Spiritualité n°5 (Avril 1945)

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    8' anne. 15 avr il 1945 N* 5.

    SP IRIT U A L IT (revue mensuelle de culture humaine,

    fo nde en 1936, sous le litr e " Etre L ibre ")

    Science, Religion, PhilosophieFondateur : Iwan KHOWSK Y

    Directeur : Rdacteur en chef : R. LINSSEN

    J EAN PYCK , 11, rue Anoul, Correspondance et manuscrits :Lxelles- Brux. - T l. : 12.93.81 Bote Postale 827Compte Chques P. 3374.47 Bruxelles - Centre

    SOMMAIRE

    Mes Souvenir s sur B r an ly .........................

    Charles M or gan (L'Art et l'U nit del'Esprit) ..........................................

    Considrations sur le R y thm e .........

    Vers l 'U n i t ............................................

    Quelques aperus sur la richesse de ladcouverte de soi ...................

    Unilas ....................................................

    Spiritualit et libre pense ...........

    Prvisions astrologiques ...................

    L 'ge d'or ............................................

    Ltat de connaissance vritable ...

    Henri J. Proumen.

    Serge Y oung.

    Eisa Schools.

    M adeleine Greffier.

    Serge Brisy.

    A ndr M iguel.

    Ram Linssen.

    Le Blier.

    Charles Lambert.

    Ram Dayalshanti Ghse.

    P RIX : 15 francs lo numro.

    120 francs labonnement annuel-

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    Mes souvenirs sur Branlypar Henri-Jacques Proumen

    Edouard Branly qui mourut, presque centenaire, en 1940, naimaitpas la T . S. F. Lorsque les mugissements dun poste de radio, enjambantles murs, cabriolant par- dessus les toits et, bravant les consignes, venaientvriller les tympans du grand physicien, il s'criait, lil malicieux :

    Et on prtend que cest moi qui ai cr cela !!!

    Il avait conu de longue main la porte immense de sa dcouverte.Il savait les services que lmission et la captation des ondes lectromagntiques rendraient l'humanit. Dans ce progrs, i l ne rprouvaitque l excs, la musique ngre mise en bote puis dverse en trombeaux heures de recueillement, les truismes creux des bavards impnitents.

    Mais qui donc enseignera aux hommes la juste mesure, apanage de laseule sagesse ?

    T out a t dit au sujet de la dcouverte de Branly. Il fut vraimentle premier raliser la fermeture distance dun circuit lectrique, sousl influence rayonnante de ltincelle d un condensateur ; le premier aussi quoi qu'en pensent beaucoup de gens qui attribuent cette cration Marconi exalter la porte dune tincelle dmission par uneantenne relie une des branches de l clateur, au poste dmission.Mais Edouard Branly tait le plus modeste des hommes. La premirefois que je le rencontrai, comme je lui tmoignais mon admiration, ilme rpondit, en haussant les paules :

    J ai montr que la rsistance dun radioconducteur est diffrentedune rsistance invariable. T out simplement !

    Il faisait allusion son tube limaille mtallique dont la conductibilit crot sous linfluence des ondes hertziennes ; cet il lectrique de la premire heure sans lequel la T . S. F. naurait pu tredcouverte. Ce tube, Branly lavait nomm radioconducteur . ilsouffrait assez impatiemment que la plupart des physiciens l appelassent cohreur .

    - Ce terme est impropre ! me dit- il. Et puis, pourquoi dbaptiserce petit appareil: que j ai cr ?

    Ceci se passait en 1912. J tais, cette poque, un jeune professeurqumerveillaient les rcentes conqutes de la science, les thories hardiesqui se faisaient jour et sapaient les fondements du savoir humaih et

    jusquaux bases de la philosophie. (Jai gard pour la physique un gottrs vif que nont mouss aucun moment ni ma passion pour la littrature ni mon penchant pour les uvres de limagination qui, dailleurs,selon Anatole France, assemble et compare et hante, en raison mmede ses sductions, les hommes de science au mme titre que les romanciers ; je parle surtout des btisseurs d thories , de ceux qui, lalumire des faits nouvellement acquis, construisent hardiment htive

    ment parfois des difices dont ils connaissent aujourdhui la valeurrelative et linstabilit. J 'avais publi trois volumes sur les champs nouveaux de la physique et Gustave le Bon, qui men avait fait l loge^mhonorait de son amiti et mencourageait de ses conseils.

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    Il faut aller voir Branly ! me dit- l un jour.

    L'illustre auteur de L Evolution de la matire passait, cettepoque, pour un rvolutionnaire scientifique et les reprsentants de ,1ascience officielle se livraient, autour de ses travaux, une sorte de conju

    ration du silence qui l exasprait. Gustave le Bon se flattait d'avoirengag Branly poser, lInstitut, sa candidature contre Madame Curie,dans tout lclat dune gloire que nul ne lui contestait. C est que le prede la T . S. F. ntait pas, lui non plus, un officiel et quill avait, commele Bon, souffert de plus dune injustice. Les deux hommes staient lisdamiti et mme avaient effectu en commun des travaux dont le Bonfait mention dans son clbre ouvrage sur L Evolution des forces .

    Je suivis le conseil de mon minent ami. Je pntrai un jour sousles votes sombres de lInstitut catholique, j'allai voir le savant dans sonlaboratoire si jose donner ce nom la salle exigu dans laquelle iltravaillait.

