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Page 1 sur 23 Pour un renforcement du mécanisme d’alerte… BDE (2017) 1 Un renforcement du mécanisme d’alerte pour lutter efficacement contre la criminalité économique dans l’espace OHADA Amissi M. Manirabona Table des matières Introduction 1. Modalités d’alerte prévues par l’AUDSCGIE 1.1. Alerte par le commissaire aux comptes 1.2. Alerte par les associés 2. Caractère innovant de l’actuel système d’alerte prévu par l’AUDSCGIE 2. 1. Un système faisant la promotion d’une nouvelle approche de régulation: Compliance 2. 2. Un système encourageant le dialogue et la collaboration entre l’entreprise et les autorités publiques 2. 3. Avantages et limites de ce système de co- régulation 3. Pour l’inclusion du whistleblowing dans l’AUDSC-GIE 3. 1. Notion de whistleblowing 3. 2. Un survol de l’évolution du whistleblowing aux États-Unis 3.3. Synthèse : vers un modèle de whistleblowing conforme aux réalités de l’espace OHADA Conclusion Professeur, Faculté de droit, Université de Montréal. (2017) 1 Résumé Ce chapitre propose l’adoption dans l’espace OHADA d’un système d’alerte éthique qui donnerait le pouvoir aux employés de dénoncer aussi bien au niveau interne qu’à l’extérieur de l’entreprise. L’analyse relève d’abord que l’Acte uniforme révisé relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique (AUDSCGIE) s’inscrit dans une dynamique de « compliance » en ce qu’il donne l’opportunité à l’entreprise de corriger les irrégularités avant que les autorités publiques n’interviennent. Le chapitre souligne le caractère innovant de ce mécanisme mais relève aussi ses limites avant de suggérer qu’il soit renforcé par l’adoption d’une autre approche innovante, celle du whistleblowing. À la lumière des pratiques en cours aux États-Unis, le chapitre montre que le whistleblowing, qui donne le pouvoir de dénonciation aux employés témoins quotidiens des actes répréhensibles, s’avère la plus à même de favoriser des changements nécessaires à la bonne gouvernance des entreprises. À l’heure où les crimes économiques ainsi que d’autres irrégularités sapent sérieusement le bien-être des entreprises et des parties prenantes, il est vivement recommandé au législateur OHADA d’envisager rapidement l’adoption du whistleblowing.

Un renforcement du Résumé ... - droit-economique.orget du groupement d’intérêt économique, et, d’autre part, à montrer que même si le droit des affaires OHADA se place de

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Unrenforcementdumécanismed’alertepourlutterefficacementcontrelacriminalitééconomiquedansl’espaceOHADAAmissiM.Manirabona∗TabledesmatièresIntroduction1. Modalitésd’alerteprévuesparl’AUDSCGIE1.1. Alerteparlecommissaireauxcomptes1.2. Alerteparlesassociés2. Caractèreinnovantdel’actuelsystèmed’alerte

prévuparl’AUDSCGIE2.1. Unsystèmefaisantlapromotiond’unenouvelle

approchederégulation:Compliance2.2. Unsystèmeencourageantledialogueetla

collaborationentrel’entrepriseetlesautoritéspubliques

2.3. Avantagesetlimitesdecesystèmedeco-régulation

3. Pourl’inclusionduwhistleblowingdansl’AUDSC-GIE

3.1. Notiondewhistleblowing3.2. Unsurvoldel’évolutionduwhistleblowingaux

États-Unis3.3. Synthèse:versunmodèledewhistleblowing

conformeauxréalitésdel’espaceOHADAConclusion

∗Professeur,Facultédedroit,UniversitédeMontréal.

(2017)1

RésuméCe chapitre propose l’adoption dans l’espaceOHADA d’un système d’alerte éthique quidonnerait lepouvoirauxemployésdedénonceraussi bien au niveau interne qu’à l’extérieur del’entreprise. L’analyse relève d’abord que l’Acteuniforme révisé relatif au droit des sociétéscommerciales et du groupement d’intérêtéconomique (AUDSCGIE) s’inscrit dans unedynamique de «compliance» en ce qu’il donnel’opportunité à l’entreprise de corriger lesirrégularités avant que les autorités publiquesn’interviennent.Lechapitresoulignelecaractèreinnovantdecemécanismemaisrelèveaussiseslimites avantde suggérerqu’il soit renforcéparl’adoptiond’uneautreapproche innovante,celleduwhistleblowing.Àlalumièredespratiquesencours aux États-Unis, le chapitremontre que lewhistleblowing, qui donne le pouvoir dedénonciation aux employés témoins quotidiensdesactesrépréhensibles,s’avèrelaplusàmêmede favoriser des changements nécessaires à labonnegouvernancedesentreprises.Àl’heureoùles crimes économiques ainsi que d’autresirrégularités sapent sérieusement le bien-êtredes entreprises et des parties prenantes, il estvivement recommandé au législateur OHADAd’envisager rapidement l’adoption duwhistleblowing.

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1.IntroductionL’Acte uniforme révisé relatif au droit dessociétés commerciales et du groupementd’intérêt économique (ci-après«AUDSCGIE») en vigueur depuis mai2014 prévoit un mécanisme d’alerte encas d’existence d’un fait de nature àcompromettre la continuité del'exploitation de l’entreprise. Cemécanisme d’alerte de l’AUDSCGIE estrégipar lesarticles150à158. Il accordeuneplaceimportanteaucommissaireauxcomptes qui doit demander desexplications aux dirigeants d’entreprisesdont certainesopérations sontdouteusesafindelesameneràprendredesdécisionsqui s’imposent pour corriger lesirrégularités.Lorsque le commissaireauxcomptes constate que rien n’a étéenvisagé par les dirigeants contactés ouquelesdécisionsprisesnepermettentpasd'assurerlacontinuitédel'exploitation, ilpeut alors saisir le tribunal compétentpour une action judiciaire. Les mêmespouvoirsd’alertesontaccordésàl’associéexcepté celui relatif à la saisine dutribunal à la suite de l’inaction desdestinatairesdel’alerte.Comme on peut bien le constater, cemécanisme d’alerte de l’AUDSCGIEconsacreunprocessusdecollaborationetdecoopérationdestinéàréglerd’abordàl’internelesproblèmesdel’entreprisequipourraient menacer son existence. Encela, ledroitdesaffairesOHADAs’inscritdans l’approche de «compliance» envogue dans les pays anglo-saxons et engestation dans les pays francophones.Cettenouvelle formede régulationviseàencourager les entreprises à corriger lesirrégularités par des mesures internes,volontaires et moins coûteuses. Lesmesures judiciaires contraignantes nesont mises en œuvre qu’en dernier

ressort. Cependant, le législateur OHADAn’a pas voulu aller assez loin. Lemécanisme d’alerte adopté ne met pas àcontribution les travailleurs qui œuvrentaujourlejourauseindesentreprises1.Étant donné que la criminalitééconomiqueàgrandeéchelle(corruption,blanchiment d’argent, fraude, cartel, etc.)peut, à juste titre, constituer un faitcapabledecompromettrelacontinuitédel'exploitation de l’entreprise, l’objectif decette étude vise à proposer l’adoptiondenouvellesmesures internes à l’entreprisevisant à lutter efficacement contre lacriminalité économique. Notreproposition au-delà de l’alerteenvisageable, seulement le cas de faitmenaçant lapérennitéde l’entreprise.Aucontraire,notreapproches’orientedufaitque les crimes économiques sonttellement graves que leur survenance auseinde l’entreprisedevrait entraîneruneprésomption de menace à l’encontre del’existencedel’entreprise.Parmi les nouvelles mesures à adopter,nous préconisons dans cette étudel’élargissement des personnes ayant lepouvoir de sonner l’alerte pour y inclureles employés œuvrant au sein desentreprises. À cet égard, on s’assureraitque ceux qui possèdent des informationspertinentes au sein de l’entreprise sontmis à contribution pour faciliter ladétection des comportementsrépréhensibles en leur permettant de«soufflerdanslesifflet»afind’alerterlesautorités compétentes2. Si ce mécanisme1AziberSeidALGADI,«Procédured’Alerte»,Paul-GérardPOUGOUE,EncyclopédiedudroitOHADA,Paris,Lamy,2011,no1425,p.1426.2 Julie BIRON et Stéphane ROUSSEAU,«"Whistleblowing", divulgation, dénonciationvers une meilleure surveillance des sociétés?»»,(2012)91R.duB.can.657.660.

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était adopté, il contribuerait sans douteaux efforts delutte contre la criminalitééconomique sans exiger tropd’investissements.Àl’heureoùlescrimeséconomiques ainsi que d’autresirrégularités menacent sérieusementl’économiedeplusieurs entreprises etdeplusieurs États ainsi que le bien être desparties prenantes, il est vivementrecommandé au législateur OHADAd’envisager l’adoption de ce genre demécanismes.Cette étude vise donc d’une part, àsouligner le caractère innovant de cemécanisme institué par l’ Acte uniformerelatif au droit des sociétés commercialesetdugroupementd’intérêtéconomique,et,d’autre part, à montrer que même si ledroitdesaffairesOHADAseplacedeplusen plus sur la voie de la modernité,l’adoption d’une approche innovante estnécessaire pour stimuler la conformité àl’intérieurdel’entreprise.1.Modalitésd’alerteprévuesparl’AUDSC-GIELes deux modalités d’alerte prévues parl’AUDSCGIE sont l’alerte par lecommissaire aux comptes et l’alerte parlesassociés.1.1AlerteparlecommissaireauxcomptesHabituellement, le commissaire auxcomptes procède aux dénonciations desfaits délictuels au moment de lacertification des comptes ou de lavérification des documents comptables3.Encequiconcernelessociétésautresqueles sociétés anonymes, le commissaire«demande, par lettre au porteur contre

3Voir Jean GATSI, «Commissaires aux apports etcommissaires aux comptes», dans Paul-GérardPOUGOUEEncyclopédiedudroitOHADA, préc., note1,no534,p.538.

récépisséouparlettrerecommandéeavecdemande d'avis de réception, desexplications au gérant qui est tenu derépondre» à propos de «tout fait denature à compromettre la continuité del'exploitation qu'il a relevé lors del'examen des documents qui lui sontcommuniquésoudontilaconnaissanceàl'occasion de l'exercice de sa mission.»4Dans le cas des sociétés par actions, lecommissaire aux comptes demande lesexplications au président du conseild'administration, au président-directeurgénéral ou à l'administrateur généralselonlecas5.À la suite du signalement par lecommissaire aux comptes, le gérant oupourlessociétésparactions, leprésidentdu conseil d'administration, le président-directeur général, l'administrateurgénéral ou le président: «répond parlettre auporteur contre récépissé ouparlettrerecommandéeavecdemanded'avisde réception dans les quinze (15) joursqui suivent la réception de la demanded'explication» 6 . Dans sa réponse, legérant ou, selon le cas, le président duconseil d'administration, le président-directeur général, l'administrateurgénéral ou le président pour les sociétésanonymes ou par actions, «donne uneanalyse de la situation et précise, le caséchéant, lesmesuresenvisagées»7.Aprèsla«réceptiondelaréponseouàdéfautderéponse sous quinze (15) jours, lecommissaire aux comptes informe lajuridiction compétente de sesdémarches»8.La transmission de l’information à lajuridiction compétente est l’une desnouveautés apportées par la dernière4AUDSCGIE,article150.5AUDSCGIE,153.6AUDSCGIE,articles151et154.7Id.8Id.

