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QUELS TRANSFERTS ENTRE GYMNASTIQUE ET NATATION ? Cet article tend à montrer les transferts existant entre gymnastique et natation et ce que ces sports développent au plan des conduites motrices. Ce texte est rédigé à partir des résultats d'une recherche expérimentale réalisée à la faculté des sciences du sport d'Amiens au cours des années 2003-2004.
Comment se comportent des spécialistes de sports de combat, de sports collectifs, de gymnastique et de natation, pourvus de lunettes les r endan t c o m p l è t e m e n t aveug les , mis en demeure de traverser à plusieurs reprises et de façons différentes une piscine de 25 m ? Si les gymnastes, à l'instar des nageurs, sont performants, les spécialistes de l'interaction motrice (sports collectifs, sports de combat) se révèlent inadaptés à ce genre de situation et manifestent des blocages. Les correspondances observées entre les comportements moteurs des gymnastes et des nageurs tiennent sans doute au fait que, dans leurs pratiques respectives, ces sportifs habitent globalement les mêmes espaces sensoriels : les informations extéroceptives sont subordonnées aux pro-prioceptives.
HYPOTHÈSE
En charge de l 'enseignement de la natation auprès d'étudiants, nous nous sommes aperçus que ceux qui assimilaient le plus vite les éducatifs concernant l 'apprentissage de la coordination en papillon étaient, après les nageurs, les gymnastes. De façon quasi systématique, chaque fois qu'un nageur (non affilié à un club) effectuait rap idement la prise d'appui avec la tête sous ou dans le prolongement des bras, l 'ondulat ion, l ' inspirat ion menton vers l'avant en fin de poussée sans relever le buste ainsi que l'immersion de la tête avant celle des mains, nous nous approchions
du bord du bassin pour demander : c'est quoi ton sport ? ; nous nous entendions répondre : gym, pourquoi ? Nous ne voyions pas spontanément le rapport qu'il pourrait y avoir entre les deux prat iques. La natation est destinée à produire des performances chronomé-triques alors que la gymnastique est une activité exploitant avant tout une maîtrise technique au
service d'une prestation esthétique. Mais les constats sont là, et après quelques années d'enseignement, nous avions des motifs de croire à l'existence d'un transfert positif des conduites motrices de la gymnastique vers celles de la natation sportive. Il convient toutefois d ' éme t t r e que lques réserves par rapport à cette hypothèse. Pour faciliter le déroulement des cycles de natation, des tests sont réalisés en début de chaque année universitaire. Selon les contraintes matérielles et le temps disponible, nous chronométrons toute la promotion des nouveaux entrants sur un 75 m ou un 125 m ( 1 ). Dès lors que nous suspections une relation entre les conduites motrices de la gymnastique et de la natation, nous avons croisé les performances ainsi obtenues avec les notes de gymnastique attribuées à chaque étudiant en fin d'année pour leur certification. La corrélation de rang s'est avérée non-significative et plutôt négative (-0,21). La tendance étant que de bons gymnastes fassent plutôt de médiocres performances chronométriques en bassin. Chacun des groupes de niveau de natation constitués intègre des gymnastes de tous les niveaux. Mais dans chacun de ces groupes ce sont eux dont les conduites motrices, repérées par des indicateurs pert inents de compor tements moteurs, sont les plus proches de celles des nageurs de club. Toutefois ils ne sont pas pour autant les plus performants. Quelles explications donner à cet illogisme ?
