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Stratégies de prise en charge nutritionnelle de l'enfant et de l'adulte jeune atteint de mucoviscidose

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Stratégies de prise en charge nutritionnelle de l’enfantet de l’adulte jeune atteint de mucoviscidose

Nutritional support in cystic fibrosis

Jean-Louis Giniès *, Chrystèle Bonnemains

Département de pédiatrie, CHU d’Angers, 49033 Angers cedex 01, France

Disponible sur internet le 13 octobre 2005

Résumé

De nombreux facteurs sont susceptibles d’entraîner la survenue d’une malnutrition dans la mucoviscidose. Il existe un déséquilibre de labalance énergétique en rapport avec l’augmentation des pertes digestives secondaires à l’insuffisance pancréatique externe alors que lesingesta sont très souvent diminués et que la dépense énergétique est augmentée. Une malnutrition est souvent observée dans la mucoviscidoseet les patients malnutris ont une altération plus rapide de la fonction respiratoire et un moins bon pronostic en termes de survie que les patientsbien nutris. L’évaluation de l’état nutritionnel des patients mucoviscidosiques repose sur des critères cliniques et biologiques et l’estimationdes ingesta. Les critères cliniques sont le poids et la taille, en calculant l’indice de corpulence, et chez l’enfant la reconstitution de la courbe decroissance et l’appréciation du stade pubertaire. Certains paramètres biologiques comme les vitamines liposolubles, le statut en acides grasessentiels et certains oligoéléments, sont plus spécifiques de la maladie. Chez l’enfant ou l’adulte ne présentant pas de signes de dénutrition oud’autres facteurs susceptibles de majorer les besoins ou de limiter les ingesta, la prise en charge nutritionnelle repose sur le contrôle desapports, la correction de l’insuffisance pancréatique et des supplémentations en vitamines liposolubles. Lorsqu’il existe une situation à risqueou comportant un déficit nutritionnel une évaluation diététique et médicale doit être faite. En l’absence d’amélioration, la prescription desuppléments nutritionnels oraux n’est le plus souvent pas suffisante et la thérapeutique doit s’intensifier par l’utilisation de la nutrition entéralenocturne à débit constant, par gastrostomie de préférence à une sonde nasogastrique. Cette technique permet d’améliorer l’état nutritionneldes patients malnutris. Les indications d’une nutrition parentérale sont exceptionnelles.© 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Abstract

Many factors are likely to involve occurrance of malnutrition in cystic fibrosis. There is an imbalance of the energy balance related withincrease in digestive losses secondary to the external pancreatic insufficiency whereas oral intakes are very often decreased and that energyexpenditure is increased. Malnutrition is often observed in the cystic fibrosis and malnourished patients have a faster deterioration of respi-ratory function and a worse forecast in term of survival than well-nourished patients. Nutritional assessment of cystic fibrosis patients is basedon clinical and biological criteria and oral intakes evaluation. The clinical criteria are weight and size, by calculating body mass index, and inthe child the reconstitution of growth curve and appreciation of the puberty stage. Many biological parameters like the liposoluble vitamins,status in essential fatty acids and some trace elements, are more specific. In child or adult without malnutrition symptoms or other factorslikely to raise the needs or to limit oral intakes, nutritional support is based on oral intakes control, correction of the pancreatic insufficiencyand liposoluble vitamins supplementation. When there is a situation “at risk” or malnutrition, a dietetic and medical evaluation must be made.In absence of improvement, prescription of oral nutritional supplements is generally not sufficient and therapeutic must be intensify by the useof enteral nutrition, likely by gastrostomy. This technique makes it possible to improve the nutritional state of malnourished patients. Theindications of parenteral nutrition are exceptional.© 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

* Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (J.-L. Giniès).

Nutrition clinique et métabolisme 19 (2005) 254–259 /Numéro hors série Archives de pédiatrie, vol. 12, n° 4

http://france.elsevier.com/direct/NUTCLI/

0985-0562/$ - see front matter © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés.doi:10.1016/j.nupar.2005.09.003

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Mots clés : Mucoviscidose ; Nutrition ; Insuffisance pancréatique externe ; Insuffisance respiratoire

Keywords: Cystic fibrosis; Artificial nutrition; External pancreatic insufficiency; Respiratory failure

