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V. Laurent, Revue Historique Du Sud-Est Europeen 1946 (Pp. 233-247)

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Second Conciul de Lyon 1274Michael VIII Paleologul

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  • INSTITUT D'HISTOIRE UNIVERSELLE ,N. IORGA"

    REVUE HISTORIQUEDU

    SUD-EST EUROPEEN

    BUCAREST1946

    a

    XXIII

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  • REVUE HISTORIQUEDU

    SUD-EST EUROPnENXXIII

    FONDEE PARN. IORGA 1946

    COMITE DE DIRECTION:I. NISTORN. BANESCU

    DIRECTEUR:G. I. BRATIANUSECRETAIRE: M. BERZA

    SOMMAIREPages

    HISTOIRE ET HISTORIENSG. I. BRATIANU: Un savant et un soldat: Marc Bloch (1886-1944) 5D. M. PIPPIDI: Une ceuvre inedite de Nicolas Iorga: l'e Historiologie

    Humaine 21G. I. BRATIANIT: Formules d'organisation de la paix dans l'histoire uni-

    verselle. Deuxieme partie 31

    ROME ET BYZANCEEM. CONDURACHI:. Quelques considerations sur la 4 renaissance)) des

    arts plastiques a, l'epoque d'Hadrien 57V. LAURENT: L'idee de iguerre sainte a la tradition byzantine 71

    EUROPE BALKANIQUE ET DANUBIENNED. M. PIPPIDI: Niceta di Remesiana e le .origini del cristianesimo daco-

    romano 99V. COSTACHEL: La formation du benefice en Moldavie 118MARIA GOLESCU: Danses et danseurs dans la peinture des glises rou-

    maines 1$1.G. I. BRATIANU: L'histoire roumaine &rite par les historiens hongrois

    beuxime partie '142

    . .

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  • HISTOIRE ET HISTORIENS

    UN SAVANT ET UN SOLDAT: MARC BLOCH(1886-1944 *)

    Tous ceux qui ont pris part a rune ou l'autre des grandes guer-res de notre siecle sans compter ceux qui ont eu le privilege defaire les deux se rappelleront sank doute la sensation qu'prouventles survivants, lorsqu'ils se comptent apres la fin de l'action. IIapparait que personnellement, l'on s'en est tire une fois de plus ;mais autour de soi, que de pertes cruelles et irrempla cables,et toujours parmi les meilleurs1 A. la joie de se sentir gneore vivant,qui malgr tout s'impose aux moins egoIstes, d'autant plus qu'ellepeut etre courte, s'attache l'amertume de tes vides soudains, onsombrent par la faute d'un clat egare ou d'une balle perdue, lesamities les plus rares et les qualits les plus nobles.

    C'est un sentiment du mme genre qui s'empare de l'historienlorsqu'il tente, au lendemain de l'une des plus grandes catastrophesque ses annales aient eu a enregistrer, de faire l'appel des hommesavec lesquels il etait accoutume d'echanger, jadis, ouvrages etprojets, dans cette grande communaut de travail que l'on pouvaitdnommer a juste titre la Cite de Clio, au-dessus de la mle quoti-dienne des disputes et des passions humaines. Il en est dont aucunenouvelle n'est parvenue jusqu' nous ; sont-ils toujours vivants,ou bien leur ceuvre a-t-elle subi l'interruption fatale de la Parque?Il en est qui se sont-eteints clans l'intervalle, a la fin d'une longueet glorieuse carrire, tel Charles Diehl que nous commmorionsl'an pass et dont notre collegue I. D. tefanesco vient d'voquerA nouveau le souvenir. Il en est qui, tel le grand fond.ateur de notre

    *) Communication a l'Institut d'Histoire Universelle 4 N. Iorga i de Huca-rest.

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  • 6 G. I. BRATIANU

    Institut, ont disparu en pleine force de travail, en pleine vigueur,sous les coups d'ennemis .jures de toute libert, comme de toutecivilisation. II en est d'autres que le souffle des bombardementsa emport dans sa tourmente ; il en est enfin qui sont tombs ensoldats, defendant a la fois le pays dont ils portaient les couleurs,et l'idee a laquelle ils avaient vou leur existence. C'est parmi cesderniers qu'il convient de placer Marc Bloch, le grand mdievistefrancais, dont nous voulons honorer aujourd'hui la mmoire.

    ** *

    Mais ce n'est pas le combattant que je voudrais d'abord voquerici, tel que sa fin heroique le marque d'une empreinte aussi inef-facable que glorieuse. Il nous faut parler d'abord du savant et del'crivain, qui sut raliser pleinement, ce qui pour la plupart deceux de notre profession demeure une tendance, ou un vaeu, tropsouvent formule et presque jamais atteint: l'histoire vivante.

    Marc Bloch y etait plus qu'un autre admirablement prepare.Dans l'avant-propos qui precede le plus volumineux de ses ouvrages,Les rois thaumaturges9, sa piete filiale se plait a rendre hommagea son pere, auquel il declare devoir ((le meilleur d,e sa formationd'historien * et dont les le cons, commences pour le fils des l'enfance,n'ont cesse qu'a sa mort. Il evoque egalement, l'troite commu-naut intellectuelle, on, de longue date, il avait vcu avec son here:

  • MARC BLOCH 7

    accumuler ces annes d'analyse des chartes et des textes, sanslesquelles il ne saurait exister de synthese vraiment fconde ; maisquelle que flit la conscience de son enqute et la richesse de sa biblio-graphie, il n'est jamais demeur le prisonnier de ses references oude ses fiches. Il venait a nos etudes d'un autre horizon, et l'on sentpasser dans ses crits jusque dans ses notes sur un point dedetail ce souffle du large que le gographe ou le sociplogue sont plusa mme de ressentir dans leurs travaux, que l'historien trop attacha la lettre des archives. Htons-nous du reste d'ajouter que saformation historique corrigeait la ;endance des tenants de ces autresspecialits, a une simplification excessive ou une schmatisationtrop sommaire. Dans le grand ouvrage que nous venons de men-tionner, oil il analyse avec une science et une penetration vraimentadmirables, t le caractere surnaturel longtemps attach a la puis-sance royale, ce que l'on pourrait, en usant d'un terme que lessociologues ont legrement detourne de sa signification premiere,nommer la royaut (( mystique *1), son esprit critique ragit aussitatcontre l'extension trop facile de certains faits constats chez lespeuples primitifs de notre temps, a l'histoire du Moyen Age europeen,rapprochement dont beaucoup ont emprunte l'ide au Rameau d'Orde Sir James Frazer. t Parmi les premiers missionnaires, ecrit ace sujet Marc Bloch, beaucoup croyaient retrouver chez les t sau-vages *, plus ou moins effaces, toutes sortes de conceptions chr-tiennes. Gardons-nous de commettre rerreur inverse et ne trans-portons pas les Antipodes tout entiers a Paris et a Londres * 2).Observation judicieuse, dont il convient assurment de faire tat,non seulement au sujet du toucher et de la gurison des crouellespar les rois de France et d'Angleterre, mais dans bien d'autresdomaines, trop facilement ouverts a la fantaisie de l'ethnographeou aux categories arbitraires du classement sociologique. Et cepen-dant, comment ne pas reconnaitre dans le plan et la redaction dece gros volume qui (( touche * d'une maniere presque aussi miracu-leuse, h la fois au, rite et au prestige dynastique, a revolution dusacre, aux explications legendaires et aux origines magiques, auprobleme de l'onction et a rhagiographie, sans compter l'histoire

    1) Les rois thaumaturges, p. 19.I) Ibid., p. 84.

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  • 8 G. I. BRATIANU

    de la mdecine et des aventures pathologiques du corps humain unchercheur qui embrasse du premier coup d'ceil un ensemble deproblemes hien plus vaste, que ne pouvaient lui reveler la seulelecture des documents et des chroniques? ,Aussi bien avait-il dejafait paraitre, avant l'interruption de la premiere guerre mondiale,qu'il fit d'un bout a l'autre en premiere ligne, un essai sur l' I lede France, dans une collection sur Les rgions de la France 1), oilse marquait son gat pour l'etude du sol et aussit8t apres laconclusion, de la paix, un chapitre d'histoire capetienne, Rois etSerf s 2), oil se manifestait sa predilection pour les problemes d'his-toire sociale. C'est arm de tous ces elements divers d'informationet de recherche, l'esprit ouvert aux problemes d'histoire compareauxquelles l'attachait dsormais sa parfaite connaissance des lan-gues modernes de toute l'Europe Occidentale, qu'il tait venureprendre au lendemain de la guerre de 1914-18, a l'Universitde Strasbourg, la tradition qu'y avait cr jadis l'enseignementde Fustel de Coulanges.

    ** *

    C'est galement de cette double direction de sa pense queprocede le second, dans l'ordre chronologique, de ses grands travaux,le volume consacr aux

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    que anglo-saxonne, sans tenir compte de la revolution des u enclb-tures * au debut de l'Age moderne,

  • 10 G. I. BRXTIANU

    reaction seigneuriale dans l'exploitation des terres, ce remembre-ment des champs cultives dont les traces durent encore, commentles comprendre sans tenir compte des revolutions de l'conomieet des prix, des perspectives nouvelles du ngoce des bls, qui ou-vrent a la proprite terrienne un horizon qu'elle n'avait jamaisconnu auparavant? Et c'est ici qu'intervient dans le jeu des rapportspolitiques et sociaux le mcanisme implacable des lois conomiques,qui impose sa direction et son rythme aux affaires humaines, itl'encontre des traditions les plus vnrables et des privileges lesplus respects. Combien de ceux qui se consacrent a l'tude de laquestion rurale en Roumanie, trop souvent traitee d'une maniereaussi superficielle que partisane, pourraient tirer profit d'une simplelecture du livre de Marc Bloch ! Mais lui-meme a tabli des a pre-sent a leur usage les conclusions qui s'imposent. Dans un des der-niers comptes rendus si nourris et si pleins, qui aient paru sous saplume, on lit kpropos d'un autre ouvrage recent, celui de M. Emeritsur Les paysans roumains depuis le trait d'Andrinople jusqu'd laliberation des terres, ces lignes que nous recommandons a tous ceuxque preoccupe revolution des classes rurales et de l'exploitationagraire dans notre pays: 4 Traduite en termes d'Occident, rhistoireque retrace M. Emerit est dans une large mesure, celle d'une reactionseigneuriale. Comme presque tous les phnomenes du lame ordre,le mouvement eut ici pour origine une transformation conomiquedu type le plus classique. L'ouverture des Dtroits, coIncidant. avecles besoins croissants d'une Europe en voie de surpeuplement etd'industrialisation progressive, se trouve rendre, dans la Roumaniedu XIXe sicle, de plus en plus rmuneratrice la grande cultureet notamment celle des crales. D'ofi chez les 6 maitres du sol * les4 boiars * un effort soutenu pour conserver intacte ou mrne aug-menter l'tendue de leurs reserves, et en mme temps, pour imposera leurs tenanciers, avec une rigueur accrue, les charges qui soitcomme la dime laquelle, la-bas, tenait gnralement lieu de censsupplmentaient heureusement les produits du domaine, soit, etsurtout, comme la corve, en permettaient seules une mise en valeurtant soit peu intensive. Comparez rceuvre des Junker prussiens oude la noblesse polonaise, a partir du moment oa prit naissance legrand commerce des bls baltes ; voire, en France, les dues de Rohan,exigeant de leurs paysans le charroi gratuit des rcoltes domaniales

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    jusqu'aux ports bretons *1). Et voici en quelques lignes de ce saisisisant raccourci, de voi fournir matire a recherche et a reflection

    tant de chercheurs, au sujet des problemes soi-disant insolublesde notre histoire rcente economique et sociale.