PAR L. COLLARD
O B J E T DE R E C H E R C H E ORIGINAL, M É T H O D O L O G I E CLASSIQUE
S'il existe un lien entre la gymnastique et la natation, c 'est du côté du rapport que ces sportifs entretiennent avec un milieu stable dépourvu d'adversaire direct qu'il faut sans doute chercher. Le caractère inhabituel de l'orientation du corps et des prises d'information conduit gymnastes et nageurs à valoriser les informations proprioceptives. Est-ce l'élément explicatif des facilités des gymnastes en natation sportive ? Pour répondre à la question il nous a fallu imaginer des situations motrices dans lesquelles les informations extéroceptives seraient perturbées au point d 'être subordonnées aux informations kinesthésiques et labyrinthiques. D'emblée, signalons qu'il nous fallait recourir à des sous-groupes témoins : des sportifs dont la logique motrice n'a pas pour conséquence de rendre les repères visuels insignifiants. Des spécialistes de sports collectifs et des experts de sports de combat ont ainsi été retenus. On ne doute pas que les aspects proprioceptifs aient de l ' importance pour eux, mais leur univers privilégié est celui du signe et fait de p e r c e p t i o n s d ' i n d i c e s n o u v e a u x , de pré-perceptions, de décisions fluctuantes, de pré-décisions, de pré-actions. Les indices sur lesquels s ' appu ien t les gymnas tes et les nageurs sont d'un tout autre ordre. C'est de ces con t r a s t e s que peuven t é m e r g e r les r éponses à no t re p a r a d o x e in i t i a l emen t constaté ; c'est l'opposition qui fait sens. 19 nageurs de club, 22 gymnastes compétiteurs , 21 exper ts de spor ts de combat et 37 spécialistes de sports collectifs (football, handball, volley-ball, basket-ball et rugby) ont participé à l 'expérimentation. Ces sportifs sont encore en activité compéti t ive. Leur niveau, s'il est hétérogène, est au minimum « régional » ; ils s'entraînent plus d'une fois par semaine. La moyenne d'âge est de 20 ans ± 2 ans ; il y a davantage de garçons que de
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filles (64 contre 35) mais, y compris dans tous les sous-groupes nous veillons à la représentativité féminine (2). Nous présentons ci-après les situations sur lesquelles notre recherche s'est appuyée.
Trois situations Afin de mettre en évidence la logique commune inscrite dans l'action motrice de la gymnastique et de la natation, nous choisissons de faire nager les participants avec des lunettes de natation totalement opacifiées. Pour réduire les informations tactiles émanant des appuis solides, les 99 volontaires de cette expérience partent un par un dans l'eau sans poussée sur le mur ; deux aides les maintiennent dans l'eau au départ (nous disposions d'une piscine de 25 m avec 6 lignes d'eau). Ils n'ont qu'un essai sauf pour la troisième situation.
Première situation Elle consiste, pour les quatre sous-populations de sportifs, à parcourir en aveugle, un par un, la plus grande distance possible en crawl en déviant le moins possible latéralement. Les acteurs sont placés dans une ligne d'eau de 2 m 50 de large et maintenus en surface sans contact avec le mur de départ ; les aides les orientent face au côté à atteindre ; ils partent quand ils veulent ; aucun bruit n'est fait autour du bassin (il est important que les informations auditives ne prennent pas le relais des informations visuelles); de grosses planches en mousse sont placées avant le mur d'arrivée. Des marques latérales caractéristiques servent de points de repères (les lignes des 5 et des 20 m matérialisées par le changement de couleur des lignes d'eau et la ligne des 12 m 50 correspondant à l'échelle du milieu du bassin) afin de mesurer la distance parcourue avant que le nageur n'entre en contact avec l'une des deux lignes d'eau ou les planches s'il réussit à nager droit pendant les 25 m. Lorsque le nageur heurte un obstacle, il s'arrête et peut retirer ses lunettes. Aucune consigne n'est
donnée s'agissant de la technique du crawl. Les étudiants peuvent nager la tête hors de l'eau ; mais ceux qui s'y sont risqués n'ont pas dépassé les 5 premiers mètres (3). • Dans cette situation, on contrôle la capacité qu'ont les sujets à orienter les masses d'eau vers l'arrière à l'aide des bras sans qu'aucun ajustement visuel ne vienne rattraper d'éventuels déséquilibres. Par ailleurs, puisque chacun doit sortir la tête de l'eau pour inspirer, on peut vérifier si, oui ou non, les actions respiratoires ne perturbent pas les actions propulsives, comme tout bon nageur s'applique inlassablement à s'y astreindre à l'entraînement.