La mucoviscidose est la plus fréquente des maladies auto-somiques graves touchant les populations d’origine euro-péenne. Le gène de la maladie a été localisé sur le bras longdu chromosome 7. Il code pour une protéine CFTR (cysticfibrosis transmembrane conductance regulator). Cette pro-téine constitue un canal ionique de faible conductance pourle passage des ions chlorures [1]. Elle est impliquée dansl’hydratation des fluides secrétés par les glandes sous-muqueuses. La déshydratation du mucus rend compte del’atteinte des épithéliums bronchiques pancréatiques et biliai-res et des manifestations cliniques digestives et respiratoiresde la maladie. L’insuffisance respiratoire est la cause habi-tuelle du décès des patients atteints mais l’état respiratoire[2] et le pronostic de vie [3] sont étroitement liés à l’état nutri-tionnel. Le maintien d’un bon état nutritionnel doit figurerparmi les principaux objectifs de la prise en charge des patientsatteints.

Dans cet exposé nous envisagerons successivement : lesfacteurs de risque, la fréquence et les caractéristiques de lamalnutrition dans la mucoviscidose, ses conséquences surl’évolution de la maladie, ses méthodes d’évaluation et sontraitement.

1. Facteurs de risques de malnutritiondans la mucoviscidose

De nombreux facteurs sont susceptibles d’entraîner la sur-venue d’une malnutrition dans la mucoviscidose. Il existe eneffet un déséquilibre de la balance énergétique en rapport avecune augmentation des pertes digestives et de la dépense éner-gétique alors que les ingesta sont diminués.

L’augmentation des pertes énergétiques est principale-ment la conséquence de l’insuffisance pancréatique externe.Celle-ci est présente chez 85 à 90 % des patients après l’âgede deux ans. Elle est dépendante du statut génétique : elle estquasiment constante chez les patients homozygotes delta F508 et généralement dans les mutations dites sévères. Elle estprésente chez 72 % des patients hétérozygotes pour la muta-tion delta F 508 contre seulement 36 % des patients qui nesont pas porteurs de cette mutation [4]. La conséquence prin-cipale de l’insuffisance pancréatique externe est un syn-drome de malabsorption des graisses et des protéines. Ils’exprime cliniquement par une stéatorrhée définie par uncoefficient d’absorption des graisses inférieur à 90 %. Cettestéatorrhée apparaît lorsque la sécrétion pancréatique exo-crine est inférieure à 10 % des valeurs normales.

Il existe d’autres causes que la stéatorrhée de l’insuffi-sance pancréatique externe aux pertes nutritionnelles diges-tives de la mucoviscidose. Les anomalies du mucus intestinalet de la motricité digestive, les conséquences d’une éven-

tuelle résection intestinale chez les patients ayant présenté uniléus méconial, les perturbations du métabolisme des acidesbiliaires concourent à aggraver la malabsorption. Le retentis-sement nutritionnel de la maladie pancréatique peut êtremajoré par l’apparition d’une insuffisance pancréatique endo-crine et l’augmentation des pertes caloriques par glycosurie.Elle est surtout observée chez l’adulte jeune où la fréquencedu diabète est de l’ordre de 10 %. Il s’installe souvent defaçon insidieuse et peut se révéler par une dégradation del’état nutritionnel.

La dépense énergétique totale est augmentée chez l’enfantatteint de mucoviscidose par augmentation à la fois de ladépense énergétique de repos et du coût énergétique de ladépense physique. Il existe une augmentation de la dépenseénergétique de repos objectivée par les études en calorimé-trie indirecte secondaire à l’augmentation du travail respira-toire, la surinfection pulmonaire et la mutation du gène CFTR[5]. Le coût énergétique de la dépense physique est aug-menté au cours de la marche mais aussi après un effort phy-sique en phase de récupération [6]. Ces phénomènes sont par-ticulièrement nets lors des périodes de surinfection et lorsquela fonction respiratoire s’altère.

La capacité du patient à compenser cette augmentation despertes et de la dépense énergétique dépend de son appétit etde la qualité et de la quantité de l’alimentation. L’appétitvorace classiquement décrit chez les patients atteints de muco-viscidose n’existe en réalité que chez le nourrisson. Chezl’enfant plus âgé au contraire les apports alimentaires sontsouvent très insuffisants par rapport aux besoins [7]. Cetteanorexie est la conséquence de la maladie chronique, des dou-leurs abdominales et de la diarrhée, du reflux gastro-œsophagien souvent rencontré et des vomissements répétéslors des accès de toux, de la production de cytokines et d’unealtération du goût par excès d’expectoration. Elle est favori-sée par les facteurs psychologiques d’anxiété et de dépres-sion engendrés par la maladie et ses contraintes. Elle estmajeure lors des épisodes de surinfection bronchique et austade d’insuffisance respiratoire chronique.

