30
Danielle Steel UNE GRÂCE INFINIE Roman Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Eveline Charlès

UNE GRÂCE INFINIE - Interforum · 2016. 1. 4. · A mes enfants adorés, Beatrix, Trevor, Todd, Nick, Sam, Victoria, Vanessa, Maxx et Zara. Tous ont reçu du ciel une grâce infinie,

  • Upload
    others

  • View
    0

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

  • Danielle Steel

    UNE GRÂCE INFINIERoman

    Traduit de l’anglais (Etats-Unis)par Eveline Charlès

    139645CND_GRACE_mep_ok.fm Page 5 Mardi, 24. mars 2009 12:24 12

  • Titre originalÞ: Amazing Grace

    Le Code de la propriété intellectuelle n’autorisant, aux termes de l’article L.Þ122-5, 2e et 3eÞa), d’une part, que les«Þcopies ou reproduction strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation col-lectiveÞ» et, d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’utilisation, «Þtoutereprésentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droitou ayants cause est illiciteÞ» (art L.Þ122-4).

    Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon, sanc-tionnée par les articles L.Þ335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

    ©ÞDanielle Steel, 2007©ÞPresses de la Cité, un département de þþþþþþþþþþþþþþþ, 2009 pour la traduction françaiseISBNÞ978-2-258-07444-6

    139645CND_GRACE_mep_ok.fm Page 6 Mardi, 24. mars 2009 12:24 12

  • A mes enfants adorés,Beatrix, Trevor, Todd, Nick, Sam,

    Victoria, Vanessa, Maxx et Zara.Tous ont reçu du ciel une grâce infinie,

    A tous, je voue une profonde admiration,De tous, je suis très fière

    et je les aime de tout mon cœur.

    Avec tout mon amour,Maman/d.s.

    139645CND_GRACE_mep_ok.fm Page 7 Mardi, 24. mars 2009 12:24 12

  • 139645CND_GRACE_mep_ok.fm Page 8 Mardi, 24. mars 2009 12:24 12

  • Tout gain implique une perte,Comme toute perte implique un gain.

    Et toute fin comporte un commencement.

    Shao Lin

    Si tu deviens ce que tu es,Tout le reste te sera donné.

    Tao Te Ching

    139645CND_GRACE_mep_ok.fm Page 9 Mardi, 24. mars 2009 12:24 12

  • 139645CND_GRACE_mep_ok.fm Page 10 Mardi, 24. mars 2009 12:24 12

  • 11

    1

    Lorsqu’elle pénétra dans la salle de bal du Ritz-Carlton, à San Francisco, Sarah Sloane trouva la déco-ration fantastique. Sur les tables recouvertes de nappesdamassées couleur ivoire, les chandeliers et les couvertsd’argent scintillaient, les verres de cristal étincelaient.Elle les avait loués pour la soirée à un sous-traitant quioffrait des services de bien meilleure qualité que l’hôtel.Un fin liseré doré ornait le pourtour des assiettes et, àcôté de chacune d’elles, on avait posé un cadeau,emballé dans du papier argenté. Les menus avaient étécalligraphiés sur un beau papier écru et fixés sur depetits supports en argent. De minuscules anges dorésenjolivaient les cartes portant le nom des invités, placésselon un plan de table soigneusement élaboré par Sarah.Les «Þtables d’orÞ», réservées aux sponsors les plusimportants, occupaient les trois premiers rangs. Ensuitevenaient les «Þtables d’argent et de bronzeÞ», pour lesautres convives. Sur chaque siège, on avait déposé unprogramme, ainsi qu’un catalogue des objets mis auxenchères et une palette numérotée pour permettre auxacheteurs éventuels de pouvoir enchérir.

    Sarah avait organisé la réception avec la même appli-cation méticuleuse et la même précision que pour lessoirées de bienfaisance dont elle s’occupait à New York.Chaque détail portait sa touche, comme ces roses crèmeaux tiges nouées par des rubans or et argent, décorant

    139645CND_GRACE_mep_ok.fm Page 11 Mardi, 24. mars 2009 12:24 12

  • 12

    chaque table. On se serait davantage cru à un mariagequ’à un gala de charité, songea-t-elle. Les fleurs avaientété fournies au tiers de leur prix par le meilleur fleuristede la ville. Saks offrait le défilé de mode et Tiffany lesmannequins qui porteraient ses bijoux et évolueraientparmi les invités.

    Des lots de grand prix tels que bijoux, voyages etséjours de rêve, rendez-vous avec des célébrités devaientêtre mis aux enchères. Il y avait aussi une Range Rovernoire décorée d’un énorme nœud doré, garée devantl’hôtel. A la fin de la soirée, quelqu’un aurait le bonheurde repartir au volant de cette merveille. Et le service demédecine néonatale au profit de qui cette réception étaitdonnée serait plus heureux encore. C’était le second Baldes Petits Anges que Sarah organisait pour l’hôpital.Entre le prix des places, la vente aux enchères et les dons,le premier avait rapporté plus de deux millions de dollarset, cette fois, Sarah espérait bien récolter trois millions.

    Ce qui serait mis aux enchères durant la soirée luipermettrait vraisemblablement d’atteindre ce but. Unorchestre jouerait toute la nuit. Mais, surtout, la filled’un grand patron de maison de disques faisait partie ducomité et son père avait convaincu Melanie Free devenir chanter ce soir. Cela leur avait permis d’augmenterle prix des places et des tables réservées aux sponsors.Trois mois auparavant, Melanie avait remporté unGrammy et chacune de ses apparitions sur scène lui rap-portait un million et demi de dollars. Elle leur faisaitcadeau de sa prestation, mais les Petits Anges devraientrégler le prix de son voyage et de son hôtel, ainsi queceux de ses techniciens et musiciens. Cela restait malgrétout une bonne affaire, au regard de sa notoriété et desretombées phénoménales de chacun de ses concerts.

    En découvrant son nom sur le programme, tousavaient été très impressionnés. Melanie Free était lachanteuse la plus populaire du moment et, ce qui negâchait rien, elle était absolument ravissante. Elle avait

    139645CND_GRACE_mep_ok.fm Page 12 Mardi, 24. mars 2009 12:24 12

  • 13

    dix-neuf ans et enchaînait les tubes, ce qui venait de luivaloir un Grammy, et Sarah lui était très reconnaissanted’avoir maintenu sa participation gratuite au gala decharité. Jusqu’à la dernière minute, elle avait craint queMelanie ne lui fasse faux bond. Cela arrivait fréquem-ment lorsque les artistes se produisaient bénévolement.Mais l’agent de Melanie avait assuré qu’elle viendrait.De nombreux journalistes devaient couvrir la soirée, quipromettait d’être excitante car plusieurs autres vedettesavaient accepté de venir de Los Angeles pour y assister.Bien entendu, le Tout-San Francisco avait acheté desbillets. Depuis deux ans, c’était la soirée caritative laplus attendue et, au dire de tous, la plus amusante.

    Sarah avait fondé l’association après que le service demédecine néonatale eut sauvé Molly, sa fille née troismois avant terme. Molly était le premier enfant deSarah. Pendant la grossesse, tout s’était bien déroulé.Sarah était épanouie et elle se sentait en pleine forme.Elle avait alors trente-deux ans et était persuadée quetout se passerait au mieux. Mais, une nuit, le travailavait commencé et, malgré les efforts des médecins,Molly était née le lendemain matin. Pendant deux mois,elle était restée en couveuse dans l’unité néonatale dessoins intensifs, veillée par Sarah et son mari, Seth.Durant cette période, Sarah n’avait quasiment pas quittél’hôpital. Les médecins avaient sauvé Molly etaujourd’hui c’était une petite fille de trois ans heureuseet pleine de vie, qui s’apprêtait à entrer en maternelle.

    Le second enfant de Sarah, Oliver – surnommé Ollie– avait vu le jour l’été précédent et sa naissance n’avaitposé aucun problème. C’était un adorable bébé poteléqui ne cessait de gazouiller. Les enfants faisaient la joiede Sarah et de son mari. Sarah était maman à pleintemps et la seule occupation extérieure qu’elle acceptaitétait l’organisation de ce gala annuel. Elle y excellaitmais cela exigeait énormément de travail et de savoir-faire.

    139645CND_GRACE_mep_ok.fm Page 13 Mardi, 24. mars 2009 12:24 12

  • 14

    Sarah et Seth étaient originaires de New York ets’étaient rencontrés six ans auparavant, à l’école decommerce de Stanford. Leur diplôme en poche, ilss’étaient mariés et s’étaient installés à San Francisco.Seth avait trouvé un emploi dans la Silicon Valley, mais,juste après la naissance de Molly, il avait créé sa propresociété. Sarah avait préféré rester à la maison et s’occu-per des enfants. Avant d’intégrer Stanford, elle avait étéanalyste à Wall Street. Elle était heureuse de prendrequelques années de congé, surtout que Seth réussissaitparticulièrement bien dans sa partie et qu’elle n’avaitdonc aucune raison financière de retravailler.

    A trente-sept ans, Seth gagnait une petite fortune. Ilétait l’une des étoiles montantes du monde des affaires.Ils habitaient une grande maison dans le quartier dePacific Heights, qui donnait sur la baie de San Fran-cisco. Ils possédaient des œuvres d’artistes contempo-rains connus, comme Calder, Ellsworth Kelly et DeKooning, ainsi que d’autres encore inconnus mais pro-metteurs. Sarah et Seth adoraient la vie qu’ils menaientà San Francisco. Les parents de Seth étaient morts etceux de Sarah s’étaient installés aux Bermudes, si bienqu’ils n’avaient plus aucune attache à New York. Unesociété concurrente de celle de Seth avait proposé unemploi à Sarah, mais elle l’avait refusé, préférant resteravec ses enfants, et avec Seth lorsqu’il était à la mai-son. Son mari venait d’acheter un jet qui lui permettaitde se rendre souvent à Los Angeles, Chicago, Bostonou New York. Seth et Sarah avaient grandi dans unmilieu aisé, mais sans commune mesure avec l’exis-tence de luxe dont ils bénéficiaient maintenant et quiinquiétait parfois Sarah. Elle jugeait qu’ils dépensaienttrop d’argent, entre leur somptueuse résidence secon-daire de Tahoe et cet avion. Mais Seth trouvait cemode de vie absolument parfait. Il disait que l’argentétait fait pour qu’on en profite.

    139645CND_GRACE_mep_ok.fm Page 14 Mardi, 24. mars 2009 12:24 12

  • 15

    Seth possédait une Ferrari et Sarah un break Merce-des, ce qui ne l’empêchait pas de couver des yeux laRange Rover noire mise aux enchères ce soir-là. Elleavait dit à Seth qu’elle la trouvait vraiment superbe. S’ilsremportaient les enchères, ce serait pour une cause quileur tenait particulièrement à cœur, car si l’hôpital oùétait née Molly avait été doté d’un équipement moinssophistiqué, leur adorable petite fille ne serait plus de cemonde. C’était pour cette raison qu’il était si importantpour Sarah d’organiser ce gala. Les dons qui étaient ver-sés à l’hôpital étaient énormes. Seth avait donné le coupd’envoi en offrant deux cent mille dollars, et Sarah étaittrès fière de lui. Elle l’avait d’ailleurs toujours été. Il étaitson dieu, et même après quatre années de mariage, ilsétaient toujours très amoureux. Ils envisageaient d’ailleursd’avoir un troisième enfant mais, ces derniers mois,Sarah avait été trop absorbée par la préparation du gala.L’été prochain serait plus propice. Ils avaient loué unyacht et comptaient se rendre en Grèce en août. Ce seraitle moment idéal.

    Elle allait de table en table afin de vérifier les nomsqui figuraient sur les cartes. Le succès du Bal des PetitsAnges était dû en partie à son organisation minutieuse.C’était l’événement de la saison. Elle trouva deux inver-sions et rectifia les erreurs, le visage grave. Elle s’apprê-tait à examiner les cadeaux que six membres du comitéétaient en train de préparer, lorsque son assistante larejoignit, l’air très excitée. Angela était une belle jeunefemme blonde, mariée au président d’une société impor-tante. Agée de vingt-neuf ans, elle avait été mannequin,et son mari l’exhibait comme un trophée. Elle n’avaitpas d’enfants et n’en voulait pas. Elle avait souhaité fairepartie du comité, parce que le gala était un événementmondain aussi important que distrayant. Elle s’étaitbeaucoup amusée à aider Sarah, et les deux femmess’entendaient bien. Sarah avait de longs cheveux noirs,une peau veloutée et d’immenses yeux verts. Avec sa

    139645CND_GRACE_mep_ok.fm Page 15 Mardi, 24. mars 2009 12:24 12

  • 16

    queue de cheval, son visage dépourvu de maquillage,son jean et ses tongs, elle était ravissante. Il était unpeu plus de 13 heures. Dans moins de six heures, ellesseraient toutes les deux superbement vêtues et coiffées,mais pour l’instant elles travaillaient dur.

    —ÞElle est là, murmura Angela, un large sourire auxlèvres.

    —ÞQuiÞ?—ÞTu sais qui, voyonsÞ! Melanie, évidemmentÞ! Ils

    viennent tout juste d’arriver. Je l’ai conduite dans sachambre.

    L’avion que le comité avait affrété pour transporterMelanie et ses proches avait atterri comme prévu, notaSarah avec soulagement. Le groupe de la chanteuse etses techniciens étaient déjà arrivés et installés dansleurs chambres d’hôtel depuis deux heures. Melanie, sameilleure amie, sa manager, son assistante, sa coif-feuse, son petit ami et sa mère avaient pris l’avion privéloué par le comité.