Deuxième situation Elle exige l'emploi de palmes. Les nageurs sont sur le dos, bras tendus en direction du mur. Ils portent des lunettes de piscine complètement opaques. Les lignes d'eau sont retirées. Il s'agit simplement de traverser le bassin dans cette position par ondulations, les jambes intervenant de façon symétrique et simultanée (pieds liés par des morceaux de chambre à air). Installés dans l'eau, des observateurs notent la profondeur maximale atteinte lors de ces ondulations sur le dos. Des marques leur permettent de repérer si les nageurs s'enfoncent au-delà des 0,50 m et des 1,50 m. La piscine fait uniformément 1,80 m de fond. Rien n'interdit aux sportifs de rester en surface pour rejoindre l'autre côté, et ceux qui choisissent de s'immerger peuvent revenir en surface à tout moment pour reprendre leur respiration. Ici, c'est l'espace arrière, la faculté d'enfoncer la tête dans l'eau par une hyperex-tension vers le bas qui nous intéresse. En restant à la surface, le corps cassé, l'ondulation est laborieuse et témoignera de blocages, de replis sur soi. Une ondulation profonde coupera les pratiquants des repères tactiles de la surface (air/eau) : cet exercice est des plus stressants ; dans ces conditions d'immersion totale, les sens extéroceptifs (vue, ouïe et toucher) ne renseignent plus du tout sur la position du corps dans l'espace. Troisième situation Les lignes d'eau ne sont pas remises en place et plusieurs aides sont placées en bout de couloirs et sur les côtés du bassin pour prévenir tout contact
du nageur avec le mur. Les lunettes opaques, les palmes et les chambres à air autour des chevilles (pour garantir la simultanéité et la symétrie des ondulations) sont réutilisées. Les nageurs doivent traverser tout le bassin, sur le ventre, les mains le long des cuisses avec obligation de se mouvoir complètement sous l'eau. Ils peuvent, bien sûr, reprendre leur respiration en surface mais doivent impérativement replonger pour avancer. Si ce n'est pas le cas, ils seront stoppés et recommenceront. C'est la seule des trois situations où plusieurs essais sont possibles en cas de non respect des consignes. • Dans ce cas, et contrairement à la seconde situation, les participants reçoivent la même information tactile. La difficulté tient ici au placement de la tête. S'ils refusent de s'immerger profondément, leur dos risque d'affleurer la surface et ils devront recommencer. Les consignes de départ consistent à leur demander de nager entre deux eaux. Combien d'essais leur sont nécessaires pour réussir à traverser 25 m dans ces conditions ? Quels sont les sportifs qui s'en sortiront le mieux ?
Les performances A ces trois situations motrices il faut ajouter les performances chronométriques sur 75 m nage libre ainsi que le niveau de maîtrise d'exécution du papillon sur 25 m, indicateurs
Tableau 1. Données des deux premiers facteurs de l'AFC
Les 27 modalités actives sont présentées avec, pour les facteurs 1 et 2, leurs contributions par facteur (CPF) et leur coordonnées vectorielles (Coord vector). Certaines modalités apparaissent de forte contribution à la significative des résultats, comme 19 NAGEURS, NESSAIS > 5, quand d'autres apportent peu d'informations explicatives, Dc RAWL aveugle > 12,5 m, Poids > 60 kg...
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qui sont à la source de notre problématique initiale. Il est également nécessaire de retenir deux paramètres physiques importants en natation sportive : l'envergure, en étroite relation avec la taille, et la masse corporelle, à défaut de pouvoir mesurer la densité, autrement dit la flottabilité des participants. L'effectif des sportifs observés, la multitude des variables explicatives (sexe, spécialités sportives, etc.) et expliquées (performance, maîtrise de la coordination papillon, etc.) nous invitent à opter pour une analyse factorielle des correspondances (AFC) (4).
L'analyse factorielle des correspondances
On évite ainsi une redondance de tableaux croisés et son cortège de tests statistiques qui peuvent, à l'insu du chercheur, conduire à une confusion entre coïncidence et déterminisme. En effet, s'il s'avère que les gymnastes réussissent mieux que les spécialistes de sports collectifs, est-ce parce qu'ils sont gymnastes ? Ou parce que ces derniers sont plus légers ou parce que, autre hypothèse, ce groupe comporte traditionnellement plus de filles ? Si par contre les gymnastes réussissent moins bien, n'est-ce pas à cause d'une envergure moyenne de bras plus petite ? Une réponse à ces interrogations est toujours possible à l 'aide du croisement deux à deux de toutes les données. Mais cependant, il ne nous sera pas possible de faire émerger les facteurs les plus explicatifs, la variable la plus déterminante. L'AFC, elle, est en mesure, sur son premier facteur, de repérer les variables distinctives, celles qui font sens, quitte à sous-estimer les variables de moindre contribution. Le second facteur affine les résultats du premier en apportant éventuellement de nouvelles informations de moindre signification.
