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Annales de pathologie (2009) 29, 40—42 CAS POUR DIAGNOSTIC Un épanchement pleural déconcertant A disconcerting pleural effusion Jean-Franc ¸ois Côté a,, Marie-Luce Auriault b , Jean-Franc ¸ois Boivin b , Jeanine Igual c , Felicia David-Ouaknine d , Cécile Badoual a , Diane Damotte a,e a Service d’anatomie pathologique, hôpital européen Georges-Pompidou, AP—HP, 20—40, rue Leblanc, 75908 Paris cedex 15, France b Service d’anatomie pathologique, centre hospitalier Lagny-Marne-la-Vallée, 31, avenue du Général-Leclerc, 77405 Lagny-sur-Marne cedex, France c Service de pneumologie, centre hospitalier Lagny-Marne-la-Vallée, 31, avenue du Général-Leclerc, 77405 Lagny-sur-Marne cedex, France d Service d’infectiologie, centre hospitalier Lagny-Marne-la-Vallée, 31, avenue du Général-Leclerc, 77405 Lagny-sur-Marne cedex, France e Inserm U872, centre de recherche des cordeliers, université Descartes Paris-5, université Pierre-et-Marie-Curie-VI, 15, rue de l’École-de-Médecine, 75006 Paris, France Accepté pour publication le 11 f´ evrier 2008 Disponible sur Internet le 29 janvier 2009 Observation Un homme de 66 ans VIH+ était hospitalisé pour une altération de l’état général avec une dyspnée, une anorexie, un amaigrissement et une anémie. La quadrithérapie anti- rétrovirale, débutée trois mois auparavant, avait permis une diminution de la charge virale. Un épanchement pleural bilatéral était trouvé à l’examen clinique confirmé par la radiographie pulmonaire. Il n’était pas noté d’adénopathie, ni de lésion cuta- née. Il existait un syndrome inflammatoire biologique, une élévation du taux des lactate déshydrogénase (LDH) et une thrombopénie. L’anémie était d’origine multi- factorielle. Le myélogramme montrait une moelle riche, sans cellule anormale. Le bilan infectieux était négatif. La première ponction pleurale réalisée à gauche avait ramené un liquide de type exsudatif très riche en lymphocytes d’aspect polymorphe. La pleuroscopie, réalisée dans un second temps, montrait à gauche une plèvre grani- tée, sans nodule. L’examen histologique correspondait à une pachypleurite chronique non spécifique avec de rares nodules lymphoïdes en profondeur, sans aspect tumo- ral (Fig. 1). Un traitement antituberculeux d’épreuve était instauré, mais devant la Auteur correspondant. Service d’anatomie pathologique, CHU Ambroise-Paré, 9, avenue Charles-de-Gaulle, 92104 Boulogne cedex, France. Adresse e-mail : [email protected] (J.-F. Côté). 0242-6498/$ — see front matter © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.annpat.2008.02.001

Un épanchement pleural déconcertant

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Page 1: Un épanchement pleural déconcertant

Annales de pathologie (2009) 29, 40—42

CAS POUR DIAGNOSTIC

Un épanchement pleural déconcertant

A disconcerting pleural effusion

Jean-Francois Côtéa,∗, Marie-Luce Auriaultb,Jean-Francois Boivinb, Jeanine Igual c,Felicia David-Ouaknined, Cécile Badouala,Diane Damottea,e

a Service d’anatomie pathologique, hôpital européen Georges-Pompidou, AP—HP, 20—40,rue Leblanc, 75908 Paris cedex 15, Franceb Service d’anatomie pathologique, centre hospitalier Lagny-Marne-la-Vallée, 31,avenue du Général-Leclerc, 77405 Lagny-sur-Marne cedex, Francec Service de pneumologie, centre hospitalier Lagny-Marne-la-Vallée, 31, avenue duGénéral-Leclerc, 77405 Lagny-sur-Marne cedex, Franced Service d’infectiologie, centre hospitalier Lagny-Marne-la-Vallée, 31, avenue du

Général-Leclerc, 77405 Lagny-sur-Marne cedex, Francee Inserm U872, centre de recherche des cordeliers, université Descartes Paris-5,université Pierre-et-Marie-Curie-VI, 15, rue de l’École-de-Médecine, 75006 Paris, France

Accepté pour publication le 11 fevrier 2008Disponible sur Internet le 29 janvier 2009