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révision de l’AUDSCGIE. Elle aligneclairement le droit OHADA au droitfrançaissurcetaspect9.En cas d'inobservation des dispositionsprévuesà l'article151ousi,endépitdesdécisions prises, la continuité del'exploitation demeure compromise, lecommissaire aux comptes établit unrapport spécial dont une copie estcommuniquée à la juridictioncompétente 10 . Le commissaire auxcomptes «peut demander au gérant, parlettre auporteur contre récépissé ouparlettrerecommandéeavecdemanded'avisde réception, que ce rapport spécial soitcommuniqué aux associés ou qu'il soitprésenté à la prochaine assembléegénérale» 11 . Lorsque l’urgence lerequiert, « le commissaire aux comptespeut convoquer lui-même une assembléegénérale pour présenter les conclusionsde son rapport» 12 . Cependant, il estdifficile de déterminer les cas où lecommissaire aux comptes pourraitconsidérer qu’il y a urgence13. On peutjuste souhaiter, entre autres, que sil’implication personnelle dans lacriminalité par le gérant ou d’autresdirigeants de l’entreprise est avérée, celadevrait être considérée comme un casurgent nécessitant que le commissaireconvoque lui-même une assembléegénérale pour présenter les conclusionsdesonrapport.Par ailleurs, le commissaire aux comptespeutdemanderaugérantdeprocéder«àla communication du rapport spécial auxassociésdansleshuit(8)joursquisuivent

9A.S.ALGADI,préc.,note1,p.1429.10AUDSCGIE,article152(1)11AUDSCGIE,article152(2)12Id.13La doctrine dresse une longue liste des indicessusceptibles d’être révélateurs des difficultés del’entreprise. Voir A.S. ALGADI, préc., note 1, p.1427-1428.

la réception de la demande»14. À l'issuedel'assembléegénérale,silecommissaireaux comptes «constate que les décisionsprises ne permettent pas d'assurer lacontinuité de l'exploitation, il informe deses démarches la juridiction compétenteetluiencommuniquelesrésultats»15.Encequiconcernelessociétésanonymesetlessociétésparactions,enl’absencedecoopération ou en cas de réponse nonsatisfaisante, «le commissaire auxcomptes invite, selon le cas, le présidentdu conseil d'administration ou leprésident-directeur général à fairedélibérer le conseil d'administration,l'administrateurgénéralouleprésidentàse prononcer sur les faits relevés.»16Àson tour, le président du conseild'administrationouleprésidentdirecteurgénéral, selon le cas, convoque le conseild'administration, dans les quinze (15)joursqui suivent la réceptionde la lettreducommissaireauxcomptes,envuedelefairedélibérer,enprésencedecederniersur les faitsrelevés,dans lemoisquisuitla réception de cette lettre 17 . Lorsquel'administration et la direction généralede la société sont assurées par unadministrateur général ou un président,c’est celui-ci qui, dans les mêmes délais,«convoquelecommissaireauxcomptesàla séance au cours de laquelle il seprononcesurlesfaitsrelevés»18.Danslemoisquisuitladélibérationouladécision,un«extraitduprocès-verbaldela délibération du conseild'administration ou de la décision del'administrateur général ou du président,selon le cas, est adressé au commissaireaux comptes et à la juridiction

14AUDSCGIE,article152(3)15AUDSCGIE,article152(4)16AUDSCGIE,article155.17AUDSCGIE,article155.18AUDSCGIE,article155

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compétente» 19 . Encore une fois, laréférence à la juridiction compétenceconstitue une nouveauté de l’AUDSC-GIErévisé. Toutefois, à l’instar de l’ancienneversion, la nouvelle version del’AUDSCGIEétalelesdélaissurunelonguepériode.Or,selonladoctrine,celongdélaid’inaction peut s’avérer fatal pourl’entreprise qui pourrait ne plus seredresser20.En cas d'inobservation des articles 153,154et155:«ousi,endépitdesdécisionsprises, le commissaire aux comptesconstatequelacontinuitédel'exploitationdemeure compromise, il établit unrapport spécial qui est présenté à laprochaine assemblée générale ou, en casd'urgence, à une assemblée générale desactionnaires qu'il convoque lui-mêmepour soumettre ses conclusions, aprèsavoirvainementrequissaconvocationduconseil d'administration, del'administrateur général ou du président,selon le cas, par lettre au porteur contrerécépisséouparlettrerecommandéeavecdemanded'avisderéception.»21À l'issue de l'assemblée, lorsque «lecommissaireauxcomptesconstatequelesdécisions prises ne permettent pasd'assurerlacontinuitédel'exploitation, ilinforme de ses démarches la juridictioncompétente et lui en communique lesrésultats»22.Demême,dans«undélaidesix(6)moisàcompterdudéclenchementde la procédure d'alerte, le commissaireaux comptes peut en reprendre le coursau point où il avait estimé pouvoir ymettre un terme lorsque, en dépit deséléments ayant motivé son appréciation,la continuité de l'exploitation demeurecompromise et que l'urgence commande

19Id.20A.S.ALGADI,préc.,note1,p.1430.21AUDSCGIE,article156.22AUDSCGIE,article156

l'adoptiondemesuresimmédiates»23.Onremarque iciquecomptetenude la tailleplus ou moins grande de l’entreprise, leprocessus d’alerte peut être long etcomplexeparrapportauxsociétésquinesontdessociétésparactions.1.2AlerteparlesassociésDans les sociétés autres que les sociétésparactions, toutassociénongérantpeut,deux(2)foisparexercice,poserparécritdes questions au gérant sur tout fait denature à compromettre la continuité del'exploitation24. Dans le cas des sociétésanonymes, ces questions sont adresséesau président du conseil d'administration,au président-directeur général ou àl'administrateur général, selon le cas25 .Aucune condition sur le pourcentage desparts sociales détenues dans l’entreprisen’est exigée par l’AUDSCGIE pourbénéficier du droit d’alerter26. Le gérantou, en cas de société anonyme, leprésident du conseil d'administration, leprésident-directeur général oul'administrateurgénéralrépondparécrit,dans le délai de quinze (15) jours, auxquestions posées par l’associé27. Dans lemême délai, il adresse copie de laquestionetdesaréponseaucommissaireauxcomptes,s'ilenexisteun28.Il est remarquable que la procédured’alerte réservée aux associés ne soit enréalitéqu’uneprocédurefacultativevisantà poser des questions aux dirigeants del’entreprise. En plus, aucune autre suiten’estréservéeauxquestionsdesassociéesen casde réponsenon satisfaisantede lapartdesdirigeants.Eneffet,onneprécise23AUDSCGIE,article156.24AUDSCGIE,article157.25AUDSCGIE,article158(1).26A.S.ALGADI,préc.,note1,p.1433.27AUDSCGIE, article 157 (2) et AUDSCGIE, article158(2).28Id.

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pas dans quelle mesure les associés nonsatisfaits pourraient prendre pourimposer les changements au sein del’entreprise. Certes, l’AUDSCGIE prévoitquelaréponseauxquestionsdesassociéspar les dirigeants de la société soitcommuniquéeaucompte.Maiscedernierpeutnerienfairepourydonnersuite.Or,contrairement aux commissaires auxcomptes, les associés ne peuvent passaisir la juridiction compétente pourenclencher une quelconque actionjudiciaire. Il aurait été bénéfique si lesassociés avaient le pouvoir de saisir letribunal et que ce dernier parvienne àimposer des mesures de conformité à lasuitede l’omissiond’agirducommissaireauxcomptes.Malgrécesmanquements,lesystèmed’alerte instituépar l’AUDSC-GIEreste innovant à bien des égards commenousallonsendiscuterdansleslignesquisuivent.2.Caractèreinnovantdel’actuelsystèmed’alerteprévuparl’AUDSC-GIECommeonpeutlevoir,lesystèmed’alerteprévudans l’AUDSCGIEs’inscritdansuneapproche de co-régulation 29 . Il vised’abord à favoriser l’autorégulation ausein des entreprises: «compliance.»Ensuite, ce mécanisme prévoitl’intervention des pouvoirs publicslorsque l’autorégulation n’a pas produitdesrésultatssatisfaisants.2.1 Un système faisant la promotiond’unenouvelleapprochederégulation:ComplianceLa«compliance»(conformité)estperçuecomme étant l’ensemble des actions,politiquesetprocéduresmisenœuvreau

29Tapan K. SARKER, «Voluntary Codes of ConductandtheirImplementationintheAustralianMiningandPetroleumIndustries:isthereaBusinessCaseforCSR?»(2013)2AsianJ.Bus.Ethics205-224.

seindesentreprisespour se conformeràla loi prise dans son sens large (règlesinternationales, nationales, locales,professionnelles, coutumières, ou règlesinternesàl’entrepriseouauxassociationsd’entreprises, etc.) 30 . Appliquée à lacriminalitééconomique, l’approcheviseàpromouvoir le contrôle et la préventiondes crimes commis au sein desentreprises en ayant recoursessentiellement aux ressources de cesdernières. En ce faisant, les autoritéscèdentauxentreprisesunepartiedeleurspouvoirs, car ce sont ces dernières quipeuvent détecter le mieux l’origine desirrégularitésenleursein.Enconséquence,il est procédé à la responsabilisation desentreprises qui sont les mieux à mêmed’assurer le respect interne de laréglementation 31 . Ainsi, les autoritéspubliques abandonnent temporairementl’approche traditionnelle basée sur lecontrôle et la punition jusqu’à ce que lesentreprises se montrent incapables decoopérer32.End’autres termes, il yaunereconnaissance des limites à ce quepeuventfairelesautoritéspubliquespourrépondre aux agissements illégaux desentreprises33.Étant donné la complexité des normesrèglementaires, le modèle ducommandement et du contrôle a vitemontré ses limites, ce qui a poussé à larecherche d’un nouveau modèle de

30Débat,2014.31David GARLAND, «The Limits of the SovereignState:StrategiesofCrimeControlinContemporarySociety», (1996) British Journal of Criminology,1982.453.445-71.32JohnBRAITHWAITE, «EnforcedSelf-Regulation:ANew Strategy for Corporate Crime Control»,MichiganLawReview1466-1507.33En effet, l’État a des limites dans sa capacitéd’agirétantdonnéqu’iln’intervientgénéralementpas dans ce qui relève de la vie privée.Voir D.GARLAND,préc.,note31,p.453.

