SPIRITUALITÉ « Etre Libre » N° 17 (Avril 1946

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    9m>A nne 15 avril 1946 N 17

    ; SPIRITUALIT(revue mensuelle de culture humaine,

    fonde en 1936, sous le iiire " Eire Libre ")

    Science, Religion, PhilosophieDirecteur-Fondateur : RAM LINSSEN

    Rdactr i ce en chef :Margueri te BANGERTER.

    Correspondance et manuscri ts

    71, rue de la Victoire, Bruxelles

    Paiements au C. C. P. 6204de l 'Institut Suprieur

    de Sciences et Phi losophiesi , ^ T l. : S gu r 74.48

    SOMMAIRE

    Pionniers .....................................................

    Meurtres invisibles .................................

    Etres ....................... _ .................................

    Le Nirvna et la conscience (suite) ...Le pacifisme et le Bhagavad-Gila (fin)

    L 'quil ibre de Georges Duhamel

    Publications sur l'Inde .......................

    Noies sur l'art ...........................................

    Ecole des fiances .................................

    ~ 7 t-----------------------------------------------------------------------------

    PRIX : 15 francs belges le numro - 120 francs l'abonnement annuel.Prix en France: 30 francs franais - A bonnement: 300 francs franais.

    Serge Brisy

    Ren Four

    Abel Clart

    Ram LinssenHenri Corcos

    J ean Groffier

    V ishvabandhu

    Elsa Schools

    Marg. Bangerter

    Administration pour la France

    et ses Colonies :

    Editions ADYAR

    4, Sq uar e Ra pp, PA RIS 7m*

    Ch qu es po stau x Paris : 4207.47

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    Pionniers tDe plus en plus, lhomme se sent du de laprs-guerre et traverse

    des priodes de rvolte ou de dcouragement. Son mcontentement croissant nest pas crateur, car il recherche avant tout le confort pass etcraint de tourner la page nouvelle. Il rve un retour en arrire, oubliantqu'au moment o il vivait cette priode faite en somme de continuellesmenaces de conflit, de chm age ou de crise il prouvait un mcontentement peu prs pareil et rclamait galement la priode prcdente.

    Qui ne connat la ph rase de presque tous les vieillards : De montemps...

    Pa rce que, cette ipoque, on tait jeune et que la jeunesse . lavraie jeunesse est une des plus pures richesses du c ur et de lesprit,on envisageait autrement la vie qui, de ce fait, apparaissait plus dignedtre vcue, plus lgre, plus attirante...

    Mais pourquoi ne sommes-nous plus jeunes ? Et quest-ce qui vieilliten nous ? Fau t-il que le cur vieillisse comme le corps ? ou n'es t-il pasdestin, avec lesprit, une floraison continuelle qui le conduit lasagesse ?

    Pourquoi refusons-nous si souvent de tourner la page qui s'offre nous et, plutt que de ressentir le bonheur de lire du neuf , deman-

    dons-nous toujours relire ce qui a d j t lu ? N est-ce pas cela quisappelle vritablement vieillir ?

    Le pass est mort, sii ne nous entrane dans le courant limpidedexpriences nouvelles. Et puisque la vie ne stagne jamais, nous narriverons jamais arrter la vie. Elle nous entrane vers ce qui est notreperptuel hritage, vers ce que nous avons cr et que nous crons,vers toutes les invitables ractions de nos actions, vers tous les effetsde causes qui nous ont chapp ou qui nous chappent encore.

    Dans notre ignorance, nous essayons vainement de nous accrocher quelque ide prime, quelque tradition inerte, quelque prjug ancien,comme celui qui se noie se raccroche une herbe fragile. Mais le courant,

    poursuivant sa route vers le but dfini que nous nosons pas dlibrment fixer, brise notre faible ancrage, l'entrane avec lui, que nous le

    voulions ou non.

    Pour cesser dtre des paves, il suffirait que nous apprenions nager, c'est--dire comprendre la force du courant et l'utiliser. Lavie ne nous veut aucun mal. Son courant inflexible est celui de lvolution.Et quels que soient les obstacles, les difficults, les luttes ou les souffrances, il nous entrane vers un mieux.

    Tchons de comprendre que nous arrivons un cycle nouveau et*que, ce qui produit le chaos, cest nous-mmes. Nous sommes entrs dans

    le mondial par la force mme des choses. Et nous nous accrochons dsesprment au national, quand ce n'est pas au local. S il y manque encorela comprhension des individus entre eux, aucun pays nest inconnu des

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    autres et tous subissent les effets de la guerre peine termine, et redoutent une guerre venir. Nous avons peur, nous cultivons notre peuret, loin de chercher les vrais remdes qui sont en chacun de nous nous tentons de vains repltrages qui sauveront les gosmes et la rapacit

    des quelques-uns qui possdent encore les leviers de commande, mais quisentent ces leviers leur chapper peu peu.

    Notre travail ne peut se faire en quelques annes. Il faudra le sacrifice de bien des pionniers avant qu'une nouvelle vrit ne surgisse desdcombres accumuls. Pourquoi ne pas tre parmi ces pionniers ? E tque faut-il pour cela ?

    Croire la V r it ? Non. La vivre. V ivre celle qui est notre ardemment, avec la certitude quelle crotra avec nous si nous sommessincres et si nous la vivons vraiment. Dcouvrir en soi les sources profondes de la vie et les librer de leurs entraves. Bannir de notre espritles apprhensions puriles qui font de nos existences dangoissants cau

    chemars. Oser tre soi-mme envers et contre tout mais savoir ce quonest, en ne cessant pas un seul moment dapprendre se connatre. Renoncer au faux luxe qui alimente une avidit malsaine dans tous lesdomaines, politique, matriel, spirituel, social, et chercher le bonheur, non dans les possessions extrieures, mais dans les richesses delesiprit et du cur. Considrer les autres comme solidaires du Tout etexaminer srieusement ses responsabilits propres, avant dexiger quedautres remplissent les leurs. S duquer afin de pouvoir duquer. Surtout,comprendre sans demander tre compris.

    Le temps ne compte gure pour lvolution. Si quelques-uns entamentle travail de la rgnrescence humaine, sur eux et non sur autrui, il y a

    de grandes chances pour que ce groupe bien faible au dbut augmente progressivement et forme le vritable noyau dune fraternit universelle, sans distinction de croyances, de sexe, de races, ou de couleurs que tant dtres rclament. Mais il faut commencer par soi-mme, jouraprs jour, sans arrt. Tout le problme humain rside dans lattitude delindividu. Car devant les preuves qui nous affrontent, il sagit vritablement de travailler avec la vie ou de mourir sa destine, qui est Bonheuret Paix.

    S E R G E B R I S Y .

    Meurtres invisibles

    Il y a la mort dont il est biensant de salarmer, de spouvanter,et il y a lautre.

    Limagination des hommes est ainsi faite qu'elle ne retient volontiersque les morts spectaculaires et se dsintresse de celles qui sont coutu-mires et insidieuses.

    On apprend incidemment que tel enfant ou adulte a t enlev parla tuberculose et, en apprenant la nouvelle, on a un mot de compassion

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    standardise. Mais, au fond, ce mort n'est quun mort sans importance,une proie trop menue entre les dents de la mort, trop loigne de soipour quon sarrte la considrer. Ds lors, ddaignant dapprofondirun cas si banal, on ne saura jamais que la victime nest pas morte de la

    tuberculose mais du taudis, de la sous-alimentation, de linsuffisance delobservation mdicale ou des soins mdicaux. Car la plupart des mortsdites naturelles ne sont pas en soi fatales. Elles ne le deviennent que siles moyens de dfense appropris ne sont pas mis en uvre. Et la modicit des ressources des malades est presque toujours lorigine de cesabdications.

    Paris-Soiravait publi jadis une carte cruellement explicite, une cartede la mortalit dans Paris. Les zones mortalit minimum taient figures en blanc, celles mortalit extrme taient recouvertes de noir. Lesquartiers riches, les beaux quartiers resplendissaient de blancheur.Les quartiers daffaires arboraient des tons faiblement gris. Mais les

    quartiers populaires, les secteurs ouvriers, n taient que des taches d unesinistre noirceur.