    Il me reut avec une grce charmante, me montra ses tubes limaille,son matriel d'une vtust qui m'mut. Il n'tait pas, cette poque, untablissement d'enseignement secondaire qui ne possdt, chez nous, uncabinet de physique mieux quip que ce repaire aux meubles vieillots,aux instruments suranns. Comme je me rcriais contre pareille misre, legrand savant eut un sourire :

    - Pour faire quelque chose dutile, il nest point besoin de possderun luxueux matriel, me rpondit- il. Il faut de la volont, beaucoup devolont... Il faut aussi chercher du nouveau, toujours...

    Qelle admirable leon dhumilit, dopinitret, de foi dans ,leffort !

    Branly, pourtant, passa toute sa vie ou peu sen faut - dsirerun laboratoire, modeste, sentend, mais qui runt au moins les appareilsessentiels. Car il faut, pour beaucoup de recherches, des instruments demesure prcis, que lon ne peut fabriquer soi- mme, ft- on pass matredans lart de bricoler .

    La guerre vint, puis l'aprs- guerre, avec son tourbillon de tourmentset dincertitudes. Je ne revis le professeur Branly quen 1934. I l avaitquatre- vingt- dix ans !

    Cette fois, ce fut rue dAssas quil me reut, dans un pavillon toutneuf dont les grandes baies souvraient sur un vaste jardin. Le Matreposa tout de suite sur mon visage le regard aigu de ses yeux de myope.

    Je lui rappelai mes visites, notre correspondance.

    Oh ! je me souviens trs bien, me dit- il. V ous mavez vu autrefoisdans un trs vieux btiment, au milieu de pauvres appareils. A prsent,j ai un laboratoire !

    Il me fit lhonneur de ses nouveaux locaux, quil devait la munificence de Coty. Il me montra ses accumulateurs, ses galvanomtres et laplade de ses instruments de prcision. Sa figure resplendissait dune

    joie juvnile.

    Vous voyez, reprit- il, je suis combl ! Je vais enfin pouvoir

    travailler !

    Puis, dun air mystrieux, il me poussa vers une vaste salle dont ilreferma la porte avec soin.

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    Ceci, souffla- t- il, est unique. Nous sommes, cher monsieur, dansane immense cage de Faraday. Voyez : le parquet, les murs, le plafondsont entirement bards de tles de cuivre rouge !

    Il mexpliqua que cette trange pice, dont la porte et les volets

    des hublots ralisaient des fermetures hermtiques, tait strictement mise la terre par de gros cbles relis des plaques mtalliques. T out, lintrieur de cette cage de Faraday, est strictement l 'abri des inductionlectriques extrieures. L a foudre vnt- elle la frapper, un lectromtreintrieur ne montrerait pas le moindre tressaillement.

    J eus le bonheur de revoir deux ou trois fois encore l'illustre savant.Il me narra un jour comment, docteur s sciences physiques et professeurmaigrement rtribu, il avait tudi la mdecine afin de subvenir auxbesoins de sa famille. Quon songe au labeur crasant de ce grand homme !Ses cours, ses travaux scientifiques, puis, chaque jour, sa consultation ! Celle- ci termine, bien vite, le savant se replongeait dans lesilence de son laboratoire !

    La dernire fois que je le rencontrai, il me montra avec fiert desthermomtres ampoule de nickel.

    L ampoule de verre, massura- t- il, empche le mercure de semettre rapidement en quilibre de temprature avec le milieu ambiant :le verre est mauvais conducteur du calorique. Avec l ampoule de nickel,au contraire, lquilibre stablit en quelques instants.

    T rs logique ! Il mexpliqua toute la difficult qu'on prouve souder le tube de verre la cuvette mtallique. Son esprit tait sans cesseen veil. Comme je mextasiais sur son extraordinaire verdeur, il eut un

    sourire amus :

    C'est bien simple, me dit- il. Il faut manger peu ; pas trop de sel,pas trop de sucre. Et fuir les foules ! Pour ma part, dans ce grand Paris,

    je me suis toujours isol autant que possible. Le thtre, le cinma ? Jemen suis presque compltement pass. Je nassiste mme que rarementaux sances de l Institut ! Et voyez, je respire l air de ce jardin I

    Dans la rue dAssas, dans le houleux quartier des Ecoles, le laboratoire du savant semblait une oasis de paix, de calme, de srnit...

    Edouard Branly n'a pas seulement dot lhumanit dune prodigieusedcouverte. Il lui a enseign la simplicit, la confiance en soi, la foi en ladestine, quand le travail se poursuit sans relche, tous les jours, chaqueheure du jour !

    La haute leon quil a donne aux hommes ne peut manquer deporter ses fruits chez tous ceux qui, dans ces heures troubles, considrentcomme sacrs les droits souverains de la pense et la recherche de lavrit !

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    Charles MorganL'Art e l'Unit de l'Esprit

    par Serge YOUNGNous allons tenter de rsoudre un des problmes les plus

    captivants et sans doute un des plus primordiaux de la vie cratrice.J entends : les rapports de lart davec lUnit de lesprit. A prononcer cesdeux mots pesants de mystre et de signification, art et unit de l'esprit,nous ouvrons deux galeries illimites sous nos pas dont nous allons voirensemble le prodigieux enmlement, lblouissante complicit.

