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Actualités pharmaceutiques n° 529 octobre 2013 45 dochead Mots clés - dosage ; effet secondaire indésirable ; pharmacovigilance ; prescription ; progestérone Keywords - adverse side effects; dosage; pharmacovigilance; prescription; progesterone pharmacovigilance pratique © 2013 Publié par Elsevier Masson SAS http://dx.doi.org/10.1016/j.actpha.2013.07.010 Un cas clinique mettant en cause la progestérone Tout médicament est susceptible d’être à l’origine d’effets secondaires indésirables dont l’originalité de certains peut désorienter les professionnels de santé. Il ne faut donc jamais rejeter l’hypothèse médicamenteuse lors de la survenue de problèmes de santé. Nous rapportons ici un cas de pharmacovigilance mettant en cause la progestérone, médicament largement prescrit. A clinical case which calls progesterone into question. Any medication may cause adverse side effects which may be so unusual as to confuse health care professionals. It is therefore important never to rule out the hypothesis of medication when health problems arise. Here we report on a case of pharmacovigilance involving progesterone, a widely prescribed medication. S e levant en pleine nuit pour aller uriner, Madame D. s’était perdue au retour des toilettes, errant dans la chambre obscure. D’inhabituels petits bruits réveillè- rent le mari, attirant son attention. Son épouse déambulait dans la pièce, heurtant, au passage, le mobilier. Interpellée par son conjoint, elle répondit avec une voix éteinte et une élocution inhabituelle, don- nant, au moyen de mots difficile- ment articulés, une explication évasive. Remise, au son de la voix de son époux, dans le droit chemin, elle se recoucha et se rendormit rapidement. Le lendemain, au réveil, le couple évoqua cet épisode nocturne. Madame D. en gardait le souvenir précis mais l’expliquait par un som- meil très profond au moment où un besoin pressant avait fini par l’extraire de sa torpeur. Des troubles répétitifs qui s’installent Madame D. présente, depuis novembre 2009, des troubles dont la répétition devient rapidement préoccupante, d’autant plus qu’ils se manifestent de plus en plus fré- quemment, au point de devenir quotidiens. Ils ne sont précédés d’aucun signe annonciateur, d’au- cune aura. Une inquiétude grandissante Il a été envisagé, pour expliquer ces incidents survenant assez rarement et tard dans la soirée, au repos ou devant la télévision, la probabilité de banals coups de fatigue malgré l’absence de surmenage, de “stress” ou de soucis particuliers. Mais leur répétition et l’intensifica- tion du processus (ces passages à vide se sont rapprochés à partir du 10 janvier 2010, devenant quoti- diens après le 22 du même mois) font secondairement craindre une pathologie encore inexpliquée. Caractéristiques des troubles F Des malaises successifs. Ces troubles surviennent brutalement, en dehors de toute circonstance particulière, durent environ une heure et sont ensuite de résolution spontanée progressive, en une demi-heure. Ils consistent en : • un abattement physique extrême, une asthénie majeure, une pénible sensation de “ramollissement” musculaire généralisé accompa- gné d’une baisse de la vigilance (semi-torpeur) ; • un affaiblissement et un ralentis- sement de la parole, des difficul- tés à trouver certains mots, des confusions de mots ; • un visage de fatigue avec regard curieusement altéré, mais sans pâleur ni cyanose ni moiteur ni sueurs. La patiente donne globalement l’impression d’être “tassée” et ralentie. Elle est comme “shoo- tée”, mais ne présente aucune tare d’ordre toxicomaniaque : l’hypo- thèse d’une intoxication est jugée inenvisageable. F Jamais de perte de connais- sance ni de chute. La patiente dit rester parfaitement consciente de son environnement autant que d’elle-même mais perdre la maîtrise de son corps. Éprouvant une sensa- tion d’endormissement imminent, © 2013 Publié par Elsevier Masson SAS © 2013 Published by Elsevier Masson SAS Yves NOUAILLE Docteur en médecine, Praticien hospitalier Adresse e-mail : [email protected] (Y. Nouaille). Service de pharmacologie, toxicologie et pharmacovigilance, Centre régional de pharmacovigilance, CHU Limoges, 2 avenue Martin-Luther-King, 87000 Limoges, France

