortis de leur 2 mois de PEG qui ne constituent que 2 mois de classes assez sévères quand même, ils sont des bleus issus du  contingent 84/08, et c’est moi qui vais faire figure d’ancien , ils me bombardent tous de questions sur toutes les formations, manœuvres et stage-co  que j’ai effectués. A ce moment là, je compte 14 mois de service et arbore le liseré des engagés, effectivement ces 5 caporaux sont donc de sacrés bleu-bites en comparaison de mes états de service. Comme il circule toujours tout un tas de conneries dans ces structures où

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cohabitent plus d’un millier d’hommes , il faut que je les mette au parfum sur mon passé au 126e depuis ce fameux début aout 1983 : Non les gars, je ne suis pas un ex aspirant viré des EOR ni un sous/off  dégradé pour avoir cassé la gueule d’un capitaine   ( c’était le cas des quelques engagés qui trainaient dans la caserne avec 2 simples sardines rouges et un liseré doré), non je ne me suis pas pris une balle dans le pied à Beyrouth où je n’ai même pas été, non je ne suis pas le fils du capitaine K, non je n’ai pas essayé de me suicider en sautant de l’hélico qui devait m’amener à Francazal……Ces pauvres caporaux sortis du PEG ont été instruit à la 11e où règnent les ragots et l’adjudant Ballard n’est pas le dernier à en raconter quand il a descendu sa bouteille de Johnny Walker. Bon je crois qu’on aura le temps de faire connaissance, il me reste 4 mois à tirer et demain je dois me pointer au toubib pour qu’il vérifie ma cheville, suivant son état, c’est même possible qu’on me mute à la CCS pour y faire le secrétaire si elle s’avère pas assez solide pour pouvoir encadrer la 3e, bonne nuit messieurs.

Je les avais nettement déçu eux qui s’imaginaient que j’étais John Wayne mais valait mieux mettre carte sur table. Le lundi je file avec la jeep voir le médecin chef, un commandant qui me fait un check-up complet et qui déclare à l’issue mon complet rétablissement et s’empresse de me rassurer: Garçon, tu pourras réintégrer ta chère unité où il reste pas mal de boulot d’instruction car elle a été renouvelée à 80% les plus velus étant au Liban avec ton cher capitaine K, bon , c’est sur tu n’iras pas au feu mais le colonel vous a préparé de belles sorties pour cet hiver qui s’annonce rigoureux vu que vous allez passer le plus clair du temps dans les camps de l’est de la France, Mourmelon et Valdahon et même participer aux grandes manœuvres avec les US en RFA!

Autrement dit je vais me cailler les miches sévères et le froid à endurer par de belles nuits étoilées sur la neige au lieu du beau soleil méditerranéen pour lequel j’avais signé.

CHAPITRE 15 : Retour à la caserne.

Je ne vais pas m’épancher sur la description des stages co dans les camps , séjours de chacun 3 semaines à coucher pas une seule fois dans un plumard digne de ce nom, le nouveau capitaine qui en avait plein les oreilles des histoires de guerre de ses glorieux géniteurs tenait à ce que des soldats d’infanterie restent constamment sous la tente à même le sol souvent gelé ou voire carrément sans tente, durant ces deux séjours on y aura laissé quelques bidasses revenus complétement fourbus, grippés et avec quelques fractures, ce qui lui aura valu de belles remontrances de notre nouveau colon, un humaniste qui ne voulait pas "faire de vagues" et encore moins la une des journaux avec des titres du genre  Un soldat du contingent retrouvé mort de froid pendant sa garde au camp de…….. Et vas y que je te casse du militaire engagé qui brime ces pauvres appelés, un service militaire obligatoire et désuet qui n’est plus de mise dans la plupart des pays européens , voilà ce qu’aimaient bien raconter nos médias avec forces reportages sur l’inutilité de la conscription mais voilà le père Mitterrand tout socialiste qu’il se prétendait restait quelque part vieille France , normal vu la génération à laquelle il appartenait et les journaleux qui le taquinait sur son rôle à Vichy durant l’occupation , ses accointances avec des dénommés Touvier et Papon,  il avait tôt fait de les remettre en place en leur demandant ce qu’ils auraient fait à sa place, d’autres parts ce service maintenu permettait de maintenir artificiellement des chiffres du chômage plus bas en occupant plusieurs centaines de milliers de jeunes français et depuis quelques temps on ne fait que parler du vide qu’il a laissé en tant que parcours initiatique de notre jeunesse désœuvrée.

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Nous sommes constamment en liaison avec K et sa troupe déjà parti depuis 2 mois, ils n’ont pour l’instant aucun blessés graves à déplorer et à ce moment il règne sur place un calme précaire, je vais même avoir l’insigne honneur de l’avoir au bout du fil alors que je suis de semaine et tiens la radio, l’échange a été bref et je retiens principalement de son discours qu’il est assez déçu de n’avoir à accomplir que des missions de patrouilles de sécurisation, il semble même pressé de revenir début janvier et n’est pas chaud pour y retourner, il me parle de sa demande pour réintégrer la légion où il est prêt à y servir n’importe quel régiment, il insiste pour que je sois là et me bourre encore le mou pour une rallonge éventuelle de 6 mois.

Nous sommes fin octobre , il me reste donc 3 mois et nous préparons assidument avec la 4e Cie le départ en RFA à Baden Baden , avec le voyage cette affaire va nous occuper 1 mois et demi et cela s’annonce relativement intéressant, fichtre manœuvrer à grande échelle avec des marines US et des British , il y aura plusieurs milliers d’hommes, des centaines de blindés, de l’artillerie lourde, de l’appui aérien, cela me laissera une sacré expérience à défaut  du proche-orient.

Le capitaine De Lamollardière me convoque en tête à tête à son bureau, plutôt satisfait de mon comportement au cours des 2 stages co il m’annonce qu’il me prendra comme chauffeur radio en RFA car il a lu dans mon dossier que je possédais un niveau d’anglais bac+2 et il y en pas des masses dans ce régiment des militaires du rang bilingues ça sera utile avec nos camarades anglophones ricains et anglais, je conduirais le convoi jusqu’à Baden Baden à ses côtés et il tient à ce que je reste avec lui pour la préparation, autrement dit, nib de permes mais je m’en fous d’ailleurs on file illico à la caserne Brune pour rencontrer le lieutenant colonel Foucherolle l’ adjoint du colon.

Première fois que je pénètre dans le bureau du big boss même si ce n’est que le no 2 qui nous reçoit: Caporal Berthou, engagé volontaire service long, déjà depuis 15 mois au 126e, n’a pu partir au Liban en raison d’une vilaine fracture , je le prends comme radio car j’ai entière confiance en lui d’autant plus qu’il a été formé par le capitaine Kriegblitz!

L’autre fou furieux? Celui là ça serait pas dommage qu’il réintègre la légion, avec son passé et ses fréquentations douteuses de l’ex OAS, il est pas en odeur de sainteté avec l’état major, mon cher De Lamollardière , bon c’est vous qui commanderez notre détachement de 400 hommes , un mélange des meilleurs éléments des 3et 4e Cie de combat plus une section de mortier et missiles Milan de la Cie d’éclairage et d’appui. Vous serez intégrés en renfort du 151e RI de Verdun et sous le commandement du colonel de ce régiment qui a l’habitude de participer à ces grandes manœuvres avec les forces de l’OTAN, tachez de nous faire honneur , il vous reste une bonne semaine pour peaufiner le départ. Vous prendrez bien un cognac ainsi que votre caporal? 

Pas question de refuser, ce serait inconvenant, ce vieil officier supérieur attend sa retraite et a tendance à pas sucer de la glace, on le voit encore moins que le colon, il passe ses journées à astiquer ses médailles obtenues en Indochine, Algérie et Tchad. Il regarde par la fenêtre et malheur à ceux qui oublient de le saluer même s’il est au 3e étage . Il nous remet sans nous poser des questions des cognacs et le capitaine qui est un abstinent commence à être volubile bégayant: Le caporal devait partir au Liban…..patati patata …je vous le propose pour qu’il obtienne un galon supplémentaire d’ailleurs je pense qu’il va rester chez nous et ce serait bien qu’il intègre le PSO dés le début de sa prolongation, mon colonel!