L'AFC consiste à rassembler, d'un seul tenant, sur un unique plan à deux dimensions, une approximation du croisement de la totalité des données (tableau 1). Les modalités (envergure supérieure à 1,65 m, profondeurs des ondulations sur le dos >-0,50 m, etc.) viennent se placer sur ce plan les unes par rapport aux autres en fonction de leurs correspondances. Si une modalité vient se rapprocher d'un groupement d'autres, cela signifie que globalement, ce sont les mêmes personnes qui en sont les auteurs. On dit des modalités proches les unes des autres qu'elles sont en « conjonction ». Au contraire, lorsque deux modalités s'opposent de part et d'autre du plan factoriel (l'angle formé par les droites partant du croisement de l'axe des abscisses et des ordonnées du plan factoriel et joignant les deux modalités est alors nettement supérieur à 90°) cela signifie que ces facteurs explicatifs s 'opposent : ce ne sont pas les mêmes publics qui les ont émis ; on dit que ces modalités sont en « opposition ». Si, enfin, les modalités viennent se placer sur le plan factoriel en formant entre elles un angle proche de 90° par rapport à l'origine, on dit qu'elles sont en « quadrature » : cela signifie que les sous-groupes de répondants ne se posent pas en s'opposant ; leurs conduites motrices sont indépendantes les unes des autres (tableau 1).
Commentaires AFC constitue un résumé approximatif de l'ensemble des données les plus significatives, dont on peut toutefois quantifier la part ignorée d ' i n f o r m a t i o n s . Si un plan d ' A F C regroupe 10 à 20 % du total d'informations, cela signifie que 80 à 90 % de contenus explicatifs sont peu pertinents et non représentés : c'est souvent le signe qu 'on ne peut valider cette recherche.
Le brassage factoriel des 27 modalités de notre expérience donne un Phi2 de 0,318. Le Phi2 n'est autre qu'un Khi2 (test d'homogénéité) divisé par l'effectif total des données recueillies : il représente les 100 % d'informat ions per t inentes . Ainsi que le montre le tableau 1, les deux premiers facteurs constitutifs du plan factoriel (le premier occupera l ' axe des absc i sses , le second, l ' axe des ordonnées) prennent respec t ivement des valeurs propres (VP) de 0,137 et 0,069 du Phi2 général, soit 43 % + 21 % = 64 % du total d'information.
Au terme de notre expérimentation nous pouvons constater que près des deux tiers des données sont regroupés dans l 'AFC, signe de résultats probants. Pour chaque facteur, les coordonnées factorielles de chaque modalité sont précisées (deuxième colonne de chiffres pour le premier facteur, quatrième colonne de chiffres pour le second facteur). Elles viendront se placer sur le plan à deux dimensions, par simple addition vectorielle.
HABITENT-ILS DES ESPACES SENSORIELS DIFFÉRENTS ?
Le vécu sportif de chaque spécialiste le dote d'un rapport particulier à l'espace et, ce qui peut paraître naturel pour certains ne convient
pas à d'autres. C'est ce que laisse transparaître le premier facteur du plan factoriel (axe horizontal, toutes les modalités concernées sont mises en gras) (tableau 2). À droite de l'axe, les conduites motrices des spécialistes de sports collectifs (37SPCO) et de sports de combat (21SPCOMB) sont en conjonction. Ils semblent peu à l'aise dans l'exécution d'un 25 m papillon (coordinPAP-). De même, ils ont tendance à refuser d'abandonner les informations tactiles, repères d'ordre extéroceptif, qu'ils exploitent systématiquement dans leurs entraînements : plusieurs essais sont nécessaires pour qu'ils parviennent à traverser le bassin en ondulations ventrales sous-marines (NESSAIS > 5, situation 3) et sur le dos, ils ont des difficultés à investir un espace arrière
T a b l e a u 2 . P l a n f a c t o r i e l représentant l e s modalités d o n t la C P F e s t supérieure à la m o y e n n e (37)
Le premier facteur (axe des abscisses) oppose les conduites motrices aquatiques ces nageurs et des gymnastes (à gauche, en gras) à celles des spécialistes de sports collectifs et de sports de combat (à droite, en gras). Le second facteur (axe des ordonnées) oppose les performances chronométrique des garçons de grands gabarits (en haut, en italique) aux performances des filles de petits gabarits (en bas, en italique).
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inhabituel. Ils restent, en effet, majoritairement à la surface pour rejoindre l'autre côté du bassin (PoNDULaveugle = 0 m, situation 2). Ce sont également eux dont la trajectoire s'écarte le plus de la ligne droite lors de la traversée en crawl et qui touchent la ligne d'eau avant les 12,50 m (DcRAWLaveugle < 12,50 m, situation 1).
