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JUDO
COMBAT DEBOUT
APPRENTISSAGE DES CONVENTIONS
PAR E. MARGNES
Proposer un contenu d'enseignement de l'activité judo en EPS suppose une transposition didactique imposant des prises de position et « des transformations que fait subir à un champ culturel la volonté de l'enseigner dans le cadre scolaire » (1). Nous avons chosi de nous situer dans la perspective d'un judo éducatif pour aborder le combat en liaison debout-sol avec des élèves débutants.
UN JUDO AUX MULTIPLES FACETTES Le judo s'est toujours prévalu d'être, outre un sport ou une méthode de défense personnelle, une véritable méthode d'éducation physique et morale, dans la continuité du projet de son créateur Jigoro Kano (2). Dans cette conception éducative, les exercices d'entraînement traditionnels permettent l'approche d'un idéal technique (basé sur l'exploitation rationnelle de la force de l'adversaire, de ses réactions ou de ses faiblesses) et indissolublement d'une éthique fondée sur l'entraide et le progrès mutuel. Certains exercices s'appuient sur des formes de démonstrations codifiées et ritualisées comme le kata qui permet la transmission des formes fondamentales et des principes d'attaque et de défense. D'autres exercices proposent différentes formes de coopération ou d'aménagements du combat en jouant sur l'entraide pour rechercher des opportunités d'attaque en déplacement (yaku soku geiko) ou bien encore sur une répartition des rôles d'attaquant et de défenseur afin d'améliorer les comportements offensifs ou défensifs (kakari geiko). Le randori (combat d'entraînement libre mais conventionnel) est une confrontation valorisant l'offensive dans laquelle on cherche à s'améliorer. Le shiaï (combat compétitif réglementé s'adressant à des pratiquants confirmés) est un affrontement dont l'enjeu est le gain du combat. Tous les exercices préalables au combat exposent une forme « d'étape fonctionnelle » spécifique aux arts martiaux dans laquelle l'élève peut construire de manière active et réfléchie des compétences techniques ainsi que des façons de se comporter.
VERS UN JUDO SCOLAIRE Nous retenons deux obstacles essentiels (de niveau différent) pour appréhender le judo en EPS : - l'instauration d'une relation particulière à autrui dans un « art martial-sport de combat » ; - l'approche d'un idéal technique dans le combat en liaison debout-sol. Comment parvenir à s'entraider sans dénaturer le combat ? Comment présenter la notion de ippon (point maximal donnant la victoire en compétition) et qui matérialise à la fois l'efficacité réelle mais aussi une forme d'idéal technique ? La projection peut-elle être envisagée avec des débutants ?
Le rapport de force Nous souhaitons la mise en jeu de conventions tant dans les phases d'apprentissage que de combat. Il s'agit d'un contrat tacite entre les pratiquants qui a pour objet de permettre avant tout une implication raisonnée et un progrès mutuel. Les conventions sont essentielles car toutes les manières de faire et de se comporter renvoient inévitablement à une représentation de l'efficacité et à des valeurs. Toutes les situations d'apprentissage doivent préserver une part de duel dans le duo ; point de laisser-aller ou de laisser-tomber factices ! Le « partenaire-adversaire » par la qualité de ses attitudes est le meilleur guide dans la voie du progrès. Il doit donc agir avec des intentions précises et communiquer ses sensations. Le randori est à privilégier dans le cadre scolaire car il permet de libérer le comportement du combattant dans l'optique d'un « judo ouvert », au sens d'une implication raisonnée et contrôlée dans le combat. Le rapport de force tel que nous l'évoquons préserve cette fois-ci une part de duo dans le duel, garant de l'éthique recherchée.
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EPS № 2 6 4 - M A R S - A V R I L 1997 15 Revue EP.S n°264 Mars-Avril 1997 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé
Nous rejoignons « la dimension positive du randori et la nécessité que l'affrontement ne soit pas une épreuve mais un moment privilégié pour l'affirmation de soi et de ses savoir-faire techniques » (3).
