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UNIVERSITE DE PARIS I PANTHEON-SORBONNE SCIENCES ECONOMIQUES - SCIENCES HUMAINES - SCIENCES JURIDIQUES ET POLITIQUES PARTENARIATS PUBLIC-PRIVE ET PERFORMANCES Théories et applications au secteur de l’approvisionnement d’eau potable en France THESE POUR LE DOCTORAT EN SCIENCES ECONOMIQUES présentée et soutenue publiquement par Freddy HUET Devant le jury suivant : M. Stéphane Saussier Professeur à l’université de Paris XI : directeur de thèse M. Yves Croissant Professeur à l’université de Lyon II : rapporteur M. Stéphane Straub Professeur à l’université d’Edimbourg : rapporteur M. Claude Ménard Professeur à l’université de Paris I : suffragant M. Philippe Dulbecco Professeur à l’université de Clermont-Ferrand I : suffragant Mme Katheline Schubert Professeur à l’université de Paris I : suffragant

théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

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Page 1: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

UNIVERSITE DE PARIS I PANTHEON-SORBONNE SCIENCES ECONOMIQUES - SCIENCES HUMAINES - SCIENCES JURIDIQUES ET POLITIQUES

PARTENARIATS PUBLIC-PRIVE ET

PERFORMANCES

Théories et applications au secteur de l’approvisionnement d’eau potable en

France

THESE POUR LE DOCTORAT EN SCIENCES ECONOMIQUES

présentée et soutenue publiquement par Freddy HUET

Devant le jury suivant :

M. Stéphane Saussier Professeur à l’université de Paris XI : directeur de thèse M. Yves Croissant Professeur à l’université de Lyon II : rapporteur M. Stéphane Straub Professeur à l’université d’Edimbourg : rapporteur M. Claude Ménard Professeur à l’université de Paris I : suffragant M. Philippe Dulbecco Professeur à l’université de Clermont-Ferrand I :

suffragant Mme Katheline Schubert Professeur à l’université de Paris I : suffragant

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AVERTISSEMENT

L'UNIVERSITE DE PARIS I PANTHEON-SORBONNE n'entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises dans les thèses ; ces opinions doivent être

considérées comme propres à leurs auteurs.

Page 3: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

REMERCIEMENTS

Je tiens tout d’abord à exprimer ma plus profonde gratitude au professeur Stéphane

SAUSSIER qui a accepté d’encadrer cette thèse. Son soutien, sa disponibilité ont été sans faille et ses

conseils pertinents m’ont efficacement guidés pour mes recherches.

Je souhaiterais également dire toute ma reconnaissance pour mon collègue et ami Eshien

CHONG, avec qui j’ai très souvent collaboré ces dernière années. Son aide m’a été très précieuse et

je tiens vivement à le remercier pour son enthousiasme et sa motivation.

Ce travail n’aurait pas été possible sans le concours de plusieurs organismes publics qui ont

fourni toutes les informations statistiques à l’origine de la base de données construite pour cette

étude. Je tiens particulièrement à remercier l’Institut Français de l’Environnement (IFEN) en la

personne de Bernard NANOT, le SCEES (Service Central des Enquêtes et des Etudes Statistiques), la

Direction Générale de la Santé (DGS), les agences de l’Eau Rhône-Méditerranée-Corse et Adour-

Garonne, et le Ministère de l’Intérieur. L’exploitation des données IFEN-SCEES a nécessité

l’autorisation du CNIS (Conseil National de l’Information Statistique) envers qui notre

reconnaissance est énorme.

De nombreuses autres personnes ont contribué par leurs connaissances, leur expérience et

leurs critiques avisées à l’avancement de mes recherches. Je voudrais plus particulièrement adresser

mes remerciements à Claude MENARD, Anne YVRANDE-BILLON, Yves CROISSANT,

Christophe DESPRES, Sébastien LECOU, Michel PAUL, Armel JACQUES et plus généralement à

tous les membres des laboratoires ATOM et CERESUR pour leur aide et leurs encouragements.

La réalisation de cette thèse a été rendue possible grâce aux soutiens financiers de

l’Université de Paris I, qui m’a accordé une allocation de recherche en 2002, et l’Université de la

Réunion, qui m’a accordé un poste d’ATER depuis 2005 me permettant de terminer ce travail dans

de bonnes conditions. Je souhaite aussi remercier le Ministère de l’Ecologie et du Développement

durable, en la personne de Jean-Pierre Rideau, pour le financement du rapport « eau » qui a

également contribué à faire progresser mes travaux.

Je tiens en dernier lieu à remercier mes proches. Leur aide et leur soutien moral ont

été importants dans les moments difficiles. Cette thèse leur est dédiée.

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1

TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION GENERALE ........................................................................................................................7 PARTIE 1 : LES CONTRATS DE FRANCHISE BIDDING ET LA LITTERATURE ECONOMIQUE 12 CHAPITRE 1 : LES DEFAILLANCES DES CONTRATS DE FRANCHISE BIDDING ......................... 13

SECTION 1. Les problèmes liés à l’attribution du contrat ................................................. 14

1.1. Les causes de l’incomplétude contractuelle ......................................................................... 14

1.2. Les conséquences de l’incomplétude contractuelle ............................................................. 15 1.2.1. Les problèmes de sélection de l’opérateur ...................................................................................... 15 1.2.2. La crédibilité de l’engagement de l’autorité publique ..................................................................... 16

SECTION 2. Les problèmes d’exécution du contrat............................................................ 17

2.1. Incomplétude contractuelle et opportunisme ...................................................................... 17

2.2. La faible menace de rupture des engagements.................................................................... 17

2.3. Les problèmes de divergence entre prix et coûts................................................................. 19

2.4. Durée du contrat et incitations à investir............................................................................. 19

SECTION 3. Les problèmes de réattribution ....................................................................... 20

3.1. Les causes de l’absence de parité.......................................................................................... 20 3.1.1. Asymétries d’information et barrières à l’entrée ............................................................................. 20 3.1.2. La « transformation fondamentale » et les barrières à l’entrée........................................................ 21

3.2. Problèmes de parité et efficacité du franchise bidding....................................................... 22

SECTION 4. Une illustration empirique : le secteur du câble aux Etats-Unis .................. 23

4.1. Les principaux éléments du contrat Oackland/Focus Cable.............................................. 23

4.2. Les défaillances du contrat.................................................................................................... 24

CONCLUSION ..................................................................................................................................................26 CHAPITRE 2 : LES SOLUTIONS AUX DEFAILLANCES DES CON TRATS DE FRANCHISE BIDDING ........................................................................................................................................................... 29

SECTION 1. Les solutions apportées aux problèmes d’attribution .................................... 30

1.1. efficacité du franchise bidding et sélection de l’opérateur ................................................. 30 1.1.1. Enchères multi-critères et sélection de l’opérateur.......................................................................... 30

1.1.1.1. Le démarchage auprès des consommateurs............................................................... 30 1.1.1.2 Les enseignements de la théorie des enchères............................................................ 31

1.1.2. Offres opportunistes et sélection de l’opérateur .............................................................................. 32 1.1.3. « malédiction du vainqueur » et sélection de l’opérateur ................................................................ 33

1.1.3.1. Les enchères ouvertes................................................................................................ 34 1.1.3.2. L’enchère LPVR ....................................................................................................... 34 1.1.3.3. Le partage des risques ............................................................................................... 36

1.2. Enchères graduelles et engagement crédible de l’autorité publique ................................. 36

SECTION 2. Les solutions apportées aux problèmes d’exécution...................................... 37

Page 6: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

2

2.1. Franchise bidding et adaptation du contrat ........................................................................ 38 2.1.1. L’arbitrage entre flexibilité et rigidité ............................................................................................. 38 2.1.2. La substitution de l’enchère par la négociation ............................................................................... 40

2.2. Franchise bidding et opportunisme...................................................................................... 41 2.2.1. Dépendance bilatérale et contrat auto-exécutoire............................................................................ 41 2.2.2. Les garanties contractuelles explicites et implicites ........................................................................ 42 2.2.3. Effets de réputation et renouvellement du contrat ........................................................................... 44 2.2.4. Efficacité des garanties contractuelles et contrôle de l’opérateur.................................................... 44 2.2.5. Répartition des droits de propriétés et qualité non vérifiable .......................................................... 45

2.3. Franchise bidding et sous-investissement de fin de contrat ............................................... 47 2.3.1. Le cas des investissements observables et vérifiables ..................................................................... 47 2.3.2. Le cas des investissements non observables.................................................................................... 48

SECTION 3. Les solutions aux problèmes de réattribution ................................................ 50

3.1. «Malédiction du vainqueur » et problèmes de parité ......................................................... 50

3.2. Transformation fondamentale et problèmes de parité ....................................................... 51

SECTION 4. Les études empiriques ..................................................................................... 53

4.1. Une étude de cas de Littlechild [2002] : le contrat SPL/LUL............................................. 53 4.1.1. Incomplétude contractuelle et prix « artificiel et obscur » .............................................................. 54 4.1.2 La gestion des risques d’opportunisme ............................................................................................ 54 4.1.3. La gestion des problèmes d’alignement entre prix et coûts............................................................. 56 4.1.4. La gestion des problèmes de fin de contrat ..................................................................................... 56 4.1.5. Un bilan provisoire.......................................................................................................................... 56

4.2. L’efficacité de la concurrence pour le marché et les tests économétriques ...................... 57

CONCLUSION ..................................................................................................................................................59 PARTIE 2 : CADRE INSTITUTIONNEL ET DONNEES......... .................................................................. 62

CHAPITRE 3 : LE SECTEUR DE L’EAU : CONSIDERATIONS G ENERALES ET LE CADRE INSTITUTIONNEL FRANCAIS.....................................................................................................................63

SECTION 1. Les caractéristiques de l’industrie de l’eau et l’organisation française des services d’eau......................................................................................................................... 63

1.1. De l’extraction du milieu naturel jusqu’au robinet du consommateur............................. 63

1.2. Un monopole naturel difficilement contestable................................................................... 64

1.3. Des actifs spécifiques et une incertitude sur les conditions futures ................................... 65

1.4. L’industrie française de l’eau : une grande variété de choix contractuels ....................... 65

SECTION 2. Les performances des PPP dans le secteur français de l’eau : une analyse institutionnelle ....................................................................................................................... 68

2.1. La mise en concurrence dans l’industrie de l’eau............................................................... 68 2.1.1. Mise en concurrence et intuitu personae ......................................................................................... 68 2.1.2. Un secteur oligopolistique............................................................................................................... 69 2.1.3. La concurrence entre modes organisationnels................................................................................. 70

2.2. Les clauses d’adaptation et de gestion de l’opportunisme ................................................. 72 2.2.1. Les mécanismes d’adaptation et leurs limites................................................................................. 73 2.2.2. L’opportunisme de l’opérateur ........................................................................................................ 75 2.2.3. Les solutions à l’opportunisme du délégataire ................................................................................ 77

2.2.3.1. Les dispositifs de lutte contre l’opportunisme ex-ante.............................................. 77 2.2.3.2. Les dispositifs de lutte contre l’opportunisme ex-post.............................................. 78

Page 7: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

3

2.3. Le renouvellement des contrats de DSP............................................................................... 80 2.3.1. Renouvellement du contrat et asymétries d’informations ............................................................... 80 2.3.2. Renouvellement du contrat et transformation fondamentale ........................................................... 81

CONCLUSION ..................................................................................................................................................83

CHAPITRE 4 : LES DONNEES ......................................................................................................................85

SECTION I. Description générale des données................................................................... 85

1.1. L’enquête IFEN-SCEES........................................................................................................ 85

1.2. Les données de la DGS .......................................................................................................... 86

1.3. Les données des Agences de l’Eau........................................................................................ 87

1.4. Les données politiques ........................................................................................................... 89

SECTION 2. Statistiques descriptives générales.................................................................. 90

2.1. L’efficacité des PPP par rapport à l’exploitation publique................................................ 90 2.1.1. L’échantillon retenu ........................................................................................................................ 90 2.1.2. Modes organisationnel et prix ......................................................................................................... 90 2.1.3. Les raisons de l’écart de prix entre régie et délégation.................................................................... 91

2.2. Concurrence ex-post et prix de l’eau.................................................................................... 94 2.2.1. L’échantillon retenu ........................................................................................................................ 94 2.2.2. Indice d’Herfindhal et prix de l’eau ................................................................................................ 94 2.2.3. Concentration des régies et prix de l’eau....................................................................................... 100

2.3. Incitations à l’investissement en fin de contrat ................................................................. 102 2.3.1. Présentation des variables dépendantes......................................................................................... 102 2.3.2. Vérification de la pertinence de PARTCOM et PRIXCOM ....................................................... 103 2.3.3. Investissement public et échéance du contrat................................................................................ 107

CONCLUSION ................................................................................................................................................110 PARTIE 3 : ANALYSE DE L’EFFICACITE DES ACCORDS DE FRANCHISE BIDDING ................ 113 CHAPITRE 5 : PPP, CONCURRENCE ET PRIX : UNE ANALYSE A PARTIR DU SECTEUR DE L’EAU EN FRANCE...................................................................................................................................... 114

SECTION 1. PPP et performances des services d’eau ...................................................... 116

1.1. Les problèmes potentiels liés à l’utilisation des accords de franchise bidding............... 116

1.2. Les solutions contractuelles et institutionnelles................................................................. 118 1.2.1. Négociation et concurrence pour le marché : le principe de l’intuitu personae............................. 119 1.2.2. Délégation de services publics et contrats administratifs .............................................................. 119

SECTION 2. L’efficacité des PPP pour la distribution de l’eau en France : une analyse empirique ............................................................................................................................. 121

2.1. Le modèle empirique ........................................................................................................... 121

2.2. Les données et variables utilisées........................................................................................ 123 2.2.1. Prix de l’eau et mode d’organisation............................................................................................. 123 2.2.2. Les variables exogènes (X) ........................................................................................................... 124 2.2.3. Les instruments : Z ........................................................................................................................ 127

2.3. Les résultats.......................................................................................................................... 129

SECTION 3. Concurrence ex-post et prix de l’eau : une analyse empirique................... 133

Page 8: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

4

3.1. Contrats de PPP et concurrence ex-post : quelques considérations théoriques............. 133

3.2. Des propositions testables pour l’industrie française de l’eau......................................... 136

3.3. Les nouvelles variables du modèle...................................................................................... 137 3.3.1. Les variables à expliquer............................................................................................................... 137 3.3.2. Mesures de la concurrence ex-ante et ex-post............................................................................... 138 3.3.3. Les opérateurs ............................................................................................................................... 140 3.3.4. Les indicatrices régionales ............................................................................................................ 140

3.4. Résultats et commentaires................................................................................................... 140 3.4.1. Concurrence ex-post et performances ........................................................................................... 142 3.4.2. Choix organisationnel et performances ......................................................................................... 145

CONCLUSION ................................................................................................................................................146 CHAPITRE 6 : FRANCHISE BIDDING ET INCITATIONS A INVESTIR : LE CAS DE L’INDUSTRIE DE L’EAU EN FRANCE ............................................................................................................................... 149

SECTION 1. Le problème du sous-investissement : considérations théoriques et l’industrie française de l’eau ................................................................................................................ 150

1.1. Le cadre d’analyse : la théorie des coûts de transaction .................................................. 150

1.2. Les conditions théoriques favorisant le sous-investissement............................................ 152

1.3. Le sous-investissement et l’industrie de l’eau.................................................................... 154 1.3.1. Caractéristiques générales du secteur ............................................................................................ 154 1.3.2. Asymétries d’informations et investissements inobservables ...................................................... 154

1.4. Les solutions au problème du sous-investissement ........................................................... 156 1.4.1. Rendre les investissements observables ........................................................................................ 156 1.4.2. Les solutions contractuelles et organisationnelles inapplicables ................................................... 156 1.4.3. La contractualisation sur les objectifs ........................................................................................... 158 1.4.4. L’apport de la théorie des enchères ............................................................................................... 159 1.4.5. L’investissement public comme alternative à l’investissement privé............................................ 161 1.4.6. L’arbitrage entre efficacité de la concurrence et efficacité productive.......................................... 162

SECTION 2. L’analyse empirique...................................................................................... 163

2.1. L’échantillon retenu............................................................................................................. 163

2.2. La méthodologie................................................................................................................... 164

2.3. Les variables explicatives .................................................................................................... 165 2.3.1. Les exogènes : X ........................................................................................................................... 165 2.3.2. L’échéance du contrat ................................................................................................................... 167 2.3.3. Les exogènes : Z............................................................................................................................ 169

2.4. Résultats et commentaires................................................................................................... 169 2.4.1. Les variables explicatives.............................................................................................................. 171 2.4.2. Investissements publics et échéance du contrat............................................................................. 173

CONCLUSION ................................................................................................................................................175 CHAPITRE 7 : ENCHERES, CONCURRENCE PAR COMPARAISON ET COLLUSION ................ 177

SECTION I. Le modèle ....................................................................................................... 178

1.1. Technologies et préférences................................................................................................. 178

1.2. Le régulateur ........................................................................................................................ 179

1.3. La collusion........................................................................................................................... 180

Page 9: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

5

1.4. Séquences du jeu .................................................................................................................. 180

SECTION 2. La stabilité de la collusion dans un jeu statique ..........................................181

2.1. La concurrence par comparaison dans un cadre statique ............................................... 181

2.2. Le franchise bidding dans un cadre statique..................................................................... 184

SECTION 3. Collusion auto-exécutoire et jeu dynamique................................................ 186

3.1. Concurrence par comparaison et collusion ....................................................................... 186

3.2. Franchise bidding et collusion ............................................................................................ 187

3.3. Franchise bidding, concurrence par comparaison et collusion........................................ 188

3.4. L’organisation de la concurrence et ses effets sur la collusion ........................................ 193

CONCLUSION ................................................................................................................................................194

CONCLUSION GENERALE.........................................................................................................................196

1. Une efficacité qui reste à démontrer ..................................................................................... 196

2. Une nécessaire amélioration de la concurrence.................................................................... 198 2.1. La concurrence entre modes organisationnels.................................................................................. 199 2.2. La question de la durée du contrat.................................................................................................... 199 2.3. Le développement de mécanismes de concurrence ex-post ............................................................. 200

BIBLIOGRAPHIE .............................................................................................................. 202 ANNEXES ........................................................................................................................................................213

Page 10: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

6

Page 11: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

7

INTRODUCTION GENERALE

Les services publics en situation de monopole naturel ont pour particularité qu’une

seule entreprise ne peut servir le marché en un lieu donné et à un moment donné pour que le

coût moyen de production soit minimal. Ces industries monopolistiques sont par exemple

relatives à la distribution d’eau potable, à l’assainissement, à la collecte des déchets ou

encore à la construction et l’exploitation d’une autoroute.

La question de l’organisation efficace de ces services se pose depuis plusieurs

décennies. Trois grands modes organisationnels peuvent être distingués pour la gouvernance

de ces transactions. Tout d’abord, la fourniture publique consiste en un approvisionnement

du service par une firme publique ou une autorité publique (Etat, région, commune etc.). La

fourniture publique est perçue par la littérature comme plus inefficace que

l’approvisionnement privé : les firmes privées sont davantage incitées à réduire les coûts de

production (Charreaux [1997]) et l’externalisation de la transaction permet la réalisation

d’économies d’échelles (Williamson [1985]). Par conséquent, la privatisation de ces

industries pourrait être perçue comme le mode organisationnel le plus efficace pour ces

services.

Cependant, laisser une firme libre de tout mouvement sur ce type de marché peut

conduire à des dérives graves. En effet, la conséquence directe du monopole naturel est la

possibilité pour la firme de pratiquer des prix excessivement élevés dans la mesure où cette

dernière est libérée de toute pression concurrentielle. Il est donc nécessaire de faire intervenir

un régulateur pour ces industries, garant de l’intérêt général, et chargé de contrôler les

actions de la firme privée afin d’éviter des dérives tarifaires.

Cette conception de l’organisation des services publics a dominé jusque dans les

années 1960. Mais certains travaux empiriques remettent en cause cette conception,

notamment Stigler et Friedland [1962] qui montrent dans une étude empirique que la

réglementation des services publics n’a que peu d’effet sur les prix.

Page 12: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

8

Devant les défaillances manifestes de la réglementation, Demsetz [1968] propose une

solution alternative. Puisqu’une concurrence sur le marché entre plusieurs producteurs est

impossible dans les industries en situation de monopole naturel, une façon de rétablir la

concurrence est de créer ex-ante une compétition pour le marché1. Plus précisément, compte

tenu des objectifs fixés dans le contrat par l’autorité publique en terme de qualité2, les

entreprises se font concurrence en prix pour avoir le droit d’accéder au marché pendant une

durée déterminée. Selon Demsetz, l’entreprise la plus efficace annoncera le prix le plus

faible et remportera le contrat. De plus, il n’y à a priori aucune raison pour que le prix payé

par le consommateur diffère du coût de production moyen de l’entreprise sélectionnée si

deux hypothèses sont vérifiées : le nombre de candidats à l’accès au marché doit être

suffisamment important et les possibilités de collusion entre ces candidats doivent être

inexistantes. La différence fondamentale entre la concurrence pour le marché et la

réglementation vient de ce que dans le premier cas, le monopole accordé à l’opérateur n’est

que temporaire. A la fin du contrat, le service est remis en concurrence. Cette différence

majeure distingue la privatisation complète des « enchères pour contrats de franchise » ou

franchise bidding. Plus généralement, on pourra parler de partenariats public-privé (PPP) 3.

Bien que Posner [1972] ait soutenu la proposition de Demsetz, sa pertinence a elle

aussi été remise en cause dans le milieu des années 1970. Dans deux articles paraissant la

même année, Williamson (1976) et Goldberg (1976) avancent de nombreux arguments qui

mettent en doute l’efficacité du franchise bidding comme mode organisationnel pour les

services publics en situation de monopole naturel. Selon ces auteurs, compte tenu de la

spécificité des investissements généralement importante et des fortes incertitudes qui pèsent

sur ces services4, la conclusion de PPP dans ces secteurs est inutile et la réglementation

devrait être préférable. Ce point de vue a de manière générale dominé dans la littérature et

les arguments de Williamson et Goldberg ont été repris par de nombreux auteurs

(Armstrong, Cowan et Vickers [1994], Crocker et Masten [1996], [2002]).

1 Cette idée a pour la première fois été avancée par Chadwick [1859]. 2 Le terme « qualité » doit être entendu au sens large. Il s’agit de manière générale de toutes les prestations portées au contrat et devant être atteintes par l’opérateur (qualité de service, maintenances des infrastructures, réalisation d’investissements, objectifs de performances etc.). 3 Nous utiliserons indifféremment ces deux termes dans la suite de ce travail. 4 Les incertitudes peuvent être de plusieurs ordres : les risques de demande, les évolutions technologiques ou encore les incertitudes concernant l’évolution de la réglementation.

Page 13: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

9

Pourtant, le débat reste entier si l’on s’en tient à cette déclaration de Littlechild

[2002] : « De nombreux auteurs distingués sur la régulation ne discutent simplement pas du

concept de concurrence pour le marché pour ce qui concerne les industries de réseau. Ceux

qui en discutent semblent globalement accepter le point de vue de Williamson et Goldberg

plutôt que ceux de Demsetz et Posner»5.

Le débat reste d’autant plus d’actualité que les PPP se sont multipliés sous diverses

formes ces dernières années dans de nombreux pays, y compris pour la fourniture de services

publics possédant des caractéristiques de monopole naturel. On les retrouve dans le secteur

du transport ferroviaire en Grande Bretagne (Affuso et Newberry [2002a,b]), dans le secteur

de l’eau et de l’assainissement en France, dans le secteur autoroutier au Chili [Engel, Fisher

et Galetovic [2001]) ou encore dans le secteur de l’approvisionnement électrique (Littlechild

[2002]).

Compte tenu de la controverse théorique et du succès empirique avéré du franchise

bidding dans de nombreuses industries de réseau, nous nous amenons légitimement à nous

interroger sur l’efficacité de ce mode d’organisation dans ces secteurs. En nous appuyant sur

une base de données recueillies auprès de 5000 communes françaises en 2001, nous tentons

d’évaluer les performances relatives des PPP dans le secteur de l’eau. L’industrie française

de l’eau est le terrain idéal pour cette étude en raison de la grande flexibilité dont disposent

les communes dans leur choix organisationnel. Ces dernières peuvent en effet décider

d’exploiter elles-mêmes leur service d’eau ou déléguer son exploitation à une entreprise

privée. Nos résultats indiquent une meilleure performance de l’exploitation publique dans la

totalité des spécifications, et confortent donc le point de vue de Williamson et Goldberg.

Mais nous constatons également que l’efficacité du franchise bidding dépend des conditions

locales de concurrence. Plus précisément, nous montrons que la concurrence entre modes

organisationnels (exploitation publique vs exploitation privée) peut constituer une alternative

à la concurrence entre opérateurs qui est difficile dans ce secteur. De fait, la menace de

retour en exploitation publique peut dans certains cas, être crédible et inciter les opérateurs à

la performance. Ce résultat est étonnant dans la mesure où la littérature insiste avant tout sur

5 “Many distinguished writers on regulation simply do not discuss the concept of competition for the market or franchise bidding with respect to utility networks. Those who do discuss it seem broadly to accept the views of Williamson and Goldberg rather than those of Demsetz and Posner”

Page 14: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

10

les difficultés que peut éprouver l’autorité publique pour reprendre l’exploitation du service

à son compte en fin de contrat (Williamson [1985], Parker et Hartley [2001]).

Ces résultats nous conduisent dans la suite de ce travail à nous interroger sur les

solutions pouvant être mises en œuvre pour améliorer les performances du franchise bidding

dans les industries de réseau. Deux types de coûts affectant ce mode organisationnel seront

analysés avec attention. Tout d’abord, le risque de sous-investissement, particulièrement à la

fin des contrats de long terme est un des problèmes majeurs des PPP (Baldwin et Cave

[1999], Guash [2004]). Nous analysons différentes solutions possibles pour traiter ce

problème et nous testons économétriquement l’une d’entre elles sur le secteur de l’eau en

France. Plus précisément, nous montrons que si les exploitants ont tendance à investir de

moins en moins à mesure que la fin du contrat arrive, en contrepartie, les communes

investissent davantage et se substituent donc progressivement aux opérateurs. Ce résultat

confirme le risque de sous-investissement des firmes dans ce secteur et s’avère conforme aux

prescriptions de la théorie des coûts de transaction.

Nous terminons ce travail par un modèle théorique qui se propose d’étudier les

incitations des firmes à la collusion lors d’enchères pour l’attribution de marchés en situation

de monopole naturel. Les ententes tacites sont nuisibles à la concurrence, empêchent l’entrée

sur le marché de firmes plus performantes et créent des distorsions de prix (Aubert, Bontems

et Salanié [2005b]). Nous montrons que sous certaines conditions, l’utilisation combinée de

l’enchère et d’un mécanisme de concurrence par comparaison (Shleifer [1985]) peut

permettre de déstabiliser la collusion par rapport à une situation d’enchère sans concurrence

par comparaison.

Mais avant d’aborder tous ces points, il nous semble nécessaire dans un premier

temps de revenir sur l’identification des difficultés que la littérature attribue généralement

aux accords de franchise bidding et sur les solutions existantes pour atténuer ces problèmes

(Partie I). Dans un deuxième temps, nous nous consacrons à la présentation des données que

nous mobilisons pour notre étude ainsi qu’à la description du secteur de la distribution d’eau

potable en France, qui sert de support à nos études empiriques (Partie II). Enfin, la partie

centrale de ce travail consistera à deux études économétriques et un modèle théorique. Le

premier travail empirique sera consacré à l’analyse des performances des PPP dans le secteur

de l’eau avec prise en compte d’indicateurs de concurrence. Le deuxième se focalise sur les

Page 15: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

11

risques de sous-investissement dans ce secteur. Enfin, nous terminons par un modèle de jeu

répété qui étudie les incitations des firmes à entrer en collusion lors d’enchères pour

l’attribution de marchés de services publics (Partie III).

Page 16: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

12

PARTIE 1 : LES CONTRATS DE FRANCHISE BIDDING ET LA LITTERATURE ECONOMIQUE

Page 17: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

13

CHAPITRE 1 : LES DEFAILLANCES DES CONTRATS DE

FRANCHISE BIDDING

Le principe de concurrence pour le marché comme substitut à la concurrence sur le

marché peut paraître séduisant au premier abord. Dans les services publics en situation de

monopole naturel, réussir à introduire une pression concurrentielle comparable à celle qui

pourrait exister si un partage effectif du marché entre opérateurs était possible permettrait

d’atteindre l’optimum social.

Cependant, de nombreuses difficultés non mentionnées par Demsetz, peuvent

atténuer, voire même anéantir les bénéfices attendus d’une concurrence ex-ante, et rendre le

franchise bidding inefficace. C’est ainsi que les années 1960 et 1970 ont été marquées par un

débat portant sur l’organisation optimale des services publics en monopole naturel. Alors

que Demsetz [1968] ou Posner [1972] vantent les mérites du principe de concurrence pour le

marché, d’autres auteurs, comme Goldberg [1976] et Williamson [1976] en soulignent les

défaillances.

Il est important de revenir dans un premier temps sur ces défaillances afin de pouvoir

les mettre en perspective ultérieurement par rapport au cadre institutionnel français pour

l’industrie de l’eau. L’examen des performances du franchise bidding dans ce secteur, que

nous conduirons dans la troisième partie de ce travail, ne pourra qu’être plus objectif.

Selon les théoriciens de l’économie des coûts de transaction, les coûts du franchise

bidding sont les plus élevés lorsque les agents mettent en place des investissements

spécifiques6 et évoluent dans un environnement incertain7 (Williamson [1976], Crocker et

Masten [1996]). Lorsque ces deux conditions sont réunies, les limites du franchise bidding

apparaissent à trois phases différentes de la vie du contrat : lors de son attribution (section I),

lors de son exécution (section II) et lors de sa réattribution (section III).

6 Un actif est dit spécifique lorsqu’il n’est pas redéployable sans coûts vers d’autres usages ou d’autres clients. Les sommes investies sont donc perdues si la relation contractuelle venait à se terminer avant la durée de vie des actifs. 7 L’incertitude est ici comprise au sens de Knight [1921]. Elle implique l’impossibilité pour les agents de prédire toutes les contingences possibles susceptibles de survenir dans le futur.

Page 18: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

14

SECTION 1. Les problèmes liés à l’attribution du contrat

De nombreuses difficultés peuvent se poser au moment de l’attribution du contrat de

franchise bidding et empêcher en pratique, la concurrence pour le marché de se substituer

efficacement à la concurrence sur le marché. L’origine de ces difficultés tient de

l’incomplétude des contrats de PPP en pratique. Les causes de cette incomplétude sont

nombreuses (partie 1.1.) et elles ont pour conséquence d’altérer l’efficacité des PPP (partie

1.2. ).

1.1. Les causes de l’incomplétude contractuelle

Plusieurs facteurs sont à l’origine de l’incomplétude des contrats. Pour la théorie des

coûts de transaction, la rationalité limitée des acteurs combinée à l’incertitude

environnementale les empêchent d’anticiper les contingences futures. L’incertitude

environnementale découle de modifications technologiques, réglementaires, institutionnelles

ou de la demande non prévisibles qui peuvent rendre obsolètes au bout de quelques temps les

exigences portées au contrat de départ. De même, la complexité de l’environnement ou du

service à fournir8 (Bajari, Tadelis et McMillan [2005]) oblige les acteurs à procéder

nécessairement à des adaptations ex-post du contrat initial. Enfin, lorsque la qualité est

observable mais non vérifiable (Hart, Shleifer et Vichny [1997]), sa contractualisation

devient inutile. L’hypothèse de non-vérifiabilité est avancée par la théorie des contrats

incomplets (Grossman et Hart [1986], Hart [1995]). Cette littérature suggère que certaines

dimensions de la qualité peuvent être observables par l’autorité publique mais non

vérifiables par un tiers, et notamment les instances judiciaires. Dans ces conditions,

contractualiser sur la qualité ne sert à rien car le non respect de clauses non vérifiables ne

peut entraîner de sanctions judiciaires.

L’incomplétude des contrats, quelle qu’en soit la cause, se traduit par une série de

conséquences qui peuvent éloigner le prix ressortant de l’enchère d’un prix concurrentiel.

8 L’incertitude environnementale empêche la signature de contrats complets dans la mesure où les agents ne peuvent énumérer toutes les contingences susceptibles de se produire dans le futur et/ou ne peuvent déterminer une probabilité d’occurrence de ces différentes contingences. A l’inverse, la complexité se caractérise par le fait qu’il est possible d’énumérer dans le contrat de départ les contingences futures et de leur accorder une probabilité d’occurrence, mais leur nombre excessivement important combiné à la faible probabilité d’occurrence de chacune d’elle rend trop coûteuse leur contractualisation.

Page 19: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

15

1.2. Les conséquences de l’incomplétude contractuelle

1.2.1. Les problèmes de sélection de l’opérateur

De nombreux auteurs s’accordent pour dire que la concurrence pour le marché ne

permet de sélectionner le fournisseur le plus compétitif que s’il est possible de mettre en

place des enchères unidimensionnelles, dans lesquelles le prix est l’unique paramètre sur

lequel les candidats se font concurrence (Naegelen [1990], Crocker et Masten [1996],

[2002], Klein [1998], Tadelis, Bajari et McMillan [2005]). Cela dit, lorsque le bien ou le

service possède des caractéristiques complexes, la sélection de l’opérateur doit alors s’opérer

à partir de plusieurs critères et la concurrence pour le marché pose davantage de problèmes.

La question qui se pose alors est de savoir quel opérateur privilégier : celui qui propose un

prix faible avec des prestations peu nombreuses ? Celui qui propose un prix plus élevé avec

davantage de prestations ? Comment sélectionner l’opérateur lorsque l’enchère porte non pas

sur un prix unique, mais sur un vecteur de prix (Williamson [1976]) ? Dans le cas

d’enchères multidimensionnelles, la transparence dans le choix de l’entreprise n’est plus

assurée et la crédibilité du mécanisme de Demsetz se pose. A cet égard, Naegelen [1990]

affirme que la concurrence multi-critère est plus manipulable par l'autorité publique que le

critère du plus bas prix. C'est "un moyen de mener une politique protectionniste des marchés

publics, la hiérarchisation des critères, avouée ou non, permettant des attributions

préférentielles". Donner à l’autorité publique une marge de manœuvre trop importante dans

le choix de son partenaire risque de décourager les candidats à participer aux enchères, ne

sachant pas sur quel(s) critère(s) leur offre sera jugée.

Etant donné ces considérations, l’enchère unidimensionnelle semble préférable. Mais

même s’il est possible de réduire l’enchère à un seul prix, lorsque les contrats sont

incomplets, l’autorité publique n’a toujours pas la garantie que l’appel d’offres conduise à un

prix concurrentiel, pour deux raisons. Tout d’abord, à partir du moment où les obligations de

l’entreprise sont spécifiées de manière floue, il est peu probable que la concurrence pour le

marché conduise à sélectionner à coup sûr l’entreprise la plus efficace. L’appel d’offres a

une probabilité plus forte de conduire à sélectionner le candidat le plus optimiste sur ses

chances d’obtenir ex-post une renégociation de contrat à son avantage ou sur celui qui est le

plus performant dans les renégociations (Guash [2004], p.19). Certains candidats peuvent

délibérément proposer des conditions tarifaires avantageuses ainsi que les meilleures

conditions d’exploitation à l’autorité publique pour mieux renégocier le contrat une fois

Page 20: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

16

l’enchère remportée. Le caractère crédible de l’engagement de l’opérateur est donc loin

d’être garanti lorsque ce dernier sait qu’il peut profiter des failles du contrat pour proposer

un prix de départ opportuniste, c’est-à-dire un prix inférieur à ses coûts le menant au

déséquilibre financier, mais qu’il pourra renégocier une fois le marché remporté (Guasch

[2004], page 36). Le manque de précision des contrats peut aussi conduire l’autorité

publique, dans un contexte d’incertitude radicale, à choisir l’entreprise la plus optimiste

concernant l’évolution des conditions d’exploitation ex-post, cette dernière étant alors

victime de la « malédiction du vainqueur ». La peur de subir les désagréments de la

malédiction du vainqueur est également susceptible d’inciter les entreprises à inclure dans

leur offre une prime de risque d’autant plus importante que l’incertitude sur les conditions

futures d’exploitation est forte, déconnectant du même coup le prix du service au coût

moyen de production (Hong et Shum [2002]).

1.2.2. La crédibilité de l’engagement de l’autorité publique

Ensuite, une spécification imprécise des termes du contrat peut entraîner une

diminution du nombre d’enchérisseurs, et donc de la pression concurrentielle s’exerçant sur

chacun d’eux. L’incomplétude du contrat peut décourager les candidats à se présenter aux

appels d’offres pour plusieurs raisons : les coûts de recherche d’information qu’ils pourraient

avoir à supporter, la peur d’être victime de la malédiction du vainqueur (voir section 1.2.1.

ci-dessus), mais surtout les problèmes d’incertitudes réglementaires et institutionnelles

pouvant conduire à l’opportunisme de l’autorité publique pendant l’exécution du contrat

(Levy et Spiller [1994], Baldwin et Cave [1999]). Si les opérateurs ne sont pas certains de la

crédibilité de l’engagement de l’autorité publique à renégocier de manière honnête le contrat

initial, ils seront peu enclins à se présenter à l’appel d’offres, faisant ainsi diminuer le

nombre d’enchérisseurs au moment de l’appel d’offres.

Par conséquent, spécifier au maximum les termes du contrat pour ne réduire

l’enchère qu’à une seule et unique dimension, à savoir le prix, serait souhaitable afin

d’assurer le caractère concurrentiel du mécanisme de Demsetz. Cela n’est pas toujours

possible. Au total, une spécification insuffisante des termes de l’engagement risque de

conduire à un prix initial « artificiel et obscur » selon la terminologie de Williamson [1976],

c’est-à-dire à un prix qui ne reflète pas les futurs coûts de production de l’entreprise

sélectionnée.

Page 21: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

17

L’incomplétude contractuelle n’assure donc pas que le prix résultant de l’appel

d’offres soit concurrentiel. Mais même dans l’hypothèse où il le serait, de nombreuses

difficultés peuvent survenir au moment de l’exécution des contrats de PPP et déconnecter ex-

post le prix initial du coût moyen de production de la firme.

SECTION 2. Les problèmes d’exécution du contrat 2.1. Incomplétude contractuelle et opportunisme

Comme nous l’avons déjà souligné, une spécification imprécise des termes de

l’engagement peut inciter les agents économiques à profiter des blancs laissés dans le contrat

pour se comporter de manière opportuniste afin d’augmenter leur rémunération. Ces

comportements opportunistes peuvent émaner de l’entreprise (Williamson [1976]) ou de

l’autorité publique (Goldberg [1976]). La plus grosse menace pesant sur l’opérateur

concerne le risque de hold-up de l’autorité publique sur les investissements spécifiques qu’il

a réalisés en cours de contrat (Levy et Spiller [1994], Troesken et Geddes [2001], Guash

[2004]). Le hold-up peut se manifester de différentes façons (par exemple, diminution des

tarifs décidée par l’autorité publique après la signature du contrat, refus d’appliquer les

augmentations de tarifs consenties dans le contrat de départ, baisse des subventions promises

à l’entreprise). Si l’entreprise anticipe que l’engagement de l’autorité publique à respecter le

contrat de départ n’est pas crédible, elle sera incitée à sous-investir en cours de contrat dans

l’hypothèse où ses efforts d’investissement sont difficilement observables et donc, ne

peuvent pas être contractualisés (voir section 2.4. ci-dessous).

L’opportunisme de l’entreprise peut se manifester de différentes façons : diminution

de la qualité de service, des investissements, retard dans les délais de livraison des

infrastructures, demandes de renégociation du contrat de départ, notamment en exigeant des

hausses de prix (Zupan [1989b]). Les problèmes d’opportunisme de l’opérateur dans les

accords de franchise bidding sont en outre encouragés par la faible menace de rupture du

contrat (Williamson [1976]).

2.2. La faible menace de rupture des engagements

Plusieurs raisons expliquent la difficulté pour l’autorité publique de sanctionner

l’opérateur opportuniste par un renvoi. Premièrement, le renvoi peut entraîner des conflits

judiciaires longs et coûteux. Deuxièmement, la mise en place d’une clause de renvoi rend

Page 22: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

18

fictif le contrat de long terme signé et met en danger les investissements spécifiques que

l’entreprise a engagés, l’incitant ex ante à réduire ses investissements idiosyncrasiques.

Anticipant ce risque, l’autorité publique n’est pas incitée à faire usage de cette menace de

manière de préserver les incitations à investir de l’entreprise. Troisièmement, l’évincement

de la firme est souvent interprété comme une erreur de l’autorité publique par les administrés

(Williamson [1976]). Cela explique que les autorités publiques se refusent à remettre en

cause leurs décisions et préfèrent négocier un compromis avec l’opérateur (Prager [1990]).

Quatrièmement, le renvoi de la firme entraîne des coûts de transition qui peuvent être élevés.

Ces coûts sont notamment liés aux risques d'interruption dans la fourniture du service

(Williamson [1976], Klein [1998a], Guash [2004]). Ces risques peuvent d’ailleurs être mis

en avant par l’opérateur afin d’obtenir des renégociations à son avantage. Ce dernier peut en

effet invoquer le déséquilibre financier du contrat (Guash [2004]), ou encore le risque

d’interruption durable dans la fourniture du service pour parvenir à ses fins. Dans cette

perspective, l’autorité publique, soucieuse de la bonne santé et de la continuité du service

public, a de grandes chances de céder aux exigences de l’entreprise. Cinquièmement, la fin

précoce du contrat pose des problèmes d’évaluation de la valeur de transfert des

infrastructures non amorties vers l’autorité publique ou un nouvel opérateur, ainsi que des

problèmes liés au transfert du capital humain9. Tous ces facteurs contribuent donc à

décourager l’autorité publique à sanctionner l’entreprise par le renvoi et favorise

l’opportunisme de cette dernière.

Une étude de Guash [2004] portant sur 1000 concessions d’Amérique latine et des

Caraïbes observées de 1985 à 2000 dans divers secteurs d’activité (eau, transport,

télécommunications etc.) confirme empiriquement que les renégociations de contrat

observées se font généralement en faveur des concessionnaires. Ainsi, 62% des contrats

renégociés ont abouti à une augmentation des tarifs. Une baisse des tarifs n’est observée en

revanche que dans 19% des contrats renégociés. L’entreprise peut donc profiter de sa

position de monopole ex-post pour obtenir des conditions tarifaires très avantageuses n’ayant

plus rien à voir avec le prix consenti au moment de la signature du contrat. Ces

renégociations stratégiques sont de nature à réduire, voire à anéantir les bénéfices attendus

de la concurrence pour le marché.

9 Ces deux derniers points seront abordés de manière plus détaillée dans la partie traitant des problèmes liés au renouvellement du contrat.

Page 23: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

19

2.3. Les problèmes de divergence entre prix et coûts

Un autre problème associé au mécanisme de Demsetz concerne la rigidité de la

variable prix. Même si le prix annoncé par le candidat vainqueur reflète ses coûts en début

de contrat, il y a peu de chance pour que ce soit encore le cas à moyen et long terme. Du fait

de l’incertitude concernant les évolutions technologiques, réglementaires ou de la demande,

on risque d’observer progressivement une divergence entre les prix et les coûts

(Williamson [1976]). Autrement dit, lorsque l’incertitude est forte, au bout d'un certain

temps, le prix fixé au début du contrat n’est plus pertinent, c’est-à-dire qu’il n'arrive plus à

rendre compte de la réalité économique dans laquelle les agents se trouvent. Compte tenu

des conditions d’exploitation observées ex-post, le prix de départ peut s’avérer être soit trop

élevé, ce qui ne permet pas aux consommateurs de bénéficier à tout moment du contrat du

meilleur prix, soit trop faible, ce qui induit des pertes pour l’entreprise et peut

éventuellement l’inciter à diminuer ses coûts au détriment de la qualité de service (Hart,

Shleifer et Vishny [1997]).

2.4. Durée du contrat et incitations à investir

Le sous-investissement de l’entreprise, qui résulte du risque de hold-up de l’autorité

publique (voir section 2.1.) est susceptible de s’accroître lorsque le contrat est de courte

durée par rapport à la durée de vie des infrastructures (Affuso et Newberry [2002b], Meister

[2004]). En effet, le caractère inobservable et invérifiable de certains investissements

spécifiques de long terme10 ne garantit pas nécessairement à l’opérateur de récupérer la

totalité des montants dépensés sur la période d’exploitation du service (Meister [2004],

Guasch [2004]). Plus précisément, dans le cas où à l’échéance du contrat, l’opérateur en

place ne serait pas renouvelé, l’opérateur entrant ou l’autorité publique, qui n’ont pas

d’information fiable sur la valeur réelle des infrastructures, auront tendance à sous-estimer

leur prix de transfert. Anticipant qu’il n’obtiendra pas une compensation suffisante pour ses

efforts d’investissement et de maintenance, l’opérateur initial n’investira pas efficacement

pendant l’exécution du contrat (Grossman et Hart [1986]). Ce problème est accentué par le

10 La difficulté pour l’autorité publique d’observer les investissements spécifiques réalisés par l’exploitant est en partie imputable à l’avantage informationnel de ce dernier. L’opérateur en place peut disposer d’une meilleure connaissance de la valeur des actifs physiques et les frais de maintenance engagés sur les infrastructures qu’il doit transférer à l’autorité publique ou au nouvel opérateur en fin de contrat (Meister [2004])

Page 24: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

20

fait que certains investissements inobservables réalisés en cours de contrat peuvent diminuer

les coûts de production pour le nouvel exploitant (Laffont et Tirole [1988b]).

Le rallongement de la durée des engagements ne constitue pas une solution

entièrement satisfaisante. En effet, l’entreprise risque alors d’investir massivement en début

de contrat, voire même de sur-investir (Guriev et Gvassov [2004]), et de diminuer

progressivement ses efforts au fur et à mesure que le contrat avance dans le temps, les

investissements devenant alors cycliques (Baldwin et Cave [1999]). Un tel comportement

n’est évidemment pas optimal dans la mesure où, dans un contexte d’incertitude sur

l’évolution de la demande, de la technologie ou de la réglementation, une exploitation

efficace du service requiert la réalisation d’investissements s’étalant sur toute la durée du

contrat (Guash [2004]).

SECTION 3. Les problèmes de réattribution

Les accords de franchise bidding ont souvent été critiqués en raison des difficultés

pour mettre les candidats dans des conditions d’égalité au moment du renouvellement du

contrat (Williamson [1976], Zupan [1989a], Aubert, Bontems et Salanié [2006]). Même si

l’enchère initiale assure une concurrence effective entre les différents compétiteurs,

l’opérateur ayant remporté le premier contrat est avantagé au moment de la remise en

concurrence du service. Après avoir mis en évidence les causes de cette absence de parité,

nous analysons son incidence sur l’efficacité du franchise bidding.

3.1. Les causes de l’absence de parité

3.1.1. Asymétries d’information et barrières à l’entrée

L’absence de parité au moment de la réattribution du contrat tient en premier lieu aux

asymétries d’information entre l’opérateur en place d’une part, et les entrants potentiels et

l’autorité publique d’autre part (Laffont et Tirole [1993]). En effet, il se peut que dans

certaines situations, l’opérateur initial, qui a exploité le service pendant plusieurs années, ait

accumulé au fil du temps une information privée sur l’état des infrastructures et plus

généralement les coûts de fonctionnement du service.

Page 25: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

21

L’avantage informationnel de l’entreprise en place est susceptible de créer des

barrières à l’entrée pour les opérateurs souhaitant postuler à l’appel d’offres au moment du

renouvellement du contrat. Deux raisons peuvent expliquer l’existence de ces barrières. Tout

d’abord, les entrants potentiels, n’ayant pas d’information fiable sur les coûts du service, ne

sont pas forcément incités à se porter candidats à la reprise du service de manière à ne pas

subir les effets de la malédiction du vainqueur (Aubert, Bontems et Salanié [2005]). Par

ailleurs, même s’ils décident de participer à l’appel d’offres, leurs enchères ont peu de

chances d’être agressives, précisément par peur d’un excès d’optimisme sur la valeur

estimée du patrimoine et sur les conditions futures d’exploitation (Armstrong et Sappington

[2004]). La malédiction du vainqueur incite donc les nouveaux candidats à inclure une prime

de risque dans leur offre, ce qui les désavantage vis-à-vis de l’opérateur en place. Qui plus

est, l’entreprise en place peut profiter de son avantage informationnel pour manipuler ses

comptes de manière à désavantager ses concurrents lors de la remise en concurrence du

marché (Williamson [1976]). Elle peut notamment prétendre un niveau excessivement élevé

d’investissement afin d’obliger l’opérateur entrant à lui payer une forte indemnité pour le

transfert des infrastructures en cas de départ. Le fait de faire croire à un sur-investissement

augmente les coûts d’entrée pour ses concurrents car ces derniers répercuteront un montant

élevé de compensation dans l’offre qu’ils présenteront à l’autorité publique (Meister [2004]).

3.1.2. La « transformation fondamentale » et les barrières à l’entrée

Un autre argument expliquant le biais en faveur de l’opérateur sortant au

renouvellement du contrat est imputable à ce que Williamson [1985] nomme « la

transformation fondamentale ». Selon Williamson, même si une concurrence effective

existe entre plusieurs entreprises lors du premier appel d’offres, la concurrence de grand

nombre se transforme en relation bipartite au moment du renouvellement. Plus précisément,

la réalisation par l’opérateur initial d’investissements spécifiques non transférables en cours

de contrat aboutit à une situation de dépendance bilatérale entre l’autorité publique et

l’entreprise qui donne à cette dernière un avantage de « first mover » lors des enchères

suivantes. La dépendance bilatérale provient du fait que ces investissements spécifiques

seraient perdus, à la fois pour l’autorité publique et l’entreprise si jamais elle devait être

évincée au renouvellement. Ils donnent donc de la valeur à l’identité des parties.

Page 26: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

22

Le problème de transfert peut aussi bien concerner les actifs physiques que les actifs

humains. Si les actifs physiques appartiennent à l’entreprise privée, celle-ci dispose d’un

pouvoir de négociation élevé en fin de contrat. Elle peut notamment exiger une forte

compensation pour le transfert de ses actifs en menaçant de ne pas céder ses infrastructures

au nouvel entrant si ses exigences ne sont pas satisfaites, créant ainsi une situation de

blocage. Afin d’éviter ses coûts élevés de négociation, l’autorité publique peut préférer

reconduire l’opérateur initial. Mais les investissements spécifiques non transférables

concernent également les actifs humains. L'exploitation quotidienne du service favorise le

développement de connaissances spécifiques chez certains employés. Ces connaissances, qui

résultent de l’accumulation de l’expérience et de l’apprentissage sur le terrain, donnent un

avantage à l’opérateur en place au moment e la réattribution du contrat. En effet, celui-ci a

plus de chances de proposer un prix plus faible que les autres candidats car il bénéficie de

ces économies d’apprentissage qui augmentent la productivité de ses travailleurs et les rend

plus performants que ceux de ses concurrents. Qui plus est, l’apprentissage et la formation

des travailleurs sont des processus longs et coûteux qu’il faut recommencer à chaque

changement de personnel.

Cela dit, l’avantage de l’opérateur en place ne tient que s’il n’existe pas de marchés

concurrentiels pour les travailleurs, c’est-à-dire, si le personnel de l’opérateur sortant ne peut

pas être repris par l’entrant potentiel. Dans le cas contraire, celui-ci n’aura pas besoin

d’engager un personnel moins expérimenté et n’a donc aucune raison de soumettre une offre

moins avantageuse que l’opérateur sortant s’il n’est pas moins efficace. Or, Williamson

pense que ce marché concurrentiel ne peut pas exister. Il explique que les travailleurs sont

réticents à changer d’entreprise car ils font davantage confiance à leur employeur d’origine

dont ils connaissent la politique de personnel (promotions, plans de carrière etc.). Dès lors,

ils n’accepteront de changer d’opérateur qu’en contrepartie d’une prime de risque. Cette

prime va bien évidemment se refléter dans les offres proposées par les firmes concurrentes,

ce qui aura pour conséquence directe de favoriser l’entreprise déjà installée.

3.2. Problèmes de parité et efficacité du franchise bidding

L’avantage du sortant lors du renouvellement du contrat est de nature à altérer

l’efficacité des accords de franchise bidding pour trois raisons. Tout d’abord, le

consommateur n’a aucune garantie de bénéficier du prix le plus faible en début de contrat.

Page 27: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

23

L’opérateur initial peut profiter de son avantage pour renégocier le nouveau contrat de

manière opportuniste (Zupan [1989b]). Il peut par exemple annoncer un prix tout juste

inférieur à la meilleure offre alternative sans pour autant que le prix proposé traduise la

réalité de ses coûts. Ensuite, l’entreprise en place se sachant protégée d’une éviction en fin

de contrat, peut davantage être incitée à adopter un comportement opportuniste pendant

l’exécution du contrat (baisse de la qualité du service, renégociations opportunistes etc.).

Enfin, si les autres candidats anticipent une faible probabilité de remporter le nouveau

contrat, ils seront peu nombreux à présenter une offre, faisant ainsi augmenter le prix moyen

résultant de l’enchère.

SECTION 4. Une illustration empirique : le secteur du câble aux Etats-Unis

Afin de donner une illustration empirique des défaillances pouvant résulter de la mise

en place de PPP dans les industries de services public en situation de monopole naturel, nous

nous intéressons à une étude de cas menée par Williamson portant sur le secteur du câble aux

Etats-Unis. Il étudie plus précisément le contrat passé entre la ville d’Oackland et la société

Focus Cable pour la construction et l’exploitation du réseau de câble de télévision de la ville

en 1970.

4.1. Les principaux éléments du contrat Oackland/Focus Cable

Ce contrat prévoyait la mise en place d’un réseau de câble dual : un système A, c’est-

à-dire un réseau « de base » qui permettait au souscrivant de recevoir toutes les bandes de

radios FM ainsi que 12 chaînes de télévision. Le paiement d’une somme annuelle d’un

montant X auquel s’ajoutent les frais de connexion au service permettait au consommateur

de recevoir le système A. En plus du système A, le système B devait offrir d’autres services

ainsi que des programmes spécifiques. Cependant, la définition exacte de ces services et

programmes spécifiques n’était pas portée dans le contrat et le prix payé par le

consommateur était laissé à l’appréciation du franchisé après la signature du contrat avec

l’approbation du conseil municipal. La qualité du service devant être fourni était décrite dans

des termes généraux, la spécification plus précise étant également laissée ex-post à

l’appréciation du franchisé avec approbation du conseil municipal. Enfin, le système devait

être construit à 25% en 18 mois et être totalement terminé au bout de trois ans.

Page 28: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

24

Les candidats se sont fait concurrence sur le système A, l’entreprise proposant la

charge mensuelle X la plus faible pour l’usager remportant le marché. Cable Focus proposa

un prix de 1.70$ par mois, soit plus de 2 fois moins que la seconde meilleure offre (3.48$) et

s’est donc vu attribuer le contrat le 10 novembre 1970.

4.2. Les défaillances du contrat

Un prix mensuel de 4.45$ pour le système B était demandé par Focus Cable le 10

mars 1971 et cette requête fut approuvée par le conseil municipal le 11 mars 1971.

La construction des infrastructures, qui devait être terminée pour le 28 décembre

1973 a pris du retard. De plus, la demande pour le câble était plus faible que les prévisions

établies par Focus Cable et les coûts de construction se sont avérés plus élevés que prévus.

Focus Cable demanda donc une renégociation des termes initiaux du contrat. L’entreprise

souhaitait une extension de la date limite pour la construction du système, une diminution du

nombre de chaînes pouvant être pris en charge par les installations (de 38 à 30), une

augmentation du prix payé par chaque nouveau souscrivant (le prix payé par les usagers déjà

connectés demeurant inchangé) et enfin, une baisse du montant des pénalités versées pour

cause de retard. Ces souhaits ont été satisfaits par le conseil municipal. Il a notamment été

décidé le versement d’une pénalité d’un montant de 36000$ au lieu des 250$ par jour qui

auraient été appliqués à partir du 28 décembre 1973 jusqu’à la fin de la construction, ce qui

aurait représenté une somme 20 fois supérieure et aurait signifié la faillite de Focus Cable.

Le délai limite pour la construction du système a été repoussé et enfin, le prix de connexion

pour tout nouveau souscrivant au système A a été augmenté de 0.34$ tandis que le prix

mensuel pour tout nouveau consommateur souhaitant bénéficier du système B a été ramené à

3.00$. Le conseil municipal a donc accepté les principales revendications de Focus Cable.