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Du calme, capitaine il n’est caporal que depuis 5 mois et puis ce jeune con n’avait qu’à pas refuser les EOR…… texto le colon à mon adresse avec un regard appuyé me dévisageant……. pour remplir son rôle de radio chauffeur c’est pas 1 sardine de plus qui le fera avancer plus vite, avec ce genre de fils de paysan sans ambition qui demande rien depuis son incorporation mais à qui l’armée  doit faire découvrir ses possibilités au compte goutte , faut y aller mollo mollo capitaine, il vient pas comme vous d’une dynastie de glorieux serviteur de la patrie mais est issu d’une lignée de bouseux dur à la tache , vous comprenez s’il avait voulu du galon il avait qu’à intégrer St Maxeint , l’armée française a le tort de le proposer à des appelés et on se retrouve avec des petits pète sec incapables de se faire respecter…….tenez goutez moi cet Hennessy , une pure merveille.

Le pitou, comment qu’il est désarmé , ce colon avait même jeté un coup d’œil sur mon dossier avant qu’on arrive mais bon, il nous a assez vu , taciturne ce serait pas le mot, il se rassoit dans son coin et recommence à astiquer ses médailles: Vous pouvez disposez messieurs et bonne chance, un dernier mot, faudra pas vous vexer si les ricains se foutent un peu de votre gueule avec nos tacots de Dodges ou GMC, c’est comme ça depuis 1945, votre père a du vous mettre au parfum De Lamollardière , il se les ait coltinés après la guerre durant l’occupation de l’Allemagne.

Le capitaine dans la jeep au retour est tout abasourdi par le discours du lieutenant colonel: " C’est un aigris, le vieux, il va prendre sa retraite sans avoir jamais commandé un régiment et puis il picole trop, vous avez  vu la bouteille de cognac comment il se l’est descendue , ne vous inquiétez pas au retour de RFA fin décembre je vous ferai nommer capo/chef, c’est important car si vous prolongez de 6 mois de nouveau, on ne pourra faire autrement que de vous faire intégrer le PSO, ce sera de sergents comme vous dont on aura besoin en priorité et pas de ces jeunes qu’on nomme au bout de 6 mois de service"

Je lui rétorque rien pour pas le vexer mais à ce moment précis à 3 mois de la fin, je suis très tenté par ce baroud en Allemagne et puis basta, dans ma tête c’est terminé la vie de bidasse, je crois bien qu’il me fallait faire un service bien complet avec beaucoup de terrain et au sein d’une unité combattante qui m’aura permis de m’éclater sur le plan physique mais m’engager , trop tard, fallait signer aux EOR car gravir les échelons depuis là où j’en suis???? Pour finir adjudant/chef alcoolique!!!! Je ne me sens pas l’âme du général Bigeard qui avait débuté en tant que militaire du rang pour terminer comme un des généraux les plus décorés de l’armée française, l’époque n’est plus la même, la France n’a plus de guerre d’Indochine ni d’Algérie à offrir , le mythe aventurier du légionnaire dans le désert a été remplacé par celui du technicien du nucléaire et des interventions humanitaires surveillées de près par des merdias à l’affut de la moindre bavure et qui sont tout étonnés de voir qu’à la guerre on a des armes et même qu’on s’en sert et que ça fait des morts, ils égrainent de nos jours les quelques dizaines de morts que nous déplorons engagés en Afghanistan , en 10 ans l’armée française s’en est plutôt bien sortie et les rapports réels à établir seraient la comparaison avec ceux d’en face, au moment où j’écris ces lignes, le gouvernement socialo-communiste verdatre a envoyé plus de 4000 hommes et au bout de 3 semaines n’a à déplorer que la perte d’un pilote d’hélicoptère alors qu’en face, ils ont morflé sévère , plusieurs centaines au tas  . De Lamollardière, c’est vraiment l’autre style d’officier en comparaison de K mais je le trouve sympathique, érudit , très vieille France aristocratique catholique traditionaliste , certain que lui ne va pas m’inviter à boire l’apéro chez lui, moi un fils du peuple dont on lui a appris de se méfier mais niveau confiance il me laisse autant carte blanche que K à la caserne et quand j’ai pas d’ordre de mission particulier je reste très libre de mes mouvements avec ma jeep à faire la navette entre les 2 casernes de Brive , cela me permet durant ces 3 semaines où j’aurai

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d’ailleurs pu rentrer à Reilhac 2 ou 3 fois  de me balader un peu dans toutes les compagnies où désormais je suis connu comme le loup blanc. Je passe donc ces journées de préparatif à faire  du  sport  le  matin , du tir l’après midi mais quasiment pas de marche ni de combat, je vais plutôt taper  le carton au foyer et discutailler avec Ballard à la 11e, en sorte je fais partie des meubles au bout de 15 mois et je n’étais jusqu’à présent jamais arrivé à une telle réussite d’intégration au milieu et je n’y arriverai jamais plus par la suite de mon existence ce dont je ne me doutais pas à l’époque et ce que K avait reniflé chez moi: Berthou tu es voué à la marginalité et comme je te vois pas du tout clodo hippie ou milliardaire, les seuls qui peuvent se permettent ce luxe,il ne te reste que l’armée, tu fais partie des cons qui s’en rendent compte à 50 ou 60 piges.

K il m’avait bien cerné j’aurai été partout le rebelle rien que pour me démarquer du troupeau, l’armée contrairement à ce que pensent nos faux new rebels hippies anti militaristes primaires sait très bien les utiliser s’ils peuvent apporter quelque chose, on peut exploiter l’esprit d’initiative de ces individus sur le terrain dans la guerre moderne qui n’est plus depuis quelques temps une guerre de front, ainsi souvent ils font d’excellents "francs-tireurs", la Wermacht en 40 s’était basée la-dessus, laisser un maximum d’initiative à de petites unités rendues très mobiles par leur avance concernant la motorisation, des stratèges comme Gudérian et Rommel ont remporté nombre de batailles devant des troupes supérieures en nombre mais figées dans des systèmes de commandement dépassés et qui ne savaient plus quoi faire lorsqu’elles étaient coupées de leur haut commandement. Notre société libérale avancée fondée sur l’esprit d’entreprise et la compétition nous a permit de gagner la guerre économique face au système sclérosé hyper centralisé de l’URSS sur le même principe. Ainsi nous retrouvons la même opposition entre des entreprises d’état vastes usines à gaz comme l’éducation nationale impossible à réformer mais qu’il faudrait complétement démanteler pour leur permettre de rivaliser face à n’importe quel établissement privé hors contrat. Cette digression je l’apporte ici car j’ai pu effectuer ces parallèles après avoir effectué plusieurs expériences professionnelles au sein de différents organismes du privé et du public à l’heure où j’écris ces lignes.

Toujours est-il que je me déplace dans ces 2 casernes avec ma jeep et mes galons de caporal engagé de la 3e Cie et que plus personne ne me pose de questions, j’ai mes entrées dans toutes les Cie où je connais partout des sous/off surtout et voilà t’y pas qu’un aprem au foyer je tombe sur le repman ( légionnaire para aux glorieux faits d’armes, en fait ce qu’on appelle plutôt un maréchal de la légion) Apststein tout heureux de me voir alors qu’il était seul à vider son pack de kro: Caporal engagé volontaire Berthou, tu as lâché tes camarades et K, comment tu as pu faire ça, pas croyable, t’as intérêt à en être de la prochaine sinon je te descends à l’AK47 , t’es limite déserteur à mes yeux, qu’on lui serve un schnaps maison à ce radio de mes couilles.

J’avais pas intérêt à aller à contre courant de son discours, bien sur que j’attends impatiemment le prochain départ d’un détachement d’une centaine d’hommes du 126e prévu pour Beyrouth pour février et même que j’attends ça avec impatience mais là je dois partir en RFA.