    —ÞTout va bienÞ? demanda-t-elle avec un brin d’anxiété.On lui avait fait parvenir une liste des exigences de la

    vedette, depuis les bouteilles d’eau minérale d’une cer-taine marque jusqu’au champagne millésimé, en passantpar les yaourts allégés et toutes sortes d’aliments diététi-ques. Longue de vingt-six pages, la liste précisait tous lesbesoins personnels de Melanie, les préférences culinairesde sa mère et même la bière que buvait son petit ami.Ensuite, il y avait encore quarante pages concernant lesmusiciens, ainsi que tout l’équipement électrique etacoustique nécessaire à la prestation. Un piano à queuede deux mètres quarante avait été installé sur la scènependant la nuit. La répétition était prévue à 14 heures,lorsqu’il n’y aurait plus personne dans la salle. C’étaitd’ailleurs pour cette raison que Sarah avait fait son tourd’inspection à 13 heures.

    —ÞTout va bien, répondit Angela. Son petit ami estun peu bizarre et sa mère très autoritaire, mais sa

    139645CND_GRACE_mep_ok.fm Page 16 Mardi, 24. mars 2009 12:24 12

  • 17

    meilleure amie est adorable. Melanie est vraiment ravis-sante et très douce.

    La seule fois où elle lui avait parlé au téléphone, Sarahavait eu la même impression. Le reste du temps, elleavait eu affaire à sa manager, mais elle avait tenu à laremercier personnellement pour le cadeau qu’elle faisaità leur œuvre caritative. Et maintenant, le grand jourétait arrivé. Melanie n’avait pas annulé son engagement,l’avion ne s’était pas écrasé et ils étaient tous arrivés àl’heure dite. Par cette belle journée ensoleillée du moisde mai, la température était plus chaude que d’habitude.En fait, il faisait lourd et humide, ce qui était rare à SanFrancisco. On aurait pu se croire à New York en été,songea Sarah. Elle savait que cela ne durerait pas long-temps, mais chaque fois que les nuits étaient tièdes,l’atmosphère était plus festive. En revanche, quelqu’unlui avait dit qu’à San Francisco, les journées commecelles-ci étaient considérées comme annonciatrices detremblements de terre, ce qui était nettement moinsagréable. Lorsqu’elle faisait part de ses craintes à sesproches, on se moquait d’elle, mais c’était ce qu’ellecraignait le plus quand ils s’étaient installés à San Fran-cisco. Pourtant tout le monde lui avait assuré que lestremblements de terre étaient rares et de faible magni-tude. Depuis six ans qu’ils vivaient là, il n’y en avait paseu un seul et elle ne voulait plus y penser. Pour l’instant,elle avait d’autres choses en tête, à commencer par lajeune chanteuse.

    —ÞTu crois que je devrais monter la voirÞ? demanda-t-elle à Angela.

    Elle ne voulait pas s’imposer mais elle ne voulait pasnon plus donner l’impression de se montrer grossière enn’allant pas la saluer.

    —ÞDe toute façon, continua-t-elle, je la verrai aumoment de la répétition, à 14Þheures.

    —ÞTu pourrais juste passer lui dire bonjour.

    139645CND_GRACE_mep_ok.fm Page 17 Mardi, 24. mars 2009 12:24 12

  • 18

    Melanie et ses proches occupaient deux grandes suiteset cinq chambres mises gracieusement à leur dispositionpar l’hôtel. Ravie que le gala ait lieu chez eux, la direc-tion avait offert cinq suites pour les vedettes, ainsi quequinze chambres pour les VIP. Les musiciens et lestechniciens se trouvaient à un autre étage, dans deschambres plus petites que le comité devait payer.

    Hochant la tête, Sarah fourra son bloc-notes dans sonsac avant de passer voir les bénévoles qui remplissaientdes paquets-cadeaux de friandises coûteuses offertes pardiverses boutiques. Un instant plus tard, elle montait àl’étage exclusivement réservé aux hôtes de marque. Elley disposait d’une chambre, et la direction lui avait remisune clé pour lui permettre d’y accéder. Seth et elleavaient décidé qu’il serait plus facile de se changer àl’hôtel plutôt que de rentrer à la maison et de revenirà toute vitesse. Leur baby-sitter s’occuperait des enfantstoute la nuit et Sarah se réjouissait de pouvoir rester aulit le lendemain et discuter avec Seth de la soirée. Pourl’instant, elle espérait seulement que tout allait bien sepasser.

    En sortant de l’ascenseur, elle vit immédiatementl’immense salon de l’étage VIP. Des pâtisseries, dessandwiches et des boissons étaient à la disposition desclients. Il y avait des fauteuils confortables, des tables,des téléphones, une grande variété de journaux et unimmense écran de télévision. Deux femmes derrière uncomptoir accueillaient les clients et répondaient à leursdemandes, que ce soit pour réserver des tables au res-taurant, leur donner des informations, leur indiquercomment se rendre dans certains lieux ou leur fournirdes adresses pour un massage. Elles étaient là pour satis-faire tous leurs désirs. Sarah leur demanda où se trouvaitla suite de Melanie, avant de s’engager dans un couloir.Pour plus de sécurité et pour éviter les fans, Melanieétait enregistrée sous le nom de Hastings, le nom de

    139645CND_GRACE_mep_ok.fm Page 18 Mardi, 24. mars 2009 12:24 12

  • 19

    jeune fille de sa mère. C’était ce que faisaient la plupartdes vedettes lorsqu’elles descendaient à l’hôtel.

    Sarah frappa doucement à la porte de la suite. Elleentendait de la musique à l’intérieur. Un instant plustard, une petite femme assez corpulente vint lui ouvrir.Vêtue d’un jean et d’un débardeur, un stylo enfoncédans les cheveux, elle tenait un carnet jaune dans unemain et une robe du soir dans l’autre. Sarah devina qu’ils’agissait de l’assistante de Melanie, avec qui elle avaitdiscuté au téléphone.

    —ÞPamÞ? demanda-t-elle.Comme la femme acquiesçait avec un sourire, elle

    continuaÞ:—ÞJe suis Sarah Sloane. Je passe juste vous dire bon-

    jour.—ÞEntrez, répondit Pam avec entrain.Elle précéda Sarah dans la suite, qui était dans un

    désordre indescriptible. Une demi-douzaine de valisesétaient ouvertes sur le sol, leur contenu éparpillé un peupartout. L’une était remplie de robes sexy, les autres debottes, de jeans, de sacs, de chemisiers. Il y avait mêmeune couverture en cachemire et un ours en peluche. Onaurait dit que dix jeunes femmes avaient étalé leurs affai-res par terre. Une toute jeune fille blonde au visaged’elfe était assise au milieu de tout ce fatras.

    Elle leva les yeux vers Sarah, puis se remit à fouiller,visiblement en quête de quelque chose de précis. Ce nedevait pas être facile de retrouver quoi que ce soit dansce capharnaüm.