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régulation34. Ce nouveau modèle permetaux entreprises de s’exprimer librementavant que les responsables del’application de la loi s’en mêlent. Il faitdonc la promotion de la confiance entreles entreprises et les autorités, ce qui aplus de chance de favoriser la légitimitédes normes et, par conséquent leurrespect 35 . Il ne s’agit pas d’unerenonciationdel’autoritéparlespouvoirspublics.Commel’affirmeunauteur:«Thestatedoesnotdiminishorbecomemerelya nightwatchman. On the contrary, itretainsall itstraditional functionsand, inaddition, takes on a new set of co-ordinating and activating roles,which, intime, develop into new structures ofsupport,funding,informationexchangeorco-operation. Where it works - and oneshould not underestimate the difficultiesinvolved in making it work - theresponsibilization strategy leaves thecentralized statemachinemore powerfulthanbefore,withanextendedcapacityforactionandinfluence36.»Avec la nouvelle forme de gouvernance,l’approche basée sur l’autorégulationintervient en amont alors que l’approcherelative au contrôle des autoritéspubliquesintervientenaval.34 Le modèle de contrôle a été critiquéénormément pour sa propension à se satisfaired’une conformité minimale aux standardsrèglementaires sans motiver les entreprises àl’améliorationcontinuede leurspratiques.VoirT.K.SARKER,préc.,note29,p.206.35Tom TYLER, «Reducing Corporate Criminality:TheRoleofValues»,Am.Crim.L.Rev.2014.267.36D. GARLAND, préc., note 31, p. 454. En d’autrestermes,l’Étatnesedésengagepasmaisplutôt«isexperimentingwithwaysofactingatadistance,ofactivating the governmental powers of'private'agencies,ofco-ordinatinginterestsandsettingupchainsofco-operativeaction,allofwhichpresentmanymoredifficultiesthanthetraditionalmethodof issuing commands to state agencies and theirfunctionaries».VoirD.GARLAND,préc.,note31.

2.2 Un système encourageant ledialogue et la collaboration entrel’entrepriseetlesautoritéspubliquesIlestbienconnuquelacriminalitéauseindes entreprises est souvent l’œuvre d’unou quelques responsables isolés. Lacriminalité économique est aussi unecriminalitécachéequi,àladifférencedelacriminalité classique (criminalité de rue)est difficile à détecter pour les autorités.Afindediminuerletauxdesurvenancedecettecriminalité,uneformedepartenariatentre les entreprises et les autoritéspubliquess’est imposée.Enconséquence,les entreprises ont été incitées àaménager leurs politiques internes pourmettreenplaceunegestionpréventivedelacriminalitéafind’accompagnerdefaçonefficace les autorités d’application deslois37. Celles-ci ne sont plus considéréesseulement comme des cibles despoursuites mais surtout comme despartenaires importantspour la recherchedeschangementsdurablesenleursein38.Le recours à la collaboration entre lesentreprises et les autorités d’applicationde la loi pour aider à la préventionde lacriminalité économique est devenu unobjectifd’intérêtpublic.Danscesens, lesentreprises sont encouragées à agircomme mandataires des autoritéspubliques en s’engageant dans desfonctionsdepréventionducrime39.Ilne s’agitpasd’uneautorégulationpuremaisd’unmodèleintermédiaire,unesorte37 Richard S. GRUNNER, «Preventive Fault andCorporate Criminal Liability: TransformingCorporate Organizations into Private PolicingEntities», Springer, dans Henry N. Pontell &Gilbert Geis (eds.), International Handbook ofWhite-Collar and Corporate Crime, 2007, p. 279-308.38Rachel E. BARKOW, «Organizational Guidelinesfor the Prosecutor's Office», (2010) 31 6 L. Rev.2100.39R.S.GRUNNER,préc.,note37,p.279-308.

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depluralismeréglementaire«denouvellegénération» qui allie le contrôle despouvoirspublicsàl’autorégulationparlesorganisations elles-mêmes 40 . La co-régulation présente ainsi l’avantage deflexibilité et de l’amélioration continueoffert par l’autorégulation d’une part, et,d’autrepart,del’incitationàseconformerqu’offre le commandement et le contrôleparlespouvoirspublics41.Ultimement, au lieu de simplementsurveiller et attendre que les infractionssoient commises pour les détecter et lesréprimer,lenouveaurôledurégulateuraété re-conceptualisé pour encourager laconformité volontaire et réserver lessanctions pour les agents qui refusentobstinémentdejouerlejeud’observerlesrègles42.C’estcequeBraithwaiteaappelé«enforcedself-regulation»43.2.3Avantageset limitesdecesystèmedeco-régulationLorsqu’elleesteffective,l’approchedeco-régulation constitue un excellent moyende minimiser les coûts aussi bien pourl’entreprise que pour l’administration ettoutes les parties prenantes. Au niveaudes entreprises, la co-régulation leurpermet, entre autres, d’éviter lesinconvénients découlant des coûts desprocès notamment les frais d’avocats;amendes et autres sanctions; perte delicences, de permis, de marchés, de lavaleur; etc. En outre, lorsque la«compliance» est optimale et que lesrisques associés à la criminalité sontévités,celaproduitdeseffetspositifspour

40 Christine PARKER, «The Pluralisation ofRegulation», (2008) 9 -2 Theoretical Inquiries inLaw349-369.41 Neil GUNNINGHAM et al. «Smart Regulation:Designing Environmental Policy», Oxford:Clarendon,1998.42T.K.SARKER,préc.,note29,p.206.43J.BRAITHWAITE,préc.,note32,p.1466-1507.

les parties prenantes notamment lesemployés, les fournisseurs et autrescréanciersainsiquetoutelacommunauté.Par ailleurs, selon Braithwaite, la«compliance» permet le développementdes normes conformes aux besoins desentreprises en rejetant ce qui ne lesconvientpas. Ilpermetaussi l’émergencedes règles qui s’ajustent facilement pourtenir compte des environnementsd’affaires très changeants. Ensuite,l’innovation réglementaire est favoriséeainsi que l’engagement des entreprises àseconformerauxrèglesqu’ellesélaborentelles-mêmes. En effet, dans ce cas, lesentreprises savent avec certitude quellesrègles s’appliquent à elles et vont ensupporterelles-mêmeslecoût44.Enfin,laco-régulationfavoriselacréationd’une culture de respect de la loi, ce quipermet aux parties impliquées de fairel’économie de leurs ressources. Pour lespouvoirs publics, la co-régulation, quipermetde favoriserplusderespectde laréglementation implique lecontrôlede lacriminalitéàmoindrecoût.Relativement aux limites, il a été relevéque laisser le soin à l’entreprise dedévelopper ses propres règles internesmet lesautoritéspubliquesdevant ledéfide devoir approuver régulièrement unemultitude de normes, ce qui risqued’entraîner des coûts supplémentaires45.Toutefois, il semblerait que ce qui estdifficile c’est le commencement, le restesuit sans difficulté juste de façonroutinière 46 . De même, il est possibled’exiger à l’entreprise de nommer unresponsable indépendant pour évaluer lapertinencede ces règles et en superviserlamiseenœuvre.Ons’estégalementposélaquestionconcernantlanaturejuridique

44Id.,p.1474-1483.45J.BRAITHWAITE,préc.,note32,p.1490.46Id.,p.1491.

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des normes adoptées par les entrepriseset le traitement que les tribunauxpourraientleurréserver47.Maisledroitaévoluédepuiscesdernièresannéeset lestribunaux sont de plus en plus ouverts àl’idée d’accorder une valeur aux normesinternes adoptées par les entreprises. Demême,ilsembleraitquelapromotiondesrègles privées, applicables de façonindividualisée,diminueraitlaforcemoraledes lois universellement applicables48. Ledroit risque alors de perdre sa légitimitétandis que son respect risque d’êtrecompromis 49 . Or, affirmer cela c’estoublier qu’aucun gouvernement aumonde ne peut légiférer et régler, dansleurs moindres détails, tous les casd’irrégularitésquisurviennentauseindesorganisations. En outre, les politiquesprivées des entreprises constituent engrandepartielerefletdesvaleursmoralesvéhiculées par des lois nationales, destraités internationaux et d’autresinstruments de «soft law». Braithwaitepense plutôt que les normes privéespourraient au contraire renforcerl’autoritémorale des lois en réduisant letaux de la criminalité au sein desentreprises50.Parailleurs,certainsonteupeurquelesnormesprivéesnefassentlapromotion de l’absolutisme corporativeen soumettant les employés auxprocessus qui violent leurs droits 51 .Encore une fois, il s’agit d’une questionquiabeaucoupévoluéétantdonnéquedeplus en plus de politiques privéesprévoient des garanties juridiques pourles employés et autres parties prenantes

47Id.,p.1493.48Voir Sally S. SIMPSON,CorporateCrime,Law,andSocial Control, Cambridge, UK; New York, NY:CambridgeUniversityPress2002.106.49Tom R. TYLER,Why People Obey the Law,NewHaven:YaleUniversityPress,1990,p.26.50J.BRAITHWAITE,préc.,note32,p.1494-1495.51Id.,p.1495.