Ach, les grandes manœuvres, pas inintéressants, moi je n’ai eu que des guerres pour me faire la main mais pour un bleu comme toi, vas-y, tu verras nos alliés de l’OTAN, essaye la-bas de contacter les US Marines, c’est du velu et compare leur matériel envers le notre , tu seras pas déçu , prosit!

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Apstein a déjà son compte car il me demande de le ramener dans son bunker, la bas il insiste pour que je reste à partager son frichtis une choucroute vraiment très bonne accompagnée d’une bonne bière, il a pas trop éclusé et son discours est vraiment intéressant , il me raconte nombre de coup qu’il a exercés dans le djebel et aussi lors de la bataille d’Alger, je suis toute ouïe et regrette de ne pas avoir pris de notes car vu la soupe que nous servent nos  "merdias" gauchistes à la solde d’un système corrompu sur la guerre d’Algérie, son témoignage vaut de l’or en barre, il me décrit les généraux Massu, Bigeard et Trinquier avec qui il a personnellement travaillé , la façon dont ils ont opéré pour capturer Yacef  Ben Saidi alors que les paras n’étaient pas formés pour ça, les méthodes qu’ils ont appliquées pour investir la casbah et retourner le peuple algérien contre le FLN, les briefing menés par Bigeard pour remonter depuis le simple colleur d’affiche jusqu’au chef du réseau   en remplissant un organigramme tous les soirs. L’usage de la torture bien sur , comment faire avouer des individus qui avaient posé des bombes qui chaque semaine tuaient ou blessaient atrocement des femmes et des enfants? Et la dessus il m’a montré nombre de photos prises par lui même , des images horribles de soldats du contingents avec les organes génitaux dans la bouche, les ventres remplis de pierre et pas seulement des militaires, des civils aussi, femmes enceintes éventrées, enfants à qui on avait arraché les yeux, une image insoutenable d’un enfant qu’on avait empalé après l’avoir égorgé…..des actes commis par un FLN dont les dirigeants sont encore au pouvoir en 2012, c’est le cas de Boutéflika à qui notre président socialiste va demander pardon pour une colonisation brutale et injuste…..En 1830, avant la colonisation  l’Algérie n’existait pas, elle était occupée par les ottomans et ses diverses peuplades au nombre de 2 ou 3 millions en étaient les esclaves, à l’indépendance en 1962 , l’Algérie était une nation moderne avec des infra structures et était peuplée de 20 millions d’habitants, voilà pourquoi le président de la république (est elle encore française) va demander pardon en s’agenouillant.

Alors que je suis intrigué par un immense portrait qui trône au dessus de la cheminée, il me demande si j’ai reconnu ce personnage affublé d’une casquette de la Wermacht, bien désolé de ne pouvoir lui répondre voilà qu’il va me faire tout un laïus sur le Volks fuhrer Léon Degrelle qu’il a été rencontré en Espagne où il est actuellement réfugié politique (en 1984).

Je connais personnellement un des derniers dignitaire du 3e Reich car mon grand frère Friedrich a combattu à ses cotés durant la campagne de Russie, il l’a sauvé lors de la bataille de Tcherkassi  où il est mort et a demandé à Degrelle de veiller sur moi , je suis un des rares à pouvoir l’approcher depuis qu’il s’est réfugié en Espagne où Franco lui a accordé l’asile  politique , il faut savoir que Hitler a dit de cet homme que s’il avait eu un fils, il aurait voulu qu’il soit comme lui, tu te rends compte gamin, il est parti avec sa légion Wallonie en tant que simple 2e classe et a été décoré de la croix de fer avec doubles feuilles de chêne, la plus haute distinction de l’armée allemande , de tout ce qu’il m’a dit je retiens surtout ceci; et le voilà qu’il s’affuble d’une casquette de la Wermacht et prenant une position martiale il se met à vociférer en prenant un accent à moitié belge et allemand:

Vous voudriez  entendre que je dise de ce brave Hitler que c’était un maboul, un drogué, qu’il était bourré de pilules , c’est entièrement faux, un discours monté par les alliés car l’histoire est toujours écrite par les vainqueurs, en réalité Hitler c’était le plus grand génie de tous les temps, capable de dicter 2 ou 3 discours en même temps tout en se penchant sur les cartes d’état major entouré de ses généraux avec un esprit de sacrifice total qui fait qu’il avait fait entièrement don de sa personne à l’Allemagne , tenez un dimanche matin je le croise et voilà qu’il me demande où je vais ? Je lui réponds que je vais communier et il me dit ceci: si ma mère était encore vivante, Léon, elle irait avec vous, un autre jour voyant ma paire de botte

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usagée, il me demande du combien je chausse, du 42 meine führer ! Et le voilà qu’il ouvre une armoire et me donne une de ses paires en y glissant 2 morceaux de journaux car il chaussait du 43 ……… Mais c’est comme ça que ça se passait , Hitler était un homme simple, un homme issu du peuple, rien à voir avec la vaste propagande qu’on fait gober à notre jeunesse occidentale qu’il voulait sauver du désastre inévitable qui va se produire au 21 e siècle , mes amis!

Apstein s’interrompt un moment, me surprenant car je ne connaissais pas ses talents d’imitateur, et en profite pour vider cul sec la moitié d’une bouteille de vodka qui trainait dans son placard, il me fixe comme si j’étais le public wallon auquel Léon Degrelle s’adressait du haut de sa tribune et prend une posture plutôt mussolinienne et là il se met carrément à hurler:

De tous ces combats que j’ai livrés, de tout notre honneur bafoué, de tous ces morts et blessés pour notre cause, je ne retiendrai qu’une chose, c’est que je suis certain d’avoir lutté pour la bonne cause! Pourquoi? : Parce que quand je vois ce que devient notre jeunesse européenne, quand je constate cette vaste désertion de notre peuple occidental à travers l’univers, quand nous dressons le bilan de l’effondrement de la civilisation occidentale devant les hordes du tiers monde à majorité musulmanes qui la submergent et qui seront fatalement dominantes car démographiquement majoritaires au milieu du 21e siècle sur notre propre sol, lorsque nous observons de nos yeux la déferlante victorieuse des idéaux socialo-communistes verdatres homosexuels de décadence qui s’imposent comme étant la meilleure forme de la modernité, vaste fumisterie, comme une réalité inéluctable contre laquelle nous ne pouvons plus rien et devons nous soumettre alors que notre idéal à nous était de faire en sorte que notre civilisation reste la maitresse de ce monde et le fasse avancer avec à sa tète des hommes et des femmes qui avaient depuis des siècles prouvé leur avancées sur le reste des humains de cette planète , nous aurions une civilisation dominante alliée aux chinois et japonnais qui serait partie à la conquête de l’espace, du système solaire et de la galaxie au lieu de nous retrouver à devoir gérer un monde chaotique submergé par une population   incapable d’évoluer, qui ne veut que se faire assister par une minorité qui a tout inventé et qu’elle culpabilise afin d’être éternellement placée en victime, le beau rôle…………Hé bien je me dis combien j’ai bien fait de lutter et lutterai jusqu’à ma mort pour la sauvegarde de l’humanité flamboyante, mes jeunes amis, sans esprit de sacrifice , l’homme digne ne peut mériter de vivre, s’il a choisi de ne plus se reproduire et de  laisser régner les hordes barbares , hé bien, il devra faire face à une extermination qu’il aura lui même programmée et les hommes comme moi auront disparu depuis longtemps mais leurs fils et petits fils auront un dernier combat à livrer à moins qu’ils ne capitulent devant le nombre, la masse et le ventre des femmes des morlocks surgis des cloaques de ce monde destiné au Ragnarök , au Kali Yuga et à l’Apocalypse selon saint Jean dont un passage résume à la situation qui convient: Il investiront le camp des saints et seront aussi nombreux que les grains de sable de cette plage!