Cette étude de cas est représentative des problèmes relevés par Williamson aux

différentes étapes du contrat de franchise bidding. Tout d’abord, le caractère artificiel et

obscur du critère de sélection de l’entreprise (la somme mensuelle X payée par l’usager pour

la connexion au système A) ne fait aucun doute. La concurrence pour le marché n’a concerné

que le système A, la tarification du système B ayant été déterminée par Focus Cable une fois

le contrat en poche. Or, il se trouve que 90% des consommateurs qui se sont connectés au

câble ont choisi les deux systèmes, dont le prix était trois fois et demi plus élevé que le prix

Page 29: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

25

du seul système A sur lequel s’est portée la concurrence ! Une étude de marché plus

approfondie sur les préférences des consommateurs aurait sans doute révélé leur intérêt pour

le système B que la municipalité considérait comme futuriste. Quoi qu’il en soit, étant donné

les incertitudes sur l’évolution de la demande et de la technologie et compte tenu de la

complexité du service, limiter le critère de sélection au prix le plus faible pour le système A

a également contribué à l’inefficacité de la mise en concurrence. En outre, le fait que le prix

proposé par Focus Cable était deux fois moins élevé que la deuxième meilleure offre et trois

fois moins que la troisième meilleure offre peut faire douter du caractère crédible de sa

proposition. On peut se demander si Focus Cable n’a pas délibérément sous-estimé son offre

en prévision d’une renégociation future ou s’il n’a pas involontairement été trop optimiste

concernant les conditions futures de construction et d’exploitation.

Concernant l’exécution du contrat, il paraît douteux que le prix retenu pour le

système A reflète les coûts totaux de production unitaires, notamment parce que le prix du

système B, qui constituait près de 75% de la tarification totale, a été décidé par Focus Cable

après avoir remporté le marché. De plus, les véritables coûts étaient difficiles à mesurer avec

précision, notamment parce que les taux d’inflation pendant la période de construction des

infrastructures étaient anormalement élevés, et parce que la municipalité n’avait pas les

capacités d’audits suffisantes pour un contrôle efficace de l’entreprise, laissant ainsi des

marges manœuvres importantes à Focus Cable pour se comporter de manière opportuniste.

Cette étude de cas montre qu’il peut être très difficile de remplacer ou de renvoyer

l’entreprise qui a remporté le premier contrat. En particulier, la menace de rachat ou de

renvoi de Focus Cable ne pouvait pas être crédible car cela aurait posé de gros problèmes,

notamment en termes de coûts de transition tels que les risques d’interruption, de mauvais

fonctionnement du service et de conflits associés à la fin de la relation contractuelle. En

effet, l’évaluation de la valeur de reprise des infrastructures aurait été problématique et

source de conflit dans la mesure où aucune règle claire et précise d’évaluation de la valeur de

transfert des équipements n’avaient été définie dans le contrat de départ, peut-être en raison

des difficultés d’une telle évaluation. En effet, la valeur des équipements, une fois construits,

étaient estimés à 3.000.000 de dollars plus chers par l’opérateur par rapport aux estimations

effectuées par la municipalité ! Cette dernière aurait eu du mal à faire face à tous ces

problèmes et ne disposait de toute façon pas des compétences nécessaires pour reprendre le

service dans un délai très court. De plus, elle était très réticente à faire appel à une autre

Page 30: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

26

société pour reprendre le service et les travaux de construction, non seulement en raison de

ces coûts de transition, mais aussi par peur de tomber une nouvelle fois sur un opérateur

déficient. C’est pourquoi, elle a préféré opter pour la renégociation en acceptant la majeure

partie des revendications demandées par Focus Cable.

CONCLUSION

La concurrence pour le marché apparaît comme une solution séduisante pour

introduire une compétition entre opérateurs dans les industries monopolistiques. Ce chapitre

a pourtant mis en évidence de nombreux coûts pouvant affecter l’organisation d’un service

public par franchise bidding. Ces coûts peuvent apparaître lors de l’enchère initiale, pendant

toute la période d’exécution du contrat et enfin, lors de son renouvellement.

De nombreux auteurs (Goldberg [1976], Crocker et Masten [1996], ou Priest [1993])

soulignent l’importance du rôle joué par l’incertitude et la spécificité des actifs dans

l’efficacité des PPP. Ils aboutissent à la conclusion selon laquelle plus le contrat est long,

complexe et incertain, plus ses termes initiaux ont une importance faible pendant son

exécution, et plus les renégociations périodiques et les révisions de prix seront nombreuses.

Par conséquent, la coordination par franchise bidding tend, dans la pratique, à ressembler de

plus en plus à une régulation formelle au fur et à mesure que le niveau d’incertitude

augmente (Priest [1993]), rendant l’avantage comparatif de la concurrence pour le marché de

plus en plus contestable.

Schéma 1 : efficacité du franchise bidding et incertitude

Crocker et Masten [1996] offrent une synthèse du lien entre spécificité des actifs,

incertitude et pertinence du recours au contrat de franchise bidding. Leur réflexion aboutit au

schéma suivant :

Concurrence pour le marché Réglementation par commission

Incertitude→ ∞

Page 31: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

27

Schéma 2 : spécificité des actifs, incertitude et efficacité des accords de franchise

bidding

D’après le schéma 2, lorsque les investissements ne sont pas spécifiques, l’autorité

publique peut avoir recours à des contrats dits « spots ». Ce sont des contrats de très court

terme, sans mise en concurrence préalable avec une discipline des acteurs assurée par la

sanction du marché. Cependant, Crocker et Masten relèvent que la présence d’actifs

spécifiques augmente les risques d’opportunisme et oblige alors les agents à abandonner les

contrats « spots » pour d’autres formes organisationnelles. Dans ce deuxième cas, si

l’incertitude environnementale est suffisamment faible, la stabilité des conditions

d’exploitation rend possible la signature de contrats complets et assure une adéquation entre

prix et coûts pendant toute la durée de l’engagement. Le recours à une procédure d’enchère

et à un contrat de PPP de long terme est alors indiqué. En revanche, une spécificité

importante des actifs combinée à une forte incertitude oblige les acteurs à des ajustements

ex-post qui rendent caduques au bout de quelques temps les termes spécifiés dans le contrat

de départ. Dans un tel contexte, la coordination par franchise bidding devient de plus en plus

coûteuse et la réglementation traditionnelle pourrait lui être préférée (Williamson [1976],

Priest [1993], Crocker et Masten [1996]).

ACTIFS SPECIFIQUES ?

CONTRATS « SPOTS »

INCERTITUDE FORTE ?

CONTRATS DE LONG TERME (FRANCHISE

BIDDING)

REGULATION

non oui

non oui

Source : Crocker et Masten [1996]

Page 32: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

28

Pourtant, dans la pratique, force est de constater que l’utilisation de diverses formes

de PPP est courante, y compris dans certains secteurs monopolistiques soumis à de fortes

incertitudes11. En outre, de plus en plus de travaux apparaissent pour atténuer la portée de

certaines critiques formulées à l’égard des PPP ou pour proposer des solutions nouvelles

destinées à améliorer l’efficacité de ce dispositif organisationnel. C’est à l’analyse de ces

différents travaux que nous nous consacrons à présent.

11 L’enchère a par exemple été utilisée de manière régulière pour l’octroi de concessions autoroutières dans de nombreux pays, comme par exemple en France ou au Chili. Ce secteur est pourtant caractérisé par de fortes incertitudes au niveau de la demande et par des investissements très spécifiques.

Page 33: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

29

CHAPITRE 2 : LES SOLUTIONS AUX DEFAILLANCES DES

CONTRATS DE FRANCHISE BIDDING

Nous avons montré dans le chapitre précédent que l’organisation de certains services

publics par franchise bidding avait peu de chance de conduire aux résultats espérés par

Demsetz [1968] ou Posner [1972]. De nombreux problèmes peuvent affecter les

performances de ce dispositif lorsque les agents engagent des actifs spécifiques dans la

relation contractuelle et que l’environnement est incertain. Ces deux conditions sont vérifiées

dans de nombreuses industries de réseau en pratique, ce qui jette un sérieux doute sur

l’opportunité de recourir aux appels d’offres pour l’attribution de marchés dans ces secteurs.

Pourtant, si comme le relève Littlechild [2002], les économistes ont dans l’ensemble

suivi les critiques formulées à l’égard du franchise bidding, des travaux de plus en plus

nombreux apparaissent pour relativiser leur importance ou pour proposer des solutions visant

à améliorer l’efficacité des PPP. L’objectif de ce chapitre est de faire un compte rendu des

contributions théoriques et empiriques les plus significatives dans ce domaine12. Les

développements que nous y exposons contrebalancent quelque peu la vision pessimiste du

franchise bidding décrite dans le chapitre précédent et permettent d’apprécier toute la portée

du débat animant la littérature concernant l’efficacité de ce type d’arrangements

organisationnels. En outre, les arguments avancés au sein de ce chapitre pourront

ultérieurement être mis en perspective par rapport au cadre institutionnel français et nous

permettront d’affiner notre analyse théorique et empirique des performances

organisationnelles dans ce secteur.

A l’instar du chapitre précédent, nous considérons trois types de travaux : ceux qui se

proposent d’apporter des solutions aux problèmes d’attribution (Section I), aux problèmes

liés à l’exécution du contrat (Section II) et aux problèmes de parité (Section III). Enfin, nous

terminons par l’analyse de contributions empiriques qui atténuent l’importance de certains

reproches formulés à l’encontre des PPP et montrent que certaines des défaillances

12 La littérature étant vaste et empruntant les développements de divers courants théoriques (théorie des enchères, théorie des coûts de transaction et théorie des contrats incomplets notamment), la liste des contributions présentées dans ce chapitre n’est pas exhaustive. Nous nous limitons aux travaux qui nous semblent les plus importants et les plus intéressants à analyser.

Page 34: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

30

présentées dans le chapitre précédent ne sont pas insurmontables et peuvent trouver des

solutions pratiques (section IV).

SECTION 1. Les solutions apportées aux problèmes d’attribution

Comme nous l’avons déjà souligné, l’une des causes majeures de l’inefficacité des

PPP tient à la difficulté pour les agents de spécifier de manière précise les prestations à

fournir par l’opérateur. L’incomplétude contractuelle qui en résulte est à l’origine de

nombreux problèmes que nous avons regroupé en deux catégories : les problèmes de

sélection de l’opérateur et les problèmes de crédibilité de l’engagement de l’autorité

publique. Nous considérons successivement les réponses apportées à ces deux sources

d’inefficacité de l’enchère.

1.1. efficacité du franchise bidding et sélection de l’opérateur

Dans les contrats incomplets, les problèmes de sélection de l’opérateur proviennent

de trois difficultés : l’impossibilité de réduire l’enchère à une seule dimension, le risque

d’offres opportunistes de certains opérateurs et le problème du choix du plus optimiste

(malédiction du vainqueur). Ces difficultés ne permettent pas à l’autorité publique d’être

assurée que l’opérateur sélectionné soit le plus efficace et que le prix ressortant de l’enchère

soit concurrentiel. Elles nuisent donc à l’efficacité du contrat. Nous analysons les réponses

apportées par la littérature à ces trois catégories de problèmes.

1.1.1. Enchères multi-critères et sélection de l’opérateur

1.1.1.1. Le démarchage auprès des consommateurs

La complexité du bien ou du service à fournir empêche bien souvent l’autorité

publique de limiter l’enchère à un prix unique. Celle-ci se trouve alors confrontée à un

problème de comparabilité des différentes offres qui lui sont proposées. Se pose alors le

problème de la règle de sélection du candidat. Par exemple, comme le montre très bien

l’étude de cas Oackland / Focus Cable détaillée en chapitre 1, les renégociations demandées

ex-post par l’entreprise peuvent être dues à une mauvaise appréciation initiale des

préférences (ou goûts) des consommateurs pour le service public. Comment résoudre le

problème de l’autorité publique qui ne dispose pas d’informations détaillées sur les

préférences de ses administrés et qui, de ce fait, éprouve des difficultés pour choisir le bon

Page 35: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

31

couple prix/qualité parmi les différentes offres qui lui sont proposées ? Dans le cas Oackland

/Focus Cable, une étude de marché préalable aurait peut-être pu permettre à l’autorité

publique de se rendre compte de l’intérêt des consommateurs pour le système B.

Une autre solution pour mieux cerner les goûts des consommateurs consiste à laisser

pendant une période donnée les différents candidats démarcher librement auprès des

consommateurs, ce qui permet à ces derniers de se diriger vers le candidat offrant le meilleur

rapport qualité/prix (Posner [1972]). A la fin de cette période, le marché est alloué au

candidat ayant reçu le plus de sollicitations de la part des consommateurs. Le candidat

vainqueur s’engage alors à fournir les prestations promises aux consommateurs pendant la

période de démarchage et au prix auquel il s’est engagé auprès des consommateurs.

L’inconvénient de ce système est qu’il se heurte au problème de rationalité limitée des

consommateurs. L’analyse de Posner [1972] porte sur l’industrie du câble aux Etats-Unis.

Dans ce secteur, il n’est pas déraisonnable de penser que le consommateur a une idée plus

précise que l’autorité publique du prix qu’il est prêt à payer pour un nombre de chaînes

déterminé. Cette évaluation est cependant beaucoup plus problématique dans d’autres

secteurs. Ainsi, comment le consommateur peut-il savoir quel prix il est prêt à payer pour

100 mètres cubes d’eau du robinet ? Les seuls critères de qualité qu’il est capable de

reconnaître sont relatifs à son goût (qui doit être neutre), à son aspect (qui doit être

transparent) et à sa pression. Mais une eau qui respecte ces trois critères peut très bien être

impropre à la consommation. Dans ce contexte, le fait de transférer l’arbitrage entre prix et

qualité de l’autorité publique vers le consommateur n’est pas recommandable dans la mesure

où le consommateur a encore plus de mal que les pouvoirs publics à déterminer son couple

prix/qualité optimal. Une autre difficulté vient de ce que ce mécanisme ne tient pas compte

du problème d’hétérogénéité des préférences des consommateurs (Ferris et Grady [1991],

Nelson [1997]). Si par exemple, à la fin de la période de démarchage, 30% des

consommateurs préfèrent l’entreprise A, et que 70% se répartissent entre 4 autres opérateurs,

l’autorité publique choisit la firme A, ce qui laisse 70% de consommateurs insatisfaits.

1.1.1.2 Les enseignements de la théorie des enchères

L’arbitrage prix/qualité a du reste été l’objet d’une littérature foisonnante en théorie

des enchères (voir par exemple Bureau, Norotte et Rey [1988], Naegelen [1990], Che

[1993]). L’enseignement principal de ces différents modèles est que les appels d’offres

Page 36: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

32

portant simultanément sur un couple prix/qualité sont généralement préférables à une

enchère en deux étapes13. Cependant, la complexité du service peut être telle que le prix peut

lui-même revêtir plusieurs dimensions. Comme l’étude de cas Oackland / Focus Cable le

met en évidence, il est possible de concevoir différents tarifs en fonction du type de service

demandé par les consommateurs. Dans l’industrie de l’eau, le prix payé par le consommateur

peut varier en fonction de la quantité d’eau consommée. L’existence de plusieurs prix crée

des barrières évidentes à la comparabilité des offres. Cette difficulté peut cependant être

facilement surmontée en pratique si l’enchère ne porte pas sur un vecteur de prix, mais plutôt

sur un flux de revenus réels anticipé par chaque candidat sur la durée du contrat (Littlechild

[2002]).

1.1.2. Offres opportunistes et sélection de l’opérateur

Lorsque les contrats sont incomplets, le risque est grand que le vainqueur de

l’enchère soit l’entreprise la plus optimiste sur ses chances d’obtenir une renégociation,

conduisant de ce fait à des offres opportunistes de la part de certains candidats. C’est en effet

davantage l’opérateur le plus conscient des vides contractuels à exploiter lors de futures

renégociations qui aura le plus de chances de se voir attribuer le marché. Mais ce ne sera pas

nécessairement l’opérateur le plus efficace (voir chapitre 1). Afin d’empêcher ce type de

comportement, certains auteurs (Jolls [1997], Guash [2004]) proposent de limiter les

renégociations aux situations où des événements extérieurs et imprévisibles par les deux

parties déséquilibrent le contrat. Toute renégociation qui sortirait de ce cadre devrait être

prohibée de façon à décourager les candidatures peu sérieuses, même si cette interdiction

implique la faillite de l’opérateur (Guasch [2004]). Selon Guash, l’autorité publique doit se

bâtir sur le long terme une réputation à ne pas renégocier de manière à dissuader les offres

fantaisistes.

Cependant, comme nous l’avons montré dans le chapitre précédent, l’opérateur est

bien souvent en position de force pendant l’exécution du contrat en raison du caractère

public et non substituable du service rendu, ce qui incite l’autorité publique à céder à ses

exigences (Williamson [1976], Guasch [2004]). Si l’autorité publique ne peut pas s’engager

de manière crédible à ne pas renégocier, elle doit alors trouver d’autres solutions afin de

13 Une procédure en deux étapes peut par exemple consister à sélectionner un certain nombre d’entreprises sur critère de qualité, puis dans un deuxième temps, à procéder à une enchère classique en prix avec attribution du marché au moins disant.

Page 37: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

33

s’assurer que le candidat sélectionné soit le plus efficace. Shugart [2005] et Littlechild

[2002] suggèrent qu’une pré-sélection des firmes autorisées à soumettre une offre lors de

l’enchère peut contribuer à limiter le risque d’un mauvais choix de candidat. L’autorité

publique peut exiger que seules les entreprises capables de réunir les meilleures assurances

en terme de compétences, de garanties financières et de réputation soient autorisées à se

présenter à l’enchère. Même si ce filtrage réduit le nombre d’enchérisseurs et donc la

pression concurrentielle lors de l’appel d’offres, il augmente aussi les chances que le

candidat retenu soit le plus efficace et donc, diminue les risques d’offres opportunistes au

moment de l’enchère.

Enfin, une solution efficace pour lutter contre les enchères opportunistes consiste en

l’instauration d’une enchère de type LPVR (Engel, Fisher et Galetovic [1997], [2001]). Les

propriétés de ce type d’enchère seront abordées dans la section 1.1.3.2 ci-dessous.

Pour autant, une entreprise peut très bien demander à renégocier en raison d’une

mauvaise prévision des conditions d’exploitations, sans qu’elle soit nécessairement de

mauvaise foi. Il serait dans ce cas inefficace de lui refuser la renégociation. Pourtant,

accepter des ajustements ex-post sur la base de mauvaises estimations de l’entreprise

encouragerait des candidats peu scrupuleux à proposer des offres excessivement

avantageuses ex-ante de manière à remporter le marché et à à exiger des renégociations, en

prétextant une mauvaise conjoncture. Il est donc nécessaire de trouver des dispositifs

contractuels de lutte contre le risque de malédiction du vainqueur. Plusieurs solutions sont

envisageables pour limiter ce risque.

1.1.3. « malédiction du vainqueur » et sélection de l’opérateur

La théorie des enchères distingue quatre types d’enchères différents pouvant être

utilisés au moment de la mise en concurrence d’un marché de services publics : les enchères

dites fermées au premier et au second prix, et les enchères dites ouvertes, ascendantes et

descendantes14. Un des résultats fondamentaux de la théorie des enchères est que dans le cas

d’enchères à valeur privée15, et sous l’hypothèse de neutralité au risque, ces quatre modèles

conduisent, en moyenne, au même prix (Baldwin et Cave [1999]). Par conséquent, la 14 Pour davantage de détails concernant les propriétés de ces différents types d’enchères, voir Klemperer [1999]). 15 On dit d’une enchère qu’elle est à valeur privée lorsque l’évaluation par l’enchérisseur de l’objet mis en vente ne dépend que de ses propres goûts et caractéristiques, comme par exemple son degré d’efficacité.

Page 38: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

34

méthode d’attribution importe peu, sachant qu’au final, plus les enchérisseurs seront

nombreux, plus la pression concurrentielle sera forte et incitera les différents fournisseurs à

proposer un prix proche de la valorisation qu’ils font du service public, et donc, de leurs

coûts.

Cependant, du fait de l’incertitude environnementale, les enchères, notamment pour

la conclusion de contrats de type franchise bidding ne sont généralement pas à valeur privée.

La valeur accordée au service public par un enchérisseur dépend certes, de ses propres

caractéristiques, mais également de caractéristiques communes à tous les enchérisseurs16. On

parle alors d’enchères à valeur commune. Dans cette configuration, l’appel d’offres risque

d’aboutir à la sélection de la firme la plus optimiste sur l’évolution de la conjoncture, mais

ce ne sera pas nécessairement l’entreprise la plus efficace. Là encore, les performances du

contrat pourraient en être affectées et des solutions doivent donc être envisagées pour

atténuer les effets néfastes de la « malédiction du vainqueur ».

1.1.3.1. Les enchères ouvertes

Une solution classique préconisée par la théorie des enchères est la mise en place

d’enchères ouvertes (Thaler [1988], Klein [1998a], Meister [2004]). En effet, l’enchère

ouverte permet à chaque candidat d’observer les offres de ses concurrents, donnant à chacun

une meilleure information sur les véritables coûts. Un candidat proposant un prix

excessivement élevé par rapport à ses concurrents peut ainsi revoir son offre à la baisse s’il

pense avoir été trop prudent. Inversement, un candidat annonçant un prix excessivement bas

peut aussi s’interroger sur le réalisme de ses prévisions de coûts et réviser son offre à la

hausse. Le partage de l’information permet de réduire la probabilité d’observer des offres

trop optimistes, encourage les entreprises à se porter candidates aux appels d’offres et

améliore donc l’efficacité de la concurrence pour le marché.

1.1.3.2. L’enchère LPVR

Une solution originale à la malédiction du vainqueur est donnée par Engel, Fischer et

Galetovic (EFG [1997], [2001]). Ces auteurs proposent une méthode d’attribution du marché

16 Par exemple, dans le cas d’une enchère portant sur la construction et l’exploitation d’une autoroute, le prix du péage proposé par chaque candidat au moment de l’appel d’offres dépend de manière cruciale de ses prévisions concernant la demande future qui s’adressera à lui. La demande est une caractéristique commune à tous les enchérisseurs.

Page 39: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

35

qui peut être utilisée dans les circonstances pour lesquelles l’incertitude de la demande est

très élevée, rendant les prévisions de coûts trop aléatoires. Ils appuient leur argumentation

sur le secteur autoroutier au Chili dans lequel les prévisions de demande sont très difficiles.

EFG [1997] suggèrent de modifier le système de concurrence pour le marché

classique de Demsetz [1968] avec attribution du marché à l’entreprise annonçant le prix le

plus faible. Dans le mécanisme d’enchères qu’ils proposent, l'autorité publique fixe un prix

maximum que l'opérateur est autorisé à facturer à l'usager du service. Les différents

candidats se font concurrence sur le flux de revenus qu'ils déclarent vouloir dégager de

l'exploitation du service, compte tenu de leurs coûts. C’est ce qu’ils appellent l’enchère

LPVR (Least Present Value of Revenue). La firme qui propose le flux de revenus actualisé le

plus faible remporte le marché. Quant à la durée du contrat, elle n'est pas définie ex-ante. Le

contrat dure tant que le flux de revenus déclaré par le candidat vainqueur dans son offre

initiale n'est pas atteint. Autrement dit, le contrat a toujours une durée finie, mais

indéterminée ex-ante.

Le dispositif proposé par EFG [1997] est une solution intéressante à la malédiction

du vainqueur. Dans un contrat à durée déterminée, il se peut que l'entreprise qui remporte le

marché soit également celle qui est la plus optimiste quant aux évolutions de la conjoncture.

Si ex-post, elle se rend compte qu'elle a surestimé la demande, le contrat risque d'être trop

court pour qu'elle puisse amortir les investissements spécifiques qu'elle a engagés. Dans un

contrat à durée endogène, ce problème n'existe plus car la durée du contrat s'allonge si la

demande est faible et raccourcit si la demande est forte, l'entreprise atteignant alors plus

rapidement le flux de revenu stipulé dans le contrat de départ. Par conséquent, ce mécanisme

élimine l'effet pervers de la mise en concurrence classique à la Demsetz pouvant conduire à

attribuer le marché à celui qui a les prévisions de demande les plus favorables.

Un deuxième avantage de ce dispositif est que les risques d’offres opportunistes lors

des enchères sont réduits. En effet, la firme ne peut plus évoquer une évolution défavorable

de la conjoncture afin de justifier une renégociation de ses tarifs, et cela pour deux raisons.

Tout d'abord, la durée augmente automatiquement lorsque la conjoncture devient mauvaise,

ce qui n’a aucun impact sur son profit car celui-ci est déterminé ex-ante. Ensuite, toute

renégociation conduisant à augmenter le prix tarifé au consommateur se traduit par une

Page 40: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

36

diminution de la durée du contrat et s'avère donc inutile. Au total, donc, l’entreprise qui est

choisie a davantage de chance d’être la plus efficace.

Cependant, l’enchère LPVR, quoique séduisante, comporte certaines limites. Son

principal inconvénient est qu’elle n’incite pas l'entreprise à entreprendre des efforts pour

accroître la qualité de service. En effet, tout effort engagé pour augmenter la qualité

augmente la demande en réduisant la durée du contrat sans avoir d’incidence sur les profits

de la firme. Il est donc nécessaire pour l’autorité publique, de pouvoir définir dans le contrat

un niveau minimum de qualité de service à atteindre par l’entreprise. Une telle spécification

ne pose pas beaucoup de problèmes pour le secteur autoroutier où les prestations à fournir

sont faciles à contractualiser. Cependant, la contractualisation complète des caractéristiques

d’un service public n’est pas toujours évidente pour les nombreuses raisons évoquées en

chapitre 1, ce qui rend l’enchère LPVR d’application difficile dans de nombreux secteurs.

1.1.3.3. Le partage des risques

Une façon alternative de diminuer l’incertitude pour les offreurs et les inciter à se

porter candidats lors de la mise en concurrence du service consiste à définir un partage des

risques dans le contrat initial (Baldwin et Cave [1999]). La répartition du risque entre

autorité publique et opérateur peut concerner la réalisation d’investissements ou les risques

industriels et commerciaux. Selon Littlechild [2002], les risques doivent être répartis de

façon à ce que chaque type de risque soit supporté par l’agent le plus à même de le prendre

en charge (voir sous-section 4.1.). Cependant, la contractualisation du partage des risques est

d’autant plus délicate que l’industrie est segmentée et soumise à de fortes incertitudes

(Yvrande-Billon [2004]).

1.2. Enchères graduelles et engagement crédible de l’autorité publique

Au delà des problèmes de sélection de l’opérateur, l’incomplétude des contrats pose

le problème de crédibilité de l’engagement de l’autorité publique. Dans le cas où les

opérateurs anticipent que l’autorité publique ne peut pas s’engager à renégocier ex-post de

manière honnête, ils ne seront pas encouragés à se présenter à l’appel d’offres. La

concurrence s’en trouvera donc réduite, ce qui aura pour effet d’augmenter le prix résultant

de l’enchère.

Page 41: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

37

La mise aux enchères graduelle du service peut, dans certaines circonstances,

contribuer à limiter l’incertitude de l’opérateur, notamment concernant la demande future ou

l’engagement de l’autorité publique à respecter le contrat de départ. La mise en place de ce

système est possible lorsqu’une autorité publique veut créer un service public inexistant ou

encore ouvrir à la concurrence une industrie exploitée jusqu’alors par le secteur public

(Perotti [1995]). Mais cela suppose également que l’industrie puisse être facilement

fragmentée. Lors des enchères sur les premiers fragments de l’industrie, l’incertitude

(notamment concernant la demande et l’engagement de l’autorité publique à tenir ses

engagements) est forte et peu d’entreprises sont disposées à proposer une offre. Mais dès lors

que les premiers contrats sont signés et commencent à être exécutés, les conditions

d’exploitation sont mieux appréhendées. Mieux renseignés sur la demande, les coûts et la

qualité de l’autorité publique grâce à ce qu’ils ont pu observer lors de l’exécution des

premiers contrats, les opérateurs sont plus nombreux à présenter une offre lors des enchères

organisées sur les fragments suivants, faisant ainsi baisser les prix et améliorant l’efficacité

de la concurrence pour le marché.

En résumé, toutes les solutions présentées dans cette section cherchent à apporter des

améliorations à l’efficacité des PPP dans leur phase d’attribution. Ces améliorations passent

par des dispositifs permettant la sélection de l’opérateur le plus efficace et par l’organisation

d’un appel d’offres qui attire le maximum d’enchérisseurs. Ce dernier point suppose

notamment une maîtrise du risque de malédiction du vainqueur et un engagement crédible de

l’autorité publique. Cependant, même si la phase d’attribution du contrat peut s’effectuer de

manière concurrentielle, l’efficacité du PPP peut être altérée dans sa phase d’exécution. Il est

alors nécessaire de trouver des dispositifs permettant de préserver l’efficacité de ce mode

d’organisation une fois l’opérateur choisi et le contrat signé.

SECTION 2. Les solutions apportées aux problèmes d’exécution

Dans le chapitre 1, nous avons montré que les principales difficultés liées à

l’exécution des accords de franchise bidding sont de trois ordres : celles relatives aux

mauvaises adaptations du contrat, celles relatives aux comportements opportunistes,

notamment de l’entreprise qui peut profiter de l’incomplétude des contrats et de la faible

menace de rupture des engagements pour adopter une attitude déloyale. Enfin, le risque de

Page 42: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

38

sous-investissement de l’opérateur doit être pris en considération, notamment en fin de

contrat où la durée de vie des nouvelles infrastructures mises en place est sans commune

mesure avec la durée de vie résiduelle de l’engagement.

Ces différents coûts d’exécution des contrats, qui ont été mis en évidence par les

économistes des coûts de transaction (Williamson [1976], Goldberg [1976], Crocker et

Masten [1996]), sont en partie surmontables dans la pratique.

2.1. Franchise bidding et adaptation du contrat

Les problèmes d’adaptation du contrat sont directement imputables à l’incertitude

environnementale qui rend obsolète, à moyen et long terme, les exigences portées dans

l’engagement initial. Nous avons mis en évidence un certain nombre de solutions

potentielles pour améliorer l’efficacité des PPP en univers incertain, notamment lorsque

l’incertitude concerne la demande ou la crédibilité de l’engagement de l’autorité publique

(EFG [1997], Baldwin et Cave [1999]). Néanmoins, l’incertitude revêt d’autres dimensions.

Par exemple, l’évolution de la technologie ne peut pas être inférée avec précision en début de

contrat. Dans ces conditions, la mise en place d’accords qui se veulent complets risque de

conduire ex-post à des coûts de maladaptation.

2.1.1. L’arbitrage entre flexibilité et rigidité

Afin d’éviter les problèmes d’adaptation des contrats, la théorie des coûts de

transaction suggère de rendre les contrats plus flexibles (Crocker et Masten [1991]). Des

clauses d’indexation des prix, en fonction d’indices prédéterminés peuvent par exemple être

introduites de manière à empêcher le prix de l’enchère de dévier substantiellement des coûts

de production. Cependant, la portée adaptative de ces clauses est limitée lorsque la

technologie évolue vite ou que les conditions locales n’évoluent pas de la même façon que

les indices utilisés dans la formule d’indexation (Williamson [1976]).

La seule solution pour augmenter la flexibilité du contrat reste la mise en place de

contrats de type cost-plus. Mais l’entreprise n’est alors plus incitée à contenir ses coûts de

production, ce qui implique de la contrôler pendant l’exécution du contrat. Or, comme le

souligne à juste titre les partisans de la réglementation traditionnelle, contrôler l’entreprise

Page 43: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

39

revient à pratiquer une politique de régulation par commission, et la concurrence pour le

marché est justement sensée éviter ce type de coût !

En résumé, le degré de complétude du contrat de franchise bidding doit être le

résultat d’un arbitrage entre efficacité de la mise en concurrence et gestion de

l’opportunisme d’une part, et besoins d’adaptation du contrat d’autre part. La mise en place

de contrats rigides réduit les risques d’opportunisme et permet aux différents candidats à

l’appel d’offres de proposer un prix qui s’appuie sur un cahier des charges précis.

Cependant, les coûts liés à une mauvaise adaptation du contrat aux circonstances

changeantes peuvent être importants (Crocker et Masten [1991], Saussier [2000]). A

l’inverse, des contrats flexibles, qui laissent une large place aux ajustements ex-post limitent

les coûts de maladaptation mais augmentent les risques d’opportunisme et peuvent rendre le

prix proposé par chaque candidat au moment de l’appel d’offres « artificiel et obscur », et

donc, non concurrentiel.

La nécessité de recourir à des contrats flexibles lorsque les problèmes d’adaptation

des contrats sont importants est également soulignée par Bajari et Tadelis [2001]. Ces

auteurs développent un modèle dans lequel l’acheteur (l’autorité publique) doit faire face à

un arbitrage entre donner des incitations aux agents et réduire les coûts de transaction

survenant ex-post en raison de coûteuses renégociations. Bajari et Tadelis suggèrent que s’il

n’y a aucun coût à compléter le contrat, alors une tarification de type price-cap est optimale

car elle donne au vendeur une incitation à diminuer les coûts et la concurrence pour le

marché transfère ces économies de coûts directement à l’acheteur. En revanche, lorsque le

projet ou le service est complexe, il devient trop coûteux de signer des contrats complets. Si

l’autorité publique continue d’utiliser une tarification de type price-cap, les gains en termes

de diminution des coûts sont contrebalancés par les coûts de renégociations élevés liés au

fait que le price-cap s’adapte mal aux situations dans lesquelles le service est complexe.

L’autorité publique peut essayer d’éviter ces coûts de renégociation en complétant le contrat

au maximum, mais le fait de compléter le contrat est également coûteux si les

caractéristiques du bien ou du service sont complexes. Il se peut très bien dans ce cas que les

effets négatifs du price-cap (hausse des coûts de renégociation et/ou des coûts d’écriture du

contrat) deviennent supérieurs à ses effets positifs (incitations à diminuer les coûts

d’exploitation). Il peut alors être optimal d’avoir recours à un système d’incitations faibles

Page 44: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

40

(c’est-à-dire un contrat cost-plus), plus économe en coûts de renégociation et d’écriture des

contrats.

Ces travaux sont complétés par ceux de Bajari, Tadelis et McMillan (BTM, [2005])

qui montrent l’intérêt de la mise en place d’une phase de négociation entre l’autorité

publique et l’opérateur lorsque le bien ou le service public possède des caractéristiques

complexes pouvant conduire à des coûts de maladaptation du contrat.

2.1.2. La substitution de l’enchère par la négociation

BTM [2005] complètent la contribution de Bajari et Tadelis [2001] en affirmant que

les contrats cost-plus sont souvent associés dans les faits à une attribution du marché selon

une procédure de négociation plutôt qu’une enchère à la Demsetz. Leur article aboutit

notamment à la conclusion selon laquelle la négociation est préférable à l’enchère

concurrentielle lorsque le bien ou le service à fournir est complexe. BTM [2005] reprochent

à l’enchère concurrentielle d’étouffer la communication entre l’acheteur (l’autorité publique

dans notre cas) et le vendeur. Les négociations, cependant, permettent à l’acheteur de

pouvoir discuter avec le vendeur de la manière dont le projet peut être amélioré. Elles

permettent aux acheteurs et aux vendeurs de passer du temps à mettre à plat les possibles

obstacles pouvant survenir ex-post et donc, facilitent en quelque sorte, l’écriture d’un contrat

plus complet.

Grâce à la négociation, l’autorité publique profite notamment de la capacité

d’expertise et d’innovation de l’entreprise qui peut lui révéler les limites du contrat de départ

présenté par l’acheteur et peut proposer des solutions pour l’améliorer. Dans l’enchère à la

Demsetz, le type de prestations désiré est fixé dans le cahier des charges par l’autorité

publique, les candidats se contentant d’annoncer leur prix respectif pour l’exploitation du

service. Une telle enchère risque de conduire à des coûts de maladaptation ex-post d’autant

plus élevés que le bien ou le service à produire est complexe. En effet, avec ce mode

d’attribution des marchés, l’autorité publique ne peut pas s’appuyer sur un dialogue avec un

interlocuteur compétent, capable de l’aider à compléter les blancs importants du projet initial

et à en corriger les imperfections. Evidemment, ce mécanisme suppose une certaine

confiance de l’autorité publique envers son fournisseur. Aussi, est-il important que cette

dernière ne s’engage qu’avec des firmes expérimentées et dont la réputation est déjà établie.

Page 45: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

41

Les travaux de BTM [2005] ont le mérite de mettre en évidence l’intérêt de la

négociation pour réduire les coûts de maladaptation des contrats et augmenter l’efficacité des

PPP. Néanmoins, du fait des risques évidents de corruption, certains économistes sont

réticents à cette pratique et lui préfèrent l’enchère (Guash [2004], p.20). La négociation

possède donc certaines vertus, mais sa mise en place doit être considérée avec prudence.

2.2. Franchise bidding et opportunisme

L’exécution de PPP dans des secteurs pour lesquels les investissements sont

spécifiques et l’environnement incertain oblige nécessairement les agents à signer des

contrats incomplets donnant lieu à des possibilités de comportements opportunistes. Ces

comportements opportunistes peuvent émaner de l’autorité publique. Cependant, la

littérature accorde davantage d’importance à l’opportunisme émanant de l’entreprise privée

(Zupan [1989b]) en raison des coûts de rupture élevés des contrats et de l’avantage de la

firme en place au moment du renouvellement (Williamson [1976]). Cette dernière peut donc

se sentir plus « libre » de ses mouvements pour se comporter de façon déloyale, par exemple

en diminuant la qualité de ses prestations ou en demandant des hausses de tarifs en cours de

contrat. Cette attitude est évidemment de nature à altérer l’efficacité du PPP. La thèse de

l’opportunisme de l’opérateur est cependant contestée pour de nombreuses raisons que nous

analysons à présent.

2.2.1. Dépendance bilatérale et contrat auto-exécutoire

Williamson [1976] affirme que la probabilité qu’une autorité publique sanctionne un

opérateur se comportant mal pendant l’exécution du contrat par la rupture de son contrat est

très faible. La raison majeure empêchant l’autorité publique de se séparer prématurément de

l’entreprise qu’elle a initialement choisie tient au fait qu’une telle sanction remettrait en

cause les investissements spécifiques développés par l’opérateur. Si ce dernier anticipe la

possibilité d’être renvoyé en cours de contrat, il risquerait alors de réagir en sous-

investissant. Afin de ne pas atteindre ce résultat sous-optimal, l’autorité publique a intérêt à

garantir à l’entreprise l’exploitation du service pendant toute la durée du contrat. Mais se

sentant protégée d’un éventuel renvoi, la firme peut alors en profiter pour se comporter de

manière opportuniste pendant l’exécution du contrat.

Page 46: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

42

Pourtant, la perspective de perdre ses investissements spécifiques peut tout aussi bien

inciter l’entreprise à rester sage. Une fois le contrat de long terme signé, l’entreprise et

l’autorité publique entrent en situation de dépendance bilatérale dans laquelle personne n’a

forcément intérêt à ce que le contrat soit rompu (Zupan [1989a]). En cas de rupture

prématurée de l’engagement, l’entreprise devrait négocier avec l’autorité publique le prix de

transfert des actifs physiques spécifiques qu’elle n’a pas pu amortir. Des conflits peuvent

alors éclater concernant la valeur de revente de ces actifs, rendant incertaine la compensation

de l’opérateur. En outre, les investissements en actifs spécifiques humains consentis par

l’entreprise (formation du personnel, accumulation des connaissances sur le terrain) sont

perdus dès lors que le contrat est rompu. Celle-ci doit alors soit licencier son personnel, soit

le former à d’autres tâches. Ces coûts de rupture, qui peuvent évidemment être très élevés, à

la fois pour l’autorité publique et l’entreprise, expliquent la situation de dépendance

bilatérale dans laquelle elles se trouvent.

L’opérateur n’est donc pas nécessairement incité à abuser de son pouvoir de

monopole lors de la phase d’exécution des engagements car les investissements spécifiques

qu’il a réalisés n’ont de valeur que pour un acheteur : l’autorité publique dans laquelle ils

sont consentis. La dépendance bilatérale entre l’entreprise et l’autorité publique peut donc,

dans certaines circonstances, équilibrer le pouvoir de négociation des acteurs et rendre le

contrat auto-exécutoire. L’absence d’intérêt pour la firme à se comporter de manière

opportuniste pendant l’exécution du contrat est renforcée lorsque l’on prend en considération

l’existence de garanties contractuelles explicites, mais surtout implicites pouvant être

mobilisées pour améliorer l’efficacité du contrat.

2.2.2. Les garanties contractuelles explicites et implicites

A la fin des années 1980, des travaux de Zupan ([1989a], [1989b]) et Prager [1990]

estiment que Williamson surévalue l’importance de l’opportunisme de l’opérateur pendant

l’exécution du contrat. Selon Zupan, plusieurs contraintes contribuent à atténuer ce risque.

Tout d’abord, il est possible d’introduire dans les contrats des clauses de sanction (comme

par exemple des otages, des clauses de sanctions pécuniaires ou de rupture du contrat en cas

de mauvaises performances). Cependant, ces garanties peuvent être coûteuses à mettre en

place (Klein, Crawford et Alchian [1978]) et si les gains générés par un comportement

opportuniste sont supérieurs à la sanction prévue, l’entreprise n’aura aucun intérêt à rester

Page 47: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

43

loyale. De plus, il peut être parfois difficile de rendre ces sanctions suffisamment crédibles.

Plus précisément, les garanties contractuelles explicites doivent pouvoir être appliquées sans

risque de dysfonctionnement du service ou de rupture d’approvisionnement pour les

consommateurs (Defeuilley [1999]). Si tel n’est pas le cas, elles sont peu susceptibles

d’avoir un impact important sur la capacité de l’entreprise à être opportuniste.

En fait, ce sont surtout les garanties contractuelles implicites qui sont efficaces pour

lutter contre l’opportunisme de l’opérateur (Klein, Crawford et Alchian [1978]). Zupan

souligne à cet égard l’importance du rôle joué par les effets de réputation externes. Une

firme opportuniste risque non seulement d’être évincée au moment du renouvellement, mais

elle risque aussi de voir sa candidature rejetée auprès d’autres autorités publiques alertées

par son comportement passé. Son manque de loyauté peut donc lui coûter très cher,

notamment si son objectif est de conquérir de nouveaux marchés (Prager [1990]).

Nous pouvons penser que les effets de réputation externes sont limités du fait que

l’entreprise sortante dispose d’un avantage sur ses concurrents au moment du

renouvellement (voir chapitre 1). Néanmoins, si l’attitude de l’entreprise peut être connue

par des tiers, et notamment si l’objectif de la firme en place est de conquérir de nouveaux

marchés, alors elle sera très fortement incitée à rester honnête pendant toute l’exécution du

contrat (Klein, Crawford et Alchian [1978], Prager [1990]).

Le rôle dissuasif des effets de réputation externes est renforcé par l’existence d’effets

de réputation internes. Plus précisément, Zupan [1989a] affirme que si le produit total généré

par la relation contractuelle dépend de l’effort des deux parties, l’autorité publique peut

répondre à une baisse des efforts de l’entreprise par une baisse de ses propres efforts. Il

existe en effet de nombreuses astuces que l’autorité publique peut utiliser pour rendre la vie

difficile à l’entreprise. Elle peut par exemple diminuer ses propres investissements ou encore

augmenter les taxes demandées à l’opérateur. En d’autres termes, si l’opérateur peut avoir

intérêt à se comporter de manière opportuniste et est même en position favorable pour le

faire du fait de sa position de monopole pendant la durée du contrat, l’autorité publique a les

moyens de répondre en étant elle-même opportuniste.

Page 48: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

44

2.2.3. Effets de réputation et renouvellement du contrat

L’importance des effets de réputation dans la dissuasion des comportements

opportunistes a également été mise en évidence récemment par Doni [2004]. Dans son

modèle, l’auteur montre que pour inciter une firme à respecter les engagements inscrits dans

le contrat initial, le recours à des indicateurs de performance ne suffit pas lorsque la qualité

est observable mais non vérifiable. Une solution consiste alors à introduire un mécanisme de

type « reward for good reputation ». Plus précisément, l’autorité publique doit faire

dépendre la perspective pour l’entreprise de voir son contrat renouvelé des performances

atteintes pendant l’exécution du contrat. Cependant, une telle politique crée inévitablement

une distorsion lors de la mise en concurrence. Il existe donc un arbitrage entre assurer le

meilleur prix possible lors de la mise aux enchères, et donner des rentes à l’entreprise de

manière à l’inciter à des performances conformes aux exigences du contrat. Laisser des

rentes à l’opérateur en lui permettant de pratiquer un prix plus élevé en cas de

renouvellement permet d’assurer à l’opérateur un revenu qui excède le gain potentiel d’un

comportement opportuniste (Klein, Crawford et Alchian [1978]). Une manière d’augmenter

les perspectives de rentes futures et donc, de discipliner l’opérateur, consiste de manière

paradoxale à limiter le nombre de candidats lors des appels d’offre ultérieurs afin

d’augmenter le prix résultant de l’enchère (Kim [1998]). En résumé, la littérature suggère

que les effets de réputations constituent un puissant frein aux comportements opportunistes

de l’entreprise, mais cet effet dissuasif s’obtient parfois au détriment d’une distorsion au

moment de la remise en concurrence du service.

2.2.4. Efficacité des garanties contractuelles et contrôle de l’opérateur

Cependant, l’efficacité des garanties contractuelles (explicites ou implicites) dépend

en pratique de la capacité de l’autorité publique à contrôler efficacement l’opérateur (Ferris

et Graddy [1991], Nelson [1997]). Diverses modalités de contrôle peuvent être utilisées par

l’autorité publique : obligation de fourniture à intervalle régulier de documents comptables,

techniques et financiers, visites sur le terrain, recours à une société d’audits etc. Dans le cas

où ce contrôle serait trop coûteux à mettre en place et donc insuffisant, l’autorité publique

n’est plus en mesure de vérifier si l’entreprise respecte bien ses engagements, et donc, n’est

plus capable de la sanctionner en conséquence.. En particulier, l’impossibilité pour l’autorité

publique de détecter les comportements frauduleux ne permet évidemment pas aux effets de

réputation de conserver leur pouvoir dissuasif. Pour diminuer les coûts de contrôle sur

Page 49: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

45

l’opérateur, une solution envisageable est de signer des contrats qui portent davantage sur les

objectifs de performances à atteindre plutôt que sur les moyens (Klein [1998a]).

La difficulté d’exercer un contrôle efficace sur l’opérateur augmente donc

inévitablement les coûts du franchise bidding. Pour autant, il existe des situations dans

lesquelles même si le contrôle de l’opérateur peut s’effectuer sans coût excessif pour

l’autorité publique, ce contrôle s’avère inutile. En effet, l’incomplétude contractuelle peut

venir du fait que certaines prestations à effectuer par l’entreprise sont observables par

l’autorité publique mais non vérifiables par les tiers au contrat (tribunaux, arbitres

indépendants etc.). Dans le cas où les effets de réputation ne sont pas suffisamment

importants pour dissuader les comportements opportunistes, l’opérateur produit un niveau de

qualité sous-optimale. La théorie des contrats incomplets (Grossman et Hart [1986], Hart

[1995]) propose de traiter ce problème en jouant sur l’allocation des droits de propriétés sur

les actifs spécifiques.

2.2.5. Répartition des droits de propriétés et qualité non vérifiable

Si les termes du contrat ne sont pas vérifiables, il est impossible pour l’autorité

publique de prouver la mauvaise foi de l’entreprise auprès d’une instance judiciaire ou d’un

arbitre indépendant. Dans ces conditions, l’utilisation d’un mode de rémunération de type

price-cap telle que préconisée par Demsetz [1968] pourrait avoir l’inconvénient d’inciter ex-

post l’entreprise à diminuer ses coûts de manière excessive. Cette dernière ne prend en fait

pas en compte l’impact négatif de la diminution de ses coûts sur la qualité de service. C’est

le sens du message véhiculé par Hart, Shleifer et Vichny (HSV [1997]). Pour répondre à ce

problème, certains modèles de théorie des contrats incomplets cherchent à donner une grille

de lecture concernant la répartition optimale des droits de propriétés sur les infrastructures de

manière à maximiser les incitations des agents à la réalisation d’investissements observables

mais non vérifiables17. Ainsi, les modèles de Hart [2003] et Bennett et Iossa [2006] donnent

des éléments de réponse aux deux questions suivantes : à qui doivent appartenir les actifs

physiques ?18 L’autorité publique doit-elle avoir recours au même opérateur pour la

17 Le partage des droits de propriété aboutit à un optimum de « second best », c’est-à-dire que le niveau d’effort produit par l’opérateur est toujours inférieur à l’effort qu’il produirait si la signature d’un contrat complet était possible. 18 Bennett et Iossa [2002] considèrent quatre structures de propriété : i) l’autorité publique détient les actifs ii) la firme chargée de la construction détient les actifs iii) la firme chargée de l’exploitation détient les actifs iv)

Page 50: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

46

construction de l’infrastructure et l’exploitation du service public ou doit-elle faire appel à

deux opérateurs différents ? (Grossman et Hart [1986], Hart [1995]).

Par exemple, Hart [2003] distingue deux types d’investissements qu’il suppose

observables mais non vérifiables : l’investissement productif qui améliore la qualité de

service et diminue les coûts (noté i) et l’investissement non productif qui diminue les coûts

et la qualité de service (noté e).

Hart affirme que dans le cas de la signature de deux contrats séparés (un opérateur se

chargeant de la construction de l’infrastructure et un autre de son exploitation), le

constructeur produit le niveau optimal du mauvais investissement e (c’est-à-dire 0), mais un

niveau insuffisant du bon investissement i. Si l’on suppose que l’entreprise est payée

forfaitairement (price cap), elle est incitée à construire l’infrastructure la moins chère, et est

donc sous-incitée du point de vue des deux types d’investissement (le bon, comme le

mauvais investissement) car les bénéfices de ces deux types d’investissement ne lui

reviendraient pas, mais seraient accaparés en deuxième période par l’opérateur responsable

de l’exploitation du service. Dans le cas de contrats joints (c’est-à-dire, lorsque l’opérateur

en charge de la construction de l’infrastructure est aussi responsable de son exploitation), ce

dernier est au contraire incité à produire les deux types d’investissements, car il doit tenir

compte du fait qu’une insuffisance d’investissements en période 1 peut avoir un impact sur

ses coûts d’exploitation futurs. Le niveau d’investissement productif est alors plus proche du

niveau de first best (lorsque les contrats sont complets) que dans le cas de la signature de

contrats séparés, mais le niveau d’investissement non productif (et donc non souhaitable

pour la collectivité) est également positif.

Par conséquent, la conclusion de contrats séparés est une bonne solution si la qualité

de l’infrastructure peut être bien spécifiée contractuellement alors que la qualité du service

ne le peut pas. Sous ces conditions, le sous-investissement en investissement productif (i)

n’est pas un sérieux problème alors que le sur-investissement en investissement non

productif (e) peut l’être. A l’inverse, un contrat joint est préférable si la qualité du service

peut être bien spécifiée (ou plus généralement, quand il existe des mesures de performance

les actifs sont détenus par un consortium chargé de la construction des infrastructures et de l’exploitation du service

Page 51: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

47

qui peuvent être utilisées pour récompenser ou sanctionner le fournisseur de service) alors

que la qualité de l’infrastructure ne peut pas l’être. Dans ce cas, le sur-investissement en e

n’est pas un sérieux problème pour l’autorité publique qui gagne à recourir à un seul contrat

car les incitations de l’opérateur à investir en i sont plus fortes.

En résumé, afin d’inciter les entreprises privées à réaliser des investissements qui

maintiennent un niveau satisfaisant de qualité non vérifiable, la théorie des contrats

incomplets propose des solutions en terme de répartition optimale des droits de propriétés.

2.3. Franchise bidding et sous-investissement de fin de contrat

Une des sources majeures d’inefficacité des PPP dans leur phase d’exécution réside

dans le manque d’incitation des opérateurs à investir en fin de contrat (Baldwin et Cave

[1999], Guash [2004]). Nous considérons les solutions à ce problème sous deux

hypothèses : lorsque les investissements sont observables et vérifiables, et, lorsqu’ils ne le

sont pas.

2.3.1. Le cas des investissements observables et vérifiables

Harstad et Crew [1999] présentent un modèle dans lequel ils traitent du transfert des

actifs physiques. Un des problèmes majeurs survenant en fin de contrat de franchise bidding

est relative à la difficulté pour l’opérateur entrant et l’opérateur sortant de s’entendre sur la

valeur de revente des infrastructures. Cette difficulté se traduit notamment par les faibles

incitations de l’opérateur en place à investir et à assurer la maintenance des actifs pendant

l’exécution du contrat s’il n’est pas sûr de pouvoir les revendre à leur juste valeur.

Contrairement à Williamson, Harstad et Crew [1999] font l’hypothèse que l’évaluation des

coûts marginaux de production effectuée par les entrants potentiels peut être aussi précise

que celle qui est effectuée par l’opérateur en place. Autrement dit, les entrants potentiels

peuvent évaluer précisément la valeur des infrastructures détenues par l’opérateur en place

s’ils peuvent inspecter ces actifs librement. Il s’agit d’une hypothèse qui, selon les auteurs,

n’est pas forcément irréaliste, car si les candidats à la reprise du service sont de grandes

entreprises, ils travaillent pour d’autres autorités publiques chez qui ils ont dû réaliser les

mêmes types d’investissements que ceux effectués par l’opérateur en place dans le service

prospecté. Plus simplement, Harstad et Crew supposent que les investissements spécifiques

Page 52: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

48

réalisés par l’entreprise X dans une région R sont tout à fait standards, car l’entreprise Y

réalise les mêmes types d’investissement dans une autre région, ce qui lui permet de pouvoir

évaluer avec précision la valeur résiduelle des actifs possédés par l’entreprise X dans la

région R au moment du renouvellement.

A partir de cette hypothèse, Harstad et Crew développent un modèle dans lequel les

opérateurs proposent chacun un prix p à tarifer au consommateur pour le service. Comme

dans le modèle de Demsetz [1968], celui qui propose le prix le plus faible remporte le

marché. La différence par rapport à Demsetz, c’est que l’autorité publique fixe un prix pour

le transfert des actifs qui est directement fonction décroissante de l’offre annoncée par le

vainqueur. Ce montant s’écrit t(p). Cette relation entre le prix de l’output et le prix de

transfert est spécifiée par avance par l’autorité publique. La décroissance du prix de transfert

lorsque le prix de l’output augmente s’explique intuitivement par le fait qu’un capital qui a

de la valeur permet à l’entreprise d’offrir le bien ou le service à un coût d’exploitation plus

faible. Ce mécanisme permet de résoudre les conflits pouvant intervenir sur la valeur de

transfert des actifs car un opérateur qui soumet une offre basse pour l’exploitation du service

évalue la valeur des actifs à un montant élevé. De même, un tel système incite l’opérateur en

place à investir efficacement et à assurer une bonne maintenance des actifs sous peine

d’obtenir une faible indemnité de transfert si son contrat n’est pas renouvelé.

2.3.2. Le cas des investissements non observables

Cependant, l’hypothèse la plus souvent retenue dans la littérature est celle d’une

asymétrie d’information entre l’entreprise en place d’une part, et l’autorité publique et les

tiers d’autre part. Plus précisément, l’entreprise qui a exploité le service pendant plusieurs

années dispose la plupart du temps d’un avantage informationnel concernant la valeur réelle

des infrastructures (Meister [2004]). Le caractère non observable et non vérifiable du

patrimoine et de certains investissements renforce alors le risque pour l’entreprise en place

de ne pas être remboursée pour les investissements réalisés en fin de contrat. D’autres

solutions doivent alors être trouvées pour faire face au sous-investissement de l’opérateur19.

Afin de préserver les incitations de l’opérateur à investir continuellement et d’éviter

les risques de conflits pouvant survenir en fin de contrat sur la valeur de reprise des 19 Nous n’analysons ici que les principales solutions, le problème du sous-investissement étant analysé avec plus de détail dans le chapitre 6.

Page 53: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

49

infrastructures, certains auteurs suggèrent de le favoriser au moment du renouvellement du

contrat (Laffont et Tirole [1988b], Baldwin et Cave [1999]). Une telle politique oblige

l’autorité publique à arbitrer entre l’efficacité de la mise en concurrence et l’efficacité de

l’investissement (Aubert, Bontems et Salanié [2006]). Si l’investissement revêt un caractère

important dans la fonction objectif de l’autorité publique, il peut être optimal de biaiser

l’enchère en faveur de l’opérateur sortant. Cela dit, dans la pratique, cette règle conduit bien

souvent à donner un avantage infini à l’opérateur en place (Klein[1998e]), ce qui, là encore,

réduit ou annule les bénéfices attendus de l’enchère.