impliquées, notamment les moyens derecoursauxautoritéspubliquesencasdenonsatisfaction.Aussi, certains font valoir quel’autoréglementation des entreprisesrisquedelesmeneràélaborerdesnormesleur permettant d’échapper à leursresponsabilités52.Ilfauttoutefoisdirequecertaines entreprises échappent etcontinueront toujours d’échapper auxlois 53 . Mais la doctrine en droit etpsychologie a déjà montré que faireconfiance aux acteurs améliore lalégitimité des lois ainsi que leurobservationparcesderniers54.Enoutre,ilne faudrait pas perdre de vue que l’Étatn’estjamaisloindansceprocessusdeco-régulation et qu’il peut à tout momentprendre le relai et sanctionner le non-respectdeslois55.52Id.,p.1495-1496.53 Lisa Kern GRIFFIN, «Inside-OutEnforcement»dansAnthonyS.BARKOW&RachelE. BARKOW (dir.) Prosecutors In The Boardroom:UsingCriminalLawToRegulateCorporateConduct,New York, NYUP, 2011, 110, p. 113; Barbara A.BELBOT, «Corporate Criminal Liability» dansMichael BLANKENSHIP (dir.) UnderstandingCorporate Criminality, New York: GarlandPublishing, 1995, 211, p. 212 et p. 228-229. Voiraussi Michael L. BENSON & Francis T. CULLEN,Combating Corporate Crime: Local Prosecutors atWork, Boston: Northeastern University Press,1998, p. 161;HarryGLASBEEK,WealthbyStealth :Corporate Crime, Corporate Law, and thePerversion of Democracy, Toronto : Between theLines, 2002, p. 146-147; Anne ALVESALO,«Downsized by Law, Ideology and Pragmatics-PolicingWhite-Collar Crime», dans Garry POTTER(dir.) Controversies in White Collar Crime.Cincinnati, Ohio: Anderson Publishing Co., 2002,149,p.159;DarrylK.BROWN,TheProblematicandFaintly Promising Dynamics of Corporate CrimeEnforcement, (2004) 1 Ohio State Journal ofCriminal Law 521, p. 526; Michael L. BENSON &Sally S. SIMPSON, Understanding White-CollarCrime:anOpportunityPerspective,NewYork,NY:Routledge2015,p.236.54VoirT.R.TYLER,préc.,note35.55J.BRAITHWAITE,préc.,note32,p.1497.

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Dès lors, rien ne semble empêcher auxdécideursde l’espaceOHADAd’envisagerl’institution d’un mécanisme permettantde divulguer les irrégularités par despersonnesenpositionprivilégiéeetayantun accès facile et quotidien aux sourcesd’informationsetauxbasesdedonnéesdel’entreprise56.3.Pourl’inclusionduwhistleblowingdansl’AUDSCGIEMalgré l’importance du mécanismed’alerte prévu à l’AUDSCGIE, il sied desouligner que cela ne fonctionne pascorrectement lorsque la probabilité desirrégularités est moins grande et que lerefus de coopérer n’est pas assorti desconséquences sérieuses (calculéconomique enchâssé dans la théorie duchoix rationnel). Or, le commissaire auxcomptesactuellementaucentredel’alerten’estpasimpliquédanslaviequotidiennede l’entreprise 57 . Il n’intervienthabituellement qu’à la fin de l’exercicesauf quelques exceptions58. Ensuite, sonindépendance n’est pas garantie dans lamesureoùsa candidatureestproposéeàl’Assemblée générale ordinaire desactionnaires par les dirigeants del’entreprise59 . Par ailleurs, étant donnéqu’il est nommé et payé par l’entreprise,le commissaire aux comptes peut êtrecomplaisant et ce, malgré l’existence desanctionsencasdefaute60.Il est donc important d’envisagerl’inclusion d’un nouveau mécanisme degouvernance accordant la possibilité auxemployés de l’entreprise d’être des«whistleblowers» ou lanceurs d’alerte56MerkcAssociationinternationaledestravailleursenponts,enferstructural,ornementaletd’armure,sectionlocale771,[2005]3RCS425.57AUDSCGIE,art.710etarticle713.58AUDSCGIE,art.718.59A.S.ALGADI,préc.,note1,p.1427.60J.GATSI,préc.,note3,p.539-540.

éthique dans l’espace OHADA. Dans lessignesqui suivent,nousprocéderonsà ladéfinition de la notiondewhistleblowing,à la présentation de son évolutionhistorique et à la proposition de sonadoptionendroitOHADA.3.1NotiondewhistleblowingLe vocable «whistleblowe» est apparuaux États-Unis durant les années 1970forgé par l’activiste spécialisé enprotection du consommateur RalphNader61. Le mécanisme s’est vite imposépour occuper une place de choix dans lalutte contre la fraude et la criminalitédans plusieurs activités et organisations.D’après Rapp, les «whistleblowers»possèdentunepuissance inégalée. Ils ontainsi aidé à mettre fin à la guerre etentrainélachuted’unprésidentaméricainet celle de deux grandes entreprises(Enron&Worldcom).Ilsontaussiexposélespratiquesfrauduleusesdesentreprisesdu tabac ainsi que celles de l’icône ducyclisme Lance Armstrong pour ne citerqueça62.Le «whistleblowing» est considérécomme un «système permettant auxsalariés d’alerter leurs dirigeants ou uncomité spécialement constitué, sansrisque d’être personnellement inquiétés,des irrégularités ou des mauvaiscomportements professionnels qu’ilsconstatent dans l’entreprise et dont ilsestiment qu’ils font courir à l’entrepriseun risque sérieux sur le plan financier,juridique, technique,sanitaire,sécuritaireou quant à sa réputation»63. Ce système

61 Geoffrey Christopher RAPP, «Four SignalMoments in Whistleblower Law: 1983-2013» ,(2013) Hofstra Labor & Employment LawJournal38962Id.,p.389.63GuillaumeELIET, «Whistleblowing:quelsystèmed’alerte éthique pour les entreprises françaises?,»

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peut être prévu au contrat d’emploi oudécouler d’un texte législatif. Il estcontractuel «lorsque l’employé adhèrepar la signaturede soncontratde travailaucodedeconduiteouàlacharteéthiquede la société qui prévoit cetteobligation»64. Il est légal lorsqu’un textelégislatif «prévoit l’obligation dedénoncer certaines situations à uneautoritédésignéeàceteffet»65.Dansl’unou l’autrecas, laprocédureàsuivreainsique l’autorité à qui la dénonciation doitêtre faite sont normalement bienindiquées 66 . Cette autorité doit avoirl’indépendance, la capacité, le pouvoir etla responsabilité d’enquêter et résoudrel’objetdeladénonciationavecefficacité67.Dans cette perspective, certaines loisproposentplusieursvoiesparlesquellesilestpossibled’effectuerunedénonciation,tantàl’interne,qu’àl’externe.Ladénonciationinternefaitréférenceàladivulgation auprès des dirigeants ou decomité d’entreprise alors que ladénonciation externe concernel’information rapportée aux agencesd’application de la loi, aux médias ouautres ONGs des faits illégaux ou nonéthiques s’étant produits ou sur le pointde se produire dans l’entreprise. Si lesdirigeants d’entreprise préfèrent de loinla dénonciation interne à celle externe,l’une n’exclut pas nécessairement l’autre.Maisunehiérarchieentrelesdeuxmodesde dénonciation est parfois imposée,notamment en accordant une protectioncontre les représailles aux dénonciateurs

(2005) 2 Les cahiers de l’éthique 12. 14 cité parJ.BIRONetS.ROUSSEAU,préc.,note2,p.664.64J.BIRONetS.ROUSSEAU,préc.,note2,p.664.65Id.66J.BIRONetS.ROUSSEAU,préc.,note2,p.664.67 Shawn Marie BOYNE, «An Overview of U.S.Whistleblowing Law», en ligne:http://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=2343590(consultéle10mai2017).

en fonction du respect de cettehiérarchisation68.Parailleurs,ilaétébiendocumentéquedanslaplupartdescas,ladénonciation externe constitue «uneoption secondaire s’offrant dansl’éventualité où la dénonciation internes’est avérée infructueuse ou impraticabledans les circonstances. »69Selon Hurson,même si la pratique récente basée sur leDodd Frank Act tend à encourager ladénonciation externe aux autoritésadministratives,laréalitéestquepresquetous les dénonciateurs préfèrent, d’unefaçon ou d’une autre, alerter d’abord lesresponsables internes à l’entreprise. Ladénonciation externe n’intervient quelorsque les avertissements donnés n’ontabouti à rien ou que le dénonciateur n’areçuqu’uneréponseévasive70.Ainsi donc, la dénonciation externe etcelle interne sont complémentaires dansla mesure où la première est perçuecommeunegarantieque les irrégularitésqui n’auraient pas été dénoncées auxautorités responsables au sein de lasociété(ouquin’aurontpasreçuunesuitesatisfaisante), pourront être dénoncéesailleurs.71PourBoyne,lessalariéspouvantdénoncerlessituationsillégalessontnonseulementceux actuels mais aussi les anciens. Demême, les conduites illégales ou nonéthiques à dénoncer peuvent être cellesadoptées par des employeurs actuels oudes anciens employeurs72. En outre, les

68J.BIRONetS.ROUSSEAU,préc.,note2,p.678-67969Id.70Daniel HURSON, «United States: The FCPA AndSEC Whistleblowers: Major Opportunities»,Mondaq, en ligne:http://www.mondaq.com/unitedstates/x/455536/Whistleblowing/The+Foreign+Corrupt+Practices+Act+FCPA+A+Major+Opportunity+For+SEC+Whistleblowers(consultéle6janvier2016).71J.BIRONetS.ROUSSEAU,préc.,note2,p.697.72S.M.BOYNE,préc.,note68.