    Sarah regarda autour d’elle et aperçut Melanie Free.Vêtue d’un jogging, elle était allongée de tout son longsur un canapé, la tête sur l’épaule de son petit ami. Unverre de champagne dans une main, celui-ci s’activaitfrénétiquement sur la télécommande de la télévision.Jake était un beau garçon aux cheveux d’un noir de jaishérissés par du gel. Sarah savait qu’il était acteur, maisqu’il avait dû abandonner une série télévisée à succès

    139645CND_GRACE_mep_ok.fm Page 19 Mardi, 24. mars 2009 12:24 12

  • 20

    après des problèmes de drogue. Elle se rappelait vague-ment qu’il sortait d’un centre de désintoxication. Malgréla bouteille de champagne posée sur le sol près de lui, ilsemblait sobre et lui sourit. Melanie se leva pour saluerSarah. Avec ses longs cheveux blonds et son visagedépourvu de tout maquillage, elle avait l’air d’avoir seizeans. La mère de Melanie surgit alors et secoua la mainde Sarah jusqu’à lui faire mal.

    —ÞBonjour. Je suis Janet, la maman de Melanie. Toutest parfait. Merci d’avoir respecté tout ce qui se trouvaitsur la liste. Mon bébé adore les petites gâteries. Voussavez ce que c’est, précisa-t-elle avec un grand sourire.

    Janet était une jolie femme d’environ quarante-cinqans qui avait dû être ravissante dans sa jeunesse. Sescheveux étaient teints en roux vif. Comparée à la che-velure blond pâle et à l’allure enfantine de Melanie,cette couleur avait quelque chose d’agressif. Elle avaitconservé de beaux traits, mais ses hanches s’étaientépaissies. Son «ÞbébéÞ», ainsi qu’elle l’appelait, n’avaitpas encore prononcé un mot. C’était d’ailleurs difficile,vu la volubilité de sa mère.

    —ÞBonjourÞ! dit enfin Melanie.Elle ressemblait davantage à une jolie adolescente

    qu’à une vedette. Sarah lui serra la main, ainsi qu’à Jake,tandis que Janet poursuivait son bavardage.

    —ÞJe ne veux pas vous déranger, assura Sarah. Je vaisvous laisser vous installer. La répétition commencerabien à 14ÞheuresÞ? continua-t-elle à l’intention de Mela-nie.

    La jeune fille hocha la tête, puis elle jeta un coupd’œil à son assistante.

    —ÞLes musiciens ont dit qu’ils seraient prêts à14Þhþ15, affirma la manager depuis le seuil de la pièce.Melanie les rejoindra à ce moment-là. Nous n’avonsbesoin que d’une heure, et cela lui permettra de vérifierl’acoustique de la salle.

    —ÞC’est parfait.

    139645CND_GRACE_mep_ok.fm Page 20 Mardi, 24. mars 2009 12:24 12

  • 21

    A cet instant, une femme de chambre entra pourprendre la tenue de Melanie, qui devait être repassée. Larobe était presque entièrement faite de tulle incrusté depaillettes.

    —ÞJe vous attendrai dans la salle de bal et vous medirez si vous avez tout ce qu’il vous faut, reprit Sarah.

    Elle irait ensuite chez sa coiffeuse. Elle avait rendez-vous à 16ÞÞheures, afin de se faire coiffer et manucurer.Elle devrait être de retour à l’hôtel à 18 heures pours’habiller et se trouver à 19Þheures dans la salle de balpour procéder aux dernières vérifications, s’assurer quetout était prêt et recevoir les invités.

    —ÞOn nous a livré le piano hier soir, dit-elle, et il a étéaccordé ce matin.

    Melanie sourit. Toujours accroupie sur le sol, sameilleure amie poussa un cri de triomphe. Sarah avaitentendu quelqu’un l’appeler Ashley et, tout commeMelanie, elle paraissait très jeune.

    —ÞJe l’ai trouvéeÞ! Je peux la porter, ce soirÞ?Elle brandissait une robe sexy dans un imprimé léo-

    pard. Melanie acquiesça d’un signe de tête. Ashleygloussa alors de bonheur, car elle venait de trouver leschaussures à talons compensés assorties, qui devaient lagrandir de douze bons centimètres. Elle quitta aussitôt lachambre pour essayer sa tenue. Melanie adressa un sou-rire timide à Sarah.

    —ÞAshley et moi nous connaissons depuis l’âge decinq ans, expliqua-t-elle. Nous étions dans la mêmeclasse. Elle est ma meilleure amie et elle me suit partout.

    Quelle drôle d’existence, songea Sarah. C’étaitcomme si Melanie avait fait partie d’un cirque. Elle sedéplaçait avec sa troupe, ne connaissant que les cham-bres d’hôtel. Depuis leur arrivée, l’élégante suite du Ritzressemblait à un salon d’essayage.

    —ÞMerci de ce que vous faites pour notre association,dit Sarah en regardant la jeune fille. Je vous ai vue à la

    139645CND_GRACE_mep_ok.fm Page 21 Mardi, 24. mars 2009 12:24 12

  • 22

    cérémonie des Grammys, vous étiez magnifique. Est-ceque vous allez chanter «ÞNe me laisse pas ce soirÞ?Þ».

    —ÞOui, répondit Janet à la place de sa fille.Elle lui tendit une bouteille d’eau gazeuse. Se tenant

    entre Melanie et Sarah, elle se comportait comme si lajeune fille était transparente. Sans rien dire, Melanie allas’asseoir sur le canapé, prit la télécommande et avalaune gorgée d’eau avant d’arrêter son choix sur MTV.

    —ÞNous adorons cette chanson, expliqua Janet avecun large sourire.

    —ÞMoi aussi, répondit Sarah.L’énergie et la façon de se comporter de Janet la sur-

    prenaient. Elle dirigeait et régissait la vie de sa fillecomme si celle-ci lui devait sa célébrité. Visiblementhabituée, Melanie ne protestait pas. Quelques minutesplus tard, Ashley fit irruption dans la pièce, peud’aplomb sur ses talons léopard et vêtue de sa robed’emprunt un peu trop grande pour elle. Elle alla immé-diatement rejoindre son amie sur le canapé et regarda latélévision avec elle.

    Il était impossible de savoir qui était réellement Mela-nie. Elle paraissait sans personnalité et ne semblait exis-ter que lorsqu’elle était sur scène.

    —ÞJ’ai été danseuse à Las Vegas, vous savez, dit Janet.Sarah s’efforça de prendre un air impressionné.

    C’était bien le genre de cette femme, en dépit de sonjean trop généreusement rempli et de ses énormes seinsdont Sarah devinait qu’ils avaient été refaits. Ceux deMelanie étaient impressionnants, eux aussi, mais ils nechoquaient pas sur sa silhouette mince et sexy. La pré-sence de Janet était envahissante et Sarah eut soudainl’impression d’étouffer. Elle marmonna quelques excu-ses et gagna la porte. Melanie et sa copine étaient tota-lement fascinées par l’émission de télévision.