    * *

    Car c'est evidemtnent sur cette dernire partie des etudes histo-piques que s'est concentr dsormais l'activit de l'historien francais.C"est pour assurer au dveloppement de ces etudes un organe inter-national, qui pa rivaliser avec les publications similaires redigeesen anglais ou en allemand, qu'il a fait paraltre, avec son ami etcollegue Lucien Febvre, les Anna les d'histoire conomique et socials,dont la masse imposante de dix volumes a t continue tout der-nirement par les Anna les d'histoire sociale.. 4( Nous avons voulula fois, m'crivait-il en septembre 1929 d'Oslo, ou le retenait uneserie de conferences, doter les lecteurs de langue francaise d'unpriodique d'histoire economique digne de ce nom, creer un organed'informations d'esprit et de champ international, et enfin romprela vieille t absurde barriere qui spare l'tude conomique dupass de celle du present. La tfiche est rude, mais je crois que desla premiere anne ne serait-ce que par une information sur laproduction scientifique dont il n'existe pas, si je ne me trompe,d'quivalent ailleurs nous avons fait ceuvre utile ; et nous espronsl'anne prochaine perfectionner nos methodes

    C'est a Oslo encore, qu'une annee auparavant, au VIe CongresInternational des Sciences historiques, oil j'avais eu la premiereoccasion de le rencontrer et de le connaltre, qu'il avait pu examiner

    loisir les avantages et les inconvnients de l'organisation interna-tionale du travail historique. Au cours des observations qu'il publiait

    ce sujet, dans le premier numero des Annales, ii s'levait avecraison contre la trop grande dispersion des etudes, en sectionsspares par des cloisons presque tanches, sparant des domainesque tout devrait rapprocher. La mthode, crivait Marc Bloch,n'est pas encore au point. Mais l'avenir parait de ce ct-la. Centrerl'activit du congres autour d'un certain nombre de grands pro-blemes, soigneusement choisis et dlimits, d'intrt international,

    2) La Roumanie au XIX, sicle, Annales d'histoire sociale, I, 1939, p. 432-34

    a

    P.

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    apparait pour la

    1) N. lorga, historien de l'Antiquite, Rev. hist. du Sud-Est europ., XXII,1945, pp. 45-46.

    2) Generatitali cu privire hi studiile istorice1, p. 216.1) Ibid., pp. 216-217.

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  • UNE CEUVRE INEDITE DE N. ZOE GA 23

    premiere fois. Mais, si le terme est nouveau, l'ide qu'il exprime l'estmoins, en ce sens que bien d'annes avant le discours que je viensde citer, elle avait t formule par notre historien incidemment,avant de revetir, dans l'Essai de synthese de l'histoire de l'humanite,avec la rigueur d'un expos systmatique, la porte d'une vue doe-trinale.

    Le premier texte auquel je fais allusion est une page des Obser-vations d'un profane sur thistoire de l'antiquite, dans laquelle, enrelevant la perpetuation a travers les sicles de certaines creationscollectives, biens culturels ou formes d'organisation politique,Nicolas Iorga crivait, dans ce style image qui rend ses livres a lafois si attachants et si inaccessibles: 4 Il n'existe pas dans l'histoiredu monde des dveloppements isols, mais des courants, lesquels,en exnportant clans leur cheminement des manifestations lmentai-res de vie humaine, les font connaitre a la posterit, apres les avoirauparavant fructifies. Comme les pluies de printemps, ils ne creentpas le bl qui attend sous la neige, mais, comme elles-aussi, sittque le premier rayon de soleil donne l'impulsion a la vie, ils aident

    faire germer les semailles de l'autornne *1).Bien que consacr a une priode historique determine, l'ouvrage

    auquel cette citation est emprunte n'en revbt pas moins, dansl'intention de son auteur, une porte generale. Ses conclusions luiapparaissaient valables pour l'histoire de l'humanit tout entire, etces conclusions sont que, certaines aspirations de l'me collectivetant investies d'un caractere ternel ou permanent, les institutionscres pour les satisfaire doivent tre considres elles-aussi commeternelles ou permanentes. Dans le cas special qui .retient notre,attention, l'aspiration qui, suivant Nicolas Iorga, surpasserait toutesles autres en importance et en intensit est celle qu'il appelle lebesoin de vie unitaire de l'humanit 2). Aussi l'ide imprialersume-t-elle a ses yeux les vicissitudes de l'histoire universelle,dont les mille incidents ne seraient que la reedition sur des scenesdiffrentes et avec des acteurs diffrents d'un drame vieux commele, monde. 4 Les empires ... lit-on a un autre endroit du mme ou-

    1) Observaiii ale unui nespecialist asupra istoriei antice, Bucarest, 1916,p. 56.

    2) Ibid., p. 198.

    *

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  • 24 D. M. PIPPIDI

    vrage reprsentent un effort de l'esprit d'organisation tenementconsiderable, que, le type une fois tabli, 11 se survit en changeantde dynasties et de fondements ethniques, tout en restant le memequant a son essence... A peine, en Msopotamie, eut-on fonde,par-dessus les royauts divines de caractere local, un empire deconcentration des dieux et des hommes, les peuples vinrent a tourde rle mettre a son service leurs ressources et leur nom. Aussil'Assyrie ne signifie-t-elle rien de plus que des tribus du Nord, desguerriers de la montagne descendus dans les plaines babyloniennes,offrir, pour un temps, une interpretation assyrienne a l'Empirefond par les Babyloniens. Et, prjugeant sur les evenements avenir, on peut dire qu'Alexandre-le-Grand... dans toute so gloirede conquerant macedonien, ne reprsente lui-aussi que la confir-mation de cette vrit: a savoir que les anciens empires se survivent.Babyloniens, Assyriens, Medes, Perses, Alexandre-le-Grand, sousdes dynasties et avec des forces diffrentes, ne sont que des incar-nations phmeres de la vieille notion fondamentale de l'Empireasiatique d'origine divine et de caractere, jusqu'a la fin, divin... *1).

    Limitee dans son application .a l'tude d'un phnomene parti-culier, ce que nous tenons ici, longtemps avant que l'auteur n'aitpense a en faire l'objet d'une oeuvre spciale, c'est l'idee que toutn'est pas nouveau en ce monde, qu'il y a des faits qui se rpetentet que savoir distinguer entre l'accidentel et le permanent, entrece qui ne se rencontrera plus jamais et ce qui, a des intervalles plusou moins reguliers, ramenera sous nos yeux des elements deja connus,pourrait devenir l'ambition la plus haute de l'historien. (< Leselements historiques crit-il dans la preface h l'Essai de synthsede l'histoire de l'humanit ne sont que tres rarement nouveaux :s'ils sont considrs d'une maniere moins superficielle, on voitqu'.ils se repetent ... Il y a des noms qui changent, des accidentsqui ne sont pas les. memes, mais, au fond,C'est le meme vnement,c'est la meme situation. La terre, qui ne change pas, determine dessituations qui, d'un sicle a l'autre, souvent a la distance de plu-sieurs sicles, correspondent parfaitement entre elles. Iry a dansles elements profonds de la race des attributs qui donnent la mmeinterpretation a des situations dont les motifs sont ressemblants.

    1) Observatii ale unui nespecialist, p. 76.

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  • UNE CEUVRE INEDITE DE N. IORGA 25

    S'il n'y avait que la terre et la race, et les elements essentiels parlesquels se manifeste rtre hurnain dans certaines conditions, ilfaudrait nanmoins reconnaitre cette correspondance des situationset des manifestations historiques, des elements, disons, statiqueset dynamiques de l'histoire *1).

    Quiconque a un peu pratiqu rceuvre de N. Iorga, n'a pas man-qu de reconnaitre, dans les phrases que l'on vient de lire, la pre-miere ebauche d'une conception qui clevait par la suite s'imposertoujours plus a son esprit, celle des 4 permanences s de l'histoire,le milieu naturel, la race et l'ide, qui, selon lui, seraient seulescapables d'expliquer le deroulement des vnements et auxquelles,en 1938, il allait consacrer une admirable communication au Congresinternational d'histoire de Zurich. Ces permanences, y lit-on,relient a travers le temps et l'espace les chapitres de cet organismeen marche qu'est l'histoire, elles sont au fond des divergences quifrappent l'esprit au premier abord et des caprices qui intressentla curiosit. S'appuyer sur elks, c'est donner un squelette solide ace qui parait etre sujet a toutes les fluctuations. Les distinguer dansla trame compliquee de l'histoire, c'est donner les notes fondamen-tales de sa vraie comprehension * 2).

    Oa conduit une telle comprehension, on a pu le voir par le dis-cours prononc lors de l'inauguration de l'Institut d'Histoire Uni-verselle, et qu'il m'est dja arrive de citer: a la conception de l'unitdans l'espace et dans le temps de toute vie historique, a la -consta-tation des similitudes s, parallelismes s et repetitions* dont luiapparaissait faite la trame des venements, et qui, en dernier lieu,se reduisent a la manifestation toujours gale de la raison humaineet des actions qui en dcoulent, meme dans des circonstances quine se ressemblent pas dans tous leurs elements *2).

    Cette longue introduction n'aura pas t inutile si, comme jerespre, elle nous aura permis de mieux comprendre a la fois lebut et les moyens de realisation de l'ceuvre qui retient notre atten-tion. Et, dja, nous savons que, dans rintention de son auteur,l'Historiologie humaine ne devait etre ni un manuel de thorie, ni

    1) Essai de synthese de l'histoire de l'humanite, Paris, 1926, vol. I, p. VII.3) Rev. hist. du Sud-Est Europen, XV, 1938, pp. 221-222.3) Essai de synthese, I, p. VIII.

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  • 26 D. M. PIPPIDI

    une methodologie de l'histoire, mais, simplemea, une histoire uni-verselle ou, comme Iorga aimait a s'exprirner, une histoire del'humanit con cue selon un plan original et se proposant d'em-brasser, dans le cadre d'un dveloppement unitaire, les vicissitudesde l'Ame humaine en tant que creatrice de culture, depuis que l'onpeut parler de l'homme autrement que sous le rapport anthropolo-gigue jusqu' l'epoque contemporaine. De ce vaste projet, bien peua pu etre ralise, mais ce peu est d'un intrt tel qu'il ne sauraitUre exager, tant par la possibilit qu'il nous offre de pntrer enquelque sorte dans le laboratoire d'un des esprits les plus puissantsde notre temps, que par tout ce qu'il apporte de neuf comme sug-gestions, rapprochements et mthode d'exposition.