Observation

Un homme de 66 ans VIH+ était hospitalisé pour une altération de l’état général avecune dyspnée, une anorexie, un amaigrissement et une anémie. La quadrithérapie anti-rétrovirale, débutée trois mois auparavant, avait permis une diminution de la chargevirale. Un épanchement pleural bilatéral était trouvé à l’examen clinique confirmépar la radiographie pulmonaire. Il n’était pas noté d’adénopathie, ni de lésion cuta-née. Il existait un syndrome inflammatoire biologique, une élévation du taux deslactate déshydrogénase (LDH) et une thrombopénie. L’anémie était d’origine multi-factorielle. Le myélogramme montrait une moelle riche, sans cellule anormale. Lebilan infectieux était négatif. La première ponction pleurale réalisée à gauche avaitramené un liquide de type exsudatif très riche en lymphocytes d’aspect polymorphe.La pleuroscopie, réalisée dans un second temps, montrait à gauche une plèvre grani-tée, sans nodule. L’examen histologique correspondait à une pachypleurite chroniquenon spécifique avec de rares nodules lymphoïdes en profondeur, sans aspect tumo-ral (Fig. 1). Un traitement antituberculeux d’épreuve était instauré, mais devant la

∗ Auteur correspondant. Service d’anatomie pathologique, CHU Ambroise-Paré, 9, avenue Charles-de-Gaulle, 92104 Boulogne cedex,France.

Adresse e-mail : [email protected] (J.-F. Côté).

0242-6498/$ — see front matter © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.doi:10.1016/j.annpat.2008.02.001

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cellules tumorales de grande taille aux nucléoles proéminents.

Lymphome primitif des séreuses

dégradation rapide de l’état général et la majoration del’épanchement pleural à droite, une nouvelle ponctionpleurale était réalisée. Il s’agissait, cette fois-ci, d’unépanchement néoplasique, contenant de grandes cellulesd’aspect lymphoïde, à noyaux volumineux, pléomorphes,multilobés, souvent en mitoses (Fig. 2). Les cellulestumorales étaient CD20+ (discret marquage membranaire),CD30− et virus d’Epstein Barr (EBV)-(LMP-1). Le patientdécédait en 48 heures dans un tableau de dyspnée aiguëavec arrêt cardiorespiratoire. L’immunophénotypage avecl’anticorps anti-HHV-8 était réalisé rétrospectivement surle culot d’inclusion de la pleurésie droite et sur le prélève-ment histologique de la plèvre gauche (Fig. 1, encadré) afinde confirmer le diagnostic suspecté.

Figure 1. Biopsie pleurale : présence de remaniements inflam-matoires polymorphes avec deux nodules lymphoïdes. Absenced’infiltration tumorale évidente (hématoxyline-éosine-safran[HES] 20 ×). Immunomarquage l’anti-HHV-8 dans l’encadré : pré-sence d’une positivité nucléaire révélant les cellules tumorales,non visualisées à l’HES, essentiellement dans l’exsudat inflamma-toire à la surface de la plèvre (HHV-8 40 ×).Pleural biopsy: polymorphous inflammatory reaction with twolymphoid follicles. No obvious tumoral invasion (HES 20 ×). Insertshows anti-HHV-8 immunostaining: nuclear positivity of tumorcells which were not identified with standard coloration ininflammatory exsudate (HHV-8 40 ×).

Figure 2. Cytocentrifugation du liquide pleural : nombreuses

Une mitose anormale dans l’encadré (May Grünwald Giemsa[MGG] 40 × ).Pleural effusion cytospin: numerous large tumor cells with pro-minent nucleoli. Inset show abnormal mitosis (MGG 40 × ).

Quel est votre diagnostic ?

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Àcvles études immunohistochimiques complémentaires dirigées

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iagnostic : lymphome B primitif deséreuses (primary effusion lymphomaPEL])

e lymphome est défini selon la classification de’organisation mondiale de la santé de 2001 [1] comme unymphome B à grandes cellules associé à l’herpès, virusumain de type 8 (HHV-8). Il est très rarement de phénotype[2]. La description initiale a été faite par Knowles et al.

3] qui décrivait un lymphome B à grandes cellules dansne série de patients VIH+. Il s’agissait d’épanchementsntracavitaires (pleural, péricardique ou péritonéal) sansasse tumorale détectable. Ces lymphomes ont été associés

econdairement au virus HHV-8 ou à l’herpès virus du sar-ome de Kaposi (KSHV) [1]. Le terme PEL a été proposé paresarman et al. [4] pour éviter la confusion avec des lym-homes systémiques qui peuvent atteindre secondairementes cavités séreuses. Le PEL est une tumeur rare, qui atteintajoritairement des patients jeunes ou d’âge moyen, de

exe masculin, homosexuels et VIH+ [1,4]. Il est souventoté une co-infection VIH—EBV. Inversement les patientsIH négatifs sont également EBV négatifs [5]. De raresas de PEL ont été décrits chez des patients VIH négatifsotamment dans un contexte d’immunosuppression induitear la greffe d’organe [5] ou chez des patients âgés vivantans des régions de forte prévalence de l’HHV-8/KSHV1,5]. La présentation clinique est typique : épanchement’une des cavités séreuses (pleurale, péricardique ou péri-