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conduites dénoncées doivent en principeêtrenuisiblesaux tiers.Eneffet, l’objectifdu système ne vise pas à permettre desplaintes personnelles mais à faireconnaîtrel’ampleurdurisquequimenacelesautresetl’entrepriseafind’arriveràleréduireoulesupprimer73.En cequi concerne les avantages, il a étéétabli que le «whistleblowing»permet àl’entreprise de corriger efficacement lesirrégularités signalées sans y êtrecontraintepar lesautoritéspubliques.Deplus, selon Biron et Rousseau, ladénonciation:«réduit le temps et lesressources nécessaires pour faire lalumière sur la situation problématiquedénoncée au bénéfice de la société et deses différentes parties prenantes. (…)permet de réduire les conséquencesnéfastes, tel que les effets négatifs surl’image de la société, ou encore lesenquêtes par les autorités. (…) Enfin, laprésence de mécanismes facilitant ouencourageant la dénonciation interneparticipe au sentiment de loyauté desemployés ce qui est susceptible de lesinciter à emprunter cette voie. Parailleurs, la dénonciation interne estgénéralement mieux reçue par lesdirigeants puisque cela leur permet detenterderéglerunesituationavantqu’unscandalen’éclate74.»De ce point de vue, la dénonciationéthique vise non seulement à supprimeret à prévenir des risques à l’entreprisemaisaussiàaméliorersesperformancesà

73DavidBANISAR,«Whistleblowing : InternationalStandards and Developments» dans Irma E.SANDOVAL, (dir.), Corruption and Transparency:Debating the Frontiers Between State,Market andSociety,Washington(DC),WorldBank-InstituteforSocial Research, UNAM, 2011 en ligne:http://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=1753180(consultéle08mai2017).74J.BIRONetS.ROUSSEAU,préc.,note2,p.678-679.

travers laprotectiondeses intérêts75.Enoutre, la dénonciation renforce laconfiance entre la direction et lesemployés,cequiaccroit lesvaleursd’uneéthiquevertueuseetperformanteauseinde l’entreprise76.Àcesavantagess’ajoutele fait que la dénonciation permet derenforceruneculturederespectde la loidans l’entreprise et d’encourager lasatisfactiondesemployés77.Cependant, un système de«whistleblowing»mal conçupeutplutôtproduire des effets néfastes pour lesemployés et les organisations. D’oùl’importance de bien élaborer lesdispositions ou les clauses qui doiventrégirlemécanismede«whistleblowing».Dans la section qui suit, nous verronsessentiellementcommentlesdispositionslégales réglementant le mécanisme de«whistleblowing» ont évolué dans lalégislation américaine qui est jusqu’à cejour le système le plus abouti en lamatière.

75Voir Marie-Hélène LARUE, «Les ambiguïtés dessystèmes d’alerte éthique», (2007) 89 Gérer etComprendre24,p.26.76M.-H.LARUE,id.77 Marcia P. MICELI et al. Whistle-Blowing InOrganizations,1èreéd.NewYork:Routledge,2008,p.132.

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3.2 Un survol de l’évolution du«whistleblowing»auxÉtats-Unis78Les racines du «whistleblowing»plongent jusqu’au18e siècle (1777-1778)lorsqueleCongrèsaadoptéuneloivisantàprotéger lesdénonciateursà lasuitedel’emprisonnement de Samuel Shaw etRichard Marven pour avoir dénoncé lesmauvais traitements infligés auxprisonniers anglais par le commandantEsek Hopkins à Rhode Island 79 . Ladisposition pertinente prévoyait ceci:«That it is the duty of all persons in theserviceof theUnitedStates,aswellasallother inhabitants thereof, to give theearliest information to Congress or anyotherproperauthorityofanymisconduct,frauds or misdemeanors committed byany officers or persons in the service ofthese states, which may come to theirknowledge80».

78 Nous nous sommes limités à l’évolution dumécanisme duwhistleblowing aux États-Unis, carc’est dans le contexte américain qu’il est le plusdéveloppé. En France, malgré son existence,l’alerte éthique a encore du chemin à faire pourpermettre aux employés et autres partiesprenantes d’y recourir. Voir: Nathalie DEVILLIER,«L’alerteéthiqueet ladénonciation légitimed’unactetouchantl’intérêtgénéral»,THECONVERSATION,en ligne: http://theconversation.com/lalerte-ethique-et-la-denonciation-legitime-dun-acte-touchant-linteret-general-49690, (consulté le 2novembre 2015); «la situation est presquesemblable au Canadamalgré les avancéesdans laprovincede l’Ontariooùonestdans leprocessusd’adoption de la législation relative aufonctionnement de ce mécanisme.» Voir ONTARIOSECURITIES COMMISSION, OSC Policy 15-601–WhistleblowerProgram,28octobre2015,enligne:https://www.osc.gov.on.ca/en/SecuritiesLaw_rule_20151028_15-601_policy-whistleblower-program.htm(consultéle10mai2017).79 Stephen M. KOHNJUNE, «Whistle-Blowers of1777», NY Times, 12 juin 2011, en ligne:http://www.nytimes.com/2011/06/13/opinion/13kohn.html?_r=0(consultéle10mai2017).80Id.

Comme on le voit, le mécanismeconcernaitlesfonctionnairesdel’Étatquidevaient dénoncer au Congrès et à touteautre autorité, les actes illégaux commispar leurs collègues. Cela ne changeraqu’unsiècleplus tard,avec l’adoptionduFalseClaimAct1863suiteàladécouverted’abus de la part d’entreprises quifournissaient des biens défectueux àl’armée durant la guerre civile. Le FalseClaim Act a créé un recours qui tam81exercé au nom du gouvernement par uncitoyenaucourantdelacommissiond’unacteillégaldansledomainedeladéfensemême s’il n’a subi aucun préjudicepersonnel82. Évidemment, le recours nepeut pas aller plus loin si la cour ou lesprocureurs n’y consentent pas83. Au casoù la personne qui intente ce recoursremportelelitige,uncertainpourcentagedes sommes ainsi récupérées lui estrestitué. Pendant plusieurs années ayantsuivi l’adoption de cette loi, lesdénonciateurs avaient droit à la moitiédessommesrécupérées84.L’amendementde 1943 a permis de changer certainsaspects de la loinotamment la réductiondupourcentagedepartagedesprofitsde50%àplusoumoins25%(plusoumoins10%silegouvernementdécided’exercerlui-même le recours). L’amendement aaussi imposé aux citoyens voulant seprévaloir du mécanisme l’obligation defourniraugouvernement lespreuvessurlesquelles le litige devait se fonder etd’accorder au gouvernement un délai de

81 Il s’agit d’une expression latine abrégéeprovenantde«quitamprodominorege,&c,quampro seipso in hac parte sequitur» et voulant dire:«CeluiquiintenteunlitigepoursaMajestéleRoietpourlui-même».82Voir J.Randy BECK, «The False Claims Act andthe English Eradication of Qui Tam Legislation»(2000)78NCLRev.539,p.541.83Id.84Id.

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60 jours pour éventuellement intervenir.L’amendementainterditparailleurstoutrecours fondé sur des informations déjàdisponibles auprès des autoritéspubliques85.Devant l’intensificationdescasde fraudeenvers le gouvernement, le False ClaimActfutamendédenouveauen1986poury inclure, entre autres, la possibilité derecours en cas de fausses déclarationscalculées pour réduire l'obligation depayer au gouvernement et la créationd’un nouveau recours en cas dereprésailles, dégradation ou tout autreacte de discrimination contre lesdénonciateurs par l’employeur 86 . Laprime au dénonciateur est devenueobligatoirealorsqu’avantellen’étaitquefacultative87.D’aprèsRapp,l’amendementde 1986 a rehaussé aussi le pourcentagede l'indemnitémaximaledisponiblepourlecitoyenpoursuivant,passantdeplusoumoins 25% à plus ou moins 30%. Lelégislateuraparailleursélargiledélaideprescription ainsi que la possibilité quel’État se constitue dénonciateur qui tam.Enfin, la notiondenotoriété publiquedel’information qui empêchait les recoursquitamaétérévisée.Plusprécisément,lerecoursdemeurepossiblesil’informationconnue du public a été donnée par lemêmedénonciateur88.En 2009, de nouveaux amendements ontété apportés notamment l’élimination detoute référenceà la soumissionpréalabledu recours aux fonctionnaires fédérauxainsi que le renforcement de laprohibition des recours lorsque ledénonciateurétaitimpliquédanslemêmecomplot89.Depuis les amendement de 1986, les85Id.86JR.BECK,préc.,note83,p.392-393.87F.Ch.RAPP,préc.,note61,p.392.88Id.89JR.BECK,préc.,note82.

dénonciations qui tam ont annuellementexplosépassantd’unedouzaineen1987àplusde600en2011s’étendantauxautressphères du droit comme la fraude enmatière de valeurs mobilières, la fraudeenvers le gouvernement dans plusieursdomaines (santé, subventions,indemnisation en cas de catastrophes,etc.) ainsi qu’en matière d’infractionsrelatives à la concurrence 90 . Aussi, endehors du False Claim Act, plusieurssecteursontvulacréationgraduelledelaprotection des dénonciateurs en vue delutter contre les comportements illégauxenvers le gouvernement et lepublic.À lasuite du scandale de Watergate, lesgouvernements de tous les niveaux ontessayé de protéger les salariés quirendaient publiques les informationsd’actes mettant en danger la santé, lasécurité et d’autres intérêts protégés91 .Mais il faudra attendre les scandalesd’Enron etWorldcom, qui ont étémis aujour au début de l’an 2000 grâce auxdénonciateurs, pour assister à un régimede protection des «whistleblowers» enmatière de dénonciation des violationscommisesàl’encontredesinvestisseursetactionnaires telle que la fraude relativeaux règles comptables et financières ausein des entreprises. C’est ainsi que leSarbanes-OxleyAct(SOX)92futadoptéeen2002afin,entreautres,debriserlaloidusilencerégnantauseindesentreprisesetencourager plus de personnes à signalerlesinfractionsauxloisfédérales93.ParmilesréformesinstituéesparleSOX,ilfaut d’abord signaler l’article 806 quicriminalise les représailles contre lesemployés des entreprises publiques

90F.Ch.RAPP,préc.,note62,p.393.91S.M.BOYNE,préc.,note68,p.5.92Sarbanes-OxleyActof2002,Pub.Loino107-205,116Stat745.93S.M.BOYNE,préc.,note68.