    —ÞJe vous retrouve à la répétition, dit Sarah à Janet.En sortant de la suite, elle calcula que si elle ne restait

    à la répétition qu’une vingtaine de minutes, elle aurait le

    139645CND_GRACE_mep_ok.fm Page 22 Mardi, 24. mars 2009 12:24 12

  • 23

    temps d’aller chez la coiffeuse. Tout serait prêt, à cemoment-là… En fait, tout l’était déjà.

    —ÞA tout à l’heure, lança Janet en souriant.Sarah se dirigeait déjà vers sa propre chambre. Une

    fois arrivée, elle s’assit quelques minutes et consulta sesmessages sur son téléphone portable. Il avait vibré deuxfois lorsqu’elle se trouvait chez Melanie, mais elle n’avaitpas voulu décrocher. Le premier était du fleuriste, qui laprévenait que les quatre énormes pots qui devaient êtreinstallés à la porte de la salle de bal seraient prêts à16Þheures. L’autre provenait de l’orchestre, confirmantqu’ils commenceraient à 20Þheures. Elle appela chez ellepour prendre des nouvelles des enfants. La baby-sitterlui assura que tout se passait bien. Parmani était uneravissante Népalaise qu’elle avait engagée à la naissancede Molly. Sarah ne l’avait pas prise à demeure, car ellesouhaitait s’occuper de ses enfants elle-même, mais Par-mani l’aidait dans la journée et restait le soir, quandSeth et elle sortaient. En l’occurrence, elle allait passerla nuit chez eux. Elle savait combien ce gala était impor-tant pour Sarah, qui avait travaillé pendant des moispour que la soirée soit réussie. Elle lui souhaita bonnechance avant de raccrocher. Sarah aurait aimé parler àMolly, mais la petite fille n’avait pas terminé sa sieste.

    Après avoir vérifié quelques notes sur son calepin,Sarah se brossa les cheveux et se rendit dans la salle debal pour y retrouver Melanie et ses musiciens. On luiavait dit que la jeune star exigeait de répéter sanstémoins. En y repensant, Sarah se demanda s’il nes’agissait pas plutôt d’une décision de sa mère. Melaniene semblait pas du genre à se soucier de ce genre dedétails. Elle paraissait indifférente aux allées et venuesdes gens ou à ce qu’ils faisaient. Peut-être en allait-ilautrement lorsqu’elle chantait. Mais elle donnaitl’impression d’avoir la passivité d’une enfant docile. Iln’en restait pas moins qu’elle possédait une voix

    139645CND_GRACE_mep_ok.fm Page 23 Mardi, 24. mars 2009 12:24 12

  • 24

    incroyable. Comme tous ceux qui seraient présents cesoir, Sarah avait hâte de l’entendre.

    Quand elle arriva, les huit musiciens étaient déjà dansla salle. Ils bavardaient et riaient, pendant que les tech-niciens finissaient de déballer le matériel. Ils formaientun groupe bigarré, songea Sarah. Elle dut faire un effortpour se rappeler que la jolie blonde qu’elle avait vue entrain de regarder MTV était une vedette de la chansonmondialement connue. Il n’y avait pas une once de pré-tention ou d’arrogance en elle. Seule l’importance de satroupe trahissait son statut. Elle n’avait pas non plus lesmauvaises habitudes de la plupart des stars. Le seulscandale la concernant avait eu lieu l’année précédente,à cause d’un problème de sonorisation juste avant sonentrée en scène. Elle avait jeté une bouteille d’eau surson manager et menacé de s’en aller. La grande craintede Sarah avait été qu’elle n’annule son concert au der-nier moment, mais les manières naturelles de Melanie larassuraient, quelles que soient les exigences que sa mèreprésentait en son nom.

    Sarah attendit dix minutes, tandis que les techniciensterminaient leurs installations, n’osant pas demander siMelanie risquait d’avoir du retard. Elle s’était discrète-ment renseignée auprès des musiciens pour savoir s’ilsne manquaient de rien. Rassurée sur ce point, elle s’étaitinstallée à une table pour ne pas les gêner. Melaniearriva à 15 h 50. Elle portait un jean coupé en bermuda,un tee-shirt et des tongs. Ses cheveux étaient retenus parune simple pince. Sa meilleure amie l’accompagnait,tandis que sa mère les précédait et que l’assistante et lamanager fermaient la marche, suivies par deux gardes ducorps à la physionomie menaçante. Son petit ami man-quait à l’appel. Il était allé à la salle de sport et devaitencore s’y trouver. Melanie était celle qu’on remarquaitle moins dans la troupe. Le batteur lui tendit unecanette de Coca. Elle l’ouvrit, en but une gorgée etmonta sur la scène. En comparaison des salles où elle

    139645CND_GRACE_mep_ok.fm Page 24 Mardi, 24. mars 2009 12:24 12

  • 25

    avait l’habitude de chanter, celle-ci était minuscule, maiselle était accueillante. Ce soir, à la lueur des bougies, ceserait magnifique. Pour l’instant, la salle de bal étaitbrillamment éclairée. Après avoir regardé un instantautour d’elle, Melanie cria à l’un des techniciensÞ:

    —ÞEteins-moi ces lumièresÞ!Elle reprenait vie, songea Sarah en s’approchant de la

    scène pour lui parler. Melanie baissa les yeux vers elle ensouriant.

    —ÞTout va bienÞ? lui demanda-t-elle.De nouveau, Sarah eut l’impression de s’adresser à

    une gamine. Mais, après tout, Melanie avait beau êtreune star, elle était encore adolescente.

    —ÞC’est très beau, iciÞ! Vous avez fait du beau travailÞ!affirma la jeune fille avec une douceur qui alla droit aucœur de Sarah.

    —ÞMerci. Les musiciens ont tout ce qu’il leur fautÞ?Melanie jeta un coup d’œil confiant par-dessus son

    épaule. Elle était toujours heureuse sur scène. C’étaitson élément, elle s’y sentait à l’aise, et trouvait ce lieuplus sympathique que ceux où elle chantait d’habitude.

    —ÞVous ne manquez de rien, les garsÞ? demanda-t-elleaux musiciens.

    Ils secouèrent négativement la tête tout en accordantleurs instruments. Oubliant Sarah, Melanie leur dit parquoi elle voulait qu’ils commencent. Ils s’étaient déjàmis d’accord sur l’ordre de ses chansons, y compris sondernier tube.