2. Fréquence et caractéristiques de la malnutritiondans la mucoviscidose

Une malnutrition est souvent observée dans la mucovisci-dose. Sa fréquence en fonction des pays, des tranches d’âgeconcernées et des dates où ont été réalisées les enquêtes, variede 10 à 60 % [8–10]. Sa gravité varie du déficit pondéral àdes signes francs de carence protéique et énergétique.

Elle est particulièrement à craindre pendant les deux pre-mières années de vie et au moment de la puberté qui sont despériodes de croissance rapide et lorsqu’il existe une insuffi-

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sance respiratoire sévère. Ainsi, en France les données de lapopulation de l’observatoire national de la mucoviscidosemontrent que le déficit pondéral est un symptôme quasi cons-tant de la maladie. La comparaison de ces données à celle dela population française de référence montre que le retard decroissance pondéral est important pendant la première annéede vie. Il existe ensuite un rattrapage qui rapproche l’enfantdes valeurs normales attendues entre l’âge de six et neuf ans.Puis au moment de la puberté l’évolution pondérale se dégradenettement avec un retard plus sévère chez les garçons quechez les filles (Fig. 1). Cette dégradation de l’état nutrition-nel au moment de la puberté est objectivée de façon encoreplus nette sur les courbes d’indice de corpulence selon l’âgedes malades (Fig. 2).

Un certain nombre de carences sont spécifiques à la muco-viscidose, liées pour la plupart à la malabsorption des grais-ses. Il en est ainsi des vitamines liposolubles. Un déficit envitamine A est présent chez plus de 50 % et un déficit envitamine E chez 40 % des patients dépistés à la naissance[11]. Un déficit en vitamine K s’observe essentiellement lorsd’antibiothérapie prolongée ou lorsqu’il existe une atteintehépatique. Le déficit en vitamine D est un des facteurs destroubles de la minéralisation osseuse fréquemment observéschez les adolescents [12]. Une autre conséquence de la malab-sorption lipidique est un déficit en acides gras essentiels [13].Ce déficit se manifeste par un abaissement du taux d’acidelinoléique et une élévation du taux des acides oléique et pal-mitoléique au niveau de toutes les fractions lipidiques nonseulement plasmatiques mais aussi membranaires, érythro-cytaires, plaquettaires et du tissu adipeux.

Parmi les vitamines hydrosolubles, seule la vitamineB12 est mal absorbée. Parmi les oligoéléments des carencesen zinc, en sélénium et en magnésium ont été décrites dans lamucoviscidose. Enfin, l’infection chronique interfère avecl’absorption du fer et chez un tiers des patients la ferritine estabaissée [14].

3. Conséquences de la malnutrition sur l’évolutionde la mucoviscidose

Le lien entre l’état nutritionnel, la fonction respiratoire etle pronostic de la maladie est clairement établi. Les patientslaissés à un régime libre non limité en graisses grâce à l’uti-lisation des extraits pancréatiques gastroprotégés ont unmeilleur état nutritionnel et un meilleur pronostic en termesde vie médiane (30 vs 21 ans) que des patients soumis à unrégime restrictif [15]. Les patients insuffisants pancréatiquesavec stéatorrhée ont un moins bon état nutritionnel, une alté-ration plus rapide de la fonction respiratoire et un moins bonpronostic que les patients suffisants pancréatiques [4].

Il existe une relation certaine entre l’état nutritionnel et lafonction respiratoire, l’infection bronchique étant favoriséepar la malnutrition et l’insuffisance respiratoire retentissantsur l’état nutritionnel [10,16,17]. Une relation entre le VEMSet les paramètres nutritionnels et entre l’indice de corpulenceet la fonction respiratoire a été démontrée [10,18,19]. Unrégime riche en lipides ou la nutrition entérale sont suscepti-bles d’améliorer la fonction respiratoire [20]. L’état nutrition-nel a, de façon indépendante de la fonction respiratoire, uneinfluence sur la survie. La durée de vie a ainsi pu être corré-lée à l’état nutritionnel exprimé par le pourcentage de poidsidéal ou le rapport poids sur taille [21,22].

Enfin, les carences biologiques en vitamines, en acides grasessentiels et en oligoéléments ont des conséquences sur denombreux facteurs pouvant intervenir dans la maladie :défense contre les bactéries, réparation pulmonaire, force desmuscles respiratoires, synthèse des cytokines, consomma-tion d’oxygène, effet anti-oxydant...