    Le revolver, le couteau dsignent ostensiblement ceux qui les manient la vindicte publique, mais les responsables humains des morts partuberculose se dissimulent derrire le mince cran des bacilles de Kochet jouissent sans trouble dune impunit paradoxale. On tient le coupable,nest-il pas vrai ? Il sagite visiblement sous lobjectif du microscope. Devant ce criminel infinitsimal, laction de la justice steint, comme londit. Le microbe devient le responsable de choix, et qui explique tout.Il a bon dos et couvre gnreusement tous ses complices notre taille.Son vocation dcourage les questions les plus judicieuses et les plus

    gnantes. La justice nest comptable que devant lopinion et nest pasplus exigeante que celle-ci. Elle na pas besoin de trouver le coupablemais seulement un coupable visible. Pour lapaisement des esprits il nelui faut que trouver un sujet au verbe tuer, et la maladie le lui offregratuitement.

    Tuez donc tant que vous voudrez, mais ne vous servez pas desarmes spcifiquement rserves cet usage et qui sont si grossires, sistupidement bruyantes. Usez de l'arme conomique qui est sre, discrte,invisible et silencieuse.

    Oprez par la misre organise, par lindiffrence polie, retranchez-

    vous derrire les ncessits conomiques inhrentes un ordre oumieux un dsordre que vous contribuez maintenir. Et vous neserez pas poursuivi.

    Mais nabattez pas un passant pour le dpouiller ! Ce meurtre visible,pour lequel il faut le poing arm dun meurtrier face humaine, pourraitvous attirer de gros ennuis. Ne commettez pas de crimes dans le rgime,de ces crimes conventionnels et catalogus qui soulvent la colre publique et mettent la police sur les dents. Mais installez-vous ingnument(car il faut toujours faire la part de la bonne foi, de laccoutumance quiaveugle) ou cyniquem ent dans ce crime invisible et. perm anent quest lergime lui-mme, rgime o licence est donne d'exploiter, dignorer

    autrui. Faites-vous en laptre, fut-ce trs obscur, ft-ce niaisement dsintress, et vous pourrez frapper mort sans risque. Mieux encore,

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    devenez lun des rouages majeurs de cette structure inhumaine, de cecapitalisme que daucuns voudraient ternel, et, trs lgalement, sanscoup frir, vous recueillerez lor liquide qui coulera du pressoir o vous

    aurez broy le bonheur et la vie. Vos victimes mmes celles qui survivront vous salueront trs bas, et vous dcouvriront mme, loccasion, une gnrosit dont vous serez confus. Que voulez-vous, on ne prtequaux riches ! Mais, dussiez-vous fournir en chair humaine la garniturede mille cercueils, vous conserverez l'estime de tous.

    R E N E F O U E R E .

    tresPrcarit des tres.

    Elle tait devant moi et je la reconnus aussitt. Aprs combien detemps d j ? . Douze ans, mon ami, nous tions jeunes. Elleavait vieilli et ctait bien la mme.

    Elle me sortit des photos. Je tombais sur celle de la jeune fille quej avais aime. Les yeux de celle qui tait auprs de moi interrog eaient : A i-je chang ? E t je songeais seulement que celle dont j'ava is tamoureux, je laimais encore et pour toujours, mais qu'elle tait plus

    morte que si on l'avait porte en terre et quen tous cas celle que j'avais mes cts, je ne lui reconnaissais aucun droit de parler de lautre, deprtendre se relier lautre, qui lui tait plus trangre qu moi-mme.

    Unicit de ltre.

    Et je dialoguais silencieusement avec cet tre disparu. Je reconnaissais en lui lunicit exquise de lamour. En moi, le dsir et l'lan retenaient leur souffle : ctait bien elle, oui ctait lelle, celle que j'aime, moiqui nai pas me regarder dans la g lace quand j prouve, moi inchangparmi les changements et catalys par cet tre unique jamais disparucomme tous les tres de tous les univers. Quelle avait t la dure de

    cet tre-l ? Tr ois automnes et deux printemps si j ai bonne mmoire.

    Rupture du Social et du Rel, propos de l'Etre.

    Et je dus continuer, continuer parler de ltre unique et mortavec elle qui affirmait souvenirs la bouche et tat-civil sur les rideset les curs continuer la morte. Je dus l entendre dire JE en parlant de l'autre. Je dus consentir cette lchet de ne pas la violenterquand elle disait N O U S en parlant de lautre et de moi.

    A B E L C L A R T E .

    (Extrait dAlphabet, paratre prochainement.)

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    Le nirvana et la conscience(suite)

    par Ram LINSSEN

    Le nirvna est-il linconscience? N est-il pas plutt une concienceinfiniment sublime?

    De la conscience de soi ordinaire il nest pas question. La conscienceprsupposant en gnral la perception de contrastes, implique la multiplicit. Elle rsulte de linterfrence active de principes opposs. Et noussavons que lexprience nirvnique abolit toute multiplicit. Lune de sescaractristiques est lvanouissement de lillusion de'la sparativit. Arriv un tel tat, lhomme sent et voit lUnit. Mieux encore, il la vit. Etantdevenu comme rien, s'tant affranchi de lillusion dtre une entit indpendante, spare, il est en toutes choses. Il vit en tous les tres, en toutesles choses d'essence profonde qui constitue leur plus prcieuse richesse.Comment peut-il y accder? Parce qutant affranchi de son gosme, ila pu saisir en dedans de lui-mme, au del de lui-mme, lessence deson tre qui est lE T R E de toutes les choses, lE T R E de tous les tres.

    Cette exprience peut revtir un caractre dune telle acuit, quesoudain, par une trange magie, l'Univers des profondeurs rvle au chercheur la lumineuse splendeur de son intriorit. Il sagit ici dune des pluscurieuses expriences de la vie unitive. Elle constitue l'un des plus troublants paradoxes pour lintellect. Parce quau cours de cette exprience,

    lcrgane de la contemplation, le sujet spectateur et le spectacle lui-mmesvanouissent. Ils font place lineffable unit d'un ocan de Lumire.

    La puissance dune telle exprience est au-del des mots. Lclatfulgurant de la vision nouvelle emplit jamais l'me du chercheur d'une

    Jo ie divine. C ett e jo ie nest pas la sienne, mais celle du Re l, qui en lui etpar lui se retrouve. L homme sent qu'il a touch la substantialit profonde du monde. Il sent quil a apprhend la source de toutes les grcesdont se sont abreuves les mes de tant de mystiques. Et point capital :lhomme dans cet tat, sent, voit et vit dans une acuit de perception extraordinaire, une ralit en face de laquelle le monde extrieur semble svanouir. Il ne commettra pas lerreur de le nier, mais au-del des apparences

    transitoires de celui-ci il aura senti, vu et vcu, la Ralit ternelle dontlunivers extrieur n'est quune manation.

    Un tel homme accde des cimes dune tellement mouvante beaut,que son intelligence se mtamorphose miraculeusement en amour.

    Lamour qui jaillit d'un cur aussi vaste, revt un caractre dunetelle transcendance, d'une telle sagesse, quil se transmue en la plussouveraine intelligence.

    Le nirvna nest donc ni spcialement, intelligence, ni spcialementamour. Il rsulte de la synthse de ces deux ples du Rel.

    Une image pourrait nous faire comprendre davantage ce qui prcde

    Lorsque la lumire blanche traverse un prisme, celui-ci la dcomposeet rvle dans le spectre color les nuances de ses diverses composantes.

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    Le prisme' est un transformateur d'nergie. Mais l'homme est galement un transformateur dnergie, nous pourrions dire un prisme vivant.On pourrait comparer lnergie universelle, ou l'essence profonde dumonde, la lumire blanche.

    Lhomme, tant un prisme vivant, fait subir cette nergie de multiples transformations. Il la dcompose en un certain sens.Cette essence profonde rve ainsi la nature de ses diffrentes composantes,, qui ne sont plus des couleurs mais forment un spectre psychologique .

    Les termes damour, d'intelligence, de conscience ont t donns auxdiffrents lments formant ce spectre psychologique .

    La lumire blanche est la synthse, lapothose des diffrentes couleurs rvles par le prisme.