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(celles dont les titres sont côtés auxbourses) pour avoir rapporté lesviolations des lois financières94et, le caséchéant, prévoit une action en justicecontrelesemployeursrécalcitrants95.Plusspécifiquement, cet article protège lesemployés contre le licenciement et touteautre mesure de discrimination lorsqu’ils’avère qu’ils ont déposé des plaintes oules ont facilitées ou qu’ils ont témoigné,renseigné ou aidé les enquêteursrelativement aux agissements desemployeurs qu’ils croyaientraisonnablement êtreuneviolationd’uneloi pénale fédérale relative à la fraudebancaire, fraude par Internet ou fraudeenvers les actionnaires ainsi que touterègle ou réglementation de la Securitiesand Exchange Commission 96 . Cescommunications protégées concernentnotamment celles données aux agencesfédérales d’application de la loi, auxautorités réglementaires fédérales, auCongrès, aux superviseursdu travail, auxautorités d’investigation de l’entreprise,etc.97Enoutre,l’article301-4duSOXexigequeles entreprises américaines, leurs filialeset toutes autres entreprises cotées en94 La peine peut aller d’une amende à unemprisonnementdedixans.95D’aprèsBironetRousseau,letribunalpossèdelepouvoir d’obliger la société à rétablir l’employédans ses fonctions, à lui rembourser endouble lesalairemanquéplus les intérêts et à l’indemniserpourlesfraisdurecours,lesfraisd’expertiseainsiquelesfraisreliésauxservicesd’unavocat”.Voir:J.BironetS.Rousseau,note2,p.671.Demême,leSOX accorde aux dénonciateurs le droit à unprocèsdevantjurydanslescasoùleDépartementduTravailauraomisderendreunedécisionfinaleàlasuitedeladénonciationdansles180joursdeson dépôt et que ce retard n’est pas dû à lamauvaisefoidesdénonciateurs.96S.M.Boyne,préc.,note68.97SarahL.REIDetSerenaB.DAVID,TheEvolutionofthe SEC Whistleblower: From Sarbanes-Oxley toDodd-Frank,2012,129BankingL.J.907,p.908.

bourseàNewYork,mettentenplacedescanauxquipermettentauxdénonciateursdefaireunealertedirecteetanonymeauconseil d'administration concernant lesactesrépréhensiblesrelatifsauxpratiquesillégales en matière de comptabilité oud’audit 98 . Ensuite, chaque comité devérificationdoitétablirdesprocédéspour«consigner, conserver et traiter lesplaintes reçues par la société au sujet dequestions de comptabilité, de contrôlescomptablesinternesoudevérification»99.D’après Reid et David, malgré sonautorité, le SOX comportait des lacunes,notamment en ne se limitant qu’auxdénonciateurs professionnels en matièrede finance et de comptabilité. Ensuite,cette loi n’accordait pas des incitatifsfinanciers aux dénonciateurs et enpratique ces derniers n’étaient pasprotégés contre les mesures dereprésailles100 . De plus, les juges et leDépartement du travail (Department ofLabor), qui s’occupait de recevoir desplaintes relatives aux représailles, ontinterprétérestrictivementlesdispositionsduSOXendurcissant les conditionspourse prévaloir de la protection et pourdéterminer le type de mesuresprotectrices auxquelles on avait droit101.Ces limitesont inévitablementdécouragéles employés à venir dénoncer leursemployeurs102.98 S.M. BOYNE, préc., note 68; ChristelleDIDIER,«L’alerte éthique. Un outil problématiqueau coeur de la RSE», Colloque du RéseauInternationaldeRecherchesur lesOrganisationsetle Développement Durable (RI- ODD), (2009),France99C.DIDIER,id.100S.L.REIDetS.B.DAVID,préc.,note98,p.909.101Id.,p.909.102AlexanderDYCKetal.,WhoBlowstheWhistleonCorporateFraud?,(2010)65J.Fin.2213.Toutefois,celan’apassuffipourrassurerlesemployeursquin’ont cessé de recourir aux clauses d’emploisoumettant les plaintes relatives au SOX au seul

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Devant lepeudesuccèsenregistrépar leSOX et la pression de l’opinion sur lanécessité de protéger efficacement les«whistleblowers», des dispositionsparticulières furent incluses dans la loiDodd Frank adoptée en 2010 par leCongrès américain 103 . Ces dispositionsvisent à corriger les défauts desprogrammes antérieurs y compris celuidu SOX et à élargir les pouvoirs desupervision des agences de régulationcomme la SEC ou la Commodity FuturesTradingCommission(CFTC)104.L’unedesnouveautés apportées par la loi DoddFrank consiste à prévoir des incitatifsfinanciers aux «whistleblowers» quidénoncent les violations aux règlesfinancières.Parcetteapproche,laloiDoddFrank a repris l’un des aspects forts duFalseClaimsAct (FCA)105.À l’instarde laFCA, le Dodd Frank Act prévoit une

mécanisme de grief prévu en droit du travail àl’exclusion des procès devant jurys. Bienévidemment,en2010, leCongrèsadéclarénullescegenredeclauseset lesemployeursnepeuventplus exiger contractuellement des employésdénonciateurs de soumettre leurs revendicationsde représailles à un arbitre au lieu d'un procèsdevant jury. Voir S.M. BOYNE, préc., note 68.Cependant,cen’estquetrèsrécemmentquelaSECa commencé à poursuivre les responsables de cegenredeclausesalorsqu’unsondagerévélaitque25 pour cent des professionnels des servicesfinanciersquigagnentplusde500000$parannéeontsignéouontétéinvitésàsignerunaccordquiinterdisait de rapporter les conduitespotentiellementillégales.Voir:LABATONSUCHAROW,«Historic Survey of Financial ServicesProfessionals Reveals Widespread Disregard forEthics,AlarmingUseofSecrecyPoliciestoSilenceEmployees», 19 mai 2015, en ligne:http://www.labaton.com/en/about/press/Historic-Survey-of-Financial-Services-Professionals-Reveals-Widespread-Disregard-for-Ethics-Alarming-Use-of-Secrecy-Policies-to-Silence-Employees.cfm(consultéle10mai2017).103DoddFrankAct,2010(US)104S.L.REIDetS.B.DAVID,préc.,note98,p.909.105Id.

récompense (entre 10% et 30% de lapénalitémonétaireimposéeàl’entreprisefautive) à tout dénonciateur, basé àl’intérieur ou à l’extérieur du territoiredes États-Unis, dont les informationsoriginales106mènent la SEC ou la CFTC àimposer minimalement une pénalitésupérieure à unmillion de dollars US107.La protection contre les représailles estassuréenonseulementauxdénonciateursrécompensés mais aussi à ceux dont ladénonciation n’a pas abouti à lacondamnation et aucune informationpouvant mener directement ouindirectement à l’identification dudénonciateurn’estdivulguée108.Il faut toutefois remarquer que la Courd’appeldu2ndcircuitarécemmentpréciséque la protection contre les représaillesque prévoit la loi Dodd Frank n’est pasapplicable de façon extraterritoriale;donc qu’elle est indisponible pour les«whistleblowers» étrangers 109 . Étantdonné la globalisation des échangescommerciaux, on peut souhaiter que ledroit évolue à ce sujet afin que les«whistleblowers» jouissent tous desmêmes garanties quel que soit le lieu oùils se trouvent. Mais on peut aussicomprendre l’approche développée danscette décision de la Cour d’appel étantdonné que la protection des personnes àl’étranger relève en principe de lacompétence de l’État étranger. Toutefois,il serait au moins facile d’envisager quelesemployeursaméricainsàl’étrangeroules employeurs étrangers employant les

106 Par information originale, on entendl’information non connue par la SEC, provenantd’uneconnaissanceouanalyseindépendanteetneprovenant pas exclusivement d’allégationsjudiciairesoud’actionssimilaires.VoirS.L.REIDetS.B.DAVID,préc.,note98,p.911.107S.L.REIDetS.B.DAVID,préc.,note98,p.910.108Id.,p.911.109Liuv.SiemensAG,763F.3d175(2ndCir.2014).

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américains soient liés par ces obligationsdenonreprésaillesàl’égarddesemployésqui dénoncentdes violations à l’encontredes lois économiques et financièresauprès des autorités américaines. Ne pasle faire risque de créer des réticences delapartdesdénonciateurspotentielssituésàl’étranger.Une autre nouveauté du Dodd Frank Actconcernelapersonnequipeutsequalifiercomme dénonciateur. Comme l’affirmentReid et David, ce dernier peut être toutepersonne qui possède de l’informationpertinente y compris celles qui ont desdevoirs fiduciaires de rapporter lesviolationsàl’entreprisetelsquelesagentsde conformité ou les comptables, lesconseillers juridiques, etc. Pour que leurdénonciation soit recevable, ces derniersdoivent attendre un délai de 120 joursentre lemoment de la dénonciation et lemoment où ils ont informé le comitéd’audit de l’entreprise ou toute autreresponsablejuridiqueoudeconformitédel’existence possible des irrégularités110 .Demême,peuventêtre«whistleblower»un vendeur actuel ou ancien de mêmequ’unclientd’uneentrepriseenviolationdes règlesqu’elle soitdéjà sousenquêtesou non ou encore un employé actuel ouancien d’une entreprise concurrente aucourantdesactivitésrépréhensibles111.Dans le même sens, une nouveautésupplémentaireaétéapportéeplustardàla loiDoddFrankpourpréciserqu’iln’estpasnécessairequele«whistleblower»aitdénoncé l’irrégularité à l’interne pourpouvoir se qualifier. S’il a fait ladénonciationinterne,alorsila120joursàpartir de la date où il adonnél’information interne pourdénoncer à la SEC afin de pouvoir se

110S.L.REIDetS.B.DAVID,préc.,note97,p.911.111D.HURSON,préc.,note70.

qualifiercomme«whistleblower.»112De façon pratique, la SEC a établi unbureau séparé devant s’occuper du«whistleblowing» ainsi qu’un Fondsdestiné à payer les primes desdénonciateurs (Investment ProtectionFund)113. Pour sa part, le Department ofJustice (DOJ) a créé un nouveau posted’Ombudsman des dénonciateurs pourentrainer, éduquer et conseiller lesemployés sur le rôle et les droits desdénonciateurs dans l’amélioration del’actiongouvernementale114.Quantaubilan, il fautdireque le tauxderéussite pour décrocher une prime estrelativement faible.Selon laSEC,surplusde 14000 signalements reçus depuis lemois d’août 2011, 390 ont uniquementfait l’objet d’ordonnances finales oupréliminairesd’attributiondelaprime.Deces 390 signalements, seuls 22dénonciateurs sont parvenus à obtenirdes primes totalisant 54 millions dedollars US dont 30 millions attribués en2014àunseuldénonciateur115.L’enrichissante expérience américaineque nous venons d’exposer peutsignificativement donner une idée sur laformedu«whistleblowing»quiconvientàl’espaceOHADA.