Ouch! Vous dire si je suis soufflé! Étant à l’époque à 22 ans assez inculte en matière socio-politique et surtout ne possédant aucune ossature doctrinaire de gauche comme de droite , voilà que j’entendais un discours aux antipodes des soupes pro gauchisantes que m’avaient servies 99% de mes professeurs de l’éducation nationale et ceci disserté par un ex adjudant de la légion étrangère………………………………

Alors que nous effectuons les derniers préparatifs et que j’équipe ma jeep au garage car je serai en tête de convoi avec le capitaine comme chef de bord, voilà que j’aperçois un

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escogriffe boitillant en ma direction: "Berthou, vieille crapule, tu pars jouer à la guerre froide à Baden?"

C’est Fernandez rapatrié sanitaire en urgence du Liban qui me saute au cou de joie : " Vieille salope, j’espérai jamais ne te revoir, tu t’en est fais ?"  , " Rien que ta frangine !" , "Vaut mieux ma sœur que ma mère, bien qu’elle ne soit pas mal non plus!" …….Après échanges d’effusions et de formules militaires vaseuses qui vont bien, Fernandez me conte le pourquoi de son retour anticipé, une putain de dysenterie amibienne qui n’en finit pas et me mets au parfum:

Le Liban, caporal, c’est pas ce que tu crois, la guerre qu’on y mène c’est pas la bonne, on aide les palestiniens et on empêche nos amis de civilisation chrétienne de remporter une victoire qui leur revenait de droit , tu te rends compte que déjà les paras et la légion qui nous avaient précédé les avaient sauvés en les faisant évacuer Beyrouth par le port, le Liban ne sera plus jamais comme avant alors qu’il était devenu un pays quasi prospère grâce à  la gouvernance chrétienne, désormais ce sera un foutoir perpétuel et nous casques bleus y sommes pour défendre des gens qui y sont venus en force s’y implanter, les palos accueillis à bras ouvert par un gouvernement libanais trop humaniste, les palos n’ont fait qu’y foutre le bordel et à réclamer des droits, toujours plus de droits et ce par leur population sans cesse croissante de par leur arrivée sans cesse stoppée et leur capacité démographique supérieure, la réaction de la population libanaise était saine mais trop tardive, certes ils se sont livrés à quelques exactions mais qui n’étaient que la  réaction face à une population venue s’imposer en force et intolérante, en fait les israéliens avaient viré de chez eux les éléments les pires et voulaient les"fourguer"aux libanais. Ces derniers avaient compris qu’ils avaient sur leur sol un peuple hostile et malheureusement s’étaient réveillés trop tard comme c’est souvent le cas dans l’histoire des peuples, comme les français en 1940. Laisse tomber, Berthou, n’y vas pas, toi qui dispose d’une assise géopolitique , tu ne supporteras pas de ne pas être du bon coté , K l’a compris aussi et sur qu’à son retour il ne va pas y repartir, il n’a pas envie d’une guerre d’Algérie bis!

Voilà qui me réconforte dans mon hésitation , j’avais jusqu’à présent évité d’approfondir l’analyse politique de l’intervention au Liban car je me doutais bien que si Israël n’y était guère favorable  c’est qu’elle arrangeait bien le monde arabo-musulman, depuis les grandes tirades que m’avait servi l’adjudant Mosamed sur la guerre d’Algérie, je m’étais plongé dans quelques bouquins et il me paraissait évident que depuis la grande crise pétrolière de 1973 les pays occidentaux très dépendant des pays arabes sur le plan des ressources énergétiques avaient sérieusement infléchi leurs politiques étrangères, j’avais même lu que des accords secrets avaient été passés , il apparaissait qu’il n’était plus question de défendre notre civilisation judéo-chrétienne mais au contraire de la brader pour pouvoir continuer à s’approvisionner en pétrole, en gros il s’agissait pour l’Europe d’accepter de subir une immigration massive de peuplement qui conduirait à terme à islamiser le continent européen , à le transformer en une Eurabia où la lutte des classes serait devenu obsolète car remplacée par des luttes inter-ethniques et inter religieuse.  Voilà qui arrangeait bien le grand patronnât et ses réseaux, l’introduction massive d’une main d’œuvre à bon marché ne pourrait que faire chuter son cout exorbitant en occident   comparé à celui du reste du monde. Le Liban constituant en quelque sorte une préfiguration de ce qui se passera en France et dans les autres pays avoisinants dans les années 2000, à l’heure où vous lisez ces lignes, vous comprenez pourquoi lorsque certains visionnaires nous mettaient en garde sur la libanisation de notre pays ils employaient ce terme. C’est très simple, il suffit d’observer comment se sont constituées en France des centaines de zones de non droit, il s’est passé la même chose au

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Liban à partir des années 60 ce qui a abouti à une guerre civile désastreuse qui a conduit un pays prospère à la guerre civile et à la ruine. Allez discuter avec un libanais émigré en France, il vous dira qu’il assiste en direct à la répétition de ce qu’il a vu dans son pays!

Mon vieux Fernandez, figure toi que ma décision était déjà quasi prise mais j’hésitais encore, ce que tu viens de me conter fait qu’elle est désormais irrévocable, je termine mes 18 mois et je retourne à la vie civile même si on m’envoie au PSO, j’en ai plus rien à péter, je vais faire ces putains de grande manœuvres en RFA et fin janvier , retour à Aurillac mon gars. Et crois moi que j’en ai gros sur la patate, le capitaine va m’atomiser et me traiter de lâche , je crois pas qu’il va être sensible à mes arguments socio-géopolitique civilisationnel  même si tu me dis qu’il se pose des questions!

Fernandez ravi car il est un idéaliste me conduit au foyer où nous allons terminer cette journée par une bonne cuite et nous ne pouvions pas faire autrement car comme il me rabâche sans arrêt: Compte  tenu des circonstances historiques , tu n’avais pas le choix, c’est le bon dieu qui t’a fait péter ta cheville pour que tu n’ailles pas trahir sa cause, le bon dieu , il aime pas les infidèles  et il guide les pas de ses ouailles vers le bon chemin!

Cette explication me convient très bien et je m’en contenterai donc.

Les grandes manœuvres en RFA

Me voilà conduisant cette jeep avec à mes cotés le glorieux descendant d’une lignée de la noblesse à cheval, le capitaine de 29 ans De Lamolardière, au cul j’ai une trentaine de camions et on doit rejoindre dans un 1er temps Verdun où est établi le glorieux 151e RI, on va les renforcer pour aller ensuite à Baden Baden, vous savez là où le général De Gaulle s’était réfugié en 1968 en hélicoptère pour demander conseil au général Massu devant la chienlit qui s’était instaurée , Massu, comme beaucoup de vrais chefs avait su trouver les mots pour revigorer notre vieux général dégoutté des français, ces veaux! Revenus gonflé à bloc, son discours à la radio, la manif réunissant 1 million de personnes, l’essence revenue, c’en était terminée de la gigantesque parthouze 68tarde que les vieux chefs communistes regardaient d’un bien sale œil et de fait les prolos n’avaient pas suivi les étudiants chevelus , des fils à papa qui n’ont jamais mis la main dans le cambouis, tous ils deviendront les notables que vous savez et prendront le pouvoir d’abord culturel puis réel, ils s’appellent Cohn Bendit, Gessmar, July et consort , leur mission actuelle est de remplacer le peuple qui n’a pas voulu suivre, comme disait Lénine: Le peuple ne veut pas faire la révolution, il faut dissoudre ce peuple!  C’est ce qui se passe actuellement avec l’introduction d’un nouveau lumpen prolétariat venu du tiers monde mais les choses ne semblent pas se passer comme prévu sinon que cela profite essentiellement au grand patronat grâce à cette introduction massive de main d’œuvre à bon marché qui a pour 1ere conséquence de faire baisser le cout du travail.