onéale), sans lymphadénopathie ou organomégalie. Desocalisations extra ganglionnaires (tractus gastro-intestinal,issus mous, etc.) ont été exceptionnellement rapportées1]. D’autres pathologies liées au virus HHV-8, telles learcome de Kaposi ou la maladie de Castleman multicen-rique sont parfois associées [1]. L’examen cytologique de’épanchement, après cytocentrifugation, est essentiel auiagnostic. Les cellules tumorales sont de grande taille,’aspect immunoblastique ou plasmoblastique [1,4]. Lesoyaux sont grands, ovalaires, parfois irréguliers, avec unu plusieurs nucléoles hypertrophiés. Le cytoplasme, par-ois abondant, est vacuolisé, amphophile ou très basophilen coloration de MGG. Certaines cellules présentent uneifférenciation plasmocytaire, d’autres sont binuclééesReed-Sternberg-like). Les mitoses sont nombreuses et deorme anormale. Si l’examen cytologique est le plus souventontributif, en revanche l’examen histologique est fausse-ent rassurant. En effet, les cellules tumorales sont parfoiseu nombreuses dans les prélèvements histologiques. Ellesont adhérentes à la surface pleurale, souvent mêlées àu matériel fibrino-leucocytaire et apparaissent uniformes1]. Rarement, les cellules tumorales peuvent envahir lalèvre. Elles sont fréquemment identifiées uniquementar l’anti-HHV-8. Le diagnostic différentiel est rarementne lymphocytose réactionnelle en raison du caractèreonstrueux des cellules lymphomateuses malignes du PEL.

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J.-F. Côté et al.

es autres lymphomes, en particulier le lymphome B diffusgrandes cellules et le lymphome anaplasique, sont parfoislus difficiles à différencier des PEL, surtout ceux qui sontssociés à un pyothorax [1]. Enfin, certains carcinomesnaplasiques, mésothéliomes ou tumeurs indifférenciéesoivent être discutées. L’absence de masse tumorale est unlément important d’orientation pour un PEL. Néanmoins,eule l’étude immunohistochimique permet d’affirmer leiagnostic de PEL. Les cellules tumorales sont habituelle-ent positives pour l’anti-CD45, mais elles sont souvent

égatives pour les marqueurs pan-B (anti-CD20, anti-CD19t anti-CD79a). Rarement, il existe une expression dearqueurs de différenciation plasmocytaire comme l’anti-D138. Le marqueur d’activation cellulaire (anti-CD30)eut être exprimé. Une expression aberrante de l’anti-CD3très rarement été observée. Le diagnostic de PEL s’appuie

ur l’expression intranucléaire de l’anti-HHV-8 dans lesellules tumorales.

Le PEL est un lymphome agressif, de mauvais pronosticar réfractaire à tous les traitements, et donc d’issue fatale.a médiane de survie est inférieure à six mois avec ou sansraitement [1].

emerciements

Mme A. Breton, service d’anatomie pathologique duentre hospitalier de Meaux et au Dr V. Verkarre, ser-ice d’anatomie pathologique de l’hôpital Necker pour

ontre HHV-8.

éférences

1] Banks PM, Warnke RA. Primary effusion lymphoma. In: JaffeES, Harris NL, Stein H, Vardiman JW, editors. WHO clas-sification of tumours. Pathology and genetics of tumoursof haematopoietic and lymphoid tissues. Lyon: IARC Press;2001.

2] Coupland SE, Charlotte F, Mansour G, Maloum K, Hummel M,Stein H. HHV-8-associated T-cell lymphoma in a lymph node withconcurrent peritoneal effusion in an HIV-positive man. Am J SurgPathol 2005;29:647—52.

3] Knowles DM, Inghirami G, Ubriaco A, Dalla-Favera R. Mole-cular genetic analysis of three AIDS-associated neoplasms ofuncertain lineage demonstrates their B-cell derivation and thepossible pathogenetic role of the Epstein-Barr virus. Blood1989;73:792—9.

4] Cesarman E, Chang Y, Moore PS, Said JW, Knowles DM.Kaposi’s sarcoma-associated herpesvirus-like DNA sequencesin AIDS-related body-cavity-based lymphomas. N Engl J Med1995;332:1186—91.

5] Jones D, Ballestas ME, Kaye KM, Gulizia JM, Winters GL, Flet-cher J, et al. Primary-effusion lymphoma and Kaposi’s sarcomain a cardiac-transplant recipient. N Engl J Med 1998;339:444—9.