L ' idéa l techn ique L'activité technique intègre, dans la logique du combat, toutes les manières de faire pour créer et utiliser les forces nécessaires au combat debout et au combat au sol, afin de projeter, d'immobiliser, de porter des clés de bras ou d'étrangler ; toutefois, ces deux techniques ne seront pas autorisées dans le cas présent. En outre, elle comprend toutes les formes défensives : les façons de saisir, de se tenir, de diriger son corps, etc. De prime abord, il faut privilégier les actions en souplesse (céder pour agir) et éviter les actions en force pour aboutir à des techniques rationnelles (sensations des déséquilibres et des points d'appui). Pour transposer cet idéal de forme, nous nous en tenons à une projection sur le dos avec contrôle (le règlement officiel comprend en plus les notions de force et de vitesse dans sa définition du ippon debout). Cette notion de contrôle est toujours privilégiée à la fois pour son aspect sécurisant mais aussi comme élément-clé de l'efficacité de ses actions et des possibilités d'enchaînement au sol. pour conclure en immobilisation (fixation des deux épaules au sol sur un temps donné). L'entrée par le judo debout permet de satisfaire d'une part, les représentations initiales des élèves (la symbolique du ippon - qui correspond avant tout à la projection) et d'autre part, le projet de l'enseignement d'une implication contrôlée et raisonnée.
S I T U A T I O N S D ' A P P R E N T I S S A G E
Les différentes situations d'apprentissage doivent imposer le respect d'attitudes, de rôles et de rites qui vont de pair avec les apprentissages techniques et tactiques. L'élève accède ainsi à une sorte de code déontologique du combattant. Toutes les formes de travail en milieu aménagé (tapis de projection), les parcours de projections et les démonstrations (4) pourront trouver leur place afin de révéler le bagage technique acquis dont l'apprentissage de la chute frappée. La technique de la chute frappée doit être ressentie comme un élément de sécurité et non comme le symbole de la défaite.
Les var iab les d idact iques Pour l'élaboration des tâches d'apprentissage, nous retenons les variables didactiques sui
vantes : la saisie, les déplacements (conduits, orientés ou libres), les formes de corps (techniques répertoriées) et surtout les contraintes de rôle.
La saisie Le type de saisie est imposé (une main au col, l'autre à la manche : (kumi « kata classique ») ainsi que l'obligation d'attaquer à deux mains et de conserver la manche de l'adversaire (du côté de l 'attaque) au terme de la projection. On recherche des att i tudes et comportements conventionnels adaptés à l'offensive (se déplacer en conservant son corps droit ainsi qu'une souplesse dans ses appuis). La saisie permet de sentir les intentions adverses et de créer des points d'appui dans la garde adverse nécessaires aux déséquilibres et aux formes de corps. En défense, on favorise la recherche d'esquive du corps plutôt que des blocages sur attaques ou des ruptures de kumi kata. Dans un premier temps, on ne comptabilise pas les contres afin de valoriser l'attaque aux dépens des actions défensives souvent plus payantes chez le débutant (5).
Les déplacements Ils sont essentiels car nous optons pour un judo ressenti en phase dynamique. Il importe à ce titre de montrer qu'on ne réalise pas la même action technique selon que l'on conduit un déplacement ou qu'on le subit.