Fig. 1. Répartition des Z-score de poids en fonction de l’âge chez 3291 pa-tients mucoviscidosiques âgés de 0 à 24 ans (source : observatoire nationalde la mucoviscidose, rapport sur la situation de la mucoviscidose en Franceen 2003).

Fig. 2. Répartition de l’indice de corpulence en fonction de l’âge chez3001 patients mucoviscidosiques âgés de 0 à 21 ans (source : observatoirenational de la mucoviscidose, rapport sur la situation de la mucoviscidose enFrance en 2003).

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4. Comment évaluer l’état nutritionnel des patientsmucoviscidosiques

L’évaluation de l’état nutritionnel repose sur des critèrescliniques et biologiques et l’estimation de la balance énergé-tique.

Les critères cliniques sont le poids et la taille, la composi-tion corporelle et chez l’enfant la reconstitution de la courbede croissance et au moment de l’adolescence l’appréciationdu stade pubertaire.

Chez l’enfant la taille doit être appréciée en fonction del’âge en tenant compte de la position sur les courbes de crois-sance en DS ou percentile de la taille cible génétique calcu-lée par la formule : (Taille du père en cm + Taille de la mèreen cm + 13 chez le garçon ou – 13 chez la fille) / 2 [23]. Lepoids, lui, est exprimé en pourcentage du poids attendu pourla taille, c’est-à-dire au poids moyen que pèse un enfant demême taille, ou en calculant l’indice de masse corporelle c’est-à-dire le rapport du poids en kilogramme divisé par le carréde la taille en mètre.

On parle de dénutrition lorsque le poids de l’enfant estinférieur à 85 % du poids attendu pour la taille. La dénutri-tion est considérée comme légère entre 85 et 80 %, moyenneentre 75 et 80 % et sévère au-dessous de 75 % [24]. L’indicede corpulence varie chez l’enfant en fonction de l’âge et lescourbes de référence figurent sur le carnet de santé. Chezl’adulte il est normalement compris entre 18,5 et 25 kg/m2.On considère comme pathologique chez l’enfant des valeursinférieures au 3e percentile et chez l’adulte inférieure à18,5 kg/m2 [25].

Chez l’enfant la reconstitution de la courbe de croissancestaturopondérale permet de mettre en évidence l’apparitiond’une stagnation de la croissance pondérale qui si elle sepérennise, va secondairement retentir sur la croissance pon-dérale. On considère comme pathologique un ralentissementde la croissance qui fait sortir l’enfant du couloir (en percen-tile ou en DS) ou il grossissait jusqu’ici.

La détermination de la composition corporelle repose enpratique clinique sur la mesure des plis cutanés et du périmè-tre brachial. Elle permet une appréciation des parts respecti-ves de masse maigre et grasse dans le poids global et d’éva-luer leurs modifications au cours de la prise en chargenutritionnelle [26].

L’appréciation du stade pubertaire doit faire partie de l’exa-men clinique du patient mucoviscidosique. Un retard puber-taire, fréquemment constaté dans la maladie, peut être laconséquence d’une malnutrition [27].

Certains paramètres biologiques comme l’appréciation dustatut protéique par le dosage de la rétinol binding protéine,de la préalbumine et de l’albumine font partie du bilan nutri-tionnel habituel d’autres, comme les vitamines liposolubles,le statut en acides gras essentiels et certains oligoéléments,sont plus spécifiques de la maladie.

L’appréciation du statut en vitamines liposolubles reposeen pratique sur le dosage plasmatique du rétinol pour la vita-mine A, sur le dosage plasmatique de l’alphatocophérol pour

la vitamine E, sur celui du 25 hydroxycholicalciférol pour lavitamine D, par le temps de Quick et le dosage des facteursde la coagulation vitamine K dépendants pour la vitamine K[28].

Le statut en oligoéléments sera apprécié par le dosage plas-matique du zinc et l’évaluation du statut martial par le dosagedu fer plasmatique, du taux d’hémoglobine et de l’hémato-crite [29]. Le statut en acides gras essentiels peut être évaluépar chromatographie des acides gras des phospholipides plas-matiques.

Une ostéoporose est fréquente dans la mucoviscidose enparticulier chez les adolescents et les jeunes adultes mêmelorsque le bilan phosphocalcique est normal. Les mesures ducontenu minéral osseux et de la densité minérale osseuse,exprimées en Z-score, par absorptiomètrie biphotonique per-mettent son évaluation précise [12]. Cet examen renseigneégalement sur la composition de l’organisme.