Donc en 1984 notre armée française "occupait " encore une portion du territoire de la république fédérale ouest allemande avec les américains et les britanniques, l’autre Allemagne, la république "démocratique", elle, était entièrement occupée par les soviétiques et leur effectif en hommes, en blindés et aussi en nombre de têtes nucléaires  étaient nettement en leur faveur malgré cela nous gardions toujours un net avantage sur le plan technologique, à l’époque le président US Ronald Reagan, un conservateur ancien acteur avait tenté le pari, plutôt que de se laisser enliser dans des successions d’accord SALT  qui ne conduisaient à rien de probant depuis la rencontre Nixon/Brejnev , de lancer un audacieux plan militaire intitulé par les médias " La guerre des étoiles" dont il savait que l’URSS en proie à

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l’implosion surtout depuis l’enlisement en Afghanistan ne pourrait suivre sans achever de ruiner un système déjà en faillite. Effectivement ce système fondé sur l’interception possible de fusées à ogive nucléaire à partir d’un réseau de satellites a semé un tel doute dans les états majors de l’URSS au moment crucial de troubles dans les pays de l’est  qu’il a conduit l’oligarchie  soviétique à placer un modéré dénommé Mickael Gorbatchev dont la politique conduira à accélérer un processus d’effondrement d’un système dont personne ne pensait qu’il aurait pu se casser la gueule aussi rapidement, comme quoi, nous pouvons garder espoir si l’on compare avec notre système technocratique eurocrate fondé sur la prétendue démocratie universelle que nos dirigeants prétendent imposer au monde entier.

Quelques années après mon service je suis allé effectuer un voyage en RDA en perpétrant un groupe de membres du PCF afin de me rendre compte par moi même de la situation réelle que vivaient nos frères européens sous le joug communiste. Cette aventure fera surement l’objet d’un 2e récit. Les 3 longs séjours que j’ai passés en Thuringe où j’ai pu retourner car j’y avais établi une liaison avec une superbe fille membre du politburo local, chef des pionniers, les jeunesses communistes de la RDA d’Erich Honnecker , m’ont permis de mesurer la réalité au quotidien de la vie de citoyen dans un régime totalitaire. La RDA étant le pays de l’est au niveau de vie le plus élevé, ce dernier restait minable en comparaison de celui que menaient les allemands de l’ouest, des le rideau de fer franchit, une dizaine de KM de contrôles devant des vopos armés de AK47 nous nous trouvions sur la continuité de la même autobahn  mais à la différence près que celle-ci était dans le même état qu’elle avait été construite dans les années 30 et avec des nids de poule et des voitures Traban (moteur 2 temps) en panne sur le bord. Cette histoire singulière me vaudra par la suite des ennuis avec nos services de sécurité intérieure car même si la France était sous régime socialiste, le père Mitterrand restait fidèle à l’alliance naturelle que la France avait souscrit avec le bloc de l’OTAN  d’ailleurs le vieux avait toujours détesté les communistes et ne s’en était servi que pour gagner les élections. Sur place je ne pouvais que constater la ruine et la désolation qu’un système totalitaire pouvait induire sur un peuple pourtant fort et plein de ressources, la RDA était un perpétuel chantier en ruine, les magasins étaient vides et leur vitrine aussi, chaque citoyen se promenait avec un cabas afin de profiter de la moindre occasion d’acheter au marché noir un morceau de viande ou des légumes, partout l’armée était présente. Un samedi soir où ma compagne m’avait emmené dans un bar à musique, les forces de l’ordre sont rentrés à minuit pile pour interrompre les festivités: Normal, normal, me disait elle!  A l’hôtel où j’étais assigné je fus un jour assailli par un groupe d’ouzbek qui encerclaient ma voiture, nous échangiâmes quelques propos dans un sabir approximatif et je compris que ces humbles personnes pourtant membres d’une délégation importante de leur république soviétique m’avaient pris pour l’ambassadeur de la France car j’avais une Opel corsa neuve noire avec un autocollant Bleu Blanc Rouge de la fédération française de karaté apposé à l’arrière , pour acquérir un véhicule semblable même en RDA il aurait fallu faire partie des hauts dignitaires et quand même attendre une dizaine d’année avant la livraison. Toujours est il que durant ces pérégrinations je pus constater la vaste militarisation du bloc de l’est, l’armée était partout et à vue de nez elle devait bien composer au moins 10% de la population, sans cesse les convois militaires défilaient occupant le réseau routier, les troupes russes étaient extrêmement présentes  et très mal vues par la population , lors d’une soirée dans un bar à touristes je fus pris à partie par deux officiers soviétiques furieux de voir une allemande en compagnie de ce qu’ils croyaient être un libyen….Effectivement, mon type latino, brun et frisé, et le fait que la RDA à l’époque était un refuge où venaient s’entrainer nombre de sympathisants de la cause palestinienne (dont un certain Carlos) avaient pu prêter à confusion, Evi Greiner ma copine du leur expliquer que je n’étais qu’un petit franzoshish en "échange culturel" .

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Cette digression était destinée à vous faire saisir le contexte et là je suis donc tête de convoi avec le capitaine, pas question de s’envoyer des bières en conduisant comme avec K, De Lamolardière m’assommait de questions, ce qui l’intéressait c’est que je sois  issu de la paysannerie car ce gars n’était sorti de son château que pour rejoindre Saint Cyr et il était content de commander  une compagnie constituée de bouseux, il en était pas moins respectueux me ressassant sans cesse que notre dernière grande victoire en 14/18 était due à cette populace de paysans déjà habitué à vivre à la dure et surtout à ne jamais se plaindre, lorsque je lui ai montré la photo de mon pater en guêtre en 1939 ça l’avait soufflé, il me disait: Mon cher caporal, vous voyez au fond, nous ne sommes pas si différents , nos aïeux respectifs ont combattu ensemble pour défendre la France à chaque fois qu’elle était en danger.

Je lui demandais ce qu’il pensait du système républicain qui avait dépouillé ses chers aïeux justement et s’il n’en ressentait pas un malaise de devoir lui et son illustre famille défendre la république plutôt que la France, faisant ainsi allusion à un article de Jean Raspail, la France trahie par la république.

Vous savez mon cher caporal Berthou, la République n’est qu’une forme de gouvernement qui ne me fait pas particulièrement bander mais notre France à nous, comme disait le général De Gaulle, elle est éternelle, c’est pour elle que ma dynastie s’est toujours battue, je ne la trahirai jamais mais voilà que nous arrivons au dépôt de munition du camp de la courtine où nous devons faire une halte et surtout remplir les camions de munitions , grenades, explosifs, roquettes et toutes cette sorte de choses. Le capitaine descend , donne ses ordres et m’amène boire un coup chez un troquet qu’il connait bien , c’est pas ce qui manque dans ce bled dont la seule activité commerciale tourne autour des activités militaires du camp. Le bistrot en question est tenu par un ancien sous officier du 1er RCP (régiment de chasseurs parachutistes) qui a bien connu le père au capitaine. Il nous rince à l’œil et nous faisons connaissance avec trois légionnaires du 1er REC venu en stage co , l’un d’entre un , un sergent qui doit quand même avoir la quarantaine m’aborde chaleureusement et me demande en lousdé si c’est pas de la tarte de se farcir un jeune blanc bec d’officier , que sa conversation ça doit plutôt me faire chier et patati patata, bref un de ces légionnaires comptant 15 ans et finissant simple sergent qui peut pas encadrer tous ces officiers sortis des grandes écoles, à un point que j’en viens à me demander si il va pas aller le provoquer juste pour voir, comme ça……

Tu parles, l’embrouille que c’est du spontané chez ce genre de légio de 40 piges, celui là d’origine ritale, le voilà qui interpelle mon officier d’une familiarité qu’aucun aurait jugée excessive: "Et toi le galonné des trouffions du 126e d’infanterie, approche un peu je vais te montrer quelque chose!"

De Lamolardiere ne s’offusque pas et garde son sang bleu froid tout en s’approchant lentement, le légionnaire sort discrètement de sa poche un petit bocal: " Mate un peu ce que tes profs de sciences naturelles de tes grandes écoles privées d’aristos ne t’ont jamais montré!"