    Elle nest pas spcialement le bleu, ni le rouge, ni le vert. Elle conserve cependant le principe de sa brillance , sans que celle-ci ne soitteinte par des coloris particuliers.

    Dans lexprience du nirvana, lhomme accde lessence profondedes choses, qui, limage de la lumire blanche, n'est ni spcialementamour, ni intelligence, ni conscience de soi.

    Comme la lumire blanche est la synthse, lapothose indivisede ses diffrentes composantes, ainsi, l'exprience nirvnique rvle lasuprme homognit dun tat dtre dans le quel svanouissent toutesles distinctions opposant lintelligence et le cur, lesprit et la matire.

    Nous pourrions dire, par analogie, que lorsque lhomme accdeau-dedans de lui-mme, au flux initial de lnergie qui l'anime et le soutient, il apprhende dans sa spontanit premire la flamme dune ralitvivante et cependant rigoureusement homogne, indivise.

    Si, en partant du spectre color, nous parcourons un faisceau lumineux en sens inverse de celui dans lequel sest opr la dcompositiondu prisme, nous dcouvrons au-del de celui-ci, lunit indivise de lalumire blanche.

    Et de mme, dans la mesure o lhomme est capable de se dpouillerde ses limites, de se dpasser, de seffacer devant la ralit de profondeurqui forme lessence des choses, il parviendra la saisir, au dedans de

    lui-mme, au del de lui-mme, dans son homognit premire.Nous pourrions galement comparer les teintes particulire du spectre

    color aux diffrentes nuances caractrisant les multiples consciencesde soi.

    Et par contraste tablir un paralllisme entre la pure blancheur dela lumire et la conscience sublime de lessence profonde des choses.

    Mais si nous voulons tre plus prcis, plus svre dans notre langage,nous devrions cependant nous interdire de parler de conscience, lorsquenous voquons lessence des choses et lexprience du Nirvna.

    Ns dans le monde munis de la soi-conscience, nous sommes dforms par la nature de cette spcialisation.

    La conscience telle que nous la concevons habituellement nest quunedgradation de la plnitude de lE T R E .

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    Elle nen consiste quun reflet limit.

    Le Nirvna nest ni linconscience ni la conscience. Il est infinimentplus. Il est ltat dtre par excellence de l'homme accompli, vivant dans

    lmerveillement des plus hautes formes de lintelligence et de lamour.La plupart d'entre nous concevons difficilement la possibilit de

    raliser un tat dtre absent de conscience de soi et cependant intensment lucide.

    Nous sommes domins ipar un prjug qui nous fait supposer unequivalence entre laffranchissement de la conscience de soi et lanantissement.

    Ces diffrentes craintes ne sont que des excuses tacites encourageant le refus de se dpasser, de se donner.

    Elles manifestent l'existence des rsistances quoffre lgo sa

    propre libration.

    Ainsi que lexprime le sage indou Bhagavan Maharishi dans ltatsans go lhomme bien loin de se perdre se retrouve enfin, tel qu'ilft toujours, tel quil sera jamais. Telle est la seule signification duneauthentique rsurrection.

    Rsurrection qui nest en tous cas pas celle de lgo, et qui apparatbeaucaup plus comme une dcouverte de CE qui EST, de CELA quin a jamais cess dE T R E au coeur de ce qui passe.

    Le pch originel ne serait que lillusion mentale de la consciencede soi, dont lhomme saffra nchit par le baptme dans locan de

    lumire cosmique formant lessence profonde des choses. Cette illusion tant ne dans le mental, lorsque lhomme mangea le fruit del'arbre de la connaissance ne peut tre dissipe que par une formesouveraine de discernement o se trouvent troitement unis lintelligenceet l'amour.

    ( suivre)

    Le Pacifisme et la Bhagavad Gitpar Henri CORCOS

    (suite)

    Cependant, nous ne devons pas continuer planer si haut, il nousfaut revenir sur terre, car je parle des occidentaux, mes concitoyens,mes frres, qui sont loin d'tre prts de telles envoles. Le christianismeintgral est un trs noble but, cest vers lui que lhumanit spirituelle soupire; les hommes sy acheminent peut-tre avec une telle lenteur, quenous ne pouvons gure en tenir compte.

    Seuls quelques tre exceptionnels, pour le moment, mritent le nomde chrtiens et nous avons vu quils nappartiennent pas forcment auxtenants du Christ (ils pourraient mme tre lacs), car la loi de non-

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    violence ne constitue pas une religion. Si daventure, il sen trouve parmimes lecteurs occidentaux, cest leur conscience de rpondre par laffirmative.

    Pour moi, qui traite exclusivement du pacifisme, je dois pousserplus avant mon enqute, afin de voir sil nexisterait pas une solutiond'attente, dpourvue des contradictions que nous avons prcdemmentrencontres, et qui permettrait l'homme ordinaire d'aller de lavant etlesprit en repos.

    C'est ce qui nous ramne au seuil de cette tude.

    La Bhagavad-Gt est un pisode du pome pique Mahbhrata(date incertaine : les historiens occidentaux la situent entre le II ImB et le1er sicles avant J.-C .; les savants orientaux le font remonter beaucoupplus haut) consacr aux actions de princes rivaux, descendant dun anctre commun, KURU. Elle relate le diffrend de deux chefs : Kauravas

    et Pndavas, pour la possession du royaume, dont Hstinpura tait lacapitale.

    Bien que les dbuts de cette pope nous annoncent une horrible bataille o de grands guerriers vont saffronter et rpandre des flots desang, nous nassistons ien ralit et heureusement (non seulement pournotre sensibilit, mais encore pour notre instruction et le regai de notreesprit) qu un dialogue o, seules coulent... des paroles, entre Guru(matre) et Arjuna, le chef de lun des camps adverses, son disciple.

    La plaine sacre des Kurus est le cadre, et, comme les nombreuxchars puissants et les vaillants guerriers nont aucune part laction, ilspourraient aussi bien tre des figurants, ou peints sur le dcor.

    Il rgne cependant sur cette scne une atmosphre de grandeur,de force et de purilit, comme dans tous les rcits de bataille.

    Le message de la Gt est un enseignement pratique, une rgle de conduite pour /'humanit, une explication des plus grandes questionsmtaphysiques.

    Le premier dans lordre, des problmes envisags, est celui de laguerre. Rafrachissante singularit que de voir des soldats se demanderpourquoi ils vont se battre, avant den venir aux mains.

    C'est lunique fois, semble-t-il, que lon traite de ce sujet sur un

    champ de bataille (qui figure symboliquement le champ du Destin), lieuet ambiance bien peu favorables des rflexions semblables, exigeantdtre longuement mries. Celui qui provoque la discussion est un guerrier, un tueur d ennemis . un combattant aux longs bras et, bienquil ne se montre nullement dpourvu dides et de sentiments, nousne serions gure rassurs sur la profondeur de ce dbat, si lautre interlocuteur, le sta (cocher) du char dArjuna ntait un Dieu dguis,Krishna, qui met promptement et avec une tranquille impassibilit lesdonnes du problme exactement au point.

    Comme pour le reste du monde, le problme de la guerre sestmaintes fois pos en Orient, au cours des sicles, et particulirement aux

    Indes, qui souvent ont eu subir des assauts de conqurants venus duNord, sans parler des luttes intestines ou des guerres civiles, pour lapossession de provinces ou de trnes, comme c'est justement le cas dans

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    lexemple pris par la Gt, o cette guerre entre prcepteur, parents etamis est particulirement odieuse. Lventualit qui s'offre est mme plusencore quune guerre civile, c'est une lutte pour reconqurir des biens, untrne qui a t usurp; Arjuna y est non seulement directement intress,

    mais indirectement aussi, par le devoir que lui dicte lhrdit dun conducteur dhommes et dun roi, qui est celui de sa race et de sa charge. Leproblme simpose donc avec toutes les apparences de la justice dansl'action, pour Arjuna, qui mesure exactement limportance de la causequ'il doit dfendre (1).

    Depuis des milliers dannes, lInde brahmique ou boudhique a rpondu avec Obstination par la ngative, quand il sagissait de tirer lpe.