Un cas clinique mettant en cause la progestérone

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Actualités pharmaceutiques

• n° 529 • octobre 2013 • 45

dochead

Mots clés - dosage ; effet secondaire indésirable ; pharmacovigilance ; prescription ; progestérone

Keywords - adverse side effects; dosage; pharmacovigilance; prescription; progesterone

pharmacovigilance

pratique

© 2013 Publié par Elsevier Masson SAS

http://dx.doi.org/10.1016/j.actpha.2013.07.010

Un cas clinique mettant en cause la progestéroneTout médicament est susceptible d’être à l’origine d’effets secondaires indésirables dont

l’originalité de certains peut désorienter les professionnels de santé. Il ne faut donc jamais

rejeter l’hypothèse médicamenteuse lors de la survenue de problèmes de santé. Nous

rapportons ici un cas de pharmacovigilance mettant en cause la progestérone, médicament

largement prescrit.

A clinical case which calls progesterone into question. Any medication may cause adverse side effects which may be so unusual as to confuse health care professionals. It is therefore important never to rule out the hypothesis of medication when health problems arise. Here we report on a case of pharmacovigilance involving progesterone, a widely prescribed medication.

S e levant en pleine nuit pour aller uriner, Madame D. s’était perdue au retour des toilettes,

errant dans la chambre obscure. D’inhabituels petits bruits réveillè-rent le mari, attirant son attention. Son épouse déambulait dans la pièce, heurtant, au passage, le mobilier.Interpellée par son conjoint, elle répondit avec une voix éteinte et une élocution inhabituelle, don-nant, au moyen de mots difficile-ment articulés, une explication évasive. Remise, au son de la voix de son époux, dans le droit chemin, elle se recoucha et se rendormit rapidement. Le lendemain, au réveil, le couple évoqua cet épisode nocturne. Madame D. en gardait le souvenir précis mais l’expliquait par un som-meil très profond au moment où un besoin pressant avait fini par l’extraire de sa torpeur.

Des troubles répétitifs qui s’installentMadame D. présente, depuis novembre 2009, des troubles dont la répétition devient rapidement

préoccupante, d’autant plus qu’ils se manifestent de plus en plus fré-quemment, au point de devenir quotidiens. Ils ne sont précédés d’aucun signe annonciateur, d’au-cune aura.

Une inquiétude grandissanteIl a été envisagé, pour expliquer ces incidents survenant assez rarement et tard dans la soirée, au repos ou devant la télévision, la probabilité de banals coups de fatigue malgré l ’absence de surmenage, de “stress” ou de soucis particuliers. Mais leur répétition et l’intensifica-tion du processus (ces passages à vide se sont rapprochés à partir du 10 janvier 2010, devenant quoti-diens après le 22 du même mois) font secondairement craindre une pathologie encore inexpliquée.

Caractéristiques des troubles

F Des malaises successifs. Ces troubles surviennent brutalement, en dehors de toute circonstance particulière, durent environ une heure et sont ensuite de résolution

spontanée progressive, en une demi-heure. Ils consistent en :• un abattement physique extrême,

une asthénie majeure, une pénible sensation de “ramollissement” musculaire généralisé accompa-gné d’une baisse de la vigilance (semi-torpeur) ;

• un affaiblissement et un ralentis-sement de la parole, des difficul-tés à trouver certains mots, des confusions de mots ;

• un visage de fatigue avec regard curieusement altéré, mais sans pâleur ni cyanose ni moiteur ni sueurs.

La patiente donne globalement l’impression d’être “tassée” et ralentie. Elle est comme “shoo-tée”, mais ne présente aucune tare d’ordre toxicomaniaque : l’hypo-thèse d’une intoxication est jugée inenvisageable.