A l’intérieur du bocal fermé hermétiquement comme ceux que l’on emploie pour faire des conserves, on voit baignant dans du formol un peu jauni ce qui semble ressembler à plusieurs paires d’oreilles de couleur noires: " C’est mon plus beau trophée ramené de mes 4 séjours au Tchad , les amis, je les ai moi même découpées sur des rebelles Toubous qui nous avaient tendu une embuscade! "

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Joli trophée répond le capitaine n’en pensant pas moins mais très désireux de ne montrer aucune répulsion afin d’éviter toute embrouille inutile et s’adressant à moi: " Allez caporal, filons nous avons de la route jusqu’à Verdun et la conduite de nuit en convoi même avec votre expérience devra se faire avec diligence et sureté "

De Lamolardiere dans la jeep, ça l’avait fait gamberger ce bocal à trophée Tchadien: C’est bidon ses oreilles trempées dans le formol, ce légionnaire, le soleil d’Afrique lui a tapé sur le ciboulot ou alors c’est un mythomane, depuis que j’ai intégré l’armée, vous pouvez pas savoir le nombre de provocations que je subis, normal, nous les jeunes officiers issus directement de l’école , faut toujours que ces vieux sous/off cherchent à nous en mettre plein la vue!

Je sentais bien qu’il était mal à l’aise, il était déjà capitaine sans avoir effectué aucune opération extérieure et étant issu , il éprouvait toutefois une sorte de complexe et je ne pus m’empêcher de lui balancer: Mon capitaine je pense qu’à votre âge vous aurez l’occasion d’aller vous frotter au merdier un jour ou l’autre et alors vous l’acquériez ce fameux regard au loin!

Que voulez vous dire, de quel regard parlez vous caporal, soyez plus explicite, je vous prie!

Heu, c’est ce que m’a expliqué le capitaine K et l’adjudant Apstein ainsi que certains de mes conscrits revenus du Liban, il s’agit en fait d’une attitude, d’une expérience du combat, le fait d’avoir vu des camarades les tripes à l’air ou toutes sortes d’atrocités qu’on ne peut observer ailleurs qu’à la guerre, cela a pour conséquence de faire en sorte que votre regard change, il n’est pas le même que celui qui est resté à la caserne, celui qui a fait du merdier un peu trop longtemps a ce regard, je crois moi même l’avoir constaté dans les yeux de ces anciens mon capitaine .

Je vois ce que vous voulez dire caporal mais vous même , vous étiez volontaire pour le Liban? Etait ce dans le but d’acquérir ce regard au loin? Dans ce cas, il va vous falloir faire une rallonge supplémentaire pour faire partie du prochain détachement qui doit partir en février sinon vous réintègrerez le civil avec votre simple petit regard qui n’atteint pas l’horizon , hahaha!

A ce jour, je suis dans le doute, mon capitaine car je trouve que notre intervention militaire ne va pas dans le sens d’une politique de civilisation qui devrait être la notre.

Ne seriez vous plutôt pas en train de vous dégonfler soldat, un militaire va là où les politiques l’envoient! Vous réfléchissez beaucoup trop, je comprends pourquoi vous ne vous êtes pas engagé , c’est ce que je reproche à notre armée de conscription trop politisée depuis mai 68 à gauche et pacifiste ou alors des cas comme le votre , des intellectuels Maurassiens qui échappent à leur devoir alors qu’ils sont pourtant très patriotes, je pense que nous devrons faire comme les autres, une armée de métier dont les soldats iront partout où on les enverra du moment que leur solde est multipliée par 2!

Effectivement c’est ce que nous constatons depuis la suppression du contingent, l’armée devenue professionnelle à 100% intervient sans rechigner et même en redemande des OPEX , que ce soit en Afghanistan pour casser du taliban sans que l’intérêt de la France y soit prouvée vu qu’il s’agit de lutter contre le "terrorisme" , la belle affaire, en Cote d’Ivoire où là notre pays compte beaucoup de ressortissant et actuellement au Mali où ça semble être du gâteau mais nombre de contacts militaires que j’ai gardés m’affirment que l’enlisement est possible

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car il se pourrait bien que nombre de djihadistes venus du monde entier pourraient affluer dans le massif montagneux du nord du pays et nous livrer une guerre à l’afghane . Je pourrai revenir sur la Bosnie et le Kosovo où nous somme allés aveuglément soutenir les forces islamiques de l’UCK contre nos frères chrétiens  serbes.

De Lamolardière avait raison, à force de me poser des questions, j’allais passer à coté d’une carrière militaire qui aurait pu être intéressante mais notre convoi arrive enfin à destination, Verdun cité historique de la bataille française la plus longue et massacrante , des jeunes comme nous dans les tranchées à se faire bouffer par les rats au milieux de milliers de cadavres, ils se sont sacrifiés pour que la jeunesse des années 2000 se goinfre de macdo  en regardant la star’ac affalés dans leur canapé, ils ont offert leur vie ou un membre de leur corps pour ce qu’il croyaient la sauvegarde de leur civilisation…..Mon cul, en face aussi, ils étaient de même civilisation , il s’agissait d’une vaste guerre civile européenne et elle se répètera en 39 et notre civilisation commune fondée sur l’héritage gréco-romain et le judéo-christianisme ne résistera pas à ces deux formidables déflagrations , nous le constatons en ce 21e siècle , le déclin semble inéluctable car nous avons perdu au cours de ces deux guerres la fine fleur , l’élite de notre "germen" et comme la nature a horreur du vide , notre vieux continent est submergé par des torrents de populations issues du tiers monde et en 1er lieu du monde de l’oumma dont il est écrit dans leur saint livre qu’il n’existe que deux terres, la terre des musulmans et celle de ceux à convertir!

Nous ne passons qu’une nuit  au 151e de Verdun, le temps de refaire les pleins et direction la RFA, à mon âge ayant très peu voyagé, j’ai l’impression passé la frontière de découvrir un autre monde, la base française n’est pas située très loin après mais une fois arrivé, quel choc pour moi, jamais vu autant d’effectif, de camions, de chars et pour ranger tout ça , une organisation impeccable même si ça nous prend du temps nous obtenons un résultat assez parfait.

Je reste avec le capitaine lui même mis aux ordres du colonel Chasteau commandant le 151e RI, ce qui fait que je me retrouve le soir entouré de tout plein d’huiles avec des tas de barrettes devant la poitrine, essentiellement des capitaines, commandant et colonels, vous dire si je me trouve mal à l’aise  mais je fait comme si, mon petit liseré jaune de caporal engagé (attribué pour la rallonge de 6 mois) fait que je ne suscite de leur part aucune animosité mais plutôt de la bienveillance. Si bien que le capitaine bien en chevilla avec certains de ces hauts gradés leur propose que je sois pris à l’état major pour effectuer les liaisons radio, intéressant comme boulot étant donné que cela devrait me permettre d’apprendre d’en haut comment s’effectue le commandement d’un tel barnum militarum mais par contre sur le plan physique , zéro et depuis que je suis sorti de l’hosto j’ai bien envie de me dérouiller les jambes et d’aller tirer quelques coups d’arquebuses. L’autre option étant que je rejoigne la 1ere section de ma chère unité qui elle devra crapahuter un max derrière un régiment de chars AMX30. Étant donné que c’est la dernière occasion pour moi  d’aller au carton, j’opte pour la 2e ce qui me permettra de retrouver certains de mes camarades. Je serai sous chef de section du chef Bridou un engagé avec qui j’ai eu juste temps de faire connaissance avant le départ , un qui vient du 21e RIMA et a fait partie des commandos de marine, 8 ans de service et une OPEX au Tchad d’où il a ramené quelques médailles et cicatrices.

Caporal, j’étais sur que vous préféreriez le terrain , dommage, j’aurai bien aimé que vous restiez avec moi, nous aurions pu parachever nos conversations.