Les formes de corps Certaines formes de corps sécurisantes (points d'appuis aux niveaux moyen ou bas) et complé
mentaires (différents axes d'action et combinaisons possibles sont abordées en premier lieu (dessin 1) ; ainsi, des techniques avant ou arrière avec : - deux appuis au sol sans soulever (exemples : kubi-nagé, moroté, ippon-seoi-nage ou o-soto effectués avec barrage), - un appui au sol par blocage des appuis ou en crochetage intérieur ou extérieur (formes adaptées de hizaguruma. o-uchi, ko-uchi, ko-soto...) seront transmis (6). L'apprentissage des actions en balayage, en fauchage, en épaulé ou hanche - exécutés sur deux ou un appui en soulevant - est retardé du fait de leur maîtrise plus délicate et surtout de la chute plus « sèche » qu'ils induisent. Les actions bras sur jambes (ramassements d 'une ou deux jambes) sont aussi évitées car elles provoquent des positions ramassées et des ruptures de saisie. Les techniques en sacrifice de son équilibre (sutémi) ne seront pas autorisées pour des raisons de sécurité.
Les rôles Les contraintes de rôle sont primordiales pour faire parvenir l'élève à la notion d'assaut conventionnel. Ainsi, au delà des rôles traditionnels de Uké (celui qui subit) et de Tori (celui qui attaque), ce sont plus les attitudes et les comportements inhérents à ces fonctions que nous tenons à enseigner. Pour aménager les situations d'apprentissage, on peut moduler le niveau de l'opposition ou bien fixer à l'avance les rôles d'attaquants ou de défenseurs voire imposer un rôle d'attaquant et un rôle neutre de transporteur (par exemple, Uké doit conduire Tori dans une zone tandis que Tori peut le projeter). L'élève doit alors rechercher puis analyser les conditions de ses actions techniques en rapport aux actions adverses. On peut donc réduire les incertitudes afin de rechercher soit des actions ou réactions adaptées, soit fixer des automatismes de réponses : - incertitude spatiale, mon adversaire me pousse, me tire, me fait tourner selon une direction et un espace convenus ; - incertitude temporelle, l'attaque doit s'effectuer lors du passage sur des zones matérialisées au sol ou bien toutes les 5 secondes ; - incertitude événementielle, les attaques ou les défenses sont spécifiées. En jouant sur ces incertitudes, on hiérarchise les difficultés des tâches et on peut poursuivre différents thèmes de travail comme : la liaison d'une saisie, d 'un axe d'action et d 'une forme de corps ; l'apprentissage de l'esquive ; la capacité à agir dans différentes directions ; l'enchaînement sur l'esquive adverse ; la notion de riposte après esquive, etc.
1. Technique avec barrage
avant.
2. Technique avec barrage
arrière.
3. Technique avec blocage
d'un appui.
ROBIN
SAR
IAN
PHOT
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AUTE
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16 Revue EP.S n°264 Mars-Avril 1997 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé
EXEMPLES DE THEMES DE TRAVAIL
Attaquer en déplacement sur différents axes d'action puis enchaîner au sol
E X E R C I C E 1
• Uké se laisse conduire par Ton ; • Tori projette plusieurs fois Uké en restant équilibré puis enchaîne une immobilisation ; Uké est partenaire, il se contente de chuter.
E X E R C I C E 2
• Uké impose les déplacements à Tori. • Même tâche pour Tori. Uké est encore partenaire.
Comp lex i f i ca t i on • Uké se laisse conduire ou impose les déplacements à Tori (au choix). • Même consignes que précédemment pour Tori. • Uké cherche cette fois à se défendre au sol après la projection.
Enchaîner après l 'esquive adverse
• Uké pousse Tori. • Tori attaque par un barrage avant (kubinagé) (dessin 2). puis enchaîne sur l'esquive de Uké.
Solutions éventuelles pour Tori - doubler l'attaque (2a) ; - enchaîner par un crochetage extérieur ou intérieur (o-uchi) (2b).
Esquiver et riposter Les deux judokas sont en déplacement circulaire, c'est-à-dire qu'ils tournent du côté où la manche est tenue.
E X E R C I C E I
Les rôles sont préalablement déterminés ; attaquer successivement par blocage d'un appui (iza-guruma) après avoir tenté d'esquiver dans le sens de l'attaque (dessin 3).