Dans le même ordre d’idées, Meister [2004] suggère que les enchères ouvertes sont

plus vulnérables au risque de sous-investissement que les enchères fermées car ce type

d’enchères permet aux entrants potentiels d’observer les prix proposés par l’opérateur initial

au moment de l’appel d’offres, et donc, de recueillir des informations sur les véritables coûts

de production. Les enchères ouvertes permettent donc de réduire les asymétries

d’information entre l’entreprise en place et ses concurrents et d’améliorer la parité entre les

candidats, mais une nouvelle fois au détriment des incitations de l’opérateur à investir

efficacement en fin de contrat. C’est pourquoi, lorsque les investissements constituent une

préoccupation importante pour l’autorité publique, les enchères fermées, qui préservent

l’avantage informationnel de l’opérateur initial, devaient être préférées.

Cependant, une autorité publique souhaitant éviter le risque de sous-investissement

tout en préservant une certaine parité entre les candidats doit s’en remettre à d’autres

solutions. L’une d’entre elles consiste à confier la réalisation des investissements et la

propriété des actifs physiques à l’autorité publique, l’exploitation du service restant du

domaine de l’entreprise privée (Posner [1972], Baldwin et Cave [1999]). Mais cette solution

est également imparfaite dans la mesure où l’autorité publique, qui n’exploite pas le service,

n’en connaît pas les besoins aussi précisément que l’entreprise en place (Gence-Creux

[2001]). Il en résulte une moindre efficacité de l’investissement public susceptible même de

conduire à du sur-investissement. L’entreprise peut en effet encourager l’autorité publique à

financer certains travaux inutiles (en l’incitant par exemple au renouvellement précoce de

certaines infrastructures) dans le but de faire baisser ses coûts de production.

Enfin, même si les investissements ne sont pas observables, il peut dans certains cas

être possible de définir un niveau de performance observable à atteindre par l’entreprise

Page 54: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

50

(Klein [1998b]. Ce type de clause doit alors contraindre l’opérateur à réaliser certains

investissements indispensables pour atteindre les objectifs de performance stipulés dans le

contrat. Cependant, il s’agit là encore d’une solution partielle car les moyens mis en œuvre

par l’entreprise pour atteindre les objectifs peuvent ne pas être conformes à ce qu’attend

l’autorité publique. Plus précisément, l’opérateur peut être incité dans certains cas, et

notamment en fin de contrat, à remplir les objectifs par d’autres moyens que

l’investissement.

SECTION 3. Les solutions aux problèmes de réattribution

Toutes les solutions étudiées dans la section précédente visaient à améliorer

l’efficacité des contrats de franchise bidding au moment de leur phase d’exécution. Ces

améliorations passent par une gestion efficace des problèmes d’adaptation des contrats,

d’opportunisme des acteurs et de sous-investissement des opérateurs en fin de contrat. Cette

section se propose maintenant d’étudier les solutions aux problèmes survenant au moment de

leur réattribution. Nous avons mis en évidence dans le chapitre 1 la difficulté de placer les

différents candidats dans des conditions d’égalité lors de la remise aux enchères du service.

Cependant, nous avons aussi vu que cette absence de parité n’était pas nécessairement

synonyme d’inefficacité du PPP. En effet, dans certains cas, une telle distorsion se justifie,

notamment lorsque l’autorité publique veut faire dépendre la probabilité de renouvellement

de l’opérateur en place de ses performances passées (Doni [2004]) ou lorsqu’elle souhaite

préserver les incitations de l’opérateur à investir tout au long du contrat (Laffont et Tirole

[1988b]). Cependant, l’absence de parité peut aussi s’avérer inefficace. C’est notamment le

cas lorsque des asymétries d’information entre l’opérateur en place et ses concurrents créent

des barrières à l’entrée pour ces derniers, ou lorsque l’opérateur développe des

investissements spécifiques non transférables le plaçant dans des conditions avantageuses

lors de la remise en concurrence du contrat.

3.1. «Malédiction du vainqueur » et problèmes de parité

Les asymétries d’information créent un risque de malédiction du vainqueur pour les

entrants potentiels qui, contrairement à l’opérateur en place, n’ont pas de connaissance fine

sur les coûts de production. Ce désavantage décourage alors les entreprises alternatives à

présenter une offre lors du renouvellement du contrat. Cependant, Aubert, Bontems et

Page 55: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

51

Salanié [2005a] remettent en cause l’impact néfaste de la malédiction du vainqueur sur

l’efficacité du contrat. Ils considèrent un modèle à deux périodes dans lequel une autorité

publique est confrontée à deux problèmes : inciter l’entreprise en place à un niveau

d’investissement optimal et lui faire révéler l’état véritable des infrastructures lors du

renouvellement de manière à encourager des candidats extérieurs à soumettre une offre.

La règle optimale doit conduire à biaiser l’enchère en faveur de l’entreprise sortante

et à lui permettre de produire des quantités de deuxième période plus importantes que celles

produites par un entrant potentiel. Cette règle vise à inciter l’entreprise initiale à réaliser des

investissements de long terme en première période. Cependant, les auteurs démontrent que

dans ce contexte, une meilleure information de l’opérateur initial sur l’état des

infrastructures n’induit, en moyenne, aucun biais supplémentaire en sa faveur. Autrement

dit, leur analyse fait apparaître que biaiser l’enchère en faveur de l’entreprise en place pour

l’inciter à investir correctement permet en même temps de régler le problème de la

malédiction du vainqueur, et cela sans coût supplémentaire pour l’autorité publique.

Cependant, ce modèle ne tient que si l’on suppose la neutralité vis-à-vis du risque de

l’autorité publique et des entreprises. Dans le cas contraire, les effets pervers de la

malédiction du vainqueur (nombre insuffisant de participants lors des appels d’offre)

peuvent perdurer.

3.2. Transformation fondamentale et problèmes de parité

Lorsque l’opérateur en place réalise des investissements spécifiques non transférables

en cours de contrat, il dispose alors d’un avantage absolu sur ses concurrents au moment du

renouvellement. Comme nous l’avons évoqué, ce problème de transfert peut, en théorie,

aussi bien concerner les actifs physiques que les actifs humains. Cependant, les actifs

physiques peuvent être rendus facilement transférables si la propriété des infrastructures est

publique ou si le contrat prévoit une clause de reprise et/ou de rachat des équipements par

l’autorité publique en fin de contrat (Zupan [1989a]). Par exemple, dans les contrats de

concession, la propriété des infrastructures est publique dès leur édification, et ils doivent en

outre être remis gratuitement à l’autorité publique en fin de contrat, ce qui évacue alors tout

problème de transfert.

Page 56: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

52

Les actifs humains peuvent en revanche être plus difficilement transférables, les

salariés de l’entreprise déjà installée pouvant être réticents à changer d’employeur

(Williamson [1976]). L’apprentissage sur le terrain et les connaissances spécifiques

développées par l’opérateur en place tout au long du contrat permettent à ses salariés de

devenir plus productifs que le personnel employé par ses concurrents, lui procurant un

avantage souvent décisif lors du renouvellement. Cependant, selon Ekelund et Saba [1980],

ce résultat repose sur deux hypothèses : les employés ne doivent pas avoir conscience de

l’augmentation de leur productivité marginale pendant la période d’exécution du contrat et

cet accroissement de productivité ne doit avoir de valeur que pour l’opérateur original. Si au

moins une de ces deux hypothèses n’est pas vérifiée, les employés vont pouvoir exiger de

leur employeur une augmentation de rémunération. Dans la mesure où il est coûteux pour

l’opérateur de remplacer des travailleurs expérimentés par des travailleurs inexpérimentés

qu’il va falloir de nouveau former, celui-ci ne peut pas refuser. L’augmentation de salaire

que doit consentir l’opérateur original restreint son avantage au moment du renouvellement

du contrat.

En outre, tout comme il existe des clauses de reprise pour les actifs physiques, il est

possible d’incorporer dans le contrat des clauses de transfert du personnel de l’opérateur

sortant vers le nouvel opérateur (Littlechild [2002]). Ces clauses peuvent prévoir dans

quelles conditions le personnel doit être repris (garanties en matière d’emploi, de conditions

salariales etc…) de manière à préserver leurs intérêts. Cependant, même dans le cas où les

salariés seraient réticents à changer d’entreprise, cela ne met pas forcément les différents

compétiteurs en position de faiblesse vis-à-vis de l’opérateur en place lors du

renouvellement. Un modèle de Sorana [2003] montre en effet que lorsque les actifs

spécifiques (physiques ou humains) ne sont pas transférables, il est possible d’envisager que

l’opérateur sortant conserve ses actifs et que l’entreprise entrante sous-traite la production du

service auprès de l’opérateur sortant. Son modèle montre qu’un accord de sous-traitance peut

suffire à ce que le prix au moment du renouvellement soit fixé de manière concurrentielle.

En résumé, notre analyse appelle deux conclusions. Tout d’abord, il existe des

solutions pour limiter les biais en faveur de l’opérateur sortant lors du renouvellement.

Ensuite, cette parité n’est pas toujours souhaitable. Il peut être optimal, dans certains cas, de

favoriser l’opérateur sortant, notamment lorsque l’autorité souhaite inciter l’opérateur à

investir ou le récompenser pour bonne conduite en faisant jouer les effets de réputation.

Page 57: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

53

SECTION 4. Les études empiriques

Un certain nombre d’études empiriques a confirmé que les critiques adressées aux

PPP, bien que pouvant être justifiées, ne disqualifiaient pas pour autant ce mode de

coordination entre une autorité publique et une firme privée pour la fourniture d’un bien ou

service public avec des caractéristiques de monopole naturel.

4.1. Une étude de cas de Littlechild [2002] : le contrat SPL/LUL

Une étude de cas décrite par Littlechild [2002] vise à montrer que les contrats de type

franchise bidding ne conduisent pas forcément à des résultats inefficaces lorsqu’ils sont

utilisés dans les industries en situation de monopole naturel. Ces accords sont la plupart du

temps viables et l’exemple empirique sur lequel il fonde son argumentation montre que les

problèmes rencontrés dans le contrat entre Oackland et Focus Cable étudiés par Williamson

[1976]) ont pu être évités dans le contrat signé entre la société exploitant le métropolitain

londonien (London Underground Limited ou LUL) et son fournisseur d’électricité (Seeboard

Powerlink ou SPL).

Avant 1998, LUL possédait et gérait seul son propre réseau électrique. Elle produisait

elle-même l’électricité qui sert à alimenter les câbles électriques faisant fonctionner les

trains. Mais LUL, qui est une société publique, dépendait largement des subventions du

gouvernement. Or, ce dernier considérait que les subventions accordées à LUL constituaient

une utilisation inefficace des fonds publics. En outre, au sein même de LUL, les

investissements dans le réseau électriques étaient en concurrence avec d’autres projets. Dans

la mesure où les actifs en jeu dans le réseau électrique ont une durée de vie très longue, leur

renouvellement n’était pas perçu comme prioritaire, ce qui s’est traduit par un retard

d’investissement de 1,2 milliards de livres en 1998. Devant les difficultés croissantes de

LUL pour financer ses investissements, celle-ci décide en 1995 de recourir à la délégation de

l’exploitation de son réseau électrique à une entreprise privée. En 1998, l’appel d’offres

conduit à attribuer le contrat à SPL.

La durée convenue du contrat est de 30 ans de manière à encourager l’entreprise à

entreprendre des investissements spécifiques. Or, nous avons vu qu’un contrat de long terme

pouvait poser de nombreux problèmes en présence d’actifs spécifiques et en situation

Page 58: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

54

d’incertitude. Cela dit, dans le cas de l’accord entre LUL et SPL, Littlechild explique que ces

problèmes ont pu être évités.

4.1.1. Incomplétude contractuelle et prix « artificiel et obscur »

Le premier type de problème associé aux contrats de long terme que nous avons

étudié concerne le caractère artificiel et obscur du critère de sélection. Ce caractère artificiel

et obscur est imputable à l’incertitude, notamment concernant la demande et l’évolution de la

technologie, qui empêchent la signature de contrats complets. Cependant, Littlechild relève

que dans le cas de l’accord LUL/SPL, l’incertitude technologique est plus faible que dans le

cas d’Oakland/Focus Cable. En effet, l’industrie du câble était relativement nouvelle dans les

années 1970 tandis que le métropolitain londonien est un service beaucoup plus ancien avec

des technologies bien établies. Cela dit, Littlechild souligne que dans ce secteur, l’incertitude

concernant la demande est loin d’être négligeable à long terme. En effet, l’évolution de la

demande des usagers du métropolitain, et donc, de la demande électrique future, n’était pas

connue avec certitude au moment de la signature du contrat. Or, l’offre des candidats lors de

l’enchère dépendait étroitement des prévisions de demande électrique spécifiées par LUL

dans le contrat. Afin de limiter le risque de malédiction du vainqueur, LUL s’est engagé à

rembourser SPL pour les coûts supplémentaires supportés par ce dernier si les prévisions de

demande diffèrent substantiellement de la demande prévue initialement.

Comme le relève Williamson, la règle de sélection du candidat devient floue lorsque

le prix comprend plusieurs dimensions au moment de l’enchère. Afin d’éviter tout caractère

multi-dimensionnel du prix, l’enchère concernant le métropolitain londonien a porté sur le

flux de revenus réels anticipés par les candidats sur les 30 années du contrat.

4.1.2 La gestion des risques d’opportunisme

Cependant, contrairement au secteur du câble, le contrat entre LUL et SPL met en jeu

des considérations sécuritaires importantes et concerne la fourniture d’électricité à un secteur

d’activité politiquement sensible (le transport urbain). Autrement dit, le coût du

comportement opportuniste de SPL pour LUL est plus important que les contrats passés

entre une autorité publique et une entreprise dans le secteur du câble. Afin de limiter les

risques de comportements opportunistes de SPL, plusieurs dispositifs ont été mis en place.

Tout d’abord, au moment de l’enchère, une étape de pré-qualification a été mise en œuvre.

Page 59: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

55

Plus précisément, LUL exigeait que seuls les candidats apportant des garanties suffisantes en

terme de compétence, d’expérience, de garanties financières et de réputation puissent avoir

le droit de soumettre une offre. Pour LUL, le défi consistait donc à choisir un opérateur

capable de produire et distribuer de l’électricité sur le réseau ferroviaire du métropolitain

londonien de manière continue pendant les heures d’ouverture du service, et cela sans

occasionner de gêne, ni de danger pour les usagers. Puisque aucun des candidats initiaux ne

répondait à toutes les exigences de LUL, les entreprises se sont regroupées en quatre

consortiums. Au stade de la soumission des offres définitives, ces quatre consortiums se sont

encore réduits à deux entreprises qui ont pu garantir toutes les conditions d’expertise,

d’expérience et de sécurité requises par LUL pour pouvoir prétendre exploiter le service. Les

règles de pré-sélection contraignantes exigées par LUL ont permis d’éviter que le candidat

choisi soit une entreprise opportuniste. Elles ont également eu pour mérite d’empêcher le

candidat vainqueur d’invoquer des difficultés financières ou même un risque de faillite pour

obtenir des renégociations à son avantage. Les garanties financières demandées par LUL

pour pouvoir soumissionner étaient telles que cette menace a été rendue non crédible.

Afin de préserver la liberté d’innovation de SPL, le contrat était davantage porté sur

les performances que sur les moyens. SPL se doit cependant de respecter des critères de

performance très précis associés à des pénalités en cas de non respect de ces normes afin de

l’empêcher de diminuer la qualité de ses prestations dans le but d’augmenter sa marge

bénéficiaire. Par exemple, en cas de coupure d’électricité, les pénalités infligées à SPL

varient de 50 livres à 100.000 livres par heure en fonction de l’importance du préjudice subi

par LUL en terme de perte de revenus. SPL est également tenu de suivre des procédures

comptables standardisées et très précisément décrites dans le contrat de manière à limiter les

possibilités de manipulation des données financières. Une agence de contrôle composée de

30 personnes employées par LUL est chargée de vérifier le respect des engagements pris par

SPL. L’agence ainsi que des tierces parties bien définies sont autorisées à inspecter les

installations électriques à tout moment avec ou sans préavis. Enfin, SPL doit soumettre

chaque année de nombreux rapports visant à faciliter le contrôle par l’agence de ses activités.

En conclusion, la grande précision du contrat concernant la description des objectifs à

atteindre, des procédures comptables à suivre et des modalités de contrôle de SPL réduit

considérablement les possibilités d’opportunisme de ce dernier. Néanmoins, des risques

d’opportunisme non négligeables peuvent aussi venir de LUL ou des autorités politiques qui

Page 60: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

56

la contrôlent. Ce problème a été traité en autorisant SPL à rompre unilatéralement le contrat

dans le cas où LUL était dissolu ou affaibli par les autorités politiques mais aussi dans le cas

où LUL décide de ne plus payer ses factures ou n’est plus en mesure de le faire en raison de

circonstances politiques changeantes.

4.1.3. La gestion des problèmes d’alignement entre prix et coûts

Les problèmes de divergence entre prix et coûts pendant l’exécution du contrat se

posent lorsque l’incertitude, notamment concernant la demande ou la technologie est

importante. Cependant, Littlechild insiste sur le fait que dans le cas de l’accord LUL/SPL, la

technologie n’évolue pas de manière significative et le risque de demande est pris en charge

par LUL qui dédommage SPL dans le cas où les fluctuations de trafic s’écartent de ce qui a

été prévu dans le contrat. Par conséquent, le prix est peu susceptible de diverger

significativement des coûts dans ce contrat.

4.1.4. La gestion des problèmes de fin de contrat

Nous avons étudié deux problèmes liés à la fin du contrat : le risque de sous-

investissement et les problèmes liés à la difficulté de mettre les candidats dans une situation

de parité lors du renouvellement. Concernant le premier point, à la fin des 30 années

d’exploitation, un inventaire des infrastructure est réalisé. La durée de vie moyenne

résiduelle de chaque catégorie d’actifs doit être au moins égale à 50% de la durée de vie

moyenne classique pour cette catégorie. Des pénalités pour le non-respect de cette règle sont

prévues. Concernant enfin les problèmes de parité au moment du renouvellement, il est

prévu que les actifs physiques doivent être rendus à LUL en fin de contrat. Par ailleurs, une

clause prévoit le transfert du personnel vers le nouvel opérateur si celui-ci est différent avec

les mêmes garanties en terme d’emploi et de rémunération.

4.1.5. Un bilan provisoire

Même s’il est encore trop tôt pour dresser un bilan définitif, il semble que jusqu’à

présent, le contrat LUL/SPL fonctionne plutôt bien. Concernant la sélection de l’opérateur,

l’offre de SPL n’était pas largement inférieure à celle de son concurrent, mais elle était

inférieure au coût de gestion du réseau électrique si celui-ci avait continué à être directement

exploité par LUL. Il en résulte des économies substantielles de coûts pour LUL. La

maintenance des équipements sous la responsabilité de SPL est meilleure que lorsque ces

Page 61: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

57

équipements étaient sous la responsabilité de LUL et les pannes sur le réseau électrique ont

diminué. Les incitations sont plus fortes : par exemple, les pénalités susceptibles d’être

infligées à SPL en cas de pannes électriques l’obligent à être très réactif au moindre

problème survenant sur le réseau. Les premiers investissements ont été réalisés sans retard et

ont concerné l’achat de nouvelles batteries et d’équipements d’alimentation de secours.

Enfin, concernant les clauses introduites pour prévenir les problèmes de fin de contrat, il

n’est pas encore possible de juger de l’efficacité de leur efficacité dans la mesure où ce

contrat date de 1998 et doit durer 30 années.

Même s’il n’est pas possible de dire si la régulation aurait permis d’obtenir de

meilleurs résultats, l’étude de cas de Littlechild a quand même le mérite de montrer que les

problèmes imputés à la concurrence pour le marché ne sont pas insolubles. Il est possible de

trouver des cas empiriques pour lesquels les agents ont su surmonter ces difficultés et

atteindre des performances relativement efficaces.

4.2. L’efficacité de la concurrence pour le marché et les tests économétriques

A la fin des années 1980 et au début des années 1990, une série d’études

économétriques menées par Zupan ([1989a], [1989b]) et Prager [1990] remettent en cause

certaines des défaillances annoncées par la littérature concernant la concurrence pour le

marché. Zupan [1989a] suggère que des études de cas isolées ne peuvent rendre compte du

fonctionnement efficace ou non des contrats de franchise bidding. Ainsi, l’étude de cas de

Williamson sur le secteur du câble aux Etats-Unis n’est pas forcément représentative de

l’industrie du câble en général dans ce pays. C’est pourquoi, son article propose un test

économétrique dont le but est de confronter certaines propositions de Williamson [1976] sur

des données empiriques issues du secteur du câble aux Etats-Unis. Son échantillon se

compose de 66 systèmes de franchise interrogés par téléphone pendant l’année 1984. Tous

les renseignements hors-contrat donnés par les entreprises portent sur cette année.

Les résultats des tests économétriques de Zupan aboutissent à deux conclusions : les

comportements opportunistes de l’entreprise sont fortement contraints par certains

mécanismes (notamment les effets de réputation) qui rendent le contrat auto-exécutoire.

D’autre part, lorsque les taux de pénétration réels sont inférieurs aux taux de pénétration

prévus par l’entreprise, c’est avant tout le reflet d’une mauvaise estimation des conditions

Page 62: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

58

d’exploitation (sous-estimation de l’importance des possibilités de substitution au câble), et

non d’une tricherie délibérée de l’entreprise. Ces résultats de Zupan [1989a] concernant le

rôle des effets de réputation sont confirmés par une deuxième étude de Prager [1990] sur un

échantillon de 221 franchises. Son enquête révèle que les municipalités ayant eu recours à la

concurrence pour le marché se disent plutôt satisfaites du comportement et des actions

entreprises par leur opérateur, ce qui confirme donc que l’opportunisme de l’entreprise n’est

pas un problème sévère dans l’industrie du câble.

Enfin, une deuxième étude économétrique de Zupan [1989b] met en évidence que

même s’il est incontestable que l’entreprise initiale est avantagée au moment du

renouvellement20, elle ne semble pas pour autant tirer profit de cet avantage en négociant le

nouvel engagement de manière opportuniste. Zupan compare les termes de 59 contrats qui

ont été renouvelés sur une période allant de 1980 à 1984 avec les termes de 66 nouveaux

contrats choisis de manière aléatoire et qui concernent des municipalités interrogées par une

enquête téléphonique en 1984. Les résultats de Zupan montrent que les termes observés dans

les contrats renouvelés, concernant notamment les différents systèmes de tarification du

consommateur (abonnement mensuel, prix à la chaîne, prix forfaitaire au mois…) et le

nombre de chaînes minimales de télévision que l’opérateur s’engage à fournir, ne diffèrent

pas significativement des termes observés dans les contrats initiaux. Il semble donc que les

opérateurs, bien qu’avantagés au moment du renouvellement, ne renégocient pas pour autant

le nouvel engagement de manière opportuniste. Zupan insiste une nouvelle fois sur le rôle

des effets de réputation et sur le pouvoir de négociation de l’autorité publique pour expliquer

ce résultat.

Cette série de travaux de Zupan et Prager remet donc en cause certaines critiques

formulées par Williamson [1976] à l’encontre des PPP. Ces auteurs montrent que les

problèmes d’opportunisme de l’entreprise pendant l’exécution et au moment du

renouvellement de ces contrats ne sont pas aussi sévères que ce que l’on pouvait attendre. Un

certain degré d’opportunisme existe, mais cela ne remet pas en cause la stabilité et le

caractère auto-exécutoire de ces contrats.

20 Zupan affirme que sur 3516 contrats remis aux enchères, seuls 7 n’ont pas été renouvelés avec le même opérateur.

Page 63: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

59

CONCLUSION

Nous nous sommes interrogés dans les deux chapitres précédents sur l’efficacité des

accords de PPP dans un contexte d’incertitude et de spécificité des actifs. Lorsque ces deux

conditions sont vérifiées, un contrat de long terme s’avère nécessaire afin de protéger

l’entreprise réalisant des investissements spécifiques de longue durée. Cependant, du fait de

l’incertitude sur les conditions futures, il s’avère impossible pour l’autorité publique de

spécifier de manière très précise ses exigences sur toute la durée de l’engagement. Le prix

convenu dans le contrat initial n’a par conséquent plus aucune pertinence au bout de

quelques années. Il en résulte que la concurrence pour le marché doit être nécessairement

complétée par des ajustements ex-post. En ce sens, les limites formulées par Williamson et

Goldberg doivent être prises en compte.

Cela dit, compte tenu de l’utilisation massive de contrats de type concession, BOT ou

PFI pour les pays anglo-saxons dans plusieurs secteurs d’activité en réseau (l’eau, le

transport ferroviaire de passagers, l’électricité…), nous nous sommes amenés à nous

interroger sur l’efficacité réelle des contrats de type franchise bidding. De nombreux

dispositifs, que nous avons étudiés dans le chapitre 2, peuvent être mis en place et aider à

améliorer les performances de ces arrangements, que ce soit au moment de leur phase

d’attribution initiale, d’exécution ou de réattribution. Les différents problèmes passés en

revue dans le chapitre 1 ainsi que les principales solutions que nous pouvons y apporter et

qui ont été exposées dans ce chapitre sont résumés dans le tableau 1.

L’impression majeure que nous laissent ces différents travaux est que l’efficacité du

franchise bidding a avant tout été débattue par la littérature en termes absolus plutôt qu’en

termes relatifs. Littlechild [2002] relève certes que les PPP sont largement utilisés avec la

plupart du temps un certain succès dans les industries de réseau. Les preuves empiriques

soulignent bien que de nombreuses difficultés attribuées aux PPP sont, en pratique, relatives

et surmontables. Mais elles ne préjugent pas de la meilleure performance du franchise

bidding par rapport à la régulation. Crocker et Masten [1996] concluent d’ailleurs sur ce

point : « Prager et Zupan […] ont tenté d’évaluer l’efficacité du franchise bidding en termes

absolus, alors que la question pertinente dans la perspective d’un choix institutionnel est

Page 64: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

60

plutôt comment se situent les performance du franchise bidding relativement à la

gouvernance de la même transaction par la régulation21».

Tableau 1 : les défaillances des PPP et les solutions apportées

Phases du contrat Problèmes identifiés Solutions apportées

Démarchage auprès des consommateurs (Posner [1972])

Enchères simultanées prix/qualité (Bureau, Norotte et Rey [1988], Naegelen [1990], Che [1993])

Enchères multi-dimensionnelles

Enchères sur le flux de revenus futur anticipé (Littlechild [2002]) Engagement à ne pas renégocier (Jolls [2002], Guasch [2004]) Offres opportunistes des

opérateurs Pré-sélection des candidats (Littlechild [2002], Shugart [2005]) Enchères ouvertes (Thaler [1988], Klein [1998a], Meister [2004])

Enchères LPVR (Engel, Fisher et Galetovic [1997], [2001]) Malédiction du vainqueur

Partage des risques (Baldwin et Cave [1999])

Phase d'attribution

Crédibilité de l'engagement de l'autorité publique

Mise aux enchères graduelles (Perotti [1995])

Clauses d'indexation des prix (Williamson [1976], Crocker et Masten [1991])

Contrats flexibles (Priest [1993], Crocker et Masten [1991], Bajari et Tadelis [2001])

Adaptation du contrat

Substitution de la négociation à l'enchère (Bajari, Tadelis et McMillan [2005])

Dépendance bilatérale et contrat auto-exécutoire (Zupan [1989a]) Clauses de sanction (Zupan [1989a])

Effets de réputation externes et internes (Zupan [1989a], Prager [1990], Doni [2004])

Contrôle de l'opérateur (Ferris et Graddy [1991], Nelson [1997])

Opportunisme de l'entreprise

Répartition des droits de propriétés sur les actifs physiques (Bennett et Iossa [2006], Hart [2003])

Faire corréler le prix de transfert des infrastructures avec le prix de l'enchère (Harstad et Crew [1999])

Biais en faveur de l'opérateur en place (Laffont et Tirole [1988b], Aubert, Bontems et Salanié [2005], Meister [2004])

Investissements confiés à l'autorité publique (Posner [1972], Baldwin et Cave [1999])

Phase d'exécution

Sous-investissement de l'entreprise

Contractualiser sur les objectifs de performance (Klein [1998b])

Biais en faveur de l'opérateur en place et malédiction du vainqueur (Aubert, Bontems et Salanié [2005])

Propriété publique des actifs physiques + clauses de rachat ou reprise des infrastructures (Zupan [1989a])

Clauses de transfert du personnel (Littlechild [2002])

Phase de réattribution Avantage de l'opérateur en

place lors du renouvellement

Sous-traitance du service par l'opérateur entrant (Sorana [2003])

21 “Prager and Zupan […] have attempted to evaluate the efficacy of franchise bidding in absolute terms, when the relevant question from an institutional choice perspective is how well franchise bidding performs relative to governance of the same transaction through regulation”.

Page 65: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

61

De la même façon, les performances des contrats de franchise bidding par rapport à

la fourniture publique demeure une question ouverte. Le manque d’intérêt pour cette

question s’explique par le fait que l’approvisionnement public est considéré, à juste titre,

comme moins efficace techniquement que le PPP en raison de la moindre incitation du

manager public à diminuer les coûts (Vining et Boardman [1992] Charreaux [1997]) et en

raison des économies d’échelles que l’externalisation de la transaction permet d’atteindre

(Williamson [1985]). Les coûts de production de l’opérateur privé sont donc plus faibles que

ceux de l’opérateur public.

Néanmoins, ces avantages peuvent être contrebalancés par les nombreux coûts du

franchise bidding, comme nous l’avons mis en évidence dans le chapitre précédent. La

question des performances relatives de ce mode d’organisation reste donc entière,

notamment d’un point de vue empirique. De ce fait, la suite logique de notre travail consiste

à mener une analyse économétrique des performances des contrats de franchise bidding par

rapport aux performances des services en exploitation publique. Mais avant d’en arriver là,

nous revenons sur les raisons du choix de l’industrie de l’eau comme secteur d’application

de notre étude empirique. La partie suivante prendra un soin particulier à décrire les

caractéristiques institutionnelles de ce secteur en France ainsi que les données mobilisées

pour nos estimations.

Page 66: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

62

PARTIE 2 : CADRE INSTITUTIONNEL ET DONNEES

Page 67: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

63

CHAPITRE 3 : LE SECTEUR DE L’EAU : CONSIDERATIONS

GENERALES ET LE CADRE INSTITUTIONNEL FRANCAIS

Notre objectif est l’analyse des performances de PPP dans les industries de services

publics de réseau en monopole naturel. En effet, dans ces secteurs, une concurrence directe

sur le marché entre plusieurs producteurs est impossible, et d’autres moyens de mise en

compétition doivent alors être trouvés. La concurrence pour le marché est l’une des

alternatives possibles.

Contrairement à d’autres industries de réseau, la remise en cause de la situation de

monopole naturel dans l’industrie de l’eau est difficile en raison des caractéristiques

particulières inhérentes à ce secteur. Dès lors, la mise en concurrence préalable du service

peut être envisagée. Néanmoins, la spécificité des actifs et l’incertitude environnementale

sont deux facteurs susceptibles d’entraîner des problèmes d’efficacité importants du

franchise bidding dans ce secteur. Pour autant, En France, les collectivités publiques

locales22 peuvent faire appel à une grande diversité de modes organisationnels, dont diverses

formes de PPP, pour l’approvisionnement en eau de leurs administrés (Section I). Afin de

faire face aux difficultés pouvant survenir lors de la mise en place de PPP dans ce secteur,

des solutions contractuelles et institutionnelles sont prévues (Section II).

SECTION 1. Les caractéristiques de l’industrie de l’eau et l’organisation française des

services d’eau

1.1. De l’extraction du milieu naturel jusqu’au robinet du consommateur

L’exploitation d’un réseau de distribution d’eau potable comprend deux types

d’opérations. L’un concerne la production d’eau potable et l’autre est relative à sa

distribution aux consommateurs. La production d’eau consiste à extraire l’eau de son milieu

naturel (nappes phréatiques, lac, rivières), et à l’acheminer vers une usine où elle subit un

traitement pour être rendue potable. Le coût du traitement est fonction de la qualité de l’eau

brute extraite. Généralement, les eaux souterraines sont de meilleure qualité que les eaux de

22 Le terme « collectivité » peut désigner soit une commune, soit un groupement de communes si plusieurs municipalités décident de s’associer pour créer un réseau commun de distribution d’eau. On parle alors de groupement intercommunal.

Page 68: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

64

surface plus exposées aux risques de pollution. Les coûts de traitement sont donc

généralement plus faibles lorsque l’eau vient d’une nappe phréatique. Cela dit, les coûts de

pompage sont plus élevés dans ce dernier cas en raison de la nécessité d’extraire la ressource

du sous-sol. Une fois traitée, l’eau est stockée dans des réservoirs ou des châteaux d’eau. La

seconde partie de l’exploitation d’un service d’eau consiste alors à distribuer l’eau stockée

aux consommateurs via un réseau de canalisations. L’organisation d’une concurrence directe

entre plusieurs entreprises est néanmoins difficile, que ce soit dans la phase de production ou

de distribution d’eau.

1.2. Un monopole naturel difficilement contestable

En raison des coûts fixes importants, la duplication des canalisations d’un réseau de

distribution d’eau est une entreprise totalement irréaliste. Il en résulte que l’organisation la

plus efficace du point de vue de la distribution d’eau, c’est-à-dire conduisant au coût de

production le plus faible, ne peut être obtenue que si une seule entreprise fournit toute la

demande. A l’instar d’autres industries en réseau, une concurrence pourrait être envisagée au

niveau de la production d’eau potable. Plusieurs entreprises seraient alors chargées de

produire de l’eau potable pour un unique distributeur. Cependant, contrairement à ce qu’on a

pu observer dans certains secteurs comme l’électricité ou le gaz, il semble difficile de mettre

plusieurs fournisseurs d’eau potable directement en concurrence les uns par rapport aux

autres. Deux raisons principales peuvent être avancées pour expliquer cela. Tout d’abord, le

fait d’avoir plusieurs entreprises présentes sur un même site de production pose

inévitablement le problème de propriété sur les stocks d’eau naturels (Boyer et Garcia

[2002]). Cette difficulté peut être évacuée en éloignant les lieux de production du lieu de

distribution. Cependant, l’eau est une ressource locale. C’est un liquide lourd et d’autant plus

coûteux à transporter que la distance entre le lieu d’extraction et sa destination finale est

importante. Le transport de l’eau sur de longues distances augmente en outre le risque de

dégradation L’existence de plusieurs producteurs éloignés géographiquement est donc

source d’inefficacités. Ensuite, l’utilisation des mêmes canalisations par plusieurs

distributeurs produisant chacun une eau à partir de sources de qualité différente peut

conduire à une variation des propriétés chimiques de l’eau en un lieu donné. Par conséquent,

le goût de l’eau au robinet peut changer constamment, ce qui est susceptible d’entraîner le

mécontentement des usagers.

Page 69: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

65

Au total, certaines difficultés inhérentes aux caractéristiques mêmes de l’industrie de

l’eau rendent difficile la remise en cause sa situation de monopole naturel, que ce soit du

point de vue de la production que de la distribution.

1.3. Des actifs spécifiques et une incertitude sur les conditions futures

Il n’est pas nécessaire de longuement insister sur le fait que l’industrie de l’eau est

très capitalistique. Les investissements peuvent représenter jusqu’à 80% des coûts totaux. La

grande majorité de ces actifs est idiosyncrasique. Les réseaux de canalisation, les

branchements aux consommateurs, les compteurs, les réservoirs et châteaux d’eau sont

autant d’infrastructures qui n’ont aucun usage alternatif. Il en résulte que la mise en place

d’une concurrence pour l’attribution du marché d’un service d’eau doit reposer sur un

contrat de longue durée afin de laisser suffisamment de temps à l’exploitant pour rentabiliser

ses investissements. Cependant, au-delà de quelques années, les conditions d’exploitation

changent et il est impossible d’inférer ces changements en début de contrat. La demande en

eau peut évoluer en fonction de l’évolution des habitudes de consommation, de la population

permanente et saisonnière, de l’évolution du tissu industriel de la collectivité. La qualité de

l’eau captée peut se dégrader ou s’améliorer, de nouvelles normes de qualité peuvent

apparaître, les technologies peuvent évoluer, induisant des modifications dans les techniques

de traitement de l’eau. Pour résumer, les incertitudes sur les conditions futures d’exploitation

sont telles que l’écriture d’un contrat complet n’est pas possible. L’incertitude et la

spécificité des investissements dans l’industrie de l’eau peuvent rendre difficile la mise en

place de contrats de PPP.

Ce mode d’organisation est pourtant aujourd’hui largement utilisée dans le secteur de

l’eau en France. Les trois quart de la population française est aujourd’hui desservie en eau

potable par des entreprises privées dont les relations avec les collectivités sont généralement

régies par des contrats de type concession et affermage. Nous nous arrêtons à présent plus en

détail sur l’analyse de l’organisation des services d’eau dans ce pays.

1.4. L’industrie française de l’eau : une grande variété de choix contractuels

Quelle que soit la manière dont le réseau de distribution d’eau d’une collectivité est

exploitée, cette dernière garde le contrôle de l’organisation du service. En tant

qu’organisateur, la collectivité doit définir les règles générales qui gouvernent le service. En

Page 70: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

66

particulier, elle doit contrôler les prix, organiser éventuellement la concurrence, contrôler les

firmes qui accèdent au marché et s’assurer qu’aucune interruption durable dans

l’approvisionnement en eau ne se produit. Par conséquent, en France, il n’existe pas de

régulateur national pour l’eau.

Si l’organisation du service est publique, son exploitation peut faire intervenir des

acteurs extérieurs à la collectivité. La collectivité a en effet la possibilité de choisir entre

deux modes organisationnels pour la fourniture en eau à ses usagers. Elles peuvent décider

de ne pas avoir recours à un opérateur extérieur et donc, d’exploiter seules le réseau de

distribution. Dans ce cas, deux modalités s’offrent à elles. La régie directe se réfère à une

situation dans laquelle la collectivité s’occupe de la production et/ou de la distribution d’eau.

Toutes les opérations (pompage, traitement, transport, distribution, facturation,

investissements etc…) sont alors réalisés par des agents municipaux et le budget de l’eau est

intégré au budget général de la commune. La régie autonome se distingue de la régie directe

par le fait qu’elle est dotée d’une autonomie financière (elle dispose d’un budget annexe au

budget général) et éventuellement de la personnalité morale23.

La collectivité peut aussi décider de recourir à des intervenants extérieurs, publics ou

privés24, par une mise en concurrence de son service de production et/ou de distribution

d’eau. Là encore, deux modalités doivent être distinguées. Dans le cas d’un contrat de

gérance, la firme exploite le service (production et distribution de l’eau, relevé des

compteurs, entretien des infrastructures, facturation des usagers) mais ne réalise aucun

investissement. Les recettes d’exploitation sont reversées à la collectivité qui rémunère

l’exploitant par un montant forfaitaire. La gérance est considérée par la jurisprudence

comme un marché public. A ce titre, la collectivité se doit d’appliquer une procédure de mise

en concurrence stricte qui s’appuie sur un cahier des charges très précis. Elle n’a aucune

marge de manœuvre dans le choix de son partenaire.

Cependant, la collectivité dispose d’autres modes d’exploitation pour son service

d’eau. Ainsi la régie intéressée se rapproche de la gérance mais à la différence qu’elle

23 Les régies autonomes sont cependant extrêmement rares dans le secteur de l’eau. 24 Il peut s’agir d’une société d’économie mixte locale (SEML) dans laquelle les capitaux sont majoritairement publics mais où une entreprise privée intervient dans l’exploitation du service. Mais dans la très grande majorité des cas, l’intervenant extérieur est une société privée. Par soucis de simplification de syntaxe, nous ferons par la suite indifféremment référence à « l’entreprise « , « l’opérateur », « l’exploitant » ou « la firme » lorsque nous évoquerons le recours par la collectivité à des intervenants extérieurs.

Page 71: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

67

implique davantage l’opérateur dans le service. En effet, sa rémunération est en partie

déterminée par ses résultats d’exploitation. L’entreprise supporte donc une partie des risques

commerciaux. Les deux derniers modes contractuels dont dispose la collectivité, et qui sont

les plus répandues, sont l’affermage et la concession. Ils se distinguent de la régie intéressée

et de la gérance par le fait que la rémunération de l’opérateur dépend totalement des factures

perçues auprès des usagers. Le contrat d’affermage typique prévoit un partage des

investissements entre la commune et l’exploitant. Les investissements à renouvellement

rapide25 (pompes, systèmes de traitement etc…) ainsi que les petits travaux d’entretien sont à

la charge de l’entreprise tandis que les investissements lourds à durée de vie élevée26

(renouvellement et extension des canalisations, construction de stations de traitement, de

réservoirs etc…) sont assurés par la collectivité. Enfin, la concession transfert la réalisation

de tous les travaux d’investissement à l’entreprise, ce qui implique un degré supplémentaire

de risque pour elle. En tout état de cause, quel que soit le mode d’exploitation retenu, la

propriété de toutes les infrastructures est publique dès leur édification.

Si cette classification juridique semble claire, dans la réalité, la frontière entre

certains modes d’exploitation est souvent floue. En particulier, les formes pures d’affermage

et de concession ont tendance à disparaître car de nombreux contrats d’affermage

comportent des clauses concessives. De la même manière, certaines concessions laissent une

partie importante des investissements à la charge de la collectivité (Guérin-Schneider [2001],

page 40). Affermages et concessions sont donc, dans la pratique, de plus en plus difficiles à

distinguer.

En conclusion, la diversité des modes organisationnels pour la fourniture d’eau en

France constitue un terrain idéal pour l’étude des performances relatives des PPP par rapport

à la fourniture publique. Nous avons mis en évidence le fait que l’industrie de l’eau possède

toutes les caractéristiques (monopole naturel, spécificité des actifs et incertitude) qui

devraient nuire à l’efficacité des PPP dans ce secteur. Cependant, un certain nombre de

dispositifs institutionnels et contractuels existent afin d’éviter les défaillances du franchise

bidding relevées dans le chapitre 1. Dans ce qui suit, nous menons une analyse de l’efficacité

potentielle de ces dispositifs dans le contexte français des services d’eau.

25 Ces infrastructures ont une durée de vie allant de 10 à 15 ans en moyenne. 26 Ces installations ont une durée de vie allant de 40 à 60 ans en moyenne.

Page 72: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

68

SECTION 2. Les performances des PPP dans le secteur français de l’eau : une analyse

institutionnelle

Le système français se caractérise par l’utilisation d’une mise en concurrence

flexible, fondée sur le principe de l’intuitu personae. L’efficacité de cette mise en

concurrence conditionne en partie les performances du contrat (sous-section 2.1.).

Cependant, les performances des PPP dépendent également de l’efficacité des principes

institutionnels et des clauses contractuelles destinées à favoriser l’adaptation du contrat et à

restreindre l’opportunisme des délégataires pendant l’exécution des engagements (sous-

section 2.2.). Enfin, la remise en concurrence des services d’eau n’échappe pas à la « règle »

de l’avantage à l’entreprise sortante (sous-section 2.3.).

2.1. La mise en concurrence dans l’industrie de l’eau

2.1.1. Mise en concurrence et intuitu personae

Contrairement à la gérance, les contrats de régie intéressée, d’affermage et de

concession transfèrent tout ou partie du risque d’exploitation du service vers l’exploitant.

C’est la raison pour laquelle le droit public se réfère à la notion de délégation de service

public lorsqu’une collectivité décide de recourir à l’une ou l’autre de ces formes

contractuelles. Plus précisément, le code général des collectivités territoriales définit la

délégation de service public comme « un contrat par lequel une personne morale de droit

public confie la gestion d’un service public dont elle a la responsabilité à un délégataire

public ou privé dont la rémunération est substantiellement liée aux résultats de

l’exploitation27 ».

Les contrats de délégation de service public (DSP) se distinguent des marchés publics

du point de vue de la mise en concurrence. Dans un marché public, la collectivité spécifie un

cahier des charges précis et l’opérateur proposant le prix le plus faible remporte le marché.

Les DSP sont en revanche régies par la loi Sapin du 29 janvier 1993. Cette loi oblige les

collectivités à se soumettre à une procédure de publicité et de mise en concurrence. La

procédure de publicité consiste à informer, par l’intermédiaire de la presse locale, de son

désir de déléguer l’exploitation de son service d’approvisionnement d’eau. La collectivité

dresse ensuite une liste des candidats admis à présenter une offre après examen de leurs 27 Pour les régies intéressées, la jurisprudence considère que dès lors que 30% des recettes perçues par le co-contractant proviennent des résultats de l’exploitation, ce contrat doit être regardé comme un contrat de DSP.

Page 73: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

69

garanties professionnelle et financière et de leur aptitude à assurer la continuité du service et

l’égalité des usagers. Il s’agit donc en quelque sorte d’une phase de pré-qualification des

candidats. Dans une troisième étape, la collectivité envoie à tous les candidats admissibles

un cahier des charges plus ou moins précis définissant les caractéristiques quantitatives et

qualitatives des prestations. A la réception des offres, s’engage alors une négociation avec

les délégataires potentiels. A l’issue de cette phase de négociation, la collectivité choisit son

délégataire. Toutefois, contrairement au marché public, elle n’est pas tenue de choisir

l’entreprise proposant les conditions tarifaires les plus avantageuses28. D’autres critères plus

subjectifs, peuvent entrer en ligne de compte dans son choix final. En ce sens, les contrats de

DSP sont conclus sur la base de l’intuitu personae29, c’est-à-dire, sur le principe de libre

négociation entre la collectivité et les candidats.

Il en résulte une très grande latitude de la collectivité dans le choix de son partenaire

final. Cette liberté peut être critiquable dans la mesure où une laisser une marge de

manœuvre importante à la collectivité dans le choix du partenaire final peut créer un risque

de favoritisme dans l’attribution du marché. Mais une telle flexibilité possède aussi des

avantages. La phase de pré-qualification, combinée à la liberté de négociation permettent à la

collectivité d’éliminer plus facilement les offres qui lui paraissent opportunistes ou

excessivement optimistes, comme nous l’avons mis en évidence précédemment (Littlechild

[2002], Shugart [2005]). Elle peut aussi reconduire plus facilement un délégataire dont les

performances passées sont satisfaisantes et à qui la collectivité a promis une rente en cas de

bon comportement (Klein, Crawford et Alchian [1978], Doni [2004]). Autrement dit,

l’enchère flexible peut aussi s’avérer être un facteur facilitant les effets de réputation.

2.1.2. Un secteur oligopolistique

La mise en concurrence du service d’eau a d’autant plus de chances d’être efficace

que le nombre d’enchérisseurs est important (Demsetz [1968]). En France, l’industrie est

principalement concentrée aux mains de 3 opérateurs qui forment un oligopole. Ces trois

28 Dans la pratique, cependant, les conditions de prix proposées par chaque candidat jouent un rôle prépondérant dans la décision finale des collectivités. 29 L’expression intuitu personae se réfère à un contrat conclu en considération de la personne avec laquelle il est passé. En d’autres termes, un contrat conclu intuitu personae est un contrat impliquant une relation personalisée entre l’acheteur et le vendeur. Le contrat de travail, le mandat sont d’autres exemples de contrats intuitu personae. Ainsi, un employeur n’est pas obligé d’employer le candidat ayant les meilleures qualifications et acceptant le salaire le plus faible. Il peut également prendre en considération dans sa décision finale les caractéristiques intrinsèques de chaque candidat (dynamisme, sympathie, sociabilité etc.).

Page 74: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

70

entreprises desservent en eau environ 75% de la population française, le reste de la

population étant alimentée en eau par une régie. Selon l’avis du Conseil de la Concurrence

du 31 mai 2000, Véolia (ex CGE) détient 56% des parts de marché (51% + 5%

correspondant à la part de l’entreprise dans les filiales communes30). Ensuite, viennent la

Lyonnaise des Eaux avec 29% de parts de marché (24% + 5% correspondant à la part de

l’entreprise dans les filiales communes), et la SAUR avec 13% des parts de marché.

Quelques opérateurs indépendants sont apparus ces dernières années mais leur poids reste

marginal (2% des parts de marché). Une telle concentration du secteur peut être nuisible à la

pression concurrentielle. En outre, de fortes suspicions d’entente tacite entre les opérateurs

pour le partage du marché existent dans ce secteur. Certains constats empiriques peuvent

abonder dans ce sens. On peut par exemple noter que les parts de marché de chaque

opérateur restent figées à des niveaux constants depuis de nombreuses années. De plus,

d’après l’ENGREF, 27% des procédures de DSP dans le domaine de l’eau et de

l’assainissement n’ont abouti qu’à une seule offre en 2003. Les études de l’ENGREF

montrent que ce pourcentage varie entre 20% et 30% en fonction des années. Les instances

chargées de la régulation de la concurrence ont également fait part de leurs doutes sur les

risques de collusion entre les grands groupes privés. Ainsi, M. Luc Valade, chef de service à

la DGCCRF (Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la

Répression des Fraudes) résume la situation du secteur de l’eau de la façon suivante : « Pour

le service de contrôle, nous avons parfois le sentiment d’être mis en échec. La logique de

l’oligopole est ainsi faite que, finalement, il n’est pas vraiment nécessaire que deux ou trois

opérateurs bien établis qui participent à l’oligopole se réunissent et s’entendent

formellement pour se partager le marché. Il nous est donc très difficile de rassembler des

preuves matérielles de l’entente, même si, de fait, le résultat est bien celui d’une entente »

(Tavernier [2001]).

2.1.3. La concurrence entre modes organisationnels

Le manque de concurrence entre opérateurs peut toutefois être surmonté si la

collectivité peut menacer de manière crédible de reprendre à son compte l’exploitation du

service d’eau à la fin du contrat. Cette menace peut suffire à créer une pression suffisante sur

le délégataire pour qu’il diminue son prix au moment de l’enchère. La concurrence entre

modes organisationnels (régie contre délégation) se substituerait alors à la concurrence entre 30 Les sociétés de distribution d’eau créent parfois des filiales communes pour l’exploitation de certains réseaux.

Page 75: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

71

opérateurs. Malheureusement, il n’est pas toujours facile pour une collectivité ayant délégué

son service d’eau de revenir en régie pour plusieurs raisons. La principale difficulté tient au

fait qu’après plusieurs années de délégation, les services techniques municipaux ont perdu

tout le savoir-faire nécessaire à la gestion de l’eau. Un retour en régie suppose donc la

reconstitution d’un service technique opérationnel, et donc, la formation d’un personnel

chargé de l’exploitation du service. Cette démarche peut s’avérer d’autant plus

problématique que le service présente des caractéristiques complexes31.

Un tel coût peut néanmoins être en partie évité si le personnel du délégataire peut être

repris par la collectivité. Sur ce point, la loi impose, au nom de la continuation du contrat de

travail, la reprise du personnel du délégataire sortant par la collectivité32 33. Cette obligation

n’est cependant valable qu’à condition que le personnel affecté au service puisse être

identifié sans ambiguïté. Le problème vient de ce que les salariés d’un délégataire ne sont

pas toujours affectés à un seul contrat. Afin de diminuer leurs coûts, les délégataires

mutualisent leurs moyens humains aussi souvent que possible, notamment lorsque la taille

des collectivités ne permet pas d’employer du personnel à plein temps sur un seul contrat.

Dans le cas où la mutualisation des moyens rend impossible une identification précise des

salariés travaillant sur le seul service remis en régie, une reprise du personnel n’est pas

obligatoire.

Si le délégataire décide de conserver tout son personnel, la collectivité devra

supporter entièrement le coût de formation de nouveaux salariés affectés à l’exploitation du

service d’eau, ce qui peut constituer un obstacle de taille à la mise en régie. Cela dit, le

délégataire peut également dresser une liste de salariés à reprendre par la collectivité si celle-

ci le désire. Mais étant donné la forte marge de manœuvre dont dispose le délégataire dans

31 La complexité dans l’approvisionnement d’eau se manifeste à la fois au niveau de la production que de la distribution. Au niveau de la production, la mauvaise qualité de l’eau captée dans son milieu naturel peut parfois nécessiter des traitements complexes avant de pouvoir être rendue potable et être injectée dans le réseau. Au niveau de la distribution, la géographie des lieux ou le caractère urbain de la collectivité peut imposer la mise en place d’une gestion rigoureuse de la pression de l’eau sur le réseau. Toutes ces tâches demandent des compétences particulières que perdent les collectivités qui ont délégué leur service d’eau depuis plusieurs années. 32 A cet égard, la commune de Neufchâteau a pu revenir à une exploitation en régie sans trop de difficulté après plusieurs années passées en délégation. Le changement n’a pas été trop difficile, en partie à cause du fait que le gros du personnel de la compagnie a accepté de rester dans la nouvelle régie (Le Monde diplomatique, mars 2005) 33 Cette disposition est également valable en cas de changement de délégataire.

Page 76: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

72

son choix, il est peu probable qu’il incorpore dans cette liste les salariés les plus performants.

Là encore, le coût de la mise en régie risque d’en être affecté.

D’autres éléments, plus banals en apparence, peuvent affecter la contrainte

budgétaire de la collectivité et contribuer à créer des barrières au retour en régie. Du point de

vue des charges, le changement d’exploitant oblige tout nouvel exploitant (qu’il soit une

régie ou un autre délégataire) à débourser de fortes sommes au titre de la régularisation de la

TVA34. Le retour en régie signifie également la perte de certaines recettes que la collectivité

perçoit lorsque le service est délégué, comme les redevances pour occupation du domaine

public, les impôts locaux, notamment la taxe professionnelle (Institut de la Gestion Déléguée

[2005]).

Au total, le passage de la délégation à la régie peut être plus ou moins facile d’une

commune à l’autre suivant la complexité du service, la possibilité de transférer ou non les

salariés du délégataire vers la nouvelle régie, et de manière générale, la contrainte budgétaire

des communes. L’évidence montre en tout cas que dans certaines collectivités, la régie peut

constituer une réelle alternative à la délégation et compenser le manque de concurrence du

secteur. Cet argument est quelque peu contradictoire avec l’idée théorique selon laquelle le

changement d’exploitant ou le retour en exploitation publique sont rendus difficiles une fois

que la décision d’externaliser a été prise (Williamson [1985], Parker et Hartley [2001]), la

transformation fondamentale contraignant l’autorité publique à reconduire l’opérateur en

place sortant lors du renouvellement (voir chapitre 1 et sous-section 2.3.2. ci-dessous).

L’efficacité de la mise en concurrence est donc un facteur essentiel des performances

des PPP. Mais les performances de ce mode organisationnel sont également conditionnées

par l’efficacité des mécanismes d’adaptation et de lutte contre l’opportunisme des

délégataires pendant l’exécution des contrats.

2.2. Les clauses d’adaptation et de gestion de l’opportunisme

En présence d’incertitude et d’actifs spécifiques, l’exécution des accords de

délégations de service public peut se heurter à deux types de difficultés : d’une part, les

problèmes d’adaptation à des conditions d’exploitation changeantes, et d’autre part, les 34 Une description de ce mécanisme fiscal est donné par le rapport de l’Institut de la Gestion Déléguée : quelle compétition pour l’amélioration du service public, page 21, [2005].

Page 77: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

73

risques de comportements opportunistes, en particulier du délégataire. Des principes

juridiques ainsi que des clauses contractuelles sont prévues pour éviter ce type de problèmes.

2.2.1. Les mécanismes d’adaptation et leurs limites

Les contrats de DSP prévoient certains mécanismes destinés à améliorer l’adaptation

du contrat à son environnement. La plus importante d’entre elles concerne la formule

d’ajustement du prix de base. Le prix de base est le prix découlant de la négociation initiale.

Ce prix évolue selon le mécanisme suivant :

P = P0* k

avec k = (αααα0 + αααα1 A/A0 + αααα2 B/B0 + αααα3 C/C0 +…)

avec αααα0 + αααα1 + αααα2 + αααα3 +…. = 1. P désigne le prix courant, P0 le prix de base, αααα0 est une

constante supérieure ou égale à 0,1. Les ratios A/A0, B/B0, C/C0 représentent les indices de

variation de coût de différents facteurs (travail, capital, énergie etc.). Ces indices sont

réactualisés de manière régulière par des bulletins officiels. Le coefficient αααα0 représente la

partie du prix de l’eau n’évoluant pas en fonction du coût des facteurs. C’est la partie fixe du

prix de l’eau. Les coefficients αααα1, αααα2, αααα3 permettent de donner un poids relatif à chaque

indice. Ces coefficients sont définis lors des négociations initiales et restent fixes pendant

toute la durée du contrat.

Cette formule d’indexation, même si elle peut ressembler à un cost plus, s’en éloigne

par trois aspects. Tout d’abord, une proportion αααα0 du prix de base (variant dans la grande

majorité des cas entre 10% et 20%) reste toujours fixe. Ensuite, le poids accordé à chaque

type de coût reste fixe et ne peut être remise en cause pendant toute la durée du contrat. Or,

la structure de coût du délégataire peut se modifier au fil du temps. Enfin, les indices de

variation de coûts ne se rapportent pas à la collectivité considérée, mais ce sont des indices

généraux qui ne tiennent pas compte du contexte local35. Etant données toutes ces

considérations, le système français de tarification dans le secteur de l’eau se trouve sans

doute à mi-chemin entre un price-cap et cost-plus.