    C'est la la raison pour laquelle la direction de l'Institut d'His-toire Universelle a cru de son aevoir d'en assurer la publication,en confiant cette -Cache a plusieurs collaborateurs, dont celui quisigne ces lignes. Le travail de preparation est bien prs d'tre finiet, si les circonstances le permettront, les fragments pourront Atrepublis dans le courant de l'anne. On pourra alors juger de l'effortimpressionnant fourth par Nicolas Iorga durant les quelques moisqu'il a pu consacrer a l'Historiologie, et de la masse, immense dematriaux accumuls rien que pour la prhistoire et les empiresd'Orient par celui que des critiques sans scrupules se sont empres-ses d'accuser d'information superficielle et de gnralisations hAtives.On pourra egalement se rendre compte que jamais encore l'auteur detant d'ceuvres remarquables n'avait ete aussi maitre de son savoiret de sa plume, et que ce dont,nous avons t privs par sa brutaledisparition ce n'est pas un livre comme on en lit tous les jours,mais, comme on l'a dit avec raison, la plus vaste et peut-trela dernire histoire universelle crite par un seul homme *1).

    Cette histoire ou plutt cette historiologie, puisqu'ainsi quenous allons le voir, entre un terme et l'autre ii y a cette differenceque l'histoire e dit tout ce que l'on sait, pour le dire , tandis quel'historiologie ne s'arrte, pour les commenter, que sur les faitsexpressifs ne devait pas, au demeurant, surpasser les histoires-dj existantes ni par l'abondance de l'information, ni par la rigueurde la critique. L'une et l'autre tant sous-entendues, ce par quoi

    1) M. Berza, dans la Rev. hist. du Sud-Est europ., XX, 1943, p. 22.

    o

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  • UNE CEUVRE INEDITE DE N. IORGA 27

    son auteur se proposait de se distinguer de ses devanciers c'est, enpremier lieu, une selection dans la masse des faits politiques etculturels, ensuite la maniere de les mettre en ceuvre, a son tour su-bordonnee a des considerations tantt logiques et tantat artisti-ques.

    Pour ce qui est de la selection, s'il va de soi que tout ne sauraitentrer dans une synthese digne de ce nom, il n'en est pas moins int-ressant d'apprendre qu'une distinction tres nette allait tre observeentre les evnements, suivant la man1ere dont ils collaborent acrer ( cette grande chose, la plus grande de toutes, qui est la viehumaine *. De tous ces vnements, dont le nombre est conside-rable, lit-on, a ce propos, dans la Preface publie par M.13Anescu, seuls doivent etre retenus ceux qui sont caractristiques,et meme ceux-la doivent tre rapproches comme se sont efforcsde le faire un Heinrich Gelzer, un gdouard Meyer 6 des vene-ments correspondants a d'autres poques, chez d'autres groupeshumains *1).

    Brievement exprime, nous retrouvons ici l'ide formulee parN. Iorga avec plus de details dans la preface de l'Essai de synthesede l'histoire de l'humanite, a savoir qu'tant donne runite a traversl'espace et le temps de toute vie historique, ainsi qua l'identitde certaines situations constates parfois a de longs intervalles,lorsque des informations viennent a manquer (( pour une poque,pour un territoire, pour un groupe de faits *, il nous faut les chercherailleurs, 4 souvent a une trs grande distance chronologique *.Seulement, tient-il a ajouter, et cette reserve en dit long sur lesinconvenients d'une mthode plus facile a prconiser qu' appliquer,4 pour reconnaitre le fait correspondant, il faut d'abord connaitreplus ou moins l'histoire tout entiere, parce que ne pas avoir uneinterpretation quelconque c'est tres dsagrable, mais avoir uneinterpretation fausse, parce qu'on a employe une correspondancequi n'en est pas yhe, c'est encore pire* 2).

    A cette premiere difficult il convient d'ajouter celle decoulantde la subjectivit du choix, ecueil inevitable, mais dont Iorgase montrait pleinement -conseient. 4 11 est evident se hatait-il

    1) Bull. de la section hist., XXII, I, p. 6.1) Essai de synthAse, I, p. VII.

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  • 23 D. M. PIPPIDI

    d'avoVer que cette ceuvre depend troitement de la personnalitde celui qui opere le choix et tablit les rapprochements. Les redettesde travail des sminaires universitaires, dont le but est de fabriquerdes etudes d'une pretendue objectivit, ne servent ici guere. II fautavoir le courage d'entreprendre une ceuvre de ce genre et d'enassumer la responsabilit I 1).

    Un courage intellectuel egal lui tait sans doute ncessaire pourformuler, quant a la mise en ceuvre des matriaux ainsi recueillis,des vues qui ne heurtent pas moins les habitudes invtres et lamaniere traditionnelle d'crire l'histoire. e En repoussant le systemedes divisions et subdivisions qui servent a dbiter par tranchesl'histoire universelle, crivait-il, des 1.916, dans un ouvrage qu'ilm'est deja arrive de citer nous recherchons le ptincipe vital descivilisations et, une fois trouv, nous le suivons dans son develop-pement progressif, cheque element nouveau venant se fixer.., la...on il contribue a influencer la vie de l'humanit *2). Dans la prefacede l'Historiologie, ces claircissements reviennent, avec cl'autresqui servent a en prciser la porte. e Les elements caracteristiques

    y lit-on entrent ensuite dans une construction dynamique. Ilne s'agit rien moins que de la tragedie de cette race humaine, qui necomporte pas seulement des scenes d'exposition, mais encore desactes oa se developpe le conflit. Autour des acteurs, volue unefoule de personnages qui ne disent rien, parce qu'ils n'ont riend'utile a dire. Mais, meme ceux qui parlent au milieu de ces,muets xoucpic np6ao.mx, ne le font que lorsque leurs paroles ouleurs actes font progresser l'action. Il y a parmi eux des coryphes,sur lesquels se concentre l'attention au moment on ils sont ainsiplaces au premier plan. Dans la tragdie athenienne, le murmuredu chceur se fait parfois entendre: c'est lui qui commente et quijuge. L'historien remplit le mme role et il n'a jamais le droit iln'a d'ailleurs meme pas le pouvoir de s'en departir. Enfin, avantle moment de son entre en scene, chaque personnage ioit nous etrepresent autrement que par un simple nom qui ne sortirait uninstant de l'oubli que pour y retomber. Telle est la conceptiondynamique de l'historiologie. Elle s'oppose a la presentation statique,

    1) Bulletin, p. 6.2) Observafii a/e unui nespecialist, p. 53.

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  • UNE CEUVRE INEDITE DE N. IORGA 29

    qui informe sans interesser et qui n'explique qu'au moyen d'arti-fices sans valeur *1).

    # rai aborcl les vnements, confesse-t-il ailleurs lessituations, la psychologie des individus comme s'il en tait questionpour la premiere fois. rai cherche a leur parler directement, sansinterprete, et je crois leur avoir ainsi arrach plus d'une fois desparcelles d'un secret qui, dans son integralite, ne sera jamais rvlea personne. S'il m'est arrive de m'arrter a une opinion courante,je l'ai renouvele par le seul fait d'avoir cherch a dcouvrir en ellequelque chose de nouveau. S'il n'en avait pas et ainsi, je ne meserais mme pas donne la peine d'ecrire cet ouvrage, car apres avoirlu tant de livres crits par d'autres, a.pres en avoir tant crit moi-mme, j'en suis arrive a epi-ouver le degait et mme la terreur dulivre inutile * 2).

  • 30 D. M. PIPPIDI

    talent potique, afin de me rapprocher davantage de lavrit *1).

    Cette derniere phrase mrite d'tre mditee. Comme en un rac-courci saisissant, elle renferme l'experience de toute une vie vouea l'tude comme a une religion, brutalement tronque avant de s'enetre departie. Commence, il y a cinquante ans, sous le signe du(4 scientisme* le plus rigoureux auquel l'investigation du passe aitjamais atteint, a l'Ecole Pratique des Hautes Etudes de Paris,l'activite de Nicolas Iorga s'achve sur cette invocation a la posie,que Michelet n'aurait pas desavouee et qui est a la fois un aveuet un enseignement. L'aveu, c'est qu'en poursuivant les recherchesd'archives les plus ankles et les plus tendues auxquelles un histo-rien se soit de nos jours astreint, son Arne n'a cess de vibrer aucontact de tout ce qui est beau et grand, son humanit d'approcheravec une sympathie sans cesse renouvele les manifestations de(4 cet etre feroce, violent, brutal, noble, paisible, de cet etre tareet pur, qui a nom nous-mmes *2). Quant a l'enseignement, il estcontenu dans ce qui precede, j'entends que, ce faisant, commel'a si bien dit M. Br5.tianu, (< Nicolas Iorga a reellement rsolu unegrande enigme de l'histoire, qui ne doit pas prendre sa source dansla lettre morte du pass... mais dans les eaux vives de la vie * 3).

    D. M. PIPPIDI

    1) Bulletin, pp. 11-12.2) Ranke, Weltgeschichte, IX2, p. XV.3) Avant-propos a la Ille edition des Generalitati cu privire la studiile isto-

    rice, Bucarest, 1944,

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  • FORMULES D'ORGANISATION DE LA PAIX DANSL'HISTOIRE UNIVERSELLE

    DEUXIEME PARTIE

    V. Le concert europen au siecle des nationalits.VI. Fdration et hirarchie sur le plan mondial.

    essay de dominer l'Europe par lesarmes ; aujourd'hul on doit la convaincre.L'Europe dolt etre unle par le consentementde tous

    Napoleon ler, Memorial de Sainte-Helene.

    V

    LE CONCERT EUROPEEN AU SICLE DES NATIONALITESSur les ruines accumulees par plus de vingt annes de guerres

    continuelles, le congres de Vienne se runit pour reconstruire l'Eu-rope. Le principe de cette reconstruction avait dj t tabli, aumoment du traite conclu avec la monarchie francaise restaure.Inspire par Talleyrand, avec l'appui d'Alexandre ler, il se fondaitsur la lgitimit de la Restauration, et sparant les destines dela France de celles de Napoleon, se maintettait dans les limitesd'une moderation remarquable. Les memes ides devaient triom-pher a Vienne: ce fut l'ceuvre de Talleyrand d'opposer en touteoccasion

  • 32 G. I. BRATIANTJ

    l'ouverture du Congres, ces mots dont la valeur est dsormais ac-guise h toute tentative d'organiser la paix: # et sera faite confor-mement aux principes du droit public *. Ce fut un beau scandale,et l'occasion de quelques brillantes reparties, bien connues dansles annales diplomatiques. A Hardenberg, le reprsentant de laPrusse, qui objectait que

  • ORGANISATION DE LA PAIX 33

    en Europe et d'y organiser la paix. Cette mission devait etre ac-complie SODS l'impulsion mystique d'Alexandre jet., prophte dela paix de l'Europe, selon M-me de Krudener, comme WoodrowWilson allait l'etre, un siecle plus tard, de celle des deux Mondes.Le traite du 26 septembre 1815, conclu par la Russie, l'Autricheet la Prusse ronsiderait les trois monarques # unis par les liens d'unefraternite veritable et indissoluble et comme le seul principe envigueur # celui de se rendre rciproquement service..., de ne seconsidrer tous que comme membres d'une seule nation chr-tienne , en invitant a adherer a cette union toutes les puissancesqui voudraient se conformer aux principes tires des SaintesRcritures.