F Jamais de perte de connais-

sance ni de chute. La patiente dit rester parfaitement consciente de son environnement autant que d’elle-même mais perdre la maîtrise de son corps. Éprouvant une sensa-tion d’endormissement imminent,

© 2013 Publié par Elsevier Masson SAS

© 2013 Published by Elsevier Masson SAS

Yves NOUAILLEDocteur en médecine, Praticien hospitalier

Adresse e-mail :[email protected] (Y. Nouaille).

Service de pharmacologie, toxicologie et pharmacovigilance, Centre régional de pharmacovigilance, CHU Limoges, 2 avenue Martin-Luther-King, 87000 Limoges, France

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Actualités pharmaceutiques

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elle s’extirpe péniblement de son siège et va, avec encore plus de dif-ficultés, s’allonger sur le lit : sa démarche est pseudo-ébrieuse, ralentie, non assurée, avec troubles de l’équilibre. Elle ressent le fait de ne pas marcher bien droit, ayant l’impression de “tanguer”. Elle a d’ailleurs failli tomber une ou deux fois bien qu’elle ne souffre pas de vertiges. Lors de ces épisodes, Madame D. s’isole au calme dans la chambre, sur le lit, prostrée, sans pour autant rechercher le silence absolu ou l’obscurcissement de la pièce. Elle se repose mais ne s’endort jamais lorsque le phénomène se p rodu i t en p l e i ne j ou rnée . Une bonne heure plus tard, elle sent s’installer le début de l’amélioration. Quand celle-ci est complète, Madame D. se plaint éventuelle-ment de vagues céphalées, d’un état nauséeux et d’un simple manque de force, désordres qui peuvent perdurer quelques heures encore sans cependant l’empêcher de vaquer à ses occupations habi-tuelles.

F L’intensité des troubles est

assez variable. La symptomatolo-gie peut être vraiment marquée, ce qui est le cas le plus souvent, ou plus douce, perturbant alors de façon moins importante l’activité du jour.

Cause psychiatrique ou cause organique ?La répétition des crises fait que la patiente finit par évoquer une cause “psychiatrique”. Son époux, méde-cin, envisage plutôt une cause orga-nique sans pour autant être sûr qu’il s’agisse d’un problème directement neurologique. L’implication céré-brale semble cependant évidente, le cerveau pouvant exprimer à chaque épisode un bas débit sanguin.

Des hypothèsesL’hypothèse d’une arythmie car-diaque est envisagée prioritaire-ment mais il n’existe aucune notion de “déclic” dans la poitrine ni de palpitations. Certains aspects peuvent aussi faire penser à une hypertonie vagale. Quelques points peuvent être véri-fiés au moment des “crises” : • absence de déficit moteur ; • pouls régulier, bien frappé, à

60 battements/minute ; • pression artérielle de 10,5-8 cm

Hg à droite et 8,5-7 à gauche, la valeur habituelle de la maximale étant de l’ordre de 11-12.

Depuis le 20 janvier 2010, les épi-sodes pathologiques se produisent soit en tout début d’après-midi, soit, le plus souvent, en milieu ou fin de matinée (vers 10-11 heures). Le 26 janvier, pour la première fois, la crise, survenant vers 10 heures, empêche la patiente de se rendre à son travail qu’elle devait prendre à 10 h 30. Fin janvier-début février 2010, de tels épisodes continuent de se renouveler, quotidiennement ou presque, mais de manière atténuée. En revanche, il existe maintenant en permanence une association pénible de lassitude physique et plus encore de “tête vide” avec d’inquié tantes difficultés mné-siques, d’attention et plus encore de concentration, qui se manifestent même dans le contexte familial, dans la vie de tous les jours. Le tableau clinique se complète de

troubles de l’équilibre avec ten-dance, à la marche, à dévier, à être comme attirée d’un côté, ce qui en fait ne se remarque pas de l’exté-rieur et reste donc subjectif.

Une succession d’examens médicaux et biologiques

F Dès le 29 janvier 2010, le méde-cin généraliste référent demande un électroencéphalogramme et une consultation cardiologique.La conclusion du compte rendu de l’enregistrement électroencéphalo-graphique est la suivante : « Rythme de fond correctement structuré, plus ou moins bien réactif. Irrégularités thêta intermittentes bifronto-temporales, plus fréquentes à gauche. Pas d’alté-ration paroxystique. Pas de crise. » Les anomalies signalées sont considérées comme légères et aspécifiques.