35 A titre d’exemple, l’indice TP01 est l’index national des prix de génie civil « tous travaux ».

Page 78: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

74

Cette formule d’indexation n’offre donc qu’une flexibilité imparfaite à la variable

prix. C’est pourquoi, le contrat prévoit certaines situations dans lesquelles une renégociation

du prix de base peut avoir lieu. C’est notamment le cas lorsque le volume vendu aux usagers

de la collectivité varie au-delà d’un certain pourcentage défini contractuellement, lorsque le

coefficient k varie trop fortement, lorsque le volume d’eau acheté ou vendu à d’autres

collectivités fluctue beaucoup, en cas de modification du périmètre d’affermage ou de

concession, ou en cas de modification substantielle des ouvrages et procédés de production

et de traitement.

La possibilité de passer des avenants est néanmoins encadrée par la loi. En

particulier, un avenant, s’il peut « modifier l’économie du contrat » ne doit pas

« bouleverser l’économie du contrat » auquel cas, il est illégal36. Derrière la notion de « non

bouleversement », se trouve l’idée selon laquelle un avenant ne peut pas changer l’objet

initial de la délégation. Un des conséquences du principe juridique de non bouleversement

de l’économie du contrat est l’interdiction par la jurisprudence, d’accorder au délégataire des

extensions de durée37.

La prolongation d’un contrat de DSP est en principe possible dans deux situations. La

première est la prorogation pour motif d’intérêt général. La durée de la prorogation ne peut

alors excéder un an. Ce type d’extension survient par exemple lorsqu’une première

procédure de DSP n’a pas permis de déterminer un nouveau candidat. L’ancien délégataire

continue alors d’exploiter temporairement le service jusqu’à désignation du nouvel

exploitant afin d’éviter tout problème d’approvisionnement en eau pendant la période de

transition. La deuxième est lorsque le délégataire est contraint, pour la bonne exécution du

service public, de réaliser des travaux non prévus dans le contrat initial, de nature à modifier

l’économie générale de la délégation et qui ne pourraient être amortis pendant la durée de la

convention restant à courir que par une augmentation de prix excessive. Dans la pratique, les

prorogations de contrat sont très encadrées. Pour être valable, la prolongation ne doit pas

modifier substantiellement la durée de la DSP, ni le volume des investissements mis à la

charge du délégataire. Mais dans la pratique, les juges administratifs ont toujours invalidé ce

type d’avenants.

36 La distinction entre ces deux notions n’est toujours évidente d’un point de vue pratique. 37 La loi Barnier de 1995 limite par ailleurs la durée des contrats de DSP dans le domaine de l’eau et de l’assainissement à 20 ans.

Page 79: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

75

De manière générale, quand l’avenant porte sur des travaux, les investissements

nouveaux doivent rester un accessoire de l’ouvrage d’origine, être dépourvus d’autonomie

fonctionnelle, et doivent être d’un coût limité par rapport à l’ouvrage d’origine. Il ne peut en

aucun cas s’agir d’un nouvel ouvrage. Les possibilités d’adaptation offertes par les avenants

sont donc limitées. Dans le cas où l’avenant bouleverserait l’économie de la délégation, il

peut alors devenir nécessaire pour la collectivité de résilier le contrat initial pour tout

remettre en concurrence.

2.2.2. L’opportunisme de l’opérateur

L’insuffisante connaissance de l’autorité publique des besoins du service (rationalité

limitée et incertitude environnementale) rendent les contrats de DSP incomplets et

encouragent par conséquent les comportements opportunistes du délégataire (Guérin-

Schneider [2001], pages 48-49). Il existe différentes possibilités, pour un délégataire, de se

comporter de manière opportuniste aux différentes phases du contrat. Les comportements

stratégiques peuvent se manifester aussi bien au moment de la négociation du contrat que

pendant l’exécution et lors du renouvellement du contrat.

L’industrie de l’eau en France se trouve concentrée dans les mains de trois grandes

entreprises. Ces groupes, d’envergure nationale, voire même mondiale, négocient chaque

année des centaines de contrats avec des collectivités souvent de taille modeste, qui elles,

délèguent leur service une fois tous les 10 à 20 ans. Ce constat suffit à convaincre de la plus

grande expertise des délégataires dans les négociations initiales. Ces dernières peuvent

évidemment profiter de cet avantage pour négocier certaines clauses au détriment de la

collectivité. Une action opportuniste du délégataire peut par exemple consister à attribuer un

poids excessivement important à l’indice relatif aux charges salariales dans la formule

d’indexation du prix de base. La Cour des Comptes [2003] relève à ce sujet que « les

contrôles ont permis de constater des formules de révision de la rémunération fermière

comprenant une part représentative des frais de personnel de 50% alors qu’ils ne

constituaient que le quart du total des charges constatées, sachant qu’en outre, les index

relatifs à la main d’œuvre évoluent, en général, plus rapidement, que ceux concernant les

autres facteurs de production » (page 35-36). Un tel comportement du délégataire est

susceptible d’entraîner une très forte dérive du prix qui, au bout d’un laps de temps parfois

relativement court (2 à 3 ans) peut substantiellement se déconnecter des coûts réels du

Page 80: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

76

service. Une autre action opportuniste au moment de la négociation du contrat, consiste à

profiter du flou du contrat pour proposer un prix délibérément faible et mieux renégocier

ensuite.

Pendant l’exécution du contrat, l’opportunisme du délégataire se caractérise

principalement par la dissimulation ou la manipulation de certaines informations au

détriment, une nouvelle fois, de la collectivité. Les délégataires disposent de nombreux

moyens pour manipuler leurs coûts afin de capter une partie plus importante de la rente

générée par le contrat. De nombreux exemples de manipulation de coûts pourraient être

cités. Nous nous limiterons à deux illustrations. La première concerne les garanties de

renouvellement. Il s’agit d’un dispositif mis en place par les délégataires afin de se prémunir

contre le risque lié à la survenance d’un aléa. Autrement dit, le renouvellement n’intervient

pas forcément à la fin de vie théorique de l’infrastructure, mais seulement si incident majeur

le rend techniquement ou économiquement irréparable. Chaque année, le délégataire calcule

un certain montant de garanties de renouvellement à partir de la valeur à neuf de tous les

équipements pondérée par le risque de renouvellement. Ce montant est reporté en charge

dans le compte d’exploitation. La difficulté de ce système vient de ce que le délégataire est

incité à surestimer le risque de renouvellement. Bien souvent, les sommes reportées en

charge n’ont rien à voir avec le risque réel de renouvellement. Ces sommes ne sont en outre

pas rendues à la collectivité en fin de contrat lorsqu’elles ne sont pas utilisées (sauf

stipulation contractuelle contraire). Les délégataires en place peuvent alors être encouragés à

prolonger au maximum la durée de vie des infrastructures afin d’augmenter leurs gains nets

sur les garanties de renouvellement et de reporter le poids du renouvellement vers le futur

exploitant.

Une deuxième illustration, toujours liée aux investissements, concerne les dotations

aux amortissements. Les contrats ne précisent généralement pas les durées d’amortissement

pour tous les équipements du service. Dans le cas où le contrat prévoit l’indemnisation des

délégataires à la valeur nette comptable pour tous les investissements qui ne sont pas amortis

à l’échéance, cette marge de manœuvre laissée aux délégataires peut les conduire à amortir

des équipements à faible durée de vie sur une durée longue. Une telle pratique leur permet

d’augmenter leurs bénéfices ainsi que leur indemnité de fin de contrat.

Page 81: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

77

L’opportunisme du délégataire lors du renouvellement consiste à profiter de son

avantage sur ses concurrents pour négocier des clauses qui lui sont plus favorables dans le

nouveau contrat. L’avantage du délégataire sortant est un fait incontestable dans l’industrie

de l’eau en France. Les études annuelles de l’ENGREF (Ecole Nationale du Génie Rural des

Eaux et des Forêts) sur la remise en concurrence des contrats de DSP dans le domaine de

l’eau montrent qu’en moyenne, entre 8% et 15% des procédures de DSP aboutissent à un

changement de délégataire. Cependant, avantage du délégataire ne signifie pas forcément

opportunisme de ce dernier. Les études de l’ENGREF montrent également (selon les années)

qu’entre 20 et 30% des procédures n’aboutissent qu’à une seule offre, ce qui peut traduire un

manque de concurrence dans certaines collectivités, et donc, un rapport de force en faveur du

délégataire sortant potentiellement source d’inefficacités. Mais ces chiffres peuvent aussi

refléter la satisfaction de certaines collectivités à l’égard de leur délégataire actuel et le

favoriser lors du renouvellement peut se traduire comme la récompense liée à ses bonnes

actions passées (Zupan [1989b], Doni [2004]). Un taux de non renouvellement faible ne

serait donc pas condamnable dans ce contexte. Il n’existe pas, à ce jour, d’études cherchant à

évaluer l’importance de l’opportunisme des délégataires lors de la remise en concurrence du

service dans l’industrie française de l’eau, sans doute en raison du manque de données pour

mener à bien une telle entreprise.

2.2.3. Les solutions à l’opportunisme du délégataire

Des solutions institutionnelles et contractuelles sont prévues par le législateur afin de

limiter les risques d’opportunisme du délégataire, à la fois ex-ante au moment de la

négociation du contrat et ex-post, lors de son exécution.

2.2.3.1. Les dispositifs de lutte contre l’opportunisme ex-ante

Concernant l’opportunisme ex-ante, les collectivités françaises peuvent faire appel à

des aides extérieures pour les aider dans les négociations de leur contrat. Les DDAF

(Directions Départementales de l’Agriculture et des Forêts) sont les organismes les plus

sollicités par les collectivités dans les activités de conseil, mais d’autres acteurs publics

(Directions Départementales de l’Equipement) ou privés (Cabinets d’audits spécialisés)

peuvent remplir cette tâche. Ces dispositifs d’aide visent à pallier le manque de compétence

des élus dans les négociations de contrat avec les grands groupes privés.

Page 82: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

78

En outre, compte tenu de la définition juridique d’une DSP, les délégataires

exploitent le service à leurs risques et périls. A ce titre, ils ne peuvent prétendre à une

renégociation des termes initiaux du contrat qu’en cas de déséquilibre provenant de

circonstances extérieures (contraintes nouvelles imposées par la collectivité, événement

extérieur au contrat et imprévisible au moment de sa signature). Si le déséquilibre provient

des estimations initiales du délégataire ou est intrinsèquement lié à l’exécution du contrat, le

délégataire n’a pas le droit à la renégociation (Institut de la Gestion Déléguée [2005]), en

vertu de la règle de non-bouleversement de l’équilibre du contrat (voir section 2.3.1. ci-

dessus). Si un avenant est néanmoins accordé par la collectivité, le délégataire s’expose à un

risque de poursuite. Les concurrents du délégataire en place peuvent être fondés à saisir le

tribunal administratif pour atteinte portée à l’égalité initiale des concurrents. Le tribunal peut

alors annuler le contrat et obliger l’autorité publique à recommencer la procédure de

délégation de services public. Ce dispositif peut donc dissuader les concurrents de proposer

des offres opportunistes au moment des enchères s’ils savent que les renégociations ont de

grandes chances d’être sanctionnées par les tribunaux. Cette disposition juridique est donc

conforme aux prescriptions de la littérature évoquée en chapitre 2 (Jolls [1997], Guash

[2004]). Cependant, dans le contexte relativement peu concurrentiel du secteur de l’eau, on

peut douter de la disposition des firmes à contester devant les tribunaux les renégociations de

contrat intervenant dans des communes exploitées par leurs concurrents.

2.2.3.2. Les dispositifs de lutte contre l’opportunisme ex-post

Des dispositifs contractuels sont mis en place pour contraindre les comportements

opportunistes de l’entreprise pendant l’exécution du contrat. Des pénalités financières sont

prévues notamment en cas de coupures d’eau (sur tout ou partie du réseau) impliquant une

mauvaise gestion du délégataire, de manque de pression au robinet, de non-respect des délais

de raccordement, ou de retard dans la fourniture de documents à la collectivité. De plus en

plus souvent, apparaissent également des pénalités pour rendement insuffisant du réseau38.

Cependant, ces clauses de sanction sont d’application limitée en pratique. Il est difficile pour

les collectivités d’obtenir le prélèvement des pénalités en raison du montant dérisoire de la

caution versée par le délégataire en début de contrat (Guérin-Schneider [2001], p. 69).

38 Le rendement du réseau est le rapport entre le volume d’eau facturé aux usagers (VF) et le volume d’eau total produit par la commune (VP). La différence VP – VF correspond au volume d’eau perdu sur le réseau (ou volume des pertes). Les pertes sont essentiellement liées aux fuites d’eau provenant des canalisations. Ces pertes sont donc d’autant plus élevées que la vieillesse du réseau est importante.

Page 83: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

79

De plus, les effets de réputation sont d’une efficacité limitée dans l’industrie

française de l’eau. L’éclatement des collectivités combinée à l’absence de régulateur national

rendent impossible une agrégation et une large diffusion des informations sur les

comportements des délégataires. En outre, du fait de l’avantage informationnel de

l’exploitant, bon nombre d’actions opportunistes du délégataire restent inobservables par les

collectivités. L’exploitant dispose, comme nous l’avons démontré, de diverses techniques,

pour manipuler ses coûts et augmenter sa marge bénéficiaire. Afin de tenter d’atténuer ce

problème, les lois Barnier du 2 février 1995 et Mazéaud du 8 février 1995 imposent au

délégataire de produire chaque année un rapport comprenant notamment les comptes

retraçant la totalité des opérations afférentes à l’exécution de la délégation de service public

et une analyse de la qualité de service. Les délégataires doivent donc produire chaque année

deux rapports obligatoires : un rapport technique sur la qualité du service, et un rapport

financier dans lequel doit apparaître le compte d’exploitation du délégataire.

Cependant, les comptes rendus fournis par les délégataires demeurent relativement

peu précis et souvent peu lisibles par les collectivités, rendant difficile le contrôle des

activités du délégataire par les collectivités. La Cour des Comptes [2003] relève que « la

présentation des comptes-rendus techniques et financiers du service et, en particulier, la

nomenclature comptable, varient chaque année et rendent difficile toute comparaison. Le

principe de permanence dans la présentation des comptes, nécessaire pour permettre la

comparaison des résultats d’une année à l’autre, n’est donc pas toujours respecté et

l’économie du contrat ne peut, en conséquence, être appréciée dans la durée ». Le manque

d’harmonisation dans les règles de présentation des rapports techniques et financiers, à la

fois dans le temps et dans l’espace, constitue donc un obstacle sensible à un contrôle efficace

de la collectivité. Certaines collectivités mettent en place des règles en matière de

présentation de l’information ou créent des cellules spécifiques chargées de contrôler le

délégataire. Cependant, ces dispositifs demeurent rares et la Cour des Comptes déplore que

« de nombreuses collectivités ne disposent pas d’un contrôle interne organisé pour éviter

certaines dérives et notamment la progression injustifiée de certaines charges ».

Afin de compléter des dispositifs contractuels qui peuvent se révéler insuffisants pour

contraindre l'opportunisme de l'opérateur, la législation française prévoit des prérogatives

institutionnelles attribuant des pouvoirs spécifiques aux collectivités. Ces dernières sont

autorisées à rompre de manière unilatérale le contrat. Néanmoins, la crédibilité de cette

Page 84: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

80

menace peut être mise en doute du fait des indemnités importantes que doit alors payer

l'autorité publique pour se séparer de son exploitant (Guérin-Schneider [2003]). Cela dit,

sans aller jusqu'à la rupture du contrat, le droit administratif français autorise les communes

à modifier unilatéralement le contrat. Cette disposition s'applique en outre sans délai, ce qui

veut dire que toute contestation de l'opérateur devant un tribunal ne suspend pas le caractère

exécutoire de la décision de la collectivité. Ce pouvoir conféré à l'autorité publique peut,

dans certaines circonstances, contraindre l'opportunisme de l'opérateur. Plus précisément, la

collectivité peut s'en servir comme menace pour inciter l'exploitant à rester loyal.

Cette analyse nous conduit à dresser un bilan mitigé quant aux capacités des

collectivités françaises à restreindre les comportements opportunistes des délégataires dans

l’industrie de l’eau. Ce risque peut en outre être accentué par l’avantage du délégataire

sortant lors du renouvellement.

2.3. Le renouvellement des contrats de DSP

Dans le chapitre 1, nous avons mis en évidence deux raisons théoriques pouvant être

à l’origine d'un avantage inefficace de l’opérateur sortant au moment du renouvellement : les

asymétries d’informations entre l’opérateur et la collectivité et la transformation

fondamentale. Nous analysons à présent l'importance de ces deux éléments pour expliquer

l’avantage de l’opérateur sortant dans le secteur de l’eau en France.

2.3.1. Renouvellement du contrat et asymétries d’informations

La première source d’inégalités entre le délégataire sortant et ses concurrents dans

l’industrie française de l’eau concerne l’avantage informationnel de l’opérateur en place,

notamment sur l’état du réseau. Certaines collectivités exercent un contrôle actif sur

l’évolution de l’état de leur réseau de distribution d’eau potable (inspections vidéos

permettant la mise en place de politiques de recherche de fuites, mise en place et tenue à jour

d’un plan du réseau). Malheureusement, en raison de contrôles insuffisants, la plupart des

collectivités perd progressivement la connaissance de leurs installations une fois qu’elles ont

délégué leur service. Ce manque de suivi du patrimoine les empêche de mener à bien une

politique pertinente de renouvellement des équipements pendant l’exécution du contrat, mais

surtout, nuit à une remise en concurrence efficace du service. Pour la collectivité, une bonne

connaissance de son patrimoine est fondamental afin d’envoyer à tous les candidats un

Page 85: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

81

cahier des charges qui soit le plus précis possible lors de la procédure de DSP. Un cahier des

charges trop vague crée un risque de « malédiction du vainqueur » pour les candidats autres

que le délégataire en place. Ces derniers, ne connaissant pas l’état exact des infrastructures et

des frais de maintenance engagés, peuvent être découragés de proposer une offre.

2.3.2. Renouvellement du contrat et transformation fondamentale

Dès lors que des investissements spécifiques sont réalisés par l’une ou l’autre des

parties, la transformation fondamentale (Williamson [1985]) induit une dépendance

bilatérale entre l’acheteur et le vendeur qui rend très coûteuse la rupture de la relation. La

dépendance bilatérale s’explique par le fait que la valeur générée par ces investissements

seraient perdus, à la fois pour la collectivité et l’exploitant si la relation contractuelle venait à

s’interrompre. En France, ce problème est atténué par le fait que les actifs spécifiques de site,

indispensables au fonctionnement du service (canalisations, branchements, vannes,

réservoirs etc.) sont propriété publique dès leur édification et doivent être remis gratuitement

à la collectivité en fin de contrat. Ce sont les biens dits « de retour ». Si certains équipements

ne sont pas totalement amortis par le délégataire à la fin du contrat, la collectivité peut lui

verser une indemnité correspondant à la valeur résiduelle des infrastructures. Cette valeur

résiduelle est parfois difficile à déterminer, notamment lorsque les frais de maintenance

engagés par le délégataire ne sont pas observables ou lorsque l’incertitude sur les évolutions

technologiques est importante (Baldwin et Cave [1999]). Cela dit, en cas de désaccord sur le

montant final de la compensation, la collectivité dispose du dernier mot dans la mesure où,

de toute façon, elle reste propriétaire des actifs. Tout recours du délégataire devant le

tribunal administratif ne remet pas en cause le retour des biens à la collectivité en fin de

contrat.

Dans l’industrie française de l’eau, la propriété publique des biens de retour atténue

donc l’avantage du délégataire sortant lors du renouvellement. Cependant, certains

équipements appartiennent au délégataire. Ce sont les biens dits « de reprise » que la

collectivité peut, si elle le désire, racheter à la fin de contrat. Certaines de ces installations

peuvent être spécifiques, auquel cas la collectivité peut difficilement passer outre leur rachat.

C’est par exemple le cas des compteurs installés chez les particuliers, qui, dans certaines

collectivités, sont la propriété du délégataire. En cas de changement d’exploitant ou de retour

en régie, la collectivité doit négocier le prix de reprise des compteurs avec le délégataire

Page 86: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

82

sortant, ce qui peut la dissuader d’ouvrir son service à un nouvel exploitant. D’autres actifs

spécifiques, nécessaires à la gestion du service, peuvent être difficilement transférables si le

délégataire en place est évincé. Certains opérateurs développent des logiciels qui leur sont

propre, par exemple pour ce qui concerne le suivi des relations avec les clients. Ce fichier

retrace l’ensemble des informations dont dispose le délégataire sur chacun de ses usagers

clients. Il contient notamment l’adresse des usagers, leur numéro de téléphone, leur

consommation en eau, l’état des impayés etc. Ce document sert de base au calcul de la

facture d’eau de chaque usager. Sauf stipulation contractuelle contraire, en cas de

changement d’opérateur, le délégataire sortant garde la propriété de son logiciel (il s’agit

d’un bien dit «propre » qui n’est ni racheté, ni remis gratuitement à la collectivité). Le

fichier-client risque alors d’être transmis au nouvel exploitant dans un format qui rend son

utilisation impossible. C’est pourquoi, dans certains contrats récents, des clauses

apparaissent pour exiger du délégataire sortant un transfert de toutes les données

informatiques nécessaires à la bonne exploitation du service dans un format qui puisse être

utilisable par le nouveau délégataire.

La collectivité prend nécessairement en compte les difficultés éventuelles de transfert

de certains actifs spécifiques dans la décision de reconduire ou non son délégataire. Plus les

actifs spécifiques difficilement transférables sont importants, plus la dépendance bilatérale

entre la collectivité et son exploitant augmente et donc, plus forte est la probabilité que le

délégataire sortant soit avantagé lors du renouvellement.

Au delà des problèmes que pose le transfert de certains actifs spécifiques physiques,

Williamson a souligné la difficulté pour l’opérateur entrant, de récupérer les salariés de

l’entreprise sortante. Ces derniers peuvent être réticents à changer d’employeur en raison des

incertitudes futures concernant leurs conditions d’emploi. Cette difficulté avantage

inévitablement l’opérateur sortant lors du renouvellement du fait de la meilleure productivité

de ses salariés acquise grâce à leur formation initiale et à l’apprentissage quotidien sur le

terrain. L’absence de possibilité de transfert du personnel oblige un opérateur souhaitant

entrer sur le marché à engager des dépenses dans la formation de nouveaux employés. De

plus, ces employés, même formés sont nécessairement moins compétitifs que les salariés

travaillant déjà sur le service depuis plusieurs années. Toutes ces considérations sont bien

sûr répercutées dans son offre.

Page 87: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

83

L’avantage du délégataire en place sur la base de ses actifs spécifiques humains est

une thèse qui tient difficilement dans le contexte de l’industrie française de l’eau. Compte

tenu de la concentration du secteur et du caractère local du service, chaque entreprise du

secteur emploie des salariés qui effectuent des tâches similaires d’une collectivité à l’autre.

Autrement dit, dans le cas où un nouvel exploitant se présente lors du renouvellement, le

départ éventuel des salariés en fonction depuis plusieurs années ne le place pas en en

situation désavantageuse au moment de la formulation de son offre. Contrairement à ce que

prédit la théorie, un contrat prévoyant la reprise des salariés du service d’eau par un nouvel

exploitant peut même constituer un frein à la concurrence lors du renouvellement. En effet,

le fait de ne pouvoir proposer un personnel plus performant, de profil différent, ou encore

moins payé, restreint les possibilités d’innovation pour l’opérateur concurrent souhaitant

entrer sur le marché. Ce dernier devra inclure à son offre, soit le coût de la masse salariale de

l’ancien délégataire, soit celui de licenciements (Guérin-Schneider [2001]). Une telle

obligation favorise le délégataire en place, notamment au détriment des candidats de petite

taille.

A titre d’illustration, l’entreprise RUAS, société indépendante, a plusieurs fois saisi

le tribunal administratif pour contester l’obligation de reprise du personnel que lui imposait

le délégataire sortant. D’un point de vue juridique, afin de protéger les intérêts des salariés

en place, la loi oblige le transfert du personnel vers le nouveau délégataire si certaines

conditions sont réunies. Il est notamment nécessaire, pour que ce transfert puisse avoir lieu,

que les salariés soient exclusivement affectés au service concerné par le changement de

délégataire, ce qui n’est pas toujours le cas. En effet, la mutualisation du personnel par un

délégataire titulaire de plusieurs délégations crée un obstacle évident à l’obligation de reprise

des salariés.

CONCLUSION

Dans ce chapitre, nous nous sommes consacrés à la description du cadre

institutionnel français régissant le secteur de l’eau. En France, les collectivités peuvent

déléguer leur service d’eau à une entreprise privée via une procédure de mise en concurrence

relativement flexible. Elles peuvent aussi assurer seules cette tâche. Si la délégation du

service vers une entreprise privée est susceptible de comporter des avantages certains en

Page 88: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

84

termes de coûts de production (Charreaux [1997], Williamson [1985]), à la lumière des

arguments théoriques présentés en première partie et dans ce chapitre, le modèle français

d’organisation des services est également critiquable par bien des aspects.

Le débat théorique sur l’efficacité du franchise bidding mis en évidence dans la partie

1 de ce travail s’applique donc plus que jamais au cas de l’approvisionnement d’eau en

France. A ce titre, une étude empirique des performances relatives de la délégation des

services d’eau nous semble être un travail intéressant à effectuer. La diversité des

arrangements organisationnels existants par ailleurs dans ce secteur rend cet examen possible

en permettant la comparaison des performances obtenues par les services en délégation avec

celles obtenues par les exploitations en régie. Cette étude sera menée dans la troisième partie

de ce travail et à cet égard, les éléments décrits dans ce chapitre pourront être mobilisés.

Cependant, dans la mesure où la majeure partie de notre travail est empirique, il nous semble

opportun de nous arrêter auparavant sur la description des données qui serviront de support

aux différents tests économétriques.

Page 89: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

85

CHAPITRE 4 : LES DONNEES

Nous nous consacrons dans un premier temps à une description générale des bases de

données en notre possession ainsi que des variables utilisées pour les besoins de notre étude.

Dans un deuxième temps, nous présenterons quelques statistiques descriptives générales

établies en vue de nos trois objectifs empiriques : l’analyse de l’efficacité de la délégation

par rapport à la régie, de la concurrence ex-ante (impact de la mise en concurrence sur le

prix) et ex-post (incitation des délégataires à maintenir des prix raisonnables pendant

l’exécution du contrat) et des incitations à l’investissement en fin de délégation.

SECTION I. Description générale des données

Les informations sur les services d’eau dont nous disposons proviennent de quatre

sources : l’IFEN (Institut Français de l’Environnement) et le SCEES (Service Central des

Enquêtes et des Etudes Statistiques)39, la DGS (Direction Générale de la Santé) et les

Agences de l’Eau Adour-Garonne et Rhône-Méditerranée-Corse. Nous disposons également

de données sur les résultats du premier tour des élections présidentielles de 1995 et 2002

issues du ministère de l’intérieur. L’utilité de ces données pour notre travail sera expliquée

ultérieurement.

1.1. L’enquête IFEN-SCEES

Les données de l’IFEN et du SCEES sont issues d’une enquête menée auprès de 5000

communes françaises en 1998 et 2001 représentatives des 36000 communes40. Les

principales caractéristiques observées pour chaque commune sont les suivantes41 :

39 Ce service dépend du ministère de l’Agriculture et de la pêche. 40 Sauf indication contraire, les données concernent l’année 2001 et se rapportent exclusivement au service de production et de distribution d’eau potable (hors assainissement). Toutes les communes de plus de 10000 habitants sont présentes dans la base, le pourcentage de communes interrogées étant une fonction décroissante de la population pour les communes de moins de 10000 habitants. Par ailleurs, les variables sont renseignées commune par commune. Certaines variables renseignées au niveau intercommunal (par exemple, la longueur de réseau) sont ramenées à une valeur communale estimée par une pondération. 41 Certaines variables renseignées au niveau intercommunal (par exemple, la longueur de réseau) sont ramenées à une valeur communale estimée par l’application d’un ratio.

Page 90: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

86

Informations relatives à la commune : code INSEE, nom de la commune, département,

région, superficie, population au recensement 1999.

Informations relatives à l’organisation et à l’exploitation : mode d’organisation et

d’exploitation du service d’eau (pour la production et pour la distribution d’eau).

Informations relatives aux volumes d’eau : volumes d’eau produits, facturés et non

facturés, importés d’autres collectivités, vendu à d’autres collectivités, volumes d’eau perdus

sur le réseau.

Informations relatives au réseau : longueur du réseau hors branchement, longueur des

conduites remplacées, longueur de tuyau mis en place pour extension du réseau, existence

d’un programme de renouvellement du réseau.

Informations relatives au prix : prix de l’eau hors taxe et TTC pour 120m 3 consommés :

abonnement, consommation, location et entretien du compteur (part distributeur et

communale), redevances diverses (FNDAE, pollution, voies navigables, préservation des

ressources en eau)42.

Informations relatives au contrat : année de signature et d’échéance du contrat (pour la

production et la distribution d’eau), année de signature et d’échéance du contrat (pour la

collecte et le traitement des eaux usées).

1.2. Les données de la DGS

Les informations collectées grâce à l’enquête IFEN-SCEES ont été complétées par

des données que nous avons recueillies avec la DGS. De nouvelles variables ont ainsi pu être

ajoutées à la base existante. Les nouvelles données sont relatives au type de traitement utilisé

pour rendre l’eau potable, à l’origine de l’eau et enfin, à la protection des captages.

La DGS utilise un codage administratif pour caractériser le type de traitement. Six

modalités différentes de ce codage existent. La modalité « sans désinfection » signifie que

42 Il s’agit du prix de l’eau pour la production et la distribution d’eau. Ce prix ne comprend pas la partie assainissement de la facture d’eau (collecte et traitement des eaux usées).

Page 91: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

87

l’eau captée n’a pas besoin de subir de traitement en raison de sa très bonne qualité brute43.

L’eau est alors directement injectée dans les canalisations, moyennant seulement l’ajout de

chlore pour qu’elle reste potable jusqu’à son point de destination finale. La modalité « A1 »

concerne les communes alimentées par une eau de qualité relativement bonne et nécessitant

un traitement simple. La modalité « A2 » désigne les communes alimentées par une eau

nécessitant un traitement intermédiaire. La modalité « A3 » caractérise une eau de très

mauvaise qualité, nécessitant un traitement très poussé. La réalité peut cependant être parfois

plus complexe, certaines communes pouvant être alimentées par une eau venant de plusieurs

points de captages. Pour tenir compte de cette possibilité, deux autres modalités sont

introduites. La modalité « mixteA3 » considère les communes alimentées par plusieurs

unités de distribution44 dont une unité au moins avec un traitement de type « A3 ». Enfin, la

modalité « autre mixte » désigne les communes desservies par plusieurs unités de

distribution mais sans unité admettant un traitement de type « A3 ».

L’origine de l’eau distribuée sur la commune peut être souterraine (pompée dans les

nappes phréatiques), superficielle (pompée dans les lacs, rivières, fleuves…). Elle peut enfin

être mixte, la commune pouvant être alimentée par une eau pour partie d’origine souterraine,

et pour partie d’origine superficielle.

Enfin, la DGS fournit des informations relatives à la protection des captages dans la

commune. Comme pour l’origine de l’eau, trois niveaux de codification sont retenus.

Certaines communes sont desservies par un ou plusieurs captages faisant tous l’objet d’une

protection (captages protégés), d’autres sont desservies par un ou plusieurs captages ne

faisant l’objet d’aucune protection (captages non protégés). Enfin, certains des captages

desservant la commune peuvent être protégés et d’autres pas (protection partielle).

1.3. Les données des Agences de l’Eau

43 L’eau doit répondre à 64 critères de qualité pour être considérée comme étant potable. Des contrôles de qualité sont réalisés quotidiennement par les collectivités, les délégataires et les services de la DDASS (Directions Départementales des Affaires Sanitaires et Sociales). 44 Une unité de distribution correspond à un réseau géré et exploité par une même structure et délivrant une eau de même qualité. Une unité de distribution peut correspondre au réseau d’une commune qui est alimenté par un seul captage. Mais une seule commune peut aussi avoir plusieurs unités de distribution si elle possède plusieurs réseaux desservis par des captages différents. A l’inverse, une unité de distribution peut couvrir plusieurs communes regroupées au sein d’un syndicat.

Page 92: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

88

Les agences de l’eau Rhône-Méditerranée-Corse (RMC) et Adour-Garonne (AG)

nous ont fourni des informations commune par commune sur le mode d’exploitation du

service (régie ou délégation) et le nom du distributeur d’eau potable dans le cas où le service

d’eau était délégué. Ces données concernent 40 départements, 15500 communes et près de

20 millions de consommateurs, soit 1/3 de la population française. Nous avons aussi pu

obtenir le nom des opérateurs ainsi que le mode organisationnel pour chaque commune du

département du Cher grâce aux informations recueillies sur le site de la DDAF de ce

département. Au total, les données recueillies couvrent 41 départements.

Grâce à ces informations, nous avons pu construire deux indicateurs pour mesurer la

concurrence dans le secteur de l’eau. Le premier est un indice d’Herfindhal de concentration

des entreprises dans chacun des 43 départements. Pour l’obtenir, nous avons calculé les parts

de marché de chaque opérateur (en terme de population desservie) dans chaque département.

Ces derniers ont été réunis en 4 catégories : Véolia, Suez, Saur et Indépendants45. Nous

aboutissons alors pour chaque département à l’indice suivant :

HERFINDHAL = Pi2

i=1

n

∑ , avec Pi

i=1

n

∑ = 1

avec Pi la part de marché de l’opérateur i dans un département donné. Plus cet indice est

élevé, plus la concentration du marché est forte et donc, plus la concurrence potentielle ex-

ante et ex-post entre opérateurs faible. Par exemple, les départements dans lesquels des

opérateurs indépendants sont implantés peuvent offrir davantage de possibilités de mise en

concurrence pour les communes lors de l’appel d’offres. En outre, la présence de nombreux

opérateurs dans un département peut permettre un changement plus facile de délégataire à la

fin du contrat, et donc, inciter le délégataire en place à maintenir les prix à des niveaux

raisonnables pendant la durée de l’engagement. Nous reviendrons plus longuement sur la

pertinence de cet indicateur dans le chapitre consacré à l’étude de la concurrence ex-ante et

ex-post.

45 Il a fallu notamment distinguer, parmi les nombreuses sociétés opérant dans le secteur, les entreprises filiales des grands groupes des sociétés réellement indépendantes. De plus, certaines communes de notre échantillon sont alimentées en eau par des filiales détenues à 50% par Véolia et 50% par Suez. La part de marché du consortium a alors naturellement été divisée par 2 et ajoutée à la part de marché initiale de chacun de ces deux groupes.

Page 93: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

89

Afin d’évaluer l’importance de la concurrence entre modes organisationnels (régie et

exploitation privée), nous calculons pour chaque département la part de la population

desservie par une régie. La concurrence entre modes organisationnels est susceptible de

s’accroître d’autant plus que la concentration de régies dans le département est importante.

Trois arguments peuvent être avancés pour appuyer cette affirmation. Tout d’abord, il est

probable qu’une zone où les régies sont nombreuses connaisse en moyenne, une complexité

moins forte des services d’eau facilitant le retour en régie. En deuxième lieu, les zones

géographiques à forte concentration de régies offrent davantage d’opportunités pour les

communes en délégation de rejoindre d’autres communes ayant choisi la régie comme mode

d’exploitation au sein d’un syndicat intercommunal, facilitant la transition entre les deux

modes organisationnels. En dernier lieu, les délégataires travaillant dans des zones où les

régies sont nombreuses peuvent vouloir apparaître efficaces afin de se bâtir un capital de

réputation et ainsi convaincre, à terme, d’autres régies situées à proximité d’opter pour la

délégation. On peut donc s’attendre, pour une commune donnée ayant opté pour la

délégation, à ce que la pression concurrentielle ex-ante et ex-post s’exerçant sur le

délégataire soit d’autant plus élevée que cette commune se trouve dans une zone

géographique à forte concentration de régies.

1.4. Les données politiques

Nous avons complété notre série de variables par l’incorporation de données

politiques que nous utiliserons comme instrument pour endogénéiser le mode d’exploitation

(voir chapitre 5). Nous disposons des résultats des élections présidentielles du premier tour

des années 1995 et 2002 pour la quasi-totalité des communes de France. A partir de ces

informations, nous créons trois variables. GAUCHE95 donne le pourcentage des électeurs

inscrits ayant voté pour un candidat de gauche ou d’extrême gauche au premier tour lors des

élections présidentielles de 1995. De même, GAUCHE02 mesure la proportion des électeurs

inscrits sur les listes électorales qui ont voté pour un candidat de gauche ou d’extrême

gauche au premier tour des élections présidentielles de 2002. Ces deux premières variables

nous servent à calculer un troisième indicateur dont le but est d’estimer l’ « ancrage » à

gauche de la commune. Nous nommons cette variable GAUCHE = GAUCHE95 *

GAUCHE02. Plus GAUCHE augmente, plus la proportion des électeurs ayant voté pour un

candidat de gauche aux deux élections présidentielles est importante, ce qui peut donner une

indication sur la sensibilité politique des usagers d’une commune, et donc, sur les choix

Page 94: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

90

organisationnels opérés par les maires. D’avantages d’explications sur l’utilité de ces

informations pour notre travail seront fournies dans le chapitre 5.

SECTION 2. Statistiques descriptives générales

L’objectif de cette section est de fournir quelques statistiques descriptives destinées à

mieux cerner les trois problématiques que nous cherchons à étudier : l’efficacité de la

concurrence pour le marché par rapport à l’exploitation publique, la concurrence ex-ante et

ex-post et l’incitation du délégataire à investir en fin de contrat.

2.1. L’efficacité des PPP par rapport à l’exploitation publique

2.1.1. L’échantillon retenu

Le critère d’efficacité que nous retenons est le prix de l’eau hors taxe facturé au

consommateur (variable PRIX). Notre objectif est de comparer le prix de l’eau pratiqué par

les communes en régie avec le prix pratiqué dans celles qui ont décidé d’externaliser

l’exploitation de leur réseau. Cela dit, dans certains cas, cette externalisation peut être

partielle. Les communes peuvent par exemple déléguer le service de production d’eau tout

en continuant à assurer elles-mêmes la distribution ou vice-versa. Puisque le prix de l’eau

que nous observons ne distingue pas l’activité de production de celle de distribution d’eau,

nous ne retenons que les observations pour lesquelles le mode d’exploitation est le même

pour ces deux activités de manière à ne pas biaiser les comparaisons de prix. Notre

échantillon passe alors de 5000 à 4443 observations. En éliminant ensuite certaines valeurs

manquantes ou extrêmes, nous aboutissons à un échantillon final exploitable de 3649

observations.

2.1.2. Modes organisationnel et prix

La répartition des 3649 observations suivant le mode d’exploitation retenu par les

communes peut être résumée dans le tableau 1 (voir page suivante). Nous constatons que le

mode d’exploitation le plus fréquent est l’affermage avec 56,8% des communes observées.

Ensuite vient la régie avec 31,2% des communes de notre échantillon concernées par ce

mode d’exploitation. Les autres modes d’exploitation (gérance, régie intéressée et

concessions) sont plus marginaux.

Page 95: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

91

Tableau 1 : répartition des modes d’exploitation des services d’eau

Sources : IFEN et DGS 2001

Si nous établissons à présent une comparaison entre le mode d’exploitation et le prix

pratiqué, nous concluons à un net avantage de prix en faveur des régies.

Tableau 2 : choix organisationnel et prix

Prix en 2001 Choix organisationnel Moyenne Ecart-type Min Max N

Régie directe 124,96 33,34 50,6 252,2 1136

Gérance 171,24 12,34 74,21 202,26 124

Régie intéressée 201,14 48,36 84,51 317,36 152

Affermage 157,2 46,12 54,67 378,7 2073

Concession 160,24 30,05 100,17 339.23 164

Total 149,61 45,27 50,6 378,7 3649

Sources : IFEN et DGS 2001. Les prix sont exprimés en euros pour 120m3 consommés

Le prix moyen de 120m3 d’eau consommés46 s’établit en moyenne à 124,96 euros

pour les régies directes. Ce prix est largement plus élevé pour les autres modes

d’exploitation. Les communes en affermage paient leur eau en moyenne 32,24 euros plus

cher que celles qui sont en régie. Le plus grand écart de prix est à enregistrer au détriment

des régies intéressées qui paient leur eau en moyenne 76,18 euros plus cher que les régies

directes.

2.1.3. Les raisons de l’écart de prix entre régie et délégation

Toutefois, le prix ne constitue qu’une mesure imparfaite de l’efficacité entre les

différents modes organisationnels. De nombreux facteurs ne sont pas pris en compte dans

ces simples moyennes et peuvent expliquer les différences de prix observées entre régie et

46 Le prix a été renseigné pour 120m3 d’eau consommés correspondant à peu près à la consommation moyenne annuelle d’un ménage 4personnes. Cette statistique est donnée par les délégataires lors de la remise de leur compte rendu annuel.

Mode d'exploitation

Nombre d'observations

%

Régie directe 1136 31,2

Gérance 124 3,4

Régie intéressée

152 4,1

Affermage 2073 56,8 Concession 164 4,5

Total 3 649 100

Page 96: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

92

exploitation privée. Premièrement, les délégataires doivent s’acquitter de certaines

redevances et impôts locaux (taxe professionnelle notamment) que ne supportent pas les

régies. Ces dernières bénéficient en outre plus facilement de subventions publiques du fait de

l’absence de recherche de profit. Nous ne disposons malheureusement pas de données

concernant l’importance des impôts locaux dans les communes, ni des subventions

accordées par les pouvoirs publics aux communes de notre échantillon. Cependant, ces

inconvénients sont atténués par le fait que les délégataires disposent également de certains

privilèges dont les régies ne peuvent prétendre. Ainsi, les délégataires ont une totale liberté à

l’égard du placement de leur trésorerie.

En deuxième lieu, la différence de prix peut s’expliquer par une meilleure qualité des

prestations fournies en cas d’exploitation privée du service. Dans le secteur de l’eau, la

qualité des prestations peut revêtir plusieurs dimensions, mais les principales concernent

notamment la qualité de l’eau distribuée, la continuité dans l’approvisionnement en eau, ou

encore des efforts de maintenance du réseau. Les pays développés comme la France

obtiennent généralement des résultats satisfaisants concernant les deux premiers points. Dans

la très grande majorité des communes, la qualité de l’eau distribuée est conforme aux normes

en vigueur et les coupures non programmées dans l’alimentation en eau sont rares. En

revanche, les réseaux de distribution, eux, ont été construits depuis plusieurs décennies et

sont vieillissants. A ce titre, la question de la maintenance et du renouvellement des

canalisations se pose davantage. Nous avons pu calculer, à partir de notre base de données,

un indice linéaire de pertes nettes du réseau. En suivant la logique de construction de Guérin-

Schneider [2001], nous aboutissons à la relation suivante :

Taux de pertes = (Volume produit + Volume importé – Volume exporté – Volume facturé –

Volume non facturé estimé – Volume non facturé mesuré) / (365*longueur du réseau)

Le numérateur donne une estimation des pertes d’eau sur le réseau. En addition, se

trouvent les volumes d’eau injectés dans le réseau (production et importation) et en

soustraction, les volumes consommés par les usagers de la commune et comptabilisés (qu’ils

soient facturés ou non) ainsi que les volumes d’eau exportés par la commune vers d’autres

collectivités. Cet indicateur donne une idée de la quantité d’eau perdue par kilomètre de

réseau et en 1 journée. Il se prête particulièrement bien à la comparaison entre services.

Page 97: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

93

Le tableau 3 retrace le taux de pertes moyen calculé à partir de notre échantillon pour

les différents modes d’exploitation :

Tableau 3 : pertes nettes du réseau selon le mode organisationnel

Sources : IFEN et DGS 2001

Les pertes moyennes de réseau dans le cas de l’affermage (mode d’exploitation privé

dominant) s’élèvent à 6,99 mètres cubes par kilomètre de réseau et par jour. Les

performances semblent légèrement supérieures à la régie directe avec une moyenne de 7,5

mètres cubes perdus quotidiennement sur un kilomètre de réseau. La régie intéressée, qui

admet le prix le plus élevé, est aussi le plus performant mode d’exploitation eu égard aux

pertes d’eau (5,55 mètres cubes par km et par jour). Enfin, malgré des prix plus élevés qu’en

régie, la gérance et la concession admettent également des taux de pertes plus élevés. Au

total, il n’est pas évident, au vu de ces résultats, que les différences de prix constatées entre

modes organisationnels soient attribuables à des différences du point de vue de la qualité du

réseau.

Un troisième facteur, inhérent à la complexité du service, est souvent avancé pour

expliquer l’écart de prix entre régie et exploitation privée. La délégation serait choisie par les

collectivités précisément lorsque le service possède des caractéristiques qui le rendent

difficile à exploiter et les oblige à faire appel aux compétences du secteur privé.

Enfin, la dernière explication tient à l’existence de l’oligopole dans le secteur de

l’eau. Les prix plus élevés observés lorsque l’exploitation est privée seraient imputables au

manque de concurrence et à la collusion entre opérateurs. Ces deux derniers points feront

l’objet d’une étude économétrique approfondie. Cela dit, il nous a paru intéressant de

précéder cette analyse par quelques statistiques descriptives visant à mettre en évidence le

lien entre les indicateurs de concurrence ex-post définis précédemment et le prix de l’eau.

Indice linéaire des pertes nettes en 2001 Choix organisationnel Moyenne Ecart-type Min Max N

Régie directe 7,5 8,63 0,02 53,83 1136

Gérance 17,38 10,83 4,1 48,44 124

Régie intéressée 5,55 9,97 0,11 47,86 152

Affermage 6,99 7,78 0,003 53,81 2073

Concession 9,38 7,39 0,09 46,3 164

Total 7,55 8,48 0,003 53,83 3649

Page 98: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

94

2.2. Concurrence ex-post et prix de l’eau

2.2.1. L’échantillon retenu

Afin d’analyser les incitations des opérateurs à maintenir des prix faibles pendant

l’exécution du contrat, nous avons introduit deux indicateurs géographiques de concurrence

ex-post : l’indice de Herfindhal de concentration des opérateurs et l’indice de concentration

des régies, tous deux calculés au niveau départemental. Malheureusement, ces informations

n’ont pu être recueillies que pour 43 départements, soient environ 16000 communes. En

fusionnant ces 16000 observations avec les 5000 communes de la base IFEN-DGS, nous

obtenons une base réduite de 1115 observations. La répartition de ces observations entre les

différents modes d’exploitation est donnée par le tableau 4 :

Tableau 4 : répartition des modes d’exploitation dans la base réduite

Mode d'exploitation

Nombre d'observations

%

Régie directe 395 35,4

Régie intéressée

1 0,09

Gérance 10 0,90 Affermage 671 60,2 Concession 38 3,4

Total 1 115 100 Sources : IFEN, DGS,

Agences de l’Eau Rhone-Méditerranée-Corse (RMC) et Adour-Garonne (AG)

Afin de simplifier les traitements économétriques ultérieurs et compte tenu du faible

nombre d’observations des communes en gérance, en régie intéressée et en concession dans

la base réduite, ces observations sont supprimées de cette base, réduisant finalement notre

échantillon à 1066 communes. Nous verrons plus tard que cette simplification n’affecte en

rien les résultats de nos estimations (voir chapitre 5).

2.2.2. Indice d’Herfindhal et prix de l’eau

Les parts de marché de chaque opérateur calculées à partir des régions Rhône-

Méditerranée-Corse et Adour-Garonne sont retracés dans le tableau 5 (voir page suivante).

Page 99: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

95

Tableau 5 : population desservie et parts de marché des principaux opérateurs

Opérateur Population desservie (RMC et AG)

Parts de marché (RMC et AG)

Parts de marché

(national)

Véolia 5.788.583 41,50 56

Suez 4.612.226 33 29

Saur 2.136.728 15,30 13

Indépendants 1.430.579 10,20 2

Total 13.968.117 100 100

Sources : IFEN, DGS, Agences de l’Eau Rhone-Méditerranée-Corse (RMC) et Adour-Garonne (AG),

conseil de la Concurrence

La deuxième colonne de ce tableau donne le nombre d’habitants desservis par chaque

opérateur dans les bassins RMC et AG. On en déduit alors facilement les parts de marché

correspondantes de chaque catégorie d’opérateurs (3e colonne). Enfin, la dernière colonne

nous permet d’établir une comparaison avec la structure du marché au niveau national telle

que décrite par le conseil de la Concurrence en 2000. Nous constatons que sur le bassin

RMC et AG, la part de marché du groupe leader (Véolia) est de 14,5 points plus faible qu’au

niveau national. Cette baisse profite à ses concurrents directs, mais surtout aux petits

exploitants indépendants qui bénéficient dans cette région d’une part de marché cinq fois

plus élevée qu’au niveau national47.

Cela dit, ces moyennes ne reflètent pas forcément la concurrence entre opérateurs au

niveau local. Ainsi, les exploitants indépendants sont bien implantés dans certains

départements mais sont totalement absents dans d’autres. La concentration des opérateurs est

donc plus ou moins forte selon le département comme le montre le graphique 1 de la page

9648. Ce graphique indique que les indices de concentration les plus faibles sont à mettre au

bénéfice de la Dordogne (25,75%), des Landes (26,46%) et de l’Isère (27,3%) alors que les

départements dans lesquels la concentration est la plus forte sont la Haute-Garonne

(75,49%), les Hautes-Alpes (87,15%) et le territoire de Belfort (100%). La question qui se

47 De nombreuses firmes indépendantes sont implantées dans cette région. Nous pouvons notamment citer la SOGEDO, AGUR, ALTEAU, ou RUAS. 48 L’échantillon servant de base aux tests économétriques effectués dans la troisième partie de ce travail, et qui vient d’être présenté, comporte 1066 observations. Néanmoins, dans un soucis de préservation de l’information, toutes les statistiques sur les prix moyens départementaux ont été calculées sur un échantillon plus large de 1601 observations, c’est-à-dire la totalité des informations disponibles pour les 41 départements de la base réduite. En effet, certaines variables comportant des valeurs manquantes ont fait chuter le nombre d’observations dans la base réduite à 1104 communes. Cependant, le prix est une variable qui a été renseignée de manière exhaustive par toutes les communes de la base IFEN. De plus, le nombre d’observations disponibles par département dépassant rarement les 50, les moyennes départementales sont donc calculées à chaque fois à partir d’échantillons restreints, ce qui augmente la nécessité d’économiser de l’information.

Page 100: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

96

pose est de savoir si les régions pour lesquelles la concentration est la plus forte admettent

également des prix plus élevés.

Graphique 1 : classement des indices départementaux d’Hefindhal par ordre croissant

0

10

20

30

40

50

60

70

80

90

100

Sources : IFEN, DGS, Agences de l 'Eau Rhône-M éditer ranée-Corse et Adour-Garonne

Un indice d’Herfindhal faible est synonyme de faible concentration des opérateurs, et

donc a priori de forte concurrence potentielle entre les exploitants. Autrement dit, le prix de

l’eau devrait croître lorsque l’on se déplace vers la droite du graphique 2 (page 97). Or,

d’après ce graphique, on constate plutôt une relative stabilité du prix de l’eau qui ne semble

pas être corrélé avec le Herfindhal. En séparant notre échantillon en deux catégories, une

première regroupant les départements faiblement concentrés (Herfindhal inférieur à 50%) et

une deuxième regroupant les départements fortement concentrés (Herfindhal supérieur à

50%)49, nous observons un prix moyen des services en délégation de 166,28 euros lorsque la

concentration est inférieure à 50% contre 155,53 euros quand la concentration dépasse 50%,

soit une différence de prix de l’ordre de 10,75 euros. Les régions les plus concentrées paient

donc l’eau en moyenne près de 7% plus cher.

Si on calcule à présent, au niveau de chaque département, l’écart entre le prix moyen

pour les services en délégation et le prix moyen pour les services en régie, il semble en

49 Notre échantillon comporte presque autant de départements avec un indice d’Herfindhal inférieur à 50% (21 départements) que de départements avec un indice d’Herfindhal supérieur à 50% (20 départements).

Page 101: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

97

revanche clair que les écarts de prix les plus importants se trouvent à mettre du côté des

départements ayant les indices de concentration les plus élevés (graphique 3).

Graphique 2 : prix moyen de l’eau par département (classés par ordre croissant

d’indice d’Herfindhal)

0

50

100

150

200

250

Sources : IFEN-DGS-Agences de l 'Eau Rhône-M éditerra née-Corse et Adour-Garonne

Graphique 3 : prix moyen délégation - prix moyen régie calculé par département

(classés par ordre croissant d'indice de concentration)

-40

-20

0

20

40

60

80

100

Sources: IFEN, DGS, Agences de l 'Eau Rhône-M éditerr anée-Corse et Adour-Garonne

Page 102: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

98

Le graphique 3 semble indiquer que la probabilité d’observer un écart important entre

le prix moyen des services en délégation et le prix moyen des régies augmente lorsque l’on

se trouve dans des départements où la concentration est forte. Ce résultat est davantage

visible si on regroupe les informations du diagramme dans le tableau 6 :

Tableau 6 : écart entre le prix des moyen des délégations et le prix moyen des régies selon l’indice d’Herfindhal

Herfindhal < 50% ( 21 départements) Herfindhal >50% (20 départements)

Ecart de prix Nombre de départements Ecart de prix Nombre de départements Négatif ou <20 euros 7 Négatif ou <20 euros 6

Entre 20 et 40 euros 10 Entre 20 et 40 euros 5

>40 euros 3 >40 euros 9

>60 euros 1 >60 euros 7

>80 euros 0 >80 euros 1

Ce tableau confirme que les écarts de prix les plus significatifs (supérieurs à 40

euros) ont une probabilité plus forte d’être observés dans les départements à indice de

concentration élevé (Herfindhal supérieur à 50%). En revanche, les écarts de prix les moins

importants (inférieurs à 40 euros) concernent principalement les départements à faible indice

d’Herfindhal. Par exemple, lorsque le Herfindhal est inférieur à 50%, on observe 17

départements avec un écart de prix inférieur à 40 euros contre 11 seulement lorsque le

Herfindhal est supérieur à 50% Enfin, une dernière statistique fait apparaître un écart de prix

moyen de l’ordre de 36,05 euros pour les départements avec un indice de concentration

inférieur à 50% contre 43,5 euros pour les 20 départements ayant la concentration la plus

forte, soit une différence de 7,5 euros.

Au total, au vu de cette analyse statistique, il est possible de déceler un lien entre

indice d’Herfindhal et prix de l’eau. On observe notamment que la probabilité d’avoir un

écart de prix important entre régie et délégation dans un département est d’autant plus forte

que la concentration du marché au sein de ce département est conséquente.

Il convient néanmoins de relativiser ce résultat pour plusieurs raisons. Tout d’abord,

le nombre d’observations dont nous disposons dans chaque département est limité (en

moyenne 37 tout mode organisationnel confondu). Ensuite, le département n’est pas

nécessairement la délimitation la plus pertinente lorsque l’on étudie la concurrence à un

niveau géographique. En effet, l’implantation des opérateurs en France s’est effectuée selon

Page 103: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

99

une logique de territoire comme l’illustre très bien la carte suivante établie pour le

département du Cher :

Toute la région Sud du département est dominée par le groupe Véolia (départements

en rouge et en jaune, la CEO, Compagnie des Eaux et de l’Ozone, étant l’une des filiales du

groupe) alors que la région Est est dominée par le groupe Saur. Les observations en blanc se

réfèrent aux communes qui ont opté pour la régie. Cette répartition des opérateurs en

« blocs » distincts s’observe également sur un plan national. La stratégie des firmes consiste

à étendre leur zone d’influence géographique. A ce titre, la concurrence a davantage de jouer

aux frontières des territoires des firmes. Or, cette frontière ne correspond pas forcément aux

limites administratives des départements. L’indice de concentration que nous avons calculé

n’est donc qu’une approximation de la concurrence « aux frontières ». Plus la concentration

est faible et les opérateurs nombreux dans un département, plus forte est la probabilité de

Page 104: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

100

trouver des communes situées à la frontière de la zone d’influence de deux ou plusieurs

opérateurs, et donc plus la concurrence ex-post est susceptible d’être efficace et donc, les

prix faibles. Enfin, le Herfindhal est biaisé dans le sens où il ne tient pas compte de la

concurrence potentielle entre mode organisationnels (régie et délégation). Or, dans certains

départements, notamment dans ceux où les régies sont nombreuses, c’est davantage la

concurrence entre modes d’exploitation qui est susceptible de faire baisser les prix. D’où la

nécessité de compléter le Herfindhal par notre deuxième indicateur de concurrence ex-post,

en l’occurence la proportion de la population dans chaque département desservie par une

exploitation en régie (variable CONCREGIE).