    La rponse de la Gt est plus proche de notre vie et tient compte,autant que se doit des obligations sociales; elle est aussi inattenduequoriginale et parat tre inattaquable, malgr quelle slve, en une su

    perbe envole, conforme la philosophie hindoue, au-dessus des prjugssociaux, de la morale courante, des superstitions humaines, des ignoranceset des oppositions rvoltantes entre la vie et la mort.

    Voyons succinctement (car il nest utile que de souligner le textetouchant ce sujet particulier) la solution que la Gt apporte, quand sepose le problme de la guerre, dont nous pariions prcdemment.

    Arjuna, le guerrier lesprit dj averti, avant que la mle nes'engage, fait placer son char entre les deux armes, afin de contemplerces myriades dhommes du camp adverse, qu'il va affronter, impatientsde se battre ou de mourir pour une cause injuste.

    C est alors que son cur s meut devant lacte imminent, en voyant,non plus en imagination, mais en chair et en os, que tous les hros etgrands archers adverses, quil va falloir tuer ou faire prir, sont de sarace, de sa nation, de sa propre famille et quils constituent, en fait, lessentiel de ce qui donne prix sa propre vie et tout ce qu'il a connu

    jusq ualors, aim et respect.

    Il reoit de cette vision un choc motionnel, qui brouille ses yeux,le fait rflchir dun autre point de vue que celui de la justice de sesrevendications, du point de vue humain et sentimental, et lui fait entrevoirtoute lhorreur de la lutte fratricide sur le point de sengager, pour lobtention de biens matriels et dune royaut, qui perdent dsormais toutleur prix, s'ils doivent tre pays par le sang des siens, de ceux quil af

    fectionne et vnre.

    Arjuna laisse alors tomber son arc divin et son carquois inpuisableet dcide de mourir, de la main des siens (aveugls par une passion de

    (1 ) Songez, par comparaison, au soldat occidental, qui nest quune unit anonymedans une multitude et ignore gnralement les vritables buts de la guerre, lorsquilreoit lordre de mobilisation. De plus, ses chances de recevoir des avantages personnels,en cas de victoire, sont assez minces ; mais, il est certain d avanc e que les charges detoutes sortes pseront pleinement et lourdement ses paules, si lissue de la guerre est

    malheureuse.Cepend ant, m algr la situation d iffrente, le problme reste le mm e : doit oncommettre le meurtre en commun... avec, ou sans apparence, de motifs justifies?

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    lucre haineuse) plutt que davoir la responsabilit de leur mort, alorsqu'il prouve si vivement la sanglante vilennie dune pareille conduite.

    Pourtant, Arjuna iest un guerrier et un fils de rois, homme sanstache, duqu et qualifi pour continuer luvre de son pre, l'administration de son royaume (dont il est lhriter lgitime) et qui lui a tdrob par flonie. Le devoir d'Arjuna, vis--vis de ses anctres et de sonpeuple, est de reconqurir le bien paternel.

    C est pourquoi, ds labord, Krishna (le Dieu dguis en cocherauquel il demande conseil) lui rappelle son rang et sa tche sociale entermes vifs, susceptibles de le galvaniser. Son destin est laction, c'est ceque son. peuple attend de lui et lui choit de reconq urir son royaume,d'y faire rgner la justice. N guerrier, avec des obligations de protecteurpour ses sujets, il doit accomplir sa destine.

    Aprs avoir montr au combattant, dont le cur est troubl, cechemin qui simpose lui. le Dieu incarn ouvre devant l'esprit dArjuna,affaibli par lpreuve, le livre de la connaissance, dont celui-ci na quuneteinture superficielle (malgr les enseignements de ses matres, quinont pas fortement marqu sa conscience).

    Il lui indique et lui rpte sous diverses formes que lhomme vritablen'est pas ces corps qui sont en face de lui, prts dtruire ou treabattus. Ses rois, ainsi quArjuna et lui-mme (Krishna) sont desA M E S , qui traversent la vie et la mort, sans en tre affects .

    Quant aux corps, que ces mes habitent, ils sont destins dispa

    ratre et cela ne doit pas bouleverser un sage, lesprit ouvert. Lmehumaine est un rayon divin, immortel, et doit voluer de vie en vie,

    ju sq u sa purificat ion des attaches terres tres , qui marquera sa librationdes re-naissances.

    Ces corps que tu vois, et dont la destruction prochaine tafflige,nexistent quapparemment, ils sont un agrgat (transitoire et en constante volution) de matriaux; leur destine, dans un proche avenir, estde se rsoudre en leurs lments. Quy a-t-il l daffligeant?

    Pour les mes de ces humains, comme la tienne et la mienne, ellesont toujours exist et existeront ternellement (1).

    Comme, dautre part, il nest pas de plus lgitime action, pour unguerrier, quune juste bataille, il n'y a lieu de se lamenter, ni de trembler.Celui, dont cest le destin, qui prend part une bataille se prsentant

    (1 ) Evidemm ent, le lecteur igno rant tout de la philosophie hindoue est surprispar cette thse et nen saisit pas toute la porte. Une tude plus complte d-es principalesdoctrines et notamment du Vdantisme simpose, dans ce cas.

    Le mot me est pris ici dans lacceptation hindoue de jva q ui est infin iment plus vaste quen Occident.

    Rappelons aussi le passage de Matthieu (10/28) que peu de chrtiens conserventen m moire et qui sapparente l affirmation de Krishna :

    N e craignez pas ceux gui tuent le corps et qui ne peuvent tuer lme craignezplutt C elui qui pe ut faire prir lm e et le corps dans la ghenne. s>

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    delle mme, la porte du parad is s 'ouvre lui (par ce terme paradis emprunt aux Vdas primitifs, Krishna se met au niveau dArjuna).

    Alors que si tu ne combats pas pour le droit, tu abandonnes tondevoir et le pch tchoit en partage.

    Voil la rgle de conduite, que tu sollicites !

    Cependant, malgr que tu saches que ton devoir est de combattreet qu en ralit tu ne risques nullement de tuer un homme ou dtretupar lui, si lide de meurtir ces corps que tu as appris aimer et respecterdemeure insupportable pour toi. et si tu crois quil y aura l pch,il s offre un moyen pour t'aider, cest de t'lever un idal plus haut quele conflit entre ta seule personne et celle de tes parents.

    F ais q ue l 'af f ict ion et le bonh eur, la perte et le gain, la victoire

    et la dfai te , soient quivalents pour ton me, et ensuite jette- toi dans

    la bata i l le ; ainsi , tu ne pch eras p as.

    C'est l que sige loriginalit de la Gt : laction SA N S D E S IRD E F R U IT , laction conue comme sacrifice ou offrande Dieu, cellequi nentache pas, celle qui ne lie pas.

    Nous sommes parvenus l un des sommets de la doctrine qu'apportela Gt : laction sans intrt (2), sans but humain .sans la recherchede lavantage qu'elle peut produire, mme en bien (car dans le bienmme l'homme cherche toujours un bnfice personnel immdiat oufutur), laction faite en tant quacte sacrificiel ,en offrande d'amour Dieu.

    Cet te parole a rententi dans toute lInde, depuis que la G T a tcrite et son influence (un peu la manire de l'Imitation de J. C .) ,mais plus profondment, a marqu lesprit hindou au cours des sicles;de nos jours, la voix de la Gt rsonne plus puissante encore, alorsque linfluence du Bouddhisme diminue.

    Il est remarquer que luvre pour Dieu, l'acte sacrificiel, quiimplique le don constant de soi, des biens apparents et de nos activits Dieu, a une grande analogie avec les disciplines visant la foi totaleet la simplicit dans les moyens, qui ont pris naissance chez beaucoupde mystiques des religions occidentales ( 1) . Dan s le catholicisme, le

    Saint Abandon de Dom Vital L E H O D E Y , la Pratique de laPrsence de Dieu du Frre L A U R E N T , dans le protestantisme EnCh rist dAustin SP A R K S , dans le judasme Les devoirs du Cur du Rabbin B A C H Y E , e tc. .. sont autant de chemins similaires et aiss,pour faciliter lapproche et le contact avec Dieu, qui lve.