Note1 Temps qui sépare le début de l’activation auriculaire du début de l’activation du myocarde ventriculaire.

Madame D. présente des troubles de plus en plus fréquents, au point de devenir quotidiens.

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pratiquepharmacovigilance

Particularités du terrain

et principaux antécédents

personnels et familiaux

Naissance en 1953. Poids corporel de 60 kg pour une taille de 1,72 m.Quatre grossesses menées à terme sans souci particulier.En préménopause  : fibrome utérin hémorragique justifiant un curetage hémostatique et cystites à répétition.Ménopause installée vers 53 ans : un traitement hormonal substitutif est en place depuis 2007.Assez fréquentes céphalées ordinaires, depuis toujours, non étiquetées de “migraines”, bien soulagées en règle générale par la prise de 1 gramme de paracétamol. Surviennent parfois, depuis quelques années, des névralgies d’Arnold à droite, disparaissant en règle générale sous l’effet d’une simple prise de Céphyl®. Existence d’authentiques migraines chez le père (décédé), la mère et, dans la fratrie, chez une sœur au moins.

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La consultation cardiologique (ECG) ne révèle rien d’anormal. La pres-sion artérielle est de 11-7 cm Hg et n’est pas modifiée en ortho statisme. L’électrocardiogramme révèle un microbloc incomplet droit consi-déré comme banal. L’exploration échocardiographique est stricte-ment normale. Il n’est pas trouvé d’explication cardiovasculaire.

F Le 15 février 2010, un bilan san-guin général est demandé. Il ne montre aucune anomalie suscep-tible d’apporter une explication, notamment sur les plans hémato-logique (pas d’anémie) et hormo-nal (hormone thyréotrope ou TSH, cortisol plasmatique) ainsi que dans le domaine sérologique (maladie de Lyme). Un électrocardiogramme réalisé le même jour, en dehors de toute manifestation, est normal : rythme sinusal, régulier, fréquence entre 74 et 77 battements/minute, espace PR1 strictement normal.

F Le 18 février 2010, dans le cadre de la démarche diagnostique entre-prise et devant la persistance de la symptomatologie, un scanner céré-bral injecté est réalisé : son résultat est qualifié de “normal”.

F Les 8 février, puis les 1er et

23 mars 2010, trois consultations de neurologie se succèdent : elles ne permettent pas d’aboutir à une explication convaincante. Au terme de la première est prescrit, à titre d’épreuve thérapeutique, Athymil® 30 mg (1 comprimé/jour au cou-cher). Un seul comprimé sera pris en raison d’une intolérance impor-tante ; il est remplacé dès le deu-xième jour par Séroplex® 20 mg (1 comprimé/jour). Bien que tout à fait inefficace, cet autre traitement antidépresseur, bien supporté, sera poursuivi.

F Le 1er mars 2010, à la demande du neurologue, un bilan neuro-psychologique est pratiqué par une psychologue hospitalière. Il s’avère normal lui aussi. La possibilité d’un “syndrome du nid vide” est toutefois

évoquée. Le dernier des quatre enfants a en effet récemment quitté le domicile familial. Madame D. et son mari se trouvent surpris par cette hypothèse et restent dubita-tifs. Néanmoins, la patiente suivra le conseil qui lui sera donné à l’issue de l’entretien de prendre rendez-vous auprès d’un psycho-logue libéral pour explorer davan-tage cette piste.

La clef du mystère est trouvée par la patiente elle-mêmeRecommençant comme chaque mois son traitement hormonal subs-titutif de la ménopause, en cours depuis 3 ans, l’intéressée a, pour la première fois en avril 2012, la curio-sité de lire la notice de la progesté-rone qu’elle prend du 11 au 25 de chaque mois, traitement progestatif auquel est associé Estréva® du 1er au 25.