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3 jours plus tard je suis héliporté pour rejoindre ma section en plein baroud, j’arrive le soir et c’est le soldat Glowacki du contingent 84/08 qui vient me chercher avec ma jeep: Vous tombez à pic caporal, la section est de combat de nuit, c’est un vrai merdier, on sait plus sur qui on tire et la plupart du temps c’est sur des camarades à nous, un vrai merdier ces manœuvres à vaste échelle, le sergent est une peau de vache mais il est réglo, il a besoin d’un second vu que le capo/chef  Batmane s’est blessé, heureusement qu’on tire à blanc, on est dans la boue car avec cette pluie automnale qui tombe depuis 1 semaine , même les chars s’embourbent, on est tous trempés jusqu’aux os et ça commence à cailler en Allemagne, même nos 2e et 3e treillis sont humides!

Le combat de nuit y a rien de mieux pour nous former, Apstein m’avait raconté qu’en Indochine, il n’était pas rare de se faire défourailler par nos propres camarades, il m’avait conté une anecdote croustillante où il couchait avec sa compagnie entière du 2e REP dans les rizières du Tonkin, la nuit venait de tomber brutalement comme c’est le cas sous les tropiques et leur capitaine qui avait reçu par radio l’ordre de décrocher avait refusé de bouger si bien que toute la Cie était restée immobile dans l’eau: Ouhai  dans l’eau, on est des soldats et on dormait dans l’eau , la tête reposant sur les digues puis vers 3h du matin ils ont entendu un bruit à même pas 20 m en face d’eux et ils ont balancé tout ce qu’ils avaient, la puissance de feu d’une Cie de paras c’était une dizaine de FM et plusieurs autres dizaines de PM, une puissance de feu considérable pour le Vietmin……..On a attendu le lever du jour et on a été au résultat et là il y avait toute une section de Viets qui étaient au tas, et le pire mon gars c’est que j’avais trouvé dans une sacoche d’un officier Viet une carte qui montrait qu’ils nous attendaient, ça te prouve comment cette putain de guerre était gangrénée par les communistes français qui ne se contentait pas de saboter les armes mais en plus renseignaient l’ennemi régulièrement.

Voilà pourquoi il est important de se préparer au carton de nuit, c’est ce que j’expliquais à mon chauffeur alors que nous arrivions à destination, le sergent impatient de me voir arriver:   Berthou , vous arrivez à point nommé, la section qu’on m’a filée compte des p’tits gars motivés mais totalement inexpérimentés dont les 3/4 n’ont même pas fait de stage commando, venez sous la tente voir la carte, voilà nous tenons ce bosquet et "les rouges" dont le rôle a été attribué à un régiment de Néerlandais nous encerclent de toutes parts, apparemment ils attendent le lever du jour pour passer à l’attaque, il est hors de question que la 1ere section de la 3e Cie du 126e RI soit mise hors course au bout de 3 jours de manœuvre, on aura l’air de quoi?

Pendant que Bridou me fait son topo , ça tombe des cordes et ça caille, je demande à aller voir les hommes sur le terrain pour me rendre compte dans quel état ils sont: Pas la peine, leur moral est au plus bas on a presque rien bouffer depuis 3 jours à part ingurgiter du nescafé et des barres énergétiques, chaque homme compte en moyenne 3 ou 4 h de sommeil!

Je me permets d’insister arguant du fait que je suis bien connu d’eux et que de me voir les rejoindre plutôt que d’être resté planqué à l’état major pourrait les regonfler un peu.

Vous vous prenez pour Jésus Christ ou le général Bigeard mon vieux mais bon, allez y rapidement comme vous êtes frais cela ne peux pas leur faire de mal, profitez en pour faire un état des munitions qui nous restent, je vous donne 2 heures, rompez!

Dans l’obscurité totale  d’une nuit sans lune avec ma petite lampe je traverse notre zone et m’ arête à chaque planque sous une putain de pluie glaciale , partout j’examine le situation et

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discute avec chaque chef de groupe, à chaque fois je suis stupéfait, je ne rencontre pas des bidasses appelés en manœuvre mais des soldats qui jouent leur rôle à fond, ils se croient à la guerre et j’ai envie de leur rappeler que les gaziers d’en face quand ils vont leur tomber dessus, ils vont pas les tuer ni les emprisonner dans un goulag en Russie. Le sergent les a motivés d’une force!!!! J’en reviens pas moi qui étais partis pour leur dire qu’en face, c’est à blanc qu’ils vont tirer comme nous d’ailleurs je préfère finalement fermer ma grande gueule, après tout, si les Soviets passent à l’attaque pour de vrai, ils auront au moins eu une préparation militaire d’une grande valeur physique et psychologique! Le caporal Degoul volontaire service long avec qui j’ai effectué un stage-co , je le vois tel un rambo dans la boue sombre, il a faim et est trempé comme une soupe mais il veut en découdre , c’est pas le cas de la majorité qui supportent plus le froid et la pluie incessante les rangers dans la merde jusqu’au genoux , en fait ils sont arrivés au point que connaissent ceux qui ont effectué ce genre d’exercice, ils sont tellement crevés qu’ils ne sentent plus la fatigue!

Je reviens sous la tente voir le sergent qui me fait un signe qui veut dire: T’as compris tète de nœud!

Fort Alamo sergent?

Affirmatif mon gars, t’as fais le décompte des munitions?

Nous avons de quoi les allumer sévère s’ils passent à l’assaut de plus les gars ont bien piégé la zone l’idéal serait de les pousser à les forcer à nous attaquer avant l’aube, on se rend pas et on en mets au tas un maximum avant qu’ils nous encercle!

J’aime ce discours me répond le sergent: mais t’as une idée qui pourrait les pousser à les faire sortir de leurs  casemates en bas?????

A part envoyer des volontaires leur balancer des grenades  de manière ciblée leur faisant croire à une attaque massive je vois pas mais vous sergent qui avez connu le merdier ?

C’était la vrai guerre garçon pas des manœuvres à la con où on compte les points, nous c’est les macchabées qu’on comptait, nous n’étions pas en situation de joueur d’échec , nos cerveaux étaient en mode survie, tu piges, tête d’œuf ? On fonctionnait à l’instinct, en chacun de nous il y a un guerrier qui sommeille et c’est pas des simulations qui le réveillent ce guerrier, voilà pourquoi j’en suis réduit à te demander des conseils, à un caporal qui cumule les journées de terrain de joujou pour ces empaffés de l’état major!

Donc je réessaye de contacter le QG pour obtenir un parachutage de munitions et ceux ci ne trouvent rien d’autre à me dire que ça fait partie de l’exercice, la section est censée tenir la position jusqu’à ce que les renforts arrivent, je leur demande de quel type de renforts il s’agit :  des blindés, des troupes aéroportées ou des biffins du 151e??? Vous verrez bien!

Bridou fume son cigare en regardant la carte, réfléchit trois minutes et ordonne: Je les emmerde, on scinde la section en 3, on laisse dans le bosquet 10 hommes sous le commandement du caporal Degoul avec les mortiers et 3 mitrailleuses, toi tu prends une douzaine de rombiers, moi l’autre douzaine et chacun de nous 2 descendons sur les ravins escarpés mais bien dans l’obscurité totale à fond la caisse sur ces positions là et là (Il me montre 2 points sur la carte qui correspondent à des positions tenues par les "rouges néerlandophones" ) Avec l’effet de surprise, on va peut être  être fait aux pattes mais on se

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sera bougés le cul. Va préparer tes gaziers , le signal sera 1 pt long, 2 pt courts à la lampe , fort Alamo dans 20 mn précises après on pourra aller réchauffer nos miches chez les Hollandais.

Le sergent en avait visiblement plein les rangers de cette flotte, je suis le seul à peu près sec et le fait qu’il décide de lui même de passer outre les ordres du QG me plait assez, et après tout c’est lui qui aura à rendre des compte, il risque pas la cours martiale, je vous rappelle amis lecteurs, qu’il s’agit de manœuvres et Bridou compte suffisamment de jours de merdier au Tchad pour qu’on lui cherche des noises, si en face notre attaque est enregistrée comme ayant causé des dégâts considérables qui en temps de guerre  aurait été établie comme une action déstabilisante  patati patata bref…….. la section s’en tirera avec les honneurs.