    Comprenant que sa présence n’était plus nécessaire,Sarah s’éclipsa. Il était 16ÞhÞ05, ce qui signifiait qu’elleavait un quart d’heure de retard chez la coiffeuse. Elleaurait de la chance si la manucure avait le temps des’occuper de ses ongles. Elle sortait de la salle quandune bénévole du comité vint à sa rencontre, suivie dutraiteur. Il y avait un problème avec les hors-d’œuvre.Les huîtres n’avaient pas été livrées et celles dont on dis-posait n’étaient pas assez fraîches. Elle demanda à la

    139645CND_GRACE_mep_ok.fm Page 25 Mardi, 24. mars 2009 12:24 12

  • 26

    jeune femme de choisir autre chose et se rua alors dansl’ascenseur. Elle traversa le hall en courant et se préci-pita vers sa voiture garée tout près, pour prendre Cali-fornia Street, puis la direction de Nob Hill. Un quartd’heure plus tard, elle était chez sa coiffeuse. Il était16ÞhÞ45 et elle devait quitter le salon au plus tard à18Þheures. Elle avait même espéré partir à 17ÞhÞ45, maisce n’était plus possible. Sachant que le gala avait lieu lesoir même, les employées s’occupèrent d’elle immédiate-ment. On lui apporta un verre d’eau, puis une tasse dethé. Dès que ses cheveux eurent été lavés, la manucures’empara de ses mains et tout le monde s’affaira.

    Dans l’espoir qu’elle lui livrerait des potins, la coif-feuse demandaÞ:

    —ÞComment trouvez-vous Melanie FreeÞ? Jake estavec elleÞ?

    —ÞOui, répondit Sarah sans donner plus de détails.Elle est vraiment adorable et je suis certaine qu’elle vafaire un tabac, ce soir.

    Sarah ferma les yeux, cherchant désespérément à sedétendre. La soirée allait être longue et elle espérait quece serait un succès.

    Tandis que la coiffeuse mettait la dernière main àl’élégant chignon de Sarah en y piquant de petites étoilesen strass, Everett Carson se présentait à la réception del’hôtel. Originaire du Montana, il mesurait un mètrequatre-vingts et ressemblait encore au cow-boy qu’ilavait été dans sa jeunesse. Grand et dégingandé, il por-tait un jean, une chemise blanche et de vieilles bottes decow-boy usées en lézard noir dont il prétendait qu’elleslui portaient chance. Elles faisaient sa fierté et il avaitl’intention de les garder même lorsqu’il revêtirait le smo-king que son magazine lui avait loué pour l’occasion.Lorsqu’il montra sa carte de presse aux hôtesses, elleslui dirent en souriant qu’il était attendu. Le Ritz-Carlton

    139645CND_GRACE_mep_ok.fm Page 26 Mardi, 24. mars 2009 12:24 12

  • 27

    était nettement plus luxueux que les hôtels où il descen-dait d’ordinaire. Nouveau dans le métier, il travaillaitdepuis peu pour Scoop, un magazine spécialisé dans lespotins hollywoodiens. Pendant des années, il avait cou-vert des zones en guerre pour l’Associated Press, la célè-bre agence de presse américaine. Après avoir cessé d’ytravailler, il avait pris une année sabbatique. Ensuite, ilavait accepté le premier boulot qui se présentait et celafaisait trois semaines qu’il travaillait pour Scoop. Il avaitdéjà suivi trois concerts de rock, un mariage à Hollywood,et c’était son deuxième gala de bienfaisance. Ce n’étaitdécidément pas son truc. En smoking, il avait l’impres-sion d’être un serveur. Il finissait même par regretter lesconditions difficiles dans lesquelles il avait parfois dûvivre et auxquelles il s’était habitué, durant les vingt-neuf ans où il avait travaillé pour l’AP. Il venait d’avoirquarante-huit ans. Dès qu’il fut dans la petite chambrebien équipée où on l’avait conduit, il laissa tomber le saccabossé qui avait voyagé avec lui dans le monde entier.S’il fermait les yeux, il pourrait se croire à Saigon, auPakistan ou à New Delhi, en Afghanistan, au Liban, enBosnie… Il se demandait comment un type comme luien était arrivé à couvrir les galas de bienfaisance et lesnoces des célébrités. C’était une bien cruelle punition.

    Sur la table, il trouva une brochure sur le service demédecine néonatale, ainsi qu’un dossier de presseconcernant le Bal des Petits Anges, dont il se moquaitéperdument. Mais il ferait son boulot. Il était là pourprendre des photos des vedettes et couvrir le concert deMelanie Free. Son rédacteur en chef avait précisé quec’était un événement important.

    Il prit une bouteille de limonade dans le minibar,l’ouvrit et en but une gorgée. Donnant sur un immeublequi se trouvait de l’autre côté de la rue, la chambre étaitparfaite et très élégante. Pourtant, il regrettait les bruitset les odeurs des trous à rats où il avait dormi pendantprès de trente ans, la puanteur des ruelles de New Delhi

    139645CND_GRACE_mep_ok.fm Page 27 Mardi, 24. mars 2009 12:24 12

  • 28

    et tous les lieux exotiques où son métier l’avait emmenépendant ces trois décennies.

    —ÞRelax, EvÞ! s’exhorta-t-il à voix haute.Il s’assit par terre, au pied du lit, et alluma le télévi-

    seur. Après s’être arrêté sur CNN, il sortit un papier desa poche. Avant de quitter Los Angeles, il avait imprimél’heure et le lieu de la réunion. Ce devait être son jourde chance, parce qu’elle se tenait une rue plus loin, dansune église de California Street du nom de Old St Mary.Elle commençait à 18 heures et devait durer soixanteminutes, ce qui lui laissait le temps d’être de retourquand le gala débuterait. Evidemment, il serait obligé dese rendre à la réunion en smoking, s’il ne voulait pas êtreen retard. Il ne voulait pas risquer des remontrances deson patron. Il était trop tôt pour prendre des libertés,même s’il l’avait souvent fait dans le passé. Mais il enavait fini avec ces mauvaises habitudes. D’ailleurs, àcette époque, il buvait. Il avait pris un nouveau départ,aussi valait-il mieux ne pas tenter le diable. Il était entrain de devenir honnête et consciencieux. Mais pourquelqu’un qui avait photographié des soldats mourantdans des tranchées sous le feu des bombardements, lacouverture d’un gala de bienfaisance était sacrémentinsipide. D’autres auraient adoré être à sa place. En cequi le concernait, c’était plutôt pénible.

    Il termina sa limonade en soupirant, puis il jeta labouteille dans la poubelle, se déshabilla et prit une dou-che.

    L’eau qui ruisselait sur sa peau lui fit du bien. A LosAngeles, la journée avait été chaude, mais ici il faisaitlourd et humide. La chambre était relativement fraîche,grâce à l’air conditionné. Après la douche, il se sentitmieux et, tout en s’habillant, il se dit qu’il devait cesserde se plaindre. Décidé à profiter de la situation, ildégusta quelques chocolats placés à son intention sur latable de chevet. Puis il s’avança jusqu’au miroir et fixason nœud papillon avant d’enfiler sa veste de smoking.

    139645CND_GRACE_mep_ok.fm Page 28 Mardi, 24. mars 2009 12:24 12

  • 29

    —ÞPas malÞ! murmura-t-il. Tu ressembles à un musi-cien… mieux, à un gentlemanÞ! NonÞ! Plutôt à un ser-veur… Inutile de s’emballer.

    C’était un excellent photographe. Il avait d’ailleursremporté le prix Pulitzer, et plusieurs de ses photosavaient fait la couverture du magazine Time. Il s’était faitun nom dans le monde de la presse, mais il avait toutgâché en buvant. Par chance, il avait réagi. Il avait passésix mois dans un centre de désintoxication et cinq autresdans un ashram, où il avait cherché à comprendre ce quilui arrivait. Aujourd’hui, il pensait y être parvenu. Ilavait définitivement arrêté l’alcool. Il n’y avait pasd’autre solution. Il avait failli mourir dans un hôtel misé-rable de Bangkok et c’est la prostituée dont il louait lesservices qui l’avait sauvé et maintenu en vie jusqu’àl’arrivée des secours. Un ami l’avait fait rentrer auxEtats-Unis en bateau. L’AP l’avait viré pour avoir quittéson poste pendant près de trois semaines et n’avoir pasremis son travail régulièrement. Il était tout bonnementincapable d’écrire un article. Il avait alors pris cons-cience qu’il était dans un sale état. Il avait le choix entrel’abstinence et la mort. Malgré sa répugnance, il avaitfini par se résoudre à suivre une cure de désintoxication.Il préférait renoncer à l’alcool plutôt que de mourir laprochaine fois qu’il prendrait une cuite.

    Depuis, il avait repris du poids, semblait en bonnesanté et se rendait chaque jour aux réunions desAlcooliques Anonymes. Parfois, il y allait même troisfois dans une même journée. C’était moins difficilequ’au début, mais sa présence pourrait encouragerquelqu’un d’autre à s’en sortir. Il avait eu lui-mêmeun parrain et aujourd’hui il rendait le même service àd’autres. Cela faisait un an qu’il ne buvait plus, ce quilui avait valu son premier jeton. Ses bottes porte-bonheuraux pieds, son jeton en poche, il quitta la chambre,l’appareil photo en bandoulière et le sourire auxlèvres, mais en ayant oublié de se peigner. Il se sentait

    139645CND_GRACE_mep_ok.fm Page 29 Mardi, 24. mars 2009 12:24 12

  • 30

    mieux qu’une demi-heure plus tôt. L’existence n’étaitpas drôle tous les jours, mais elle était mille foismeilleure que l’année précédente. Comme quelqu’unl’avait dit à une réunion des AAþ: «ÞJ’ai encore demauvais jours, mais avant j’avais de mauvaises années.Þ»La vie lui paraissait plutôt douce lorsqu’il sortit del’hôtel, tourna dans California Street et se dirigea versl’église Old StÞMary. Il avait hâte d’y être. Fourrant lamain dans sa poche, il toucha son jeton ainsi qu’il lefaisait souvent. De cette façon, il se rappelait le che-min qu’il avait parcouru en un an.

    —ÞTu es sur la bonne voie… murmura-t-il en entrantdans le presbytère pour retrouver son groupe.

    Il était exactement 18ÞhÞ08. Comme toujours, il savaitqu’il allait apporter sa contribution à la réunion.

    Pendant qu’Everett entrait dans Old StÞMary, Sarahsortait de sa voiture et courait vers l’hôtel. Il lui restaitquarante-cinq minutes pour s’habiller. Ses ongles étaientfaits, même si elle en avait abîmé deux en fouillant troptôt dans son sac pour donner un pourboire au voiturier.Mais dans l’ensemble, cela pouvait aller et elle aimait lafaçon dont on l’avait coiffée. Elle traversa le hall à touteallure et le portier lui souhaita bonne chance en souriant.

    —ÞMerciÞ! répondit-elle.Une fois dans l’ascenseur, elle utilisa sa clé pour monter

    à sa chambre. Trois minutes plus tard, elle faisait coulerl’eau dans la baignoire et sortait sa robe de sa housse deplastique. Taillée dans un tissu brillant d’un blanc argenté,elle mettait admirablement sa silhouette en valeur. Elles’était acheté des sandales assorties absolument sublimes.

    Elle prit son bain en cinq minutes et était en train dese maquiller quand Seth la rejoignit. Il était 18ÞhÞ40. Illui avait demandé d’organiser son gala pendant le week-end, pour qu’il n’ait pas à se lever à l’aube le lendemain.Malheureusement, le jeudi était le seul jour possible, à la

    139645CND_GRACE_mep_ok.fm Page 30 Mardi, 24. mars 2009 12:24 12

  • 31

    fois pour l’hôtel et pour Melanie, et Sarah n’avait pas eule choix.

    Seth paraissait tendu, comme toujours en rentrant dubureau. Il travaillait énormément et avait de nombreusesgrosses affaires en cours. Sa réussite ne pouvait s’obtenirdans l’insouciance et la décontraction. Pourtant, Sarahremarqua qu’il avait l’air particulièrement exténué cesoir-là. Il s’assit au bord de la baignoire, passa la maindans ses cheveux et l’attira à lui pour l’embrasser.

    —ÞTu sembles complètement crevé, lui dit-elle avecsollicitude.

    Ils formaient une super-équipe, tous les deux. Toutleur réussissait, depuis qu’ils s’étaient rencontrés. Leurunion était heureuse, ils aimaient la vie qu’ils menaientet ils étaient fous de leurs enfants. Auprès de Seth, ellemenait une existence de rêve. Elle aimait tout ce qu’ilspartageaient, mais par-dessus tout, elle l’aimait lui.

    —ÞJe suis effectivement crevé, avoua-t-il. Comment lasoirée s’annonce-t-elleÞ?

    Il adorait l’entendre parler de ce qu’elle faisait etl’admirait sans réserve. Parfois, il pensait qu’en restant àla maison, elle gâchait son talent pour les affaires et per-dait tout le bénéfice de ses études. Mais en mêmetemps, il lui était reconnaissant de se consacrer au bien-être de ses enfants… et au sien.

    —ÞÇa va être fabuleuxÞ! répondit-elle avec un grandsourire tout en enfilant le string de dentelle blanche quiserait invisible sous sa robe.

    En regardant son corps parfait, Seth sentit l’excitationmonter. Elle se mit à rire lorsqu’il commença à lui cares-ser la cuisse.

    —ÞNe commence pas, mon amour, sinon je vais êtreen retard. Ne te presse pas. Tu n’auras qu’à descendrevers 19ÞhÞ30, pour le dîner. Ce sera parfait.

    Jetant un coup d’œil à sa montre, il hocha la tête. Ilétait 18ÞhÞ50. Sarah avait cinq minutes pour terminer des’habiller.

    139645CND_GRACE_mep_ok.fm Page 31 Mardi, 24. mars 2009 12:24 12

  • 32

    —ÞJe dois passer un ou deux coups de fil, lui dit-il,mais je serai en bas dans une demi-heure.