2.2.3. Concentration des régies et prix de l’eau

Notre échantillon possède également une bonne variabilité d’un département à l’autre

concernant l’importance de la population desservie par une exploitation en régie. Les

départements les plus pauvres en terme de présence des régies sont les Alpes-Maritimes, la

Dordogne, et la Gironde avec respectivement 5,52%, 6,75% et 7,09% de la population

concernée. A l’inverse, la Savoie, l’Ariège et le Cantal connaissent de très fortes

concentrations de régies (respectivement 80,64%, 88,23% et 89,12%).

En calculant le prix moyen de l’eau dans chaque département et en reliant ce prix à

l’indice de concentration des régies, nous obtenons le résultat retracé sur le graphique 4 (voir

page suivante). La courbe de tendance du diagramme précédent indique une baisse du prix

départemental moyen de l’eau pour des valeurs de plus en plus élevées de CONCREGIE.

Mais ce constat peut être imputable aussi bien à l’accroissement de la pression

concurrentielle entre modes organisationnels qu’à la diminution de la complexité des

services d’eau lorsque la concentration des régies dans une zone géographique déterminée

augmente.

Nous complétons cette statistique par une comparaison de l’évolution de l’écart de

prix entre régie et délégation avec la progression de CONCREGIE (graphique 5). Ce

diagramme confirme une tendance à la diminution de l’écart de prix entre régie et délégation

lorsque la concentration de régies dans le département augmente. Les écarts de prix les plus

faibles ont une probabilité plus forte de se trouver dans les départements où la concurrence

potentielle entre modes organisationnels est élevée.

Page 105: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

101

Graphique 4 : prix de l’eau selon le département (classés par ordre croissant de

CONCREGIE)

0

50

100

150

200

250

Sources : IFEN, DGS, agences de l 'Eau Rhône-M éditer ranée-Corse et Adour-Garonne

Graphique 5 : écart entre prix délégation et prix régie selon le département (classés par

ordre croissant de CONCREGIE)

-40

-20

0

20

40

60

80

100

Sources : IFEN, DGS, agences de l 'eau Rhône-M éditer ranée-Corse et Adour-Garonne

Page 106: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

102

A l’instar de l’indice d’Herfindhal, les mêmes critiques peuvent être formulées à

l’égard de la variable CONCREGIE. Toutefois, malgré leurs limites, ces premiers résultats

statistiques convergent vers une influence de nos indicateurs de concurrence ex-post sur

l’écart de prix entre la régie et la délégation. Néanmoins, d’autres facteurs pouvant

influencer le prix de l’eau et l’écart de prix entre modes d’exploitation ne sont pas pris en

compte ici. Il conviendra donc de revenir de façon plus approfondie sur cette question dans

la suite de ce travail.

2.3. Incitations à l’investissement en fin de contrat

2.3.1. Présentation des variables dépendantes

Le dernier volet empirique auquel nous nous intéressons a trait à la question du sous-

investissement des délégataires en fin de contrat. C’est un problème intéressant à la fois d’un

point de vue théorique qu’empirique, de nature à altérer l’efficacité des accords des PPP

(voir chapitre 1). La théorie des coûts de transaction soutient que l’entreprise est d’autant

moins incitée à engager des investissements spécifiques que la durée de vie des

infrastructures est faible par rapport à la durée du contrat. La probabilité que cela soit le cas

augmente pour les investissements réalisés à la fin du contrat. Pour parer à ce problème,

plusieurs solutions sont envisageables. L’une d’entre elles consiste pour la commune à

reprendre à sa charge une partie des investissements à la fin du contrat.

C’est ce comportement que nous souhaitons mettre en évidence à partir des

informations que nous avons recueillies sur le secteur français de l’eau50. Plus précisément,

notre but est de relier deux grandeurs : d’un côté, le poids des investissements réalisés par les

communes dans l’investissement total et de l’autre, l’échéance du contrat, c’est-à-dire le

nombre d’années restant entre 2001 (la date d’observation de nos données) et la fin du

contrat (variable ECHEANCE). Malheureusement, nous ne disposons pas de variables

mesurant directement les montants investis par les communes et les opérateurs. En revanche,

le prix de l’eau que nous observons comprend deux parties : une partie revient à l’exploitant

(variable PRIXDIST) qui s’en sert pour payer ses charges d’exploitation et amortir ses

investissements, l’autre partie revient à la commune (variable PRIXCOM) qui s’en sert pour

amortir les investissements entrepris par la commune. Ce prix est décidé chaque année par

délibération du conseil municipal en fonction des investissements financés par la commune. 50 Nous argumentons davantage sur les raisons théoriques et empiriques pouvant pousser les collectivités à opter pour cette solution dans le chapitre 6.

Page 107: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

103

Nous considérons deux proxies pour mesurer l’importance des investissements

publics dans le contrat : la première est le ratio entre le prix revenant à la commune et le prix

total qui représente l’addition du prix revenant au délégataire et du prix revenant à la

commune :

PARTCOM = PRIXCOM / (PRIXDIST + PRIXCOM)

Plus l’échéance du contrat est proche, plus la proportion des investissements pris en

charge par la commune devrait augmenter, et donc, plus la variable PARTCOM devrait

augmenter aussi. Cependant, cette proxy n’est pas entièrement satisfaisante dans la mesure

où le prix perçu par l’exploitant ne sert pas uniquement à financer ses investissements. C’est

pourquoi, afin de vérifier la robustesse de nos résultats, nous considérons comme deuxième

proxy la variable PRIXCOM. On s’attend à une corrélation négative entre PRIXCOM et

ECHEANCE. Autrement dit, lorsque l’échéance se rapproche, le prix de l’eau perçu par la

commune devrait augmenter si cette dernière se substitue à l’opérateur privé pour les

investissements spécifiques de fin de contrat.

2.3.2. Vérification de la pertinence de PARTCOM et PRIXCOM

Puisque nous ne disposons pas de mesure directe du montant des investissements

spécifiques pris en charge par les délégataires et par les communes, la validité de notre

analyse repose sur la pertinence des deux proxies que nous venons de définir et qui doivent

servir dans le chapitre 6 de variables dépendantes pour notre étude économétrique.

Dans cette perspective, nous partons du principe découlant de la théorie des coûts de

transaction selon lequel le contrat doit avoir une durée d’autant plus longue que le

délégataire prend à sa charge une partie importante des investissements spécifiques. Une

longue durée lui laisse le temps de pouvoir récupérer les montants qu’il a engagés dans la

relation contractuelle en évitant un risque de hold-up à court-terme de la commune. Dans les

services d’eau, la probabilité que le délégataire prenne à sa charge les investissements de

réseau (canalisations, stations de pompage, branchements etc.) très spécifiques et à durée de

vie élevés, augmente avec la durée de la délégation. Suivant ce principe, nous devrions

Page 108: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

104

observer une corrélation négative entre la durée du contrat, et les valeurs prises par nos deux

variables dépendantes. Cette intuition est confirmée si l’on se réfère aux graphiques 6 et 7 :

Graphique 6 : PARTCOM (en %) selon la durée du contrat

0

0,05

0,1

0,15

0,2

0,25

0,3

0,35

0,4

Entre 1 et 12ans

Entre 13 et15 ans

Entre 16 et20 ans

Entre 21 et30 ans

Plus de 30ans

Durée du contrat (en années)

Sources : IFEN et DGS 2001

Graphique 7 : PRIXCOM (en %) selon la durée du contrat

0

10

20

30

40

50

60

70

Entre 1 et 12ans

Entre 13 et 15ans

Entre 16 et 20ans

Entre 21 et 30ans

Plus de 30ans

Durée du contrat (en années)

Sources : IFEN et DGS 2001

Page 109: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

105

La part du prix de l’eau revenant à la commune (PARTCOM) et le prix de l’eau

revenant à la commune (PRIXCOM) augmentent tous deux lorsque la durée du contrat

baisse, ce qui est donc cohérent avec l’idée que des contrats plus courts augmentent le poids

des investissements spécifiques supportés par les communes et diminuent donc, en

contrepartie, celui supporté par les délégataires51.

Une deuxième façon de démontrer la pertinence de nos deux variables dépendantes

est de mettre en évidence l’impact de la loi Barnier [1995] sur leur évolution dans le temps.

Cette loi interdit désormais aux contrats d’eau et d’assainissement de dépasser 20 ans. La

conséquence de ce changement institutionnel a été une standardisation de la durée des

contrats à 12 ans comme le montre le graphique 8 :

Graphique 8 : durée moyenne et médiane du contrat en fonction de la date de signature

0

5

10

15

20

25

1988

1990

1992

1994

1996

1998

2000

Date de signature

Dur

ée

Durée moyenne ducontrat (en années)

Durée médiane ducontrat (en années)

Sources : IFEN et DGS 2001

L’éloignement de la date de signature par rapport à notre année d’observation (2001)

augmente de manière mécanique la durée du contrat. Plus le contrat observé est ancien, plus

il est long. Cependant, à compter de 1994, la durée médiane des contrats de stabilise à 12 ans

et après 1996, la durée moyenne s’établit à 11 ans environ. Les nouveaux contrats signés

étant de plus court terme, ils s’accompagnent généralement d’une augmentation du poids des

investissements spécifiques pris en charge par les communes. 51 On peut, de manière analogue, montrer graphiquement que la part du prix de l’eau revenant au délégataire et le prix de l’eau revenant au délégataire s’accroissent lorsque la durée du contrat augmente.

Page 110: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

106

Cette stabilisation de la durée des contrats s’est logiquement accompagnée d’une

stabilisation de nos variables dépendantes PARTCOM et PRIXCOM après 1995 :

Graphique 9 : part communale moyenne (PARTCOM) en fonction de la date de

signature du contrat

0

0,05

0,1

0,15

0,2

0,25

0,3

0,35

0,4

1988

1989

1990

1991

1992

1993

1994

1995

1996

1997

1998

1999

2000

2001

Date de signature

Sources : IFEN et DGS 2001

Graphique 10 : prix communal moyen (PRIXCOM) en fonction de la date de signature

du contrat

0

10

20

30

40

50

60

70

1988

1989

1990

1991

1992

1993

1994

1995

1996

1997

1998

1999

2000

2001

Date de signature

Sources : IFEN et DGS 2001

Page 111: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

107

Comme l’on s’y attendait, les valeurs moyennes de PARTCOM et PRIXCOM

augmentent progressivement pour des dates de signature de plus en plus récentes et jusqu’en

1995. A compter de cette année, la part communale moyenne se stabilise entre 30% et 35%

et le prix communal moyen, entre 50 et 60 euros, avec la standardisation de la durée des

contrats.

Pour finir, nous pouvons noter que les statistiques du rapport Saussier et al [2004] sur

la répartition des investissements entre délégataires et délégants appuient la validité de notre

argumentation. Ce rapport montre, à partir d’un échantillon de 73 contrats de distribution

d’eau, que moins de 20% des accords passés entre 1999 et 2000 laissent la responsabilité du

renouvellement des canalisations à la charge du délégataire. Ce pourcentage dépasse 40%

pour les contrats signés avant 1982. Il semble donc, au vu des résultats de ce rapport et des

graphiques précédents, que la faible durée des nouveaux contrats n’incite plus les

délégataires à entreprendre de lourdes dépenses dans des infrastructures de réseau

idiosyncrasiques à très longue durée de vie.

Au total, cette longue analyse statistique converge vers l’idée que le poids des

investissements publics dans le service est d’autant plus fort que la durée du contrat est

faible. Elle confirme donc la robustesse de nos deux variables dépendantes pour expliquer

l’importance des investissements spécifiques pris en charge par les communes.

2.3.3. Investissement public et échéance du contrat

Notre objectif est de vérifier l’existence d’un lien entre le poids des investissements

pris en charge par les communes et l’échéance du contrat. Plus le contrat s’approche de son

terme, moins les délégataires devraient être incités à investir, obligeant alors les communes à

s’impliquer davantage dans leur service d’eau. Nous tentons dans un premier temps de

vérifier l’existence de ce lien au moyen de simples statistiques descriptives.

Le graphique 11 (voir page suivante) est peu convaincant : la part du prix de l’eau

revenant à la commune n’augmente pas avec l’arrivée à terme du contrat. Cependant, nous

savons que notre base de données est hétérogène et comprend aussi bien des communes dans

lesquelles les investissements spécifiques pris en charge par les opérateurs sont faibles que

Page 112: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

108

des communes où ces investissements sont élevés. Une façon simple de discriminer entre les

communes est encore une fois de faire appel à la durée des contrats.

Graphique 11 : part communale moyenne et échéance du contrat

0

0,05

0,1

0,15

0,2

0,25

0,3

0,35

0,4

0 an 1 an 2ans

3ans

4ans

5ans

6ans

7ans

8ans

9ans

10ans

11ans

De12 à15ans

16anset +

Echeance

Sources : IFEN et DGS 2001

Nous scindons donc notre échantillon en deux groupes, l’un prenant en compte les

délégations ayant une durée de contrat supérieure à 15 ans (792 observations), et l’autre les

durées inférieures ou égales à 15 ans (1123 observations). Notre raisonnement est le suivant :

ce sont avant tout les engagements dans lesquels le poids de l’investissement privé est

important (durée longue) qui devraient connaître une accélération des investissements

publics dans les dernières années du contrat.

Les deux graphiques suivants retracent l’évolution de PARTCOM et PRIXCOM

avec l’échéance du contrat pour les communes ayant signé un contrat d’une durée supérieure

à 15 ans :

Page 113: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

109

Graphique 12 : part communale (PARTCOM) et échéance du contrat : durées de

contrat > 15 ans uniquement

0

0,05

0,1

0,15

0,2

0,25

0,3

0,35

0,4

Moins de2 ans

Entre 2 et3 ans

Entre 4 et5 ans

Entre 6 et8 ans

Entre 9 et11 ans

Entre 12et 16 ans

Plus de16 ans

Echéance du contrat

Sources : IFEN et DGS 2001

Graphique 13 : prix communal (PRIXCOM) et échéance du contrat : durées de contrat

> 15 ans uniquement

0

10

20

30

40

50

60

70

Moins de2 ans

Entre 2 et3 ans

Entre 4 et5 ans

Entre 6 et8 ans

Entre 9 et11 ans

Entre 12et 16 ans

Plus de16 ans

Echéance du contrat

Sources : IFEN et DGS 2001

Page 114: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

110

Le lien décroissant entre nos deux variables dépendantes et l’échéance du contrat est

à présent très net. Ce résultat indique que les investissements publics augmentent en fin de

délégation pour les services d’eaux dans lesquels le poids des investissements privés est

important (durée supérieure à 15 ans)52. Il semble donc que l’investissement public se

substitue à l’investissement privé à mesure que la fin du contrat approche. Ce résultat

statistique est encourageant mais demande à être vérifié dans le cadre d’une étude

économétrique prenant en compte un plus grand nombre de variables explicatives. Ce travail

fera l’objet du chapitre 6.

CONCLUSION

Dans ce chapitre, nous nous sommes consacrés à la description des principales

variables composant notre base de données. L’ensemble des informations obtenues grâce aux

organismes publics précédemment cités nous ont permis de construire différentes variables

pour les besoins de notre étude. La description détaillée des variables est donnée dans le

tableau 753 (voir page suivante). Quand cela est possible, les moyennes et écart-types sont

calculés à la fois pour l’échantillon global (3649 observations) et pour l’échantillon réduit

(1066 observations). Le tableau suggère des différences de moyennes peu significatives entre

l’échantillon global et l’échantillon réduit pour la grande majorité des variables.

Nous avons ensuite mené une analyse statistique préliminaire sur certaines d’entre

elles. Une attention particulière a été portée au lien entre prix de l’eau, qualité du réseau et

concurrence ex-post. Enfin, nous avons pu mettre en évidence un lien statistique entre

l’échéance du contrat et l’importance des investissements publics dans le réseau.

Le travail qui va suivre s’appuie en grande partie sur les éléments fournis dans ces

deux premières parties afin de mener à bien une analyse de l’efficacité du franchise bidding

dans le secteur français de l’eau. Trois axes de réflexion sont développés : l’impact de la

complexité du service et de la concurrence ex-post sur le prix, les incitations de l’exploitant à

investir en fin de contrat et les problèmes de collusion entre les candidats lors de la mise en

concurrence du marché.

52 De la même façon, on peut faire apparaître un lien croissant entre PRIXDIST et l’échéance du contrat pour les communes ayant signé un engagement supérieur à 15 ans avec leur délégataire. 53 Nous reviendrons plus longuement par la suite sur la logique de construction de certaines de ces variables.

Page 115: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

111

Tableau 7 : description des variables utilisées

NOM DES VARIABLES

DESCRIPTION Moyenne

(base globale)

Ecart-type (base

globale)

Moyenne (base

réduite)

Ecart-type (base

réduite)

PRIX Prix de l'eau pour 120m3 consommés hors taxe

(Abonnement + partie variable + entretien et location du compteur)

149,61 45,27 146,83 48,44

PRIXDIST Prix de l'eau pour 120m3 consommés hors taxe

(Abonnement + partie variable + entretien et location du compteur) : partie distributeur

109,69 48,84 103,31 43,08

PRIXCOM Prix de l'eau pour 120m3 consommés hors taxe

(Abonnement + partie variable + entretien et location du compteur) : partie communale

67,71 58,61 79,21 47,75

PARTDIST Obtenu par le ratio : Prix distrib / Prix 0,53 0,386 0,43 0,346 PARTCOM Obtenu par le ratio : Prix collect / Prix 0,47 0,386 0,57 0,346

REGIE Vaut 1 si la commune est en régie 0,31 0,463 0,37 0,483 GERANCE Vaut 1 si la commune est en gérance 0,04 0,199 - -

REGIE INTERESSEE Vaut 1 si la commune est en régie intéressée 0,04 0,181 - - AFFERMAGE Vaut 1 si la commune est en affermage 0,57 0,495 0,63 0,483 CONCESSION Vaut 1 si la commune est en concession 0,04 0,207 - -

SANS DESINF Vaut 1 si l'eau distribuée sur la commune ne nécessite aucun traitement 0,01 0,096 0,01 0,101

TRAITA1 Vaut 1 si l'eau desservant la commune nécessite exclusivement un traitement de type A1 0,55 0,497 0,59 0,492

TRAITA2 Vaut 1 si l'eau desservant la commune nécessite exclusivement un traitement de type A2 0,16 0,369 0,2 0,397

TRAITA3 Vaut 1 si l'eau desservant la commune nécessite exclusivement un traitement de type A3 0,18 0,387 0,11 0,319

TRAITMIX Vaut 1 si l'eau desservant la commune nécessite plusieurs types de traitement sans traitement de type A3 0,05 0,209 0,03 0,157

TRAITMIXA3 Vaut 1 si l'eau desservant la commune nécessite plusieurs types de traitement dont au moins un traitement de type A3 0,05 0,218 0,06 0,247

SOUTERRAIN Vaut 1 si l'eau captée est d'origine souterraine 0,65 0,476 0,66 0,473 SURFACE Vaut 1 si l'eau captée est d'origine superficielle 0,15 0,354 0,15 0,357

MIXTE Vaut 1 si l'eau captée est d'origine mixte (superficielle et souterraine) 0,2 0,4 0,19 0,39

RATIO INDEP Obtenu par le ratio : volume d'eau produit / (volume d'eau produit + volume d'eau importé) 0,91 0,201 0,91 0,197

TOURISTIQUE Vaut 1 si la commune a une activité touristique importante 0,12 0,32 0,186 0,389

LONGRES Longueur du réseau hors branchement (en km) 65,79 115,3 60,35 76,15

DENSITE ratio (LONGRES / population de la commune au recensement de 1999)*1000 22,75 36,56 30,31 53,808

PROGINV Vaut 1 s'il existe un programme d'investissement dans la commune 0,65 0,47 0,61 0,486

REMPLACEMENT Longueur de tuyau mise en place pour remplacement du réseau (en km) 0,53 1,2 0,43 0,83

EXTENSION Longueur de tuyau mise en place pour extension du réseau (en km) 0,45 1,68 0,42 1,07

TAUX DE PERTES Volume d'eau perdu sur le réseau / Longueur du réseau (en km) 7,55 8,48 7,71 8,69

INTERCOMMUNAL Vaut 1 si la commune fait partie d'une structure intercommunale 0,67 0,46 0,62 0,483

Page 116: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

112

POPULATION Population de la commune au recensement de 1999 9219,35 42094,94 5637,06 11524,97 POPULATION2 Carré de POPULATION

NBCOMGPT Nombre de communes composant le groupement

intercommunal (vaut 0 si la commune ne fait partie d'aucun groupement)

31,89 81,08 18,99 53,66

NBCOMGPT2 Carré de NBCOMGPT

POPGPT Population du groupement intercommunal (Vaut 0 si la commune ne fait partie d'aucun groupement) 213503 749775 31815,1 112805

POPGPT2 Carré de POPGPT

ASSAINISSEMENT Vaut 1 si le contrat d'assainissement a été signé la même année que le contrat de distribution d'eau 0,415 0,492 0,39 0,489

GAU95 Pourcentage des électeurs inscrits votant à gauche aux présidentielles de 1995 0,316 0,0797 0,33 0,078

GAU02 Pourcentage des électeurs inscrits votant à gauche aux présidentielles de 2002 0,278 0,063 0,28 0,061

GAUCHE GAU95 * GAU02 0,0927 0,041 0,097 0,044 APRES93 Vaut 1 si le contrat a été signé après 1993 - - 0,33 0,471

ECHEANCE Nombre d'années restant à courir entre l'année 2001 et l'année de fin du contrat - - 4,75 5,1

VEOLIA Vaut 1 si la compagnie desservant la commune est Véolia (ex CGE) ou une de ses filiales - - 0,18 0,384

SUEZ Vaut 1 si la compagnie desservant la commune est Suez-Lyonnaise des Eaux ou une de ses filiales - - 0,14 0,35

SUEZ-VEOLIA Vaut 1 si la compagnie desservant la commune est une filiale commune Suez-Véolia - - 0,04 0,192

SAUR Vaut 1 si la compagnie desservant la commune est la Saur ou une de ses filiales - - 0,18 0,383

INDEPENDANTS Vaut 1 si la compagnie desservant la commune est un opérateur indépendant - - 0,09 0,283

HERFINDHAL Indice de Herfindhal de concentration départementale des opérateurs - - 0,46 0,147

CONCREGIE Pourcentage de la population d'un département desservie en eau par une régie - - 32,57 22,42

Page 117: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

113

PARTIE 3 : ANALYSE DE L’EFFICACITE DES ACCORDS DE FRANCHISE BIDDING

Page 118: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

114

CHAPITRE 5 : PPP, CONCURRENCE ET PRIX : UNE ANALYSE A

PARTIR DU SECTEUR DE L’EAU EN FRANCE 54

Depuis le programme de privatisation lancé par la Grande-Bretagne dans les années

1980, on observe un intérêt croissant de la littérature économique pour les questions

d’arrangements organisationnels alternatifs pour la fourniture de services publics en

monopole naturel : quel doit être le niveau optimal d’implication des opérateurs privés dans

ces secteurs ? Si la propriété des infrastructures est transférée de l’autorité publique vers un

exploitant privé, l’efficacité dans l’organisation du service peut alors être améliorée, en

protégeant davantage le service des interférences politiques nuisibles (voir Boyco, Shleifer et

Vishny [1996] pour un modèle, ainsi que Vickers et Yarrow [1991] et Vining et Boardman

[1992] pour une discussion plus générale sur ce débat). Les meilleures incitations engendrées

par la privatisation conduisent à des coûts et à des prix plus faibles, à une meilleure qualité

des prestations et à une stimulation des innovations lorsque les opérateurs privés évoluent en

environnement concurrentiel. Cependant, la littérature empirique conclue de manière

générale à une absence d’effet de la privatisation des services publics sur les performances

lorsque les opérateurs sont soumis à une pression concurrentielle insuffisante. Ce constat est

particulièrement vrai dans le domaine de l’eau (voir par exemple Saal et Parker [2000],

Estache et Rossi [2002], Wallsten et Kosec [2005]). Le caractère monopolistique de ce

secteur crée des barrières à l’entrée et empêche une concurrence efficace entre plusieurs

producteurs sur le marché.

Dans ce contexte, la mise en place d’accords de franchise bidding peut constituer une

alternative crédible à la privatisation intégrale du service. Il existe en effet une grande variété

d’arrangements organisationnels entre une fourniture totalement publique et la privatisation

complète. Ces arrangements diffèrent dans la manière dont sont alloués les pouvoirs de

décision, les risques et les revenus entre l’autorité publique et l’opérateur privé. Il se peut

que dans certains cas, cette organisation hybride domine les formes polaires de

54 Les idées exposées dans ce chapitre se basent essentiellement sur les développements de deux articles :

• Stéphane Saussier, Eshien Chong, Freddy Huet et Faye Steiner : “Public-Private Partnerships and Prices : Evidence from Water Distribution in France”, Review of Industrial Organization, vol. 29, numéros 1 et 2, 2006.

• Stéphane Saussier, Eshien Chong et Freddy Huet : “Auctions, Ex-Post Competition and Prices”, Annals of Public and Cooperative Economics, à paraître, décembre 2006.

Page 119: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

115

nationalisation ou de privatisation intégrales et permette la minimisation des coûts de

production. L’avantage du recours au franchise bidding réside en effet dans la remise en

cause périodique du service permettant de créer une pression concurrentielle sur les

opérateurs privés pour l’accession au marché. Cette solution est néanmoins critiquable. Dans

les industries de réseau en monopole naturel, la contractualisation de long terme peut

s’avérer être un choix organisationnel coûteux, comme l’illustre le vieux débat sur

l’efficacité de ce type d’arrangements (Demsetz [1968], Goldberg [1976], Williamson

[1976]).

La littérature a depuis avancé dans la compréhension des paramètres conditionnant

l’efficacité des contrats de franchise bidding (voir par exemple Hart, Shleifer et Vichny

[1997], Hart [2003], Williamson [1999], Harstad et Crew [1999]). Cependant, très peu

d’études empiriques ont proposé de mesurer l’incidence de l’utilisation du franchise bidding

sur l’efficacité dans la fourniture du service public.

Dans ce chapitre, notre objectif est d’utiliser les développements théoriques présentés

en première partie afin de spécifier un modèle que nous appliquons au secteur français de

l’eau à partir de la base de données décrite de façon exhaustive dans le chapitre 4. Nous

explorons le lien entre mode d’organisation et efficacité dans l’approvisionnement en eau.

Pour cela, nous procédons en deux phases. Dans un premier temps, nous étudions ce lien à

partir de notre base étendue de 3649 communes, en tenant compte notamment du caractère

endogène du choix organisationnel. Il existe peu de travaux qui traitent de la question de

l’efficacité des choix organisationnels dans le secteur de l’eau avec une prise en

considération du caractère endogène de ces choix. Les rares études existantes (Boyer et

Garcia [2004], Carpentier et al [2005]) ne concluent pas clairement en faveur de l’efficacité

d’un mode organisationnel par rapport à un autre. Notre travail cherche à confirmer ou

infirmer les résultats obtenus par ces précédentes études en appliquant une méthodologie

économétrique différente. Une confirmation de ces résultats suggèrerait que les conclusions

des études empiriques concernant l’absence d’effets de la privatisation sur les performances

dans le secteur de l’eau s’appliquent également dans le cas de l’utilisation d’accords de

franchise bidding.

Cependant, notre étude se démarque des autres travaux effectués jusqu’à présent par

la prise en compte d’indicateurs de concurrence ex-post, à la fois entre opérateurs (échéance

Page 120: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

116

du contrat et indice départemental d’Herfindhal) et entre modes organisationnels (indice

départemental de concentration des régies55). L’introduction de ces indicateurs restreint le

nombre d’observations de notre échantillon à 1066 communes. Nous nous focalisons dans un

deuxième temps sur cette base réduite en étudiant l’influence de la concurrence ex-post à la

fois sur les prix observés, et sur les performances comparatives des régies et des délégations.

Ce travail n’a, à notre connaissance, jamais été fait auparavant.

SECTION 1. PPP et performances des services d’eau

Nous cherchons dans un premier temps à comparer les performances des services en

exploitation publique (régie directe) avec celles obtenues par les communes ayant décidé de

faire appel à une entreprise privée, via une procédure de mise en concurrence à partir de

notre base élargie de 3649 observations. Mais auparavant, nous procédons à quelques

rappels sur les principales difficultés survenant lors de la mise en place d’accords de

franchise bidding ainsi que sur certaines caractéristiques institutionnelles et contractuelles de

l’industrie française de l’eau pouvant permettre de surmonter ces problèmes.

1.1. Les problèmes potentiels liés à l’utilisation des accords de franchise bidding

La littérature sur l’économie de la régulation a montré que l’intervention d’un

régulateur pour contrôler les prix pratiqués par les opérateurs privés dans des services

publics en situation de monopole naturel pouvait avoir comme conséquence de remplacer les

défaillances de marché par une régulation inefficace et coûteuse. C’est dans cet esprit que

Demsetz [1968] avance l’idée que la concurrence sur le marché qui est impossible dans ces

secteurs, peut être remplacée par une concurrence pour le marché, via la signature de

contrats de long terme. Cette manière d’organiser la fourniture du service public peut

conduire à une allocation efficace des ressources en évitant les dérives tarifaires du

monopole. Cette idée, quoique séduisante, a pourtant été remise en cause par la suite.

L’analyse de Williamson [1976] a mis en évidence de nombreux obstacles pouvant

empêcher la proposition de Demsetz de fonctionner correctement dans la pratique.

L’organisation de la concurrence pour le marché se heurte à plusieurs difficultés, le monde

55 Le rapport de Carpentier et al [2005] utilise un indice de concentration de régies semblable à celui que nous avons décrit dans le chapitre 3. Cependant, à l’inverse de Carpentier et al qui ne disposent du mode organisationnel que pour quelques dizaines de communes dans chaque département, nous utilisons la totalité des communes de chaque département pour le calcul de l’indicateur de concentration.

Page 121: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

117

est loin d’être statique et les coûts de transaction rendent les contrats nécessairement

incomplets. Enfin, il est généralement coûteux pour l’autorité publique de changer de

partenaire une fois le contrat signé, ce qui la rend vulnérable à un comportement

opportuniste de l’entreprise privée pendant l’exécution du contrat.

Un des problèmes majeurs de l’autorité publique est d’organiser la mise en

concurrence de façon à ce que ce soit l’entreprise la plus efficace techniquement qui

remporte le marché. Cette tâche peut s’avérer difficile car le processus de sélection peut être

compliqué. Notamment, la complexité du service peut obliger l’autorité publique à spécifier,

non pas un prix unique, mais un vecteur de prix pour différents types de consommateurs, et

des niveaux différents de qualité. De plus, si les opérateurs sont sélectionnés selon la règle

du moins-disant (celui proposant le prix le plus faible remporte le marché), les autorités

publiques sont vulnérables au risque de « malédiction du vainqueur » : la meilleure offre

peut venir de l’opérateur qui a, de manière non intentionnelle, sous-estimé les coûts de

production ou surestimé les revenus futurs. Cependant, l’autorité publique peut aussi être

victime d’enchères agressives car certains concurrents peuvent délibérément proposer des

prix avantageux (en étant exagérément optimistes concernant les conditions futures

d’exploitation) de façon à être assurés de remporter le marché et à provoquer par la suite des

renégociations avec une autorité publique « captive ».

Mais les renégociations peuvent aussi être rendus nécessaires par des changements

imprévisibles des conditions d’exploitation en cours de contrat. L’incertitude

environnementale oblige alors les agents à trouver des mécanismes d’adaptation du contrat.

A cet égard, l’autorité publique et l’opérateur privé peuvent tenter d’écrire un contrat

contingent complet ou établir un processus de révision périodique des prix (Athias et

Saussier [2005], Bajari, Tadelis et McMillan [2005]). Quelle que soit l’approche choisie,

lorsque l’incertitude environnementale devient importante, la relation entre l’opérateur et

l’autorité publique tend de plus vers une relation de type régulateur-régulé que la

concurrence pour le marché et le contrat sont justement sensés éviter.

Pendant l’exécution du contrat, l’autorité publique doit faire face à des coûts élevés

dans le cas où elle souhaiterait changer de fournisseur si ce dernier n’est pas suffisamment

performant. Ces coûts sont notamment politiques (difficile acceptation par les administrés de

l’échec du contrat), et sont relatifs aux problèmes d’interruption du service et de réduction

Page 122: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

118

des incitations à l’investissement (l’opérateur peut craindre d’être évincé avant le terme du

contrat). L’impossibilité de remplacer sans coût l’entreprise en place augmente le pouvoir de

négociation de cette dernière qui peut alors en profiter pour obtenir des renégociations

opportunistes en cours d’exécution (augmentation des prix, diminution des exigences de

qualité).

Enfin, lors du renouvellement du contrat, l’opérateur ayant remporté la première

enchère est en position de force en raison de la transformation fondamentale. Les actifs

spécifiques humains qu’il a développés en cours de contrat lui procurent un avantage

souvent décisif sur ses concurrents. En outre, l’opérateur en place dispose généralement

d’une meilleure information que ses concurrents sur les coûts du service et l’état des

infrastructures, ce qui, là encore, crée d’importantes barrières à l’entrée pour les entreprises

alternatives.

Cette critique de la théorie des coûts de transaction du mécanisme préconisé par

Demsetz a prévalu dans la littérature (Littlechild [2002]) même si certains arguments

avancés par ce courant (notamment concernant les risques d’opportunisme de l’opérateur)

ont été réfutés empiriquement (Zupan [1989a, b], Prager [1990]).

1.2. Les solutions contractuelles et institutionnelles

Les difficultés pouvant survenir lors de la mise en place d’accords de franchise

bidding ne sont pas nécessairement insurmontables. Des solutions contractuelles ou

institutionnelles peuvent exister et contribuer à diminuer suffisamment les coûts de

transaction pour que le franchise bidding reste, dans certains cas, la solution

organisationnelle la plus efficace pour la fourniture du service public.

Dans l’industrie française de l’eau, le choix organisationnel de l’autorité publique

locale est ancré dans un cadre institutionnel qui lui donne un pouvoir de négociation accru,

notamment grâce au principe de l’intuitu personae et aux prérogatives que lui confèrent les

contrats administratifs. Ces règles spécifiques peuvent améliorer l’efficacité du franchise

bidding, aussi bien au moment de la sélection de l’opérateur que lors de l’exécution du

contrat.

Page 123: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

119

1.2.1. Négociation et concurrence pour le marché : le principe de l’intuitu personae

Dans le cas où le mode d’exploitation choisi par la collectivité est la régie intéressée,

l’affermage ou la concession, l’autorité publique sélectionne l’opérateur suivant une

procédure à deux étapes. Tout d’abord, elle lance une invitation à soumettre une offre qui est

ouverte à tous les opérateurs intéressés. Ensuite, vient une phase de négociation entre

l’autorité publique et une ou plusieurs entreprises qu’elle aura présélectionné. A la fin de la

négociation, l’autorité publique choisit son partenaire final pour toute la durée du contrat.

Ce processus n’oblige pas les collectivités à une mise en concurrence stricte. En

l’occurrence, l’autorité publique n’est pas légalement contrainte de révéler les critères sur

lesquels elle a présélectionné les candidats lors de la première phase, ni les raisons du choix

de l’opérateur final. Sa marge de manœuvre dans le choix du délégataire est donc très

grande. Une telle latitude donnée aux collectivités a pour inconvénient de faciliter la

collusion parmi les opérateurs ou entre l’autorité publique et les opérateurs. Cependant, cette

liberté de décision possède aussi des avantages. En particulier, elle peut inciter certains

opérateurs qui manquent d’informations sur les critères de sélection de l’autorité publique à

soumettre une offre qui corresponde à la valorisation qu’ils font du service public. De plus,

la négociation peut être un moyen de réduire les coûts de transaction ex-post dans le cas de

contrats complexes pour lesquels des renégociations sont inévitables, ce qui peut contribuer

à améliorer leur efficacité (Bajari, Tadelis et McMillan [2005])56. Au total, l’incidence de

l’intuitu personae sur l’efficacité des contrats de franchise bidding et donc, sur les

performances dans la distribution de l’eau demeure une question empirique.

1.2.2. Délégation de services publics et contrats administratifs

En France, les contrats signés entre les collectivités et les opérateurs privés sont des

contrats administratifs. A ce titre, la collectivité dispose de pouvoirs spécifiques qui lui

permettent de modifier unilatéralement les termes du contrat initial. La modification doit être

justifiée par un motif d’intérêt général et s’accompagner du versement d’une indemnité au

délégataire. Cependant, la décision de l’autorité publique a la propriété d’être exécutoire,

c’est-à-dire qu’elle s’applique sans délai. Par conséquent, en cas de conflit, l’opérateur doit

d’abord satisfaire les exigences de la collectivité avant de déposer un recours devant le

56 Bien sûr, la sélection de l’opérateur au terme d’une négociation sur critères subjectifs ne peut être efficace qu’en l’absence de corruption.

Page 124: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

120

tribunal administratif. Même si les collectivités utilisent relativement peu souvent ce

pouvoir, il peut néanmoins constituer un moyen de dissuasion des comportements

opportunistes de l’entreprise (Defeuilley [1999]).

D’autres facteurs peuvent contribuer à atténuer les risques d’opportunisme de

l’entreprise. En particulier, les renégociations entraînant une modification excessive du prix

de l’eau et des ressources du délégataire sont juridiquement fragiles et peuvent avoir pour

conséquence l’annulation du contrat par le tribunal administratif. L’autorité publique est

alors tenue de recommencer une nouvelle procédure de délégation de services publics57.

Enfin, dans le secteur de l’eau, certaines dimensions des prestations fournies par le

délégataire sont facilement observables. En l’occurrence, ce dernier ne peut pas tricher sur la

qualité de l’eau distribuée. L’Union européenne a défini plus de 60 paramètres de qualité que

l’eau doit respecter pour pouvoir être considérée comme potable. Des contrôles sont

effectués régulièrement auprès des communes par les Directions Départementales des

Affaires Sanitaires et Sociales (DDASS).

Les prérogatives spécifiques prévues par les contrats administratifs français

combinées à des contrôles drastiques de la qualité de l’eau peuvent donc contribuer à

dissuader les comportements opportunistes des opérateurs. Cependant, d’autres arguments

peuvent également laisser penser que les marges de manœuvre de l’entreprise pour trouver

des stratagèmes destinées à augmenter ses revenus restent grandes. En particulier, les risques

de collusion entre opérateurs, le manque de contrôle des collectivités sur l’activité des

délégataires, les difficultés qu’éprouvent les collectivités pour faire appliquer les sanctions

prévues dans le contrat, l’avantage du délégataire en place lors du renouvellement, sont

autant de facteurs qui augmentent les coûts du franchise bidding dans l’industrie française de

l’eau, que ce soit lors de mise en concurrence que pendant de l’exécution du contrat.

Par conséquent, le débat théorique sur l’efficacité du franchise bidding pour le

secteur de l’approvisionnement en eau reste ouvert. Notre but est d’analyser cette question

d’un point de vue empirique en comparant le prix pratiqué par les services en régie avec les

prix observés dans les municipalités qui ont opté pour l’exploitation privée à travers un

57 Loi Sapin [1993]. Cependant, nous n’avons aucune indication sur la fréquence d’utilisation de cette règle dans la pratique.

Page 125: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

121

contrat de marché public (gérance) ou une délégation de service public. Dans la section

suivante, nous développons notre analyse empirique en détaillant la méthode économétrique

utilisée pour la prise en compte du caractère endogène du choix organisationnel par la

commune.

SECTION 2. L’efficacité des PPP pour la distribution de l’eau en France : une analyse

empirique

2.1. Le modèle empirique

Nous cherchons à mesurer l’impact du choix organisationnel sur les performances

mesurées à partir des prix tarifés au consommateur. Nous commençons en régressant par les

moindres carrés ordinaires le prix sur une série de variables indicatrices représentant les

choix organisationnels ainsi que sur un certain nombre de facteurs exogènes pouvant

expliquer les variations du prix de l’eau d’une commune à l’autre :

uXDp ++= βδ avec ( )Σ,0~u (1)

Dans cette équation, p représente le prix de l’eau, D est une matrice de variables

indicatrices pour chaque mode d’organisation, X est une matrice de variables exogènes, et u

est un terme d’erreur hétéroscedastique. Le vecteur δ donne le prix moyen pour chaque

mode d’exploitation (allant de la régie à la concession).

Un problème économétrique se pose ici dans la mesure où le choix du mode

organisationnel par l’autorité publique est endogène. En particulier, il peut exister, à travers

les communes, de l’hétérogénéité individuelle inobservée par l’économètre, mais corrélée

avec le choix organisationnel et la performance. Plus précisément, nous pensons que les

communes décident de déléguer leur service d’eau dans le cas où ce dernier a un caractère

complexe. Cependant, la complexité peut revêtir, en fonction du contexte local, de

nombreuses dimensions qui ne peuvent être captées par nos variables explicatives. Si c’est le

cas, on a alors ( ) 0/ ≠Ε Du . Il en résulte que les estimations par les moindres carrés

ordinaires (1) sont biaisées et donc, non convergentes. Les MCO pourraient conduire à sous-

estimer les performances atteintes par les entreprises privées dans la mesure où la décision

Page 126: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

122

des communes de déléguer n’est pas aléatoire, mais peut être justement liée à des conditions

d’exploitation difficiles justifiant a priori des prix plus élevés.

Afin de corriger le biais sur le vecteur δ, nous considérons un modèle de la décision

d’avoir recours ou non à un exploitant privé comme une fonction de X et de Z, Z représentant

une matrice de variables impactant sur le choix du mode organisationnel, mais pas sur le prix

de l’eau. :

p = δD + Xβ + u

D = Xα + Zγ + ν

{

Ici, D est un indicateur prenant la valeur 1 pour les contrats d’affermage et 0 pour les

communes en régie, les autres types de contrats n’étant pas retenus afin de simplifier

l’analyse58. L’équation D est normalisée par l’écart-type de ν, et nous supposons que (u ν

)’ est distribué selon une loi Normale bivariée avec une moyenne nulle et une matrice de

variance-covariance Γ =

1

2uvu σσ

.

La procédure de correction du biais s’effectue en deux étapes, selon une méthode

proposée par Barnow, Cain et Goldberger [1981]. Dans un premier temps, nous estimons la

relation (2) par un probit. Nous récupérons la valeur prédite par cette estimation (notée Z ).

Nous en déduisons une estimation de la corrélation entre u et ν par le terme suivant :

λ = )ˆ(1

)ˆ().1(

)ˆ(

)ˆ(.

Z

ZD

Z

ZD

Φ−−−

Φφφ

58 Voir la discussion à ce sujet dans la partie concernant le commentaire des résultats.

D =

1

0

si (2)

commune en affermage

commune en régie

Page 127: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

123

avec φ , la fonction de densité d’une loi normale et Φ la fonction répartition d’une loi

Normale.

Dans un deuxième temps, nous introduisons λ dans le modèle (1) que nous estimons par

les MCO robustes à l’hétéroscedasticité.

Cette procédure prend en compte le caractère endogène du choix organisationnel D et

permet d’obtenir des estimations non biaisées du coefficient δ qui représente alors le prix

moyen payé par les consommateurs dans les communes ayant choisi l’affermage. De plus,

elle nous permet de tester la présence effective d’endogénéité dans notre modèle et d’en

préciser le sens. Ainsi, une valeur positive pour λ indique une corrélation positive entre u

et ν et donc, que les raisons inobservables qui poussent les communes à déléguer impactent

positivement sur le prix, et donc, sur le coefficient δ dans une régression MCO standard.

Nous revenons à présent brièvement sur les données utilisées (décrites de façon

détaillée dans le chapitre 4) et sur les autres variables clés de notre travail, à savoir

l’indicateur de performance p, les choix organisationnels D et des variables exogènes

( )ZX .

2.2. Les données et variables utilisées

2.2.1. Prix de l’eau et mode d’organisation

Les données que nous utilisons sont issues d’une enquête de l’IFEN (Institut Français

de l’Environnement) et de la DGS (Direction Générale de la Santé) menée auprès d’un

échantillon de 5000 communes représentatives de l’ensemble des communes françaises en

2001. Dans un premier temps, notre analyse porte exclusivement sur la base étendue de 3649

observations présentée en détail dans le chapitre 4.

Notre but est de relier choix organisationnel et performances observées. L’indicateur

que nous considérons est le prix de l’eau (en euros) pour 120m3 d’eau consommés en 2001

(hors taxes et redevances). Nous pouvons commencer par une analyse simple du lien entre

choix organisationnel et prix moyen de l’eau observé en reprenant le tableau que nous avons

crée à cet effet dans le chapitre 4 :

Page 128: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

124

Tableau 1 : Choix organisationnel et prix

Prix en 2001 Choix organisationnel Moyenne Ecart-type Min Max N

Régie directe 124,96 33,34 50,6 252,2 1136

Gérance 171,24 12,34 74,21 202,26 124

Régie intéressée 201,14 48,36 84,51 317,36 152

Affermage 157,2 46,12 54,67 378,7 2073

Concession 160,24 30,05 100,17 339.23 164

Total 149,61 45,27 50,6 378,7 3649

Sources : IFEN et DGS. Les prix sont exprimés en euros pour 120m3 consommés

Si l’on se réfère à ce tableau, l’exploitation publique semble nettement plus

performante que les autres modes organisationnels. Par exemple, les services en affermage,

qui constitue le type de contrat le plus fréquent, paient leur eau en moyenne 32,24 euros plus

cher que les communes en régie. Cependant, de simples moyennes ne sont pas entièrement

satisfaisantes pour juger des différences de performance entre régie directe et exploitation

privée. De nombreux facteurs peuvent expliquer les variations du prix de l’eau d’une

commune à l’autre, sans pour autant refléter des différences d’efficacité dans l’exploitation

du service d’eau entre les communes. Il est important de prendre en compte ces facteurs pour

obtenir une comparaison plus fiable des performances entre modes d’exploitation.

2.2.2. Les variables exogènes (X)

Nous prenons en compte dans nos estimations une série de variables impactant sur les

coûts d'exploitation du service et donc sur le prix final payé par le consommateur. Tout

d'abord, le prix de l'eau peut varier d'une commune à l'autre en raison du coût du traitement

de l'eau. Nous intégrons donc dans nos régressions des variables mesurant le degré de

complexité du traitement (variables TRAITA2, TRAITA3, TRAITMIX , TRAITMIXA3 ).

Ces variables ne sont pas seulement des proxies pour la complexité du service, mais il s'agit

également d'une mesure de l'importance des actifs spécifiques nécessaires à l'exploitation du

service, une variable clé de l'approche par les coûts de transaction (Williamson [1999]).

Nous nous attendons à un accroissement des prix avec l'augmentation de la complexité des

types de traitement utilisés.

La variable SOUTERRAIN est utilisée pour contrôler l'origine de l'eau. La qualité

des eaux souterraines est en général meilleure et surtout plus stable dans le temps que les

eaux superficielles, réduisant d'autant l'incertitude sur l'évolution des types de traitement sur

Page 129: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

125

la durée de vie du contrat. On peut donc s'attendre à des prix plus faibles pour les communes

alimentées par des eaux puisées en sous-sol.

La variable RATIO INDEP reflète l'importance des importations de la commune

pour pouvoir satisfaire la demande locale. Cette variable vaut 1 si la commune est auto-

suffisante (importations d'eau d'autres communes nulle) et elle est d'autant plus faible que la

commune dépend fortement de l'extérieur pour l'approvisionnement de ses usagers en eau

potable.

Les communes situées dans des zones touristiques doivent surdimensionner leur

réseau (réservoirs, usines de traitement etc.) afin de répondre à la demande en période de

pointe (variable TOURISTIQUE). On s'attend donc à ce que ces communes pratiquent des

prix plus élevés que celles situées en zone non touristique.

Nous introduisons également une variable mesurant l'importance des économies

d'échelles au niveau de la distribution d'eau. Le prix de l'eau devrait d'autant plus s'accroître

que le linéaire par habitant, ou nombre de kilomètres de canalisations par habitant de la

commune (variable DENSITE) est important.

L'influence de l'intercommunalité sur le prix de l'eau est prise en compte par

plusieurs variables dans notre modèle. Le regroupement de communes au sein de structures

intercommunales peut avoir pour motif la réalisation d'économies d'échelles. Néanmoins, le

plus souvent, les communes s'allient lorsqu’elles cherchent à garantir une meilleure sécurité

dans l'approvisionnement en eau de leurs usagers, sans pour autant suivre une logique

d'efficacité. Or, lorsque le nombre de communes composant l'intercommunalité dépasse une

taille critique qui dépend des conditions locales d'exploitation, les dés-économies d'échelles

l'emportent sur les économies d'échelles, principalement en raison des coûts élevés du

transport de l'eau sur de longues distances et de la difficulté de maintenir sa qualité constante

pendant le transport (Garcia [2003]). Par conséquent, on peut s'attendre à ce que le prix de

l'eau augmente lorsque le nombre de communes composant la structure intercommunale

augmente (variable NBCOMGPT et son carré NBCOMGPT2). En outre, le seul fait pour

une commune d’appartenir à un groupement (variable INTERCOMMUNAL ) devrait avoir

pour conséquence d’augmenter le prix de l’eau dans cette commune dans la mesure où

l’intercommunalité est choisie lorsque le service possède des caractéristiques complexes.

Page 130: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

126

Nous incluons ensuite la variable POPULATION et son carré POPULATION2.

POPULATION correspond à la taille de la commune en nombre d’habitants. Cette variable

peut avoir un impact, à la fois sur les économies d’échelle et sur le pouvoir de négociation et

de contrôle d’une commune souhaitant déléguer sont service d’eau à une société privée. Les

communes de petite taille disposent souvent de peu de compétences, soit pour produire et

distribuer elle-même l’eau aux usagers, soit pour négocier et contrôler efficacement un

contrat de délégation avec un opérateur privé. De même, les entreprises privées sont en

général peu enclines à s’installer dans des communes de petite taille, ce qui limite fatalement

les possibilités de mise en concurrence de ces dernières59. En revanche, les capacités de

négociation et de contrôle des communes de grande taille sont meilleures et elles sont en

outre plus attractives aux yeux des opérateurs privés. Au total, on s’attend donc à ce que le

prix de l’eau soit d’autant plus élevé que la taille de la commune est importante. De la même

façon, nous incluons la variable POPGPT et son carré POPGPT2 qui prennent en compte la

taille de la population, mais cette fois-ci au niveau du groupement intercommunal60. On peut

avancer les mêmes arguments que pour la variable POPULATION pour expliquer le lien

entre POPGPT et le prix de l’eau (économies d’échelles, pouvoir de négociation, capacité de

contrôle). On s’attend donc à ce que le prix de l’eau soit d’autant plus faible que la

population composant la structure intercommunale est élevée.

Le prix de l’eau peut varier d’une commune à l’autre en fonction de l’effort

d’entretien du réseau. Moins le réseau est entretenu, plus les fuites sont nombreuses.

L’indice linéaire de pertes nettes du réseau (variable PERTES) nous sert à estimer l’état de

vétusté des canalisations (voir chapitre 4). Plus cet indice diminue, toutes choses égales par

ailleurs, plus les moyens techniques et humains mobilisés pour l’entretien du réseau sont

susceptibles d’être importants et donc, plus le prix de l’eau devrait augmenter.

Mais la qualité du réseau dépend aussi des efforts d’investissements de remplacement

réalisés par la commune et/ou le délégataire. Deux indicateurs sont introduits pour mesurer

ces efforts. La variable PROGINV nous informe si oui ou non il existe un programme de

renouvellement du réseau dans la commune. Ensuite, REMPLACEMENT nous renseigne

59 Ce facteur peut également entrer en ligne de compte dans la décision des petites communes de se regrouper au sein d’une structure intercommunale. 60 Afin de bien dissocier l’effet de la population communale sur le prix de celle de la population intercommunale, la variable POPGPT vaut 0 lorsque la commune ne fait partie d’aucun groupement.

Page 131: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

127

sur la longueur de tuyau (en km) mise en place pour remplacement du réseau en 2001. On

peut s’attendre à ce que le prix de l’eau augmente avec les efforts d’investissements de

remplacement sur la commune.

Le dynamisme démographique d’une commune conditionne la réalisation

d’investissements neufs. Dans nos estimations, nous prenons en compte ce facteur par la

variable EXTENSION qui mesure la longueur de tuyau (en km) mise en place pour

extension du réseau.

Enfin, nous introduisons des indicatrices départementales afin de contrôler les autres

facteurs pouvant influencer le prix de l’eau et mal prises en comptes par les autres variables

explicatives.

2.2.3. Les instruments : Z

Dans l’équation (2) se rapportant au choix organisationnel de notre modèle de

switching, nous devons incorporer au moins une variable n’apparaissant pas dans l’équation

de prix. Autrement dit, il nous faut trouver au moins une variable expliquant le choix

organisationnel de la collectivité, mais pas le prix de l’eau.

La délégation de services publics est utilisée dans d’autres beaucoup d’autres

domaines que celui de la distribution d’eau, comme par exemple l’assainissement, les

services funéraires, le traitement des déchets, ou encore le transport urbain. Certaines

communes sont, pour des raisons idéologiques ou historiques, plus ouvertes que d’autres à la

pratique de la délégation. De ce fait, les chances qu’une commune donnée choisisse

l’affermage comme mode d’exploitation pour la distribution d’eau augmentent lorsque l’on

observe qu’elle a choisi de faire appel à un exploitant privé pour d’autres types d’activités de

services publics relevant de sa compétence. Suivant ce raisonnement, nous avons crée la

variable indicatrice ASSAINISSEMENT qui vaut 1 si la commune a décidé de déléguer

l’exploitation de son service d’assainissement à opérateur privé, que ce soit par un contrat

d’affermage ou par tout autre type de contrat. Il n’y a a priori aucune raison pour que le

mode d’exploitation choisi pour l’assainissement ait un impact sur le prix de l’eau potable.

Cependant, si notre variable reflète bien la « sensibilité » des communes à la délégation, le

fait d’observer le recours à la gestion déléguée pour l’assainissement devrait impacter

Page 132: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

128

positivement sur la probabilité d’observer la gestion déléguée pour la distribution d’eau

potable.

Le choix organisationnel d’une commune peut également dépendre de sa couleur

politique. C’est ici que nous faisons intervenir la variable GAUCHE décrite dans le chapitre

4. Cette variable donne une estimation de l’importance de l’électorat de gauche pour chaque

commune de notre échantillon. Elle est calculée à partir des résultats du premier tour des

élections présidentielles de 1995 et 200261. Plus cette variable augmente, plus la probabilité

que la commune soit « ancrée » politiquement à gauche est importante, ce qui peut

influencer la décision des élus à rester en régie. On s’attend donc à un impact négatif de

GAUCHE sur la probabilité d’être en affermage. Bien sûr, ici encore, si la sensibilité

politique de la commune peut expliquer le choix du mode d’exploitation, elle n’est pas

directement corrélée aux performances, et donc, au prix de l’eau observé.

La construction de cet instrument sur la base des résultats observés pour les élections

présidentielles est critiquable dans le sens où la couleur politique d’une commune pourrait

être plus finement mesurée grâce aux résultats des élections municipales. Nous avons pu

obtenir les résultats des élections municipales de 2001 pour toutes les communes de plus de

5000 habitants, soit 571 observations. Le faible nombre de communes concernées, et les

problèmes de biais de sélection induits par une analyse des performances centrée sur les

seules communes de grande taille nous empêchent d’exploiter ces données dans le cadre de

ce travail. Néanmoins, nous les utilisons pour estimer la robustesse de notre instrument.

Le graphique 1 (page suivante) retrace, en abscisses, le pourcentage d’électeurs inscrits ayant

voté pour un candidat de gauche lors des élections municipales de 2001. En ordonnées, se

trouve la même variable, mais calculée pour les élections présidentielles de 2002. La

corrélation entre les deux variables est de 61%. En outre, le nuage de points ainsi que la

courbe de tendance indiquent clairement que les communes qui ont voté à gauche aux

élections municipales de 2001 ont également eu tendance à voter à gauche lors des

présidentielles de 2002. Ce constat n’est bien sûr valable que pour les communes de plus de

5000 habitants, et n’est donc pas représentatif de l’ensemble des communes de notre

61 Nous rappelons qu’il s’agit du produit entre le pourcentage d’électeurs inscrits ayant voté à gauche lors du premier tour des élections présidentielles de 1995 (GAUCHE95) et la même variable calculée pour 2002 (GAUCHE02).

Page 133: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

129

échantillon. Néanmoins, il nous donne une indication encourageante quant à la capacité de

notre instrument à mesurer la couleur politique des communes.