    C'tait la plutt une profession de foi qu'un acte politique ;mais elle ouvrait la voie au trait du 20 novembre 1815, qui renou-velait entre les trois signataires de la Sainte Alliance et l'Angle-terre, les engagements antrieurs et confirmait leur entente contreles menes rvolutionnaires, en France ou ailleurs. Des reunions# consacres aux grands intrts communs auraient lieu a despoques dtermines, entre les souverains et leurs principaux mi-nistres: c'etait organiser un premier systeme de conferences inter-nationales periodiques, limites a un directoire des principalespuissances europennes, qui s'arrogeaient, dans l'intrt supremede la paix, le droit d'intervenir dans les affaires de tous les autresEtats, qui leur en donneraient l'occasion. Metternich, le chancelierd'Autriche, en devint bientt la cheville ouvrire: sous sa direction,la Sainte Alliance

  • 4 G. I. BRATIANU

    tzar fut oblige de dsavouer l'Htairie grecque, qu'il avait encou-rage secretement. En Allemagne, la reaction triomphait contreles tendances constitutionnelles et librales; enfin le congres deVrone, en 1822, confiait a la France le soin de rtablir l'ordre enEspagne, ce qui fut fait l'annee suivante.

    Mais cet apogee du directoire des puissances alliees devaitmarquer egalement le debut de son dclin. L'Angleterre avait subia contre-cceur l'intervention de la France en Espagne; de plus,Canning remplagait Castlereagh. La' question des colonies espa-gnoles d'Amerique, insurges contre la metropole, touchait de pluspres encore aux intrets britanniques, que les affaires de la Pnin-sule iberique ; ce fut l'occasion d'une entente avec les Etats-Unisde l'Amerique du Nord, qui prirent pour la premiere fois une ini-tiative dans la politique mondiale. Le message du president Monroe,du 2 doembre 1823, affirmait solennellement la volont de n'ad-mettre aucune entremise de puissances europennes pour opprimerles nouveaux Etats du continent amricain. ou disposer de leurdestine en quelque fagon que ce soit. Les Etats-Unis avaient re-connu les nouvelles republiques ; l'Angleterre le fit a son tour enjanvier 1825. Canning pouvait proclamer, avec quelque emphase: rai appele le Nouveau Monde a l'existence pour redresser l'equi-libre de l'Ancien D. En ralit, l'intervention des Etats-Unis avaitarret les progres de la politique ractionnaire et assure tin nouvelessor a l'esprit liberal du siecle ; mais elle avait egalement, en pro-clamant la (( doctrine de Monroe * et l'isolement du continent am-ricain, limit l'organisation hirarchique universelle de la paix,telle que la concevaient les monarques reunis dans les congres eu-ropeens. Metternich le vit bien, qui dplorait o la calamit mondialeque l'Amerique rpublicaine faisait fondre sur le monde *1). C'tait,sur un plan plus restreint, et avec des consequences immdiatesmoins directement sensibles, une prefiguration du refus du Snatde Washington de ratifier, en 1920, la politique du president Wilson.On peut done considerer que la premiere tentative d'tendre a toutle monde habit le principe d'une organisation de la paix, sous ladirection des principales puissances de l'Europe, dans l'esprit d'une

    1) P. B. Potter, Doctrines Antericaines de Droit International, Centre Europende la dotation Carnegie, Bulletin, 1937, no. 1-2, P. 125.

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  • ORGANISATION DE LA PAIX 35

    stabilisation de l'ordre monarchique, a echoue a la suite de l'oppo-sition declare de l'Amrique et de celle, moins ouverte, mais toutaussi efficace, de la politique britannique.

    ** 4

    Il y a dsormais, au cours du XIXe siecle, que l'on a appela bon droit le sicle des nationalits, deux tendances que notreetude doit suivre dans leur developpement parallele: celle des

    .puissances, de maintenir un equilibre statique pour assurer la paix,en s'opposant a toute action novatrice ou rvolutionnaire contrel'ordre tabli et celle des mouvements nationaux qui ne pou-vaient s'accomoder du cadre politique de l'ancien regime, et trou-vaient leur expression dans les aspirations dynamiques des peuplesvers un regime liberal et l'unit nationale. Cependant, le principedu concert europen, pour regler les grandes questions et ecarterou limiter les conflits, devait rester acquis. Il trouva son applica-tion dans l'accord de l'Angleterre, de la France et de la Russiepour soutenir et reconnaitre l'indpendance de la Grece, et dans laconvention des cinq grandes puissances europennes pour con-firmer et garantir l'indpendance et la neutralit de la Belgique.Il est vrai que ce dernier accord fut rendu possible par le fait quela Russie itait occupee a maitriser la revolution polonaise de 1831,tandis que l'Autriche etait embarrasse des agitations revolution-naires en Italie. Le contre-coup de la revolution de 1830 a Paris etde l'avenement de la monarchie censitaire de Louis-Philippe sefaisait sentir dans la politique europenne. II y eut un instant oille systeme de deux coalitions parut dja se dessiner: a l'accordrusso-austro-prussien de Manchengraetz (septembre 1833), qui sem-blait ressusciter la Sainte Alliance, en affirmant le droit des troismonarques de refuser ou d'accorder leur aide a tout souverainqui ferait appel a leur pouvoir, s'opposait la Quadruple Alliancedes Etats occidentaux (Angleterre, France, Espagne et Portugal),d'avril 1834. Palmerston y recherchait des lors un contrepoids al'hegemonie redoutable de Nicolas ler, qui semblait s'tendre atout l'Orient. Mais la crise orientale, dchaine par les conquetes deMohammed Ali et l'tat precaire de l'4 homme malade * qu'taitdevenu l'Empire ottoman, allait retablir a la fois l'quilibre et leconcert des puissances. La convention des Dtroits de 1841, par

    s

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  • 36 G. I. 13IIATIANU

    laquelle la Russie renoncait a ses avantages sur le Bosphore, etla France a toute intervention en Egypte, fut a la fois un suceesde la politique britannique et une nouvelle affirmation de la soli-darite pacifique des principales puissances de l'Europe.

    Elle devait avoir bientert l'occasion de s'affirmer A regard dumouvement des nationalits, qui a marque le sicle de son em-preinte. Mais ce phnomene centrifuge, qui est essentiellement uneveil des particularismes nationaux et des traits clistinctifs de ladiversite des peuples de l'Europe, s'accompagnait d'une tendanceoppose, vers l'organisation universelle, stimule par les progresdes sciences et de la technique. L'epoque qui accentue les divisionsnationales et les differences linguistiques, est aussi celle qui voits'organiser sur un plan toujours plus vaste, le probleme unitairedes nouveaux moyens de transmission et de transport, sur toutel'tendue de la planete. Ces perspectives imprvues encourageaientles faiseurs de projets, et la litterature consacre a l'organisationde la paix connut une floraison nouvelle. On retrouve aux approchesdes annes quarante, la trace de ces preoccupations dans l'ceuvredes ecrivains, meme des potes. Alfred de Musset, qui donnait unerplique, cinglante au t Rhin allemand # de Becker, s'amusait en1838 a tracer, dans le dialogue de Dupont et Durand, le portraitdes nouveaux utopistes, # ruminant de Fourier le reve humanitaire:

    Ce ne seront partout que houilles et bitumes,Trottoirs, masures, champs plantes de bons legumes.Carottes, feves, pois, et qui veut peut jeilner ;Mais nul n'aura du moins le droit de bien diner.Sur deux rayons de fer un chemin magnifiqueDe Paris a Pekin ceindra ma, rpublique.La, cent peuples divers, confondant leur jargon,Feront une Babel d'un colossal wagon.La, de sa roue en feu le coche humanitaireUsera jusqu'dux os les muscles de la terre.Du haut de ce vaisseau les hommes stupfaitsNe verront qu'une -flier de choux et de navets.Le monde sera propre et net comme une cuelle ;L'humanitairerie en fera sa gamelle,Et le globe rase, sans barbe ni cheveux,Comme un grand potiron roulera dans les cieux )).

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  • ORGANISATION DE LA PAIX 37

    Ce rve du Phalanstere universel, confondant classes et nations,donne une impulsion nouvelle, non seulement aux ides socialistes,mais aussi aux theories du pacifisme. Des congres et des liguespour la Paix se runissent, a Londres en 1843, a Paris en 1849, ofiVictor Hugo prechait la reconciliation universelle, a Geneve en1867, sous l'inspiration saint-simonienne de Le Monnier, qui fai-sait paraitre un journal intitule Les Etats-Unis d'Europe. L'inter-nationale ouvrire s'organisait de son ct, et le Mani/este cominu-niste redige en 1847 par Karl Marx et Engels, lancait pour la pre-mire fois la formule: (c Proletaires de tous les pays, unissez-vous )).

    Parallelement se developpaient dans les rapports internatio-naux de nouvelles mthodes, qui tout en restant confines dansun domaine plus restreint, ne manqueraient pas d'influer a leurtour sur l'organisation generale de la paix.

    Le libre-echange, favoris par la politique britannique, faisaittomber les barrires douanieres et fortifiait le principe de la libertdes mers. Des reglements et des conventions se multipliaient, pourassurer les communications rapides, en rapport avec les moyensnouveaux de la vapeur et du tlgraphe. Au congres de Paris en1856, trente-quatre Etats adherent au reglement international dela guerre maritime. L'union postale universelle s'bauche, quiprendra corps avant la fin du siecle (1874). Les grandes agencesd'information: Havas, Wolf, Reuter, sont fondes entre 1835. et1850. Les expositions universelles resserrent les liens de l'conomiedu globe: Londres en 1851, New-York en 1853, Paris en 1855(malgr la guerre de, Crime ). attirent toujours plus de visiteurs etd'chantillons de tous pays: une association internationale taitfonde a cette occasion, en faveur de l'unit des poids et des me-sures. Le reseau des chemins de fer, s'tendant peu a peu a toutel'Europe, rendait ncessaires de nouveaux accords et ajoutait desfils toujour's plus denses a la toile des conditions nouvelles de l'co-nomie et de la politique. (Union des transports de marchandisespar chemin de fer en Europe, 1878).

    Enfin l'usage s'tendait de plus en plus de recourir a la voiepacifique de l'arbitrage, pour regler les conflits entre les Etats.Ces grands proces internationaux etaient soumis a la decision d'unsouverain accept comme arbitre par les deux parties, soit a desjurisconsultes reputes ou meme a des instances juridiques, dont

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  • 38 G. I. BRATIANU

    la competence etait universellement reconnue. Pour la premierefois, un tribunal international .devait etre institue pour juger l'af-faire de l'Alabama, corsaire sudiste de la guerre de Secession ame-ricaine, qui avait &Le l'occasion d'un conflit, prolong pendantplusieurs annes, entre l'Angleterre et les Etats-Unis.

    De toutes ces pratiques nouvelles, l'ide d'une organisationfederative des Etats, qui comprendrait tous les pays du globe troplongtemps diviss et hostiles, prenait un lan qu'elle n'avait plusconnu depuis repoque rvolutionnaire. On en recherche les fon-dements jusque dans rceuvre de Proudhon ; son Principe federatifs'applique non seulement a combattre les exces de la centralisationadministrative dans la vie intrieure des Etats, mais voit dansles federations la formule politique de l'avenir. Ce fderalisme vad'ailleurs de pair, dans la pense proudhonienne aux aspects simultiples, avec une opposition catgorique au principe des natio-nalits 1). Mais ce contraste tait moins paradoxal, si l'on va aufond des choses, qu'il ne peut paraitre a premiere vue. La consti-tution des nations unitaires et autonomes, tape ncessaire de lapolitique du XIXe sicle, suivait une voie diffrente de celle quimenait a une organisation internationale de la paix et des rapportsentre les Etats.