Un horaire de prise fl uctuant

F Dans la rubrique des “effets

indésirables éventuels” [1], la patiente peut lire :« Par voie orale uniquement, les effets suivants ont été observés : risque de somnolence ou de sen-sations vertigineuses fugaces apparaissant 1 à 3 heures après la prise du médicament. Ces effets témoignent le plus souvent d’un surdosage.Dans ces cas, il est recommandé :• soit de diminuer la quantité du

médicament par prise ;• soit de modifier le rythme de prise

du médicament ;• soit d’adopter la voie vaginale. Dans tous les cas, ne pas dépasser la dose maximale de 200 mg par prise. »

F Dans ces quelques lignes, elle

retrouve l ’essentiel de ses

troubles épisodiques. Il lui revient alors en mémoire la remarque faite, quelques mois auparavant, par le pharmacien lors de la délivrance

du traitement à partir d’une nouvelle ordonnance de la gynécologue. Il avait en effet signalé que le dosage de la pro gestérone avait été doublé, passant de 100 à 200 mg, et avait demandé à sa cliente si elle avait été informée de ce changement de poso log ie pa r l e médec in . Madame D. n’a aucun souvenir à ce sujet.L’ordonnance, datée du 20 octo-bre 2009 et établie pour 6 mois, est la suivante : • Estréva®, 2 pressions/jour du

1er au 25 du mois ;• Utrogestan® 200, 1 cp/jour du

11 au 25 du mois.Elle est bien lisible et il ne peut y avoir aucun doute sur le dosage de la progestérone.Les ordonnances antérieures men-tionnaient : Utrogestan® 100. Depuis plusieurs mois, la substitu-tion était régulièrement effectuée par le pharmacien.C’est ainsi que Madame D. en était arrivée à prendre, 15 jours consé-cutifs par mois, 100, puis 200 mg /jour de Progestérone Biogaran®. Or, ce traitement substitutif avait bien été noté, en tant que donnée de l’inter rogatoire, par les divers inter-venants médicaux et le mari en avait évidemment connaissance. Cepen-dant, personne n’a jamais envisagé d’établir un lien entre la prise de ce médicament et la survenue des malaises et pour cause : il n’appa-raissait aucune corrélation tempo-relle entre les deux. Le traitement remontait à plusieurs années et n’avait jusque-là jamais fait parler de lui. Les malaises étaient apparus en novembre 2009 et connaissaient des horaires très variables, aussi bien vespéraux, nocturnes que diurnes. La notion d’augmentation de la posologie n’a pu être retrouvée qu’en avril 2010, mais n’a pas man-qué alors de paraître suspecte. Renseignements pris ultérieure-ment auprès de la gynécologue, ce doublement de la posologie ne résultait pas d’une inadvertance

pharmacovigilance

pratique

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Actualités pharmaceutiques

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mais avait été motivé par un pro-blème gynécologique.

F La prise de progestérone doit

se faire le soir au coucher. Comme pour chacune de ses patientes concernées par de tels traite-ments, la gynécologue affirmait avoir bien dit, à l’issue de sa consultation, que ce médicament était à prendre le soir. Dit sans doute mais rapidement oublié par l’intéressée, en tout cas non inscrit sur l’ordonnance, ce qui est très regrettable et critiquable. De même, ne figurait pas sur l’or-donnance la voie d’administration de la progestérone. Or, le fait que l’Utrogestan® ou son générique pouvaient curieusement être intro-duits dans l’organisme selon deux voies différentes a été ci-dessus signalé tout en précisant que ces deux voies n’exposaient pas aux mêmes problèmes de tolérance. Leur choix n’est donc pas anodin. Dès lors, la mention sur l’ordon-nance de la voie d’administration retenue paraît indispensable. Dans le cas présent, il n’y a pas eu pour autant d’erreur à ce sujet : c’est bien la voie orale qui avait été envisagée par le médecin et qui a toujours été utilisée par la patiente.La suspicion émise par la patiente allait finalement être confirmée par elle-même dans un deuxième temps. Son mari la voyant souvent au moment du coucher s’appliquer le gel d’Estréva® pensait naïvement qu’elle prenait aussi le soir sa cap-sule de progestérone. En réalité, il ne se posait pas du tout la question. En avril 2010 seulement, soit 5 mois après l’apparition des troubles, on apprend qu’en réalité, l’heure de la prise du médicament oral était très fluctuante. Les “crises” survenant à peu près n’importe quand dans la journée ou en début de nuit, un lien temporel entre elles et la prise médicamenteuse devient alors tout à fait envisageable.La seule façon d’obtenir, en phar-macovigilance, la démonstration de