Graphique 1 : corrélation entre les résultats des élections municipales de 2001 et les

élections présidentielles de 2002

0

0,1

0,2

0,3

0,4

0,5

0,6

0,7

0,8

0 0,2 0,4 0,6 0,8 1

% d'inscrits votant à gauche (municipales 2001)

% d

'insc

rits

vota

nt à

gau

che

(pré

side

ntie

lles

2002

)

2.3. Les résultats

Les résultats des estimations économétriques sont synthétisés dans le tableau 2. La

première colonne représente une estimation MCO du prix de l’eau sur les variables exogènes

X à partir de notre base initiale de 3649 communes. Dans cette régression, nous ne

contrôlons pas l’endogénéité du choix organisationnel. Les coefficients estimés pour

GERANCE, REGIE INTERESSEE, AFFERMAGE et CONCESSION donnent la

variation du prix moyen payé par les consommateurs par rapport au prix moyen pratiqué par

les régies. La différence de prix entre régies et affermage est d’environ 26 euros en

moyenne.

Page 134: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

130

Tableau 2 : Estimations économétriques : choix organisationnel et performances (base

élargie)

Méthode d'estimation Modèle 1-MCO Modèle 2-MCO Modèle 3- Probit

Modèle 4-Estimation en 2

étapes (méthode Barnow et al

[1981])

Variable dépendante PRIX PRIX AFFERMAGE PRIX

GERANCE 22.755*** (4.179)

REGIE INTERESSEE 24.320*** (6.555)

AFFERMAGE 25.934*** 26.273*** 21.065*** (1.502) (1.520) (3.109)

CONCESSION 43.556*** (2.712)

TRAITA2 7.344*** 8.586*** 0.188+ 9.481*** (2.087) (2.198) (0.105) (2.234)

TRAITA3 5.603* 7.609** 0.572*** 8.286** (2.541) (2.787) (0.142) (2.908)

TRAITMIX 3.399 3.277 0.416* 6.419 (3.491) (3.841) (0.186) (4.023)

TRAITMIXA3 3.833 5.402 0.077 7.553* (3.459) (3.733) (0.155) (3.693)

SOUTERRAIN -7.218** -7.051** 0.007 -6.018* (2.254) (2.481) (0.115) (2.556)

RATIO INDEP -11.293*** -12.913*** -0.487** -15.022*** (3.168) (3.546) (0.181) (3.657)

TOURISTIQUE 0.966 1.835 -0.018 1.848 (2.136) (2.277) (0.105) (2.308)

DENSITE 0.143* 0.134* -0.001 0.126* (0.062) (0.060) (0.001) (0.057)

NBCOMGPT 0.165** 0.149* 0.021*** 0.133* (0.056) (0.058) (0.003) (0.057)

NBCOMGPT2 -0.000** -0.000* -0.000*** -0.000* (0.000) (0.000) (0.000) (0.000)

INTERCOMMUNAL 16.569*** 15.161*** 0.328*** 16.203*** (1.669) (1.737) (0.084) (1.814)

POPGPT 0.000 0.000 -0.000*** 0.000 (0.000) (0.000) (0.000) (0.000)

POPGPT2 -0.000 -0.000 0.000+ -0.000 (0.000) (0.000) (0.000) (0.000)

POPULATION -0.222*** -0.539*** 0.002 -0.552*** (0.047) (0.095) (0.005) (0.099)

POPULATION2 0.005*** 0.024*** -0.000 0.024*** (0.001) (0.005) (0.000) (0.006)

PERTES -0.490*** -0.529*** -0.022*** -0.563*** (0.092) (0.106) (0.005) (0.112)

PROGINV -0.441 -0.254 -0.106 -0.426 (1.437) (1.497) (0.070) (1.511)

REMPLACEMENT 1.462* 1.958* -0.073* 2.191** (0.716) (0.849) (0.034) (0.805)

EXTENSION -0.255 -0.489 0.029 -0.207 (0.332) (0.489) (0.028) (0.423)

GAUCHE -2.892*** (0.865)

ASSAINISSEMENT 1.661***

Page 135: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

131

(0.075) Indicatrices départementales incluses incluses incluses incluses

Constante 159.12*** 155.440*** 8.855*** 228.599***

(9.805) (5.531) (0.780) (12.281) Lambda 4.369*

(2.021)

R2 0.478 0.434 0.443

Observations 3649 3209 3097 3048

Les écart-type robustes à l’hétéroscedasticité sont donnés entre parenthèse.

*** dénote une significativité à 1‰, ** dénote une significativité à 1%, * dénote une significativité à 5%, + dénote une significativité à 10%

Le deuxième modèle donne la même estimation que le premier, mais évacue les

modes organisationnels secondaires pour ne garder dans l’échantillon que les observations

en régie et en affermage, soit 3209 observations. Les coefficients estimés varient très peu

d’un modèle à l’autre, ce qui suggère que cette simplification n’a pas d’incidence majeure

sur les résultats. Elle nous permet cependant de pouvoir réduire le choix organisationnel aux

deux alternatives principales (régie et affermage) et de mener une estimation en deux étapes

avec test d’endogénéité du choix organisationnel. Les services en affermage paient

également leur eau environ 26 euros plus cher que les régies dans le deuxième modèle.

Cependant, dans la réalité, les communes décident de déléguer leur service d’eau en raison

de la complexité du service qui les rend difficiles à exploiter en régie. Toutes les dimensions

de cette complexité ne sont pas forcément captées de manière parfaite par nos variables

explicatives, et peuvent contribuer à expliquer cet écart de prix de 26 euros. Il est donc

nécessaire de neutraliser le caractère endogène du choix organisationnel afin de ne pas

surestimer les performances des régies.

Le troisième modèle donne une estimation probit du choix organisationnel. On

constate par exemple (et sans surprise) que la probabilité pour une commune de choisir

l’affermage dépend positivement du type de traitement utilisé. Plus le traitement est

complexe, plus la probabilité est grande que la commune opte pour l’affermage. Nos

instruments ont également le signe attendu et sont très significatifs. Ainsi, le fait d’être en

exploitation privée pour l’assainissement augmente la probabilité que la commune soit en

affermage pour la production et la distribution d’eau potable. De même, l’augmentation de

l’importance de l’électorat de gauche diminue la probabilité que la commune choisisse

l’affermage. Cette estimation nous permet de calculer le coefficient lambda que l’on

introduit dans le modèle 4.

Page 136: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

132

Le coefficient lambda est significatif à 5%. Il confirme donc le caractère endogène du

choix organisationnel. Son signe positif indique que les caractéristiques inobservables

poussant les communes à déléguer impactent positivement sur le prix de l’eau, et donc, que

l’écart de prix de 26 euros obtenu par la régression MCO du modèle 2 est excessif.

D’ailleurs, le coefficient de la variable AFFERMAGE dans le modèle 4 est cohérent avec le

signe de lambda puisque l’écart de prix passe de 26 à 21 euros. Il demeure cependant

largement significatif. Les services en affermage semblent donc, à ce stade, moins

performants que les communes en régie. Les meilleures incitations permises par le recours

au marché ne semblent donc pas pouvoir compenser les coûts de transaction plus élevés

induits par l’utilisation du franchise bidding (Williamson [1976], Goldberg [1976]). Ces

résultats seront comparés ultérieurement avec ceux obtenus dans la section suivante après

introduction des informations relatives à la concurrence ex-ante et ex-post.

Pour ce qui concerne les autres variables explicatives, elles ont, en très grande

majorité, l’impact attendu sur le prix. Les eaux exigeant des traitements complexes

(TRAITA2, TRAITA3 ou TRAITMIXA3 ) augmentent significativement le prix de l’eau par

rapport à à celles nécessitant des traitements plus simples (TRAITA1 et SANS DESINF en

référence). Le fait que l’eau soit puisée en sous-sol (SOUTERRAIN) diminue également le

prix de l’eau par rapport aux eaux superficielles et d’origine mixte (en référence dans nos

régressions). Le manque d’autonomie de la commune en matière d’approvisionnement d’eau

(baisse de RATIO INDEP) entraîne une augmentation du prix de l’eau. De même, lorsque le

nombre de mètres de canalisation par habitant augmente (variable DENSITE), le prix

augmente également.

La mauvaise qualité des réseaux (variable PERTES élevée) traduit comme prévu un

manque d’effort d’entretien des canalisations, et donc des prix plus faibles. En revanche, les

efforts mis en œuvre en matière de remplacement des canalisations (variable

REMPLACEMENT) ont une incidence positive sur le prix.

Comme on l’attendait, l’augmentation de la taille de la population de la commune

exerce un effet négatif sur le prix de l’eau. Ce résultat peut traduire aussi bien la réalisation

d’économies d’échelles que la meilleure attractivité de ces communes pour les opérateurs

privés lorsque leur taille augmente. Enfin, l’augmentation des capacités de négociation et de

Page 137: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

133

contrôle de la commune est également corrélée avec sa taille et peut donc expliquer ce

résultat.

L’appartenance de la commune à un groupement intercommunal

(INTERCOMMUNAL ) conduit à une augmentation du prix de l’eau de 16.20 euros en

moyenne. Cet effet semble donc confirmer que le regroupement de certaines communes au

sein d’une structure intercommunale est motivé par des conditions d’exploitation difficiles.

Par ailleurs, l’augmentation du nombre de communes composant le groupement

(NBCOMGPT) a bien un effet positif sur le prix, confirmant donc l’existence de dés-

économies d’échelle.

Seules 4 variables n’ont pas d’effet significatif sur le prix : TOURISTIQUE,

POPGPT, PROGINV et EXTENSION. Enfin, nous avons effectué un test de Wald de

significativité jointe pour les indicatrices départementales sur les 4 modèles du tableau

précédent. Les résultats de ces tests suggèrent une significativité jointe de ces indicatrices.

Nous les avons donc conservé dans les estimations.

Nous allons à présent enrichir nos estimations par l’ajout de nouvelles variables.

Grâce à l’incorporation de données contractuelles et d’informations obtenues grâce aux

agences de l’eau Rhône-Méditerranée-Corse et Adour-Garonne, nous nous proposons de

mesurer l’impact de la concurrence ex-post (entre opérateurs et modes d’organisation) sur le

prix de l’eau. C’est, à notre connaissance, le premier travail qui tente de mesurer l’influence

de la concurrence de ce type de concurrence sur le prix de l’eau.

SECTION 3. Concurrence ex-post et prix de l’eau : une analyse empirique

L’objectif de cette partie est double. Nous étudions tout d’abord le lien entre

concurrence ex-post et prix de l’eau. Ensuite, nous examinons l’impact de l’introduction des

indicateurs de concurrence sur les performances comparatives des régies et des communes

en affermage.

3.1. Contrats de PPP et concurrence ex-post : quelques considérations

théoriques

Page 138: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

134

Si la concurrence ex-ante se réfère aux forces de marché incitant les opérateurs à

annoncer un prix reflétant ses coûts au moment de l’enchère, la concurrence ex-post fait

davantage référence aux mécanismes contribuant à inciter les entreprises à maintenir des

niveaux de prix raisonnables pendant toute l’exécution du contrat. Comme nous l’avons déjà

évoqué, les contrats de franchise bidding sont nécessairement incomplets et laissent donc

une marge de manœuvre importante à l’autorité publique et à l’opérateur privé pour se

comporter de façon opportuniste lors des renégociations. Dans cette section, nous montrons

que la concurrence ex-post est susceptible de limiter l’opportunisme de l’entreprise lorsque

les termes du contrat sont réajustés pour tenir compte de l’évolution imprévisible des

conditions d’exploitation.

L’opportunisme de l’exploitant peut être contraint par l’importance qu’il accorde au

contrat. Ainsi, son comportement peut être dicté par la perspective de transactions répétées

avec l’autorité publique (Gibbons [2005], Poppo et Zenger [2002]). En particulier, si

l’autorité publique dispose d’options extérieures en fin de contrat (concurrents alternatifs à

l’opérateur en place nombreux et/ou capacité de l’autorité publique à reprendre l’exploitation

du service), elle peut plus facilement écarter un partenaire qui ne lui donne pas satisfaction.

Elle a alors la possibilité de choisir facilement un nouvel opérateur ou un nouveau mode

organisationnel lorsque le contrat arrive à échéance62. De toute évidence, l’opérateur en

place anticipant la possibilité d’être évincé, est incité à tempérer ses comportements

opportunistes s’il accorde une valeur suffisamment importante aux transactions futures qu’il

pourrait être amené à réaliser avec son partenaire public. Cet argument repose néanmoins sur

l’hypothèse selon laquelle l’autorité publique locale dispose d’un certain pouvoir de

discrétion au moment de l’enchère. Si ce n’est pas le cas, la probabilité pour l’opérateur en

place de voir son contrat renouvelé ne dépend que du résultat de son enchère.

En outre, la perspective de transactions futures avec d’autres autorités publiques peut

également être un élément incitant l’opérateur à modérer ses comportements opportunistes

pendant d’un contrat de franchise bidding. Le fait de véhiculer une bonne image peut lui

permettre de conquérir de nouveaux marchés.

62 On pourrait même affirmer que plus la concurrence ex-post est importante, plus l’autorité publique peut menacer de manière crédible de rompre le contrat en cas de comportement opportuniste de l’opérateur privé. Cependant, la rupture prématurée du contrat est généralement coûteuse pour les raisons que nous avons déjà présentées, et elle est donc rarement observée en pratique. C’est pourquoi, l’hypothèse la plus réaliste, et que nous retiendrons pour l’analyse empirique, est celle d’une arrivée à terme du contrat de franchise bidding.

Page 139: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

135

On peut de plus s’attendre à ce que la concurrence ex-post s’intensifie à mesure que

le contrat avec l’opérateur privé s’approche de son terme. En effet, toutes choses égales par

ailleurs, plus l’échéance du contrat est proche, plus la perspective de futures transactions

avec l’autorité publique est susceptible de revêtir un caractère important pour l’opérateur.

Deux arguments peuvent être avancés pour expliquer cela. Premièrement, l’opportunisme de

l’opérateur a pour but de sécuriser des gains que l’on peut supposer distribués sur la durée

restante du contrat. Les gains générés par l’opportunisme augmentent donc avec le temps

restant avant la fin du contrat. Deuxièmement, même si les gains sont concentrés sur une

courte période, la valeur actualisée pour l’opérateur de la future transaction avec l’autorité

publique dépend de son taux de préférence pour le présent et du temps qu’il reste avant le

renouvellement du contrat. En supposant que son facteur d’escompte reste constant, si une

transaction nouvelle doit commencer dans un futur proche, sa valeur présente pour

l’opérateur sera plus élevée que si cette transaction devait commencer dans un futur éloigné.

Par conséquent, lorsque l’échéance du contrat est proche, on peut penser que les bénéfices

d’un comportement opportuniste ont davantage de chances d’être supplantés par les gains

potentiels associés au renouvellement.

En résumé, plus le contrat est proche de son terme, moins l’opérateur est incité à

entreprendre des actions opportunistes afin d’augmenter ses chances d’être renouvelé.

L’arrivée à terme du contrat peut donc être vu comme un facteur renforçant les incitations de

l’opérateur à rester honnête et qui contribue donc à améliorer la concurrence ex-post et

l’efficacité des accords de franchise bidding d’une façon générale63. Cependant, cet « effet

échéance » repose sur une hypothèse : celle selon laquelle les autorités publiques ont

d’autant plus de mal à se rappeler parfaitement des actions passées de l’opérateur privé que

ces actions ont eu lieu dans un passé lointain. Si cette hypothèse n’est pas vérifiée, seule

l’existence pour l’autorité publique d’options extérieures en fin de contrat peut constituer

une menace susceptible d’inciter les délégataires à maintenir des prix concurrentiels.

63 La maîtrise des comportements opportunistes de l’entreprise pendant l’exécution du contrat n’est pas la seule façon dont peut se manifester la concurrence ex-post. L’opérateur en place peut aussi vouloir signaler à l’autorité publique certaines informations cachées concernant son aptitude à exploiter le service afin d’augmenter sa probabilité d’être renouvelé. Cette volonté de se signaler pourrait être positivement corrélée avec le nombre d’options extérieures de l’autorité publique en fin du contrat et avec la proximité de l’échéance du contrat. Mais cette stratégie de signalement se heurte à un dilemme : l’opérateur révélant son information augmente ses chances d’être reconduit mais au prix d’une perte de sa rente informationnelle. Il aurait été intéressant de déterminer lequel de ces deux effets domine dans la pratique mais nous ne disposons malheureusement pas des données pour le faire.

Page 140: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

136

3.2. Des propositions testables pour l’industrie française de l’eau

Nous allons à présent formuler des propositions testables dont le but est de mesurer

l’influence de concurrence ex-post sur les performances des contrats d’affermage dans le

secteur de l’eau en France. Tout d’abord, nous avons évoqué l’importance du contrat comme

facteur capital pour que la concurrence ex-post puisse décourager les comportements

opportunistes des opérateurs. Cette hypothèse semble vérifiée dans l’industrie de l’eau de

manière générale. En particulier, en France, selon le ministère de l’environnement, le revenu

global généré par les quelque 12.000 contrats de délégation recensés dans le domaine de

l’eau en 2003 s’établissait à 4.57 milliards d’euros64. Cela représentait un revenu moyen par

contrat et par opérateur de 381.097 euros. De plus les contrats signés sont généralement de

long terme, la demande captive permettant par ailleurs aux firmes d’engranger des flux de

revenus réguliers pendant toute la durée de l’engagement.

La pertinence de notre analyse est en outre renforcée par la prise en compte du

principe de l’intuitu personae, caractéristique particulière aux contrats de délégation de

services publics à la française (voir chapitre 3). Ce principe permet aux collectivités de

disposer d’une grande discrétion quant au choix de l’opérateur final, même si une obligation

de publicité et de mise en concurrence leur est désormais imposée par la loi Sapin [1993].

Nous soutenons que ce principe institutionnel peut renforcer la concurrence ex-post. En effet,

dans le cas d’une enchère rigide obligeant les collectivités à choisir le moins-disant,

l’opérateur en place sait que la probabilité qu’il soit reconduit est indépendante de ses

actions passées et ne dépend que de son offre pour le futur contrat. Mais dans le cas d’une

enchère « flexible » donnant à l’autorité publique une grande latitude dans le choix de son

partenaire final, le comportement de l’opérateur peut avoir une influence sur sa probabilité

de renouvellement. L’intuitu personae peut donc s’avérer être un instrument efficace dans la

lutte contre l’opportunisme des opérateurs privés.

Comme nous l’avons déjà souligné, l’industrie française de l’eau est caractérisée par

un oligopole et a souvent été critiquée en raison des suspicions de collusion entre les

opérateurs. Trois entreprises détiennent plus de 90% des parts de marché et la part de marché

de chaque opérateur a peu évolué depuis plusieurs décennies. En outre, les études de

64 Voir le site : http://www2.environnement.gouv.fr/dossiers/eau/pages/politique/gouvernance/gestion-eau.htm

Page 141: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

137

l’ENGREF font apparaître qu’entre 20% et 30% procédures de délégation de services

publics n’aboutissent qu’à une seule offre. Il semble par conséquent peu probable que la

concurrence (ex-ante et ex-post) puisse contribuer à l’amélioration de l’efficacité de la

délégation des services d’eau au niveau national. Cependant, le niveau de concurrence peut

être hétérogène d’une région à l’autre. Certaines zones géographiques peuvent être plus

concurrentielles que d’autres. Nous avons montré dans le chapitre précédent que les indices

d’Herfindhal et de concentration de régie pouvaient beaucoup varier d’un département à

l’autre. Etant donné le caractère local des services d’eau, l’étude de la concurrence dans ce

secteur est sans doute plus pertinent à un niveau local que national (voir chapitre 4).

Notre analyse nous conduit finalement à ces deux propositions concernant le lien

entre concurrence ex-post et prix de l’eau :

Proposition 1. Le prix de l’eau devrait être plus faible pour les contrats signés dans les

départements où une concurrence potentielle entre opérateurs privés (ou entre mode

organisationnel) existe. C’est l’effet « options extérieures » de la concurrence ex-post.

Proposition 2. Le prix de l’eau devrait être d’autant plus faible que le contrat est proche de

son échéance. C’est l’effet «échéance » de la concurrence ex-post.

Ces deux propositions matérialisent le fait que l’accroissement des options

extérieures de la commune ainsi que l’arrivée à terme du contrat constituent deux forces

contraignant les actions opportunistes des délégataires et empêchant donc des dérives

tarifaires excessives pendant l’exécution du contrat.

3.3. Les nouvelles variables du modèle

3.3.1. Les variables à expliquer

Nous allons étendre les estimations de la section précédente par l’ajout de nouvelles

variables. Notre variable dépendante reste le prix de l’eau (variable PRIX). Cependant, nous

ajoutons également une deuxième variable à expliquer, à savoir le prix perçu par le

distributeur (variable PRIXDIST). En effet, la variable PRIX peut être scindée en deux

parties : une première revenant à la commune pour le financement des investissements

qu’elle prend à sa charge, et une deuxième revenant au distributeur pour l’exploitation du

Page 142: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

138

service. La variable PRIXDIST nous permet de mesurer plus finement l’efficacité de la

concurrence ex-post sur les comportements des opérateurs. Cependant, elle a l’inconvénient

de ne pas nous permettre d’établir des comparaisons de prix entre régie et affermage car elle

ne peut pas, par définition, être renseignée par les communes en régie.

3.3.2. Mesures de la concurrence ex-ante et ex-post

Nous utilisons les mêmes variables explicatives que celles utilisées dans la section

précédente mais enrichies par de nouvelles informations nous permettant de mesurer

l’impact de la concurrence ex-ante, mais surtout ex-post, sur le prix de l’eau.

L’impact de la concurrence ex-ante est mesurée par deux variables. La première

(APRES93) est une variable indicatrice valant 1 si le contrat a été signé après 1993. Cette

année matérialise la promulgation de la loi Sapin qui oblige les collectivités à une procédure

de mise en concurrence plus stricte que par le passé et met un terme aux pratiques de

reconduction tacite des contrats (voir chapitre 4). Nous avons insisté sur le fait que l’autorité

publique n’est pas dans l’obligation de choisir le moins-disant, en vertu de l’intuitu

personae. Cependant, dans la pratique, les opérateurs proposent généralement des prestations

similaires et le critère du prix est souvent décisif dans le choix final de la collectivité65. On

s’attend donc à un impact négatif de APRES93 sur le prix de l’eau. Nous incluons une autre

variable indicatrice (RENEGOCIATION) valant 1 dans le cas où le contrat d’affermage a

été remis en concurrence et donc, renégocié entre 1998 et 2001. Dans la mesure où la

renégociation devrait encourager la concurrence entre les opérateurs pour obtenir le contrat,

il se peut que les communes ayant renégocié relativement « récemment »66 leur contrat

bénéficient de prix plus avantageux.

Quatre indicateurs sont introduits dans les estimations pour prendre en compte la

concurrence ex-post. L’effet « options extérieures » est mesuré par trois variables. La

première est l’indice d’Herfindhal calculé au niveau départemental pour 41 départements

français (HERFINDHAL ). Il s’agit de la somme des parts de marché de chaque opérateur

élevées au carré (voir chapitre 4). La diminution de cet indicateur reflète une concentration

65 Les collectivités sont de plus en plus sensibles à la question du prix de leur service d’eau potable en raison de l’augmentation de la facture d’eau de leurs usagers ces dernières années, principalement imputable à la branche « assainissement ». 66 Par rapport à la date d’observation de nos données, c’est-à-dire 2001.

Page 143: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

139

moins élevée des opérateurs dans le département et donc une hausse du nombre de

concurrents alternatifs à l’opérateur en place pour les communes situées dans ce

département. De la même façon, un indice faible indice de Herfindhal améliore l’effet

« options extérieures » pour l’opérateur. En se comportant bien et en se montrant efficace,

l’entreprise en place peut augmenter ses chances de convaincre certaines communes situées à

la frontière de son territoire d’avoir recours à ses services67.

Cependant, à la fin du contrat, une commune en affermage peut aussi décider de

reprendre l’exploitation de son service d’eau, et donc de changer de mode organisationnel.

Cette possibilité de concurrence entre modes d’exploitation n’est pas prise en compte par

l’indice d’Herfindhal. Nous avons donc construit un deuxième indicateur, CONCREGIE,

qui mesure pour chaque département, le pourcentage de la population concernée par une

exploitation en régie. En effet, il est possible qu’une commune en affermage située à

proximité d’autres communes en régie puisse plus facilement revenir en régie en fin de

contrat, grâce notamment à une complexité locale des services d’eau moins forte ou à des

possibilités de regroupement plus nombreuses avec des communes voisines ayant déjà

l’expérience de la régie. D’un autre côté, un opérateur exploitant un ou plusieurs services en

affermage situés dans une zone où de nombreuses régies sont implantées peut être incité à

restreindre ses comportements opportunistes afin de convaincre certaines régies situant à

proximité d’opter pour la délégation et de lui permettre d’étendre sa zone d’influence. On

s’attend donc à un impact négatif de CONCREGIE sur le prix de l’eau.

Mais une difficulté se pose ici dans la mesure où cette variable peut tout aussi bien

mesurer un effet de concurrence ex-post qu’un effet complexité. L’augmentation de cet

indicateur peut refléter également des conditions d’exploitations locales faciles permettant à

de nombreuses communes de rester en régie et de pratiquer des prix plus faibles. Afin de

distinguer l’effet « concurrence ex-post » de l’effet « complexité », nous rajoutons un terme

croisé CONCREGIE*AFFERMAGE. Un signe négatif pour le coefficient associé à cette

variable signifierait qu’une augmentation de l’indice départemental de concentration des

régies diminue beaucoup plus le prix de l’eau pour les services en affermage que pour les

services en régies. Autrement dit, un signe négatif traduirait une diminution de l’écart de

67 Comme nous l’avons mis en évidence dans le chapitre 4, la probabilité d’observer dans notre échantillon des communes à la frontière de territoire de deux ou plusieurs sociétés est d’autant plus forte que l’indice d’Herfindhal associé à leur département est faible. La perspective d’étendre leur marché peut alors inciter les opérateurs à se montrer efficace dans les collectivités qu’ils exploitent déjà.

Page 144: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

140

prix entre régie et affermage avec l’augmentation CONCREGIE, et démontrerait donc de

manière plus convaincante le rôle de cette variable comme instrument de mesure de la

concurrence ex-post.

Le quatrième et dernier indicateur de concurrence ex-post à notre disposition est le

nombre d’années restant avant la fin du contrat (variable ECHEANCE). Cette variable

représente l’effet « échéance » que nous avons longuement décrit plus haut. On s’attend à ce

que le prix de l’eau soit d’autant plus faible que ECHEANCE diminue.

3.3.3. Les opérateurs

Les données obtenues grâce aux agences de l’eau Rhône-Méditerranée-Corse et

Adour-Garonne nous renseignent sur le nom de l’opérateur lorsque la commune a choisi de

déléguer son service d’eau. Nous incluons donc comme variable de contrôle des indicatrices

pour 5 catégories d’opérateurs : VEOLIA (ex Compagnie Générale des Eaux), SUEZ

(Lyonnaise des Eaux), SUEZ-VEOLIA, SAUR 68. La variable SUEZ-VEOLIA se réfère à

certaines communes de notre échantillon alimentées en eau potable par une filiale détenue à

part égale par ces deux opérateurs.

3.3.4. Les indicatrices régionales

Nous ne pouvons plus faire appel aux indicatrices départementales dans les

estimations qui vont suivre en raison de problèmes de colinéarité avec certaines variables

explicatives de la base réduite. Afin d’économiser le nombre de variables dummies dans les

régressions, nous les remplaçons donc par des indicatrices régionales.

3.4. Résultats et commentaires

La modèle économétrique utilisé est le même que celui décrit dans la section

précédente pour 6 des 7 spécifications présentées dans le tableau ci-dessous. Grâce à une

procédure d’estimation en deux étapes, nous prenons en compte le caractère endogène du

choix organisationnel de la commune. Les résultats ci-dessous ne font plus apparaître les

68 Les indépendants regroupent toutes les sociétés autres que les trois géants du secteur de l’eau et leurs filiales. C’est notre variable de référence.

Page 145: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

141

estimations probit associées à chaque modèle car notre but est avant tout de nous concentrer

sur le lien entre concurrence ex-post et prix de l’eau69.

Tableau 3 : estimations économétriques : concurrence ex-post, choix organisationnel et

performances (base réduite)

Méthode d’estimation

Modèle 4-Estimation en

2 étapes (méthode

Barnow et al [1981])

Modèle 5-Estimation en

2 étapes (méthode

Barnow et al [1981])

Modèle 6-Estimation en

2 étapes (méthode

Barnow et al [1981])

Modèle 7-Estimation en

2 étapes (méthode

Barnow et al [1981])

Modèle 8-Estimation en

2 étapes (méthode

Barnow et al [1981])

Modèle 9-Estimation en

2 étapes (méthode

Barnow et al [1981])

Modèle 10-MCO

Variable dépendante PRIX PRIX PRIX PRIX PRIX PRIX PRIXDIST

AFFERMAGE 21.065*** 23.254*** 26.925*** 3.665 -4.718 11.176 (3.109) (5.287) (3.430) (7.759) (7.834) (8.800)

TRAITA2 9.481*** 12.930*** 8.819*** 13.136*** 11.198** 11.129** 6.508 (2.234) (3.517) (2.218) (3.494) (3.408) (3.380) (4.255)

TRAITA3 8.286** 9.705+ 11.342*** 9.794+ 8.896+ 9.607* 8.825 (2.908) (5.096) (2.734) (5.072) (4.879) (4.863) (5.836)

TRAITMIX 6.419 29.915*** 12.670** 30.341*** 29.492*** 29.769*** 19.220* (4.023) (8.719) (4.038) (8.506) (8.067) (8.000) (9.695)

TRAITMIXA3 7.553* 10.746* 8.017* 10.232+ 12.004* 12.241* -19.608** (3.693) (5.360) (3.658) (5.410) (5.210) (5.174) (6.385)

SOUTERRAIN -6.018* -12.519*** -9.750*** -11.558*** -10.714** -9.956** -8.132+ (2.556) (3.357) (2.380) (3.429) (3.310) (3.296) (4.394)

RATIO INDEP -15.022*** -14.178* -8.789* -15.347* -15.531* -16.939* -12.093+ (3.657) (6.822) (3.724) (7.045) (6.696) (6.619) (6.894)

TOURISTIQUE 1.848 5.013 2.483 5.110 5.134 4.853 6.639+ (2.308) (3.355) (2.315) (3.339) (3.205) (3.144) (3.537)

DENSITE 0.126* 0.089+ 0.174+ 0.084+ 0.085+ 0.083+ 0.009 (0.057) (0.050) (0.090) (0.050) (0.049) (0.050) (0.022)

NBCOMGPT 0.133* 0.645*** 0.067 0.617*** 0.652*** 0.646*** 0.467** (0.057) (0.122) (0.058) (0.128) (0.129) (0.125) (0.167)

NBCOMGPT2 -0.000* -0.001*** -0.000 -0.001*** -0.001*** -0.001*** -0.003* (0.000) (0.000) (0.000) (0.000) (0.000) (0.000) (0.001)

INTERCOMMUNAL 16.203*** 21.328*** 18.439*** 24.272*** 23.619*** 22.547*** 2.661 (1.814) (3.765) (2.288) (3.794) (3.758) (3.709) (4.313)

POPGPT 0.000 -0.000*** -0.000 -0.000*** -0.000*** -0.000*** 0.000 (0.000) (0.000) (0.000) (0.000) (0.000) (0.000) (0.000)

POPGPT2 -0.000 0.000*** 0.000 0.000*** 0.000*** 0.000*** 0.000 (0.000) (0.000) (0.000) (0.000) (0.000) (0.000) (0.000)

POPULATION -0.552*** -0.337 -0.492*** -0.523* -0.618* -0.673** -0.110 (0.099) (0.246) (0.106) (0.236) (0.241) (0.236) (0.314)

POPULATION2 0.024*** 0.040 0.024*** 0.048* 0.052* 0.057* 0.014 (0.006) (0.027) (0.006) (0.024) (0.025) (0.024) (0.031)

PERTES -0.563*** -0.931*** -0.676*** -0.905*** -0.773*** -0.778*** -0.556* (0.112) (0.152) (0.126) (0.153) (0.150) (0.150) (0.224)

PROGINV -0.426 -8.103** -2.203 -6.944** -7.425** -7.846** -9.183** (1.511) (2.655) (1.679) (2.684) (2.596) (2.610) (2.854)

REMPLACEMENT 2.191** -1.009 1.067 -0.981 -0.212 0.296 0.163 (0.805) (1.461) (0.886) (1.404) (1.341) (1.331) (2.040)

EXTENSION -0.207 -1.058 -0.502 -0.761 -0.752 -0.820 -2.943* (0.423) (1.207) (0.512) (1.108) (1.153) (1.133) (1.230)

APRES93 -3.803 -5.677 -7.008+ -7.330+ -9.888**

69 Néanmoins, chacune des spécifications probit confirme le rôle attendu joué par de nos deux instruments (GAUCHE et ASSAINISSEMENT) sur la probabilité que la commune choisisse l’affermage.

Page 146: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

142

(2.444) (3.845) (3.783) (3.767) (3.150) RENEGOCIATION -4.154 -11.736** -11.071** -9.395* -11.220**

(2.609) (4.196) (4.126) (4.125) (3.724) ECHEANCE -0.022** 1.638*** 1.737*** 1.702*** 1.861***

(0.008) (0.410) (0.403) (0.394) (0.338) VEOLIA 13.880* 17.646** 19.386*** 11.253*

(5.980) (5.849) (5.652) (4.764) SUEZ 4.036 4.938 5.468 -2.285

(5.544) (5.454) (5.325) (4.502) SAUR 16.180** 17.032** 17.643** 6.340

(5.809) (5.667) (5.513) (4.670)

SUEZ-VEOLIA 15.415 19.313 15.686 -2.432 (11.925) (12.079) (12.042) (8.251)

HERFINDHAL -2.516 -7.739 -10.198 1.939

(9.646) (9.330) (9.189) (11.861)

CONCREGIE -0.546*** -0.359*** -0.235*

(0.083) (0.087) (0.111)

CONCREGIE*AFFERMAGE -0.454***

(0.116)

Indicatrices régionales Incluses Incluses Incluses Incluses Incluses Incluses

Indicatrices départementales Incluses

Constante 228.599*** 157.425*** 153.415*** 146.477*** 172.224*** 169.576*** 211.888***

(12.281) (13.776) (8.714) (14.120) (14.789) (14.757) (19.331)

Lambda 4.369* 6.738+ 4.300* 8.669* 9.742** 9.440**

(2.021) (3.557) (2.147) (3.642) (3.624) (3.610)

R2 0.443 0.447 0.376 0.473 0.496 0.504 0.470

Observations 3048 1066 2780 1066 1066 1066 671

Les écart-type robustes à l’hétéroscedasticité sont donnés entre parenthèse.

*** dénote une significativité à 1‰, ** dénote une significativité à 1%, * dénote une significativité à 5%, + dénote une significativité à 10%

3.4.1. Concurrence ex-post et performances

La première colonne reprend les estimations du modèle 4 de la section précédente. Le

modèle 5 est similaire au modèle 4, à la différence que les indicatrices départementales sont

remplacées par les indicatrices régionales et que la régression est effectuée à partir de la base

réduite de 1066 observations70. La comparaison de ces deux modèles nous permet de

constater que la baisse du nombre d’observations dans la base réduite modifie relativement

peu les résultats des estimations. Les différences concernent notamment les variables de

population. Ainsi, dans base réduite, la population du groupement (POPGPT) impacte

négativement sur le prix de l’eau mais pas la population communale (POPULATION)71. De

70 Un test de Wald nous permet là encore de constater que les effets fixes régionaux sont conjointement significatifs au seuil de 1% dans toutes les spécifications où elles sont introduites (modèles 5 à 10). 71 On constatait l’inverse dans le modèle 4.

Page 147: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

143

même, la variable REMPLACEMENT n’est pas significative dans le modèle 5 alors qu’elle

l’est dans le modèle 4. De manière surprenante, l’existence d’un programme de

renouvellement du réseau (PROGINV) diminue le prix de l’eau dans l’échantillon de la base

réduite alors qu’aucun impact significatif n’avait été constaté dans la base élargie. Enfin, la

variable TRAITMIX est très significative dans le modèle 5 alors qu’elle ne l’est pas dans le

modèle 4. Hormis ces 5 exceptions, nous retrouvons dans les deux modèles les mêmes

variables significatives et non significatives. Ceci nous conforte dans l’idée que l’échantillon

de la base réduite n’est pas biaisé par rapport à l’échantillon de la base élargie.

Les modèles 6 à 9 introduisent peu à peu nos proxies servant à mesurer la

concurrence ex-ante et ex-post. Enfin, le modèle 10 reprend les mêmes variables que le

modèle 8, mais est estimé avec la variable dépendante PRIXDIST. Par conséquent, il ne

tient compte que de la sous-population des communes en affermage de notre échantillon

réduit, soit 671 communes sur 106672.

Nos deux proxies de la concurrence ex-ante donnent des résultats plutôt contrastés.

Ainsi, la variable APRES93 n’est significative que dans 3 des 5 spécifications. En revanche,

la variable RENEGOCIATION l’est dans 4 des 5 spécifications. Ces deux indicateurs sont

notamment significatifs à 1% assortis des coefficients les plus élevés dans le modèle 10, ce

qui suggère que ces variables mesurent réellement un effet « concurrence ex-ante » car elles

semblent surtout impacter sur la partie « opérateur » du prix de l’eau. Il convient pourtant

d’être prudent sur l’interprétation des résultats du modèle 10. Suite à la mise en place de la

loi Barnier [1995], la durée des contrats de délégation dans le secteur de l’eau a été limitée à

20 ans. Il résulte donc que les nouveaux contrats signés sont plus courts et laissent

généralement moins de charges d’investissement au soin du délégataire (voir chapitre 6). Il

est donc probable que les « prix opérateurs » plus faibles observés dans les contrats signés

après 1993 (APRES93) ou entre 1998 et 2001 (RENEGOCIATION) s’expliquent en bonne

partie par une baisse des responsabilités des opérateurs en matière d’investissement. L’effet

« concurrence » est malheureusement impossible à distinguer de l’effet « investissements »

dans nos estimations.

72 Le prix revenant à l’opérateur n’est évidemment observé que pour les communes ayant choisi l’affermage, ce qui crée un risque de biais de sélection dans le modèle 10. Nous avons donc effectué un test vérifiant la présence éventuelle d’un tel biais. Pour cela, nous avons introduit, au moyen d’une estimation de Heckman en deux étapes, l’inverse du ratio de Mills dans le modèle 10. Le test suggère que le sous-échantillon des services en affermage n’est pas biaisé par rapport à la base réduite initiale de 1066 communes.

Page 148: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

144

Concernant la concurrence ex-post à présent, comme prévu, les variables

CONCREGIE et CONCREGIE*AFFERMAGE impactent négativement sur le prix. En

particulier, le coefficient pour la variable croisée signifie qu’une augmentation de 1% de

CONCREGIE diminue en moyenne le prix des services d’eau en affermage de 45.4

centimes d’euros de plus que pour les régies. Autrement dit, l’écart de prix entre régie et

affermage diminue d’autant plus que les communes en affermage sont situées dans des

départements où les régies sont nombreuses. Ces résultats confirment donc l’existence d’une

concurrence entre modes organisationnels qui s’exprime d’autant plus fortement qu’on se

situe dans une zone géographique où les régies dominent. En revanche, l’indice d’Herfindhal

n’est significatif dans aucune des spécifications alors qu’on s’attendait à une influence

positive de cette variable sur le prix de l’eau. Les impressions laissées par les statistiques

descriptives du chapitre 4 ne sont donc pas confirmées. Deux explications peuvent être

avancées pour expliquer ce résultat. Tout d’abord, l’indice calculé n’est pas un indicateur

parfait de la concurrence géographique entre opérateurs (voir chapitre 4). Il est critiquable

dans le sens où il n’est pas suffisamment fin. Plus précisément, un Herfindhal faible dans un

département donné signifie seulement que la probabilité d’observer dans notre échantillon

des communes de ce département situées à la frontière de territoire de deux ou plusieurs

opérateurs augmente. Mais nous sommes incapables de savoir quelles sont les communes de

notre échantillon qui se trouvent réellement dans cette situation. Cependant, la même critique

peut être formulée à l’égard des variables CONCREGIE et CONCREGIE*AFFERMAGE

qui donnent pourtant des résultats satisfaisants. C’est la raison pour laquelle l’absence de

significativité de HERFINDHAL a selon nous davantage de chances de refléter un manque

de concurrence entre opérateurs qui s’explique principalement par les soupçons élevés de

collusion qui pèsent sur cette industrie en France. Il semble donc que la concurrence soit

plus sensible entre modes organisationnels (régie et affermage) qu’entre opérateurs. Notre

première proposition n’est par conséquent vérifiée que du point de vue de la concurrence

entre modes d’exploitation.

Enfin, l’effet « échéance » de la concurrence ex-post est corroboré par les données.

Notre variable ECHEANCE, qui mesure le nombre d’années restant avant la fin du contrat,

influence significativement le prix de l’eau dans toutes les spécifications. Ainsi, dans le

modèle 10, le coefficient de 1.86 s’interprète de la manière suivante : lorsqu’un contrat

d’affermage se rapproche de son terme d’une année (ECHEANCE diminue d’une année), le

Page 149: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

145

prix de l’eau revenant au distributeur (PRIXDIST) diminue en moyenne de 1.86 euro. Dans

la mesure où un contrat d’affermage dure en moyenne 12 ans, la différence de prix serait

alors de l’ordre de 22.32 euros entre le début et la fin du contrat. Notre deuxième proposition

semble donc vérifiée empiriquement. Plus la fin du contrat est proche, plus l’opérateur

semble soucieux de diminuer ou du moins, de freiner l’augmentation des prix afin

d’augmenter sa probabilité de renouvellement73.

Cependant, la baisse de rémunération de l’exploitant peut avoir une autre explication,

que nous n’avons pas évoquée ici, et qui sera abordée dans le chapitre suivant. En raison de

la réticence que peuvent avoir certains délégataires à investir dans les dernières années du

contrat, la commune peut, dans certains cas, se substituer à l’exploitant lorsque l’échéance

approche. Ces efforts d’investissement diminuent les coûts d’exploitation du délégataire et

donc, peuvent conduire la commune à exiger de ce dernier une baisse de son prix. Le

délégataire n’a aucune raison de refuser si les économies de coûts dont il bénéficie excèdent

la baisse de prix qu’il doit consentir. Comme nous le verrons dans le chapitre 6,

l’investissement de la commune en fin de contrat se traduit en outre par une hausse du prix

qui lui revient (PRIXCOM) et par une baisse du prix du délégataire (PRIXDIST). L’effet de

ECHEANCE sur le prix total de l’eau (PRIX = PRIXCOM + PRIXDIST) étant largement

positif dans nos estimations, cela signifie que le prix de l’opérateur diminue plus vite en fin

de contrat que n’augmente le prix de la commune. Ce résultat semble consistant avec l’idée

d’un renforcement de la concurrence ex-post dans les dernières années de la délégation.

Néanmoins, l’existence de cet effet « investissement public » sur le prix du délégataire nous

conduit à considérer avec prudence le lien entre échéance du contrat et concurrence ex-post.

3.4.2. Choix organisationnel et performances

Nous venons de voir que les performances des services d’eau en affermage

dépendaient du niveau de concurrence ex-post (concurrence entre modes d’exploitation et

73 Il aurait été intéressant d’introduire dans les estimations une variable croisée HERFINDHAL*ECHEANCE mesurant un effet combiné de la concentration des opérateurs et de l’arrivée à terme du contrat. Toutes choses égales par ailleurs, le prix de l’eau devrait être d’autant plus faible que la concentration des opérateurs est faible (HERFINDHAL faible) et que le contrat proche de son terme (ECHEANCE faible). Mais les estimations font apparaître une colinéarité quasi-parfaite entre ECHEANCE et la variable croisée. Cette dernière n’apporte donc aucune information supplémentaire utile, si ce n’est qu’elle confirme que le prix de l’eau est influencé avant tout par l’échéance du contrat mais pas par l’indice d’Herfindhal. Des problèmes de colinéarité se posent également quand on essaie d’introduire des variables d’interaction entre notre indicateur de concurrence inter-organisationnelle (CONCREGIE) et l’échéance du contrat.

Page 150: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

146

effet « échéance »). Nous examinons à présent comment évoluent les performances globales

comparées des exploitations en régie et en affermage avec l’introduction des indicateurs de

concurrence (variable AFFERMAGE). Les modèles 6 à 9 nous permettent de constater une

différence de prix entre régie et affermage non significative dans 3 des 4 spécifications.

Cependant, cette non-significativité s’explique par la présence des indicatrices opérateurs

dans les régressions (VEOLIA , SUEZ, SAUR, SUEZ-VEOLIA). Les opérateurs

indépendants (INDEP) étant notre référence, la non-significativité de AFFERMAGE

s’explique donc par une différence de prix négligeable entre services en régie et services en

affermage lorsque l’opérateur est un indépendant. Mais la suppression des dummies

opérateurs fait de nouveau apparaître la significativité de AFFERMAGE dans toutes les

spécifications. Autrement dit, les régies demeurent significativement plus performantes

malgré l’ajout de variables de concurrence.

CONCLUSION

En définitive, ce chapitre nous a aussi permis d’établir quelques conclusions

concernant le lien entre efficacité du franchise bidding et concurrence ex-post. La

concurrence entre opérateurs ne semble pas jouer un rôle significatif dans notre étude. La

diminution de la concentration du marché d’un département à l’autre ne semble pas avoir

d’incidence majeure sur le prix de l’eau. Ce résultat s’explique sans doute par les soupçons

d’ententes tacites entre les opérateurs pour le partage des marchés qui planent sur cette

industrie en France et/ou par l’avantage naturel du délégataire sortant au moment du

renouvellement. En revanche, nous constatons que la concurrence entre modes d’exploitation

(régie et affermage) diminue significativement le prix de l’eau et l’écart de prix entre régie et

affermage. La menace de retour en régie en fin de contrat paraît donc plus crédible que la

menace de changement d’opérateur pour discipliner les délégataires. Ce résultat contredit

quelque peu la littérature théorique qui met surtout en avant les difficultés pour une autorité

publique de reprendre l’exploitation d’un service qu’elle a délégué à un opérateur privé

(Williamson [1976]). Nous avons montré que la réalité est un peu plus complexe. La facilité

relative avec laquelle une commune peut revenir en régie à la fin du contrat d’affermage

dépend de nombreux facteurs. Certains d’entre eux ont été pris en compte dans nos

estimations, en l’occurrence la complexité du service ou la possibilité de regroupement avec

des communes voisines ayant l’expérience de la régie. D’autres sont plus difficiles à

Page 151: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

147

contrôler. Ainsi, nous avons évoqué la possibilité de reprise du personnel par la commune en

fin de contrat d’affermage. Dans le cas où ce transfert peut avoir lieu, le retour en régie peut-

être grandement facilité. La reprise des salariés est rendue obligatoire par la législation sous

certaines conditions (voir chapitre 3). Ces conditions ne sont nécessairement réunies

localement, rendant la reconversion en régie plus ou moins difficile selon la collectivité. La

menace de retour en exploitation publique peut donc être crédible d’un point de vue

empirique et améliorer les performances du contrat de franchise bidding. C’est la première

conclusion que nous pouvons tirer de ce chapitre.

Le deuxième objectif de ce chapitre était d’étudier les performances comparées du

mode d’exploitation public avec la solution du franchise bidding. Nous sommes partis du

constat que la question de l’efficacité de la privatisation d’un service public était très étudiée,

notamment sur le plan empirique, par la littérature sur la régulation (Vining et Boardman

[1992]). Les études économétriques à ce sujet convergent généralement vers l’idée que la

privatisation d’une industrie de services publics sans concurrence entre firmes privatisées

n’améliore pas significativement les performances de cette industrie. Cette conclusion est

particulièrement vraie dans les secteurs en monopole naturel comme l’industrie de l’eau

(Saal et Parker [2000], Estache et Rossi [2002], Wallsten et Kosec [2005]).

Etant donné ce constat, nous nous sommes demandés si la mise en place d’accords de

PPP selon le modèle de concurrence pour le marché de Demsetz [1968] pouvaient permettre

d’améliorer les performances dans l’industrie de l’eau. Cette question est intéressante car

contrairement au dilemme exploitation publique/privatisation, le débat sur l’efficacité

comparative exploitation publique/concurrence pour le marché a connu très peu d’avancées

d’un point de vue empirique. En nous focalisant sur l’industrie de l’eau en France, notre

étude empirique ne nous permet pas de conclure à la supériorité du franchise bidding sur

l’exploitation publique. Nos résultats montrent, dans toutes les spécifications, une meilleure

performance des régies sur les services en affermage.

En définitive, dans ce secteur, aucune preuve de l’efficacité supérieure des PPP sur

l’approvisionnement public n’existe à ce jour. Les deux autres études empiriques dont nous

avons connaissance sur l’industrie de l’eau (Boyer et Garcia [2004], Carpentier et al [2005])

n’apportent pas non plus de preuves d’une meilleure efficacité de l’affermage sur la régie.

Les avantages attendus du recours au franchise bidding en termes d’efficacité productive

Page 152: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

148

(Charreaux [1997], Williamson [1985]) semblent donc être contrebalancés par les coûts de

transaction élevés induits par ce mode organisationnel (Williamson [1976], Goldberg

[1976]). Les résultats empiriques peu convaincants trouvés par la littérature sur la régulation

à l’égard de l’efficacité de la privatisation des services d’eau peuvent donc être étendus, dans

l’état actuel des connaissances, à l’organisation de l’exploitation de ces services par

franchise bidding. C’est la deuxième conclusion que nous pouvons tirer de ce chapitre.

Compte tenu de ces résultats peu encourageants, il est légitime de s’interroger sur des

solutions nouvelles pouvant être apportées afin d’améliorer les performances des PPP dans

les industries de services publics en monopole naturel. Dans cette optique, les deux chapitres

suivants se consacrent à l’analyse de deux défaillances majeures qui affectent de manière

spécifique l’organisation des services publics par franchise bidding dans ces secteurs : le

sous-investissement de l’opérateur, notamment en fin de contrat et les risques de collusion

entre les firmes au moment de la mise en concurrence du service.

Page 153: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

149

CHAPITRE 6 : FRANCHISE BIDDING ET INCITATIONS A

INVESTIR : LE CAS DE L’INDUSTRIE DE L’EAU EN FRANCE 74

Parmi les nombreuses critiques qui sont attribuées au mécanisme de Demsetz, l’une

des plus importantes concerne le risque de sous-investissement de l’opérateur. Ce risque, mis

en évidence par la théorie des coûts de transaction survient dès lors que la durée du contrat

est inférieure à la durée de vie des installations (Williamson [1976], Saussier [1999], Meister

[2004]). Si tel est le cas, l’opérateur en place peut, sous certaines conditions, être réticent à

engager des dépenses dans de nouvelles infrastructures pour deux raisons. Premièrement,

une durée trop courte du contrat ne lui garantit pas de pouvoir récupérer les montants

investis pendant la période d’exploitation du service. Deuxièmement, les bénéfices de ses

efforts d’investissement reviendraient au nouvel exploitant dans la situation où il ne serait

pas reconduit au terme du contrat (Laffont and Tirole [1988b], Klein [1998d]). Pour éviter ce

risque de hold-up, la théorie des coûts de transaction préconise l’utilisation de contrats de

long terme qui s’alignent avec la durée de vie des équipements (Williamson [1976], Joskow

[1987]).

Cependant, l’incertitude des agents sur l’évolution des conditions d’exploitation ou

tout simplement le bon fonctionnement du service public exigent des investissements

réguliers s’étalant sur toute la durée de l’engagement (Guash [2004]). Par conséquent,

l’allongement de la durée du contrat n’apporte pas une solution entièrement satisfaisante. Il

risque plutôt de provoquer des investissements cycliques, élevés pendant les premières

années d’exploitation du service, puis diminuant progressivement à mesure que l’échéance

du contrat se rapproche (Baldwin et Cave [1999]).

Le problème du sous-investissement des firmes dans les accords de franchise bidding

est largement reconnu par la littérature théorique (Williamson [1976], Laffont et Tirole

[1988b], Baldwin et Cave [1999], Meister [2004]). Mais les tests économétriques prouvant

l’existence effective d’un risque de sous-investissement dans les industries de service public

ayant recours à ce mode organisationnel sont rares75. Qui plus est, cette thèse a été

74 Les idées exposées dans ce chapitre se basent sur le document de travail suivant :

- Freddy Huet et Eshien Chong : “Public Investments in Franchise Bidding Contracts”, working paper. 75 Voir cependant l’étude de Troesken et Geddes [2001] sur le secteur de l’eau aux Etats-Unis au 19e siècle.

Page 154: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

150

récemment remise en cause par Affuso et Newberry [2002a, b]. En s’appuyant sur étude

économétrique menée dans l’industrie du chemin de fer britannique, ils montrent que les

opérateurs ont plutôt tendance à sur-investir en fin de contrat dans ce secteur. Deux raisons

peuvent expliquer ce comportement. Tout d’abord, il peut s’agir d’un signal de bonne

volonté adressé à l’autorité publique et destinée à lui montrer sa motivation. Il peut aussi

s’agir d’un calcul stratégique de l’opérateur: Engager des dépenses en actifs spécifiques en

fin de contrat peut accroître la dépendance bilatérale des acteurs et augmenter les coûts

d’entrée pour ses concurrents. Ce raisonnement s’appuie sur la « transformation

fondamentale » de Williamson [1985]. Au total, bien que la logique du sous-investissement

ait largement prévalu dans la littérature théorique sur le franchise bidding, elle ne semble pas

si évidente d’un point de vue empirique.

Dans ce chapitre, nous rappelons les conditions, qui selon la théorie des coûts de

transaction, sont nécessaires pour que le sous-investissement de l’opérateur en fin de contrat

soit susceptible d’être un sérieux problème. Nous montrons en particulier que ces conditions

sont réunies dans le secteur de l’eau en France. Ensuite, nous analysons les différentes

solutions proposées par la littérature pour corriger cette défaillance majeure du mécanisme

de Demsetz. Nous verrons que de nombreux remèdes ont été envisagés, mais que pourtant,

très peu d’études empiriques n’ont, à ce jour, confirmé la réalité de leur emploi sur le terrain.

Nous élaborons donc, dans la dernière partie de ce travail, une série de tests économétriques

qui mettent en évidence l’utilisation de l’une de ces solutions par les communes dans le

secteur de l’eau en France. Plus précisément, nous montrons que les communes ont tendance

à reprendre à leur charge une proportion de plus en plus importante des investissements du

service à mesure que la fin du contrat de délégation approche. Ce résultat confirme

indirectement la présence d’un risque de sous-investissement des opérateurs dans l’industrie

française de l’eau et s’avère par conséquent conforme aux prescriptions de la théorie des

coûts de transactions.

SECTION 1. Le problème du sous-investissement : considérations théoriques et

l’industrie française de l’eau

1.1. Le cadre d’analyse : la théorie des coûts de transaction

Page 155: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

151

Dans ce chapitre, nous adoptons une approche par la théorie des coûts de transaction

car il s’agit du courant théorique à l’origine de la mise en évidence des problèmes de hold-up

dans les contrats. Nous pensons donc qu’il s’agit du cadre le plus approprié pour l’étude du

sous-investissement dans le secteur de l’eau.

Selon ce cadre d’analyse, les agents sont supposés être dotés d’une rationalité limitée.

Ils essaient de peser le pour et le contre de leurs décisions mais disposent d’une capacité de

calcul limitée ainsi que d’une capacité limitée à stocker l’information. Par conséquent, quand

l’environnement devient complexe ou incertain, leurs décisions deviennent sous-optimales et

non prévisibles par les autres agents.

En effet, cette hypothèse comportementale devient importante lorsqu’elle est

combinée à un environnement complexe ou incertain. Rationalité limitée et incertitude

environnementale conduisent alors à l’incomplétude des contrats. L’impossibilité pour les

agents de prévoir les contingences futures et de calculer des solutions optimales à tout

moment les empêche de conclure des accords complets. Mais les agents peuvent alors

profiter de l’incomplétude des contrats pour comporter de manière opportuniste et ainsi

récupérer une partie plus importante des bénéfices générés par la relation contractuelle.

L’opportunisme est donc la deuxième hypothèse comportementale avancée par la théorie des

coûts de transaction. Les agents sont en effet supposés égoïstes et leur but est avant tout de

maximiser leurs propres profits au détriments des profits joints générés par la relation

contractuelle.

Néanmoins, l’opportunisme n’est pas problématique si les agents peuvent conclure

des accords de très court terme. Ils peuvent ainsi être assurés de pouvoir changer de

partenaire rapidement si leur co-contractant agit de façon malhonnête. Nous devons donc

supposer que le nombre de partenaires alternatifs potentiels est faible. Cette condition est

vérifiée lorsque les investissements réalisés par les agents sont supposés spécifiques à la

relation contractuelle, c’est-à-dire, lorsqu’ils ne sont pas redéployables facilement vers

d’autres clients ou d’autres usages. Par conséquent, quand les agents sont impliqués dans une

transaction exigeant la réalisation d’investissements spécifiques, il deviennent dépendants

l’un de l’autre pour la réalisation de la transaction. Cette dépendance bilatérale crée une

valeur additionnelle à la transaction appelée « quasi-rente » dans la mesure où les agents

réalisant des investissements spécifiques gagnent davantage à contracter entre eux qu’à

Page 156: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

152

contracter avec d’autres agents sur le marché. L’existence de cette « quasi-rente » explique

d’ailleurs pourquoi les agents sont incités à réaliser des investissements spécifiques.