    ** *

    Les venements de 1848 vont achever de dfinir ces tendancesopposes et de separer les camps adverses. La revolution en Franceprenait vite une teinte sociale, qui ne devait s'attenuer qu'apresravenement du regime autoritaire de Louis Napoleon, preface duSecond Empire. Mais l'agitation renouvele des clubs politiquesencourageait les mouvements nationaux en Europe, oil les apprentisrvolutionnaires se mettaient volontiers a l'cole de Paris.La fievre s'tendit ainsi aux Etats de l'Allemagne et de l'Italie,oil l'objectif des mouvements divers tait liberal et national a lafois, a l'Autriche oa Metternich fut renvers avec le principe deconservation, qu'il avait si longtemps dfendu, a la Hongrie, quitentait de regagner l'indpendance, jusqu'aux Principauts rou-

    9 C. Bougl, Socialismes franfais, pp. 158-159.

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  • ORGANISATION DE LA PAIX 39

    maines, veilles a la vie moderne par leur affranchissement cono-mique de l'Empire ottoman.

    Mais a cette vague rvolutionnaire, battant en brache l'ordreeuropen du congres de Vienne et le rgne absolu des monarchies,s'oppose la reaction qui a pour chef incontest l'empereur NicolasIer. Dj, sur cette Europe centrale oft la revolution disputaitson existence, se profilait la grande ombre russe *1). A la tate d'unearme formidable pour l'epoque, de plus d'un demi-million d'hommes,l'autocrate de St. Petersbourg occupe les Principauts, intervienten Galicie, crase la revolution hongroise en marchant au secoursde l'empereur d'Autriche, soutient le roi de Prusse contre ses sujetsrvoltes et encourage les souverains des divers Etats de la Confe-deration germanique a retablir l'ordre, en ecartant toute tendanceconstitutionnelle et librale. Ainsi une hirarchie monarchiquesemblait devoir triompher de l'essai d'un fedralisme rvolu-tionnaire.

    Cependant, le principe de l'equilibre tait trop profondmentancr dans la conscience europeenne, pour permettre la reconsti-tution et cette fois de l'Est a l'Ouest d'une pareille heg-monie. Lorsque le tzar voulut mettre a profit la position dominantequ'il avait acquise, pour soulever la question d'Orient et partagerce qui restait de l'Empire ottoman, le bloc des puissances attachesa l'equilibre se reconstitua contre lui. La France et l'Angleterre,entrainant a leur suite la Sardaigne, l'attaquerent jusqu'en Crimee ;l'Autriche, o etonnant le monde par son ingratitude , contraignaitles armees russes a vacuer les Principauts danubiennes. Le con-gres de Paris, runi err 1856 sous l'egide de Napoleon III, hit uneaffirmation eclatante du concert europen. Les termes du traitede paix furent un modele de moderation et de tact ; on s'efforgaitde ne plus faire de distinction entre vainqueurs et vaincus. Lesdecisions du Congres portent deja l'empreinte d'une organisationde la paix entre les Etats, superieure aux goismes nationaux:neutralisation de la mer Noire, regime international du Danube,motion en faveur de Parbitrage, avant de recourir a la force. Unepremiere concession tait faite a l'esprit nouveau deNnationalits,

    I) Charles H. Pouthas, Dmocraties et Capitalisme (Peuples et Civilisations,XVI). p. 136.

    o

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  • 40 G. L BRATIANU

    a regard des Principauts roumaines, dont le nouveau statut pre-parait l'unite politique.

    La priode qui suivit fut une affirmation continuelle du prin-cipe des nationalits, qui remporta des victoires qu'il est presquesuperflu de rappeler: l'unit italienne, puis l'unit allemande seraliserent dans la decennie 1861-1871. Napoleon III avait tent,en 1863, a l'occasion du soulevement polonais, de regler les difff-rentes questions qui divisaient alors l'Europe, en convoquant unnouveau congres des puissances pour aboutir a une revision gene-rale et pacifique des traits de Vienne. Cet essai devait rester sansrsultat, car il n'avait plus, comme en 1856, les moyens d'influersur la decision des autres Etats europens. L'on doit cependantretenir A l'actif de la conception du temps sur le reglement desaffaires internationales, que les conflits furent limits, et l'Europegarantie contre les suites desastreuses d'une guerre generale etprolongee, telle qu'en donnait l'exemple celle de Secession entreles Etats de la federation amricaine du Nord (1861-1865), ou celledu Paraguay dans l'Amerique du Sud (1864-1870). Les campagnesd'Italie en 1859 et 1866, celles de Boheme et d'Allemagne de cettemme anne, qui mirent aux prises Prussiens et Autrichiens, furentdes conflits localises, d'une dure exceptionnellement courte, abou-tissant A des traits qui respectaient les droits du vaincu. Mmela guerre franco-allemande de 1870-1871, qui fut de toutes celles duXIXe siecle, avec la guerre d'Orient de 1877-1878, une des pluslongues et des plus dures, n'entraina aucun desastre pour la civi-lisation.

    La puissance britannique, toujours en veil, en plein developpe-merit econornique et colonial, assurait non seulement en fait la balance of power o, mais savait maintenir a l'occasion les prin-cipes du droit public. En 1870, elle tait intervenue pour empAcherla Russie de denoncer, par une declaration unilaterale, les clausesdu trait de Paris qui limitaient ses droits de navigation dans lamer Noire: la conference de Londres, qui se runit au debut del'anne suivante, consacra un nouveau reglement, qui tenait comptedes revendications russes, mais du consentement de toutes lespuissances signataires.

    De meme, lorsqu'en 1878, la Russie victorieuse des armes otto-manes avec le concours de l'arme roumaine, voulut imposer le

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  • ORGANISATION DE LA PAIX 41

    traite de San Stefano, la flotte anglaise parut dans les Dtroitset un congras europen, convoqu a Berlin sur l'initiative de Bis-marck, soumit a une revision essentielle le traite en question. LecOncert europen se manifestait une fois de plus, appuy d'unepart sur l'intervention active de la Grande Bretagne (la troisiame,dans l'ordre chronologique, depuis les guerres napoleoniennes, pour

    ...

    maintenir l'equilibre du continent), eautre part sur le systemecontinental elabor par Bismarck Triple Alliance et ententeamicale avec la Russie pour organiser la paix de l'Europe et dumonde sur des bases durables. Le maintien de l'Autriche-Hongriedualiste et son evolution vers une fdration d'Etats nationaux

    a laquelle s'opposait d'ailleurs la tendance magyare a l'hge-monie semblait tre une piece essentielle de cet equilibre 1),dont il dissimulait mal le caractre instable. Cependant, grace acet accord pour le maintien du droit public, comme l'avait dfinijadis Talleyrand, le dynamisme du mouvement des nationalits,mame sous l'impulsion d'une personnalite telle que le Chancelierde fer, n'arriva pas a dechainer des catastrophes generales etparvint a determiner une revision progressive des traits de Vienne,en maintenant pendant trente-iix ans, presque sans exception, cettat de choses sans prcdent et jusqu'ici, hlas, sans lendemain:la paix genrale en Europe. Il n'y eut plus, dans le dernier quartdu XIXe sicle, que des guerres coloniales.

    Le concert europeen ne consistait pas seulement en congresdiplomatiques et en conferences d'ambassadeurs: il intervenaiteffectivement, avec des forces militaires et navales, pour fairerespecter certaines de ses decisions. On tendait ainsi vers uneforme d'action internationale, qui ralisait certains projets desages revolus: on vit les forces franco-anglaises intervenir en Chineen 1860, pour defendre les concessions europennes ; des escadrescombines se livrer a des demonstrations sur les cOtes de l'ngeeet au large de la Crete, pour reduire des insurrections locales. Uneveritable arme internationale, composee de contingents quipspar toutes ks puissances, aux ordres du marchal allemand deWaldersee. vint dlivrer les legations de Pekin, assiegees en 1900

    1) Cf. D. Kosary, Le principe de l'iquilibrc politique et la 7.gion danubienne,Reque d'Histoire Compareie, Budapest, 1944, XXII, p. 101 et suiv.

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  • 42 G. I. BRATIANU

    par la rvolte des Boxers chinois. Les rformes dans l'Empire otto-man et l'autonomie de ses nationalites etaient un sujet permanentde conferences et d'interventions: on verra les Puissances inter-venir plus tard dans le conflit balkanique, s'opposer a l'avance desSerbes vers l'Adriatique, limiter celle des Bulgares vers les D-troits, trancher au profit des Roumains le litige au sujet de la villede Silistrie. II y avait l les elements d'une organisation interna-tionale de la paix, qui tendait a amener les institutions politiquesau niveau du developpement toujours plus rapide de l'conomieet de la technique.

    C'est lk en effet le point principal qu'il nous faudra mettre enevidence. Comme on l'a remarqu avec juste raison, a la fin dumonde antique la technique des moyens de communication et deschanges n'tait pas a la hauteur des formules d'organisation poli-tique ; c'est assurment un des motifs, et non des moindres, de lacrise de la civilisation grco-romaine.

    A la fin du siecle des nationalits, la situation est exactementinverse : ce sont les formules d'organisation politique, qui sont enretard sur les progres incommensurables de la technique. Le con-cert europeen sera dpass de plus en plus par le plan mondial,les formules antiques de federation ou d'hgemonie devront s'adap-ter a l'ge du chemin de fer, du telephone, bientt a celui des avionset de la radio. Les essais ne manqueront pas pour y parvenir:ce sont eux qui composent la trame de l'histoire contemporaine.

    VI

    FEDgRATION ET RIgRARCHIE SUR LE PLAN MONDIAL

    Ils devaient se heurter et c'est le drame de l'histoire contem-poraine a l'opposition croissante des theories autarciques.Celles-ci se dveloppaient depuis quelque temps dj en Allemagne,oa Treitschke ramenait tout a la primaut de l'gtat, qui se confondaitavec la force et le pouvoir (Staat ist Macht). L'expansion colonialetendue a tous les espaces de la plante, offrait de nouveaux themesde rivalit et augmentait l'cart entre les puissances possdantes,dja nanties d'un vaste empire, et celles qui arrivaient tard aupartage des terres et des zones d'influence, pour trouver les posi-

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  • ORGANISATION DE LA PAIX 43

    tions essentielles et les domaines productifs dja occupes par d'au-tres. Des Etats de petite dimension sur le continent europeen,conservaient ainsi, de leur grandeur passe, de vastes possessionsdans d'autres parties du monde le Portugal, la Hollande ; laBelgique avait acquis, grace a l'habilet et l'esprit commercial deLeopold II, un immense domaine dans l'Afrique centrale. D'autrepart, les puissances nouvelles qui avaient realise leur unite natio-nale au XIXe sicle et revendiquaient leur part de- l'conomiedu monde, l'Allemagne et Mahe, en taient a rechercher gur quelpoint du globe planter leur pavillon. La gographie politique setransformera, sous l'empire de ces preoccupations, en une sciencedynamique: la geopolitique.

    La concurrence industrielle se faisait galement sentir tou-jours davantage. Le temps n'etait plus oa l'industrie europenneexploitait a son seul avantage les ressources des autres continents ;le dveloppement gigantesque de la techniqne contemporaine etd'une civilisation quantitative lui crait de redoutables concurrentsdans les pays d'outre-mer. La production en masse et en srie po-sait a la fois le probleme des matires premieres et de leur distri-bution, et celui des revendications d'une classe ouvriere de plus enplus nombreuse, agite par des slogans faciles de politique sociale.La crise la plus grave du monde contemporain devait naitre, dufait de la primaut indiscutable accorde par tous les Etats a laproduction, a la charge vidente et exclusive des consommateurs.

    rsultait de la un tel desequilibre, accentu par l'lvation denouvelles barrires protectionnistes et une sorte de resurrectiondu mercantilisme, que les spcialistes de l'conomie pouvaient ap-pliquer une nouvelle thorie de Malthus a l'cart croissant qu'ilsconstataient entre l'augmentation illimite de la production etle manque de dbouchs pour en couler les ressources. On arrive-rait ainsi en agriculture, au XXe sicle, a des solutions que l'onpourrait A bon droit qualifier de monstrueuses: destruction desstocks que l'on ne peut placer (les chemins de for du Brsil chauf-fant au cafe), limitation des emblavures, arrt de certaines culturesdont on ne peut ecouler les produits, et pour finir, avantages desannes de mauvaise rcolte et de disette pour l'quilibre des prixet le gain du producteur. ,De meme pour l'industrie:

  • G. I. BRATIANU

    conomiste .notoire, se sont accrus suivant une progression geo-mtrique, alors que les consommateurs ne s'accroissaient que sui-vant une progression arithmetique o. C'est bien la loi de Malthus,mais a rebours 1). Dans l'interdependance de plus en_ plus troitede tous les pays et de toutes les nations, le machinisme poussjusqu'a ses dernires limites et la necessit de nourrir les gens dontil determine l'emploi ou le chOmage, creent un probleme des masses,qui envahissent a cette poque troublee, plus qu' aucune autreperiode historique, l'espace de la geographic et le domaine del'action politique et sociale. Plus on avance dans la relation desfaits contemporains, plus se rvle la contradiction tragique desconflits d'intrts et des mthodes appliquees a leur solution. Onne saurait etudier l'organisation de la paix et des formules uti-lises dans ce but, sans tenir compte de cette toile de fond des ra-lits conomiques et sociales de l'poque nouvelle, qui, en compa-raison avec celle qui l'a prcde, nous montre tous les traits carac-tristiques de l'ge de fer, succdant a l'ge d'or.

    Cette revolution, dont le rythme devenait dmesure et catastro-phique, ne manquait pas d'exercer ses effets funestes sur le systmeraisonn de requilibre des puissances et du concert europen. Lapolitique allemande fut la premiere a en ressentir les effets: le

  • ORGANISATION DE LA PAIX 45

    commencaient une course aux armements, sur terre et sur rner,qui absorbait une part toujours plus considerable de leurs bud-gets ; la'paix ne semblait plus reposer que sur cette base, si fragile,de la cr#inte rciproque d'un conflit generalise, rendu plus redou-table que jamais par l'extension du service militaire obligatoireet la mobilisation de tous les hommes et de toutes les ressourcesdans l'ventualit de la guerre.

    . Des perspectives aussi sombres ne pouvaient laisser indiff-rents les protagonistes du pacifisme et meme les chefs des Etatset des gouvernements. Des congres de la paix, runis a Chicago,Anvers et Bruxelles avaient emis des 1893-1895 le vceu de voirs'organiser tine Cour internationale permanente d'arbitrage, dontla competence s'tendrait a tous les litiges entre les Etats 1). En'1899,ce fut le tzar deRussie, Nicolas II, esprit gnereux quoique chime-rique, qui prit l'initiative de convoquer A La Haye les delegusde 26 Etats) pour rechercher les moyens d'organiser la paix. Il etaitillusoire d'esprer un succes total, mais la conference n'en marquepas moins un effort reel pour limiter, sinon pour enrayer tout afait les possibilits de la guerre, que tout le monde redoutait, maisque nul ne se sentait en mesure d'carter absolument. Certainsmoyens nouveaux, qui pouvaient rendre les destructions plus com-pletes et la guerre plus atroce, furent rsolument prohibs, et uneCour permanente d'arbitrage fut institue a La Haye, dont devaientfaire partie des jurisconsultes minents. La tentative d'arriver aune limitation des armements echoua cependant, faute du consen-tement unanime qu'il tait imposgble d'obtenir.

    L'essai devait etre renouvel en 1907, cette fois avec l'appuidu president des Etats-Unis, Theodore Roosevelt, fort du succesde sa mediation dans la guerre russo-japonaise de 1905 ; 44 Etats r-pondaient A cet appel. Dans l'intervalle des deux conferences, pres desoixante traits et conventions d'arbitrage avaient et conclus,ce qui prouvait l'adhesion au principe d'un nombre toujours plusgrand de pays et de nations. Toutefois, les progres que l'on putenregistrer taient plutot de nature formelle. La Cour d'arbitrage

    9 Cf. W. Evans Darby, International Tribunals, Londres, 1897, p. 58 etsuiv.: le projet de reglement pour la procedure arbitrate internationale del'Institut de droit international de la Haye est de 1875.

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  • 46 G. I. BRATIANU

    devint effectivement une institution permanente, et il fut mmequestion, sur la proposition de Leon Bourgeois, de rendre l'arbi-trage obligatoire. Des conventions, au nombre de quatorze, vinrentreglementer severement le droit de la guerre, les prises maritimes,l'attitude a regard des neutres. Mais on ne russit pas a creer, cequ'au fond poursuivaient depuis si longtemps les amis de la paix:le vaste systeme federatif qui aurait runi l'ensemble des Etatsde la plante, en les soumettant aux seules regles du

  • ORGANISATION DE LA PAIX 47

    Sans pousser a l'exces le dterminisme gographique, qui exa-gere parfois a dessein les effets des # facteurs naturels u dans ledestin de l'humanite, il y a lieu de remartper une fois de plus quedepuis les temps antiques et l'opposition de l'empire oriental Ala federation hellenique, la conception hirarchique est le fait desgrands Etats continentaux, tandis que l'idee federative trouve sonappui principal dans les puissances maritimes.

    Mais sur le continent europen, d'autres tendances se manifes-taient. L'expansion de l'Allemagne entrainait vers le Sud-Est sonpartenaire austro-hongrois, si longtemps attach, par sa structuremme, au principe de l'equilibre et de la stabilit des Etats et desfrontires. La politique russe subissait a son tour l'influence dumouvement panslaviste et, apres son chec en Extreme Orient,tentait de regagner le terrain perdu dans la Peninsula balkanique.Dsgrmais les crises vont se succder a des intervalles de plus enplus rapprochs, entrainant toutes les puissances dans la marchefatale vers la guerre. En 1907, un reglement general des questionsen litige, analogue a celui intervenu entre la France et l'Angle-terre, rapproche celle-ci de la Russie. A la Triple-Alliance, qui necompte plus guere que sur le bloc des Puissances Centrales (Alle-magne et Autriche-Hongrie), s'oppose la Triple-Entente, qui des-sine aux extrernites occidentale et orientale de l'Europe Fencer-clement *, que redoutent toujours les dirigeants de la politiqueallemande. L'affaiblissement momentan de la Russie, apres la guerred'Extreme-Orient, vaut a l'Allemagne un succes de prestige dansles crises marocaines, et a son allie des avantages tangibles dansla crise bosniaque de 1908. Mais la politique russe cherche une re-vanche : elle la trouve dans les complications de la question d'Orient,provoques par l'expedition italienne en Lybie et les guerres balka-niques de 1912-1913. Le jeu des alliances et le systme des coali-tions devait dclencher automatiquement une conflagration gene-rale. L'tat des armements, qui avait assure jusque-la la suprioritemilitaire aux Puissances Centrales, devait incliner bientat la balanceen faveur des forces de la Triple-Entente. De ce fait, l'idee d'uneguerre preventive se faisait jour dans les tats-majors ; le baril depoudre n'attendait que l'tincelle, qui jaillit le 28 juin 1914 dans ledrame de Serajevo.

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  • 48 G. I. BRXTIANU

    La premiere guerre mondiale offre d'abord le spectacle d'unebataille- confuse, oft se heurtent les imprialismes. C'est peu a peuque se degagent les donnes de l'antagonisme, qui oppose les Im-priaux, maitres du Centre et du Sud-Est de l'Europe, aux puip-sances librales de l'Occident et a leur alliee autocratique de l'Est.Mais c'est surtout au lendemain de la revolution russe de 1917,qui loigne la Russie de la guerre, en provoquant un changementradical de sa forme de gouvernement, que les conceptions se pr-cisent et s'opposent en un contraste, non seulement d'objectifset d'intrts, mais de theories et d'ides. Le bloc des Empires cen-traux, auquel se sont joints la Bulgarie et l'Empire ottoman, repr-sente clairement un principe de hierarchic, oppose a l'applicationplus etendue du principe des nationalits et dsireux d'assurer al'Europe la domination politique des monarchies ; elles songent arestaurer a leur profit la couronne de Pologne.

    L'alliance de la France, de l'Empire britannique et de l'Italie,a laquelle s'ajoute la redoutable puissance des Etats-Unis d'Ame-rique, soutient la cause des petits pays envahis par leurs adver-saires (Belgique, Serbie) ou decides a poser le probleme de leurunite nationale, au detriment de la mosaique des nationalitsaustro-hongroise (la Roumanie, les Tchques, les Polonais). Ellelutte des lors sous le signe de la federation, propre a l'ideologieanglo-saxonne, qui trouvera dans le president Woodrow Wilson leplus convaincu des prophetes. Dans les deux dernieres annes dela guerre, ce groupement de puissances, qui rallie A sa cause presquetous les Etats de la planete, du Japon et de la Chine aux republi-ques de l'Amerique du Sud, reprsente un principe dmocratiqueet fderatif de l'organisation de la paix, oppose a la notion de corn-mandement qui caracterise le camp imperial. Ainsi, un sicleapres la fin des guerres napoloniennes, les deux formules dontnous aurons a suivre l'volution depuis les temps antiques, s'affron-taient de nouveau dans une formidable melee, dont l'issue s'annon-cait decisive.

    Il convient d'ouvrir ici une courte parenthese. II est curieuxde noter qu'en se dtachant du conflit mondial, par l'effet de sarevolution intrieure, la Russie volue galement vers une formed'organisation federative. Mais c'est la une particularite de la struc-ture intrieure de l'U.R.S.S.; or celle-ci n'intresse notre sujet qu'en

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  • ORGANISATION DE LA PAIX 49

    tout que participant a l'organisation internationale, ce qui n'estpas le cas dans la priode qui suivit directement la premiere guerremondiale.

    La guerre s'achevait, apres un moment critique, marque par lapaix spare conclue a Brest-Litowsk par les Puissances Centralesavec le regime sovitique et l'offensive allemande dclanche surle front occidental en mars 1918 par la reprise de plus en plus vi-goureuse des contre-attaques allies, l'croulement du front deMacedoine, puis du front italien, aboutissant, apres la capitulationbulgare et la dissolution de la monarchie austro-hongroise, a l'ar-mistice du 11 novembre. Les Empires s'taient effondres ; des Etatsnationaux se partageaient le territoire de l'Autriche-Hongrie. Lesunites roumaine et yougoslave s'achevaient; la Pologne renais-sait de ses cendres ; un Etat nouveau, la Tchcoslovaquie, se sub-stituait a l'ancien royaume de Boheme et de Moravie. La Hongriese rduisait a un territoire de peuplement magyare, et l'Autrichedemeu.rait un Etat de langue allemande au statut indfini, hesitantentre les tendances a l'unit, qui auraient pu l'absorber, au lende-main de la chute des Habsbourg, et la volont des puissances vic-torieuses, qui encourageaient son particularisme pour la maintenirindpenclante. Avec ce nouveau groupement d'Etats et une Alle-magne puise par sa dfaite, convertie au regime rpublicain etaux idees democratiques, l'institution d'une federation en Europesemblait tre la solution indique. Le Congres de la Paix, qui auraita prendre les decisions les plus importantes apres celui de Vienne,trouvait la une ample matiere a ses deliberations et ses travaux.

    Tout comme a Vienne d'ailleurs, apres la chute de Napoleon,une mystique, qui prsentait de frappantes analogies avec celled'Alexandre Ier, assumait la direction d'une rforme generale desrelations entre les Etats. Elle tait le fait de Woodrow Wilson, dontl'idalisme avait fait le prophte de la paix et de la justice. Par laposition qu'il avait maintenue, en associant * les Etats-Unis ala guerre, sans les !neer toutefois aux alliances europeennes, ilgardait un role d'arbitre dans le reglement final de ce conflit sansprecedent. Les quatorze points dans lesquels il avait formule, le 8janvier 1918, son programme de la paix, qui s'imposait par la vic-toire a tous les allies, prvoyaient, en dehors des clauses territo-riales qui s'accomplissaient en fait, la suppression dans toute la

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  • 50 G. I. BRATIANU

    mesure possible * des barrieres conomiques, la libert des mers,la reduction des armements et l'institution d'une Societe des Nations,destine a garantir l'indpendance et l'intgrit territoriale de tousles Etats. Cette conception, qualifiee d'* americaine * autant qued'idaliste 1), devait se heurter a de nombreux obstacles. En effet,la libert de navigation sur mer, en toutes circonstances, inqui-tait l'Angleterre ; l'intention de ne pas rendre l'Allemagne vaincueresponsable de la guerre, si elle se dbarassait de son militarismeprovoquant, inquitait la France, qui n'y trouvait pas de garan-ties suffisantes ; enfin le droit des peuples a disposer d'eux-mmes,et le trace des frontieres

  • ORGANISATION DE LA PAIX bl

    simplifier les travaux de la Conference, rpartis entre d'innom-brables commissions et sous-commissions, et viter les clats desreunions plnieres, a concentrer les decisions importantes auxmains du conseil des e Quatre Grands * (the Big Four), qui aufond se rduisaient a Trois: Wilson, Clemenceau et Lloyd George, lerepresentant de l'Italie s'occupant surtout des intrets de sonpays. Une division nouvelle $e faisait entre les Etats, partages endeux categories bien inegales: les Grandes Puissances, qui domi-naient la Conference par le nombre de leurs delegues (chaqueDominion de l'Empire britannique etait reprsent sparement,sans compter l'Inde) et tout le poids de leur primaut politique etmilitaire ; les puissances e a interts limites *, qui devaient la plupartdu temps se plier aux decisions des autres. Au principe de la fcle-ration, qui tait celui de la Societe des Nations, se substituait unorgane essentiellement hidrarchique, rappelant les directoires res-treints de la Sainte Alliance et du concert europen. Ainis la par-tique s'opposait, de toutes les forces de la routine et de l'intret,aux theories novatrices et gnereuses de l'organisation de la paix.

    Les esprits clairvoyants s'en rendaient pleinement compte ; lepremier dlegue de la Roumanie notait, le soir du 7 mai 1919, apresavoir pris connaissance des conditions du trait avec l'Allemagne,qui devait etre sign le 28 juin a Versailles: e la paix est a la foistrop dure et trop faible: elle impose des conditions napoleoni-ennes et veut les executer avec des moyens wilsoniens. Elle retran-che toute possibilit d'expansion conomique a un peuple de 80millions, mais contre l'explosion provoque par une semblablecompression, elle prvoit, au lieu el'une ceinture de fer, les guirlan-des de la Societe des Nations >>. En attendant la constitution decelle-ci, le Conseil des Grandes Puissances faisait la loi a l'univers,en l'absence de l'Allemagne vaincue, et de la Russie secoue parla fievre rvolutionnaire et les exces de la guerre civile.

    Pour comble, l'organisation de la Paix, dj affaiblie plus qu'rnoiti par les compromis successifs imposes aux principes de Wilson,devait encore recevoir un coup, dont elle ne pourrait plus se relever.La politique wilsonienne n'avait pas tenu compte d'un etat d'es-prit specifique des citoyens de la plus grande republique fdraledu Nouveau Monde. Une tradition de defiance a l'egard des affai-res embrouillees de l'Europe, et de maintien de l'attitude isola-

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  • 52 G. I. BRATIANU

    tionniste, qui ressortait de la doctrine de Monroe, n'avait pas cessede s'y manifester. La tradition en remontait au fondateur, a Wa-shington lui-mme, qui avait dit, en quittant le pouvoir prsiden-tiel en 1797: e Notre grande regle de conduite a l'egard des nationstrangeres, c'est, tout en tendant nos relations commerciales, den'avoir avec elles qu'aussi peu de liens politiques que possible...L'Europe possede une srie d'intrts primordiaux qui ne nousconcernent que tres peu ou mme pas du tout. II s'ensuit qu'ellesera frequemment engage dans des differends dont les causessont trangeres a nos affaires. D'ofi la sagesse, pour nous, consis-tera a ne pas nous laisser attirer par des liens artificiels dans lesvicissitudes habituelles de sa politique, ni dans les combinaisonset dans les conflits habituels de ses amities ou de ses aversions )) 1).Ce legs avait ete renforc par la suite, par le message de Monroe,dont la lettre semblait egalement s'opposer a toute immixtiondans les affaires des autres continents, pour mietrx conserver lalibert des Etats amricains. La constitution tres rigide des Etats-Unis exigeait une majorit de deux tiers au Senat, pour' ratifier lapolitique du President ; Wilson ne put l'obtenir et laissa dans cettelutte surhumaine la sante et la vie. On vit alors s'accomplir ce faitinoul, si lourd de consequences: le rejet par le Snat amricain duprojet d'organisation de la paix wilsonienne. Mais plus encore queee vote, l'lection du president Harding, en 1920, acheva de pre-ciser l'attitude de la politique americaine. Sa premiere declarationaux journalistes, le soir meme de son election, fut pour constaterque e la Societe de Nations est morte, et personne ne semble s'ensoucier 2). Le Dpartement d'Etat ignora la creation wilsonienne,condamna la Societe des Nations telle qu'elle s'tait constitue,et refusa meme d'accuser reception de la correspondance qui luitait adressee par le Secretariat General de Geneve. C'etait retirer al'essai de realiser enfin une organisation federative de la paix, un deses fondements principaux.

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    II restait la solidarit des puissances victorieuses de l'Europe(avec le Japon), garantie bien precaire du nouvel ordre interna-

    1) P. B. Potter, Doctrines amricaines de Droit International, p. 107.I) Ibid., p. 53 et euiv.

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  • ORGANISATION DE LA PAIX 53

    tional. L'epoque d'apres guerre, que nous pouvons appeler aujour-d'hui de son vrai nom: l'entre-deux-guerres, devait marquer Anouveau l'cart entre la theorie et la ralit. La Societe des Nationsse constituait, 41 Etats apportaient leur adhesion a la premiereassemblee de Geneve ; leur nombre devait s'elever a 63 -e n 1935.Mais elle etait des le debut paialyse dans son action principale,qui tait aussi sa raison d'4re: celle d'tablir un regime obliga-toire de paix et de conciliation, pour toutes les nations qui y pre-naient part. Deja le fait que les Etats-Unis et la Russie n'en fai-saient pas partie lui enlevait beaucoup de ses moyens. La reglede l'unanimite pour l'adoption des decisions importantes se rv-lait aussi fatale, que le liberum veto des dietes polonaises. L'inter-vention de la S. D. N. dans les conflits entre les Etats ne pouvaitaboutir qu'a un chec retentissant ; elle ne put enregistrer un succesqu' l'occasion .des incidents de frontire entre la Grece et la Bul-garie, en 1925 ! Le fait avait du reste t prevu, et la definition lameilleure reste celle que donnait; des 1919, dans cette forme humo-ristique qui lui est propre, M. Winston Churchill: # La S. D. N.?Voici comment elle procdera. Des conflits d'une gravit telle qu'onpuisse craindre une guerre ayant surgi entre deux pays, le Conseilde la S. D. N. se runit d'urgence. Apres de nombreuses delibe-rations, il decide d'envoyer aux gouvernements respectifs des deuxpays, un tlegramme d'avertissement. Les deux pays continuenta se menacer. La guerre est imminente. Le Conseil se runit denouveau d'urgence et apres de longues deliberations, decide d'en-voyer aux gouvernements des deux pays un autre tlgramme,dans lequel se rfrant au premier, il ordonne le desarmementimmdiat. Les deux pays n'en tiennent pas compte. Les hostilitssont ouvertes. La guerre fait rage. Le Conseil de la S. D. N. serunit a nouveau d'urgence et apres de longues deliberations, de-cide d'envoyer aux gouvernements des deux pays un troisimetlgramme: # Me referant a mon preinier et a mon second tl-gramme, je vous informe que, si vous ne cessez pas immdiatementla guerre, je declare que ... je ne vous enverrai plus aucun tl-gramme ! >> 1) Hlas, la ralite devait tre bien souvent conformea cette prediction de l'homme d'Etat britannique. De plus, jouant

    1) Aldovrandi Marescotti, Guerre diplornatique, Paris, 1939, p. 163-164.

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  • 54 G. I. BRATIAlit

    du texte dulcor des articles du Pacte, une nouvelle mthodeallait etre inventee, qui consistait a se faire la guerre, sans la de-clarer officiellement. Ainsi les apparences taient sauves, sansempcher pour cela des conflits violents de se dchainer ; en Ame-rique du Sud, en 1932, la Bolivie dclarait encore la guerre auParaguay (guerre du Chaco), mais entre la Chine et le Japon, enMandchourie, ou !name a Shanghai, il n'y eut pas de guerre offi-cielle. Des essais furent faits a plusieurs reprises, de renforcer lemcanisme de la scurit collective, sur lesquels nous aurons arevenir. Le projet Tardieu pour la creation d'une force interna-tionale d'aviation n'eut pas de suite. Le seul rsultat vraimenttangible des assembles periodiques et du contact permanent desrepresentants de tant de pays divers a t de faciliter la cooperationinternationale dans beaucoup de domaines (hygiene, travail, congresscientifiques), d'apporter une aide relle a certains pays prouvspar les suites de la guerre (assistance financiere, transferts de po-pulation, secours medical) et de crer une mentalite internkionale,qui faisait dire a l'un des chefs du national-socialisme qu'un di-plomate allemand, ayant pass par Geneve, tait, dnutilisable pourla politique de son pays 0 (total unbrauchbar far deutsche Politik 0.

    Mais pendant que la theorie de la paix continuait a s'laborerdans les joutes oratoires des assembles et des conseils de la S.D.N.,la pratique des affaires internationales retournait aux mthodesbien connues de l'quilibre des puissances et du jeu sculaire deleurs intrts. Une periode de conferences suivit les traits de paix,contre-partie exacte de celles qui firent suite au congres de Vienne.De 1920 a 1923, les chefs des gouvernements allies et leurs princi-paux collaborateurs parcoururent l'Europe, se reunissant soit dansdes capitales, soit dans des stations thermales ou balneaires pourtraiter de l'application des traits, dont mainte clause se rvlaitinapplicable. On les vit successivement a Paris, a Londres, a San-Remo, a Hythe, Boulogne, Bruxelles et Spa, a Hythe encore, aCannes. Au printemps de 1922, une grande conference pour leredressement conomique de l'Europe appela pour la premiere foisles delegues de l'Allemagne et de l'Union Sovitique a y siegerensemble, a dote des reprsentants des puissances alliees. Ils leurreservaient la surprise desagrable du trait de Rapallo, qui dres-sait soudain, devant les beati possidentes de l'Europe nouvelle, le

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  • ORGANISATION DE LA PAIX 55

    fan-Vane d'une entente russo-allemande contre l'ordre tabli. Maiscette menace ne devait pas resserrer, plus que de raison, les liensdj relches de la solidarit des vainqueurs de la guerre. Heureuxcle s'tre entendus a Washington, en novembre 1921, avec les Etats-'Nis et le Japon, hors de toute influence de la Societe des Nations,au sujet des armements maritimes et de la proportion des flottesclans le Pacifique, les gouvernements de Paris et de Londres repre-naient sur la vieille terre d'Europe leur liberte d'action. La France,sous la direction nergique de Poincar, faisait valoir ses droitsaux reparations a l'egard de l'Allemagne, avec une persistance d'huis-sier, et procedait avec clat a l'occupation de la Ruhr. Elle soute-nait d'autre part, en Europe Centrale et Orientale, le bloc desjeunes Etats de la Petite Entente et de la Pologne, et tentait deremplacer, par ces alliances continentales, la garantie que lui refu-saient les puissances anglo-saxonnes.

    Car l'Angleterre tait revenue, avec non moins de celrit, auprincipe prouv d'une balance of power. L'Allemagne vaincue, et deplus dmocratique, n'etait plus a craindre, mais une hgmonieeuropenne de la France, seule puissance militaire de premier ordredu continent, ne convenait pas a la politique traditionnelle d'equi-libre des cabinets britanniques. Nous verrons ces;tendances contrai-res s'affronter dans le Proche Orient, soutenir les camps adversesdes Tures et des Grecs et aboutir ainsi, par un retour bien curieuxdes choses d'ici-bas, a la premiere revision essentielle des traitsqui fut la conference de Lausanne, oi fut rsolue une fois de plus,en 1923, l'eternelle question des Dtroits.

    II fallait trouver un nouveau point d'appui a l'equilibre chan-celant de la politique europenne. L'Italie, sortant de l'anarchiedans laquelle l'avait plongee la fin de la guerre, se manifestait,sous la direction de Mussolini, comme une puissance dynamiqueet bombardait Corfou, pour mieux faire entendre sa voix dans leconcert international. En Allemagne, le putsch de Munich avaitchou, mais un mouvement nationaliste contre ce que l'on appe-lait le diktat de Versailles pouvait reprendre a tout instant un nou-vel essor. La politique francaise avait change de mains, et AristideBriand, pacifiste convaincu, tentait un rapprochement avec l'Alle-magne de Stresemann. On aboutit au pacte de Locarno (octobre1925), qui substituait

  • 56 G. I. BRATIANU

    un trait de garantie mutuelle entre l'Allemagne, la Belgique, faFrance, la Grande Bretagne et Mahe. II ,y avait un progres surles traits de 1919, du fait que l'Allemagne acceptait cette foislibrement ses nouvelles frontires occidentales et s'engageait a n,plus recourir a la guerre. Des traits furent conclus ensuite par laFrance, seule, avec la Pologne et la Tchecoslovaquie. Mais en ra-lite, et l'on devait bien s'en apercevoir par la suite, Locarno mar-quait un Tecul pour l'organisation de la paix, qui avait cess d'treuniverselle, depuis le refus de l'Amerique d'accepter la S. D. N.,et qui cessait maintenant d'etre europenne, pour restreindre sonsysteme de garantie a la moiti occidentale du continent. Le pre-mier ministre britannique, Stanley Baldwin, pourra dire quelquesannes plus tard, que les frontires anglaises sont au Rhin ; il fal-lait d'ores et deja sous-entendre qu'elles ne s'tendaient pas audela. Ainsi les retraites successives des puissances anglo-saxonnesont ebranle les fondements de la paix, avant meme qu'elle ne filtmenace par les forces qui avaient intrt a la renverser. La Francerestait desormais le seul garant reel de l'ordre etabli par les traitsen Europe orientale, obligation qui de toute evidence dpassaitses forces.

    L'histoire des annes qui suivent est celle d'une longue sried'cfforts pour retrouver ce systme de scurit collective, que lesvainqueurs de 1919 avaient tenu un bref instant entre leurs mains,et qu'ils avaient laiss chapper. L'chec des diffrentes formulesinspires par l'ide federative ramenera fatalement au premierplan des solutions de nature hierarchique, et dressera finalementl'une en face de l'autre de nouvelles coalitions, dans une marche nonmoins fatale vers la guerre generale, que celle qui prcedait 1914. 1).

    G. I. BRATIANU

    1) Nous regrettons de devoir arreter ici notre etude des systmes d'organi-sation de la paix sur le plan mondial. La priode des vingt dernires annes esten effet trop pres de nous, pour qu'il soit possible de porter sur les evnements,leurs causes et leurs effets, un jugement d'ensemble qui ait quelque chance dedure. II y a lieu cependant d'esprer que le retour de la paix, s'il ramene lecalme et la srnit dans les esprits, nous permettra d'achever la publicationde ce travail, sans aucune atteinte a l'objectivit qui doit en demeurer lecaractere essentiel.

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  • ROME EP BYZANCE

    QUEL QUES CON SIDRRATIONSSUR LA (4 RENAISSANCE # DES ARTS PLASTIQUES

    A L'RPO QUE D'HADRIENLes archeologues sont tous d'accord pour considrer certain s,

    monuments d'art plastique, executes au debut du He siecle aprescomme etant le reflet d'un retour vers l'art classique. Ch.

    Picard. 1) et G. Rodenwaldt 2), E. Strong 3) et P. Ducati 4) pourne citer que quelques-uns parmi les plus illustres representants denotre discipline ont reserve une large part dans leurs ceuvresde synthese a ce revirement de l'idal et des formules classiques,bien que leurs opinions ne concordent pas toujours an sujet de ladate ou mme de certain s elements de style de ces monuments.Parallelement au dveloppement similaire de la littrature grecquedans son acception la plus large, l'art plastique du He sicle apresJ.-C. connait, surtout a l'poque d'Hadrien, une nouvelle efflorescencea laquelle l'on n'a pas hsit parfois de donner le nom quelque peupretentieux de renaissance *. (( Renaissance sans lendemain 0, pourrpeter une formule de S. Reinach, serait sans doute plus juste. IIn'en est pas moins vrai que dans l'histoire de l'art ancien, ce momentmerite pleinement l'attention qui lui fut accordee dans les recherchesarchologiques de ces derniers temps.

    Il est vrai par ailleurs que cds recherches ont surtout pris enconsideration les monuments romains proprement dits. Y a-t-il lieude penser a une attention particuliere accordee a la productionartistique romaine ? Le fait est que, tandis que les decouvertes isoles

    1) La sculpture antique. II. De Phidias a l' ire byzantine, Paris, 1926, pp. 423-24.2) Die Kunst der Antike, Propylden-Kunstgeschichte, Berlin, 1938, p. 78.5) La scultura romana, II, Firenze, 1926, p. 209.4) L'arte classica, Torino, 1927, p. 664.

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  • 8 EM. CONDURACIU

    et les fouilles systmatiques ont beaucoup elargi l'horizon de nosconnaissances au sujet des monuments de Rome, elles sont infi-niment moins nombreuses et presentent plus de lacunes au sujetde ceux de l'Orient grec. Les fouilles que l'on y a pratiques depuisquelques dizaines d'annees ont parfois, il est vrai, renverse lesdonnes du probleme.

    Nous possdons, en effet, a l'heure actuelle certains elementsqui nous obligent a chercher non seulement a Rome, mais aussi,sinon surtout, ailleurs les precedents de ce retour vers le pass quieut lieu au debut du He sicle apres J.-C. Par ailleurs, dans laproduction romaine elle-mme, ce phenomene peut etre poursuivi,bien que d'une maniere assez intermittente, longtemps avant l'-poque d'Hadrien. Le fait ne saurait sans doute nous surprendre.L'intelligence et la passion pour la production de l'esprit grec decet enthousiaste dilettante ont, certes, contribue et dans une largemesure a la faveur chaque jour plus grande que connut l'art greca une poque qu'on n'a pas hesit d'appeler # l'epoque d'Ha-drien*. Il n'en est pas moins vrai qu'Hadrien lui-meme n'taitque l'homme de son temps et qu'en fait d'art il ne pouvait donnerplus qu'il n'en avait regu.

    Il est d'ailleurs suggestif pour la conception archeologique denotre temps que dans les deux dernieres ceuvres de synthese quenous devons a Ch. Picard et a G. Rodenwaldt, une place beaucoupplus large qu'auparavant est reserve a l'activit des ateliers deGrece et d'Asie Mineure. Notre modeste contribution ne fera queconfirmer une fois de plus cette orientation des recherches, touten rouvrant les dbats sur la genese de ce retour vers le classicismequi reprsente le trait saillant de l'art plastique grec du debut duHe sicle apres J.-C.

    Ce qui nous proccupe avant tout ce ne sont pas les monumentsromains de l'epoque d'Hadrien ou des autres Antonins qui lui ontsuccd. A leur egard, l'accord plus ou moins complet s'est djfait entre les archeologues. Les magnifiques mdaillons en marbre,remployes par l'architecte de l'arc de triomphe de Constantin etqui dcoraient autrefois un monument cynegtique d'Hadrien 1); les

    1) Parmi les nombreuses etudes dclies it ces sculptures, il suffit de citercelle de H. Bulle, Ein Jagddenkmal des Kaisers Hadrians, dans Jahrbuch d.d. arch. Inst., 1919, pp. 144-172.

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  • LES ARTS PLASTIQUES A L'130QUE D'HADRIEN 59

    beaux reliefs conserves aujourd'hui au Palais des Conservateurs aRome et qui representent le mme empereur dans quelques momentssolennels de sa vie 1); le fragment de relief de la collection Chatsworth,si suggestif par sa composition et par le dgagement attique despersonnages 2) ; la tete de Dionysos provenant de la villa d'Hadriena Tivoli 8) et dont le prototype grec, bien que difficile a prciser,n'en est pas moins certain ; la statue de Semo Sancus des collectionsdu Vatican, rappelant le type archaique d'Apollon attribu a Ca-nachos 4); toutes ces ceuvres ont t frequemment reproduites etlargement commentes. Point n'est donc besoin que nous nous yarretions a notre tour. Ce retour vers les formules de l'art plastiquede l'epoque classique est d'autant plus evident dans les nombreusesvariantes du type d'Antinoos dont les traits, imprgnes d'une pro-,fonde mlancolie, refletent dans leur expression plastique le mmescepticisme qui caractrise sur le plan philosophique et religieuxcette fin de grande poque. La tete, legerement effemine, d'Anti-noos Mondragone du Louvre rappelle les traits phidiaques d'AthenaLemnia 5); Antinoos-Silvain, decouvert a Torre del Padiglione, ceu-vre signee par An