    On ipeut mme dire que ce besoin de dvouement, ce dsir deconsacrer tous les instants de sa vie Dieu, est partout la caractristique

    (2 ) Et non pas seulement en ce qui concerne la guerre, mais pour tous

    les actes de la vie courante.(1) Les religions appeles ici occidentales ont pris naissance en Orient et sont

    rpandues dans le mo nde ;; elles ne justifient ce qu alificatif que parce que nous nous

    adressons leurs adeptes dOccident.

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    des vrais mystiques (galem ent de certa ins philosophes, comme lesstociens ).

    Il ny a donc pas lieu de soulever ici la mme objection que celle se

    prsentant pour application de la non-violence de Gandhi, exigeantun peuple prdestin par son hrdit, pratiquant foncirement sa religionet croyant en la re-naissance. Cette synthse quest la Gt a pris jouraux Indes, mais laction sans le dsir du [ruit, le sacrifice constant Dieupeuvent tre dapplication universelle, quelque soit la croyance du fidle.

    Ces modes de vie pour Dieu, appliqus dj en Occident, ontpourtant le grave inconvnient de ne pas acheminer bien haut lespritdu croyant qui sy astreint. Ils ne peuvent conduire le mystique quune sorte dautomatisme de la pense. De plus, le dualisme du fidle etdu Dieu subsiste; enfin, la personnalit spirituelle de laspirant ne peut sedgager.

    La voie dapparence toute proche, que recommande la Gt, conduit

    vers de plus nobles cimes.En effet, cest ce que la Gt propose au guerrier incapable de se

    dtacher de la vision de corps autour de lui et de son individualitrelative, celui qui se croit faible (parce quhomme) et seul, en prsenced'autres hommes pareillement dbiles, ses semblables.

    Mais la Gta ne considre cette attitude que comme un premier pas,pour librer l'homme des consquences avilissantes de ses actes, en attendant quil puisse atteindre une plus exacte et haute ralisation du Divin,quelle lui fait entrevoir. Et cest cet aboutissement, qui est le but finalde lenseignement de Krishna.

    Creusons un peu plus ce sujet du sacrifice. Quel intrt Dieu peut-il

    avoir dans l'offrande que nous lui faisons de nos actions, et mme dansnotre propre don ?

    Lorsquun enfan tnous offre un gteau, quil a plusieurs fois laisstomber, qui est entam et couvert de bave, nous faisons semblant de lemanger avec plaisir, pour donner du prix ce geste.

    Le don de nos misrables petites actions et mme de notre apparenteralit ne peuvent tre daucun attrait pour Dieu, considrant surtoutque nous sommes la rsultante de Sa volont.

    Il ny a l quun moyen de nous aider nous approcher de Lui etcest en ce sens quil revt sa principale signification. C est notre uniquemanire d'tre susceptibles de recevoir Sa grce, car nous ne pouvons

    nous librer que prs de Lui, tendus vers Lui, tant que nous limitonsnotre personnalit notre corps.

    Celui qui Me voit partout et voit tout en Moi, pour lui Je ne suisjamais perdu, de mme qu'il n est jamais perdu, pour Moi.

    Mais, le vritable point de vue philosophico-religieux de la Gt(ce vers quoi elle nous conduit) est que nos mes seules sont notrepersonnalit relle, et quelles sont ternelles, rayon de Dieu lui-mme.Le sens du mot me ici est cosmique ; il n'est pas l question de conscience individuelle ne avec nous et distincte dautres mes ; il s'agitdu principe de vie qui anime tout tre et qui retournera au cosmo,s,lorsqu'il sera libr par la mort de ltre. Ame (atman) est fraction de

    Dieu (Brahman).Il nest donc plus question pour une me qui a pris conscience d'elle

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    i

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    mme de sacrifier Dieu, ou de se donner Dieu, ce qui impliqueraitune dualit, qui nest pas.

    La thse de la Gt est donc double, suivant qu'elle sadresse

    laspirant ou qu'elle vise l'adepte averti et dj expriment :Lun agit dans la vie, en ayant Dieu comme phare (ses actions sontillumines, libres de la nuit des ignorances humaines, qui ruinent toutidal).

    Lautre vit (et par suite agit), mais sans pense terrestre, exclusivement dirig par son me, tmoin imperturbable et inaltrable ; planantau-dessus de tout prjug, de tout dsir pour lui-mme, comme dgag detoute influence sociale. Celui-l naccomplira que les actions en accordavec la vrit universelle, et s'harmonisant avec la Justice divine.

    Nous avons maintenant l'essentiel de la rponse que fait la Gtau problme de la guerre. Il est recommand une attitude diffrente, sui

    vant la catgorie dhommes laquelle nous appartenons.1) La masse : elle doit accomplir sa vie suivant les directives vers

    lesquelles la pousse son hrdit, ses devoirs, la socit humaine danslaquelle elle subsiste. Si la guerre simpose elle, il est conforme sondestin et son devoir de laccepter, dy cooprer, sans esprit de rvolte,sans angoisse pour la violation des sentiments religieux quelle a puacqurir.

    La religion, pour la masse, s'exprime dans lunion spirituelle toujours plus troite avec Dieu et, si l acte mme homicide est fait, par obligation sociale et sans haine, sans poursuite daucun but terrestre, dansun esprit de sacrifice Dieu, cet acte nest pas un pch, car lme fixe

    en Dieu reste pure. En effet, ce nest pas lacte qui est le pch, maisl'abaissement, la souillure de lme, qui en est la consquence.

    Il en rsulte que la vie humaine, pour la masse, est une lente volution, ncessaire, pour lui permettre de s'approcher progressivementd'un plan suprieur, dans lequel l'me sera entirement dgage des servitudes terrestres parce quelle aura pris conscience quelle nappartientpas la terre. En effet, ds que lesprit de lhomme est attentif Dieuen tous les instants de sa vie, et lorsquil a entrevu le but, sa librationest commence et les liens avec la terre sont rompus.

    2) L lite qui a dcouvert son me, le vritable religieux naplus sacrifier Dieu, car elle vit dans l'Absolu (l unit). Pour cesaffranchis, il nexiste plus damis ou dennemis ; tous sont, comme lui-mme, des mes ternelles et subtiles. Rien ne peut les atteindre et dslors le problme de tuer ou d'tre tu sefface, de mme que les attachesfamiliales (aucune distinction n est plus possible entre les hommes) etles oppositions dintrt (aucun bien terrestre ne peut tre d'un attraitquelconque pour l'me).

    L'homme ainsi tabli solidement dans son me plane au-dessus desconflits terrestres et, si elle accomplit une action humaine, ce ne seraque pour aider son semblable vers la libration. Rien dautre ne peutlattirer.

    Cette rponse peut sembler dcevante. Certains penseront : quoi,cest cel que, pour la masse, aboutit un esprit divin (Krishna) averti,

    cest ce que conseille ce Dieu incarn : tuer par ordre, faire la guerreen tous cas, lorsqu'elle s impose nous comme un devoir ? Pour une

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    philosophie qui domine tellement les prjugs sociaux et les ignoranceshumaines, il parait y avoir l dchance.

    Il ny a ni rgression, ni pitinement. Krishna entend rester dans la

    ralit relative quest la vie et ne demander des progrs qu'au fur et mesure que lhomme est en tat de les accomplir avec bnfice spirituel.

    L homme qui ne voit que d autres tres vivants en face de lui, quise croit un corps et diffrent des autres corps, qui sopposent lui,lhomme qui obit aux apptits humains et aux passions qui le guident,comment celui-l pourrait-il comprendre quaucun des problmes qui lehante na la moindre ralit absolue ou base morale quelconque. Mmesil sabstenait de laction, sur lordre du Dieu incarn, il ne s'amlioreraitpas spirituellement, car il serait toujours {e jouet de lillusion des sens.

    Le progrs moral ne peut s'obtenir d'actions, M EM E M ER ITO IRE S, accomplies par ordre et aveuglment. Le progrs ne se conquiert que parlexprience. Lhomme doit donc vivre lexistence matrielle, dans laquelleil est plong, avec la seule aide de ses moyens du moment.

    Mais, en attendant quil ait fait son volution morale et spirituelle,il peut et il doit sappuyer sur Dieu. Il suffit que ses actes soient conuscomme un sacrifice, une offrande Dieu et ainsi, son chemin pur dudsir et de la poursuite davantages terrestres, le conduira progressivement au niveau suprieur.