112S.L.REIDetS.B.DAVID,préc.,note97,p.910.113En 2015, 400 millions de dollars US étaientdisponibles dans ce fonds prêts à être payés auxdénonciateursqualifiés.VoirD.HURSON,préc.,note70.114S.L.REIDetS.B.DAVID,préc.,note97,p.912.115USSECURITYANDEXCHANGECOMMISSION, «Annualreport to congress on the Dodd-FrankWhistleblower Program», 2015, en ligne:https://www.sec.gov/whistleblower/reportspubs/annual-reports/owb-annual-report-2015.pdf(consultéle10mai2017).

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3.3 Synthèse: vers un modèle de«whistleblowing» conforme auxréalitésdel’espaceOHADAL’article8(4)delaConventiondesNationsuniescontrelacorruption116recommandeauxÉtatsParties«demettreenplacedesmesures et des systèmes de nature àfaciliter le signalement aux autoritéscompétentes par les fonctionnairespublics, des actes de corruption dont ilsontconnaissancedans l’exercicede leursfonctions». L’article 13 (2) de la mêmeconventionajoutequechaqueÉtatpartiefait en sorte que les organes depréventiondelacorruptionsoientconnuset accessibles par le public pour assurerque «tous faits susceptibles d’êtreconsidérés comme constituant uneinfraction établie conformément à laprésente Convention puissent leur êtresignalés, y compris sous couvertd’anonymat». Pour leur part, les articles5(5) et 5(6) de la Convention de l'Unionafricaine sur la prévention et la luttecontre la corruption prévoientl’établissement du système dedénonciation («whistleblowing») ainsique la protection des sonneurs d’alertecontre les représailles 117 . Bien avantl’adoption de tous ces instruments, laCEDEAO avait adopté le ProtocoleA/P3/12/01quiprévoitl’engagementdesÉtatsà,entreautres,adopterdes«loisetautresmesuresestiméesnécessairespourassurer une protection effective etadéquate des personnes qui, agissant debonne foi, fournissent des informationssur des actes de corruption» 118 . Desdispositions similaires ont été insérées116 Nations Unies, Convention des Nations uniescontre lacorruption, NewYork, 2003,Recueil desTraités,vol.2349,p.41;Doc.A/58/422.117Conventiondel'Unionafricainesurlapréventiondelacorruption,Maputo,11juillet2003.118 Protocole A/P3/12/01 sur la lutte contre lacorruption,Dakar,le21décembre2001,art.5c).

dans plusieurs traités bilatéraux oumultilatéraux et sur les investissementset/oulecommerce119.Étant donné cet environnementinternational favorable, l’instaurationd’unmécanismedu«whistleblowing»endroitOHADAneferaqueconféreràcettedernière l’image d’une institution enquête perpétuelle de progrès et demodernité, ce que les États membres sesontassignésàfavoriser120.Encefaisant,l’OHADA serait par ailleurs en train deconcrétiser ce que la majorité des Étatsont déjà convenu dans ces instrumentsinternationaux. Il appartient donc auxÉtats membres de l’OHADAd’appréhender collectivement ce besoinet d’envisager rapidement l’adoption dece nouveau mécanisme de gouvernancedes entreprises. Certains pays comme leBénin semblent être déjà sur la bonnevoie. Ainsi, la Loi N° 2011-20 du 12octobre 2011 portant lutte contre lacorruption et autres infractions connexesen République du Bénin prévoit que lorsdelarépressiondesinfractionscontenuesdans cette loi, «les dénonciateurs,témoins, experts, victimes et leursproches ainsi que les membres desorganes de prévention bénéficient d’uneprotection spéciale de l’État contre lesactes éventuels de représailles ou

119 AmissiM. MANIRABONA, «Transparence etintégrité dans l'intégration économique entre leCanada et l'Union européenne: nécessité d'uneclause anticorruption dans l'AECG», (2015) 20-2LexElectronica91-115.120 Le traité fondateur de l’OHADA, dans sonpréambule et à l’article 1er, réfère de façonsoutenue, à la nécessité d’un droit des affairesharmonisé et moderne.Voir Traité relatif àl'harmonisation en Afrique du droit des affairessignéàPort-Louis(ÎleMaurice)le17octobre1993telqueréviséàQuébecle17octobre2008.

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d’intimidation.» 121 Il ne s’agitévidemment pas d’une dénonciationinterneàl’entreprisemaisbiencellefaiteà l’Autorité nationale de lutte contre lacorruption, auxorganesd’enquêtes et auprocureur de la République. Ce qui estintéressant est que cette loi prévoit desinfractions économiques commises nonseulement dans les secteurs publics etprivés mais aussi celles commises enviolation des Actes Uniformes del’OHADA122.À défaut d’apporter des amendements àl’AUDSCGIE, ce mécanisme du«whistleblowing» pourrait être insérédans le futur Acte uniforme relatif audroitdutravail.Il est clair que cemécanisme soulève ensoi des questions d’ordre socio-culturelmajeures surtout dans les Étatsfrancophones où on risque d’associer le«whistleblowing» à une sorte detraîtrise. Comme l’ont soulevé lesauteurs: «que l’on parle d’informateur,d’indicateur,decoopérateur,dedélateur,de dénonciateur, ou de mouchard, cestermes sont fréquemment associés à uncomportement égoïste, à un manque deloyauté et à une forme defaiblesse.» 123 Des raisons religieusesexpliqueraient aussi cette perceptionnégative à l’égard de la dénonciationnotamment la trahison orchestrée parJudasetquifutàl’originedelacaptureetdelamiseàmortdeJésus124.121Loi no2011-20 du 12 oct. 2011 portant luttecontre la corruption et autres infractions connexesenRépubliqueduBénin,art.29.122Id.,chapitreX.123Voir J. BIRON et S. ROUSSEAU, préc., note 2, p.661.Les raisons politico-historiques, notammentlescollaborateursdeladeuxièmeguerremondialequi dénonçaient les juifs au profit des occupantsallemandsyseraientaussipourquelquechose.124Voir Michael A. SIMONS, “Retribution for Rats :Cooperation, Punishment, and Atonement”, (2003)56VandL.Rev.1.26-28.

Il semblerait donc qu’il y ait un vraiproblèmecultureletsocialauniveaudespopulations francophones et que lesemployés continuent de refuser laparticipationau«nouscommunautaire»,etdesegarderde«trahir»125.Ilyaaussilefaitque,malgrélesprotectionslégales,lesemployésnes’empêchentd’avoirpeurpour leur carrière 126 et leur sécuritésurtout lorsque les entreprises sont depetites ou moyennes tailles comme c’estgénéralementlecasdansl’espaceOHADA.Enoutre,lefreinàl’évolutiondusystèmed’alerteseraitenpartieliéàlarésistancedes employeurs eux-mêmes qui peuventredouterdesdénonciationsintempestivesprochesduharcèlement127.Malgré ces obstacles, l’OHADA ne peutpassepayer leparideresterà l’écartdecette impressionnante évolution de lagouvernance des entreprises. Au Bénin,une partie de ces obstacles a été levéenotammentenproposantlaréintégrationdans son poste ou l’indemnisation dudénonciateur abusivement licencié ouvictimedereprésailles128.Aveclarévisionde l’AUDSCGIE en 2014, l’OHADA a déjàmontré qu’elle est prête à emprunter lesconcepts de gouvernance d’entrepriseprovenant des systèmes autres que letraditionnel système romano-germanique. L’OHADA se doit alors degarder lemême cap et d’adopter ainsi le«whistleblowing» à la lumièrede cequiexiste aux États-Unis. Une fois que l’idée125M-H.LARUE,préc.,note75,p.30-31.126Id.p.31.127Id.p.31.128Décret no2013 - 122 du 06mars 2013 portantconditionsdeprotectionspécialedesdénonciateurs,des témoins, des experts et victimes des actes decorruption, article 4(3), en ligne:http://www.anlc.bj/wp-content/uploads/downloads/2014/09/Decret-2013-122-protection-denonciateurs-temoins-victimes.pdf(consultéle10mai2017)

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delégiférerdanscesensauraétéprise,ilfaudra passer à l’étaped’opérationnalisation en prenant pourréférence le régime américain, qui est leplusaboutienlamatière,afind’envisagerunmécanismequinesoitpastropéloignédes réalités des pays de l’OHADA. En cefaisant, le législateur devra utiliser destermes stratégiques pour définir etdécrire le modèle du «whistleblowing»qui ne heurte pas de plein fouet lesvaleurs socio-culturelles de l’espaceOHADA.Ilseraaussinécessaired’insistersur lasensibilisationet l’informationafind’influencerpositivement lesperceptionsdespartiesintéresséesetdupublic129.Dans ce processus législatif, plusieursquestions d’importance capitale devrontêtre envisagées avec soin et rigueur. Enlien avec les développements précédentsrelatifs au «whistleblowing» aux États-Unis, il y a lieu d’insister sur quatrequestions prioritaires lors del’élaboration des dispositions sur cemécanismeendroitOHADA.En premier lieu, il faut déterminerd’avanceàquionveutaccorderlaqualitéde «whistleblower». S’agit-il desemployés seulement? Ou doit-on aussiimpliquer le personnel de direction? Àl’inverse, il est clair que l’employé déjàimpliqué dans la commission del’infraction devra être disqualifié s’ils’avère qu’il compte profiter dumécanisme pour échapper à la justice. Ilest également nécessaire de pouvoirdéterminer si les employés desfournisseurs ou autres clients et sous-traitantspeuventêtredesdénonciateurs.Dans tous les cas, cespersonnesdevrontêtre protégées contre les mesures dereprésaillesdelapartdesemployeurs.Aubesoin,toutemesurederétorsiondirecteou indirecte visant un dénonciateur129J.BIRONetS.ROUSSEAU,préc.,note2,p.662.