Cependant, la dépendance bilatérale augmente également le risque d’opportunisme dans le

mesure où chaque partie peut être tentée de profiter de la dépendance de l’autre partie pour

adopter un comportement malhonnête lui permettant s’approprier une proportion plus

importante de la quasi-rente. Anticipant ce risque, les agents tentent de se protéger en

incorporant des clauses de sauvegarde dans les contrats (pénalités, otages etc...) afin de

sécuriser leurs investissements spécifiques. Mais lorsque les agents anticipent que le contrat

demeure trop incomplet pour éviter le risque d’expropriation de la quasi-rente générée par

leurs investissements spécifiques, ils peuvent répondre par un investissement inférieur au

niveau optimal (Hart [1995]).

1.2. Les conditions théoriques favorisant le sous-investissement

Ayant ce cadre d’analyse en tête, il est utile de commencer par rappeler quelles sont

les conditions favorisant le sous-investissement dans les accords de franchise bidding. Cette

précision semble importante dans la mesure où un comportement contraire de sur-

investissement en fin de contrat ne semble pas non plus complètement absurde (Affuso et

Newberry [2002a, b]).

La première condition que doit vérifier une industrie pour que le risque de sous-

investissement puisse y apparaître est celle de spécificité des actifs. En d’autres termes, les

investissements réalisés par les opérateurs ne doivent avoir de valeur que pour l’autorité

publique dans laquelle ces investissements sont consentis. Ils sont donc supposés non

redéployables vers d’autres usages ou d’autres clients. Si cette hypothèse n’est pas vérifiée,

aucun obstacle ne peut décourager l’opérateur à entreprendre des investissements spécifiques

de manière régulière, même à la fin du contrat. Prenons l’exemple d’une entreprise chargée

du transport urbain dans une ville. Rien ne l’empêche de remplacer un bus usagé par un bus

neuf en fin de contrat si elle sait que ce bus pourra être utilisé dans d’autres villes où elle a

également obtenu un contrat pour le transport urbain.

La spécificité des actifs entraîne un réel risque de sous-investissement de l’exploitant

en fin de contrat si elle se double d’un problème d’investissements non observables par

l’autorité publique et non vérifiables par des tierces parties. Dans le cas où ces deux

Page 157: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

153

conditions sont vérifiées, l’opérateur peut être de plus en plus réticent à engager des

dépenses dans de nouveaux équipements avec l’arrivée à terme du contrat. En effet, plus le

contrat avance, moins l’opérateur a la garantie d’avoir suffisamment de temps pour récupérer

les sommes qu’il a investies grâce à l’exploitation du service. Le contrat peut certes prévoir

une clause stipulant une indemnisation de l’opérateur en fin de contrat pour les actifs non

totalement amortis dans le cas où ce dernier serait évincé à l’issue du nouvel appel d’offres.

Mais si les investissements sont inobservables, l’opérateur sortant n’a aucune garantie

d’obtenir une compensation correcte de la part de l’autorité publique ou de l’opérateur

entrant, car ces derniers ne peuvent pas estimer correctement la valeur des actifs cédés. Il en

résulte alors des coûts de marchandages en fin de contrat (Williamson [1976]). L’autorité

publique (ou l’opérateur entrant) sont tentés de minimiser la valeur de reprise des actifs dans

l’espoir d’exproprier l’opérateur sortant du revenu de ses investissements spécifiques, mais

aussi parce qu’ils craignent un comportement opportuniste de sur-estimation de cette valeur

par l’opérateur sortant. Ce dernier peut donc craindre une compensation insuffisante, qui ne

tienne notamment pas compte de la future baisse des coûts d’exploitation induits par ses

efforts d’investissement et dont profitera son remplaçant (Laffont et Tirole [1993]).

Anticipant ce risque d’expropriation, l’opérateur réagit en investissant de manière sous-

optimale pendant l’exécution du contrat. Ce comportement est encouragé par le fait que le

caractère inobservable de ses actions rend toute punition non contractualisable.

Le risque du hold-up sur les investissements de l’exploitant a d’autant plus de

chances d’être sérieux que la durée de vie des infrastructures est élevée par rapport à la durée

du contrat (Williamson [1976], Meister [2004]). Dans cette perspective, la mise en place

d’un engagement de long terme ne résout que partiellement le problème. En effet, le

rallongement de la durée des contrats incite alors les opérateurs à diminuer progressivement

leurs dépenses dans de nouvelles infrastructures idiosyncrasiques à mesure que la fin du

contrat se rapproche (Baldwin et Cave [1999]).

Nous montrons à présent que les deux conditions favorisant le risque de hold-up dans

les accords de franchise bidding (spécificité des actifs et investissements inobservables) sont

réunies dans le secteur de l’eau de manière générale, et en particulier dans le contexte

institutionnel français.

Page 158: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

154

1.3. Le sous-investissement et l’industrie de l’eau

1.3.1. Caractéristiques générales du secteur

Quels sont les principaux éléments qui caractérisent les contrats de franchise bidding

conclus dans le secteur de l’eau ? En premier lieu, la spécificité des actifs dans cette

industrie ne fait aucun doute. Les investissements les plus importants dans ce secteur

concernent le réseau de distribution d’eau (stations de pompages, réservoirs, canalisations,

branchements aux particuliers, vannes). Ces investissements sont de très long terme (une

canalisation a une durée de vie moyenne de 50 ans), leur amortissement et leur maintenance

pouvant représenter jusqu’à 90% des coûts totaux d’un service d’eau. Il s’agit, selon la

terminologie du courant transactionnel, d’investissements « de site ». Une fois mis en place,

ils ne peuvent avoir d’usages alternatifs ou être déplacés pour être adaptés à d’autres

réseaux. Comme le relève Klein [1998d], « les canalisations d’eau ne peuvent normalement

pas être déterrées et utilisées ailleurs de manière économique. Les coûts associés à ces

infrastructures peuvent donc être supposés irréversibles76 ».

En plus d’être spécifiques, les investissements de réseau dans le domaine de l’eau

sont très souvent difficilement observables et vérifiables car ils sont en grande partie enterrés

Meister [2004] and Klein [1998d]. Cette caractéristique particulière des réseaux d’eau rend

très coûteuse pour l’autorité publique ou un intervenant extérieur le contrôle de la réalisation

effective de tous les investissements spécifiques invisibles.

1.3.2. Asymétries d’informations et investissements inobservables

Les problèmes d’investissement non observables sont en outre amplifiés par les

asymétries d’information importantes entre les autorités publiques et les opérateurs

généralement dans les accords de franchise bidding. Pour contrôler la réalisation effective

des investissements, l’autorité publique doit disposer d’informations comptables fiables

retraçant de manière précise toutes les dépenses effectuées par les opérateurs. Elle doit

également pouvoir disposer de la dépréciation physique du capital afin d’évaluer de manière

précise une compensation correcte pour les actifs non amortis en fin de contrat. Or, du fait

des asymétries d’informations, l’opérateur peut manipuler ces données, ce qui rend les

76 “Water pipes normally cannot be dug out and used elsewhere economically […] The relevant costs can be assumed to be sunk”.

Page 159: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

155

investissements inobservables et invérifiables, à la fois pour l’autorité publique et les

intervenants extérieurs (Meister [2004]).

Ces problèmes d’asymétries informationnelles sont très largement répandus dans

l’industrie française de l’eau. En France, les données comptables sur les investissements des

délégataires sont souvent très imprécises. La Cour des Comptes [2003] se plaint d’une

comptabilité bien souvent opaque des délégataires qui ne permet pas de retracer les montants

investis au titre du renouvellement des infrastructures. La Cour affirme que « le délégant

devrait toujours pouvoir obtenir du délégataire un tableau des dotations constituées et de

leur emploi. En son absence, le délégant ne peut contrôler la réalisation des

renouvellements ».

La conséquence directe de l’avantage informationnel du délégataire est la difficulté

pour la collectivité ou pour des intervenants extérieurs d’évaluer la valeur des infrastructures

à la fin du contrat. Dans une telle situation, l’opérateur s’expose à un risque majeur de

remboursement insuffisant ou pire, de non remboursement des sommes qu’il a investies mais

qu’il n’a pas eu le temps de récupérer intégralement sur l’exploitation du service. Dans le

contexte institutionnel français, ce risque est accrû en raison de la propriété publique des

actifs. Dans les contrats d’affermage et de concession, tous les investissements réalisés par le

délégataire sont propriété de la collectivité dès leur édification. Autrement dit, en cas de

négociations conflictuelles sur leur valeur de reprise à la fin du contrat, la collectivité peut

décider, en dernier ressort, de la compensation finale à attribuer au délégataire car les

investissements spécifiques de site sont sur son territoire et elle en est propriétaire. La marge

de manœuvre du délégataire dans les négociations de fin de contrat est donc beaucoup plus

faible que s’il avait eu la propriété des infrastructures, toutes choses égales par ailleurs

(Defeuilley [1999]).

Ces trois facteurs réunis (actifs spécifiques, investissements inobservables et

invérifiables, propriété publique des actifs) contribuent à diminuer les incitations de

l’opérateur à entreprendre des investissements spécifiques dès lors qu’il n’est pas certain de

récupérer les montants investis avant la fin de la délégation. Et cette certitude diminue

d’autant plus que la fin du contrat est proche.

Page 160: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

156

Quelles sont les solutions proposées par la littérature économique pour lutter contre

le caractère cyclique des investissements spécifiques dans les contrats de franchise bidding ?

Nous passons à présent en revue les diverses solutions théoriques possibles en discutant de

leur applicabilité dans le contexte institutionnel français.

1.4. Les solutions au problème du sous-investissement

1.4.1. Rendre les investissements observables

Une première solution qui vient naturellement à l’esprit est que l’opérateur, qui

risque en cas de non renouvellement, de perdre certains investissements réalisés en fin de

contrat, pourrait être incité à rendre ces investissements observables par la collectivité, en

produisant des informations comptables suffisamment précises pour servir de base au calcul

d’une juste indemnité de départ. Mais cette stratégie conduirait à la perte de la rente

informationnelle dont bénéficie l’opérateur sur les investissements qu’il réalise. Afin de

préserver cette rente, les délégataires peuvent préférer attendre leur renouvellement avant

d’engager un programme de dépenses dans de nouvelles infrastructures.

Une deuxième façon de rendre les investissements observables pourrait être la mise

en place de procédures d’audits cherchant à contrôler la réalisation régulière

d’investissements sur le réseau. Cependant, ces procédures peuvent s’avérer coûteuses et

particulièrement difficiles à mettre en place dans le secteur de l’eau, précisément du fait

qu’une grande partie des infrastructures est enterrée et en raison de la capacité des

délégataires à manipuler leurs comptes.

Dans la mesure où il paraît difficile de rendre observables les investissements des

délégataires, d’autres mécanismes doivent être envisagés pour les inciter à investir de façon

régulière sur toute la durée du contrat.

1.4.2. Les solutions contractuelles et organisationnelles inapplicables

Les solutions contractuelles ou organisationnelles au problème du sous-

investissement sont nombreuses, mais beaucoup d’entre elles sont inapplicables dans le

secteur français de l’eau soit parce qu’elles ne cadrent pas avec l’hypothèse

d’investissements inobservables, soit en raison d’une incompatibilité avec la réalité

institutionnelle de ce secteur en France.

Page 161: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

157

Une solution paraissant incitative, pourrait consister à augmenter progressivement la

rémunération du délégataire avec le rapprochement du terme du contrat. Cette stratégie

pourrait permettre d’atténuer les variations dans les cycles d’investissement. Cependant, au-

delà des problèmes d’acceptabilité politique posés par des augmentations trop importantes

du prix de l’eau, cette mesure a peu de chance d’améliorer les incitations des délégataires à

entreprendre des investissements spécifiques en fin de contrat dans le cas où ils seraient

inobservables. Au contraire, le délégataire a toutes les chances profiter de sa sur-

rémunération sans engager de dépenses en équipements nouveaux en fin de délégation dans

la mesure où la diminution des coûts d’exploitation générée par ces dépenses pourraient

bénéficier à un nouvel exploitant.

Etendre la durée du contrat ne constitue pas non plus une solution satisfaisante dans

la mesure où cette stratégie ne fait que différer le problème dans le temps. Comme nous

l’avons déjà évoqué, pour des raisons inhérentes au bon fonctionnement du service, mais

également du fait de l’incertitude sur l’évolution de la demande, de la technologie ou de la

réglementation, des investissements réguliers, s’étalant sur toute la durée du contrat, sont

nécessaires (Guasch [2004]). Cet argument est évidemment valable pour les services d’eau.

Non seulement la prorogation du contrat de délégation ne résout que temporairement le

problème du sous-investissement, mais en plus, elle diminue la fréquence de remise en

concurrence du service et augmente le risque de déconnexion entre les prix et les coûts

(Williamson [1976]). C’est sans doute dans l’objectif de renforcer la pression concurrentielle

dans l’industrie de l’eau qu’en France, les juges ont toujours annulé les avenants prévoyant

des prorogations de contrats de délégation. Les seules prorogations accordées le sont pour

des motifs d’intérêt général et ne peuvent alors pas excéder un an77.

Au total, les extensions de contrat s’avèrent inefficaces à résoudre les problèmes de

sous-investissement, diminuent la pression concurrentielle s’exerçant sur l’opérateur en

place et sont interdits en France. Il est donc nécessaire pour les collectivités de trouver des

stratégies de lutte alternative.

Sorana [2003] propose une solution originale en suggérant de laisser la propriété des

actifs aux mains de l’opérateur sortant qui les loue ensuite au nouvel exploitant. Ce dispositif

77 C’est par exemple le cas lorsque la procédure de délégation prévue par la loi Sapin n’a pas permis à la collectivité de choisir un candidat final. En attendant qu’une nouvelle procédure soit lancée et aboutisse à son terme, la collectivité autorise l’ancien délégataire à exploiter le service pendant une année supplémentaire afin d’éviter les ruptures d’approvisionnement.

Page 162: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

158

est là encore inapplicable en France où la propriété des actifs spécifiques est publique dès

leur édification et sont inaliénables, ce qui veut dire qu’ils doivent être rendus à la

collectivité en fin de contrat.

Un autre modèle intéressant propose de faire corréler négativement la compensation

attribuée à l’opérateur sortant pour le transfert des équipements non amortis avec les offres

de ses concurrents lors de la remise en concurrence du marché (Harstad et Crew [1999]).

Puisque les investissements réalisés aujourd’hui impactent sur les futurs coûts d’exploitation,

plus les prix proposés par les exploitants concurrents sont faibles, plus ils accordent une

valeur importante aux infrastructures cédées par l’exploitant sortant et donc, plus la valeur de

transfert des actifs physiques devrait être élevée. Néanmoins, ce modèle fait l’hypothèse que

les infrastructures sont parfaitement vérifiables par les tiers extérieurs. Or, c’est l’hypothèse

inverse qui nous semble la plus crédible que nous retenons pour l’industrie française de

l’eau.

1.4.3. La contractualisation sur les objectifs

Une première solution applicable dans le cas français consiste pour la collectivité à

contractualiser davantage sur les objectifs à atteindre en termes de performances plutôt que

sur les moyens (investissements) difficilement observables et vérifiables (Klein [1998a]).

Pour illustrer cette idée, prenons un exemple à partir du secteur de l’eau qui nous intéresse

plus particulièrement. Dans un contrat de concession, les communes peuvent avoir des

difficultés à vérifier que les canalisations sont renouvelées régulièrement par le

concessionnaire. Pour contourner ce problème, elle peut introduire dans le contrat une clause

stipulant une valeur à ne pas dépasser pour le taux de pertes sur le réseau assortie de

pénalités en cas de mauvaises performances78. Cette variable est plus facilement observable

et elle est par ailleurs négativement corrélée avec les efforts d’investissements et de

maintenance de l’opérateur sur le réseau. En effet, plus le taux de pertes augmente, plus on

peut suspecter une mauvaise qualité du réseau. Imposer des plafonds bas pour cet indicateur

de performance peut donc obliger l’opérateur en place à investir régulièrement dans le

renouvellement des canalisations.

78 Les pertes d’eau correspondent en gros au volume d’eau potable produit et injecté dans le réseau de distribution, mais qui n’est pas facturé aux consommateurs en raison des fuites sur le réseau. Ces fuites sont principalement dues aux corrosions des canalisations. Le taux de pertes s’obtient donc par le rapport entre le volume d’eau perdu sur le réseau et le volume d’eau produit. Une définition plus exhaustive de cette notion est donnée dans le chapitre 3.

Page 163: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

159

La contractualisation sur les objectifs, même si elle est largement utilisée dans les

contrats de délégation d’eau en France, a cependant peu de chances d’être efficace dans la

lutte contre le sous-investissement en fin de contrat. La raison vient de ce que le délégataire

peut utiliser des moyens autres que ceux espérés par la collectivité pour atteindre les

performances stipulées dans le contrat. Reprenons l’exemple du renouvellement des

canalisations. Il existe divers moyens pour l’opérateur de maintenir constant ou pour

diminuer un taux de pertes sans pour autant investir davantage. A titre d’exemple, il peut

augmenter le rythme de ses interventions sur le réseau. Il peut aussi dans certains cas réduire

la pression de l’eau dans la mesure où une pression plus faible diminue aussi les pertes

d’eau. Ces actions sont coûteuses à long terme. Cela dit, en fin de contrat, l’opérateur peut

juger moins coûteux de recourir à ces méthodes plutôt que de renouveler les canalisations et

risquer de perdre les sommes investies.

La contractualisation sur les objectifs peut concourir à améliorer le niveau moyen

d’investissement du délégataire sur le contrat mais a peu de chance de parvenir à corriger

leur caractère cyclique dès lors que l’exploitant peut atteindre les objectifs de performances

en utilisant d’autres méthodes que l’investissement. Cette solution paraît donc insatisfaisante

pour le problème qui nous intéresse.

1.4.4. L’apport de la théorie des enchères

La théorie des enchères propose quelques modèles pouvant donner des lignes de

conduite intéressantes à adopter pour les collectivités dans leur lutte contre le sous-

investissement en fin de délégation. Meister [2004] explique que les enchères ouvertes sont

plus vulnérables au risque du sous-investissement de l’exploitant car elles permettent aux

entrants potentiels d’observer le comportement d’offre de l’opérateur sortant et donc,

d’obtenir de l’information sur les véritables coûts de production. En réduisant les asymétries

d’information entre l’opérateur sortant et ses concurrents, les enchères ouvertes concourent à

améliorer la parité entre les candidats lors du renouvellement du contrat. L’opérateur sortant

étant moins sûr de conserver son marché, les risques de ne pas récupérer les montants qu’il a

investis en fin de contrat augmentent. C’est pourquoi, lorsque la réalisation des

investissements spécifiques est une préoccupation importante pour l’autorité publique,

Page 164: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

160

Meister préconise l’utilisation d’enchères fermées (ou enchères sous pli scellés) qui

préservent l’avantage informationnel de l’opérateur en place.

Dans le même ordre d’idée, Laffont et Tirole [1988b] proposent un modèle qui

aboutit à la conclusion selon laquelle l’opérateur en place devrait être favorisé lors du

renouvellement afin de préserver ses incitations à investir régulièrement pendant toute la

durée du contrat. Le biais en faveur de l’opérateur sortant présente l’avantage de lui assurer

une plus forte probabilité d’exploiter dans le futur les infrastructures qu’il a financés lors du

contrat précédent et donc, de profiter des externalités de coûts que ces infrastructures

nouvelles permettent d’obtenir. Par exemple, dans le secteur de l’eau, le remplacement d’une

canalisation en fin de contrat diminue les frais de maintenance sur le contrat suivant (baisse

du taux de pertes et donc, des interventions sur le réseau).

Ces deux modèles de théorie des enchères convergent vers l’idée que le meilleur

moyen de concerner l’opérateur par la réalisation régulière d’investissements spécifiques est

de créer un biais en sa faveur lors de la remise en concurrence du marché, soit explicite79,

soit en jouant sur la forme de l’enchère. La mise en oeuvre de cette politique place l’autorité

publique devant un arbitrage délicat, dans le sens où améliorer les incitations à

l’investissement suppose de sacrifier une partie des gains pouvant être obtenus grâce à une

mise en concurrence plus efficace du service.

En France, biaiser explicitement une enchère en faveur de l’opérateur en place est

bien sûr interdit par la loi Sapin sur les délégations de services publics. Cependant, compte

tenu du caractère intuitu personae de la négociation du contrat, ce dernier dispose d’une

totale liberté dans le choix de son partenaire final, sans pour autant qu’elle soit obligée de

justifier ce choix (voir chapitre 3). Le biais peut donc être implicite.

Il est donc possible que certaines communes promettent à leur délégataire leur

renouvellement en échange de la réalisation de certains investissements dans les dernières

années du contrat d’affermage ou de concession. Mais l’arbitrage des collectivités peut aussi

aller dans le sens de la préservation d’un certain degré de concurrence entre opérateurs de

79 Laffont et Tirole [1988b] suggèrent qu’une façon de créer un tel biais serait par exemple d’obliger les opérateurs concurrents de proposer un prix qui soit au minimum 10% inférieur à celui proposé par l’opérateur en place pour remporter l’enchère.

Page 165: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

161

façon à obtenir les meilleurs prix possibles. Sur ce point, la mise en place de la loi Sapin a

permis à un certain nombre de collectivités de bénéficier de baisses importantes du prix

opérateur lors des renégociations de contrat. Selon Bonnet et Schneider [2005], bien que

seulement 8% des contrats renégociés n’aient pas aboutis à la reconduction de l’ancien

délégataire, les procédures de délégation lancées en 2003 ont abouti à une baisse du prix de

l’eau potable dans plus de 50% des collectivités. La réalité fait souvent apparaître que de

nombreux délégataires conservent leur contrat en s’alignant sur les prix proposés par leurs

concurrents et donc, qu’ils ne jouissent pas d’un avantage tarifaire particulier au moment de

l’enchère. Les offres concurrentes servent donc davantage à créer une menace d’éviction sur

le délégataire en place afin de le contraindre à baisser ses prix qu’à le pousser réellement

vers la sortie. A tarif équivalent, la collectivité choisit généralement de rester avec son

ancien délégataire en vertu de l’intuitu personae.

La volonté de certaines collectivités d’instaurer une forte pression concurrentielle sur

le délégataire sortant lors de l’appel d’offres peut être incompatible avec la préservation de

ses incitations à investir. Même si, en raison de son avantage informationnel, ce dernier

évalue élevées ses chances de renouvellement, il peut préférer, par prudence, attendre sa

reconduction effective avant d’engager de nouveaux investissements spécifiques.

Par conséquent, les collectivités souhaitant préserver une efficacité optimale de la

procédure d’enchères doit trouver d’autres solutions pour atténuer le caractère cyclique des

investissements spécifiques des délégataires.

1.4.5. L’investissement public comme alternative à l’investissement privé

Une de ces solutions pourrait être de laisser l’autorité publique se substituer à

l’opérateur pour le financement de certaines infrastructures en fin de contrat. Baldwin et

Cave [1999] préconisent de laisser l’autorité publique supporter une proportion importante

des investissements spécifiques lorsque le problème de leur évaluation se pose en fin de

contrat. Comme nous l’avons souligné, ce problème d’évaluation se pose particulièrement en

fin de contrat et pour des investissements inobservables et invérifiables, hypothèse que nous

retenons dans ce chapitre.

Page 166: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

162

Cette solution est souvent rejetée par la littérature dans la mesure où l’investissement

public se traduit par une efficacité productive moindre que l’investissement privé. En effet,

contrairement à l’opérateur en place, l’autorité publique n’exploite pas le service et donc,

n’en connaît pas précisément les besoins. Ses choix d’investissements ont donc peu de

chance d’être optimaux. Dans cette situation, il est même possible d’observer du sur-

investissement car l’opérateur pourrait être incité à profiter de son avantage informationnel

pour demander le renouvellement prématuré de certains équipements de manière à diminuer

ses coûts de maintenance (Guérin-Schneider [2001]).

1.4.6. L’arbitrage entre efficacité de la concurrence et efficacité productive

Au total, le choix entre l’investissement public et le biais en faveur du sortant n’est

pas évident d’un point de vue théorique car il suppose un arbitrage entre deux types

d’efficacité : l’efficacité productive et l’efficacité de la mise en concurrence. Opter pour

l’investissement public est synonyme de pertes en efficacité productive, mais de gains

préservés lors de remise en concurrence du service. A l’inverse, laisser l’opérateur investir

suppose de biaiser l’enchère suivante à son avantage mais conserve l’efficacité productive.

Cet arbitrage est résumé dans le tableau suivant :

Tableau 1 : arbitrage entre investissement public et investissement privé et efficacité du

contrat

Nature des investissement

spécifiques de fin de contrat Nature de l'efficacité Publique Privée Efficacité productive - +

Efficacité de la mise en concurrence + -

L’arbitrage final de la collectivité va donc dépendre du poids relatif qu’elle accorde

aux variables « investissement » et « concurrence ». Compte tenu du contexte institutionnel

français qui depuis les lois Sapin [1993] et Barnier [1995], incite les collectivités à une

sélection plus transparente et concurrentielle de leur délégataire, il est raisonnable de

supposer que le poids accordé par les collectivités à la variable « concurrence » a eu

tendance à augmenter ces dernières années.

Page 167: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

163

Cette analyse nous permet de dériver la proposition suivante concernant le lien entre

investissements publics et fin du contrat :

Proposition. Plus le contrat de franchise bidding est proche de son terme, plus la probabilité

que l’investissement public se substitue à l’investissement privé augmente.

Si cette proposition est vérifiée, nous pourrions corroborer empiriquement pour la

première fois la thèse selon laquelle les accords de franchise bidding de long terme

conduisent à des phases d’investissements cycliques des opérateurs. Ce résultat serait

également cohérent avec la prescription plus générale de la théorie des coûts de transaction

qui prédit un problème de sous-investissement de l’opérateur dès lors que la durée du contrat

est inférieure à la durée de vie des actifs spécifiques (Williamson [1976]).

SECTION 2. L’analyse empirique

2.1. L’échantillon retenu

Pour cette étude, nous partons de la base élargie de 3649 observations que nous avons

décrite dans le chapitre 4 et utilisée dans le chapitre 5. Dans la mesure où nous notre but est

d’analyser les comportements d’investissement des opérateurs privés dans le secteur de

l’eau, nous nous limitons aux modes contractuels dans lesquels on a le plus de chance

d’observer des investissements privés à savoir les contrats d’affermage et de concession.

Notre échantillon se réduit alors à 2237 communes dont nous observons les caractéristiques

des services d’eau sur l’année 2001. Les observations restantes (comprenant les régies

directes, les régies intéressées et les gérances) peuvent être mises de côté car dans ces modes

organisationnels, les investissements sont entièrement sous la responsabilité de la

collectivités et l’entreprise n’a qu’un rôle d’exploitant (maintenance des infrastructures,

production et distribution d’eau, facturation des consommateurs etc.). En principe, le contrat

d’affermage implique un partage des investissements entre la commune et le délégataire.

Mais le financement des infrastructures de très long terme (réservoirs, canalisations etc.)

reste publique. Au contraire, dans les contrats de concession, le délégataire est

théoriquement responsable de tous les investissements, y compris des investissements de

réseau irréversibles. Mais cette distinction juridique n’est pas claire en pratique dans la

mesure où l’on observe parfois que les communes conservent une part élevée des

investissements dans certaines vieilles concessions. Inversement, certains contrats

Page 168: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

164

d’affermage sont souvent transformés par l’ajout de clauses concessives (Guérin-Schneider

[2001]). La frontière entre ces deux modes organisationnels est donc moins évidente en

pratique qu’en théorie. C’est pourquoi, nous ne ferons aucune distinction entre affermage et

concession dans notre étude statistique et économétrique ultérieures.

2.2. La méthodologie

Notre objectif est de relier les investissements publics avec l’échéance du contrat de

délégation. Pour cela, nous retenons deux indicateurs qui nous permettent d’estimer

l’importance des investissements communaux dans le réseau. La variable PARTCOM

mesure la part du prix de l’eau revenant à la commune dans le prix de l’eau total et la

variable PRIXCOM est simplement le prix de l’eau qui revient à la commune. Ce prix

permet à la commune d’amortir les investissements spécifiques qu’elle prend à sa charge.

Nous nous sommes longuement efforcés de démontrer la robustesse de ces deux indicateurs

pour notre analyse dans le chapitre 4.

Les modèles que nous cherchons à estimer sont donc les suivants :

PARTCOM = Xβ + π.ECHEANCE + u (1)

PRIXCOM = Xθ + τ.ECHEANCE + v (2)

X est une matrice de variables exogènes, u et v les termes d’erreur des deux modèles.

Un problème économétrique se pose ici dans la mesure où nous avons sélectionné un

échantillon réduit à partir d’un échantillon de départ selon un critère précis : le fait pour une

commune de déléguer ou pas une partie des investissements du service d’eau à un opérateur

privé. Il existe donc potentiellement un biais de sélection qu’il nous faut corriger. Pour ce

faire, nous procédons à une estimation de Heckman en deux étapes. Tout d’abord, nous

effectuons une estimation probit de la décision de la commune de déléguer la réalisation

d’une partie des investissements du service d’eau. Le modèle s’écrit de la façon suivante :

PARTCOM = Xβ + π.ECHEANCE + u (1)

PRIXCOM = Xθ + τ.ECHEANCE + v (2)

Page 169: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

165

D = Xα + Zγ + w

{

Nous supposons que (u w )’ et (v w )’ sont distribués selon une loi Normale

bivariée de moyenne nulle et de matrice de variance-covariance respectives Γuw =

2

2

w

uvu

σσσ

et Γvw =

2

2

w

vwv

σσσ

La variable D vaut 1 dans le cas où la responsabilité des investissements est partagée

(affermage et concession) et 0 si la commune finance seule l’intégralité des infrastructures

(régie directe, régie intéressée et gérance). Nous nommerons cette variable dummy DELEG

dans les estimations. Z représente une matrice d’instruments impactant sur la probabilité de

déléguer l’investissement mais pas sur nos variables dépendantes PARTCOM et PRIXCOM.

Nous récupérons la valeur prédite par l’estimation de (3). Cette prédiction (notée Z )

sert de base au calcul de l’inverse du ratio de Mills noté :

MILLS = )ˆ(

)ˆ(

Z

Z

Φφ

avec φ , la fonction de densité d’une loi Normale et Φ la fonction répartition d’une loi

Normale.

Dans une deuxième étape, nous injectons ce ratio dans les équations (1) et (2) et nous

procédons enfin à une estimation MCO robuste à l’hétéroscedasticité.

2.3. Les variables explicatives

2.3.1. Les exogènes : X

D =

1

0

si (3)

commune en affermage ou en concession

commune en régie directe, régie intéressée ou gérance

Page 170: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

166

Beaucoup de variables explicatives introduites dans ce modèle sont susceptibles

d’avoir signe positif ou négatif en fonction de l’interprétation donnée aux variables et/ou de

la répartition des investissements entre commune et délégataire. Par exemple, la longueur de

tuyau mise en place pour remplacement du réseau (variable REMPLACEMENT) peut tout

aussi influencer positivement PARTCOM et PRIXCOM que négativement, selon que ces

investissements soient pris en charge par la commune ou par le délégataire. Un deuxième

exemple concerne l’intercommunalité (variable INTERCOMMUNAL ). L’effet de cette

variable est a priori indéterminée. Les communes se regroupent au sein de structures

intercommunales lorsque le service possède des caractéristiques complexes. Cette

complexité est susceptible d’augmenter les investissements privés. Mais le regroupement de

plusieurs communes peut également être interprété comme un moyen pour les communes de

pouvoir réaliser des investissements qu’elles n’auraient pas pu assumer seules, grâce aux

gains engendrés par les économies d’échelle ou à la mise en commun des compétences

propres de chaque commune. Dans la mesure où une étude ex-ante de tous les effets

possibles de ces variables sur PARTCOM et PRIXCOM serait fastidieuse et nous éloignerait

trop de l’objectif de notre travail, nous les intégrons comme variables de contrôle et nous les

commentons lorsqu’elles sont significatives au moment de l’analyse des résultats.

Nous intégrons dans le modèle des variables mesurant la complexité du service. C’est

le cas des données sur le type de traitement utilisé pour rendre l’eau potable (TRAITA2,

TRAITA3, TRAITMIX , TRAITMIXA3 ), sur l’origine de l’eau (SOUTERRAIN), sur

l’indépendance d’approvisionnement de la commune (RATIO INDEP), sur le caractère

touristique de la commune (TOURISTIQUE) et enfin sur l’appartenance de la commune à

un groupement intercommunal (INTERCOMMUNAL ).

Les autres variables exogènes introduites concernent la longueur du réseau par

habitant (DENSITE), la population communale et son carré (POPULATION,

POPULATION2), la population intercommunale et son carré (POPGPT, POPGPT2), le

taux de pertes (PERTES), l’existence ou non d’un programme de renouvellement du réseau

(PROGINV), la longueur de tuyau mise en place pour remplacement du réseau

(REMPLACEMENT) et la longueur de tuyau mise en place pour extension du réseau

(EXTENSION)80.

80 Toutes ces variables ont été décrites et analysées dans les chapitres 4 et 5. Nous ne revenons donc pas sur leur définition.

Page 171: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

167

Enfin, nous ajoutons des effets fixes départementaux destinés à capter des différences

locales dans les comportements d’investissement des communes mal prises en compte par

nos variables explicatives.

2.3.2. L’échéance du contrat

Si notre proposition est vérifiée, l’arrivée à terme du contrat devrait augmenter les

investissements pris en charge par les communes. Autrement dit, plus ECHEANCE est

faible (donc plus la fin du contrat est proche), plus PARTCOM et PRIXCOM devraient

augmenter, toutes choses égales par ailleurs. Le coefficient attendu pour la variable

ECHEANCE devrait donc être négatif.

Notre intuition est que l’investissement public se substitue à l’investissement privé à

la fin des contrats de délégation de manière à éviter un risque de sous-investissement des

délégataires. Pour confirmer cette idée, nous procédons de la même façon que dans le

chapitre 4 (sous-section 2.3.3.) lors de la présentation des statistiques descriptives destinés à

ce chapitre. La hausse des dépenses publiques en fin de délégation doit être d’autant plus

rapide que le contrat laisse au délégataire une proportion importante des investissements

spécifiques de réseau. La probabilité que ce soit le cas augmente avec la durée du contrat.

Nous créons donc une variable indicatrice valant 1 si le contrat a une durée supérieure à 15

ans (variable DLONG). Nous croisons cette variable avec l’échéance du contrat

(DLONG*ECHEANCE). Un signe négatif pour la variable croisée signifierait que

l’accroissement des investissements publics en fin de délégation est plus rapide pour les

contrats d’une durée supérieure à 15 ans que pour les contrats d’une durée inférieure à 15

ans.

Cependant, une analyse des coefficients de corrélation fait apparaître une colinéarité

relativement élevée entre DLONG*ECHEANCE et ECHEANCE (près de 74%). Etant

donnée l’incertitude sur la fiabilité de cette variable croisée, nous en considérons une

deuxième faisant cette fois intervenir l’ancienneté du contrat. Comme nous l’avons mis en

évidence dans le chapitre 4, les contrats les plus anciens sont, de manière mécanique, les plus

longs jusqu’en 1995. A compter de cette date et la mise en œuvre de la loi Barnier, cette

Page 172: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

168

corrélation disparaît car la très grosse majorité des communes adopte désormais une durée

standard de 12 ans.

Graphique 1 : durée moyenne et médiane du contrat en fonction de la date de signature

(graphique 8 du chapitre 4)

0

5

10

15

20

25

1988

1990

1992

1994

1996

1998

2000

Date de signature

Dur

ée

Durée moyenne ducontrat (en années)

Durée médiane ducontrat (en années)

Source : IFEN et DGS 2001

Sur le graphique précédent, nous nous apercevons que la durée médiane des contrats

s’établit à 15 ans pour les contrats signés en 1993, ce qui correspond donc, en 2001, à une

ancienneté de 8 ans. Notre deuxième indicatrice prend donc la valeur 1 lorsque l’ancienneté

de la délégation est supérieure à 8 ans (variable DANCIEN). Nous la croisons avec

l’échéance. La variable résultante, DANCIEN*ECHEANCE devrait également admettre un

signe négatif, suggérant que le poids des investissements publics augmente plus vite en fin

de délégation pour les contrats anciens (supérieurs à 8 ans) et à durée médiane élevée (15 ans

et plus).

L’avantage d’avoir recours à l’ancienneté est que la corrélation entre cette nouvelle

variable croisée et l’échéance est plus faible (54%), ce qui devrait contribuer à améliorer la

qualité des estimations.

Page 173: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

169

Tableau 2 : matrice de corrélation sur certaines variables contractuelles81

Durée du contrat Ancienneté du

contrat ECHEANCE DLONG*ECHEANCE DANCIEN*ECHEANCE

Durée du contrat 1

Ancienneté du contrat 0.8822 1

ECHEANCE 0.3437 -0.1389 1

DLONG*ECHEANCE 0.6374 0.3021 0.7380 1

DANCIEN*ECHEANCE 0.6429 0.4064 0.5417 0.8013 1

2.3.3. Les exogènes : Z

Nous prenons en compte deux instruments pouvant impacter sur la probabilité pour la

commune d’opter pour un mode d’exploitation donnant des responsabilités en matière

d’investissements à l’opérateur. La première, que nous avons déjà utilisée dans le chapitre 5,

est le produit du pourcentage des électeurs inscrits votant à gauche aux élections

présidentielles de 1995 et 2002 (variable GAUCHE). L’utilisation de cet instrument repose

sur l’hypothèse, à notre sens, relativement réaliste, que la couleur politique des communes

impacte davantage sur la décision de confier ou ne pas confier le financement de certaines

infrastructures aux opérateurs privés que sur la répartition des charges d’investissements en

eux-même. Autrement dit, une fois la décision de recourir à l’affermage ou à la concession

prise, le poids des investissements confiés au délégataire est indépendant de la couleur

politique des communes. Le deuxième instrument introduit est une variable indicatrice

valant 1 si la commune a choisi l’affermage ou la concession pour l’exploitation de son

service d’assainissement (variable ASSAINISSEMENT2). Le fait d’utiliser ces modes

organisationnels pour d’autres services publics locaux délégables peut traduire un état

d’esprit d’ouverture et de confiance des communes à l’égard des compétences des opérateurs

en matière de réalisation d’infrastructures nouvelles. On s’attend donc à un impact positif de

ASSAINISSEMENT2 sur la probabilité que le service d’eau potable soit exploité en

affermage ou en concession (variable DELEG).

2.4. Résultats et commentaires

Les résultats de nos estimations sont regroupés dans le tableau suivant :

81 Cette matrice est calculée à partir du nombre d’observations résultant des régressions faisant intervenir les variables croisées, soit 1791 communes.

Page 174: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

170

Tableau 3 : estimations économétriques : échéance du contrat et investissements publics

Méthode d'estimation Modèle 1- probit

Modèle 2- MCO

robustes

Modèle 3- MCO

robustes

Modèle 4- MCO

robustes

Modèle 5- MCO

robustes

Modèle 6- MCO

robustes

Modèle 7- MCO

robustes

Variable dépendante DELEG PARTCOM PRIXCOM PARTCOM PRIXCOM PARTCOM PRIXCOM

ASSAINISSEMENT2 1.584***

(0.069)

GAUCHE -2.375**

(0.823)

TRAITA2 0.185+ -0.024* -1.513 -0.020+ -1.088 -0.024* -1.446

(0.098) (0.011) (2.086) (0.011) (2.093) (0.011) (2.081)

TRAITA3 0.619*** -0.028* -1.591 -0.019 -0.718 -0.022+ -1.013

(0.131) (0.012) (2.391) (0.013) (2.426) (0.013) (2.421)

TRAITMIX 0.542** 0.004 2.391 0.008 2.774 0.009 2.880

(0.174) (0.019) (3.466) (0.018) (3.405) (0.018) (3.416)

TRAITMIXA3 0.151 -0.002 3.700 0.001 4.039 -0.001 3.825

(0.145) (0.022) (4.129) (0.022) (4.142) (0.021) (4.106)

SOUTERRAIN 0.100 0.007 -0.288 0.008 -0.166 0.007 -0.348

(0.107) (0.012) (2.285) (0.011) (2.282) (0.012) (2.283)

RATIO INDEP -0.410* 0.006 -2.512 0.005 -2.540 0.012 -1.918

(0.162) (0.018) (3.847) (0.018) (3.873) (0.018) (3.839)

TOURISTIQUE 0.008 -0.018 -0.110 -0.017 0.033 -0.016 0.086

(0.099) (0.011) (2.199) (0.011) (2.194) (0.011) (2.175)

DENSITE -0.001 0.000 0.102 0.000 0.101 0.000 0.102

(0.001) (0.000) (0.067) (0.000) (0.065) (0.000) (0.066)

NBCOMGPT 0.018*** 0.002*** 0.551*** 0.002** 0.509*** 0.002*** 0.531***

(0.003) (0.000) (0.106) (0.000) (0.107) (0.000) (0.106)

NBCOMGPT2 -0.000*** -0.000* -0.003*** -0.000 -0.003** -0.000 -0.003**

(0.000) (0.000) (0.001) (0.000) (0.001) (0.000) (0.001)

INTERCOMMUNAL 0.258** 0.069*** 14.810*** 0.069*** 14.806*** 0.064*** 14.347***

(0.079) (0.012) (2.172) (0.011) (2.165) (0.011) (2.168)

POPGPT -0.000*** -0.000*** -0.000*** -0.000*** -0.000*** -0.000*** -0.000***

(0.000) (0.000) (0.000) (0.000) (0.000) (0.000) (0.000)

POPGPT2 0.000*** 0.000*** 0.000*** 0.000*** 0.000*** 0.000*** 0.000***

(0.000) (0.000) (0.000) (0.000) (0.000) (0.000) (0.000)

POPULATION 0.001 -0.001*** -0.198*** -0.001*** -0.167*** -0.001*** -0.164***

(0.003) (0.000) (0.049) (0.000) (0.048) (0.000) (0.048)

POPULATION2 0.000 0.000*** 0.003*** 0.000*** 0.002*** 0.000*** 0.002***

(0.000) (0.000) (0.001) (0.000) (0.001) (0.000) (0.001)

PERTES -0.020*** -0.001+ -0.402*** -0.001 -0.374** -0.001+ -0.382**

(0.004) (0.001) (0.121) (0.001) (0.119) (0.001) (0.119)

PROGINV -0.019 -0.007 -2.607+ -0.004 -2.234 -0.006 -2.513+

(0.066) (0.008) (1.470) (0.008) (1.458) (0.008) (1.460)

REMPLACEMENT -0.076* -0.005 -1.122 -0.005+ -1.194+ -0.005 -1.111

(0.031) (0.003) (0.712) (0.003) (0.711) (0.003) (0.712)

EXTENSION -0.006 0.010*** 1.261*** 0.010*** 1.254*** 0.010*** 1.274***

(0.016) (0.002) (0.346) (0.002) (0.371) (0.002) (0.365)

ECHEANCE -0.005*** -0.598*** 0.001 0.038 -0.002+ -0.300+

(0.001) (0.136) (0.001) (0.198) (0.001) (0.159)

Page 175: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

171

DLONG*ECHEANCE -0.007*** -0.782***

(0.001) (0.166)

DANCIEN*ECHEANCE -0.006*** -0.616***

(0.001) (0.138)

Indicatrices départementales Incluses Incluses Incluses Incluses Incluses Incluses Incluses

Constante -0.757 0.600*** 97.845*** 0.595*** 97.331*** 0.600*** 97.902***

(0.713) (0.029) (5.991) (0.028) (5.884) (0.028) (5.912)

MILLS 0.024 5.505* 0.020 5.103+ 0.021 5.182+

(0.015) (2.703) (0.015) (2.692) (0.015) (2.694)

R2 0.527 0.562 0.546 0.568 0.543 0.566

Observations 3563 1791 1791 1791 1791 1791 1791

Les écart-type robustes à l’hétéroscedasticité sont donnés entre parenthèse.

*** dénote une significativité à 1‰, ** dénote une significativité à 1%, * dénote une significativité à 5%, + dénote une significativité à 10%

2.4.1. Les variables explicatives

Le modèle probit (modèle 1) confirme l’influence de nos instruments (GAUCHE,

ASSAINISSEMENT2) sur la probabilité de déléguer en affermage ou en concession. Les

prédictions du modèle probit nous permettent de calculer l’inverse du ratio de Mills que nous

incorporons dans les modèles 2 à 7 estimés par les MCO robustes à l’hétéroscedasticité. Ce

ratio est significatif dans tous les modèles faisant intervenir PRIXCOM comme variable

dépendante, suggérant donc la présence d’un biais de sélection pour ces modèles.

De manière générale, le type de traitement utilisé a une influence significative sur la

part du prix de l’eau revenant à la commune (PARTCOM) mais pas sur PRIXCOM. Ce

résultat s’explique sans doute par le fait que les systèmes de traitement d’eau sont des

investissements systématiquement pris en charge par les opérateurs dans les contrats

d’affermage. Un type de traitement complexe (variables TRAITA2 et TRAITA3) augmente

donc le prix de l’opérateur (PRIXDIST), faisant chuter la part communale du prix de l’eau

(PARTCOM). Mais dans la mesure où ces investissements ne sont jamais pris en charge par

la commune dans ces contrats, son influence sur le prix de la commune (PRIXCOM) est

nulle.

La variable d’intercommunalité (INTERCOMMUNAL ) augmente significativement

nos deux variables dépendantes. Ce résultat est cohérent avec l’idée que les communes se

regroupent au sein d’une structure intercommunale afin de pouvoir réaliser des

investissements auxquels elle ne peuvent faire face seules.

Page 176: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

172

De manière intéressante, les variables mesurant la population communale

(POPULATION) et intercommunale (POPGPT) sont négatives et très significatives. Cet

effet peut s’expliquer par les meilleures compétences des collectivités de grande taille en

matière de négociation des contrats et de contrôle des délégataires et par leur plus grande

attractivité pour les opérateurs. La combinaison de ces trois facteurs rend l’opportunisme du

délégataire d’autant plus facile à maîtriser pour les autorités publiques que la population

communale ou intercommunale est grande. Il en résulte que les collectivités de grande taille

peuvent être incitées à confier davantage de responsabilités aux délégataires en matière

d’investissements afin de bénéficier d’économies de coûts de production.

Le nombre de communes composant le groupement (NBCOMGPT) impacte

positivement sur PARTCOM et PRIXCOM. Une explication possible pour cet effet est

qu’au-delà d’un seuil critique, l’augmentation de la taille de l’intercommunalité génère des

dés-économies d’échelle82, principalement liées à la hausse des coûts de transport de l’eau

sur de longues distances. Ces coûts de transport élevés sont dus à des investissements de

réseau (canalisations d’interconnexion, stations de surpression ou de pompage) qui sont de

plus en plus souvent pris en charge par les collectivités.

La variable PERTES est significative dans 5 des 6 spécifications MCO et elle est

assortie d’un signe négatif. Le taux de pertes est un indicateur de la vétusté des canalisations.

Plus ce taux est élevé, plus le réseau est en mauvais état, ce qui reflète un renouvellement

insuffisant des canalisations. Dans la mesure où ces investissements de renouvellement sont

de plus en plus souvent supportés par les collectivités, on observe donc que celles qui

investissent le moins doivent supporter des taux de pertes plus élevés.

Enfin, les longueurs de tuyau mises en place pour extension du réseau

(EXTENSION) influencent positivement nos deux variables dépendantes dans toutes les

spécifications, ce qui suggère que ces investissements sont majoritairement à la charge des

communes dans notre échantillon.

82 Voir chapitre 5.

Page 177: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

173

2.4.2. Investissements publics et échéance du contrat

Les résultats économétriques corroborent fortement notre proposition. Les contrats de

notre échantillon qui sont proches de leur terme (ECHEANCE faible) admettent des niveaux

significativement plus élevés d’investissements publics (PARTCOM et PRIXCOM élevés).

Dans le modèle 2, le coefficient de –0.005 pour ECHEANCE signifie que le rapprochement

de la fin du contrat d’une année augmente de 0.5% la part du prix de l’eau revenant à la

commune83. Pour une délégation d’une durée de 12 ans, cette hausse représente donc 6%

entre le début et la fin du contrat. On constate le même effet négatif de ECHEANCE sur

PRIXCOM (modèle 3). Les modèles 4 à 7 nous permettent de constater que les variables

croisées DLONG*ECHEANCE et DANCIEN*ECHEANCE sont significatives avec les

signes attendus.

Le tableau suivant synthétise l’impact de l’échéance du contrat sur nos deux variables

dépendantes :

Tableau 4 : Incidence du rapprochement d’un an du terme du contrat sur PARTCOM

et PRIXCOM

PARTCOM (%) PRIXCOM (en euros)

Effet moyen 0,5 0,598

Contrats avec durée ≤ 15 ans N.S N.S

Contrats avec durée > 15 ans 0,6 0,744

Contrats avec ancienneté ≤ 8 ans 0,2 0,3

Contrats avec ancienneté > 8 ans 0,8 0,916

Les chiffres 0.3 et 0.91 au bas de la deuxième colonne s’interprètent de la façon

suivante : lorsque le terme du contrat se rapproche d’un an, le prix de l’eau revenant à la

commune augmente en moyenne de 30 centimes d’euros pour les contrats qui ont 8 ans

d’ancienneté ou moins et de 91.6 centimes d’euros pour les contrats qui ont plus de 8 ans

d’ancienneté. De même, lorsque la durée du contrat est inférieure à 15 ans, l’échéance n’a

aucun impact sur les investissements de la commune. En revanche, pour les contrats d’une

83 La variable PARTCOM est introduite en valeur relative dans les régressions.

Page 178: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

174

durée supérieure à 15 ans, une diminution de 1 an de ECHEANCE augmente en moyenne

PARTCOM de 0.6% et PRIXCOM de 74.4 centimes d’euros.

Autrement dit, plus le contrat est long, plus l’investissement public s’accélère en fin

de délégation. Or, comme nous l’avons montré dans le chapitre 4 et conformément aux

prescriptions de la théorie des coûts de transaction, les contrats longs sont utilisés avec une

probabilité d’autant plus forte que la commune souhaite confier aux opérateurs la réalisation

d’infrastructures spécifiques de réseau à durée de vie élevée (renouvellement ou extension

du réseau de canalisations par exemple). Par conséquent, nos résultats économétriques

indiquent que l’accroissement de l’investissement public dans les dernières années d’une

délégation est d’autant plus significatif que le poids de l’investissement privé dans cette

délégation est important.

On peut donc conclure que les communes se substituent aux délégataires pour le

financement d’infrastructures spécifiques en fin de délégation afin d’éviter un risque de

sous-investissement de ce dernier. Les résultats statistiques présentés dans le chapitre 4 sont

donc corroborés économétriquement. Cependant, si la commune s’engage à investir à la

place du délégataire, elle peut exiger de ce dernier une renégociation à la baisse de son prix

en raison des externalités générées par les investissements mis en place sur les coûts

d’exploitations qu’il supporte. Le délégataire a intérêt à accepter tant que la baisse du prix

qu’il consent n’annule pas la réduction de coûts qu’il anticipe. Il en résulte que

l’augmentation du prix de l’eau revenant à l’opérateur (PRIXDIST) avec l’échéance du

contrat, que nous mis en évidence dans le chapitre 5, n’est sans doute pas entièrement

imputable à un effet de concurrence ex-post. Il peut aussi être attribué à une augmentation

des charges d’investissement des communes en fin de contrat84.

L’effet que nous observons dans les estimations est essentiellement attribuable à la

présence de contrats anciens dans notre échantillon. Nous pensons que ces résultats peuvent

expliquer pourquoi, dans le secteur français de l’eau, on observe actuellement un poids élevé

des investissements publics dans certaines vieilles concessions. Une explication possible est

que ces concessions, qui confiaient au départ des investissements de réseau importants aux

84 De manière similaire, on peut montrer à l’aide de la même modélisation économétrique que la part du prix de l’eau revenant à l’opérateur (PARTDIST) et le prix de l’eau revenant à l’opérateur (PRIXDIST) diminuent tous deux d’autant plus vite en fin de délégation que la durée du contrat est importante.

Page 179: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

175

concessionnaires, se sont transformés ces dernières années en affermage plus « classiques »

sous le double impact de l’échéance prochaine de ces contrats et des changements

institutionnels intervenus dans les années 199085.

CONCLUSION

Ce chapitre a eu pour objectif de tester empiriquement le risque du sous-

investissement dans les accords de franchise bidding. Nous avons rappelé les conditions, qui

selon la théorie des coûts de transaction, augmentent ce risque, à savoir la spécificité des

actifs et le caractère inobservable et invérifiable des investissements. Lorsque ces deux

conditions sont vérifiées, une durée trop faible des engagements par rapport à celle des

investissements spécifiques crée un risque de hold-up sur l’exploitant, l’incitant par

conséquent à sous-investir. Dans les contrats de long terme, cette proposition aboutit à un

comportement d’investissement cyclique des opérateurs.

C’est ce comportement, souvent évoqué dans la littérature, que nous avons pour la

première fois mis en évidence d’un point de vue empirique à partir de données recueillies sur

l’industrie française de l’eau. Dans ce secteur, les investissements de réseau sont très

spécifiques et de très long terme. De plus, nous avons argumenté sur leur caractère

difficilement observable et vérifiable. Enfin, le risque de hold-up est accu par un facteur

institutionnel, à savoir le retour automatique de ces infrastructures idiosyncrasiques à la

commune à la fin du contrat. Partant de ces constats, nous avons mis en évidence, par des

tests économétriques, la substitution de l’investissement privé par l’investissement de la

commune avec l’arrivée à terme des contrats d’approvisionnement d’eau. Ce résultat

corrobore donc les prescriptions de la théorie des coûts de transaction concernant le manque

d’incitation des opérateurs à investir en fin de contrat.

Au delà de la vérification empirique d’une proposition théorique, ce travail espère

ouvrir de nouvelles perspectives pour de futures recherches. En effet, si le risque de sous-

investissement des opérateurs dans les accords de franchise bidding peut sembler au premier

abord, évident et a, de ce fait, reçu beaucoup d’attention de la part des économistes, il le

semble moins d’un point de vue empirique. Affuso et Newberry [2002] ont évoqué la

85 Interdiction de reconduire tacitement les contrats (loi Sapin [1993]) et limitation de la durée des contrats à 20 ans (loi Barnier [1995]).

Page 180: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

176

possibilité d’observer le phénomène inverse, de sur-investissement des opérateurs en fin de

contrat, en effectuant des tests économétriques à partir du secteur du transport ferroviaire

britannique. Cependant, deux raisons nous font penser que leur étude n’est pas conforme au

cadre d’analyse que nous avons défini dans ce chapitre. Tout d’abord, les auteurs définissent

comme variable dépendante une dummy valant 1 si les opérateurs mettent en place des

investissements « spontanés », c’est-à-dire non prévus dans l’engagement initial. Ils relient

cette variable à la durée du contrat de l’opérateur et concluent à une relation négative : plus

la durée est faible, plus la probabilité d’observer des investissements spontanés augmente.

Mais dans leur étude, rien n’est dit sur la nature de ces investissements spontanés. Qui plus

est, leur test indique que la probabilité d’observer de tels investissements décroît quand la

spécificité des actifs augmente. Il y a donc de fortes chances que le coefficient négatif

observé pour la durée du contrat s’explique par le fait que les investissements spontanés

réalisés ne sont pas spécifiques. Ensuite, dans le secteur du rail britannique, les

investissements ne sont pas financés par les opérateurs, mais par un organisme, les Rolling

Stock Companies (ROSCOs) qui leur loue les équipements pendant toute la durée du contrat.

Les opérateurs ne supportent donc aucun risque d’investissement. Ces deux facteurs réunis

expliquent sans doute les fortes incitations des opérateurs à investir lorsque les contrats sont

courts dans ce secteur. Il peut s’agir d’un signal envoyé au régulateur destiné à lui prouver

leur motivation et augmenter ainsi leur probabilité de reconduction.

En pratique, l’attitude des opérateurs en matière d’investissements de fin de contrat

est susceptible d’être influencée par des facteurs aussi divers que le caractère observable ou

non des investissements spécifiques, leur caractère transférable ou non, vérifiable ou non,

l’incertitude environnementale, les difficultés d’évaluation de la valeur résiduelle des actifs

non amortis en fin de contrat, les effets de réputation ou encore la capacité des tierces parties

à faire respecter l’engagement. Les champs à explorer pour la théorie économique sont donc

nombreux et dépassent largement le cadre de ce travail. Mais il ne va pas sans dire qu’une

meilleure compréhension de l’influence de tous ces paramètres, et de leurs interactions, sur

le risque de hold-up est nécessaire. Cette première étape ne pourra que faciliter la recherche

de solutions institutionnelles, organisationnelles ou contractuelles crédibles au manque

d’efficacité des investissements privés dans les contrats de franchise bidding.