    Et les dgrs de cette ascension sont nettement tracs, ils simposeront peu peu (si cette discipline est prise la lettre, comme elleest donne) avec srieux et constance. L'me se familiarisera ainsi chaque jour davantage avec la pense de Dieu, elle atteindra alors le secondchelon, stade important : Dieu deviendra le tmoin impassible des actes

    journa liers . Puis, le foss entre Dieu et l adepte se comblera. Le tmoinet lindividu se confondront. Finalement Dieu lui-mme agira seul et l'mesera fondue en Dieu, dgage et dsintresse de tout objet matriel.

    Mais, dira-t-on encore : combien de sicles alors resterons-nousdans lobscurit et les luttes fratricides ? V otre moyen est lent et individuel, il namliorera pas la socit ! .

    Que savns-nous de limportance qu notre temps, par rapport celui en lequel com pte Dieu ? Le temps des hommes est une notionarbitraire et humaine. Nos sicles figurent peut-tre pour la valeur dun

    jour, dans le ca lendrier divin, en admettant que le temps soit un moyendobservation pour Dieu, ce qui concernant lEternel, ne repose sur

    aucune base ayant quelque apparence de vraisemblance.Par ailleurs, quand un nombre croissant d'humains vivra en Dieu, se

    dtachera du dsir et de la haine, il y aura progrs social en proportion ;peu peu, en fonction des possibilits dadaptation de lhumanit, lesyeux de lhomme s ouvriront sur la ralit ternelle et aucune propagandeentranant la guerre ne sera susceptible de tromper les masses clairvoyantes. Alors, mme si les gouvernements, obissant des buts gosteset personnels, dsireraient un conflit, ils seraient contraints dy renoncer,car pour le meurtre en commun il est indispensable de s'appuyer sur lepeuple (appel lopinion publique).

    La Gt est la mthode progressive, cest l'enseignement sans con

    tradiction.L Eglise nous dit : ne tuez pas mais, pour la guerre, elle vousexcuse de pratiquer le meurtre : elle vous trouve des justifications. Il y a

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    l inconsquence et contradiction, qui dtruit la valeur de la Loi.La G t ne vous interdit pas laction (cho se dailleurs imp ossible),

    car vivre c est agir et, pour la guerre, ce lle-ci rpondant ltat socialdans lequel vous tes plong, elle simpose l'homme.

    Mais la Gt, dans laction, ancre votre mental en Dieu, et, ce faisant, elle soustrait votre me aux passions qu'entrane l'acte, elle vousmontre le plan suprieur, en guidant fermement vos pas pour y accderexprimentalement.

    Evidemment, cet expos est trs court, car il ne peut se substituerau texte si riche, il est indispensable d'tudier fond la Gt et son interprtat ion ( 1 ) pour comprendre toute la porte et la valeur de cet enseignement. Ainsi que dj remarqu, celui-ci ne se limite ni la guerre,ni mme la seule vie humaine. Il donne une grande explication dumonde et nous fait pntrer la signification profonde de lexistence,mme dans ses contradictions apparentes.

    La Gt est ia parole qui claire, celle que tout homme attend etqu'il ne peut dcouvrir en aucun autre livre, dit de sagesse. C est le savoirqui se rvle lautomne de la vie.

    L#quilibre de Georges Duhamelpar Jean GROFFIER

    Secrtaire gnrerai de la Presse Priodique Belge

    Sa prsence, les quelques mots qu'il pronona dans un sourire lafois mondain et un peu sceptique; tout chez Duhamel dnote une constante essentielle, la notion du sens de la mesure.

    Georges Duhamel est mdecin. Il lui faut la prcision en toute chose.Il est sans cesse la recherche de ce quil appelle et croit tre lavrit . Intelligence analytique, ce qui le porte regarder les tres enpsychologue : il sen tient la stricte ralit et ne ladmet que commeseule valable. En toute chose, il lui faut lexplication.

    L homme rpond luvre; il en est vrai dire la rplique agrable.C'est un esprit trs vif, spirituel lextrme et peut-tre aussi lhommedune poque. C est un esprit serein, sans tourment, qui joue d licatementavec la vie, lausculte avec une grande conscience professionnelle.

    Duhamel vit dans lactualit, mais sa voix n'est pas celle de lternit. On le sent critique, mais sans antenne, et son rayonnement magntique si lon peut sexprimer ainsi ne vous empoigne pas.

    Autre type de Franais de notre poque, mais combien diffrentde Mauriac, plus humain parce que participant nos problmes et nospassions.

    La vrit est une chose essentielle. Duhamel la merveilleusementcompris; mais sa recherche devenue une attitude purement critique crece climat qui lentement dtruit et anmie tout enthousiasme, ce climatdont a tant souffert la France.

    (1 ) Collection des Grands Matres Spirituels dans lInde Contemporaine LaBha ga va d- G i t a interprte par S hr i A u ro b i n do .

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    Publications sur l'Inde

    par VISHVABANDHU

    Plusieurs traductions nouvelles de textes hindous classiques sont signaler.

    L admirable revue Ka lyana Kapa ratu ( 1 ) qui constitue une documentation unique sur lme et la vie hindoues dans ce quelles ont deplus profond, reprenant en janvier 1944, aprs un an dinterruption,a donn dans son premier numro une tradution anglaise complte de2e partie (chapitre 50 90) du chapitre X du Bhga vata Purna. C etexte fondamental de la spiritualit vishnoute, aussi important danslhindouisme que lEvangile de Saint Jean dans le christianisme, avait

    dj t fort bien traduit par S. Subba Rao (2).

    La nouvelle traduction, qui a utilis celle de Subba Rao, prsentelinapprciable avantage davoir t rdige par des adorateurs deKrishna, pour leur propre usage, sans aucun souci de plaire aux lecteursoccidentaux par son style, son exactitude littrale ou syntaxique, ou saprsentation. Elle nous donne exactement ce que le grand texte sacrreprsente pour l adorateur hindou moyen du X X e sicle. A cetitre, cest un document capital.

    De son ct, Swmi Prabkavanda nous a donn un prcieuxrsum (3) du mme Purna, sem de longues citations. Le choix estbien fait, le style agrable et clair. Nous souhaitons vivement que leSwmi nous donne dautres petits volumes analogues sur les principauxPurnas.

    Les efforts tendant reconstituer le texte original complet de laBhagavad-Gt ont continu. On sait que selon le Mahbhrata (Bhsh-ma Parvan), la Gt devrait comprendre 745 versets. On connat mmedivers commentaires anciens sur cette Gt ainsi compose; or le texteactuel ne comporte que 700 versets. Deux publications rcentes sont relever.

    Le Shuddha Dharma Mandalam a publi (4) une version (texte, traduction anglaise et bref commentaire) qui compte prcisment 745 shlokas.

    Elle arrive ce rsultat en liminant 37 versets du texte courammentadmis et en ajoutant 82 pris dans divers autres livres du Mahbharata,en particulier un magnifique hymne Durg, quAjurna entonne tout audbut et une litanie Krishna, mise dans la bouche de Brahm, quivient clore le rcit. La version offre cette particularit supplmentairedtre divise en 26 chapitres au lieu de 18.

    (1) Gorakhpur, Inde. Editeur Hanumanprasad Pocfdar.(2 ) Tirupati , 1928, 2 Vol.(3 ) Srimad Bhagavatam, Th e Wisdom of God , N ew-York, Putnam, 194 3.

    340 pp.

    (4 ) Srimad Bhagavad G ita ... translated into English by R. Vasudeva Row, assisted.. . by T. M. Janardanam ... Madras, Th e Suddha Dharma O ffice, 1939. X IV H223 l i p . ( Sud dh a Dh ar ma T r ac t n e 4 ) .