L’estimation des ingesta repose sur l’interrogatoire alimen-taire et pour un résultat plus précis sur la méthode du relevédiététique ou les ingesta sont consignés sur un journal pen-dant une période d’au moins trois jours permettant une esti-mation quantitative et qualitative. Les pertes fécales sontessentiellement appréciées par la clinique, l’importance destroubles digestifs et notamment la fréquence et les caractéris-tiques des selles guidant la prescription des enzymes pancréa-tiques. Une évaluation plus précise peut être faite par undosage trois jours de suite de la stéatorrhée.

Une évaluation nutritionnelle complète, clinique et para-clinique, est nécessaire au minimum une fois par an chez lespatients atteints de mucoviscidose. Une plus grande attentionest nécessaire à certaines périodes de la vie : la phase de crois-sance rapide correspondant aux 12 premiers mois de vie etpour les sujets qui n’ont pas bénéficié du dépistage néonatalla période qui suit le diagnostic et le début de la prise en chargethérapeutique, la période pubertaire et l’adolescence où il fau-dra être particulièrement vigilant au dépistage de troubles dela conduite alimentaire et à la qualité de la minéralisationosseuse et lors de l’aggravation de la maladie respiratoire.

5. Prise en charge nutritionnelle de la mucoviscidose

Elle diffère suivant qu’il existe ou non une situation dedénutrition ou à risque de dénutrition.

Chez l’enfant ou l’adulte ne présentant pas de signes dedénutrition ou d’autres facteurs susceptibles de majorer lesbesoins ou de limiter les ingesta la prise en charge repose surle contrôle des apports nutritionnels, la correction de l’insuf-fisance pancréatique et des supplémentations spécifiques.

Chez le nourrisson l’allaitement maternel doit être recom-mandé à chaque fois qu’il est possible, si besoin associé à laprise d’extraits pancréatiques, et en surveillant qu’il assureune croissance normale. Si le nourrisson n’est pas allaité parsa mère on peut, là aussi associé à la prise d’extraits pancréa-tiques et en contrôlant la normalité de la croissance, employerles formules lactées classiques pour nourrissons [30]. En cas

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d’inconfort digestif ou de diarrhée malgré la prise des extraitspancréatiques on peut également utiliser, certains même lefont d’emblée, un hydrolysat de protéines enrichi en trigly-cérides à chaînes moyennes. Dans tous les cas le choix doitse porter vers le nutriment ayant la plus forte teneur en sodium.Les apports doivent être supérieurs aux apports recomman-dés pour l’âge. En pratique les nourrissons adaptent le plussouvent spontanément leur consommation à leurs besoins etla recommandation est de ne pas freiner la demande del’enfant et de surveiller régulièrement sa croissance. La diver-sification alimentaire se fait au 5e–6e mois comme chezl’enfant normal et obéit aux mêmes principes.

Chez l’enfant et l’adulte jeune les besoins énergétiques sontplus élevés que ceux de la population générale. Ils sont esti-més à 110 à 120 % des apports journaliers recommandés pourles sujets sains [31]. L’objectif est d’assurer à l’enfant unecroissance staturopondérale normale et de conserver un poidsnormal pour la taille chez l’adulte. Il faut très tôt, dès la for-mation du goût, orienter les habitudes alimentaires vers desproduits riches en calories glucidolipidiques. En pratique lerecours à une diététicienne est indispensable. Il doit être pré-coce et régulier, afin d’évaluer l’adéquation des apports auxbesoins et de fournir des conseils pratiques.

La compensation de l’insuffisance pancréatique exocrineest assurée par les extraits pancréatiques. Ils se présententactuellement sous forme de capsules « gastroprotégées »contenues dans une gélule [32]. Ces extraits doivent être prisau début du repas. Chez le nourrisson on peut ouvrir la géluleet donner les capsules dans une boisson ou un aliment acide(jus de pomme). La posologie des extraits est adaptée au caspar cas. L’objectif est de réduire la stéatorrhée et de fairedisparaître la diarrhée.