Page 181: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

177

CHAPITRE 7 : ENCHERES, CONCURRENCE PAR COMPARAISON

ET COLLUSION 86

Demsetz [1968] conditionne l’efficacité de la concurrence pour le marché à deux

paramètres : l’absence de collusion entre les candidats et un nombre suffisamment élevé

d’enchérisseurs lors de l’appel d’offres. En particulier, les ententes tacites entre fournisseurs

pour le partage des marchés leur permet de se soustraire à l’exercice de la concurrence et

augmentent leurs profits. La collusion tacite lors des enchères est très difficile à mettre en

évidence empiriquement. Dans l’industrie française de l’eau, caractérisée par un oligopole de

fait, de sérieuses suspicions pèsent sur les opérateurs à cet égard sans qu’il soit possible de le

prouver (voir chapitre 3).

Les travaux sur les problèmes de collusion lors des enchères peuvent se regrouper en

trois catégories (Aubert, Bontems et Salanié [2005b]) : ceux qui insistent sur la description

des mécanismes de fonctionnement de l’entente (McAfee et McMillan [1992]), ceux qui

donnent des éléments de réponse sur la manière de déceler les ententes (Ingraham [2005]) et

enfin, ceux qui proposent des solutions pour déstabiliser les ententes. Les principaux apports

dans ce domaine viennent de la théorie des enchères. Ainsi, une première solution naturelle

consiste pour l’autorité publique, à fixer un prix de réserve en dessous duquel les

enchérisseurs ne peuvent descendre (Graham et Marshall [1987], Thomas [2001]). Cette

politique augmente cependant le risque que l’appel d’offres soit infructueux et peut

également faire diminuer le nombre d’enchérisseurs, et donc la pression concurrentielle. Une

deuxième solution consiste à rendre le prix de réservation secret. Cette pratique oblige alors

les candidats à diminuer leur prix afin de ne pas risquer d’être évincé, ce qui rend la

collusion moins attractive pour les opérateurs et donc, moins stable. Enfin, il est

communément admis que les enchères ouvertes sont plus vulnérables aux risques de

collusion que les enchères sous plis scellés (Klein [1998b]). Cela vient de ce qu’une enchère

ouverte permet aux candidats d’observer et sanctionner les comportements déviants en

86 Les développements de ce chapitre dérivent d’un article et d’un document de travail :

• Eshien Chong et Freddy Huet : “Enchères, Concurrence par Comparaison et Collusion”, Revue Economique, vol. 57, numéro 3, 2006.

• Eshien Chong et Freddy Huet : “Yardstick Competition, Franchise Bidding and Firm’s Incentives to Collude”, working paper.

Page 182: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

178

soumettant des offres agressives. Cette menace peut suffire à discipliner les enchérisseurs et

donc, à rendre le cartel stable.

Les différentes solutions que nous venons d’évoquer se proposent de jouer sur les

caractéristiques de l’enchère. Dans ce chapitre, nous souhaitons contribuer à cette littérature

en proposant une solution organisationnelle au problème posé par les ententes tacites lors de

procédures d’enchères. Plus précisément, nous montrons, à l’aide d’un modèle de jeux

répétés, que l’utilisation conjointe de la concurrence pour le marché et de la concurrence par

comparaison (Shleifer [1985]) peut, dans certaines situations, déstabiliser la collusion au

moment des enchères et donc, améliorer l’efficacité de la concurrence pour le marché.

Ce chapitre est organisé de la manière suivante. Dans une première section, nous

décrivons les principales caractéristiques de notre modèle. La deuxième section se consacre

à l’étude de la collusion dans un cadre statique. Nous terminons enfin par une analyse des

incitations à l’entente tacite lorsque le jeu est répété à l’infini (section 3). Trois

configurations sont retenues pour l’organisation de la concurrence : la concurrence par

comparaison, l’enchère, et enfin la combinaison de ces deux mécanismes.

SECTION I. Le modèle

1.1. Technologies et préférences

Nous supposons qu'il existe deux marchés régionaux placés sous la juridiction d'un

régulateur. La demande est supposée inélastique et unitaire dans chaque marché. Le surplus

des consommateurs généré par la demande dans un marché est de S/2. Chaque marché est

servi par une firme locale i, i=1,2, dont la fonction de coût s'écrit:

Ci=β

i-e

i

où βi est le paramètre de productivité de la firme i. On suppose que les firmes sont

parfaitement symétriques ou corrélées dans le sens où elles ont le même paramètre de

productivité, c’est-à-dire βi = βi = β. Ce facteur β peut donc être vu comme le paramètre de

productivité de l'industrie. Il peut prendre deux valeurs: β et β respectivement avec une

probabilité de v et 1-v. Nous supposons que β > β et on pose par ailleurs ∆β = β − β . Ainsi,

Page 183: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

179

l'industrie est plus productive si β est réalisé. Ce paramètre n'est connu que par les firmes.

Dans la version répétée du jeu, β est supposé indépendant et identiquement distribué dans le

temps au début de chaque période. Les firmes sont en outre capables de réduire leurs coûts

de production en réalisant un effort ei. Cet effort génère néanmoins de la désutilité, dénotée

)( ieϕ et nous supposons ϕ > 0 pour e > 0, ϕ’ > 0, ϕ’’ > 0. Par conséquent, la désutilité de

l’effort est toujours non-négative. Il augmente avec l’effort à un taux de plus en plus

important. Nous supposons également que les efforts de réduction de coûts sur un marché

n’ont aucun impact sur la désutilité des efforts de réduction de coûts de l’autre marché.

1.2. Le régulateur

Nous supposons que ces marchés régionaux sont monopolistiques et qu’à ce titre, il

existe un régulateur national qui contrôle l’approvisionnement du service en question dans

les deux régions. Le régulateur est confronté à un problème d’asymétries d’information : il

ne connaît pas le niveau de productivité βi des firmes ni le niveau d’effort des firmes ei.

Afin de surmonter ces deux problèmes informationnels, on suppose que le régulateur peut

choisir entre deux types de mécanismes : soit il attribue un droit de monopole temporaire sur

chaque marché en utilisant la concurrence pour le marché (franchise bidding), soit il régule

les firmes par une politique de concurrence par comparaison (Shleifer [1985])87 , soit il fait

appel aux deux mécanismes.

Quel que soit le mécanisme choisi, le régulateur rembourse totalement les firmes de

leur coût de production Ci observé ex-post. De plus, il effectue un transfert supplémentaire,

noté ti , à la firme i. Les rentes de la firme i en terme d’utilité espérée s’écrivent donc :

Ui = ti - )( ieϕ

Le régulateur est supposé être utilitariste. Il cherche à maximiser le surplus social qui

représente simplement la somme du surplus social de chaque marché :

87 Ce mécanisme, proposé pour la première fois par Shleifer [1985] doit permettre au régulateur de comparer l’efficacité de différentes firmes opérant sur un marché donné (coûts, qualité de service) et de prendre les décisions affectant les profits d’une entreprise (standards de qualité, transferts…) en se basant sur les performances des autres firmes. Autrement dit, le profit d’une entreprise dépend de sa performance relative par rapport à d’autres firmes comparables fournissant des services similaires.

Page 184: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

180

W = ii

iiii

UeeS Σ−+−Σ+− λϕβλ ))(()1(

où λ est le coût caché des fonds publics, c’est-à-dire supportés par le régulateur pour lever

ces fonds.

1.3. La collusion

Quelle que soit la forme de concurrence privilégiée par le régulateur, la capacité des

firmes à colluder dépend de leurs incitations à se conformer à une stratégie de collusion. Les

contrats formels de collusions étant illégaux et donc, réprimés par la loi, l’entente entre les

firmes ne peut être que tacite, ou autrement dit, auto-exécutoire pour être stable. Dans ce

travail, nous utilisons un jeu infiniment répété avec des stratégies de déclenchement

(Friedman [1971]) afin d’étudier la stabilité des ententes tacites. Selon ce cadre d’analyse,

une firme choisit de se conformer à une stratégie de collusion si elle n’a observé aucune

déviation à la période précédente. Dans le cas contraire, elle décide également de jouer de

manière coopérative. La collusion est stable tant que l’utilité espérée que permet d’atteindre

une stratégie d’entente est supérieure à l’utilité espérée d’une déviation et de la stratégie non

coopérative qui en résulte. Nous supposons que les deux firmes ont le même taux

d’escompte, noté δ. Il s’agit d’une mesure du degré de patience des firmes, ou de sa

préférence pour le présent.

1.4. Séquences du jeu

Avant le début du jeu, le régulateur choisit le mécanisme de concurrence : franchise

bidding, concurrence par comparaison, ou les deux. Au début de chaque période, la nature

choisit β et le révèle aux firmes. Ensuite, le régulateur offre le contrat correspondant aux

firmes et s’y tient. Le contrat est établi à partir des annonces des firmes concernant leur

paramètre de productivité et d’un transfert net calculé à partir de ces annonces88. Les firmes

peuvent accepter ou refuser le contrat. Si une firme refuse, elle obtient l’utilité Ur, qui

correspond à l’utilité obtenue grâce à son option extérieure. Nous normalisons cette utilité à

0, soit Ur = 0. Si les firmes acceptent l’offre, elles annoncent leur paramètre de productivité.

La production s’opère et les transferts sont effectués conformément au contrat proposé par le

régulateur. Une nouvelle période commence avec une nouvelle réalisation de β. Le jeu est

infiniment répété. 88 Le principe de révélation garantit qu’il n’y a aucune perte de généralité lorsqu’on se concentre uniquement sur les mécanismes de révélation directs.

Page 185: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

181

Dans le cas où le régulateur n’est confronté à aucun problème d’asymétries

d’information, il offre le contrat d’information symétrique qui spécifie un niveau d’effort de

first best, noté eFI . eFI est tel que ϕ’(eFI) = 1. Le transfert net s’établit alors à ti = ϕ (eFI) de

manière à compenser exactement chaque firme pour la désutilité de son effort. Elle ne

reçoivent ici aucune rente.

SECTION 2. La stabilité de la collusion dans un jeu statique

Lorsqu’un régulateur est confronté à un problème d’asymétries informationnelles, il

ne peut avoir recours au contrat de first best car les firmes ont intérêt à se déclarer

inefficaces quand bien même qu’elles sont efficaces. Baron et Myerson [1982] et Laffont et

Tirole [1993] caractérisent le contrat individuel incitatif optimal pour réguler les firmes dans

cette situation. Dans ce travail, nous nous focalisons plutôt sur les mécanismes qui

permettent au régulateur de stimuler artificiellement la concurrence entre les firmes afin de

surmonter le problème d’asymétrie d’information. Deux dispositifs sont considérés ici : le

franchise bidding et la concurrence par comparaison.

2.1. La concurrence par comparaison dans un cadre statique

Si le régulateur fait appel à la concurrence par comparaison, il compare les

performances relatives de chaque firme et fait dépendre leur rémunération de cette

comparaison. Dans notre modèle, nous considérons que le régulateur confronte les annonces

des deux firmes et établit les transferts par rapport à ces annonces. Par conséquent, la

concurrence par comparaison ne peut être employée que si chaque firme opère chacune sur

un marché. Le contrat se caractérise alors par un remboursement de coûts et un transfert net

calculés à partir du paramètre de productivité annoncé par chaque firme :

{ })~,

~(),

~,

~( jiji Ct ββββ , avec iβ~ l’annonce de la firme i pour le paramètre de productivité et

jβ~ l’annonce de la firme j, j ≠ i.

Puisque les deux firmes sont incitées à annoncer β quand β est réalisé (auquel cas,

elles reçoivent une rente informationnelle positive mesurée en terme d’économies de la

désutilité de l’effort sur les efforts de réduction de coûts) et qu’elles sont parfaitement

Page 186: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

182

corrélées, des annonces incompatibles (iβ~ ≠ jβ~ ) permettent au régulateur de déduire que le

paramètre de productivité réel de l’industrie est β et que la firme annonçant β ment. Nous

adoptons alors le mécanisme suivant adapté de Auriol ([1993], [2000]) et Auriol et Laffont

([1992])89 :

i. Si iβ~ = jβ~ , alors Cc ( iβ~ , jβ~ ) = iβ~ - ec et t( iβ~ , jβ~ ) = tc : lorsque les annonces

sont compatibles, alors le contrat rembourse totalement les coûts des firmes selon

le paramètre de productivité annoncé et établit un transfert tc.

ii. Si iβ~ ≠ jβ~ , alors Cc ( iβ~ , jβ~ ) = β - ec et t( β , β ) = tc – P et/ou t(β , β ) = tc +

A : si les annonces sont incompatibles, le régulateur ne rembourse que le niveau

de coûts correspondant à une productivité de type β. Il établit de plus un transfert

qui inclut une compensation A pour la firme annonçant β et/ou une amende (ou

punition) P pour la firme annonçant β .

Les paramètres tc, Cc et ec représentent respectivement les transferts, les coûts qui

sont remboursés et le niveau d’effort de réduction de coûts spécifiés dans le contrat. Les

tableaux 1 et 2 donnent le niveau d’utilité des firmes selon la réalisation du paramètre de

productivité et selon leur annonce.

La proposition 1 résume le résultat d’équilibre du jeu statique :

Proposition 1. A l’équilibre, le régulateur peut proposer le contrat de first-best et les deux

firmes n’ont pas intérêt à mentir. Lorsque le régulateur n’utilise que la punition, c’est-à-dire

si P > 0 et A = 0, les annonces véridiques constituent un équilibre de Nash bayesien. A

l’inverse, si le régulateur a recours à la compensation, les annonces véridiques constituent

un équilibre en stratégie dominante si )( ceϕ - )( βϕ ∆−ce ≤ A ≤ )( βϕ ∆+ce - )( ceϕ .

Preuve : voir annexe 1.

Nous notons U ≡ )( FIeϕ - )( βϕ ∆+FIe (resp. U ≡ )( FIeϕ - )( βϕ ∆−FIe ) les rentes

informationnelles de la firme lorsque le contrat de first-best est appliqué, que le paramètre de

89 Ces auteurs ne considèrent que l’utilisation d’amendes élevées pour dissuader la dissimulation d’informations. Dans ce travail, nous analysons également le rôle de la compensation.

Page 187: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

183

productivité de l’industrie est β (resp. β) et que la firme annonce β (resp.β ). On a par

ailleurs U < 0 et U > 0.

Tableau 1 : matrice des paiements lorsque le paramètre de productivité est β

Tableau 2 : matrice des paiements lorsque le paramètre de productivité est β

Notons que les annonces véridiques ne constituent pas l’unique équilibre de Nash

dans ce jeu90. En effet, dans le cas où β est réalisé et que le régulateur n’a recours qu’à la

punition, les deux firmes annoncent β 91. Par conséquent, les firmes régulées sont incitées à

entrer en collusion, même dans le cadre d’un jeu statique reposant sur la punition. Par

conséquent, afin d’être certain que les révélations véridiques constituent l’unique équilibre,

le régulateur devrait préférer mettre en place une stratégie dominante qui lui permet de

récompenser les révélations véridiques dans le cas d’annonces incompatibles. Dans ce

dernier cas, le montant de la compensation admet une borne supérieure si le régulateur ne

90 Ce point a déjà été démontré dans la littérature. Voir par exemple Demski et Sappington [1984] ou Mookherjee [1984]. 91 Néanmoins, Auriol [2000] montre que contrairement à ce jeu de révélation simultané, une concurrence par comparaison basée sur la punition et sur un menu de contrats linéaires aboutit à un équilibre de first-best unique.

Page 188: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

184

veut pas inciter les firmes à annoncer β lorsque leur vrai paramètre de productivité est β. La

borne inférieure, quant à elle, garantit que les firmes préfèrent fournir des annonces honnêtes

lorsqu’elles sont efficaces (β est réalisé). Dans le reste de ce chapitre, nous supposerons que

le régulateur fixe toujours A dans cet intervalle.

Le jeu statique montre que la valeur de la concurrence par comparaison vient du fait

que le régulateur peut exploiter la corrélation entre l’information privée des deux firmes. Ce

mécanisme est un outil supplémentaire que peut utiliser le régulateur pour solliciter

l’information privée des firmes, et qui lui permet d’économiser de coûteuses rentes

informationnelles92.

2.2. Le franchise bidding dans un cadre statique

Quand un mécanisme de franchise bidding est utilisé, la compétition par le marché,

qui est impossible dans les industries en monopole naturel, est remplacée par la compétition

pour le marché (Demsetz [1968]). Dans notre cadre d’analyse, le régulateur définit les droits

de marché pour chaque monopole local et attribue ces droits à la firme dont les coûts sont les

plus faibles. Afin d’étudier l’effet de ce type d’arrangement sur les incitations à la collusion,

nous continuons à nous focaliser sur les mécanismes de révélation directs : au lieu d’enchérir

sur leur niveau de coûts, les firmes soumettent des annonces sur leur paramètre de

productivité. Le régulateur a recours à un contrat mentionnant le niveau de coûts remboursé

C(ec)93 et le tranfert net tc. Ce contrat est attribué à la firme annonçant le β le plus faible.

Dans le cas où les annonces des deux firmes coïncident, chacune se voit attribuer un marché.

Le choix de cette règle de partage en cas d’ex aequo s’explique par le fait que les résultats

des firmes peuvent alors être comparées dans certaines configurations qui seront étudiées

plus tard dans ce chapitre. En particulier, lorsque le franchise bidding est utilisé

conjointement avec la concurrence pour le marché, le régulateur préfère la présence des deux

firmes sur le marché afin de pouvoir comparer de manière crédible leurs performances.

La différence majeure entre ce jeu et la concurrence par comparaison réside en ce que

le régulateur n’a plus accès à la compensation ou à la punition si les annonces diffèrent :

simplement, il encourage les annonces crédibles par la promesse d’attribuer les deux 92 A cet égard, Crémer et McLean ([1985], [1988]) montrent que toute corrélation, même faible, entre l’information privée des agents permet au principal d’extraire toute leur rente informationnelle. 93 Ce facteur peut être vu comme un objectif de coûts sur lequel le régulateur s’engage de manière crédible.

Page 189: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

185

marchés à la firme annonçant le paramètre de productivité le plus faible lorsque les

annoncent ne coïncident pas. Les tableaux 3 et 4 retracent le niveau d’utilité des firmes selon

la réalisation du paramètre de productivité et selon leur annonce pour un niveau de transfert

tc donné.

Tableau 3 : matrice des paiements lorsque le paramètre de productivité est β

Tableau 4 : matrice des paiements lorsque le paramètre de productivité est β

La proposition suivante résume le résultat de ce jeu.

Proposition 2. En cas d’attribution des marchés par franchise bidding, le régulateur

propose le contrat de first best. Les annonces honnêtes de la part des deux firmes constituent

un équilibre de Nash bayesien.

Preuve : voir annexe 2.

Cependant, comme pour la proposition 1, les annonces honnêtes ne constituent pas le

seul équilibre de Nash. Plus précisément, lorsque β est réalisé, les firmes peuvent être

incitées à annoncer β et conserver une rente informationnelle. A l’instar de la concurrence

par comparaison assortie de punitions, la collusion est possible, même dans ce jeu statique.

Page 190: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

186

SECTION 3. Collusion auto-exécutoire et jeu dynamique

Dans cette section, nous analysons comment évoluent les incitations à la collusion

lorsque l’on passe d’un cadre statique à un cadre dynamique, plus réaliste. Trois

configurations sont étudiées : le régulateur fait appel à la concurrence par comparaison

uniquement, il fait appel au franchise bidding uniquement, et enfin, il a recours aux deux

mécanismes.

3.1. Concurrence par comparaison et collusion

A partir des tables 1 et 2, on a pu voir que les firmes peuvent être gagnantes à

annoncer β lorsque le paramètre de productivité est en fait β. Elles obtiennent alors une

rente U > 0. Mais quand le paramètre de productivité de l’industrie est β , elles ne gagnent

rien à annoncer β et ont donc intérêt à être honnête dans leur annonce. Par conséquent, une

entente entre les firmes ne peut consister qu’à annoncer β quel que soit la réalisation de β.

Autrement dit, pour que la collusion soit stable, les firmes ne doivent pas dévier lorsque β est

réalisé. On en déduit la proposition suivante :

Proposition 3. Quand le régulateur emploie la concurrence par comparaison dans un

régime de punition, la collusion est toujours stable. Dans le cas d’une concurrence par

comparaison employée dans un régime de compensation, la collusion est stable si et

seulement si la compensation est suffisamment faible et/ou les firmes sont suffisamment

patientes. En terme de seuil critique* ,cYCδ , la collusion est stable dans cette deuxième

configuration si et seulement si :

Preuve : voir annexe 3.

δ > *,cYCδ =

UvA

UA

)1( −−−

(1)

Cette proposition se comprend facilement. Une firme n’a pas intérêt à rompre

l’entente lorsque le régulateur utilise la punition car la déviation ne rapporte rien à la firme

déviante seule la firme respectant l’accord de collusion est punie. En revanche, les firmes

peuvent être tentées par des perspectives de compensation, ce qui peut les inciter à rester

Page 191: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

187

honnêtes. Dans ce contexte, la collusion est d’autant moins stable que la compensation est

forte et leur degré d’impatience (δ) élevé.

Le corollaire suivant analyse l’impact de certaines variables sur le facteur

d’escompte :

Corrollaire. Pour tout U ≤ A ≤ -U fixé par le régulateur, le taux d’escompte critique

diminue avec ∆β e t v.

Preuve : voir annexe 4.

Ce corrollaire suggère que les firmes sont d’autant plus encouragées à respecter

l’entente lorsque l’écart entre les paramètres de productivité élevé et faible est grand et que

la probabilité d’observer β augmente. Dans les deux cas, les firmes anticipent des rentes

informationnelles futures élevées en pratiquant la collusion, et peuvent donc se permettre

d’être moins patientes pour soutenir le cartel.

3.2. Franchise bidding et collusion

Comme pour la précédente proposition, on peut voir à partir des tables 3 et 4 que

quand un mécanisme de franchise bidding est mis en place pour mettre aux enchère le

contrat de first best, les firmes peuvent avoir intérêt à s’entendre et à toujours annoncer β

quelle soit la réalisation du paramètre de productivité. De cette façon, elles partagent les

marchés et en même temps, bénéficient de rentes informationnelles. Dans ce cadre

dynamique, nous supposons que les deux marchés mis aux enchères ne le sont que pour une

seule période car l’information privée des firmes change d’une période à l’autre.

Pour que la collusion soit stable et conduise à un partage effectif des marchés, les

firmes doivent résister à la tentation de dévier quand β est réalisé. Comme dans la discussion

précédente, une firme perd à annoncer β lorsque la réalisation du paramètre de productivité

est β . On en déduit la proposition suivante :

Proposition 4. Lorsqu’un mécanisme de franchise bidding est utilisé pour attribuer les

marchés, la collusion est toujours stable

Page 192: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

188

Preuve : voir annexe 5.

Ce résultat s’explique facilement : gagner les deux marchés ne rapporte rien à la

firme déviante car les contrats mis aux enchères sont des contrats de first best. Par

conséquent, les firmes préfèreront toujours jouer l’entente et se partager les marchés pour

préserver leur rente informationnelle.

3.3. Franchise bidding, concurrence par comparaison et collusion

Dans le cas où le régulateur décide de faire appel aux deux mécanismes, il commence

par mettre les marchés aux enchères. Le monopole temporaire d’une firme sur un marché

dure alors n + 1 périodes, la régulation par la politique de concurrence par comparaison

s’étalant sur n périodes restantes. Dans le jeu répété, à la fin des (n + 1) périodes, une

nouvelle enchère est organisée pour (n + 1) périodes, ad infinitum.

Puisque le but de la collusion est de maximiser les profits joints, la stratégie de

collusion des firmes consiste à annoncer β pour toutes les périodes du jeu quelle que soit la

réalisation du paramètre de productivité. Dans ce contexte, les firmes s’accordent sur leur

annonce au moment de l’enchère ainsi qu’au moment de la régulation en concurrence par

comparaison afin de bénéficier de rentes informationnelles. Cependant, si une firme est

capable d’obtenir les deux marchés, elle peut coordonner ses annonces pendant les n

périodes de concurrence par comparaison. Autrement dit, elle peut bénéficier de rentes

informationnelles sur les deux marchés pendant toute ces périodes. Les firmes peuvent donc

dans ce cas être incitées à dévier de la stratégie de collusion, en étant honnête dans leur

annonce si β est réalisé, et en annonçant β quand β est réalisé. Dans le premier cas, une

firme adoptant cette stratégie obtient l’utilité :

DU β ( β ) = Uvn

δδδ

−−

1

)1(2

avec DU β )~

(β représentant l’utilité de la firme déviante quand le paramètre de productivité

de l’industrie est β et qu’elle annonce β~ .

Page 193: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

189

Quand β est réalisé, une firme déviante peut vouloir annoncer le bon paramètre de

productivité β afin de s’assurer le monopole sur deux marchés pour les (n + 1) périodes en

jeu. Son utilité s’écrit alors :

DU β ( β ) = 2U + Uvn

δδδ

−−

1

)1(2

Par conséquent, la collusion n’est stable que si :

U + Uv

δδ

−1 ≥ Uv

n

δδδ

−−

1

)1(2 (2)

quand β est réalisé et

Uv

δδ

−1 ≥ 2U + Uv

n

δδδ

−−

1

)1(2 (3)

quand β est réalisé.

On peut voir facilement que si l’équation (2) est vérifiée, la relation (3) l’est

également. En effet, puisque |U | > |U |, et |U | < 0, (2) implique que Uv

δδ

−1 ≥

Uvn

δδδ

−−

1

)1(2 − U . Ce dernier terme doit être supérieur à 2U + Uv

n

δδδ

−−

1

)1(2 .

Par conséquent, la collusion est stable si l’équation (2) est vérifiée. Nous pouvons

réécrire cette relation de la façon suivante :

2vδ n+1 - (1 + v) δ + 1 ≥ 0 (4)

Nous définissons f (δ, v, n) ≡ 2vδ n+1 - (1 + v) δ + 1. Nous traçons les graphes

associés à cette équation selon δ et pour v = 0.2, 0.5 et 0.8. Pour chaque valeur de v, nous

traçons les courbes correspondantes pour n = 1, 4, 9, 24, 34, ce qui correspond à des droits

de monopole de 2, 5, 10, 25 et 35 périodes. La collusion est stable pour tout δ tel que f ( . )

est positive.

Page 194: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

190

Graphique 1 : f (δδδδ, n) pour v = 0.2

Graphique 2 : f (δδδδ, n) pour v = 0.5

Plusieurs constats peuvent être établis à partir de ces trois graphes. Toutes choses

égales par ailleurs, la collusion est d’autant moins stable que v est élevé et que le nombre de

périodes séparant deux étapes de franchise bidding est élevé. De manière intuitive, une

Page 195: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

191

augmentation de v implique une probabilité plus forte pour les firmes de recevoir des rentes

informationnelles élevées dans le futur. De plus, lorsque n augmente, les rentes futures

associées à la détention des deux marchés deviennent de plus en plus importante. Ces deux

facteurs contribuent donc à déstabiliser les ententes tacites lorsque leur valeur s’accroît.

De manière surprenante, les schémas montrent qu’il existe deux seuils critiques pour

le facteur s’escompte dans ce jeu : les firmes peuvent soutenir le cartel dans le cas où elles

sont suffisamment patientes et…impatientes ! Ces facteurs d’escompte critiques

correspondent à des valeurs de f (δ, v, n) = 0 sur les graphiques. Ce résultat contraste

quelque peu avec les résultats trouvés dans la littérature traitant des problèmes de collusion

auto-exécutoires à partir de jeux répétés.

Graphique 3 : f (δδδδ, n) pour v = 0.8

Page 196: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

192

Notons δ *FB,YC le seuil critique le plus faible et * ,YCFBδ le seuil critique le plus élevé,

la collusion est stable si δ ≤ δ *FB,YC ou si δ ≥ *

,YCFBδ . Nous résumons toutes ces

observations dans la proposition suivante :

Proposition 5. Quand le régulateur attribue les marchés en ayant recours à un mécanisme

de franchise bidding avant de les réguler au moyen de la concurrence par comparaison, la

collusion est toujours stable si v et n sont suffisamment faibles. Lorsque v et n sont

suffisamment élevés, la collusion est stable si et seulement si les firmes sont soit

suffisamment patientes, soit suffisamment impatientes.

Pour expliquer l’intuition de ce résultat, remarquons tout d’abord que quand une

firme dévie, elle doit renoncer aux rentes informationnelles de première période afin de

pouvoir remporter l’enchère pour les deux marchés. Ce « sacrifice » lui permet ensuite de

bénéficier de rentes informationnelles sur les n périodes restantes car elle peut alors

coordonner ses annonces sur les deux marchés. Par conséquent, si ces rentes sont

improbables (v faible) ou faibles en espérance (n faible), les firmes peuvent préférer

conserver les rentes informationnelles de première période et donc, jouer l’entente au

moment de l’enchère. Mais de manière intéressante, même si v et n sont élevés et favorisent

donc des rentes informationnelles futures importantes, la collusion peut demeurer stable lors

de la mise en concurrence des marchés si les firmes sont suffisamment impatientes. En effet,

si elles accordent une valeur importante au présent, elles peuvent préférer les rentes

informationnelles de première période aux gains potentiels qu’elles pourraient obtenir grâce

à la détention des deux marchés. On peut donc bien avoir δ ≤ δ *FB,YC .

L’intuition de la deuxième partie de la proposition est plus classique : dans un jeu

avec stratégies de déclenchement, après une déviation unilatérale, toutes les firmes

répondent en jouant de manière non coopérative. Dans notre cas, cela implique qu’à la fin de

la dernière période de concurrence par comparaison, lors de la remise aux enchères, une

firme déviante doit renoncer à sa rente informationnelle de première période si elle a triché

lors de l’enchère précédente. Ce qui justifie donc que l’on doit avoir δ ≥ *,YCFBδ pour que la

collusion soit stable.

Page 197: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

193

Notons que si n = 0, on revient à la situation de la proposition 4 dans laquelle le

régulateur ne met les marchés aux enchères qu’une seule fois. La collusion est dans ce cas

toujours stable.

3.4. L’organisation de la concurrence et ses effets sur la collusion

La collusion peut être un problème sérieux quand un régulateur essaie d’introduire

des mécanismes de concurrence dans les industries de monopole naturel. Néanmoins, les

incitations des firmes à pratiquer la collusion dépendent du type de mécanisme introduit par

le régulateur. Ainsi, dans un cadre dynamique, nous avons montré que la concurrence par

comparaison assortie de punitions devrait être évitée. Le régulateur a davantage intérêt à

recourir à la compensation pour inciter les firmes à fournir des annonces honnêtes.

Cependant, plus les firmes sont patientes, plus le montant de la compensation doit être

élevée. Si elle est trop faible, les firmes peuvent préférer accorder plus de poids aux profits

futurs et donc, respecter l’entente. Mais nous avons aussi vu qu’une compensation trop

élevée pouvait produire des effets contre-incitatifs. En outre, l’engagement du régulateur de

récompenser les firmes déviantes peut être jugé non crédible par les firmes si les montants en

jeu sont trop importants. Cette stratégie pourrait donc échouer dans son objectif de lutte

contre la collusion.

Une autre solution peut, dans ce cas, consister à attribuer les marchés selon une

procédure à la Demsetz. Mais dans le cadre d’un jeu répété à l’infini, le modèle conclut à

une inefficacité de ce dispositif dans une perspective de lutte contre la collusion.

Enfin, la combinaison de ces deux mécanismes peut contribuer à déstabiliser la

collusion sous certaines conditions. En particulier lorsque le nombre de périodes pendant

lesquelles sont attribués les droits de monopole augmente, la stabilité de la collusion

diminue, toute chose égale par ailleurs. La déviation s’explique dans ce cas par les

perspectives de rentes futures élevées que peut procurer l’obtention des deux marchés.

Lorsque ces perspectives sont bonnes (n élevé, v élevé), la tentation peut être forte pour les

firmes de violer l’accord de collusion. Cependant, combiner ces deux mécanismes peut aussi

augmenter les risques de collusion par rapport à une situation où seule la concurrence par

comparaison est utilisée. La raison vient de ce que sous une politique de concurrence par

comparaison simple, la collusion n’est stable que si les firmes sont suffisamment patientes.

Page 198: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

194

Lorsque les deux mécanismes sont employés, elle est stable si les firmes sont suffisamment

patientes et impatientes, ce qui peut donc réduire l’intervalle de valeurs pour lequel le taux

d’escompte permet une concurrence efficace entre les firmes.

Toutes choses égales par ailleurs, le modèle suggère donc que si les firmes sont trop

impatientes, il est préférable pour le régulateur de recourir à la concurrence par comparaison

seule. La valeur importante que les firmes accordent au présent permet dans ce cas au

régulateur de déstabiliser le cartel par des niveaux de compensations raisonnable. Lorsque

les firmes deviennent davantage patientes, le montant de la compensation doit augmenter et

il peut alors devenir intéressant de recourir aux deux mécanismes. Cependant, si les firmes

sont trop patientes, la collusion peut rester stable quel que soit le mécanisme de concurrence

choisi par le régulateur. Ce dernier devra alors trouver d’autres dispositifs de lutte contre les

ententes tacites.

CONCLUSION

Dans ce modèle, nous nous sommes proposés d’étudier la question de la stabilité des

ententes tacites dans les industries en monopole naturel sous trois formes de mise en

concurrence : le franchise bidding, la concurrence par comparaison, et la combinaison des

deux mécanismes. Il apparaît qu’en environnement dynamique, l’attribution des marchés par

franchise bidding ne permet jamais de déstabiliser la collusion. En revanche, la combinaison

du mécanisme de Demsetz avec une régulation ex-post au moyen de la concurrence par

comparaison peut, pour certains paramètres du modèle, rendre la collusion instable.

L’intuition de ce résultat repose sur l’idée que les entreprises peuvent avoir intérêt à lutter au

moment de l’enchère afin d’obtenir un droit de monopole sur plusieurs marchés de manière à

augmenter leurs futures rentes informationnelles.

Ce modèle est très certainement critiquable sur plusieurs points. Par exemple, dans le

jeu dynamique, nous supposons que lorsque le régulateur utilise le franchise bidding seul, il

remet en concurrence les marchés au bout d’une période, au moment où un nouveau de

paramètre de productivité se réalise. Cette stratégie lui permet de capter à chaque période les

rentes informationnelles des firmes lorsqu’elles sont honnêtes. Or, dans la réalité, la durée

des contrats n’est pas seulement fixée selon les prévisions dans les changements de

conjoncture, mais elle dépend aussi étroitement de la durée de vie des investissements

Page 199: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

195

spécifiques mis en œuvre par les firmes (Joskow [1987]). Et ces investissements spécifiques

peuvent être importants dans les industries de réseau en situation de monopole naturel.

Une deuxième limite du modèle vient de ce qu’il suppose que les candidats sont à

égalité au moment de la remise aux enchères des marchés. Or, la littérature sur le franchise

bidding montre clairement que le candidat en place possède un avantage certain sur ses

concurrents dans une telle situation. La prise en compte de ce facteur pourrait contribuer à

rendre plus instable la collusion dans le cadre de ce modèle car l’absence de parité lors de

remise en concurrence diminue les risques de punition de la firme déviante par son

concurrent.

Enfin, quand bien même que les transferts sont supposés coûteux pour le régulateur

(coût de levée des fonds publics), le modèle ne tient pas compte du coût de mise en œuvre

des mécanismes de concurrence. Ces coûts ne sont pourtant pas nécessairement

anecdotiques. Par exemple, Yvrande-Billon [2005] souligne que dans le secteur du transport

urbain français, le coût de préparation des offres s’établit entre 30.000 euros pour les petits

réseaux et 500.000 euros pour les grands réseaux.

Néanmoins, malgré ses limites, nous pensons que ce travail peut être utile pour deux

raisons. Tout d’abord, il s’agit du premier modèle à étudier la collusion entre firmes dans les

industries en monopole naturel en proposant une solution organisationnelle à ce problème.

Prêter davantage d’attention aux effets possibles de différents mécanismes de concurrence

sur les incitations à l’entente est pour l’économiste d’autant plus fondamental que le sujet est

d’actualité. Ainsi, en France, les observateurs s’interrogent sur l’opportunité de réguler

l’industrie de l’eau au moyen d’une politique de concurrence par comparaison qui puisse

compléter efficacement le dispositif de délégation de services publics prévu par la loi Sapin

(Guérin-Schneider [2003]). Ensuite, il montre que la multiplication des dispositifs sensés

promouvoir la concurrence dans les secteurs en monopole naturel pourraient avoir l’effet

contraire à celui escompté lorsqu’ils sont combinés : la collusion pourrait en sortir renforcée.

Ce résultat indique donc qu’une vigilance s’impose lorsque le régulateur souhaite faire

conjointement appel à plusieurs mécanismes de régulation pour améliorer la compétition

entre les firmes dans un secteur donné.

Page 200: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

196

CONCLUSION GENERALE

Le moment est à présent venu de résumer les principales conclusions auxquelles

notre réflexion a abouti au cours des différents chapitres de ce travail et de proposer des axes

de réflexion pour l’avenir. Nous sommes partis du débat qui a animé les économistes dans

les années 1960 et 1970 sur la pertinence de la concurrence pour le marché et du contrat

comme instruments de régulation des services publics en situation de monopole naturel. Aux

arguments de Demsetz [1968] et Posner [1972], qui vantent les mérites de ce procédé,

s’opposent ceux de Williamson [1976] et Goldberg [1976] qui mettent en évidence les

nombreux obstacles et coûts pouvant affecter son efficacité.

Si, comme le relève Littlechild [2002], la littérature a dans l’ensemble suivi les

arguments de Goldberg [1976] ou Williamson [1976], de nombreux travaux théoriques et

empiriques apportant un éclairage nouveau sur cette question apparaissent ces dernières

années. Certains d’entre eux cherchent à relativiser l’importance de certaines critiques

formulées à l’égard de la concurrence pour le marché, d’autres proposent des solutions

originales pour améliorer son efficacité. Ces deux types de travaux ont favorisé l’émergence

d’une littérature du franchise bidding.

1. Une efficacité qui reste à démontrer

Les rares études économétriques qui ont étudié la question de l’efficacité du

franchise bidding se sont généralement efforcées, soit de décrire les problèmes que posent la

mise en place de ce mode organisationnel (Troesken et Geddes [2001]), soit d’atténuer la

portée de certaines critiques à son égard (Zupan [1989a, b], Prager [1990]). Ces travaux

tentent donc plutôt d’évaluer l’efficacité du franchise bidding en termes absolus mais ne

présagent pas une meilleure efficacité par rapport à d’autres modes organisationnels

encadrant la réalisation du même type de transaction (Crocker et Masten [1996]).

Notre premier travail empirique s’est donc consacré à l’analyse des performances du

franchise bidding en termes relatifs. A partir de données recueillies dans l’industrie française

de l’eau, nous avons mis en évidence que les performances atteintes par les services d’eau en

délégation sont moins bonnes, de manière globale, que celles des communes ayant opté pour

l’exploitation publique. Les deux autres études dont nous avons connaissance sur le secteur

Page 201: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

197

(Boyer et Garcia [2004], Carpentier et al [2005]) ne concluent pas clairement en faveur

d’une meilleure performance d’un mode d’exploitation par rapport à un autre. Nous

aboutissons à une conclusion relativement pessimiste concernant la supériorité du franchise

bidding dans le secteur de l’eau. Ces résultats peu convaincants rejoignent d’ailleurs ceux

trouvés par d’autres auteurs sur la privatisation des services d’eau (Saal et Parker [2000],

Estache et Rossi [2002], Wallsten et Kosec [2005]).

Notre réflexion nous amène à conclure que les gains attendus du recours au franchise

bidding (meilleures incitations à réduire les coûts, gains en termes d’économies d’échelles)

sont contrebalancés par les coûts de transaction élevés induits par ce mode d’organisation

(coûts de maladaptation, coûts de contrôle des opérateurs, coûts de renégociations

notamment). Doit-on pour autant en déduire que le dispositif de concurrence pour le marché

doit être abandonné dans les industries en situation de monopole naturel, et plus

particulièrement, dans l’industrie de l’eau ? Il serait hâtif d’en arriver si vite à une telle

conclusion.

En effet, l’étude des performances relatives que nous avons conduite a tenté

d’évaluer les performances relatives des contrats d’affermage de manière globale. Mais cela

ne préfigure pas que la délégation ne soit pas plus efficace que la régie dans certaines

situations. Ainsi, Carpentier et al [2005] montrent que deux raisons peuvent conduire les

communes à choisir la délégation. La première est qu’elles préfèrent déléguer lorsqu’elle

perçoit le service trop complexe à exploiter en régie, en dehors de toute considération de

prix : c’est l’effet de sélection sur les conditions d’exploitation. La deuxième est que les

délégataires apparaissent plus efficaces dans cette situation : c’est l’effet de sélection sur les

prix. Mais ces auteurs montrent que de nombreuses communes décident de déléguer quand

bien même le degré de complexité du service rend en principe, une exploitation publique

moins coûteuse. Ils ajoutent par ailleurs que l’effet de sélection sur les conditions

d’exploitation compense largement l’effet de sélection sur les prix comme l’illustre le

graphique suivant :

Page 202: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

198

Graphique 1 : probabilité de déléguer, difficultés d’exploitation et performances selon

Carpentier et al [2005]

3

4

5

6

7

8

9

10

11

12

13

14

15

0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100

Difficulté des conditions d'exploitation (croissante de 1 à 100)

Prix

de

l'AE

P (

FF

1998

/m3)

0

0,1

0,2

0,3

0,4

0,5

0,6

0,7

0,8

0,9

1

Prix en gestion publique Prix en gestion p rivée

Probabilité de la gestion publique Probabilité de la gestion p rivée

Sources : Carpentier, Nauges, Raynaud et Thomas [2005]

Ce résultat montre donc que la délégation peut être recommandable dans certains

contextes. En particulier, lorsque la complexité du service est forte, les gains en termes

d’efficacité productive que permet le recours au privé compensent largement les pertes en

terme de coûts de transaction.

2. Une nécessaire amélioration de la concurrence

De nombreux auteurs ont affirmé que la privatisation des services publics ne pouvait

conduire à une amélioration des performances si les conditions n’étaient pas réunies pour

l’exercice d’une réelle concurrence entre opérateurs (Yarrow et Vickers [1991], Laffont et

Tirole [1993]). Il semble évident que la même conclusion peut être avancée concernant les

accords de franchise bidding. Une amélioration de l’efficacité de ce type d’arrangement dans

les secteurs en monopole naturel passe nécessairement par la mise en place de dispositifs qui

augmentent la pression concurrentielle sur les opérateurs à la fois ex-ante et ex-post. A cet

Page 203: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

199

égard, le travail effectué au travers de ces différents chapitres nous inspirent trois

conclusions pouvant aider à progresser dans cette voie.

2.1. La concurrence entre modes organisationnels

Si l’avantage de l’opérateur sortant sur ses concurrents lors du renouvellement est un

fait indéniable, et qui ne semble pas être contredit par nos estimations, l’idée selon laquelle

le retour vers l’exploitation publique en fin de contrat est problématique est beaucoup plus

discutable d’un point de vue empirique. Dans l’industrie de l’eau, nous avons montré que le

contexte local pouvait être différent d’une commune à l’autre et favoriser un retour en régie

plus ou moins facile. La concurrence entre modes organisationnels peut donc devenir une

alternative crédible à la concurrence entre exploitants dans certains environnements et

contribuer à inciter les opérateurs à la performance.

2.2. La question de la durée du contrat

Il s’agit certainement du point le plus délicat. Dans l’idéal, des contrats de faible

durée sont souhaitable afin d’augmenter la fréquence des remises en concurrence. Les

contrats courts permettent en effet d’atténuer de nombreux problèmes associés aux

arrangements de long terme (notamment risques de maladaptation ou de renégociations

opportunistes du contrat) et donc d’assurer une meilleure adéquation entre prix et coûts,

permettant ainsi au consommateur de bénéficier à tout moment d’un prix concurrentiel.

Malheureusement, une durée trop courte par rapport à la durée de vie des actifs spécifiques

mis en place par l’opérateur pose un problème de sous-investissement. L’allongement de la

durée du contrat, non seulement ne garantit plus au consommateur de bénéficier du meilleur

prix tout au long de la relation contractuelle, mais de plus, elle ne règle qu’en partie le

problème du sous-investissement. En effet, comme nous l’avons montré économétriquement

dans le chapitre 6, ces derniers investissent de manière cyclique. Le manque d’incitation à

l’investissement dans les accords de franchise bidding a fait l’objet de nombreux articles,

sans doute car il s’agit d’un des problèmes qui se trouve au cœur de l’analyse de l’efficacité

de ces contrats. Les solutions données par la plupart de ces modèles (Laffont et Tirole

[1988b], Meister [2004], Guriev et Gvassov [2004]) mettent en évidence un arbitrage

fondamental : donner des incitations à l’investissement ne peut se faire qu’au détriment d’un

exercice efficace de la concurrence (Aubert, Bontems et Salanié [2005b]).

Page 204: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

200

L’étude économétrique du chapitre 6 nous a permis de montrer qu’un moyen de

s’affranchir de cet arbitrage est de déléguer une proportion de plus en plus importante à

l’autorité publique lorsque la fin du contrat s’approche. Mais cette solution n’est pas parfaite

et a pour conséquence l’émergence d’un autre arbitrage, entre l’efficacité de l’investissement

et efficacité de la mise en concurrence. L’investissement public est moins efficace que

l’investissement privé, mais ne nécessite pas de biaiser, d’une façon ou d’une autre,

l’enchère en faveur de l’opérateur en place.

Les différents outils proposés par la théorie économique sur cette question possèdent

donc tous des avantages et des inconvénients. Leur caractère désirable ou non dépend très

certainement une fois de plus du contexte économique dans lequel ils sont employés. Une

étude approfondie de l’arbitrage entre ces différents dispositifs pourrait donc constituer un

axe de recherche futur particulièrement fécond.

2.3. Le développement de mécanismes de concurrence ex-post

Enfin, une autre façon d’inciter les opérateurs à maintenir des prix raisonnables et un

niveau de qualité satisfaisant pendant l’exécution du contrat est de compléter le mécanisme

de concurrence pour le marché par la mise en place de mécanismes de concurrence ex-post.

Nous avons montré dans le dernier chapitre que l’utilisation combinée de la concurrence

pour le marché et de la concurrence par comparaison pouvaient, sous certaines condition,

permettre de déstabiliser la collusion entre firmes lors des enchères. De manière plus

générale, le mécanisme de concurrence par comparaison peut aider à améliorer l’efficacité

de la concurrence ex-post et donc contribuer à ce que le consommateur bénéficie de tarifs

proches des prix concurrentiels tout au long du contrat. Bien évidemment, l’utilisation de la

concurrence par comparaison doit être considérée avec prudence. Ce dispositif suppose de

pouvoir comparer de manière fiable les performances entre plusieurs services afin de dériver

une politique de régulation efficace et incitative.

Au total, notre discours tient en deux conclusions. Tout d’abord, la lutte contre le

sous-investissement n’est pas nécessairement incompatible avec l’exercice de la

concurrence. L’investissement public peut se substituer à l’investissement privé en fin de

contrat si les pertes d’efficacité liées à l’investissement public sont compensées par des gains

accrus en terme de pression concurrentielle lors de la mise en concurrence. Ensuite,

Page 205: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

201

l’importance de la concurrence ex-post ne doit pas être négligée et conditionne en bonne

partie l’efficacité des accords de franchise bidding. Comme le relève Shugart [2005], dans

des contrats de long terme, le prix initial n’a en général plus rien à voir avec les coûts du

service au bout de quelques années d’exploitation (Shugart [2005]). Dès lors, des dispositifs

doivent être mis en place pour maintenir une pression concurrentielle permanente sur les

firmes. Nous en avons étudié deux d’entre eux. En premier lieu, nous avons montré que la

concurrence entre modes organisationnels pouvait être une alternative à la concurrence entre

opérateurs lorsque celle-ci est défaillante. A ce titre, dans l’industrie française de l’eau, les

communes ne doivent pas sous-estimer la crédibilité que peut représenter la menace du

retour en régie du service en fin de contrat aux yeux de l’opérateur. En deuxième lieu, la

mise en place d’une politique de concurrence par comparaison peut être vu comme un

mécanisme complémentaire à l’appel d’offres qui peut contribuer dans certains cas à

déstabiliser les ententes tacites au moment de l’enchère et à inciter les opérateurs à la

performance pendant toute la durée de la relation contractuelle.

Page 206: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

202

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ANNEXES ANNEXE 1: preuve de la proposition 1 (chapitre 7)

Pour que les annonces véridiques constituent un équilibre de Nash bayésien pour le

jeu, nous devons avoir pour la firme i :

iU ( β , β , β ) ≥ iU ( β , β , β ), i = 1.2 (5)

iU ( β , β , β ) ≥ iU ( β , β , β ), i = 1.2 (6)

où iU ( βββ ,~

,~

ji ) est l’utilité de la firme i lorsqu’elle annonce iβ~ et que la firme j annonce

jβ~ et que l’événement β est réalisé, iβ~ , jβ~ et β ∈ { }ββ , . Ces contraintes peuvent être

réécrites de la façon suivante :

tc - ϕ(ec ) ≥ tc - ϕ(ec + β∆ ) + A

tc - ϕ(ec ) ≥ tc - ϕ(ec) – P

Par conséquent, les annonces véridiques constituent un équilibre de Nash bayésien

quand P ≥ 0 et A ≤ ϕ(ec + β∆ ) - ϕ(ec ) . En particulier, cela est vrai pour A = 0 et lorsque le

contrat spécifie ec = eFI , tc = ϕ(eFI ). Le régulateur peut alors imposer le contrat de first best

et ce contrat suffit pour permettre des annonces véridiques et punir les firmes lorsque les

annonces sont incompatibles.

Les annonces véridiques constituent un équilibre en stratégie dominante si et

seulement si, en plus des deux inégalités ci-dessus, les conditions suivantes sont vérifiées :

iU ( β , β , β ) ≥ iU ( β , β , β ), i = 1.2

iU ( β , β , β ) ≥ iU ( β , β , β ), i = 1.2

Page 218: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

214

Ces deux conditions sont satisfaites si P = 0 et ϕ(ec ) - ϕ(ec - β∆ ) ≤ A ≤ ϕ(ec + β∆ ) -

ϕ(ec). C’est en particulier vrai si le régulateur spécifie Cc de telle façon que ec = eFI et tc =

ϕ(eFI ). En effet, étant donné que ϕ”( .) > 0, ϕ(eFI + β∆ ) - ϕ(eFI) > ϕ(eFI ) - ϕ(e FI - β∆ ). Par

conséquent, un tel intervalle existe pour A. Le régulateur peut donc offrir le contrat de first

best dans un régime de concurrence par comparaison fondé uniquement sur la compensation.

ANNEXE 2: preuve de la proposition 2 (chapitre 7)

Dans le jeu en franchise bidding, les annonces véridiques constituent un équilibre de

Nash bayésien si et seulement si les équations (5) et (6) sont satisfaites. A partir des tableaux

3 et 4 du chapitre 7 et pour un contrat spécifié par le régulateur, ces conditions s’écrivent :

tc - ϕ(ec ) ≥ 2 [tc - ϕ(ec + β∆ )] (7)

tc - ϕ(ec ) ≥ 0 (8)

Par conséquent, pour tout tc et ec spécifiés dans le contrat et qui satisfont ces

contraintes, les annonces véridiques constituent un équilibre (Nash-bayésien). En particulier,

ces contraintes d’incitation sont satisfaites si ec = eFI et tc = ϕ(eFI ), respectivement le

niveau d’effort de first best et le niveau de transferts nets de first best. Avec ce contrat, la

deuxième contrainte est automatique satisfaite :

ϕ(eFI ) - ϕ(eFI ) = 0

La contrainte (7) peut donc être réécrite comme suit :

0 ≥ 2 [ϕ(eFI ) - ϕ(eFI + β∆ )]

soit,

ϕ(eFI + β∆ ) ≥ ϕ(eFI )

Etant donné que ϕ’ > 0, nous avons ϕ(eFI + β∆ ) ≥ ϕ(eFI ). Par conséquent, cette

contrainte est bien satisfaite. De plus, les firmes sont disposées à accepter ce contrat car il

leur garantit leur utilité de réservation.

Page 219: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

215

ANNEXE 3: preuve de la proposition 3 (chapitre 7)

Pour soutenir l’accord de collusion, les firmes ne doivent pas être tentées de dévier

lorsque β est réalisé et qu’il a été révélé aux firmes. Dans ce cas, les rentes actualisées

espérées par une firme s’écrit U + Uv

δδ

−1.

1. Concurrence par comparaison avec punition

Si le régulateur fait appel à la concurrence par comparaison avec punition, l’espérance

d’utilité d’une firme déviante est 0 et les firmes jouent de façon non coopérative à l’infini

après toute déviation unilatérale. En considérant des stratégies de déclenchement, la

collusion est stable si et seulement si :

U + Uvt

t

δΣ∞

=1

≥ 0

soit

δ ≤ *, fYCδ =

v−1

1

avec *

, fYCδ le seuil critique pour le facteur d’escompte. Puisque (1 – v) < 1, *, fYCδ > 1. Par

conséquent, la collusion est toujours stable.

2. Concurrence par comparaison avec compensation

Lorsque le régulateur fait appel à la concurrence par comparaison avec

compensation, la déviation rapporte A à la firme déviante mais toutes les firmes jouent de

manière non coopérative dans les périodes qui suivent. Il en résulte que la collusion n’est

stable que si et seulement si :

Page 220: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

216

U + Uv

δδ

−1 ≥ A

soit,

δ ≥ *,cYCδ =

)1( vUA

UA

−−−

avec *,cYCδ le seuil critique pour le facteur d’escompte. Puisque par hypothèse 0 < (1 – v) <

1, nous avons (1 – v) U < U et donc [A – (1 – v) U ] > [A - U ]. Par conséquent, *,cYCδ <

1. En outre, si A > U , alors *,cYCδ > 0. Dans la mesure où δ ∈ ]0,1[, les firmes soutiennent

la collusion si elles sont suffisamment patientes (donc si δ ≥ *,cYCδ ).

On montre ensuite facilement que plus le niveau de compensation augmente, plus les

firmes doivent être patientes pour que la collusion soit stable, soit :

AcYC

∂∂ *

,δ =

2)]1([ vUA

Uv

−− > 0

puisque v, U > 0. Par conséquent, le seuil critique augmente bien avec A.

Page 221: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

217

ANNEXE 4: preuve du corollaire (chapitre 7)

Rappelons que U ≡ ϕ(eFI ) - ϕ(e FI - β∆ ) > 0 et U ≡ ϕ(eFI ) - ϕ(e

FI + β∆ ) < 0.

Nous avons donc :

'

β∆U ≡ β∆∂

∂U = ϕ ’(e

FI - β∆ ) > 0

'β∆U ≡

β∆∂∂U

= - ϕ ’(e FI + β∆ ) < 0

Par conséquent, pour tout A, nous avons :

βδ∆∂

∂ *,cYC = 2

''

])1([

][)1(])1([

UvA

UAUvUvAU

−−

−−+−−− ∆∆ ββ

= 2])1([

)('

UvA

evA FI

−−∆−− βϕ

< 0

car ϕ’( .), v et A > 0. Par conséquent, le seuil critique pour le facteur d’escompte décroît en

∆β pour U < A < - U .

De manière similaire, on a :

)1(

*,

vcYC

−∂∂δ

= 2])1([

)(

UvA

UAU

−−−

> 0

*,cYCδ augmente en (1 – v) et décroît donc en v.

Page 222: théories et applications au secteur de l'approvisionnement d'eau

218

ANNEXE 5: preuve de la proposition 4 (chapitre 7)

Lorsque β est réalisé, les rentes attendues de la collusion sont U + Uv

δδ

−1. La

déviation permet à l’entreprise ne respectant pas l’accord de collusion d’obtenir des droits de

monopole sur les deux marchés mais le contrat mis aux enchères entraîne alors un niveau

d’utilité pour la firme gagnante égale à celle de son option extérieure, c’est-à-dire 0. De plus,

lors des étapes ultérieures de franchise bidding, les firmes réagissent en jouant de façon non

coopérative. Par conséquent, l’utilité espérée de la déviation est 0. La collusion est donc

stable si et seulement si :

U + Uv

δδ

−1 ≥ 0

soit,

δ ≤ *FBδ =

v−1

1

avec *

FBδ le seuil critique. Sachant que *FBδ > 1 lorsque v <1, cette condition est toujours

vérifiée. La collusion est par conséquent toujours stable.