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    Moins ambitieux, mais inspirant peut-tre une plus grande confiance, est la G t on Bhojpatra ( 1 ) de 745 ou plutt 755 versets,daprs un manuscrit rcemment trouv Bnars. Elle comprend laplupart des versets supplmentaires relevs dans la version kashmirienne(qui avait dj servi de base plusieurs ditions critiques, dont une aveccommentaire d'Abhinava Gupta) et quelques autres qui sont nouveaux.Les diteurs de cette Gt sont des fabricants de produits pharmaceutiquesayurvdiques qui font depuis 20 ans des efforts mritoires pour dcouvrir, dchiffrer et publier des manuscrits sanskrits indits sur la spiritualit, l'alchimie, la mdecine et toutes les branches de lhumanismeindien. Si ces ditions ne sont pas toujours accompagnes d'un appareilcritique aussi complet qu'on pourrait le souhaiter, il faut nanmoinsfliciter M. Kalidas Shastri, ses collaborateurs et ses augsutes protecteurspour limportante contribution apporte par eux notre connaissance del'Inde. Citons :

    Le Rajyabhished Paddhati (2), rituel de couronnement composau milieu du X V Ie sicle, et encore utilis en tout ou en partie dansdiffrents Etats de lInde. Le texte sanskrit est acompagn dune traduction complte en gujarati et dune traduction abrge en anglais.

    Le quatrime khanda du Rasa-ratnakar de Nityanath Siddha (3)trait d'alchimie et de mdecine ayurvdique, de date inconnue, maleheu-reusement sans traduction.

    De mme l'Ayurveda Upchar Shastra et le Rasopraksaska Sudha-kar, importants manuels de mdecine ayurvdique, et le Yajnafalam, unedes comdies de Bhasa.

    En ce qui concerne le texte habituel de la Gt, de nouvelles traductions anglaises sont parues. A eux seuls, les moines de lOrdre de Rma-krishna qui habitent lAmrique nous en ont donn deux. Celle deSwmi N ikhilnanda (4 ) suit docilement linterprataion moniste deShankarcharya, dont elle rsume utilement les commentaires aprs chaque verset. Bien qu elle tienne compte parfois de linterprtation de ShrAurobindo, elle ne peut donc tre considre que comme troitementcirconscrite aux conceptions dune cole particulire qui, si respectequelle soit, ne prsente pas un grand intrt pratique. Une intressanteinnovation est un rsum en 28 pages du Mahbhrata, inspire assezdirectement des tudes de Nivdita. Le style de la traduction est simple,familier, facile lire, mais manque totalement denvole potique. Leglossaire est vraiment un peu trop simpliste et enfantin pour le lecteurmoyen, en Europe tout au moins.

    (1 ) Te xte sanskrit seul, mais accompagn dune intressante prface de 87 pagesen anglais. Shri Bhagava d Gita, edited by Rajvaidya Jiva ram Kalidas Shastri, Gondal(Kathiawad), The Rasashala Aushadhasram, 1941. Le mme savant avait dj publien 1937 une dition en 721 strophes (texte et traduction anglaise), daprs un maniuscrit trouv en Surat ; il y avait joint un intressant commentaire par lui-mme en sanskritet en anglais.

    (2) Publi par Rajvaidya Jivaram Kalidas Shastri, 1944.

    (3) Publi 1940. Le 5e khanda avait dj t publi.

    (4 ) New-York, Ramakrishna-Vivekananda Center, 1944. X V II + 386 pages.

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    La version de Swmi Prabhvnad a et Christopher Isherwood ( 1)est, de laveu mme de ses auteurs, une interprtation, sinon une priphrase. Dpouille de tout commentaire, elle sinspire, comme la prcdente, de Shankara et de Shr Aurobindo, mais aussi de quelques autressages, ce qui la rend moins troitement sectaire. Bien quune partieimportante de la traduction soit en vers, on ne trouve pas encore dans cetexcellent petit livre toute la posie que lon aimerait y respirer.

    L'une des traductions rcentes les plus importantes est sans contreditcelle du Mahbharata Ttparya Nirnaya de Shrimean Arnanda Tirtha(Madhvchrya), que nous a donne M. B. Gururajah Roa (2). Nousn'avons vrai dire jusq uici que les chapitres 1 9 de la premire partie,mais tant par la valeur du texte que par la qualit de la traduction, cetouvrage se place au tout premier rang. Madhva, le grand matre de l'coledualiste, y rpond clairement et irrfutablement aux objections et auxdoutes de ceux que troublent la disparit des rcits dans les diffrentes

    Ecritures sacres hindoues. Seuls les pandits myopes et ratiocinateurs,dOrient ou d'Occident, qui l'tude de la lettre fait perdre de vue lemessage spirituel, peuvent voir des contradictions l o le sage sait discerner une magnifique orchestration. -Comme le dit Krishna dans la Bhagavad-Gt, celui qui voit une diffrence entre ie yoga et le smkhya nestquun enfant et un ignorant. Souhaitons que la diffusion de ce prcieuxouvrage apaise les inquitudes des quelques hindous en qui le contact delOccident railleur et matrialiste a sem les soupons et leur rende lariche inspiration de leur propre religion. Et souhaitons aussi que M. Gu-ruradjah Rao nous donne rapidement la suite de cet excellent travail.

    A propos de traductions, signalons ce qui est probablement le pre

    mier livre franais traduit en anglais par des Indiens. Il sagit des lettresde mon moulin, auxquelles sest attaque la jeune Indira Sarkar (3).L'effort est mritoire, mais il ne fait que confirmer une loi gnrale : dinfiniment rares exceptions prs, le traducteur d'uvres littraires nedoit jamais crire que dans sa langue maternelle. Et nos amis hindous,si parfaitement qu'ils connaissent langlais, feraient mieux de traduiredans des langues hindoues modernes.

    (1 ) Hollywood, Rodd, 1944. 1 87 pages.(2) Bangalore, 1942. 269 pages.

    (3 ) French stories from A lphonse Daudet, C alcutta, Chuckervertty, Chatterjee& Ce, 1945. X X V II + 87 pp.

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    Notes sur l'Art

    La Musique, Cet panouissement de lme. Clef de la vie intrieure.Rend ltre attentif aux voix secrtes de son moi .

    Les pages de virtuosit et leur porte. Celles con fuoco jetsdtincelles, brasier flambant. Ardeur du coeur humain. Chaleur cosmique,intense dans ses vibrations. Celles vivace leggiero Ivressedu mouvement, des sens. Tournoiements perdus, fugitifs...

    Les unes disent lternel de lesprit et de lunivers. Les autres toutlphmre de ce qui est charnel. Matire et spiritualit sy jouent.

    La sonorit, sa subtilit, ses rsonnances profondes, son mordant,sa force pre, tantt crue, tantt fluide a un grand pouvoir desuggestion..., de sduction..., et elle seule non en une chromographie sche mais densment charge de spiritualit, peut confrerla vie une uvre musicale.

    Faire vivre, vibrer les traits, les transfigurer.

    Cette absolue lgret dans les passages. Cet lan irrsistible quitrace librement le contour dun trait, dune phrase.,,

    Ondulation dans lther se projetant avec subtilit. Une pensemusicale qui devient un quelque chose de quasi immatriel , un brinde force divine.

    Cela nous panouit, car nous avons ainsi le sentiment, la scuritdavoir pied dans le To ut cosmique auquel nous sommes lis essentiellement. Mais lart (comme la philosophie et plus que la philosophie)

    libre les contingences et entrouvre les perspectives du monde supra-sensible. Et la lumire de la Vrit Eternelle luit pour nos mes

    hantes par laspiration de la dlivrance du poids matriel.

    La Musique est la fois tats de conscience et dynamisme.

    Elle reflte le double aspect de notre vie.

    Il ne faut pas relguer lnergie kintique de la musique danslombre. Dans lessence de la musique, le rythme, le mouvement, sontdes matires composantes dune action trs efficace.

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    Lart est magie Primitivement la musique tait mle troitement aux pratiques incantatoires. Cela dit tout son pouvoir.

    *$ *

    La vision de Bach est une vision cosmique. L'uvre de ce colosseparticipe troitement lharmonie, la logique et la puissance qui sont la base de la coordination universelle. Lorganisme gnial du matrefut un condensateur unique.

    Ce qui fait le rayonnement d'une excution musicale, c'est qu elleretrouve la vibration cratr ice .

    Si linterprte rflchit ltat crateur sur la plaque ultra sensiblede son tre, il dtient tous les sortilges.