    Nous nous doutons bien que l unit de lesprit est plus ou moinsprsente la source de toute cration, en ce sens que la concentrationau sein de laquelle les formes, les sons, les images, les verbes se fcon

    dent est une certaine forme de cette unit. Mais nous allons nous vertuer claircir que son activit et son emploi ne sont point limits cetinstant et quelle embrasse au contraire toute lactivit dans l ordre dela cration, quelle la dpasse mme, la surpasse, quelle est indpendante par son chelle dimportance. Nous arriverons mme conclure et cest notre but, notre solution que l unit de lesprit nest paslauxiliaire de lart, mais que lart est un certain fruit de lunit delesprit.

    Partant dune croyance en un art autonome, nous viendrons affirmer une certitude inverse qui fera de lui non plus un crateur mais un

    scripteur de l activit spiritelle.Or, en un temps o la recherche d'un sens et dune direction sont

    choses vitales pour l art, je vous demande de pressentir les horizonsinsouponns que contient cet angle de vue.

    La thorie que je me propose de vous soumettre se heurtera peut-tre aux vtres et vous sentirez certaines erreurs qui mchappent. Mais,je rpte (que des solutions propres transcender lart sont urgentes,quaucune nest ddaigner et que tous nous devons nous astreindre cette inspection que dans ;le domaine strictement littraire. M . LouisA RA G ON dfinit, avec une certaine petitesse, comme tant une revalorisation des mots.

    Plus que jamais, il est ncessaire quau sujet de l art nous sachions quoi nous en tenir. Nous dsirons nous appuyer sur une significationtotale, une ide, une prhension exacte, je ne veux pas dire raliste. Ilexiste une ralit suprieure comme il existe une infrieure. Si lhomme,par exemple, est un tre volu dont la nuit de l espce remonte desespces infrieures, l homme est aussi celui- l que Dieu a cr danslEden et auquel il a remis son me. T oute vrit est double tage. Ornous ne pouvons plus nous offrir le luxe des exactitudes infrieures.Nous avons faim et soif et volont dexactitudes suprieures. Le tempsdes dilettantes, des essayistes, en un mot le temps de lamateur cette

    ngation du tragique de quelque chose ne peut plus tre le ntre !Alors demanderez- vous quelle peut tre l image prcise de l art ?Une chose est certaine, lart pour lart est une teirrible erreur dont nousne voulons plus supporter les consquences. L art, croyez- le, nest jamais

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    son propre but. Il n'est ni termin, ni limit, ni couronn en lui- mme.L art a son printemps et son automne l extrieur de lui- mme. I l nestpoint l essence prcieuse que lon extrait de l arbre spirituel, mais bienplutt la fleur de cet arbre, comme un tmoignage des saisons et des

    tapes qui le traversent.L art est le repre et le commentaire des phases successives de

    notre aventure spirituelle. Et les uvres dont il est prodigue sont lesreflets plus ou moins parfaits, plus ou moins loquents de cette ralitcomplexe et. souterraine qui est la comdie de Dieu que lme, dansl arbre de la chair, joue sur le thtre du Monde.

    L on a dit trs justement que lhomme tait lieu et instant o seconcentrent et seffleurent l'ternel et le temporel. Si la prire, cettecration de la mystique, est un appel du temporel la visitation delternel, l'art dessine le chemin inverse qui est l ternel se confiant autemporel. Ceci pourrait peut- tre rejoindre les remarques profondes que

    nous offre Daniel ROP S, ce quteur de la Prsence, dans O passentles Anges . Art et mystique ont cela, des degrs diffrents, de semblable qu'ils sont la transcendance de la Cration. La prire est legeste de lhumain vers la dsaltration des sources du divin, tandis que l art est la cascade de lternel sur les soifs du temporel. L une etlautre nont existence quen fonction dune troisime : L U N IT E DELESPRIT .

    Cet assemblement, ce compromis de chacune avec les autres, cetteinter- dpendance, nul ne la mieux exprim que cet crivain Britannique : CH A RL E S M ORGA N .

    Sans doute, je viens daffirmer quun premier regard suffit dcou

    vrir que tout art est la notation de cette communion. Mais, dans lamajorit des cas, cette communion stablit surtout dans le crateur,dans celui qui cherche les formes, les sons et les verbes, dans celui quivit l unit de lesprit comme une graine qui germe, qui libre son fruit lautomne dune tape spirituelle. Aucune uvre ne conserve autantles traces, les accidents, les desseins secrets de cette germination queles romans de Charles M ORG A N et cest en cela que rside leur profondeoriginalit. Si lunit de lesprit se dessine et saperoit plus ou moinsdans chaque cration, dans celles de notre romancier, non contente desaffirmer par instant, cette unit est le noyau et lintrt de toutel uvre.

    F ON T A IN E et SP A RK E N BROK E , comme lont fait trs justement remarquer M M . Louis B ON N ROT et Charles du BOS, sont lesplus tonnantes auto- biographies, parce quelles sont des auto- biographies spirituelles. C est- - dire quelles ne sont point limites au rcitdune aventure terrestre, mais quelles sollicitent le vcu dun exposplus essentiel, celui de la vie que tous nous menons paralllement notreexistence charnelle.

    Nous verrons plus loin dans quelle mesure ces ouvrages sont degrandes uvres et dans quelle autre des checs sur un plan qui n'estpoint le ntre et o l chec na pas les couleurs de la dfaite.

    Nous navons point lambition de nous plonger dans ces pages

    touffues, riches et pesantes et de les dissquer ,1a lumire dune quelconque critique. Nous croyons quil ny a pas de plus bel hommage rendre au pote du Portrait dans un M iroir que de ne point sous-estimer le problme quil na cess de se poser et de l'claircir dans la

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    mesure de nos humbles moyens. A cet effet, il nous faut remonter trsloin, infiniment loin, puisque cest lEden que je vous demande deremonter i

    La Bible, ce dialogue de la sagesse humaine et de la sagessedivine, nous raconte comment lhomme et la femme, Adam et Eve, furent

    chasss de l Eden, comme dira M IL T ON , sur leur route solitaire .Ce rcit est sans conteste le plus fructueux, le plus admirable symbole,de la condition humaine.

    La pointe de feu dune pe d'ange les chasse tout jamais. Atout jamais ? Non ! Puisque leur premier pas la sortie de lEden estdj un pas vers l'Eden. Et toute notre vie nest que la rptitioninlassable de ce pas en avant, de ce pas en arrire, de ce pas daller, dece pas de retour, de ce pas vers et contre lexil que M ICHE L - A N GEa fix pour nous dans les ciels de la S IXT IN E . Voyez notre existence : lanaissance et la sortie de l Eden. La vie, le voyage vers lEden et lepremier pas est bien le premier pas du retour... La connaissance hu

    maine, toutes les connaissances humaines nont pas dautres significations, me suis- je permis de dire ailleurs que les notations de plus enplus scrupuleuses et perspicaces de l'aventure de l homme vers sonDieu !

    B A U DE L A IRE l'entendait bien ainsi qui disait : La vraie civilisation nest pas dans le gaz, ni dans la roue, ni dans les tables tournantes. Elle est dans la diminution des traces du pch originel .

    J usqu ce jour l humanit semble bien engage dans une action contraire. Elle veille multiplier et diffuser ces traces qui sont l'loigne-ment et labsence de Dieu. Si le PA RA CE L SE de Richard B R O W N IN G est celui qui cherchait faire la preuve de son me , lhomme

    moderne est celui- l qui cherche faire la preuve de son corps.Pour moi, l aventure humaine reste le voyage du retour !La rvlation de l Arbre de la Science du Bien et du Mal, cest

    la lumire des corps. C est la nuit des corps. La nudit dAdam et Eve,conue par eux- mmes aprs la consommation du pch, cest le renversement des valeurs et la robe aveuglante de la matire coule surl esprit. Entendons- nous, la chair, outre la splendeur dont elle estpare, est loutil et le vhicule du voyage terrestre ; par l- mme il nes'agit pas de la nier. Mais ce qui est redoutable, cest la conscience ducorps en tant que dsolidaris de l me et vivant de ses propres fins(ou faims).

    Le pch originel fait du couple le prisonnier, dsormais, de saralit extrieure. L me est enferme, qui est lintrieur ; billonnecette sur de l'Eden qui cherche sa sur. T oute lhumanit,derrire Adam et Eve, dcoule consciemment ou non de cette obscurit.

    C est parce que rien ne sachve ici- bas que laventure des pasde lhomme est une aventure de retour. Les deux portes extrmes la naissance et l mort ont cela de commun quelles ferment et ouvrentsur la mme ralit. De l une l autre sinscrit la courbe de notre destine individuelle.

    N y a- t- il aucune brisure, aucune fuite, aucun raccourci etnulle complicit dans cette solitude de soi devant soi- mme ?

    Aucun si lme est oublie ! L me, cet extrait, ce lieu o la souvenance est une existence relle, ce fragment en notre sein qui est la

    . *:.-rS

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    fois tous les temps du possible et le pass et le futur, cest- - direlternel prsent reli par son cordon ombilical au trfonds de nous- mme Dieu dont elle est un visage de sa continuit. Se souvenir d'elle, cestcesser dtre en exil.

    Or l me nest en exil que dans la pense humaine. C est l hommequi provoque et qui se justifie la division. C est la solitude de la chair

    'que lui suggre l illusion de la solitude universelle. C est la connaissanceet l entrechat des sensations et des constructions de lintellect et du moiqui lui donnent l impression dtre dsolidaris dun ensemble auquelil ne peut chapper en fait. Il est ce prisonnier qui sest construit lui-mme sa prison.

    L'exil de l Eden se suspend, la sparation d'avec l univers svanouitlorsque lesprit, dpassant la matire, rejoint l Espr it L'homme est unisol dans la mesure o il imprime silence son me. Voici, donc quelEden est notre porte et que cette porte est en nous- mme. Voicidonc quil nest pas par del la mort, mais tendu comme un flanc lelong de notre course et quil ne tient qu nous de nous rchauffercontre lui. Voici quil est visible linstant mme o la chair, en tantquimbrique dans la continuit matrielle, est franchie, quelle nestplus quun vtement, quune dcence, qu'une provisoire identit glissesur lme pour en magnifier les uvres, quelque chose dont on se librequand viendra l heure. Car l Eden est la non- solitude, l'indivis, l imagination qui travaille grouper et non plus le raisonnement, qui sacharne diviser. L Eden, cest la batitude de la fraternit de toutes choses,un commun inaltrable, une fusion perptuelle.