La sensibil i té kinesthésique et labyrin-thique
Nécessaire au repérage dans les trois dimensions de l'espace aquatique cette sensibilité est prise en défaut chez nos spécialistes de sports sociomoteurs. Ils habitent des espaces ludiques où, ce qui prévaut, c'est l'ouverture sur un extérieur doté d ' in tent ion, sur une sémiologie de la motricité, une « sémiotri-cité » (5). Leurs conduites motrices sont des conduites « sociomotrices » (5) où la trop forte centration sur soi est un gage d'incompétence.
En sport collectif Le débutant vit dans sa bulle. Lorsque le ballon y pénètre, il s'en débarrasse aussitôt, de peur de provoquer des intrusions dans son espace proche. En progressant, il élargit sa bulle, accepte d'y voir venir un corps étranger, une balle venant à sa portée ou un joueur oppressant, mais il n'est toujours pas porteur d'initiative : adversaires et partenaires ne sont pas pris activement en compte dans son propre espace d'action. Bientôt il ne se contente plus de réagir, il prend des initiatives, intègre intentionnellement, partenaires et adversaires dans une bulle de plus en plus grande. Ouvert sur l'extérieur, au stade ultime, il cherche à faire sien l'espace d'action des autres, qu'il considère progressivement comme faisant partie de son propre espace d'action, sa propre bulle, pour mieux communiquer et mieux contre-c o m m u n i q u e r , cons t ru i r e des s t ra tég ies motrices et les déconstruire. Ce parcours de tout sportif interagissant, implique le renoncement à une « autocentration », un enfermement sur soi préjudiciable: à univers praxiques différents, conduites motrices différentes. Voilà qui explique, selon une forte probabilité, le placement des principales actions motrices des nageurs à gauche du plan factoriel, en opposition à celles des spécialistes de sports avec interaction motrice.
En natation Les nageurs (19 NAGEURS) maîtrisent bien sûr la coordination papillon (coordinPAP +), réussissent mieux que les autres à traverser le bassin en aveugle sans toucher les lignes d'eau (DcRAWLaveugle >20 m, situation 1 ), acceptent l'espace arrière et réussissent toutefois à ne pas trop s'enfoncer (PoNDULaveugle > - 0,50 m, situation 2), parviennent à rejoindre l'autre côté du bassin par des ondulations ventrales du premier coup (NESSAI = 1, situation 3). Rien d'étonnant à cela. Ce qui l'est peut-être davantage est la conjonction de ces modalités avec les gymnastes (22GYM).
En gymastique L'hypothèse initiale se confirme. Il y a bien chez les gymnastes un investissement important de
l 'espace arrière (PoNDULaveugle > -1,50 m) mais, à l'inverse des spécialistes de la socio-motricité, ils n'ont pas de difficulté à nager en profondeur même si dans cette situation ils maîtrisent moins bien leur équilibre que les vrais nageurs. De même leurs coordinations en papillon sont moins fines (coordinPAP =, où « = » signifie une note comprise entre 3 et 4 sur 6, « + », une note de 5 à 6 sur 6, et « - », une note comprise entre 0 et 2 sur 6) mais elles n'ont pas le caractère d 'échec repérable de l'autre côté de ce premier facteur (coordinPAP -) (tableau 2). • Après des années d'enseignements et d'observations, nous pouvons désormais donner une explication au fait que les gymnastes sont, après les nageurs, les sportifs les plus à l'aise à endosser des conduites motrices aquatiques privilégiant les sens proprioceptifs. Mais, en affirmant cela, nous ne trouvons toujours pas de réponse à la question initiale portant sur l'indépendance de ces bons niveaux de maîtrise praxique et des performances sportives qui leur sont associées.
CONDUITE MOTRICE ET PERFORMANCE
Une conduite motrice
C'est une organisation signifiante du comportement moteur (5). De fait elle n'est pas réductible à ce que l'on voit, ce que l'on peut filmer, bref à la technique, au comportement moteur. En choisissant de faire nager nos sportifs sans l'aide de la vue, sur le dos, sur le ventre, etc., nous ne nous intéressons pas à la technique ; nous essayons de percevoir leur vécu corporel, leurs émotions, leurs blocages, leurs images mentales inductrices. Les situations 1, 2 et 3, ainsi que la réalisation du 25 m en papillon ne sont que des indicateurs de leurs niveaux de conduites motrices.