la responsabilité d’un médicament est la “réadministration positive”. La patiente est fortement incitée à prendre désormais très régulière-ment sa capsule de progestérone le soir, juste avant le coucher, quelle que soit l’heure de celui-ci.

Une hypothèse vérifi éeAinsi, le problème ne se produisit plus sauf en cas de difficulté d’en-dormissement ou de lever dans la première partie de la nuit, pour rai-son de besoin mictionnel pressant. Les symptômes habituels pouvaient être alors constatés mais ne procu-raient aucune anxiété puisque l’explication trouvée éloignait le spectre d’une pathologie lourde et mystérieuse. La victime se signalait alors comme étant de nouveau « dans le pâté » sans y accorder plus la moindre attention et n’aspi-rait qu’à se rendormir paisiblement pour se réveiller au matin, reposée.Les troubles n’étaient jamais pré-sents si un tel lever avait lieu plus tard dans la nuit. Le phénomène ne se produisait jamais au cours des périodes où le médicament n’était pas pris. De suspect, il devenait donc responsable. Un recul de plus de 2 ans n’a jamais mis en défaut cette hypothèse qui se trouve ainsi largement vérifiée. Le recul est, en effet, souvent important pour bien apprécier une évolution.

En pharmacovigilance, une “réad-ministration positive” apporte toujours la preuve de la responsa-bilité du médicament. Or, on a là non pas une, mais un certain nombre de nouvelles réadministra-tions, qui sont à considérer comme “positives”. Preuve absolue est ainsi faite que la progestérone est bien en cause dans cette tumul-tueuse affaire. Deux gynécologues interrogées à ce sujet a posteriori, dont la pres-criptrice, ont été surprises de la dif-ficulté diagnostique rencontrée. Il était pour elles évident – car bien connu dans leur domaine – que le médicament en question pouvait être aisément générateur de tels troubles. Une étiologie médicamen-teuse se serait imposée à elles dès l’évocation des premiers désordres.

ConclusionL’histoire se termine bien sans même qu’il ait été nécessaire d’inter rompre le traitement en cause. L’évaluation finale du rapport bénéfice/risque est en effet favo-rable au médicament. Le spectre redoutable d’une pathologie lourde a pu être radicalement repoussé après quelques mois d’inquiétude. Cette pathologie iatrogène long-temps insoupçonnée aura suscité bien des inquiétudes, questionne-ments et difficultés diagnostiques. Elle a par ailleurs eu un coût regret-table car elle a finalement entraîné bien trop de frais inutiles (plus de 800 euros). La piste de l’iatrogénicité devrait être systématiquement envisagée. La démarche de pharmacovigilance entreprise dans le cas rapporté ici permet d’établir au sujet de la pro-gestérone une imputabilité intrin-sèque « vraisemblable ». C’est dire que le médicament est considéré comme étant en cause et, pour une fois, le générique n’y est pour rien en tant que tel. w

Référence[1] Coll. Dictionnaire Vidal. Issy-les-Moulineaux: Vidal; 2012.

Déclaration d’intérêts

L'auteur déclare ne pas avoir

de confl its d’intérêts en relation

avec cet article.

pratiquepharmacovigilance

L’impérieuse lisibilité

de l’ordonnance

La rédaction de l’ordonnance engage la responsabilité du prescripteur qui doit y faire figurer notamment le mode d’emploi des médicaments qu’il inscrit. L’ordonnance, qui peut à tout moment être consultée par le malade au cours de son traitement, est un outil de communication, un support d’information destiné aux profession-nels auxquels elle s’adresse mais aussi au malade qu’elle concerne.