    Ces dernires annes, la science a ratifi dune manire dcisivenotre humble intuition de base, confirm les systmes de nos penseurset l exprience de nos grands mystiques et de nos artistes en tant quaurgne, sous la multiplicit du monde sensible, dune unit fondamentale.Par quelque chose en elles, par une manire dtre de leur substance,les parties de l Univers sont troitement solidaires, plus que solidaires,elles sont identiques.

    L aventure spirituelle dont un des buts fut toujours de nier lasolitude humaine, se voit offrir ainsi une confirmation complmentaire ses propres certitudes. Dsormais, nous savons pouvoir participer desarbres, des terres, des vagues et des plus lointaines toiles. P A SCA L

    avait raison de dire : Mon esprance est du ct de mon attention .Il suffit de vouloir entendre et de prter cette attention. Il suffit derenverser lordre de la chair et de lesprit tel que nous lavons troplongtemps accept. Il suffit de rintgrer lme son sommet hirarchique.

    Alors donc, il existe quelque chose en nous qui dialogue aveclunivers tout entier. Et notre solitude que nous croyons sans voix nestquune solitude sans oreille. Quelque chose dtient le secret que nouscherchons en vain. E t il suffit d'couter, direz- vous ? Mais cela nestpas si simple. La chair de lhomme a pris une importance extrme.

    L homme est perdu dans cet uniyers des apparences quil a voulu tout prix, concevoir et approfondir. L homme qui se rue dans sa craintedtre seul, les bras ouverts, dans sa soif d'treindre les formes et lessurfaces, alors que seule en lui quelque chos'fe est l qui nest spar

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    de rien ! La vie des aspects laquelle il a donn crdit se boursouffleet l entoure, le retient prisonnier sans parvenir pntrer en lui. Il estaveugl par le temporel et le variable. Il se dispute avec des fantmesqui lui chappent. Il est semblable celui qui, cherchant la porte de

    sa cellule, lui tournerait le dos et se heurterait en vain au mur oppos.C est une leon et un itinraire pour rejoindre son essentiel dont

    le monde a besoin.Je dis que cette leon est l'U N IT E DE L ESPRIT .

    (A suivre.)

    Considration sur le Rythme

    Les lois du 'temps enfantent dans le domainede lart la Posie et la Musique. Le temps quidterminera la mesure, c*est le Rythme , critE. Helio.

    Donc, le Rythme, cest la division dans la dure ou relativitsagogiques.

    Mais cest aussi une vibration. Vibration dintensit fluctuantequilibre par le temps.

    Historiquement, lon peut prouver que le Rythme est le gnrateurde lart musical.

    De nombreuses reprsentations sur des difices gyptiens et assyriensnous montrent que les peuples de l Antiqiut eurent comme premiremanifestation musicale, la danse, qui est l extriorisation de linstinctrythmique. Ils en scandaient le rythme en battant des mains et, de l,ils vinrent lide de battre lun contre lautre des objets sonores (morceaux de bois, ossements danimaux) ce qui fut l'origine des premiersinstruments : instruments percussion, purement rythmiques.

    Le Rythme est ce besoin inn de notre nature qui nous porte rythmer l expression de nos sentiments aussitt que ceux- ci saffirment,sexasprent ou s'lvent.

    Ce penchant, qui chez les uns est vivace tandis que dautres ne le

    possdent qu l'tat latent, doit tre cultiv. L ducation doit singnier lveiller, le dvelopper. C est une partie de choix dans la formationintgrale de lindividu. Il tend l'quilibre et la discipline. On devraitsuivre en cela la leon de la magnifique civilisation de la Grce Antique.

    La callisthnie est le moyen tout indiqu. Par l excution des pasde danses et de marches, corrlation de mouvements et de rythmes biencaractrises, linstinct se dgagera en toute libert.

    A u point de vue strictement musical, le rythme est dune importancecapitale. Une premire condition dune bonne interprtation des intentions de l auteur est d'observer la mesure en toute prcision.

    Le systme de notation en usage permet au compositeur de noter,

    de limiter exactement chaque son.Chopin, dont on altre si frquemment le rythme, sous prtextede rubato, passait des heures et des heures chercher la valeur exacte de ce qui chantait en son tre. On se fait souvent une fausse ide du

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    rubato, qui est le rythme arrondi, comme fluidifi : la division dans ladure ne change pas, seul le rendement sonore est moins carr, moinsfrapp, dirais- je.

    En faisant abstraction de la substance mlodique de la phrase,l on Saisira le mieux lie ct rythmique ainsi reprsent en toute nudit.

    Le Rythme est la phrase musicale ce que le squelette est aucorps humain. Le squelette est la fois la forme et le support. Chairet os ne peuvent se passer l un de l autre pour constituer l tre etsubsister.

    Chaque manifestation de la V ie a son rythme spcifique. Remarquez, comment dans la mditation le rythme est lent, espac, dansle premier stade : la pense stationne et volue tour tour. Quand -par la loi de mcanisme mental qui fait que chaque ide approfondieamne une succession de nouvelles ides convergeant dans la mmeligne ou dcouvrant des horizons insouponns une lumire se faitqui donne la joie ou la tristesse, ou d'autres impressions le rythmesadaptera dabord la lumire, soit vibrations en notes plus ou moinsrapides, ensuite ltat dme qui en rsulte

    Je dis adapter, cest imprcis, puisque le rythme 'est chose inhrente ltat psychologique.