La performance
En temps que telle, elle est un indicateur comme un autre de la conduite motrice. Plus difficile à prendre en compte dans les sports avec interactions motrices pertinentes, elle se révèle être un bon outil pour les sports « psychomoteurs » dénués d'incertitude fournie par le milieu humain. Cependant, prise isolément, la performance peut s 'avérer insuffisante, voire ambiguë, vis-à-vis d'autres indicateurs. En effet, surtout pour un sport comme la natation, des facteurs anthropométriques (taille, poids, envergure, densité graisseuse, etc.) peuvent intervenir dans le rendement de nage, et fausser l 'estimation des conduites motrices proprement dites. C'est bien ce qui apparaît lors du croisement du premier (axe horizontal, modalités explicatives mises en gras) et du second facteur de l 'AFC (axe vertical, modalités explicatives en italique)
• Sur le p r e m i e r fac teur s ' o p p o s e n t des niveaux de conduites motrices à partir d'indicateurs focalisés sur la maîtrise d'informations labyrinthiques et kinesthésiques. Sur le second facteur, s'opposent les performances sur le 75 m chronométré (PERF 75 m < 50", rapide en haut du plan ; PERF 75 m < 1' 10,
plus lente en bas du plan) selon l'envergure (envergure > 1,80 m, grande en haut du plan ; envergure < 1,65 m, petite en bas du plan) et le sexe (35 Filles en bas du plan, 64 Garçons en haut du plan). Comme les gymnastes (placés en bas et à gauche du plan factoriel) sont souvent plus petits que la moyenne et que, dans notre expérience, il y a un peu plus, en proportion, de filles en gymnastique que dans les autres sous-groupes de sportifs (respectivement la moitié en gymnastique contre le tiers environ pour le reste), nous confirmons notre constat préliminaire selon lequel les gymnastes ne réussissent pas mieux (voire moins bien) que les autres sur le plan de la vitesse de nage. Cela dit, il est important de comprendre qu'au regard des données, la taille (ou l'envergure, ce qui revient au même) et le sexe ne sont les éléments explicatifs que du deuxième facteur relatif à la performance. La CPF de ces modalités est très faible au premier facteur. Par contre, sauf pour les nageurs de club, les modal i tés relatives au sport prat iqué et à l ' a isance aquat ique n 'appara issent s ignifiantes que sur le premier facteur. Ainsi, ce n 'est pas tant parce qu ' i l s sont gymnastes qu'ils ne nagent pas vite, c'est d'abord parce qu'ils sont plus petits et que la représentation féminine est plus forte que les autres (sens du second facteur). Par contre, c'est bien parce qu'il sont gymnastes qu'ils sont plus à l'aise dans l'eau que les footballeurs ou les judokas (sens du premier facteur). • Le paradoxe vole en éclat. Les performances en natation dépendent tant des qualités physiques et anthropométriques des nageurs, ainsi que nombreuses études en attestent (6, 7, 8), qu ' i l leur arrive d 'ê t re indépendantes du niveau réel de conduites motrices. Voilà qui explique, qu'aussi à l'aise soient-ils dans l'eau, les gymnastes n 'en sont pas pour autant de grands performeurs.
Luc Collard Maître de conférences, HDR, Faculté des sciences du sport,
Université de Picardie Jules Verne. E-mail : luc-collard@u-picardie.fr
Notes bibliographiques
(1) En bassin de 25 m l'avantage de ces distances bâtardes est d'ordre organisationnel. Les étudiants sortent ainsi du bassin à l'opposé de l'entrée dans l'eau de la série suivante ; sur deux cents participants ou plus, on gagne ainsi plusieurs précieuses minutes.
(2) Le sexe est une variable explicative probablement déterminante.
(3) II est très problématique de nager droit dès lors que la tête accompagne de droite et de gauche l'action des bras.
(4) Cibois Ph., L'analyse factorielle, PUF, 1984.
(5) Parlebas P.. Jeux, sports et sociétés. Lexique de praxéo-logie motrice, ed. INSEP, 1999.
(6) Smith L., « Anthropométrie measurements, and arm and legs speed performance of maie and female swimmers as predictor of swim speed ». Journal of sports médecine andphysicalfitness n° 18. 1978.
(7) Pelayo P. et al. « Stroking characteristics in free style and relation ships to anthropomorphic characteristics », Journal of applied biomecanics n° 12, 1996.
(8) Sidney et al, « Thethered forces in crawl stroke and their relationship to anthropométrie charaerteristics and sprint swimming performance », Journal of human movement studies n° 31, 1996.
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