La supplémentation en vitamines liposolubles A, E et Dest systématique, à une posologie double de la dose usuelle,même en l’absence d’insuffisance pancréatique exocrine. Lavitamine K n’est prescrite qu’au cours de la première annéede vie (5 à 10 mg par semaine) ou au cours d’antibiothérapieprolongée. Une supplémentation en oligoéléments (fer, zinc,sélénium, magnésium) n’est prescrite qu’en cas de carencedémontrée. Les besoins en eau et en sodium sont souventmajorés pendant la période estivale par une sudation impor-tante. Une supplémentation en sodium peut alors être admi-nistrée sous forme de gélules ou, chez le nourrisson, enemployant une solution de réhydratation orale.

Lorsqu’il existe une situation à risque ou comportant undéficit nutritionnel une évaluation diététique et médicale doitêtre faite avant d’avoir recours aux techniques d’assistancenutritionnelle.

L’évaluation diététique et médicale est indispensable dèsqu’il existe un fléchissement de l’état nutritionnel. La consul-tation diététique apprécie les apports et essaie d’améliorerles ingesta par le choix d’aliments hypercaloriques et le frac-tionnement des repas. Il est également possible de prescriredes préparations hypercaloriques [33]. Elles sont disponiblesen pharmacie, remboursées par la sécurité sociale et faciles àprendre entre les repas qu’elles ne doivent pas remplacer mais

malgré la variété des textures, des goûts et des arômes il estsouvent difficile d’en obtenir une consommation régulière.

Le bilan médical évalue la compliance thérapeutique etadapte au mieux la posologie des extraits pancréatiques. Iladapte la thérapeutique si des facteurs organiques comme uneaggravation de la fonction respiratoire ou de l’infection bron-chique, une hépatopathie, un reflux gastro-œsophagien, undiabète ou un facteur psychologique, peuvent rendre comptede la dégradation de l’état nutritionnel.

Lorsque malgré la supplémentation orale fractionnée etl’adaptation de la thérapeutique l’état nutritionnel continu àse dégrader une assistance nutritionnelle est proposée [34].

Cette assistance nutritionnelle est pratiquement toujoursune nutrition entérale nocturne à débit constant [35]. Elle sefait soit par sonde nasogastrique soit lorsque, ce qui est le cashabituel, la nutrition sera prolongée par gastrostomie réaliséehabituellement par voie endoscopique [20]. Le mélange nutri-tif choisi peut être une formule semi-élémentaire ou polymé-rique avec adjonction d’extraits pancréatiques [36]. Il est habi-tuellement infusé en 8 à 12 heures et doit permettre associé àl’alimentation orale diurne d’apporter 120 à 150 % des apportsnutritionnels journaliers recommandés pour la populationgénérale. Ses complications possibles sont la majoration d’unreflux gastro-œsophagien ou la révélation d’un diabète. L’ins-tallation de cette nutrition artificielle constitue un alourdisse-ment thérapeutique et correspond souvent à un tournant évo-lutif de la maladie. Le patient doit être informé desinconvénients et des bénéfices escomptés de la technique etdoit pouvoir bénéficier d’un soutien psychologique.

Les risques et la lourdeur d’une nutrition parentérale parcathéter central rendent ses indications exceptionnelles. Ellepeut être de courte durée, lors des suites postopératoires dechirurgie digestive où de cures antibiotiques lors d’épisodesd’exacerbation pulmonaire. Elle est exceptionnellement pro-longée chez des patients en attente de transplantation pulmo-naire [27,37,38].

6. Conclusion

Le maintien d’un état nutritionnel normal chez les patientsmucoviscidosiques est un élément essentiel du pronostic. Sanécessité doit être constamment à l’esprit des praticiens quiprennent en charge ces malades. Il repose sur une diététiqueet des supplémentations adaptées à chaque cas particulier etsur la correction de l’insuffisance pancréatique externe. L’éva-luation de l’état nutritionnel est un des objectifs de la sur-veillance de ces patients. Elle est renouvelée cliniquement àchaque consultation et fait l’objet d’examens systématiquesrenouvelés régulièrement. La constatation d’une dégradationde l’état nutritionnel est l’indication, modulée en fonction desrésultats obtenus, d’une intervention allant de la prise encharge diététique et de la prescription de compléments nutri-tifs jusqu’aux techniques de nutrition artificielle essentielle-ment entérales.

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Remerciements

Les auteurs remercient l’association Vaincre la Mucovis-cidose et l’Institut national d’études démographiques qui leuront communiqué et autorisé à utiliser les résultats de l’année2003 de l’observatoire national de la mucoviscidose.

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259J.-L. Giniès, C. Bonnemains / Nutrition clinique et métabolisme 19 (2005) 254–259 / Numéro hors série Archives de pédiatrie, vol. 12, n° 4