    *

    * *Le gnie nest quun chelon dans lvolution divine de lhomme.

    Tout ce qui a t donn l'artiste de capter, grce aux correspondances suprasensibles, les effluves qui lenserrent et le tiennent captif,cela dit bien sa signification.

    L'artiste est l'instrument par lequel spanchent les grandes sourcesspirituelles.

    *

    Le public qui ne reconnat pas le message est tel un rcepteur

    rcalcitrant ou mal accord.

    O Maa, grande enchanteresse. Les plus sensibles, les plus ferventsdes amants de ta Beaut, te prient de soulever un coin de ton voile.Il y en a encore tant qui cherchent et se heurtent lencombrementdes formes, une ambiance trop dense.

    E L S A S C H O O L S

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    L'Ecole des FiancesParmi les rformes quil serait sage de faire lenseignement en

    gnral, notre attention devrait se porter dune faon particulire surles modifications apporter lducation de nos jeunes filles. Car ceuxqui se plaignent de voir tant de jeunes femmes inaptes assumer leurstches familiales perdent de vue que dans ltat actuel des ncessitssociales et des programmes scolaires elles nont pratiquement plus ni letemps ni le moyen de sy initier.

    En effet, au cours du dernier demi-sicle lessor prodigieux qua prislenseignement fminin la tendu dans un sens unilatral : celui, delinstruction. A lheure actuelle nous avons peine croire quil y a cinquan te encore celle-ci se limitait au degr primaire ; les jeunes fillesallaient lcole jusqu leur premire communion, ce qui leur laissait sept huit ans au moins dapprentissage familial avant de fonder un foyer.Mais sans que nous y prenions garde, le temps de cet apprentissage familial sest rduit au fur et mesure que s'accroissait limportance de lenseignement secondaire. Trois annes, puis six, puis sept se sont ajoutesaux tudes primaires d'antan. Nos lycennes daujourdhui sont soumises une enseignement dans lhoraire duquel on ne relve aucune trace de cequi pourrait les prparer conduire un jour une famille, A peine sont-elles libres du travail soutenu et absorbant quexige iobtention du

    certificat d'tudes quelles sont lies un travail professionnel. Caraujourd hui la presque totalit de nos jeunes filles travaillent cequi veut dire qu la maison elles ne font rien, pour la raison trs simplequelles nen ont pas le temps, soit quelles poursuivent leurs tudes,soit quelles exercent un emploi. De toute faon leur activit les maintienthors de la maison, ia tenue de laquelle elles nont que tout fortuitementle loisir de participer.

    Puis vient l'ge de lamour. Et le mariage survient faisant de notrejeun e fille dhier une femme dont la vie rclame subitement une foule deconnaissances et un savoir-faire auxquels rien ne l'a prpare. Devantla tche crasante qui lui incombe tout--coup, il ne lui reste qu im

    proviser. Elle sen tire avec plus ou moins de bonheur selon la richessede sa nature et de son coeur. Mais on est en droit de se demander si leschecs toujours nombreux de la vie conjugale ne sont pas pour une grandepart imputables la lgret avec laquelle nous laissons "e hazard prsider son organisation matrielle.

    Lassociation d'un couple travers les ecueils de la vie quotidienneest toujours une aventure, la grande aventure que tous brlent de tentermais dans laquelle beaucoup s'engagent sans accorder aux dtails uneattention suffisante. Tout cela, pense-t-on reste strictement personnelet ne pourrait s'apprendre dautant plus que ce sont les facteurs psychologiques qui sont prpondrants dans les lments responsables de lhar

    monie d'un couple. Mais en vrit les facteus psychologiques sont troitement mls aux contingences matrielles et il est bien des discordes

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    engendres par des ignorances, des ngligences ou de simples maladresses quune technique domestique plus approfondie permettrait dviter.

    C est pour cela q uune cole de fiances nous p arait hautement souhaitable. L'ide en avait t bauche par lordre nouveau de lEuropeCen trale sa conception comble si heuresement un besoin de lpoquequelle mrite dtre reprise, tudie et largement ralise. Elle combleraiten effet les graves lacunes ducatives de lenseignement des filles.

    Trois ou quatre mois avant leur mariage les fiances de toutesclasses et de toutes conditions y passeraient une priode de demi internatau cours de laquelle elles sinitieraient de faon mthodique et organise lessentiel des mille secrets que leurs aeules apprenaient sousloeil paisible de leur mre tout au long de leur adolescence.

    Pouponnages, cuisine, couture, repassages, entretien, se partageraientle programme de cette cole. Certes, le gnie de lamour peut faire clorespontanment la somme norme dadresse et dhabilit dont dpend labonne tenue dune famille, mais il vaut mieux ne pas compter voir cemiracle se renouveler chaque coup.

    Ltudiante, l'employe, lartisante, louvrire et lartiste, toutes aumoment de leurs fianailles nourissent la mme aspiration : btir le nid;et telles besognes qui les eut peut-tre rebutes 15 ans les trouveront cette poque plus attentives et plus ardentes bien faire.

    Ce serait aussi le moment idal pour rappeler ces prochaines mamans les responsabilits que les parents contractent vis--vis des enfants

    quils engendrent. C est alors quil faut leur dire que lducation desenfants se commence au berceau et ;se transmet par linfluence et parlexemple plus que par tout autre moyen.

    Enfin, tous ces tres jeunes que lamour a conquis, il ne seraitpas superflu de dire que le bonheur se ruine force daimer mal, mais

    jamais force daimer trop, ca r cest toujours le manque damour quiouvre la porte au malheur. Tels parfois se croient amoureux qui naimenten ralit queux-mmes et ne donnent leur 'affection quen change delattention quon leur porte. Or, lamour gnreux, vritable et solidenest pas un change, mais un don perdu et gratuit. Ds que le donse mnage et sappauvrit, lamour se fne et priclite.

    Parler de lamour des enfants dont le cur nen connat pas encorela saveur est malsain et inutile. En parler des tres qui, parfois parpauvret, souvent par maladresse lont laiss prir est, hlas, tristementvain. C est l ge o le cur s ouvre quil est le plus opportun de direque le bonheur sapprend et se cultive et que lamour est un art qui rclame une attention vigilante, mais un art splendide, nuanc de lextrme,qui porte ltre depuis les rudiments de la bestialit instinctive jusquauxplus sublimes sommets de la vie unitive condition de rester exclusivement ddi dautres qu soi-mme.

    Quand on sait limportane que revt laffectivit dans le bonheurdes individus et dans la qualit de leurs rapports on stonne de voir combien peu dattention on lui porte. Aussi lcole des fiances se devrait demettre son programme cette innovation pdagogique : lart d aimer.

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    C est bien parce quil se confond avec l'art de vivre que je m'tendssur ce sujet dans des colonnes o il nest gnralement question que descience, de religion ou de philosophie. Mais la philosophie na-t-elle pas

    pour but de nous apprendre vivre plus encore qu penser. Car cestsvertuer faire tenir une pyramide en quilibre sur une pointe que dechercher exceller dans les spculations philosophiques avant davoirrussi vivre harmonieusement avec nos proches.

    M . B A N G E R T E R .

    L I V R E S R E U S .

    La Poursuite (pomes) par Marie Dominique (Cahiers du Lys).Pierre Nicole ou la civilit chrtienne par Le Breton Grandmaison.

    Edition Albin Michel.

    R E V U E :

    Les cahiers du N ord : sous la direction de Nestor Miserez, 5, ruedes Boulets, Charleroi. Abonnement : 200 fr. lan.

    D O N S .

    Anonyme ........................................................................................ 1.000 fr.

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    Un cordial meci nos gnreux donateurs.

    Les versements doivent seffectuer uniquement au C. C. P. 62.04de lInstitut Suprieur de Sscience et Philosophie, 71, rue de la Victoire,Bruxelles.

    C O R R E S P O N D A N T S .

    Congo Belge : M . Franois, conservateur des titres fonciers :Coste r-mansville, Congo Belge.

    France .- Mlle Dupont, Elisabeth, domaine de lEtoile, route de Pes -sicart, Nice (A .-M .).

    Imp. VANDERSTICHELEN. 13, rue Alfred Cluvi*r