    Dans les lments de la nature aussi rside un Rythme dune grandelasticit ) le rythme absolu. On peut lobserver dans les flots de la mer,dans le souffle du vent.

    Ainsi le rythme est, la fois, le pouls de la Vie de l humanit etdes puissances parses dans lUnivers.

    Elza SCHOOLS.

    Vers l'Unil

    T oute recherche, quelle tende ses antennes vers la philosophie, ledomaine scientifique, psychologique ou religieux, amne l'homme lexaltante dcouverte de la mme vrit.

    La science nous mne jusquau bord dun abme o tout nest plusqunergie pure, lumire unique, dans une absence totale de diffrenciation.T out se rduit lUn et, avec joie, l on entrevoit le jour tout procheo enseigner la | science quivaudra rvler en dautres mots les vritsmillnaires qui nous viennent de lOrient,

    La V ie est une, et toute forme nest quune condensation de lEnergieunique. T oute diffrence entre les aspects innombrables que revt cetteV ie se rduit finalement comme nous le montre si clairement notreami Ram Linssen en ses articles et ses causeries de vulgarisation une question de chiffres : un nombre plus ou moins lev dlectronsdans la composition des atomes.

    Cette unit de base se retrouve galement dans le domaine psychologique : la mme Vie profonde meut tous les tres et sa libration constituele but de toutes les religions, car cette Essence commune nest autrechose que Dieu, ce Dieu omnipotent, omniprsent et omniscient dont tousles Initis ont proclam lexistence ternelle.

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    En fait, cette Energie, que dcouvre actuellement la science d'avant-garde, doit possder toute puissance, toute conscience et tout amour,puisquelle est toute chose et qu'en chaque chose elle est pur dynamisme.

    L tre est aimant, conscient, puissant, cest- - dire vivant, dans la

    mesure mme o il permet cette Force -universelle de se manifester.Sil emploie sa puissance dans un but goste, cet gosme mme estune limite au pouvoir de la V ie, parce quil 'cristallise en une formerestreinte sa force dexpansion, et tt ou tard il subit les effets d'unvritable choc en retour : ,1a force de V ie dtourne de son but dtruisantfinalement la forme qui tend lentraver. T moin la destruction pourainsi dire apocalyptique de l'Allemagne qui voit se retourner contre ellela titanesque explosion de puissance que son Fhrer dclencha sur lemonde.

    La vraie mission de tous les Instructeurs autour desquels se' sontformes ce quon appelle les religions, est invariablement de librer dans

    ltre humain le jaillissement de cette V ie quils appellent Dieu. Et cestpourquoi ils enseignent tous l'homme tuer lgosme, cette condensation de l'Energie en une forme dont les contours, btis dans linvisible,opposent leurs limites sa libre explosion.

    Chaque religion, chaque discipline spirituelle, chaque yoga propose ltre humain une voie libratrice dont le sommet est invariablementla victoire de 'l'Esprit, le triomphe de la Vie, de la Lumire, de l'Unit,et le moyen toujours identique en essence

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    l Energie divine, cest accepter dtre passif pour que Son dynamismepuisse trouver en nous un mode dexpression.

    Nul nest pius dynamique que ltre humain qui sacrifie Dieusa propre volont ; nul nest plus amoureux de la T otalit que l tredtach des formes quElle revt ; nul nest plus proche de la Lumireque celui qui accepte, par amour de la V ie, une totale obscurit en sapense personnelle ; car par ce renoncement tout mouvement humain,par cette perte de conscience en l ultime Conscience, l tre .permet l Energie profonde de spandre au dehors dans sa puret et sa simplicit.

    Et cest pour cette raison que les grands Instructeurs nous recommandent tous de faire confiance Dieu, dtre envers Lui, envers cetteV ie profonde, comme de petits enfants, de nous confier au jaillissementbienfaisant de Sa Grce, et ce par l unique moyen dune foi ardente,inbranlable en Sa puissance et Son omniprsence.

    Puisque la V ie divine est en nous tout amour, toute conscience ettout pouvoir, il nous suffit de Lui permettre une libre explosion par untotal effacement de nos limites, pour quen nous se rvle, ;0'bscurmentdabord puis d'une faon toujours plus lumineuse, lternelle Vrit, l ternelle joie dtre la Vie, dtre lAmour, la Force et la Lumire.

    Madeleine GR OF F IE R.

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    Quelques aperus sur la richessede la dcouverte de soi

    Les enseignements de tous les Sages convergent vers le mme but,quon le nomme libration, illumination, nirvna, etc., et cest la ralisation pleine et entire de lhumain.

    La difficult de l'accomplissement ne rside pas tant dans l'assimilation des mots que dans laction, car si les mots permettent uneconnaissance partielle et toute intellectuelle des ides exprimes, l action

    seule affirme la comprhension, par l exprience directe et qui doit tretotale.

    Keyserling a dit : Le savoir doit devenir le comprendre . T oute laralisation de lindividu se trouve en ces quelques paroles. T ant quenous n'arrivons pas vivre ce que nous aimons quand bien mmenous l exprimerions trs clairement d'autres, cest que nous navonspas compris. Nous nous sommes contents de mmoriser la connaissancedes autres et, par elle, avons bti des thories, peut- tre fort belles, maisqui manquent de la vritable vie intrieure, la seule qui fconde lapense et la traduit en actes.