Je retourne donc auprès de mes 12 fantassins et je leur tiens le discours suivant: Vous avez 15 minutes pour vous préparer , FAMAS chargés, tous vos chargeurs , un max de grenades dans les poches jusqu’aux couilles , on attend le signal du sergent et on va descendre par le bosquet escarpé dans le noir complet, pas de cigarette allumée svp et on leur tombe sur le râble aux russkoffs même si ce sont des bataves déguisés!

Cela rechigne, murmure, ronchonne dans les rangs : Caporal, on va se faire cueillir comme une fleur et se faire arroser dru, on a aucune chance et puis d’après le capitaine on devait tenir la position jusqu’au renfort? ……Ordre du sergent, comme vous il en a plein le cul de rester sous la flotte et puis lui même me charge de vous rappeler qu’on n’est pas à la guerre pour de vrai, vous semblez l’avoir oublié , phénomène normal qui se produit chez le bidasse en manœuvre conditionné par le barnum militarum et l’excès de bromure qu’on vous fait ingurgiter tas de nazes!………Tout ce qu’on risque c’est de faire semblant d’être prisonnier, on sera au sec et on mangera chaud, on ira pas au goulag à Vladivostok!

Les voilà tout rassérénés, j’avais trouvé le bon speech, je vous rappelle amis lecteurs qui n’avez peut être pas connu ça mais quand on nous envoyait en OPEX ou en simple simulation pour une durée supérieure à un mois, la bouffe  était remplie d’un produit destiné à apaiser notre testostérone et chez certain ça produisait des effets secondaires surprenant qui surtout les empêchaient de réfléchir mais ça n’était pas important car comme me l’avait dit K, ici faut pas trop penser, ça rend fou! Pour ça que là je me retrouvais face à de braves gars qui avaient fini par oublier qu’on faisait semblant, que nos balles n’envoyaient pas de projectiles et nos grenades n’aspergeaient que du plâtre blanc.

Donc le signal bien reçu nous nous glissâmes dans cette descente rocailleuse en pleine obscurité et que ça se casse la gueule dans tous les branchages, et que ça s’enfonce dans la boue sombre en plus en faisant un raffut pas possible que c’est même pas la peine d’en rajouter par des beuglantes intempestives alors je continue sans m’arrêter tout juste en faisant un comptage régulier afin de vérifier que j’en perde pas un en route jusqu’à ce qu’on arrive face à l’objectif ennemi.

Au bout d’une heure de marche à tâtons , nous arrivâmes dans un champ , imprévu sur la carte, bordel, nous devrions être dans une foret ! Couchez vous, fermez vos gueules!  que je leur dis et on va ramper dans ce pré imbibé de flotte alors que le déluge glacial retombe sur nos carcasses pour rejoindre plein est un campement où devraient être en train de ronfler nos ennemis.

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On y arrive à ce campement car plus on se rapproche et plus on entend des conversations en on ne sait quelle langue donc ça doit être les bataves/russes en question. On se réfugie dans les taillis sans avoir rencontré un seul garde? Qu’est ce t’en penses caporal ? Rien du tout! Amène les jumelles infra et visionne moi ce capharnaüm où ça discutaille comme à un loto-quine !

Je distingue 4 types , une tente avec une radio, pas de véhicules, c’est ça la compagnie censée nous encercler? Me répond le 1ere classe Fontanille en me précisant qu’il n’arrive pas distinguer la couleur du fanion ou de leurs brassards, je réfléchis même pas : " A mon signal , on leur tombe dessus les gars, c’est du tout cuit, ça doit être des éclaireurs avancés trop prés" L’effet de surprise est total  : "Haut les mains!" Was ist das?, Franzoschish?

Des teutons de la nouvelle Wermacht de la république fédérale allemande et bien démocratique celle-là!……………… Je connais quelques bribes de fritz et arrive à engager la conversation avec un sous/off qui m’explique et je le constate de visu à son brassard qu’il est dans notre camp et que dans le coin et sur des dizaines de km2 il n’y a que des troupes du camp de l’ouest et quand je lui raconte notre mission celui là part dans un grand éclat de rire en me spécifiant que notre objectif , les troupes simulant celle du pacte de Varsovie les plus proches sont à 40 bornes à l’est car eux et les ricains les ont repoussées depuis plus de trois jours! Heureusement que le ridicule ne tue plus de nos jours et surtout depuis juin 40 car les 4 allemands bien au sec sous leur tente n’en peuvent plus de se marrer de nous voir immaculés de boue et imbibé de leur pluie acide tombant dans cette putain de foret noire. Je contacte le sergent Bridou, lui indique notre position en l’invitant à nous rejoindre pour qu’il puisse profiter du café chaud et des couvertures sèches que nos alliés nous fourbissent de bon cœur .

La suite? Bridou d’abord furieux de l’incompétence de notre état major qui nous fait passer de nouveau  pour des branques des troupes de Weygand de 40 puis le sous/off deutsh qui nous sort des bouteilles de schnaps et qui en remplit nos quarts , le reste de la nuit est une vaste scène de la réconciliation franco-allemande avec des échanges amicaux d’insignes et quelques blagues de bidasse du style : " Comment fou dite en vrançais , gross éreczionne, ach afoir le braquemart?" …"Avoir la gaule" que je lui réponds……."Ach, ya, afoir De Gaulle, très amusant! prosit" . Le herr oberst, l’offizier, un dénommé Helmut Brandenburg , je lis son blase sur sa bande patro , il éclate, s’étrangle.." avoir De Gaulle!"…il refait le geste de l’avant bras , tout de suite, il a déformé le mot . C’était pas du tout dans mes intentions….l’offense au général. Et en même temps, qu’est ce qu’il s’envoie l’Helmut que ça m’a l’air d’un joyeux drille et de s’adresser à moi vu que j’aligne 3 ou 4 mots de germanique: "Ach, meine vater ….dans la Wermacht aussi, campagne de Russie….Stalingrad, prisonnier des Yvans"….. fait partie de ceux revenus par miracle en 1949 après 6 ans de goulag……revenu unijambiste son père , je lui rétorque amicalement que le mien a passé 5 ans aussi dans un stalag mais le Helmut , il me tape dans le dos: " Ach, la guerre, gross malheur , heureusement, terminé tout ça!"  Il a raison vu qu’on est tous là nous les jeunes européens à jouer à la guéguerre ensemble , à tirailler à blanc, à comparer nos armes et nos véhicules , mais en face , ce sont d’autres européens aussi qui sont censés nous envahir pour la 3e dont on n’a pas plus de raison qu’elle risque d’être moins massacrante que les précédentes , peut être un peu plus courte avec l’attirail nucléaire, la dissuasion plutôt  qui fait qu’elle tarde à venir et que même à l’heure où j’écris ces lignes , on l’attend encore, même on n’y croit plus en une troisième , les journalistes écrivent d’ailleurs qu’elle a eu lieu puisqu’ils parlent de l’attente de la 4e guerre mondiale………..ça se voit qu’ils n’ont pas vécu et même qu’ils ne sont pas des enfants d’anciens combattants car comparer la guerre froide à une des 2 guerres la précédent  ça ferait

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grimacer les générations ayant vécu ces horreurs, une guerre mondiale se compte d’abord en millions de morts, la guerre froide l’est restée en raison de cette arithmétique simple!

Après moult prosits , le coma suivi d’un réveil brutal à……..l’infirmerie de…… campagne……. » Putain , mais t’es pas fou d’avoir lancé un défi ! A la descente tu risquais pas de le suivre l’Helmut, là l’Allemagne même amputée de la Prusse elle t’a mis minable «  Bridou se marrait même plus car le capitaine lui avait passé un savon de première.

…………..Suite et fin très bientôt fidèles lecteurs

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