    C’était ce qu’il faisait toujours en rentrant et il n’yavait aucune raison pour que ce soit différent ce jour-là.La gestion de sa société occupait l’esprit de Seth nuit etjour. Cela rappelait à Sarah l’époque où elle travaillait àWall Street, quand il y avait une introduction en Bourse.Seth était constamment sur la brèche et son succès étaitdû à un labeur acharné. Grâce à lui, ils menaient l’exis-tence dorée des gens fabuleusement riches. Sarah lui enétait très reconnaissante, d’autant qu’elle en savait leprix. Lui tournant le dos, elle lui demanda de remonterla fermeture éclair de sa robe.

    —ÞTu es à tomber par terre, ma chérieÞ! affirma-t-ilavec un grand sourire.

    —ÞMerci.Ils s’embrassèrent, puis elle prit sa pochette argentée,

    mit ses sandales et lui adressa un dernier signe en quit-tant la chambre.

    Son téléphone portable à l’oreille, il était déjà en trainde discuter avec son meilleur ami, qui vivait à NewYork. Ils prenaient des dispositions pour le lendemain.Elle n’écouta pas leur conversation, mais avant de partir,elle déposa près de lui une petite fiole de scotch et unverre rempli de glaçons. Lorsqu’elle ferma la porte der-rière elle, il était en train de se servir, un sourire recon-naissant aux lèvres.

    Elle prit l’ascenseur, qui la conduisit directement à lasalle de bal, trois étages au-dessous du hall d’entrée.Tout semblait parfait. Les vases étaient remplis deroses d’un blanc crémeux, de ravissantes jeunes fillesen robes du soir scintillantes étaient assises derrière delongues tables, attendant de remettre aux invités lacarte sur laquelle était indiqué le numéro de leur table.Des mannequins traversaient la salle, vêtues de longuesrobes noires et arborant les merveilleux bijoux prêtéspar Tiffany. Une poignée d’invités était déjà arrivée.

    139645CND_GRACE_mep_ok.fm Page 32 Mardi, 24. mars 2009 12:24 12

  • 33

    Sarah procédait aux dernières vérifications, lorsqu’unhomme entra. Il était grand, ses cheveux poivre et selétaient en désordre et il portait en bandoulière unesacoche avec son matériel photo. Il lui sourit avec uneadmiration visible, avant de se présenter comme lephotographe envoyé par le magazine Scoop. Elle futravie. Plus la presse parlerait de la soirée, plus il yaurait d’artistes qui accepteraient de se produire gratui-tement et plus ils récolteraient de fonds. La présencedes journalistes était extrêmement importante.

    —ÞJe m’appelle Everett Carson, dit-il en sortant sacarte de presse de la poche de son smoking.

    Il semblait détendu et parfaitement à l’aise, songea-t-elle.

    —ÞEt moi, dit-elle, je suis Sarah Sloane, l’organisatricedu gala. Vous voulez boire quelque choseÞ?

    Il secoua négativement la tête avec un sourire. Ilétait toujours frappé par le fait que c’était la premièrechose que les gens proposaient pour accueillirquelqu’un. Parfois, cela venait même tout de suiteaprès «ÞbonjourÞ».

    —ÞNon merci, je n’ai besoin de rien. Y a-t-il une per-sonnalité sur laquelle je dois m’attarder plus particuliè-rement, ce soirÞ? Des célébrités… des notablesÞ?

    Sarah précisa qu’on attendait les Getty, Sean et RobinWright Penn, ainsi que Robin Williams et des personna-lités locales dont il ne connaissait pas les noms. Elle pro-mit de les lui signaler dès leur arrivée.

    Elle s’approcha ensuite des longues tables pour saluerles personnes qui sortaient de l’ascenseur. Everett Car-son commença par prendre des photos des mannequins.Deux d’entre elles attiraient particulièrement l’attention.De magnifiques colliers de diamants mettaient en valeurleurs décolletés plongeants. Les autres étaient trop min-ces à son goût. Revenant sur ses pas, il photographiaSarah avant qu’elle ne fût trop absorbée par ses occupa-tions. C’était une ravissante jeune femme aux cheveux

    139645CND_GRACE_mep_ok.fm Page 33 Mardi, 24. mars 2009 12:24 12

  • noirs parsemés de minuscules étoiles scintillantes et rele-vés en chignon. Elle avait d’immenses yeux verts quisemblaient lui sourire.

    —ÞMerci, dit-elle gentiment.Il lui adressa un chaud sourire. Elle se demanda pour-

    quoi il ne s’était pas peigné. Etait-ce parce qu’il avaitoublié ou était-ce une habitude chez luiÞ? Elle avaitremarqué les vieilles bottes en lézard noir. Il lui faisaitl’effet d’être quelqu’un de peu banal et elle était certaineque son histoire devait être intéressante. Mais ellen’aurait jamais l’occasion de la connaître. C’était seule-ment un journaliste envoyé pour la soirée par le maga-zine Scoop.

    —ÞBonne chance pour votre gala, lui lança-t-il avantde s’éloigner d’un pas nonchalant.

    A cet instant, trente personnes émergèrent de l’ascen-seur. Pour Sarah, la nuit du Bal des Petits Anges com-mençait.

    139645CND_GRACE_mep_ok.fm Page 34 Mardi, 24. mars 2009 12:24 12

    /ColorImageDict > /JPEG2000ColorACSImageDict > /JPEG2000ColorImageDict > /AntiAliasGrayImages false /CropGrayImages true /GrayImageMinResolution 150 /GrayImageMinResolutionPolicy /OK /DownsampleGrayImages false /GrayImageDownsampleType /Average /GrayImageResolution 300 /GrayImageDepth -1 /GrayImageMinDownsampleDepth 2 /GrayImageDownsampleThreshold 1.50000 /EncodeGrayImages true /GrayImageFilter /DCTEncode /AutoFilterGrayImages true /GrayImageAutoFilterStrategy /JPEG /GrayACSImageDict > /GrayImageDict > /JPEG2000GrayACSImageDict > /JPEG2000GrayImageDict > /AntiAliasMonoImages false /CropMonoImages true /MonoImageMinResolution 1200 /MonoImageMinResolutionPolicy /OK /DownsampleMonoImages false /MonoImageDownsampleType /Average /MonoImageResolution 2400 /MonoImageDepth -1 /MonoImageDownsampleThreshold 1.50000 /EncodeMonoImages true /MonoImageFilter /CCITTFaxEncode /MonoImageDict > /AllowPSXObjects false /CheckCompliance [ /PDFX1a:2001 ] /PDFX1aCheck true /PDFX3Check false /PDFXCompliantPDFOnly false /PDFXNoTrimBoxError false /PDFXTrimBoxToMediaBoxOffset [ 0.00000 0.00000 0.00000 0.00000 ] /PDFXSetBleedBoxToMediaBox false /PDFXBleedBoxToTrimBoxOffset [ 0.00000 0.00000 0.00000 0.00000 ] /PDFXOutputIntentProfile (GWG_GenericCMYK) /PDFXOutputConditionIdentifier () /PDFXOutputCondition () /PDFXRegistryName () /PDFXTrapped /False

    /SyntheticBoldness 1.000000 /Description >>> setdistillerparams> setpagedevice