    En vrit, nous nosons pas tre nous- mmes, sans doute parce que

    nous ne savons pas ce que nous sommes. Ce que nous voyonsi de nousest apparence et appartient au passager. Et si tout en (nous est mouvement, parce que tout est vie, trop souvent, nos prjugs1, nos traditions,nos croyances, nos conceptions, essaient dimmobiliser ce mouvement,afin datteindre une stabilit trompeuse qui nest que stagnation. Le

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    conflit douloureux et perptuel de l'homme contre ce quil croit treet sa ralisation durable, ternelle, a sa source dans l'incomprhensionde notre tre vritable. Nous nous identifions au' passager et essayonsdsesprment de le faire durer ; nous ngligeons ou ignorons l ternel,qui est la V ie elle- mme. Nous regrettons parfois de la voir passer si

    vite, nous tentons de ralentir son cours et nous brisons dans cette lutte,o nous narrivons manifester que notre impuissance. E t comme laplupart de nos aspirations, sinon toutes, ont pour objet la satisfaction du moi spar, goste, nous, nous heurtons la Loi inexorable des Effets et des Causes et nous meurtrissons sans cesse soncontact.

    Pourtant, par cette lutte mme, parce que la Vie nous entrane,malgr nous, dans son courant toujours renouvel, toujours neuf ettoujours vibrant, nous apprenons comprendre mieux linutilit de nosefforts. E t c'est alors que nous commenons questionner les causes,au lieu de rsister aux effets. Les causes nous apparaissent multiples,

    complexes et sment la confusion en nos esprits. La Vrit, fragmentepar notre ignorance, nous semble cruelle. Nous sommes tents de maudire une vie qui, travers nos limitations, ne recle quinjustices etdeuils. Notre rsistance change de forme. Nos luttes s'adressent auxpoints dinterrogation qui se posent et que nous narrivons pas lucider.Nous nous perdons dans les dtails et nous dtournons de la source.Nous tchons dviter la tourmente que soulvent nos pourquoi , touten continuant questionner ce qui nous entoure. Et nous ne nous rendons pas compte que la rponse nos pourquoi est prcisment cettetempte dont nous voulons nous vader.

    Questionner la Vie, cest se questionner soi- mme. C est questionner

    les ractions propres chaque individu. T ant que notre recherche setourne vers l extrieur, nous demeurons des paves, livres aux ventscontraires des influences. Mais ds que nous nous questionnons, ds quenous observons ce que la V ie fait surgir de notre tre, tous momentsde notre existence, nous communions avec lunique force cratrice del Univers, prenons contact avec la Ralit et comprenons que, si leseffets sont innombrables, la Cause est Une : la Vie.

    Que sommes- nous ?- Pourquoi vivons- nous ?' Comment ragissons- nous devant les expriences ? Que sont nos expriences actuelles ?

    Que dterminent- elles en nous ? Quveillent- elles en nous- mmes ?Les questions essentielles jaillissent. Et nous nous trouvons placs

    devant notre ralisation prsente, immdiate, cest- - dire devant ce quenous sommes, maintenant, avec toutes nos ignorances, tous nos mcontentements, toutes nos aspirations, tout notre dsir de comprendre mieux.Notre savoir nous parat vide, incomplet, nos mmorisations inadquates, nos ractions futiles... Et nous sentons quau- del du savoir ,profondment en nous- mmes, se cache quelque chose qui ne sedcrit pas, un divin qui doit sexprimer dans une 'action toujours plusspontane, toujours plus intuitive, toujours plus consciente. Ce divin en

    nous nous attire irrsistiblement, car, nos heures dextase, nous enralisons la joie et lharmonie. Cette joie inexprimable nous attire, nousfascine. E t si, au dbut, nous la cherchons encore dans les apparences

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    et visons reproduire en nous une joie prouve, plutt que de continuer creuser en nous- mmes, progressivement, nous pntrons dans uneralit plus tangible, plus merveilleuse et plus intense que tout ce qu'ilnous a t donn de ressentir : phases premires d un quilibre intrieur,

    qui est la pierre de touche de tout veil,Serge BRISY .

    Unilaspar Andr Miguel

    Notre continent a vu durant sa glorieuse histoire se drouler leshautes joutes de lesprit. La civilisation la plus noble, la plus raisonnablesest forme en son sein. La Grce de Platon illumine le monde depuisdeux millnaires et ne cesse de sy rpandre comme un soleil.

    Dans cette Europe tumultueuse o en mme temps que les conqurants se rencontrent les penseurs, le fleuve du christianisme a dpos unealluvion lgendaire de spir itualit., Le problme de la foi et de la raisonunit et divise les consciences de saint Augustin saint Bernard, deDenys L Aropagite saint T homas, de l'Ecole de Chartres Nicolasde Cuse. La pense chrtienne est charge des trsors du platonisme etdu no- platonisme. L Europe se fonde Bysance, Rome et Alexan

    drie. Le Moyen- Age est une poque de splendeur mystique et philosophique (1).

    La Renaissance mme na pu briser le flot spirituel qui jusqu cejour influence la destine de nos esprits. Cependant, elle opposa authocentrisme du Moyen- Age des hommes actifs pour lesquels raliservaut mieux que contempler. Lonard de V inci, peintre, savant et physicien, est le type de ce hros humaniste. Une re de crations artistiqueset scientifiques est ouverte. L homme moderne sy jette avec fougue.Il y gagnera sans doute des avantages matriels et spirituels mais audtriment de la belle srnit mystique du XII* sicle.