E X E R C I C E 2
Les rôles ne sont pas préalablement déterminés : un des judokas attaque toujours par blocage, l 'autre esquive et riposte par d'autres formes de corps selon les divers axes d'action.
Solutions éventuelles - barrages ; - crochetages.
Démarche pédagogique • Dans un premier temps, on demande aux élèves : - de rechercher des solutions techniques. - d'analyser les problèmes rencontrés (comment par exemple se placer et entretenir un desequilibre sans se mettre en danger). • Dans un second temps : - d'affiner les solutions. - de les répéter en fonction de ses sensations propres et de celles procurées par l'adversaire, pour agir en sécurité (contrôle de ses actions) et en cohérence (lier saisie, déséquilibre, placement, axe d'action avec une forme de corps).
Consignes • Ne pas feinter (attaques ou défenses sincères). • Accepter de chuter quand l'attaque est valide. • Enchaîner ou esquiver pour riposter sans bloquer (corps droit, bras souple). • Communiquer ses impressions.
Cr i tè res de réussite • L 'adversaire n 'est jamais lâché (sécurité). • 11 tombe sur le dos en frappant (sécurité et efficacité dans les actions entreprises). • Les mouvements sont continus (fluidité des exécutions en déplacements). • Le corps n 'es t pas déséquilibré au moment des actions d'attaque.
On fait ainsi étudier tous les moyens d'entretien, de création d'un déséquilibre au service des formes de corps retenues, en s'appuyant d'abord sur des notions d'opportunité d'attaque. Dans un même temps, on se livre à une véritable éducation posturale (placement du dos. respect de l'orientation des articulations) et on tente de faire ressentir les impressions de fluidité et de geste conduit dans les actions entreprises (pas de temps d'arrêt ou de mouvements saccadés). La dimension esthétique naît avant tout de la cohérence gestuelle et du plaisir ressenti dans les exécutions par les deux partenaires.
C O N C L U S I O N
La technique sera toujours perçue comme une réponse à un problème posé par un « partenaire-adversaire » mais en intégrant aux principes techniques des conventions aptes à transmettre une conception de l'activité reposant sur une spécificité culturelle. Les phases de recherche technique et de démonstrations participent à un effort de distanciation nécessaire vis-à-vis de l'expérience toujours très particulière de la confrontation (même tacite et réglée), confortant les apprentissages et sécurisant les élèves. Elles précéderont systématiquement la situation de randori qui permet, outre le réinvestissement des acquis, de situer ses progrès personnels et son niveau d'implication dans le combat.
Eric Margnes Professeur agrégé d'EPS.
BEES 2° judo. Collège Chabanne - Pontoise.
Notes bibliographiques (1) Verret M. cité par Chevallard Y.. La transposition didactique, La pensée sauvage, 1990. (2) Kano J., L'éducation par le judo, in « Jazarin JL. Le judo, école de vie ». Le pavillon Roger Maria Ed. 1974. FFJDA. Recueil de textes officiels. Collectif FFJDA, Le judo des 15/17 ans. pratique et entraînement. 1985. Nouvelle progression française, passeport jeunes, 1990. (3) Brousse M., Enseignement du judo et EPS. Revue ERS n° 228, 1991. (4) Calmet M. Gouriot M., Didactique du judo en milieu scolaire. CDDP de l'Oise, 1987. (5) Albertini R. Pour une pratique et une pédagogie de l'opposition codifiée. Revue judo n° 59, 1983. Il est exposé dans cet article que le débutant possède souvent une défense au sol inexistante et par contre une attaque suffisante alors que dans le combat debout ces rapports sont inversés. (6) Giraud P.. Les randoris. Revue ERS n° 251.
4. Sécurité : l'adversaire n'est
jamais lâché.
ROBIN
SAR
IAN
ROBIN
SAR
IAN
EPS № 264 - MARS-AVRIL 1997 17 Revue EP.S n°264 Mars-Avril 1997 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé