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ÉTUDE FISCAL 1257 Page 41 LA SEMAINE JURIDIQUE - NOTARIALE ET IMMOBILIÈRE - N° 44-45 - 1 ER NOVEMBRE 2013 L Étude rédigée par Benoît Morel et Jacques Collombier INVESTISSEMENT IMMOBILIER Le choix du « bon » investissement locatif se révèle déjà complexe, mais si l’on considère qu’un simple choix fiscal peut en diminuer la rentabilité par deux ou peut imposer un effort d’épargne double il est urgent de s’interroger ! Depuis le 1 er septembre dernier, date d’entrée en vigueur de la dernière réforme des plus- values immobilières des particuliers 1 , faut-il privilégier ce régime d’imposition ou se réfugier derrière l’impôt sur les sociétés pour réaliser ses investissements locatifs ? 1 - La loi fiscale recherche un difficile équilibre pour maximiser les rentrées fiscales sans étouffer l’activité économique. Le domaine de l’imposition des plus-va- lues immobilières est révélateur de l’approche casuis- tique des gouvernements successifs. Le balancier fiscal produit des ajustements fréquents qui sont contraires à 1257 Benoît Morel est notaire, et Jacques Collom- bier est gérant du cabinet LBA (spécialiste en protection sociale et rémunération du dirigeant) Investissement locatif : économiser de la trésorerie ou maximiser la plus-value ? 1 Le projet de loi de finances pour 2014 a été présenté le 25 sep- tembre dernier et il poursuit deux objectifs affirmés par le ministre de l’Économie : « stimuler la croissance et dynamiser l’emploi ». Un amendement déposé par M. Christian Eckert en- visageait de modifier le mécanisme de l’abattement pour durée de détention applicable depuis le 1er septembre 2013 dans l’op- tique d’aligner l’abattement pour durée de détention applicable en matière de prélèvement sociaux sur celui applicable à l’im- pôt sur le revenu en le limitant à 22 ans. La mauvaise surprise résidait dans l’instauration d’un plafond d’abattement de 28 % au bout de 22 ans à la place d’un abattement intégral au bout de 30 ans. L’Assemblée nationale n’a finalement pas repris cet amendement lors du vote du 21 octobre dernier. Néanmoins, un groupe de travail va être constitué pour approfondir cette question pendant la navette parlementaire.

Investissement locatif economiser de la tresorerie ou maximiser la plus value par me benoit morel notaire

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ÉTUDE fiscal

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Page 41La Semaine Juridique - nOTariaLe eT immOBiLiÈre - n° 44-45 - 1er nOvemBre 2013

LÉtude rédigée par Benoît morel et Jacques Collombier

INVESTISSEMENT IMMOBILIER

Le choix du « bon » investissement locatif se révèle déjà complexe, mais si l’on considère qu’un simple choix fiscal peut en diminuer la rentabilité par deux ou peut imposer un effort d’épargne double il est urgent de s’interroger ! Depuis le 1er septembre dernier, date d’entrée en vigueur de la dernière réforme des plus-values immobilières des particuliers1, faut-il privilégier ce régime d’imposition ou se réfugier derrière l’impôt sur les sociétés pour réaliser ses investissements locatifs ?

1 - La loi fiscale recherche un difficile équilibre pour maximiser les rentrées fiscales sans étouffer l’activité économique. Le domaine de l’imposition des plus-va-lues immobilières est révélateur de l’approche casuis-tique des gouvernements successifs. Le balancier fiscal produit des ajustements fréquents qui sont contraires à

1257

Benoît morel est notaire, et Jacques Collom-bier est gérant du cabinet LBa (spécialiste en protection sociale et rémunération du dirigeant)

investissement locatif : économiser de la trésorerie ou maximiser la plus-value ?

1 Le projet de loi de finances pour 2014 a été présenté le 25 sep-tembre dernier et il poursuit deux objectifs affirmés par le ministre de l’Économie : « stimuler la croissance et dynamiser l’emploi ». Un amendement déposé par M. Christian Eckert en-visageait de modifier le mécanisme de l’abattement pour durée de détention applicable depuis le 1er septembre 2013 dans l’op-tique d’aligner l’abattement pour durée de détention applicable en matière de prélèvement sociaux sur celui applicable à l’im-pôt sur le revenu en le limitant à 22 ans. La mauvaise surprise résidait dans l’instauration d’un plafond d’abattement de 28 % au bout de 22 ans à la place d’un abattement intégral au bout de 30 ans. L’Assemblée nationale n’a finalement pas repris cet amendement lors du vote du 21 octobre dernier. Néanmoins, un groupe de travail va être constitué pour approfondir cette question pendant la navette parlementaire.

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la sécurité fiscale, sur laquelle repose nécessairement l’investis-sement. Les professionnels et les investisseurs doivent s’adapter à ces évolutions et amender leurs habitudes praticiennes.

2 - Si l’emplacement demeure le critère premier pour défi-nir l’opportunité d’un investissement immobilier, la prise en compte de la fiscalité se révèle également déterminante. Les simulations établies révèlent que la même opération peut voir son rendement net final passer du simple au double selon l’op-tion fiscale choisie…

3 - La complexité de la fiscalité ainsi que les particularités inhé-rentes à chaque projet immobilier interdisent de définir catégo-riquement la « solution miracle » adaptée à toutes les hypothèses. Seule une analyse circonstanciée et une simulation précise des flux financiers permettront de définir la stratégie idoine. Il n’en demeure pas moins important de comprendre les mécanismes qui sous-tendent une option fiscale et d’appréhender les règles fiscales actuelles. Dans cette optique, il est légitime de s’inter-roger (toujours) sur les évolutions futures et de phosphorer sur des exemples concrets d’investissements immobiliers.

4 - Après avoir explicité la réforme de l’imposition des plus-values immobilières des particuliers (1), il conviendra de la comparer à l’option pour l’imposition au titre de l’impôt sur les sociétés (2). De salutaires exemples permettent de dégager les lignes directrices d’une option fiscale (3) avant de s’aventurer à un peu de prospective législative (4).

1. La nouvelle mansuétude fiscale en matière de plus-values immobilières des particuliers

5 - L’imposition des plus-values immobilières repose sur le calcul de la différence entre le prix de vente d’un immeuble et son prix de revient. La plus-value brute ainsi obtenue est retrai-tée par application d’un abattement proportionnel à la durée de détention de l’actif immobilier. Un tel abattement se justi-fie pour la prise en compte du caractère non spéculatif de la détention d’un immeuble pendant plus d’une décennie ; un tel abattement se justifie pour éluder une imposition de l’inflation.À compter d’une certaine durée de détention, le principe fiscal veut que la plus-value immobilière soit exonérée totalement d’imposition.

6 - La loi fiscale a récemment fait évoluer cette durée : initia-lement fixée à 22 années, elle a été ramenée à quinze années, à compter du 1er janvier 2004, pour être ensuite portée, par la même majorité parlementaire, à trente années, à compter du 1er février 2012, avant d’être fixée, depuis le 1er septembre dernier, à vingt-deux années. La boucle semblerait bouclée si la réforme fiscale n’innovait pas en introduisant un nouvel abattement

pour durée de détention spécifique aux prélèvements sociaux

qui autorise une exonération totale à compter de la 30e année…

7 - Refusant la simplicité, le fiscaliste devra désormais calculer

deux plus-values nettes différentes dont l’une servira d’assiette à

l’impôt sur le revenu et l’autre aux prélèvements sociaux.

Concernant la détermination de l’assiette de l’impôt sur le re-

venu, l’abattement pour durée de détention ne se calcule pas de

manière linéaire : aucun abattement n’est autorisé pendant les

cinq premières années puis un abattement de 6 % s’applique

annuellement de la 6e année à la 21e année et un abattement

de 4 % la 22e année permettent d’atteindre une exonération

totale. Ainsi, à titre d’exemple la vente d’un bien immobilier

après quinze années de détention bénéficiera d’un abattement

de 60 % correspondant à cinq années sans abattement et à dix

années générant un abattement annuel de 6 %.

Concernant la détermination de l’assiette des prélèvements

sociaux, aucun abattement n’est autorisé pendant les cinq pre-

mières années puis un abattement de 1,65 % s’applique annuel-

lement de la 6e année à la 21e année, un abattement de 1,60 %

s’applique pour la 22e année et un abattement de 9 % de la 23e à

la 30e année permettent d’atteindre une exonération totale. Ain-

si, à titre d’exemple la vente d’un bien immobilier après quinze

années de détention bénéficiera d’un abattement de 16,5 % cor-

respondant à 5 années sans abattement et à dix années générant

un abattement annuel de 1,65 %.

2. Les attraits de l’impôt sur les sociétés

8 - En parallèle, le choix d’une structure sociétaire soumise à l’im-

pôt sur les sociétés permettra de réaliser un investissement immo-

bilier locatif au regard d’une fiscalité très différente. Tout d’abord,

les revenus locatifs ne seront pas imposés au titre de revenus fon-

ciers mais seront soumis à l’impôt sur les sociétés au taux de 15 %

puis de 33,33 %. Des amortissements fiscaux seront pratiqués pour

déduire une partie du prix de revient de l’immeuble des revenus

locatifs imposables. Ensuite, lors de la vente de l’immeuble par la

société, la plus-value sera imposée au sein de la société lors de la

clôture de l’exercice et elle ne relèvera nullement de l’imposition

des plus-values immobilières des particuliers.

9 - À court terme, l’avantage de l’impôt sur la société réside

dans la possibilité de pratiquer des amortissements fiscalement

déductibles, mais dans notre hypothèse, il n’offre aucun abatte-

ment pour durée de détention qui viendrait limiter le montant

de la plus-value taxable lors de la vente de l’actif immobilier.

L’absence de prise en compte de la durée de détention pour mi-

norer l’assiette taxable constitue un réel inconvénient qui limi-

tait par le passé l’opportunité d’un tel choix fiscal.

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10 - À long terme, l’avantage des amortissements est arithmé-tiquement effacé par la réintégration de leur montant dans le calcul de la plus-value imposable. L’assiette d’imposition est ainsi constituée par la différence entre le prix de vente et la va-leur nette comptable. Or cette dernière correspond au prix d’ac-quisition minoré des amortissements effectués. Dans l’optique d’un investissement immobilier qui se valorise dans la durée, les amortissements n’autorisent qu’un gain de trésorerie en per-mettant de limiter l’imposition pendant la durée de détention. Lors de la vente de l’investissement, l’avantage de trésorerie sera finalement remboursé à l’administration fiscale.

11 - Après la réalisation finale de l’investissement, la société sou-mise à l’impôt sur les sociétés a vocation à distribuer son résul-tat financier à ses associés. Les dividendes seront alors intégrés dans leur assiette de l’impôt sur le revenu après l’application de l’abattement de 40 % dont l’objet est de compenser l’impôt sur les sociétés déjà acquitté en amont. À compter de leur dis-tribution, le bénéfice de l’investissement entre également dans l’assiette de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus.

12 - Les modalités de détermination de l’abattement pour durée de détention dans le cadre de la période de trente ans se sont révélées être un encouragement à utiliser des sociétés soumises à l’impôt sur les sociétés pour procéder à des investissements immobiliers. L’actuelle dichotomie, entre une durée d’exonération de vingt-deux ans pour l’impôt sur le revenu (actuellement de 19 %) et une durée d’exonération de trente ans pour les prélèvements sociaux (actuellement de 15,5 %), prône-t-elle pour un recours accentué aux structures soumises à l’impôt sur les sociétés ou favorise-t-elle un choix orienté vers la soumission à l’impôt sur le revenu ?

3. L’incidence financière des choix fiscaux

13 - Simulations. - Pour répondre concrètement à cette question claire, différentes simulations ont été établies en partant d’une réflexion autour de deux projets différents :- un investissement locatif dans un immeuble à usage de bu-

reaux d’une valeur de 600 000 € générant un rendement de

8 % et financé par un emprunt au taux de 3 % sur 15 ans qui sera revendu dès la fin du crédit ;

- un investissement locatif dans un appartement locatif d’une valeur de 300 000 € générant un revenu de 3,5 % et financé par un emprunt au taux de 3,20 % sur 20 ans qui sera revendu dès la fin du crédit.

14 - Dans les deux hypothèses retenues, les incidences du choix fiscal ne sont pas négligeables. Dans le premier cas, le gain net de l’investissement varie de 439 636 € en cas d’option pour l’impôt sur le revenu à 333 532 € en cas d’option pour l’impôt sur les sociétés. Dans le deuxième cas, il varie de 146 804 € à 89 062 €.Le régime fiscal mis en place au 1er septembre dernier est donc objectivement plus favorable que l’ancienne réglementation. Il en ressort que l’impôt sur le revenu est désormais très attractif par rapport au choix de l’impôt sur les sociétés.

15 - Concrètement, le choix de l’impôt sur le revenu est tou-jours plus favorable dans les deux hypothèses que nous avons évoquées. Mais il n’en demeure pas moins que l’impôt sur les sociétés serait plus opportun dans l’optique d’un réinvestisse-ment du prix de vente de l’immeuble et donc en l’absence de distribution de dividendes par la société. De même, une aug-mentation du rendement de l’investissement plaide pour une option à l’impôt sur les sociétés.

16 - En parallèle, le besoin de trésorerie est plus faible en cas d’option pour l’impôt sur les sociétés : dans le premier cas, il se limite à 128 818 € au lieu de 352 988 €.

Dans le deuxième cas étudié, la différence est plus faible et le be-soin de trésorerie passe de 288 362 € à 259 861 € en cas d’option pour l’impôt sur les sociétés.

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17 - Le choix de l’impôt sur les sociétés se justifie surtout en cas de trésorerie limitée : un tel schéma permet de limiter les besoins en fonds propres au cours de la période de détention de l’investissement. Corrélativement, le retour sur investis-sement est plus faible. Limiter le besoin de trésorerie permet également de multiplier le nombre d’investissements et de limiter le risque d’impayé locatif.

18 - Plus le rendement et la rentabilité de l’investissement seront élevés, plus l’option pour l’impôt sur les sociétés se révélera opportune pour limiter la fiscalisation des revenus. Si l’objectif est de capitaliser dans la société sans procéder à des distributions, le choix de l’impôt sur les sociétés apparaît opportun. La société patrimoniale à l’impôt sur les sociétés a donc un avenir dans les hypothèses de réinvestissements.En raison de l’abattement pour durée de détention, l’attrait de l’impôt sur le revenu augmente encore en cas d’investis-sement à fort potentiel de valorisation.

19 - Une telle analyse permet également de réfléchir sur les incidences probables de nouvelles modifications.

4. La fin du marketing fiscal coercitif ?

20 - La suppression du principe de l’abattement pour durée de détention en cas de vente d’un terrain à bâtir est actuel-lement envisagée. Une telle réforme serait certainement accompagnée d’un dispositif transitoire permettant aux propriétaires de vendre en urgence leur terrain à bâtir sans attendre de thésauriser sur la spéculation immobilière.

21 - L’objectif de la réforme est d’obtenir un choc d’offres de terrains à bâtir qui permettrait de maîtriser le prix du foncier et de construire plus de logements à moindre coût.Une telle approche est cependant vouée à l’échec et ne fera que ralentir le rythme de mise en vente des terrains à bâtir par les propriétaires. La transition qui avait été mise en place lors du passage de la durée d’abattement de quinze ans à trente ans n’avait pas provoqué un choc des offres de ter-rains à bâtir.

22 - Bien plus, il est à craindre que les propriétaires ne dé-

cident d’attendre pour vendre sous des cieux fiscaux plus

cléments. Tout d’abord, l’attente leur profite financièrement

car leurs terrains à bâtir continueront certainement à se

valoriser en raison de la pression foncière. Ils ne prennent

alors que le risque d’un changement de réglementation qui

limiterait la constructibilité de leur bien.

Ensuite, la majorité des contribuables fera le pari d’une évo-

lution de la règle fiscale dans les années à venir. On découvre

ici l’effet pervers pour le législateur de l’instabilité fiscale. Si

la fiscalité constitue le meilleur moyen d’orienter le com-

portement des Français, le législateur a fini par fragiliser son

pouvoir en le viciant d’inconstance. La règle fiscale influe

certainement sur les choix patrimoniaux mais le contri-

buable a désormais la faculté de ne pas accepter la fiscalité

qu’on lui impose. Il lui reste le choix de différer sa décision

et d’espérer une modification fiscale favorable pour laquelle

une alternance politique n’est même plus indispensable.

23 - Instinctivement, les contribuables comprendront que la

fiscalisation à outrance des plus-values immobilières sur les

terrains à bâtir aura pour effet pervers de ralentir le marché

immobilier. Instinctivement, les contribuables compren-

dront que le ralentissement des ventes de terrains à bâtir

imposera au législateur d’amender de nouveau la réglemen-

tation fiscale.

Un tel va-et-vient fiscal risque uniquement de faire perdre

quelques années au secteur de la construction. Compte tenu

de l’instabilité fiscale, et de manière paradoxale, l’annonce

d’un régime de faveur pour la vente des terrains à bâtir gé-

nérerait certainement un choc important de mise en vente.

24 - En conclusion, le marketing fiscal se doit désormais

d’être plus incitatif que coercitif.

Pour un tableau récapitulatif des avantages comparés de

l’impôt sur le revenu et de l’impôt sur les sociétés : http://

www.slideshare.net/BenoitMORELNotaire/choix-entre-is-

et-ir-pour-la-dtention-de-limmobilier-par-benot-morel-no-

taire