    Les grandes synthses intellectuelles du Moyen- Age sont abandonnes. La vision aristotlicienne du monde est dtruite jusque dans sonprincipe de causalit. La nature sloigne de Dieu et tend procurer l esprit un domaine indpendant de recherches. On na plus foi en lesadmirables thophanies qui conduisaient par les choses et les tres Dieu. Aussi, d une part, y a- t- il des Coppernic, des Galile, dautrepart des saint J ean de la Croix. Le savant ne se soucie gure de la religion et le mystique n'a cure de la science. Avec les sicles, la dualitsaccentue pour aboutir au positivisme et lidalisme modernes. Nous

    (1) Histoire de la philosophie de E. Brhier (A ican). T ome I : Moyen- Age et

    Renaissance.Le panorama de la pense du M. A . est bross de main de matre. Chef- duvre

    de clart, de prcision, dvocation, cette tude tmoigne de la matrise et de luniver-salitl du gnie franais dont lEurope ne peut se passer si elle veut tablir un nouvelordre de pens et daction.

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    connaissons des tentatives de conciliation. Elles eurent le dfaut dene pas engager toutes les ressources de notre conscience historique.Sacrifiant lintuition, la raison, la science, elles ne purent tablirlquilibre et la synthse qui composent les philosophies conqurantes.

    Notre dessein est de combler labme creus au XV I sicle entrela Nature et Dieu.

    Notre esprit ressuscite les vieilles notions de continuit, dunit,de totalit, enrichies par les dcouvertes grandioses de la science et parl'tude des mystiques et des philosophies orientales. Le rapprochementdes hommes, des nations, des arts et des religions est en germe dans laconscience universelle dune hirarchie des valeurs qui nen dlaisseaucune.

    Un lan immense de charit et dintelligence clorera de la connaissance que nous acqurons de nous- mmes et du monde.

    Je ne doute pas que nos forces qui depuis la Renaissance, poursuivent des chemins diffrents ne sallient et ne se fondent pour lebonheur de l humanit.

    * *

    L objectivisme scientifique, Bergson la dvelopp sa dernireconsquence.

    Le philosophe devient un sourcier qui peroit magiquement lesfontaines du rel. 11 ne s'avance plus la recherche d'une quationrationnelle grce la mthode ou lexprimentation ; il est un ascte,

    il purifie, il assouplit le sens de l immdiat qui est en lui, mais dont ilavait depuis longtemps perdu lusage. Nanmoins malgr la prfrencedonne l existentiel, l intuitionniste demeure un fanatique de lobjet. Lavrit, pense- t- il, rside toute entire dans le monde extrieur. Le mouvement de la vie sarrte et se satisfait ds quil a saisi lies essencesnaves. L art nest donc quune dcouverte et l artiste quun traducteur.Notre tche se limite percevoir puis transcrire. La valeur dune uvreou dune morale se mesure au degr de pntration auquel elle est parvenue.

    Cette doctrine doit tre considre comme le stade extrme o estarriv lintellectualisme.

    Nos facults seraient assez amples, assez perspicaces pour reconnatre l ternel au- travers et au- del du plus mdiocre objet. Hlas !

    Telle nest point notre puissance ; nous nchappons pas lindtermination de nos sens et au lent processus de lintellect. L art en plus dunedcouverte est une cration, ne loublions pas. L homme reste l treintermdiaire, entre la nature et Dieu. Le monde nous abandonne desparcelles de sa richesse, mais il faut pour qu elles nous soient utiles quenous les amalgamions dans le creuset du moi intrieur. La science nepeut devenir une sagesse ; elle mne la dispersion et l gosme sceptique. Dans la hirarchie des valeurs humaines, elle occupe un chelondu savoir, mais le savoir est dbord par l existence. On ne se fixe pas

    impunment un endroit de la dure psychologique. Le destin de toutephilosophie est dtre dpass. L empirisme se trompe lorsquil sattacheobstinment aux structures primitives.

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    Vainquons nos prjugs, notre amour- propre ! Si actuellement nouscontribuons quelque peu la marche de l histoire, durant des millnaireselle sest faite et se fera sans nous. L humilit est une vertu philosophique.

    Faisons le plus grand nombre dexpriences et d'preuves ! Que

    nos facults dinvestigations soient toujours en veil ! Le pass est prodigue en symboles. Le prsent est riche de nos uvres. Continuerons-nous croire que la tradition est ngligeable, quil convient dmanciperet de dtruire. Celui qui prfre un aspect du gnie universel et syconfine, est vou l atrophie, au dsschement et la corruption.L homme doit aimer la gloire de l homme !

    Nous ne renierons rien, ni personne. Le rationnaliste le plus sec,le plus troit peut nous enseigner quelque chose car il existe et il pense.C est nous de ne point nous laisser entraner dans le sillage des doctrines. Bergson fut pour notre poque un bienfaiteur. Grce lui, nouspousserons plus loin que les formes abstraites et sociales. Il nous proposede retrouver la navet spontane de la perception. Il carte ce qui durcirait ou mcaniserait notre exprience.

    Nous reconnaissons prsent que notre vie, notre art, notre philo-