devrait être considérée comme un actecriminel. En dehors de ces protections,l’employé victime de ces mesures dereprésailles devrait avoir la possibilitéd’accéder rapidement à une réparation(restitution,indemnisation,réhabilitation,etc.).La question qui demeure préoccupanteest celle relative aux primesd’encouragement à payer auxdénonciateursdontlesplaintesontdonnélieu aux poursuites fructueuses. En effet,prévoir une prime d’encouragementdonne l’impression d’encourager uncertain opportunisme de la part desdénonciateurs. Mais certainsobservateurs pensent que, malgrél’existence de la prime, la majorité des«whistleblowers» demeurent motivésparlavolontédefairedubienenmettantfin à une conduite qu’ils jugentinacceptable et que l’entreprise n’a pasvoulu ou n’est pas parvenue àsupprimer130. Ce constat renforce l’idéeselon laquelle la motivation réelle desdénonciateurs est loin d’être del’opportuniste pour s’enrichirpersonnellement mais plutôt pourl’intérêt général. Dans tous les cas, il estdifficile d’exclure cet aspectd’opportuniste quand on sait qu’auxÉtats-Unis, depuis l’adoptiondunouveaurégime instaurant la prime, lesdénonciations se sont excessivementaccrues131 . Toutefois, il est difficile dedétermineravecexactitudesic’estgrâceàla prime que les dénonciations se sontmultipliées ou si ces dernières ont étéaccrues par les différentes mesures deprotection que le nouveau régime ainstaurées ou pourquoi pas par lesnouvelles politiques agressives enmatière de poursuites à l’encontre des

130D.HURSON,préc.,note71.131Voir«SEC,Annualreport»,préc.,note115.

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auteurs des crimes économiques. Danstous les cas, il n’y a aucunmal à ce quel’intérêt public et un certain degréd’opportunisme motivent ensemble ladécisiondudénonciateur.Aprèstout,peud’employés sont des héros prêts àsacrifier leurs emplois quel qu’en soitl’intérêt.Vuquepeuimporteleniveaudeprotection, on ne peut pas envisagerl’absence totale des risques d’êtrerenvoyé à la suite d’une dénonciation,notammentpour lespetitesetmoyennesentreprises,unemployépeutsecontenterdelaprimepourréorientersacarrièreaucasoùleschosestournentmal.L’adoptiondu «whistleblowing» que nousproposons au niveau de l’espace OHADAdevrait donc envisager une certainerécompensepourlesdénonciateurs,maispeut-êtrepasdanslesmêmesproportionsqu’aux États-Unis. Comme le principalobstacle reste toujours celui de pouvoirstimuler les dénonciateurs à briser lesilence, il est attendu que les incitatifsfinanciers fassent ladifférence.AuBénin,lesdénonciateursde lacorruptionetdesinfractions connexes reçoivent unecompensationéquivalenteauxfraisqu’ilsont personnellement engagés pour lamanifestationdelavérité132.En deuxième lieu, il sera important depréciser la personne auprès de qui ladénonciation sera faite. A-t-on besoind’une personne externe à l’entreprise oula dénonciation interne est-ellesuffisante? Au niveau interne, on a vuqu’un comité de plus en plus neutre(comme le comité d’audit du CA) estapproprié et qu’il est de plus en pluspréféré par les entreprises133. Quant à ladénonciation externe, elle semble aussi132Décretdu6mars2013,préc.,note129,art.10.133En cas de petites etmoyennes entreprises quinedisposentpasdececomité,ilfaudraitpeut-êtreenvisager la dénonciation auprès du commissaireaucomptelui-mêmes’ilexiste.

nécessaire afindemettre lapression surles dirigeants d’entreprises quant àl’urgencedeprocéderà la correctiondesirrégularités dénoncées. Cette approcheestparailleursconformeàcequeprévoitdéjà l’AUDSCGIEdans le cadrede l’alertefaite par le commissaire aux comptes134.Pour le reste, en harmonie avecl’AUDSCGIE, la dénonciation externepourrait être faite auprès d’un tribunalcompétent. Par ailleurs, comme nousl’avons déjà souligné ci-dessus, étantdonné l’approchede «compliance»misedel’avantparlelégislateurOHADA,ilyalieu de prioriser d’abord la dénonciationinterneetd’envisagercelleexterneencasderefusdesdirigeantsde l’entreprisedeprocéderà lacorrectiondes irrégularitésdénoncées.La troisième question à régler est celleconcernant l’objet de la dénonciation. Ilserait utile de préciser la nature desviolationsquidoiventêtredénoncéesafind’éviter des dénonciations inopportunesqui feraient perdre le temps et lesressources aux entreprises et agencesconcernées135.Sionveutresterconformeau thème de cette étude, il y aura lieud’avancer que ce sont les crimeséconomiques qui doivent être dénoncés.Mais la notion de crime économique esttrop générale, d’où l’importance depréciser les lois et le type de violationsquisontvisées.Àcetégard,aussibienlesviolations pénales que les violationsadministratives pourraient êtreenvisagées, notamment lescontraventions aux normes en matièrecomptable et financière. Il faudrait parailleurspréciserlaportéedelanotionde«notoriétépublique»de l’informationet134AUDSCGIE,art.150-156.135 Il pourrait à cet égard être appropriéd’envisager des sanctions pour les employés quifontdesdénonciationsmalicieuses.VoirJ.BIRONetS.ROUSSEAU,préc.,note2,p.691.

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sa propension à mener à des poursuitesfructueuses136.En quatrième lieu, il importera depréciser comment procéder pour mettreen pratique le mécanisme dedénonciation et comment acheminer lesplaintes de dénonciations. En ce quiconcernel’implantationdumécanismededénonciation, il fautévaluer la forceet lafaiblesse d’une institutionnalisationdécoulant directement de l’AUDSCGIE oude celle indirecte où les dispositionspertinentes de l’AUDSCGIE sontincorporéesdanslescodesdeconduiteoules codes/chartes éthiques desentreprises. La première forme pourraitêtre préférée par les entreprises dans lamesure où elle n’entraine pas beaucoupdedépenses.Toutefois,sionveutderéelset durables changements en matière deculture de l’entreprise, l’intégrationinternedesnormes seramieux indiquée.Relativement à l’acheminement desdénonciations, il siedderecommander lamiseenplaced’unmécanismesécuritairequi assure l’anonymat ou laconfidentialité à la fois sur l’identité dudénonciateur et sur l’informationdonnée137. La violation de ces exigencesde confidentialité et d’anonymat devraitêtre sévèrement punie. Au Bénin,l’anonymat de la dénonciation ou dutémoignage est possible à moins que laconnaissancede l’identitéde lapersonnesoit indispensable à l’exercice des droits136VoirJR.BECK,préc.,note83.137 L’anonymat suppose qu’il n’y ait pas depossibilitéd’identifierledénonciateuralorsquelaconfidentialité réfère à la non-divulgation del’information dont la personne autorisée a laconnaissance. L’un ou l’autre comporte desavantages et des inconvénients mais l’anonymatsemblepluspréférablequelasimplepromessedeconfidentialité au moins pour les premiers joursdu processus. Bien évidemment, les dirigeantsd’entreprises ne sont pas tous favorables àl’anonymat.VoirM-H.LARUE,préc.,note76,p.28.

de la défense138. Toutefois, la levée del’anonymat requiert le consentement dudénonciateur139. De plus, dans ce mêmepays, la révélation de l’identité dudénonciateur par un agent publicconstitueuncrime140.Au niveau opérationnel, l’acceptation detoute correspondance y compris lesappelstéléphoniques,lescourriersoulescourriels devrait être envisagée poursimplifierlaprocédure.Maisilpeutaussiêtre pratique de rendre disponible unformulaire à remplir afin que lesdénonciateurs puissent mentionner lesinformationsessentielles.ConclusionLe «whistleblowing» est un nouvel outildegouvernancedesentreprisesenvoguedans lemondeanglo-saxonmêmesic’estseulement aux États-Unis que cemécanisme est dans un stade avancé.Comme nous avons pu le souligner,lorsqu’ilestbienélaboré,ilpeutrenforcerlacultureinternedel’entrepriseencequiconcerne le respect de la loi tout encontribuantà l’augmentationde lavaleurdecettedernière.Demême,étantcapabled’aideràprévenirlacriminalitéàmoindrecoût,cemécanismes’avèrebénéfiquenonseulementpourlesÉtats,maisaussipourlesentrepriseselles-mêmes.Dèslors,fidèleàsaquêtedelamodernitéjuridique, l’OHADA doit réfléchir sur lapossibilitéde créer cemécanismesoit enamendant l’AUDSCGIE, soit en y incluantdes dispositions à cet effet dans le futurActe uniforme portant sur le droit dutravail. À cet égard, nous n’allons pasjusqu’àsuggérerdecopieretcollertouteslesdispositionslégalesexistantauxÉtats-Unis sur le sujet. Nous préconisons tout

138Loidu12octobre2011,préc.,note122,art.33.139Décretdu6mars2013,préc.,note129,art.8(3).140Décretdu6mars2013,préc.,note129,art.9.

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simplementd’enprendreconnaissanceetd’envisager la création d’un modèle de«whistleblowing» propre à l’espaceOHADA en évitant tout ce qui peut êtretotalement difficile à gérer et à intégrer.Bien évidemment, afin de renforcer cemécanisme, il est aussi recommandél’instauration des mesuresd’encouragement et de protection desdonneurs d’alerte à la lumière de ce quiestprévuauxÉtats-Unis.La crise économique et financière de cesdernières années nous a montré que lescomportements répréhensibles au seindes entreprises font très mal à celles-ci,aux investisseurs, aux salariés et auxparties prenantes. Toute opportunitésusceptibledecontribueràlessupprimerdoit être traitée avec sérieux par lelégislateurOHADA.UnpetitpasaétéfranchiauBéninverslareconnaissance du «whistleblowing»mais beaucoup reste à faire, car seule ladénonciation externe de la corruption etautres infractions connexes est visée. Ladénonciation interne au sein desentreprises y est inconnue. Il importedonc que l’OHADA crée des mécanismesefficaces de protection etd’encouragement de la dénonciationinterne et externe des crimeséconomiques afin que tous les Étatsconcernés soient dotés du«whistleblowing»ausenslarge.